184
La malnutrition de l’enfant Des bases physiopathologiques à la prise en charge sur le terrain

Malnutrition physiopath

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Malnutrition physiopath

La malnutrition de l’enfantDes bases physiopathologiquesà la prise en charge sur le terrain

Page 2: Malnutrition physiopath

MONOGRAPHIES DE LA CHAIRE DANONE

TOMÉ, Daniel. Des macro-nutriments alimentaires à la santé de l’homme. 1995,106 p.

ALLISON, Simon Philip. Nutrition in Medicine : A Physician’s View. 1996,153 p.

CUMMINGS, John Hedley. The Large Intestine in Nutrition and Disease. 1997,155 p.

SCHAAFSMA, Gertjan. The Western Diet, with a Special Focus on DairyProducts. 1997, 124 p.

ROZIN, Paul. Towards a Psychology of Food Choice. 1998, 265 p.

BRIEND, André. La malnutrition de l’enfant. Des bases physiopathologiques à laprise en charge sur le terrain. 1998, 163 p.

Page 3: Malnutrition physiopath

La malnutrition de l’enfantDes bases physiopathologiquesà la prise en charge sur le terrain

Dr André BRIEND

Cours dispensé dans le cadre de la Chaire Danone 1996Publié par l’Institut Danone en 1998

Page 4: Malnutrition physiopath

© Institut Danonerue du Duc, 100B-1150 BRUXELLES (Belgique)e-mail: institut [email protected]://www.danone-institute.behttp://www.danone-institute.com

D/1998/7468/2ISBN 2-930151-07-2Page de couverture: Thierry De Prince

Page 5: Malnutrition physiopath

Table des matières

Avant-propos XIPréface XIIIRésumé XV

1 – Évolution des concepts sur la malnutrition de l’enfant 1

1-1 Introduction 11-2 Les premières observations 21-3 1933–1935 . Le terme “kwashiorkor” 21-4 1950–1975 . Les années protéines 51-5 1970–1980 . Des carences en protéines aux carences en énergie 61-6 Vingt ans après : la notion de déficit en énergie est-elle toujours

d’actualité ? 81-7 Infection et nutrition 91-8 Vers la reconnaissance d’une malnutrition pluricarentielle 111-9 La malnutrition pluricarentielle : une hypothèse de plus ? 13Références 13

2 – Évaluation de l’état nutritionnel 17

2-1 Introduction 172-1-1 La description de la situation nutritionnelle

d’une population 182-1-2 La sélection d’individus en vue d’une intervention

nutritionnelle 182-2 Évaluation de l’état nutritionnel d’une population 19

2-2-1 Intérêts respectifs des enquêtes anthropométriques etdes enquêtes de consommation alimentaire 19

2-2-2 Limitations des enquêtes portant sur des enfants pour décrire la situation générale 19

2-2-3 Principe des enquêtes anthropométriques -Limite des définitions de la malnutrition baséessur l’anthropométrie 20

2-2-4 Les mesures anthropométriques 212-2-5 Choix des normes de référence 222-2-6 Les trois principaux indices décrivant l’état nutritionnel

d’un individu 222-2-7 Amaigrissement et retard de croissance staturale 232-2-8 Les modes de calcul des trois indices nutritionnels 242-2-9 Choix du mode d’expression des indices 26

Page 6: Malnutrition physiopath

2-2-10 Évaluation du nombre d’enfants en malnutritiondans une population 27

2-2-11 Critique des méthodes basées sur l’emploi des seuils 282-2-12 Mesure de la prévalence standardisée 292-2-13 Examen de la distribution des indices anthropométriques 31

2-3 Identification des individus devant bénéficier d’une intervention 332-3-1 Identification des individus dénutris 33

• Choix des indices nutritionnels 35• Choix des seuils de définition de la dénutrition 35

2-3-2 Identification des individus à haut risque de décès 36• Choix des indices nutritionnels 36• Choix des seuils de définition des individus

à haut risque de décès 39• Intérêt des évaluations fréquentes de l’état nutritionnel 40

Références 40

3 – Besoins en énergie et renutrition 43

3-1 Introduction 433-2 Besoins d’entretien chez l’enfant bien nourri 433-3 Comparaison des dépenses énergétiques d’entretien

chez l’enfant et chez l’adulte 463-3-1 Comparaison volume/surface 453-3-2 Composition corporelle et dépense énergétique 473-3-3 Implications de besoins énergétiques d’entretien

différents chez l’enfant et chez l’adulte 483-4 Besoins en énergie de l’enfant en malnutrition grave 49

3-4-1 Besoins énergétiques d’entretien 49• Anomalies de la composition corporelle 49• Adaptation à des apports énergétiques abaissés 50• Valeur des besoins en énergie pour l’entretien 50

3-4-2 Besoins énergétiques pour la croissance 513-4-3 Besoins totaux en énergie 543-4-4 Estimation de la composition des tissus synthétisés 553-4-5 Qualité du régime et coût énergétique de la croissance 56

3-5 Couverture des besoins en énergie chez l’enfant dénutri 573-5-1 Malnutrition grave 573-5-2 Malnutrition modérée 58

• Apport de glucides 58• Apport de lipides 60

3-5-3 Densité énergétique des bouillies destinéesà la réalimentation 62

Page 7: Malnutrition physiopath

3-5-4 Aliments solides 62Références 62

4 – Besoins en protéines et renutrition 65

4-1 Introduction 654-2 Besoins pour la croissance et besoins d’entretien 664-3 Besoins en protéines de l’enfant sain âgé de plus de 6 mois 66

4-3-1 Besoins d’entretien 674-3-2 Besoins pour la croissance 674-3-3 Besoins totaux et besoins relatifs pour la croissance

et pour l’entretien 694-3-4 Niveaux de sécurité pour l’apport protéique 694-3-5 Besoins en acides aminés essentiels 714-3-6 Profils d’acides aminés essentiels - Profils de référence 71

4-4 Estimation des besoins en protéines de l’enfant gravement dénutri 744-4-1 Risques associés aux apports élevés en protéines

en début de réalimentation 744-4-2 Gain de poids élevé au cours de la phase de récupération

nutritionnelle 754-4-3 Besoins d’entretien 754-4-4 Besoins pour la croissance 764-4-5 Besoins totaux 764-4-6 Profil d’acides aminés essentiels à utiliser

lors de la renutrition 774-4-7 Couverture des besoins en protéines de l’enfant

gravement dénutri 784-5 Besoins en protéines de l’enfant modérément dénutri 79

4-5-1 Utilisation de mélanges de céréales et de légumineuses 804-5-2 Utilisation de farines lactées 82

Références 83

5 – Relations entre besoins en protéines et en énergie 85

5-1 Introduction 855-2 Aspects théoriques des rapports entre protéines et énergie 85

5-2-1 Mode de calcul 855-2-2 Effet du gain de poids 865-2-3 Influence de la nature du tissu synthétisé 865-2-4 Intégration des variables dans le calcul 875-2-5 Validation chez l’enfant sain 89

5-3 Rapport entre apports en protéines et énergie lors de la priseen charge de la malnutrition grave 89

Page 8: Malnutrition physiopath

5-3-1 Au début du traitement 895-3-2 Lors de la phase de renutrition rapide 905-3-3 Protéines, énergie et kwashiorkor 91

5-4 Protéines et énergie en cas de malnutrition modérée 925-5 Autres groupes vulnérables 92

5-5-1 Femmes enceintes et allaitantes 925-5-2 Personnes âgées 93

Références 94

6 – Vitamines et minéraux 97

6-1 Introduction 976-1-1 Vitamines 976-1-2 Minéraux 976-1-3 Généralités sur l’origine des carences 99

6-2 Les deux grandes classes de nutriments 1006-2-1 Carences de type I 1026-2-2 Carences de type II 102

• Uniformité des manifestations cliniques 102• Interdépendance des nutriments de type II 103• Absence de manifestation clinique en cas de retard

de croissance 103• Difficulté d’interprétation des expériences

de supplémentation 104• Fréquence de l’anorexie associée 104• Difficultés diagnostiques 104

6-3 Besoins en minéraux en cas de malnutrition grave 1056-3-1 Potassium 1056-3-2 Magnésium 1076-3-3 Zinc 1076-3-4 Cuivre 1086-3-5 Sélénium 1086-3-6 Fer 1096-3-7 Phosphore 110

6-4 Apport en minéraux au cours de la malnutrition grave -Utilisation d’un supplément standard 110

6-5 Apport en vitamines au cours de la malnutrition grave 1116-6 Aspects pratiques de la supplémentation en vitamines et

minéraux 1136-6-1 Malnutrition grave 1136-6-2 Malnutrition modérée 113

Références 115

Page 9: Malnutrition physiopath

7 – Prise en charge de la malnutrition grave 119

7-1 Introduction 1197-2 Définition 1207-3 Principe du traitement 120

7-3-1 Phase initiale (phase de rééquilibration) 121• Réhydratation 121• Réalimentation 123• Complications 127

7-3-2 Phase de réhabilitation nutritionnelle 129• Apports en protéines et énergie 129• Apports en vitamines et minéraux 132

7-4 Lait et diarrhées 1327-5 Protocole basé sur l’utilisation exclusive de la formule F100 134

7-5-1 Osmolarité de la préparation F100 1347-5-2 Concentration élevée en protéines de la préparation F100 1357-5-3 Concentration élevée en lipides de la préparation F100 1357-5-4 Taux élevé de sodium de la préparation F100 136

7-6 Préparations des formules F75 et F100 1367-7 Reprise de l’alimentation familiale, suivi à domicile 137Références 140

8 – Interventions nutritionnelles - Programmes de prévention 143

8-1 Introduction 1438-2 Interventions ciblées sur un petit nombre d’enfants à haut risque 143

8-2-1 Réhabilitation des cas de malnutrition grave 144• Faible proportion des décès évités 144• Standardisation du traitement et de l’évaluation

de son efficacité 145• Intérêt dans les périodes de crise 145• Faible coût de ces programmes 145

8-2-2 Dépistage et prise en charge des cas de malnutritionmodérée 145• Difficultés du dépistage 146• Problème de l’évaluation des programmes 146• Importance du nombre d’enfants à prendre en charge 146• Difficultés de supervision 147• Aspects économiques des programmes de distribution

d’aliments de renutrition 1478-3 Interventions touchant l’ensemble des enfants d’une population 148

8-3-1 Éducation nutritionnelle 1488-3-2 Mise sur le marché d’aliments de sevrage à faible coût 148

Page 10: Malnutrition physiopath

8-3-3 Distribution à l’ensemble des enfants, sous formede suppléments, des nutriments manquantsdans la ration 149

Références 151

9 – Perspectives d’éradication de la malnutrition de l’enfant 153

9-1 Évaluation du nombre total de personnes sous-alimentées à travers le monde 153

9-2 Évaluation du nombre d’enfants gravement dénutrisdans le monde 155

9-3 Rôle de l’aide alimentaire 1569-3-1 L’aide alimentaire et le problème de la sous-alimentation

dans le monde 1569-3-2 L’aide alimentaire et l’éradication de la malnutrition

grave 1579-4 Analyse de la politique de l’aide alimentaire actuelle 161

9-4-1 Pression des producteurs agricoles 1629-4-2 Souci d’image auprès du public 162

9-5 Pour une aide alimentaire intelligente 163Références 163

Page 11: Malnutrition physiopath

Avant-propos

L’Institut Danone est une association regroupant des scientifiques,spécialistes de l’alimentation et de la nutrition. Il a pour vocation d’établir un lienentre la communauté scientifique et les professionnels de la santé et del’éducation. C’est dans cette perspective que l’Institut a créé la Chaire Danone.

La Chaire Danone a pour objet l’exposé d’acquisitions récentes dans ledomaine de la nutrition humaine. Chaque année, une université francophone etune université néerlandophone belges organisent sous leurs auspices unenseignement dispensé par un savant belge ou étranger. Cet enseignement, destinéà un public universitaire multidisiplinaire, comprend une leçon inaugurale suiviede 15 heures de cours. L’ensemble des conférences fait l’objet d’une publicationintégrée dans une série de monographies éditées par l’Institut Danone.

La monographie “La malnutrition de l’enfant. Des bases physio-pathologiques à la prise en charge sur le terrain” reprend le contenu des coursdonnés par le Dr André Briend, chercheur auprès de l’Institut Français deRecherche pour le Développement en Coopération, dans le cadre de la ChaireDanone attribuée à l’Université Libre de Bruxelles pour l’année académique 1995-1996.

L’Institut Danone remercie sincèrement le Dr André Briend, tant pour sescours que pour sa monographie. Il témoigne également sa reconnaissance auDr Philippe Goyens, au Prof. Philippe Hennart et particulièrement, au Dr DanielBrasseur. Leur contribution à l’organisation de la Chaire et à la publication de lamonographie a été essentielle. Ses plus vifs remerciements s’adressent à MadameMicheline Populer, responsable des Presses Agronomiques de la Faculté deGembloux. C’est à la qualité de son travail éditorial que l’Institut Danone doit depouvoir publier ce sixième volume de la collection “Monographie ChaireDanone”.

Prof. Dr. Kenny DE MEIRLEIR Prof. Dr. André HUYGHEBAERT

Président du Président du Conseil Scientifique Conseil d’Administration

XI

Page 12: Malnutrition physiopath
Page 13: Malnutrition physiopath

XIII

Préface

Chaque année, la malnutrition protéino-énergétique frappe dans le mondeplusieurs millions d’enfants et de femmes enceintes et/ou allaitantes. Lespopulations les plus pauvres vivant dans les pays en voie de développement et toutparticulièrement en milieu rural sont les plus concernées. C’est donc toutnaturellement que la Chaire Danone en nutrition humaine a retenu le thème de lamalnutrition carentielle dans les pays pauvres.

Deux publics pouvaient être intéressés.

1. L’ensemble des personnes œuvrant sur le terrain (ONG, Agencesinternationales, etc.). Certaines sont des spécialistes aguerries de la médecinedite “humanitaire”, d’autres des bénévoles, des volontaires ou des néophytes quidemandent à se former autrement que sur le terrain.

2. Les scientifiques qui souhaitent acquérir une connaissance plus large de lanutrition humaine en débordant du cadre d’expériences de laboratoire ou dumilieu hospitalier au profit d’une approche plus axée sur les problèmes de santépublique en nutrition.

La Chaire Danone consacrée à la malnutrition ne pouvait être mieuxattribuée qu’au Dr André BRIEND. Scientifique de renommée internationale, ilœuvre depuis longtemps dans les pays en voie de développement et restetoujours soucieux d’une démarche très pragmatique. Après ses études médicales,le Dr A. BRIEND a travaillé à l’Office de Recherche Scientifique et Techniqued’Outre-Mer (ORSTOM) et a simultanément poursuivi des études de nutrition àl’Institut supérieur des Sciences et Techniques de l’Alimentation. Il a obtenu àParis un diplôme de Médecine exotique et un diplôme de Statistiques enépidémiologie au Centre d’Études statistiques appliquées à la Médecine. Il aensuite entrepris un long voyage autour de la planète : après un séjour de troisans à Dakar, il a séjourné en Angleterre avant de repartir pour le Bangladesh oùil a travaillé pendant cinq ans au Centre for Diarrhoeal Disease. Il est ensuiterevenu à Montpellier (ORSTOM) avant de retourner à Paris où il est affecté àl’INSERM.

Le Dr A. BRIEND a publié plus de 50 articles dans des revues internationales.Tous sont centrés sur les problèmes nutritionnels : la malnutrition fœtale, la valeurde l’anthropométrie, l’allaitement maternel, les maladies diarrhéiques et l’aide auxréfugiés dans les camps du tiers-monde. Le Dr A. BRIEND a également rédigéplusieurs chapitres dans des traités et des livres consacrés aux problèmesnutritionnels. Enfin, il a œuvré et œuvre comme expert pour l’OMS, l’Unicef,MSF, ACF... dans divers pays (Togo, Maroc, Malawi, Rwanda, Érythrée, Tchad,Soudan, Zambie,...). Le Dr A. BRIEND mène aussi une activité d’enseignant àl’Université de Paris VII, DEA de Nutrition, et au Conservatoire national des Artset Métiers.

Page 14: Malnutrition physiopath

XIV

Le Docteur A. BRIEND, collabore aussi depuis de nombreuses années avec leCentre d’Études scientifiques et médicales de l’Université Libre de Bruxelles pourses Activités de Coopération (CEMUBAC) créé voilà plus de 60 ans et œuvrantégalement dans la lutte contre le kwashiorkor et les carences en vitamines A, eniode et en oligo-éléments. Les activités de recherche, les interventions et lesactions en santé publique (vaccinations, naissances désirables, lutte contre lesparasitoses,...) du CEMUBAC l’ont amené à connaître et à collaborer avec denombreux scientifiques, dont le Dr A. BRIEND. Des projets communs ont été missur pied, notamment, en collaboration avec le Professeur M. GOLDEN, desprogrammes de réalimentation d’enfants souffrant de diarrhée et des étudesinterventionnelles de lutte contre les carences en oligo-éléments.

C’est dans ce combat commun que nous avons pu apprécier l’approcheoriginale et très pragmatique du Dr A. Briend. Face à l’impossible, l’éradicationde la malnutrition en l’an 2000, c’est-à-dire demain, le Dr A. Briend propose unestratégie basée sur la connaissance profonde du problème mais formulée entermes concrets et en exigences réalistes. Le défi qu’il propose aux nutritionnistesdu monde nanti vaut qu’ils l’écoutent, et qu’ils y réfléchissent. Certains,certainement, s’engageront.

Dr Ph. HENNART Dr Ph. GOYENS Dr D. BRASSEUR

Directeur du CEMUBAC Membre de l’Institut Membre de l’Institut “Soins de Santé Primaires” Danone et du CEMUBAC Danone et du CEMUBACUniversité Libre Université Libre Université Librede Bruxelles de Bruxelles de Bruxelles

Page 15: Malnutrition physiopath

Résumé

L’enfant gravement dénutri est tel que le public se l’imagine : il nous montreson regard triste et ses bras décharnés ont à peine la force de porter à la bouche lebol de nourriture que lui apporte l’aide internationale. Cet enfant présente unrisque élevé de décéder : dans la plupart des hôpitaux des pays en voie dedéveloppement, ce risque oscille entre 20 et 30 % mais peut atteindre jusqu’à60 %. La malnutrition grave est donc aussi dangereuse que bon nombre demaladies infectieuses comme la rougeole, le choléra, ou les dysenteries. Ces tauxde mortalité élevés ne sont pas acceptables: l’expérience acquise dans lesopérations humanitaires montre que la plupart de ces enfants peuvent être sauvéset que leur devenir peut être considérablement amélioré en appliquant de façonrigoureuse des protocoles de traitement relativement simples à mettre en œuvre.

Les taux de mortalité observés pour la malnutrition grave suscitentrelativement peu d’émoi dans la communauté internationale. En fait, lesorganismes d’aide privilégient souvent les actions de prévention conduites auniveau des populations aux dépens des actions curatives. La plupart d’entre euxne peuvent envisager une prise en charge de type médical pour résoudre unproblème de santé dont l’origine relève de près ou de loin de la pauvreté. À ce titre,les enfants gravement dénutris sont oubliés, ce dont ils payent les frais lourdement.

Ce livre est destiné à tous ceux qui sont confrontés au problème de lamalnutrition de l’enfant. Il est basé sur la conviction qu’une meilleurecompréhension de ses bases physiopathologiques devrait permettre de mieuxorienter les programmes en cours. Il tente de décrire la malnutrition grave en tantqu’affection à un haut risque de décès, au dépistage aisé, à la prise en chargeefficace, mais de prévention difficile. Ce livre veut également montrer quel’utilisation de produits alimentaires d’origine industrielle peut jouer un rôle, limitémais réel, dans la réduction du nombre de cas de malnutrition modérée et dansl’éradication de la malnutrition grave. Il montre également les limites de l’aidealimentaire, et suggère que les programmes de prévention doivent souvent passerpar un renforcement de l’industrie agro-alimentaire locale. Il porte à réfléchir surla fréquente inadaptation des programmes nutritionnels actuellement en cours,plus soucieux de se constituer une image flatteuse auprès du public que d’êtreadaptés sur le plan nutritionnel. Il insiste sur le gaspillage financier qu’entraîneune aide mal conçue. À tous les intervenants, il veut présenter la malnutritiongrave de l’enfant comme un problème d’ampleur limitée et techniquementéradicable dans les prochaines années, à condition de rendre cet objectifprioritaire.

XV

Page 16: Malnutrition physiopath
Page 17: Malnutrition physiopath

1 – Évolution des conceptssur la malnutritionde l’enfant

1-1 IntroductionLa malnutrition de l’enfant, et plus généralement la faim dans le monde,

sont des sujets qui touchent à des problèmes fondamentaux du monde moderne :pauvreté, répartition des richesses, sauvegarde de l’environnement, démo-graphie... Il n’est donc pas surprenant qu’il existe de nombreuses visions duproblème et que chaque société en ait une compréhension différente, toujoursempreinte d’une part de subjectivité. Ce faisant, les solutions proposées pouréradiquer la malnutrition diffèrent d’un groupe social à l’autre et évoluent au coursdu temps. Parallèlement, l’approche des problèmes concernant l’aspect médical etnutritionnel de la malnutrition, évolue aussi fort au cours des années. En réalité, lacompréhension et les connaissances dans le domaine de la malnutrition varientsouvent d’une spécialité médicale à l’autre. En connaître l’histoire est utile pourcomprendre les stratégies actuelles : beaucoup de programmes de prévention sontbasés sur des visions anciennes de la malnutrition et les décalages entre lesrecommandations récentes et les pratiques de terrain s’expliquent par cettedimension historique. Par ailleurs, notre connaissance de la malnutrition vacertainement continuer à évoluer dans les années futures. L’évaluation d’idéesnouvelles est facilitée par la connaissance des perceptions anciennes dans cedomaine.

1-2 Les premières observations La malnutrition a vraisemblablement existé sous toutes les latitudes depuis

la nuit des temps. On en trouve déjà une description sous sa forme œdémateusedans la Bible. Les premières descriptions précises qui nous soient parvenues sontcependant assez récentes. Une des premières descriptions complètes d’un tableauclinique correspondant à ce que nous appelons le kwashiorkor remonte à 1865.Elle est divulguée par deux médecins, l’un mexicain, l’autre français, les

1

Page 18: Malnutrition physiopath

Drs HINOJOSA et COINDET [1865] qui travaillaient dans un village au Mexique. Cesauteurs avaient observé la présence fréquente d’œdèmes chez des enfants dénutrisà la période du sevrage. Ils avaient aussi remarqué la présence fréquemmentassociée de diarrhées et le rôle déclenchant de la rougeole. Ces médecins avaientencore noté que ce tableau clinique différait nettement de celui de la pellagre déjàbien connue à l’époque même si les enfants œdèmatiés consommaient un régimeà base de maïs. Et ils avaient donc catégoriquement rejeté le diagnostic depellagre.

Au début du XXe siècle, la malnutrition de l’enfant devint plus rare en Europeet ce sont surtout des médecins travaillant dans ce qui était alors des colonies quidécrivirent en détail des cas de malnutrition grave. Une des plus anciennesobservations nous vient de l’Annam, correspondant à la partie orientale du Viêt-nam actuel. On la doit à un médecin militaire français, NORMET [1926], qui avaitconstaté des œdèmes chez des enfants dénutris et consommant une alimentation àbase de riz. Il appela cette maladie, qui correspond au kwashiorkor dans laterminologie moderne, “la bouffissure d’Annam”. Il en a publié en 1926 la premièrephoto connue (Photo 1). Il soupçonna d’emblée qu’une origine nutritionnelle enétait la cause, ayant remarqué qu’elle ne survenait pas le long des rivièrespoissonneuses. Déjà, ce qui est remarquable, il constata que le niveau sanguin etl’excrétion urinaire d’urée étaient abaissés chez ces enfants bouffis et attira ainsil’attention sur le rôle des protéines dans le développement de cette affection.

1-3 1933–1935Le terme “kwashiorkor”

Les premières observations d’œdèmes associés à la malnutrition tombèrentdans l’oubli. Entre les deux guerres mondiales, les communications entre lesdifférentes parties du monde étaient extrêmement limitées et les techniques derecherche bibliographique rudimentaires. Cicely WILLIAMS ignorait les publicationsde NORMET relatives à la “malnutrition œdémateuse” quand elle débuta sa carrièrede pédiatre en Côte d’Or (actuel Ghana) dans les années 30. Elle aussi vit des casd’œdèmes associés à une malnutrition et elle les décrivit dans les Archives ofDiseases in Childhood, dans un article publié en 1933 et intitulé : “A nutritionaldisease of childhood associated with a maize diet ”.

Cette première publication est très complète et insiste sur les lésionscutanées observées. Cette description clinique met aussi bien en relief lesdifférences entre cette “maladie nutritionnelle” et la pellagre (Figure 1) [WILLIAMS,1933]. L’auteur insistait sur le fait que les lésions cutanées constatées surviennent

2

ÉVOLUTION DES CONCEPTS SUR LA MALNUTRITION DE L’ENFANT

Page 19: Malnutrition physiopath

Photo 1 — La première photographie d’un cas de kwashiorkor publiée dans la littératuremédicale en 1926 : iIllustration de l’article de NORMET sur les bouffissuresd’Annam. Le terme “kwashiorkor” ne fera son apparition qu’en 1935.

3

1.3 1933-1935. LE TERME KWASHIORKOR

Page 20: Malnutrition physiopath

surtout sur les membres inférieurs, et non pas sur les parties exposées au soleilcomme c’est habituellement le cas dans la pellagre.

Deux ans plus tard, Cicely WILLIAMS [1935] dans un deuxième article publiédans le Lancet, donne à ce tableau clinique le nom ghanéen “kwashiorkor”. Ceterme exotique fait allusion au rang de l’enfant dans la fratrie et met en exergue lerôle fréquent du sevrage comme cause déclenchante. Le nom “kwashiorkor”, citédans une revue déjà à l’époque très diffusée, allait désormais faire partie duvocabulaire médical.

Dès ses premières observations, Cicely WILLIAMS avait constaté que lesenfants souffrant de kwashiorkor consommaient habituellement une alimentationà base de maïs dépourvue de protéines animales. Elle suggéra que cette affectionpouvait être liée à un manque d’apport protéique, sans véritablement étayer cettehypothèse. Les vingt années ultérieures furent l’occasion d’un débat sur l’existenceréelle du kwashiorkor : certains auteurs, le plus souvent sud-américains,prétendaient que cette maladie résultait de carences vitaminiques multiples(distrofia pluricarential) où prédominait une carence en vitamine PP. Ils voyaientdans le kwashiorkor une forme particulière de la pellagre. Rappelons l’avancéespectaculaire à cette époque des connaissances dans le domaine des vitamines,

4

ÉVOLUTION DES CONCEPTS SUR LA MALNUTRITION DE L’ENFANT

Figure 1— Schéma publié par Cicely WILLIAMS en 1933 montrant la localisation des lésionscutanées du kwashiorkor, très différentes de celles de la pellagre quiapparaissent aux endroits exposés au soleil.

Page 21: Malnutrition physiopath

sujet ‘très à la mode’. Cicely Williams cependant défendait l’idée que lekwashiorkor avait une origine différente. Pour en avoir le coeur net, elle alla visiterdes hôpitaux du sud des Etats-Unis qui traitaient encore à cette époque des cas depellagre authentique. La confusion entre pellagre infantile et kwashiorkor durajusque dans les années 50, après quoi il devint évident que les suppléments devitamines PP n’avaient pas d’effet thérapeutique dans le kwashiorkor.

1-4 1950–1975Les années protéines

L’Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO)fut fondée juste après la fin de la seconde guerre mondiale. L’Europe venait detraverser une période de pénurie et l’opinion internationale était alors trèssensibilisée aux problèmes de sous-alimentation. Peu de temps après sa création,la FAO envoya deux experts, les Drs BROCK et AUTRET, faire le tour de l’Afrique pourfaire le point de la situation alimentaire de ce continent. Leur voyage dura deuxmois et à leur retour les deux auteurs rédigèrent un rapport intitulé “Le kwashiorkoren Afrique” [BROCK, AUTRET, 1952]. Cette publication eut un grand retentissementdans le monde scientifique. Le rapport tendait à démontrer d’une part que lekwashiorkor était très répandu en Afrique, surtout si l’on tenait compte de sesformes mineures, et d’autre part que la maladie était essentiellement imputable àun régime pauvre en protéines. Ce rapport concluait donc que les carences enprotéines représentaient le problème nutritionnel le plus préoccupant en Afrique.Le terme de malnutrition protéique devint alors un terme général appliqué trèslargement à tous les états de malnutrition observés dans les pays pauvres.

Le rapport des Drs BROCK et AUTRET fournissait une quantité d’informationsremarquables colligées très rapidement. Certains passages sur l’épidémiologie dukwashiorkor restent parmi les plus complets qui aient jamais été écrits. Ce rapportprésentait cependant un défaut majeur : il se basait sur ce que nous appellerionsaujourd’hui une définition de cas imprécise. Pour une raison difficile à comprendre,les auteurs donnèrent au mot kwashiorkor un sens différent de celui attribué parCicely WILLIAMS et l’utilisèrent pour définir l’état d’enfants présentant des signescliniques très divers comme par exemple une décoloration des cheveux ou destroubles cutanés. Vouloir attribuer tous ces troubles à des carences en protéinesétait certainement excessif. Par ailleurs, les auteurs ont rédigé le rapport à uneépoque où les estimations des besoins en protéines de l’enfant étaient supérieuresaux chiffres actuellement admis. Cette surestimation renforçait la vraisemblanced’une carence protéique touchant la majorité des enfants dans l’ensemble des pays

5

1-4 1950-1975. LES ANNÉES PROTÉINES

Page 22: Malnutrition physiopath

pauvres. On mit donc en place de nombreux programmes d’aide alimentairedestinés à corriger des insuffisances d’apport en protéines, supposées être trèsrépandues. Ces programmes allaient de la distribution aux populationsdéfavorisées de suppléments de lait en poudre au développement de programmesde cultures vivrières à haute teneur protéique, en passant par la productiond’aliments à base d’algues ou de levures. On espérait ainsi résoudre le problèmede la malnutrition à l’échelle planétaire. De cette époque date le concept desprogrammes nutritionnels ayant pour objectif de mettre à disposition des alimentsà haute teneur en protéines. La liste des aliments distribués de nos jours dans denombreux programmes d’assistance révèle que l’influence de ces idées persisteencore actuellement.

1-5 1970–1980. Des carences en protéines aux carences en énergie

Les arguments avancés pour étayer l’hypothèse que le kwashiorkor résulted’une carence protéique n’ont jamais été probants. La fonte des œdèmes chez lesenfants nourris au lait écrémé n’a jamais constitué une véritable preuve : commele remarqua fort spirituellement un spécialiste des années 50, on ne peut pas direqu’un malade soit carencé en aspirine si ses maux de tête disparaissent avec cemédicament [WATERLOW, 1984]. Le lait apporte bien d’autres choses que desprotéines et la régression des œdèmes sous l’effet d’un régime lacté ne prouve pasque leur présence soit due à une carence en protéines.

Les années passant, un certain scepticisme s’installa quant au rôle véritabledes carences en protéines comme cause de malnutrition infantile dans les payspauvres. On comprit dès cette époque que les programmes d’aide visant àaugmenter les apports alimentaires protéiques avaient un impact faible, voirenégligeable. Cette conviction devait se renforcer quelques années plus tard à lasuite d’une étude portant sur plus de deux cents programmes de supplémentationà l’aide d’aliments riches en protéines et montrant que leur effet était en généralfaible, sinon nul [BEATON, GHASSEMI, 1982]. Une remise en cause de cesprogrammes s’imposait.

Historiquement, les besoins en protéines de l’enfant ont été estimésinitialement à un niveau élevé; par la suite, les chiffres proposés ont étérégulièrement révisés à la baisse [CARPENTER, 1986] (Tableau I). Ces adaptationssuccessives s’expliquent par la mise en œuvre de méthodes (évaluation des besoinspar bilan azoté) devenues de plus en plus fiables. Ces modifications ont eu pourconséquence de réduire au fil des années l’importance des carences en protéines.

6

ÉVOLUTION DES CONCEPTS SUR LA MALNUTRITION DE L’ENFANT

Page 23: Malnutrition physiopath

Tableau I — Variations au cours des années des besoins journaliers en protéines et enénergie d’un enfant âgé de un an, estimés par les différents comités (adapté deCARPENTER [1986]).

Année Protéines Énergie Source(g/kg) (kcal/kg)

1948 3.3 100 USA1957 2.0 100 FAO1964 2.5 100 USA1965 1.1 100 FAO/OMS1968 1.8 100 USA1969 1.3 110 GB1973 1.27 105 FAO/OMS1974 1.35 100 USA1985 1.5 100 FAO/OMS

Les auteurs du rapport “Le kwashiorkor en Afrique” considéraient que les besoins enprotéines d’un enfant de un an étaient voisins de 4g/kg/jour [BROCK, AUTRET, 1952].

En 1970, une définition précise du kwashiorkor incluant la présenced’œdèmes comme critère diagnostique indispensable fut adoptée par un grouped’experts international. Les enquêtes effectuées après l’adoption de cette définitionmontrèrent que le kwashiorkor, alors encore attribué à une carence en protéines,était relativement rare mais que le marasme, défini comme un amaigrissementsans œdème, était particulièrement fréquent. Ce facteur contribua également àréduire l’importance des carences en protéines comme problème de santépublique.

Dans les années 60, une équipe de chercheurs installés à la Jamaïque étudiade façon systématique les besoins en protéines et en énergie des enfants enconvalescence après un épisode de malnutrition grave. Leurs études ont montréque la rapidité de la guérison dépendait davantage des apports en énergie que desapports en protéines [WATERLOW, 1961; ASHWORTH et al., 1968]. Cette observationétait peu compatible avec l’hypothèse selon laquelle les carences en protéinesétaient à l’origine de la plupart des cas de dénutrition. Par ailleurs, l’idée selonlaquelle le kwashiorkor était dû essentiellement à une carence protéique fut elle-même contestée. Le groupe de la Jamaïque montra que l’on pouvait faire régresserles œdèmes du kwashiorkor en nourrissant les malades avec une alimentation à cepoint pauvre en azote qu’elle ne permet pas la synthèse de protéines nouvelles(§ 4-4-3) [GOLDEN, 1982]. Un des arguments majeurs développé par le rapportBROCK-AUTRET perdait sa force.

En 1968, l’équipe d’Hyderabad travaillant en Inde montra qu’il n’existaitpas de différence de régime entre les enfants qui allaient développerultérieurement un kwashiorkor et ceux évoluant vers une malnutrition de type

7

1-5 1970-1980. DES CARENCES EN PROTÉINES AUX CARENCES EN ÉNERGIE

Page 24: Malnutrition physiopath

marasme [GOPALAN, 1968]. Cette même équipe a également constaté qu’uneaugmentation de la ration alimentaire des enfants vivant dans des villages,permettait d’améliorer leur croissance. Cette modification diététique de naturepurement quantitative exerçait donc ses effets sans qu’on touche à la compositiondu régime [GOPALAN et al., 1973].

Tous ces éléments amenèrent à abandonner progressivement le terme demalnutrition protéique en faveur de celui de malnutrition protéino-calorique puisde malnutrition protéino-énergétique. En 1974, MCLAREN publia un article dans leLancet, intitulé “The great protein fiasco”, où il retrace l’évolution des idées sur lesujet. Cet article répandit l’idée selon laquelle le problème nutritionnel le pluscommun à travers le monde n’est pas une carence en protéines mais un déficitd’apports en énergie. L’année suivante, WATERLOW et PAYNE [1975] reprenaientcette vision des choses en montrant que dans les régions où le régime alimentaireest basé sur la consommation de céréales, il était peu probable de voir s’installerdes carences isolées en protéines dès lors que les besoins en énergie étaientcorrectement couverts.

1-6 Vingt ans après :la notion de déficit en énergie est-elle toujours d’actualité ?

L’article de MCLAREN montrait de manière systématique pour quelles raisonsl’importance des carences en protéines avait été surestimée. L’article suggérait quedes apports énergétiques insuffisants représentent sans doute la cause la plusfréquente de dénutrition. Il s’agissait cependant d’un raisonnement par défaut et lapreuve de cette présomption n’a jamais été vraiment apportée. On peut mêmeaffirmer aujourd’hui que les interventions visant à augmenter la couverture desbesoins en énergie n’ont pas fait la preuve de leur efficacité. Le seul argumentprobant attestant le rôle réel d’un déficit en énergie serait d’observer un gainsubstantiel de la croissance des enfants dénutris, simplement en leur apportant unsupplément énergétique. Seule l’étude du groupe d’Hyderabad [GOPALAN et al.,1973], en outre imparfaite sur le plan méthodologique, conforte cette opinionmais ses résultats n’ont jamais pu être confirmés. Puisque le déficit énergétiques’avéra une cause fréquente de dénutrition, deux nouveaux types d’interventionnutritionnelle ont été proposés. La proposition la plus simple consistait à tenterd’augmenter la densité énergétique des bouillies des enfants en y ajoutant del’huile. Cette modification diététique était suggérée par analogie avec le schéma

8

ÉVOLUTION DES CONCEPTS SUR LA MALNUTRITION DE L’ENFANT

Page 25: Malnutrition physiopath

alimentaire pour accélérer la prise de poids des enfants en traitement dedénutrition. L’autre attitude consistait à augmenter la concentration en farine desbouillies tout en diminuant leur viscosité par une prédigestion par de l’amylase.Aucune étude n’a permis d’établir l’efficacité à l’échelle d’une population de cesinterventions nutritionnelles pourtant relativement faciles à mettre en oeuvre.

Depuis les publications de MCLAREN, l’estimation des besoins en énergie aété remise en question et revue à la baisse [PRENTICE et al., 1988; BUTTE, 1996].Bien que les recommandations plus récentes ne diffèrent pas radicalement desvaleurs anciennes, des modifications modestes de l’estimation des besoinspeuvent notablement changer l’approche du problème.

Les estimations des besoins en protéines ont peu varié depuis 1974 et ellesrestent actuellement très basses par rapport aux recommandations plus anciennes(§ 4-3-4). Des données récentes suggèrent que la croissance en taille est aussiinfluencée par les apports de protéines [GOLDEN, 1988]. Ceci pourrait êtreimputable au besoin indispensable en acides aminés soufrés pour la croissanceosseuse (§ 2-2-7). En réalité, les recommandations actuelles sont calculées parextrapolation de gains de poids supposés. Il n’est pas certain que ces estimationscorrespondent aux apports nécessaires pour obtenir une croissance staturale.Comme le retard de croissance en taille représente la forme de malnutrition la plusrépandue (§ 2-2-9), il se peut que les conclusions de MCLAREN doivent êtrenuancées.

Une autre constatation remet en question la vision simplifiée du problèmequi a prévalu après la publication de l’article de MCLAREN. On s’est aperçu quedans des familles pauvres, souvent les enfants ne consomment pas la totalité desaliments mis à leur disposition [GARCIA et al., 1990]. Croire qu’il suffirait de leurdonner leur nourriture habituelle en plus grande abondance pour atteindre unecroissance normale est sans doute simpliste. L’extrême monotonie du régimealimentaire proposé dans les familles pauvres entraîne une perte de l’appétit quipourrait expliquer leur faible consommation alimentaire énergétique (§ 6-2-2).

1-7 Infection et nutrition

Parmi les suppositions échafaudées pour expliquer le peu d’impact desinterventions nutritionnelles sur la croissance des enfants, l’hypothèse avançant lerôle des infections a connu une certaine faveur, surtout dans les années 70. À cetteépoque, l’OMS venait de publier une monographie sur les interactions entreinfections et malnutrition [SCRIMSHAW et al., 1968]. Cette hypothèse a encore denombreux partisans, comme en témoigne l’abondante littérature rédigée sur ce

9

1-7 INFECTION ET NUTRITION

Page 26: Malnutrition physiopath

sujet par divers organismes internationaux. L’aspect politiquement moins sensibledes programmes de lutte contre les infections quand on les compare auxprogrammes nutritionnels, constitue incontestablement un attrait pour cesorganisations. L’importance d’une interaction négative entre infection etmalnutrition aurait été grandement exagérée. En réalité, il est très difficile dedémontrer que des épisodes infectieux exercent un effet à long terme sur lacroissance. Comparer le gain de poids d’enfants pendant des intervalles de tempsavec et sans épisode infectieux ne permet pas d’établir si l’effet des infections surla croissance est transitoire ou durable [BRIEND, 1993]. Quoiqu’il en soit, on n’ajamais pu observer d’amélioration spectaculaire de la croissance en mettantuniquement en œuvre des programmes de lutte contre les infections comme lesprogrammes de vaccination ou les programmes d’assainissement. L’exemple leplus frappant est celui des aborigènes australiens qui, en raison des lois socialesavancées en vigueur dans leur pays, ont accès à un niveau de soins médicaux, àla fois préventifs et curatifs, tout à fait comparable à celui des pays riches. Lacroissance de ces enfants, en l’absence d’amélioration de leur régime alimentaire,reste cependant semblable à celle d’enfants des pays les plus pauvres [ROUSHAM,GRACEY, 1997]. Il a souvent été rapporté de façon anecdotique que les campagnesde vaccination contre la rougeole sont suivies d’une réduction du nombre de casde kwashiorkor. Il est évident que la rougeole et la coqueluche sont associées àune anorexie et à une perte de poids. Il semble cependant que la dégradation del’état nutritionnel observée soit transitoire et qu’après cet épisode infectieux,l’enfant retrouve progressivement le même poids que les enfants qui n’ont pas étémalades/affectés. Une étude menée en zone rurale au Sénégal a montré que lesenfants ayant eu la rougeole ou la coqueluche dans les mois précédant uneenquête nutritionnelle, avaient un poids et une taille à peine différents de ceux quiy avaient échappé, et ce dans une zone où ces deux maladies étaient associées àun risque de décès élevé [GARENNE et al., 1987].

Une autre constatation suggère que les infections jouent vraisemblablementun rôle modeste dans l’apparition de la malnutrition dans les pays pauvres : lesenfants vivant en Europe dans des familles consommant un régime macrobiotique,proche de celui consommé dans les pays pauvres, ont une croissance trèssemblable à celle observée dans ces pays pauvres alors que les conditionsd’hygiène y sont le plus souvent irréprochables et que leur taux d’infection estfaible [DAGNELIE, VAN STAVEREN, 1994].

Les campagnes de vaccination et les programmes purement médicauxpermettent de faire baisser rapidement la mortalité des enfants de moins de 5 ans.Leur rôle ne doit pas être remis en cause. Il serait naïf cependant de croire que leurexécution permettrait d’éliminer le problème de la malnutrition sans avoir àaméliorer le régime alimentaire.

10

ÉVOLUTION DES CONCEPTS SUR LA MALNUTRITION DE L’ENFANT

Page 27: Malnutrition physiopath

1-8 Vers la reconnaissanced’une malnutrition pluricarentielle

L’inefficacité relative des programmes nutritionnels constatée actuellements’explique par notre connaissance trop simpliste de la malnutrition elle-même.Pour rester en bonne santé et suivre une croissance normale, un enfant doitsatisfaire tous ses besoins nutritionnels complexes. La plupart des interventionsantérieures visaient à satisfaire soit les besoins en protéines, soit ceux en énergie,sans autre ambition. On sait actuellement qu’un apport insuffisant de certainsnutriments peut influencer la croissance de l’enfant sans même provoquer unequelconque manifestation clinique [GOLDEN, 1991].

Une observation fortuite illustre l’importance de carences latentes enminéraux comme cause de retard de croissance. Il y a quelques années, la BanqueMondiale a mené une étude au Bangladesh afin de vérifier s’il était possibled’améliorer à faible coût la croissance des enfants en installant simplement desbornes fontaines pour améliorer l’approvisionnement en eau des villages, et en yfaisant placer des latrines. L’idée initiale était que cette intervention diminuerait laprévalence des diarrhées et améliorerait par conséquent la croissance des enfants.En raison de la nature du sol, certaines fontaines produisaient une eau de couleurrougeâtre, au goût désagréable mais riche en fer. Les résultats de l’enquêtenutritionnelle furent analysés en fin d’intervention en tenant compte de la qualitéde l’eau. Il semblait logique de craindre que les familles ayant accès à desfontaines ramenant de l’eau terreuse préféreraient prendre leur eau de boissondans la rivière dont l’eau est limpide, mais polluée. On s’attendait à trouver dansces familles davantage d’enfants dénutris. Curieusement, c’est dans les familless’approvisionnant à une borne fontaine donnant de l’eau trouble que la croissancedes enfants était la meilleure (Tableau II) [BRIEND et al., 1990]. Il est difficile de diresi la différence observée était imputable au fer de l’eau de boisson, car lesconcentrations en jeu étaient faibles en comparaison avec les apports nutritionnelsrecommandés. Il se peut qu’un autre élément nutritif non détecté ait eu un effet sur

11

1-8 VERS LA RECONNAISSANCE D’UNE MALNUTRITION PLURICARENTIELLE

Tableau II — État nutritionnel d’enfants vivant en milieu rural au Bangladesh en fonctionde la teneur en fer de l’eau utilisée par la famille.

Teneur en fer Poids-âge Taille-âge Poids-taille(mg/L) (Z-score) (Z-score) (Z-score)

teneur < 1 mg -2,28 -2,45 -1,06teneur >1 mg -2,08 -2,10* -1,11

* P < 0,05.

Page 28: Malnutrition physiopath

la croissance de ces enfants, ou que l’eau limpide contenait un élément toxiqueretentissant sur la croissance. Quoiqu’il en soit, cette observation suggère que desminéraux présents en faibles quantités dans l’alimentation peuvent avoir un effetréel sur l’état nutritionnel des enfants.

Dans les pays pauvres, l’alimentation des enfants est généralement trèsmonotone parce qu’elle est basée sur la répétition de repas préparés à partir desmême tubercules ou céréales. Cette monotonie prédispose aux carencesmultiples en minéraux et en vitamines [GOLDEN, 1991]. La notion de malnutritionpluricarentielle, initialement proposée il y a plus de 50 ans par les auteurs latino-américains, et oubliée lors de la “période protéines”, resurgit donc. Le tableau IIIillustre le pourcentage d’enfants vivant au Kenya, en Egypte et au Mexique etdont les apports sont jugés insuffisants par rapport aux recommandationsnutritionnelles internationales [ALLEN, 1993]. En règle générale, les carences enzinc, calcium, fer assimilable, riboflavine sont très communes dans ces pays carces nutriments sont surtout fournis par des aliments comme le lait et la viandequi sont inabordables pour les familles les plus pauvres. Les carences enphosphore sont rarement signalées, mais il est possible que ce minéral, surtoutprésent sous forme de phytates dans les régions pauvres, soit mal absorbé et quedes carences soient donc fréquentes. Le phosphore facilement assimilable est parcontre surtout présent dans les produits d’origine animale comme le lait et laviande.

Tableau III — Prévalence estimée (%) d’apports en nutriments insuffisants au cours de troisenquêtes effectuées chez des enfants de moins de 5 ans (d’après ALLEN

[1993]).

Nutriment Égypte Kenya Mexique

Fer 65 36 88Zinc 36 90 68Cuivre 0 0 0Calcium 90 88 2Phosphore 2 6 0Magnésium 0 0 0Thiamine 1 0 6Riboflavine 20 2 52Niacine 0 0 0Folates 0 0 0Vitamine B12 3 44 8Vitamine B6 0 0 0Vitamine C 3 1 63Vitamine A 32 12 68Vitamine E 21 85 92

12

ÉVOLUTION DES CONCEPTS SUR LA MALNUTRITION DE L’ENFANT

Page 29: Malnutrition physiopath

1-9 La malnutrition pluricarentielle :une hypothèse de plus ?

Sur le plan physiologique, il semble logique de penser que seuls lesprogrammes s’efforçant de fournir les besoins nutritionnels dans leur totalité outreles besoins en protéines et/ou en énergie, auront un impact préventif ou curatifperceptible dans la lutte contre la malnutrition de l’enfant. Les concepts dans cedomaine ont fort évolué et certains auteurs conseillent actuellement d’abandonnerle terme de malnutrition protéino-énergétique, trop restreint, pour celui demalnutrition pluricarentielle, ou plus simplement de malnutrition [SUSKIND et al.,1990].

Peut-on dire actuellement que les idées sur la malnutrition de l’enfant dansles pays pauvres sont figées, et qu’il ‘suffit’ de mettre en place des programmes desupplémentation en vitamines et minéraux pour éviter la malnutrition ? Rien n’estsûr dans ce domaine. D’abord, on n’a jamais vérifié, ne serait-ce qu’à une échellelimitée, que ce type de suppléments suffit à prévenir la dénutrition. On n’a jamaisétudié avec autant de détails que pour l’énergie et les protéines, l’importance durôle des autres nutriments. Les glucides et les lipides n’ont par exemple jamaisintéressé beaucoup de monde dans le cadre de la dénutrition. Il s’agit d’un domaineen pleine évolution dans les autres branches de la nutrition. Que savons-nous parailleurs des effets de la texture des aliments sur leur acceptabilité ? Du minimum devariation que doit offrir une ration pour assurer un apport nutritionnel satisfaisant ?Que savons-nous de l’influence du goût des différents aliments sur leuracceptabilité ? Certaines de ces questions surgiront dans les années qui viennent,quand vraisemblablement on s’apercevra qu’une supplémentation alimentaire envitamines et minéraux ne résout pas tous les problèmes nutritionnels.

RéférencesALLEN L.H. [1993]. The Nutrition CRSP: What is marginal malnutrition and does it affect

human function ? Nutr. Rev. 51, 255-267.

ASHWORTH A., BELL R., JAMES W.P.T., WATERLOW J.C. [1968]. Calorie requirements of childrenrecovering from protein-calorie malnutrition. Lancet ii, 600-603.

BEATON G.H., GHASSEMI H. [1982]. Supplementary feeding programs for young children indeveloping countries. Am. J. Clin. Nutr. 35 Suppl, 864-916.

BRIEND A. [1990]. Is diarrhoea a major cause of malnutrition among the under-fives indeveloping countries ? A review of available evidence. Eur. J. Clin. Nutr. 44, 611-628.

13

RÉFÉRENCES

Page 30: Malnutrition physiopath

BRIEND A., HOQUE B., AZIZ K.M.A. [1990]. Iron in tubewell water and linear growth in ruralBangladesh. Arch. Dis. Child. 65, 224-225.

BROCK J.F., AUTRET M. [1952]. Le kwashiorkor en Afrique. Études de Nutrition de la FAONo8. Rome: FAO.

BUTTE N.F. [1996]. Energy requirements of infants. Eur. J. Clin. Nutr. 50 (Suppl 1), S24-S36.

CARPENTER K.J. [1972]. The history of enthusiasm for protein. J. Nutr. 116, 1364-1370.

DAGNELIE P.C., VAN STAVEREN W.A. [1994]. Macrobiotic nutrition and child health : results ofa population- based, mixed longitudinal cohort study in the Netherland. Am. J. Clin.Nutr. 59, 1187S-1196S.

GARCIA S.E., KAISER L.L., DEWEY J.G. [1990]. Self regulation of food intake among ruralMexican preschool children. Eur. J. Clin. Nutr. 44, 371-380.

GARENNE M., MAIRE B., FONTAINE O., DIENG K., BRIEND A. [1987]. Risques de décès associés àdifférents états nutritionnels chez l’enfant d’âge préscolaire. Rapport ORSTOM-ORANA, Dakar.

GOLDEN M.H.N. [1982]. Protein deficiency, energy deficiency and the oedema ofmalnutrition. Lancet i, 1261-1265.

GOLDEN M.H.N. [1988]. The role of individual nutrient deficiencies in growth retardation ofchildren as exemplified by zinc and protein. In: WATERLOW J.C. (ed.). Linear growthretardation in less developed countries. New York: Raven Press, p. 143-163.

GOLDEN M.H.N. [1991]. The nature of nutritional deficiency in relation to growth failureand poverty. Acta Paediatr. Scand. Suppl. 374, 95-110.

GOPALAN C. [1968]. Kwashiorkor and marasmus: evolution and distinguishing figures. In:MCCANCE R.A., WIDOWSON E.M. (eds.). Calorie deficiencies and protein deficiencies.London: Churchill, p. 49-58.

GOPALAN C., SWAMINATHAN M.C., KRISHNA KUMARI V.K., HANUMANTHA RAO D., VIJAYARAGHAVAN

K. [1973]. Effect of calorie supplementation on growth of malnourished children.Am. J. Clin. Nutr. 26, 563-566.

HINOJOSA F., COINDET L. [1865]. Apuntes sobre una enfermedad del pueblo de la Magdelena.Gac. Med. Mexico 1, 137-144.

LANCET [1970]. Classification of infantile malnutrition. Lancet 2, 302-303.

MCLAREN D.S. [1974]. The great protein fiasco. Lancet ii, 93-96.

NORMET L. [1926]. La bouffissure d’Annam. Bull. Soc. Franç. Pathol. Exot. 19, 207-213.

PRENTICE A., LUCAS A., VASQUEZ-VELASQUEZ L., DAVIES P.S.W., WHITEHEAD R.G. [1988]. Arecurrent guidelines for young children a prescription for overfeeding ? Lancet ii,1066-1069.

ROUSHAM E.K., GRACEY M. [1997]. Persistent growth faltering among aboriginal infants andyoung children in north-west Australia: a retrospective study from 1969 to 1993.Acta Paediatr. 86 (1), 46-50.

SCRIMSHAW N.S., TAYLOR C.E., GORDON J.E. [1968]. Interactions of nutrition and infection.WHO Monograph Series 57.

14

ÉVOLUTION DES CONCEPTS SUR LA MALNUTRITION DE L’ENFANT

Page 31: Malnutrition physiopath

SUSKIND D., MURTHY K.K., SUSKIND R.M. [1990]. The malnourished child: an overview. In:SUSKIND R.M., LEWINTER-SUSKIND L. (eds.). The malnourished child. Nestlé NutritionWorkshop Series, vol. 19. Vevey: Nestec; New York: Raven Press, p.1-20.

WATERLOW J.C. [1961]. The rate of recovery of malnourished infants in relation to the proteinand calorie levels of the diet. J. Trop. Pediatr. 7, 16-22.

WATERLOW J.C. [1984]. Kwashiorkor revisited : the pathogenesis of oedema in kwashiorkorand its significance. Trans. R. Soc. Trop. Med. Hyg. 78, 436-441.

WATERLOW J.C., PAYNE P.R. [1975]. The protein gap. Nature. 258, 113-117.

WILLIAMS C.D. [1933]. A nutritional disease of childhood associated with a maize diet. Arch.Dis. Child. 8, 423-433.

WILLIAMS C.D. [1955]. Kwashiorkor: a nutritional disease of children associated with amaize diet. Lancet 2, 1151-1152.

15

RÉFÉRENCES

Page 32: Malnutrition physiopath
Page 33: Malnutrition physiopath

2 – Évaluation de l’état nutritionnel

2-1 IntroductionL’évaluation de l’état nutritionnel peut avoir pour objectif l’étude

épidémiologique de la malnutrition ou la sélection d’enfants en vue d’uneintervention. Ces deux objectifs sont fondamentalement différents et il seraitillusoire de chercher à les atteindre en utilisant la même approche et donc lesmêmes méthodes d’appréciation [BRIEND et al., 1993] (Tableau IV).

Tableau IV — Comparaison des objectifs et des contraintes des enquêtes épidémiologiqueset de la sélection d’enfants devant bénéficier d’une intervention.

Objectifs Enquête au niveau Sélection d’enfants devant et contraintes d’une population bénéficier d’une intervention

Population cible Très importante : région Réduite : zone desservie par ou pays tout entier une formation sanitaire

Utilisateurs Décideurs politiques Personnel sanitaire

Niveau d’intervention Région ou groupes Individud’individus

Échantillonnage Recommandé Impossible, tous les individusdoivent être examinés

Nombre d’enfantsà examiner Réduit Souvent élevé

Fréquence de l’enquête Faible, rarement plus Élevée, la détection des cas d’une fois par an de malnutrition doit être

répétés plusieurs fois par an

Technique de mesure Doit être standardisée selon Doit être adaptée aux les recommandations conditions locales et être internationales d’emploi facile et rapide

Indicateurépidémiologiquerecherché Prévalence le plus souvent Incidence

17

Page 34: Malnutrition physiopath

2-1-1 La description de la situation nutritionnelled’une population

Une évaluation de la situation nutritionnelle est généralement demandéepar des décideurs pour déterminer s’il faut prendre des mesures d’ordre généralcomme la distribution de suppléments de nourriture, ou mettre en place desmesures de soutien en faveur des groupes vulnérables, ou encore ouvrir descentres de traitement de cas de malnutrition grave. Ce type d’évaluation estsouvent demandé avant d’envisager une intervention nutritionnelle. Une nouvelleévaluation est demandée en cours ou en fin d’intervention afin d’en apprécierl’impact : celle-ci peut avoir lieu plusieurs mois, voire plusieurs années, aprèsl’enquête initiale.

La description de l’état nutritionnel d’une population porte généralementsur des groupes d’enfants d’effectif important. Les enfants évalués sontsélectionnés dans toute une région, voire même un pays. L’évaluation demandées’effectue toujours à partir d’enquêtes effectuées sur des échantillonsreprésentatifs, la taille des populations étudiées rendant impossible, et inutile, unexamen de tous les enfants. Des enquêtes de ce type sont souvent lourdes à meneret sont rarement répétées.

2-1-2 La sélection d’individus en vued’une intervention nutritionnelle

L’évaluation de l’état nutritionnel de chaque individu d’une populations’impose quand on envisage une intervention nutritionnelle qui est trop coûteusepour que toute la population en bénéficie. Généralement une méthode desélection est utilisée et vise à détecter les enfants qui sont les plus touchés par lamalnutrition. Le recours à un échantillonnage n’est pas approprié puisque chaqueenfant doit être vu individuellement. De plus, il est indispensable de revoirrégulièrement tous les individus, afin d’identifier précocement les nouveaux cas demalnutrition : certains enfants auparavant sains peuvent devenir dénutris enquelques semaines, et des cohortes d’enfants entrent chaque mois dans lestranches d’âge à risque. Des techniques d’évaluation nutritionnelle rapides,applicables à un grand nombre d’individus, doivent donc être employées. Lasélection des enfants susceptibles de bénéficier d’une intervention nutritionnellenécessite donc une évaluation fréquente de tous les enfants de la population oùcette intervention a lieu. Paradoxalement, le nombre d’enfants à examiner estdonc très supérieur à celui nécessaire aux enquêtes estimant l’état de nutrition detoute une population.

18

ÉVALUATION DE L’ÉTAT NUTRITIONNEL

Page 35: Malnutrition physiopath

2-2 Évaluation de l’état nutritionnel d’une population

2-2-1 Intérêts respectifs des enquêtes anthropométriques et des enquêtesde consommation alimentaire

La description de l’état nutritionnel d’une population repose principalementsur la présentation de résultats d’enquêtes anthropométriques effectuées chez desenfants [OMS, 1993]. Ces enquêtes ont l’avantage d’être standardisées, d’êtrefaciles à réaliser, et de donner rapidement l’information attendue. Les examensbiologiques sont soit peu spécifiques, ou trop difficiles à exécuter. Ils sonthabituellement délaissés dans les enquêtes de population. Certains préconisentcependant leur usage dans des situations particulières, comme par exemple ledosage de l’albumine dans les régions où sévit une malnutrition œdémateuse.

Les mesures de consommation alimentaire (par pesée) sont fastidieuses etimprécises, et donc rarement utilisées. Elles sont cependant utiles pour rechercherles carences en certains nutriments qui n’affectent que peu ou pas la croissancedes enfants (§ 6-2-1). Les enquêtes anthropométriques par exemple ne permettentpas de suspecter des insuffisances d’apport en vitamine A ou en vitamine C, ni deprésager une épidémie de pellagre ou de béri-béri. Ces dernières années, devéritables épidémies de maladies carentielles ont été décrites dans des populationsde réfugiés soumises à des enquêtes anthropométriques régulières [TOOLE, 1992].Un examen rapide de la ration alimentaire et un calcul de la couverture envitamines et minéraux sont actuellement facilement effectués par des programmesinformatiques communs. Cette approche simple et peu coûteuse aurait permisd’éviter d’en arriver à ces situations.

2-2-2 Limitations des enquêtes portant surdes enfants pour décrire la situation générale

Les enquêtes destinées à évaluer l’état nutritionnel d’une populationcomparent généralement les paramètres anthropométriques observés chez lesenfants à des normes de référence. On suppose que les enfants représentent ungroupe particulièrement vulnérable sur le plan nutritionnel, et qu’en cas decarence alimentaire généralisée, ses effets se feront sentir en premier lieu chezl’enfant. Ce raisonnement repose certainement sur des bases scientifiques valables

19

2-2-2 LIMITATIONS DES ENQUÊTES PORTANT SUR DES ENFANTS

Page 36: Malnutrition physiopath

en ce qui concerne les apports énergétiques : en effet, les premières manifestationscliniques d’un déficit en énergie apparaissent d’abord chez l’enfant en raison deses besoins élevés et de ses réserves faibles (§ 3-3). Pour les autres nutriments, lasituation est moins simple. Par ailleurs, hormis les situations extrêmes, ceraisonnement à caractère physiologique est souvent pris en défaut. Fréquemment,il n’existe pas de relation franche entre l’état nutritionnel des enfants et celui desadultes. Il est courant d’observer des enfants dénutris dans des familles où lesparents sont bien nourris et vice versa. Si on limite l’étude de l’état nutritionnel auxenfants, les conséquences d’apports insuffisants peuvent passer inaperçues chezdes personnes âgées dans les sociétés où l’enfant est socialement valorisé.

2-2-3 Principe des enquêtes anthropométriques - Limite des définitions de la malnutrition baséessur l’anthropométrie

L’utilisation des méthodes anthropométriques dans les enquêtesnutritionnelles repose sur l’hypothèse que tout écart entre une mesureanthropométrique observée et les normes de référence est attribuable à lamalnutrition. Cette hypothèse est certainement fausse dans un certain nombre decas. Même dans une population bien nourrie, un certain nombre d’enfants ont desparamètres anthropométriques situés très en dessous de la moyenne. En fait, laseule façon non équivoque de démontrer qu’un déficit d’un indiceanthropométrique est attribuable à des apports nutritionnels insuffisants est devérifier qu’il peut être corrigé par une supplémentation nutritionnelle adéquate. Sion choisit ce critère, on peut définir une sensibilité et une spécificité des indicesanthropométriques, comme pour n’importe quel autre critère diagnostique. Lamesure de référence devient alors la prise de poids ou la croissance en taille aprèssupplémentation alimentaire adaptée (Tableau V).

Tableau V — Définition de la sensibilité et de la spécificité des indices anthropométriquesen fonction de la prise de poids après une supplémentation nutritionnelleadéquate.

Indice Enfants prenant du poids Enfants ne prenant pas deanthropométrique après supplémentation poids après supplémentation

Indice inférieur au seuil a b

Indice supérieur au seuil c d

Sensibilité = [a/(a+c)] x 100 %.Spécificité = [d/(d+b)] x 100 %.

Le même type de tableau croisé peut être utilisé pour définir la malnutrition en fonction dela croissance staturale.

20

ÉVALUATION DE L’ÉTAT NUTRITIONNEL

Page 37: Malnutrition physiopath

Les critères de malnutrition se basant sur la réponse à une supplémentationnutritionnelle seraient certainement plus informatifs avant de décider de lancerune intervention. Cette méthode d’évaluation serait cependant très difficile àappliquer et pour cette raison, on a recours à la mesure de simples indicesanthropométriques. Il faut cependant bien comprendre que cette quantification del’état nutritionnel est indirecte et imparfaite.

2-2-4 Les mesures anthropométriques

La mesure simultanée du poids et de la taille permet d’établir pour un âgedonné si un déficit pondéral est indicatif d’un retard de croissance en taille oud’une maigreur. L’enfant est pesé dévêtu, et la balance permet d’apprécier le poidsà 100 g près. Cette précision suffit. En effet, un repas peut peser facilement 200 gchez un enfant de un an, et une pesée plus précise risque de donner des résultatsvariables selon l’heure de la journée. Un degré de précision supérieur peutcependant être utile dans les centres de renutrition où les enfants sont pesés àheure fixe ou à jeun.

La mesure de la taille avant l’âge de 2 ans implique la présence de deuxpersonnes, les enfants étant mesurés allongés. Passé cet âge, les enfants sontmesurés debout, avec si possible une précision de 1 mm. La langue françaisepermet d’utiliser le même terme pour désigner la taille mesurée en position deboutou couchée. En anglais, on désigne la taille de l’enfant mesuré couché par le terme“length” qui peut se traduire par longueur. La taille en position debout se désignepar “height” qui peut se traduire par hauteur. Il existe une légère différence entreces deux mesures, et les tailles mentionnées dans les tables de référence entiennent compte. La taille est une mesure reproductible avec exactitude mais cettemesure demande cependant du soin.

La précision des mesures collectées lors d’une enquête anthropométriquepeut être vérifiée a posteriori en établissant le degré d’attraction vers les chiffresronds. On désigne sous ce terme la tendance naturelle des enquêteurs àrapprocher les mesures des nombres ronds. Elle se reconnaît tout de suite enexaminant la courbe de distribution des tailles et des poids. Cette dérive est plusmanifeste en cas de mesure imprécise.

Le périmètre brachial a été proposé comme critère de référence dans les casoù il était difficile de mesurer un poids avec précision. Ce paramètre présente unintérêt indiscutable pour les enquêtes rapides menées dans des conditionsdifficiles. Son application est cependant déconseillée dans les enquêtesnutritionnelles [OMS, 1995]. Cette mesure est en effet difficile à standardiser etl’erreur de lecture systématique, qui est fréquente, fausse les résultats.

21

2-2-4 LES MESURES ANTHROPOMÉTRIQUES

Page 38: Malnutrition physiopath

2-2-5 Choix des normes de référence

Les mesures anthropométriques recueillies lors des enquêtes sonthabituellement comparées aux normes recommandées par l’OMS qui émanent duNational Center for Health Statistics (NCHS) [OMS, 1993]. L’utilisation de normesétablies localement tend à être abandonnée. Il est généralement admis que lepotentiel génétique de croissance des enfants est le même dans la plupart despopulations, indépendamment de leur origine. Il n’est donc pas justifié d’utiliserdes courbes différant avec l’origine ethnique [HABICHT et al., 1974; GRAITCER,Gentry, 1981]. Par ailleurs, l’établissement de courbes de référence pour chaquegroupe ethnique est difficile.

La référence aux normes NCHS pose quelques problèmes. Les courbes ontété établies en se basant sur les données provenant d’enfants nourrisartificiellement. Leur croissance n’est pas identique à celle d’enfants nourris ausein. L’application de ces normes dans les tout premiers mois de la vie tend àsurestimer l’incidence des retards de croissance. Par ailleurs, les courbes NCHSont été constituées d’après les données provenant de deux cohortes distincteschronologiquement. Leurs données ont été ensuite amalgamées. Il est possible queces manipulations statistiques aient introduit des distorsions dans les calculs, etdonc dans le niveau des seuils définissant la dénutrition. Des études récentes surla croissance d’enfants d’origines ethniques diverses mais tous issus de milieuxaisés, donc en principe bien nourris, suggèrent que la forte proportion de sujetsmaigres fréquemment détectés entre l’âge de un et trois ans dans les enquêtesnutritionnelles pourrait être exagérée par l’application des normes NCHS[MACFARLANE, 1995].

2-2-6 Les trois principaux indices décrivant l’étatnutritionnel d’un individu

L’état nutritionnel d’un individu dont on connaît le poids, la taille et l’âgepeut être quantifié au moyen de trois indices [WATERLOW et al., 1977].

– L’indice poids-âge compare le poids de l’enfant au poids de référence pour sonâge. Il apprécie les déficits ou les excès pondéraux.

– L’indice poids-taille compare le poids de l’enfant au poids de référence pour sataille. En cas de retard de croissance, cette comparaison se fait en réalité avecdes enfants de même taille mais plus jeunes. Cet indice apprécie le degré demaigreur ou d’obésité. En d’autres termes, il rend compte d’un état harmonieuxentre poids et taille, c’est-à-dire de la silhouette corporelle.

22

ÉVALUATION DE L’ÉTAT NUTRITIONNEL

Page 39: Malnutrition physiopath

– L’indice taille-âge compare la taille de l’enfant à la taille de référence pour sonâge. Il identifie les retards ou les avances de croissance en taille (nanisme ougigantisme).

Chaque indice est entièrement déterminé par les deux autres [KELLER,FILLMORE, 1983]. C’est pourquoi deux d’entre eux suffisent pour rapporter lesrésultats d’enquêtes. Il est fréquent de ne retenir que les indices poids-taille ettaille-âge pour la présentation des caractéristiques anthropométriques d’unepopulation.

L’indice poids-taille est un paramètre utile quand l’âge de l’enfant n’est pasconnu avec précision. La détermination de l’indice poids-taille passe par lamesure du poids mais surtout de la taille, toujours délicate à apprécier. Ces deuxparamètres connus, il faut encore avoir recours à des tables de référence. Poursimplifier la mesure, il existe des diagrammes muraux imprimés sur des affiches.On place l’enfant en regard de son poids et, d’après sa taille, on détermineimmédiatement dans quelle catégorie poids-taille il se trouve [NABARRO, MCNAB,1980]. L’utilisation de ce type de diagramme a été critiquée car elle exposeau risque de “biais humanitaire” : on observe que la lecture en est souventincorrecte et tend à surestimer le nombre d’enfants devant bénéficier d’uneintervention par rapport aux mesures indépendantes du poids et de la taille[SOETERS, 1986].

L’indice taille-âge semble être le plus sensible aux variations à long termede l’état nutritionnel. Son emploi est cependant limité par la nécessité de bienconnaître l’âge pour le déterminer avec précision.

2-2-7 Amaigrissement et retard de croissance staturale

Une diminution brutale de la ration alimentaire s’accompagne d’une pertede poids rapide se répercutant par une baisse de l’indice poids-taille. La taille parcontre ne diminue pas en cas de malnutrition et un ralentissement de la croissancedevra se poursuivre pendant plusieurs mois avant de voir s’infléchir l’indice taille-âge. En d’autres termes, une malnutrition aiguë se traduit par un abaissement del’indice poids-taille, et une malnutrition chronique par un abaissement de l’indicetaille-âge. L’indice poids-taille est pour cette raison souvent présenté comme unindicateur de “malnutrition aiguë” et l’indice taille-âge comme un indicateur de“malnutrition chronique”. En fait, ces termes prêtent à confusion car ils laissentaccroire que le caractère aigu ou chronique d’une malnutrition est le seul facteurqui influence la croissance respective en poids et en taille, alors qu’il n’en est rien.Notons qu’un indice de masse corporelle abaissé (P/T2 ou indice de QUÉTELET)équivalent à un faible indice poids-taille, est décrit chez l’adulte dans la littérature

23

2-2-7 AMAIGRISSEMENT ET RETARD DE CROISSANCE STATURALE

Page 40: Malnutrition physiopath

des organismes internationaux sous le terme de “déficit chronique en énergie”[SHETTY, JAMES, 1994]. Cette dénomination se référant à l’indice de massecorporelle (ou Body Mass Index des auteurs anglo-saxons) n’est guère cohérenteavec la nomenclature utilisée chez l’enfant.

Au Bangladesh, au fil des saisons, le gain de poids est le plus élevé quandla croissance en taille est la plus faible et inversement la croissance en taille estrapide pendant les périodes où le poids stagne [BROWN et al., 1988]. Ces variationsne semblent pas liées à la survenue d’épisodes de malnutrition aiguë ouchronique. Le même phénomène est constaté lors d’épisodes de diarrhée, ou lorsde la convalescence nutritionnelle : habituellement les enfants reprennent unpoids normal avant de grandir.

Les facteurs déterminant la croissance en poids d’une part et en tailled’autre part ne sont sans doute pas exactement les mêmes [GOLDEN, 1988]. Desapports nutritionnels qualitativement différents pourraient expliquer simplementles différences de la croissance en poids et en taille observées entre populationsnomades et sédentaires vivant dans le même environnement mais consommantdes alimentations différentes [RUTISHAUSER, WHITEHEAD, 1969]. Les nomades ontune alimentation plus riche en produits d’origine animale et sont plus grands, plusminces que les sédentaires. Leur indice poids-taille bas est lié à leur grande tailleelle-même sans doute imputable en partie à une consommation plus importantede produits animaux. Ces morphotypes différents semblent indépendants de lasurvenue de périodes de famine ou de rationnement alimentaire, c’est-à-dired’épisodes de malnutrition aiguë ou chronique puisque toutes ces personnesvivent dans un milieu commun.

L’approche la plus prudente quand on parle de déficits des caractéristiquesanthropométriques consiste à employer des termes descriptifs pour désigner lesenfants ayant un faible indice poids-taille ou un faible indice taille-âge, sanspréjuger du caractère aigu ou chronique de leur dénutrition. L’UNICEF emploie lestermes d’émaciation et de retard de croissance (sous-entendu en taille). Ce sontdes termes neutres qui conviennent bien. Le terme maigreur plutôt qu’émaciationa également l’avantage de faire partie du langage courant et de pouvoir être traduitfacilement dans différentes langues. Ces termes sont préférables aux expressions“malnutrition aiguë” et “malnutrition chronique”.

2-2-8 Les modes de calcul des trois indices nutritionnels

Chacun des trois indices poids-âge, poids-taille, taille-âge peut être exprimépar trois modes de calcul différents [WATERLOW et al., 1977], en pourcentage parrapport à la médiane, en Z-score ou en centiles (Tableau VI). Par conséquent, l’état

24

ÉVALUATION DE L’ÉTAT NUTRITIONNEL

Page 41: Malnutrition physiopath

nutritionnel d’un enfant peut être décrit par neuf indices différents mais bienévidemment redondants.

Tableau VI — Mode de calcul des différents indices nutritionnels.

Indice Mode de calcul Valeur obtenue quand lamesure est égale à la

médiane de la populationde référence

% de la médiane mesure x 100 % 100 %médiane

Z-score (mesure - médiane) 0écart type de la population de référence

Centile Obtenu par la lecture des 50e

tables de centiles

Le pourcentage par rapport à la médiane est le rapport, exprimé enpourcentage, entre la mesure observée et la valeur médiane de référence. Parexemple, un enfant pesant 8,5 kg, alors que le poids médian des enfants de mêmetaille et de même sexe dans la distribution de référence serait de 10 kg, aura unindice poids-taille de 85% (par rapport à la médiane).

Le Z-score rend compte de la différence entre la mesure observée et lavaleur médiane établie pour la population de référence, cette différence étantexprimée en prenant comme unité de mesure l’écart type de la distribution. L’écarttype est une mesure de dispersion d’une distribution. Pour la dispersion desvaleurs du poids et de la taille au sein de la population de référence, l’écart typeest donné dans les tables NCHS par tranches d’âge et par classes de taille pour lesenfants de moins de 5 ans. Dans l’exemple précédent, si l’écart type indiqué parla table pour la population de référence vaut 1 kg pour les enfants de cette taille,le Z-score de l’indice poids-taille vaudra (8,5-10)/1, soit -1,5 ET.

Le centile délimite une valeur en dessous de laquelle se situe unpourcentage d’enfants de la population de référence. Il ne se calcule pas mais doitêtre recherché dans une table de centiles. La taille d’un enfant se trouvant parexemple au centile de 10 pour l’indice taille-âge, indiquera simplement que 10%des enfants de son âge ont une taille inférieure à la sienne dans la population deréférence. Ce mode d’expression présente l’inconvénient de ne pas permettre lacomparaison entre individus situés très en deçà des premiers centiles de la normeinternationale.

Il existe actuellement des programmes informatiques permettant de calculerrapidement les trois indices anthropométriques définis ci-dessus. Le programme

25

2-2-8 LES MODES DE CALCUL DES TROIS INDICES NUTRITIONNELS

Page 42: Malnutrition physiopath

EPINUT est le plus répandu [COULOMBIER et al., 1990] et il peut être facilementobtenu auprès des organismes humanitaires et de l’OMS. Ce programme est aussiinclus dans les dernières versions du programme EPIINFO et peut être obtenugratuitement par téléchargement à partir de certains serveurs du réseau Internet.

2-2-9 Choix du mode d’expression des indices

Le pourcentage par rapport à la médiane est le mode d’expression le plussimple qui permette de faire des comparaisons avec la population de référence.L’OMS conseille d’utiliser le Z-score parce qu’il tient mieux compte de ladispersion observée dans la population de référence [OMS, 1995]. La figure 2illustre pour l’indice poids-taille les courbes situées à -2 écarts types et à 80 % dela médiane afin de montrer les effets du choix de l’un ou de l’autre mode de calculdes indices nutritionnels. Ces limites de -2 écarts types et de 80 % de la médianesont souvent utilisées comme seuils pour départager les enfants dénutris (§ 2-2-10).Pour les tailles inférieures à 63 cm, on constate que les enfants sont classés commedénutris pour des déficits pondéraux moindres lorsqu’on retient le seuil de 80 %de la médiane plutôt que le seuil de -2 écarts types. Pour les tailles supérieures à63 cm, c’est la tendance inverse qui est observée. L’utilisation du Z-score plutôtque du centile 80 % biaise le résultat observé en fonction de l’âge, répertoriant

26

ÉVALUATION DE L’ÉTAT NUTRITIONNEL

0

2

4

6

8

10

12

14

49 54 59 64 69 74 79 84 89

Taille (cm)

Poid

s (K

g)

Médiane

Z = -2 ET

80% de la médiane

Figure 2 — Comparaison des courbes correspondant à 80 % de la médiane et à -2 écartstypes avec la courbe des valeurs de la médiane de la référence NCHS.

Taille (cm)

Médiane

Z-score = -2 ET

80 % de la médiane

Poid

s (k

g)

Page 43: Malnutrition physiopath

moins de malnutrition parmi les enfants les plus petits. Dans la pratique, lesenfants examinés lors des enquêtes ont pour la plupart une taille supérieure à 63cm et l’emploi du Z-score regroupe plus d’enfants dans la catégorie desdénutritions que le partage au seuil de 80 % de la médiane.

Exprimer un état nutritionnel en Z-score représente certainement unecomplication pour les travailleurs de terrain. Ce concept est difficile à saisirconcrètement pour ceux qui ne possèdent pas un certain bagage statistique. Dansles centres de récupération nutritionnelle, l’indice poids-taille exprimé en Z-scoredonne d’ailleurs en pratique une moins bonne estimation du risque de décès quele pourcentage de la médiane, bien plus simple à calculer [PRUDHON et al., 1996].Ce résultat est sans doute dû au fait que les enfants dénutris les plus jeunes, àrisque de décès le plus élevé, sont moins bien identifiés avec le Z-score qu’avecle pourcentage de la médiane.

Le Z-score, bien plus aisément qu’un pourcentage de la médiane, permetde comparer entre elles les prévalences de la maigreur et du retard de croissanceen taille. Le retard de croissance (en taille) est beaucoup plus répandu que lamaigreur mais cette constatation n’a cependant pas de conséquence directe ensanté publique, puisque les implications cliniques d’un même Z-score diffèrentselon qu’il caractérise un degré de maigreur ou de retard de croissance (entaille).

2-2-10 Évaluation du nombre d’enfants dénutrisdans une population

Les décideurs souhaitent souvent connaître avec précision le nombred’enfants dénutris répartis dans une population. La méthode habituellementemployée pour obtenir une estimation consiste à regrouper parmi les enfantsdénutris tous ceux dont l’indice nutritionnel n’atteint pas une valeur seuil donnée.Le pourcentage que ce groupe représente dans la population est ensuite calculé.

Plusieurs seuils ont été retenus pour regrouper les enfants d’après leur étatnutritionnel. Le seuil de 80% des valeurs de la médiane de l’indice poids-taille aété longtemps utilisé. Actuellement, l’OMS recommande d’employer le seuil de-2 écarts types en dessous de la médiane de la population de référence NCHS(-2 écarts types, Z-score = -2). Ce seuil a été choisi par convention et n’a pas designification biologique particulière [WATERLOW et al., 1977].

Il a parfois été recommandé de soustraire du pourcentage d’enfants placéssous le seuil le nombre 2,5 % afin de tenir compte des “faux positifs”. On entendpar là, une proportion d’enfants situés en dessous du seuil de normalité dans unepopulation normalement nourrie. Cette précaution est rarement prise en pratique.

27

2-2-10 ÉVALUATION DU NOMBRE D’ENFANTS DÉNUTRIS DANS UNE POPULATION

Page 44: Malnutrition physiopath

Les organismes humanitaires désignent souvent sous le terme de “taux demalnutrition globale” le pourcentage d’enfants situés en dessous du seuil de-2 écarts type. Ils définissent le “taux de malnutrition grave” par le pourcentaged’enfants œdémateux ou d’enfants dont l’indice poids-taille est inférieur à-3 écarts types. Ces termes sont souvent utilisés indistinctement et prêtent àconfusion, à moins que leurs définitions ne précèdent tout rapport d’enquête.L’application d’un seuil unique à toutes les enquêtes constitue un progrès réel sansquoi il serait impossible de comparer des prévalences de malnutrition établiesd’après des seuils chiffrés différents.

2-2-11 Critique des méthodes basées sur l’emploi de seuils

Le nombre d’enfants identifiés comme dénutris par la méthode des seuils etle nombre d’enfants susceptibles de voir leur déficit pondéral (ou statural) corrigépar une supplémentation nutritionnelle ne concordent pas souvent ou divergentparfois carrément. En d’autres termes, si l’on accepte, comme nous l’avons fait,qu’une malnutrition est un état pondéral (ou statural) déficitaire de l’organisme,alors la méthode des seuils ne peut recenser que très imparfaitement les enfantsqui en sont atteints. Ce mauvais discernement s’explique comme suit.

Si un enfant maigrit, en raison d’une ration insuffisante, mais que son poidsreste au-dessus de la limite arbitraire de -2 Z-scores, il ne sera pas classé parmi lesenfants dénutris, bien qu’il puisse avoir perdu du poids de façon importante(Figure 3). À titre d’exemple, un enfant mesurant 76 cm (taille médiane à un an)et pesant 11 kg doit perdre 2,6 kg avant de rejoindre le groupe des enfantsdénutris. Ceci représente une perte de poids très importante puisqu’elle avoisinele quart du poids initial (24 %).

Ce défaut des méthodes appliquant uniquement un seuil “anthropo-métrique” pour définir la malnutrition a été bien mis en évidence par des enquêtesmenées au Zaïre. Ces études montrent qu’il existe une mauvaise concordanceentre l’examen clinique et le degré de malnutrition estimé par les indicesanthropométriques [VAN DEN BROECK et al., 1994]. Dans l’exemple choisi, uneperte de poids de plus de 2 kg chez un enfant de un an se remarque immé-diatement à l’examen clinique, alors que les indices anthropométriques ne ladétectent pas.

La divergence entre les taux de prévalence de la malnutrition, selon qu’elleest définie par l’anthropométrie ou par la réponse clinique à une supplémentationalimentaire, peut être mise en évidence également par des méthodes statistiques.Si, par exemple, tous les enfants d’une population ont une ration insuffisante et setrouvent tous à 0,5 écart type en dessous de leur poids de référence (pour la taille),

28

ÉVALUATION DE L’ÉTAT NUTRITIONNEL

Page 45: Malnutrition physiopath

le taux de dénutrition, selon la définition que nous avons adoptée (déficit pondéralou statural corrigible par supplémentation), est de 100 % . La prévalence de lamalnutrition établie par la méthode du seuil fixé à -2 écarts types correspond aupourcentage d’enfants situés au-dessous de -1,5 écarts types dans une populationnormale (Figure 4). Ce pourcentage est donné par les tables de la distributionnormale ou par les programmes donnant sa fréquence cumulée pour un écart typedonné. Il est égal à 6,7 %. La discordance entre ce chiffre et la prévalence de100% postulée au départ illustre les limites des méthodes anthropométriques.

2-2-12 Mesure de la prévalence standardisée

La mesure de la prévalence standardisée a été proposée pour tenterd’estimer le nombre global d’enfants dénutris en intégrant dans cette estimationceux qui se trouvent au-dessus du seuil habituel fixé à -2 écarts type de la valeurmédiane [MORA, 1989]. Le principe de cette mesure consiste à évaluer dans lapopulation étudiée, le pourcentage d’enfants situés en dehors de la distribution dela population de référence (Figure 5). Dans cette approche, les enfants recherchés

29

2-2-12 MESURE DE LA PRÉVALENCE STANDARDISÉE

Z-score

Fréq

uenc

e

Figure 3 — Critique de la méthode des seuils. Dans le cas théorique représenté, l’enfant Aest classé comme dénutri, car son poids est situé en dessous du seuil de -2 ET,alors que l’enfant B ne l’est pas, malgré une perte de poids plus importante.

A

B

Page 46: Malnutrition physiopath

30

ÉVALUATION DE L’ÉTAT NUTRITIONNEL

Z-score

Figure 4 — Si tous les enfants issus d’une population normalement distribuée perdent0,5 ET, 6,7 % d’entre eux seront situés sous le seuil de -2 ET (% de l’aire situéesous la courbe de la distribution normale, à gauche de la droite D).

Fréq

uenc

e

Distribution normale

Distribution normale aprèsperte de 0,5 ET

Figure 5 — Principe de la mesure de la prévalence standardisée. L’estimation du nombre totald’enfants dénutris se fait par le calcul de l’aire comprise entre les deux courbes.

Z-score

Fréq

uenc

e

Dénutris

0,5

Page 47: Malnutrition physiopath

ne sont ni identifiés ni comptés individuellement. Cette méthode a l’avantage deprendre en compte le décalage global entre la population étudiée et celle deréférence. Son mode de calcul est cependant proche de la méthode des seuils avecun seuil correspondant au point d’intersection des courbes des deux populationset une déduction des faux positifs (§ 2-2-10). Ce nouveau seuil est variable d’unesituation à l’autre et ne possède pas non plus de signification biologiqueparticulière. Cette méthode dénombre bien plus de cas de malnutrition que latechnique fixant le seuil à -2 écarts types. Le chiffre obtenu est toujours inférieur àla réalité en cas de glissement global de la distribution des indicesanthropométriques. Dans l’exemple théorique évoqué plus haut où tous lesenfants d’une population souffraient d’un déficit pondéral de 0,5 écart type, laprévalence standardisée donnerait un taux de malnutrition de 19,7 %, trèsinférieur à la réalité.

2-2-13 Examen de la distribution des indicesanthropométriques

L’hypothèse d’un déficit nutritionnel affectant l’ensemble des enfants dansune population donnée peut être vérifiée par l’analyse de la distribution desindices anthropométriques. Dans l’hypothèse d’une perte de poids uniforme, ladistribution des poids glisse vers les valeurs basses, sans modification de lavariance. Si la courbe de distribution change de forme, on peut en déduire que ledéficit pondéral n’est pas réparti de manière homogène mais touche plusparticulièrement certains groupes d’enfants : si l’écart type observé est inférieur àcelui de la distribution de référence, on peut démontrer que ce sont les enfantsinitialement les mieux nourris qui ont relativement perdu le plus de poids.Inversement, si l’écart type observé est supérieur à celui de la distribution deréférence, on peut en conclure que ce sont les enfants déjà dénutris au départ quiont souffert le plus (Figure 6).

L’analyse des distributions des indices anthropométriques calculées lors desenquêtes indique que les courbes de l’indice poids-taille sont le plus souventdéplacées mais sans être déformées. Ceci suggère que le nombre d’enfantsdénutris est dans la plupart des situations très supérieur à ce que détermine le seuilde -2 écarts types établi par les enquêtes. Par contre, les courbes de distributionobtenues pour l’indice taille-âge sont souvent déformées et leur écart type estsupérieur à celui de la population de référence. Ceci suggère qu’il existeeffectivement une sous-population d’enfants présentant un retard de croissancesituée dans la partie inférieure de la courbe de distribution. Il est difficile de savoirsi cette déformation résulte d’une mauvaise connaissance de l’âge. Il estcependant également vraisemblable que le dénombrement des enfants ayant une

31

2-2-13 EXAMEN DE LA DISTRIBUTION DES INDICES ANTHROPOMÉTRIQUES

Page 48: Malnutrition physiopath

taille inférieure au seuil de -2 écarts types sous-estime fortement le nombre réeldes enfants en retard de croissance.

Les organismes internationaux (UNICEF, OMS) publient régulièrement desstatistiques sur le nombre d’enfants atteints de malnutrition dans les pays pauvres[UNICEF, 1996]. Les chiffres atteignent le tiers, voire la moitié, du nombre total desenfants dans certaines régions. Ces données statistiques sont basées sur des chiffresétablis en adoptant la méthode des seuils. Les chiffres publiés n’ont sans doutequ’un rapport éloigné avec la réalité. C’est souvent la quasi-totalité des enfants quisont dénutris, et non le tiers ou la moitié. Dans la mesure où ces données sontobtenues de façon homogène et standardisée, elles permettent cependant de fairedes comparaisons d’un pays à l’autre, et d’une année à l’autre. Il serait faux decroire cependant que les chiffres repris dans ces rapports donnent réellement lenombre d’enfants dénutris.

32

ÉVALUATION DE L’ÉTAT NUTRITIONNEL

Figure 6 — Effet d’une perte de poids plus marquée chez les enfants les plus maigres (A) oules plus gros (B) sur la forme de la distribution. La courbe C, sans déformation,correspond à une perte de poids uniforme chez tous les enfants.

Z-score

Fréq

uenc

e

B

A

C

Page 49: Malnutrition physiopath

2-3 Identification des individus devantbénéficier d’une intervention

Dans les situations de pénurie, les ressources disponibles sont limitées et ilest souvent nécessaire de mener des interventions ciblées sur une partie de lapopulation. Dans cette optique, il peut être proposé de sélectionner non pas desindividus, mais des familles ou même des communautés à risque. Cette approcheest délicate, vu la difficulté qu’il y a à identifier précisément les familles ou lescommunautés menacées de malnutrition. Différents critères socio-économiquesseraient à même de détecter ce risque, mais dans la pratique leur valeur prédictiveest limitée. On observe en effet que l’apparition de la malnutrition est trèsaléatoire, et que les critères socio-économiques prévisionnels ne remplissent pasle rôle espéré d’identifier les familles exposées à la malnutrition infantile [HENRY etal., 1993]. En conséquence, ces programmes sont souvent décidés d’après descritères fort empreints de subjectivité et de partialité. La préférence va donc auxcritères anthropométriques. Leur emploi pose cependant des problèmes, car ilsidentifient mal les individus dénutris. Schématiquement, les indices nutritionnelspeuvent être utilisés avec deux objectifs différents : 1) identifier les individusdénutris, 2) identifier les individus présentant un risque élevé de décès. Lesquestions posées pour répondre à ces deux types de problèmes sont différentes.

2-3-1 Identification des individus dénutris

Si on retient comme définition de la malnutrition “un déficit pondéralcorrigible par une supplémentation nutritionnelle appropriée”, la probabilité deposer un diagnostic correct à partir des données anthropométriques varie fort selonles circonstances. Dans le cas extrême, discuté plus haut, d’une pénuriealimentaire qui engendre un déficit pondéral généralisé, tous les enfants situéssous le seuil de malnutrition (< -2 écarts types) seront correctement identifiés. Parcontre, tous les enfants situés au-dessus du seuil seront à tort classés comme étantbien nourris. Inversement, dans une population où tous les enfants sontcorrectement nourris, la proportion d’enfants situés en dessous du seuil de - 2 Z(c’est-à-dire 2,5 %) seront classés à tort comme dénutris, alors que les autres (soit97,5 %) seront à juste titre classés parmi les bien nourris.

Des situations intermédiaires peuvent se présenter lorsque les populationsobservées représentent un mélange d’enfants bien nourris et d’enfants dénutris enproportions variables. La probabilité d’identifier correctement un cas demalnutrition (valeur prédictive positive) augmente avec l’importance du déficit

33

2-3-1 IDENTIFICATION DES INDIVIDUS DÉNUTRIS

Page 50: Malnutrition physiopath

pondéral en cause (Figure 7). Si on admet, à titre d’exemple, qu’une populationest composée d’un mélange d’individus bien et mal nourris, représentés par deuxcourbes de distribution normale, la probabilité qu’un enfant se trouve parmi lesmal nourris est représentée pour chaque Z-score par le rapport du nombred’enfants ayant le même Z-score dans les deux populations. Les figures 7a et bmontrent que ce rapport est plus élevé pour les faibles Z-scores et dans le cas où

0

1

2

3

4

5

-2 -1 0 1 2 3Z score

Prob

abili

0,5 ET

34

ÉVALUATION DE L’ÉTAT NUTRITIONNEL

Figure 7 — Probabilité de détecter les cas de dénutrition en fonction du Z-score en cas demélange de populations d’enfants bien et mal nourris. a. Différence entre lesgroupes de 1 ET ; b. Différence entre les groupes de 0,5 ET.

Z-score

Z-score

Prob

abili

téPr

obab

ilité

Bien nourrisDénutrisProbabilité demalnutrition

Bien nourrisDénutrisProbabilité demalnutrition

a

b

5

4

3

2

1

0-2 -1 0 1 2 3

Page 51: Malnutrition physiopath

les deux populations sont bien séparées. On peut démontrer de la même façonque la probabilité d’identifier correctement un enfant dénutri est plus forte quandla population mal nourrie est plus importante que celle qui est bien nourrie.

Ces considérations statistiques ont des conséquences pratiques importantes.En effet, elles indiquent que le diagnostic de malnutrition grave se posegénéralement sans risque majeur d’erreur tandis que celui de malnutritionmodérée ne peut l’être avec certitude à partir des seuls indices anthropométriques.

L’identification des enfants dénutris à l’aide des mesures anthropométriquespeut être assimilée à l’utilisation d’un test diagnostic imparfait : sa capacitéd’identifier correctement les enfants dénutris, ou en d’autres termes, sa valeurpositive prédictive, n’est élevée qu’en cas de prévalence élevée de malnutrition[MCNEIL et al., 1975]. De la même façon, la capacité des indices anthropo-métriques à reconnaître correctement les enfants bien nourris n’est élevée quedans les situations où les taux de malnutrition sont faibles.

• Choix des indices nutritionnelsIl est vraisemblable que l’identification des enfants dénutris susceptibles de

prendre du poids après une supplémentation alimentaire est sensiblementdifférente selon le type d’indice nutritionnel considéré pour le dépistage.Curieusement, ce domaine a donné lieu à peu de travaux. Il est probable quel’indice poids-taille soit le plus approprié dans la plupart des situations, hormis lescas de malnutrition où la composante œdémateuse prédomine.

• Choix des seuils de définition de la dénutritionLe choix des seuils déterminant quels enfants peuvent bénéficier d’une

intervention nutritionnelle a donné lieu à de nombreux débats. Ces discussionsignorent souvent le fait que les définitions de la malnutrition basées surl’anthropométrie ne permettent pas d’établir parfaitement le diagnostic dedénutrition, particulièrement lorsqu’elle est modérée. Ces considérations éludentaussi les difficultés méthodologiques rencontrées en cas de prévalence élevée dedénutrition. Pour progresser dans ce domaine, il vaut mieux une fois pour toutesabandonner l’espoir d’identifier avec certitude les enfants modérément dénutris aumoyen d’un critère anthropométrique. Il est préférable de se baser sur des facteursde risque ou des critères financiers. La décision d’incorporer un enfant dans unprogramme de prise en charge nutritionnelle devrait reposer tant sur uneévaluation du risque que l’on prend en ne l’y admettant pas, que sur le coût àsupporter si on l’y admet. Dans l’évaluation de ce coût, outre la charge pourl’institution d’accueil, il faut également prendre en compte le retentissement decette admission sur la situation économique de la famille. Il est vraisemblable quela décision idéale varie d’un endroit à l’autre. Les procédures de sélection des

35

2-3-1 IDENTIFICATION DES INDIVIDUS DÉNUTRIS

Page 52: Malnutrition physiopath

enfants modérément dénutris sont parfois trop coûteuses en soi par rapport auxéconomies qu’elles sont censées entraîner. Dans ce cas, une prise en charge de latotalité des enfants sera une option préférable.

2-3-2 Identification des individus à haut risquede décès

Les enfants gravement dénutris présentent un risque particulièrement élevéde décéder. On peut envisager de focaliser les interventions sur ces enfants àrisque. Dans cette optique, le calcul des indices anthropométriques a pour butd’estimer le risque de décès et non plus de poser un diagnostic de dénutrition. Leursensibilité et leur spécificité doivent alors être revus en fonction d’une définitiondifférente (Tableau VII). Pour sélectionner les enfants à haut risque de décès, ilconvient d’utiliser les indices présentant le meilleur compromis entre sensibilité etspécificité définis en termes de prédiction du risque de décès.

Tableau VII — Définition de la sensibilité et de la spécificité d’un indice anthropométriqueen fonction du risque de décès.

Indice Enfants décédés au cours Enfants survivantsanthropométrique du suivi

Indice inférieur au seuil a b

Indice supérieur au seuil c d

Sensibilité = [a/(a+c)] x 100 %.Spécificité = [d/(d+b)] x 100 %.

• Choix des indices nutritionnelsMéthode utilisée pour choisir les indices

La sensibilité et la spécificité d’un indice utilisé pour évaluer le risque dedécès varient selon le seuil retenu pour classifier les enfants en catégoriesnutritionnelles (bien et mal nourris). En effet, la sensibilité correspond à laproportion d’enfants, parmi ceux qui sont décédés, qui présentent un indice(anthropométrique) inférieur à la valeur seuil choisie pour départager lescatégories nutritionnelles. La spécificité correspond à la proportion de survivantsdont l’indice au début du suivi était supérieur à la valeur seuil choisie. Quand onélève le niveau du seuil, la sensibilité de l’indice augmente tandis que saspécificité diminue (Figure 8). En fait, un indice (ici à visée de déterminer le risquede décès) peut être rendu aussi sensible ou spécifique qu’on le désire en faisantvarier le niveau du seuil. C’est pourquoi les sensibilités de différents indices nepeuvent être comparées entre elles que si leurs spécificités sont égales. Cet

36

ÉVALUATION DE L’ÉTAT NUTRITIONNEL

Page 53: Malnutrition physiopath

ajustement sur la spécificité se fait généralement en dessinant des courbes ROC1,qui représentent la valeur de la sensibilité en fonction de 1- spécificité [McNeil etal., 1975] (Figure 9).

Les indices les plus performants pour dépister des enfants à haut risque dedécès sont ceux qui possèdent la plus forte sensibilité pour une spécificité donnée.Si la répartition des décès tenait purement du hasard (c’est-à-dire se faisaitindépendamment de l’état nutritionnel), la courbe ROC correspondrait à la droitejoignant le point sensibilité 0 et spécificité 1 au point sensibilité 1 et spécificité 0.Cette droite correspond sur la figure 9 à la droite passant par l’origine et ayant unepente égale à 1. Les indices qui identifient le mieux les enfants à haut risque dedécès sont ceux dont les courbes ROC s’écartent le plus de cette droite.

Intérêt du périmètre brachial

Les valeurs prédictives de différents indicateurs anthropométriquessusceptibles d’apprécier le risque de décès ont été comparées dans de nombreusesétudes. Il en ressort que le périmètre brachial est souvent l’indicateur offrant le

-3 -2 -1 0 1 2 3

Survivants

Décédés

37

2-3-2 IDENTIFICATION DES INDIVIDUS À HAUT RISQUE DE DÉCÈS

Z-score

Prob

abili

Spécificité

Seuil

Survivants

Décédés

Sensibilité

Figure 8 — Définition graphique de la sensibilité et de la spécificité estimées de l’indicenutritionnel en fonction du risque de décès.

1 Le terme ROC est l’abréviation de l’expression anglaise Receiver Operating Curve et nousrappelle que ce concept a été mis au point dans un contexte totalement différent : il a étéutilisé pour la première fois par les opérateurs radar de la deuxième guerre mondiale, et aété introduit ensuite dans le domaine médical par les radiologues qui cherchaient àrésoudre les problèmes d’interprétation de clichés. Il fait partie actuellement du jargon desépidémiologistes décrivant des critères diagnostics imparfaits.

Page 54: Malnutrition physiopath

meilleur compromis entre spécificité et sensibilité [BRIEND et al., 1986; ALAM et al.,1989; BRIEND et al., 1989]. Ces études montrent aussi que le périmètre brachialidentifie mieux le risque de décès que l’indice poids-taille, bien qu’un faible indicepoids-taille soit habituellement considéré comme étant le meilleur critère d’unamaigrissement récent. On peut en conclure que le risque de décès n’est pasuniquement déterminé par la perte de poids de l’enfant ou le déficit pondéralexprimé par rapport à un indice de référence mais par un autre facteur davantagelié à l’évolution du périmètre brachial que les autre indices nutritionnels [BRIEND

et al., 1989].

La valeur prédictive du périmètre brachial pour identifier les enfants à hautrisque de décès peut s’interpréter de deux façons différentes. D’une part, la bonnevaleur du périmètre brachial pour estimer le risque de décès peut être attribuée àson pouvoir de sélection d’enfants plus jeunes que par d’autres critères. En effet,le périmètre brachial augmente avec l’âge chez les enfants normalement nourris,et si on regroupe les enfants qui ont le périmètre brachial le plus faible, onsélectionne des sujets à la fois jeunes et dénutris. D’autre part, le périmètrebrachial peut être lié au risque de décès parce qu’il est un reflet de la massemusculaire [Briend et al., 1989]. En cas de famine, l’enfant survit en puisant del’énergie dans sa masse de muscles et maintient son métabolisme. Selon toutevraisemblance, la survie dépend d’échanges métaboliques entre la massemusculaire et les organes dont le plus noble et le mieux épargné, le cerveau. En

38

ÉVALUATION DE L’ÉTAT NUTRITIONNEL

(1 - spécificité)

Sens

ibili

1

0

0 1

Figure 9 — Aspect général des courbes ROC.

Page 55: Malnutrition physiopath

physiologie, le métabolisme de base du muscle est peu actif et cette masseconstitue une réserve nutritionnelle importante. Par contre le cerveau, et certainsautres organes comme le foie ou le rein, connaissent une situation inverse : leurmétabolisme est très actif mais en soi ils ne constituent pas une réservenutritionnelle mobilisable (§ 3-3-3). Il se peut que le périmètre brachial, qui est untémoin direct de la masse musculaire, reflète mieux cet équilibre que d’autresparamètres ou indices anthropométriques plus complexes.

La nature exacte du mécanisme expliquant la valeur prédictive du périmètrebrachial n’a pas d’implication pratique. Les deux explications (effet âge ou effetmuscle) se complètent sans doute : les changements de composition corporelleobservés chez l’enfant dénutri le rapprochent de l’enfant jeune (§ 3-4-1). Il existed’ailleurs une certaine similitude sur le plan métabolique entre enfants jeunes etenfants dénutris.

L’application du périmètre brachial pour la sélection des enfantssusceptibles de bénéficier d’une intervention nutritionnelle offre l’avantaged’identifier rapidement les sujets qui présentent un risque de décès élevé. Ceparamètre souffre de l’inconvénient de ne pas sélectionner automatiquement lesenfants les plus atteints de dénutrition. Ceux-là même qui répondront bien autraitement diététique et qui sont sans doute mieux dépistés par la mesure del’indice poids-taille. Cette discordance a poussé certaines organisations à utiliserdes procédures de détection en deux étapes : sélection par le périmètre brachialdans un premier temps, puis mesure de l’indice poids-taille. Cette approche estlourde et doit être appliquée avec prudence : les enfants dont le périmètre brachialest réduit ont un risque de décès élevé, même si leur indice poids-taille dépasse lavaleur habituelle qui délimite l’état de dénutrition.

• Choix de seuils de définition des individus à haut risque de décès

L’identification par l’anthropométrie des enfants à risque élevé de décès estgénéralement imparfaite. Les conséquences pratiques sont faibles quand il s’agitde sélectionner des enfants pour les faire bénéficier de programmes de renutritionthérapeutique. Généralement, la totalité des enfants incorporés dans cesprogrammes souffrent de malnutrition grave et bénéficient de la prise en charge,même si leur risque de décès a été surévalué.

Il est néanmoins utile de fixer pour ces programmes des critèresanthropométriques qui évitent de prendre des décisions subjectives. Dans lapratique, on s’aperçoit que le seuil de 110 mm pour le périmètre brachial (ou de-3 écarts types pour l’indice poids-taille) est souvent choisi comme critère desélection dans les programmes nutritionnels à visée thérapeutique. Il seraitcependant regrettable que ces seuils soient considérés comme décisifs. L’examenclinique à l’admission, et l’évaluation du degré de l’anorexie donnent également

39

2-3-2 IDENTIFICATION DES INDIVIDUS À HAUT RISQUE DE DÉCÈS

Page 56: Malnutrition physiopath

des informations dont il faut tenir compte avant d’inclure ou non un enfant dansun programme nutritionnel de renutrition thérapeutique.

• Intérêt des évaluations fréquentes de l’état nutritionnelQuel que soit l’indice nutritionnel retenu, l’identification du risque de décès

est meilleure quand la prédiction porte sur le court terme. Cette constatation secomprend aisément parce que l’état nutritionnel d’un enfant peut varier au coursdu temps. Ceci implique que des examens répétés seront toujours plus efficacespour identifier les enfants à risque que des examens effectués à de nombreux moisde distance. La simplicité de la mesure du périmètre brachial est un avantageconsidérable à cet égard, car elle peut être répétée au besoin tous les mois pouridentifier les enfants les plus à risque [BRIEND et al., 1987]. Cet avantage de lamesure du périmètre brachial est rarement mis à profit, alors qu’il permettraitd’améliorer considérablement l’efficacité d’un système capable de dépister dans lapopulation générale les enfants à haut risque de décès.

RéférencesALAM N., WOJTYNIAK B., RAHAMAN M. [1989]. Anthropometric indicators and risk of death.

Am. J. Clin. Nutr. 49, 884-888.

BRIEND A., DYKEWICZ C., GRAVEN K., MAZUMDER R.N., WOJTYNIAK B., BENNISH M. [1986].Usefulness of nutritional indices and classifications in predicting death ofmalnourished children. Br. Med. J. 293, 373-375.

BRIEND A., WOJTYNIAK B., ROWLAND M.G.M. [1987]. Arm circumference and other factors inchildren at high risk of death in rural Bangladesh. Lancet ii, 725-728.

BRIEND A., GARENNE M., MAIRE B. [1989]. Nutritional status, age and survival: the musclemass hypothesis. Eur. J. Clin. Nutr. 43, 715-726.

BRIEND A., MAIRE B., DESJEUX J.F. [1993]. La malnutrition protéino-énergétique dans les paysen voie de développement. In: RICOUR C., GHISOLFI J., PUTET G., GOULET O. Traité denutrition pédiatrique. Paris: Maloine, p. 467-512.

BROWN K.H., BLACK R.E., BECKER S. [1982]. Seasonal changes in nutritional status and theprevalence of malnutrition in a longitudinal study of young children in ruralBangladesh. Am. J. Clin. Nutr. 36, 303-313.

COULOMBIER D., DIONISIUS J.P., DESVÉ G. [1990]. EPINUT : un logiciel d’analyse d’enquêtesnutritionnelles. Paris: Epicentre.

GOLDEN M.H.N. [1988]. The role of individual nutrient deficiencies in growth retardation ofchildren as exemplified by zinc and protein. In: WATERLOW J.C. (ed). Linear growthretardation in less developed countries. New York: Raven Press, p. 143-163.

40

ÉVALUATION DE L’ÉTAT NUTRITIONNEL

Page 57: Malnutrition physiopath

GRAITCER P.L., GENTRY E.M. [1981]. Measuring children: one reference for all. Lancet. ii,297-299.

HABICHT J.P., MARTORELL R., YARBROUGH C., MALINA R.M., KLEIN R.E. [1974]. Height andweight standards for preschool children: how relevant are ethnic differences ingrowth potential ? Lancet i, 611-615.

HENRY F.J., BRIEND A., FAUVEAU V., HUTTLY S.R., YUNUS M.D., CHAKRABORTY J. [1993]. Riskfactors for clinical marasmus: a case control study from rural Bangladesh. Am. J.Epidemiol. 22, 278-283.

KELLER W., FILLMORE C.M. [1983]. Prevalence of protein energy denutrition. World HealthStat. Q. 36, 129-167.

MACFARLANE S.B.J. [1995]. A universal growth reference or fool’s gold ? Eur. J. Clin. Nutr.49, 745-753.

MCNEIL B.J., KEELER E., ADELSTEIN S.J. [1975]. Primer of certain elements of decision making.New Engl. J. Med. 293, 211-215.

MORA J.O. [1989]. A new method for estimating standardized prevalence of childmalnutrition from anthropometric indicators. Bull. WHO 67, 133-142.

NABARRO D., MCNAB S. [1980]. A simple new technique for identifying thin children. J. Trop.Med. Hyg. 83, 21-33.

OMS [1993]. Mesure des modifications de l’état nutritionnel. Genève: OrganisationMondiale de la Santé.

OMS [1995]. Utilisation et interprétation de l’anthropométrie. Série Rapports Techniques854. Genève: Organisation Mondiale de la Santé.

PRUDHON C., BRIEND A., LAURIER D., MARY J.Y., GOLDEN MH. [1996]. Comparison of weight-and height-based indices for assessing the risk of death in severely malnourishedchildren. Am. J. Epidemiol. 144, 116-123.

RUTISHAUSER I.H.E., WHITEHEAD R.G. [1969]. Nutritional status assessed by biological tests.Brit. J. Nutr. 23, 1-13.

SHETTY P.S., JAMES W.P.T. [1994]. Body mass index: a measure of chronic energy deficiencyin adult. Rome: FAO.

SOETERS R. [1986]. Pitfalls with weight for height measurements in surveys of acutemalnutriton. Trop. Doct. 16, 173-176.

TOOLE M.J. [1995]. Micronutrient deficiencies in refugees. Lancet 339, 1214-1216.

UNICEF [1996]. La situation des enfants dans le monde. New York: UNICEF.

VAN DEN BROECK J., MEULEMANS W., EECKELS R. [1994]. Nutritional assessment: the problem ofclinical anthropometrical mismatch. Eur. J. Clin. Nutr. 48, 60-65.

WATERLOW J.C., BUZINA R., KELLER W., LANE J.M., NICHAMAN M.Z., TANNER J.M. [1977]. Thepresentation and use of height and weight for comparing the nutritional status ofgroups of children under the age of 10 years. Bull. WHO 55, 489-498.

41

RÉFÉRENCES

Page 58: Malnutrition physiopath
Page 59: Malnutrition physiopath

3 – Besoins en énergieet renutrition

3-1 Introduction

Les besoins en énergie de l’adulte se décomposent en besoins d’entretien eten besoins nécessaires à l’activité physique. À ceux-ci s’ajoutent, chez l’enfant,des besoins pour la croissance [FAO/OMS/UNU, 1986]. Les besoins d’entretiencorrespondent à la quantité d’énergie nécessaire au maintien des fonctions vitaleset au renouvellement des tissus. Les besoins de croissance correspondent à laquantité d’énergie nécessaire à la synthèse des constituants tissulaires (acidesaminés, acides gras, etc.) et à leur assemblage lors de la synthèse tissulaire. Dansce contexte, on entend par croissance le gain de poids associé à la synthèse denouveaux tissus, se répartissant en tissus maigres et tissus adipeux. On admet queles besoins associés à la croissance en taille sont les mêmes que ceuxcorrespondant au gain de poids associé.

L’enfant souffrant de malnutrition grave se définit comme un enfant dontl’état nutritionnel nécessite une prise en charge hospitalière (§ 7-2). En début detraitement, son poids est stable et son activité physique est faible (§ 7-3-1). Sesbesoins énergétiques sont alors voisins de ses dépenses d’entretien. Dès lors que cetenfant entre en phase de convalescence, et que son gain de poids s’élève (§ 7-3-2),ses besoins en énergie augmentent fortement et sont proches de ceux d’un enfantbien nourri dont la vitesse de croissance serait très supérieure à la normale. Avantd’aborder la problématique de l’enfant dénutri, il est utile de décomposer lesbesoins en énergie de l’enfant bien nourri. Cette approche permet par ailleurs desaisir les particularités de l’enfant sur le plan du métabolisme énergétique.

3-2 Besoins d’entretienchez l’enfant bien nourri

Les estimations les plus fiables des dépenses énergétiques d’entretien sontactuellement obtenues grâce à la technique de l’eau doublement marquée[COWARD, 1988]. Cette méthode consiste à donner à l’enfant de l’eau dont

43

Page 60: Malnutrition physiopath

l’hydrogène a été remplacé par du deutérium et l’oxygène naturel (16O) par sonisotope non radioactif lourd (18O). Ce double marquage permet de suivreséparément le devenir métabolique tant de l’hydrogène que de l’oxygène. Lesphysiologistes s’accordent pour dire que l’oxygène est éliminé avec l’eau et le gazcarbonique alors que l’hydrogène ne peut être éliminé qu’avec l’eau seule. De cefait, l’oxygène disparaît de l’organisme plus vite que l’hydrogène. Cette différenced’élimination rend compte de la production de gaz carbonique, et donc de laconsommation d’énergie. À peu de chose près, l’eau donnée initialement sedistribue de façon homogène au sein de l’organisme. La dépense énergétique peutdonc être estimée simplement en mesurant la concentration en deutérium et enoxygène 18 dans un échantillon de salive ou d’urine prélevé dans les jours quisuivent la dose initiale. Lorsque la diminution avec le temps de la dose initiale dedeutérium et d’oxygène 18 est exprimée en pourcentage de la dose initiale sur uneéchelle logarithmique, la dépense énergétique correspond à l’aire située entre lescourbes de concentration du deutérium et de l’oxygène 18 (Figure 10). La mesurede la dépense énergétique en suivant cette technique s’effectue sur une à deuxsemaines. Les données obtenues estiment la dépense moyenne d’énergie au longde cette période.

En réalité, la dépense énergétique mesurée par la technique de l’eaudoublement marquée ne correspond pas exactement aux dépenses d’entretien car

44

BESOINS EN ÉNERGIE ET RENUTRITION

1

10

100

0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

Nombre de jours

Prop

ortio

n (%

) de

la d

ose

initi

ale

Deutérium

Oxygène 18

Nombre de jours

Deutérium

Oxygène 18

Prop

ortio

n (%

) de

la d

ose

initi

ale

Figure 10 — Principe de la mesure de la dépense énergétique par la technique de l’eaudoublement marquée.

Page 61: Malnutrition physiopath

les dépenses imputables à l’activité physique, qui entraînent une oxydation denutriments venant soit de l’alimentation, soit des réserves de l’organisme, sontégalement comprises dans l’énergie mesurée. Mais la dépense énergétique liée àl’activité physique ne représente qu’une faible part de la dépense énergétiquetotale chez l’enfant avant l’âge de la marche. Une part de l’énergie requise pour lacroissance est aussi comprise dans l’énergie mesurée par la méthode de l’eaudoublement marquée. Elle est tout autant difficile à estimer. Certes, le tissusynthétisé n’est pas oxydé, et donc l’énergie stockée sous forme de tissu n’est pascomptabilisée par la méthode de l’eau doublement marquée. Néanmoins l’énergieutilisée pour synthétiser ces tissus provient de l’oxydation de substrats. Les valeursobtenues chez l’enfant de plus de 6 mois d’âge, dont la part d’énergie requise pourla croissance est faible, sont donc plus proches des dépenses d’entretien que lesdonnées calculées dans les tranches d’âge plus jeune.

Les estimations de la dépense d’énergie d’entretien obtenues par cetteméthode sont de l’ordre de 80 kcal/kg/jour pour les enfants normalement nourris[PRENTICE et al., 1988]. Elles sont donc beaucoup plus élevées que chez l’adulte.La dépense énergétique mesurée chez l’adulte, quelle que soit la méthode, est eneffet de l’ordre de 35 kcal/kg/jour [FAO/OMS/UNU, 1986]. Ce besoin élevé enénergie chez l’enfant explique un bon nombre de ses particularités nutritionnelles.Nous les examinerons en détail car elles s’appliquent aussi à l’enfant souffrant demalnutrition grave.

3-3 Comparaison des dépensesénergétiques d’entretienchez l’enfant et chez l’adulte

3-3-1 Comparaison volume/surface

Les différences entre la dépense énergétique chez l’enfant et chez l’adultepeuvent dans une large mesure s’expliquer par les lois mathématiques régissant lerapport entre le volume et la surface pour des corps de forme semblable mais detailles différentes. Si deux cubes ont des arêtes de longueurs différentes, le rapportde la surface du plus grand à celle du plus petit est supérieur à celui de leursarêtes. De même, le rapport des volumes est supérieur à celui des surfaces. Parailleurs, on démontre en physique que la quantité de chaleur que l’on doitapporter par unité de temps, et exprimée en watts, pour maintenir constante latempérature d’un corps est proportionnelle à sa surface. Cette loi physique

45

3-3 DÉPENSES ÉNERGÉTIQUES D’ENTRETIEN CHEZ L’ENFANT ET CHEZ L’ADULTE

Page 62: Malnutrition physiopath

implique que l’énergie nécessaire par unité de volume pour maintenir latempérature d’un corps au-dessus de la température ambiante est d’autant plusfaible que son volume (ou sa masse) est plus élevé.

Un exemple numérique permet de saisir les implications de cette loiphysique. Les rapports entre les surfaces, les volumes et les poids de deux cubesremplis d’eau, l’un ayant une arête de 15 cm et l’autre une arête de 40 cm, sontrepris au tableau VIII. Si on postule dans cet exemple qu’une puissance de 14watts est nécessaire pour maintenir constante la température du petit cube, lapuissance utilisée et exprimée par unité de surface sera de 103 watts/m². En raisondes lois déjà mentionnées, il faudra par unité de surface, la même quantité dechaleur pour maintenir la température du gros cube. Cette quantité de chaleurconvertie pour le gros cube par unité de volume ou par kg de poids sera beaucoupplus faible (1,56 watts/kg au lieu de 4,15 watts/kg).

Tableau VIII — Comparaison des dimensions de deux cubes ayant une arête de 15 cm (a)et de 40 cm (A) respectivement et comparaison des quantités de chaleurnécessaires pour maintenir la température constante en cas de pertesidentiques par unité de surface.

Dimensions a A A/a

Arête (cm) 15,00 40,00 2,67Surface (m²) 0,14 0,96 7,11Volume (dm3) 3,38 64,00 18,96

Consommation de chaleuren watts 14,00 99,56 7,11en watts/m² 103,70 103,70 1,00en watts/kg 4,15 1,56 0,38

en kcal/24h 289 2055 7,11en kcal/kg/jour 86 32 0,38

Le watt mesure une puissance, l’énergie étant fournie par unité de temps,indifféremment par une source de chaleur ou de travail. Le watt correspond à unequantité d’énergie de 1 joule par seconde, mais peut être converti en kcal parseconde, ou en kcal par 24 heures (les nutritionnistes utilisent en fait deskilocalories, en abrégé kcal, souvent abusivement appelées calories). Par ailleurs,1 kcal représente 4 186 J, et il y a 86 400 secondes (60 x 60 x 24) dans 24 heures.L’exemple numérique a été choisi pour illustrer les quantités d’énergie nécessairesau maintien de la température de deux cubes et simule assez bien les dépensesd’entretien de l’enfant et de l’adulte. Cet exemple montre que les lois physiquesimposent, à degré d’isolation thermique identique, des niveaux de dépensed’énergie beaucoup plus élevés chez l’enfant que chez l’adulte.

46

BESOINS EN ÉNERGIE ET RENUTRITION

Page 63: Malnutrition physiopath

3-3-2 Composition corporelle et dépense énergétique

En raison de son faible rapport volume/surface, l’enfant doit pouvoirdisposer d’une isolation thermique supérieure à celle de l’adulte ou doit pouvoirbénéficier d’une production de chaleur plus élevée. La morphologie de l’enfant estplus ramassée, et il présente des formes arrondies, permettant certainement unemeilleure conservation de la chaleur. Notons que cette configurationmorphologique du jeune se retrouve dans toutes les espèces à sang chaud.L’efficacité de cette adaptation est cependant limitée et en fait l’enfant dépense parunité de poids plus d’énergie que l’adulte, simplement pour maintenir satempérature corporelle.

Il existe deux possibilités théoriques pour augmenter la production dechaleur et permettre à l’enfant de maintenir sa température stable. On peutconcevoir une augmentation quantitative généralisée de la consommationénergétique et de la production de chaleur au niveau de tous les organes. Uneaugmentation des dépenses énergétiques peut également être obtenue suite à unemodification de la composition corporelle en faveur des organes consommant del’énergie et produisant de la chaleur. Le foie, le cœur, le rein et le cerveau, parexemple, ont une activité métabolique (par kg de tissu) particulièrement élevée,plusieurs fois supérieure au métabolisme de l’organisme entier [FAO/OMS/UNU,1986] (Tableau IX). Une modification de la composition corporelle au profit de ces

organes entraîne automatiquement une augmentation de la consommationénergétique globale. Il semble que ce soit ce second mécanisme qui permette àl’enfant de maintenir constante sa température corporelle malgré un faible rapportpoids/surface : le cerveau, qui est un organe métaboliquement très actif, est pro-portionnellement beaucoup plus lourd chez l’enfant que chez l’adulte (Tableau X)[HOLLIDAY, 1971; FAO/OMS/UNU, 1986]. La part du cerveau dans les dépensesénergétiques de l’enfant est considérable et représente chez le nouveau-né près de

47

3-3 DÉPENSES ÉNERGÉTIQUES D’ENTRETIEN CHEZ L’ENFANT ET CHEZ L’ADULTE

Organe Consommation en énergie(kcal/kg de tissu/jour)

Foie 301Cerveau 241Cœur 381Rein 645Muscle 11

Tableau IX — Estimation de la consommation en énergie de différents organes.

Page 64: Malnutrition physiopath

la moitié de la consommation énergétique totale. À l’opposé, le muscle, dont ladépense énergétique est faible au repos, ne représente chez l’enfant qu’une faiblepartie de son poids corporel à l’inverse de chez l’adulte. La consommationmusculaire en énergie s’élève à environ 11 kcal/kg/jour, alors qu’elle atteint 80 à100 kcal/kg/jour pour l’organisme entier chez l’enfant.

Organe Poids de l’organe(% du poids de l’ensemble de l’organisme)

Enfant Adulte

Foie 20 27Cerveau 44 19Cœur 4 7Rein 7 10Muscle 5 18

3-3-3 Implications de besoins énergétiques d’entretien différents chez l’enfantet chez l’adulte.

Les organes métaboliquement très actifs, proportionnellement plus lourdschez l’enfant, assurent en outre des fonctions vitales et de ce fait, en cas d’apporténergétique insuffisant, leur masse ne peut être réduite, ou seulement à peine. Parcontre, le muscle et la graisse qui représentent une réserve nutritionnelle pour lemétabolisme en cas de déficit d’apport énergétique ne représentent qu’une faibleproportion du corps de l’enfant. Ces spécificités expliquent la vulnérabilité desenfants en cas de pénurie alimentaire. On comprend qu’en période de famine lesenfants soient particulièrement vulnérables et que leur état nutritionnel puisse sedégrader rapidement, en quelques semaines à peine, alors que les adultes sont euxbeaucoup plus résistants.

48

BESOINS EN ÉNERGIE ET RENUTRITION

Tableau X — Proportion du poids du corps correspondant aux différentsorganes chez l’enfant et chez l’adulte.

Page 65: Malnutrition physiopath

3-4 Besoins en énergie de l’enfanten cas de malnutrition grave

3-4-1 Besoins énergétiques d’entretien

Les dépenses d’entretien sont difficiles à estimer par la méthode de l’eaudoublement marquée chez les enfants gravement dénutris parce que lemétabolisme hydrique est perturbé et leur composition corporelle anormale. Ensituation de dénutrition, la mesure des apports énergétiques nécessaires pourmaintenir le poids corporel stable est une première méthode pour estimer lesbesoins d’entretien. L’interprétation de ce résultat est malaisée en raison desvariations quotidiennes de poids consécutives aux échanges d’eau corporelle. Enl’absence de gain de poids, une évaluation plus précise des besoins d’entretien estpossible par estimation de la consommation d’oxygène au repos.

Les résultats obtenus varient d’une étude à l’autre. Curieusement, un grandnombre d’entre elles indiquent que les dépenses énergétiques d’entretien sontaugmentées en cas de malnutrition grave [WATERLOW, 1992]. Ces résultatscontradictoires peuvent sans doute s’expliquer par l’influence de plusieurs facteursjouant à des degrés variables et en sens divers sur la consommation énergétique.

• Anomalies de la composition corporelle

En cas d’apport alimentaire insuffisant, l’enfant maigrit essentiellement auxdépens du muscle et de la graisse. Les tissus musculaires, et encore plus adipeux,consomment peu d’énergie relativement à leur masse. Le simple fait de leurdiminution suffit à relever la dépense énergétique corporelle par unité de poidscorporel. Certains organes, le cerveau en premier lieu, sont préservés même lorsd’un amaigrissement extrême. La malnutrition a donc pour conséquenced’accentuer les spécificités de la composition corporelle caractéristique del’enfant. Un enfant dénutri a en quelque sorte une composition corporelle qui serapproche de celle d’un enfant plus jeune. Ces modifications de compositioncorporelle permettent de comprendre l’augmentation paradoxale de la dépenseénergétique chez ces enfants (quand elle est exprimée par kg de poids corporel).Certaines caractéristiques cliniques de l’enfant dénutri, comme la tendance àl’hypoglycémie, la nécessité de consommer des repas fréquents, la tendance àprésenter des épisodes d’hypothermie, se rapprochent de celles du nourrisson. Cesmanifestations peuvent s’expliquer par un déséquilibre relatif entre la masse desorganes consommateurs (cerveau principalement) et les organes pouvant servir deréserve d’énergie en cas de jeûne (muscle, graisse).

49

3-4-1 BESOINS ÉNERGÉTIQUES D’ENTRETIEN

Page 66: Malnutrition physiopath

Le pourcentage d’eau corporelle totale augmente chez le sujet dénutri.Cette modification de la composition corporelle contribue, au contraire des pertestissulaires (muscle, graisse), à réduire la dépense énergétique d’entretienlorsqu’elle est exprimée par unité de poids corporel. En effet, si la massemétaboliquement active est noyée dans une masse corporelle totale augmentéepar une eau excédentaire, l’énergie consommée rapportée au poids du corps seraartificiellement abaissée.

• Adaptation à des apports énergétiques abaissés

L’enfant gravement dénutri s’est progressivement adapté à maintenir sesfonctions vitales avec des apports énergétiques bas. Ces fonctions tournent auralenti. La pompe sodium-potassium n’assure plus les échanges à vitesse normale,ce qui explique en partie les anomalies hydro-électriques observées au cours de lamalnutrition [WILLIS, GOLDEN, 1988]. Cette pompe a pour rôle d’extraire le sodiumprésent dans les cellules et d’y faire rentrer le potassium. Elle fonctionne enpermanence pour rétablir un équilibre instable qui vise à maintenir élevée laconcentration de potassium intracellulaire et basse la concentration de sodiumextra-cellulaire. Spontanément, ces taux ont tendance à revenir à des valeursinverses, proches des concentrations mesurées dans le sérum. Cette tendancenaturelle est due au passage d’ions au travers des membranes cellulaires qui nesont pas parfaitement étanches. Elle doit être compensée continuellement. Lefonctionnement de cette pompe représente en temps normal environ un tiers desdépenses énergétiques d’entretien. Un fonctionnement ralenti permetd’économiser une quantité importante d’énergie. Il faut cependant savoir quel’activité de la pompe sodium-potassium augmente chez les enfants atteints dekwashiorkor, sans doute pour faire face à une perméabilité excessive desmembranes cellulaires [WILLIS, GOLDEN, 1988]. Une réduction des dépensesénergétiques ne peut donc pas se faire de cette façon au cours du kwashiorkor.

La vitesse de renouvellement des protéines est corrélée aux apportsénergétiques [GOLDEN et al., 1977]. Il est vraisemblable que la vitesse derenouvellement des protéines soit réduite au cours de la malnutrition grave. Cetteactivité métabolique compte, en conditions normales, aussi pour un tiers environdes dépenses énergétiques et sa réduction permet des économies substantiellesd’énergie.

• Valeur des besoins en énergie pour l’entretien

La quantité d’énergie nécessaire à assurer les besoins pour l’entretien endébut d’une prise en charge nutritionnelle est tributaire de l’importance respectivedes modifications de la composition corporelle et de l’adaptation métabolique. Enpratique, on retiendra qu’elle varie selon les individus et que la quantité d’énergie

50

BESOINS EN ÉNERGIE ET RENUTRITION

Page 67: Malnutrition physiopath

nécessaire pour maintenir le statu quo chez l’enfant dénutri est comprise entre 80et 100 kcal/kg/jour [SPADY et al., 1976]. C’est l’apport qui sera proposé dans lerégime diététique lors de la mise en route d’une thérapeutique nutritionnelle.

3-4-2 Besoins énergétiques pour la croissance

Les besoins énergétiques nécessaires à la croissance sont difficiles àdéterminer chez l’enfant en bonne santé parce qu’au-delà de quelques mois devie, le gain de poids, exprimé en g/kg/jour, est faible. La vitesse de croissance,exprimée en g/kg/jour ne cesse en fait de décliner dès les premières semaines dela vie. Cette constatation devient évidente quand on porte sur un graphique lesaugmentations de poids correspondant aux normes NCHS (Figure 11) [HAMILL etal., 1979]. Le gain de poids quotidien d’un enfant âgé d’un an est voisin de1 g/kg/jour, environ 10 fois plus faible que celui d’un nouveau-né. Le pic decroissance de l’adolescence est à peine perceptible sur les courbes de croissanceexprimées en g/kg/jour et représentées à la même échelle que la croissancenéonatale. Les enfants dénutris en phase de réhabilitation nutritionnelle rapide ontles premiers servi pour tenter d’estimer ces besoins liés à la croissance [SPADY etal., 1976]. 51

3-4-2 BESOINS ÉNERGÉTIQUES POUR LA CROISSANCE

Figure 11 — Vitesse de croissance normale chez l’enfant de la naissance à l’âge de 18 ans,exprimée en g/kg/jour. Courbe calculée à partir des normes NCHS.

Âge (années)

Gai

n de

poi

ds (g

/kg/

jour

)

0,1 0,5 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18

Page 68: Malnutrition physiopath

Le coût énergétique de la croissance dépend à la fois de la valeurénergétique intrinsèque du tissu synthétisé et du rendement énergétique duprocessus métabolique permettant cette synthèse. Ces deux composantesdépendent de la nature du tissu synthétisé [ASHWORTH, MILLWARD, 1986]. Lavaleur énergétique de 1 g de masse grasse équivaut à 9,3 kcal. On estime que lerendement de la synthèse de tissu adipeux est proche de 90 % mais il varie en faitselon que cette synthèse s’effectue à partir des graisses alimentaires ou de novo àpartir des glucides du régime. En première approximation cependant, on peutadmettre que la synthèse de 1 g de tissu adipeux nécessite un apport de10,2 kcal.

L’équivalent énergétique de 1 g de protéines est de 4 kcal. La synthèse deprotéines s’effectue avec un rendement énergétique de l’ordre de 50 %[ASHWORTH, MILLWARD, 1986; ROBERTS, YOUNG, 1988]. Le coût énergétique élevé dela synthèse protéique s’explique essentiellement par la dépense exigée pour lasynthèse d’ARN messager et pour la formation des liens entre acides aminés(liaisons peptidiques). Ce rendement énergétique faible tient aussi au fait que lerenouvellement protéique est plusieurs fois supérieur à la synthèse protéiqueproprement dite. Le renouvellement continu des protéines tissulaires (sansaugmentation du capital protéique) est un processus métabolique intense[WATERLOW, 1991].

Les tissus maigres sont composés pour une grande proportion d’eau. Pourcette raison, le tissu maigre ne contient que 20 % environ de protéines. Sa valeurénergétique intrinsèque est donc seulement de 4 kcal/g x 20 %, soit 0,8 kcal/g.Comme le rendement de la synthèse de tissu maigre est de 50 %, le coûténergétique total de la formation de tissu maigre est de 1,6 kcal/g.

Si m est la proportion de tissu maigre synthétisé (et donc 1 - m la proportionde tissu adipeux synthétisé), le besoin énergétique (BE) nécessaire à la synthèsed’un gramme (1 g) de tissu neuf équivaut à :

BE/g = 1,6 kcal x m + 10,2 kcal x (1 - m).

Le coût énergétique de la synthèse tissulaire augmente avec la proportionde tissu adipeux. Au contraire, ce coût est d’autant plus faible que la quantité detissu maigre est importante (Figure 12). Dans le cas théorique où le tissu synthétiséserait composé uniquement de tissu maigre, le coût de la synthèse de 1 g de tissuserait de 1,6 kcal, alors qu’il s’élèverait à 10,2 kcal/g en cas de synthèse exclusivede graisse.

La quantité d’énergie nécessaire à la croissance est précisée au tableau XIen fonction du gain de poids. Chez l’enfant en bonne santé, au-delà de l’âge deun an, le gain de poids n’atteint plus même 1g/kg/jour. L’énergie nécessaire à lacroissance est donc faible, proche de 5 % des besoins de maintenance. Cetteproportion baisse constamment de la naissance à la puberté.

52

BESOINS EN ÉNERGIE ET RENUTRITION

Page 69: Malnutrition physiopath

Chez l’enfant amaigri en période de récupération nutritionnelle, le gain depoids est considérablement plus élevé que chez l’enfant bien nourri. Quel que soitl’âge, le gain de poids peut atteindre 15 à 20 g/kg/jour. Les besoins en énergienécessaires à la synthèse des tissus (croissance) deviennent considérables. Ilspeuvent dans certains cas dépasser la dépense énergétique d’entretien.

Tableau XI — Besoins en énergie pour la synthèse de nouveaux tissus en fonction du gainde poids.

Gain de poids Besoins en énergie pour la croissanceGp Ec = Gp x BE/g

(g/kg/jour) (kcal/kg/jour)

0 01 62 125 29

10 5915 8820 118

BE/g = coût énergétique de la synthèse d’un gramme de tissu. Dans cet exemple, il a été supposé que la proportion de tissumaigre m = 50 %, et que le besoin énergétique BE /g = 5,9 kcal/g.

53

3-4-2 BESOINS ÉNERGÉTIQUES POUR LA CROISSANCE

0

2

4

6

8

10

12

0,00 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100

Pourcentage de tissu maigre synthétisé (%)

Coû

t éne

rgét

ique

(kca

l) de

la sy

nthè

se d

e 1

g de

tiss

u

Coût total

Coût de la synthèse de lamasse maigre

Coût de la synthèse de lamasse grasse

Figure 12 — Coût énergétique du gain de poids en fonction de la composition du tissusynthétisé.

Pourcentage de tissu maigre synthétisé (%)

Coût total

Coût de la synthèse de la masse maigre

Coût de la synthèse de la masse grasse

Coû

t éne

rgét

ique

(kca

l) po

ur 1

g d

e tis

su

Page 70: Malnutrition physiopath

3-4-3 Besoins totaux en énergie

Les besoins totaux en énergie représentent le total des besoins d’entretien etdes besoins pour la croissance. Le tableau XII explicite les besoins en énergie d’unenfant en fonction de son gain de poids. La figure 13 illustre graphiquement cetterelation pour différentes proportions de tissu maigre synthétisé.

Tableau XII — Besoins en énergie d’un enfant malnutri en fonction de son gain de poids.

Gain de poids Total des besoins en énergieGp Et = Em + Ec

(g/kg/jour) (kcal/kg/jour)

0 901 962 1025 119

10 14915 17920 208

Em = énergie de maintenance.Ec = énergie pour la croissance. Dans cet exemple, il a été supposé que Em = 90 kcal/kg/jour etBE/g = 5,9 kcal/g (correspondant à l’exemple du tableau XI).

Les besoins en énergie d’un enfant gravement dénutri pendant la phase deconvalescence peuvent s’élever à plus de 200 kcal/kg/jour. Pour comparaison, unepersonne de 70 kg consomme d’ordinaire 2500 kcal/jour, soit 35 kcal/kg/jour. Unenfant dénutri peut donc consommer en phase de récupération jusqu’à 6 fois plusd’énergie par kg de poids corporel qu’un adulte. En pratique, il est difficile de faireprendre aux enfants des quantités d’aliments qui permettent d’atteindre cesniveaux d’énergie. Il faut avoir recours à des alimentations à très forte densitéénergétique, c’est-à-dire enrichies en huile végétale et en sucre.

Le tableau XII montre que des petites différences d’apports énergétiquespeuvent avoir un effet important sur le gain de poids. Par exemple, uneaugmentation des apports énergétiques de 90 à 208 kcal, soit une augmentationdes apports de 120 %, permet un gain de poids 20 fois supérieur. Ce modèlepermet de comprendre que le gain de poids lors de la phase de récupérationnutritionnelle est extrêmement dépendant de l’apport énergétique.

54

BESOINS EN ÉNERGIE ET RENUTRITION

Page 71: Malnutrition physiopath

3-4-4 Estimation de la compositiondes tissus synthétisés

Pour estimer la nature du gain de poids, on peut utiliser la relation qui liela composition du tissu synthétisé au coût énergétique de la croissance. Il faut dansun premier temps calculer le coût énergétique du gain de poids (BE/gobs) endivisant la différence entre les apports énergétiques et les besoins d’entretien parle gain de poids observé :

BE/gobs (kcal/g) =Apports en énergie (kcal) - besoins d’entretien (kcal) .

gain de poids (g)

Les besoins d’entretien sont estimés en multipliant le poids corporel par 90 kcal,ce qui correspond en première approximation à la valeur pour les dépensesd’entretien (90 kcal/kg/jour) (§ 3-4-1).

En inversant l’équation liant le coût énergétique de la croissance et la naturedu tissu synthétisé (§ 3-4-2), la proportion de masse maigre m dans les tissusnouvellement synthétisés est donnée par la formule :

m (%) =10,2 - BE/gobs .

(10,2 - 1,6)

55

3-4-4 ESTIMATION DE LA COMPOSITION DES TISSUS SYNTHÉTISÉS

0

50

100

150

200

250

0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20

66%

50%

33%

Gain de poids (g/kg/jour)

masse maigre synthétisée

Bes

oins

en

éner

gie

(kca

l/kg/

jour

)

Figure 13 — Besoins en énergie en fonction du gain de poids et de la nature du tissusynthétisé.

Page 72: Malnutrition physiopath

Cette méthode est la première historiquement à avoir permis d’estimer la naturedu tissu synthétisé [SPADY et al., 1976]. Elle présente l’avantage de faire appel à desimples données d’observation. Bien que les calculs fassent intervenir desvariables difficiles à connaître avec précision, la différence entre le coûténergétique de la synthèse de tissu adipeux et de tissu maigre est telle que lanature du tissu synthétisé peut être estimée de cette façon. Des méthodes pluscomplexes, faisant appel à des mesures de dilution isotopique, ont été utiliséesultérieurement. Elles donnent des résultats assez semblables et montrentqu’environ 50% du gain de poids est constitué de tissu maigre, tout au moins pourles enfants recevant un régime apportant en quantité suffisante les protéines et lesminéraux nécessaires à la croissance de tissu maigre [FJELD et al., 1989].

3-4-5 Qualité du régime et coût énergétique de la croissance

Le coût énergétique de la croissance permet également de vérifierindirectement la valeur nutritionnelle d’un régime. En première approximation, onpeut considérer que la synthèse de tissu adipeux ne nécessite que de l’énergie,alors que celle du tissu maigre nécessite un apport équilibré de tous les nutrimentsessentiels, notamment des nutriments de type II (§ 6-2-2). Un enfant en cours derenutrition qui recevrait un régime déséquilibré (composé de nutriment(s)limitant(s)) synthétisera préférentiellement de la graisse, et le coût énergétique decette croissance sera d’autant plus élevé [GOLDEN, GOLDEN, 1992].

Ces considérations permettent de comprendre que le coût énergétique dugain de poids est variable selon les études, oscillant de 5,5 à 9,7 kcal par gramme[SPADY et al., 1976; GRAHAM et al., 1996]. L’étude donnant l’estimation la plusélevée du coût énergétique de la croissance [GRAHAM et al., 1996] a été menéechez des enfants recevant des régimes apportant seulement 4,7 à 8 % de l’énergiesous forme de protéines. Ces enfants ne recevaient pas de supplémentation enminéraux adaptée à une croissance de rattrapage rapide, et leurs déficitspondéraux étaient faibles au départ, ce qui influence la nature de la synthèsetissulaire. Il est difficile de déterminer la part relative de ces différents facteurs pourexpliquer le coût énergétique élevé du gain de poids estimé dans cette étude.

Obtenir un gain de poids élevé, de l’ordre de 15 g/kg/jour en moyenne,pendant une phase de convalescence nutritionnelle traduit vraisemblablement unesynthèse préférentielle de masse maigre. Une prise de poids de cet ordre sous formede masse grasse ne serait possible qu’avec des apports énergétiques très élevés,difficiles à ingérer en pratique. Des gains de poids de ce type sont courammentobservés dans les situations d’urgence, lorsque des enfants amyotrophiques admisdans les centres de renutrition sont réalimentés avec des régimes riches en énergie,

56

BESOINS EN ÉNERGIE ET RENUTRITION

Page 73: Malnutrition physiopath

équilibrés en protéines et fortement supplémentés en minéraux. Si le gain de poidsreste faible, c’est le plus souvent parce que les apports énergétiques sont insuffisantsou parce que les aliments non lactés proposés entre les repas sont inadaptés pourla renutrition, c’est-à-dire que leur teneur en lipides est trop faible ou que leursupplémentation en minéraux est insuffisante.

3-5 Couverture des besoins en énergiechez l’enfant dénutri

3-5-1 Malnutrition grave

Dans une ration, la proportion de macronutriments (glucides, lipides,protéines) qui n’est pas utilisée pour la synthèse de nouveaux tissus est oxydée.Dans le cas des protéines, l’oxydation aboutit à la formation d’ammoniaquedevant être éliminée par le rein. Cette élimination se fait pour une faible part defaçon directe dans les urines, mais également, et dans une proportion plusimportante, sous forme d’urée après que cette ammoniaque ait été utilisée pourl’uréogenèse au niveau du foie. Chez l’enfant gravement dénutri, les fonctionshépatiques et rénales fonctionnent au ralenti et afin de ne pas les surcharger, laprudence recommande d’apporter uniquement les quantités de protéinesnécessaires pour assurer la croissance et de ne pas les utiliser comme sourced’énergie. Les glucides et les lipides représentent idéalement les seules sourcesd’énergie à utiliser au cours de la renutrition.

En début de traitement, quand l’enfant maintient un poids stable, sesbesoins en énergie sont relativement faibles mais peuvent être difficiles à couvrir.À ce stade, l’enfant souffre d’insuffisance pancréatique qui limite l’utilisation delipides. Par ailleurs, tout comme les jeunes enfants, les enfant dénutris tolèrent malles repas hyperosmolaires (7-3-2). Cette intolérance limite la possibilité d’emploide préparations alimentaires fortement sucrées. En principe, l’approche la pluslogique est de couvrir les besoins en énergie avec de faibles quantités de graisseset des polymères de glucose. Ces polymères peuvent être apportés par des farinesde céréales (riz par exemple), ou par des dextrines-maltose. Ces derniers n’existentpas sous forme naturelle, et il faut donc recourir à des aliments d’origineindustrielle. De faibles quantités de saccharose sont néanmoins souvent utilespour améliorer le goût et l’acceptabilité des repas.

Pendant la phase ultérieure de renutrition rapide, les contraintes sont moinssévères, et l’enfant tolère des repas nettement hyperosmolaires. Par ailleurs à cestade, la tolérance digestive aux lipides ne pose plus de problèmes cliniques,

57

3-5-1 MALNUTRITION GRAVE

Page 74: Malnutrition physiopath

même si l’efficacité de l’absorption est diminuée. Les enfants sont doncréalimentés avec des mélanges enrichis en huile et en sucre.

Les repas proposés pendant la phase de récupération rapide doivent avoirune densité énergétique importante. Il semble difficile d’obtenir des gains de poidsélevés avec des repas apportant moins de 100 kcal/100 ml. Notons que le lait devache, le lait de femme et les préparations lactées pour nourrissons de fabricationindustrielle n’apportent, aux dilutions habituelles, que 65 kcal/100 ml. Leurdensité énergétique ne permet donc pas d’induire une croissance de rattrapageoptimale. Rappelons que l’enfant en convalescence de malnutrition grossit plusvite que le nouveau-né (jusqu’à 20 g/kg/jour contre 8 à 10 g/kg/jour en moyenne).Il n’est donc pas surprenant de constater que les formules lactées ordinaires nesont pas adaptées à la récupération nutritionnelle.

Il a parfois été proposé d’utiliser des produits de réalimentation de densitéénergétique supérieure à 100 kcal/100 ml. L’avantage de ces préparations n’estpas démontré. Il n’a jamais été prouvé qu’elles permettaient réellement d’atteindreun gain de poids supérieur aux produits contenant 100 kcal/100 ml. Par ailleurs,ces préparations ne sont pas totalement dénuées de risques car elles ont uneosmolarité élevée [KOO et al., 1990]. Enfin, un jeune enfant nourri avec unepréparation trop concentrée en énergie (>135 kcal/100 ml) risque d’êtreinsuffisamment hydraté, ce qui peut provoquer l’apparition d’une fièvre.

3-5-2 Malnutrition modérée

L’apport énergétique de l’enfant modérément dénutri doit aussi reposer surles glucides et les lipides. Il est recommandé à ce stade-ci également de ne pasutiliser les protéines comme source d’énergie et de ne donner à l’enfant que lesquantités nécessaires à sa croissance (§ 4-5). Les protéines constituent par ailleursune source coûteuse d’énergie.

• Apport de glucidesSucre (saccharose)

Pour des raisons de coût, l’emploi du sucre est limité dans les régimesdestinés aux enfants modérément dénutris. Indépendamment de ces raisons, lesucre n’apporte que de l’énergie et aucune vitamine ni aucun sel minéral, et degrandes quantités ne sont donc guère conseillées du point de vue nutritionnel. Onconstate cependant qu’une ration qui contient 8 à 10 % de son énergie sous formede sucre est plus facilement acceptée. Il semble donc légitime d’ajouter un peu desucre dans ces aliments. Il est recommandé cependant de limiter cet apport desucre au minimum.

58

BESOINS EN ÉNERGIE ET RENUTRITION

Page 75: Malnutrition physiopath

Farines de céréales

Les farines de céréales sont généralement choisies pour couvrir la plusgrande partie de la ration énergétique dans les régimes destinés aux enfantsmodérément dénutris. Elles sont une source d’énergie parmi les moins coûteuses.Leur emploi dans les bouillies se heurte cependant à des restrictions parce qu’àconcentrations élevées elles augmentent très fortement la viscosité despréparations. Il a été proposé de contourner cette difficulté en les fluidifiant avecde l’amylase [GOPALDAS et al., 1988]. Cette technique a connu une certaine vogueà l’époque où les déficits en énergie étaient considérés comme cause principalede dénutrition. Avec certaines formes d’amylase, les bouillies produites risquentd’être hyperosmolaires si la technique n’est pas bien maîtrisée. Ajouter del’amylase à une bouillie semble faciliter la digestion de l’amidon, particulièrementchez le jeune enfant dont la fonction pancréatique est immature ou chez l’enfantmodérément dénutri [WEAVER et al., 1995]; cette addition ne semble pas influencervraiment le gain de poids [STEPHENSON et al., 1994]. Un problème de viscositéexcessive ne se pose que pour les bouillies sans lipides ajoutés, très concentréesen farine en vue d’accroître la densité énergétique. Si on augmente la densitéénergétique en ajoutant des lipides, ce problème semble moins préoccupant.

Les farines précuites par cuisson-extrusion sont très utilisées dans l’aidealimentaire [HARPER, JANSSEN, 1985]. Cette technique consiste à faire cuire lesfarines en les comprimant violemment au moyen d’une vis les projetant dans unefilière étroite. Cette technique de pré-cuisson augmente la digestibilité de l’amidonet la conservation des farines : celles-ci contiennent en effet toujours un peu degraisses qui s’oxydent et prennent un goût désagréable au bout de quelquessemaines si les lipases présentes dans la graine ne sont pas détruites par la chaleur.

Les farines préparées par cuisson-extrusion ne sont pas “instantanées” etdoivent être cuites avant l’emploi pendant une dizaine de minutes. Cette cuissona l’avantage de réduire les risques de pullulation microbienne en cas decontamination bactérienne. Cette technique a connu un développement brusquesuite aux opérations humanitaires menées dans la corne de l’Afrique au début desannées 90. Dans de nombreuses capitales africaines, on a vu se monter des usinesfabriquant ces aliments. Les bénéfices apportés par la distribution des alimentsprécuits dans les programmes de prise en charge des cas de malnutrition modéréene sont cependant pas établis. On observe fréquemment que les gains de poidslorsque les enfants dénutris reçoivent ces aliments sont faibles. La cause de cerésultat médiocre n’est pas connue.

La digestibilité des aliments préparés par cuisson-extrusion est en principeexcellente. Elle peut être néanmoins faible si la montée en température lors de lacuisson est insuffisante en raison d’un réglage imparfait de l’extrudeur. Il est paressence difficile d’évaluer la digestibilité de ces produits. Les techniques de

59

3-5-2 MALNUTRITION MODÉRÉE

Page 76: Malnutrition physiopath

mesure in vitro de digestibilité de ces aliments sont complexes et ne sontmaîtrisées que par quelques laboratoires spécialisés [ENGLYST et al., 1992]. On saità présent que les méthodes simples de mesure de digestibilité in vitro ne sont pastoujours prédictives de la digestibilité in vivo [DESJEUX, 1996]. Les méthodes faisantappel à la mesure de l’élimination du carbone 13 dans l’air expiré donnent lesmesures de digestibilité les plus fiables. Il en est de même pour les études deperfusions avec récolte d’échantillons dans l’iléon, menées chez des volontairessains [DESJEux, 1996]. Aucune de ces méthodes n’est d’usage courant.

Une digestion incomplète de ces farines n’a vraisemblablement pas deconséquence clinique perceptible : les glucides non digérés dans l’intestin grêlesont fermentés dans le colon. Cette récupération d’énergie par la flore colique peutavoir un effet favorable sur la réabsorption d’électrolytes [DESJEUX, 1996]. Lerendement énergétique des glucides non digérés et fermentés est cependant faible[ENGLYST et al., 1992]. La fermentation colique produit des acides gras à chaînecourte qui sont absorbés puis métabolisés par l’organisme. Le rendement global estinférieur de moitié à celui obtenu quand les glucides sont normalement digérésdans l’intestin grêle. Ces produits de dégradation pourraient également avoir uneffet sur la satiété, retardant le retour de l’appétit après les repas [TURCONI et al.,1995].

La granulométrie des farines précuites est très variable. On sait qu’en règlegénérale, les farines les plus fines sont plus rapidement digérées mais rassasientmoins que les farines grossièrement moulues [HOLT, MILLER, 1994]. Cependant, onne connaît pas l’importance de ce facteur sur la prise alimentaire et le gain depoids des enfants en phase de récupération nutritionnelle.

Les questions que l’on se pose à propos de ces farines méritent l’attention.Il est certain que la pré-cuisson impose un surcoût qu’il serait inopportun de fairesupporter à des programmes déjà limités par des contraintes importantes si il neprésente aucun avantage nutritionnel. La cuisson des farines par ébullition suivied’une consommation immédiate permet une bonne digestion des céréales et iln’est peut être pas nécessaire de la remplacer par un procédé industriel coûteux.

• Apport de lipides

De 30 à 50 % de la ration énergétique totale devraient être fournis sousforme lipidique lors de la prise en charge diététique de la malnutrition modérée.La plupart des comités de nutrition pédiatrique recommandent pour les enfants desapports de cet ordre dans une ration normale. Récemment, les instances scien-tifiques de plusieurs pays riches se sont inquiétées de ce que des parentsappliquaient ordinairement à leurs enfants des régimes alimentaires à faible teneuren graisses, à l’image de ce qui est recommandé chez l’adulte pour prévenir lesmaladies cardio-vasculaires. Les Comités de Nutrition insistent sur l’importance de

60

BESOINS EN ÉNERGIE ET RENUTRITION

Page 77: Malnutrition physiopath

donner à l’enfant des quantités suffisantes de graisses [American Academy ofPediatrics, 1986; EPSGAN, 1994]. L’enfant semble particulièrement attiré par lesaliments gras, peut-être parce que les substances qui donnent du goût aux alimentssont liposolubles [BIRCH, 1992]. L’anorexie qui accompagne la malnutrition peutêtre combattue en jouant sur cette attirance pour les aliments gras en vue defaciliter la réalimentation. Chez le rat, la préférence innée pour les lipides setrouve encore accentuée en cas de malnutrition [SCLAFANI, ACKROFF, 1993]. Il estvraisemblable que la malnutrition induise, chez l’enfant également, unemodification d’appétence similaire.

Les régimes pauvres en lipides sont fréquemment associés à la survenue dediarrhées [DODGE, 1994]. Ces diarrhées ne sont pas dues à la présence de germesspécifiques et régressent en quelques jours après enrichissement de la ration enlipides. Certains expliquent cette diarrhée par un excès relatif mais aussi absolu deglucides dans la ration.

Une quantité minimale de lipides est nécessaire pour couvrir les besoins enacides gras essentiels chez l’enfant dénutri. Il semble imprudent d’apporter moinsde 30 % de l’énergie totale sous forme de lipides. En effet ces enfants, en raisonde leur vitesse de croissance accélérée, ont des besoins en énergie et en acidesgras essentiels plus élevés que les enfants bien nourris. On constatemalheureusement que de nombreux programmes de supplémentationnutritionnelle fournissent des denrées alimentaires très pauvres en lipides. Lesrégimes pauvres en lipides sont en théorie uniquement recommandés auxpersonnes cherchant à perdre du poids.

Enrichir la ration en lipides est difficile et pour des raisons de coût et pourdes raisons d’ordre technologique. On peut ajouter manuellement de l’huilevégétale à de la farine, mais cette opération accroît fortement la surface de contactentre l’huile et l’air ambiant, ce qui favorise le rancissement. Les farines mélangéesà des lipides selon ce procédé ne se conservent qu’une à deux semaines, enfonction de la température. On peut procéder autrement et, à une échelleindustrielle, incorporer des lipides protégés dans une enveloppe glucidique ouprotéique. Le coût de cette technique est élevé. On peut encore conditionner lesfarines mélangées aux lipides dans des emballages étanches contenant un gazneutre (gaz carbonique ou azote). Là également on se heurte à un problème decoût. La distribution d’huile liquide incorporée à domicile dans la bouillie par lamère reste certainement la solution la plus économique. Elle nécessite de faire desdémonstrations lors de chaque distribution si l’on veut que les proportionsoptimales d’huile et de farine soient respectées.

61

3-5-2 MALNUTRITION MODÉRÉE

Page 78: Malnutrition physiopath

3-5-3 Densité énergétique des bouillies destinéesà la réalimentation

On recommande généralement que la densité énergétique de la bouilliereconstituée soit voisine de 100 kcal/100 ml. Ces produits permettent d’obtenir desgains de poids très élevés, supérieurs à ceux visés dans les programmes de priseen charge des formes modérées de dénutrition. Le lait maternel, avec une densitéde 65 kcal/100 ml permet un gain de poids de 8 g/kg/jour, également supérieur aubut visé. En fait, la densité énergétique minimale à respecter est en relation étroiteavec la fréquence des repas [BROWN et al., 1995] : des repas de densitéénergétique relativement faible permettent de couvrir les besoins énergétiques si lenombre de repas est élevé. Le lait de femme permet une croissance rapide malgréune densité énergétique faible, sans doute parce qu’il est donné sous forme derepas répétés et fréquents.

3-5-4 Aliments solides

C’est presque une tradition ancrée de donner aux enfantsmodérément dénutris les aliments sous forme de bouillies. Les biscuits riches enénergie présentent cependant certains avantages. Ils sont fréquemment utilisés dansles situations d’urgence. Leur teneur en eau est faible et ils sont donc résistants à lacontamination bactérienne : en effet, les bactéries ne se développent pas en dessousd’une teneur hydrique minimale. Les biscuits ne demandent pas de préparationavant leur consommation : ils peuvent être grignotés toute la journée, ce quiconstitue un avantage certain quand on cherche à fournir des apports énergétiquesélevés. Ils ont l’inconvénient d’être coûteux. On ne sait pas dans quelle mesure lesenfants consomment des quantités équivalentes de farines lorsque celles-ci sontpréparées sous forme de biscuit ou sous forme de bouillie. Enfin, le risque est réelde les voir revendus ou échangés plutôt que donnés à un enfant peu malade.L’intérêt des biscuits par rapport aux bouillies demande à être évalué.

Références

American Academy of Pediatrics. Committee on Nutrition [1986]. Prudent life style forchildren: dietary fat and cholesterol. Pediatrics 78, 521-525.

ASHWORTH A., MILLWARD D.J. [1986]. Catch-up growth in children. Nutr. Rev. 44, 157-163.

BIRCH L.L. [1992]. Children’s preferences for high-fat foods. Nutr. Rev. 50, 249-255.

62

BESOINS EN ÉNERGIE ET RENUTRITION

Page 79: Malnutrition physiopath

BROWN K.H., SANCHEZ-GRINAN M., PEREZ F., PEERSON J.M., GANOZA L., STERN J.S. [1995].Effects of dietary energy density and feeding frequency on total daily energy intakesof recovering malnourished children. Am. J. Clin. Nutr. 62, 13-18.

COWARD W.A. [1988]. The doubly labelled water (2H218O) method : principles and

practices. Proc. Nutr. Soc. 47, 209-218.

DESJEUX J.F. [1996]. Digestion et absorption. In: Encycl. Méd. Chir. Endocrinologie Nutrition10-351-A-10. Paris : Elsevier.

DODGE J.A. [1994]. Dietary fats and gastrointestinal function. Eur. J. Clin. Nutr. 48 (Suppl 2),S8-S16.

ENGLYST H.N., KINGMAN S.M., CUMMINGS J.H. [1992]. Classification and measurement ofnutritionnally important starch fractions. Eur. J. Clin. Nutr. 46 (Suppl 2), S33-S50.

EPSGAN Committee on Nutrition [1994]. Committee report : Childhood diet andprevention, of coronary heart disease. J. Ped. Gastroenterol. Nutr. 19, 261-269.

FAO/OMS/UNU [1986]. Besoins énergétiques et besoins en protéines. Série RapportsTechniques 724. Genève: OMS.

FJELD C., SCHOELLER D.A., BROWN K.H. [1989]. Body composition of children recoveringfrom severe protein-energy malnutrition at two rates of catch-up growth. Am. J. Clin.Nutr. 50, 1266-1275.

GOLDEN B.E., GOLDEN M.H.N. [1992]. Effect of zinc on lean tissue synthesis during recoveryfrom denutrition. Eur. J. Clin. Nutr. 46, 697-706.

GOLDEN M.H.N., WATERLOW J.C., PICOU D. [1977]. The relationship between dietary intake,weight change, nitrogen balance and protein turn over in man. Am. J. Clin. Nutr. 30,1345-1348.

GOPALDAS T., MEHTA P., CHINNAMMA J. [1988]. Bulk reduction of traditonal Indian weaninggruels. In : Improving young child feeding in eastern and southern Africa. Ottawa:IDRC-CIDA, p. 330-339.

GRAHAM G.G., MACLEAN W.C., BROWN K.H., MORALES E., LEMBCKE J., GASTANADUY A. [1996].Protein requirements of infants and children: growth during recovery fromdenutrition. Pediatrics 97, 499-505.

HAMILL P.V.V., DRIZD T.A., JOHNSON C.L., REED R.B., ROCHE A.F., MOORE W.M. [1979].Physicalgrowth: National Center for Health Statistics Percentiles. Am. J. Clin. Nutr. 32, 607-629.

HARPER J.M., JANSEN G.R. [1985]. Production of nutritious precooked foods in developingcountries by low-cost extrusion technology. Food Rev. Int. 1, 29-97.

HOLLIDAY M.A. [1971]. Metabolic rate and organ size during growth from infancy tomaturity and during late gestation and early infancy. Pediatrics 47, 169-179.

HOLT S.H.A., MILLER J.B. [1994]. Particle size, satiety and the glycaemic response. Eur. J.Clin. Nutr. 48, 496-502.

KOO W.W.K., POH D., LEONG M., TAM Y.K., SUCCOP P., CHECKLAND E.G. [1990]. Osmotic loadfrom glucose polymers. JPEN 15, 144-147.

PRENTICE A.M., LUCAS A., DAVIES P.S.W., WHITEHEAD R.G. [1988]. Are current guidelines foryoung children a prescription for overfeeding ? Lancet ii, 1067-1069.

63

RÉFÉRENCES

Page 80: Malnutrition physiopath

ROBERTS S.B., YOUNG V.R. [1988]. Energy costs of fat and protein deposition in the humaninfant. Am. J. Clin. Nutr. 48, 951-955.

SCLAFANI A., ACKROFF K. [1993]. Deprivation alters rats’ flavor preferences for carbohydratesand fats. Physiol. Behav. 53, 1091-1099.

SPADY D.W., PAYNE P.R., PICOU D., WATERLOW J.C. [1976]. Energy balance during recoveryfrom denutrition. Am. J. Clin. Nutr. 29, 1073-1078.

STEPHENSON D.M., MEEKS GARDNER J.M., WALKER S.P., ASHWORTH A. [1994]. Weaning foodviscosity and energy density : their effects on ad libitum consumption and energyintake in Jamaican children. Am. J. Clin. Nutr. 60, 465-469.

TURCONI G., BAZZANO R., CARAMELLA R., PORRINI M., CROVETTI R., LANZOLA E. [1995]. Theeffects of high intakes of fibre ingested at breakfast on satiety. Eur. J. Clin. Nutr. 49(Suppl 3), S281-S285.

WATERLOW J.C. [1991]. Protein-energy interrelationships during rapid growth. In: SCRIMSHAW

N.S, SCHÜRCH B. (eds.). Protein-energy interactions. Proceeding IDECG meetingOctober 1991. Lausanne: IDECG/Nestlé Foundation, p. 183-190.

WATERLOW J.C. [1993]. Protein energy malnutrition. London: Edward Arnold.

WEAVER L.T., DIBBA B., SONKO B., BOHANE T.D., HOARE S. [1995]. Measurement of starchdigestion of naturally 13C-enriched weaning foods, before and after partial digestionwith amylase-rich flour, using a 13C breath test. Br. J. Nutr. 74, 531-537.

WILLIS J.S., GOLDEN M.H.N. [1988]. Active and passive transport of sodium and potassiumions in erythrocytes of severely malnourished Jamaican children. Eur. J. Clin. Nutr.42, 635-645.

64

BESOINS EN ÉNERGIE ET RENUTRITION

Page 81: Malnutrition physiopath

4 – Besoins en protéineset renutrition

4-1 IntroductionComme tous les mammifères, l’enfant est incapable de fixer l’azote de l’air

pour synthétiser les protéines nécessaires à couvrir ses besoins. L’essentiel del’azote doit lui être fourni sous forme d’acides aminés provenant de ladégradation des protéines endogènes ou alimentaires. Les besoins en protéiness’expliquent par cette incapacité de fixer directement l’azote présent dansl’environnement.

Certains acides aminés peuvent être synthétisés par fixation d’ungroupement aminé sur un squelette carboné présent dans l’organisme. Pourd’autres acides aminés cependant, la synthèse de ce squelette carboné n’est paspossible. Ces acides aminés sont dits essentiels et doivent être apportés parl’alimentation. C’est pourquoi on définit, en plus des besoins en protéines, desbesoins en acides aminés essentiels.

Les besoins quotidiens en protéines [FAO/OMS/UNU, 1986; DEWEY et al.,1996] sont souvent exprimés en quantité d’azote par jour parce que les bilansjournaliers de protéines sont calculés d’après le dosage de l’azote, et non pas desprotéines elles-mêmes. Pour convertir le besoin azoté en besoin protéique, onutilise un coefficient établi sur la constatation globale que 1 g d’azote correspondà 6,25 g de protéines. L’estimation de ce coefficient est basée sur la quantitémoyenne d’azote présente par gramme de protéine. Cette quantité variecependant d’une protéine à l’autre et le coefficient moyen utilisé est uneapproximation. Certains aliments contiennent de l’azote qui n’est pas présentsous forme de protéines : c’est par exemple le cas du lait de femme qui contientjusqu’à un quart de son azote total sous forme d’urée. Une partie de cet azote nonprotéique peut être convertie en acides aminés indispensables par la floreintestinale, selon un mécanisme qui n’est pas sans analogie avec celui observéchez les ruminants [PICOU, PHILIPS, 1972]. L’importance de cette voie métaboliquecolique est cependant mal quantifiée.

65

Page 82: Malnutrition physiopath

4-2 Besoins pour la croissanceet besoins d’entretien

Une partie des acides aminés provenant de la dégradation des protéinesalimentaires est utilisée pour la synthèse de protéines endogènes qui participent àla croissance tissulaire. Cette quantité de protéines correspond aux besoins pourla croissance. Au cours de son métabolisme, l’organisme oxyde aussi, et de façonirréversible, un certain nombre d’acides aminés. L’essentiel de l’azote ainsi libéréest ensuite éliminé sous forme d’urée et d’ammoniaque dans l’urine. Ces pertesazotées métaboliques et l’ensemble des déperditions d’azote qui se produisent auniveau du tube digestif, de la peau et des phanères, sont dites pertes obligatoires :elles doivent être quotidiennement remplacées. Les besoins ainsi créés sontappelés besoins d’entretien.

L’enfant dénutri maintient un poids stationnaire en début de traitement aussilongtemps que les problèmes médicaux dont il souffre ne sont pas pris en charge.Ses besoins en protéines sont alors proches des besoins d’entretien d’un enfantbien nourri de même poids. Pendant la phase de récupération nutritionnellerapide, l’enfant reprend un rythme de croissance de 10 à 20 fois supérieur à celuid’un enfant sain de même âge. Les besoins de croissance sont alors augmentésd’autant. La séparation des besoins protéiques de l’enfant sain en besoinsd’entretien d’une part et besoins de croissance d’autre part permet de mieuxdéfinir quels sont les besoins de l’enfant dénutri aux différents stades de saconvalescence. Ces deux composantes ont été particulièrement bien étudiéeschez l’enfant de plus de six mois.

4-3 Besoins en protéines de l’enfant sain âgé de plus de 6 mois

Le comité FAO/OMS de 1985 a utilisé la méthode dite “factorielle” pourestimer les besoins protéiques de l’enfant de plus de 6 mois [FAO/OMS/UNU,1986]. Cette méthode consiste à estimer séparément d’une part, les besoinsd’entretien, nécessaires pour compenser les pertes obligatoires d’azote, et d’autrepart, les besoins nécessaires pour assurer la croissance.

66

BESOINS EN PROTÉINES ET RENUTRITION

Page 83: Malnutrition physiopath

4-3-1 Besoins d’entretien

Les besoins d’entretien en protéines sont difficiles à estimer chez l’enfant.La méthode la plus fiable consiste à mesurer la quantité minimale de protéinesnécessaire pour équilibrer le bilan azoté d’un enfant dont le poids estvolontairement maintenu à un niveau stationnaire [CHAN, WATERLOW, 1966;HUANG et al., 1980]. Ce mode d’étude soulève des problèmes éthiques et ne peutpas être répété. Le rapport FAO/OMS/UNU [1986] se base sur les données établiessur quelques dizaines d’enfants à peine pour estimer les besoins de la tranched’âge comprise entre 6 et 59 mois. Selon ce comité, les besoins d’entretien sontcompris entre 80 et 118 mg d’azote par kg et par jour. Le chiffre de 120 mg a étéretenu pour formuler une recommandation. Rappelons que lors des bilans azotés,on ne mesure pas les pertes protéiques mais qu’elles sont calculées (au moyend’un coefficient de conversion) d’après l’estimation des pertes d’azote excrétéessentiellement sous forme d’urée et d’ammoniaque. La valeur retenue par lecomité (120 mg d’azote/kg/jour) correspond donc à environ 0,75 g/kg/jour deprotéines. Un chiffre plus élevé, compris entre 0,88 g/kg/jour et 0,95 g/kg/jour, arécemment été proposé pour la tranche d’âge allant de 4 à 12 mois sur la based’une extrapolation des pertes observées chez l’enfant exclusivement allaité[FOMON et al., 1991]. Le comité de l’IDECG (International Dietary EnergyConsultative Group), qui s’est réuni en 1994, a repris les données d’une autre séried’études, et propose un besoin d’entretien équivalent à 90 mg d’azote/kg/jour[Dewey et al., 1996], soit 0,56 g/kg/jour de protéines. D’une façon générale, onadmet que les besoins en protéines, ramenés au kg de poids corporel, sontrelativement constants chez l’enfant et que les valeurs retenues par les différentscomités sont assez proches de celles estimées chez l’adulte (0,7 g/kg/jour).

4-3-2 Besoins pour la croissance

Le tableau XIII expose le procédé utilisé par le Comité FAO/OMS/UNUpour calculer les besoins azotés nécessaires à la croissance (dont est dérivéel’estimation des besoins en protéines). Les besoins protéiques pour la croissancesont estimés d’après l’accroissement du capital de protéines (ou du capital d’azoteNacc) présentes dans l’organisme. Relativement au poids, ce besoin en protéinesne cesse de décroître avec l’âge, car la vitesse de croissance elle-même ne cessede décroître de la naissance jusqu’au début de l’adolescence (§ 3-4-2).

Les quantités de protéines synthétisées et incorporées dans les tissus tout aulong de la croissance sont calculées en se basant sur la courbe de croissancepondérale et en extrapolant au départ de mesures répétées de la compositioncorporelle. Pour estimer les besoins en protéines intervenant dans la croissance à

67

4-3-2 BESOINS POUR LA CROISSANCE

Page 84: Malnutrition physiopath

partir de la quantité de protéines synthétisées, le Comité FAO/OMS/UNU [1986]a proposé de majorer les besoins de 50 %, sachant que la croissance estirrégulière. L’enfant n’est, en effet, pas en mesure de stocker d’un jour à l’autre lesprotéines dont il a besoin, et les protéines apportées en excès des besoins nepeuvent pas être utilisées le lendemain pour compenser un apport plus faible.

On admet que la quantité de protéines nécessaire à la synthèse d’ungramme de protéines tissulaires est égale à la quantité synthétisée divisée par uncoefficient de rendement variable selon la protéine alimentaire. Ce rendement esttoujours inférieur à un. Pour une alimentation à base de lait, le coefficient estimévarie entre 70 % et 90 % [CHAN, WATERLOW, 1966; HUANG et al., 1980; FOMON etal., 1991].

On admet généralement que la masse maigre contient 20 % de protéines,les tissus maigres, comme le muscle par exemple, contenant surtout de l’eau[Fomon et al., 1982]. À titre d’exemple, un enfant qui grossit de 100 g, composésde 50 % de masse maigre, ne synthétise en fait que 50 g de tissu maigre necontenant que 10 g de protéines. Si son alimentation est exclusivement lactée, cebesoin sera couvert en apportant 10g/0,9, soit 11 g, de protéines du lait si lecoefficient de rendement est de 90 %. Cette quantité de protéines se retrouve dansenviron un litre de lait de femme ou dans 350 ml de lait de vache.

Tableau XIII — Estimation des besoins azotés destinés à la croissance (d’après les donnéesdu comité FAO/OMS/UNU de 1985).*

Âge Rétention azotée Rétention azotée majorée Besoins pour la croissance(mois) de 50 % (variations majorés une 2e fois pour tenir

journalières) compte du rendement (70 %)Nacc Nmaj = Nacc x 1,5 Nc = Nmaj /70 %

(mg N/kg/jour) (mg N/kg/jour) (mg N/kg/jour)

4–6 47 70 1006–9 37 56 809–12 30 45 64

12–18 19 29 4118–24 14 22 3124–36 13 20 2836–48 11 17 2448–60 10 15 21

* Le rapport FAO/OMS publié en 1986, dans son tableau 33, ne donne que les besoins pourla croissance (colonne Nc). Les colonnes Nacc et Nmaj ont été reconstituées.

68

BESOINS EN PROTÉINES ET RENUTRITION

Page 85: Malnutrition physiopath

4-3-3 Besoins totaux et besoins relatifs en protéines pour la croissance et pour l’entretien

Les besoins totaux en protéines se calculent en faisant la somme des besoinsestimés pour la croissance et de ceux nécessaires à l’entretien (Tableau XIV). Lesbesoins d’entretien, exprimés par kg de poids corporel, varient peu pendant lespremières années de la vie tandis que les besoins pour la croissance diminuentavec le temps. Le rapport entre besoins de croissance et d’entretien ne cesse debaisser quand l’âge de l’enfant augmente. Alors que les besoins pour la croissancecorrespondent environ à la moitié des besoins totaux à la naissance, ils nereprésentent plus que le cinquième des besoins totaux à deux ans.

4-3-4 Niveaux de sécurité pour l’apport protéique

Pour ne pas recommander des apports qui seraient trop faibles pour certainsindividus, le comité FAO/OMS/UNU de 1985 a introduit le concept de “Niveau desécurité de l’apport en protéines”. Cette quantité de protéines sert de base pour lesrecommandations actuelles à l’échelon européen [CEE, 1993]. Elle est dérivée desbesoins calculés au moyen d’un nouveau coefficient dit “de sécurité” et destiné àtenir compte des variations des besoins entre individus (Tableau XV). Rappelonsque pour le calcul des besoins eux-mêmes, deux majorations successives sont déjàintroduites, l’une pour tenir compte des variations de la croissance au cours dutemps chez un même individu et l’autre pour prendre en considération lerendement imparfait de la synthèse protéique (Tableau XIII).

69

4-3-4 NIVEAUX DE SÉCURITÉ POUR L’APPORT PROTÉIQUE

Tableau XIV — Estimation des besoins totaux en protéines exprimés en azote et enprotéines [FAO/OMS/UNU, 1986].

Âge Besoins Besoins pour la Besoins totaux Équivalent en protéines(mois) d’entretien croissance

M Nc Ntot = M + Nc Ptot = Ntot. x 6,25/1000(mg N/kg/jour) (mg N/kg/jour) (mg N/kg/jour) (g protéines/kg/jour)

4–6 120 100 220 1,386–9 120 80 200 1,259–12 120 64 184 1,15

12–18 119 41 160 1,0018–24 119 31 150 0,9424–36 118 28 146 0,9136–48 117 24 141 0,8848–60 116 21 137 0,86

Page 86: Malnutrition physiopath

Malgré toutes les majorations utilisées aux différents stades de leurestimation par l’introduction de facteurs correctifs successifs, le niveau de sécuritéde l’apport en protéines reste en fait un chiffre relativement faible. Selon cesrecommandations, un enfant de un an aura besoin de 1,26 g de protéines par kget par jour. Par comparaison, les enfants dans les pays riches reçoivent enmoyenne le triple environ de ce niveau de sécurité [DEHEEGER et al., 1994].

Les estimations du Comité FAO/OMS/UNU ont été publiées en 1986. Ellessont donc relativement anciennes. Les estimations les plus récentes remettent encause l’utilisation des différents facteurs correctifs qui tous tendent à augmenter leniveau des recommandations. Les besoins de sécurité retenus par le comité del’IDECG de 1994 pour les enfants âgés de moins de 12 mois sont donc légèrementinférieurs à ceux de 1985 (Tableau XVI). Les chiffres obtenus sont basés sur unbesoin d’entretien de 90 mg d’azote par kg/jour, un coefficient d’utilisation desprotéines de 70% et un seul facteur correctif tenant compte à la fois des variationsjournalières et individuelles de la croissance. Cette réévaluation à la baisse desbesoins renforce encore la conclusion que les enfants en Europe et aux États-Unisreçoivent des quantités de protéines très supérieures à leurs besoins.

Tableau XV — Estimation des niveaux de sécurité pour l’apport en protéines, exprimés enazote et en protéines [FAO/OMS/UNU, 1986].

Âge Besoins Coefficient Majoration des Total Équivalent(mois) totaux de variation besoins pour correspondant en protéines

individuelle variations aux apportsindividuelles de sécurité

Ntot CV majN = Total = Total x 6,25/1000Ntot x 2CV/100 Ntot + majN

(mg N/kg/jour) (%) (mg N/kg/jour) (mg N/kg/jour) (g prot./kg/jour)

4–6 220 17,5 77 297 1,856–9 200 16 64 264 1,659–12 184 14,5 53 237 1,48

12–18 160 13 42 202 1,2618–24 150 12,5 38 188 1,1724–36 146 12 35 181 1,1336–48 141 12 34 175 1,0948–60 137 12 33 170 1,06

70

BESOINS EN PROTÉINES ET RENUTRITION

Page 87: Malnutrition physiopath

4-3-5 Besoins en acides aminés essentiels

Les acides aminés essentiels sont, à quelques variations près, les mêmespour tous les mammifères. La majeure partie des acides aminés essentiels présentsdans l’alimentation ne peuvent donc à l’origine être synthétisés que par des plantesou des bactéries. Les acides aminés essentiels présents dans la viande de ruminantsont pour une large part synthétisés par les bactéries présentes dans leur tubedigestif.

Les mammifères ont sans doute pu perdre au cours de l’évolution leurcapacité de synthèse de certains acides aminés par le fait qu’ils étaient présents enabondance dans leur alimentation [CARPENTER, 1992]. Les carences en acidesaminés indispensables ne risquent de survenir qu’en conditions très particulières,en pratique lors de la consommation d’un régime monotone basé sur peud’aliments.

4-3-6 Profils d’acides aminés essentielsProfils de référence

Les protéines alimentaires ne peuvent être utilisées intégralement que si lesacides aminés qu’elles fournissent correspondent exactement aux besoinsquantitatifs et qualitatifs de l’organisme qui les consomme. Pour déterminer la

71

4-3-6 PROFILS D’ACIDES AMINÉS ESSENTIELS

Tableau XVI — Apports de sécurité en protéines jusqu’à l’âge de 12 mois, exprimés enazote et en protéines, retenus par l’International Dietary EnergyConsultative Group en 1994 [DEWEY et al., 1996].

Âge Besoins Coefficient Majoration des Total Équivalent(mois) totaux de variation besoins pour correspondant en protéines

individuelle variations aux apportsindividuelles de sécurité

Ntot CV majN = Total = Total x 6,25/1000Ntot x 2CV/100 Ntot + majN

(mg N/kg/jour) (%) (mg N/kg/jour) (mg N/kg/jour) (g prot./kg/jour)

0–1 319 17,6 112 431 2,691–2 247 15,9 79 326 2,042–3 190 14,4 55 245 1,533–4 170 13,9 47 219 1,374–5 156 14,2 44 200 1,255–6 147 14,6 43 190 1,196–9 136 14,2 39 175 1,099–12 124 15,6 39 163 1,02

Page 88: Malnutrition physiopath

valeur nutritionnelle d’une protéine, il est habituel de calculer un indice chimique.Celui-ci consiste à établir le taux de chaque acide aminé, exprimé en mg pargramme de protéine, et de le comparer à un profil de référence. Les besoins enacides aminés essentiels varient avec l’âge. C’est pourquoi l’on utilise deux profilsde référence différents : l’un pour les jeunes enfants âgés de moins de deux ans etl’autre pour tous les autres sujets, adultes compris (Tableau XVII). Pour lesnourrissons jusqu’à deux ans, le profil du lait maternel sert de référence. Pour lesenfants de deux ans ou plus, un profil différent, dérivé de bilans azotés, est utilisé.

Pour évaluer la qualité d’une protéine, on établit la concentration dechacun de ses acides aminés et le chiffre est comparé à la concentrationhomologue observée dans la protéine de référence. On peut calculer ainsi pourchaque acide aminé un pourcentage. On désigne sous le terme d’indice chimiquede la protéine le plus faible des pourcentages obtenus [FAO/OMS/UNU, 1986].L’acide aminé correspondant est appelé acide aminé limitant pour cette protéine.En d’autres termes, l’indice chimique d’une protéine correspond à la concentrationrelative (exprimée en pourcentage de la valeur homologue au sein de la protéinede référence) de l’acide aminé essentiel le moins représenté.

Le calcul de l’indice chimique des protéines du lait de vache et de celles dusoja est reproduit à titre d’exemple au tableau XVIII en prenant deux profils deréférence : celui du nouveau-né et celui de l’enfant âgé de plus de deux ans. Lateneur en acides aminés des protéines est donnée par des tables de référencespécialisées [SOUCI et al., 1994].

Le profil particulier des acides aminés du lait maternel est sans doute àmettre en relation avec l’importance des besoins liés à la croissance dans les

Tableau XVII — Profils de référence servant à estimer l’indicechimique d’une protéine [FAO/OMS/UNU, 1986].

Acide aminé Nourrisson Enfant âgé de2 ans et plus

(mg/g protéines) (mg/g protéines)

Histidine 26 19Isoleucine 46 28Leucine 93 66Lysine 66 58Méthionine + cystéine 42 25Phénylalanine + tyrosine 72 63Thréonine 43 34Tryptophane 17 11Valine 55 35

72

BESOINS EN PROTÉINES ET RENUTRITION

Page 89: Malnutrition physiopath

premières semaines de la vie. Il est proche du profil des nouveaux tissussynthétisés [DEWEY et al., 1996]. Mais curieusement, il n’y est pas strictementidentique. Le lait de femme contient nettement moins de glycine, d’alanine etd’arginine que la moyenne des protéines corporelles. L’origine de ces différencesn’est pas connue. Il se pourrait que le profil des protéines du lait de femme necorresponde pas à une composition nutritionnelle idéale mais plutôt à uncompromis entre ce qui serait souhaitable et ce qui est possible en termes desolubilité des protéines dans un milieu riche en lipides [DEWEY et al., 1996]. Il sepeut aussi que certains acides aminés ne participent pas uniquement à la synthèsede nouveaux tissus, mais exercent par exemple une fonction régulatrice dumétabolisme protéique général (REEDS, HUTCHENS, 1994].

Tableau XVIII — Calcul de l’indice chimique des protéines du lait de vache et du soja.

Contenu en acides Profil de Score 1 Profil de Score 2aminés essentiels référence % référence %

nouveau-né 2 ans et plus(mg/g protéines) (mg/g protéines) (mg/g protéines)

Lait de vacheHistidine 27 26 104 19 142Isoleucine 47 46 102 28 168Leucine 95 93 102 66 144Lysine 78 66 118 58 134Méthionine + cystéine 33 42 79 25 132Phenylalanine+ tyrosine 102 72 142 63 162Thréonine 44 43 102 34 129Tryptophane 14 17 82 11 127Valine 64 55 116 35 183

Protéines desojaHistidine 25 26 98 19 134Isoleucine 51 46 111 28 182Leucine 77 93 83 66 117Lysine 69 66 104 58 118Méthionine+ cystéine 31 42 75 25 125Phenylalanine+ Tyrosine 89 72 123 63 141Thréonine 43 43 100 34 127Tryptophane 13 17 76 11 117Valine 53 55 96 35 151

73

4-3-6 PROFILS D’ACIDES AMINÉS ESSENTIELS

Page 90: Malnutrition physiopath

Le profil des acides aminés servant de référence pour les enfants âgés deplus de deux ans correspond uniquement aux acides aminés nécessaires pourcouvrir les dépenses d’entretien. Rappelons que ces besoins représententl’essentiel des besoins en protéines à partir de cet âge et la totalité des besoinschez l’adulte (§ 4-3-3). Ils ne correspondent pas au profil particulier requis pourassurer la synthèse de nouveaux tissus, mais bien pour compenser les pertesintestinales (thréonine) et pour effectuer la synthèse de molécules particulièrescomme la créatinine, la taurine, les acides nucléiques ou le glutathion, dérivéesd’acides aminés spécifiques [REEDS, HUTCHENS, 1994].

Les différences les plus importantes entre les profils de référence dunourrisson et de l’enfant plus âgé portent sur les acides aminés soufrés (cystéine etméthionine). Leurs besoins sont presque deux fois plus élevés chez le nourrisson.Ces acides aminés se retrouvent en plus forte concentration dans le lait de femmeque dans le lait de vache.

Un coefficient de rendement variant de 70 % à 90 % est utilisé pour estimerles besoins de l’enfant afin de tenir compte des différences entre le profil deréférence et le profil des acides aminés alimentaires. L’homologie n’est pas parfaiteentre le profil de référence proposé chez le jeune enfant et des protéines de hautevaleur comme celles du soja ou du lait de vache (Tableau XVIII).

4-4 Estimation des besoins en protéinesde l’enfant gravement dénutri

Les recommandations en protéines pour l’enfant gravement dénutri sontactuellement émises d’après des estimations séparées d’une part des dépensesd’entretien et d’autre part des dépenses de croissance [ASHWORTH, MILLWARD,1986]. Les chiffres proposés ont donc été obtenus selon une méthode assez prochede celle utilisée par le Comité FAO/OMS/UNU pour les enfants âgés de plus desix mois. Pourtant les besoins de l’enfant dénutri diffèrent assez sensiblement deceux de l’enfant bien nourri, et ceci pour deux raisons que nous exposons ci-après.

4-4-1 Risques associés aux apports élevésen protéines en début de réalimentation

En début de traitement, certains enfants gravement dénutris présentent uneinsuffisance hépatique. Il existe dans ce cas un risque d’observer une

74

BESOINS EN PROTÉINES ET RENUTRITION

Page 91: Malnutrition physiopath

augmentation du niveau sérique de certains acides aminés potentiellementtoxiques et une hyperammoniémie si ces enfants consomment plus de protéinesque le foie n’est capable d’en métaboliser. Quand l’état général d’un enfant esttrès compromis, il peut donc être dangereux de lui faire consommer desquantités de protéines en excès des besoins ou plus exactement, en excès de sescapacités cataboliques. Plusieurs études ont montré que des signes biologiquesd’atteinte hépatique, comme une élévation des transaminases, du taux debilirubine ou une baisse du taux de prothrombine, sont généralement de mauvaispronostic [MCLEAN, 1962; GARROW, PIKE, 1967; AKINYINKA et al., 1990]. On peutcomprendre qu’un apport trop élevé de protéines puisse aggraver le pronostic deces patients, ou du moins provoquer une anorexie suite à l’élévation desconcentrations sanguines des acides aminés non métabolisés. Chez l’adulte, il aété montré qu’un apport élevé en protéines est associé à un risque de décès élevéen cas de malnutrition œdémateuse [COLLINS, 1995]. Une telle association n’ajamais été démontrée chez l’enfant, mais incite à estimer les besoins avecprudence, sans introduire de coefficients de sécurité généreux à chaque stade ducalcul.

4-4-2 Gain de poids élevé au cours de la phasede récupération nutritionnelle.

L’enfant gravement dénutri en phase de récupération rapide grossit enmoyenne de 10 à 15 g/kg/jour mais la prise de poids peut atteindre 20 g/kg/jourchez certains enfants. Ces gains pondéraux sont très supérieurs à ceux que l’onobserve en temps ordinaire chez l’enfant. Rappelons que la vitesse de croissanced’un enfant est la plus rapide pendant les premières semaines de la vie, le poidsétant alors susceptible d’augmenter de 8 à 10 g/kg/jour. Le gain pondéral quotidienne représente plus que 1 g/kg/jour vers l’âge de un an (§ 3-4-2). Les besoins enprotéines associés à une croissance très rapide sont donc particulièrement élevésau cours de la phase de récupération nutritionnelle.

4-4-3 Besoins d’entretien

Il semble qu’en cas de malnutrition par carence d’apport, les besoinsprotéiques d’entretien ne soient pas significativement différents de ceux de l’enfantsain, de l’ordre de 0,7 g/kg/jour (§ 4-3-1). Les rations fournissant ce niveaud’apport protéique sans plus, permettent à l’enfant atteint de marasme demaintenir son poids corporel [HUANG et al., 1980] et à celui souffrant dekwashiorkor de faire régresser ses œdèmes [GOLDEN, 1982].

75

4-4-3 BESOINS D’ENTRETIEN

Page 92: Malnutrition physiopath

4-4-4 Besoins pour la croissance

Les besoins protéiques indispensables à la croissance sont fonction du gainde poids et de la quantité de tissu maigre synthétisé. Ils sont par contreinversement proportionnels au coefficient d’utilisation des protéines [ASHWORTH,MILLWARD, 1986]. Comme chez l’enfant sain, on admet pour les calculs que le tissumaigre reconstitué chez un enfant en convalescence d’une malnutrition gravecontient 20 % de protéines, alors que le tissu adipeux n’en contient pas. Si Gpreprésente le gain de poids, m la proportion de masse maigre dans les tissusdéposés et k le coefficient de rendement d’utilisation des protéines, les besoins enprotéines pour la croissance (Bp) sont égaux à :

Bp = Gp x m x 0,2/k.

Les besoins protéiques correspondant à différents gains de poids sont calculés autableau XIX. On peut y constater que les besoins de protéines nécessaires à unecroissance rapide, c’est-à-dire pour obtenir des gains de poids importants, sontélevés. Ils dépassent à eux seuls la valeur des besoins totaux chez l’enfant sain(voir tableau XVI).

4-4-5 Besoins totaux

Comme pour l’enfant bien nourri, les besoins totaux en protéinesreprésentent la somme des besoins d’entretien et de croissance. On admet en effet

Tableau XIX — Besoins en protéines nécessaires à la synthèse de nouveaux tissus enfonction du gain de poids.

Gain de poids Quantité de protéines tissulaires Besoins protéiquessynthétisées alimentaires pour la synthèse

des tissus nouveauxGp Qp = Gp x (m/100) x 0,2 BP = Qp/k

(g/kg/jour) (g/kg/jour) (g/kg/jour)

0 0,00 0,001 0,10 0,142 0,20 0,295 0,25 0,71

10 1,00 1,4315 1,50 2,1420 2,00 2,86

m = proportion (%) de tissu maigre déposé; 0,2 tient compte du fait que le tissu maigrecontient 20 % de protéines; k = coefficient d’utilisation des protéines.Le tableau a été calculé à titre d’exemple pour m = 50 % et k = 0,7.

76

BESOINS EN PROTÉINES ET RENUTRITION

Page 93: Malnutrition physiopath

que les dépenses d’entretien sont indépendantes du gain de poids. Le calcul desbesoins montre qu’un enfant en tout début de prise en charge nutritionnelle, donton maintient le poids stationnaire – soit donc en l’absence de tout type decroissance – présente des besoins en protéines inférieurs à celui d’un enfantnormalement nourri. Par contre, lors de la phase de récupération nutritionnellerapide, au moment où le gain de poids est le plus élevé, ces besoins en protéinessont trois à quatre fois supérieurs à ceux de l’enfant sain (Tableau XX). La quantitéde protéines nécessaire à la synthèse de masse maigre et donc indispensable pourobtenir le gain de poids est illustrée à la figure 14.

4-4-6 Profil d’acides aminés essentiels à utiliserlors de la renutrition

Lors de la prise en charge d’un enfant gravement dénutri, il est importantde proposer un régime diététique ne contenant que des protéines de hautevaleur biologique. Ceci permet d’incorporer une quantité optimale d’acidesaminés dans les protéines tissulaires tout en limitant au minimum la chargeimposée au métabolisme hépatique. On ne dispose que de peu d’éléments pour

77

4-4-6 PROFIL D’ACIDES AMINÉS ESSENTIELS À UTILISER LORS DE LA RENUTRITION

0

1

1

2

2

3

3

4

4

5

5

0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20

66%

50%

33%

masse maigre synthétisée

Figure 14 — Besoins en protéines en fonction du gain de poids et de la nature du tissusynthétisé.

Gain de poids (g/kg/jour)

Bes

oins

en

prot

éine

s (g

/kg/

jour

)

Masse maigre synthétisée

Page 94: Malnutrition physiopath

établir le profil des acides aminés à utiliser comme référence pour composer desproduits de renutrition équilibrés. On peut supposer qu’au stade initial, ce profildoit être assez voisin de celui préconisé pour l’enfant de deux ans et plus, quiest aussi recommandé chez l’adulte. Ce profil d’acides aminés correspond auxbesoins en acides aminés lorsque la croissance est faible ou nulle. En casd’infection, il se peut cependant que les besoins spécifiques en acides aminésnécessaires à la synthèse de protéines inflammatoires soient augmentés [REEDS etal., 1994]. En phase de récupération nutritionnelle rapide, le profil des acidesaminés de référence devrait être fixé en fonction de la synthèse tissulaireimportante et du rythme de croissance rapide. Ce profil devrait être plus prochede l’aminogramme du lait maternel qui répond aux besoins nutritionnelsd’enfants en vitesse de croissance élevée. Rappelons qu’il est plus riche enacides aminés soufrés que le profil recommandé chez l’enfant âgé de deux anset plus.

4-4-7 Couverture des besoins en protéinesde l’enfant gravement dénutri

Il est habituel d’alimenter les enfants souffrant de malnutrition grave enleur proposant des régimes composés sur base de préparations lactées. Le laitapporte des protéines de haute valeur biologique et des sels minéraux, le tout enquantités abondantes et facilement assimilables. Il semble difficilementremplaçable.

Même en milieu hospitalier spécialisé, les enfants allaités au sein sedistinguent des enfants nourris au lait en poudre par une survie plus élevée[RAVELOMANANA et al., 1995]. Il est donc important de veiller à maintenirl’allaitement maternel tout au long du traitement nutritionnel.

En théorie, le soja apporte des protéines de bonne valeur biologique etdevrait également donner de bons résultats. En pratique, les préparations à base desoja ont été peu utilisées au cours du traitement de la malnutrition grave. Au stadeinitial du traitement diététique, quand l’enfant ne peut pas encore avaler de repassolides, seules les protéines solubles de soja peuvent être utilisées. Leur prix actuelest élevé et leur avantage sur le lait n’est pas clair. Par ailleurs, les protéines de sojacontiennent proportionnellement moins d’acides aminés soufrés que les protéinesdu lait de femme ou du lait de vache. Leur contenu en minéraux, et notammenten phosphore assimilable, est par ailleurs plus faible également que celui du laitde vache (§ 6-3-7). Il est donc possible que les préparations à base de protéines desoja soient moins bien adaptées que les formules lactées lorsque les besoins pourla croissance sont très augmentés, comme c’est le cas au cours de la phase derenutrition intensive.

78

BESOINS EN PROTÉINES ET RENUTRITION

Page 95: Malnutrition physiopath

La consommation de protéines de lait de vache est contre-indiquée chez lesenfants allergiques. L’importance pratique de ce problème est mal connue (§ 7-4).Notons qu’il existe fréquemment une allergie croisée entre les protéines du lait devache et les protéines de soja, et que les préparations de formules à base de sojane permettent pas d’éliminer totalement le risque d’allergie.

Certaines préparations diététiques utilisées chez les enfants dénutris étaientpréparées à partir de caséine. Cette approche est coûteuse et actuellementabandonnée. La caséine est obtenue par précipitation de la fraction insoluble desprotéines de lait de vache et contient peu de sels minéraux qui restent en grandepartie en solution dans la fraction soluble du lait ou lactosérum. La caséinecontient relativement peu d’acides aminés soufrés et cette protéine est moinsnutritive que les protéines entières du lait brutes, ou même que le lactosérum.Enfin, la caséine précipite dans l’estomac, en donnant un caillé épais irritant pourla paroi gastrique et peu digeste.

4-5 Besoins en protéines de l’enfant modérément dénutri

Lors de la prise en charge de la malnutrition modérée, c’est-à-dire d’unemalnutrition ne mettant pas immédiatement en jeu le risque vital, il n’est pasessentiel de faire reprendre à l’enfant très rapidement du poids. Par ailleurs, cesenfants sont d’ordinaire traités en ambulatoire et le coût de la prise en charge n’estpas directement lié à sa durée comme dans le cas d’un traitement hospitalier. Unecroissance pondérale modérée au rythme de 4 à 6 g/kg/jour est tout à faitsatisfaisante. Les quantités de protéines alimentaires requises pour permettre desgains de poids de cet ordre sont relativement faibles : le tableau XX montre qu’uneconsommation de 1,5 à 2 g/kg/jour suffit pour couvrir ces besoins, même si lecoefficient d’utilisation protéique est voisin de 70 %. Il n’est sans doute pasindispensable de n’apporter que des protéines de haute valeur biologique enraison du niveau modéré des besoins.

Chez l’enfant modérément dénutri, il n’est pas souhaitable de faireconsommer des quantités de protéines très supérieures aux besoins, même si untel excès ne met pas en danger le pronostic vital comme dans le cas de lamalnutrition grave. Les protéines amenées en excès des besoins ne peuvent pasêtre utilisées pour la synthèse de nouveaux tissus mais sont oxydées, ce quireprésente une façon coûteuse de couvrir les besoins en énergie de l’organisme.Par ailleurs, les repas apportant de grandes quantités de protéines semblent induire

79

4-5 BESOINS EN PROTÉINES DE L’ENFANT MODÉRÉMENT DÉNUTRI

Page 96: Malnutrition physiopath

plus rapidement une sensation de satiété que les repas à base de glucides [HILL,BLUNDELL, 1986]. Cet effet est indésirable chez des enfants qui doivent prendre dupoids.

4-5-1 Utilisation de mélanges de céréaleset de légumineuses

La couverture des besoins en protéines chez les enfants modérémentdénutri est habituellement assurée par l’utilisation de mélanges de céréales et delégumineuses. Ces mélanges sont peu coûteux et d’une valeur nutritionnelleintéressante. En fait, les céréales contiennent souvent suffisamment de protéinespour permettre la croissance pondérale voulue (Tableau XXI). Mais la qualitébiologique des protéines céréalières est faible. L’indice chimique de ces protéinesest bas en raison d’un taux réduit de lysine. Il est donc toujours nécessaired’adjoindre aux céréales une autre source protéique, choisie en raison d’uneteneur forte en lysine, de manière à proposer à l’enfant dénutri une alimentation

80

BESOINS EN PROTÉINES ET RENUTRITION

Tableau XX — Besoins en protéines en fonction du gain de poids : estimation des besoinstotaux.

Gain de poids Besoins d’entretien Besoins protéiques Total des besoins enalimentaires pour la protéinessynthèse des tissus

nouveauxGp Pm BP = Qp/k Pm + BP

(g/kg/jour) (g/kg/jour) (g/kg/jour) (g/kg/jour)(1) (2)

0 0,7 0,00 0,701 0,7 0,14 0,842 0,7 0,29 0,995 0,7 0,71 1,41

10 0,7 1,43 2,1315 0,7 2,14 2,8420 0,7 2,86 3,56

(1) Voir tableau XIV, p. 69.

(2) Voir tableau XIX, 3e colonne, p. 76.

k = coefficient d’utilisation des protéines.

Le tableau a été calculé à titre d’exemple pour m = 50 % et k = 0,7.

m = proportion (%) de tissu maigre déposé). Il a été supposé que le tissu maigre contenait20 % de protéines et que le tissu gras n’en contenait pas.

Page 97: Malnutrition physiopath

équilibrée pour ce qui est des acides aminés. Les légumineuses sont le plusfréquemment choisies : elles contiennent des quantités importantes de lysine etsont relativement peu coûteuses. Un mélange de céréales et de légumineusesprésente donc généralement un profil d’acides aminés de meilleure qualité que lacéréale isolée [YOUNG, PELLETT, 1994]. Il convient d’observer que de nombreusesrecettes traditionnelles reposent sur une association de céréales et delégumineuses. Le tableau XXII illustre à titre d’exemple le calcul des teneurs enacides aminés d’un mélange de maïs et de haricots. L’arachide, qui est pourtantune légumineuse, fait exception car sa concentration en lysine est relativementfaible. Elle n’est pas à même d’équilibrer une farine de céréale pauvre en lysine.Les légumineuses ont l’avantage par ailleurs d’être relativement riches en certainssels minéraux peu présents dans les farines céréalières, on pense notamment aupotassium, au magnésium et au calcium [SOUCI et al., 1994].

Les légumineuses ne se prêtent pas volontiers à la préparation culinaire etsont longues à cuire si elles sont consommées longtemps après la récolte [REYES-MORENO, PAREDES-LOPES, 1993]. La plupart contiennent des facteurs anti-nutritionnels qu’il est important de détruire à la cuisson. On désigne sous ceterme des composés chimiques qui ont la propriété de diminuer la valeurnutritionnelle des aliments. Ces facteurs anti-nutritionnels sont présents dans laplupart des produits végétaux, mais plus particulièrement dans les graines et dansles aliments riches en glucides non digestibles (fibres) [JENKINS, 1994]. Ils sontgénéralement présents en forte concentration dans les légumineuses, et plusparticulièrement dans la graine de soja non dépelliculée et non traitée. Uncertain nombre d’entre eux entravent l’action des enzymes digestives : il existeainsi des anti-amylases et des anti-trypsines. Ces anti-enzymes sont généralement

81

4-5-1 UTILISATION DE MÉLANGES DE CÉRÉALES ET DE LÉGUMINEUSES

Tableau XXI — Taux de protéines des farines de céréalescourantes (dans toutes ces céréales, lala lysine est l’acide aminé limitant).

Farine Énergie apportée Indicepar les protéines (%) chimique (%)

Avoine 13,8 72Mil 11,1 49Maïs 9,1 48Riz 7,9 73Blé 11,6 42

Ces valeurs sont données à titre indicatif. Elles peuventfortement varier en fonction de la variété de la céréale etdes conditions de culture.

Page 98: Malnutrition physiopath

détruites à la cuisson et ne posent pas de problèmes si la préparation esteffectuée dans de bonnes conditions. Il faut cependant éviter une surchauffe quiprovoque la destruction de la lysine. Celle-ci est en effet thermolabile.

D’autres facteurs anti-nutritionnels agissent différemment. Les lectines sontdes protéines qui se lient à une grande variété de polysaccharides. Elles peuventinduire des anomalies de la muqueuse intestinale si elles ne sont pas détruiteslors de la cuisson [LIENER, 1994]. En expérimentation animale, les lectinespeuvent induire des diarrhées prolongées entraînant de graves retards decroissance [BANWELL et al., 1984]. On ne connaît pas leur rôle exact dans lagenèse des lésions de la muqueuse digestive fréquemment rencontrées en milieutropical. La destruction de ces lectines pose des problèmes délicats car certainesrésistent à des températures en deçà desquelles les acides aminés commencentà être détruits. Les phytates (ou inositol-6-phosphate) ont la propriété de se lieraux cations bivalents (zinc, calcium et fer surtout) et d’en inhiber l’absorption(§ 6-4-7). Ils résistent à la cuisson [JENKINS, 1994]. Les mélanges de céréales et de

82

BESOINS EN PROTÉINES ET RENUTRITION

Tableau XXII — Calcul de l’indice chimique d’un mélange de 80 % de farine de maïs et de20 % de farine de haricot.

Acide Profil de Maïs Haricot Maïs + Haricotaminé référence Concentration Score Concentration Score Concentration Score

AAref Cmaïs Cmaïs/ Char Char/ Cmél = Cmél/(1) AAref AAref 0,62 Cmaïs + AAref

0,38 Char(mg/g prot.) (mg/g prot.) (%) (mg/g prot.) (%) (mg/g prot.) (%)

His 19 21 111 33 173 26 137Iso 28 44 157 70 250 54 193Leu 66 126 191 106 161 119 180Lys 58 28 48 88 152 51 88Mét +

Cys 25 32 128 23 92 28 112Phen +

Tyr 63 104 165 111 176 107 170Thréo 34 39 114 54 159 45 132Trypt 11 6 55 11 100 8 73Val 35 50 142 77 220 60 171

(1) Enfant de plus de 2 ans.

Un mélange de 80 % de maïs et de 20 % de haricots correspond en fait à un mélange de62 % de protéines de maïs et de 38 % de protéines de haricots en raison des concentrationsplus fortes de protéines présentes dans les haricots. L’indice chimique du mélange (70 %)est nettement plus élevé que celui du mais (48 %). Notez que l’acide aminé limitant dumélange est le tryptophane qui n’est limitant ni dans le maïs, ni dans le haricot.

Page 99: Malnutrition physiopath

légumineuses contiennent également une quantité substantielle de galactosidesnon digestibles (raffinose, stachyose) susceptibles d’entraîner une flatulence[BERNIER et al., 1988].

Les problèmes causés par l’utilisation des légumineuses constituent uneautre raison pour ne pas chercher à donner plus de protéines que nécessaire auxenfants modérément dénutris. Cette manière de faire permet de réduire auminimum les quantités de légumineuses à incorporer au mélange.

4-5-2 Utilisation de farines lactées

Le lait écrémé ou ses produits dérivés (lactosérum) sont parfois mélangésaux céréales pour équilibrer leur profil en acides aminés. Le lait peut êtreintéressant également pour les sels minéraux qu’il contient en concentrations bienplus fortes que les légumineuses. Enfin, le lait se caractérise encore par l’absencede facteurs anti-nutritionnels. Les aliments qui contiennent du lait sontgénéralement plus coûteux que ceux préparés à base d’un mélange de céréales etde légumineuses. L’utilisation de produits laitiers ne se justifie que si leur emploipermet d’induire une croissance pondérale meilleure que ne le permettent lesautres aliments disponibles localement. À l’heure actuelle, les données quipermettraient d’effectuer ce type de comparaison chez l’enfant modérémentdénutri manquent.

RéférencesAKINYINKA O.O., FALADE A.G., OGBECHE C.O. [1990]. Prothrombin time as an index of

mortality in kwashiorkor. Ann. Trop. Pediatr. 10, 85-88.

ASHWORTH A., MILLWARD D.J. [1986]. Catch-up growth in children. Nutr. Rev. 44, 157-163.

BANWELL J.G., ABRAMOWSKY C.R., WEBER F., HOWARD R., BOLDT D.H. [1984].Phytohemagglutinin-induced diarrheal disease. Dig. Dis. Sci. 10, 921-929.

BERNIER J.J., ADRIAN J., VIDON N. [1988]. Les aliments dans le tube digestif. Paris : Doin.

CARPENTER K.J. [1992]. Protein requirements of adults from an evolutionary perspective. Am.J. Clin. Nutr. 55, 913-917.

CEE Scientific Committee for Food [1993]. Reports of the Scientific Committee for Food.Série 36. Bruxelles : Commission des Communautés européennes.

CHAN H., WATERLOW J.C. [1966]. The protein requirement of infants at the age of about 1year. Br. J. Nutr. 20, 775-782.

COLLINS S. [1995]. The limit of human adaptation to starvation. Nature Med. 1, 810-814.

83

RÉFÉRENCES

Page 100: Malnutrition physiopath

DEHEEGER M., ROLLAND-CACHERA M.F., LABADIE M.D., ROSSIGNOL C. [1994]. Étudelongitudinale de la croissance et de l’alimentation d’enfants examinés de l’âge de 10mois à 8 ans. Cah. Nutr. Diet. 29, 1-8.

DEWEY K.G., BEATON G., FJELD C., LÖNNERDAL B., REEDS P. [1996]. Protein requirements ofinfants and children. Eur. J. Clin. Nutr. 50 (Suppl 1), S119-S150.

FAO/OMS/UNU [1986]. Besoins énergétiques et besoins en protéines. Série RapportsTechniques 724. Genève : OMS.

FOMON S.J., HASCHKE F., ZIEGLER E.E., NELSON S.E. [1982]. Body composition of referencechildren from birth to age ten years. Am. J. Clin. Nutr. 35, 1169-1175.

FOMON S.J., HASCHKE F., ZIEGLER E.E., NELSON SE. [1991]. Requirements and recommendeddietary intakes of proteins in infancy. Pediatr. Res. 30, 391-395.

GARROW J.S., PIKE M.C. [1967]. The short term prognosis of severe primary infantilemalnutrition. Br. J. Nutr. 21, 155-165.

GOLDEN M.H.N. [1982]. Protein deficiency, energy deficiency and the oedema ofmalnutrition. Lancet i, 1261-1265.

HILL A.J., BLUNDELL J.E. [1986]. Macronutrients and satiety: the effect of high-protein or highcarbohydrate meal on subjective motivation to eat and food preference. Nutr. Behav.3, 133-144.

HUANG P.C., LIN C.P., HSU J.Y. [1980]. Protein requirements of normal infants at the age ofabout 1 year: maintenance requirements and obligatory nitrogen losses. J. Nutr. 110,1727-1735.

JENKINS D.J.A. Carbohydrates [1994]. Diet factors affecting nutrient absorption andmetabolism. In: SHILS M.E., OLSON J.A., SHIKE M. (eds.). Modern nutrition in healthand disease. Philadelphia: Lea and Febiger, p. 583-602.

LIENER I.E. [1994]. Implications of antinutritional components in soybean foods. Critical Rev.Food Sci. Nutr. 34, 31-67.

MCLEAN A.M.E. [1962]. Hepatic failure in malnutrition. Lancet ii, 1292-1294.

PICOU D., PHILLIPS M. [1972]. Urea metabolism in malnourished and recovered childrenreceiving a high or low protein diet. Am. J. Clin. Nutr. 25, 1261-1266.

RAVELOMANANA N., RAZAFINDRAKOTO O., RAKOTOARIMANANA D.R., BRIEND A., DESJEUX J.F., MARY

J.Y. [1995]. Risk factors for fatal diarrhoea among dehydrated malnourished childrenin a Madagascar hospital. Eur. J. Clin. Nutr. 49, 91-97.

REEDS P.J., FJELD C.R., JAHOOR F. [1994]. Do the differences between the amino acidcompositions of acute-phase and muscle proteins have a bearing on nitrogen loss intraumatic states ? J. Nutr. 124, 906-910.

REEDS P.J., HUTCHENS T.W. [1994]. Nitrogen requirements: from nitrogen balance tofunctional impact. J. Nutr. 124, 1754S-1764S.

REYES-MORENO C., PAREDES-LOPEZ O. [1993]. Hard to cook phenomenon in common beans.Crit. Rev. Food Nutr. Sci. 33, 227-286.

SOUCI S.W., FACHMANN W., KRAUT H. [1994]. La composition des aliments. Tableaux desvaleurs nutritives. Stuttgart: Medpharm Scientific Publishers.

YOUNG V., PELLETT P.L. [1994]. Plant proteins in relation to human protein and amino acidnutrition. Am. J. Clin. Nutr. 59 (Suppl), 1203S-1212S.

84

BESOINS EN PROTÉINES ET RENUTRITION

Page 101: Malnutrition physiopath

5 – Relations entre besoins en protéineset en énergie

5-1 Introduction

Il existe des modèles théoriques pour déterminer les besoins en énergie eten protéines, qui permettent de calculer un rapport entre ces deux types debesoins, notamment pour un sujet en cours de renutrition. Ce rapport est importantà connaître pour choisir le régime proposé [FOMON et al., 1995]. En effet, dans lapratique, on n’apporte pas de façon séparée les protéines et l’énergie, mais desaliments caractérisés par un rapport donné entre protéines et énergie. Mêmelorsqu’il est difficile de mesurer avec précision la consommation alimentaire del’enfant, le rapport entre protéines et énergie ingérées peut être simplementapprécié si son régime est standardisé et le rapport en question connu.

Dans ce chapitre, nous examinerons dans un premier temps les modèlespermettant d’estimer le rapport entre besoins en protéines et en énergie. Nousexaminerons ensuite l’application de ces modèles au cas de l’enfant dénutri encours de convalescence diététique et dans un certain nombre de situationsparticulières.

5-2 Aspects théoriques des rapports entre protéines et énergie

5-2-1 Mode de calcul

Pour calculer la proportion d’énergie à apporter sous forme de protéines enfonction du gain de poids souhaité, il suffit de reprendre, dans un premier tempset sur un même tableau, d’un côté les besoins en énergie et de l’autre les besoinsen protéines évoqués précédemment aux tableaux XII et XX. La part de l’énergiereprésentée par les protéines est calculée en multipliant leur poids (en g) par leur

85

Page 102: Malnutrition physiopath

valeur énergétique (4 kcal/g). Cette énergie “protéique” est ensuite exprimée enpourcentage du besoin énergétique total pour le gain de poids correspondant(Tableau XXIII).

5-2-2 Effet du gain de poids

La proportion d’énergie à fournir sous forme de protéines augmente avec legain de poids. Les besoins en protéines pour la croissance sont relativement élevéscomparés aux dépenses d’entretien alors que l’inverse s’observe pour les besoinsen énergie.

Le pourcentage d’énergie protéique nécessaire n’atteint pas même 4 %quand le gain de poids est nul. Ces taux sont extrêmement faibles, inférieurs àceux présents dans le lait maternel.

5-2-3 Influence de la nature du tissu synthétisé

Pour un même gain de poids, les besoins en protéines sont d’autant plusélevés que la proportion de tissu maigre synthétisé est plus importante. L’inverse

Tableau XXIII — Évolution des besoins en protéines exprimés en % de l’énergie, en fonctiondu gain de poids.

Gain de poids Énergie Protéines Protéines % EGp E = Em +(Gp x BE/g) P = Pm + (Gp x BP/g) P%E = (P x 4/E) 100%

(g/kg/jour) (kcal/kg/jour) (g/kg/jour) (% énergie)

0 90 0,70 3,111 96 0,84 3,522 102 0,99 4,885 119 1,41 4,76

10 148 2,13 5,7715 176 2,84 6,4520 205 3,56 6,94

BE = besoins d’énergie pour la synthèse de tissus nouveaux.BP = besoins protéiques alimentaires pour la synthèse de tissus nouveaux.Em = besoins d’énergie de maintenance.Pm = besoins protéiques de maintenance.

Il a été supposé que le tissu maigre représente 50 % du gain de poids, et que les besoins demaintenance sont de 90 kcal/kg pour l’énergie et 0,7 g/kg pour les protéines.

86

RELATIONS ENTRE BESOINS EN PROTÉINES ET EN ÉNERGIE

Page 103: Malnutrition physiopath

est vrai pour les besoins en énergie : ceux-ci sont d’autant plus faibles que laproportion de masse maigre synthétisée est plus importante. En conséquence, lepourcentage d’énergie protéique nécessaire augmente avec la proportion de tissumaigre synthétisé. La relation entre les besoins en protéines, exprimés enpourcentage de la ration énergétique totale, le gain de poids et la nature du tissu

synthétisé est représentée graphiquement à la figure 15.

5-2-4 Intégration des variables dans le calcul

De nombreuses suppositions sur la nature des tissus synthétisés, le niveaudes dépenses d’entretien en protéines et en énergie, et la valeur des différentscoefficients de rendement ont été formulées lors de l’estimation du rapport entrebesoins en protéines et en énergie. Pour bien comprendre l’influence desdifférentes hypothèses de base retenues, il est intéressant de construire un modèlemontrant l’influence de chacun de ces facteurs. Le tableau XXIV a été conçu pourêtre facilement transposé sur un programme de type “tableur” disponible sur laplupart des ordinateurs, de manière à pouvoir analyser rapidement l’effet d’une

87

5-2-4 INTÉGRATION DES VARIABLES DANS LE CALCUL

0

2

4

6

8

10

12

0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20

66%

50%

33%

masse maigre synthétisée

Gain de poids (g/kg/jour)

masse maigre synthétisée

Bes

oins

en

prot

éine

s (%

éne

rgie

)

Figure 15 — Pourcentage de l’énergie devant être apporté par les protéines en fonction dugain de poids et de la nature des tissus synthétisés.

Page 104: Malnutrition physiopath

variation des facteurs cités sur le rapport des besoins entre protéines et énergie.Tableau XXIV — Calcul des besoins en protéines et énergie au cours de la renutrition.

A. BESOINS CORRESPONDANT AU DÉPÔT DE 1 GRAMME DE TISSU

I. Nature du tissu déposéMasse maigre (%) 66,6 m

Lipides (%) 33,4 lII. Quantité de protéines et de lipides contenue dans 1 g de tissu

Protéines (g) 0,13 Qp = (m/100) x 0,2

Lipides (g) 0,33 Ql = l/100III. Calcul des besoins en protéines correspondant au dépôt de 1 g de tissu

Coefficient d’utilisation des protéines 0,70 k

Besoins en protéines (g/g de gain de poids) 0,19 BP/g = Qp/k

IV. Calcul des besoins en énergie correspondant au dépôt de 1 g de tissuProtéines

Valeur énergétique de 1 g de protéines (kcal) 4 Ep

Facteur de correction (100/rendement) 2 Cp

Total protéines (kcal) 1,07 TEp = Qp x Ep x Cp

LipidesValeur énergétique de 1 g de lipides (kcal) 9 El

Facteur de correction (100/rendement) 1,1 Cl

Total lipides (kcal) 3,31 TEl = Ql x El x ClBesoins en énergie (kcal/ g de gain de poids) 4,38 BE/g = TEp + TEl

B. ESTIMATION DES BESOINS DE MAINTENANCE

Énergie (kcal/kg/jour) 85,00 Em

Protéines (g/kg/jour) 0,70 Pm

C. BESOINS NUTRITIONNELS EN FONCTION DU GAIN DE POIDS

Gain de poids Énergie (E) Protéines (P) Protéines (P%E)(Gp) (Em + Gp x BE/g) (Pm + Gp x BP/g) (P x 4/E) x 100%

(g/kg/jour) (kcal/kg/jour) (g/kg/jour) (% énergie)

0 85,00 0,70 3,29

1 89,37 0,89 3,98

2 93,74 1,08 4,6

15 106,86 1,65 6,18

10 128,72 2,60 8,09

15 150,58 3,55 9,44

20 172,44 4,51 10,45

88

RELATIONS ENTRE BESOINS EN PROTÉINES ET EN ÉNERGIE

Page 105: Malnutrition physiopath

89

5-3-1 AU DÉBUT DU TRAITEMENT

Page 106: Malnutrition physiopath

5-2-5 Validation chez l’enfant sain

Ce modèle permet de vérifier que les valeurs numériques considéréesprécédemment ne sont pas trop éloignées de la réalité. Lorsqu’on applique lemodèle au nourrisson qui prend de 8 à 10 g/kg/jour en admettant qu’il anaboliseenviron la moitié de son gain de poids sous forme de masse maigre, on peutdéduire d’après le modèle du tableau XXIV que ses besoins peuvent être couvertspar un régime apportant 5,6 % de son énergie sous forme de protéines. Ce rapportest étonnamment proche de celui observé dans le lait de femme. La similitudeobservée entre les prédictions du modèle et la teneur protéique du lait de femmene prouve cependant pas formellement la validité des suppositions émises ici.

Le lait maternel contient une quantité importante d’azote sous forme nonprotéique et son utilisation n’est pas bien comprise. Par contre, il semble quel’utilisation nette des protéines du lait de femme soit supérieure à celle desprotéines de lait de vache.

La composition des formules lactées industrielles ne donne pas lieu à cesproblèmes d’interprétation. Il a été montré qu’elles permettent une croissancepondérale et staturale normale si elles apportent 5 à 6 % de leur énergie sousforme de protéines [FOMON et al.]. Les besoins en protéines calculés avec lemodèle décrit (Tableau XXIV) paraissent donc assez vraisemblables.

5-3 Rapport entre apports en protéines et énergie lors de la prise en chargede la malnutrition grave

Le modèle décrit ci-dessus permet d’estimer les besoins en protéines àchaque stade de la prise en charge de la malnutrition grave. Ces besoins varienten fait en fonction du gain de poids, et on peut donc considérer qu’ils varient d’unjour à l’autre. Nous les examinerons donc en début de traitement et au cours dela phase de renutrition rapide.

5-3-1 Au début du traitement

Au début du traitement diététique, les besoins en protéines, exprimés enpourcentage de la ration énergétique, peuvent être exprimés par le rapport entrebesoins de maintenance en protéines (exprimés en calories ou joules) et besoins

90

RELATIONS ENTRE BESOINS EN PROTÉINES ET EN ÉNERGIE

Page 107: Malnutrition physiopath

de maintenance en énergie (exprimés dans la même unité). Quelles que soient lesvaleurs de ces deux variables publiées dans la littérature, le rapport entre elles estfaible. Si on retient le chiffre de 0,7 g/kg/jour comme besoins de base pour lesprotéines (ce qui correspond à 2,8 kcal protéiques) et 85 kcal/kg/jour commebesoins de base pour l’énergie, le rapport calculé en début de traitement vaudrait(2,8/85) x 100 % , soit 3,3 % . Ce pourcentage est très inférieur à ce qui se trouvepour toutes les formules lactées habituelles destinées à l’alimentation infantile.Rappelons que le lait de vache non modifié apporte environ 20 % de son énergiesous forme de protéines, mais ce pourcentage est modifié et réduit dans lesformules infantiles.

Les estimations données pour les besoins en protéines peuvent paraître trèsfaibles. Il a cependant été montré que l’on pouvait faire régresser les œdèmes desenfants atteints de kwashiorkor en les alimentant avec des régimes présentant desteneurs protéiques de cet ordre [GOLDEN, 1982]. L’OMS recommandeactuellement en début de traitement de malnutrition grave, de proposer uneformule appelée F75 apportant 5 % seulement de son énergie sous forme deprotéines (§ 7-3-1). La plupart des produits diététiques pour enfant et la formuleF100, habituellement utilisés pendant la deuxième phase du traitement (§ 7-3-2),apportent généralement plus de 10 % de la ration énergétique sous forme deprotéines, ce qui est très supérieur aux besoins calculés en début de traitement.

5-3-2 Lors de la phase de renutrition rapide

Lors de la phase de renutrition rapide, en cours de convalescencenutritionnelle, l’enfant dénutri se trouve dans une situation caractérisée par desbesoins protéiques maximum. Le gain de poids atteint 10 à 15 g/kg/jour et peutmême monter jusqu’à 20 g/kg/jour chez certains enfants. En cas de marasme, il estvraisemblable que la synthèse de tissu maigre devra être très importante.L’exemple donné au tableau XXIV représente un cas extrême : on s’est placé dansune situation correspondant à une synthèse composée pour près de 70 % de massemaigre pour laquelle la proportion d’énergie protéique sera maximale. Même dansce cas, la quantité d’énergie d’origine protéique nécessaire pour obtenir un gainde poids de 20 g/kg/jour n’est que de l’ordre de 10 %. Cette constatation nechange guère quand on fait varier dans les limites du vraisemblable les différentsparamètres inclus dans le modèle.

La proportion d’énergie protéique requise pour assurer un gain de poidsmaximal est donc relativement faible. Elle est bien moindre que celle qu’on trouvedans le lait de vache non modifié. Ces calculs sont validés par l’usage, puisque lesformules actuelles les plus couramment utilisées pour obtenir un gain de poidsmaximum ne contiennent que 10 à 12 % de leur énergie sous forme protéique.

91

5-3-3 PROTÉINES, ÉNERGIE ET KWASHIORKOR

Page 108: Malnutrition physiopath

Ces régimes permettent à des enfants de prendre du poids à raison de 20 g/kg/jour,comme prévu par le modèle. Ces résultats justifient la pratique diététique quiconsiste à améliorer la densité énergétique du lait de vache en y ajoutant de l’huileet du sucre. Ceci a aussi pour effet de diminuer la proportion de l’énergie fourniepar les protéines.

5-3-3 Protéines, énergie et kwashiorkor

Chez les enfants souffrant de kwashiorkor, on observe fréquemment uneatteinte hépatique, ce qui justifie l’emploi de régimes à faible teneur en protéinesen début de traitement (§ 4-4-1). L’étude des besoins en protéines au cours de lamalnutrition aboutit donc à revoir les conduites thérapeutiques anciennes quiconsistaient à donner beaucoup de protéines en cas de kwashiorkor.

L’examen des besoins comparés entre protéines et énergie rend peuvraisemblable l’hypothèse classique selon laquelle le kwashiorkor serait dû à unecarence en protéines. Le kwashiorkor survient en effet principalement dans latranche d’âge de un à cinq ans pendant laquelle le gain de poids exprimé eng/kg/jour est faible, de l’ordre de 1 g/kg/jour. En appliquant le modèle reproduit autableau XXIV, et en y postulant une dépense énergétique de base voisine de85 kcal/kg, et un gain de poids proche de 1 g/kg/jour, on constate que la période dela vie où survient le kwashiorkor est celle pendant laquelle les besoins en protéinessont les plus faibles par rapport aux besoins en énergie. Ce paradoxe s’explique carà cet âge les besoins en énergie sont particulièrement élevés (§ 3-3) et la croissancepondérale est faible. Le kwashiorkor survient donc principalement dans la périodede la vie qui en principe est la moins vulnérable aux carences en protéines. Si tousles groupes d’âge d’une même population devaient consommer le même type derégime, plus précisément un régime avec une proportion fixe de l’énergie provenantdes protéines, les enfants de la tranche d’âge comprise entre un et cinq ans seraientparmi les derniers à ressentir les conséquences d’un apport en protéines insuffisant.

La mise en cause de facteurs étiologiques autres qu’une carence enprotéines dans la survenue du kwashiorkor semble donc vraisemblable. Uneintoxication par les radicaux libres, due à la fois à leur surproduction et à desmécanismes de défense altérés, a été récemment évoquée [GOLDEN, 1987]. Il sepeut également que la qualité des protéines entrant dans la ration, et non pas leurquantité, soit importante dans la survenue du kwashiorkor. L’importance d’unecarence en acides aminés soufrés (méthionine + cystéine) dans la pathogénie dukwashiorkor a été suggérée [ROEDIGER, 1995]. Cette hypothèse présente desanalogies avec la théorie faisant intervenir une intoxication par des radicaux libres,en raison du rôle joué par le glutathion dont la synthèse, qui intervient dans lesmécanismes de défense contre les radicaux libres, exige de la cystéine.

92

RELATIONS ENTRE BESOINS EN PROTÉINES ET EN ÉNERGIE

Page 109: Malnutrition physiopath

5-4 Protéines et énergie en cas de malnutrition modérée

Le modèle exposé au tableau XXIV suggère qu’un gain de poids de l’ordrede 5 g/kg/jour nécessite un apport en protéines représentant environ 5% de laration énergétique. La proportion précise varie en fonction des valeurs retenuespour le coefficient d’utilisation des protéines et le rendement énergétique de lacroissance. Cette proportion est de toute façon inférieure à celle qui est observéedans les régimes habituellement consommés par les adultes : la plupart despopulations diversifient leur alimentation de manière à consommer entre 10 % et12 % de l’énergie sous forme protéique. Il est exceptionnel d’observer despourcentages inférieurs à ces chiffres, même dans les populations les plus pauvres[YOUNG, PELLETT, 1994]. Rappelons que la plupart des céréales apportent uneproportion voisine de 10 % de leur ration en énergie sous forme de protéines. Ilsuffit donc d’une diversification limitée et d’un apport protéique supplémentaireminime pour atteindre la proportion de 10 à 12 % souhaitée. En conséquence,dans la plupart des situations, les enfants consommant un régime alimentairedérivé de celui des adultes verront leurs besoins en protéines largement couverts.

Il est actuellement paradoxal de constater que de nombreux programmesnutritionnels aient encore pour objectif d’apporter des aliments riches en protéinesaux enfants modérément dénutris. Les réglementations actuelles sur les alimentsdestinés aux programmes de supplémentation des enfants sont dérivées desrecommandations du Codex Alimentarius et exigent souvent un niveau deprotéines relativement élevé (habituellement 15 % du poids de l’aliment)[FAO/OMS, 1994]. Ces réglementations ne se justifient pas sur le plan nutritionnel.Rappelons que la période du sevrage est certainement la période de la vie où lesbesoins en protéines sont les plus faibles par rapport aux besoins en énergie. Lesprogrammes de distribution d’aliments riches en protéines sont de conceptionancienne et dépassée.

5-5 Autres groupes vulnérables

5-5-1 Femmes enceintes et allaitantes

Il existe également de nombreux programmes de distribution d’alimentsriches en protéines aux femmes enceintes ou allaitantes. Ces programmes ont pourambition de jouer un rôle dans la prévention de la malnutrition de l’enfant.

93

5-5-2 PERSONNES ÂGÉES

Page 110: Malnutrition physiopath

Pourtant leur justification physiologique n’est pas bien claire. Le lait de femmeapporte environ 5 % à 6 % de son énergie sous forme de protéines. Cepourcentage est généralement très inférieur à celui établi pour une alimentationchez l’adulte : une supplémentation en aliments riches en protéines ne sembledonc pas justifiée. La couverture des besoins en protéines sera en principeassurée si une future mère continue de consommer son alimentation habituelle,apportant généralement 10 % à 12 % de l’énergie sous forme de protéines, aussilongtemps que sa ration est augmentée en proportion de ses besoins en énergie.En pratique, aucune étude n’a jamais pu montrer que l’on pouvait accroître undébit lacté maternel en supplémentant les mères en protéines. Les études visantà démontrer qu’il est possible d’améliorer la production lactée grâce à dessuppléments riches en énergie semblent plus fondées sur le plan physiologique.Elles ont cependant donné des résultats décevants [PRENTICE et al., 1980; VAN

STEENBERGEN et al., 1989].

En fin de vie intra-utérine, la croissance fœtale est similaire à celle dunouveau-né en période post-natale. Il est peu probable que les besoins protéiquessoient particulièrement élevés et le raisonnement qui vient d’être tenu pourl’allaitement peut sans doute être appliqué à la grossesse. Quoiqu’il en soit, il n’ajamais été démontré de façon indubitable que ces suppléments riches en protéinesaient un effet positif sur le déroulement de la grossesse [SUSSER, 1991; KRAMER,1993] ou sur le fœtus. En fait, c’est même l’inverse qui a été démontré. Plusieursessais de prévention visant à éviter la naissance de nouveau-nés de faible poidsont été menés en proposant aux futures mères des régimes alimentaires où laproportion d’énergie apportée par les protéines dépassait 20 %. Les résultats de cesétudes ont révélé un excès de naissances prématurées dans le groupe recevant lesupplément de protéines [KRAMER, 1993]. Cet effet a pu être reproduit chezl’animal [RIOPELLE, 1975]. Certes, les aliments donnés aux femmes enceintescontiennent généralement moins de protéines que ceux utilisés dans les essaiscités. On doit cependant s’interroger sur l’intérêt de ces programmes d’aidealimentaire.

5-5-2 Personnes âgées

Le besoin énergétique de base d’un adulte, rapporté au poids corporel,représente environ le tiers de celui de l’enfant (§ 3-3), alors que les besoins demaintenance en protéines sont du même ordre (§ 4-3-1). Le rapport des besoinsentre protéines et énergie est donc plus élevé chez l’adulte que chez l’enfant deplus de un an. Dans le cas des personnes âgées, qui ont une activité physiquefaible, ce rapport est encore plus élevé car les besoins en protéines sontindépendants de l’activité physique, qui par contre a une forte influence sur les

94

RELATIONS ENTRE BESOINS EN PROTÉINES ET EN ÉNERGIE

Page 111: Malnutrition physiopath

besoins en énergie. Les personnes âgées sont donc plus vulnérables que les enfantsaux faibles apports en protéines. Cette observation peut surprendre car elle va àl’encontre de l’opinion courante concernant les groupes vulnérables sur le plannutritionnel. Ce paradoxe est pourtant bien connu [FAO/OMS/UNU, 1986]. Ils’explique par le fait que les besoins en protéines, passée la première année,varient peu avec l’âge, alors que les besoins en énergie ne cessent de diminuer defaçon importante, entraînant ainsi une augmentation du rapport entre les besoinsen protéines et ceux en énergie.

Cette évolution des besoins avec l’âge a une conséquence importante entermes de santé publique. Dans une population consommant une alimentationdont la part protéique de la ration énergétique est faible, ce sont les personnesâgées, et non les enfants, qui risquent d’être carencées en protéines. Auxphénomènes physiques qui conditionnent les besoins en protéines et énergie, segreffent par ailleurs des phénomènes de vieillissement physiologique quiaccentuent encore plus le risque de carence en protéines chez les personnes âgéesdéfavorisées [CAMPBELL, EVANS, 1996]. Les aliments riches en protéines sontparadoxalement encore fréquemment distribués aux enfants alors qu’ils seraientplus adaptés aux besoins des personnes âgées.

RéférencesCAMPBELL W.W., EVANS W.J. [1996]. Protein requirements of elderly people. Eur. J. Clin. Nutr.

50 (Suppl), S180-S185.

FAO/OMS. [1994]. Codex Alimentarius. Vol. 4. Aliments diététiques ou de régime (ycompris les aliments destinés aux nourrissons et enfants en bas âge). Rome : FAO.

FAO/OMS/UNU. [1986]. Besoins énergétiques et besoins en protéines. Série RapportsTechniques 724. Genève : OMS.

FOMON S.J., ZIEGLER E.E., NELSON S.E., FRANTZ J.A. [1995]. What is the safe protein-energyratio for infant formulas ? Am. J. Clin. Nutr. 62, 358-363.

GOLDEN M.H.N. [1982]. Protein deficiency, energy deficiency and the oedema ofmalnutrition. Lancet i, 1261-1265.

GOLDEN M.H.N., RAMDATH D. [1987]. Free radicals in the pathogenesis of kwashiorkor.Proc. Nutr. Soc. 46, 53-68.

KRAMER M.S. [1993]. Effects of energy and protein intakes on pregnancy outcomes : anoverview of the research evidence from controlled clinical trials. Am. J. Clin. Nutr.58, 627-635.

95

RÉFÉRENCES

Page 112: Malnutrition physiopath
Page 113: Malnutrition physiopath

6 – Vitamines et minéraux

Chapitre écriten collaboration avec le professeur Michael H. N. GOLDEN*

6-1 Introduction

6-1-1 Vitamines

Les vitamines sont des substances organiques, indispensables à la vie, quel’être humain est incapable de synthétiser. Initialement, leur existence a étéreconnue suite aux observations de maladies de carence survenant chez des sujetsdont la consommation alimentaire était monotone. On admet actuellementl’existence de 13 vitamines indispensables à l’homme. Elles sont classées, selonleurs propriétés chimiques, en vitamines liposolubles et vitamines hydrosolubles.Ces dernières ne peuvent pas être stockées dans l’organisme et doivent êtreconsommées de façon régulière.

Les quantités correspondant aux besoins d’un enfant âgé de un à trois anssont illustrées au tableau XXV [Scientific Committee for Food, 1993]. Les unitésemployées pour exprimer les besoins sont établies en fonction de l’activitévitaminique. La vitamine B1 (thiamine) intervient dans le métabolisme énergétiqueet ses besoins sont exprimés en microgrammes par mégajoule (1 MJ = 239 kcal).Les besoins en vitamine B6 qui intervient dans les réactions de transamination,sont exprimés en microgrammes par gramme de protéines.

6-1-2 Minéraux

Les minéraux d’importance nutritionnelle sont des corps chimiquesélémentaires entrant dans la composition des tissus. Au total, on connaît plus de15 minéraux indispensables à la vie. Leur liste s’est allongée au fil des annéesquand on s’est rendu compte que les quantités soi-disant négligeables de différentsminéraux présents dans les tissus ne signaient pas la marque d’une contamination,mais que ces éléments chimiques étaient indispensables à la synthèse de certainsconstituants cellulaires. Les apports recommandés pour un certain nombre d’entreeux sont détaillés au tableau XXVI.

97

* Department of Medicine and Therapeutics, Aberdeen University, Scotland.

Page 114: Malnutrition physiopath

Tableau XXV — Liste des vitamines. Les besoins journaliers donnés à titre d’exemple sontceux des enfants de un à trois ans, selon les recommandationseuropéennes (d’après Scientific Committee for Food [1993]).

Vitamines Besoins journaliers

LiposolublesVitamine A 400 (µg)Vitamine D 10 (µg)Vitamine E 0,4 (mg par g d’acides gras poly-insaturés)Vitamine K* -

HydrosolublesVitamine C 25 (µg)Thiamine 100 (µg/MJ ou µg/100 kcal)Riboflavine 0,8 (mg)Niacine 1,6 (mg/MJ ou mg/100 kcal)Vitamine B6 15 (µg par g de protéines)Folate 100 (µg)Vitamine B12 0,7 (µg)Acide Pantothénique** 3-12 (mg)Biotine** 15-100 (µg)

* Pas de recommandations.

** Recommandations pour l’adulte à défaut de recommandation spécifique pour cettetranche d’âge.

Tableau XXVI — Liste des principaux minéraux jugés indispensables sur le plannutritionnel. Les besoins journaliers donnés à titre d’exemple sont ceuxdes enfants de un à trois ans, selon les recommandations européennes(d’après Scientific Committee for Food [1993]).

Minéraux Besoins journaliers

Calcium 400 (mg)Phosphore 300 (µg)Potassium 800 (mg)Magnésium 85 (mg)Fer 4 (mg)Zinc 4 (mg)Cuivre 0,4 (mg)Sélénium 10 (µg)Iode 70 (µg)

98

VITAMINES ET MINÉRAUX

Page 115: Malnutrition physiopath

Les minéraux indispensables sont habituellement divisés en minérauxmajeurs et en oligo-éléments ou éléments-traces (trace elements en anglais), cesderniers comprenant l’ensemble des substances élémentaires représentées à raisonde moins de 5 g dans l’organisme. L’importance physiologique d’un minéral estcependant sans relation avec sa quantité totale présente dans l’organisme. Ainsi,l’iode ou le sélénium sont indispensables à la vie, au même titre que le calciummême si les quantités d’iode ou de sélénium présentes dans l’organisme nereprésentent que quelques milligrammes, alors que le calcium représente environ1 kg.

6-1-3 Généralités sur l’origine des carences

La plupart des plantes se nourrissent des minéraux qu’elles puisentexclusivement dans le sol, et synthétisent toutes les molécules organiques, et enparticulier toutes les vitamines nécessaires à leur métabolisme. Cette faculté desynthèse est réduite chez les espèces animales : en fait elles dérivent toutes, defaçon directe ou indirecte, leur alimentation de produits d’origine végétale. Pourles espèces animales, la synthèse de novo d’un certain nombre de moléculescomplexes ne représente donc plus une nécessité vitale puisqu’elles les trouventdans leur alimentation. L’homme représente un cas extrême de cette dépendanceà la nourriture : il est par exemple une des rares espèces, avec les autres primates,à être incapable de synthétiser la vitamine C. L’espèce humaine a évolué au départd’une alimentation basée sur la cueillette et la chasse, procurant un régimeextrêmement varié, riche en minéraux et en vitamines [EATON, KONNER, 1985]. Lescarences en vitamines et minéraux actuellement observées dans les populationsles plus pauvres sont la conséquence de la consommation de régimes dont lamonotonie est sans précédent dans l’histoire de l’espèce.

L’organisme possède la capacité d’absorber et de retenir les différentsminéraux dont il a besoin pour survivre. Cette faculté couvre de larges gammesd’apports. L’espèce humaine, comme la plupart des mammifères, éprouve uneattirance très forte pour les aliments salés, mais peut survivre à des régimes trèspauvres en sodium en utilisant des mécanismes rénaux de rétention sodéeefficaces. La situation diffère pour le potassium ou le magnésium. Ces minérauxn’éveillent en effet pas d’attirance particulière, bien qu’ils soient aussiindispensables à la vie que le sodium. L’attirance pour le goût salé s’explique peut-être par la nature pauvre en sel de l’environnement dans lequel l’espèce humainea évolué jusqu’à l’invention récente du commerce. Inversement, la plupart desminéraux (et entre autres le potassium et le magnésium) étaient abondants dansl’alimentation avant l’introduction de farines de céréales blanchies par éliminationde la couche externe de la graine. L’histoire de l’espèce pourrait également

99

6-1-3 GÉNÉRALITÉS SUR L’ORIGINE DES CARENCES

Page 116: Malnutrition physiopath

expliquer pourquoi certains minéraux indispensables à la vie comme le zinc ou lefer sont relativement mal absorbés quand ils sont apportés par des régimes à basede céréales. Rappelons que jusqu’à l’invention de l’agriculture il y a 10 000 ansenviron, c’est-à-dire tout récemment pour la durée de l’évolution de l’espèce, lescéréales n’entraient que pour une part négligeable dans l’alimentation humaine[EATON, KONNER, 1985]. L’espèce ne semble pas encore adaptée à ce changementd’alimentation.

6-2 Les deux grandes classesde nutriments

La malnutrition grave de l’enfant est une condition complexe et on yretrouve toujours un degré de carence en vitamines et en minéraux. Pour mieuxcomprendre les interactions régissant les différents types de carences observées, ilest utile de diviser les nutriments en deux classes, selon qu’ils interviennent ou nonsur la croissance, d’après le schéma proposé par GOLDEN [1991].

Un animal en croissance, nourri avec un régime pauvre en fer, utilised’abord le fer endogène de ses réserves et quand celles-ci sont épuisées, ildéveloppe une anémie ferriprive. À ce stade, la concentration tissulaire du ferdiminue d’une façon marquée, mais la croissance en taille ou en poids del’animal ne fléchit pas. Par contre, si son régime alimentaire est pauvre en zinc,sa croissance pondérale cesse dans un premier temps, et son poids stagne puisdécroît très rapidement. La concentration en zinc tissulaire reste cependantnormale jusqu’au décès de l’animal même si le taux de zinc plasmatique diminuemodérément. L’animal meurt de carence en zinc sans que l’on n’observe demanifestation biochimique franche suite à cette carence. Cette différence vis-à-vis du fer et du zinc peut paraître surprenante, mais en fait, on constate dans lesdeux cas une nette diminution de la quantité totale du métal normalementprésente dans l’organisme. En cas de carence martiale, la concentration en fer del’organisme diminue mais celui-ci maintient une taille normale alors que dans lecas du zinc, la réduction s’opère proportionnellement à celle de l’organismeentier. Il existe une différence fondamentale entre ces deux types de réponses àune carence nutritionnelle. La plupart des nutriments peuvent être classés d’aprèsla réponse qu’ils induisent en cas de déficit alimentaire prolongé : une réponseévoquant soit celle du fer (type I), soit celle du zinc (type II) (Tableau XXVII). Lescaractéristiques principales de ces deux classes de nutriments sont décrites autableau XXVIII.

100

VITAMINES ET MINÉRAUX

Page 117: Malnutrition physiopath

Tableau XXVII — Classification des nutriments selon que le type de réponse observée encas de carence est une réduction de la concentration tissulaire (type I)ou une réduction globale de la croissance de l’organisme (type II)(d’après GOLDEN [1991]).

Nutriments de type I Nutriments de type II

Sélénium AzoteIode SoufreFer Acides aminés essentielsCuivre PotassiumCalcium SodiumManganèse MagnésiumThiamine ZincRiboflavine PhosphoreAcide ascorbique EauRétinolTocophérolCalciférolAcide foliqueVitamine B12Pyridoxine

Tableau XXVIII — Caractéristiques des carences de type I et de type II (voir tableau XXVII,d’après GOLDEN [1991]).

Carences de type I Carences de type II

Concentration tissulaire variable Concentration tissulaire fixe

Utilisés dans des voies métaboliques Utilisés dans tous les tissusspécifiques

Signes cliniques caractéristiques Pas de signes spécifiques

Stockés dans l’organisme Pas de réserves

Carence apparaissant après un certain État nutritionnel dépendant de l’apportdélai quotidien

Nutriments agissant indépendamment Équilibre nécessaire entre les différents l’un de l’autre nutriments du groupe

Faible contrôle de l’excrétion Contrôle étroit du niveau d’excrétion

101

6-2 LES DEUX GRANDS CLASSES DE NUTRIMENTS

Page 118: Malnutrition physiopath

6-2-1 Carences de type I

On peut décrire la séquence des événements qui se produisent suite à uneconsommation insuffisante d’un nutriment de type I. Tout d’abord, laconcentration tissulaire de ce nutriment se réduit, ensuite les voies métaboliquesqui en dépendent sont perturbées et ces dérèglements provoquent finalement dessignes cliniques caractéristiques. Le diagnostic de ces maladies carentielles estrelativement aisé et peut être posé en mesurant la concentration tissulaire dunutriment considéré au sein même de l’un ou l’autre organe cible bien déterminé(foie, sang, moelle osseuse, etc.). L’exploration de certaines voies métaboliquespeut contribuer au diagnostic tout comme le rétablissement indiscutable etspécifique d’un critère fonctionnel altéré ou d’un signe clinique pathologiqueaprès correction diététique bien menée.

6-2-2 Carences de type II.

Le diagnostic des carences de type II est beaucoup plus délicat à établir caraucun des moyens utilisés pour mettre en évidence une carence de type I n’estutilisable. Cette restriction représente une difficulté conceptuelle majeure pourdéfinir, comprendre et donc diagnostiquer les carences de type II. Les controversesà propos de la définition d’une carence de type II viennent de tentatives d’yappliquer des critères diagnostiques uniquement appropriés aux nutriments detype I. Les nutriments de type II doivent être tous considérés comme constituantsessentiels de la synthèse tissulaire qui ne peut donc s’effectuer que si chacund’entre eux est suffisamment présent. Si un seul vient à manquer, le catabolismedu tissu considéré est inévitable, avec comme corollaire la perte de tous les autresconstituants. Une synthèse de novo de ce tissu ne peut reprendre qu’en présencede tous ses constituants. Ces nutriments sont interdépendants, situation analogueà celle des acides aminés essentiels qui, eux aussi, doivent être fournis enquantités équilibrées pour permettre une synthèse protéique : des proportionsdéterminées entre acides aminés doivent être respectées et elles correspondent, àquelques détails près, aux valeurs observées dans l’organisme.

Les effets des carences en nutriments de type II présentent descaractéristiques très particulières qui sont énumérées ci-après.

• Uniformité des manifestations cliniques en cas de carenceL’effet d’une carence qui se marque par un retard de croissance chez

l’enfant pour une carence mineure, et par une perte de poids pour une carencemajeure, est invariable pour tous les nutriments de type II, quels qu’ils soient. Enconséquence, un retard de croissance ne permet pas par lui-même d’identifier le

102

VITAMINES ET MINÉRAUX

Page 119: Malnutrition physiopath

type de carence qui est en cause. De nombreuses expériences chez l’animal ontmontré que toutes les carences impliquant ces nutriments provoquentuniformément un retard de croissance suivi d’une perte de poids. La réponse à undéficit suffisamment long en l’un ou l’autre nutriment de type II engendre un retardde croissance dont l’importance dépend à la fois de la profondeur de cette carenceet de sa durée. Une carence aiguë (substantielle mais de courte durée) provoqueune perte de poids, aussi bien chez l’enfant que chez l’adulte. Une carenceprolongée cause un retard de croissance en taille, uniquement chez l’enfant bienévidemment.

• Interdépendance des nutriments de type IILa fonte tissulaire consécutive à une carence d’apport en un nutriment de

type II, entraîne avec elle la totalité des nutriments présents dans les tissusmétabolisés. Comme la croissance est arrêtée, tous les nutriments apportés enexcès par rapport au nutriment limitant sont excrétés. Les nutriments de type II eneffet ne peuvent pas être mis en réserve. Tout se joue dans l’équilibre entre cesdifférents nutriments de même nature, car le déficit de l’un entraîne l’éliminationde l’ensemble d’entre eux.

• Absence de manifestation clinique en cas de retard de croissanceLorsqu’un nutriment de type II vient à manquer dans la ration, des

mécanismes de conservation ou de retenue sont fortement activés en vued’épargner le nutriment limitant. Il est donc extrêmement difficile de montrerl’impact d’un déficit de cet ordre chez un sujet qui n’est pas en croissance, saufs’il est dû à un état pathologique associé (par exemple diarrhée ou néphropathie).C’est pourquoi le gain pondéral constitue chez l’enfant le meilleur indicateurpour évaluer les besoins en nutriments de type II. Aucun signe clinique spéci-fique, en dehors d’une croissance réduite ou d’une perte de poids, n’est àattendre d’une carence en nutriment de type II, à moins que cette carence ne soittrès marquée.

Au niveau d’une population, en dehors d’une prise de poids insuffisante, lesmanifestations cliniques observées quand une ration alimentaire manque d’unnutriment de type II, apparaîtront paradoxalement en premier chez les personnesâgées, puis chez les adultes et enfin chez les enfants. Ce paradoxe s’explique parle niveau élevé des besoins en énergie nécessaires à l’enfant. Cette constatation està mettre en parallèle avec le risque plus élevé de carence en protéines queprésentent les personnes âgées ayant une activité physique limitée (§ 5-4-2).Rappelons que les acides aminés indispensables répondent à la définition desnutriments de type II.

103

6-2-2 CARENCES DE TYPE II

Page 120: Malnutrition physiopath

• Difficulté d’interprétation des expériences de supplémentationComme les besoins en nutriments de type II sont déterminés par la

croissance, on pourrait penser que la mesure de la vitesse de croissance aprèssupplémentation du régime puisse constituer un test diagnostique. En fait, lasituation est plus complexe. La carence initiale peut en soi entraîner uncatabolisme et avoir pour conséquence l’élimination de tous les autres nutrimentsde type II, quelle que soit la nature de la carence initiale. On ne peut doncobserver un rattrapage de croissance qu’après avoir donné un supplément dans lecadre d’un déficit de courte durée ou en apportant un régime contenant enquantités suffisantes tous les autres nutriments de type II.

Si le supplément nutritionnel donné en cas de carence de type II estdéséquilibré, le gain de poids éventuel est alors déterminé par le nutriment limitantdu régime global, et non par la nature de la carence initiale ou le nutrimentlimitant du supplément nutritionnel. En fait, un supplément nutritionnel maladapté peut aggraver une carence préexistante en réduisant encore la teneur del’élément qu’il est censé supplémenter.

• Fréquence de l’anorexie associéeL’anorexie est une caractéristique commune de toutes les carences en

nutriments de type II. Elle disparaît rapidement en cas de supplémentation. Saprésence est vraisemblablement liée à l’excès relatif des autres nutriments de type II,plus particulièrement au surplus en acides aminés qui doivent être catabolisés etéliminés avant d’atteindre des niveaux toxiques [HARPER et al., 1970; CHESTERS, WILL,1973]. En situation carentielle, l’organisme semble orienter son métabolisme versune consommation préférentielle de ses propres tissus qui lui fourniront tous lesnutriments nécessaires plutôt que de tirer profit d’un régime apportant en excès desnutriments qu’il ne peut utiliser en raison de l’absence du nutriment déficient.

Dans ce contexte, les enquêtes de consommation alimentaire sont d’unintérêt limité parce que des apports spontanés très faibles peuvent être dus à desapports insuffisants en un nutriment de type II, non détectés dès lors qu’ils n’ontpas été mesurés. Les carences en nutriments de type II pourraient expliquerl’anorexie surprenante que l’on observe chez des enfants atteints d’un retard decroissance prononcé et dont l’alimentation est monotone. On constate souventque les enfants ne consomment pas la totalité de la nourriture qui leur est offertelorsque leur régime est très monotone [EASTWOOD GARCIA et al., 1990].

• Difficultés diagnostiquesLes techniques habituelles de diagnostic sont difficilement applicables aux

nutriments de type II. Les mesures directes de concentration sérique ou tissulairerisquent d’être sans valeur lorsqu’une fonte tissulaire est associée à la carence. Par

104

VITAMINES ET MINÉRAUX

Page 121: Malnutrition physiopath

ailleurs, une anomalie de concentration peut tout aussi bien être due à la carenceassociée d’un autre nutriment de type II. De surcroît, un taux sérique ou tissulaireanormal peut faire suite à un ajustement métabolique et non pas à une carence dunutriment considéré. Une réduction de la concentration des enzymes de lasynthèse protéique peut par exemple entraîner également une réduction du tauxde zinc. En conclusion, les approches diagnostiques classiques sont peuspécifiques, et ce problème représente une difficulté majeure.

Le peu de spécificité d’un amaigrissement et la difficulté de confirmerpar des moyens biologiques simples une carence en nutriment de type IIconduisent à sous-estimer fortement l’incidence de ces carences. Globalement, onpeut penser qu’elles sont impliquées dans la majorité des cas de malnutritionobservés de par le monde.

6-3 Besoins en minéraux en cas de malnutrition grave

Les besoins en vitamines et en minéraux dépendent, comme ceux en énergieet en protéines, des dépenses d’entretien (métabolisme de base) et des besoins pourla croissance. En cas de malnutrition, la situation est plus compliquée : aux deuxexigences précitées se surajoutent les besoins nutritionnels nécessaires pourcorriger des carences préexistantes. Ces besoins concernent plus particulièrementles nutriments de type I, dont les concentrations tissulaires peuvent sensiblementbaisser. Pour certains minéraux, les besoins d’entretien eux-mêmes peuvent êtreaugmentés suite à une malabsorption (fréquente dans la malnutrition), à des pertesdigestives (cas du zinc, du magnésium et du potassium) ou à une rétentionmétabolique réduite (situation du potassium urinaire par exemple).

Le nombre de facteurs complexes déterminant les besoins en minéraux etvitamines est tel que bien des incertitudes persistent sur les quantités optimales àdonner à l’enfant en phase de renutrition. Les recommandations actuelles émanentde constatations pratiques, établies sur le terrain et dont la pertinence semblevalidée par l’expérience.

6-3-1 Potassium

Les besoins en potassium sont particulièrement élevés au cours de larenutrition. En début de traitement, la concentration tissulaire en est fréquemmentabaissée [ALLEYNE, 1970]. Cette carence est due à une mauvaise rétention urinaireet à des pertes digestives, en raison du ralentissement de la pompesodium/potassium. Une carence associée en magnésium aggrave le déficit

105

6-3-1 POTASSIUM

Page 122: Malnutrition physiopath

potassique (§ 6-3-2). Les régimes puisant la plus grande partie de leur énergie dansles farines de céréales, donc pauvres en produits animaux, en légumes et en fruits,sont pauvres en potassium [MICHAELSEN, CLAUSEN, 1987]. Ces pratiquesalimentaires sont typiquement celles de nombreuses populations défavorisées. Lemanioc est par contre relativement riche en potassium, et les besoins sont plusfacilement couverts par les régimes dont il constitue l’aliment de base.

Les pertes potassiques sont importantes au cours de la diarrhée, et la teneuren potassium de la solution de réhydratation standard peut ne pas suffire àcompenser les pertes [AHMED et al., 1988]. Les enfants atteints de diarrhée associéeà la malnutrition sont donc particulièrement exposés au risque d’hypokaliémie.Historiquement, la mortalité par diarrhée a considérablement baissé au cours desannées cinquante au moment où l’on a introduit le potassium dans les solutionsde réhydratation [HIRSCHHORN, 1980].

De faibles réserves en potassium, c’est-à-dire un pool potassique tissulaireréduit, semblent constituer un risque majeur de mortalité. On a observé qu’ilexistait chez l’enfant une relation directe entre le niveau de ses réserves enpotassium en début de traitement et le risque de décès précoce [MANN et al.,1975]. Il a aussi été montré chez l’animal dénutri expérimentalement que lesrégimes à faible teneur en potassium augmentaient le risque d’œdèmes et dedécès, particulièrement en cas d’apports concomitants élevés en sodium[MCGUIRE, YOUNG, 1986]. Il est donc important de corriger les carences enpotassium. Ceci ne peut être mieux obtenu qu’en donnant à l’enfant dessuppléments de potassium. De fait, aucun aliment n’est naturellementsuffisamment riche en potassium pour assurer les besoins et corriger les déficits enpotassium d’un enfant gravement dénutri.

Il est difficile de quantifier un déficit en potassium au cours d’unemalnutrition. La kaliémie (taux de potassium sérique) ne reflète que trèsimparfaitement les réserves réelles de l’organisme. La seule technique fiableconsiste à mesurer le rayonnement radioactif spontané de l’organisme. Celui-ci estdû principalement à un isotope radioactif naturel du potassium, généré au momentde la formation du système solaire. Ce rayonnement fossile spontané est très faible,et sa mesure n’a pu être effectuée que dans quelques rares centres de recherche.Ces analyses ont montré que la correction du déficit du pool du potassium del’organisme pouvait prendre plusieurs semaines [ALLEYNE, 1970].

En pratique, on recommande actuellement de donner de 4 à 8 mEq/kg/jourde potassium en cas de malnutrition grave. Ces apports sont couverts quand onnourrit l’enfant avec les formules de renutrition de type F75 ou F100 auxquellesun supplément minéral standard approprié a été ajouté (voir composition § 6-4).Ces quantités fournies en supplément sont relativement élevées, mais il ne semblepas qu’elles exposent à un risque d’hyperkaliémie, du moins dans les régions où

106

VITAMINES ET MINÉRAUX

Page 123: Malnutrition physiopath

les rations sont pauvres en potassium. Pour éviter les risques d’hyperkaliémie, il estaussi important d’utiliser un supplément minéral neutre qui ne provoque pas detroubles de l’équilibre acido-basique, susceptibles d’interférer avec lemétabolisme du potassium.

6-3-2 Magnésium

Les carences en magnésium sont quasi la règle au cours de la malnutritiongrave. Les régimes à base de farines de céréales, apportant peu de produitsanimaux, légumes et fruits, sont particulièrement pauvres en magnésium. Lemagnésium est pourtant un constituant de la chlorophylle dont il occupe le centredu noyau tétrapyrrolique. La chlorophylle présente une structure moléculaireproche de celle de l’hémoglobine dont le fer inséré au centre du noyau héminiqueaurait été remplacé par du magnésium. Le magnésium est un constituantmétabolique indispensable du règne végétal et est présent en fortes concentrationsdans les graines. Les farines de céréales à faible taux d’extraction (c’est-à-dire tropblutées) donc préparées à partir de grains dont la partie externe, riche enmagnésium, a été enlevée en contiennent par contre très peu.

Les carences en magnésium entraînent secondairement une déplétion enpotassium, parce qu’en l’absence de magnésium, la pompe sodium/potassium nefonctionne plus correctement [DORUP, CLAUSEN, 1993]. Cette carence peut doncfaire courir un risque vital. Une supplémentation en magnésium chez l’enfantgravement dénutri réduit la fréquence des troubles du rythme cardiaque enfavorisant sans doute la réplétion potassique [CADDELL, 1967]. Un apportsupplémentaire de magnésium est recommandé en début du traitementnutritionnel, parce que la quantité présente naturellement dans les mélanges lactésne permet pas de fournir des besoins accrus.

Le chlorure de magnésium donné en grandes quantités peut entraîner uneacidose chez les enfants dont la fonction rénale est compromise, or ce typed’insuffisance est fréquent en cas de malnutrition grave. C’est pourquoi il estrecommandé de donner le magnésium sous forme tamponnée. Il est doncrecommandé d’apporter une partie du potassium sous forme de citrate quand lemagnésium est donné sous forme de chlorure.

6-3-3 Zinc

Le zinc intervient dans la synthèse de plus de 300 enzymes [PRASAD, 1995].Il est surtout présent dans les aliments d’origine animale. Une carence en zinc estpresque toujours associée à la malnutrition grave et survient habituellement chezdes enfants nourris presque exclusivement de produits d’origine végétale.

107

6-3-3 ZINC

Page 124: Malnutrition physiopath

Le zinc est nécessaire pour la synthèse d’ADN. La carence en zinc serépercute principalement sur les tissus caractérisés par une division cellulaireintense, en particulier au niveau de la muqueuse digestive et des celluleslymphocytaires [PRASAD, 1995]. C’est pourquoi la carence en zinc cause unedépression de l’immunité cellulaire [PRASAD, 1995] et est souvent responsabled’une diarrhée persistante [HAMBIDGE, 1992]. On démontre par ailleurs qu’unecarence en zinc est fréquente en cas de retard de croissance en taille (nanisme) eten cas de lésions cutanées profondes et étendues dans le kwashiorkor [GOLDEN,GOLDEN, 1979].

Une supplémentation en zinc augmente généralement le gain de poids d’unenfant en phase de récupération d’une malnutrition grave [GOLDEN, GOLDEN, 1981;SIMMER et al., 1988]. Bien que le zinc favorise l’appétit, l’amélioration de la prisede poids semble due à une réduction du coût énergétique de la croissance, enraison d’une synthèse préférentielle de tissus maigres [GOLDEN, GOLDEN, 1981](§ 3-5-2).

6-3-4 Cuivre

L’absorption intestinale du zinc et celle du cuivre semblent en compétition[SANDSTEAD, 1995] et il existe un risque d’induire une carence en cuivre chez lesenfants généreusement supplémentés en zinc auxquels on ne donnerait pas decuivre. Dans certaines régions, les carences en cuivre sont fréquentes chez l’enfantgravement dénutri [GOYENS, 1994]. Elles induisent une anémie par réduction de ladurée de vie des hématies et par séquestration des réserves de fer au niveaumédullaire [FONDU et al., 1978]. Une carence en cuivre peut entraver la prise depoids [CASTILLO-DURAN et al., 1983]. Une carence cuprique profonde peut causerdes troubles du rythme cardiaque [SANDSTEAD, 1995]. Toutes ces raisons incitent àassocier du cuivre à toute supplémentation en zinc.

Le cuivre est suffisamment présent dans la plupart des aliments, àl’exception du lait. Ceci constitue une raison supplémentaire pour ajouter ducuivre aux régimes lactés prescrits aux enfants convalescents de malnutritiongrave.

6-3-5 Sélénium

Le sélénium est nécessaire à la synthèse d’enzymes impliquées dans lesréactions métaboliques permettant d’éliminer les radicaux libres produits en excès,notamment en cas d’infection. Les carences en sélénium chez l’enfant gravementmalade n’entraînent pas de manifestations cliniques caractéristiques. Maisinfection et malnutrition étant étroitement liées, la carence en sélénium semble

108

VITAMINES ET MINÉRAUX

Page 125: Malnutrition physiopath

jouer un rôle dans l’excès de mortalité observé frappant les enfants vivants dansdes zones géographiques au sol particulièrement pauvre en sélénium [GOLDEN etal., 1985]. C’est pourquoi on recommande d’inclure aussi du sélénium dans lerégime alimentaire proposé au cours de la renutrition des enfants en période derécupération.

6-3-6 Fer

Le cas du fer est très particulier. Paradoxalement, les enfants dénutrispossèdent souvent des réserves en fer élevées par rapport à leur poids corporel[FONDU et al., 1978]. L’organisme n’a pas de moyens d’éliminer le fer présent enexcès. Lors de l’amaigrissement par fonte musculaire qui s’installe au cours de lamalnutrition, le fer est libéré mais ne peut pas être éliminé de l’organisme. Du ferest également libéré des globules rouges détruits par hémolyse, particulièrementen cas de carence en cuivre, mais il n’est pas réutilisé pour la synthèse denouvelles hématies si la synthèse protéique est réduite. Le fer s’accumule ainsiprogressivement dans le foie. Le niveau des réserves hépatiques en fer sembledonner un reflet de la gravité et de la durée de la malnutrition. Il existe en tous casune relation entre le taux des réserves martiales du foie, estimées par la ferritinesérique, et le risque de décès pendant le traitement d’une malnutrition [GOLDEN etal., 1985]. Par ailleurs, la supplémentation en fer donnée en début de traitementsemble aussi augmenter le risque de décès [SMITH et al., 1989].

Outre l’association probable entre la gravité de la malnutrition etl’accumulation hépatique de fer, deux mécanismes sont invoqués pour expliquercette association entre réserves martiales et mortalité. D’une part, la présence defer en quantité élevée dans un organisme à l’immunité fragile favorise la survenued’infections car le fer est nécessaire à la multiplication de la plupart des bactéries[WEINBERG, 1993]. D’autre part, un excès de fer favorise la production de radicauxlibres qui pourraient intervenir dans la survenue de certaines complicationsobservées au cours du kwashiorkor [MCFARLANE et al., 1970; GOLDEN, RAMDATH,1987]. Ces deux mécanismes, non mutuellement exclusifs, sont vraisem-blablement impliqués chez les enfants dont la transferrine sérique est abaissée. Latransferrine est une protéine porteuse qui chélate normalement le fer et préserveainsi l’organisme des effets toxiques du fer libre.

En raison de l’association constatée entre l’état des réserves en fer et lerisque de décès, on recommande actuellement de ne pas administrer de fer audébut de la prise en charge d’une malnutrition grave. Une supplémentation estcependant ultérieurement nécessaire quand l’enfant entre en phase de croissancepondérale rapide. À ce stade, même le fer stocké en excès dans le foie peut ne plussuffire pour assurer la synthèse de nouveaux tissus (§ 7-3-2).

109

6-3-6 FER

Page 126: Malnutrition physiopath

6-3-7 Phosphore

Les enfants gravement dénutris semblent fréquemment carencés enphosphore. Leurs faibles concentrations de phosphate sérique reflètent sans doutedes apports faibles [WATERLOW, GOLDEN, 1994]. Ce déficit passe souvent inaperçucar ces enfants sont renourris à base de régimes lactés riches en phosphorefacilement assimilable, et les carences sont donc rapidement corrigées. En début detraitement néanmoins, elles pourraient expliquer une part de troubles de l’équilibreacido-basique observés chez l’enfant malade [KLAHR, ALLEYNE, 1973]. L’éliminationurinaire de phosphates est un des mécanismes fondamentaux assurant la régulationde l’équilibre acido-basique de l’organisme. Il semble ne plus pouvoir êtrefonctionnel si les apports alimentaires en phosphate sont insuffisants.

La plupart des aliments sont riches en phosphore, en particulier les céréaleset les légumineuses. Il s’y trouve cependant sous forme de phytates, difficiles àabsorber. Les phytates ont par ailleurs la propriété de se lier aux cations divalents(surtout le zinc et le fer) et d’en limiter l’absorption. Ce facteur pourrait limiterl’efficacité des régimes non lactés proposés dans le traitement de la malnutritiongrave : ils ne permettent pas la correction rapide d’une carence en phosphates etaccroissent ainsi le risque létal [BREWSTER et al., 1997].

La panification améliore la qualité nutritionnelle des céréales car elle détruitune partie des phytates présents dans la farine et en libère du phosphorebiodisponible. La mauvaise biodisponibilité du phosphate pose surtout desproblèmes préoccupants dans les populations se nourrissant traditionnellementd’aliments non panifiés.

6-4 Apport en minéraux au cours dela malnutrition grave - Utilisationd’un supplément standard

Les besoins en minéraux chez l’enfant atteint de malnutrition grave sont trèsélevés comparés à ceux d’enfants bien portants. En pratique, ces exigencesnutritionnelles imposent d’utiliser des suppléments de minéraux de naturechimique. Aucun aliment ne peut fournir les minéraux en quantités nécessaires àcorriger de telles carences et à assurer une synthèse tissulaire de novo. Même lelait riche en minéraux possède une concentration en potassium, magnésium, zinc,cuivre et sélénium nettement insuffisante pour couvrir des besoins aussi élevés.

110

VITAMINES ET MINÉRAUX

Page 127: Malnutrition physiopath

En principe, deux stratégies existent pour pourvoir aux besoins en vitamineset en minéraux à l’aide de suppléments au cours de la renutrition. La premièreconsiste à prescrire à chaque enfant une quantité de minéraux correspondantexactement à ses besoins. Cette quantité est établie en fonction de l’état cliniqueà chaque stade du traitement. Cette manière de faire a été utilisée initialementdans des centres de référence. Elle présente l’inconvénient d’exiger la présence surplace d’un médecin ou d’un pédiatre expérimenté dans la prise en charge cliniquede la malnutrition et connaissant bien les aspects cliniques des différents types decarence. Dès lors, cette pratique n’est pas généralisable. L’autre stratégie consisteà enrichir en minéraux les régimes destinés à la renutrition en les supplémentantà des concentrations telles qu’une consommation iso-énergétique assureautomatiquement les besoins en vitamines et minéraux. Cette pratique a étéretenue par les différents organismes humanitaires impliqués dans les programmesd’urgence [BRIEND, GOLDEN, 1993] et a été récemment reprise par l’OMS [1998].Elle est nettement plus simple à appliquer sur le terrain. Le supplément standardactuellement utilisé est reproduit au tableau XXIX.

Donner un supplément vitaminique et minéral standard n’est guère, enthéorie, satisfaisant : la malnutrition varie dans ses présentations cliniques d’unendroit à l’autre et les carences associées diffèrent également selon les régions. Lanature de ce supplément est le fruit du résultat d’études menées dans un nombretrès petit de centres de recherche appliquant la méthode empirique. Néanmoins,cette supplémentation standard semble donner de bons résultats, notamment entermes de croissance pondérale. Son utilisation est donc recommandée à défautd’arguments en faveur de suppléments différents. Si on admet que les carences ennutriments de type II entraînent toutes une réponse identique, à savoir un retard decroissance avec maintien à un niveau constant de la concentration tissulaire de cesnutriments, l’efficacité sur le gain de poids d’un supplément suffisamment dosé ennutriments de type II sera identique, quelles que soient les carences initiales.

6-5 Apport en vitamines au coursde la malnutrition grave

Les carences en vitamines sont fréquentes chez l’enfant gravement dénutri.En raison de la gravité des complications associées, il est recommandé de donnersystématiquement à l’admission une dose thérapeutique de vitamine A, même enl’absence de carence clinique. Une forte dose de 5 mg d’acide folique estégalement recommandée le premier jour (§ 7-3-1, p. 125).

111

6-5 APPORT EN VITAMINES AU COURS DE LA MALNUTRITION GRAVE

Page 128: Malnutrition physiopath

Pour les autres vitamines, on utilise la même approche que celle retenuepour les minéraux, à savoir on préconise d’ajouter sous forme de supplément unequantité standard de vitamines aux formules diététiques utilisées (Tableau XXIX).La concentration vitaminique choisie est calculée de sorte à fournir à l’enfantconsommant la totalité de son énergie à partir d’une formule lactée enrichie, desapports en vitamines couvrant largement les besoins normaux pour l’âge. Lesbesoins en vitamines d’un enfant gravement dénutri ne sont pas réellementconnus : néanmoins, on estime que cette stratégie nutritionnelle permet de couvrirles besoins de façon satisfaisante.

Les vitamines hydrosolubles excédentaires sont éliminées par le rein, et iln’existe quasiment aucun risque toxique quand les apports sont très généreux. Parcontre, les vitamines liposolubles apportées en excès ne peuvent pas être

Tableau XXIX — Composition du supplément proposé dans les préparations de renutrition. Les quantités sont données par litre de formule F75 ou F100 reconstituée.

Composition Supplément standard par litre de formule F75 ou F100

MinérauxChlorure de potassium 1789 mg 24 mmolesCitrate tripotassique 649 mg 2 mmoles (6 mEq)Chlorure de magnésium 610 mg 3 mmoles (6 mEq)Acétate de zinc 66 mg 300 µmolesSulfate de cuivre 11 mg 45 µmolesSélénate de sodium 0,22 mg 0,6 µmolesIodure de potassium 0,10 mg 0,6 µmoles

Vitamines hydrosolublesThiamine 0,7 mgRiboflavine 2 mgNiacine 10 mgPyridoxine 0,7 mgVitamine B12 1 µgAcide folique 0,35 mgVitamine C 100 mgAcide pantothénique 3 mgBiotine 100 µg

Vitamines liposolublesVitamine A 1,5 mgVitamine D 30 µgVitamine E 22 mgVitamine K 40 µg

112

VITAMINES ET MINÉRAUX

Page 129: Malnutrition physiopath

éliminées rapidement par l’organisme et il existe des risques de surcharge. Les tauxde vitamines liposolubles proposés au tableau XXIX sous forme de supplément ontcependant été fixés de manière à rester très en deçà des niveaux toxiques.

6-6 Aspects pratiquesde la supplémentationen vitamines et minéraux

6-6-1 Malnutrition grave

Les mélanges de minéraux destinés à être mélangés aux formules F75 etF100 doivent être composés de sels solubles pour éviter toute précipitation des selsaprès dilution dans les repas lactés. Les sels insolubles présenteraient en plusl’inconvénient d’être difficilement resolubilisés dans l’estomac, et donc d’être malabsorbés au niveau de l’intestin, par les enfants ayant une acidité gastrique réduite.

La plupart des préparations vitaminiques commerciales n’ont pas étéconçues pour traiter les enfants dénutris. Elles sont donc déconseillées (§ 7-3-1).D’ailleurs, leur composition est généralement très différente du supplémentprésenté au tableau XXIX.

Le supplément standard de minéraux et vitamines se présente sous forme depoudre. Il est difficile, en l’absence d’un équipement spécialisé, de préparer cemélange à partir des sels minéraux de base et il n’est donc pas conseillé de le faireen dehors d’une installation industrielle. Une large diffusion et un usage répandude ces suppléments devraient inciter les industriels à les préparer en grandesquantités et à faible coût.

6-6-2 Malnutrition modérée

Les besoins en minéraux sont nettement moins élevés chez l’enfantmodérément dénutri. Le recours à des aliments enrichis artificiellement envitamines et en minéraux n’est donc pas indispensable. L’enrichissement se justifiecependant souvent pour des raisons de coût. En fait, le prix des différents vitamineset minéraux est souvent nettement plus faible quand ils sont apportés sous formechimique que par une diversification alimentaire sous forme naturelle. Le tableauXXX donne à titre d’exemple quelques comparaisons de prix. La différence de prixentre forme naturelle et forme d’origine industrielle est généralement très

113

6-6-2 MALNUTRITION MODÉRÉE

Page 130: Malnutrition physiopath

importante, quelle que soit la zone géographique considérée. L’exercice quiconsiste à établir le tableau XXX dans différents pays est très instructif. On peutégalement estimer le prix de la couverture des besoins de l’enfant pour lesdifférents vitamines et minéraux à partir des aliments présents sur le marché local.Ce calcul permet souvent de constater que les carences les plus fréquentestrouvent une explication économique. Sous toutes les latitudes, certainsnutriments comme le potassium, le zinc, la vitamine A, sont généralement coûteuxparce qu’on ne les trouve en forte concentration que dans les produits d’origineanimale.

Les vitamines et les minéraux d’origine naturelle sont souvent considéréscomme étant mieux utilisés par l’organisme. Ce n’est pas toujours le cas. On alongtemps cru par exemple que les légumes verts représentaient une source peucoûteuse de bêta carotène mais en fait ce carotène est souvent très mal absorbé.Ils représentent cependant une source potentielle de vitamine A, moins efficaceque l’administration de carotène sous forme chimique [DE PEE et al., 1995].

L’attitude à recommander pour assurer les apports en minéraux et envitamines des enfants modérément dénutris dépend des circonstances. Si lescontraintes financières sont faibles, l’idéal bien sûr est d’inclure dans la ration desfruits et légumes frais ainsi que des produits d’origine animale. Si cette politiquen’est pas possible, l’utilisation d’un enrichissement artificiel pour compléter desaliments de base doit être envisagée, en particulier pour les nutriments qui ne sontdisponibles sous forme naturelle que dans les aliments coûteux.

L’enrichissement en minéraux de la ration des enfants modérément dénutrisest techniquement moins délicat qu’en cas de malnutrition grave. Ces enfantsconsomment des bouillies de céréales relativement épaisses dans lesquelles onpeut ajouter des sels minéraux insolubles sans qu’ils se déposent au fond du

114

VITAMINES ET MINÉRAUX

Tableau XXX — Comparaison du prix (exprimé par kg) de certains nutriments selonl’origine industrielle ou naturelle de ceux-ci.

Nutriment Source Concen- Prix de Prix du nutriment Prix du nutrimenttration l’aliment d’origine d’origine

naturelle industrielleC P Pnn = (P/C) x 105 Pni

(mg/100 g) (FF/kg) (FF/kg) (FF/kg)

Vitamine C Orange 50 10 20 000 60

Calcium Lait en 1300 20 1 540 3poudre

Vitamine A Carotte 2 20 1 000 000 250(éq. rétinol)

Page 131: Malnutrition physiopath

récipient. Ces enfants ont généralement une acidité gastrique normale qui leurpermet de dissoudre les sels insolubles à pH neutre et partant de les absorber defaçon satisfaisante. L’usage de ces formulations chimiques est intéressant car cessels insolubles sont moins coûteux. Enfin, ces sels ne possèdent généralementaucun goût, et ne gênent donc pas l’acceptabilité de l’aliment enrichi.

Il existe différentes formules de minéraux et de vitamines susceptibles d’êtreajoutées à des bouillies de céréales et de légumineuses à l’usage des enfantsmodérément dénutris. Leur effet sur la reprise du poids n’a généralement pas étévérifié. Rien n’empêche d’utiliser la formule d’enrichissement en vitamines etminéraux recommandée pour les enfants gravement dénutris (exprimée en mgpour 1000 kcal), à laquelle on ajouterait du fer, du calcium et du phosphore. Ilpersiste cependant bien des incertitudes quant à l’absorption de ces différentsminéraux mélangés à un régime où prédominent les céréales et les légumineusesgénéralement très riches en phytates. Ces formules de supplémentation devrontencore être ajustées en fonction des aliments utilisés pour apporter la ration debase en énergie et protéines. La situation est paradoxalement plus complexe quepour la malnutrition grave, pour laquelle on utilise des mélanges minérauxstandards, eux-mêmes mélangés à des formules lactées à composition similaired’un pays à l’autre.

L’enrichissement des aliments locaux par des nutriments apportés sousforme chimique est techniquement relativement aisé, mais nécessite un certainsoin. L’enrichissement d’un aliment consiste le plus souvent à mélanger cetaliment finement broyé avec un supplément en vitamines et en minéraux enpoudre sensiblement plus fine, selon le type de minéral utilisé. Un tel mixagenécessite l’emploi d’un mélangeur mécanique bien adapté et des précautionsdoivent être prises pour que le mélange soit bien homogène à la fin de lafabrication, et le reste en attendant l’utilisation. Ceci implique un protocole demélange bien standardisé dans un environnement industriel.

RéférencesAHMED S.M., ISLAM M.R., KABIR I. [1988]. Efficacy of oral rehydration solution in correcting

serum potassium deficit in children with acute diarrhoea in Bangladesh. J. Trop.Pediatr. 34, 24-27.

ALLEYNE G.A.O. [1970]. Studies on total body potassium in malnourished infants. Factorsaffecting potassium repletion. Br. J. Nutr. 24, 205-212.

115

RÉFÉRENCES

Page 132: Malnutrition physiopath

BREWSTER D.R., MANARY M.J., MENZIES I.S., HENRY R.L., OLOUGHLIN E.V. [1997]. Comparisonof milk and maize based diets in kwashiorkor. Arch. Dis. Child. 76, 242-248.

BRIEND A., GOLDEN M.H.N. [1993]. Treatment of severe child malnutrition in refugee camps.Eur. J. Clin. Nutr. 47, 750-754.

CADDELL J. [1967]. Studies in protein-calorie malnutrition II. A double blind trial to assessmagnesium therapy. New Engl. J. Med. 276, 533-540.

CASTILLO-DURAN C., FISBERG M., VALENZUELA A., EGANA J.I., UAUY R. [1983]. Controlled trialof copper supplementation during recovery from marasmus. Am. J. Clin. Nutr. 37,898-903.

CHESTERS J.K., WILL M. [1973]. Some factors controlling food intake by zinc deficient rats. Br.J. Nutr. 30, 555-566.

DE PEE S., WEST C.E., MUHILAL, KARYADI D., HAUTVAST J.G.A. [1995]. Lack of improvement invitamin A status with increased consumption of dark-green leafy vegetables. Lancet346, 75-81.

DORUP I., CLAUSEN T. [1993]. Correlation between magnesium and potassium contents inmuscle: role of Na+/K+ pump. Am. J. Physiol. 264 (Cell Physiology 33), C457-C463.

EASTWOOD GARCIA S., KAISER L.L., DEWEY K.G. [1990]. Self-regulation of food intake amongrural Mexican preschool children. Eur. J. Clin. Nutr. 44, 371-380.

EATON S.B., KONNER M.K. [1985]. Paleolithic nutrition. New Engl. J. Med. 312, 283-289.

FONDU P., HARIGA-MULLER C., MOZES N., NEVE J., VAN STERITEGHEM A., MANDELBAUM I.M.[1978]. Protein energy malnutrition and anemia in Kivu. Am. J. Clin. Nutr. 31, 46-56.

GOLDEN B.E., GOLDEN M.H.N. [1979]. Plasma zinc and the clinical features of malnutrition.Am. J. Clin. Nutr. 32, 2490-2494.

GOLDEN M.H.N. [1991]. The nature of nutritional deficiencies in relation to growth failureand poverty. Acta Paediatr. Scand. 374, 95-110.

GOLDEN M.H.N., GOLDEN B.E. [1981]. Effect of zinc supplementation on the dietary intake,rate of weight gain, and enery cost of tissue deposition in children recovering fromsevere malnutrition. Am. J. Clin. Nutr. 34, 900-908.

GOLDEN M.H.N., RAMDATH D. [1987]. Free radicals and the pathogenesis of kwashiorkor.Proc. Nutr. Soc. 46, 53-68.

GOLDEN M.H.N., GOLDEN B.E., BENNETT F.I. [1985]. Relationship of trace elementdeficiencies to malnutrition. In: CHANDRA R.K. (ed.). Trace element in nutrition ofchildren. New York: Raven Press, p. 185-207.

GOYENS P. [1994]. Zinc, copper and selenium status of underprivileged populations in ruralareas of central Africa. Thèse, Vrije Universiteit Brussels.

HAMBIDGE K.M. [1992]. Zinc and diarrhea. Acta Paediatr. (Suppl) 381, 82-86.

HARPER A.E., BENEVENGA N.J., WOHLHENTER RM. [1970]. Effects of ingestion ofdisproportionate amount of amino acids. Physiol. Rev. 50, 144-150.

HIRSCHHORN N. [1980]. The treatment of acute diarrhea in children. An historical andphysiological perspective. Am. J. Clin. Nutr. 33, 637-663.

116

VITAMINES ET MINÉRAUX

Page 133: Malnutrition physiopath

KLAHR S., ALLEYNE G.A.O. [1973]. Effects of chronic protein-calorie malnutrition on thekidney. Kidney Int. 3, 129-141.

MANN M.D., BOWIE M.D., HANSEN J.D.L. [1975]. Total body potassium and serum electrolyteconcentrations in protein energy malnutrition. South Afr. Med. J. 149, 76-78.

MCFARLANE H., REDDY S., ADCOCK K.J., ADESHINA H., COOKE A.R., AKENE J. [1970]. Immunity,transferrin and survival in kwashiorkor. Br. Med. J. 4, 268-270.

MCGUIRE E.A., YOUNG V.R. [1986]. Nutritional edema in a rat model of protein deficiency :significance of the dietary potassium and sodium content. J. Nutr. 116, 1209-1224.

MICHAELSEN K.M., CLAUSEN T. [1987]. Inadequate supplies of potassium and magnesium inrelief food - Implications and countermeasures. Lancet ii, 1421-1423.

OMS [1998]. Management of severe malnutrition - A manual for physicians and othersenior health workers. Genève: OMS (sous presse).

PRASAD A.S. [1995]. Zinc : an overview. Nutrition 11 (Suppl), 93-99.

SANDSTEAD H.H. [1995]. Requirements and toxicity of essential trace elements, illustrated byzinc and copper. Am. J. Clin. Nutr. 61 (Suppl), 621S-624S.

Scientific Committe for Food [1993]. Report of the Scientific Committee for Food. 31st

Series. Bruxelles: Commission Européenne.

SIMMER K., KHANUM S., CARLSSON L., THOMPSON R.P.H. [1988]. Nutritional rehabilitation inBangladesh. The importance of zinc. Am. J. Clin. Nutr. 47, 1036-1140.

SMITH I.F., TAIWO O., GOLDEN M.H.N. [1989]. Plant protein rehabilitation diets and ironsupplementation of the protein-energy malnourished child. Eur. J. Clin. Nutr. 43,763-768.

WATERLOW J.C., GOLDEN M.H.N. [1994]. Serum inorganic phosphate in protein-energymalnutrition. Eur. J. Clin. Nutr. 48, 503-506.

WEINBERG E.D. [1993]. The iron withholding defence system. Am. Soc. Microbiol. News 59,559-562.

117

RÉFÉRENCES

Page 134: Malnutrition physiopath
Page 135: Malnutrition physiopath

7 – Prise en chargede la malnutrition grave

7-1 Introduction

La malnutrition grave est associée à un risque de décès élevé. Les cas lesplus préoccupants doivent être pris en charge en milieu spécialisé : servicepédiatrique ou centre de renutrition thérapeutique dans les situations d’urgence.Ces centres de traitement ne doivent pas nécessairement être très sophistiqués. Lesorganismes humanitaires utilisent actuellement un protocole de traitement simple[BRIEND, GOLDEN, 1993] qu’il est possible de mettre en oeuvre pour de grandsnombres d’enfants. Ce protocole peut être appliqué dans des conditionssommaires comme dans les camps de réfugiés. Même dans ces situationsextrêmes, les taux de mortalité observés et les prises pondérales obtenues ne sontpas très éloignés des chiffres publiés dans les meilleurs hôpitaux de référence.

De nombreux hôpitaux appliquent encore des protocoles thérapeutiquesanciens et obtiennent des taux de mortalité comparables à ceux observés il y aplus de 20 ans [SCHOFIELD, ASHWORTH, 1996]. À l’époque, l’hospitalisation desenfants gravement dénutris avait été sévèrement critiquée, car on se demandait sil’hospitalisation elle-même n’entraînait pas un certain nombre de décès [COOK,1971]. Cette question reste toujours d’actualité pour certains centres appliquantdes protocoles anciens et potentiellement dangereux. La publication par l’OMS[1998] d’un manuel décrivant un mode de prise en charge de la malnutritiondevrait cependant faire évoluer la situation. Ce livret fait la synthèse à la fois duprotocole mis au point par la Tropical Metabolic Research Unit de la Jamaïque etde l’expérience des organismes humanitaires.

Le coût du traitement en milieu hospitalier de la malnutrition grave resteélevé. Dans les pays pauvres, seule une faible proportion d’enfants peut être traitéeainsi. C’est pourquoi d’autres formules de prise en charge continuent d’êtreproposées, comme le traitement des enfants au niveau de structures légèresfonctionnant en hôpital de jour ou à domicile. Passée la phase initiale et coûteusede réanimation pendant laquelle un environnement médical est important, lapoursuite de la réhabilitation nutritionnelle à domicile permet des économiessubstantielles sur le coût du traitement [Khanum et al., 1994]. Le gain de poids desenfants rendus à leur environnement familial est certes moins rapide, mais il peutrester élevé. La mise au point et l’emploi de produits de renutrition conditionnés

119

Page 136: Malnutrition physiopath

sous forme sèche, résistants à la contamination bactérienne et se substituant auxrepas lactés classiques représenteraient un progrès pour la prise en charge de laphase de croissance rapide.

7-2 Définition

La définition de la malnutrition grave sur base essentielle de critèresanthropométriques est une approche imparfaite (§ 2-3-1). Il est cependant utile dedéfinir des seuils de référence qui permettent de décider s’il y a lieu d’admettre unenfant dans une unité de traitement spécialisée. En pratique, un périmètre brachialinférieur à 110 mm identifie correctement les enfants à haut risque de décès et estsouvent retenu comme critère d’admission (§2-3-2). Le seuil de l’indice poids-taille inférieur à -3ET, également utilisé, ne semble pas plus performant. Il ne fautpas considérer ces seuils de façon trop rigide. L’importance des critères cliniques,et en particulier de l’anorexie, doit également être soulignée. Il est évident qu’unenfant dont le périmètre brachial est de 112 mm mais qui est totalementanorexique dans un contexte carentiel ou infectieux doit être admis d’urgence.Inversement, un enfant dont le périmètre brachial atteint 108 mm, mais s’avèrecapable de consommer en grandes quantités des aliments de bonne valeurnutritionnelle pourra être traité en ambulatoire.

Les enfants cliniquement dénutris ayant des œdèmes sont considéréscomme souffrant de malnutrition grave même s’ils ne correspondent pas auxcritères anthropométriques définis ci-dessus. Les enfants dénutris qui n’ont pasd’œdèmes sont appelés marasmes. Ceux qui ont des œdèmes sont désignés sousle terme de kwashiorkor (Photo 2). On admet actuellement que la prise en chargede ces deux formes de malnutrition grave est identique sur le plan diététique.

7-3 Principe du traitement.

Du point de vue diététique, la prise en charge de la malnutrition grave estgénéralement divisée en deux phases : une phase initiale et une phase derécupération nutritionnelle rapide (convalescence). Certains auteurs distinguent enoutre une phase de réanimation en début de traitement et une phase depréparation au retour à domicile (réinsertion) en fin de convalescence. Cesdivisions présentent toutefois un caractère artificiel, car le traitement évolue aujour le jour et ne connaît pas de véritable rupture.

120

PRISE EN CHARGE DE LA MALNUTRITION GRAVE

Page 137: Malnutrition physiopath

La prise en charge diététique de la malnutrition grave est basée sur l’utilisationde préparations lactées. Le maintien de l’allaitement maternel est cependant capitalau cours du traitement : même en milieu hospitalier, la mortalité est plus faible encas d’allaitement maternel [RAVELOMANANA, 1995]. Les centres de traitement doiventdonc être aménagés afin de pouvoir accueillir les mères qui allaitent.

7-3-1 Phase initiale (phase de rééquilibration)

La phase initiale dure tant que l’enfant est anorexique. Pour les enfantsatteints de kwashiorkor, il est habituel de la prolonger tant que persistent desœdèmes importants. Des œdèmes mineurs ne doivent cependant pas retarder lepassage à la phase de renutrition rapide si l’enfant recouvre l’appétit. Cette phaseinitiale dure habituellement une semaine en cas de kwashiorkor. Elle peut être trèsbrève pour les enfants souffrant de marasme : dans ce cas, il n’y a pas depathologie associée ni d’anorexie, le traitement peut commencer d’emblée par laphase de récupération.

• RéhydratationLes enfants dénutris présentent souvent à l’admission des signes de

déshydratation, même en présence d’œdèmes. Le degré de déshydratation estdifficile à évaluer : le signe du pli cutané est souvent présent mais ne signe pasnécessairement l’existence d’une déshydratation marquée ; l’absence de larmes oula sécheresse des muqueuses peuvent être dues à un dysfonctionnement desglandes lacrymales ou salivaires ; l’altération de la conscience peut être laconséquence d’une hypoglycémie ou d’une hypothermie associées.

Le diagnostic de déshydratation tiendra compte de l’interrogatoire et del’aspect des selles. Une déshydratation n’est vraisemblable qu’en présence deselles liquides et abondantes, qui se distinguent des selles molles et moinsfréquentes souvent constatées au cours de la malnutrition.

L’interrogatoire est aussi important pour interpréter la clinique : les yeuxsont souvent enfoncés en cas de malnutrition grave, soit en raison de la fonte dela graisse rétro-orbitaire, soit en raison d’un collapsus du réseau veineux situéderrière le globe oculaire en cas de déshydratation. La fonte graisseuse s’installeprogressivement lorsque la malnutrition progresse tandis que la contractionvasculaire peut se produire en quelques heures lors d’une déshydratation. Sil’interrogatoire suggère que l’enfoncement des globes oculaires s’est accentué aucours des dernières heures, une déshydratation est probable.

La soif est également un signe de déshydratation. Elle peut cependant passerinaperçue lorsque l’enfant est trop faible pour boire ou profondément anorexique. Ellepeut ne pas être manifeste chez un enfant souffrant de lésions buccales importantes.

121

7-3-1 PHASE INITIALE

Page 138: Malnutrition physiopath

La réhydratation doit être prudente. En effet, même en dehors des épisodesde diarrhée, les enfants dénutris ont tendance à se retrouver en bilan hydro-sodépositif. La réhydratation par voie veineuse risque de causer une insuffisancecardiaque par effet de surcharge et doit être réservée aux enfants en état de choc.Seuls des cliniciens expérimentés devraient l’utiliser dans des cas tout à faitexceptionnels. Les centres faisant part de taux de mortalité parmi les plus élevéssont souvent ceux qui ont encore trop souvent recours aux perfusionsintraveineuses. L’abandon des perfusions permet dans bien des cas de réduire defaçon spectaculaire le taux de décès.

La réhydratation par voie orale en soi est délicate. L’OMS recommandeactuellement d’utiliser en cas de déshydratation survenant chez un enfant souffrantde malnutrition grave une solution adaptée à teneur réduite en sodium et à teneurélevée en potassium [OMS, 1998] (Tableau XXXI). Cette solution de réhydratationpour enfant gravement dénutri est actuellement dénommée par le terme génériquede ReSoMal (Rehydration Solution for Malnutrition). Le ReSoMal peut être préparéà partir des sachets de la solution standard mise au point par l’OMS. Cettemodification suppose d’ajouter une quantité d’eau double de la normale, du sucre(25 g/l) et un mélange minéral, celui utilisé pour la supplémentation des régimesde récupération (§ 6-4). La solution obtenue est simple à préparer et possède uneconcentration relativement faible en sodium. Il faut savoir que la solution ReSoMalpeut ne pas convenir en cas de diarrhée aqueuse abondante à Escherichia colientérotoxinogène ou en cas de choléra. La cause en est une perte abondante desodium occasionnée par des diarrhées dites “sécrétoires”. Dans ces cas particuliers,l’utilisation de la solution de réhydratation standard de l’OMS s’impose. L’additionde magnésium dans le ReSoMal a pour but de favoriser la rétention du potassiumet de prévenir les complications cardiaques. Le zinc ajouté dès le stade de laréhydratation devrait permettre d’éviter le risque de diarrhée persistante attribuée àune carence en zinc [SAZAWAL et al., 1996]. Une supplémentation en cuivres’impose également car toute supplémentation en zinc risque d’induire une carencesecondaire en cuivre en l’absence de supplémentation concomitante.

Le ReSoMal est maintenant souvent préparé à partir de sachets industrielsprêts à l’emploi, ce qui n’était pas prévu initialement lorsque la formule desupplémentaiton minérale a été mise au point. On peut dès lors se demander si laformule actuelle ne devrait pas être réajustée. Il serait logique de modifier lesconcentrations électrolytiques en se basant sur les résultats d’études encore encours et investigant l’importance des pertes hydro-électrolytiques observées en casde diarrhée chez les enfants atteints de malnutrition et vivant dans différentessituations écologiques.

Le ReSoMal se donne à raison de 5 à 15 ml/kg/h. Le volume précis àadministrer dépend de l’état de l’enfant, de l’abondance des selles émises pendantla réhydratation et de la réponse clinique de l’enfant. Le traitement est donc

122

PRISE EN CHARGE DE LA MALNUTRITION GRAVE

Page 139: Malnutrition physiopath

difficile à standardiser. L’OMS recommande de faire boire 10 ml/kg/h pendant lesdeux premières heures de prise en charge puis de poursuivre au rythme de 5ml/kg/h pour arriver à un total de 70 ml/kg au bout de 12 heures. Ce rythme estplus lent que celui employé chez les enfants bien nourris parce que chez lesenfants dénutris, le risque de sur-hydratation est élevé en raison d’une capacitérénale réduite d’éliminer du sodium et de l’eau apportés en excès. Uneréhydratation trop rapide est aussi plus souvent mal tolérée chez ces enfantsmalades : leur fonction cardiaque est perturbée à cause de la malnutrition elle-même et altérée par d’éventuelles carences minérales associées (potassium,magnésium et peut-être sélénium).

Le risque de survenue de surcharge volémique induisant une insuffisancecardiaque aiguë doit toujours être redouté. La réhydratation doit être interrompueen cas d’augmentation de la fréquence respiratoire, de turgescence des veinesjugulaires ou de ballonnement abdominal afin de se prémunir du danger latentd’insuffisance cardiaque aiguë se compliquant d’œdème pulmonaire. Ce risqueest surtout présent en cas d’anémie associée.

• RéalimentationApports en protéines et en énergie

La phase initiale de la réalimentation se caractérise par une anorexieprofonde se traduisant par l’incapacité d’assimiler des repas importants. Cetteanorexie peut être la conséquence d’un déséquilibre hydro-électrolytique, d’undysfonctionnement hépatique, d’une carence nutritionnelle de type II (§ 6-2-2) ou

Tableau XXXI — Composition (mmol/l) de la solution de réhydratation proposée pour traiter la diarrhée des enfants gravement dénutris. Formule ReSoMal comparée à celle de la solution standard OMS/UNICEF.

Nutriment ReSoMal OMS/UNICEF(mmol/l) (mmol/l)

Glucose 125 111Sodium 45 90Potassium 40 20Chlore 70 80Citrate 7 10Magnésium 3 -Zinc 0,3 -Cuivre 0,045 -

Osmolarité(mOsm/l) 290 311

123

7-3-1 PHASE INITIALE

Page 140: Malnutrition physiopath

de la présence d’infections ou d’une association de ces différentes causes.L’objectif de la première phase est donc de rétablir l’appétit en éliminant la ou lescause(s) sous-jacente(s) à l’anorexie. À ce stade, il est inutile, voire mêmedangereux, de forcer l’appétit de l’enfant.

On considère également qu’il est imprudent de fournir trop tôt des apportsénergétiques élevés aux enfants œdémateux : il existe un risque d’insuffisancecardiaque (sub-aiguë) en cas d’augmentation brutale des apports en énergie, eneau et en sel chez des enfants dont l’activité de la pompe sodium/potassium estparadoxalement anormalement élevée [PATRICK, 1977]. Pour cette raison, il esthabituel de maintenir en phase initiale de réalimentation (ou phase 1) tous lesenfants qui restent œdémateux.

D’un point de vue diététique, l’objectif de la première phase est avant toutd’éviter une dégradation de l’état nutritionnel, en alimentant l’enfant au traversd’une sonde gastrique si nécessaire. Pour les protéines et l’énergie, on se contentede couvrir les dépenses d’entretien et de compenser les pertes, quitte à être plusgénéreux pour les autres nutriments.

Les apports en énergie (exprimés en kcal/kg/jour) nécessaires pour prévenirle catabolisme varient légèrement d’un enfant à l’autre. Ces variations s’expliquentpar des différences de composition corporelle et notamment par les variations derapport entre la masse maigre et la masse grasse, et également par les pertes depoids respectives entre tissu musculaire et organes grands consommateursd’énergie. Le degré de surcharge hydro-sodée et le niveau d’adaptationmétabolique de l’organisme à son état de malnutrition exercent également uneinfluence sur le bilan énergétique et donc sur la quantité d’énergie nécessaire pourl’équilibre (§ 3-4-1). On admet ainsi qu’en proposant des apports compris entre 80et 100 kcal/kg/jour, on arrête le catabolisme tissulaire et que par ailleurs, à ceniveau d’apports, il existe peu de risque de provoquer les complicationscardiaques consécutives à une renutrition trop rapide.

L’OMS recommande actuellement d’utiliser en début de traitement unepréparation appelée F75 (Tableau XXXII) apportant 75 kcal/100 ml [OMS, 1998].

124

PRISE EN CHARGE DE LA MALNUTRITION GRAVE

Tableau XXXII — Composition de la préparation F75 préconisée pendant la phase initialedu traitement.

Nutriment Quantité pour 1 litre de F75

Lait écrémé en poudre 25 gSucre 60 gHuile 25 gFarine de riz (ou autre céréale) cuite 50 gSupplément vitaminique et minéral 3,2 g

Porter au litre avec de l’eau (non minéralisée)

Page 141: Malnutrition physiopath

Donnée à raison de 110 à 135 ml/kg, cette solution permet d’apporter les 80 à 100kcal/kg nécessaires à couvrir les besoins énergétiques quotidiens d’entretien.

Les apports protéiques nécessaires pour compenser les pertes obligatoiresconstituent le besoin minimum absolu indispensable en l’absence de gain depoids : cette quantité est très faible, de l’ordre de 0,7 g/kg/jour (§ 4-3-1). Laconcentration en protéines de la préparation F75 est de 9 g/l, les protéinesfournissant donc moins de 5% de l’énergie totale. Un enfant consommant 110 à135 ml/kg de préparation F75 reçoit entre 1 et 1,2 g de protéines/kg/jour, soitlégèrement plus que les besoins de maintenance, ce qui permet donc une certainesynthèse protéique. Cette quantité reste cependant faible et ne semble pas exposerl’enfant au risque de surcharge azotée hépatique.

La préparation F75 apporte une proportion importante d’énergie sous formede glucides. Ce choix se justifie d’une part par la crainte de fournir trop deprotéines, considérées comme potentiellement toxiques en début de traitement, etd’autre part par l’impossibilité de donner trop de lipides, souvent mal absorbés enraison d’une insuffisance pancréatique fréquemment associée à la malnutrition[SAUNIÈRES, SARLES, 1988]. Au cours du kwashiorkor, le pancréas exocrine peut êtresi gravement atteint que les anatomo-pathologistes ont utilisé le terme de“pancréatectomie nutritionnelle” pour décrire les lésions observées [DAVIES, 1954].Il faut cependant veiller à ce que les repas fournis en début de traitement aient unefaible osmolarité afin de réduire au maximum les risques de diarrhée (§ 3-5-1).Pour éviter que la préparation F75 soit trop hypertonique, la moitié des glucidesest présente sous forme de longs polymères du glucose (le plus souvent farine deriz si la formulation est préparée sur place ou malto-dextrine en cas de fabricationindustrielle). L’osmolarité peut ainsi être maintenue à un niveau inférieur à 300mOsm/l.

Lors de la première phase de traitement, il est important de nourrir l’enfantpar des repas fréquents. Ce schéma alimentaire a l’avantage de réduire le risqued’hypoglycémie et aussi d’hypothermie. On recommande habituellement denourrir les enfants les plus gravement malades toutes les deux heures, y comprisla nuit. La plus grande fréquence de décès survenant pendant les dernières heuresde la nuit est souvent imputable à des hypoglycémies qu’il est possible d’éviter ennourrissant les enfants la nuit également.

Apports en vitamines et en minéraux

Dès la phase initiale du traitement, il est important de corriger les carencesconcomitantes en vitamines et en minéraux. On recommande de donner une dosede charge initiale en vitamine A et en acide folique. L’OMS suggère de donnersystématiquement 5 mg d’acide folique à tous les enfants à leur admission, ce quireprésente plus de 10 fois les besoins quotidiens d’un enfant sain âgé de 1 an.Cette dose permet de corriger rapidement une carence éventuelle et ne présente

125

7-3-1 PHASE INITIALE

Page 142: Malnutrition physiopath

en outre aucun risque. Il n’est cependant pas nécessaire de la répéter. Pour lavitamine A, on recommande de donner systématiquement à l’admission la doseappliquée en cas de traitement de la carence grave (Tableau XXXIII). Cettequantité est élevée : elle correspond à plus de 100 fois les besoins quotidiens d’unenfant sain âgé de 1 an. On peut douter que cette forte dose soit correctementabsorbée et utilisée par l’enfant très malade. Vu le peu d’études dédiées aumétabolisme de la vitamine A chez l’enfant atteint de malnutrition grave, il n’estpas possible de formuler des recommandations plus appropriées.

Pour fournir d’emblée tous les minéraux indispensables et toutes lesvitamines, il est souhaitable d’ajouter systématiquement à la préparation F75 unmélange standard. Sa composition a été établie de manière à couvrir les besoinsspécifiques d’un enfant polycarencé, tout en tenant compte d’une absorptionintestinale altérée (§ 6-4). La concentration ajoutée à la préparation F75 est tellequ’un enfant en ingérant 100 kcal/kg reçoit les vitamines et les minéraux enréponse à la totalité de ses besoins tant en début de traitement qu’ultérieurement.

L’ajout de fer en début de traitement semble entraîner un excès de mortalité(§ 6-3-6), un excès martial favorise la formation de radicaux libres et la survenued’infections, particulièrement quand le taux de transferrine sérique est abaissé. Lefer est aussi un nutriment facilitant la croissance bactérienne, notamment lorsqu’ilest présent sous forme libre. Même chez les enfants anémiés, il est recommandéde ne pas donner de fer au début du traitement. Dans sa composition actuelle, lesupplément en minéraux et vitamines ne prévoit donc pas de fer.

Un mélange de vitamines et de minéraux adapté au traitement de lamalnutrition est actuellement préparé industriellement. Sa formulation galéniqueétant du domaine public, il s’agit d’un produit de type “générique”. Ce supplémentest en réalité très différent de la plupart des préparations commerciales et estparticulièrement riche en potassium, en magnésium et en zinc, dans le but decorriger les déficits fréquemment observés. Ces minéraux sont généralementabsents, ou peu abondants, dans les préparations destinées aux enfants sains. Par

126

PRISE EN CHARGE DE LA MALNUTRITION GRAVE

Tableau XXXIII — Doses de vitamine A préconisées à donner au cours du traitement de lamalnutrition grave.

Administration Palmitate de rétinol ou acétate de rétinol Équivalent rétinol(Unités internationales)

Jour 1 et Jour 2 55 mg IM ou 33 mg IM ou 100 000 IM ou110 mg per os 66 mg per os 200 000 per os

Jour de sortie 110 mg per os 66 mg per os 200 000 per os

Les doses sont diminuées de moitié chez l’enfant de moins de un an.

Page 143: Malnutrition physiopath

ailleurs, de nombreux suppléments commerciaux contiennent du fer et sont doncdéconseillés chez l’enfant souffrant de malnutrition.

• ComplicationsDes complications métaboliques et infectieuses surviennent souvent au

cours de la phase initiale du traitement [GOLDEN, 1995]. Leur prévention et/ou leurtraitement imposent un suivi médical. Sans entrer dans le détail, quelquescomplications fréquentes doivent être mentionnées ici.

Hypoglycémie

L’enfant dénutri est à risque de développer une hypoglycémie dès qu’il resteplus de 4 à 6 heures à jeun. La manière la plus efficace de prévenir ce risque estde donner des repas fréquents, jour et nuit.

Un état de léthargie, une hypotonie, une altération de la conscience, unetempérature corporelle abaissée sont souvent les seuls signes cliniques décelablesd’hypoglycémie. Une raideur musculaire généralisée, des mouvements saccadésou des convulsions peuvent également se produire. La pâleur et les sueurs profusesobservées chez le sujet sain qui développe une hypoglycémie inopinée ne sontpas habituels chez l’enfant atteint de malnutrition. Souvent, le seul signe évocateurd’hypoglycémie grave, voire fatale, est une altération de la conscience. Si on peutfaire boire l’enfant, il faut toujours en cas de doute, lui donner du glucose ou dusucre dilués dans de l’eau ou de la préparation lactée F75 et observer sa réaction.Une injection rapide de 1 ml/kg de solution stérile de glucose à 50 % par voieveineuse est parfois nécessaire, notamment chez le sujet inconscient. Elle doit êtresuivie de l’administration par sonde gastrique de solution glucosée ou de sucre à10 % ou de F75 pour éviter toute récidive.

Hypothermie

L’hypothermie est la conséquence d’un ralentissement du métabolisme debase. La prescription de repas fréquents est importante pour sa prévention. Lesprocessus métaboliques s’intensifient après chaque repas [ASHWORTH, 1969] : lerisque d’hypothermie est particulièrement élevé au petit matin, au moment où latempérature ambiante s’abaisse, si l’enfant n’est pas bien couvert, et s’il n’a pas éténourri pendant la nuit. On suspectera une hypoglycémie chez tout enfanthypothermique qui sera d’emblée traité comme tel.

En début de traitement, les enfants ne seront pas placés près des fenêtres oudans des courants d’air. Les fenêtres resteront fermées la nuit. Si le local semblefrais, il est sûrement trop froid pour les enfants malades qui seront de préférencetoujours bien habillés et couverts chaudement. Il est regrettable que peu d’unitésde nutrition utilisent des bonnets pour éviter des pertes de chaleur au niveaucéphalique. Pourtant le cerveau est très actif sur le plan métabolique, et

127

7-3-1 PHASE INITIALE

Page 144: Malnutrition physiopath

relativement mal isolé (§ 3-3-2). Cette mesure simple pourrait contribuer à réduirele risque d’hypothermie.

Lorsque la température rectale est inférieure à 35,5 oC, l’enfant doit êtreréchauffé. En le plaçant près d’une lampe (mais pas à son contact), l’air qu’ilrespire sera à meilleure température. En enveloppant les aines et les aisselles debouillottes chaudes, on contribue à relever la température corporelle de l’enfant.

Anémie

L’existence d’une anémie profonde est fréquente en début de prise encharge de la malnutrition grave, mais son traitement ne présente habituellementpas de caractère d’urgence. La correction des carences en potassium etmagnésium, et la limitation des apports sodés suffisent, en principe, à éviter lerisque d’insuffisance cardiaque. Rappelons que l’anémie associée à la malnutritiongrave est rarement due à une carence en fer, et qu’une supplémentation à ce stadeest contre-indiquée (§ 6-3-6). Une transfusion sanguine est rarement nécessaire, àmoins que la concentration d’hémoglobine ne descende en dessous de 5 g/100ml(ou l’hématocrite en dessous de 15 %). Ces patients devront être transfusés avecdu sang entier, à un rythme lent de 10 ml/kg ou, mieux, avec des globules rougesconcentrés (culot globulaire) sur une période longue, en pas moins de trois heures.

Insuffisance cardiaque

Une insuffisance cardiaque peut apparaître en cas d’anémie profonde ou encas de surcharge myocardique lors d’une réhydratation trop rapide(particulièrement par voie veineuse), d’une transfusion excessive de sang ou deplasma, ou d’un apport alimentaire trop riche en sodium. Elle peut être laconséquence d’une prise trop abondante de solution de réhydratation. L’utilisationdu ReSoMal à la place de la solution de réhydratation classique de l’OMS réduitle risque d’insuffisance cardiaque, mais ne l’annule pas totalement. Cettecomplication peut également survenir en début de réalimentation intensive, quandle sodium quitte les cellules et entre dans l’espace circulant à un rythme quidépasse les capacités d’élimination sodée du rein.

L’insuffisance cardiaque se manifeste dans un premier temps par uneaugmentation de la fréquence respiratoire. Il est important de ne pas la confondreavec la survenue d’une pneumopathie. Parfois les signes cliniques peuvent passerinaperçus. La période post-prandiale est caractérisée par une élévation de lafréquence cardiaque due à une activitaion de métabolisme. La survenue de décèssoudains et inexpliqués après les repas doit faire penser à l’insuffisance cardiaque.

En cas d’insuffisance cardiaque, il faut cesser tout apport liquidien tant parvoie orale que veineuse. Un diurétique comme le furosémide (1mg/kg) donné parvoie veineuse peut être efficace pour réduire le volume circulant et soulager le

128

PRISE EN CHARGE DE LA MALNUTRITION GRAVE

Page 145: Malnutrition physiopath

muscle cardiaque. Cette utilisation des diurétiques doit rester exceptionnelle. Enaucun cas ceux-ci ne doivent être utilisés pour faire fondre les œdèmes.

Infections

Les infections sont fréquentes au cours de la malnutrition grave et passentparfois inaperçues. En effet, la réaction inflammatoire qui engendre les signescliniques diagnostiques habituels (et notamment la fièvre) est très souvent absenteou atténuée. Une anorexie profonde est parfois la seule manifestation apparented’une infection. L’OMS recommande d’administrer systématiquement ducotrimexazole per os à tous les enfants indemnes de signes d’infection et deprescrire une association pénicilline/gentamicine en cas d’infection cliniquementapparente [OMS, 1998]. Une association d’une pénicilline avec lechloramphénicol est recommandée en cas de méningite et de l’acide nalidixiquepeut être proposé en cas de dysenterie (à adapter sur l’antibiogramme et lesrésistances locales).

La tuberculose doit également être suspectée chez les enfants ne répondantpas au traitement diététique. La prise en charge demande à être adaptée auprotocole de traitement utilisé dans le pays ou la région.

7-3-2 Phase de réhabilitation nutritionnelle

La deuxième phase du traitement diététique ou phase de réhabilitation(convalescence) nutritionnelle a pour objectif de faire prendre à l’enfant le pluspossible de poids afin de retrouver une composition corporelle normale, ce quimet l’enfant hors de danger. Cette phase peut débuter dès que l’enfant est capabled’absorber et de métaboliser de grandes quantités de nourriture susceptibles decontribuer à la synthèse tissulaire. Sur le plan clinique, ce moment se marque parla reprise de l’appétit.

• Apports en protéines et en énergieDès que l’enfant ingère spontanément des quantités d’énergie supérieures à

100 kcal/kg/jour, sa synthèse tissulaire reprend. L’anabolisme est cependant limitéaussi longtemps que l’enfant reçoit uniquement la préparation F75 dont le contenuen protéines ne permet que la synthèse de faibles proportions de tissu maigre. Unenfant trop longtemps et trop abondamment nourri avec la préparation F75gagnerait essentiellement du poids sous forme de graisse.

Lors de cette deuxième phase de convalescence, l’enfant est capabled’accélérer sa croissance pondérale et d’atteindre des rythmes très élevés varianten moyenne entre 10 à 15 g/kg/jour, voire même 20 g/kg/jour chez certainsenfants. Ces gains de poids sont près de 10 fois supérieurs à ceux d’un enfant bien

129

7-3-2 PHASE DE RÉHABILITATION NUTRITIONNELLE

Page 146: Malnutrition physiopath

nourri du même âge. Ils nécessitent des apports protéiques qui contribuent pour10 % au moins à l’apport énergétique (§ 5-3-2).

Il est habituel de donner dès le début de la phase de réhabilitation unepréparation de type F100, dont le contenu en protéines est voisin de 2,6 g/l, ce quireprésente entre 10 et 12 % de la valeur énergétique (Tableau XXXIV). Cetteformule a été conçue pour permettre une prise de poids optimale pendant la phasede réhabilitation. Elle apporte une quantité de protéines supérieure à ce quel’enfant utilise effectivement dans les premiers jours de la phase de réhabilitation,quand la croissance et la synthèse protéique sont encore faibles. Rappelons queles besoins protéiques, exprimés en pourcentage des besoins énergétiques, sontfonction de la croissance pondérale (§ 5-2-2). Sur le plan pratique, il n’est paspossible d’ajuster à chaque stade du traitement la fraction de l’énergie protéique,car chaque rythme de croissance imposerait une nouvelle formulation. On fourniten début de la phase de réhabilitation des quantités protéiques supérieures auxbesoins réels. Cette attitude expose au risque de voir réapparaître une anorexie, cequi nécessiterait un retour au produit F75.

Lors du passage en phase de réhabilitation, il est conseillé d’augmenterprogressivement les apports énergétiques, surtout chez les enfants porteursd’œdèmes résiduels. La survenue d’une insuffisance cardiaque a été décrite aprèsintroduction trop rapide d’un régime trop riche en énergie [PATRICK, 1977].L’utilisation de mélanges de minéraux adaptés a sans doute réduit ce risque maisla prudence s’impose, surtout dans les régions où l’anémie est fréquente.

Les besoins en énergie sont très élevés au cours de la phase deréhabilitation. En conséquence, la concentration de glucides dans la préparationF100 a été portée à un niveau élevé mais ceci en augmente l’osmolalité1 : elle

Nutriment Quantité pour 1 litre de F100

Lait écrémé en poudre 80 gSucre 50 gHuile 60 gSupplément vitaminique et minéral 3,2 g

Porter au litre avec de l’eau (non minéralisée)

Tableau XXXIV — Composition de la préparation F100 à utiliser pendant la phase deconvalescence nutritionnelle.

130

PRISE EN CHARGE DE LA MALNUTRITION GRAVE

1 L’osmolarité fait référence au nombre de mOsm présentes par litre de solution.L’osmolalité se rapporte au nombre de mOsm par kg d’eau. L’osmolalité s’estime parmesure du point de congélation. Ces deux quantités ne sont pas strictement équivalentes encas de formules lactées concentrées.

Page 147: Malnutrition physiopath

atteint 460 mOsm/kg après addition du supplément de minéraux et de vitamines.L’osmolarité correspondante est à la limite de ce que peut tolérer un enfant [KOO

et al., 1969]. La muqueuse intestinale fréquemment fragile tolère mal les repashyper-osmolaires : même la solution de réhydratation standard de l’OMS dontl’osmolarité n’excède pas 311 mOsm/l semble trop concentrée pour certainessituations de diarrhée [International Sudy Group, 1995].

La préparation F100 apporte également une quantité importante de lipides,correspondant à 55 % de l’énergie totale, soit en pratique le maximum de ce qu’unenfant peut absorber. Les lipides ont l’avantage d’augmenter considérablement lavaleur énergétique de l’alimentation sans avoir d’effet notable sur l’osmolarité. Ilest également possible de réduire cette osmolarité en incluant dans la solution desdextrines-maltoses plutôt que du saccharose. Cette modification est difficile àappliquer en dehors du milieu industriel et augmente le prix du produit fini. Il fautsavoir que la solution F100 classique dont l’osmolarité n’a pas été abaissée parremplacement d’une partie du sucre par des dextrines-maltoses est hyper-osmolaireet qu’elle peut être source de diarrhées si elle est donnée trop rapidement et en tropgrande quantité, surtout au début de la phase de réhabilitation.

La préparation F100 apporte 100 kcal/100 ml (1 kcal/ml), ce qui facilite lecalcul des rations. Cette densité suffit pour oser augmenter par paliers les apportsénergétiques jusqu’à environ 200 kcal/kg/jour et faciliter une croissance pondéralerapide. L’emploi de produits encore plus riches en énergie et administrés en fin dephase de réhabilitation nutritionnelle expose à un risque inutile de complication.

Le gain de poids obtenu au cours de la phase de récupération est mesuré eng/kg/jour. Il se calcule par la formule :

Gain de poids (g/kg/jour) = (poids observé - poids initial) x 1000 .

(poids initial) x (nombre de jours de traitement)

Dans cette formule, les poids doivent être exprimés en kilogrammes aunumérateur et au dénominateur. Le poids initial est le poids au début de la phasede réhabilitation ou pour les enfants atteints de kwashiorkor, le poids minimumobservé après la fonte des œdèmes. En phase de récupération, le gain de poidsmoyen doit normalement être compris entre 10 et 15 g/kg/jour. Une prise de poidsinférieure doit faire soupçonner une consommation alimentaire insuffisante, ce quireprésente la première cause de croissance pondérale trop faible. Le gain de poidsest très sensible aux variations des apports énergétiques (§ 3-4-3). En réalité, cesenfants malingres ont besoin de quantités importantes de nourriture, proches decelles des adultes. Si le personnel n’a pas l’habitude de prendre en charge ce typed’enfants, il est fréquent qu’il sous-estime les quantités de nourriture dont ils ontbesoin pour retrouver une croissance rapide.

131

7-3-2 PHASE DE RÉHABILITATION NUTRITIONNELLE

Page 148: Malnutrition physiopath

• Apports en vitamines et minéraux

La couverture des besoins en vitamines et minéraux est assurée parl’addition à la solution F100 d’un supplément standard (§ 6-4). Comme laconcentration vitaminique et minérale de ce supplément est généreuse, lacouverture des besoins est également assurée au cours de la phase deréhabilitation, d’autant plus que les volumes de solution F100 consommés à cestade sont importants.

La prise rapide de poids et la synthèse de muscle et d’hémoglobine lors dela phase de réhabilitation accroissent les besoins en fer alors que l’enfant estalimenté avec un régime qui n’en contient pratiquement pas. Il existe à ce stadeun risque de carence en fer et d’anémie ferriprive et une supplémentation devientnécessaire. On estime qu’une supplémentation en fer ne présente plus de dangerquand le taux de transferrine est revenu à un niveau normal. En pratique, il estrarement possible de mesurer régulièrement cette protéine sérique. On suggèredonc de donner du fer, à la dose de 2 mg/kg/jour, quand le gain pondéral excède5 g/kg/jour. Cette recommandation s’appuie sur la constatation suivante : latransferrine est, parmi les protéines, l’une de celles qui est le plus précocementsynthétisée lors de la reprise anabolique. Son effet protecteur vis-à-vis d’un excèsde fer s’exerce donc au moment où l’enfant commence à reprendre du poids.

La supplémentation peut se faire de façon individuelle, en donnant àchaque enfant une dose de 1 à 3 mg/kg/jour de fer élément, selon l’ampleur de sonanémie. On peut également atteindre ces apports en ajoutant 1 mg de fer à 100ml de F100. Le sulfate de fer hydraté contient 20 % de fer métal et des doses de 5à 15 mg/kg de ce sel donné pour la supplémentation correspondent à des dosesde 1 à 3 mg/kg de fer élément nécessaires. On peut également remplacer unepartie des formules lactées diététiques (type F100) par un aliment enrichi en fer.Néanmoins, la substitution d’une formule F100 par un aliment riche en fer maispar ailleurs mal équilibré peut freiner la croissance pondérale.

7-4 Lait et diarrhées

Les enfants dénutris souffrent aussi souvent de diarrhée. Certains pédiatreshésitent à leur prescrire des préparations lactées ou du moins des alimentscontenant du lactose. Le problème de l’intolérance au lactose semble cependantrelativement secondaire au cours de la réalimentation des enfants convalescentsde malnutrition. Ce problème se posait surtout autrefois lors de l’utilisation derégimes à base de lait écrémé et non enrichis en énergie par addition d’huile.

132

PRISE EN CHARGE DE LA MALNUTRITION GRAVE

Page 149: Malnutrition physiopath

Le lactose est pourtant susceptible de provoquer une diarrhée s’il est donnéà fortes concentrations dans un régime pauvre en lipides. Ceci tient au fait que seulle lactose intact, c’est-à-dire non hydrolysé et non fermenté, est susceptible deprovoquer une diarrhée dès qu’il parvient dans le colon. Le lactose passant enfaibles quantités dans l’intestin grêle peut être digéré car la lactase résiduelle estencore suffisamment présente, même si son activité est très réduite, en cas demalnutrition grave. Par ailleurs, de faibles doses de lactose non digéré arrivant aucolon y sont habituellement fermentées. Cette réaction produit des acides gras àchaîne courte contribuant à l’absorption d’eau et d’électrolytes. Cette propriété, dedécouverte récente, a conduit certains auteurs à proposer en cas de diarrhée lafourniture de substrats précurseurs permettant d’augmenter la production de cesacides gras à chaîne courte [BOWLING et al., 1996; RAMAKRISHNA, MATHAN, 1993].La diminution d’importance des diarrhées observées après addition de lactose aurégime d’enfants réalimentés avec des dérivés de soja [DONOVAN, TORRES-PINEDO,1987] pourrait également s’expliquer par la formation d’acides gras à chaînescourtes. Seules les doses importantes de lactose non digéré atteignant effec-tivement le colon sont susceptibles de provoquer une diarrhée.

Les préparations alimentaires riches en lipides semblent mieux toléréesparce qu’elles favorisent sans doute le ralentissement de la vidange gastrique, elle-même influencée par la densité énergétique du repas [BERNIER et al., 1988]. Ceteffet a pour corollaire une décélération de la progression du lactose qui resteraitplus longtemps au contact de la muqueuse intestinale. Le degré d’hydrolyse, etdonc sa digestion, s’en trouverait renforcé.

À énergie égale, les préparations actuelles, et particulièrement les formulesF75 et F100, apportent peu de lactose, du moins en comparaison des quantités delactose présentes dans d’autres aliments lactés ordinaires [SALLE, 1993; FAVIER et al.,1995] (Tableau XXXV). Elles sont en réalité beaucoup plus pauvres en lactose quele lait maternel qui est parfaitement toléré même par l’enfant dénutri, sans douteparce qu’il est donné en petites fractions au cours de tétées fréquentes et régulièreset donc chacune de faible volume. Malgré la présence de sucres réducteurs dansles selles, la plupart des enfants gravement dénutris tolèrent bien les régimes à basede lait dans la mesure où ils sont fragmentés en repas réguliers.

L’état d’un certain nombre d’enfants souffrant de diarrhées persistantessemble être amélioré quand on leur donne du lait fermenté [BOUDRAA et al., 1990].Ces laits sont plus pauvres en lactose et possèdent eux-mêmes une activité lactasiqueintrinsèque qui persiste au cours de la digestion intestinale. Il n’est pas certaincependant que ce mécanisme seul soit à même d’expliquer cette meilleuretolérance. Quoi qu’il en soit, le lait fermenté peut s’avérer utile en cas de diarrhéepersistante. En milieu tropical, les difficultés pratiques de préparation du laitfermenté ne doivent pas être négligées si on veut que ce lait soit consommable àtoute heure de la journée. L’approvisionnement en ferments de bonne qualité imposel’organisation d’une chaîne de froid, et sa mise en place semble souvent délicate.

133

7-4 LAIT ET DIARRHÉES

Page 150: Malnutrition physiopath

L’intolérance ou plutôt l’allergie aux protéines du lait de vache est rarementsuspectée comme cause de diarrhée dans les pays pauvres. Peu d’enfantsreçoivent du lait de vache dans les premiers mois de leur vie et une sensibilisationsemble a priori peu vraisemblable. En fait, cet argument n’est pas absolu, et on adécrit en Europe des allergies aux protéines de lait de vache chez des enfantsallaités. Il est donc possible que ce problème existe aussi dans certains pays où,traditionnellement, le lait est consommé mais que son incidence soit sous-estimée.

7-5 Protocole basé sur l’utilisation exclusive de la formule F100

L’utilisation de deux préparations lactées différentes, l’une proposée endébut et l’autre en fin de traitement, est conseillée mais cette recommandation parl’OMS se base uniquement sur un raisonnement théorique. En fait, aucune étuden’a démontré de façon comparée que l’utilisation d’une préparation de type F75pendant la phase initiale du traitement diététique des enfants gravement dénutrisfaisait baisser la mortalité de façon appréciable. Devant cette incertitude, denombreux organismes humanitaires travaillant sur le terrain dans des situationsd’urgence appliquent un protocole simplifié basé sur l’emploi de la formule F100dès le début du traitement. Cette attitude se heurte néanmoins à plusieurs types dedifficultés dont l’importance réelle est difficile à apprécier en l’absence d’étudescomparatives.

7-5-1 Osmolarité de la préparation F100

La formule F100 est hyperosmolaire (environ 460 mOsm/kg). Cettehyperosmolarité est susceptible de provoquer ou d’aggraver une diarrhée. Par

134

PRISE EN CHARGE DE LA MALNUTRITION GRAVE

Tableau XXXV — Teneur en lactose de différents laits et des préparations F75 et F100

Produit lacté Teneur en lactose(g/l) (g/100 kcal)

Lait écrémé en poudre 13.6Lait maternel 63 10Lait de vache 45 7,1Préparation F100 38 3,8Préparation F75 12 1,6

Page 151: Malnutrition physiopath

ailleurs, une formule hyperosmolaire et très dense en énergie provoque sans douteun ralentissement de la vidange gastrique, ce qui favorise les épisodes devomissements. Pour ces raisons, si la préparation F100 est utilisée en début detraitement, il est souhaitable de la diluer pour en réduire l’osmolarité. Si l’on diluela formule F100 avec un supplément de 40% d’eau par rapport à ce que ce quidevrait être (volume de 1,4 l au lieu de 1 l), son osmolarité tombe aux environs de330 mOsm/kg, ce qui devient plus acceptable. Il semble qu’on améliore ainsi latolérance au produit.

7-5-2 Concentration élevée en protéinesde la préparation F100

La préparation F100 a été conçue au départ pour permettre une croissancepondérale optimale. C’est pourquoi une forte proportion de son énergie s’y trouvesous forme de protéines. Une plus grande dilution de la formule F100 ne changepas cette proportion. Dès lors, un enfant qui reçoit en début de traitement 100kcal/kg sous forme de préparation F100 dans l’espoir de maintenir son poidscorporel stable reçoit 2,8 g/kg de protéines. Ceci représente 4 fois plus que sesbesoins, proches de 0,7 g/kg/jour en l’absence de gain de poids. Rappelons queconsommer des protéines en excès des besoins n’est pas dénué de risque et peutinduire une anorexie en début de traitement (§ 4-4-1). Il a été montré par ailleurschez l’animal qu’une partie des apports protéiques excédentaires n’est pasabsorbée et que cette présence importante d’azote dans le tube digestif favoriseune prolifération bactérienne au niveau du colon. Cette pullulation pourraitessaimer et provoquer par translocation des foyers infectieux dans d’autres partiesde l’organisme [NELSON et al., 1996]. Il est possible que ce phénomène se produiseégalement chez l’homme.

7-5-3 Concentration élevée en lipidesde la préparation F100

Toujours pour favoriser la croissance pondérale, la préparation F100apporte une partie importante de son énergie sous forme de lipides. Au début dutraitement diététique, une alimentation aussi riche en lipides peut poser unproblème car il existe souvent une malabsorption lipidique importante suite à uneinsuffisance pancréatique (§ 7-3-1). En raison d’une malabsorption importantedes graisses, il est à craindre qu’un certain nombre d’enfants absorbent desquantités insuffisantes d’énergie s’ils consomment d’emblée un régime riche engraisses.

135

7-5-3 CONCENTRATION ÉLEVÉE EN LIPIDES DE LA PRÉPARATION F100

Page 152: Malnutrition physiopath

7-5-4 Taux élevé de sodium de la préparation F100

La préparation F100 est relativement riche en sodium et ceci s’explique parla quantité importante de lait écrémé, naturellement riche en sodium, entrant danssa composition. Chez certains enfants, et surtout en présence d’œdèmes, l’apportsodé doit être réduit au minimum en raison du risque d’insuffisance cardiaque.L’emploi de la formule F100 d’emblée semble donc déconseillé.

7-6 Préparations des formulesF75 et F100

Les nourrissons atteints de malnutrition grave et néanmoins encorepartiellement, voire totalement allaités, peuvent difficilement recevoir autre choseque du lait. La croissance pondérale obtenue avec des préparations non lactées estplus lente et la mortalité plus élevée que lors de l’emploi des préparations lactéescorrectement adaptées. La prise de poids constatée pendant la phase ultérieure deconvalescence (ou récupération) est aussi nettement moindre si le régimealimentaire est végétal.

L’utilisation d’isolats de protéines de soja devrait en principe permettre deproduire des formules proches des formules lactées actuellement utilisées pour laréhabilitation nutritionnelle. La composition des compléments vitaminiques etminéraux doit être adaptée, en particulier pour permettre des apports suffisants encalcium et en phosphore. Le prix des isolats de protéines de soja reste cependantélevé.

Les mélanges lactés utilisés dans les centres de renutrition sont souventpréparés à partir de lait écrémé, d’huile et de sucre. On ajoute actuellement à cesmélanges des compléments de vitamines et de minéraux. Les matières premièresde ces préparations ont l’avantage d’être bon marché. Leur utilisation posecependant des problèmes. Les organismes chargés de l’aide alimentaire limitentsouvent leur choix à un seul type de produit. À l’inverse, il n’est pas rare qu’uncentre de renutrition doive faire appel à trois sources de financement différentespour obtenir le lait, l’huile et le sucre. L’introduction de compléments de vitamineset de minéraux va rendre le problème d’autant plus complexe. Le lait écrémé,paradoxalement, semble plus facile à obtenir que l’huile et surtout que le sucre.Par ailleurs, même quand les produits de base sont tous disponibles, il est rare qu’ilsoient mélangés dans des proportions correctes à moins qu’il n’y ait à proximitéun pédiatre averti ou un nutritionniste. Généralement, les quantités d’huile et de

136

PRISE EN CHARGE DE LA MALNUTRITION GRAVE

Page 153: Malnutrition physiopath

sucre ajoutées au lait sont trop faibles. Le nombre d’enfants dénutris qui ont reçuau cours des vingt dernières années des régimes excédentaires en lait par rapportà l’huile et au sucre se compte certainement en centaines de milliers. Une visitedes stocks de nourriture des centres nutritionnels permet de se rendre compte del’ampleur du problème. Les conséquences de ces déséquilibres, en termes deressources gaspillées, sont regrettables. Plus grave, les régimes à forte teneur enprotéines, en sodium et en lactose ont sans doute entraîné une mortalitésupplémentaire difficile à chiffrer.

La standardisation récente des régimes de renutrition a été suivie parl’apparition sur le marché de préparations prêtes à l’emploi de type F100, puis F75,d’origine industrielle. Le recours à ces produits s’avère de plus en plus fréquentdans les opérations humanitaires. Il faut reconnaître que leur emploi simplifieconsidérablement la prise en charge de la malnutrition grave. Ces préparations nesont cependant pas supérieures à des formules reconstituées sur le terrain par unpersonnel correctement formé. Le grand mérite des préparations industrielles est dediffuser les recommandations les plus récentes sur la composition des régimes derenutrition dans les endroits où il n’existe aucun spécialiste en nutrition. Dans lesservices utilisant jusque-là des régimes très déséquilibrés, l’introduction de cespréparations permet d’accélérer la prise de poids et de faire baisser la mortalité enquelques semaines. Le temps ainsi gagné permet d’attirer l’attention du personnelsur la prise en charge médicale. Ceci constitue un élément clé dans la réduction dela mortalité. Ces préparations n’exerceront cependant aucun effet sur les gains depoids ou sur la mortalité dans les endroits où il n’existe pas de rigueur dansl’application des régimes ni un minimum de suivi médical.

Ces formules industrielles coûtent environ deux fois plus cher que lamatière première utilisée lorsque le régime est préparé sur place. Les économiesréalisées en termes de formation et de supervision compensent certainementlargement ce surcoût. Notons également que ces préparations sont réservées à unusage très précis et que le nombre d’enfants dont l’état justifie leur emploi estrelativement faible. Les quantités réellement nécessaires à l’échelle mondiale sontcertainement minimes comparées aux dizaines de milliers de tonnes de laitécrémé en poudre envoyées par l’aide alimentaire chaque année (§ 9-3-2).

7-7 Reprise de l’alimentation familiale, suivi à domicile

La phase de croissance pondérale rapide dure habituellement peu de temps.Au cours de cette période, l’enfant peut consommer une quantité d’énergie

137

7-7 REPRISE DE L’ALIMENTATION FAMILIALE

Page 154: Malnutrition physiopath

138

PRISE EN CHARGE DE LA MALNUTRITION GRAVE

Photo 2 — Les deux formes cliniques de la malnutrition grave : marasme (à gauche) etkwashiorkor. ©Action Contre la Faim. Sierra Leone, 1995. (Cliché J. Levie)

Page 155: Malnutrition physiopath

139

7-7 REPRISE DE L’ALIMENTATION FAMILIALE

Photo 3 — Trois semaines suffisent pour transformer les enfants gravement dénutris.©Action Contre la Faim. Sierra Leone, 1995. (Cliché J. Levie)

Page 156: Malnutrition physiopath

supérieure à 200 Kcal/kg/jour et sa prise de poids croître à un rythme 10 foissupérieur à celle d’un enfant bien nourri du même âge (Photos 2 et 3). En 15 joursou 3 semaines, l’enfant approche du poids normal pour sa taille. À ce moment,son appétit baisse rapidement, bien qu’il maintienne un poids inférieur à lamoyenne de son âge en raison d’une taille réduite [ASHWORTH, 1974].

Avant de laisser l’enfant retourner à domicile, il est habituel de lui fairereprendre des habitudes alimentaires familiales, au besoin corrigées. On pourras’assurer ainsi qu’il peut à nouveau se nourrir normalement après avoir quitté lecentre. Il est important de ne pas entreprendre ces tentatives de reprise del’alimentation familiale à un stade trop précoce, car la composition de lanourriture familiale n’est pas adaptée à une prise de poids rapide. De même, il estimportant de ne pas donner de bouillies inadaptées au traitement diététique de lamalnutrition grave. L’administration d’emblée de bouillies à teneur lipidiquefaible, et des teneurs en vitamines et minéraux mal adaptées même pour un oudeux repas par jour, suffisent à limiter de façon importante la prise de poids. Leséconomies réalisées en substituant des bouillies locales aux repas lactées ont leplus souvent pour effet d’allonger la durée du traitement, et par conséquent soncoût.

Lors de la reprise de l’alimentation familiale, un minimum d’éducationnutritionnelle s’impose. Insister sur l’importance du nombre des repas et égalementde la diversification du régime sont les deux notions importantes à transmettre auxparents ou à ceux qui ont l’enfant en charge. À ce stade, les vaccinations de l’enfantdoivent être vérifiées, et l’enfant référé à un centre de vaccination, si celles-ci nepeuvent pas être effectuées au centre de renutrition lui-même.

Les enfants traités pour malnutrition grave risquent fort de récidiver dans les6 à 12 mois qui suivent leur retour à domicile. Un suivi régulier est doncimportant.

RéférencesASHWORTH A. [1969]. Metabolic rates during recovery from protein-calorie malnutrition :

the need for a new concept of specific dynamic action. Nature 223, 407.

ASHWORTH A. [1974]. Ad lib. Feeding during recovery from malnutrition. Br. J. Nutr. 31, 109-112.

BERNIER J.J., ADRIAN J., VIDON N. [1988]. Les aliments dans le tube digestif. Paris : Doin.

BOUDRAA G., TOUHAMI M., POCHART P., SOLTANA R., MARY J.Y., DESJEUX J.F. [1990]. Effect offeeding yogurt versus milk in children with persistent diarrhoea. J. Pediatr.Gastroenterol. Nutr. 11, 509-512.

140

PRISE EN CHARGE DE LA MALNUTRITION GRAVE

Page 157: Malnutrition physiopath

BOWLING T.E., RAIMUNDO A.H., GRIMBLE G.K., SILK D.B.A. [1993]. Reversal by short chain fattyacids of colonic fluid secretion induced by enteral feeding. Lancet 342, 1266-1268.

BRIEND A., GOLDEN M.H.N. [1993]. Treatment of severe child malnutrition in refugee camps.Eur. J. Clin. Nutr. 47, 750-754.

COOK R.E. [1971]. Is the hospital the place for treatment of malnourished children? J. Trop.Pediatr. 17, 15-25.

DAVIES J.N.P. [1954]. The exocrine enzyme secreting glands. In: TROWELL H.C., DAVIES J.N.P.,DEAN R.F.A. (eds.). Kwashiorkor. London: Academic Press, p. 144-150.

DONOVAN G.K., TORRES-PINEDO R. [1987]. Chronic diarrhea and soy formulas. Am. J. Dis.Child. 141, 1069-1071.

FAVIER J.C., IRELAND-RIPERT J., TOQUE C., FEINBERG M. [1995]. Répertoire général des aliments.2e éd. Paris: INRA.

GOLDEN M.H.N. [1995]. Severe malnutrition. In: WEATHERALL D.J., LEDINGHAM J.G.G., WARELL

D.A. (eds.). The Oxford Textbook of Medicine. Vol. 1 3rd edition. Oxford: OxfordUniversity Press, p. 1278-1296.

International Study Group on reduced-osmolarity solutions [1995]. Multicentre evaluationof reduced-osmolarity oral rehydration salts solution. Lancet 345, 282-285.

KHANUM S., ASHWORTH A., HUTTLY S.R.A. [1994]. Controlled trial of three approaches to thetreatment of severe malnutrition. Lancet 344, 1728-1732.

KOO W.W.K., POH D., LEONG M., TAM Y.K., SUCCOP P., CHECKLAND E.G. [1990]. Osmotic loadfrom glucose polymers. JPEN 15, 144-147.

NELSON J.L., ALEXANDER J.W., GIANOTTI L., CHALK C.L., PYLES T. [1996]. High protein diets areassociated with increased bacterial translocation in septic guinea pigs. Nutrition 12,195-199.

OMS [1998]. Management of severe malnutrition. A manual for physicians and other seniorhealth workers. Genève: World Health Organisation. (sous presse)

PATRICK J. [1977]. Death during recovery from severe malnutrition and its possiblerelationship to sodium pump activity in the leucocyte. Br. Med. J. 1, 1051-1054.

RAMAKRISHNA B.S., MATHAN V.I. [1993]. Colonic dysfunction in acute diarrhea : the role ofluminal short chain fatty acids. Gut 34, 1215-1218.

RAVELOMANANA N., RAZAFINDRAKOTO O., RAKOTOARIMANANA D.R., BRIEND A., DESJEUX J.F., MARY

J.Y. [1995]. Risk factors for fatal diarrhoea among dehydrated malnourished childrenin a Madagascar hospital. Eur. J. Clin. Nutr. 49, 91-97

SALLE B.L. [1993]. Le lait de femme. In: RICOUR C., GHISOLFI J,. PUTET G., GOULET O. (eds.).Traité de nutrition pédiatrique. Paris: Maloine, p. 373-400.

SAUNIÈRES J.F., SARLES H. [1988]. Exocrine pancreatic function and protein-caloriemalnutrition in Dakar and Abidjan. Am. J. Clin. Nutr. 48, 1233-1238.

SAZAWAL S., BLACK R.E., BHAN M.K., JALLA S., BHANDARI N., SINHA A., MAJUMDAR S. [1996].Zinc supplementation reduces the incidence of persistent diarrhea and dysenteryamong low socioeconomic children in India. J. Nutr. 126, 443-450.

SCHOFIELD C., ASHWORTH A. [1996]. Why have mortality rates for severe malnutritionremained so high ? Bull. WHO 74, 223-9.

141

RÉFÉRENCES

Page 158: Malnutrition physiopath
Page 159: Malnutrition physiopath

8 – Interventions nutritionnelles – Programmes de prévention

8-1 IntroductionAméliorer la quantité et la variété des aliments disponibles dans les familles

est la meilleure méthode de prévention contre la malnutrition chez l’enfant. Cettestratégie ne peut cependant être menée que dans le cadre d’une interventionglobale à l’encontre de la situation socio-économique, avec comme objectifl’élimination de la pauvreté. Dans le meilleur des cas, malheureusement, le niveaude vie n’augmente que lentement. La situation des sociétés occidentales oùsubsistent des “poches” de pauvreté enclavées dans un monde d’abondanceillustre suffisamment que cette approche présente des limites. Il importe donc demettre en oeuvre des programmes nutritionnels permettant d’éviter que s’installentles effets les plus fâcheux de la malnutrition.

À cet égard, deux approches existent et peuvent être suivies simultanément.On peut donner des suppléments nutritionnels complets à un petit nombred’individus à risque, ou au contraire, tenter de modifier le régime de l’ensembledes individus afin d’inclure les nutriments manquant à la ration. Choisir entre cesdeux approches est difficile. Les interventions ciblées sur un petit nombred’individus à risque, voire déjà potentiellement carencés, s’apparentent à de laprévention secondaire. Ces actions présentent des limites que ne montrent pas lesinterventions touchant l’ensemble des individus. Ces dernières sont les seules àposséder un caractère réellement préventif.

8-2 Interventions ciblées sur un petit nombre d’enfants à haut risque

Les interventions ciblées sur un petit nombre d’enfants à risque posent desproblèmes différents selon qu’elles s’adressent à des enfants modérément ougravement dénutris.

143

Page 160: Malnutrition physiopath

8-2-1 Réhabilitation des cas de malnutrition grave

Les interventions ciblées portant sur un petit nombre d’enfants à risqueélevé de décès représenteraient une approche intéressante si les décès associés àla malnutrition survenaient effectivement dans un petit groupe d’enfants. Mais iln’en va pas ainsi. L’intérêt de cette approche réside donc surtout dans unestandardisation du traitement et dans son coût relativement faible.

• Faible proportion des décès évités

La proportion de décès attribuables à la malnutrition respectivement graveet modérée est difficile à estimer. Une approximation chiffrée peut être obtenue àpartir des études portant sur la relation établie entre anthropométrie et mortalité. Ilest en effet possible d’estimer la proportion de décès associée à un facteur derisque précis en connaissant d’une part le risque relatif de décès associé à cefacteur et d’autre part sa prévalence dans la population étudiée [WALTER, 1978].Pour chaque indice, on peut définir un seuil de malnutrition et ainsi la proportiond’enfants (prévalence) de part et d’autre du seuil. Par ailleurs, on peut fixer unrisque relatif de décès en établissant, au cours d’un suivi longitudinal, laproportion de décès observés chez les enfants en bon et en mauvais étatnutritionnel (Tableau XXXVI). Cette méthode a pu être appliquée à la malnutritionen définissant des seuils séparant la forme modérée de la forme grave demalnutrition [PELLETIER et al., 1995]. Ce raisonnement et les chiffres qui endécoulent, montrent que le nombre de décès attribuables à la malnutritionmodérée est généralement très supérieur à celui associé à la malnutrition grave.Ces données suggèrent que les interventions limitées aux enfants les plus atteints

Tableau XXXVI — Calcul de la proportion de décès attribuables à la malnutrition.

Indice anthropométrique Nombre d’enfants au début Enfants décédés au coursde l’enquête du suivi

Indice inférieur au seuil(malnutris) A aIndice supérieur au seuil(bien nourris) B b

Prévalence (Prév) de la malnutrition : Prév = (A)/(A+B)

Risque relatif (RR) de décès : RR = (a/A)/(b/B)

Proportion de décès attribuables à la malnutrition (PAR = Population attributable risk) : PAR =

Prév x (RR-1)

1 + [Prév x (RR-1)]

144

INTERVENTIONS NUTRITIONNELLES – PROGRAMMES DE PRÉVENTION

Page 161: Malnutrition physiopath

ne peuvent éviter qu’une faible proportion des décès attribuables à la malnutrition.Ces résultats ont cependant tous été obtenus lors d’études examinant la relationentre état nutritionnel et risque de décès sur des périodes relativement longues. Cesuivi atténue le pouvoir prédictif des indices nutritionnels vis-à-vis du risque dedécès (§ 2-3-2). Si un système de dépistage récurrent des cas de malnutrition est misen place, la conclusion serait sans doute plus nuancée, tout en restant la même.

• Standardisation du traitement et de l’évaluation de son efficacitéLa prise en charge des cas de malnutrition grave est actuellement

relativement bien codifiée. Les gains de poids qui peuvent être obtenus sont élevéset la nature même de la prise pondérale (type de tissu synthétisé) ne pose pas deproblème d’interprétation. Il existe aussi un modèle mathématique développégrâce à l’expérience de terrain des organismes humanitaires qui permet d’évaluerrapidement la mortalité observée dans chaque centre en fonction de l’étatnutritionnel des enfants à l’admission [PRUDHON et al., 1997].

• Intérêt dans les périodes de criseLa proportion de décès attribuables à la malnutrition grave augmente avec

la gravité de la malnutrition [PELLETIER et al., 1995]. Cette proportion prendcertainement une importance considérable dans les situations d’urgence ou lessituations de famines au cours desquelles le taux de malnutrition augmentefortement. L’organisation de centres thérapeutiques de renutrition pour la prise encharge des cas les plus graves réduit sans doute de façon appréciable le nombrede décès imputables à la malnutrition.

• Faible coût de ces programmesLe nombre d’enfants concernés par ces programmes est généralement

relativement faible. Dans les situations extrêmes, comme dans les camps deréfugiés hébergeant 100 000 ou 200 000 personnes, il est rare que plus d’unecentaine d’enfants nécessitent une admission urgente dans un centre nutritionnelthérapeutique. Même si le coût de la prise en charge par enfant est élevé, le coûttotal de ces programmes reste relativement modeste en raison du petit nombred’enfants concernés.

8-2-2 Dépistage et prise en charge des casde malnutrition modérée

Il peut paraître séduisant de vouloir prendre en charge les cas demalnutrition modérée identifiés au moyen de méthodes anthropométriques. De

145

8-2-2 DÉPISTAGE ET PRISE EN CHARGE DES CAS DE MALNUTRITION MODÉRÉE

Page 162: Malnutrition physiopath

cette manière on peut en effet, en théorie, prévenir une proportion élevée de décèsattribuables à ce type de malnutrition. L’efficacité de ce type de programme restenéanmoins difficile à évaluer.

• Difficultés du dépistage

Le dépistage des cas de malnutrition modérée lui-même pose déjà unproblème. Nous avons vu que les indices anthropométriques utilisés pour estimerle degré d’une malnutrition sont des tests diagnostiques imparfaits. De nombreuseserreurs de classement surviennent dès que les cas s’éloignent de la zone desdéficits graves, surtout dans les régions où la prévalence de la malnutrition estfaible (§ 2-3-1). En d’autre termes, les économies réalisées en ciblant uneintervention sur les cas de malnutrition modérée se paient par des erreursfréquentes de classification, qui grèvent l’efficacité et aussi la rentabilité de cesprogrammes.

• Problème de l’évaluation des programmes

Outre les difficultés d’un dépistage correct, les cas de malnutritionmodérée ne bénéficient pas actuellement d’une prise en charge diététiquecodifiée. La plupart des programmes nutritionnels se consacrent à la distributionde mélanges de farines de céréales et de légumineuses, avec ou sans additiond’huile. La qualité de ces aliments est très variable (§ 3-5-2, § 4-5-1, § 6-6-2).Certes, on constate que les enfants pris en charge et recevant ce type d’alimentsgagnent plus de poids que les enfants sains du même âge. Mais la différence estfaible et on ne peut avec certitude l’imputer à la supplémentation. Les résultatsd’études peuvent subir l’influence d’un effet appelé la régression vers lamoyenne. En d’autres termes, il se peut que les variations à court terme de l’étatnutritionnel soient simplement dues à des phénomènes aléatoires etindépendants de la supplémentation nutritionnelle. Une évaluation rigoureusedes études d’intervention exigerait d’observer un groupe témoin nonsupplémenté, ce qui est évidemment difficile en pratique. Les résultats des raresétudes évaluant de cette manière les programmes de supplémentation sontgénéralement décevants [FAUVEAU et al., 1992].

• Importance du nombre d’enfants à prendre en charge

Les programmes d’assistance des cas de malnutrition modérée touchentgénéralement beaucoup d’enfants. Dans les situations d’urgence, les cas demalnutrition modérée sont toujours beaucoup plus nombreux que les cas demalnutrition grave. Dans l’hypothèse d’un camp de réfugiés rassemblant unepopulation totale de 100 000 individus par exemple, le nombre d’enfants

146

INTERVENTIONS NUTRITIONNELLES – PROGRAMMES DE PRÉVENTION

Page 163: Malnutrition physiopath

modérément dénutris se compte souvent en milliers. Le degré d’importanceentre les cas de malnutrition modérée et grave varie sensiblement selon lessituations mais on change habituellement d’ordre de grandeur. Il en est demême bien sûr pour les coûts des programmes qui s’élèvent paradoxalementbeaucoup lorsqu’ils s’adressent aux enfants modérément dénutris. Dans cesconditions, il importe de réduire au minimum le coût de l’assistance offerte àchaque enfant.

• Difficultés de supervision

Si on fait exception des situations où les problèmes de sécurité limitent lesdéplacements, les cas de malnutrition modérée doivent être pris en charge àdomicile. Les programmes de renutrition distribuant des rations déjà préparéesdans des centres fixes où il convient de consommer sur place ne touchent qu’unnombre réduit d’enfants et sont chers. De plus, en concentrant les jeunes enfantssur un même lieu, ces programmes de renutrition risquent d’être dangereux en casd’épidémie, notamment de rougeole, de choléra ou de dysenterie.

Inversement, la prise en charge à domicile des enfants modérément dénutriscomplique les tâches de supervision et d’évaluation. Si l’enfant ne prend pas assezde poids, il est difficile de savoir si la stagnation pondérale est liée au régimeprescrit, ou si plus simplement la ration est consommée par l’un ou l’autre membrede la famille. On contourne habituellement cette difficulté en donnant aux famillesune quantité d’aliments nettement supérieure aux besoins de l’enfant aidé, ce quibien sûr augmente les coûts de ces programmes.

• Aspects économiques des programmes de distribution d’aliments de renutrition

Les familles doutent souvent de l’efficacité des denrées alimentaires les pluscouramment distribuées pour prendre en charge les cas de malnutrition modérée.Au sein même des camps de réfugiés, on retrouve fréquemment ces “dons” envente dans les marchés proches des points de distribution. Leur prix montre qu’ilssont souvent moins appréciés que les produits locaux traditionnels. Ils sontgénéralement vendus beaucoup moins chers que leur prix de fabrication. Le bilanéconomique de l’opération est souvent très faible : les familles seraientfinancièrement gagnantes si on leur distribuait directement les sommescorrespondant au coût de fabrication et d’acheminement des produits qu’ellesrevendent sur le marché local.

147

8-2-2 DÉPISTAGE ET PRISE EN CHARGE DES CAS DE MALNUTRITION MODÉRÉE

Page 164: Malnutrition physiopath

8-3 Interventions touchant l’ensemble des enfants d’une population

Les interventions touchant la totalité des enfants des milieux défavoriséssont en principe préférables aux interventions ciblées. On en distingue troisgrandes catégories.

8-3-1 Éducation nutritionnelle

L’éducation nutritionnelle a longtemps été proposée comme une approcheintéressante pour limiter les conséquences sanitaires de la pauvreté. Le principeconsiste à montrer aux familles l’intérêt nutritionnel d’aliments peu coûteuxdisponibles localement et traditionnellement délaissés. L’enseignement peutprendre la forme de démonstrations de recettes dans les centres de santé ou faireappel à des techniques plus modernes de communication de masse. Cetteapproche présente des limites : les aliments bon marché forment généralementdéjà la base de l’alimentation des familles les plus pauvres, même en l’absence deprogrammes d’éducation nutritionnelle. Ces aliments ont par ailleurs souvent uncontenu en vitamines et minéraux insuffisant pour permettre à un enfant maladede reprendre une croissance rapide. Les repas préparés dans les familles pauvresse caractérisent par une teneur faible en lipides, dont les enfants ont grandementbesoin, et qui augmentent considérablement l’acceptabilité des autres aliments.

L’éducation nutritionnelle pouvait paraître prometteuse quand on pensaitqu’une simple augmentation de la ration en protéines ou en énergie corrigeait lerégime de l’enfant. Les idées et les connaissances ont évolué. Améliorer la qualiténutritionnelle de l’alimentation se heurte à un obstacle majeur parce que dans laplupart des situations, les aliments riches en fer, zinc, magnésium ou mêmepotassium, sont d’origine animale et souvent hors de portée de bien des familles(§ 6-6-2). Enfin, l’effet des interventions éducatives est rarement évalué en termesde croissance des enfants, ce qui renforce les doutes à leur égard.

8-3-2 Mise sur le marché d’aliments de sevrageà faible coût

Comme la malnutrition survient surtout au moment du sevrage, le principede mettre sur le marché des aliments de sevrage à faible coût, au besoinsubventionnés, peut paraître intéressant. Cette idée a été en vogue, surtout dansles années 60, à l’époque où on pensait que la malnutrition est surtout due à unecarence en protéines. Elle tend actuellement à être abandonnée. Le concept d’un

148

INTERVENTIONS NUTRITIONNELLES – PROGRAMMES DE PRÉVENTION

Page 165: Malnutrition physiopath

aliment de sevrage spécialement destiné aux enfants est en soi discutable. En effet,sur le plan nutritionnel, l’enfant se distingue de l’adulte essentiellement par sesbesoins en énergie (§ 3-3). Sur le plan qualitatif, ses besoins ne sont pas trèsdifférents, et il n’existe pas un réel besoin de développer des produits alimentairesdestinés aux enfants. La seule contrainte est de broyer ou d’écraser les alimentsproposés aux enfants les plus jeunes et sans doute de les enrichir en lipides. Tousles autres mammifères se reproduisent sans aliments de sevrage qu’ils seraient bienincapables de préparer, et les bouillies à base de céréales et de lait ont étéintroduites très récemment au cours de l’évolution alimentaire de l’espècehumaine, après l’invention de l’agriculture et la domestication des animaux laitiers.La notion d’aliment de sevrage semble une spécificité culturelle européenne car denombreuses ethnies, aussi bien en Afrique qu’en Asie, l’ignorent.

Historiquement, l’introduction d’aliments de sevrage d’origine industrielle aété de pair en Europe occidentale et aux États-Unis avec la disparition de lamalnutrition de l’enfant. Cette donnée historique porte à croire que de la mêmefaçon, les pays pauvres devraient se forcer à développer une industrie productriced’aliments de sevrage pour faire disparaître la malnutrition. Cette obligation n’enest sans doute pas une : dans l’ex-URSS, la malnutrition de l’enfant était jusqu’àune date récente totalement inexistante bien qu’aucun aliment de sevrage n’y aitjamais été produit par l’industrie à grande échelle.

De façon plus pratique, on constate que les aliments de sevrage de bonnequalité nutritionnelle et non subventionnés sont toujours hors de portée des pluspauvres. Leur mise en vente a peu d’effets sur la prévalence de la malnutrition grave.Par contre, les aliments de bonne qualité mais subventionnés pourraient en théoriejouer un rôle utile. En pratique, il est très coûteux de subventionner un aliment desevrage pour l’ensemble des enfants, même dans le cadre d’actions préventives. Tousles programmes de soutien qui avaient été lancés il y a quelques dizaines années ontété arrêtés graduellement avec la réduction des dépenses publiques. Les aliments lesmoins coûteux qui pourraient en principe se vendre sur les marchés, même enl’absence de subvention sont toujours de qualité médiocre. Généralement leurscoûts ont pu être réduits en entamant les concentrations de lipides. Ces aliments ontdès lors une composition nutritionnelle proche de celle des aliments amaigrissants.Leur goût est médiocre, et généralement ils ont peu de succès auprès des mères.

8-3-3 Distribution à l’ensemble des enfants,sous forme de suppléments, des nutriments manquant dans la ration

L’idée de donner à tous les enfants d’une population donnée un supplémentapportant un ou plusieurs nutriments manquant dans la ration a l’avantage d’éviter

149

8-3-3 DISTRIBUTION À L’ENSEMBLE DES ENFANTS

Page 166: Malnutrition physiopath

la sélection difficile des individus devant bénéficier de l’intervention. Le cas le plusextrême est celui de la supplémentation en vitamine A dans les régions où lesapports sont insuffisants. Il semble que ces programmes soient très efficaces pourréduire la mortalité. Des expériences de supplémentation, menées avec groupetémoin et effectuées au niveau de populations entières, ont montré que ce typed’interventions pouvait réduire d’environ 20 % la mortalité chez l’enfant. Cettebaisse pouvait s’obtenir même en l’absence de tout signe clinique de carences ausein de la population concernée [SOMMER et al., 1986; RAHAMATULLAH et al., 1990;RAHAMATULLAH et al., 1991; ARTHUR et al., 1992]. Curieusement, cet effet sur lamortalité est présent sans que l’on puisse observer d’effet probant sur la morbidité[RAHAMATULLAH et al., 1991; ARTHUR et al., 1992]. Ces expériences desupplémentation n’ont pas d’effet sur l’état nutritionnel des enfants apprécié parl’anthropométrie [RAHAMATULLAH et al., 1991]. Ce fait s’explique : la vitamine A estun nutriment de type I dans la classification de GOLDEN (§ 6-2-1).

La distribution d’autres nutriments manquant dans la ration d’unepopulation pauvre, en dehors de la vitamine A, peut exercer également des effetsimportants sur la mortalité. La liste en est cependant difficile à établir. Sur le planlogistique, la démonstration des effets de la vitamine A s’avère assez simple carcette vitamine est liposoluble. Elle est donc stockée dans l’organisme à l’occasiond’apports importants (§ 6-1-1). Il ‘suffit’ donc de donner une dose importante tousles 4 ou 6 mois pour faire des expériences de supplémentation, ce qui se prêterelativement facilement aux études sur de grands échantillons nécessaires à lamise en évidence d’un effet sur la mortalité. Une telle expérience avec d’autresnutriments comme le potassium ou le zinc, qui ne peuvent être donnés que sousforme de petites doses quotidiennes, serait très difficile. Par ailleurs, la vitamine Aest un nutriment de type I dont la carence n’exerce que des conséquencesmétaboliques plus que limitées. Pour les nutriments de type II, il existe un telniveau d’interdépendance qu’une supplémentation isolée pourrait être sans effeten cas de carence associée en un autre nutriment.

Les observations cliniques faites en milieu hospitalier suggèrent qu’il existeune relation entre carences en minéraux et en vitamines d’une part, etaugmentation de la mortalité d’autre part (§ 6-3 ). L’hypokaliémie est par exempleune cause fréquente de décès au cours des diarrhées. Il semble logique desupposer qu’une alimentation pauvre en potassium soit associée à une mortalitéplus élevée par diarrhée. Le même raisonnement peut être tenu pour lemagnésium. Dans le cas du zinc, la carence peut avoir des effets néfastes sur laréponse immunitaire. Les régimes consommés par les populations pauvres sontconstitués, pour une partie importante de la ration, de farines de céréales,généralement pauvres entre autres en potassium, magnésium et zinc.

Des techniques de supplémentation qui apporteraient ce type de nutrimentsau jour le jour, permettraient d’exécuter des travaux en vue de vérifier ces

150

INTERVENTIONS NUTRITIONNELLES – PROGRAMMES DE PRÉVENTION

Page 167: Malnutrition physiopath

hypothèses. Dans ce domaine, des progrès devraient être réalisés dans les annéesqui viennent, avec pour conséquence une façon nouvelle de concevoir lesprogrammes de supplémentation nutritionnelle. Le peu d’efficacité et lescontraintes des programmes de prise en charge des cas de malnutrition modéréesont certainement une incitation à chercher de nouveaux modes d’interventionplus efficaces.

RéférencesARTHUR P., KIRKWOOD B., ROSS D., MORRIS S., GYAPONG J., TOMKINS A., ADDY H. [1992].

Impact of vitamin A supplementation on childhood morbidity in northern Ghana.Lancet 339, 361-362.

FAUVEAU C., SIDDIQUI M., BRIEND A., SILIMPERI D., BEGUM N., FAUVEAU V. [1992]. Limitedimpact of a targeted food supplementation programme in Bangladeshi urban slumchildren. Ann. Trop. Pediatr. 12, 41-48.

PELLETIER D.L., FRONGILLO E.A., SCHROEDER D.G., HABICHT J.P. [1995]. The effects ofmalnutrition on child mortality in developing countries. Bull. WHO 73, 443-448.

PRUDHON C, MARY J.Y., BRIEND A., GOLDEN M.H.N. [1997]. A model to standardise mortalityof severely malnourished children using nutritional status on admission totherapeutic feeding centres. Eur. J. Clin. Nutr. 51, 771-777.

RAHAMATULLAH L., UNDERWOOD B.A., THULASIRAJ R.D., MILTON R.C. [1991]. Diarrhea,respiratory infections and growth rates are not affected by weekly low-dose vitaminA supplement: a masked controlled field trial in children in southern India. Am. J.Clin. Nutr. 54, 568-577.

RAHAMATULLAH L., UNDERWOOD B., THULASIRAJ R.D., MILTON R.C., RAMASWAMY K.,RAHMATULLAH R., BABU G. [1993]. Reduced mortality among children in southernIndia receiving a small weekly dose of vitamin A. New Engl. J. Med. 323, 929-935.

SOMMER A., TARWOTJO I., DJUNAEDI E., WEST K.P., LOEDEN A.A., TILDEN R., MELE L. [1986].Impact of vitamin A supplementation on childhood mortality. A randomizedcontrolled community trial. Lancet i, 1169-1173.

WALTER S.D. [1978]. Calculation of attributable risk from epidemiological data. Int. J.Epidemiol. 7, 175-182.

151

RÉFÉRENCES

Page 168: Malnutrition physiopath
Page 169: Malnutrition physiopath

9 – Perspectivesd’éradication de lamalnutrition de l’enfant

9-1 Évaluation du nombre totalde personnes sous-alimentéesà travers le monde

Parler de l’éradication de la malnutrition peut relever de l’utopie : lesorganismes internationaux publient régulièrement des statistiques sur le nombre depersonnes souffrant de sous-alimentation à travers le monde et ces chiffresdonnent d’emblée l’impression qu’il s’agit d’un problème insurmontable. Il est dèslors intéressant de chercher à connaître l’origine de ces données chiffrées. Etquand on se penche sur la question, on s’aperçoit en fait que les évaluations sontsouvent obtenues par des méthodes très différentes : elles varient selon lesorganismes et sont donc difficilement comparables. Lors du sommet mondial del’alimentation qui s’est tenu en novembre 1996 à Rome, la presse a largement citéle chiffre de 800 millions de personnes sous-alimentées. Cette estimationprovenait de données fournies par la FAO, organisatrice de ce sommet [Food forall, 1996] et est établie d’après des statistiques agricoles. Le principe de ce modede calcul consiste à estimer pour chaque pays la production de chaque denréealimentaire, d’y ajouter les importations, d’en soustraire les pertes, lesexportations, les utilisations non alimentaires, et de diviser le résultat obtenu parle nombre total d’habitants. Rappelons que la FAO est l’organisme des NationsUnies chargé de l’agriculture et il n’est donc pas étonnant qu’elle se base sur desstatistiques de productions agricoles pour faire ses estimations. Sa méthoded’estimation du nombre d’individus dénutris est cependant très indirecte,approximative et grevée d’erreurs. On sait par exemple que dans de nombreuxpays en développement, le nombre d’habitants n’est connu qu’avec une marged’incertitude considérable. Les données sur la production agricole sont elles-mêmes sujettes à caution dans les pays où la plupart des denrées alimentairesn’entrent pas dans un circuit formel de distribution. Enfin, cette approche estcritiquable car des personnes peuvent avoir faim, même dans des régions où la

153

Page 170: Malnutrition physiopath

disponibilité alimentaire par habitant est élevée, si la répartition des aliments estinégale, ce qui est fréquemment le cas dans les pays pauvres, et même dans lessociétés dites d’abondance.

L’UNICEF utilise une approche totalement différente pour estimer lenombre d’enfants souffrant de malnutrition. Cet organisme base en effet sesestimations sur les résultats d’enquêtes anthropométriques. L’UNICEF étantl’organisme des Nations Unies responsable de l’enfance, son approche présentel’avantage de donner, pour les enfants, des chiffres facilement vérifiables à partird’enquêtes simples à organiser. L’interprétation de ces enquêtes est cependantextrêmement délicate et les chiffres fournis reposent sur une série d’hypothèses quisont vraisemblablement inexactes (§ 2-2-11). Il est difficile, à partir de donnéesanthropométriques, d’avancer des chiffres fiables sur le nombre d’enfants dénutrisdans le monde : les estimations dépendent fortement des critères choisis pourdéfinir la malnutrition. La méthode de calcul la plus fiable, à savoir déterminer untaux de réponse en cas d’intervention nutritionnelle (§ 2-2-3 ), est inapplicable enpratique. Quoi qu’il en soit, l’UNICEF publie tous les ans dans son rapport annuelsur la situation des enfants dans le monde une série de données reprenant lespourcentages d’enfants souffrant d’émaciation ou de retard de croissance. Ceschiffres, qui ont le mérite d’être comparables d’une année à l’autre et d’un pays àl’autre [UNICEF, 1195; 1996], sont souvent cités par la presse qui en déduitabusivement qu’il s’agit du nombre d’enfants en malnutrition.

Il n’est pas étonnant que des méthodes aussi différentes que celles utiliséespar la FAO et l’UNICEF donnent des résultats peu cohérents. Les rapports del’UNICEF toujours font part d’une proportion d’enfants dénutris bien plus élevéeen Asie du Sud qu’en Afrique sub-Saharienne. À l’inverse, les statistiques deproduction agricole de la FAO suggèrent que la situation ne cesse de s’améliorerdans le sous-continent indien et donnent plutôt l’impression qu’elle ne s’amélioreque très lentement, voire se dégrade, en Afrique. Ces discordances s’expliquentsans doute par le fait que l’anthropométrie mesure essentiellement le niveau desapports en nutriments de type II (acides aminés essentiels, certains minéraux, voir§ 6-2-2) qui sont mal évalués par les statistiques de production agricole. En effet,l’apport en nutriments de type II dépend fortement de l’importance de ladiversification du régime alimentaire, qui est très mal cernée par les statistiquesactuelles. Les résultats discordants donnés par ces différentes approches doiventinciter à une certaine prudence dans le maniement de ces données parfois trèsdivergentes.

Il est cependant un point sur lequel on peut s’accorder avec les organismesinternationaux : le problème de la malnutrition est extrêmement vaste. Le nombrede personnes souffrant à un degré divers, dans leur santé ou dans leur bien-être,des conséquences d’une alimentation insuffisante et/ou déséquilibrée, se comptesans doute par centaines de millions. L’ampleur du problème de la sous-

154

PERSPECTIVES D’ÉRADICATION DE LA MALNUTRITION DE L’ENFANT

Page 171: Malnutrition physiopath

alimentation suppose que son éradication reste malheureusement du domaine del’utopie pour les années à venir.

9-2 Évaluation du nombre d’enfants gravement dénutris dans le monde

Des cas graves de malnutrition surviennent presque uniquement dans despopulations qui souffrent globalement de sous-alimentation. L’ampleur duproblème posé par les formes graves de malnutrition est cependant moindre quel’étendue de la sous-alimentation dans le monde en général. Le nombre d’enfantsgravement dénutris et présentant un risque élevé de décès est en réalitérelativement faible à l’échelle mondiale et même dans les pays pauvres.Curieusement, il n’existe pas de statistiques précises à ce sujet. Dans son rapportde 1995, l’UNICEF mentionne que la malnutrition grave est peu répandue ettoucherait moins de 1% des enfants du monde en développement. Cet organismen’en dit pas un mot dans son rapport de 1996.

Si l’on s’en tient plus particulièrement à l’Afrique, on peut avancer sansprendre beaucoup de risques que le nombre des enfants gravement dénutris selimite à quelques milliers dans l’ensemble des hôpitaux. Il est rare de voir plusd’une dizaine d’enfants souffrant de malnutrition grave dans les salles de pédiatriedes hôpitaux, et il n’y a guère plus de trois à quatre centaines d’hôpitaux à traversl’Afrique. Même si l’on admet qu’une partie seulement de ces enfants sonthospitalisés et que leur nombre réel peut être dix fois supérieur encore, le chiffretotal ne doit pas dépasser quelques dizaines de milliers d’enfants pour l’ensemblede l’Afrique. Au pire, on pourrait recenser quelques centaines de milliers d’enfantschaque année.

Le grand public vit souvent avec l’impression que le problème de lamalnutrition grave de l’enfant est beaucoup plus important. Les reportagestélévisés qui ne montrent l’Afrique qu’à l’occasion de catastrophes ou de criseshumanitaires spectaculaires tendent à donner une vision déformée du problème.En dehors de situations conflictuelles exceptionnelles avec blocus de population,il est rare de rencontrer des enfants atteints de malnutrition grave dans les villagesafricains. On les voit lors de visites de dispensaires ou dans les services depédiatrie des hôpitaux. Même dans les situations de crises humanitaires majeures,seule une minorité d’enfants est généralement atteinte des formes les plus gravesde malnutrition. Les situations de famine qui frappent tous les enfants en lesrendant gravement dénutris gardent un caractère exceptionnel.

155

9.2 ÉVALUATION DU NOMBRE D’ENFANTS GRAVEMENT DÉNUTRIS DANS LE MONDE

Page 172: Malnutrition physiopath

9-3 Rôle de l’aide alimentaire

9-3-1 L’aide alimentaire et le problèmede la sous-alimentation dans le monde

L’aide alimentaire est souvent présentée comme un moyen permettant deréduire le problème de la faim dans le monde. Ses effets sont cependantnégligeables et il semble peu vraisemblable qu’elle ait un impact quelconque surle problème de la sous-alimentation dans le monde en général. En 1995, huitmillions de tonnes de céréales ont été envoyées au titre de l’aide alimentaire[Programme alimentaire mondial, 1996]. Si cette quantité était répartieéquitablement entre les 800 millions de personnes sous-alimentées (estimation dela FAO), elle correspondrait à un apport céréalier supplémentaire de dixkilogrammes par an, soit environ 25 g par jour et par personne. L’aide alimentairepeut s’avérer irremplaçable dans un certain nombre de situations de crise pourautant qu’elle parvienne à temps aux personnes qui en ont le plus besoin. Elle nereprésente par contre qu’un volume négligeable pour les situations non urgenteset ne peut avoir d’effet notable à l’échelle de la planète. Il faut rappeler par ailleursque ce chiffre avancé de 800 millions est difficile à vérifier, et que le nombre depersonnes réellement sous-alimentées est sans doute plus important.

Il semble peu vraisemblable que l’aide augmente dans les années futures etque son impact nutritionnel devienne significatif. La tendance inverse est plusprobable : les pays riches cherchent tous actuellement à réduire leurs déficitsbudgétaires et les dépenses du secteur public. L’aide alimentaire est financée parun soutien sous forme de subventions à l’agriculture et ne persiste actuellementqu’en raison de la pression des producteurs des pays riches cherchant à écoulerleurs produits. Cette politique d’aide financière n’est pas tenable à terme. Parailleurs, il n’est pas souhaitable pour les pays bénéficiaires de l’aide alimentairequ’elle reste longtemps à un niveau élevé. En effet, l’importation massive dedenrées alimentaires pousse à la baisse des prix sur les marchés où elles sontécoulées. Cette pratique risque, à terme, de ruiner les producteurs locaux.

Outre cet aspect quantitatif minime, l’aide alimentaire est peu susceptible,sur le plan qualitatif, d’avoir un impact réel sur la prévalence de la malnutrition,en dehors des situations de pénurie prononcée. Les problèmes nutritionnelsprincipaux des populations pauvres sont la conséquence d’une alimentationmonotone et reposant trop sur la consommation de céréales. L’aide alimentaire estégalement constituée d’un nombre très limité de produits, aussi principalement decéréales, qui ne peuvent donc guère contribuer à une diversification du régime.L’enrichissement des produits de base au niveau industriel par des minéraux ou

156

PERSPECTIVES D’ÉRADICATION DE LA MALNUTRITION DE L’ENFANT

Page 173: Malnutrition physiopath

des vitamines pourrait jouer un rôle plus important. Malheureusement,l’exportation du savoir-faire qui permettrait d’effectuer localement ce typed’enrichissement sur des produits locaux ne fait pas partie des programmestraditionnels d’aide alimentaire.

9-3-2 L’aide alimentaire et l’éradicationde la malnutrition grave

L’aide alimentaire semble avoir un rôle à jouer dans l’éradication rapide dela malnutrition grave sans qu’il faille attendre une amélioration des conditionssocio-économiques. Car la prise en charge des cas les plus graves impose l’emploide préparations lactées ou de suppléments vitaminiques et minéraux qu’il estsouvent impossible de produire localement. L’idéal reste de les importer au titre del’aide. Par ailleurs, rapportée au faible nombre d’enfants gravement dénutris, l’aidealimentaire représente actuellement un volume important.

Les aliments destinés à la prise en charge des enfants modérément dénutrissont moins compliqués à produire et peuvent l’être dans les pays pauvres. Cesaliments peuvent jouer un rôle dans la prévention des formes graves demalnutrition. Cette fabrication doit cependant être associée à un minimum detransfert de connaissance et de contrôle de qualité au niveau industriel. Trop deprojets dits “à technologie intermédiaire” ont abouti à la mise sur le marchéd’aliments à faible teneur en matière grasse, mal équilibrés sur le plan minéral etvitaminique, contenant des facteurs anti-nutritionnels, et parfois même inférieurs surle plan nutritionnel à un panier de denrées locales préparées de façon traditionnelle.Une assistance technique compétente se justifie pleinement dans ce domaine.

À l’échelle d’un continent, quelques centaines de milliers d’enfantsreprésentent un effectif relativement modeste. Si on considère qu’un enfantgravement malade pèse en moyenne 8 kg, et qu’il a besoin de 200 kcal/kg/jourpendant 30 jours pour assurer son traitement diététique, il faut lui fournir au total48 000 kcal pour restaurer son état nutritionnel. Cette quantité d’énergiecorrespond à environ 10 kg d’une préparation alimentaire en poudre type F100.Les organismes humanitaires estiment aussi le besoin moyen à 7 ou 8 kg de F100pour traiter un enfant. Un millier de tonnes de poudre permet ainsi de prendre encharge au moins 100 000 enfants. Pour l’ensemble du continent africain, quelquesmilliers de tonnes devraient largement suffire chaque année à couvrir la totalitédes besoins en produit de renutrition des hôpitaux. À titre de comparaison, unecrise majeure comme celle qu’a connue le Rwanda en 1994 ou le Liberia en 1996ne nécessite pas plus de quelques centaines de tonnes (ou parfois même quelquesdizaines) d’une préparation type F100 pour prendre en charge la totalité desenfants gravement dénutris.

157

9-3-2 L’AIDE ALIMENTAIRE ET L’ÉRADICATION DE LA MALNUTRITION GRAVE

Page 174: Malnutrition physiopath

Les quantités de lait en poudre envoyées actuellement au nom de l’aidedevraient largement suffire pour couvrir ces besoins aigus même si le volume decette aide a tendance à se réduire d’année en année : les pays nantis fournissaientde l’ordre de 175 000 tonnes au début des années 90, alors que les envoisn’atteignent plus que 50 000 tonnes par an en 1995 [Programme alimentairemondial, 1996] (Figure 16). Ce tonnage réduit devrait cependant encore permettrechaque année de prendre en charge plus de 5 000 000 d’enfants gravementatteints, ce qui représente effectivement plus qu’il n’en faut puisqu’il y a environ100 000 000 d’enfants de moins de 5 ans en Afrique, et que tout le mondes’accorde pour dire que moins de 1% d’entre eux souffre de malnutrition grave.

Le lait envoyé actuellement à titre de l’aide alimentaire est presqueexclusivement constitué de lait en poudre entier ou écrémé. Ces laits ne sont pasdirectement utilisables pour la prise en charge diététique des enfants gravementdénutris. Le lait écrémé est surtout recommandé quand il y a lieu de suivre unrégime amaigrissant. Ce lait ne peut pas être utilisé tel quel mais doit être mélangéavec de l’huile et du sucre, et enrichi d’un supplément de vitamines et deminéraux (§ 5-3 ; § 6-5). La visite de centres de renutrition distribuant des produitsde l’aide montre que ce mélange est rarement effectué dans des proportionscorrectes.

158

PERSPECTIVES D’ÉRADICATION DE LA MALNUTRITION DE L’ENFANT

Année

mill

iers

de

tonn

es

Lait entierLait écréméTotal

Figure 16 — Quantités de lait en poudre envoyées par le biais de l’aide alimentaire parannée.

Page 175: Malnutrition physiopath

La reconstitution du mélange lait-huile-sucre ne semble pas constituer unepréoccupation des pays donateurs. La lecture du chiffre des tonnages de laitécrémé et de sucre envoyés sous forme de l’aide alimentaire apporte uneinformation intéressante : la reconstitution des préparations lactées censéesprendre en charge les cas les plus graves de malnutrition devrait constituerl’utilisation nutritionnelle prioritaire. En toute logique, les tonnages de sucre et delait devraient se maintenir dans un rapport constant proche de 50/80 ( soit 62 %)qui reflète les proportions d’une préparation correctement reconstituée. En fait, leschiffres ne s’en approchent jamais, et varient fortement d’une année à l’autre(Figure 17). Des achats locaux, hors du circuit d’aide, peuvent évidemmentexpliquer certaines divergences. Les courbes des dons ou ventes annuellessemblent cependant être plus influencées par le coût des matières premières quepar des considérations nutritionnelles. Par ailleurs, les mélanges de vitamines et deminéraux ne font pas partie des produits d’aide alimentaire classiques, et ne sontmême pas répertoriés dans les statistiques. On ne peut donc rien en dire.

L’envoi sans discernement de milliers de tonnes de poudre de lait effectuéau cours de ces dernières années ne semble pas avoir d’impact sur les formes lesplus graves de la malnutrition de l’enfance. Le lait ne parvient pas souvent auxenfants qui en ont un réel besoin. Dans les hôpitaux africains, la plupart desenfants reçoivent des régimes non lactés, ce qui explique en partie les taux élevés

159

9-3-2 L’AIDE ALIMENTAIRE ET L’ÉRADICATION DE LA MALNUTRITION GRAVE

Année

Figure 17 — Rapport entre le tonnage de sucre et celui de lait écrémé (S/L) envoyés par lebiais de l’aide alimentaire par année.

Rapport dans la formule F100

S/L

Page 176: Malnutrition physiopath

de mortalité. Il est courant de voir des enfants très atteints dont les complicationsmédicales sont traitées sans qu’on leur propose un régime un tant soit peu adaptéà leur état. On comprend dans ces conditions que la plupart des familles hésitentà y emmener leurs enfants.

Le remplacement des milliers de tonnes de lait écrémé envoyéesactuellement par des préparations bien équilibrées type F75 et F100 ne changerarien à la situation actuelle si on ne prend pas garde à les réserver aux formationshospitalières spécialisées dans le traitement de la malnutrition. Il faut donc veillerà assurer un minimum le suivi de ces produits. En fait la meilleure attitude seraitde réserver ces préparations aux centres hospitaliers ou aux dispensairess’engageant à suivre un protocole rigoureux pour leur utilisation. Ces institutionssont en nombre relativement réduit. L’analyse des statistiques d’aide alimentaireindique qu’il existe actuellement les moyens de couvrir la totalité des besoinshospitaliers concernés, même en tenant compte que l’amélioration du pronosticprovoquera automatiquement une augmentation sensible du nombre d’enfantsamenés pour traitement.

Les chiffres des quantités de farines composées destinées à alimenter lesenfants atteints de malnutrition modérée révèlent également l’importance du volumede l’aide alimentaire par rapport au nombre total d’enfants défavorisés. Les tonnagesdistribués à travers le monde varient de 200 000 à 400 000 tonnes par an, soitenviron huit fois le tonnage de poudre de lait. Le CSB (Corn Soya Blend), mélange

160

PERSPECTIVES D’ÉRADICATION DE LA MALNUTRITION DE L’ENFANT

Année

Figure 18 — Quantités de farines composées envoyées par année par le biais de l’aidealimentaire.

mill

iers

de

tonn

es

CSBTotal

Page 177: Malnutrition physiopath

de maïs et de soja, en représente la plus grande partie (Figure 18). Ces aliments sontdestinés aux enfants modérément dénutris dont le nombre est considérablement plusélevé que celui des enfants gravement dénutris. Mais si ces quotas étaient utilisés enpriorité pour éviter les récidives de malnutrition grave, ou pour simplement prévenirla dégradation des cas intermédiaires, leur impact serait aussi majeur. Maisactuellement, l’envoi de ces farines composées a peu d’effet sur la prévalence de lamalnutrition grave. Ces aliments sont de conception ancienne : ils contiennentbeaucoup de protéines, peu de matière grasse et des quantités importantes de fibreset de facteurs anti-nutritionnels. Leur composition les rend plus adaptés au régimediététique des personnes obèses cherchant à perdre du poids qu’à la prise en chargede cas de malnutrition. Certes, l’addition d’huile à ces aliments au moment de leurpréparation en améliore la valeur nutritionnelle, mais ceci n’est pas toujours suivi enpratique. En fait, il serait utile de revoir la composition de ces farines. Lesaméliorations nécessaires impliquent une augmentation des coûts, mais il existe unemarge de manoeuvre importante qui semble acceptable. En imaginant que l’on soitcontraint de doubler le coût de ces aliments pour en améliorer la qualité à budgetégal au budget actuel, il serait encore possible d’en envoyer entre 100 000 et200 000 tonnes par an, ce qui est considérable. Même si l’on admet que cesproduits, une fois améliorés, ne sont pas toujours aussi efficaces que les préparationsF100, et si l’on estime qu’il en faut 20 kg plutôt que 10 kg pour rétablir un poidsnormal, 100 000 tonnes de farines composées permettent encore de prendre encharge 5 millions d’enfants. Les volumes actuels de l’aide dépassentvraisemblablement les capacités humaines des programmes, qui n’assurent qu’unminimum de supervision sur l’utilisation de ces produits.

9-4 Analyse de la politique de l’aide alimentaire actuelle

Rien ne s’oppose dans les faits à une éradication rapide des formes les plusgraves de malnutrition dans les quelques années qui viennent. L’inertie desdécideurs politiques dans ce domaine est surprenante. Alors que les gouve-rnements cherchent un peu partout à limiter leurs dépenses et à optimiserl’utilisation des fonds publics, l’aide alimentaire est manifestement conduite sanssouci d’efficacité. Il semble bien que les facteurs influençant la politique de l’aidealimentaire soient d’un autre ordre.

161

9-4 ANALYSE DE LA POLITIQUE DE L’AIDE ALIMENTAIRE ACTUELLE

Page 178: Malnutrition physiopath

9-4-1 Pression des producteurs agricoles

La teneur de l’aide alimentaire, constituée principalement de céréales et deproduits laitiers non transformés, semble déterminée essentiellement par l’actionde groupes de pression des producteurs céréaliers dont l’influence est sans douteà mettre en rapport avec leur importance sur le plan électoral. Il est frappant deconstater que dans pratiquement tous les pays donateurs, l’aide alimentairedépende directement ou indirectement du ministère de l’agriculture. La nature del’aide et des produits envoyés montre que les décideurs politiques n’ont souventaucune notion des besoins nutritionnels des enfants en état précaire. Lesnutritionnistes travaillant sur le terrain n’ont en pratique qu’une influencenégligeable sur le choix des produits envoyés.

9-4-2 Souci d’image auprès du public

Le souci de se créer une image flatteuse et de conquérir les faveurs du grandpublic semble souvent avoir priorité sur la qualité technique de l’aide : les cahiersdes charges spécifiant les caractéristiques des aliments achetés par appel d’offreinternational et destinés à l’aide alimentaire décrivent souvent bien plus en détailla taille et la couleur du logo du donateur sur l’emballage que leur qualiténutritionnelle. Si cette tendance se poursuivait, on verrait bientôt les convoishumanitaires transformés en caravanes publicitaires. Comme l’aide alimentairebénéficie à d’autres que ceux qui la payent, son image prend de façon perverseplus d’importance que sa valeur nutritionnelle.

Cette nécessité d’entretenir une image flatteuse auprès du public secomprend si on l’analyse en termes de bénéfices électoraux. Cette politiquepermet de faire accepter au public une aide alimentaire sans véritable justificationéconomique. Ceci est d’autant plus important que cette stratégie permet de fournirdes débouchés aux producteurs agricoles influents sur le plan électoral, aux fraisdu contribuable ignorant mais consentant.

Les organismes non gouvernementaux, généralement enclins à dénoncer lestravers des organismes d’aide, sont curieusement silencieux sur ce défaut majeurde l’aide alimentaire actuelle, qui est plus soucieuse d’être visible du public qued’être efficace sur le terrain. En fait, les organismes humanitaires souffrent souventdu même travers : ils dépendent de la générosité du public, ce qui signifie querester visible est indispensable à leur survie alors qu’être compétent ne l’est pas.Dans les organismes humanitaires non gouvernementaux, la communication (la‘com’) tient toujours une place importante. Aucun ne saurait vivre sans elle, alorsque nombreux sont ceux qui arrivent à prospérer sans secteur techniquecompétent, voire même sans secteur technique du tout.

162

PERSPECTIVES D’ÉRADICATION DE LA MALNUTRITION DE L’ENFANT

Page 179: Malnutrition physiopath

9-5 Pour une aide alimentaire intelligente

Les pays donateurs donnent souvent une image confuse de l’aidealimentaire. Ils justifient son existence en invoquant le spectre de la famine et ense référant à des images d’enfants décharnés. Mais en guise de réponse, ils leurenvoient un nombre limité de produits, dans le cadre d’accords d’État à État. Cettecoopération a peu de chance d’améliorer le sort des enfants gravement dénutrisalors qu’elle s’y réfère implicitement. Une meilleure information des acteursimpliqués dans l’aide alimentaire favoriserait certainement la solution de ceproblème.

L’aide alimentaire devrait se fixer des objectifs limités et réalisables, à savoiraméliorer le sort des enfants les plus frappés par la malnutrition. Seuls serontefficaces l’envoi de quantités plus réduites d’aliments réellement adaptés, à desenfants qui en ont vraiment besoin, et l’octroi d’une assistance techniquecompétente pour le développement d’une industrie agro-alimentaire localeperformante. L’inondation des pays pauvres par des produits mal adaptés devraitêtre remplacée par une aide intelligente, compétente, riche en transfert deconnaissances et de technologies qui serait certainement moins coûteuse que cellemenée actuellement.

RéférencesFood for all: slogan or worthy goal ? [1996]. Lancet 348, 1109.

UNICEF. [1995]. La situation des enfants dans le monde New York : UNICEF.

UNICEF. [1996]. La situation des enfants dans le monde. New York : UNICEF.

Programme alimentaire mondial. [1996]. Données disponibles sur serveurInternet. http ://www.wfp.org.

163

RÉFÉRENCES

Page 180: Malnutrition physiopath
Page 181: Malnutrition physiopath
Page 182: Malnutrition physiopath
Page 183: Malnutrition physiopath
Page 184: Malnutrition physiopath

Achevé d’être impriméen octobre 1998

sur les presses du Groupe Graphique Chauveheid Stavelot