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VIOLENCE DE LARENTE PÉTROLIÈRE

Algérie - Irak - Libye

Lui6 Martinez

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VIOLENCE DE LARENTE PÉTROLIÈRE

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~ SciencesPo.~ Les Presses

Catalogage Électre-Bibliographie (avec le concours de la Bibliothèquede Sciences Po)Violence de la rente pétrolière : Algérie - Irak - Libye 1 Luis Martinez -Paris: Presses de Sciences Po, 2010 (Collection Nouveaux Débats; 21)

ISBN 978-2-7246-1162-5

RAMEAU:- Rente pétrolière: Algérie- Rente pétrolière: Libye- Rente pétrolière: Irak- Industrie pétrolière: Aspect politique: Algérie- Industrie pétrolière: Aspect politique: Libye- Industrie pétrolière: Aspect politique: Irak

DEWEY:- 320.7-610 : Conjoncture et conditions politiques- Afrique du Nord- 333.4 : Economie des ressources souterraines

Public concerné: Public intéressé

La loi de 1957 sur la propriété intellectuelle interdit expressément la pho-tocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit (seule la photocopieil usage privé du copiste est autorisée). Nous rappelons donc que toute repro-duction, partielle ou totale, du présent ouvrage est interdite sans autorisationde l'éditeur ou du Centre français d'exploitation du droit de copie (CFC, 3, rueHautefeuille, 75006 Paris).

" 20lD, PRESSES DE LA FONDATION NATIONALE DES SCIENCES POLITIQUES

À mon père

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·ornmrure

Remerciement6 9

IntroductionLE BONHEUR N'EST PAS DANS LES CHAMPS PÉTROLIFÈRES 11

Chapitre 1 27

LA CAPTURE DE LA RENTE 27

Révolution, nationalisation et socialisme 27

Contrôle de la rente 31

Irak: rente pétrolière et parti Baath (1968-1980) 36

Libye: coup d'État et révolution (1969) 40Algérie: socialisme et industrialisation 43Abondance financière et • potentiel despotique» 49Qui contrôle la rente? 54

Conclusion 61

Chapitre 2

LES ILLUSIONS DE LA PUISSANCE PÉTROLIÈRE 63

La recherche des attributs de la puissance 64L'envolée des dépenses militaires 67La Libye: une caserne à ciel ouvert 68L'Irak: «Ie défenseur des Arabes» 73Algérie: le développement d'abord, le Maroc après 76Le contrechoc pétrolier: la fm des illusions 80Une libéralisation économique improvisée 81La rente pétrolière favorise-t-ellel'écrasement des révoltes? 85Conclusion 99

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8 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

Chapitre 3RENTE PÉTROLIÈRE ET RÉGIMES MAFIEUX 101

Un contexte favorable à la transformation

des régimes 101

Irak: embargo total et fin de 1'«État solide» 106

Libye: embargo partiel

et déraillement de la révolution 110

Algérie: condamnation morale

du régime des généraux 114

Des économies en faillite 118

Bienfaisance et allégeance 121

La reconsolidation mafieuse des régimes 124

Conclusion 133

Chapitre 4LE RETOUR INESPÉRÉ DE l'ABONDANCE FINANCIÈRE 137

Un troisième choc pétrolier salvateur:

reconstruction étatique et nationale 140

Algérie: réconciliation nationale et retour de l'État 143

Libye: que faire de la révolution? 153

Irak: violence de la reconstruction

étatique et nationale 162

Un renouveau fragile 170

Conclusion 173

Chapitre 5ALGÉRIE ET LI8YE À L'ÉPREUVE

DE LA POLIT lOUE EUROPÉENNE DE VOISINAGE 175

La construction d'un marché de l'énergie 181

La construction d'une stratégie de sécurité 187

Marché de l'énergie et stratégie de sécurité:

que devient l'intégration régionale? 192

Les limites de la politique européenne 198

Conclusion 207

Conclu6ion 211

Bibliographie 217

Remerclement6

Je remercie le Centre.d'études et de recherches internationales

III' la Fondation nationale des sciences politiques pour son soutien

rnnstant dans mes recherches. Je remercie Jean-François Lisée,directeur du Cerium et Philippe Faucher, directeur du département

dl' sciences politiques de l'Université de Montréal, pour leur cha-h-ureux accueil au cours de mon séjour à Montréal (2007-2008)

qui m'a permis d'approfondir et de discuter mes recherches.

Cc livre est issu de mon mémoire d'habilitation à diriger des

1'(' herches. J'exprime ma gratitude à Michel Camau, directeur deIllon HDR (habilitation à diriger des recherches), pour ses critiques

et remarques. Je remercie également pour leurs suggestions et

commentaires Jean-Noël Ferrié, Eberhard Kienle, Amélie Blom,

llaudouin Dupret et Jérôme Sgard. Un grand merci à François

Hafoil pour son soutien et ses encouragements. Mes remerciements1\Sylvie Haas pour sa lecture attentive, à Dorian Ryser pour son

ulde à la documentation et à Miriam Perier pour ses traductions.

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IntroductionLe bonheur n'est pasdaru. let> champt> pétroliûèret>

Dotés de ressources en hydrocarbures considérables', l'Algérie, la

Libye et l'lrak ont dilapidé, entre 1970 et 2000, - avec les meilleures

intentions - l'essentiel de leurs revenus dans des projets écono-

miques et militaires aux conséquences désastreuses. Exténués et

ruinés après trente années d'expérimentations hasardeuses, ces trois

pays redécouvrent avec le troisième choc pétrolier (2003-2008)2

les avantages de la richesse passée. Curieusement, ce dernier n'a

pourtant pas suscité l'enthousiasme attendu, à la différence des

deux chocs précédents (1973, 1979). Si, il Y a quelques décennies,

l'or noir s'apparentait à l'arme de destruction massive qui devaitpermettre la victoire sur le sous-développement, l'impérialisme

et le sionisme, force est de constater qu'en 2008 les propos sont

bien tièdes, alors même que le prix du baril frôle les 150 dollars.Que s'est-il passé? La magie du pétrole s'est-elle dissipée?

L'Algérie, la Libye et l'Irak font alors preuve d'une prudence

inaccoutumée face à ce bénéfique tsunami financier qui a permisen cinq ans d'accumuler de considérables réserves en dollars (en

1. L'Irak détient la 3' réserve mondiale prouvée de pétrole (J 15 mil-liards de barils en stock, 1,5 million de barils par jour); la Libye,8' réserve mondiale prouvée de pétrole (41 milliards de barils enstock, 1,6 million de barils par jour) ; l'Algérie, 17' réserve prouvéede pétrole (12 milliards de barils en stock, 1,9 millioll de barils parjour), 6' producteur mondial de gaz et 4' exportateur mondial de gaz.Énergie information administration, 2007-2008; P. Zetenko, C-A.Paillard et C. de Lestanqe, Géopolitique du pétrole, Paris, Technip,2005.

2. J.-M. Chevalier, The New Energy Crisis: Climate, Economies andGeopolitics. Londres, New York, Palgrave Macmillall, 2009.

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12 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

2008, 140 miJliards de dollars pour l'Algérie, 100 pour la Libyeet 40 pour l'Irak'}, En fait, et ce dès le début de la décennie, les

populations pensent que le pétrole est une malédiction. De 1970

à 2000, la rente pétrolière a produit un effet de richesse plus

qu'un développement économique. Aussi, face à une surprenanteopulence financière retrouvée, nombre de gens évaluent son

retour avec circonspection. Certes, la montée du prix du baril de

pétrole depuis 2003 a sorti les régimes algérien, irakien et libyen

de l'opprobre dont ils sont l'objet depuis la décennie 1990 et

les a propulsés au rang de marchés attractifs. Pour autant, cettenouvelle manne financière ne réveille pas parmi les populations

la croyance dans l'illusion pétrolière. Pour le «peuple », le bonheur

ne réside plus dans les champs pétrolifères. Si, depuis le début de

la décennie 1970, ces pays ont bénéficié d'une rente pétrolière,

cela n'a pas amélioré de façon particulière le bien-être de leurs

habitants, du moins pas plus que dans les régimes autoritaires non

pétroliers. Les indicateurs de développement humain de l'Algérie,

de l'Irak et de la Libye ne se distinguent pas particulièrement de

ceux de la Tunisie, du Maroc ou de la Syrie. En 1992, la Syrie

était classée 79" tandis que l'Irak était 100', la Libye 26' quand

la Tunisie était 27', l'Algérie 109' juste devant le Maroc III'.En

2000, le Maroc consacrait 4,8 DIo de son produit intérieur brut(pm) aux dépenses de santé là où l'Algérie en dépensait 3,5 Ofo,

et la Tunisie 5,6 Ofocontre 3,5 Ofoen Libye'. Comme le souligne

A. Mebtoul, ce classement ferait reculer de 20 points un pays

comme l'Algérie (mais également l'Irak et la Libye) si le PIE était

calculé hors hydrocarbures'. L'Algérie, classée à la 102' position

(sur 177) en 2005-2006, serait ramenée à la 153' place!

De plus, entre 1974 et 2004, les taux de croissance annuelle duMaroc (1,4 Ofo),de la Tunisie (2,3 Ofo)et de la Syrie (1,1 DIo) étaient

3. Business Monitor International, 1" septembre 2008.4. Rapport mondial sur le développement humain, chapitre Il, IDH,2005, p. 33.5.A. Mebtoul: «Pour l'amélioration du rapport de 2008 du Conseil éco-nomique et social algérien sur l'WH., El Khabar, 14 septembre 2009.

INTRODUCTION 13

up rieurs à ceux de l'Algérie (0,1 Ofo), de l'irak et de la Libye".

Ainsi, en 2004, le pm de la Libye (29,1 milliards de dollars) est

peine supérieur à celui de la Tunisie (28,2 milliards de dollars),

relui de la Syrie (24 milliards de dollars) supérieur à celui de l'Irak

(21,1 milliards de dollars)? Seul le pm de l'Algérie (80 milliards

1'11 2004) est supérieur à celui du Maroc (50 milliards dollars).

C 'pendant, en 2000, un rapport du Conseil national économiquel'l social" souligne que 19 % de la population, soit près de 6 mil-

lions de personnes, vivent dans la pauvreté. De même, il pointe la

v ritable menace que représente un taux de chômage variant entre.l2 0/0 et 28 DIo. En Irak, les dernières années du règne de Saddam

Hussein se caractérisent par un véritable drame humanitaire, uneci 'composition de la société, tandis que la dureté de l'embargo

mettait l'<<État en danger?». En Libye, la situation sociale n'a

cessé de se dégrader tout au long de la décennie 1990. Le tauxde chômage est estimé à II Ofo en 2000 par le gouvernement, mais

nombre d'observateurs l'évaluent en réalité à près de 30 Ofo.Dans

1In tel contexte, marqué par une absence totale de perspective,

la majorité des jeunes gens ne pense qu'à émigrer. À la veille dutroisième choc pétrolier, les marges de manœuvres financières des

gouvernements sont limitées en raison de la dette. En Algérie, le

service de la dette absorbe, en 2000, l'équivalent de 47,5 % des

ressources extérieures! En Irak, la dette avoisine les 100 milliards

de dollars. En Libye, ce n'est pas l'endettement qui inquiète, mais

le niveau de l'inflation qui, au cours de la décennie 1990, avoi-sine avec les 200 OfoiO!Face à un tel bilan, Mouammar Kadhafi

se demande si cela valait «la peine dans ces conditions de faire

des sacrifices pendant quarante ans ... Malheureusement, ceux qui

6, Rapport mondial sur le développement humain 2006, p. 332; lePIB de [a Libye, entre 1982 et 1992, a été de- 6,7. Note 2002, The Wor[d Bank Group, http://wlVlV,wor[dbank.org7.IMF, 23 décembre, 2005, http://www,imforg8. Conseil natio/lal économique et social, http://www.u.niceforg9. Titre du rapport du groupe d'amitié franco-irakien du Sénat, mis-sion du 18 au 23 juin 2001.10, «Les effets de l'embargo sur les finances extérieures de la Libye.,Marchés tropicaux, 11 septembre 1998.

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14 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLItRE

ont mené la révolution ne sont ni des savants ni des experts. Cene sont que des simples révolutionnaires. Certains parmi nous nesavaient même pas lire et écrire! D'autres n'avaient même pas dediplôme secondaire. Nous n'étions que de simples sous officiersanalphabètes! Il '.

Grâce au prix du baril de pétrole, ces pays ont pu afficher,entre 1973 et 1985, des taux de croissance élevés permettant par-fois de doubler leur PIE. Mais sur la durée, cette richesse ne s'estpas matérialisée en un surcroît de bien-être pour les populations.Quels sont donc les facteurs explicatifs de ce paradoxe? La thèsede la malédiction des ressources permet-elle de comprendre latrajectoire de ces trois pays? Comment expliquer alors que la ventedes hydrocarbures ne nuise pas à la Norvège par exemple!"? Demême, pourquoi l'Indonésie est-elle parvenue à échapper à cettemalédiction" et à rejoindre le club des «démocraties pètrolières'!»,tandis que l'Algérie, l'Irak et la Libye y ont échoué?

- À la recherche de la malédiction des ressources

L'abondante littérature sur la malédiction du pétrole cherche àrépondre au paradoxe entre l'abondance de ressources naturelleset la faiblesse des performances économiques. Cette thèse estnée dans les années 1970 à partir du cas hollandais, caractérisépar un effondrement de l'industrie manufacturière à la suite desexportations de gaz renchérissant le coût de la main-d'œuvreet surévaluant le florin. Elle a alimenté une riche réflexion surl'. État rentiers, l'un des facteurs explicatifs majeurs de l'absence

II. Discours de M. Kadhafi devant le Congres Général du Peuple,en janvier 2000.12. L. Wantcllekon, • Why do Resource Abundant Counmes HaveAuthoritariaa Govenlmen ts ?', Yale University, 15 octobre 2002;O. Listhauq, «Gi! Weath Dissatisfaction and Political Trust in Norway:A Resource Curse r», West European Politics, 28 (4), 2005, p. 835.13. A. Rosser, •Escaping the Resource Curse: The Case of Indonesia >,Journal of Contemporary Asia, 37 (1) février 2007, p. 38-58.14. P. Collier and A. Hoeffier, «Démocraties pétrolières», Afriquecontemporaine, 216, 2005.

INTRODUCTION 15

de démocratie", Un schéma plus sophistiqué montre commentl'exploitation de ressources abondantes dans un État doté defaibles institutions démocratiques est à même de produire deseffets pervers irréversibles". Enfin, le pétrole et plus généralementles ressources naturelles et les matières premières s'imposent aussicomme la cause première de la violence et des guerres civiles".En réaction à ces travaux perçus comme réducteurs du point devue analytique, une littérature critique a souligné l'impossibilitéde ramener à une seule variable causale des phénomènes aussicomplexes que la violence, les guerres civiles et l'absence dedémocratie!".

À l'instar des autres membres de l'Organisation des paysexportateurs de pétrole (OPEP), l'Algérie, la Libye et l'Irak ontconnu, entje 1970 et 2000, une croissance économique infé-rieure à la croissance mondiale, confirmant ainsi la faiblesse desperformances d'une économie rentière. Quasi dépendants desexportations d'hydrocarbures, ces pays vont non seulement pâtirdes fluctuations du marché mondial de l'énergie mais aussi voirleur marché national se réduire à un entrepôt constitué de bienset de produits importés. Sur le plan politique, ces trois pays (pourl'Irak jusqu'en 2003) sont confrontés au «syndrome autoritaire»

15. Pour une synthèse critique des travaux sur ce thème, voirL. Wantcllekon, «Why do Resource Abundant Countries HaveAuthoritarian Governments ?. New Haven (COIIII.), Yale CIAS,novembre 1999; Y. Matsunaga, .L'État relltier est-il réfractaire à ladémocratie ?', Critique internationale, 8,juillet 2000; M. L. Ross, .DoesOil Hillder Demoeracy? World Polities, 53 (3), 2001, p. 325-361.16. T. Karl. The Paradox of Plenty: Oil Booms and Petre-States,Berkeley (Calif.), University of Califomia Press, 1997.17. P. Collier.• Doing weil out of War: an Economie Perspective»,dans M. Berdal et D. Malone [eds}, Greed and Grievance: EconomieAgendas in Civil Wars, Boulder (Colo.), Lynne Rienner, 2000;P. Collier et A. Hoeffler, .On tlze Incidence of Civil War ill Africa»,Journal Of Confliet Resolution, 46 (I), 2002.18.J. Di John, .Dil Abundance and Violent Politieal Conj1ict: A criti-cal Assessment s, Journal Of Development Studies, 43 (6), août 2007,p. 961 -986; M. L. Ross, • Wllat do we knolV about Natural Resourcesand Civil War?, Journal of Peace Researeh, 41 (3) 2004.

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18 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLlËRE

Production et réserves et de pétrole et de gaz (2008)

en % du total

ProductionPétrole

A. Saoudite ~~~~F~~RussieËtats-Unls

IranChine

MexiqueCanada

ËAuKowe~

VenezuelaIrak

NorvègeNigeria

BrésilAngolaLibye

AlgérieRoyaume-Uni

KazakhstanQatar

RéservesPétrole

A. Saoudite ~~~f'=~Iran EIrak

KoweitVenezuela

ËAuRussieLibye

KazakhslanNigeria

Ëtats-Uniscanada

QatarChine

AngolaBrésil

AlgérieMexiqueNorvège

Azerbaïdjan

10

Gaz

Russie 1~~~§~~1Ëtats-Unis tCanada rrr:Iran :

Norvège .Algérie IIII!I :

A. Saoudite ~QatarChine

IndonésieRoyaume-Uni

Pays-BasTurkménistan

MalaisieOuzbékistan

ËgypteMexique

ËAuArgentine

TrinldadetTobago15

RussieIran

Qatar~~~:iTurkménistan

A. SaouditeËtats-Unis

ËAuNigeria

VenezuelaAlgérie

IndonésieIrak

NOIvègeAustralie

ChineMalaisie

ËgypteKazakhstan

Koweitcanada

Source: BP Statistical Review of Wo~d Energy, juin 2009

tO 15 20 25

Gaz

10 15

10 15 20 25

20

INTRODUCTION 19

un effondrement des régimes autoritaires: • Une des conclusionsdes recherches sur la transition démocratique est que les régimesautoritaires ont de plus fortes probabilités de s'effondrer au coursde crises économiques ... Cependant, l'analyse plus approfondie deseffondrements de ces régimes [...] révèle l'absence douteuse d'untype d'États pourtant en crise économique: les États pètroliers".»B. Smith observe que plus un régime contrôle les ressources pétro-lières, plus il est assuré de garder le pouvoir indépendamment dela situation économique et sociale qui prévaut, observation ample-ment confirmée par les exemples libyen, irakien et algérien. Cettecapacité à survivre aux crises économiques et politiques permetaux organisations et institutions, édifiées durant le boom pétrolier,de surmonter «les temps difficiles». En fait, les revenus pétroliersprocurent aux régimes plus de moyens financiers nécessaires àleurs stratégies de maintien au pouvoir". Cela dit, les modalitésde survie des régimes sont nombreuses, de la Corée du Nord auZimbabwe, elles infirment l'hypothèse d'une longévité inhérenteà la seule rente pétrolière" !

- Révolution nationale et richesse pétrolière

En fait, la capacité de survie des régimes autoritaires n'est pas lacaractéristique des seuls régimes autoritaires pétroliers". L'Algérie,l'Irak et la Libye se distinguent des autres régimes autoritaires,pétroliers comme non pétroliers, par les conditions historiques quiont permis, dans les années 1970, la capture de la rente par desorganisations politiques révolutionnaires. D'autres pays autoritaires

27. B. Smith, «The Wrong Kind of Crisis : Wl1y Oil Booms and BustsRareiy Lead to Authoritarian Breakdoum», Studies in ComparativeInternational Development, 40 (4), hiver 2006, p. 55.28. K. Morrison, «Oi), NOIl Tax Revenue and the RedistributiollalFoulldations of Regime Stubility». International Organization, 63,2009, p. 108.29. M-A. Legrange et T. Vircoulon, «Zimbabwe: réflexions sur la dicta-ture durable», Politique étrangère, 3, 2008, p. 653-666.30. E. Bellin, .The Robustness of Authoritarianism in The MiddleEast: Exceptionalism ill Comparative Perspective», ComparativePolitics, 36 (2), 2004.

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16 VIOLENCE DE LA RENTE P~TROLlÈRE

observable dans l'ensemble des pays arabes, producteurs de pétroleou non 19. Ils ne se distinguent donc pas des autres pays de la

région. En revanche, ils s'en différencient par I~ur rapport à la

violence, en particulier par le développement de conflits, voire de

guerres civiles. Les travaux de Collier et de Hoeffler soulignent,

par exemple, qu'entre 1960 et 1999, soixante-dix-neuf guerres

civiles ont eu lieu dans des pays dotés de ressources naturellesabondantes: • L'impact des exportations de matières premières

sur le développement d'un conflit est hautement significatif. Ledanger culmine lorsque les exportations de matières premièresreprésentent 33 % du pm, le risque de guerre civile est de 22 %,

alors que pour un pays qui n'exporte pas de matières premières,

il est de 1 %'0.» L'hypothèse d'une corrélation entre ressources

naturelles et guerre civile est étayée par d'autres travaux. Cette

approche économiste est celle qui retiendra l'attention des insti-

tutions internationales à la recherche de solutions. Elle propose

une explication simple des causes des conflits et de leur durée,

mais les arguments sont en réalité peu convaincants". La thèse dela malédiction des ressources a soulevé de nombreuses critiques.

Non seulement elle simplifie à outrance des phénomènes aussi

complexes que les conflits et les guerres civiles, mais surtout elle

réduit les facteurs historiques et politiques à un rôle explicatif

marginal au regard des déterminants économiques", aussi centraux

soient-ils. Comme le souligne M. Ross: «La corrélation ressourcesnaturelles-guerre civile peut être fausse: la guerre civile comme la

dépendance énergétique peuvent résulter, de manière indépendante,

d'un troisième facteur qui n'aurait pas été pris en considération,

19. M. Camau et V. Geisser, Le Syndrome autoritaire, Paris, Pressesde Sciences po, 2003; P. Droz- Vincent, ,Quel avenir pour l'autori-tarisme dans le monde arabe», RFSP, 54 (6), décembre 2004.

20. P. Collier et A. Hoe.ffler, «Gried and Grieuance in Civil War.,Oxford Economie Papers, 56 (4), 2004, p. 588.

21. Di John, «Dil Abundance and Violent Political Conflict», art.cité, p. 80.

22. R. Marchal et C. Messiant, «De l'avidité des rebelles. L'analyseéconomique des conflits par Paul Collier», Critique internationale,16, juin 2002.

INTRODUCTION 17

comme par exemple l'absence d'État de droit".», L'absence demécanisme démocratique de redistribution de la rente pétrolière

devient déterminant. Néanmoins, en étudiant vingt-deux États

producteurs de pétrole entre 1960 et 1999, M. Ross observe que

1reize ont fait face à des mouvements séparatistes, précisément

dans des régions où existent des réserves pétrolières". À cettecorrélation, une sociologie historique des conflits souligne que

• l'avidité des rebelles» n'est pas alimentée seulement par le

profit. La violence des mouvements séparatistes serait plutôt unInstrument de régulation, voire de négociation, avec les autorités.

Le Nigeria conforte cette hypothèse: au cours des trente-cinq

dernières années, les revenus cumulés ont atteint la somme de50 milliards de dollars, et pourtant 70 % de la population vit

avec moins de un dollar par jour tandis que 80 % des revenus

du pétrole ne bénéficient qu'à 1 % de la population. Aussi, les

populations vivant dans les régions pétrolières du Delta soutien-

nent le mouvement séparatiste Mouvement d'émancipation du

delta du Niger (MEND)".

À J'opposé des partisans de la thèse de la malédiction des res-sources, les travaux de Benjamin Smith soulignent que la rente

pétrolière contribue à la longévité de ces régimes". Il introduit

un rapport statistique entre richesse pétrolière et instabilité poli-

tique, celle-ci étant le résultat de la fluctuation des prix du baril

de pétrole. Mais cette instabilité politique, dans un contexte de

crise financière et économique, ne débouche pas forcément sur

23. M. L. Ross, • What do we Knoui abou.t Natural Resources andCivil War?, Journal of Peace Research, 41 (3),2004, p. 342.24. M. L. Ross, .A Closer Look ut Oil, Diamonâs, and Civil Wa,.,Annual Review of Political Science, 9, 2006, p. 288.25. A. Oyefusi, .Oil and Probability of Rebel Participinq amonqYouths in the Niger Delta of Niqeria», Journal of Peace Research 45(4), 2008; D. C. Bach, «Niqeria : paradoxes de l'abondance et démo-cratisation en trompe-t'ait», Afrique contemporaine, 219, 2006,

p. 121; P. Sébille-Lopez, <Les hydrocarbures au Nigeria et la redis-tribution de la rente pétrolière», Afrique contemporaine, 216, 2005.

26. B. Smith, «Gi! Wealth and Regime Suruiual ÙI the DevelopingWorld, 1960- 1999., Arnerican Journal of Political Science, 48 (2),avril 2004, p. 232.

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20 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

sont dirigés par des organisations ou partis révolutionnaires, maisils ne disposent pas de la manne pétrolière. La Syrie de «Assadà Assad» est dirigée par le Baath, à l'instar de l'Irak de SaddamHussein, mais n'a jamais eu les moyens - si ce n'est au Liban -de ses ambitions militaires. Aussi peut-on considérer que son«potentiel destructeur. est demeuré limité en comparaison avecson voisin irakien". En Algérie, en Irak et en Libye, au contraire,la rente pétrolière va permettre à des régimes révolutionnairesde réaliser leurs projets et de nourrir leurs ambitions de moyensconséquents. Ce travail fait donc l'hypothèse que la trajectoirepolitique violente ainsi que l'échec économique de ces régimes sontle résultat d'une combinaison entre la dynamique révolutionnaireoriginelle et la richesse pétrolière inattendue.

Les hydrocarbures sont-ils alors un cadeau empoisonné?L'exemple des pays analysés dans ce texte semble valider cettehypothèse: l'Algérie, l'Irak et la Libye sont des victimes de lamalédiction du pétrole! Après tout, nombre des symptômes recen-sés par les partisans de cette théorie se retrouvent dans ces pays:violence, guerre, autoritarisme, pauvreté, échec économique".Pourtant, cette corrélation mécanique ne résiste pas toujours àl'analyse historique et politique: la rente pétrolière est-elle lefacteur explicatif de la trajectoire dramatique de ces pays oun'a-t-elle qu'amplifié le potentiel destructeur de ces régimes?En d'autres termes, l'État-FLN (Front de libération nationale),le Baath irakien et la Jamahiriya libyenne auraient-ils été plusdémocratiques sans la rente pétrolière? Rien dans les structurespolitiques de ces organisations ni dans le choix de ses dirigeantsne permet de répondre par l'affirmative.

En faisant l'hypothèse que la capture de la rente pétrolière parces autocraties a facilité l'application de leur potentiel destructeur,

31. S. Heydemann, «D'Assad Ii Assad: la politique syrienne n'estpas un théâtre d'ombre., Critique internationale, 9, octobre 2000;E. Kienle, Ba'th YS Ba'th, Londres, Taurus, 1990.32. J. D. Sach, J. E. Stiglitz et M. Humphreys (eds), .What isthe Problem with Na tura1 Resource Wealth», dans J. D. Sach,J. E. Stiglitz et M. Humphreys (eds), Escaping The Resource Curse,New York (N. Y}, Columbia University Press, 2007.

INTRODUCTION 21

ce travail vise donc également à enrichir le débat actuel sur lesyndrome autoritaire dans le monde arabe. La littérature poli-tique sur la démocratie et l'autoritarisme, fort heureusement,ne néglige plus le monde arabe: •Le monde arabe est plus quejamais présent dans les comparaisons sur les transformationsdes régimes".» Mieux, elle pose à présent un questionnementnovateur sur le «dérapage démocratique. des régimes autoritairesqui permet d'appréhender la vulnérabilité des régimes face auxpressions politiques". Il s'agit d'analyser désormais le rôle de larente pétrolière dans «la question des conditions par lesquellesl'autoritarisme, et plus précisément l'autocratie se maintient àtravers les changements même qu'elle met en œuvre" •.

Le moment déclencheur de la dynamique de destruction aréellement commencé avec le premier choc pétrolier de 1973

qui a multiplié de façon exponentielle les revenus des gouver-nants. Ces derniers disposent alors des moyens financiers quileur avaient fait défaut jusque-là et qui les avaient contraints àréviser à la baisse leurs ambitions régionales et à accorder plusd'attention au niveau national. Ce n'est qu'après 1973 que s'ob-serve une dynamique où priment la domination intérieure parles organisations révolutionnaires et surtout une personnalisationexacerbée du pouvoir. Ainsi, la trajectoire de ces pays ne résultepas de l'économie rentière ou des ressources naturelles, mais biende la rencontre historique entre la montée du prix du baril depétrole après 1973 et le contrôle de l'État par des organisationspolitiques caractérisées par une idéologie révolutionnaire et despratiques violentes de domination politique. L'abondance financière

inhérente au premier choc pétrolier a donc donné à ces régimes

33. M. Camau, • Globalisation démocratique et exception autori.tairearabe., Critique internationale, 30, 2006, p. 59-82.34. Jean-Noël Ferrié, «Enterinq the "Virtuous Circle" : The Strenqth.of Democratie Designs in Egypt and Morocco», dans E. Kienle (eâ.),

Economie Reform and the Reconstruction of Poli tics : The ArabWorld in a Period of Global Transformations, Londres, Saoi, 2003.35. J-N Ferrié et J-C Santucci (âir.), Dispositifs de démocratisationet dispositifs autoritaires en Afrique du Nord. Paris, CNRS, 2005,p. Il.

Page 13: Violence de La Rente Petroliere

22 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

les moyens qu'ils espéraient pour imposer leur hégémonie surla scène politique, transformer leur société et élargir l'influence

de leur pays au niveau régional. Le premier choc pétrolier a

donc eu pour conséquence la concentration du pouvoir dans descercles restreints, de plus en plus coupés de leurs bases sociales

car aveuglés par une richesse aussi soudaine qu'imposante. Les

révolutions socialistes et baathistes, loin de mener à «la libéra-

tion les individus des chaînes du passé», les ont conduits à des

régimes autoritaires faisant un usage particulièrement fréquent

de la violence. La rente pétrolière a exacerbé le nationalisme

algérien, décuplé les ambitions de la Jamahiriya libyenne et sonné

le glas du Baath irakien en survalorisant sa puissance. Sans la

rente pétrolière, ces trois pays se seraient sans doute comportés

comme le Maroc, la Tunisie, l'Égypte, voire la Syrie, à savoir un

autoritarisme mesuré en raison ... de ressources limitées! Ainsi,

ce n'est pas la rente pétrolière qui est une malédiction, mais

son usage. Il n'y a pas de sort jeté contre les États rentiers. En

revanche, il y a péril en la nation si le régime autoritaire qui en

fait usage est le produit d'un mélange d'une histoire colonialenon surmontée, d'une idéologie nationaliste exacerbée et d'une

organisation politique d'encadrement de la société aux méthodes

brutales. La rente pétrolière peut le conduire à un usage banal de

la violence et à un refus « maladif» de toute forme d'autocritique.

En identifiant la construction de l'État à la révolution (et

non à la démocratie), ces régimes autoritaires ont associé leur

richesse pétrolière à une revanche contre l'histoire coloniale et

ses séquelles. Dotés de revenus considérables, ils ont pu à la fois

mettre en œuvre une politique de développement, s'assurant

ainsi une base sociale, et octroyer des privilèges aux «coalitions

autoritalres>» qui gouvernent et financent leur ambitieuse et coû-

teuse politique régionale. Dans cette perspective, ce n'est pas tant

l'abondance des ressources pétrolières qui est le facteur explicatif

de leur trajectoire violente que l'usage qui en a été fait dans un

36. E. Picard, «Syrie: la coalition autoritaire fait de la résista1lce.,Politique étrangère, 4, 2005.

INTRODUCTION 1 23

cadre juridique définissant les droits de propriété spécifiques", Ce

point est central: ce qui distingue les monarchies pétrolières du

Golfe (détentrices des principales réserves mondiales de pétrole)

des républiques arabes socialistes pétrolières, c'est le mode de

capture de la rente. La Libye d'avant le coup d'État de 1969semblait prendre le chemin paisible d'un émirat", l'Irak d'avant

le coup d'État de 1958 partageait des caractéristiques semblables

à celles des monarchies du Golfe", En Algérie, l'instauration du

parti unique en 1963, suivi du coup d'État de 1965, a favorisé

l'édification d'un régime autoritaire populiste". Mais la capture

de la rente par des mouvements révolutionnaires a provoqué une

alchimie politique particulièrement toxique entre des régimes

autoritaires au potentiel destructeur et une abondance financière

inhérente à la nationalisation du secteur des hydrocarbures: pro-

jets démesurés, achats d'armement, ambition régionale, contrôle

exclusif de la rente, transformation des sociétés ... Le contrechoc

pétrolier (1986-2000), dans un contexte de réformes (modification

des droits de propriété), a favorisé la naissance de régimes mafieux

caractérisés par une économie de pillage. Pour les populations,le coût du maintien des coalitions révolutionnaires et populistes

est difficilement supportable en comparaison avec les régimes

autoritaires non pétroliers voisins comme le Maroc, la Tunisie

et la Syrie. Car la rente pétrolière a permis la mise en œuvre de

37. M. L. Ross, «The Political Economy of The Resource Curse s,

World Politics 51 {2}, 1999, p. 12.38. D. Vandewalle souligne que l'échec de la monarchie libyetmea été, à la différence du Koweït et de l'Arabie Saoudite, de créerdes alliances nécessaires à sa consolidation. De plus, l'exploitationcommerciale du pétrole, utile pour construire un système clientéliste,a commencé seulement après 1961, dix ans après l'indépendance.D. Vandewalle, Libya sirice Independence, Oil and State Building,lthaca (N.y'), Comell University Press, 1998, p. 59.39.H. Bozarslan écrit: «Cette monarchie {J930-J958} tenta de mettreen place une "démocratie bourgeoise", laquelle se révéla, même modes-tement, intéqratiue des groupes dominés», dans - États, communau-tés et marges dissidentes en lrak», Critique internationale, 34, 2007,p.20.40.L. Addi. L'Impasse du populisme. Alger, Enat, 1990.

Page 14: Violence de La Rente Petroliere

26 1 VIOLENCE DE LA RENTE PËTROLlÈRE

par des régimes révolutionnaires qui, en réalité, se sont tous

tra~sformés au gré du temps en de véritables entreprises de pré-dation. Ce travail montre que la rente pétrolière n'est ni la cause

de l'absence de démocratie, ni le facteur explicatif du basculement

dans la violence: elle n'a été que la ressource nécessaire à laréalisation du potentiel destructeur inhérent aux organisations

politiques révolutionnaires. Par contre, les usages de la rente

pétrolière dans des régimes révolutionnaires non démocratiques,

de la nationalisation au troisième choc pétrolier (1971-2008),ont fait toute la différence. Les revenus du pétrole ont favorisé

l'édification de complexes échafaudages politiques et sécuritaires

assurant la consolidation de larges coalitions. Ils ont conforté les

~~atiques traditionnelles de prédation qui représentaient pour lesel;tes progressistes une menace à éradiquer: «Ruser pour voler

l'Etat, dénonçait le président Boumediene, semble être devenu la

règle, comme si l'État était un État étranger. Nous devons fairedisparaître des mentalités l'idée archaïque du beylik",» L'arrivée

massive de revenus dans les caisses de l'État a profondément nui àson fonctionnement, d'autant plus que la fusion entre l'économierentière et les appareils de sécurité a fait émerger des régimes

mafieux aussi solides que flexibles. On peut ainsi conjecturer que,

sans l'invasion des troupes américaines en Irak, le Baath auraitfêté, en 2008, ses quarante années au pouvoir.

47. Révolution africaine, 28 septembre-e octobre, 1977 p. 13.

Chapitre 1La capture de la rente

- RéVOlution, nationalisation et socialisme

Au début de la décennie 1970, la nationalisation du secteur des

hydrocarbures apporte au régime socialiste algérien, au baathiste

irakien et au révolutionnaire libyen, la manne financière nécessaire

à la réalisation de leurs ambitions politiques. Le pétrole est alors

perçu comme une bénédiction: le « sang du peuple» pour le pré-

sident Houari Boumediene', le «carburant de la révolution'. pour

Kadhafi et l'énergie nécessaire à la construction d'une puissance

régionale pour Sadd am Hussein'. Une partie des revenus issus de

la vente des hydrocarbures est investie dans les infrastructures

civiles, améliorant ainsi de façon très nette les conditions de vie

de la population. L'abondance des recettes est telle que beaucoup

croient que le pétrole va permettre de rattraper économiquementl'Occident. Ces régimes se lancent dans une industrialisation iné-

galée: le secteur industriel est associé à la modernité et le pétroleest justement ce qui est censé «acheter la modernité •. La prise

de contrôle du secteur pétrolier est vécue comme une revanche

historique, d'autant que l'accès à l'indépendance apparaît ina-

chevé, tant la présence des compagnies pétrolières internationalesreste hégémonique. Leur contrôle sur les ressources énergétiques

1. .S'il nous était donné d'analyser le pétrole algérien, nous décou-vririons que le sang de nos martyrs constitue l'une de ses campo-santes car la possession de cette richesse a été payée du prix de notresang », discours de Skikda, J 6 juillet 1970.2. John Davis, «La société hydrocarbure., dans John Davis, Le Systèmelibyen, Paris, PUF, J987, p. 273.3. M. Farouk-Sluqlett et P. Sluqiett, Iraq since 1958. From Revolutionto Dictatorship, Londres, Taurus, 200J, p. 171.

Page 15: Violence de La Rente Petroliere

24 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

multiples expérimentations que de «simples» régimes autoritaires,aux ressources limitées et à l'absence d'expérience révolutionnairetrop approfondie, ne peuvent pas, eux, se permettre.

Pour résumer, la rente pétrolière n'est pas l'unique facteurexplicatif de la consolidation de ces régimes. Elle n'a pas non plusrenforcé leur pratique autoritaire, ni détruit les espaces politiquesde négociation avec la société. Par contre, la concentration desrichesses au profit d'une minorité a provoqué au sein des sociétésune fragmentation des espaces de dissidence géographique, eth-nique, politique et religieux. Le binôme régime révolutionnaire- rente pétrolière a sapé les projets originels des mouvementsnationalistes, littéralement noyés sous l'abondance financière.Dépourvues d'institutions politiques suffisamment consolidées,c'est-à-dire susceptibles de gérer cet afflux de revenus, les révolu-tions nationales socialistes ont été mises sous la tutelle d'officinesde sécurité, situation qui rend la question de la redistribution dela rente fondamentale pour la légitimité des régimes. La questionqui doit être posée n'est donc plus «pourquoi la rente pétrolièrea engendré la violence politique?» mais «par quels mécanismespolitiques les revenus de la rente pétrolière sont-ils devenus lapropriété exclusive des régimes révolutionnaires? ».

Le mirage de la richesse pétrolière aura duré pour les populationsune décennie seulement, celle des années 1970, car, au début desannées 1980, commence une douloureuse période. L'Irak de SaddamHussein se lance dans une guerre contre l'Iran (1980-1988)", laLibye de Kadhafi se transforme en État terroriste" et l'État-FLN enAlgérie commence à se fissurer face aux premières contestationssociales et politiques". Les espoirs d'un développement fondé surla rente pétrolière disparaissent, les dérives de ces régimes sautentaux yeux. Les victimes de la rente sont multiples: les institutionspolitiques embryonnaires érodées par la corruption et le népotisme,les opposants politiques meurtris par la répression etles violences

41. K. Mofid, The Economie Consequence of the Gulf war, Londres,Routledqe, J 990.

42. L. Martinrz, The Libyan Paradox, Londres, Hurst, 2007.

43. A. El Kenz, L'Algérie et la modernité, Dakar, Codesria, J 989.

INTRODUCTION 1 25

et la population confrontée à l'incompréhensible, une richessepétrolière qui l'appauvrit et aveugle ses dirigeants, sans compter lesdégâts écologiques dont l'analyse reste à faire. Pourtant, dans lesannées 1970, l'Algérie, la Libye et l'lrak étaient considérés commedes pays à fort potentiel économique. L'Algérie était présentéecomme un «dragon en Méditerranée », la Libye comme un émirat,et l'lrak comme la puissance militaire montante du monde arabe.Sur le plan politique, le socialisme progressiste laissait penser quedes transformations profondes s'opéraient: émancipation de lafemme, urbanisation, scolarisation, augmentation de l'espérancede vie. À la faveur de la rente pétrolière, ces pays apparaissaientcomme engagés dans un processus de modernisation accélérée.Le pétrole était bien perçu comme une bénédiction. Grâce à lui,ces États seraient aptes à rattraper leur «retard» économique.Quelques décennies plus tard, la désillusion est cruelle: la rentepétrolière a développé un sentiment de richesse auprès des diri-geants, sentiment qui les a entraînés dans des expérimentationspolitiques et militaires aux conséquences désastreuses et dont ilspeinent encore aujourd'hui à sortir.

Comment expliquer l'étonnante proximité entre ces troistrajectoires, mais aussi entre les choix des régimes et le déroule-ment des événements? Trois pays, colonisés par des puissanceseuropéennes -l'Algérie par la France (1830-1962)44, l'Irak par leRoyaume-Uni (I 914-1932)45 et la Libye par l'Italie (1911-1942)46 -,

ont capturé la rente pétrolière à la faveur des révolutions nationalespour mettre en œuvre des politiques fondées sur la recherchede la puissance économique ou militaire. Dans les trois cas, cespolitiques déboucheront sur des guerres (régionales et civiles) etdes embargos, détruisant les espoirs d'une vie meilleure promis

44. O. Le Cour Grandmaison, Coloniser - Exterminer. Sur la guerreet l'État colonial, Paris, Fayard, 2005.45. P. Sluqlett, Britain in Iraq. Contriving King and Country, Londres,

Taurus, 2007.46. A. A. Ahmida. The Making of Modem Libya: State Formation,Colonization and Resistance, 1830-1932, Albany (N.Y.), SONY, 1994;

D. vanâeumlle, A History of Modern Libya, Cambridge, Cambridge

University Press, 2006.

Page 16: Violence de La Rente Petroliere

28 1 VIOLENCE DE LA RENTE PËTROllÈRE

empêche ces régimes, au nationalisme farouche et à l'idéologiesocialiste panarabe, de tourner la page du passé colonial.

Imprégnés d'idéologie nationaliste arabe, ces régimes sont égale-ment convaincus que la voie socialiste est la seule alternative à «l'étatd'arriération. des sociétés et au sous-développement économique.Le «socialisme arabe» apparaît comme un instrument susceptibled'accélérer le développement. La révolution agraire et l'industriali-sation s'imposent comme des réponses à la misère des paysans et auchômage massif. Le caractère progressif des régimes en matière depolitique de santé, d'éducation et de genre illustre leur volonté de«faire sortir» la population de sa condition précaire. La révolution apour objectif de détruire le cadre socio-économique passé, considérécomme un obstacle à la modernité. Or, l'application de cette voiesocialiste de développement fait rapidement de la nationalisationdu secteur pétrolier un impératif. La prise de contrôle des richessesnationales témoigne à la fois d'une volonté de combattre ce qui étaitperçu comme un héritage colonial honni et du désir de doter lesappareils d'État des ressources nécessaires à leur domination. Celadit, les révolutionnaires libyens, «ne voulaient pas perfectionnerla machine d'État mais la détruire'»: vœu pieux car en réalité lamachine d'État s'est développée, quand bien même le souhait de ladétruire sera réitéré à chaque anniversaire de la révolution.

Dans les années 1970, l'Algérie, l'Irak et la Libye font donc figurede régimes progressistes, portés par la ferme conviction que ledéveloppement passe par l'industrialisation et la révolution agraire.Marquées par leur passé colonial, les élites nationalistes de ces paysveulent empêcher que les conditions historiques qui ont permisla colonisation puissent se reproduire. Les États postcoloniauxdoivent donc se fortifier pour pouvoir mieux se protéger, voirecombattre si nécessaire, les nouvelles formes d'impérialisme et decolonialisme. Mais où trouver les ressources à même de satisfaireune telle politique? Sans le contrôle de la rente pétrolière, l'Algérieressemblerait aujourd'hui au Maroc, l'lrak à la Syrie et la Libye à laMauritanie; c'est-à-dire à trois pays aux ressources économiqueset financières précaires, précisément parce qu'au lendemain des

4.John Davis, Le Système libyen, op. cit., p. 273.

1A CAPTURE DE LA RENTE 1 29

Indépendances, ils ont manqué de moyens. La prise du contrôledl'S ressources énergétiques, pétrolières et gazières, répond à undouble objectif: mettre un terme à la souverainet; limitée ~esnouveaux États, du fait du contrôle exercé par les compagnies(Itrangères sur l'exploitation pétrolière, et doter les dirigeants de1essources financières considérables. Suivant le modèle du natio-nalisme pétrolier mexicain (le gouvernement mexicain avait, dèsh's années 1930, nationalisé le secteur des hydrocarbures)5, cestrois pays s'engagent donc, au début de la décennie 1970, dansun processus de nationalisation du secteur des hydrocarbures.Saddam Hussein le justifie ainsi: «La nationalisation est pournous un moyen de réaliser une indépendance économique totale,!lOUS permettant d'être maîtres absolus de notre richesse et detraiter avec les pays du monde en toute liberté et sur la base de lar ciprocité et des intérêts mutuels. Enfin, la nationalisation nousp rmet d'assurer la prospérité à notre peuple et à tous les peuplesdu monde .• La Charte de l'action nationale irakienne reprendd'ailleurs cette pétition de principes mot pour mot". En 196B,lrois ans avant la nationalisation du secteur des hydrocarbures,1 président algérien, Houari Boumediene déclare déjà: «Notrepolitique, basée sur l'industrialisation du pays et sur l'édificationd'une économie nationale, signifie avant tout la récupération etl'exploitation des richesses au profit exclusif du peuple".»

5. Alain Rouquié souligne qu'entre 1962 et 1968, neuf coups d'Étatmilitaires sont réussis, ouvrant la voie à des «révolutions natio-nales. qui installellt des nouveaux régimes (Pérou, Bolivie) quisoit s'efforcellt de «contrôler la pénétration économique étrangère,de récupérer leurs richesses naturelles et entreprennent certainesréformes de structures de nature à accélérer l'évolution sociale», soit,comme au Brésil et en Argentine, installent des régimes autoritaires,anticommunistes, libéraux en matière économique et donc ouvertsaux intérêts étrangers, .Révolutions militaires et indépendance natio-nale etl Amérique latine (1968-1971)., RfSP, 21,1971, p. 1047.6. A.G. Samarbakhsh, Socialisme en Iraket en Syrie, Paris, Anthropos,

1978, p. 257 et p. 275.7. Discours Batna, 24 février 1968, cité par M. Elhocine Benissad.Économie du développement de l'Algérie (J 962-1978), Paris,

Ecollomica, 1979, p. 23.

Page 17: Violence de La Rente Petroliere

30 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

Une fois «récupéré », le pétrole est censé devenir l'arme dudéveloppement mais aussi de la confrontation avec • l'Occidentimpérialiste. au sein de l'OPEP. Après la guerre de 1973, l'Algérie,l'Irak et la Libye sont considérés comme de clan des durs. del'OPEP, toujours opposés à la politique de l'Arabie Saoudite". Ceclan des durs forme également le noyau dur du «front du refus.après les accords de Camp David (septembre 1978) et se présente,auprès des opinions publiques arabes, comme les bérauts de lacause palestinienne, «abandonnée. par l'Égypte de Sadate. Lepétrole sera cette arme puissante capable de faire plier les soutiensà • l'ennemi sioniste? », Plus que le boycottage ou l'augmentationdes prix, Saddam Hussein préconise que la «seule voie efficace pourl'utilisation du pétrole comme arme contre l'Amérique et l'ennemisioniste, c'est de nationaliser les intérêts pétroliers américains,ainsi que ceux de tout pays favorable à l'ennemi. Voilà l'armequi pourra contraindre effectivement les États-Unis à renoncer àaider l'ennemi '0 », Ce radicalisme politique est-il le produit de lacolonisation? La perception d'une histoire coloniale violente acertainement marqué les mémoires collectives: une terrible guerrede conquête en Algérie s'est terminée par une dramatique guerrede libération; le projet mussolinien de colonisation du « quatrièmerivage», en Libye, s'est réalisé grâce à des bombardements aériensde civils et par l'enfermement des populations dans des «campsde concentrationv s ; le corps expéditionnaire britannique qui

8. Michel Chatelus, «Iraq and its Oil: Sixty-five Years of Ambitionand Frustration >, dans D. Hopwood, H. Ishow, T.Koszinowski (eds},

Iraq: Power and Society, Oxford, St Anthony's Col/ege, 1993 p. 153.9. R. Mabro, «The Oil Weapon. Can it Be Used Today ?» HarvardInternational Review, 2007JO.AI Thawra, Bagdad, 2 décembre 1973, cité par A.G. Samarbakhsn,Socialisme en Irak et en Syrie, Paris, Anthropos, 1978, p. 255.11. J. C. Hureuntz, Middle East Politics: The MiJitary Dimension,New York, Octaqon Books, J 974, p. 233; E. Santarelü, G. Rachat,R. Raillera, L. Gaglia, Omar al-Mukhtar. The Italian Reconquest ofLibya, Londres, Darf Pubtishers, 1986.

1A CAPTURE DE LA RENTE 31

urrache l'Irak à l'Empire ottoman, en 1917, le place ensuite sousln tutelle britannique jusqu'au coup d'État de 1958'2.

Avant la nationalisation du secteur des hydrocarbures, lecontrôle du secteur par des compagnies étrangères réduitesclairement l'Algérie, la Libye et l'Irak au rang d'États pétrolierspauvres. Les régimes bénéficient certes des royalties versées surl' bénéfices, mais celles-ci demeurent relatives en raison du basprix du baril de pétrole!'. La nationalisation de ce secteur, suiviedu premier choc pétrolier (1973), provoque une augmentationsubstantielle des revenus. Une rente pétrolière se développe, pourfinalement représenter très rapidement l'essentiel des revenusIssus des exportations, et ce jusqu'à aujourd'hui": c'est dire son1 rnportance stratégique dans les équilibres politiques internes.Dans un premier temps, les régimes édifient une industrie pétro-himique nécessaire à une meilleure exploitation des ressources et

développent un .État redistributeur » de biens et de services, gagede paix sociale et de stabilité. La décennie 1970 est généralementprésentée comme un âge d'or perdu, celui de la croyance utopiquedans le pouvoir illimité de J'or noir.

Contrôle de la rente

Pour ces pays, l'existence de réserve pétrolière prouvée permetd'esquisser un avenir radieux à la condition d'un contrôle absolusur le secteur des hydrocarbures. La capture de la rente pétrolièreest indispensable à la consolidation des régimes, issus de coupd'État et portés par une idéologie révolutionnaire égalitariste. Eneffet, la politique de redistribution socialiste exige des moyensque seule la rente pétrolière peut fournir, et cela d'autant plus queces trois pays disposent alors d'un revenu par tête extrêmementfaible. Dans les années 1960, la situation en Libye est si désespérée

12. L'Irak est placé sous mandat britannique en 1920 par la Sociétédes Nations et devient indépendant en 1930, mais un Traité le liedans le cadre d'une alliance avec les Britanniques pour vingt-cinqans. P-J.Luizard, La Question irakienne, Fayard, Paris, 2004.J 3. Le prix du baril de pétrole en 1965 était de 2,35 dollars.14. En 2008, les recettes d'exportation provenant des hydrocarburesétaient de 99 Dib en Libye, 98 % en Algérie et 99 % en Irak.

Page 18: Violence de La Rente Petroliere

36 1

- Irak: rente pétrolière et parti Baath (1968-1980)

La ~évolution de juillet 1968 consacre la prise du pouvoir parle parti Baath. Un Conseil du commandement de la révolution(CCR)~e forme et celui-ci devient, le 9 novembre 1969, «Ia plushaute Instance politique du pays. Saddam Hussein, secrétairegéné~al adjoint du Baath, est élu vice-président du CCR, ce quien fait le second du nouveau régime» après le président AhmedHassan Bakr". Alors que, sur le plan politique s'ouvre un violentconflit avec le Parti démocratique du Kurdistan de Barzani, sur lepl.an économique, le parti Baath met en place un programme dedeveloppement qui va profondément transformer les structuressociales et économiques de l'Irak. De 1968 à la guerre contrel'Ir~n en 1980, l'action du parti Baath se fait en trois étapes: de«juillet 1968 jusqu'au début de 1970, les efforts visèrent surtoutà constituer un parti nombreux, solide et discipliné, à installerses membres dans tous les postes importants de l'appareil d'État[...] Dans un second temps, du début de 1970 à la fin de 1973, leBaath s'appliqua simultanément à résoudre la question du pétrolepar la nationalisation et à mener à bien une réforme agraire [...]Dans une troisième phase, de 1974 à 1977, on assista à la fois~ la.liquidation de l'aspect militaire du problème kurde, grâce à1alliance avec l'Iran, et à un démarrage économique" •.

La nationalisation du secteur pétrolier apporte au régimeles moyens financiers de ces politiques. Ainsi, les conditionsde vie se sont à ce point améliorées que: • À la fin de la décen-nie 1970, l'Irak est devenu le plus important marché de l'immo-bilier au Moyen-Orlent.i.-Les perspectives pour l'avenir semblentradieuses. Dans l'ensemble, la population irakienne est optimiste", Il

25. Philippe Rondot, L'Irak,Paris, PUF, Coll .• Que sais-je?», 1979,p.45.26. Alain Guerreau et Anita Guerreau-Jalobert, L'Irak: développe-ment et contradictions, Paris, Le Sycomore, 1978, p. 50.27. Aziz Alkazaz, • The Distribution of National Income in Iraq witl!Particular Reference to the Deuelopment of Policies Applied ~y tireState», dans D. Hopwood, H. Ishow et T. Koszintnuski [eâs}, Iraq:Power and Society, Oxford, St'Anthony's Colleqe, /993, p. 221.

1A CAPTURE DE LA RENTE 1 37

ln nationalisation du secteur pétrolier a aidé le régime irakien àMvelopper un vaste secteur industriel pétrochimique : la construc-tion de deux nouveaux pipelines, le port de Mina al-Bakr, ledéveloppement d'une flotte de dix-huit tankers, de nouvelles

rufllneries, etc.".De 1972, date à laquelle l'Irak prend le contrôle de Ses ressources

pétrolières, à 1980, les revenus passent de 575 millions de dollars1'1 ••• 26 milliards de dollars. À la veille de la guerre contre l'Iran,l ' régime irakien dispose de 30 milliards de doUars de réserves etd'une capacité de production de 3,4 millions de barils par jour".nccouvert très tôt, le pétrole irakien a longtemps été un enjeu dela rivalité entre les grandes puissances suite au démantèlementde l'Empire ottoman": Certes, la loi n" 80 du 11 oc:tobre 1961 etln création de l'INOC en 1964 illustrent déjà la volonté de l'Irakcie prendre possession de ses ressources. Mais ce n'est qu'aprèst972 que le régime irakien commence à véritablement tirer profitdu pétrole. Le parti Baath a fait un élément central de sa stratégie

omme le démontre son slogan: • Le pétrole arabe aux Arabes ».

Le parti déclare: Ci C'est le parti Baath qui a inventé le slogan: "lepétrole arabe aux Arabes", et la nationalisation du 1C< juin 1972 aété la première victoire contre l'impérialisme depuis la défaite dejuin 1967)1.• En janvier 1974, le président Bakr déc:lare, lors de lahuitième conférence régionale du parti Baath: «La libération totalede l'emprise étrangère sur l'économie et les resSOUrces de l'Iraka été et restera la base de notre stratégie de développementJ2

.•

28.Aziz Alkazaz, H The Disl.ributi.O/1 of National Incorne in Iraq, urithParticular Reference to the Development of poNcies Anplied by theState» art. cité, p. 2}2.29. Georges Mutin, «Les hydrocarbures dans le monde arabe», dansJ.-F. Troin [dir.], Maghreb Moyen-Orient. Mutations, Paris, Sedes,

1995.JO. Benjamin Shwadmn. The Middle East, Oil and the Great Power,Jérusalem, Israel University Press, }973.JI. Michel Chatelus, «Irae and its Oil: sixty-fiu: yea-rs of Ambitionand Frustration., dans D. Hopwood, H. tsuow et T. Koszinowski(eds), Iraq: Power and Society, op. cit., p. 15132. Paut Stevens, «Iraqi Oil Policy }961 -1 976', dans Tim Niblock(ed.}, Iraq: The Contemporary State, Londres, New York, Pa/grave

Page 19: Violence de La Rente Petroliere

32 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

qu'une mission des Nations unies classe ce pays comme sous-

développé. Dans son étude antérieure à 1958, Benjamin Higgins

décrit la Libye «comme un pays pauvre en matières premières,

en main-d'œuvre qualifiée, sans entrepreneurs autochtones, à

l'accumulation de capital quasi nulle ... En 1958 en effet, donc

juste avant la découverte du pétrole, la Libye recevait 214 0/0

de la valeur de toutes ses marchandises exportées sous forme

de donations officielles [...] Le revenu par tête était en Libye de

100 dollars par anis ••.En Irak, la situation n'était pas meilleure:

en 1969, malgré sa richesse pétrolière, le revenu par habitant

et par an était de 225 dollars américains, revenu bien faible encomparaison des pays pauvres en développement".

En Algérie, la découverte du pétrole en 1948 a eu pour effet

de renforcer les prétentions coloniales de la France inquiétant lesnationalistes indépendantistes. Aussi, durant la guerre d'Algérie,

les autorités françaises qui commencent à envisager l'indépen-

dance ne la conçoivent qu'à condition d'amputer les territoiresdu Sud. La promulgation, en 1958, du code pétrolier saharien

définit de façon éminemment favorable pour les compagnies

françaises les conditions d'exploitation du pétrole. Face au refus

inconditionnel d'une indépendance amputée des territoires du

Sud, le sort du pétrole a été, dans le cadre des accords d'Évian

de 1962, remis à un organisme paritaire franco-algérien. Une foissouveraine, l'Algérie du Front de libération nationale (FLN) prend

pleinement la mesure de la limite de sa maîtrise de l'exploitationdes ressources énergétiques. La création de la Sonatrach, en 1963,

a pour objectif de doter l'Algérie de la technologie pétrolière quilui fait défaut et qui reste concentrée entre les mains des compa-

gnies pétrolières françaises. À la suite de la demande du régime

algérien de modifier les accords d'Évian sur les hydrocarbures,

15. Cité dans A. Sid-Ahmed, L'Économie arabe à l'heure des surpluspétroliers, Paris, ISMEA p. 288.16.Aziz Alkazag, «The Distribution of National Income in Iraq, withParticular Reference to the Development of Policies Applied by theStates da liS Derek Hopwood, Habib Ishoiu et Thomas Koszinowski(eds}, Iraq: Power and Society, Oxford, St Alltlzony's College, 1993,p.202.

1 fi CAPTURE DE LA RENTE 1 33

l'nccord franco-algérien de juillet 1965 promet une coopération

duns ce secteur. Son application est cependant difficile en raisond'irréconciliables «divergences d'intérêt" •. Pour l'État-FLN, dirigé

pur H. Boumediene depuis le coup d'État de 1965, le contrôle des

rompagnies étrangères sur les hydrocarbures ne peut perdurer. Le11\:ime ne dispose d'aucune autre ressource. Les revendications

du Baath irakien et de la Libye révolutionnaire étant similaires,

Il'S ministres de l'Énergie des trois pays se rencontrent à Alger en

mai 1970 et déclarent que" l'exploitation directe et le contrôle totaldes richesses nationales [constituent] leur objectif essentiel 18 '. Le1.4 février 1971, l'Algérie nationalise le secteur des hydrocarbures.

En Libye, les premières découvertes de pétrole ont eu lieu en

1959, sous la règne du roi Idris. Depuis la loi pétrolière de 1955

Il' compagnies étrangères sont autorisées à explorer et exploiter

les ressources d'un sous-sol considéré comme riche en réserves.

Entre 1955 et 1965, la monarchie met en place un cadre légald'exploitation attractif en raison de la faiblesse des taxes: 137

concessions sont attribuées à 39 compagnies pétrolières", Les

r venus du gouvernement passent de 40 millions de dollars en

1961 à 625 millions en 1965. La Libye devient un acteur irnpor-

tant de l'OPEP - organisation à laquelle elle adhère en 1962 - et

occupe, cinq ans plus tard, le rang de quatrième exportateur

mondial de pétrole. La création, en 1968, de la Libyan General

Pctroleum Company (Lipetcol démontre la volonté du royaume

de prendre davantage en considération l'exploitation du pétrole.Pour autant, cette «richesse pétrolière» ne fait pas de la Libye

un pays prospère. Aussi, lorsqu'un coup d'État met fin à lamonarchie en 1969, le colonel Kadhafi le justifie, entre autres,

par la nécessité de mettre «l'économie au service des besoins

ci chacun ». La révolution socialiste est en marche, mais pour

la faire fructifier, encore faut-il capturer la rente pétrolière. Au

17. Nicole Grimaud, «Le confîit pétrolier francç-oiqérien», RFSP,22 (6), 1972, p. 1284.1 8. Jean-Marie Chevalier, Le Nouvel Enjeu pétrolier, Paris, CalmannLevy, 1973,!? 166.19. R.B. St Jailli, «Libya's Oil and Gas lndustry: Blendinq Old andNeui», The Journal Of North African Studies, 12 (2), juin 2007.

Page 20: Violence de La Rente Petroliere

34 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

lendemain du renversement du régime, la Libye se dote doncd'une nouvelle compagnie pétrolière, la National Oil Company

(NOC) et négocie (avec le soutien de l'OPEP) une augmentation

de 0,30 cents par baril de pétrole. En 1971, la Libye nationalise

BP, puis, en 1973, toutes les compagnies étrangères, complétant

ainsi son programme de nationalisation". La révolution dispose

désormais des moyens de sa politique, le régime peut financer

les instruments de sa consolidation.En Irak, la découverte du pétrole en 1927, dans la région

de Kirkuk, a favorisé la mainmise sur l'or noir, à travers l'lraki

Petroleum Company (IPC), des intérêts britanniques, américains,

français et allemands. Les concessions (1925, 1932, 1938) attri-

buées à l'IPC rendent le gouvernement irakien, alors dirigé par la

monarchie hachémite, fortement dépendant des dividendes versés

par l'Il'C. Avant même son indépendance, en 1930, l'Irak est lié à

un Traité (1925) qui permet la présence de troupes britanniques

pendant vingt-cinq ans" et qui offre des concessions extraterri-

toriales à des compagnies pétrolières qui finiront par représenter

un véritable État dans l'État. La population active irakienne estemployée dans l'agriculture, seule source de revenu extérieur

provenant alors de l'exportation de dattes. Or les importations de

produits alimentaires ne peuvent être financées que par les divi-

dendes versés par l'IPC au gouvernement. Pour les nationalistes, la

monarchie brade les intérêts de l'Irak au profit de J'impérialisme.

Le renversement de la monarchie en 1958 et l'instauration d'une

république nationaliste ouvrent une période de tension entre l'IPCet le nouveau pouvoir en Irak. La loi n° 80 de 1961 appelle à

un contrôle par expropriation de l'IPC. Mais le nouveau pouvoir

irakien n'a pas les moyens techniques et humains de nationaliser

cette compagnie; il craint en effet un boycott du pétrole irakienà l'instar de ce qui est arrivé au gouvernement de Mossadegh en

20. Stephen J. Kobrin, «Diffusion of 011 Explanation ofOii Nationali-zation: Or the Domino Effect Rides Aqain», The Journal of ConllietResolution, 29 (1), J 985.21. C. Tripp, A History of Iraq, Cambridge, Cambridge UniversityPress, 2007, p. 57.

LA CAPTURE DE LA RENTE 1 35

Iran". Le renversement de la monarchie ne se traduit donc pas

par la fin du règne de l'IPC en Irak. La république dépend trop desdividendes de la compagnie pour se maintenir en place, c'est-à-

dire pour payer l'armée qui la soutient". La création de l'Iraqi

National Oil Company (INOC), en 1964, va cependant donner au

parti Baath, nouveau détenteur du pouvoir en Irak, l'instrument

nécessaire à la capture de la rente pétrolière. Le gouvernement

irakien dispose à présent des moyens de se faire entendre dans ses

négociations et, comme la Libye, il exige une augmentation duprix du baril de pétrole (de 2,24 dollars à 3,21) en juin 1971. Un

an plus tard, le 1« juin 1972, il nationalise l'IPC. Le contrôle du

parti Baath sur les ressources naturelles est dorénavant exclusif.

Au cours de la décennie 1970, ces régimes mettent en œuvre

un autoritarisme performant sur le plan politique. Les structures

de coercition assurent une relative stabilité aux coalitions auto-

ritaires, sans pour autant les immuniser complètement contre

des tentatives de coup d'État. Des leaders charismatiques déve-

loppent alors un nationalisme pétrolier porteur de croyance en

un futur meilleur. La nationalisation des hydrocarbures a sécuriséet conforté les dirigeants quant à leurs capacités à satisfaire les

besoins du peuple. Un «développement sans croissance -, selon laformule de A. Sid Ahmed", prend son essor à la faveur des surplus

accumulés grâce au premier choc pétrolier. Les investissements

publics assurent un taux de croissance flatteur qui laisse penser

que ces pays deviendront de véritables puissances économiques

régionales. De plus, les investissements dans les infrastructures

civiles ont amélioré de façon drastique les conditions de vie,

au point de transformer la Libye et l'Irak, par exemple, en pays

d'immigration.

22. Le 19 août 1953, le Premier ministre Mossadegh était renversé,par la CIA et les services britanniques, a la suite de la nationalisa-tion du secteur des hydrocarbures.23. Michael E. Brown, «The Nationatization of The lruqi PetroleumCompally" International Journal of Middle East Studies, JO (J),

1979, p. 109.24. A. Sid-Ahmed, Développement sans croissance, Paris, Publisuâ,

1983.

Page 21: Violence de La Rente Petroliere

38 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

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1 A CAPTURE DE LA RENTE 1 39

ctte richesse financière va dorénavant servir au parti Baath

Il"IIT financer son programme «socialiste », Animé par une idéologie11111 ionaliste et un sentiment anti-impérialiste, il utilise la manne

IIrlrolière pour soutenir sa politique de redistribution sociale .

1'.1,de fait, au cours de la décennie 1970, le socialisme du Baathpvrmet une réelle amélioration des conditions de vie. Le nombre

Ii ' médecins passe de 1 pour 3 320 habitants au début des années

1<)70 à 1 pour 1837 habitants au début de la décennie 1980. De

m me, le nombre d'hôpitaux double au cours de cette même

p Iriode33• Du coup, l'espérance de vie croît de 49 à 67 ans. Dans

Il' domaine de l'éducation, la politique du Baath connaît un succès

llquivalent à celui de la santé: le nombre d'écoles élémentaires

double en dix ans, passant de 5617 à 11280, tandis qu'au niveau

secondaire, le nombre des collèges et lycées passe de 921 à 1891.1. taux de scolarisation des filles passe de 34 Ofo en 1970 à 95 Ofo

en 1980". La prise du pouvoir par le Baath en 1968 permet desortir l'Irak de la pauvreté: c'est l'âge d'or du parti Baath. À son

apogée, il semble être un parti intègre et performant; en réalité,

1\ est parvenu à rendre efficace son autoritarisme par la seuleamélioration des conditions de vie de la population. Son contrôle

exclusif de l'État lui permet de limiter le • gaspillage » de la rente

pétrolière, mais celle-ci devient de facto « la province exclusive

des membres du parti Baath" »,

Macmillan, 1982, p. 170.33.Aziz Alkazaz, «Tlu: Distribution of National Incarne in Iraq, tuith.Particular Reference to the Deuelopment of Poiicies Applied by tireState», art. cité, p. 219.34.Aziz Alkazaz, <TheDistribution of National Incame in Iraq, iuith.Particuiar Reference ta tire Deuelopment of Policies Applieil by areState», art.cité, p. 220.35. Joe Stark, •State Power and Economie Structure _, dans D. Hopioooâ,H. lshoui et T. Koszinoioski (eâs}, Iraq: Power and Society, op. cit.,p.181.

Page 22: Violence de La Rente Petroliere

40 1 VIOLENCE DE LA RENTE PËTROLItR

- Libye: coup d'État et révolution (1969)

Le coup d'État de 1969 se traduit par des changements importantsdans le secteur des hydrocarbures. À la veille de la prise du pouvoirpar le colonel Kadhafi, la Libye est le quatrième exportateur mon-dial de pétrole et sa production avoisine celle de l'Arabie Saouditeavec 3,5 millions de barils par jour. Avec un coût d'extractionfaible (0,30 cents par baril), la Libye est un pays extrêmementattractif. La loi n° 24 du 5 mars J970 remplace la Lipetco par laNOe, un «organe indépendant opérant sous la surveillance et lecontrôle du ministre du Pétrole afin d'atteindre les objectifs duplan de développement dans le secteur du pétrole" •. La loi n° 69

du 4 juillet 1970 octroie à la NOe le monopole des importations etdes exportations. Durant les années 1972-1973, le gouvernementlibyen nationalise le secteur des hydrocarbures et met un termeà l'hégémonie de plus de quarante-deux compagnies étrangèresdans l'exploitation du pétrole depuis sa découverte en 195937•

Les revenus passent de 663 millions de dinars libyens en J973 à3,8 milliards en 1979, soit six fois plus en à peine six ans. Mais,si au milieu des années 1970 la Libye était 'sur le point d'occuperla quatrième place dans la production pétrolière mondiale », elleétait «dépourvue de toute base industrielle; telle est la situationcontradictoire dans laquelle se débat aujourd'hui la Libye" ». C'estentre 1957 et 1967, sous la monarchie d'Idris (1951-1969), quel'essentiel des réserves connues en Libye a été découvert (79 mil-liards de barils sur 113 milliards de réserves connues). Cinq secteursfurent considérés comme stratégiques: l'industrie du pétrole et lapétrochimie, l'agriculture et l'eau, l'industrie du fer et de l'acier,les infrastructures, l'éducation et la santé". Au lendemain de la

36. La NOC, http://wlVlV.nodibya.com37. S. Ghanem, The Pricing of Libyan Crude Oil, La Vallette, AdamsPuolishinq, 1975.38. Jean-Jacques Regnier et Larbi Talha, «Les problèmes de déve-loppement écollom.ique », dans ouvrage collectif, La Libye nouvelle,Paris CNRS, p. 225.39.Judith Gumey, Libya: The Political Economy of Energy, Oxford,Oxford University Press, 1996; John AnthollY Allan, (ed.), Libya

41

1 volution de 1969, la Libye n'a pas d'industries, elle ne possède11\I'lIlleseule raffinerie, et son secteur agroalirnentaire est trèsIl,,dlé. Le plan de 1973-1975 est le premier plan triennal qui sou-1If{1I1'l'importance à accorder à l'industrie. Les autorités libyennesl'IIvlsagent le développement d'une industrie lourde, autour desd,llIvés du pétrole. Deux réalisations majeures le démontrent: le1IIIIIplexepétrochimique de Ras Lanuf (qui raffine II des 18 mil-IIIIIISde tonnes de pétrole brut traités par la Libye) et l'aciérie deM Isourata. Le secteur industriel ne représente cependant toujoursque 10 0J0 de la richesse du PIB.

La légitimité du nouveau régime va reposer, fondamentale-ruent, sur la redistribution des richesses et donc l'améliorationIks conditions de vie. L'égalitarisme n'est compréhensible que sil'on rappelle la situation de la Libye sous la monarchie d'Idris(1951-1969). Durant cette période, le pays était parmi les plusdéfavorisés: 94 0J0 de sa population était analphabète, il ne comptaitnucun docteur en médecine et la mortalité infantile y atteignaitles 40 0J0. Avec 35 dollars par an et par habitant entre 1951-1959,

1;1Libye était considérée comme l'un des pays les plus ~auvres40.En mettant un terme à la monarchie par un coup d'Etat et enInstaurant un État dlstrlbuteur", Kadhafi s'érige en bienfaiteurdu peuple. La nationalisation des hydrocarbures va permettre uneaugmentation croissante des revenus et assurer à l.a populationlibyenne une amélioration des conditions de vie. Le plan de déve-loppement de 1973-1975, par exemple, entraîne la construction de115552 unités de logement, 21 hôpitaux, 39 cliniques dentaires,61 maternités, 102 centres de santé". En 1973 la population dela Libye est estimée à 2052372 habitants, elle atteint en 1995,

5,6 millions, dont presque un tiers (1719692) âgés de moins de

since Independenee: Economie and Pol itical Development, Londres,

Croom Helm, 1982.40. Fra.nçois Burqat et A /ldré Larollde, La Libye, Paris, PUF, Coll.«Que sais-je? M, 1996.41. Dirk Valldewalle, Libya Since Independence. Oil and State-Building, LO/ldres, Comeli U/liversi.tyPress, 1998.42. Omar 1. El FatiiGly et Monte Palmer, Political Deve10pment andSocial Change in Libya, Toron.to, Lexingto/l Books, 1980, p. 129.

Page 23: Violence de La Rente Petroliere

42 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROUËRE

15 ans. le rajeunissement de la population est inhérent à un tauxd'accroisseme~t annuel de 4,21 Ofo, J'un des plus élevés dans lemonde arabe. A cette augmentation démographique s'ajoute uneurbanisation accélérée" : la population urbaine représentait 20 %de la population totale en 1950, 26 Ofo en 1960, 45 Ofo en 1970,62 Ofo en 19800/0, 79 % en 1990 et 80 % en 199544 L . 1. . a revo u-tion a sédentarisé les Bédouins et le socialisme révolutionnaireleur a offert des emplois dans les services publics: 75 Ofo de lapopulation active est en effet employée par J'État. Celui-ci estdevenu J'unique débouché pour des milliers d'étudiant(e)s: en1951, la Libye ne possédait qu'une seule université (dans la villede Benghazi), elle en compte treize en 1995. les effectifs n'ontcessé de croître pour atteindre 269302 étudiants en 1999, contres~ulement 13418 en 197545

• la rente pétrolière a aussi favorisé led:veloppeme~t du clientélisme en contraignant la population àn~goCier aupres des organisations révolutionnaires son accès à desbiens et des services, sans pour autant rassurer le régime sur sona~légea~ce. Dès 1975, des membres du CCRdénoncent J'illusionrévolutionnaire du régime. Hervé Bleuchot rappelle qu'un membredu CCR, Omar El Mehichi, considère déjà que la «contestationest devenue générale. et, de fait, le «chef de J'État ne peut plusp.lacer sa confiance qu'en des personnes de sa tribu et les offi-cI~rs.de,l'armée.aur~ient été remplacés par les gens de Syrte46».Ainsi .1 anomalIe. libyenne qu'avait observée John Davis _ «LeCo~seil du commandement de la révolution n'est pas une familleet II ne revendique pas la propriété de l'État'7>>- a disparu avecle contrôle exclusif du clan Kadhafi sur les propriétés de l'État'B.

43 . Omar 1. El Fathaly et Monte Palmer, Political Developmenr andSOCialChangein Libya, op. cit., p. 28

44 .• L'urbanisation en Méditerranée de J 950 à 1995., LesCahiersdu plan bleu, i, 2001, p. 3.

45. Libya. Hiqher Education Profile, http://wlIJlIJ.bc.edu

46. Hervé Bleuchot, Chroniqueset documents libyens, 1969-1980Pans, CNRS, 1983, p. 90. '

47.Johll Davis, Le Système libyen, op. cit., p. 275.

48. M. O. el-Kikhia, Libya'5 Qadhafi.The politics of ContradictionGainsuille (Fia.), University Press of Florida 1997 91 ', ,p..

1A CAPTURE DE LA RENTE 1 43

Algérie: socialisme et industrialisation

En juin 1965, le coup d'État met un terme à la présidence deHcn Bella et place au pouvoir le colonel Houari Boumediene,véritable chef de l'armée. À l'exemple de la Libye et de l'Irak,l'Algérie met tout de suite en place une politique de développe-III 'nt ambitieuse qui aspire à améliorer les conditions de vie des11820125 habitants recensés en 1966. Pour le nouveau régime,l'héritage colonial pèse encore trop lourdement sur la sociéténlgèrienne. Aussi la politique de développement apparaît commeune réaction salutaire dont l'objectif est de favoriser «le passaged'un type de société d'exploitation capitaliste fondée sur le profitégoïste, la domination des possédants et la lutte des classes, à unIype de société socialiste fondée sur la justice sociale, l'égalitédes chances et le respect de l'intérêt général [...] et exige que la1 ransforrnation des structures s'accompagne nécessairement dela transformation des comportements' et des mentalités. Cetterévolution culturelle est une bataille de longue haleine" », lesocialisme algérien prend soin de se distinguer de celui de l'Unionsoviétique et surtout de rappeler qu'il partage avec l'islam desvaleurs communes. Pour Houari Boumediene: «Le socialisme neprocède d'aucune métaphysique matérialiste et ne se rattache àaucune conception dogmatique étrangère à notre génie national.Son identification s'identifie avec l'épanouissement des valeursislamiques'".» Ce rappel n'empêche pas les fondamentalistes d'alorsde stigmatiser la tournure athée du régime et de dénoncer sonéloignement par rapport aux authentiques valeurs islamiques".Mais pour-le régime, le socialisme est <l'unique moyen de liqui-der le chômage, l'ignorance et les tares sociales. TI est synonymede justice, d'équité et c'est ce message que nous a apporté leProphète; de surcroît, notre lutte de libération, qui est une

49. Houari Boumediene, discours APN, 23 avril 1978, cité pœr

M. El. Benissaâ, Économie du développement de l'Algérie, Paris,Economica, 1979, p. 23.

50. Le Soir (Bruxelles), 27 février 1973.

51. lean-Luc Deheuuets, Islam et pensée contemporaine en Algérie,Paris, CNRS, 1991, p. 228.

Page 24: Violence de La Rente Petroliere

46 1 VIOLENCE DE LA RENTE PtTROLlÈRE

la perception d'un État autoritaire mais intègre. La rente pétrolièreest présentée comme unejuste récompense au regard des sacrificesque le peuple a fournis pour la naissance de la nation algérienne.Dès lors, son usage ne peut se faire que dans l'intérêt général,et Boumediene de mettre en garde ceux qui ne l'entendent decette façon: «Quant à ceux dont le seul souci est de gagner del'argent, il faudrait qu'ils sachent une fois pour toutes qu'ils n'ontpas de place dans J'État, au parti et dans l'armée".» Il réitérerace message à plusieurs reprises, comme en 1976: «Que ceuxqui ont opté pour la richesse s'éloignent et se tiennent à l'écartde la révolution». Mais est-ce politiquement habile de mettre àl'écart ceux qui s'intéressent à la richesse? N'est-ce pas là, aucontraire, la meilleure façon de favoriser le vol?

La mort de Boumediene annonce « la fin d'un rêve». Derrièrel'État fort et les résultats économiques prometteurs de la décennieexceptionnelle, se cachent en réalité les failles d'une jeune nationemportée par son élan. Boumediene a réussi à insuffler une visionde l'avenir, à imposer une obligation de réussite afin d'éloignerl'Algérie de son passé colonial. Le discours anticolonial du FLN estdemeuré crédible tant qu'il pouvait mettre en pratique sa légitimitérévolutionnaire: la saisie des «biens vacants », la nationalisationdu secteur pétrolier, la révolution agraire, la transition vers lesocialisme constituaient autant d'événements qui nourrissaientle rêve révolutionnaire. Mais, à la fin décennie 1970, la vacuitédu discours du FLN s'impose bien au-delà des cercles critiques del'expérience révolutionnaire. La disparition de Boumediene laisseapparaître les échecs, les manques et les faillites d'une politiqueje développement dont le financement était bien au-dessus desDoyens de l'Algérie' •. L'illusion d'une Algérie laborieuse prendIn. Le chômage massif se maintient en raison de l'arrivée sur lenarché du travail d'une population chaque année plus nombreuse..échec de la révolution agraire trouve une échappatoire dans l'émi-:ration massive de paysans vers l'ancienne puissance coloniale.

57. H. Boumediene, discours de Constantine, 1974.58. Tahar Benhouria, L'Économie de l'Algérie, Paris, Maspero, 1980,p.300.

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Page 25: Violence de La Rente Petroliere

44 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

révolution populaire, exige l'application du socialisme comme

élimination de la misère et des disparités sociales" ». En fait, les

critiques des fondamentalistes avaient peu de poids au regard des

succès remportés par le régime de H. Boumediene. La réussite liée

à la nationalisation du secteur des hydrocarbures en 1970-1971octroie au régime les moyens financiers d'asseoir sa politique de

développement. Tout au long de la décennie qui suit, le taux de

croissance avoisine 7 0/0 et le taux d'investissement brut dépasse

35 Oio, Le PIE (en millions de dinars courants) atteint 80573 dinars

algériens en 1977 alors qu'il n'était que de 13130 dinars algé-

riens en 196353, Cette croissance exceptionnelle fait apparaître

l'Algérie comme un dragon en Méditerranée, L'industrialisation

el' la révolution agraire constituent alors les deux piliers de la

stratégie de développement algérien,

Dans la mémoire collective, cette décennie fait figure d'âge

d'or, d'une période où l'Algérie promet de devenir une puis-

sance régionale, guidée par un État fort et respecté, et soutenue

par une économie prospère, elle-même tirée par le succès des

«industries industrialisantes ». Sous l'influence de G, Destanne

de Bernis, l'Algérie fait sienne ces propos: «Les pays en voie dedéveloppement ne peuvent envisager de rattraper les pays qui ont

commencé leur industrialisation depuis plus d'un siècle que s'ils

décident de brûler un certain nombre d'étapes et de se porter dès

maintenant sur les processus de production les plus modernes".»

La stratégie complexe et sophistiquée des industries industriali-

santes a pour objectif de créer une dynamique d'intégration de

J'ensemble de J'économie (industries métalliques, mécaniques etélectriques) afin d'établir des échanges interindustriels. Il s'agit

de parvenir à faire produire par • l'économie algérienne, la plus

grande partie possible des équipements •. Cette stratégie repose

~galement sur le principe que: « L'industrie ne doit pas compter

52. M. Bcnissad, Économie du développement de l'Algérie, op. cit.,p.22.53. M. Benissad, Économie du développement de l'Algérie, op. cit.,p.49.54. G. Destanne de Bernis «Industries inâustrialisantes», Économieappliquée, 3-4, 1966, p. 415-473.

1 A CAPTURE DE LA RENTE 1 45

IIllncipalement sur l'exportation, mais doit contribuer à intravertir

I'économie algérienne ». L'ambition algérienne est de parvenir

'1 la construction d'un secteur industriel afin de produire des

blens de production plus que des biens de consommation". Laréussite de ce modèle dépend de la capacité d'entraînement de

l'Industrie sur l'agriculture, d'une coordination durable entre les

ulministrations engagées dans sa mise en œuvre et surtout d'un

Investissement financier soutenu. La construction de complexesd~' liquéfaction du gaz naturel (Arzew, Skikda], de raffineries

de pétrole (Alger, Arzew, Hassi Messaoudl, d'une usine de mer-cure (Bou Ismail], d'un laminoir à chaux (Annaba) et d'unités

de fabrication d'engrais et de plastiques répondait à l'objectif

de doter l'industrie pétrochimique des moyens de productionles plus modernes, En somme, il fallait effectivement" brûlertes étapes •. Plus que la Libye de Kadhafi ou l'Irak de Saddam

llussein, l'Algérie de Boumediene est une parfaite illustration du

nationalisme pétrolier et de sa croyance en un développementIndustriel. Dans les années 1960, la Corée du Sud a privilégié

dans sa stratégie d'industrialisation les industries de substitution~ l'importation et a compté sur les exportations, les industries

lourdes ont été développées par la suite": L'Algérie a choisi à

l'inverse les industries lourdes sans avoir le temps, en raison de

l'arrêt des investissements après 1986, à la suite de l'effondrementdu prix du baril, de développer des industries de substitution.

Mais avant de prendre la mesure de la vulnérabilité de son projet

Industriel, le régime de Boumediene inspire déjà des sentimentsambivalents, mélange de crainte et d'espoir, L'autoritarisme du

régime est légitime pour le plus grand nombre car performant.

Son usage de la rente pétrolière semble juste puisqu'il sert à une

redistribution sociale et économique conséquente. De plus, à

l'aura du chef charismatique, Boumediene ajoute une éthique dela justice et une condamnation de la corruption qui entretiennent

55. G. Destanne de Bernis, «Les industries itldustrialisalltes et lesoptions algériennes., Tiers-Monde, 12 (47), 1971, p. 55056.1ck-JiII Seo, La Corée du Sud. Une analyse historique du proces-sus de développement, Paris, L'Harmattan, 2000, p. 165.

Page 26: Violence de La Rente Petroliere

48 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

La société algérienne s'enfonce, non pas dans la quiétude d'une

société juste, mais dans les affres de la rancœur et du sentiment

de jalousie. Cet État, qui a vu le jour, selon la rhétorique officielle

grâ:e au million et demi de martyrs de la révolution, est deven~un l~strument de richesse pour une minorité qui s'est approprié le

patrimoine de la guerre d'indépendance et l'a placé dans les mains

de «~a famiye révolutionnaire" ». La barrière factice érigée pour

proteger l'Etat de ceux qui étaient préoccupés par le «souci de

l'a:gent> va se rompre face au développement d'une bureaucratie

d'Etat qui met en place un système où la corruption se diffuse àtous les échelons administratifs. Le rêve de Boumediene tourne

donc au cauchemar au cours de la • décennie noire >, celle de

Chadli Bendjedid pour ses opposants, puis en décennie sanglantedurant la guerre civile (1991-1998). La rente pétrolière a créé une

dynamique de développement qui s'arrête brutalement. Ne restent

~lus que biens vacants usurpés, terres agricoles détournées (à la

faveur de la révolution agrairel et investissements publics pillés(dans le cadre de l'industrialisation). Même la rente pétrolière,

seule source de revenus disponible, va rapidement devenir l'objet

~'un pi~l.age organisé et structuré, dans le cadre d'un «capita-lisme d Etat. et au profit d'une «bourgeoisie qui a investi toutl'appareil d'État'?».

59. ~.t'Pressioll utilisée par le Parti révolutionllaire institutionnel a.u.Mexiqu« e~ qui, en Algérie, qualifie les représentants du pouvoir:«Cette famille n'est pas que métaphorique, elle est bel et bien fondéesur la parenté. Constituée par les anciens moudjahidin ou préten-dus tels, elle comprend éqalement "les enfants de shuhadâ" et 1" ,r. ' esenfants des moudjahidin", appelés "ayants droit': La progéniture

de ~e: derniers ~ommellce déjà Ii s'organiser ell "enfants des ayantsdroit": Les representants du pouvoir pensent que ces descendantss~nt le pro!ollgeme/lt de leurs parents et doiuent être appréciés etre~o,,~pellses sur cette base», dans A. Moussaoui, .Algérie, la guerrerejouee», La Pensée de midi, 3,2000.60. Marc Raffinot et Pierre Jacquemot, Le Capitalisme d'État algé-nen, Pans, Maspéro, 1977, p. 1977.

1A CAPTURE DE LA RENTE 1 49

Abondance financière et «potentiel despotique»La capture de la rente par les organisations révolutionnaires

unüonalistes met un terme à la course entre les grandes puissances

pour accéder aux réserves pétrolières. Jusque-là, deux modèles se

sont superposés: le «modèle impérial» qui a entraîné les grandes

puissances dans une rivalité sans fin pour le contrôle des territoires

où les réserves sont abondantes et le • modèle semt-cotonial» au

lcndematn de la seconde guerre mondiale, dans lequel les com-

pagnies pétrolières exploitent les réserves d'États indépendantsmais à la souveraineté limitée". Ainsi, les monarchies irakiennes

(1930-1958) et libyennes (1951-1969) bénéficiaient de royaltiesen contrepartie d'un contrôle par les compagnies sur l'exploi-

tatien des réserves. Dans ce contexte, les États consommateurs,

le grandes puissances, ne prenaient plus directement le contrôle

des réserves, mais agissaient par le biais de leurs compagnies

pétrolières qui avaient la mainmise sur des zones géographiques

11 l'intérieur des pays, comme l'Anglo-Tranian Oil Company auMoyen-Orien!", Ce régime semi-colonial limitait considérablement

l' développement d'une rente susceptible de rendre autonomele pouvoir des gouvernants des États indépendants. Durant les

années 1950 et1960, leur dépendance à l'égard des compagnies

pétrolières étrangères les obligeait à d'incessantes négociations

pour l'obtention d'une meilleure redistribution des gains. Mais

une fois nationalisé, le secteur des hydrocarbures commence à

procurer des ressources financières abondantes. La guerre pour

l'accès aux réserves entre grandes puissances se transforme alors

en lutte entre acteurs nationaux pour la capture de la rente, sonusage et sa redistribution, et son contrôle exclusif devient la

garantie de la pérennité des coalitions qui dirigent ces régimes.

À partir de 1970, la rente pétrolière sert à satisfaire les utopies

des régimes socialiste en Algérie, baathiste en Irak et révolu-

lionnaire en Libye. Mais les coalitions d'alliances (. cadres de la

61. P. Ze/el/ko, C-A.Pailliml et C. de Les/range, Géopolitique du

pétrole, Paris, Teclmip, 2005.62.B. Shwadran, The Middle East, Oil and The Great Powers, Jérusalem,Israel Ulliversity Press, 1973.

Page 27: Violence de La Rente Petroliere

50 1 VIOLENCE DE LA RENTE P~TROLlÈRE

fonction publique, dirigeants de l'armée, des services de sécuritéet leurs partenaires du secteur privé63.) qui les dirigent vontprogressivement entraîner ces régimes à la faillite et à la ruineéconomique. Pour les populations, confrontées à la • dévastation",la rente pétrolière est devenue synonyme de malédiction, tantelle déshumanise ceux qui y ont un accès privilégié. En Algérie,il existe un terme, hogra pour qualifier ce sentiment de méprisque les élites portent au peuple. En Irak, les Kurdes du Nord etles Chiites du Sud expérimentent dans la violence les limites dela redistribution du régime baathiste, qui fait de la • déportationson arme suprême= •. Dans la Libye d'après le coup d'État, larégion de la Cyrénaïque, berceau de la monarchie, se retrouveprivée de tout investissement public et sa population, de toutechance d'améliorer ses conditions de vie. En fait, la prospéritéfinancière permet surtout à ces régimes de développer le «potentieldespotique» déjà en germe dans leurs organisations politiquesrévolutionnaires. Comme le souligne E. Kienle: •L'accroissementdes ressources extérieures, et donc de la dépendance de ces États,les a autonomisés vis-à-vis de leur propre société, favorisantainsi le développement d'une forme de despotisme'" .» Doit-ondès lors en conclure que l'abondance de revenus à la suite dela nationalisation du secteur des hydrocarbures a favorisé laradicalisation de ces régimes?

La réponse est oui. Considérons le potentiel despotique duparti Baath: il ne s'épanouit pleinement qu'après 1973, et ce sontles revenus issus de la vente des hydrocarbures qui ont doté leparti d'une domination sans partage des ressources. «Tant queles revenus pétroliers restaient relativement modestes, souligneMarion-Farouk Sluglett, le potentiel de despotisme inhérent à unÉtat de ce type n'était pas encore très marqué; mais il est devenutout à fait évident, notamment après l'explosion des prix en 1973,

63. B. Dillman, «Illicit Economies and Reconstruction», dans L.Binder (eâ.), Rebuilding Devastated Economies in the Middle East,New York (N.Y.J, Pa/grave Macmillan, 2007, p. 60.64. F. Brié, <Irak: au pays des déportés», Outre Terre, /4, 2006,p. /93.65. E. Kienle, Ba'th vs Ba'th, Londres, Taurus, 1990, p. 22.

1A CAPTURE DE LA RENTE r 51

1I11\'larente pétrolière ajoué un rôle décisif dans l'ac,croissement.lu pouvoir à la fois économique et répressif de l'Etat irakien,1'1plus particulièrement du pouvoir de ceux qui contrôlent cet1111166.»L'essentiel des ressources étant entre ses mains, le parti]lI'ut détruire ceux qui le menacent ou le contestent et justifierl'('lle violence comme résultant d'une purification idéologique.t.nbondance financière, née du premier choc pétrolier, réduit àIl ant les possibilités de voir la République irakienne évoluervers un régime pluraliste; le parti dispose de tous les moyens et(\ , toutes les ressources nécessaires à l'éradication de ces rivaux,ennemis ou concurrents". En somme, la rente pétrolière serait lacause directe du basculement dans la violence de l'État irakien:«Dans les années 1940 et 1950, les ressources pétrolières del'Irak étaient suffisantes pour permettre l'expansion des rouagescie l'État, la modernisation de l'éducation et des autres services,,t le développement progressif de l'infrastructure du pays'".»Après 1973, le Baath dispose de revenus 20 fois plus importants(passant de 500 millions de dollars en 1972 à 10 milliards dedollars 1977): cet énorme accroissement du pouvoir des hommesaux commandes de l'État réduit à néant la menace posée par lesmouvements et organisations contestataires,

En Libye, la violence du pouvoir révolutionnaire se mani-feste très clairement après 1973. De façon schématique, on peutdistinguer trois périodes dans la construction des instrumentsdu pouvoir. La première va de la prise du pouvoir par un coupd'État en 1969 au discours de Zouara en 1973. Durant ces quatreannées, les instruments du pouvoir reposent sur quatre structurespolitiques principales: le Conseil du commandement de la révo-lution, le gouvernement, l'armée et l'Union socialiste arabe. Lesdécisions sont prises de façon collégiale par le CCR que présideKadhafi. La proclamation constitutionnelle de la République

66. MariOl! Fa.rouk-Sluglett, .Rente pétrolière et concentration dupOU/lOir»,Maghreb-Machrek, 13/, janvier-mars 199/, p. 5. ,67. P-J. Luizarâ, .L'impossible démocratie en Irak: le piège de l'Etatnation», Égypte-Monde arabe, Le Ca.ire, Cedej, 4, /990, p. 87.68. Marion-Farouk Sluglett, •Rente pétro/i.ère et concentration du

pouvoiTf, art. cité, p. 5.

Page 28: Violence de La Rente Petroliere

54 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROUËRE

des organisations de masse" », L'abondance financière permet enfait de maintenir un équilibre entre «deux bureaucraties (civileet militaire) dont les intérêts étaient comp lémentaires'" », Cefonctionnement politique aide l'Algérie à faire l'économie d'unbasculement de la révolution vers une dictature sur le modèleirakien. L'équilibre précaire entre bureaucratie civile et militairedonne en vérité naissance à un "phénomène d'enkystement detype mafia" », c'est-à-dire à une organisation susceptible desécuriser les transactions dans un contexte marqué par l'absencede protection juridique et par l'arbitraire d'un pouvoir étatique":

- Qui contrôle la rente?

Comment gérer tout ensemble la révolution, la redistributiondes richesses, la stabilité politique, le désir d'enrichissement, lesconflits et rivalités, les luttes de clan? Les révolutions socialisteet baathiste ont été rapidement confrontées à la régulationdes conflits alimentés par les retombées de la rente pétrolière.Dépourvues d'institutions politiques susceptibles de sécuriser lesnégociations au sein des différents groupes, elles ont été très viteencadrées par des organisations paramilitaires qui font office derégulateur. À l'intérieur des Républiques, des organes établissentles règles dujeu par la violence, définissent les acteurs légitimeset œuvrent à la stabilité politique par l'intimidation et l'élimi-nation des insoumis. En somme, ces organes mettent de l'ordredans la révolution, afin de pouvoir redistribuer les revenus issusde la rente pétrolière.

L'abondance financière inhérente à la capture de la rente atransformé le paysage de ces pays. Géographes et' urbanistessoulignent les profondes mutations à J'œuvre: villes nouvellesinfrastructures modernes, complexes pétrochimiques. Démographe~

75. B. Etienne, L'Algérie cultures et révolution, op. cit., p. 304.76. Aodelkader Yefsah, «L'armée et le pouvoir en Algérie de 1962 à1992 >, dans ~ierre-Robert Baduel [dir.], L'Algérie incertaine, Aix-en-Provence, Edisud, J994, p. 84.

77. M. Bennoune A. el-Kenz, Le Hasard et l'histoire, op. cit., J 990,p.200. .

78. Voir le chapitre Ill: rente pétrolière et régimes mafieux.

LA CAPTURE DE LA RENTE 1 55

et économistes pointent les" révolutions sociales. qui se sontdessinées: urbanisation, migration interne accrue, éducation enhausse, émergence d'une classe moyenne. La rente pétrolière aréussi à faire vivre ces révolutions en finançant les multiplesprojets qui doivent détruire les" résidus des sociétés archaïques ».

La redéfinition du paysage géographique et économique doit êtrecomplétée par la reconfiguration des comportements, des mœurset des mentalités. Il ne s'agit ni de créer un "homme nouveau»,ni de faire un « grand bon an avant», mais de moderniser la tra-dition, de rendre compatible islam et socialisme, nationalisme etdéveloppement. Mais quels cadres politiques utiliser pour mettreen œuvre ce programme? La « démocratie à l'Occidentale» est,pour les trois pays, inacceptable. Les arguments utilisés pourson rejet varient, mais reposent tous sur J'idée qu'elle n'est pascompatible avec la révolution. En Libye, les partis sont interditsau nom de la souveraineté individuelle: "La représentation estune fraude», stipule le Livre vert. En Algérie, Houari Boumedienecompare le pluralisme des partis à des" sectes" et préfère s'enremettre aux militants et cadres du FLN. En Irak, l'idéologie duBaath fait du parti un « guide du peuple. pendant la période detransition socialiste. Entre le peuple et le parti, il doit y avoir«un engagement mutuel, volontaire et complet" », Le parti s'estapproprié le monopole de la représentation du peuple ainsi quele contrôle exclusif de J'État. Immature, le peuple doit d'abordapprendre les règles de base de la démocratie; il faut l'éduqueravant de penser son émancipation. En Algérie, c'est dans les«villages socialistes» que la révolution en marche doit s'incarnerpour permettre l'apprentissage de la "démocratie à la base ». EnLibye, c'est dans la Jamahiriya (l'État des masses), représentée àtravers des comités de base locaux, qu'elle doit s'exprimer. Des«comités partout» lance Kadhafi pour expliquer la « troisième voieuniverselle»! Dans les années 1970, la démocratie participatives'impose, en théorie, comme la méthode de gouvernance la plusappropriée pour exprimer pleinement les idéaux des révolutions

79. John Galvani, «The Baathi Revolution in Iraq », Merip Reports,12, septembre-octobre 1972, p. J 7.

Page 29: Violence de La Rente Petroliere

52 1 VIOLENCE DE LA RENTE PËTROLlÈRE

arabe libyenne (11 décembre 1969) affirme que celui-là est laplus haute autorité. Au cours de cette période, la Libye entreprend

une série de réformes administratives, politiques, économiques et

bouleverse ses relations diplomatiques. Le discours de Zouara'",

le 16 avril 1973, ouvre la deuxième phase. Kadhafi y annonce

la naissance des comités populaires et affirme: "La révolution

populaire commence aujourd'hui». Ce commencement produit des

résistances qui n'ont cessé de croître: aux critiques émises par des

membres de la révolution, concernant la mainmise de Kadhafi,

s'ajoutent celles portant sur les déboires de la politique régionale

et les risques de guerre avec l'Égypte. En 1977, s'ouvre la troi-

sième étape: le régime se dote alors de comités révolutionnaires

chargés d'orienter et d'impulser les objectifs de la révolution: ils

sont comparables, selon Hervé Bleuchot, aux" gardes rouges» de

la révolution chinoise. Le régime dispose ainsi d'un nouvel ins-trument de pouvoir arbitraire et est prêt à recourir à la violence,

qui accentue son emprise". À la fin de la décennie, il ne fait

plus aucun doute que la révolution populaire est sous la coupe

d'un régime autoritaire où les décisions politiques, économiques,

militaires et diplomatiques échappent totalement aux institutions

politiques représentatives du peuple; le gouvernement et le congrès

général du peuple ont de toute façon été transformés en organes

de représentation, d'abord du CCR, puis des «directives» du qa 'id(guide), Mouammar Kadhafi. Or, tout comme le Baath en Irak, la

révolution libyenne dispose à cette époque de revenus vingt foisplus importants que lors du coup d'État de 1969; les décisions

69. «Le discours de Zouara prépare la charte de la révolution populaire;suppression, des lois en uiqueur ; élimination de tous les "malades"qui s'opposent il la marche de la révolution; liberté totale dOn1léeauxmasses et au peuple qui sera armé; 'révolution administrative. Tous lesfonctionnaires passifs seront destitués; révolution culturelle. Toutes lesthéories importées et contraires il l'islam et aux objectifs du 1" sep-tembre seront éliminées », voir Hervé Bleucnot, Chroniques et docu-ments libyens,1969-1980, Paris, CNRS, 1983, p. 56.70. Hanspetter Mottes, «The Rise and FaU of the RevolutiOltatyCommittees », dans Dirk vandeioalle (eâ.}, Qadahfi's Libya, 1969-1994, New York (N.Y.), St Martin Press, /995.

LA CAPTURE DE LA RENTE 1 53

collégiales ne sont donc plus nécessaires. Le régime a les moyensde tuer les «chiens errants», c'est-à-dire, les opposants politiques

exilés qui dénoncent l'accaparement de la richesse nationale parles révolutionnaires.

En Algérie, le coup d'État de juin 1965 clôt l'expérience«tiers-mondiste » de Ben Bella (1962-1965)'1 et, à la différence de

l'Irak où les civils du Baath contrôlaient les militaires, il replace

les militaires au cœur du pouvoir: « Le pouvoir politique est

maintenant concentré au niveau de cercles restreints. La sécurité

militaire sous l'autorité directe de Boumediene constitue l'élément

décisif et déterminant du nouveau pouvoir".» Sans véritablement

atteindre l'efficacité du Baath en Irak, la sécurité militaire est

perçue comme «un véritable système politique parallèle [...] qui

fonctionne pratiquement comme une organisation d'encadrement

de tous les secteurs d'activités du pays" ». Le nouveau régime

bénéficie de l'accroissement des recettes fiscales pétrolières qui« doublent après 1965 et triplent jusqu'en 1971. Après, elles

bénéficient du saut de 1972-1973, et seront donc multipliées parsept environ" ». Cela dit, la profusion des revenus après 1973 n'a

pas, contrairement à l'Irak et à la Libye, accéléré la concentra-

tion du pouvoir. Les revenus pétroliers permettent au régime de

consolider la coalition qui dirige l'Algérie (commis de J'État et de

l'armée, président-directeur général des sociétés nationales, les

walis): « Sa problématique est d'empêcher toute autre couche de

s'ériger en nouvelle classe dominante.» Fort de ces revenus et de

la légitimité révolutionnaire, le régime peut se passer d'institutions

démocratiques et cela « explique l'absence de participation, dedémocratie, d'Assemblée nationale, ainsi que la quasi-inefficacité

71. Henry F. Jackson, The Fl.N in Algeria, Party Development in aRevolutionary Society, Londres, Greemuood Press, 1977, p. 203.72.A. Dahmani, L'Algérieà l'épreuve. Économie politique des réformes(1980-]997), Paris, L'Harmattan, /999, p. 26.73. M. Bennoune et A. ei-Kenz, Le Hasard et l'histoire. Entretienavec B. Abdesselam, Alger, ENAG, ]990, p. 273.74. Bruno Etienne, L'Algérie cultures et révolution, Paris, Seuil, 1977,p 262.

Page 30: Violence de La Rente Petroliere

56 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

socialistes. En Irak, c'est le parti, composé de vingt-cinq mille

membres à temps plein et de un million et demi de militants"

qui, en théorie encore, doit permettre l'édification d'un «État

moderne», en détruisant les appartenances tribales et en réduisant

les frontières religieuses et ethniques.

L'incompatibilité de ces révolutions socialistes avec les valeurs

de l'islam est soulignée par les théologiens pour lesquels le

progressisme des dirigeants est en réalité très éloigné de l'islam

traditionnel. Mouammar Kadhafi, en invoquant son droit àl'ijtihad pOUT interdire la polygamie en juillet 1978, s'est attiré

les foudres des ulémas libyens: «Retourner au Coran, dit-il, car

nous y trouvons les textes et les principes pour une meilleure

organisation de la société et surtout pour des relations équilibrées

entre l'homme et la femme .• En accordant à la femme le droit de

divorcer si elle ne s'estimait pas sexuellement satisfaite, la Libye

révolutionnaire fait la une des magazines féministes occidentaux,qui voient en M. Kadhafi le libérateur dela femme en terre d'islam.

La tentative de dissocier l'islam (institution) du Coran (parole

révélée) est alors une approche révolutionnaire qui se justifie parla dimension «authentique et fondamentale» de la révolution.

Mais, en Algérie, la préoccupation de la révolution socialiste est

de remplir les • ventres creux» et non de confronter la révolution

à une lecture révolutionnaire de l'islam. Pour Houari Boumediene:

«Les hommes ne veulent pas aller au paradis le ventre creux, un

peuple qui a faim n'a pas besoin d'écouter des versets. Je le dis

avec toute la considération pour le Coran que j'ai appris à l'âge

de 10 ans. Les peuples qui ont faim ont besoin de pain, les peuples

ignorants de savoir, les peuples malades d'hôpitaux'".» La rente

pétrolière doit donc servir avant tout à cela; en d'autres termes,

elle est au service d'un accès au paradis en meilleure forme. En

Irak, la Constitution de 1970, stipule: «Les richesses naturelles et

les moyens de production essentiels sont la propriété du peuple .•

BO.Jolrn F. Deolin, • The Baatlr party. Rise and Metamorphosis», TheAmerican Historical Review, 96 {5}, 1991, p. 1406.B/.Discours au sommet islamique de Lahore, enfévrier 1974. VoirH. SaI/SOli, «L'Islam de Houari Boumediene», AAN, tome )(VI!,

/978, p. 267-277.

LA CAPTURE DE LA RENTE 1 57

La rente pétrolière doit donc servir à la fourniture des besoins

fondamentaux. La réforme agraire, en fait la confiscation des

terres, s'inscrit également dans cette recherche d'une meilleure

redistribution sous le contrôle exclusif du parti".L'impression que donnent ces régimes est donc d'être parvenus

à faire sortir leur population de la misère, à moderniser l'islam,

à rendre compatible la révolution socialiste et le développement.

Ils semblent être au monde arabe ce que le Japon est pour l'Asie,

une avant-garde permettant la renaissance d'une région - ,lemonde arabe - qui avait basculé dans le déclin après son apogee.

Ces pays suscitent une certaine fascination, leur • réussite., ~stvantée par ceux qui croient en leur succès. L'image de l'Algérie,

de l'Irak et de la Libye est alors celle de pays émergents, sûrs de

l'avenir et confiants dans les hommes qui les dirigent. Les cartes

de géographes, les plans d'urbanistes, les résultats éc~no~iqueset les données statistiques sont les • preuves» de la réussite des

révolutions arabes socialistes. Pourtant, une grande partie de cesuccès ne doit rien à la révolution ou au socialisme: il repose

principalement sur la rente pétrolière, moteur de ce dynamisme,mais aussi sa plus grande menace. Durant toute cette période, la

quasi-dépendance envers cette unique source de reven~s .ex~é:rieure n'est pas encore à l'ordre dujour. Seul son usage discipliné

et efficace soulève J'admiration. Bien qu'il eût été légitime de se

demander sur quels critères ceux qui en définissent l'usage o~t

été choisis, ce débat n'est pas considéré comme opportun. PIS,

il rejette d'emblée ceux qui le soulèvent et le souhaitent dans lacatégorie des contre-révolutionnaires. En fait, et en coulisses, ce

succès repose sur un encadrement de la société par des forces

paramilitaires acceptables de par leur seule e:~cac.ité. ~i, enIrak, le parti Baath rassure ses partisans, il inquiete bien sur .sesadversaires et opposants par sa capacité à contrôler la scene

politique. Le temps des coups d'État est révolu": • La force du

82. R. Springborg, .Baathism ill Practice: Agriculture, Politics andpolitical Culture in Syria ami Irak», Middle Eastern Studies, /7 (2),

avril 1981 , p. 201. . .83. Benjamin Sluvadran écrit: «The most olltst(lIIding chaTOctenstlcof Iraq evell by comparison /Vith other major oil-prodllcmg MIddle

Page 31: Violence de La Rente Petroliere

58 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROUÈ:RE

Baath tient non seulement dans la capacité affirmée depuis dixans de ses dirigeants, mais aussi dans la parfaite organisation del'encadrement de ses forces. Une partie de celles-ci est d'ailleursmaintenue au sein d'une armée populaire, véritable milice, qui a vule jour le 8 février 1970'4.' Un tel dispositif démontrera quelquesdécennies plus tard son potentiel destructeur et la difficulté de ledéraciner. La complémentarité entre les tribus, le parti et l'arméeassurait de surcroît au régime une ossature robuste, nécessaireà sa survie". En Libye, la Jamahiriya a favorisé l'éclosion de«comités partout», mais elle s'est également dotée de Comitésrévolutionnaires chargés de mettre de l'ordre dans les débats.Créés en 1977 par le commandant Abdel Salam Jalloud, alorsnuméro deux du régime, ces derniers, dirigés par des responsablesdirectement nommés par le Guide, forment une véritable policepolitique chargée de dédoubler les comités populaires de base.Ils ont pour mission d'éliminer les opposants, de faire taire lescontestataires et d'imposer aux comités populaires de base les direc-tives politiques à suivre": Dans un rare moment de compassion,Kadhafi dénoncera leurs exactions: « Ils ont dévié, endommagé,torturé. Le révolutionnaire ne doit pas user de la répression. Aucontraire, je veux montrer que les comités aiment la masse".»En Algérie, un instrument redoutable s'est mis en place avec lasécurité militaire: • Ses réseaux, écrit M. Harbi, pénètrent lesadministrations, le FLN, la police, choisissent les représentants

Eastern countries and uihich is a key ta its entite history and deuelop-ment is its political and general instability», The Middle East, Oil andthe Great Powers, Jérusalem, Israel University Press, 1973, p. 267.84. Philippe Rondot, L'Irak, op. cit., p. 60.85. A. Baram, «Neo- Tribaiism in Iraq: Saddam Hussein 's TribalPolicies 1991-96", International Journal of Middle East Studies29 {J}, 1997. '

86. David Blundy et Andrew Lycett, Qaddafi and the Libyan Revolution,Boston [Mass.], Brown, 1987; Hanspetter Mottes, «The Rise andFall of the Reuolutionnary Cammittees", dans Dirk vandeioaite (ed.),Qadhafi's Libya, op. cit.87. Discours à la télévision, en mai 1988, cité par D. vandeiuaile,

Libya SUIce Independence. Ithaca {N.Y.J, Cornell University Press,J 998, p. 147.

LA CAPTURE DE LA RENTE 1 59

au niveau municipal et régional. Le rôle de la sécurité militaireest prépondérant dans la cooptation des élites, l'organisation descongrès, les débats publics ... La peur est désormais un facteur del'exercice du pouvoir".» Elle remplit une fonction de régulateurdes conflits et des rivalités, elle distribue richesses et privilèges auxalliés, recycle dans les affaires ses anciens partenaires et élimine lesinsoumis. À l'exemple du Baath, et des comités révolutionnaires,la sécurité militaire fait office d'organisation clandestine violentedont la finalité est d'établir la stabilité politique et de sécuriserles transactions. L'abondance financière a provoqué des stratégiescollectives d'enrichissement dans des États dépourvus d'institu-tions démocratiques et donc incapables d'établir des règles dujeu formelles. La concentration du pouvoir politique et militaireau sein de groupes restreints a permis une redistribution sélectivemais contrôlée de la richesse. En somme, le Baath, les comitésrévolutionnaires et la sécurité militaire remplissent les fonctionsclassiques attribuées aux mafias: sécuriser les transactions dansun marché dépourvu d'instrument de protection.

Cet encadrement de la société témoigne-t-il de l'inquiétudedes dirigeants face aux transformations rapides des sociétés? Letaux de croissance • asiatique. (en moyenne 7 0/0 de 1973-1985)

fait-il craindre l'émergence d'une. contre-révolution bourgeoise.portée par la classe moyenne? Cet encadrement n'est-il pas, plutôt,une démonstration pour intimider tous ceux qui peuvent avoirl'intention, voire la prétention, de remettre en question le contrôleexclusif de la rente par ces cercles restreints qui sont parvenus àen prendre possession? Comme le rappelle Marion Farouk Sluglettpour l'Irak, le taux d'urbanisation a beau être passé de 35 0/0 en1947 à 65 0/0 à 1977: «Au-delà de cette façade, la reproductiondes valeurs patriarcales, des liens familiaux, claniques et tribauxse poursuit depuis la mise en place du régime dictatorial'" .•

88. Monomed Harbi, «Processus de relégitimatian du pau'vair enAlgérie., dans Michel Camau, Changements politiques au Maghreb,Paris, CNRS, 1991, p. 134.89. Marion Farouk Sluglett et Peter Sluglett, .The Historioqraphy ofModem Iraq', The American Historiai Review, 96 {5J,décembre 1991,

p. 1412.

Page 32: Violence de La Rente Petroliere

62 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

l'unique source de revenus extérieurs qui, à leur tour, irriguent

les méandres de réseaux composés de clients et protégés que les

organes centraux de régulation s'efforcent d'entretenir en les

nettoyant régulièrement de tous ceux qui peuvent affaiblir lebon fonctionnement de cette mécanique. En dix ans, de 1970 à

1980, ces régimes sont parvenus à faire oublier la pauvreté etle désarroi dans lequel leurs populations baignaient. La montée

exponentielle du prix du baril de pétrole laisse penser que la

richesse pétrolière est infinie. L'efficacité des organes centraux

de régulation a permis une redistribution sélective des richesses

instaurant une période de stabilité politique enviable. Ces succès

ne vont pas manquer d'aveugler les thuriféraires de ces nou-velles puissances (économiques, pétrolières et militaires) qui les

imagineront capables de redéfinir un nouvel ordre économique

mondial et de recomposer au niveau régional un paysage plusconforme à leurs ambitions.

Chapitre 2Les illusions de la puiMance pétrolière

Promis à un bel avenir au début de la décennie 1970, vingt ans

après l'Irak, est ruiné et détruit, l'Algérie est en faillite financière

et en guerre civile et la Libye, sous embargo. Le nationalisme

pétrolier, sous lequel a grandi toute une génération convaincue

qu'elle détient, grâce à ce cadeau de la nature, la richesse et la

puissance, a conduit ces pays dans une impasse. Investi de toutes

les vertus, le pétrole doit à la fois être l'arme contre le sous-

développement, la clé qui va ouvrir la porte de la modernité, lenerf de la guerre contre l'impérialisme et le sionisme. En somme,

il est, pour ces pays, la juste récompense octroyée à tous ceux

qui ont été maltraités et humiliés par l'histoire contemporaine.

Mais en réalité, la capture de la rente dans les années 1970 va

les aveugler. L'arrivée subite de l'abondance financière, dans

des États aux institutions politiques vulnérables, a pour effet de

réduire à néant la réceptivité des dirigeants aux demandes de leur

société. La grandeur des projets à réaliser repose sur la croyance

que la richesse pétrolière est illimitée, que la montée du prix du

pétrole est exponentielle. Cette conviction nourrit la démesure

des projets économiques et alimente des ambitions de suprématieéconomique et militaire régionale. Elle conduit également à un

usage immodéré de la dépense. De plus, l'enrichissement soudain

inhérent à la nationalisation du secteur des hydrocarbures rend la

politique étrangère de ces pays plus agressive et la relation entreles coalitions autoritaires gouvernantes et la société encore plus

violente. En d'autres termes, la richesse pétrolière crée un« univers

irrationnel et symbolique. favorisant un «autisme sociétaire» '.

1. Sol Pérez Scheel iPetr61ea, cultura y poder en Venezuela, Caracas,Monte Avila, 1993, cité par F. Langue, <Machiavel et la démocratieau Yénézuéla», Nuevo Munda, 2005, http://nuevomundo.revues.org

Page 33: Violence de La Rente Petroliere

60 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLlËRE

Ces révolutions ne sont-elles que des captures politiques, des«indépendances confisquées», comme l'écrivait Ferhat Abbasconcernant l'Algérie de Boumediene"? Cette période historique,extrêmement importante dans la formation des systèmes politiques,est caractérisée par la rencontre inattendue entre les révolutionssocialistes, espérées et portées par des élites nationalistes révolu-tionnaires, et l'abondance financière inhérente à la nationalisationdes hydrocarbures puis au premier choc pétrolier. Rappelons quele prix du baril passe de 2 dollars au début des années 1960 à40 dollars à la fin des années 1970. C'est dire combien la miseen œuvre des révolutions ne peut qu'être soumise à de très fortesrivalités pour sa gestion. L'accès aux organes régulateurs (sécuritémilitaire, comités révolutionnaires, parti Baath) s'apparente à ungage, non seulement de protection, mais surtout d'enrichissementrapide. Les multiples projets économiques, plus ou moins réalistes,sont en fait des opérations indirectes de recyclage des revenusissus de la rente. Si, dans les années 1970, les investissementspublics étaient colossaux, il n'existe aucune institution politiquelégitime à même d'exercer un contrôle sur ces dépenses, pas plusqu'une presse libre capable de rendre compte des arbitrages sous-jacents aux projets retenus. La révolution n'est-elle qu'un alibi,une fiction, un régime arbitraire nécessaire à l'accaparement desbiens et des revenus de la rente? S'il est difficile de répondre,force est de constater qu'à la fin des années 1970, aucune de cesrévolutions ne fait plus illusion. Certes, les régimes ont réussià mettre en place des mécanismes assurant la stabilité poli-tique et des organes centraux de régulation. Mais ils oriententégalement ces révolutions vers un autoritarisme sans frein, ladictature, voire la tyrannie. L'emprise des organes centraux estd'autant plus puissante que les revenus du pétrole ne cessentd'augmenter, permettant ainsi le financement d'un appareil derépression sophistiqué et efficace, c'est-à-dire apte à prévenir lescoups d'État éventuels et à annihiler les adversaires potentiels.Des trois régimes, l'Irak devient à la fois le plus sophistiqué et

90. Ferhat Abbas, L'Indépendance confisquée, Paris, Flammarion,1984.

LA CAPTURE DE LA RENTE 61

le plus violent: «Les dirigeants transformaient le parti lui-mêmeen véritable instrument de l'État quadrillant l'armée et créaientplusieurs services de sécurité concurrents équipés des moyensde surveillance et de coercition les plus modernes. Quiconque,à l'intérieur ou à l'extérieur du parti, était en désaccord avec legroupe dirigeant autour de Bakr et de Saddam Hussein, était soitlimogé, soit éliminé'".»

_ ConclusionLa capture de la rente par des organisations révolutionnaires et

la gestion des révolutions par des organes de sécurité expliquent-ils l'aveuglement politique des régimes à la fin des années 1970?La certitude que le prix du baril de pétrole ne peut que croîtrerenforce la mainmise des appareils de sécurité sur l'État, le privantpar là même de tous les outils nécessaires à sa conduite. Si cettepériode historique fait figure d'âge d'or dans l'imaginaire collectif,elle apparaît rétrospectivement comme une période charnière dansla trajectoire politique de ces pays. Elle a permis la fusion entreles organes centraux de régulation (milices du Baath, comitésrévolutionnaires, sécurité militaire) et l'économie rentière. À lafin des années 1970, l'État est le seul propriétaire et dépositaired'une grande partie des biens et services. La révolution agraire aexproprié les propriétaires, l'urbanisation a transformé les terresagricoles en biens immobiliers, la survalorisation de la monnaienationale et le contrôle des changes ont favorisé la spéculationsur les devises, la réglementation des échanges a donné nais-sance à la corporation des importateurs de biens et de produits.L'abondance financière a réduit à néant les valeurs originelles desrévolutions socialistes. Le secteur des hydrocarbures est devenu

91. Marion Fa.rouk-Sluglett, <Irak: rente pétroNère et concentrationdu pOUlloi,., Maghreb-Machrek. J 31, janvier-mars J 99.1, p. 6;H. Bozarsla /1 souligne que: «Tout indique que, progressivement, lenouveau prince issu du Baath en vint à considérer l'État comme UII

mulk, comtituant sa propre ji.na./ité personnal:isée et ne pouvant, elldernière itlSta.llCC en assurer sa durabilité que par sa. tnlllsmissioliaux héritiers mâles., «L'Irak en perspecti.ve », Revue des mondesmusulmans et de la Méditerranée, J 17- J 18, juillet 2007, p. 8.

Page 34: Violence de La Rente Petroliere

64 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

Nous faisons l'hypothèse que la rente pétrolière a permis de

satisfaire un besoin de domination dont la formation remonte à

l'occupation coloniale. La rancœur accumulée durant cette période

a produit un profond sentiment de revanche contre les anciennes

puissances coloniales. Mais les nouveaux régimes, incapables derivaliser sur le plan militaire et économique avec ces dernières, ont

déversé leur amertume sur leurs voisins: marocain pour l'Algérie,

tunisien et tchadien pour la Libye, iranien et koweitien pour l'lrak.

De façon symptomatique, ces trois pays ont pour même ambitiond'atteindre une suprématie militaire et une domination économique

sur leur région. Celle-ci est pourtant vouée, elle aussi, à l'échec.

Défaits face à l'Arabie Saoudite lors de leur tentative de contrôlede l'OPEP' (ce qui les conduira, associé à leurs choix économiques

et leurs dépenses inconsidérées, à une crise financière majeure

à la fin des années 1980) et impuissants à venir à bout de leurs

voisins, ces trois régimes retournent alors toute leur intelligence

et leur puissance contre des opposants de l'intérieur. Loin des'effondrer ou d'accepter de remettre le pouvoir aux coalitions

de partis politiques qui le réclament, ils ont recours à la brutalité

pour se maintenir en place et reconstruire dans la violence lesressorts de leur consolidation.

- La recherche des attributs de la puissance

Les choix politiques des années 1970 ont orienté la trajectoire

de ces pays vers une illusion de puissance. La rente pétrolière et

l'abondance financière subséquente ont conforté les décisions

précédemment prises par ces régimes non démocratiques; elles

ont empêché toute remise en question, en dépit du constat d'échecflagrant à la fin des années 1980. La coercition et la redistribution

ont rendu la scène politique silencieuse, obéissante aux partisrévolutionnaires guidés par des chefs «charismatiques », Alors que

la communauté nationale se fissure, laissant entrevoir son potentiel

de violence, ces régimes rayonnent sur la scène régionale, voire

internationale. Les succès de la décennie 1970 ont enflammé les

2. J. Skeet, Opee: Twenty Five Years of Priees and Poli tics, Cambridge,Ca'mbridge University Press, 1991, p. 236.

LES ILLUSIONS DE LA PUISSANCE PÉTROLIÈRE 1 65

dirigeants. L'Algérie, l'Irak et la Libye se transforment à grandevitesse: urbanisation, alphabétisation, industrialisation. Le passé

colonial semble loin pour ces jeunes États qui ont décidé debouleverser les structures sociales et économiques héritées de

cette période. L'échec des réformes agraires n'apparaît pas encore

comme une préoccupation majeure. La population a doublé dans

ces trois pays, néanmoins la rente pétrolière permet le paiement des

importations massives de produits alimentaires. Les contradictions

économiques commencent à poindre, mais les résultats obtenus au

cours de la décennie 1970 ne peuvent que renforcer les factions des

instances dirigeantes qui considèrent que le volontarisme politique

a fait sortir les pays du <sous-développement •. À ceux qui souli-

gnent que ces succès sont tout relatifs, tant la dépendance enversles hydrocarbures est totale, les thuriféraires du socialisme arabe

opposent un farouche déni de réalité. Ils arguent, par exemple, que

le système de santé irakien est l'un des meilleurs du Moyen-Orient

et que certains patients viennent de l'étranger pour se faire soigner

dans ce pays, que les Tunisiens migrent en Libye pour travailler,

que les Marocains envient leurs voisins algériens, etc.

Ces résultats économiques ont favorisé un compromis social qui

a grandement participé à la stabilité des régimes. <Le compromis

social algérien peut être résumé ainsi: les revenus pétroliers et

l'accès aux prêts internationaux ont favorisé la généralisationd'un système salarial et la création d'emplois improductifs".» C'est

au cours de cette période le cadre théorique et politique expli-

quant et justifiant l'action et la vision des coalitions dirigeantes

est formulé: lors du huitième congrès du Baath en 1974, dans

la charte d'Alger de 1976,' ou bien encore dans le Livre vert de

3. J. Leca, «Social Structure and Political Stability: ComparativeEvidence from the Alqerian, Syrian and lraqi Cases», dans A. Datuishet L. W. Zartman, Beyond Coercion: Tbe durability of the Arab State,Londres, Craon! He/m, 1988, p. 173.4.J. Leca et J.c. Vatin. écrivent: «Les chartes remplissent deux fonc-tions. Elles décrivent la vision que le pouvoir a de la société concrète,empiriquement obseruabte, [elles] ont pour seconde fonction de consti-tuer une doxa et par conséquent d'indiquer les comportements ortho-dores», dans J. Leca et J.c. VaNn, «Le système politique alqérien»,AAN, Paris, CNRS, 1977, p. 16.

Page 35: Violence de La Rente Petroliere

66 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

19775. Pour beaucoup d'observateurs, ces textes constituent lamatrice explicative de l'action des régimes, et une lecture fine

peut permettre de déceler les différents courants. Toutefois, force

est de reconnaître que, face à l'impression d'unanimisme de ces

régimes et au regard de la mainmise du parti Baath, du FLN et

des comités révolutionnaires sur les instruments d'expression

des sociétés, il était difficile d'apercevoir, au-delà des opposants

notoires en exil ou emprisonnés, les signes avant-coureurs de leurfragilité. L'impression qu'ils dégagent est celle de puissances en

devenir. En réalité, le contrôle des instruments d'expression des

sociétés est partiel, en raison de l'incapacité des régimes à satis-

faire leurs ambitions hégémoniques et de l'intelligence des acteurssociaux à contourner et à transformer les appareils de contrôle.

Cela dit, la rente pétrolière a bel et bien permis le financement

d'un système de redistribution qui, sans être imperméable à la

conjoncture, est tout de même parvenu à assurer la légitimité de

ces régimes, validant par-là et jusqu'à la fin des années 1980, la

corrélation entre État rentier et stabilité politique". En assurantle bien-être matériel de ses citoyens sans leur prélever d'impôts,

I"État rentier semble immunisé contre toutes formes de reven-

dications. En théorie, la redistribution de la rente dépolitise lestransactions entre l'État et ses citoyens et donc offre la paix sociale

en contrepartie de l'absence d'ingérence dans les décisions poli-

tiques. En suivant cette ligne de raisonnement, les changements

politiques deviennent difficilement pensables. Or, à la fin des

années 1980, des mouvements insurrectionnels déstabiliserontces régimes et provoqueront une relecture des effets politiques

de la rente pétrolière. Il importe néanmoins de rappeler qu'avant

5.• Political, Economie and Sociai Bases of the Third Universai Theory.Muammar Kadhafi's Thouqht», Belgrade Colloquium, April 1982,World Center For researches and Studies of «The Greell Book" Tripoli.6. H. Beblawi, «Yet the fact remains that evell limited revenue fromabroad dramatically improues the state's ability to buy legitimacythrouqh. allocation and increases regime stability. Iraq since the earlyseventies and Aigeria almost since independence have had remark-ably stable power structure», dans G. Lueiani [ed.}, The Arab State,Londres, Routledge, 1990, p. 79.

LES ILLUSIONS DE LA PUISSANCE PÉTROUtRE 1 67

de connaître la contestation intérieure, ces régimes ont mis enœuvre une ambitieuse et coûteuse politique régionale qui va

susciter l'inquiétude de leurs voisins.

- L'envolée des dépenses militaires

Emportés par la dynamique du succès diplomatique que

constitue la nationalisation du secteur des hydrocarbures et par les

bénéfices du premier choc pétrolier, les régimes algériens, irakien

et libyen se lancent dans une ambitieuse politique étrangère. La

rente pétrolière permet de grosses dépenses militaires et une plus

grande implication dans les conflits. Les régimes justifient ces

dépenses par l'état de guerre contre «l'ennemi sioniste ", quand

bien même les arsenaux accumulés sont très peu utilisés contreIsraël. Les dépenses militaires ne cessent d'enfler: en Libye, elles

représentaient 12 0/0 des dépenses publiques totales en 1970, 23 0/0

en 1975 et 34 0/0 en 1980; en Irak, elles étaient de 41 0/0 en 1970,

descendaient à 32 010 en 1975 et doublaient en 1985 (66010), en

pleine guerre contre l'Iran; en Algérie, elles étaient de 14 010 en

1970, puis 18 Ofo en 1975, avant de chuter à 6010 en 1981 pour

rebondir et atteindre 37 010 en 1992', au début de la guerre civile.Avec le contrechoc pétrolier et l'effondrement du prix du baril à

partir de 1985, ces dépenses deviennent rapidement insoutenables

pour les gouvernements et incompréhensibles pour des populations

aux demandes sociales en expansion. Cet investissement massif

dans le secteur de la défense a des objectifs différents selon les

pays. La Libye aspire à devenir la plaque tournante des révolution-

naires du monde entier, d'où la disproportion entre ses dépenses

militaires et les moyens susceptibles de les utiliser, disproportion

qui s'explique par la redistribution des armes à des groupes deguérilla internationaux engagés dans une lutte anti-impérialiste,

anticolonialiste ou • antisioniste" », La Libye révolutionnaire se

7. 0ystein Noreng, «Oil and Islam: Misuse of Money Causinq Socialand Politieal Tensions>, dans 0ystein Noreng, Oil and Islam. Socialand Economies Issues, Chichester, Wiley, 1997, p. 6.8. W. Zartman et A. Buelldia, «La politique étranqère libyenne»,

daus ouvrage collectif, La Libye nouvelle, Paris, CNRS, p. 129.

Page 36: Violence de La Rente Petroliere

70 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

Rome et de Vienne, constitue, pour l'administration américaine,

le véritable argument à la politique de sanctions économiques

et militaires contre la Libye. Le bilan terroriste de la Libye estdifficile à évaluer, mais on estime que plus de trente pays on t

été affectés par les. attentats parrainés par la Libye 14 '. La notiond'État terroriste" s'est construite dans ce contexte, qui englobe

toute une série de menaces définies par la politique de sécuriténationale des États-Unis.

Cette politique libyenne est née au début des années 1980'6,

avec la création, en 1982, du Centre libyen anti-impérialiste,

connu sous le nom de Mathaba International, véritable think tankou colonne vertébrale de la politique terroriste. TI prospecte dans

les zones de tensions afin de déceler les marchés émergents duterrorisme international. Comme le Moyen-Orient est un enjeu

pour d'autres puissances régionales, la Syrie et l'Iran par exemple,

il laisse peu d'espace à la Libye. Aussi le régime révolutionnairedécide-t-il d'investir des marchés porteurs comme l'Asie du Sud-Est

(les Philippines), l'Amérique latine et l'Afrique. Des agents libyens

offrent des stages de formation à la guérilla et aux techniquesterroristes à de nombreux mouvements nouveaux, ils fournis-

sent aussi un soutien à des organisations bien consolidées, telle

l'IRA. La Mathaba International était dirigée par Moussa Kussa,

dont les vastes réseaux personnels lui permettaient de nouer des

relations avec des personnalités diverses". Pour le régime libyen,

14. Sandrine Santo, .L'ONU face au terrorisme >, Groupe de rechercheet d'information sur la paix et la sécurité. www.grip.org/5. Voir Philippe Moreau-Defarqes, • "L'État voyou", un concept ins-trument», Défense nationale, 2, février 1998.16. Helmy Ibrahim, «La Libye ou l'institution politique du terrorisme >,

Esprit, 94-95, mai-juin 1983; Allan Doives, «Qu'est-ce qu'un Étatterroriste?», Les Cahiers de l'Orient, 36, 1986; Ronald Bruce St John,• Terrorism and Libyall Foreign Policy, 198/ -/986., World Today, 42,1986.17. En août 2000, la Mathaba organise un congrès où sont pré-sents: Sam Nujoma (Namibie), Robert Mugabe (Zimbabwe), Museueni

(Uganda), Idris Deby (Tchad), Shaffik Handal (FMIN, San Salvador),Daniel Ortega (FSLN, Nicaragua), Raul Reyes (FARC, Colombie), etc.http:// 'qïobalsecurity.org

LES ILLUSIONS DE LA PUISSANCE PÉTROLIÈRE 71

l'ambitieuse politique terroriste se fonde sur un soutien tousazimuts aux organisations politiques et militaires en lutte contre

l'impérialisme, le sionisme et le néocolonialisme. Concrètement,

cette politique expose la Libye à devenir l'ennemi des États-Unis,

d'Israël, du Royaume-Uni et de la France. Entre 1978 et 1986,

le régime libyen dispose de moyens financiers considérables en

raison de la montée du prix du baril de pétrole. Le coût de cette

ambitieuse politique terroriste est difficilement évaluable, mais

le montant des achats d'armes durant cette période est estimé à12 milliards de dollars environ!". Elle n'est qu'une des facettes,

la plus destructrice certes, d'une ambition plus vaste: la Libye

cherche à se doter de tous les attributs possibles de la puissance

militaire. Rappelons en effet que le régime ne se limite pas à

édifier une infrastructure terroriste, il s'est aussi lancé dans un

programme d'armes de destruction massive et importe aussi

beaucoup d'armes conventionnelles. Au début des années 1970,le régime libyen cherche à se doter de l'arme atomique auprès

de la Chine. Face à son refus, il se tourne vers le « marché noir'?»pour mettre en place des « structures élémentaires de recherche et

de développement» pour son réacteur nucléaire à Tajura. À partir

des années 1980, le développement des armes chimiques prend

son essor. La construction du complexe de Rabta (Pharma 150),

18.• Between. 1979 and 1983, Libyan imports of military hardwareamollllted to $12,095 millions [...] bettveen 1970 to 1985 total e.xpen-diturcs to overseas purchases of military goods and services at some$29 billions». William J. Foltz, «Libya's Mi/itary Pouier», dans RenéLemarchand ied.), The Green and the Black, op. cit.,p. 62; voir aussiAnthony H Cordesma'l, A Tragedy of Arms: Military and SecurityDeveloprnents in the Maghreb, Santa Barbara [Calif.}, Gree1lwoodPublishing Group, 2002, p. 60.19.Au cours d'aveux publics télévisés le 4 février 2003, Abdul QadeerKhan, le «père de la bombe atomique. pakistanaise, révèle qu'il afourni des plans de construction de centrifugeuses à la Libye. Le NewYork Times du 18février 2003 retrace les réseaux privés qui ont per-mis à la Libye de se fournir, non seulement au Pakistan, mais aussien Malaisie.

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68 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

transforme ainsi en une caserne à ciel ouvert. L'Irak de Saddam

Hussein ambitionne de devenir une puissance regionale reconnue:

• En bref, nous voulons que l'Irak joue un rôle de premier plan dans

la region du monde arabe. Nous voulons que l'Irak joue un rôlede premier plan dans la lutte contre l'impérialisrne".» La recherche

de l'autonomie constitue une constante du regime. L'Irak veut

sortir du rôle de simple client de l'industrie militaire pour entrer

dans celui des pays producteurs d'armement, à l'instar de pays

émergents latino-américains des années 1970 comme le Brésil

et l'Argentine. Quant aux depenses militaires de l'Algérie, bien

qu'inférieures, elles demeurent conséquentes. lei, la préoccupation

régionale prend le dessus sur les problèmes moyen-orientaux:

l'impératif est de maintenir une suprématie militaire sur un Marocqui absorbe progressivement le Sahara occidental '0.

Au cours de la décennie 1980, ces dépenses n'ont pas pourautant transformé ces pays en puissances militaires, pas plus

que les investissements dans l'industrialisation n'ont permis le

décollage d'un secteur industriel compétitif. En fait, l'armée en

Algérie et en Libye a davantage rempli une fonction de policeintérieure qu'elle n'a agi comme force d'expansion exterieure. Seule

l'armee irakienne, alors dirigée par les civils du parti Baath, a ete

entraînée dans des guerres d'invasion, en Iran puis au Koweït".

- La Libye: une caserne à ciel ouvert

La Libye du colonel Kadhafi illustre l'aveuglement que peut

engendrer la rente pétrolière. Considéré comme l'un des pays les

plus pauvres au monde dans les années 1950, le régime - porté

par son idéologie revolutionnaire - a entraîné une population

de cinq millions d'habitants, de surcroît contrainte de vivredans 3 010 du territoire seulement, à affronter à elle seule «Ia

puissance imperiale 1> (les États-Unis), «les puissances coloniales»

9. Cité par E. Kienle, Ba'th vs Ba'th, Londres, Taurus, 1990, p. 94.10.R. Leueau, Le Sabre et le Turban, Paris, Bourin, 1993, p. 225./J. M. A. Helier, «lraq's Army: Military Weakness, Political Utility»,dans A. Baram and B. Rubin (eds), lraq's Raad to War, New York(N.Y.J, St Martin Press, 1993.

LES ILLUSIONS DE LA PUISSANCE PÉTRoutRE 1 69

(la France et le Royaume-Uni) et «la puissance sioniste» (Israël).Pour nombre d'observateurs, seul le comportement irrationnel

de Kadhafi peut expliquer cette attitude belliqueuse. Cependant,si la Libye de Kadhafi n'est pas l'Union sovietique, elle est, dans

les années 1970, la quatrième puissance exportatrice mondiale

de pétrole: le régime dispose donc des moyens de ses ambitionset de sa crédibilité, Alors que la plupart des Libyens se seraient

contentes d'un régime économiquement performant et socialementagréable à supporter, Kadhafi décide de placer la population de

la Jamahi.riya au cœur des preoccupations de la communaute

internationale. Sous son egide, la Libye se transforme en un .Étatterroriste 1> accueillant chaleureusement tous les révolutionnaires du

monde dans le cadre de sa politique de soutien aux organisations

révolutionnaires. La construction d'une infrastructure terroriste

vise dans un premier temps à éliminer les ennemis intérieurs et

extérieurs de la révolution libyenne. La politique de la Libye en

Afrique est clairement marquée par la volonté de combattre les

régimes africains qui accueillent les opposants libyens et ceux

qui établissent des relations diplomatiques avec l'État d'Israël".Dans une deuxième étape, le régime revolutionnaire, dope par

la montée du prix du baril de pétrole, se lance dans un soutien

à des mouvements revolutionnaires communistes, séparatistes,

fondamentalistes, en Amérique latine (Guatemala, Salvador,

Équateur, Colombie) et en Asie (Bangladesh, Philippines). Le

régime révolutionnaire édifie des camps d'entraînement et de

formation aux techniques de la subversion du terrorisme (campsdu 7 avril, de Sidi Bilal, de Bin Gashir, de Ras al Hilal). Plus

de trente mouvements terroristes et révolutionnaires auraient

transité par ces camps entre 1970 et 1993". Enfin, le soutien

du régime révolutionnaire à l'Organisation d'Abou Nidal, res-

ponsable des attentats du 27 décembre 1985 aux aeroports de

12. Voir René Lcmarchand pour l'analyse détaillée de la politiquede déstabilisation des régimes en Afrique entre 1976 et 1986 parla Libye. René Lemarchantl, .Beyong the Mad Dog Syndrome., dansThe Green and The Black. Qadhafi's Policies in Africa, Bloominqton(lnâ.), Indiana University Press, 1988, p. 9.13. http://www.global security.orq

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72 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLlËRE

grâce à des compagnies étrangères privées", puis de Pharma200, proche de la ville de Sebha, permet au régime de se doterd'une production d'agents chimiques. Sous l'embargo, le pro-gramme de développement d'armes chimiques se poursuit avecla construction du complexe de Tarhunah à la faveur, là encore,d'investissements privés étrangers. De nombreux rapports éma-nant d'agences américaines pointaient, dès les années 1990, lesdiverses stratégies utilisées par le régime pour mettre en placeles infrastructures industrielles de production d'armes chimiqueset biologiques". Dans le domaine des armes conventionnelles,le régime a importé du matériel militaire en quantité massive etde façon disproportionnée au regard de ses forces de sécurité.L'Union soviétique et la France sont, au début de la décennie 1980,

les principaux fournisseurs de chars et d'avions de combat. En1986, la Libye dispose de plus de trois mille chars et cinq centschasseurs ou chasseurs bombardiers. Sur le plan quantitatif, le paysémerge comme une puissance militaire de premier plan au niveaurégional, mais sur le plan qualitatif, cet arsenal militaire est dansl'ensemble inutilisable de façon efficace. La Libye ne dispose pasdes ressources humaines pour l'exploiter et doit faire venir destechniciens étrangers afin de l'entretenir, voire de l'utiliser. Leslimites militaires du régime libyen se révèlent lors de la guerrecontre l'Égypte en 1977, du bombardement américain de 1986et du conflit au Tchad en 1987. Suréquipée, l'armée libyenneest, paradoxalement, l'objet d'une méfiance extrême de la partde Kadhafi: «Le régime craint et se méfie des militaires, il luiimpose donc des conditions qui limitent son efflcacité".» Lessanctions internationales (1992-2003) acbèveront de dégraderl'arsenal militaire acheté à prix d'or une décennie auparavant.

20. La société allemande Imhausen-Chcmic AG Hajoué un rôle cen-trai dans la construction du complexe chimique de Rabta », JosuaSinaï, .Ubya's Pursuit of WMD». The Non Proliferation Review,printemps-été 1997, p. 94.21. «Libya. Has trouble Building the Most Deadly Weapons", TheRisk Report, l, décembre 1995.22. WiUiam J. Foltz, «Libya's Military Power», art. cité, p. 53.

LES ILLUSIONS DE LA PUISSANCE PÉTROLlËRE 1 73

L'Irak: « le défenseur des Arabes»

Les revenus pétroliers vont permettre au régime baathiste definancer la mise en œuvre d'une politique expansionniste fondéesur la remise en cause de la configuration de l'État irakien ava-lisé par la Société des Nations en 1920. En somme, si les germesde l'expansionnisme irakien sont inscrits dans la constructionbritannique de l'État irakien, la capture de la rente, dans lesannées 1970, a favorisé leur développement au sein du partiBaath. Après avoir œuvré à la récupération du pétrole par lesArabes - le slogan du Baath est «le pétrole arabe aux Arabes» -,le Baath se proclame « le défenseur des Arabes du Golfe» faceà l'Iran du Shah, puis à la République islamique. En parallèle,Bagdad ambitionne de devenir la « capitale du front de la fermeté»face à Israël, dont l'accord du 4 septembre 1974 avec l'Égypteest dénoncé « comme une grave défaite pour la cause arabe ».Entre 1968 et 1989, l'Irak a dépensé, en achat d'armes, la sommede 90 milliards de dollars. Comme pour la Libye, l'Union soviétiqueest le principal fournisseur". À la différence de l'Arabie Saouditequi, sur la même période, avait dépensé 62 milliards de dollars, leBaath irakien a mis en place une industrie militaire susceptible depromouvoir une autonomie dans certains secteurs de la défense.Comme le souligne Abdelkader Sid-Ahmed dans les années 1980:

«Le contraste est grand entre les achats massifs d'armements etl'absence de toute industrie arabe en la matière".» L'objectif durégime est d'appliquer à l'industrie militaire les méthodes qui ontréussi dans l'industrie pétrolière. Entre 1972-1987, une «équiped'armuriers» va, sous la houlette de Kamal Hussein, tenter dedoter l'Irak des bases d'une industrie militaire. Cette politiquepermet de distinguer ce régime autoritaire des autres en termes

23. Oies et Bettie Smolansky, The USSR and Iraq. The Soviet Ouestfor Influence, Durham. (N.e), Duke University Press, ]991.24. Abdelkader Siâ-Ahmed, «L'économie arabe à l 'heure des surpluspétroliers», Cahiers de l'ISMEA, série P, 26, 1975.

Page 39: Violence de La Rente Petroliere

74 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

de performance: • L'industrialisation militaire donne ainsi l'image

d'un secteur valorisant la compétence et la productivité".»

Entre 1973 et 1983, les rentrées de devises cumulées sont

estimées à 47,5 milliards de dollars. À la veille de l'invasion

de l'Iran, en 1979, le gouvernement irakien dispose d'environ

30 milliards de dollars de réserve. La nationalisation du secteur

des hydrocarbures et le premier choc pétrolier ont permis à l'Irak

de voir ses revenus pétroliers annuels passer de 487 millions de

dollars en 1968 à 13 milliards de dollars pour l'année 1979. Le

Baath dispose des moyens financiers de sa puissance: «Bagdadn'aurait pu, écrit l.F. Luizard, déclencher la guerre contre l'Iran

si les ressources de son pétrole ne lui avaient fourni les basesde sa capacité d'arrnement>». La rente pétrolière a joué un rôle

fondamental dans la projection de puissance du régime irakien. De

façon imprudente, le pouvoir considère que la montée constante

du prix du baril - qui a permis la réalisation des performances

économiques au cours de la décennie 1970 - ne peut que se

poursuivre la décennie suivante. La guerre contre l'Iran est sou-

tenue par la croyance en une victoire rapide, éclair, qui aurait

dû provoquer l'effondrement de la République islamique. Mais lasurvie de celle-ci a déjoué les prévisions du Baath et a entraîné

le régime dans une économie de guerre d'autant plus ruineuse"

que le contrechoc pétrolier sonnera le glas de la prospérité finan-cière irakienne et plongera le pays dans l'endettement. À la fin

du conflit, l'Irak se retrouve avec une dette de 100 milliards de

dollars: stable et prospère avant son entrée en guerre, J'Irak est

25. David Baran, «Les armuriers de Saddam Hussein», http://wwlV.eurozine.eom26. J.F. Luizard, La Question irak.ienne, op. cit., p. 13927 .• We estimateâ tiiat the total economic cast of the war ta Iranfrom 1980 la August 1988 (in current priees) was $644.3 billionsand to Iraq $452.6 billions. These were the pureiy monetary costsof the war to both countries and did not include losses throuqhinfïation, the deaths of hundreds of thousands of the working popu-latioll ...• , dans K. Mofid, The Economie Consequences of the GulfWar, Londres, Routledqe, 1990, p. 146.

LES ILLUSIONS DE LA PUISSANCE PÉTROLIÈRE 1 75

ruiné à la fin du conflit", Bien que meurtri par les pertes humaines

et ruiné sur le plan financier, J'Irak est devenu, à la fin du conflit

contre l'Iran, en 1988, une puissance militaire crainte au niveau

régional. Son potentiel militaire repose sur une économie en

crise, incapable d'absorber des dizaines de milliers de soldats

démobilisés. Cependant, la vulnérabilité intérieure du régime

est protégée par l'inquiétude régionale que soulève cette armée,

expérimentée par sept années de guerre et dotée par l'Occident

d'un armement sophistiqué. En effet, J'Irak a pu bénéficier d'un

approvisionnement continu en armements. À la différence duconflit entre l'Éthiopie et l'Érythrée, la guerre Irak-Iran a démontré

les avantages de la rente pétrolière dans l'octroi de prêts bancairesnécessaires à l'achat d'armes. En 1990, la vulnérabilité interne du

régime est telle qu'elle provoque l'invasion du Koweït, au motifque l'émirat œuvre à la perte pétrolière et donc financière de l'Irak.

Cette annexion est présentée comme salutaire pour l'économie del'Irak: « Sa'dun Hammadi, ministre de l'Économie, est apparu àla télévision suite à l'invasion du Koweït pour dire aux Irakiens

affamés que l'occupation du Koweït allait leur permettre de rem-

bourser leur dette extérieure colossale dans un délai d'à peine deux

à quatre ans29.» Endossant la parure du dernier vrai nationaliste

arabe, Saddam Hussein cherche en vain à mobiliser les. masses

arabes. en présentant l'absorption du Koweït comme le projet

avant-coureur de la fusion nécessaire d'un monde arabe en péril

face à Israël et ses alliés. Aveuglé par la puissance du pétrole, il

affirme également que les sanctions internationales ne dureraient

pas car: «Nous détenons 20 % des réserves mondiales. Les sanc-

tions seront levées non pas pour nos beaux yeux mais par intérêtpour notre pétrole"». Pourtant, la menace que représente l'union

possible des deuxième et troisième réserves pétrolières mondialesprouvées de cette période incite la communauté internationale

à libérer le Koweït en 1991, plongeant l'Irak dans les affres d'un

28. F.W. Axeiqarâ, Iraq in Transition, Boulder iCoïo.), WestviewPress, 1986, p. 83.29. Faleh Abdel al Jabbar, «Why the Uprisinq Failed •. Middle EastReport, 176, mai-juill 1992, p. 4.30. Cité par Faleh Abdel al Jabbar, The Guardian, JO juin 1991.

Page 40: Violence de La Rente Petroliere

76 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

embargo total. Le parti Baath a réussi, grâce à la rente pétrolière,

à améliorer les conditions de vie de la population pour finalementles ramener, après l'annexion du Koweït, au Moyen Âge". Après

la manne financière, l'expérience militaire acquise contre l'Iran

se trouve dilapidée dans l'aventure koweïtienne. À la différence

des modèles militaires argentins et brésiliens des années 1970,

l'Irak du parti Baath a donc échoué à limiter ses ambitions, cequi provoquera la destruction de sa puissance.

- Algérie: le développement d'abord,le Maroc après

À la différence de la Libye et de l'Irak, l'Algérie de Boumediene

considère que sa puissance ne peut être que l'expression de son

développement intérieur. Les préoccupations domestiques priment

sur les projets externes. Certes, durant les années 1970, l'Algérie

a su exploiter les opportunités qu'offre, entre les deux blocs, le

mouvement des non-alignés. Elle propose, par exemple, à l'As-

semblée des Nations unies un nouveau modèle économique entre

le Nord et le Sud, projet bien peu révolutionnaire en comparaison

avec la Libye voisine. Comme le précise Haouri Boumediene:

• Nous aurions pu faire de la subversion ou même seulement de

la propagande. Nous nous sommes interdit tout celan.' L'Algérie

a foi dans le progrès et le développement. Sa définition de la

puissance est économique, mais sa domination s'exprime parfoisavec arrogance, tant au niveau régional que continental. La rente

pétrolière doit permettre de rattraper son retard économique et enfaire une locomotive pour le monde arabe et l'Afrique. Les élites

algériennes sont convaincues de l'excellence de leur modèle de

développement et ne manquent jamais de souligner sa supériorité.

La politique étrangère de l'Algérie ne vise pas la mise en œuvre

J/. En 1991, J. Baker avait menacé les dirigeants irakiens de « rame-ner l'lrak au Moyen Âge, s'ils ne coopéraient pas.J2. A. Francos et J-P. Séréni, Un Algérien nommé Boumediene,Paris, Stock, /976, p. J36.

LES ILLUSIONS DE LA PUISSANCE PËTROLlÈRE 1 77

d'un projet révolutionnaire. La révolution algérienne" n'a pas

vocation à s'exporter et le modèle socialiste est disposé à cohabiter

dans la région avec des régimes bien différents, telle la monarchie

marocaine. Les préoccupations des dix premières années ont porté

davantage sur la récupération des richesses du sous-sol et donc ...

sur une confrontation diplomatique avec la France.La cession du Sahara occidental au Maroc par l'Espagne, en

1976, modifie toutefois l'ordre des préoccupations dans l'agenda du

régime. Entre 1962 et 19n, l'Algérie ne disposait pas des moyens

financiers pour bâtir une réponse aux revendications territoriales

marocaines sur le Sud-Ouest algérien. En 1963, «la guerre des

sables. avait démontré que l'héritage territorial de l'Algérie, dessiné

par la France, était contesté par le Maroc", d'abord par le parti

de l'Istiqlal qui appelait à la restauration du Grand Maroc, puis

par la monarchie de Hassan n. Le contentieux territorial entre

l'Algérie et le Maroc avait trouvé une issue dans le traité d'Ifrane

de 1969, par lequel les deux pays s'étaient engagés à respecter les

frontières héritées de la colonisation. Dans les faits, cet affronte-

ment entre deux États à peine indépendants nourrira méfiance et

rancœur. Aussi, lorsque le Maroc récupère habilement le SaharaOccidental à la suite du départ des troupes espagnoles, l'Algérie

se retrouve confrontée à un dilemme: la reconnaissance du fait

accompli ou la guerre. Mais, à la différence de 1963, l'Algérie de1976 dispose d'une rente pétrolière qui, depuis le premier choc

pétrolier, octroie au régime des revenus abondants. La stratégie

de l'Algérie face au Maroc est celle du Pakistan face à l'Inde au

Cachemire, «une guerre par sous-traitancev», où le Front Polisario,

d'abord soutenu par la Libye, devient très vite un outil au ser-

vice de l'Algérie. Les dépenses consacrées à l'achat d'armements

33. Bruno Étienne. L'Algérie. Cultures et révolutions, Paris, Seuil,1977; J.P. En/dis, Algeria. The Revolution Institutionalized, Boulder(Coio.), Westview Press, 1986.34. Y. Zoubir, «ln Search of Heqemony : The Western Sahara ill

Alçerian-Mcroccan Retations», Journal of Algerian Studies, 2, 1997.35. A. Blom, «The 'Multi-Vocal' State: The Policy of Pakistan 011

Kashmin, dans Christophe Jaffrelot (ed.), Pakistan. Nationalismwitbout a Nation?, Londres, Zed Books, 2002, p. 284.

Page 41: Violence de La Rente Petroliere

78 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLlËRE

suivront le cours du prix du baril de pétrole: entre 1973 et 1977,elles s'élèvent à 710 millions de dollars, somme dérisoire au regard

de la Libye et de l'Irak à la même période; elles augmentent très

sensiblement entre 1978 et 1982, pour atteindre 3,2 milliards; elles

se stabilisent entre 1983 et 1987 à 2,5 milliards de dollars puis,de 1987 à 1991, à 2 milliards. L'Union soviétique fut le principal

fournisseur de l'Algérie avec la vente de près des trois quarts du

matériel militaire algérien". Nombre d'observateurs s'inquiètent

de cette course à l'armement dans la région. Toutefois, à la

différence du conflit entre le Pakistan et l'Inde, ou entre l'Iraket l'Iran, la confrontation algéro-marocaine, par Front Polisario

interposé, demeure circonscrite à une guérilla dans le désert et

est au final peu coûteuse pour les finances publiques. L'annexiondu Sahara par le Maroc contraint l'Algérie à simplement rendre

cette absorption. indigeste. ou douloureuse, et sans doute est-ce

là l'une des principales raisons de la longévité de ce conflit. Riche

de sa rente pétrolière, l'Algérie peut se permettre le luxe d'entre-

tenir les populations sahraouies dans des camps de fortune et de

dénoncer l'indifférence du Maroc face aux droits des peuples à

l'autodétermination. De 1975 à 1991, de l'annexion au cessez-le-feu, l'Algérie contraint tout de même le Maroc à effectuer de

lourdes dépenses militaires au regard de son pm. Cette guerre

d'usure a coûté une dizaine de milliards de dollars à la monarchie,

forcée d'entretenir son armée (cent trente mille à cent soixante

mille hommes) en grande partie déployée dans le Sahara. Selon

les mots de Fouad Abdelmoumni: • Le coût de ce dossier, c'esttout simplement le non-développement du Maroc".»

La dispute du Sahara occidental a donc bloqué le dévelop-pement économique de la région du Maghreb. Mais cette perte

pénalise plus le Maroc que l'Algérie, qui peut compter SUT sa rentepétrolière. La position de principe de l'Algérie sur le Sahara - droit

du peuple sahraoui à un référendum sur l'autodétermination - se

36. K. Kadri et J, Fontanel, <Les conséquences stratéqico-économiquespour l'Algérie de ses relations politiques privilégiées avec l'URSS et laRussie (J962-1993)., Les Cahiers de l'espace, 11, 1997, p. 11.

37. F. Abdelmounmi, «Western Sahara: The Cost of the Conflict»,lCG, 65, 2007.

LES ILLUSIONS DE LA PUISSANCE PÉTROLItRE 1 79

traduit par une impasse diplomatique et donc par une tensionmilitaire. Dans sa rivalité économique avec le Maroc, l'Algérie,

aveuglée par les illusions de la rente pétrolière, considère que

le temps joue en sa faveur. L'abondance des revenus issus des

hydrocarbures lui permet de mener une • guerre privatisée» sans

fin qui ne manquera pas de ruiner le Royaume chérifien, de pro-

voquer des révoltes intérieures, en somme de remettre en questionle choix de l'annexion. Mais le contrechoc pétrolier de 1986, qui

se traduit par un effondrement du prix du baril, va faire voler enéclat cette stratégie, révéler le spectre de la faillite financière et

provoquer l'explosion d'émeutes en Algérie. Entre 1991 et 1993,

l'Algérie ne consacre plus que 145 millions de dollars à l'achat

d'armements et le soutien aux Sahraouis passe aux oubliettes

au regard de la menace que représentent les islamistes du Front

islamiste du salut (FIS) pour le régime. La rente pétrolière n'a pas

été pour l'Algérie une ressource suffisante pour vaincre le projet

d'annexion du Sahara par le Maroc. De façon symbolique, à lafin des années 1980, les deux pays sont endettés et offrent à leurs

populations un faible niveau de vie.La décennie 1980 a démontré les limites de la richesse pétrolière

à engendrer de la puissance militaire. La rente pétrolière n'a pas

été la ressource suffisante pour asseoir leurs ambitions régionales.

En dépit de ses gigantesques arsenaux, la Libye a été déboutée de

la bande d'Aouzou au Tchad, l'Algérie a été incapable de stopper la

lente digestion du Sahara occidental par le Maroc et la puissance

militaire de l'Irak a été balayée durant la campagne de libérationdu Koweït. En revanche, la rente pétrolière a aidé ces régimes àse maintenir en place en dépit de leurs défaites militaires, commele démontre le cas de la Libye en 1987 et de l'Irak en 1991. Alors

que le régime militaire argentin s'est effondré après sa défaite

aux îles Malouines face au Royaume-Uni", les régimes libyens et

irakiens surmontent leurs déroutes et démontrent une forte aptitude

à survivre. La rente pétrolière a offert l'opportunité d'acheter les

attributs de la puissance, de provoquer des conflits régionaux, de

38. G. Ducatenteiier, «Ouverture politique, transition démocratiqueet classe ouvrière en Arqentine», Politique, 12, 1987.

Page 42: Violence de La Rente Petroliere

80 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLlË:RE

les perdre, mais de parvenir, infine, à se maintenir. Au cours dela décennie 1980, les républiques pétrolières arabes et socialistes

découvrent que le pétrole n'est pas l'arme de destruction massive

qui bouleversera les rapports de force dans la région. Bien au

contraire, la richesse pétrolière est apparue comme éphémère,

lorsqu'après 1986, le contrechoc pétrolier plonge ces pays dansune crise économique inattendue.

- Le contrechoc pétroller : la fin des illusions

Jusqu'en 1986, l'Algérie, la Libye et l'Irak ont pu surmonter

les problèmes domestiques et régionaux auxquels ils ont été

confrontés: émeutes, mouvements sécessionnistes et conflits

régionaux ont été endigués. Avec un taux de croissance de 6 0/0

par an entre 1970 et 1985, la Libye peut oublier sa guerre contre

l'Égypte en 1977 et les déboires de sa politique africaine; l'Al-

gérie a vite tourné la page des émeutes du printemps berbère de

1980 et l'Irak parvient à reconstruire, de façon spectaculaire, les

infrastructures détruites durant la guerre contre l'Iran. Jusqu'au

contrechoc pétrolier, ces régimes offrent une impression de stabilitéet de maîtrise de leur avenir. Mais la chute, en quelques mois, du

prix du baril, de JO dollars à moins de 10 dollars, provoque, et

pour la première fois depuis 1973, un sentiment de vulnérabilité

au sein de ces régimes. Ceux-ci découvrent brutalement que leurstabilité repose ... principalement sur le prix du baril de pétrole.

L'Irak, qui a commencé sa guerre contre l'Iran avec 30 milliards

de dollars de réserve, est contraint de s'endetter massivement pour

faire tenir son économie de guerre. L'Algérie refuse d'admettre

l'échec de son modèle économique et peine à se reconnaître en

crise. La chute spectaculaire du prix du baril met un terme à la

croyance dans d'or noir. comme moteur du développement.La stabilité de l'Algérie, de l'Irak et de la Libye repose sur des

économies rentières, et la remise en cause de leurs modalités de

fonctionnement ne peut manquer de provoquer des résistancesau sein des coalitions autoritaires qui ont su en tirer profit. Face

à la réduction drastique des revenus, les gouvernants se trouvent

contraints soit à des réformes économiques profondes, soit au

maintien du système, mais au prix d'un endettement massif.

LES ILLUSIONS DE LA PUISSANCE PÉTROLlËRE 81

Au final, ils utilisent les deux leviers. S'il est une chose que le

contrechoc pétrolier de 1986 confirme, c'est bien l'hypothèse

que le boom pétrolier des années 1970 a réduit les capacités de

prévisions des gouvernants. L'abondance des revenus a détruit

tout outil d'analyse des risques au sein des administrations et

des organismes chargés d'évaluer les politiques économiques. La

croyance en une hausse permanente et quasiment irréversible du

prix du pétrole a fait perdre de vue la précarité et la fragilité deces économies rentières". Avec la même conviction et le même

empressement qui ont nourri la croyance en un nationalisme

pétrolier au service du développement, les gouvernants cherchent

à présent à imposer des réformes économiques parfois radicales,sans en mesurer les conséquences sociales. Ainsi, la libéralisa-

tion économique va produire du chômage et de l'inflation sans

améliorer pour autant les performances économiques. Au final,

ces réformes accoucheront d'une économie informelle prospère.

- Une libéralisation économique improvisée

«Avec le déclin des revenus pétroliers dans les années 1980,

tous les pays exportateurs de pétrole ont tenté de libéraliser

leurs économies en stoppant les subventions, en réduisant les

dépenses publiques, en encourageant le secteur privé à jouer un

rôle plus important dans les secteurs industriel, commercial et

agricole ... dans les soi-disant pays "socialistes", comme la Libye

et l'Algérie, ces réformes ont été bloquées par les cadres du parti,

l'administration et les syndicats. L'Irak, en revanche, au sortir de

sa guerre de huit ans avec l'Iran, a mis en place le programme de

privatisation le plus vaste des pays en voie de développement".»

L'ampleur des réformes lancées par le régime irakien provoque

un chaos économique particulièrement inquiétant pour le partiBaath, étant donné qu'en 1987, 96 0/0 de la population active est

39. Ahmed Dahm(mi, L'Algérie à l'épreuve. Économie politique desréformes (I980-1997), Paris, l'Harmattan, 1999.40. Kiren Aziz Chaudhry, «On the Way to Market. EcollOmic libera-lisation and lraq's Invasioll of Kl/wait», Middle East Report, m.ai-juin 1991, p. ]4.

Page 43: Violence de La Rente Petroliere

82 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

employée par des entreprises publiques. La population trouveque chômage plus inflation après huit ans de guerre contre l'Iran

sont particulièrement difficiles à accepter: .À mesure que la crise

s'accentuait, le désastre économique s'est transformé en crise

politique" .• Dans l'agriculture, le gouvernement a mis en œuvre

une réforme sur les droits de propriété: 53 0/0 des terres agricoles

contrôlées par l'État sont privatisées, 46 Ofo sont louées par l'État

et seulement 1 0/0 reste sous son contrôle". La privatisation des

entreprises publiques et des terres agricoles a permis au régimede recomposer une base clientéliste dans les nouvelles élites: .Àl'inverse de l'ancienne élite commerciale, le nouveau secteur privé

qui est apparu a de forts liens politiques, financiers et familiauxavec le régime'".» L'État rentier bienfaiteur des années 1970 a

cessé de fonctionner, comme l'illustre l'abolition des impôts sur

le profit des entreprises privées, alors que celui-ci alimente le

fond de la sécurité sociale des travailleurs. En 1989, toutes les

entreprises sont exonérées d'impôts pour dix ans.En Libye, la chute du prix du baril de pétrole à partir de 1985

provoque un effondrement des revenus: de 20 milliards de dollars

en 1981 à 5 milliards en 1986. Alors que le pays est engagé dans unecoûteuse politique d'armement, ce retournement financier réduit

considérablement les finances de la Iamahiriya. Mais le régime

est parvenu à surmonter cette baisse des revenus, notammentgrâce aux placements de ses pétrodollars dans des organismes

financiers internationaux (en 1992, la Lafico gérait, par exemple,

un portefeuille estimé à 8 milliards de dollars). Si la Jamahiriyaparvient donc tant bien que mal à maintenir son effort de guerre

au Tchad, le niveau de vie des Libyens, en revanche, n'a cessé de

se détériorer, et la restriction des importations a provoqué des

pénuries, sources de spéculation sur les produits alimentaires. En

1988, afin de compenser les défaillances du système de distribu-

tion, le régime lève l'interdiction qui pèse sur le commerce privé.

41. Kiren Aziz Chaudhry, .011 the Way ta Market>, art. cité, p. 20.42. R. Springborg, «lraqi infitah» Middle East Journal, 40 (1), 1988,p.35-56.43.K. Aziz Chaudh'ry, «Dn the Way to Mamet», art. cité, p. 18.

LES ILLUSIONS DE LA PUISSANCE PÉTROUËRE 1 83

À partir de 1988, Kadhafi annonce un certain nombre de réformes

qui s'apparentent à des recommandations du FMI: libéralisation

du commerce, suppression des subventions sur certains produits

(blé, thé, etc.), autorisation aux agriculteurs de vendre leurs

produits sur des marchés privés. En 1990, une deuxième vague

de mesures est annoncée: fermeture des entreprises publiques en

faillite, réduction des effectifs de fonctionnaires, adoption d'une

législation sur les investissements étrangers et sur l'accès auxcrédits publics pour les entreprises privées. En 1993, des projets

visant à la promotion du tourisme sont lancés et la convertibilité

du dinar autorisée. Cette libéralisation économique est stoppéepar la mise sous embargo de la Libye par le Conseil de sécurité de

l'Organisation des Nations unies (ONU). Les priorités du régime

changent et les problèmes économiques sont marginalisés au

profit des questions politiques et sécuritaires".Quant à l'Algérie, elle voit ses revenus issus de la vente des

hydrocarbures se réduire de 50 % en 1986: de 10 milliards de dollars

en 1985, ils passent à un peu plus de 5 milliards. Comme l'Irak

et la Libye, le gouvernement cherche donc à réduire les dépenses

de l'État. Refusant le recours public au FMI, il met en œuvre

une politique de libéralisation qui vise à rendre plus autonome

les entreprises publiques, à favoriser des investissements directsétrangers (IDE), à refonder la gestion et les droits de propriété des

entreprises agricoles, à modifier la loi sur la monnaie et le crédit".

Deux écoles se disputent la réforme: pour certains, la crise étant

conjoncturelle, il faut s'adapter en attendant la remontée du prixdu pétrole; pour d'autres, la crise est structurelle, elle révèle l'échec

44. D. Vandewalle, .Qadhafi's Perestroika: Economie and politiealLiberalizatiol! in Libya », The Middle East Journal, 45 (2), 1991;F. Burqat, .1989: ['ouverture entravée., Annuaire de l'Afrique duNord, tome XXVII, J 989, Paris, CNRS, 1991; M. 8. Altun.isik, .ARenier State's Response to Oil Crisis: Economic Reform Policies Ùl

Libva», Arab Studies Quartely, septembre 2002.45. Y. 8enabdallah. «La réforme économique el! Algérie: entre renteet production., Maghreb-Machrek, 166, septembre-octobre 1999,p. 17; G. Coml, •La réforme économique algérienne: une réformemal aimée., Maghreb-Machrek, 139,janvier-mars 1993.

Page 44: Violence de La Rente Petroliere

84 1 VIOLENCE DE LA RENTE PtTROLlÈRE

économique et le remède passe par la transformation en profon-

deur de l'économie rentière. Mais il semble difficile de toucher au

secteur des hydrocarbures tant celui-ci continue à fasciner: il a

permis, durant la décennie 1970 de faire passer les revenus exté-

rieurs de 0,2 milliard à 12,5 milliards. Pourtant, avec le maintien

des recettes annuelles autour de 5 milliards de dollars entre 1986

et 1990, l'État ne peut plus assumer les dépenses courantes sans

avoir recours à un endettement massif. Ainsi, entre 1985 et 1988,la dette totale double en volume pour atteindre 26 milliards de

dollars. Son remboursement conduira l'Algérie à une menace defaillite financière au début des années 1990, le service de la dette

absorbant l'essentiel des revenus issus des hydrocarbures. L'âge

d'or est terminé pour le plus grand nombre, et l'échec du modèle

algérien de développement devient une illustration de la malédic-

tion des ressources. En 1989, un gouvernement de réformateurs

se donne enfin pour objectif de «réaliser des changements insti-tutionnels et économiques irréverstbles'?» avec le soutien discret

du FMI. Les résistances à un tel projet sont nombreuses, tant de

la part de ceux qui bénéficient de la bienfaisance de l'État que de

ceux qui en profitent et qui se voient, dans un contexte de crise,

accusés de corruption et de détournement". Soucieux de mener

à la fois des réformes économiques et politiques, les réformateurs

vont perdre le contrôle de la transition avec la victoire massive,

et inattendue, du FIS aux élections municipales et législativesde 1990 et 1991. La menace que les islamistes font peser sur le

régime relègue la réforme aux oubliettes.Le contrechoc pétrolier a donc déstabilisé les mécanismes de

redistribution de ces États. Confrontés à des revendications et àdes contestations sociales, les régimes algérien, libyen et irakien

sont soumis à une profonde remise en question de leur légitimité.La chute des revenus et J'augmentation des demandes sociales,

inhérentes au triplement de la population et à sa transformation,

46. Gllazi.Hidouci, «L'Algérie peut-elle sortir de la crise? », Maghreb-Machrek, 149,juil/et-septembre 1995, p. 27.47. Ahmed Dahmani, L'Algérie à l'épreuve. Économie politique desréformes (1980-1997 ï. Paris, l'Harmattan, 1999, p. 148.

LES ILLUSIONS OE LA PUISSANCE PÉTROLIÈRE 1 85

ont contraint les gouvernants à redéfinir leurs politiques écono-

miques. Si la crise économique n'a pas provoqué l'effondrement

des régimes autoritaires, elle a en revanche ouvert une période

d'instabilité" qui débouchera sur des conflits internes. En effet,

pauvres mais surannés, les régimes parviennent à mettre en

œuvre, à la faveur du recours à la violence et dans le cadre parfois

de guerre civile, une reconsolidation de leur pouvoir. Pour les

populations, J'État bienfaiteur s'est mué, selon les cas, en État

«barbare» ou «tyrannique» ou «dictatorial ». Les régimes ont ainsi

démontré que, s'ils sont incompétents sur les plans économique

et militaire, ils sont bien plus robustes et imaginatifs que ce que

leurs opposants pensent sur le plan de la répression. Pour ces

régimes confrontés à la survie, la sortie de l'autoritarisme n'est

certainement pas une priorité dans leur agenda politique.

- La rente pétrolière favorise-t-ellel'écrasement des révoltes?

Au début de la décennie 1990, rendus vulnérables par les effets

pervers de la mise en œuvre des politiques de libéralisation éco-nomique, Fragilisés par leurs défaites militaires, contestés par des

mouvements islamistes et sécessionnistes, 'les régimes militairespétroliers ont fini par se retourner contre «leur société », Pris dans

les filets des sanctions et condamnations internationales, l'Irak, laLibye et l'Algérie sont soumis à un embargo, total pour le régime

de Saddam Hussein, partiel pour le Guide de la Jamahiriya et

moral pour les généraux algériens. Ces pays, considérés comme des

modèles de développement dans les années 1970, sont devenus des« États parias=» infréquentables, en public, pour la communauté

internationale. Une brutale répression va s'abattre, à huis clos,

sur les opposants et contestataires de ces régimes humiliés sur

48. Dillman, Bradford, «The Political Economy of Structural Adjustmentin Tunisia and Algeria. >, The Journal of North African Studies, 3,1998, p. 1-24; M. Louii and G. okruhlik, «Rentier Wealt'!l, UnrulyLaw, and the Rise of Opposition: The Political Economy ofOiI States»,Comparative Polities, 31 (3), 1999, p. 295-315.49. Tim Niblock, Pariah States and Economie Sanctions in the 'MiddleEast: Iraq, Libya, Sudan, Boulder iColo.), Lynne Rie/mer, 2001.

Page 45: Violence de La Rente Petroliere

86 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

le plan régional et fortement contestés sur le plan national. Par

un terrible retournement de l'histoire, ces régimes, nés de coups

d'État, portés par une idéologie égalitariste, se sont transformés

en machine infernale inspirant la peur ou la révolte au plusgrand nombre. Républiques arabes socialistes, les régimes sont

contestés par des opposants porteurs d'un projet d'État islamique.

Si la richesse pétrolière a aveuglé les régimes et les a conduits

à la faillite financière, elle a également détruit ses aptitudes àpercevoir et prévoir les transformations de leur société.

La brutalité des régimes face à leurs opposants illustre l'idéologie

de combat qui anime les élites dirigeantes. Convaincu d'être le

seul dépositaire légitime de l'État, le parti Baath en Irak exige lasolidarité arabe sunnite dans l'écrasement du soulèvement chiite

de mars 1991. La violence de la répression est à la hauteur des

inquiétudes du régime qui, sorti défait de sa confrontation avec

les alliés, perçoit dans l'insurrection une remise en question de la

légitimité de j'État fondé en 1920 sur une base arabe sunnite 50. En

Algérie, la défaite du parti FLN aux élections législatives de 1991

et la probable instauration d'un État islamique effraie l'armée qui,

non seulement voit le processus électoral lui échapper, mais, de

plus, entrevoit dans le discours des islamistes la perspective de

faire des généraux les victimes expiatoires du nouvel État isla-mique". Pour l'armée, autoproclamée dernier rempart de l'État,

les islamistes sont porteurs d'une révolution qui va balayer la

République arabe socialiste postcoloniale. La destruction systé-

matique des islamistes algériens rappelle celle des communistes

en Indonésie en 1965": elle vise à • purifier» un corps social etpolitique perçu comme entaché des tares de l'histoire et de la

culture". En Libye, l'écrasement de la guérilla islamiste s'inscrit

dans un registre identique: pour Kadhafi, les islamistes sont «lesida » politique de la société qu'il faut impérativement détruire afin

50. Pierre-Jean LI/izard, La Question irakienne, Paris, Fayard, 2002,p.35.51.LI/is Martines, La Guerre civile en Algérie, Paris, Karthala, 1997.52. J-L. Marqotin, -Indonésie 1965: un massacre oublié», Revueinternationale de politique comparée, 8 ii), 2001.53. J. Semelin, Purifier et détruire, Paris, Seuil, 2005.

LES ILLUSIONS DE LA PUISSANCE PÉTROLIÈRE 1 87

de survivre. Les islamistes libyens, pour la première fois depuis

le coup d'État de 1969, portent la violence contre le régime à

l'intérieur du pays. Jusqu'alors, les mouvements d'opposition au

régime étaient rejetés à l'extérieur du territoire (Égypte et Tchad)

et résultaient d'une complexe politique d'alliances régionales. Les

islamistes libyens considèrent qu'ils doivent nettoyer la Libye dela Jamahiriya. Pour eux, « la société justes imaginée par Kadhafi a

sombré dans la corruption et la débauche. il est temps de purifier

le territoire libyen de la «maladie. que représente M. Kadhafi".La brutalité de la répression va être efficace grâce aux béné-

fices apportés par la rente pétrolière. Celle-ci a favorisé une

urbanisation rapide et l'édification d'infrastructures modernes

(autoroutes, aéroports, etc.) qui facilitent grandement la tâche

des appareils répressifs. La densité urbaine permet par exemple

aux hélicoptères de la garde républicaine en Irak de provoquer

un carnage dans la population et d'instaurer la terreur très rapi-

dement. De même, les maquis algériens et libyens offrent des

garanties de survie limitées face au pilonnage de l'aviation. Par

contraste, le régime soudanais a éprouvé depuis des décennies

d'énormes difficultés à réduire ses opposants. Avec la mise en

marche, à partir de 1998, de l'exploitation de l'oléoduc jusqu'à

la mer Rouge, le régime soudanais voit ses revenus extérieurs

augmenter, permettant le financement de milices, améliorantainsi ses capacités de représailles contre les «rebelles» et donc de

négociation". Les améliorations réalisées dans les infrastructures

durant la décennie 1970 se sont transformées en un outil efficace

dans la répression au début des années 1980: le territoire estdevenu utile, les villes accessibles et aisément contrôlables par

des régimes qui se sont dotés d'un appareil répressif efficace. En

revanche, il leur faut s'assurer que les guérillas seront incapables

de saboter l'industrie des hydrocarbures, en particulier les réseaux

de pipelines et gazoducs reliant les champs pétrolifères aux sites

d'exportations. En somme, éviter le spectre des actes de sabotage

54. Luis Martinet, The Libyan Paradox, Londres, Hurst, 2007, p. 70.55.1. Shankleman. ail, Profits and Peace, Washington (D.Cl, UnitedStates Institute of Peace, 2006, p. 121.

Page 46: Violence de La Rente Petroliere

88 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

et kidnapping si présents au Nigeria" ou les attaques des instal-

lations des compagnies pétrolières comme Chevron au Soudan".Peut-on dire alors que la rente pétrolière facilite l'écrasement des

guérillas? En fait, la décennie 1990 a validé l'hypothèse selon

laquelle les régimes autoritaires pétroliers ont un avantage décisifdans leur confrontation avec des guérillas. Les hydrocarbures,

à la différence des diamants ou de l'or, offrent au régime quiexploite ce secteur des garanties de monopole sur l'exploitation

et la commercialisation. Certes, des organisations de guérilla

peuvent toujours, comme au Nigeria et en Irak, détourner par-ci

par-là des barils de pétrole, mais elles ne peuvent pas, dans la

durée, bénéficier des revenus de ce secteur, car il nécessite une

industrie pour l'exploiter". De plus, le soutien populaire dont

les guérillas islamistes peuvent disposer ne peut se traduire en

reconnaissance par la communauté internationale, en raison des

craintes que fait naître sur le marché énergétique mondial le

spectre de leur prise de contrôle des ressources pétrolières. Pour

ces deux raisons, technique et politique, les régimes disposent

des conditions nécessaires à une victoire plus ou moins longue

en fonction du niveau de brutalité qu'ils sont prêts à mettre enœuvre. L'écrasement des guérillas en Irak, en Algérie et en Libye

valide cette hypothèse.

Des insurrections vouées à l'échecEn mars 1991, une violente insurrection éclate en Irak qui,

pendant deux semaines, menace le régime. Du sud au nord, lespopulations, portées par un sentiment de colère et d'injustice

face au drame de la débâcle de l'armée irakienne, prennent pour

cible les symboles du parti Baath et de son régime. Le rêve d'une

insurrection générale, si longtemps nourrie par les mouvements

56. J. Ejobourah. Baye, .Oil Dependency and Civil Conftict i.nNiqeria», Center for the study of African Economies, 268 12},2007.

57. J. Rone, «Sudan: Oil and Wan, Review of African PoliticalEconomy, 30 197}, 2003.58. M. Humphreys, «Naturai Resources Conflic/' and ConfïictResotution», The journal of Confliet Resolution, 49 149}, août 2005.

LES ILLUSIONS OE LA PUISSANCE PÉTROLIÈRE 1 89

d'oppositions kurdes comme islamistes, devient réalité, même si

sa spontanéité échappe complètement au contrôle de ces mou-

vements. En raison de sa «totale impréparation », ce soulèvement

est voué à l'échec et à une destruction programmée. En effet, le

régime de Saddam Hussein, à la différence de ses opposants, estbien préparé: « En 1991, Sadd am Hussein avait organisé ses forces

armées dans la perspective de faire face à trois fronts: au nord,

au sud et dans la capitale, en présumant qu'au moins un de cesfronts serait le 'théâtre d'une msurrection".» À la fin du mois de

mars, la garde républicaine a écrasé l'insurrection et massacré les

révoltés, ne laissant au soulèvement ni le temps de s'organiser,

ni celui de souder tous ceux qui, au sein de l'armée ou dans les

rangs de l'opposition, partagent la conviction que le régime ne

doit pas survivre au nouveau drame qu'il vient d'imposer aux

Irakiens. Le moment fondateur de la révolte est «l'abandon» de

l'armée par le régime à la suite de la campagne militaire pourlibérer le Koweït. Le massacre de celle-ci sur «l'autoroute de la

mort» (AI Mutla) par l'aviation alliée fait souffler le vent de la

révolte, y compris dans ses rangs. Cette armée, composée à plus de80 0/0 de Chiites - mais à 20 Dio seulement chez les officiers - est

à l'origine d'un soulèvement porteur d'un changement de régime.

Mais la peur de voir l'insurrection déboucher sur l'instauration

d'un État islamique soude autour du régime ceux qui considè-

rent le maintien de Saddam Hussein comme une option moins

pire qu'une république islamique. Ils sont peu nombreux, mais

suffisamment inquiets, pour rester unis dans la destruction de

leurs ennemis. Ainsi, la faiblesse du régime face à ses ennemis

extérieurs, qui vient de le chasser du Koweït, est compensée par

une férocité et une brutalité inouïe contre les siens.Avec un degré de violence moindre, le régime algérien fait

preuve d'une attitude comparable. Incapable de stopper l'annexion

du Sahara occidental par le Maroc, frappé par l'échec de son

modèle économique et conspué par des émeutiers qui ne manquent

jamais de dénoncer l'accaparement de la rente pétrolière par une

59. Falen Abdeta! Jabbar. «Why the Uprisinq Failed », Middle EastReport, 176, mai 1992, p. 13.

Page 47: Violence de La Rente Petroliere

90 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLlËRE

minorité, le président Chadli Bendjedid offre comme réponse àtoutes ces rancœurs la fin de l'État-FLN. À la différence de l'Irak,l'Algérie ne part pas en guerre contre le Maroc, elle fait le choixd'une transition démocratique qui, cependant, débouche sur uneguerre civile. La révolution algérienne a accouché d'un État-FLN dont les fils pourfendent le socialisme islamique et rêventd'instaurer un authentique État islamique'", Victorieux à deuxreprises d'élections qu'il n'a pas exigées, le Front islamique dusalut (FIS) découvre la puissance de son parti et par là même lavulnérabilité du régime. Sa défaite électorale doit s'accompagnerd'une reddition sans condition. La crainte de devenir les victimesexpiatoires d'un État islamique fondé sur la vertu pousse lesdirigeants de l'armée à affronter « ce peuple ingrat» à la mémoiresélective. À la différence de la garde républicaine en Irak, l'arméealgérienne, composée de cent soixante mille hommes, n'est paspréparée à une insurrection armée. Un corps d'armée de lutteantiterroriste, de quatre-vingt mille hommes, est créé en un tempsrecord afin de mener le combat, auquel s'ajoutent des volontairesprêts à créer des milices. Mais une fois le parti islamiste dissous,ses militants arrêtés, l'armée doit affronter une guérilla forted'environ trente mille combattants. En 1994, après une meilleureréorganisation, l'armée lance sa « guerre totale» contre les groupesarmés et parvient à les éradiquer. Divisée en plusieurs tendances,la guérilla islamiste bénéficie dès le début d'un très fort soutienpopulaire qui laisse penser qu'elle peut renverser le régime. En1994, l'hypothèse d'un effondrement du régime algérien inquièteles chancelleries des pays voisins. Les «émirs» de la guérilla sontconvaincus que le temps joue en leur faveur et que le régime vatôt ou tard s'effondrer sous les coups de boutoir dujihad. Après lalutte des nationalistes contre l'occupation coloniale, les islamistesprétendent lutter pour l'instauration d'un État islamique. Mais,en 1998, la guérilla est vaincue; la guerre a provoqué la mort decent cinquante mille civils et le déplacement de plus d'un millionet demi de personnes. Comme en Irak, les dirigeants militairessont restés unis dans l'adversité et sont parvenus à convaincre

60. F. Burgat, L'Islamisme au Maghreb, Paris, Payot, 2008.

LES ILLUSIONS DE LA PUISSANCE PËTROLItRE 91

les sceptiques qu'un État islamiste serait plus dangereux que lemaintien de l'ancien régime. Victorieuse, l'armée ne manquepas de rappeler que l'une de ses missions est de sauver l'Algériedes multiples complots qui la menacent: «Il est indéniable quel'armée algérienne, dans son unité et sa cohésion, jouissant de laconfiance des forces nationales, cette armée était réellement unrempart qui a empêché le succès du FIS ainsi que de l'oppositionqui lui était liée. Je ne sais pas quels sont les partis et les partiesliés au FIS. Mais on peut les imaginer. Ils ne sont pas uniquementAlgériens. Je ne verse pas dans la langue de bois en disant queces partis et parties sont aussi étrangers" .• Le Maroc, sans êtrenommément cité, est considéré comme l'allié objectif des islamistes.Défait sur le plan électoral, en 1990 et 1991, le régime a pris sarevanche militaire entre 1993 et 1998: il a vaincu une guérillaforte d'un soutien populaire. Comme l'Irak, le régime algérien adémontré dans l'adversité des aptitudes inouïes au combat, enparticulier, contre ses « enfants égarés» que sont, dans la visiondu régime, les islamistes.

En Libye, la rébellion armée contre le régime n'a pu bénéficierd'un contexte aussi favorable que celui de l'Irak après sa défaitemilitaire au Koweït ou que celui de l'Algérie après l'interruptiondu processus électoral en janvier 1992. Les conditions politiquespour une insurrection réussie n'existent pas, seules les sanc-tions internationales peuvent laisser penser que la Jamahiriyaest affaiblie par son isolement international. Lorsqu'en 1995,

les insurgés islamistes se lancent dans une guérilla contre lerégime, ils croient que les sanctions internationales l'affaiblirontdurablement et en profondeur. De même que l'Irak baathiste etde l'Algérie socialiste, la Libye révolutionnaire apparaît pour lesopposants islamistes comme impie. En 1995, émerge le GroupeIslamiste Combattant Libyen (GICL).Il appelle au jihad contre lerégime de Kadhafi pour mettre fin à la situation dans laquelleil maintient les musulmans libyens: dl n'y a pas de doute quela situation tragique de la société libyenne est perceptible partous, même ceux qui s'intéressent le moins à la situation des

61. Général Touati, El Watan, 27 septembre 2001.

Page 48: Violence de La Rente Petroliere

92 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

musulmans. L'absence d'un régime islamique - qui aurait garantile salut et la paix dans ce monde et au-delà - est la cause de cette

situation'" .• Entre 1995 et 1998, le GICL mène des opérations de

guérilla contre les forces de sécurité dans la région de Benghazi

et provoque une vive réaction de la part du régime, à savoir le

bombardement des massifs montagneux du Djebel el Akhdar où

se cachent les militants islamistes. Ces derniers sont associés par

le régime à la menace impérialiste: «Notre révolution, proclame

Kadhafi en 1993, est une révolution fondamentale, une révolution

de J'authenticité. Nous sommes les leaders d'une authentique et

fondamentale révolution; seuls la révolution et le panarabismesont en mesure de combattre J'impérialisme et ses alliés locaux

que sont les islamistes .• Bien que surpris, le régime réagit avec

rapidité. La difficulté géographique à laquelle est confrontée la

guérilla (une seule zone de refuge, la montagne verte), associée

à un espace habitable restreint (3 Ofo du territoire), a permis aux

forces de sécurité libyennes de mener à bien la contre-insurrec-

tion. De plus, J'édification d'infrastructures modernes facilite

ici aussi le transport des troupes et l'usage alterné des moyens

aériens et terrestres pour réprimer. Pour combattre les islamistes,

comme en Irak, le régime mobilise, non pas l'armée, mais la garde

révolutionnaire à laquelle se joignent des mercenaires étrangers.

À leur grande stupeur, les insurgés découvrent les capacités deréaction d'un régime qu'ils croient à bout de souffle: «Le régime

vit une situation d'hystérie dont je doute qu'il en ait déjà connu

une de cette ampleur auparavant; il regroupe toute sa puissancemilitaire pour essayer d'éradiquer le Groupe islamique combattant.

Les Libyens n'ont pas bombardé leur propre pays depuis l'occupa-

tion italienne. Et pourtant, nous assistons au bombardement, parl'aviation libyenne, des positions des Moujahidin dans le Djebel

el Akhdar, haut lieu de la résistance contre l'occupation italienne.

Aujourd'hui, cette région est un des nombreux lieux de résistance

du Groupe islamique combattant. À ce jour, il a regroupé environ

10000 soldats dans la région qui comprennent des troupes serbes

62. Nida'ullslam, octobre-novembre J 996, p. 25, http://1Iiww.islam.org.

LES ILLUSIONS DE LA PUISSANCE PÉTROLIÈRE 1 93

issues de l'ex-Yougoslavie'".» Entre 1995 et 1998, la région duDjebel el Akhdar est J'objet d'un quadrillage sécuritaire impor-

tant. Des barrages routiers sont postés tous les dix kilomètres et

les forces de sécurité vérifient l'identité de tous les passagers. La

brutalité de la répression signifie clairement l'ambition de détruire

par tous les moyens la dynamique de contestation. L'utilisation

d'armes lourdes pour venir à bout de la mutinerie de la prison de

Bou Salem à Tripoli" marque durablement les esprits.Entre 1995 et 1998, le GICL échoue à transformer sa violence

en situation insurrectionnelle. Il ne parvient pas à créer une

dynamique de contestation légitime transcendant les apparte-

nances tribales et régionales. Bien que sa violence soit demeurée

cantonnée principalement en Cyrénaïque, il ne parvient pas à créer

cet amalgame nécessaire à la disqualification du régime: faire

croire que la répression s'inscrit dans la continuité de la violence

de la colonisation italienne. De plus, il a sous-estimé la capacité

de réaction et de défense du régime. Comme les mouvements

islamistes armés algériens, le GICL a confondu vulnérabilité et

faiblesse. La vulnérabilité du régime de Kadhafi sous l'embargone signifie pas qu'il est dans l'incapacité de réagir pour autant. Le

GICL n'a pas eu l'opportunité de cristalliser la rancœur contre le

régime par l'exploitation politique d'une injustice (l'interruption du

processus électoral en Algérie), voire d'un sentiment humiliation(la défaite de l'armée irakienne). Le déclenchement du jihad en

1995 n'a pas provoqué de dynamique de contestation générale.

Aussi, la réaction du régime peut-elle être fatale à la dissidence

armée des islamistes qui découvrent les logiques de survie d'un

régime vulnérable.

63. Nida'ul Islarn, octobre-novembre J 996, http://www.islam.org.64. Un communiqué du Mouvement libyen pour le changement etla réforme, du 22 juillet J 996, dénonce la répression par le régimede la mutinerie à la prison de Bou Salem à Tripoli, qui auraitfait des centaines de victimes au mois de juillet J 996. El Hayat,28 juillet J 996.

Page 49: Violence de La Rente Petroliere

94 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

Le recours aux organisations paramilitaires

Choyées sur le plan du matériel militaire durant la périoded'abondance financière, les armées ont été, après le contrechoc

pétrol~er, ~élaissées par les coalitions qui gouvernent au profit des

org~rusatl.o~s ,paramilitaires, plus adaptées à la contre-guérilla.Apres aVOIr ete encensées pour leur fonction de « rempart. (contre

l'avancée du désert en Algérie, contre la révolution iranienne

en ~rak, contre l'impérialisme et le colonialisme en Libye), elles

deVlen~ent le symbole de l'échec des régimes. Pourtant, elles ontabsorbe une grande partie des revenus durant le boom pétrolier

(l97~-.1985): 102 milliards en Irak, 35 milliards en Libye et

20 mIlh~rds en Algérie. Inspiré du modèle soviétique, le format de

ces arme:s est cal.qué sur un système de défense assez statique. Laconscnption represente l'essentiel des troupes et l'armée nationale

se présente comme un des symboles de la nation". Les censé-

q~ence.s de ces décisions politiques se feront sentir au cours de ladécennie 1990. Les s~nctions internationales imposées aux régimes

ont en fait provoque la détérioration de leurs matériels militairesen raison de rinterdiction d'achats d'armes. Sur le plan politique,des orgamsationg paramilitaires ont émergé, qui menacent leur

place dans le dispositif de sécurité des régimes et qui, en Irak

et en Libye, risquent de les marginaliser. Face à la nécessité decombattre les ennemis de l'intérieur,la puissance accumulée pour

des conflits exté?eurs perd toute sa valeur. De façon symbolique,

au cours de la decennie 1990, les forces paramilitaires semblent

plus puissantes et plus fiables pour les coalitions gouvernantes.Tout comme l'économie, les appareils sécuritaires se transforment

en profondeur, au profit de structures plus souples, car fondées sur

des.liens d'allégeances claniques, tribales ou régionales. L'arméenationale semble avoir disparu ... à l'instar de l'État soumis à

l'embargo. Si la défense nationale reste préoccupante au niveau

65. E. Picard, .• Arab Mi/itary in Politics : from Revolutionnary Plotta Authontanan States, dans A. Dawish et L. W. Zartman (eds),Beyond Coercion : the durability of the Arab State, Londres, CroomHe/m, 1988, p. 730.

LES ILLUSIONS DE LA PUISSANCE PËTROUËRE 1 95

régional, la sécurité des régimes paraît beaucoup plus sûre sousla houlette des organisations paramilitaires.

L'invasion du Koweït par l'Irak a provoqué la destruction de

l'armée irakienne par les troupes alliées et réduit à néant ses projets

stratégiques: • Les choix du régime ont été strictement circonscrits

par l'objectif de parvenir à la parité militaire avec Israël et à laupériorité stratégique sur l'Iran. Ce n'est pas en soi la preuve

d'une ambition expansionniste. L'Irak a cherché à devenir une

puissance militaire pour se prémunir contre une agression par unepuissance régionale".» La quatrième armée du monde disparaît

pour ne laisser au régime que la garde républicaine qui devient le

véritable pilier du régime sous l'embargo. Composée de membresélection nés dans les clans les plus fidèles à Saddam Hussein,

Ile a assuré la défense du régime en détruisant les • ennemis de

l'intérieur» et en dissuadant les nostalgiques de l'armée de tenter

un renversement du régime. L'objectif de supplanter l'Égypte en

tant que puissance régionale arabe s'effondre après l'erreur straté-gique d'envahir le Koweït". L'armée irakienne, que le parti Baath

a dans la guerre contre l'Iran édifiée au rang de symbole de la

nation arabe, en sort profondément affaiblie. Cette armée compteprincipalement des Sunnites dans les rangs de ses officiers, sa

violence contre les tribus arabes chiites, les Assyriens, les Kurdes

puis les communistes, s'inscrit dans le cadre du développementd'un sentiment national arabe. La base ethnique (arabe sunnite)

de cet État devient alors évidente, bien qu'aucune constitution

ne légalise ce principe". L'État-nation se fonde sur l'arabisme au

détriment des élites persanes dominantes de l'Empire ottoman au

mandat britannique, et la prise du pouvoir en 1968 par le parti

66. Kiren Aziz Chaudhry, «On the Way to Market>, art. cité, p. 8.67. J. F. Devlin, «The Baath Party: Rise and Metamorphosis », TheAmerican HistoricaJ Review, 96 (5), décembre 7991, p. 1406.68.P-J. Luizard, écrit: «Lesforces années comptent 382000 hommesd'active et 500000 hommes de réserve, dont 100000 de la garderépublicainE, auxquels il faut ajouter 45000 hommes des forcesde sécurité, 100000 autres des forces spéciales et les fedayin deSaddam ... Ces effectifs masquent le fait que l'année est en ruine"dans P.J. Luizarâ, La Question irakienne, op. cit., p. 727- }29.

Page 50: Violence de La Rente Petroliere

96 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

baathiste accélère considérablement ce processus. À la différencedes précédentes répressions, celle de mars J 991 démontre la

formidable brutalité du régime, née de la puissance octroyée parla rente pétrolière.

En Libye, les sanctions internationales ont provoqué l'effondre-ment de l'armée qui s'est retrouvée privée des moyens d'entretenir

ses équipements militaires'", Sous l'embargo, ses quarante-cinq

mille hommes ont perdu progressivement l'importance qu'ilsavaient eue durant les années 1970 et au début des années 1980.

Dès 1991, le ministère de la Défense est supprimé. L'armée n'a pas

été mobilisée pour combattre la dissidence armée islamiste. Les

tentatives de coup d'État militaire, entre 1993 et 1995, l'ont placé

en disgrâce au profit de la Garde révolutionnaire et des structures

paramilitaires de défense du régime. La garde révolutionnaire est

en charge de la défense du régime, la garde républicaine a pour

mission la défense de Kadhafi et de sa famille, et les bataillons de

sécurité du contrôle des principales villes. La fonction répressivede ce dispositif sécuritaire est manifeste. Le développement, sous

l'embargo, d'un sentiment de vulnérabilité a provoqué le repli

de la Iamahiriya sur ses instruments de répression. Les menaces

qui pèsent sur le régime ont provoqué sa contraction au profit

de personnalités considérées comme sûres par Kadhafi. Plus que

la compétence, c'est l'allégeance absolue qui est recherchée, bienmeilleure garante de la sécurité du régime". Comme l'écrit Mansour

O. el-Kikhia: «De nombreux jeunes officiers de la Qadhafa sont

dirigés par un noyau dur de colonels qui sont individuellement

69. Anthony H. Cordesman, «Mucn of this Force is in. Storaqe orNon-operanonot, Combat Readiness is Exceptional/y Law, andModernization Rates are Very Poor», Military Balance in North Africa,18février 2004.70. Hanspetter Maltes souligne que: «Up until thr present, theReuolutionary Leadership's deployment of the security organisationsto protect l'IzeRevolution has been so efficient that any attemptsto depose the regime or to change the politicat system by opposi-tional militmy or political groups hau« been doomeâ to fuilure», cf«Challenges to security sec/or qouernance il! the Middle East: theLibyan case" article présenté au Workshop Challenges of Securitysector governance in the Middle East, Geneve, 12-/3 juillet 2004.

LES ILLUSIONS DE LA PUISSANCE PÉTROLIÈRE 1 97

et collectivement responsables du maintien du régime".» Cette

tribalisation du pouvoir a favorisé la consolidation du régime

dans un contexte de grande vulnérabilité.

En Algérie, un nouveau corps d'armée de quinze mille hommes

est créé en 1993, composé d'unités issues de l'armée, de la gendar-

merie et de la police. Très vite, ses effectifs atteignent quatre-vingt

mille hommes. Mais, en dépit de son efficacité, ce corps d'armée

est incapable de parvenir à vaincre la guérilla. Aussi l'armée

prend-elle le risque de faire appel à des milices pour la soutenirdans son effort de guerre. L'inquiétude de l'institution militaire

est que ces dernières ne se transforment en forces autonomes,

refusant d'obéir à la stratégie de l'armée. En 1994, des milicesintégrées à la lutte contre la guérilla sont ainsi mises sur pieds.

Elles sont de trois types: groupes d'autodéfense, véritables bras

armés de partis politiques et d'associations régionales; résistants

ou patriotes intégrés aux unités de la gendarmerie, équipés par

le gouvernement et auxiliaires du ministère de l'Intérieur; enfin

milices privées au service de notables locaux. En réalité, la

guerre civile s'accompagne d'une militarisation de la société quine manque pas d'inquiéter. Pour l'armée algérienne, le choix de

la démocratisation a été aussi négatif que celui de l'invasion du

Koweït par le régime de Saddam Hussein, qui a plongé l'armée

71.« Most prominent among them are Ahmad Qathaf al Damm, MasoudAbdul-Fatih, Misbah Abdul Hafitn, Khalifa Ihneish, Omar Ishkal, AlBarani Ishkal, Omran Atiatallah al Qadhafi, Imhamad Mahmoud AlQadhafi, Khamis Masoud Al Qadhafi, Saad Masoud Al Qathaf, Hassanal Kabir Qadhafi. Until April 1995 the central sector (Sirte) was underthe command of Khalifa Ihneish, the southem. sector (Sebha) underColonelMasoud Abdul Hafith, the Benghazi sector under Misbah AbdulHafith ans Tobrouk sector under Ahmad Qadhafi al Damm. A [ailedcaup attempt in February 1995 pompted General Qaddafi to makechanges that gives his cousins even more encompassinq poioers. AhmadQathaf al Damm 's territory uias expandeâ to include ail of the cyrean-ka. Khalifa Ihneish was appainted the commander of armaments andmunitions, Masaud Abdoul Hafith. was promoteâ to cammanding officerofmilitary security in Libya, and Al Barani lshkal tuas assiqneâ ta C01n-

mand domestic military security., dans Mansaur O. el-Kikhia, Libya'sOaddafi, Gainsville (Fia.), University Press af Florida, 1997, p. 90.

Page 51: Violence de La Rente Petroliere

98 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

irakienne dans le désarroi. Les généraux algériens craignent quele processus électoral provoque le chaos: «La société algérienneest sérieusement interpellée sur l'option à prendre quant à sonavenir [...] le pays vit des échéances qui constituent une étapefondamentale dans la consolidation de la destinée de l'Algériecomme nation moderne" .» La guérilla islamiste, elle, prend soin dedistinguer l'armée du régime. Elle lui offre même une voie de sortieen pactisant avec elle: «L'armée doit comprendre que son avenir,c'est-à-dire son statut d'armée moderne, puissante, respectueuse dela Constitution et respectée par le peuple [...] plus que jamais elledoit se ressaisir et arrêter ce faux processus électoral qui est en trainde plonger le pays dans le chaos"». Pour l'armée, la guerre civileest la pire des épreuves: non seulement elle menace l'institution,en raison du nombre de conscrits dans ses rangs (quatre-vingtmille sur cent soixante mille étaient des appelés), mais elle risqueaussi de retourner ou d'éloigner le peuple, une composante desa légitimité. Enfin, dans la lutte contre les islamistes, le succèsdes milices est à double tranchant, car s'il permet de sécuriserdes territoires, il renforce leur emprise sur le terrain. Aussi est-ilimpératif d'empêcher la guerre civile de s'enraciner. L'armée estconsciente que plus le conflit dure, plus il risque d'affaiblir sacapacité à contraindre les milices à lui obéir. À la différence del'Irak et de la Libye, l'armée ne peut être marginalisée (elle estune composante fondamentale du régime) et elle ne peut pasmobiliser des organisations tribales pour fonctionner et survivre.Pour le régime algérien, la solution passe par la restauration desmilices et la recomposition de «la famille révolutionnaire •. Cettefamille fait office de «tribu» et ses membres partagent l'immenseprivilège d'avoir payé le prix du sang pour rendre l'Algérie libreet indépendante. La famille révolutionnaire est une organisationsociale aux ramifications complexes et profondes, dispersée surle territoire. Cette organisation sociale, qui fait corps avec l'Étatet qui se considère comme partie intégrante du régime, demeureconvaincue que «l'Algérie, c'est elle» ... et que ses richesses sont

72. El Djeich, mars 1993.

73. El Mounqidh, septembre 1995, p. 46.

LES ILLUSIONS DE LA PUISSANCE PÉTROliÈRE 1 99

les siennes. Le pétrole est son sang, sa récompense également.À partir de 1998, une fois assurée quant à la défaite de la guérillaislamiste, l'armée s'est attelée à démobiliser les milices.

Les régimes algérien, irakien et libyen ont démontré que, dansune situation de vulnérabilité, le recours à la répression massive estun instrument politique de survie. Dégagés de toutes contraintesmorales ou diplomatiques, le recours à la brutalité a été d'autantplus aisé que le contrôle de la rente pétrolière leur a permis definancer son coût. Ces exemples confirment les recherches quisoulignent l'extrême difficulté à renverser des régimes disposantd'un monopole sur le contrôle de la rente. Dans un tel contexte,les mouvements insurrectionnels paraissent voués à l'échec, carl'abondance des revenus permet, y compris en temps de crisefinancière et économique, de mettre en place une coûteuse maisefficace politique de contre-insurrection. La seule façon d'établir unerelative parité aurait été pour les insurgés de détruire les installationspétrolières afin de réduire les recettes des régimes. Mais la mise enœuvre d'une telle stratégie nécessite des moyens techniques qu'ilsn'ont pas. De plus, les investissements sécuritaires réalisés par lesrégimes sur les sites pétroliers rendent vaines toutes tentatives dedestruction ou de sabotage. Ainsi, après avoir été le symbole dudéveloppement et la fierté des nationalistes, la richesse pétrolièrese transforme en combustible pour coalitions autoritaires en sursis.

- ConclusionLa rente pétrolière n'a pas provoqué la métamorphose souhaitée.

Les nationalistes du Baath, du FLNet de la Jamahiriya pensaient quela capture de la rente leur donnerait la puissance, imposerait leursuprématie économique et affirmerait leur hégémonie militaire. Enfait, elle les a aveuglés, rendus imprudents et arrogants. Cherchantà se doter des signes extérieurs de richesse, ils ont éliminé tous ceuxqui dénonçaient cette usurpation. En dépit des défaites militaireset des crises politiques, la génération du nationalisme pétrolierdes années 1970 ne veut pas s'avouer vaincue. Alors que l'Unionsoviétique et le bloc des pays de l'Est s'effondrent, que l'Amériquelatine se déleste progressivement de ses régimes militaires, cettegénération continue à penser qu'elle incarne le peuple. Pourtant,

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1001 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

que de changements depuis les années 1960! Les investissementsopérés dans les années 1970 commencent à porter leurs fruits: tauxd'alphabétisation record, de 34 % en 1960 à 60 % en 1990 en Irak,

de 46 % à 79 IVo en Algérie; espérance de vie à la naissance qui

passe en Libye de 46 ans en 1960 à 61 ans en 1990, de 48 ans à65 ans en Irak, de 47 ans à 65 ans en Algérie; taux de r'nortalité

des moins de 5 ans pour mille naissances en recul partout, pas-

sant de 269 à 112 en Libye, de 222 à 86 en Irak et de 270 à 98 en

Algérie. Tous les indicateurs de développement humain démon-

trent l'amélioration constante du niveau de vie de la population.

Certes, la croissance économique a été inférieure à la croissance

démographique durant cette période, aussi le chômage demeure-t-il massif, en particulier pour les jeunes de moins de 30 ans qui

représentent la majorité de la population. La chute des revenusliée au contrechoc pétrolier a obligé les gouvernants à mettre en

place des politiques de libéralisation visant à réduire les dépenses

de l'État et réformer un secteur agricole improductif et coûteux,

alors même que les besoins alimentaires ne cessaient de croître. Sur

le plan sociologique, la génération née après la nationalisation des

hydrocarbures fête ses vingt ans dans les années 1990 et aspire à

d~s changements. L'islamisme est l'offre idéologique dominante;

l'Etat islamique, la nouvelle utopie politique mobilisatrice. Dans

ce contexte, la République irakienne, l'État-FLN et la Jamahariyareprésentent des obstacles. Incapables de négocier un dénouementheureux et pacifique, ces régimes vont détruire ceux qui les menacent

et faire plonger ceux qui les contestent dans l'enfer des sanctionsinternationales pour l'Irak, dans le purgatoire des sanctions par-

tielles pour la Libye et dans le vain espoir de la fin de l'État-FLN

en Algérie. La décennie 1990 commence donc avec la conviction

que le pétrole est une malédiction, il est «cet excrément du diable»

dénoncé par le père fondateur de l'OPEP, Juan Pablo Perez Alfonzo",

Si le pétrole est un bienfait, c'est pour une autre raison: il a permisla fusion entre l'économie rentière et les coalitions autoritaires et

donné ainsi naissance à de robustes régimes mafieux.

74. M. Sol Pérez Sc/wei, El Excremento del diablo. La dernocraciavenezolana y sus protagonistas, Caracas, Alfadil, 1997.

Chapitre 3Rente pétrolière et régimeo mabieux

- Un contexte favorableà la transformation des régimes

La période révolutionnaire a permis aux services de sécurité

de jouer un rôle stratégique dans la régulation du «marché. du

pétrole et dans la protection des transactions durant la période

d'abondance financière (1971-1985). L'effondrement brutal du prix

du baril, en 1986, provoque le déraillement des politiques écono-

miques et étrangères engagées auparavant par les gouvernements

algériens, irakien et libyen. Il entraîne ces régimes dans une crise

politique profonde. Déstabilisés par l'ampleur de la contestation

sociale et politique, les organes centraux de sécurité ne parviennentplus à irriguer les coalitions hétéroclites qui gouvernent alors ces

régimes autoritaires. En somme, les mécanismes édifiés, qui ont

permis jusqu'alors un contrôle exclusif sur la rente pétrolière,s'enrayent, ébranlant par là même les complexes échafaudages

politiques qui avaient assuré une certaine stabilité. Après 1986,

commence une période d'instabilité inhérente à la reconstruction

dans la violence de nouveaux mécanismes de régulation et deconsolidation. Confrontées à la rareté soudaine des ressources

et à la menace de la perte du pouvoir, les coalitions autoritaires

éclatent au profit de groupes dont la loyauté repose non plus

sur la croyance en la révolution, mais sur des liens d'allégeance

clanique et tribale. Les ressorts fondamentaux de ces régimes

sont mis à nu et révèlent la vacuité des organisations politiquesrévolutionnaires, y compris pour les organes centraux de sécurité.

Les révolutions nationales et socialistes ont vécu et n'offrent plus

le cadre politique adéquat.

Page 53: Violence de La Rente Petroliere

1021 VIOLENCE DE LA RENTE PËTROLlÈRE

À partir de la fin des années 1980, et dans un contexteinternational et national inquiétant pour les régimes, commenceun processus de reconstruction de nouvelles coalitions, fondéesnon plus sur la gestion et la redistribution de la rente, mais surle transfert des droits de propriété des biens et des services del'État vers le marché. La mise aux enchères du patrimoine fon-cier, immobilier et industriel de l'État provoque l'émergence denouveaux protagonistes et de facto, dans ce nouveau contexteconcurrentiel, une flambée de violence. La nécessité de sécuri-ser les transactions sur les droits de propriété réalisées dans lecadre des politiques de libéralisation et de privatisation entraînel'apparition de véritables. mafias .J. Celles-ci remplissent unefonction de régulation, supplantant en quelque sorte le rôledes organes centraux de sécurité dans les années 1970. Ellesfavorisent la recornposition de nouvelles coalitions en vue decapturer, non plus la rente pétrolière, mais les richesses foncières,immobilières, industrielles et commerciales que la nouvelle donneéconomique et politique offre désormais. Simultanément, lespopulations plongent dans une précarité et une pauvreté accrues.Le patrimoine de l'État, valorisé par l'économie rentière, devientun enjeu de lutte fondamental. Une économie de pillage prendson envol, dans un contexte marqué par la violence politique,mais aussi par des sanctions internationales. Face à cette épreuve,les coalitions hétéroclites de la période d'abondance financièrese rétractent au profit des groupes sociaux les plus loyaux dansun premier temps. Autonomes sur le plan financier, immuniséscontre les représailles diplomatiques et solidaires sur le plan poli-tique et ethnique, les régimes pétroliers édifient, dans la violencedésormais, de nouvelles coalitions autoritaires dont on ne peutmanquer de souligner la proximité avec des organisations crimi-nelles ou mafieuses. La rhétorique nationaliste et progressiste perdencore plus de sa crédibilité face aux pratiques délictueuses desdirigeants issues tant des appareils sécuritaires qu'administratifs.À l'exemple des organisations criminelles, ces régimes prospèrent

1. G. Fauatel-Garriques «Violence mafieuse et pouvoir politique enRussie», dans J-L. Briquet et G. Fauarei-Garriques [dir.], Milieuxcriminels et pouvoir politique, Paris, Karthala, 2008, p. 189.

RENTE PÉTROLIÈRE ET RÉGIMES MAFIEUX 1103

dans le développement de la pauvreté: la rareté des ressourcesfavorise le développement de comportements «sultaniens »! ausein des élites dirigeantes, alors que ces dernières ont construitleur légitimité, en partie, sur la récupération des ressources de lanation injustement exploitées par les ex-puissances coloniales oupar le biais de leurs compagnies pétrolières. Le nouveau contexte,caractérisé par des sanctions internationales et par une crisemajeure des économies rentières, provoque une transformation enprofondeur des régimes autoritaires des trois pays: sous embargos,dépouillés de leur idéologie, ils se muent en régimes mafieuxadaptés à leur nouvel environnement. Ils fonctionnent désormaiscomme des entreprises criminelles. capables de s'enraciner dansun territoire, de disposer d'énormes ressources économiques,de contrôler des segments importants de la société locale et des'imposer en utilisant un appareil militaire' •.

L'analyse des périodes d'embargo est riche d'enseignementspour comprendre le type de transformation subie par ces régimes.Les sanctions internationales les amènent en effet à utiliser laruse et la cruauté pour survivre. Dans un contexte de raréfactiondes ressources, ils finissent par s'approprier celles qui restent etpar détruire encore plus brutalement tous ceux qui les contestent.Rendus vulnérables par le régime des sanctions, mais menacés parles mêmes défis, ils parviennent à rester solidai.res. Contre touteattente, les régimes algérien, libyen et irakien ont par conséquentréussi à ne pas s'effondrer après le contrechoc pétrolier, ils ontmaintenu une certaine cohésion des appareils répressifs et sontfinalement sortis vainqueurs de la confrontation avec leurs oppo-sants islamistes. Ces régimes ont ainsi démontré leur formidableaptitude à s'adapter à un environnement toujours aussi incertainet dangereux. Au terme de cette période, seul le régime irakiendisparaît, mais ce n'est pas son inaptitude à détruire tous ceux

2. Plus que l'Algérie et l'Irak, le régime libyen dispose des caracté-ristiques du régime suitanien. Juan Linz and Houchang Chehabi,Sultanistic Regimes, Baltimore (Md.), Johns Hopkins UniversityPress, 1998.3. Paolo Pezzino, «La mafia, État et société dans la Sicile contempo-raille., Politix, 49, 2000, p. 17.

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1041 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

qui le menaçaient en interne qui a entraîné sa chute, c'est unévénement imprévisible, le 11 septembre 2001, qui va provoquerune politique étrangère américaine mêlée de fureur, de vengeance,d'utopie et d'une grand strateqy'.

Les réformes économiques adoptées au milieu des années 1980modifient les droits de propriété sur les terres agricoles, les entre-prises publiques, les licences d'importations, l'accès aux devises.Jusqu'au contrechoc pétrolier, l'État détenait le monopole de l'accèsà ses ressources. Des «coalitions dédiées à l'exploitation de sourcesde revenus'» assuraient aux régimes une stabilité qui reposaitdonc principalement sur leur capacité à ventiler la redistributiondes revenus. Mais après 1985-1986, la modification des droits depropriété engendre l'apparition de nouveaux acteurs qui visentl'accès aux ressources ainsi • libérées », tandis que l'embargo faitperdre à l'État une partie de son monopole". La mise sur le marchédes biens publics n'est autre que le recyclage des investissementsde la rente pétrolière effectués pendant deux décennies. Tls'agitde vendre ou de distribuer les biens et les services financés durantla période d'abondance. Cette transaction, sécurisée par desgroupes criminalisés, va s'opérer de façon totalement opaque. Cephénomène est facilité par le fait que la population est tellementterrorisée par la violence des insurgés islamistes (dont l'ambitionest de renverser les coalitions autoritaires) que la captation desbiens publics est loin d'être sa préoccupation première, malsaussi par l'absence d'une justice indépendante. Dans ce contexteinédit sont nés les nouveaux régimes mafieux des années 1990.

Au début de la décennie 1990, l'Irak, la Libye et l'Algérie sontsanctionnés par la communauté internationale: un embargo totalpour le régime de Saddam Hussein qui a envahi le Koweït et unembargo partiel pour celui de Mouammar Kadhafi accusé de soutien

4. G. Salomé, Quand l'Amérique refait le monde, Paris, Fayard, 2005.5. G. Fauarei-Garriques, «Violence mafieuse et pouvoir politique enRussie», art. cité, p. 188.6. Eric Brousseau souliglle que: «L'efficacité d'une coalition est liéeà la répartition des droits de propriété entre ses membres., dans«L'approche néo-institutionnelle de l'économie des coûts de transac-tion., Revue française d'économie, 4, 1989, p. 147.

RENTE PÉTROLIÈRE ET RÉGIMES MAFIEUX 1105

au terrorisme. Quant au régime des généraux algériens, il est isolésur le plan diplomatique, compte tenu des violations massives desdroits humains perpétrés lors de la guerre contre les islamistes,sans pour autant être sanctionné. Cette décennie sonne le glasde toutes les illusions engendrées par le nationalisme pétrolier.Au cours de cette période, des modes de domination traditionnelsresurgissent, • khaldounien et mamelouk' », précisément ceux quele volontarisme politique des élites progressistes dénonçait aulendemain des révolutions socialistes. La fiction des «États forts »,

modernisateurs et transformateurs des sociétés « archaïques» desannées 1970, est remplacée, au début de la décennie 1990, parla perception d'. États fragiles» ou «en faillite». Après avoir étécraints pour leur politique de puissance, l'Irak, la Libye et, dansune moindre mesure, l'Algérie effrayent leur voisinage et leurspopulations par leur potentiel d'effondrement En effet, sous lamenace d'une double contrainte - extérieure dans le cadre dessanctions et intérieure avec l'émergence de mouvements violentsportés par les contestataires islamistes -, les populations craignentavant tout une « dérive afghane'» de leurs pays. Si la décennie 1980avait souligné les limites et aberrations d'une politique de puissancefondée sur la rente pétrolière, la décennie 1990 commence avecun profond sentiment de désenchantement et d'impuissance. Lesprogrès réalisés au cours des vingt dernières années disparaissentsous les coups de boutoir de la violence et du régime des sanctionsinternationales. Le mirage de l'État fort, né du mariage entre uneéconomie rentière et un régime autoritaire, sombre en dévoilant

7. Sur les modes de domillGtion. traditionnels, voir J. Leca et YvesSchemeil, «Cïientétisme et patrimonialisme dans le monde arabe»,International Political Science Review, 4 (4), 1983; G. Salamé écrit:«Perceptions of the state's strength and iueakness are sustantiallymarked, in the Arab World, bya tradition of authoritarian rule, wherethe military ghalab (domination) lias preceâed and practically madepossible a qeneraily unrestrained plunder of the society's avaitabieresources», dans G. Luciani (ed.), The Arab State, op cit., 1990, p. 318. En 2002, le général Belkheir affirmait: <le ne regrette rien. J'aifait le choix d'épargner à l'Algérie le sort de l'Afghanistan., JeuneIndépendant, 4 mai 2002.

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1061 VIOLENCE DE LA RENTE PlTROLlÈRE

son extrême vulnérabilité. Sur le plan politique, l'idéologie quile légitimait perd de sa ferveur face au coût dramatique que sonhégémonie fait supporter à la société. Sur le plan économique,J'État, qui a prétendu au droit exclusif de la propriété sur lesressources, s'avère incapable de les faire fructifier et de les redis-tribuer équitablement. En faillite, il abandonne les programmessociaux et laisse le plus grand nombre basculer dans la précaritéet la pauvreté. Enfin, sur le plan international, il est rangé dansla catégorie des" États voyous et terroristes» à contenir. Missous embargo, J'État fort rétrécit comme peau de chagrin pourlaisser place à des régimes dont la capacité de survie va toutefoissurprendre. En effet, ils vont démontrer, dans des conditionsextrêmes, des capacités d'adaptation inattendues, validant ainsiles travaux sur-la robustesse des régimes autoritaires pétroliers.Si le régime des sanctions internationales réduit l'accès de cesrégimes aux ressources, et affaiblit par là même leurs capacitésde nuisance sur la scène internationale, il renforce en réalité leuremprise au niveau interne.

-Irak: embargo total et fin de 1'«État solide»

L'Irak, au potentiel si fréquemment loué dans les années 1970,symbole du renouveau de la puissance arabe', illustre de façondramatique les illusions de l'État fort. Jusqu'en 1990, «J'économie,l'éducation, la santé affichaient des résultats enviés par les paysvoisins. L'armée, qui absorbait une part considérable du budget del'État, constituait l'armature institutionnelle principale du pays ...Tout en n'étant pas démocratique, l'Irak de Saddam Hussein étaitun État solide'?». Or, la solidité de l'État irakien va disparaître.Entre 1991 et 1996,l'Irak subit un embargo quasi total au termede la résolution 687 des Nations unies (3 avril 1991). La décision

9. «Why Japan», demande Charles Issawi en 1983, K Why not, forinstance, Iraq, whose potential 1IIas, and still is, sa great ?», dansG. Luciani, dans The Arab State, op. cit., p. 62.la. Thieny A. Brun, • Comment fabriquer un Étatfraqilc : réflexionssur l'exemple irakien», dans J.M. Châtaigner et H. Magro [dir.},États et sociétés fragiles: entre conflits, reconstruction et dévelop-pement, Paris, Karthala, 2007, p. 107.

RENTE PÉTROLIÈRE ET RÉGIMES MAFIEUX1 107

s'apparente davantage à une punition collective qu'à des sanctionséconomiques proprement dites. L'Irak est soumis à l'embargo leplus sévère du siècle. Même le traité de Versailles n'était pas alléaussi loin. Certes, les vainqueurs avaient amputé le territoireallemand, obligé le vaincu à payer des réparations, entravé sapuissance militaire, mais rien ne l'empêchait de renouer des rela-tions commerciales normales et de reconstruire son infrastructure.En Irak, le Conseil de sécurité interdit, sous prétexte qu'il pourraitavoir un "double usage», civil et militaire, le matériel nécessaireà la remise en marche des usines d'épuration ou des centralesélectriques. L'Irak est autorisé à exporter une petite quantité depétrole, au prix fixé par l'ONU, mais l'attitude américaine rendl'approvisionnement du pays quasi impossible. Des médicamentsde base et des produits alimentaires sont bloqués sous prétextequ'ils peuvent servir à la fabrication d'armes chimiques. Fauted'aérosols, l'asthme devint une maladie mortelle. On estime àcinq cent mille le nombre d'enfants de moins de 5 ans qui ontpayé de leur vie la rigueur de cet embargo. En 1996, interrogéedevant les caméras sur le coût humain des sanctions, MadeleineAlbright, prise au dépourvu, déclare: «Nous pensons que çaen vaut la peine.» En 1995, J'Organisation pour l'agriculture etl'alimentation (FAO)et le fonds des Nations unies pour l'enfance(Unicef) annoncent que quatre millions d'Irakiens vivent dansun état de «préfarnine» et que la vie d'un million d'entre eux,notamment des enfants, est menacée".

11 .« Entre 1991 et 1996, le pourcentage d'enfants de moins de 5 anssouffrant de malnutrition chronique (le rachitisme) est passé de 18 0/0

il 3/ %; la perte de poids due à la malnutrition de 9 % à 26 0/0; lamalnutrition oigüe (la cachexie) de 30/0 il 11 %... L'augmentation dutaux de mortalité des enfants de moins de 5 ans signalée dans leshôpitaux publics est de 40000 décès supérieure il 1989 et de 50 000décès chez ceux de plus de 5 », Situation Analysis of Children andWomen in Iraq, Unicef, 30 avril 1998. Sur la réalité des chiffresproduits par le régime, voir A. Baram, «The effect of Iraqi Sanctions:Statistical Pitfalls and Responsability», Middle East Journal, 54 {2},2000.

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1081 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

Le régime parvient toutefois à contourner ces sanctions, infir-mant ainsi l'hypothèse selon laquelle celles-ci l'affaiblissent".F. Rigaud décrit les trois phases de cette amélioration économiquedont bénéficie le régime". En 1995-1996, c'est la période del'inflation: le gouvernement utilise la planche à billet commemode de redistribution, mais provoque l'effondrement du dinarirakien (1 dollar pour 1500 dinars). Il emploie d'autre part lesstocks stratégiques accumulés durant la guerre contre l'Iran etles biens prélevés au Koweït lors de son invasion; en somme,le régime vit sur ses réserves. Au cours de cette même période,le gouvernement encourage la contrebande et déréglemente lecommerce extérieur. La deuxième phase, 1997-1998, se caractérisepar une explosion du commerce extérieur qui se traduit par desimportations massives de produits et de biens de consommation.Le marché s'améliore et la pénurie des années 1993-1995 s'éloigneprogressivement. La troisième étape commence en 1998 et semanifeste par un désengagement de l'État: privatisation du sec-teur socialiste, autofinancement des entreprises, autosuffisancesfinancières, rémunération des fonctionnaires au rendement,. etc.Le régime parvient une fois de plus à satisfaire une partie desbesoins de la population.

Les sanctions sont ultérieurement amoindries: en 1996, lesautorités irakiennes sont autorisées à vendre 2 milliards de dol-lars de pétrole tous les six mois et, en 1998, le montant autorisépasse à 5 milliards; en 1999, plus aucun plafond n'est instauré,le mal étant fait. Afin de superviser la résolution. nourriturecontre pétrole _, une pléthore d'inspecteurs est mobilisée, tandisque 25 Ofo des revenus vont au Koweït pour dédommagement deguerre. La vente du pétrole irakien se fait par des compagniesde négoce (83 Ofo) et a pour principal client le marché américain(soit 60 Ofo des exportations sous contrôle de l'ONU). Mais, loin

12. Hosham Dawod, «Le pouvoir irakien, dix ans après la querre»,Esprit, 2, 2001.13. Françoise Rigaud, <Irak: le temps suspendu de l'embargo»,Critique internationale, 1t, 1998.

RENTE PÉTROLIÈRE ET RÉGIMES MAFIEUX 1109

d'améliorer la gouvemance, ce système donne lieu à une immenseescroquerie ;« Sous la résolution "nourriture contre pétrole", l'Iraka vendu pour 64,2 milliards de dollars de pétrole. Ce marché aégalement entraîné 1,5 milliard de dollars de dessous-de-tabledans le cadre de contrats humanitaires et 229 millions de dollarsde transferts de fonds illégaux dans le cadre de contrats pétroliers,ceci par le biais de la manipulation de la résolution. Tout unréseau international a également été entretenu, permettant desrépartitions pétrolières à des individus et des groupes touchant enretour la somme de 130 millions de dollars" .» Quant au régime,il parvient à prélever la somme de 2,5 milliards de dollars paran de revenus hors contrôle de l'ONU, essentiellement grâce audéveloppement de la contrebande avec les pays voisins. On estimeainsi que: ua 000 barils par jour sont exportés vers la Jordanie,mobilisant plus de 2000 camions, 80000 barils par jour vers laTurquie et 40 000 barils par jour vers la péninsule, principalementDubaï. C'est la Syrie qui bénéficie le plus de cette contrebande,en recevant environ 250 000 barils par jour de pétrole. Cela per-met à ce pays, voisin ennemi, producteur de pétrole, d'exportersa production et de répondre à sa consommation interne parl'arrivée du pétrole irakien. Dans un contexte de raréfactionextrême des ressources, le régime se montre capable d'extraireles revenus annuels nécessaires à sa survie alors que l'embargo,loin de l'affaiblir, lui permet de renforcer son emprise sur unesociété d'autant plus affaiblie qu'elle est meurtrie, sans espoir et«livrée à elle-rnême't».

14. N. Alahmad, «The Politics of Oil and State Survival in Iraq(I 991 -2003) : Beyond the Rentier Thesis», Constellations, 14 (4),2007, p. 590.15. David Baran. Vivre la tyrannie et lui survivre. L'Irak en tran-sition, Paris, Mille et Une Nuits, 2004, p. 91; S. Graham-Brown,Sanctionning Saddam : The Poli tics of Intervention in Iraq, Londres,TaI/TUS, 1999.

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110 1 VIOLENCE DE LA RENTE PËTROLlÈRE

- Libye: embargo partiel et déraillementde la révolution

Soumis à un embargo partiel en raison de sa politique de sou-tien au terrorisme, le régime libyen, à l'instar de l'Irak, clame par

affiches dans toutes les grandes villes du pays le slogan: «Nous

vaincrons I'embargo.» De fait, tout comme en Irak, il y arrivera.

L'embargo est, dans les années 1990, la cause de multiples diffi-

cultés et surtout de la détérioration du niveau de vie des Libyens

qui, avec un salaire minimum de 250 dinars", ne peuvent plus

subvenir à leurs besoins. L'État distributeur libyen, dont le leitmotivreposait sur le principe «partenaires et non salariés» et promettait

un égalitarisme social et économique garant de l'équilibre politique,

se trouve amputé de l'un de ses piliers. En septembre 1996, les auto-

rités libyennes remettent au secrétaire général des Nations unies,

Boutros Boutros-Ghali, un rapport détaillant les conséquenceséconomiques, sociales et sanitaires des sanctions sur la Libye:

«Tous les programmes de développement des infrastructures ont

été affectés, anéantissant les espoirs et les aspirations du peuplearabe libyen 17. » Elles précisent que, sur le plan médical, plus de

15750 personnes nécessitent des soins médicaux particuliers et

que les sanctions privent la Libye de la venue de plus huit mille

cinq cents médecins étrangers. Le cas d'enfants contaminés parle virus du sida va servir d'illustration des méfaits de l'embargo

sur la population. Sur le plan économique, le rapport souligne

les dégâts provoqués dans les transports et les communications.

Le gouvernement estime globalement à «24 milliards de dollarsle coût des sanctions» en 1998'8. L'appauvrissement de la Libye

sous l'embargo est indéniable: en 1991, le PIE est de 32 milliards

de dollars, il chute à 21 milliards en 1999. Cela se traduit par un

effondrement du pouvoir d'achat des Libyens, puisque le PIE par

16. Officiellement, 1 dinar s'échanqe contre 3 dollars; au marché noir,1 dol/ar s'échange contre 3 dinars libyens. Les prix des produits deconsommation correspondaient à la valeur du dinar au marché noir.17 .« The Impact of the UN Sanctions aqainst Libya», septembre 1996.18. S. Naaoush, Effets de l'embargo sur les finances extérieures de laLibye >, Marchés tropicaux, 11 septembre 1998, p. 1907.

RENTE PËTROLlÈRE ET RËGIMES MAFIEUX 1111

habitant chute de 7500 dollars en 1991 à 4000 dollars en 1999.Entre 1992 et 1999, la population libyenne est confrontée à de

nombreux nouveaux problèmes: l'interdiction des vols aériens

provoque un sentiment d'isolement et de marginalisation, la

détérioration des conditions de vie se traduit par des revendica-

tions contestataires à l'encontre du régime, l'effondrement de la

monnaie libyenne et la montée d'un marché informel de devises

font apparaître des inégalités difficilement acceptables dans unesociété nourrie par l'égalitarisme.

Mais parallèlement, l'effondrement du dinar permet de dégagerdes plus-values considérables. La revente des produits subvention-

nés par l'État libyen sur le marché privé à des prix libres permet

d'importants bénéfices, au grand dam des Libyens qui ne trouvent

plus rien sur les étals des marchés publics". Les commerçantscherchent en priorité à vendre les produits subventionnés à des

commerçants étrangers qui les achètent en devises ou en dinarsobtenus sur le marché informel. En réalité, la réexportation frau-

duleuse des produits libyens s'apparente à une véritable économie

de pillage dont profitent certains dirigeants: «La Libye, écritEmmanuel Grégoire, écoule en Afrique de l'Ouest des denrées

alimentaires peu coûteuses car subventionnées (riz asiatique, pâtes,

farine de blé, semoule, huile de soja, lait en poudre, concentré de

tomates, biscuits, etc.) et des biens manufacturés (tissus, pièces

19. En 1996, la Jamahiriya entreprend des mesures de rétorsioncontre le développement du commerce informel. Des comités d'épu-ration, composés d'officiers subalternes sont chargés de lutter contrela corruption. EII juillet 1996 une loi sur l'épumtion punit de lapeine de mort. toutes les personnes effectuant des opérations dechange en violation des règlements de la Banque centrale et expor-tant la devise nationale. et celles qui pratiquent «la spéculation surles produits alimentaires, les vêtements, les habitations et les trans-ports >. Au cours de cette année, les comités d'épuration obligent lafermeture de 1500 commerces, principalement en Cyrénaïque. Pou.·rle colonel Kadhafi, le commerce privé constitue un véritable «pillagede l'État.: «Il n'est pas normal, dénonce-t-il en 1996, qu'un kilode fromage importé qui coûte 1 dinar au prix officiel soit vendudix-huit fois plus cher dans les magasins priués.» Voir Eric Gobe,«Chronique Libye », Annuaire de l'Afrique du Nord, 1998.

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112 1VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

détachées d'automobiles, électroménager, matériaux de construc-tion légers, matelas, tapis, couvertures en laine, etc.). Quelquesvéhicules tous terrains et des camions sont aussi revendus enAfrique noire: un négoce de véhicules administratifs volés s'esten effet développé, des filières arabes et toubous les écoulant auNiger, au Mali, au Tchad et en Mauritanie ... Enfin un gros négocede cigarettes d'origine américaine s'opère depuis le Bénin et leNiger à destination de la Libye".» Sous l'embargo, se développedonc un juteux trafic transfrontalier qui transforme la Libye en"État entrepôt» et la Tunisie en point de passage stratégique.Entre 1988 et 1997, "le poste frontalier de Ras Jdir, à la frontièretuniso-Iibyenne, a totalisé 18,8 millions de passants" ». LesLibyensutilisent en effet désormais l'aéroport de Djerba pour voyager. Lafrontière tuniso-libyenne devient une véritable zone de trafic sousl'influence de groupes tribaux (Touazine en Tunisie et Nouayelen Libye), comme le montrent les travaux de Hassen Boubakri",La prospérité de cette économie fait des envieux et provoque lacolère de la population libyenne qui voit les produits importéssubventionnés par le régime se vendre plus chers en Tunisie. Enfait, ce trafic s'effectue sur une aire encore plus large que cellede la Tunisie et de l'Égypte, car la Libye (comme l'Algérie dureste) est intégrée aux trafics transfrontaliers avec des régionsd'Afrique subsaharienne.

La dégradation des conditions de vie sous l'embargo de mêmeque l'ampleur de la contestation islamiste contraignent le régimeà élaborer une politique de contrôle social plus efficace. Lacréation des commandements populaires et sociaux (al-Qiyadatal-Sha'biyya wa al-ljtima'iyya) en 199823, formés pour partie de

20. Emmanuel Grégoire, K Réseaux et espaces économiques trans-étatiques », Groupe d'orientation des politiques, juillet 2003, p. Il.21. Hassen Boubakri, «Échanqes transfrontaliers et commerceparallèle aux frontières tuniso-libyennes s, Maghreb-Machrek, 170,octobre 2000, p. 39.22. H. Boubakri, «Échanqcs transfrontaliers et commerce parallèleaux frontières tuniso-libyennes », art. cité.23. Moncef Ouannes, «Chronique politique Libye», Annuaire del'Afrique du Nord, tome XXXVII, 1998.

RENTE PÉTROLIÈRE ET RÉGIMES MAFIEUX 1 113

chefs de tribus, de notables et de militaires haut gradés, s'inscritdans cette perspective. Ces nouvelles structures politiques visentà réduire le pouvoir des comités révolutionnaires, considéréspar la population comme des prédateurs. Par la même occasion,le régime se dote de nouveaux intermédiaires susceptibles deconsolider son autorité sur des tribus qui critiquaient l'évolu-tion de la Jamahiriya. À Misourata, à Derna et à Benghazi parexemple, des" clubs tribaux. sont créés en vue de regrouper etd'institutionnaliser les appartenances tribales. Ces commandementspopulaires et sociaux sont chargés de redorer le blason de la viepolitique locale, jusque-là sous le contrôle exclusif des comitésrévolutionnaires, au détriment des congrès populaires de base quiétaient supposés représenter le peuple. Cette volonté de contrôlerle local constitue une réaction à la lente érosion des appareilsde contrôle du peuple de la Jamahiriya. Cette remise officielledu pouvoir local aux tribus démontre sans doute l'échec de laIamahiriya telle qu'elle avait été pensée par le colonel Kadhafi.Alors qu'il ambitionnait de créer un pouvoir politique dont lesfondements auraient reposé sur le peuple, ce sont au final desnotables locaux et des chefs de tribus qui sont autorisés à gou-verner les villes. Certes, ce procédé n'est pas dénué d'efficacitésur le plan du contrôle politique et s'inscrit, comme l'a montréLisa Anderson, dans la continuité de la tradition ottomane, réac-tualisée pendant la période coloniale italienne" : l'invention dechefs de tribus au cours de ces périodes avait permis de doter lesstructures politiques en vigueur d'intermédiaires du pouvoir auxcompétences très élargies. De plus, à partir de 1998 une véritable"révolution culturelle» s'opère sur le plan des mœurs. Des débits deboissons alcoolisées fleurissent dans les villes et un flux incessantde prostituées vient s'échouer dans les bars et hôtels des grandesvilles. Le rigorisme qui caractérisait les relations sociales depuisla proclamation de la Jamahiriya semble voler en éclat. Alors que,dans l'Irak sous embargo, les prostituées étaient décapitées, elles

24. L. Anderson, The State and Social Transformation in Tunisiaand Libya (1830-1980), Princeton (N.J.), Pri11ceton University Press,1986.

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114 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

parviennent en Libye à se frayer un chemin, preuve des mutationssociales en cours. L'interdiction de la consommation d'alcool et dela prostitution avait été, initialement, une réaction à la débauchedes mœurs supposée régner sous la monarchie d'Idris. La prise dupouvoir par le Colonel avait également été présentée comme unprogrès face à ce qui était perçu par les Frères musulmans commeune dérive sociale contraire à l'islam et à la dignité des Libyens.Le rigorisme social encouragé par le colonel Kadhafi répondaità une volonté d'épurer le corps social des «tares accumuléessous la monarchie •. Les effets de cette politique se sont très vitefait sentir dans une société libyenne qui, embrigadée dans unepolitique révolutionnaire, s'ennuie fermement. Ces frustrationsdiverses s'accompagnent d'un profond sentiment de xénophobie à

l'encontre des immigrés africains, de jalousie face à la <réussite.tunisienne et d'amertume face au constat d'échec relatif de laJamahiriya. Sous embargo, la révolution libyenne a perdu de sasuperbe. Pour la population libyenne, la crainte est que le régimene s'accommode de ces sanctions qui, au final, le pénalisent peu.

- Algérie: condamnation moraledu régime des généraux

Au cours de la décennie 1990, le régime des généraux a mau-vaise presse. À la différence de l'Irak et de la Libye, le régimen'est pas sanctionné par le Conseil de sécurité. L'Algérie reste unpays ouvert aux échanges commerciaux. En fait, le régime estvictime, non pas d'une résolution des Nations unies, mais d'unecondamnation morale inhérente à sa stratégie d'éradication dela guérilla islamiste. En à peine dix ans, tout le capital de sym-pathie accumulée durant la guerre d'indépendance (1954-1962)se voit dilapidé. La répression contre les islamistes et les mas-sacres de civils provoquent un malaise chez tous ceux qui, paraffinité, s'interdisent de critiquer trop bruyamment l'État-FLN.Mais, entre 1993 et 1998, les autorités algériennes deviennentinfréquentables et peu de responsables politiques osent s'afficheravec les responsables de l'interruption du processus électoral dejanvier 1992. Cette mise à l'écart arrange le régime algérien car illui est plus facile de mettre en œuvre sa stratégie de survie à huis

RENTE PÉTROLIÈRE ET RÉGIMES MAFIEUX 1 115

clos. Trois défis menacent le régime. Tout d'abord, l'émergenced'une guérilla islamiste forte, en 1994, de trente mille membres.Divisée en plusieurs tendances, celle-ci bénéfice à ses débuts d'untrès fort soutien populaire et est considérée comme susceptiblede renverser le régime. Les émirs de la guérilla sont convaincusque le temps joue en leur faveur et que le régime va tôt ou tards'effondrer sous les coups de boutoir du jihad. Ensuite, le régimeest menacé en 1994 par la mise en place d'une opposition poli-tique regroupée sous J'égide de la communauté catholique deSant'Egidio à Rome. Le Front des forces socialistes, le Front delibération national, le Front islamique du salut et le Parti destravailleurs ont alors constitué une plate-forme politique «pourune sortie pacifique à la ~rise politique ». Ces partis représentent80 0/0 de l'électorat des élections de décembre 1991; leurs voixcomptent. Ils opposent surtout un démenti à l'argument de l'arméequi invoquait le «soutien de la société civile» à l'arrêt du pro-cessus électoral. En effet, les responsables militaires ne cessaientde se référer aux «pressions» de la société civile - représentéepar les responsables de syndicats, de partis politiques comme leRassemblement constitutionnel démocratique (RCD) ou le Particommuniste (Ittihad) -, pour empêcher l'instauration d'un «Étatthéocratique », Leur contre argument à la sortie de crise prônée parla coalition pacifiste sera la politique d'éradication des islamistes.La troisième menace est le risque de faillite financière à la suite del'effondrement du prix du baril de pétrole. «L'économie de guerre»prônée par Belaid Abdessalem n'a pas permis au gouvernementde faire face aux remboursements de la dette. À la crainte d'unecessation de paiement, s'ajoute le risque d'une démobilisation desfonctionnaires de l'État craignant l'impayé de leurs salaires. Enfin,la mise en place d'une contre-guérilla a un coût financier auquelle gouvernement ne semblait pas en mesure de pouvoir faire face.

Pour vaincre la guérilla islamiste, le régime met en œuvre uneguerre totale, immédiatement dénoncée par des organisations dedéfense des droits humains. En 1997-1998, la violence atteint sonparoxysme avec les massacres de villageois de Beni Messous etBentalha: revendiqués par les groupes islamistes, ces massacressont pourtant attribués à l'armée qui se retrouve une fois de plus

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116 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

sur le banc des accusés". Le président de la Ligue algérienne

des droits de l'homme l'accuse «d'abandon de populations en

danger>. Pour la première fois, le drame algérien sort de son huis

clos et commence à préoccuper l'Union européenne, qui dépêche

une commission d'information sur la situation algérienne. Quant

à la Commission des droits de l'homme des Nations unies, elle

demande que le conflit algérien fasse l'objet d'un débat et n'hé-site pas à accuser le régime de pratiquer «un terrorisme d'État».

La crainte d'une internationalisation du drame algérien devient

la hantise de l'armée, qui y voit un complot des «ennemis de

l'Algérie" ». Mais, tout comme en Irak et en Libye, le régime

résiste. Ses administrations civiles continuent tant bien que mal

à fonctionner et ses appareils sécuritaires gardent la cohésionindispensable à la contre-guérilla.

Par contre, la population algérienne, à l'instar des situations

irakiennes et libyenne, est durement frappée par la mise en

quarantaine politique et morale que subit le pays. Dans l'indif-

férence générale, environ 1,5 million d'Algériens fuient leurs

villages entre 1993 et 199727• Plus de cent mille personnes vontse loger à la périphérie de villes comme Djelfa, Médéa ou Chief.

Cet exode, lié à la situation sécuritaire, s'inscrit de surcroît dans

un contexte général de paupérisation. Dans son rapport intitulé

«Les effets du programme d'ajustement structurel sur les popu-lations vulnérables" », le Centre national d'études et d'analyses

pour la population et le développement (Ceneap) montre que lapaupérisation concerne alors 35 % de la population algérienne.

Sur 31 millions d'Algériens, 12 millions vivent avec moins de

18000 dinars algériens par an (2800 euros), soit 50 dinars

25. Nesroulah Yous, Qui a tué à Bentalha 7, Paris, La Découverte,2000; Habib Souadia, La Sale Guerre, Paris, La Découverte, 2001.26. L'année nationale populaire {AN?} perçoit cette évolution commeune véritable stratégie de guerre menée à son encontre par des «forcesoccultes»: «la troisii>mephase de l'attaque des ennemis irréductiblesde notre patrie a visé notre institution militaire, l'ANP., El Djeich,janvier 1998.27. L'Expression, 19 août 2002.28. Rapport du Ceneap, 2000.

RENTE PÉTROLIÈRE ET RÉGIMES MAFIEUX 1 117

algériens par jour. Avec l'effondrement du pouvoir d'achat,

provoqué par les dévaluations du dinar, 70 % des dépenses des

ménages sont désormais consacrées à l'alimentation. Le taux de

chômage dépasse les 30 % et l'analphabétisme touche 32 Ofo de

la population totale (dont 40 Ofo de femmes). Les effets sur le plan

sanitaire sont immédiats, avec le retour de maladies comme latyphoïde, la tuberculose et la gale.

Les drames occasionnés par la guerre civile (cent cinquantemille victimes) traumatisent bien évidemment la génération

postindépendance. La fin du monopole par l'État-FLN sur la

définition de la communauté nationale algérienne a tout d'abord

ouvert la voie à un questionnement sur l'histoire et sur l'identité

algérienne. Dans la violence, la société algérienne redécouvre sa

pluralité politique, mais également sa fragilité. Le psychanalyste

Nourredine Toualbi souligne en 2000 qu'en Algérie: «Les jeunes

générations sont en rupture des sens où leur trajectoire vitale est

contrariée par le poids de misères existentielles innombrables(misère sociale, affective, sexuelle), il est à craindre des effets de

retour d'angoisses destructeurs. Ces jeunes sont parfois porteurs

de danger pour les autres aussi - et peut-être surtout sont-ilsdangereux pour eux-mêmes qui vivent les affres d'un grave

désenchantement dans une société prétendument égalitaire, maisqui n'a jamais tenu ses promesses" •. »

La décennie 1990 bouleverse en profondeur l'équilibre quel'État entretenait jusqu'alors avec la société. En Irak, en Libye et

en Algérie, cette décennie a déconstruit l'image d'un État bien-faiteur. Les profondes mutations observables ne manquent pas

d'inquiéter et la détérioration dramatique des conditions de vie

soulève des questions quant à la capacité des régimes à recons-truire des projets de société mobilisateurs. L'impression qui domine

durant cette période est celle d'une césure entre les coalitions au

pouvoir et la société. Ces États apparaissent en perdition et leurs

trajectoires offrent des comparaisons impensables vingt ans plus

tôt: l'Algérie n'est plus comparée au Mexique, mais au Nigeria;

la Libye au Soudan, et non plus à un émirat en Méditerranée;

29. Liberté, 7 décembre 2000.

Page 61: Violence de La Rente Petroliere

118 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

quant à l'lrak, sa trajectoire est plus proche de l'Azerbaïdjan quedu Japon ... Pour beaucoup d'observateurs, ces pays ont dilapidévingt années d'efforts, au point que leurs populations en sontvenues à croire que les conditions de vie étaient moins dures sousle régime colonial. La richesse pétrolière ne fait plus illusion etle pétrole apparaît comme une malédiction. En effet, du pointde vue de la population, ce sont les plus démunis qui supportentessentiellement le coût des sanctions et retrouvent littéralementjetés dans la pauvreté et la précarité en raison d'une crise éco-nomique et financière inhérente au contrechoc pétrolier de 1986.

- Des économies en faillite

Ttrente ans après la nationalisation du secteur des hydro-carbures, la richesse pétrolière semble partie en fumée pour nelaisser que les cendres d'économies en ruines. Le facteur quidéclenche cet effondrement financier est la chute brutale du prixdu baril après 1986 (passant de 30 à 10 dollars). Si le recours à

l'endettement entretient momentanément l'illusion de la richesse,le service de la dette conduit rapidement l'Algérie et l'Irak sur lechemin de la banqueroute. Alors même que la population a tripléen vingt ans, les régimes ne disposent ni des moyens financiers,ni d'une économie diversifiée pour satisfaire les besoins de baseque revendique la génération née à l'époque de l'abondancefinancière. La part des revenus pétroliers et gaziers dans lesrecettes d'exportations passe de 93 0/0 en 1975 à 95 % en 1999en Algérie. La fiscalité pétrolière dans les recettes budgétairesaugmente de 58 à 60 % pour la même période". En Libye, 98 0/0

des revenus issus des exportations proviennent des hydrocarbureset ceux -ci produisent 80 0/0 des recettes budgétaires. Le secteurpétrolier représente 74 0/0 du pm. L'incapacité de réformer ceséconomies rentières mène les gouvernants à dépendre exclusive-ment des revenus de ce secteur. Lorsque celui-ci se portait bien,comme entre 1971 et 1985, les revenus issus des exportationsdes hydrocarbures permettaient de financer les dépenses. Avec le

30. A. Rebah, Sonatrach. Une entreprise pas comme les autres,Alger, Casbah, 2006, p. 223.

RENTE PÉTROLIÈRE ET RÉGIMES MAFIEUX 1 119

contrechoc pétrolier, les champs pétrolifères finissent par servirde gages pour obtenir des prêts bancaires. En effet, bien qu'enfaillite, ces pays aux réserves pétrolières et gazières importantesdemeurent crédibles. En Algérie, entre 1985 et 1988, la dettetotale double de volume pour atteindre 26 milliards de dollars. Aubord de la banqueroute, les autorités négocient des prêts à courtterme contraignant les gouvernements à consacrer l'essentiel desrevenus au remboursement du service de la dette .• Le service dela dette aux recettes d'exportations passe de 66,4 0/0 en 1990 à82,2 % en 1993. Les prévisions pour 1994 font état d'un taux de93,5 0J0, rendant la cessation de paiement inévitable".» En 1994,l'Algérie est contrainte de rééchelonner, devant le Club de Pariset le Club de Londres, 15 milliards de dollars échéant entre 1994et 199732, et, comble de l'humiliation, elle doit accepter un pland'ajustement structurel (PAS), rejoignant ainsi la Tunisie et leMaroc ... Tout au long de la décennie 1990, l'Algérie vit avec untaux de croissance de 1,3 0/0, inférieur à la croissance démogra-phique (2,2 %), ce qui rend impossible l'intégration sur le marchédu travail de millions de jeunes.

Dans une situation plus critique que l'Algérie, l'Irak en guerrecontre l'Iran, connaît, avec l'effondrement du prix du pétrole en1985, une situation financière désastreuse. Alors même que le coûtde la guerre ne cesse de croître, les revenus issus des exportationsde pétrole passent de 26 milliards en 1980, à 12,5 en 1985, puis à8 milliards en 1986. Les seules dépenses d'armement atteignent lasomme astronomique de 90 milliards de dollars. L'augmentationde la production pétrolière durant cette période ne permet plusde financer cette économie de guerre. L'Irak va bénéficier de prêtsbancaires qui vont engendrer (1 une dette odieuse>» contractée

31. Omar Benderra, -Economie algérienne 1986-1988 H, dans J. Cesari[dir.), La Méditerranée des réseaux, Paris, Maisonneuve et Larose,2002, p. 231-267.32. O.Benderra, .Economie algérienne 1986-1988 H, art. cité, p. 241.33. P. Adams, «Iraq 's Odious Debts H, Policy Analysis, 526, 28 sep-tembre 2004.

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1201 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

par un régime dictatorial", Surendetté, l'Irak envahit le Koweïtet provoque la deuxième guerre du Golfe. Alors que le régimeavait réussi la prouesse de reconstruire 88 0/0 des infrastructuresdétruites pendant la guerre contre l'Iran, la campagne militaire delibération du Koweït (cent dix mille attaques aériennes et quatre-vingt-dix mille tonnes de bombes) plonge les Irakiens dans lapauvreté, avec une inflation de 1500010 en 1991.

En comparaison, la situation libyenne peut paraître enviable.La chute des revenus pétroliers annuels (22,5 en 1985 mais9 milliards de dollars à partir de 1991) provoque une crisefinancière et économique, mais non une faillite. Ce sont moinsles fluctuations du prix du pétrole qui inquiètent le régime quele Conseil de sécurité. En 1992, le régime libyen s'attend à dessanctions internationales aussi sévères que celles infligées à l'Irak,un embargo pétrolier total qui vraisemblablement ramènerait cepays à une économie de famine, comparable à celle qui prévalaitdans les années 1940-1950, avant l'exploitation du pétrole. Eneffet, les revenus pétroliers représentent l'essentiel des recettescourantes et permettent de financer les besoins alimentaires(à 80 0/0 importés). À la différence de l'Irak, la Libye, sous unblocus total, ne peut recourir à l'agriculture pour satisfaire sesbesoins: seulement 2 0/0 des terres sont cultivables. La Libye vaêtre sauvée, non par les inquiétudes humanitaires du Conseil desécurité, mais par le soutien actif de l'Allemagne et de l'Italie, sesdeux principaux importateurs de pétrole: pour ces deux pays,un arrêt brutal des livraisons libyennes provoquerait une criseénergétique majeure". La Libye s'est pourtant préparée à cetteéventualité (transfert de quelques milliards de dollars vers des

34 .• The country's hard cu.rrency reserves, which had oeen sorne$37 billions before the outbreak of the warwere $2 billions in 1987.After J 983 the qouemment was forced to undertake âebt conversionnegotiations and to ask suppliers for credit. At the end of 1986the Iraqi foreign debt was estimateâ to be about $50 billion. By themiddle of J 989 it !Vas $65 billion., dans P. Adams, •Iraq's OdiousDebts >, art. cité, p. 225.

35. G. Joffe, «La Libye et l'Europe», Maghreb-Machrek, J 70,2000.

RENTE PÉTROLIÈRE ET RÉGIMES MAFIEUX 1 121

banques du Moyen-Orient et diffusion d'une partie de ses avoirsbancaires dans une centaine de comptes off shore).

L'embargo partiel (la vente de pétrole était autorisée) ne pro-voque pas une crise humanitaire, mais réduit seulement le pouvoird'achat des Libyens: les hausses cumulées des prix à la consom-mation sont de 200 010 entre 1992 et 199736• Avec une inflation de30010 par an entre 1995 et 1998, la perte du pouvoir d'achat dessept cent mille fonctionnaires (la population active est de neuf centmille personnes), dont le revenu est bloqué depuis 1979 autourde 250 dinars par mois, se fait lourdement sentir. L'émergenced'un marché noir, qui représente jusqu'à 20 010 des transactionsen devises, à un taux dix fois supérieur au taux officiel, nourritune économie informelle prospère. Le gouvernement estime letaux de chômeurs à 11010 de la population active, il est en réalitéde 30 0/0. En raison de la menace des sanctions internationales,le régime libyen, à la différence de l'Algérie, ne parvient pas àobtenir des prêts à court terme pour financer cet ajustement. Noncrédible, la dette extérieure de la Libye (4,5 milliards de dollarsentre 1991 et 1992) ne conduit pas le régime aux portes du FMI,épargnant ainsi le régime du surendettement. Le service de sonremboursement ne représente que 3 010 des revenus du pétrole en1994 ... contre 90 % pour l'Algérie la même année! En 1996, lerégime peut donc laisser les dépenses militaires continuer d'ab-sorber 33 010 des revenus pétroliers ...

_ Bienfaisance et allégeanceDe la Syrie au Maroc, en passant par la Tunisie, nombreux

sont ceux qui se demandent comment des voisins aussi richesque l'Irak, l'Algérie et la Libye ont pu sombrer dans un tel état deviolence et de pauvreté? À la différence des régimes autoritairesnon pétroliers (révolutionnaires ou non), les régimes autoritairespétroliers (et révolutionnaires) sont contraints de pratiquer labienfaisance pour justifier leur légitimité. Parvenus au pouvoirdans le cadre de révolution soutenue par un nationalisme pétro-lier, ces régimes ont redistribué au peuple les biens et les services

36. Marchés tropicaux, 1J septembre 1998.

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auxquels il a droit et ont cherché à restaurer la dignité de lanation, bafouée par l'histoire coloniale)'. En contrepartie, ils ontexigé un devoir d'obéissance et d'allégeance absolu, définissantpar-là le cadre de la légitimité révolutionnaire. Sans institutionssusceptibles d'exercer un contrôle sur cette transaction entre lepeuple et les gouvernants (justice indépendante, partis politique,presse libre, etc.), les échanges et les négociations se réalisentdans l'arbitraire et l'opacité. Dans le cadre de régimes politiquesdépourvus d'institutions aptes à gérer la bienfaisance de l'État,les attentes générées par la richesse pétrolière ne peuvent qu'oc-casionner une économie du gaspillage. D'où le paradoxe de cesrégimes à la réussite politique indéniable - si on la mesure àl'aune de leur longévité -, mais à l'échec économique tout aussiflagrant au regard de l'état dans lequel vivent leurs populations.La concentration des pouvoirs, et donc l'absence de contrôle exer-cée sur la rente, explique le développement de la corruption quiremplit une fonction de soupape de sécurité. Présentes à tous leséchelons de la société et dans toutes les activités professionnelles,ses pratiques permettent de satisfaire des besoins variables enfonction des protagonistes. L'organisation non gouvernementale(ONG)Transparency International classent l'Algérie, l'Irak et laLibye comme fortement corrompus: sur 145 États, l'Algérie est 97<,l'Irak 129< et la Libye lOS<. L'ONGn'hésite pas à souligner que laLibye et l'Irak ont «atteint un niveau alarmant. de corruption".

37. Andrew Rosser explique comment, a contrario, l'Indonésie aéchappé à la malédiction du pétrole: «the political victory of coun-ter-revolutionnary social forces ouer communist and radical popuiistsocial forces in the mid-1960; the economic opportunities openeâ upby the country's qeopoliticai siqnificanœ durinq the Cold War and itsgeograplzieal proximity to Japan and the «tiqer» eeonomies of EastAsia. The first of these factors, 1 argue, laid the political founda-

tions for the Indonesian qouemment to reorient its economic poli-cies away from the radical economic nationalism of the 1950s andearly 1960s and towards an economic policy agenda more fauourableto capitalist eeonomic deuelopment in the 1970s and 19805>, dansA. Rosser. Escaping The Resource Curse: the Case of Indonesia.,Journal ofContemporary Asia, 37 (I), 2007, p. 43.38. Rapport 2004, Transparency International.

RENTE PËTROLlËRE ET RÉGIMES MAFIEUX 1123

Pourtant les dispositifs juridiques ne manquent pas, comme l'illustrel'exemple libyen. Abdurrahman Mousa AI Abbar, secrétaire généraldu comité populaire au Conseil du contrôle populaire, souligne en1999 les efforts de la Libye pour combattre la corruption". Maisdans les années 1990, ces dispositifs ne pouvaient avoir aucunimpact sur des pratiques profondément ancrées, fonctionnelles etefficaces dans le système c1ientéliste de la période d'abondance,puis nécessaires et même vitales dans la période des embargos".

L'arrivée massive des revenus pétroliers dans des États auxinstitutions non démocratiques a détruit ou annihilé toute possi-bilité de réformes économiques, quand bien même celles-ci sontnécessaires à un développement durable. Ainsi, la différencede trajectoire entre la Norvège, autre État pétrolier, et la Libyes'explique par le contrôle démocratique qui est exercé sur lesusages de la rente à Oslo, là où, à Tripoli, l'arbitraire et l'opacitéconduisent à l'affaiblissement des performances économiques. Forceest de constater que, du point de vue politique, la performanceéconomique n'a jamais été la préoccupation majeure du régimelibyen: comme pour l'État-FLN et le parti Baath, les revenuspétroliers servent d'abord à consolider les régimes. Dans cetteperspective, le gaspillage et la corruption, loin d'être probléma-tiques, permettent d'alimenter un système clientéliste qui, durantla période d'abondance, assurait le fonctionnement pacifique dela scène politique. Mais, sous les embargos et avec l'émergencede la violence politique, ce système perd de son importance. Les• entreprises criminelles» le remplacent et favorisent une meilleure

39. International Anti-corruption Conference, JOoctobre 1999: «LawN" 2 for the year 1979 concerning ecollomic crimes and il' is relateâ tofiglzting of ail aspects of ecollomic corruption in the state; Law N" 3for the year 1985 regarding the prohibition andfavoritism; Law N" 3for the year 1986 on "from where have you got this"; Which is relatedto prohibition of gaining utility or materialistic or mora.Iaduantaqe ;Law N" JOfor the yea.r 1994, regarding purqitu;»40. D. Baron souligne qu'en Irak, les fedayin de Saddam Husseinpercevaient un salaire de 25 dollars par mois, que celui des officiersde .Ia prestigieuse sécurité spéciale. était de 500 dollars et celui desgardes rapprochés de JOOO à 1500 dollars, dans D. Baron, Vivre latyrannie, op. cit., p. 271.

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adaptation à un environnement caractérisé par la violence, lapauvreté et surtout le transfert de droits de propriété. La flexibilitédes régimes mafieux va permettre également de reconstruire desbases sociales sur des fondements bien différents de ceux desannées 1970. Pour des dirigeants désormais dépourvus d'idéologie,le peuple et ses représentants officiels ne sont plus des figuresincantatoires nécessaires. En revanche, le recours aux apparte-nances familiales, tribales et régionales s'avère déterminant pourla survie de ces régimes qui y trouvent la cohésion et la confiancenécessaire au bon fonctionnement de leurs entreprises criminelles.La décennie 1990 est une illustration de la mutation des pratiquesau sein des coalitions: on passe de la corruption à la prédation.

- La reconsolidation mafieuse des régimes

Entre 1986 et 2003 (début du troisième choc pétrolier), lescoalitions autoritaires édifient des économies de pillage. Lafaiblesse des institutions politique, l'absence de contrôle surla rente et la destruction des sociétés civiles par les embargosfavorisent l'émergence de ces régimes mafieux. Aux yeux desmilitants de la cause révolutionnaire, les révolutions nationaleset socialistes ont été victimes de la richesse pétrolière; celle-cia créé un parasite qui a contaminé le corps social et politique, àl'instar des narco-États, Mais, à la différence de l'économie de ladrogue, l'exploitation des hydrocarbures ne permet pas le dévelop-pement d'une économie mafieuse rapidement lucrative. Elle exigedes investissements colossaux et les exportations nécessitent lacréation d'un marché où les acteurs sont contraints à un certaindegré de transparence. En revanche, l'usage des revenus issusdes exportations est comparable aux pratiques de redistributionmises en œuvre par certaines organisations criminelles telles queles cartels colombiens des années 1980. Les chefs de ces cartelsredistribuaient une partie des gains de l'économie de la drogueafin de consolider leurs entreprises criminelles". Dans un contexteéconomique et social caractérisé par la pauvreté et la précarité,

41. G. Duncan, «Les seigneurs de la guerre à la conquête des villes deColombie., Les Cahiers de la sécurité, 2005, p. 63-85

RENTE PÉTROLIÈRE ET RÉGIMES MAFIEUX 1125

la drogue et le pétrole ont permis la naissance de narco-Étatsdans un cas, et de oil mafias dans l'autre". Les revenus de ladrogue comme ceux du pétrole ont irrigué un enchevêtrement deliaisons et de relations qui confonde le régime avec l'État, celui-cidevenant non pas un acteur autonome capable d'influencer lesautres acteurs sociaux, mais un outil, puissant et moderne, auservice de groupes minoritaires organisés et armés. De plus, dansle cas du pétrole, l'émergence de ces mafias bénéficie d'un cadrepolitique où la distinction entre espace public et privé est faible.

Lecontraste est saisissant entre l'image d'intégrité et d'efficacitédes régimes durant la décennie 1970 et les pratiques de corruptionet les comportements de prédation au cours de la décennie 1990.Comment expliquer ce décalage entre la perception et les pra-tiques? La construction politique du récit" développementaliste »,

soutenu par le nationalisme pétrolier, était trompeuse: les régimesdes années 1970 pratiquaient déjà la prédation, mais celle-ciétait masquée par, ou noyée dans, l'abondance des ressourcesque la nationalisation des hydrocarbures avait fait naître et parla sympathie des observateurs pour ces jeunes États. Les régimesn'ont pas changé, les embargos dévoilent simplement des pra-tiques devenues entre-temps, dans un contexte de raréfactiondes ressources et de désenchantement national, inacceptables etintolérables. En Irak, Saddam Hussein a mis en place des méca-nismes d'appropriation des revenus de la rente qui échappent àtout contrôle: .À la fin des années 1980, il détenait le contrôleabsolu sur l'État, l'appareil du parti, et les services de sécuritéétaient confiés à certains de ses propres parents. Les lois ont prisla forme de décrets revêtus de sa signature. De plus, désormais,il a entièrement sous sa coupe le ministère du Pétrole et celui del'Industrie et de l'industrialisation militaire, qui jouissent tousdeux d'un statut "autonome": leurs recettes et leurs dépensessont couvertes par le secret et n'ont à rendre de comptes qu'au

42. T. Shelley, Oil. Politics, Poverty and the Planet, Londres, ZedBooks, 2005.

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1261 VIOLENCE DE LA RENTE P~TROLlÈRE

président".» En Algérie, les mécanismes d'appropriation ontété plus diffus: ni le président Boumediene (1965-1979) ni son«clan» n'étaient parvenus à un contrôle absolu. Comme le sou-ligne A. Dahmani, après le coup d'État de 1965, «le système decorruption se fait plus discret [00'] l'activité commerciale interneet externe est organisée autour de centres de décisions politiquesconcentrées qui obéissent à des règles non écrites et selon descritères sociopolitiques: poids dans l'appareil politico-militaire,népotisme, clientélisme régional». Dans ce système, un acteur sedétache, « la fraction militaire»: s les officiers de l'armée et desservices de sécurité sont ceux qui détiennent, généralement parl'intermédiaire d'un prête-nom, les affaires les plus juteuses .44.

Ce système va faire de l'Algérie un cas d'école • pour L'analysede la malédiction de la richesse, et des syndromes de l'économiede rente: accaparement de la rente par une classe d'affairistesd'État qui font du contrôle du pouvoir un moyen d'enrichissementpersonnel et de corruption systématique" ». En Libye, un systèmeopaque incarne aux yeux des Libyens le «véritable» pouvoir: lafamille de Kadhafi et ses clans".

La modification des droits de propriété, dans le cadre de laprivatisation des biens publics, s'inscrit officiellement dans lecadre d'une politique de libéralisation qui a pour ambition deréduire' les dépenses de l'État et d'être plus efficace dans la ges-tion de ses ressources. Dans les faits, cette politique a mis à rudeépreuve les. coalitions» qui se partagent les sources de revenus.Tant que l'État détenait le monopole de ces revenus à travers lecontrôle de la rente, l'enjeu consistait à obtenir les ressourcesnécessaires pour intégrer les réseaux qui géraient cette manne".

43. Marion Farouk-Sluglett, «Rente pétrolière et concentration dupouvoir», art. cité, p. 7.44. Ahmed Dahmani, l'Algérie à l'épreuve, op. cit., p. 24.45. Michel Chatelus .• Nouvelles orientatiolls de la politique pétro-lière algérienne •. Maghreb-Machrek, octobre-décembre, 1999, p. 546. M.O. el-Kikhia. Libya's Qadhafi. The Politics of Contradiction,Gainsuille (Fia.), University of Florida, 1997, p. 90.47.Smail Goumeziane, Le Mal algérien, économie politique d'unetransition inachevée, Paris, Fayard, 1994.

RENTE P~TROLlÈRE ET R~GIMES MAFIEUX 1 127

Après le boom pétrolier et la destruction de l'économie horshydrocarbures, l'essentiel dujeu se résume désormais à gérer lesimportations, dont le volume peut varier en fonction des pays: de10 milliards annuels à plus de JO milliards de dollars entre 1970et 2000. Des opérateurs spécialisés dans l'import redistribuent lesbiens et les marchandises, ils irriguent toute une économie de«bazars» et d'. entrepôts ». Les entreprises nationales pétrolières(Sonatrach, NOC, INDC) sont généralement protégées de touteforme d'ingérence politique. L'industrie pétrolière, unique sourcede revenus extérieurs, est mise à l'abri et son personnel choyé.La production de pétrole est vitale à la stabilité, voire à la survie,des régimes. La simple hypothèse d'une ouverture de ce secteuraux investissements étrangers provoque un vent de panique etd'inquiétude. En effet, l'absence totale de transparence sur lestransactions alimente les spéculations les plus extravagantes. Lafin du monopole peut faire craindre que les règles du jeu, quiavaient jusque-là permis une ventilation équitable des revenusentre partenaires au sein des régimes, favorisent à présent certainsacteurs au détriment d'autres. Dans une période de très grandeinstabilité et de vulnérabilité - embargos et violence islamiste -,la maîtrise de ces transactions est susceptible de porter au pouvoirde nouvelles coalitions. Le risque de voir Lescoalitions se fissurerau sommet sur la question de la privatisation du secteur pétrolierfait craindre la fin de la cohésion interne des régimes. Pourtant,l'ouverture du secteur est inévitable en raison des investissementsà réaliser afin d'augmenter la production, et ils ne peuvent êtreréalisés que par des compagnies étrangères en raison des difficultésfinancières des gouvernements.

En Libye, le secrétaire général à l'Énergie, Abdullah Al Badri,annonce en 1996 la nécessité de modifier la loi n' 25 sur le pétrole(datant de 1955), afin d'adapter le marché libyen à l'industrieinternationale du pétrole. En 1998, un comité préparatoire, dirigépar Muhammad al Kaylani, conseiller au secrétariat à l'Énergie,rédige un projet de loi sur le pétrole". À peine, deux semainesaprès la suspension de l'embargo (en avril 1999), Abdullah Al Badri

48. Arab Oil and Gas Directory, 2000, p. 260.

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1281 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLItRE

confirme que la Libye est décidée à ouvrir son secteur énergétique,et ce dans la transparence et au plus grand nombre de sociétésinternationales, précisant même que le potentiel d'ouverture dumarché libyen comprenait 96 blocs" (les blocs représentent desconcessions territoriales, qui sont mis aux enchères et que lescompagnies pétrolières qui ont été retenues explorent dans l'espoirde découvrir des gisements). En Algérie, la loi Ghozali est votéeen 1991. Elle confirme la nécessité d'ouverture du secteur deshydrocarbures, selon ses propres termes: .À partir du moment oùnous sommes obligés d'aller emprunter de l'argent pour faire face ànos dépenses, il vaut mieux céder une partie de notre patrimoine;c'est notre argent et au moins on ne paie pas d'intérêts dessus=.»À partir de 1995, l'Algérie devient un marché attractif. Début 2000,la Sonatrach compte plus de cinquante accords de • partenariatdans l'amont> avec des compagnies étrangères. L'élection d'Ab-delaziz Bouteflika à la présidence va accentuer cette ouverture,avec l'élaboration d'un avant-projet de loi sur les hydrocarbures,préfigurant pour ses détracteurs la privatisation du secteur", EnIrak, le régime demeure contraint, par les sanctions internatio-nales, de n'agir que dans le cadre de la résolution dite «pétrolecontre nourriture •. Ainsi huit contrats de partage de production(Production Sharing Agreement) sont signés avec des compagniesétrangères en «prévision de la fin des sanctions onusiennes _,maisl'autorité provisoire de coalition (CPA)qui supplantera le régimede S. Hussein en 2003 finira par «annuler tous les contrats éner-gétiques négociés à l'époque de S. Hussein" •.

49. MiddleEast EconomieDigest, 18 août 2000.50. Cité dans A. Rebah, Sonatrach, une entreprise pas comme lesautres, Alger, Casbah, 2006, p. 225.5]. Selon ses promoteurs, l'avant-projet procède «du souci de lacohérence avec la nouvelle orientation du pays, qui est une orienta-tion vers l'économie du marché, c'est-a-dire vers la concurrence, lalibéralisation, la transparence et l'ouverture>, cité dans A. Rebah,Sonatrach, op. cit., p. 227.52. Barah Mikaï/, Irak: état des lieux, évolutions et perspectivesen matière énergétique, Paris, secrétariat général pour l'Adminis-tration, p. 70.

RENTE PÉTROLIÈRE ET RÉGIMES MAFIEUX 1129

La modification des droits de propriété va en fait favoriser letransfert des biens publics vers tous ceux qui sont bien intégrésdans les réseaux publics de l'économie rentière. Le parti Baath, lafamille révolutionnaire, les comités révolutionnaires utilisent leursaccès aux ressources à des fins personnelles .• Dès lors que l'élitebaathiste a commencé à répandre l'idéologie, les officiels irakiensse sont mis à se servir du pouvoir étatique à des fins personnellespar le biais d'activités criminelles variées. Les institutions publiquesont peu à peu été gangrenées par la corruption=.» Les plus hautesinstances du parti, c'est-à-dire le Conseil de la révolution, prélève5 Ofo sur les revenus du pétrole et, «selon Muhammad Zini, ancienconsultant du ministère du Pétrole, ce fond atteignait la somme de17,4 milliards de dollars en 1990" •. La mise sur le marché de cesbiens publics provoque, ce qui était prévisible, l'instauration d'unsystème de prédation: «Bénéficiaires privilégiés des privatisationset des nouveaux circuits d'approvisionnement de l'import-export,les cadres du parti Baath mettent progressivement en place unsystème de prédation des ressources du pays" .• Ce système n'hésitepas à exploiter également le programme des Nations unies «pétrolecontre nourriture», censé alléger les souffrances de la population.Entre 1997 et 2003, ce sont 8 milliards de dollars qui auraientété détournés par le régime". Comme en Irak, une économie deprédation se consolide en Libye. Afin de la rendre plus douce, etcomme il en a les moyens, le régime n'hésite pas à distribuer desdons à des familles en détresse. En 1996, Mouammar Kadhafioffre personnellement à trois cent mille familles la somme de5000 dollars pour faire face aux difficultés posées par J'embargo.Il puise cette manne dans J'Oil Fund Reserve (8,8 milliards de

53. Kanan Makiya, _Ail Levels oj the lraqi Govemment WereComplicit», MiddleEast Quartely,printemps 2005, p. 81-87.54. Al-Hayat, 2 juin 2005.55. Thierry A. Brun, «Comment fabriquer un État fraqile», art. cité,p. 115.56. Report on the Management of the Oil-for-Food Programme,Indepenâent lnouiry Committee into the United Nations Oit-for FoodProgramme, 7 septembre 2005, p. 4 et 185-259.

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1301 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

dollars en 2002)57, structure financière qui échappe à tout contrôle.

La prédation du régime libyen est dénoncée par l'ensemble despartis de l'opposition. Pour le plus important d'entre eux, TheNational Front for the Salvation of Libya, il est devenu urgent

d'avoir un contrôle sur les revenus de l'État 58. La dilapidation

des ressources pétrolières est une critique souvent formulée. Las générosité » de Mouammar Kadhafi envers certains chefs d'État

africains est légendaire (Mercedes S 500 à 100000 dollars pièce

offerte aux dirigeants d'Afrique du Sud et du Ghana, cadeaux

payés cash à Kumba Yala, président de la Guinée-Bissau, soit

une valise contenant 1,35 million de dollars en espèces). En effet,

la Libyan. Arab African Investment Co a investi 4 mllliards de

dollars en Afrique (plus de cent trente projets réalisés) et possède

plusieurs entreprises industrielles au Ghana, au Gabon, au Liberia,

en Zambie, au Congo-Brazzaville". Le président du conseil des

investissements à l'étranger n'est autre que Mohamed Elhuweij,banquier de M. Kadhafi et ancien ministre des Finances. Dans

un contexte de crise économique, ces investissements en Afrique

surprennent la population libyenne tant ses besoins restent brimés.Pour beaucoup, du fait du régime des sanctions, ils représentent

une économie de recyclage des pétrodollars vers des destinations

plus sûres que les destinations classiques.

Sous l'embargo, les instruments du pouvoir du régime révo-

lutionnaire se sont affaiblis. La plus haute autorité politique, le

57. Maghreb confidentiel, 622, 30 octobre 2003. Sur les fonds dansles États pétroliers, Thierry Coville souligne que: « On a cru, il y aquelques années, que la création de fonds de stabilisation pétroliersétaient une solution. L'idée était de verser les excédents en matière derecettes pétrolières, c'est-a-dire le surplus de recettes pétrolières parrapport il ce qui était prévu, dans des fonds qui seront utilisés poursoutenir l'économie quand le prix du pétrole baissera. Or, l'expériencemontre que ces fonds ne sont pas UJlesolution tant que les principesde transparence et de rigueur ne sont pas appliqués el! matière depolitique budgétaire. Au contraire, l'existence de ces fonds, comptetenu du niveau actuel de développement des institutions dans leMoyen-Orient, ne peut que faciliter le clientélisme et la corruption.»58. http://www.nfsl-Iibya.com59. Arables, février 2003, p. 21.

RENTE PÉTROLIÈRE ET RÉGIMES MAFIEUX 1 131

congrès général du peuple applique les directives du Guide, tandis

que les comités révolutionnaires, transformés en entreprises cri-

minelles, pillent les ressources de l'État. Avant, les signes d'une

telle dérive étaient évidents; après, ils deviennent flagrants. De la

spéculation financière aux importations de voitures de luxe et à la

création de sociétés hors de la Libye, les comités révolutionnaires

font figure de • gangs. ; même le mimétisme du style - veste en

cuir coupée, pistolet-mitrailleur, BMW - frappe. Le régime donne

le sentiment d'être à bout de souffle, dépouillé de sa rhétorique

révolutionnaire, privé du soutien des masses, gouverné par desministres sans compétences ni prérogatives, humilié par un embargo

qui l'isole, accusé de terrorisme international. Si le régime révolu-

tionnaire a tenu sous l'embargo, c'est grâce à la solidarité clanique

qui caractérise le pouvoir. Entre 1970 et 2000, le régime a perçu

350 milliards de dollars de la seule vente des hydrocarbures, mais

aucune structure administrative ou politique n'a pu exercer unquelconque contrôle sur l'usage de cette manne financière, celle-ci

étant sous la supervision exclusive de Mouammar Kadhafi et de

ses proches. La rente pétrolière en Libye demeure une propriété

familiale et clanique. Des réseaux informels complexes gravitent

autour de la redistribution, de l'investissement et des dépenses

de ce pactole. La stabilité du pouvoir de la famille et des clans

de Kadhafi repose sur leur capacité à restreindre l'accès direct àcette ressource stratégique. La nationalisation des hydrocarburesdans les années 1970 et l'ouverture contrôlée par la suite ont

permis une mainmise totale sur les ressources énergétiques et unaccroissement considérable des revenus. Le contrôle unilatéral de

la rente pétrolière est un impératif politique vital pour le maintien

du régime. L'ouverture en faveur des investisseurs étrangers s'est

accompagnée d'un discours sur les privatisations des entreprises

nationales et d'un encouragement aux créations d'entreprisesprivées". Après la levée de l'embargo, elle n'entraîne aucune

perestroïka - sur le modèle de la libéralisation algérienne de

60.Ainsi, entre 2003 et 2008, le gouvernement envisage le transfertde propriété de 360 unités de production du secteur public vers leprivé, El Fajr al Jadid, 18 décembre 2003.

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132 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLlËRE

la fin de la décennie 1980 ayant provoqué la déstabilisation del'État-FLN·' - qui aurait remis en cause de façon inéluctable lesmodes de domination des coalitions tribales au pouvoir.

En Algérie, le président Boudiaf, qui a dénoncé ce système deprédation sous le nom de « mafia politico-financière », est assassinéle 29 juin 1992. Que dénonce-t-il? Des pratiques anciennes decaptation de la rente dans le cadre de la politique d'importationde produits pharmaceutiques, d'armes, des prélèvements sur lescontrats pétroliers et des transferts d'argent vers des comptes àl'étranger. Or, la libéralisation économique et les programmesde privatisation amplifient ce mouvement". Les transactionsopérées sur les droits de propriété sont effectuées dans uneopacité totale. Les journalistes évitent de «parler de tout ce quis'apparente à un détournement de deniers publics ou à la pré-varicationv» ; de fait, ils ont déjà payé un lourd tribut (plus desoixantejournalistes assassinés entre 1993 et 1997). L'opacité estd'autant plus grande que la confusion peut régner entre groupesislamistes et pouvoir politique. Comme le souligne un avocatalgérien, Me Boutamine, dans «une situation assez particulière,certains milieux de la corruption et leurs pratiques mafieusesont fait, depuis quelques années, jonction avec les agissementsdes organisations intégristes légalisées, même celles qui étaientclandestines au départ. Aujourd'hui, le terrorisme et même lasubversion islamiste couvrent et protègent le développement de lacorruption et de la contrebande= •. La chercheuse Fatiha Talahitesouligne qu'entre 1986 et 1988, plus de 9,7 milliards de dollars«auraient été transférés illégalement hors d'Algérie ». Ce montantaurait atteint 16,3 milliards de dollars fin 1990, soit près de 55 0/0

61. Henry Clément Moore, «Alqeria's Agonies: Oil Rent Effects in aBunker State», The Journal OfNorth African Studies, 9 {2}, 2004.62. En 1991, suppression du monopole de l'État sur le commerceextérieur et en 1993 nouveau code des investissements qui, lève lescontraintes il l'illvestissement privé, domestique ou étranger».63. Djilali Hadjadj, , Violence et corruption : cas de l'Algérie., LeBulletin de l'APAD, 25, juin 2003.64. Témoignage de Me Boutamine dans Le matin, 15 octobre 1998.

RENTE PÉTROLlËRE ET RÉGIMES MAFIEUX 1133

de la dette extérieure (30 milliards de dollars en 1990)65. À la finde la guerre civile, en 1999, les avoirs des milliardaires algériensà l'étranger sont estimés à 40 milliards de dollars".

- ConclusionLes mécanismes de redistribution clientéliste qui ont assuré

la stabilité des régimes autoritaires se transforment sous lesembargos. Les coalitions autoritaires, qui bénéficient jusque-làdes revenus de l'État pour asseoir leur légitimité, ne disposentplus des moyens permettant de «paralyser durablement l'exercicede la souveraineté du peuple"». Confrontées à des insurrectionset à des sanctions internationales, celles-ci, à défaut de négocierune «sortie de l'autoritarisme» ou d'imploser, vont rompre lesliens idéologiques et politiques qui les rattachent au peuple enlaissant les populations livrées à elle-même. Pour ces coalitions,l'enjeu n'est plus d'entretenir les illusions du socialisme arabe,mais de survivre dans un environnement qui les rend vulnérables.La faillite des économies rentières, dans un contexte de guerre etde violence, les contraint à des réformes qui, dans la précipita-tion et l'opacité, modifient les droits de propriété de la rente, enmettant sur le marché une partie du patrimoine national. Sansinstitutions politiques légitimes pour garantir ces transactions,des mafias voient le jour et sécurisent les nouvelles règles dujeu. Elles prennent la place et remplissent la fonction qui avaitété celles des organes de sécurité durant la période d'abondance.

La modification des droits de propriété se traduit sur le planpolitique par une transformation des pratiques des coalitions, quipassent de la corruption à la prédation. Dans les années 1970

et 1980, les pratiques de corruption étaient régulièrement dénon-cées et le secteur pétrolier offrait des opportunités de corruption

65. Fatiha Talahite, ' Économie administrée, corruption et engrenagede la violence en Algérie., Revue Tiers-Monde, 161 (J), 2000, p. 9.66. Challenges, 135, avril 1999, cité par Fatiha Taiahite, «Économieadministrée., art. cité, p. 21.67. G. Hermei, Les Populismes dans le monde, Paris, Fayard, 2001,p.331.

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1341 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLlËRE

extrêmement vaste=. Le passage de la corruption à la prédation n'aété possible qu'en raison du contexte de très grande vulnérabilitédes acteurs dans lequel la transaction sur les droits de propriété s'esteffectuée. Les contraintes externes imposées par les sanctions (geldes avoirs, des déplacements, des investissements) et les menacesinternes représentées par les guérillas islamistes rendent la surviedes régimes très aléatoire. Ces derniers ont réagi avec prompti-tude et imagination: de républiques socialistes populaires, ils sesont mués en régimes mafieux, démontrant une flexibilité et unehabilité hors pair. Alors que leurs États sont en faillite financière,ils parviennent à faire sortir des capitaux par milliards de dollars.Cette prouesse repose sur l'assurance qu'en ces temps incertains, lesappareils sécuritaires demeurent fidèles. Or le passage d'un régimeautoritaire à un régime mafieux assumé nécessite la destructionde l'armée conventionnelle, héritage des années 1970, lorsque lesrégimes avaient des ambitions régionales. Pour l'institution militaire,l'effondrement de l'État durant la décennie 1990 est synonymed'affaiblissement stratégique. Comment peut-on maintenir unepolitique de puissance régionale dans un environnement politique,social et économique aussi ravagé? Les investissements colossauxdans l'achat d'armements n'ont plus d'efficacité si les armées doi-vent évoluer dans un environnement économique anéanti et unepopulation remontée et aigrie. Le retour de l'homme providentielsusceptible de restaurer « l'ordre et la grandeur passée >,sur le modèlede Vladimir Poutine en Russie ou, plus modestement, d'AbdelazizBouteflika en Algérie, apparaît comme l'une des issues possibles.

La consolidation des régimes mafieux a favorisé le développementd'une économie de pillage, fondée sur l'exploitation de la rareté desressources. Sous les embargos, les conflits politiques ont provoquéun profond désenchantement auprès de populations qui voientfuir vers d'autres horizons tous ceux qui disposent de ressourcessusceptibles de survivre ailleurs. Pour ceux qui restent, un sentiment

68. C McPherson et Stephen Mac Searraiqh, «Corruption in thePetroleum Sector », dans Edgardo Campos et Sanjay Pradham (eds),The Many Faces of Corruption, Washington {D.Cl, World Bank,2007.

RENTE PÉTROLlËRE ET RÉGIMES MAFIEUX 1 135

de fatalité et de renoncement domine. La décennie 1990 a détruittoutes les issues possibles: les régimes, autoritaires ou mafieux,paraissent inamovibles. À la fin des années 1990, les générauxalgériens cherchent à sortir de l'impasse dans laquelle la victoireentachée de violation contre les droits humains les a placés; lerégime de M. Kadhafi négocie les conditions d'une suspensionde l'embargo afin de ne pas devenir le Cuba de la Méditerranée;quant à l'Irak de Saddam Hussein, il est sous oxygène avec larésolution «pétrole contre nourriture. qui ne laisse entrevoir, sur leplan politique et diplomatique, aucune autre alternative que cellede l'approche humanitaire. Le dénouement pour l'Algérie survientavec l'avènement à la présidence d'Abdelaziz Bouteflika, ancienministre des Affaires étrangères de Houari Boumediene. Sa politiquede réconciliation trouve un écho favorable tant en Algérie quedans la communauté internationale. En Libye, Kadhafi se résigneà livrer les deux accusés de l'attentat de Lockerbie, ce qui entraînela suspension de l'embargo, dans l'attente de sa levée définitive. EnIrak, le fils aîné de Saddam Hussein, Oudaï, se prépare à succéderà son père ... Mais les attentats du 11 septembre 2001 vont boule-

. verser la trajectoire de ces régimes. L'Algérie saisit l'opportunitépour présenter sa guerre contre les islamistes, non plus comme uneviolation sans fin des droits de l'homme, mais davantage commeun acte de résistance «d'avant-garde> contre al-Qaida, Lerégime deMouammar Kadhafi démontre toute sa flexibilité en basculant dans«le bon camp >,celui des États-Unis en guerre contre al-Qaida. Lerégime de Saddam Hussein, incapable d'échapper à la propagandel'associant à al-Qaida, sera renversé au nom de la démocratie". Letroisième choc pétrolier, en 2003, sonnera comme un rajeunissementpour ces trois régimes, rappelant les potentiels et atouts tant vantésdurant la décennie 1970. Dans un contexte international marquépar la peur du terrorisme international et l'inquiétude énergétique,ces régimes vont offrir, de façon paradoxale, des assurances quantà leur capacité à participer à la lutte antiterroriste et des garantiesconcernant la satisfaction des besoins énergétiques.

69. O. Roy, The Politics of Chaos in the Middle East, Londres, Hurst,2007.

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Chapitre -4le retour inespéréde L'abondance tinanctère

Trente ans après la nationalisation des hydrocarbures, la richesse

pétrolière accumulée semble disparue tant elle est absente desIndicateurs d'évaluation du bien être. En Irak, c'est dans la folie

~uerrière qu'elle a été dilapidée; en Algérie, elle a fait le bonheurd'une minorité et la tristesse de la majorité; en Libye, elle s'est

Il .rdue dans les projets pharaoniques du régime et les comptes offshore des coalitions qui gouvernent. L'absence de contrôle exercée

sur la rente pétrolière a conduit à sa dilapidation. "TI Y a trente

tins, lance M. Kadhafi dans un moment de colère feinte, nous

avons décidé de consacrer 30 0/0 du revenu pétrolier au budget

de fonctionnement, en espérant que chaque année, ce pourcen-tage diminuerait jusqu'à atteindre 10 0/0 ou 150/0, pour arriver à

o 0/0... Que s'est-il passé? Nous sommes en fait arrivés au point

où 100 0/0 des revenus pétroliers ont été entièrement consacrés

au budget. Je dois intervenir aujourd'hui pour arrêter cette rouequi tourne dans le vide et qui brûle le pétrole' .• À la veille du

1 roisième choc pétrolier, le constat d'échec est patent. Dans une.nquête, le journal Jeune Afrique a calculé que le régime libyen

a géré, entre 1973 et 2002, la somme de 350 milliards de dollars',

Le journaliste formule la question suivante: à quoi ont-ils servi

et qu'en reste-t-il? À la différence du Qatar' et de la Malaisie"

le régime a dilapidé ses revenus dans des projets incohérents qui

Page 71: Violence de La Rente Petroliere

1381 VIOLENCE DE LA RENTE ptTROLlÈRE

ont plus nui au bien-être de sa population que contribué à sonamélioration. En 2002, le PIB de la Libye est estimé à 19,1 mil-

liards de dollars américains, alors que celui de la Tunisie est de

21 milliards de dollars américains", Ce n'est qu'à partir de 2004 que

le PIB de la Libye (29,1 milliards de dollars américains) a dépassécelui de la Tunisie (28,2 milliards de dollars américains)". Quant

à l'Algérie, si son PIB en 2002 est supérieur à celui du Maroc,

elle est classée à la 100' place sur 162 et le Maroc à la 112' dansle Rapport mondial sur le développement humain de la même

année. La richesse pétrolière de l'Algérie ne se ressent pas. Si

l'on compare l'Algérie à l'Indonésie, autre grand pays producteur

de pétrole, l'échec de l'Algérie est incontestable. L'Indonésie est

non seulement parvenue à diversifier son économie, mais elle aégalement. commencé à sortir» de son autoritarisme' : son PIB

en 2002 (172,9milliards de dollars américains) est trois fois plus

élevé que celui de l'Algérie", De plus, alors que la croissance

annuelle du PIB par habitant est négative en Algérie entre 1975

et 2000 (-0,3 %), elle est positive en Indonésie (4,4 %). Enfin,

l'Irak illustre la dramatique régression d'un pays riche: à la fin

de la décennie 1990, il faisait partie des pays les plus pauvres du

monde avec un PIB par habitant de 705 dollars par an, niveau

comparable à celui du Rwanda, alors qu'il était en 1989 de3 500 dollars. Plus de 81 010 de la population vit avec moins de

15 dollars par mois", De tous les pays autoritaires pétroliers, l'Irak

est celui qui a expérimenté l'épreuve de la dévastation la plus

profonde et la plus dramatique: le potentiel destructeur du régimes'est exprimé à merveille. En 2003, à la veille du changement de

5. Rapport mondial sur le développement humain, 2004, IDH, p. 185.

6.Rapport mondial sur le développement humain, 2006, /DH, p. 332.7.R. Bertrand, «La démocratie Ii l'indonésienne. Bilan critique d'une

transition qui II. 'en finit pas de commencer., Revue internationale depolitique comparée, 8 {3J, janvier 2001 p. 435-460.

8. Rapport mondial sur le développement humain, 2004, p. 186.9.K. A. ChaudlllY, «The "Uncanny" Writ Regional. New and Recurring

Forms oJ Poverty and lnequality in the Arab World., dans L. Binder(eâ.), Rebuilding Devastated Economies in the Middle East, New York

{N. Y.J, Palgrave Macmillan, 2007, p. 48.

LE RETOUR INESPÉRÉ DE L'ABONDANCE FINANCIÈRE 1 139

r gime, le PIB par habitant et par an était de 449 dollars 10, J'un

des plus bas au monde.Ainsi, l'héritage de la période d'abondance financière (1973-

1985) paraît bien mince. Pour se consoler, les dirigeants peuvent

rappeler que d'autres États rentiers sont aux prises avec les mêmesmaux, telle la République islamique iranienne" et le Venezuela 1'.

ela dit, l'Iran a maintenu, grâce à son système politique, une

cohésion sociale et nationale qui lui a permis l'économie d'une

violence interne, du moins jusqu'à la réélection contestée du

président Ahmadinejad en juin 2009. De même, si la prospérité

financière a affaibli les institutions démocratiques du Venezuela

et a peu fait reculer la pauvreté, la politique de Hugo Chavez n'apas entraîné son pays dans une guerre régionale", malgré les

nombreuses divergences avec la Colombie. En somme, si la rentepétrolière n'a pas enrichi l'Iran ni le Venezuela, elle n'a pas tota-

lement aveuglé ces régimes, en raison de l'existence d'institutionspolitiques, plus ou moins démocratiques, qui les ont contraints à

un minimum de clairvoyance politique.Dès lors, quels sont les effets des transformations politiques à

l'œuvre (installation d'un nouveau régime en Irak, restauration

d'un régime présidentiel fort en Algérie, remise en question du

régime révolutionnaire en Libye) sur l'usage des revenus issus du

troisième choc pétrolier? Depuis 2002, J'Algérie, la Libye et l'Irakont renoué avec la richesse pétrolière. L'envolée du prix du baril,

bondissant de 30 à 147 dollars entre 2002 et 2008, a procuré à ces

trois pays des revenus extérieurs inespérés qui leur ont permis de

se doter de fonds de réserves estimés en 2008 à 140 milliards dedollars pour J'Algérie, 100 milliards pour la Libye et 50 milliards

10. World Bank, 2003b, p. 257; FMI, 2003a, p. 22.JI. D. Brumberg et A. Ahram, • The National Iranian Oil Company

il! lranian Politics >, Houston [Tex.}, The James E. Baker lfI Institute

Jar Public Policy, Rire University, 2007.12. D. Reconâo, «Pétrodollars et politiques sociales», dans O. Com-pagnon, J. Rebotier et S. Revet (dir.}, Le Venezuela au-delà dumythe, Paris, Éditions ouvrières, 2009, p. 52.13. Frédérique Langue, «Pétrole et révolution dans les Amériques >,

Hérodote, 123, 2006.

Page 72: Violence de La Rente Petroliere

1401 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

pour l'Irak. Alors que les drames de la décennie 1990 ne sont pas

encore pansés et que les illusions de la richesse pétrolière se sont

évaporées dans les méandres de la pauvreté, ce retour inattendu

de l'abondance financière n'a toutefois pas manqué d'inquiéter.

À quoi la manne va-t-elle servir? Qui va la contrôler? Va-t-elle

provoquer ou entretenir à nouveau violence et conflits?

- Un troisième choc pétrolier salvateur:reconstruction étatique et nationale

Au début de la décennie 2000, les nouvelles coalitions auto-

ritaires qui se sont formées durant les embargos ont cherché àmettre en place une économie de marché, en dépit des tentatives

infructueuses des années 1990. Compte tenu de la dévastation

des économies au cours de cette période, la relance d'une libéra-

lisation économique s'apparente à une tentative de réintégrationdes entreprises criminelles qui ont prospéré sous les embargos.

D'autre part, avec la renaissance du secteur des hydrocarbures, les

coalitions au pouvoir sont sous l'influence des «énergéticiens »,

des élites pro-occidentales qui ont pour modèle les économiesrentières du Golfe. À la faveur du troisième choc pétrolier, elles

sont arrivées à marginaliser les socialistes arabes, représentants

du complexe militaro-industriel, influencés par le modèle de

J'Union soviétique et bénéficiant du soutien de l'institutionmilitaire. Pour les énergéticiens, le nationalisme pétrolier a vécu

et plus personne n'ose penser que le pétrole est l'arme qui peutvaincre «l'impérialisme, le néocolonialisme, voire le sionisme »,

comme l'affirme le Baath irakien. Pour ces nouvelles élites", la

convergence des intérêts (le marché énergétique) et des inquié-

tudes (la guerre contre le terrorisme) entre les anciens durs de

l'OPEP et les États-Unis, après le 11 septembre 2001, est une

opportunité historique à saisir. Libérées du discours antioccidental

- récupéré par al-Qaida -, les coalitions libérales se sentent aptes

à faire basculer leur pays dans des économies de marché afin

14. Sur les élites en Algérie, voir l'ouvrage de 1. Werenfels, ManagingInstability in Algeria, Elites and Political Change since 1995, Londres,Routledqe, 2007.

LE RETOUR INESPÉRÉ DE L'ABONDANCE FINANCIÈRE 1 141

de rejoindre, avec retard, la catégorie des pays émergents que

sont devenus le Maroc, la Tunisie, l'Égypte et surtout les riches

monarchies du Golfe".La nationalisation du secteur des hydrocarbures, qui faisait

la fierté des nationalistes dans les années 1970, ne semble plusêtre la réponse au développement. Ainsi le président Bouteflika

déclare-t-il à la Fondation James Baker: « Nous avons opté réso-lument pour la levée des monopoles et l'instauration de règles

de marché qui garantissent J'équité et la transparence pour tousles opérateurs nationaux et étrangers".» Mais, lorsque le projet

de loi Khélil sur la «privatisation» de la Sonatrach est débattu, il

soulève les protestations des anciens sur un registre émotionnel:

l' La privatisation du secteur des hydrocarbures équivaudrait àremettre en d'autres mains la circulation de son propre sang dans

son cœur" ». Symboles du nationalisme pétrolier et au centre de

conflits d'intérêts majeurs, les compagnies pétrolières nationales(Sonatrach, NOC et INOC) ont échappé à la logique de la priva-

tisation. Si les compagnies nationales se sont fermées à l'entrée

de capitaux étrangers, en revanche, le secteur énergétique s'est

ouvert aux investissements directs étrangers. Cette ouverturea accru l'importance géopolitique de pays comme l'Algérie et

la Libye dans le dispositif d'approvisionnement énergétique de

l'Europe, soucieuse de diversifier ses sources face à la stratégie

monopolistique de Gazprom". De même, leur nouveau pouvoird'achat crédibilise leurs projets de modernisation des infras-

tructures civiles en piètre état après une décennie de violence

15. Jean-Jacques Gabas et Bruno Losch, «Fabrications and iUusionsof Emergence», dans C. Jaffrelot [ed.}, The Emerging States, Londres,Hurst, 2008.16. Cité par A. Rebah, Sonatrach, op. cit., p. 227.17. M. Benachenhou, «Dix arguments contre la privatisation deSonatrach., Le Jeune Indépendant, 3 novembre 2001 ; A. Beïaid, LeJeune Indépendant, 24 février 2000, cité par A. Rebah, Sonatrach,op. cit., p. 227.18. Le chapitre suivant traite du thème de l'approvisionnement éner-gétique de l'UE et de la place de l'Algérie et de la. Libye dans ledispositif de l'UE.

Page 73: Violence de La Rente Petroliere

1421 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

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LE RETOUR INESPÉRÉ DE L'ABONDANCE FINANCIÈRE 1143

et d'embargos. Ainsi, ces pays sont-ils redevenus prisés surle marché des investissements, rappelant l'effervescence quirégnait autour d'eux, dans les années 1970, lorsqu'ils étaientperçus comme des dragons en Méditerranée (Algérie, Libye) oudes puissances émergentes au Moyen-Orient (Irak). Pourtant, ladémocratie est toujours absente en Algérie et en Libye; en Irak,son installation est fragile, et la question du contrôle et de laredistribution de la rente pétrolière est explosive, comme celledes champs pétrolifères de Kirkuk". Cela dit, si le troisièmechoc pétrolier n'a pas permis la restauration de • l'ordre et de lagrandeur passée », il a remis en marche un État disparu dans lesfilets des coalitions mafieuses.

- Algérie: réconciliation nationaleet retour de l'État

En Algérie, le troisième choc pétrolier a permis de restaurer unÉtat qui a disparu entre 1994 et 1998, selon A. Bouteflika. Lors deson avènement à la présidence en 1999, les caisses de l'État sontvides et le pouvoir est dispersé entre des généraux vainqueurs dela guerre civile et des entreprises criminelles, comme nous J'avonssouligné dans le chapitre précédent. Rapatrié pour restaurer lapaix civile dans une Algérie dévastée", Abdelaziz Bouteflika abénéficié de la montée inattendue et inespérée du prix du barilde pétrole. Il a pu offrir à J'Algérie, au-delà de la réconciliationnationale, un nouvel envol économique.

19.H. Bozarslan écrit: «Sourd à l'opposition de Bagdad, le gou-vernement d'Erbil a promulgué sa propre loi sur l'exploitation dupétrole (6 août) et négocié d'importants contrats avec des compa-gnies aussi diverses que coréennes, françaises, américaines 011 duGolfe », dans H. Bazarslan, Le Conflit kurde: le brasier oublié, Paris,Autrement, 2009, p. 91.20. M. R. Lowi, «War- Torn or Systemical1y Distorted ? Rebuildingthe Algerian Economy>, dans Leonard Binder ieâ.), RebuildingDevastated Economies in tbe Middle East, op. rit.

Page 74: Violence de La Rente Petroliere

1441 VIOLENCE DE LA RENTE P~TROLlÈRE

ALGÉRIE: UNE CROISSANCE SPECTACULAIRE(sources: FMI, Banque mondiale, UN Comtrade Data Base)

pm (en milliards de US $)2002: 55,92010: 162,7

pm/habitant/an (en US $)1785

4593

Moyenne du taux de croissance du pm1975-2005: 0,1 %

2005-2010: 50/0

Population totale(en millions)1960: 11

1988: 24

2005: 32,9

2015: 38,1

Population urbaine(en 0/0 du total)30

44

63,3

69,3

Espérance de vie :1960: 47 ans1990: 65,1 ans2005: 71,1 ans

Taux de fécondité (nombre de naissances par femme)1975: 7,4

2005: 2,5

Taux de mortalité infantile (pour 1000)

1970: 143

2005:34

Total des dépenses militaire en Ofo du pm1962: 2 Ofo

1986: 1,91\'0

2000: 3,5 1\'02008: 3 0/0

Taux d'électrification en 2009: 98 1\'0

Classement IDH en 2009: 104

LE RETOUR INESP~R~ DE L'ABONDANCE FINANCIÈRE 1145

Grâce à la hausse vertigineuse du prix du pétrole entre 2002

et 2008, le gouvernement dispose, en 2008, d'un fonds de 140 mil-liards de dollars en réserves. En 2007, les recettes des exportationsont atteint le montant de 57 milliards de dollars et, en 2008, lerecord de 81 milliards de dollars. Jamais, depuis le début de sajeune histoire, l'État n'a eu autant de ressources financières. Letroisième choc pétrolier a permis de rembourser rapidement ladette", de relancer les grands chantiers dans les infrastructuresciviles et surtout de refonder un semblant de cohésion nationalemise à mal par les années de guerre civile. Dans un contexte decroissance économique et d'abondance financière retrouvée (lepm par habitant est passé de 1600 dollars par an et par habitanten 1999 à 4593 dollars en 2010, sans compter une réductionmassive du chômage, qui est passé de 30 % à 13 0/022),la prési-dence d'Abdelaziz Bouteflika est devenue synonyme de prospéritéet de confiance retrouvée du fait du retour de la bienfaisance del'État. Alors que les Algériens se sont violemment opposés surl'identité de l'État et son devenir, ils sont aujourd'hui conviés àretrouver le chemin de la paix civile afin de mettre un terme à la«tragédie» : «Vous savez, je ne pense pas être félicité pour faireun miracle. J'essaye d'intervenir avec un minimum de bon senspour examiner une tragédie qui va bientôt avoir huit ans. Monsentiment personnel est qu'il faut bien que les choses cessent. Cen'est pas parce que nous aurons deux cent mille morts ou troiscent mille morts et trois millions de victimes du terrorisme quela vie sera meilleure. il faut donc, à un moment ou à un autre,arrêter les frais. J'essaye de trouver une petite voie difficile àtravers beaucoup d'écueils".» Avec «bon sens>, la présidence aorganisé la mise en œuvre d'une réconciliation nationale fondée,

21. La dette extérieure s'élevait en 1998 il 30,47 milliards de dollars,elle représentait 63,2 % du PIB. En 2008, après remboursementanticipée, elle s'élevait il 4 milliards de dollars et ne représentaitplus que 2,39 Ofo du PIB. «Algeria Country Forecast», EconomistIntelligence Unit, 1"juillet 2008.22. «Political Risk Services», Algeria Databank, 1" décembre 2008,p.6.23. Entretien accordé il la chaîne de radio RFI, 17 juillet 1999.

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1461 VIOLENCE DE LA RENTE PtTROLlÈRE

non pas sur le souci de rendre justice aux victimes ou sur celuide dire la vérité, mais sur la préoccupation de tourner la page,d'oublier la tragédie.

La politique de réconciliation nationale a été articulée autourde la réintégration des milliers de combattants issus des maquisislamistes, de la démilitarisation des milices, de l'indemnisationdes familles de victimes et de l'amnistie pour les défenseurs del'État". Les lois sur la concorde civile ont pavé le chemin duretour vers la vie civile des six mille maquisards islamistes quiont accepté de déposer les armes en contrepartie d'une amnistie.Cette politique, fondée sur l'amnésie, permet au régime de fairel'économie d'une commission vérité et justice trop longue au profitd'une approche à court terme visant à réduire l'intensité de laviolence. Parallèlement, le grand défi du régime est l'intégrationdes cinq cent .mille personnes qui ont été armées et qui formentles groupes de légitime défense (GLD)et les gardes communaux".L'augmentation des revenus pétroliers est une véritable aubainepour le régime car, dans un contexte de chômage massif, leurdifficile intégration économique et sociale aurait pu provoquerde sérieux problèmes d'instabilité. Le retour de la croissanceéconomique a favorisé la création d'emplois, en particulier dansle secteur de la sécurité, avec la floraison d'entreprises privées degardiennage et de protection, facilitant le recyclage de ces mili-ciens. Une partie de ces milices, disposant de puissants réseaux,a cherché à maximiser ses gains dans l'après guerre civile. Ainsi,les patriotes de l'Est (environ dix-sept mille miliciens) ont lancél'initiative de constitution des. assises nationales des patriotes»afin de discuter du «constat d'échec de la concorde civile .26. Aprèsdix années de militarisation de la société, la question posée aété celle de la capacité du gouvernement à contrôler et à régulerl'influence de ces milices; les revenus pétroliers ont permis desatisfaire une partie de leurs revendications. Enfin, il restait

24. L. Martinez, • Guerre et paix: les étapes de la réconciliationnationale" AAN, tome XXXVII, 1998, p. 105-123.25. Le Journal indépendant, 1J octobre 2001.26.Le Matin, 18 juillet 2002.

LE RETOUR INESPtRt DE L'ABONDANCE FINANCIÈRE 1147

au régime à indemniser les familles de victimes et de disparus.La question des disparus" illustre les difficultés à appliquer lapolitique de réconciliation nationale, car celle-ci s'adresse toutd'abord aux vivants (combattants islamistes, défenseurs de l'Étataccusés de violation des droits humains): les disparus n'ont pasde place dans cette politique; de plus, ils rappellent des méthodesexpéditives et peu respectueuses des droits humains utilisées parle régime. Bien que ce dernier ait tenté de démontrer que l'arméeet ses services avaient mené" une guerre propre », la question desdisparus a soulevé le débat sur la méthode et le coût politique ethumain de la victoire contre le FIS et les groupes armés. Aussi,pour mettre un terme à ce problème, Farouk Ksentini, présidentde la Commission consultative de promotion et de protectiondes droits de l'Homme (CNCPPDHl, précise dans une interviewqu'il préconise d'indemniser les familles de disparus à hauteurde « 100 millions de centimes, plus un acte de décès, pour clorele dossier des disparus+» !

Le succès de cette politique de réconciliation nationale areposé sur le lancement d'un ambitieux programme qui a faitsortir l'Algérie de son marasme économique. Aux défis de laréintégration des combattants islamistes et anti-islamistes, s'estajoutée l'intégration économique et sociale d'une partie dela population active, car, sur les 8,7 millions de personnes lacomposant, 2,5 millions étaient au chômage en 2000 (27 010).

Alarmistes, les prévisions du FMI à l'horizon 2010 n'hésitent pasà annoncer un taux de chômage de 37 Ofo si le taux de croissancehors hydrocarbure demeure inférieur à 7 Ofo. Les revenus dutroisième choc pétrolier ont servi à la fois à financer le retour àla paix civile et à l'achat de la paix sociale. Le plan triennal desoutien à la relance de l'économie (2001-2004) a eu pour ambitionde relancer les investissements, 7 milliards de dollars, après unedécennie de fuite des capitaux: «Nous n'avons jamais dit, souligne

27. La Commission nationale consultative de promotion et de protec-tion des droits de {'homme (CNCPPDH) affirme avoir reçu 4 753 dos-siers de familles de disparus. La Ligue des droits de l'homme estimeà dix mille le Ilombre réel des disparus.28. Echourouk El Yaoumi, 3 novembre 2001.

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1481 VIOLENCE DE LA RENTE ptTROLlÈRE

le Premier ministre Ali Benflis, que ce programme allait rendrel'Algérie prospère du jour au lendemain. Ce sont les entreprisesqui créent la richesse. Il ne faut pas oublier que ce plan intervientaprès dix années de terrorisme, de destructions. Quoi que vousfassiez, il paraîtra toujours insuffisant au regard de l'océan dedemandes auxquelles il faut répondre" .» Face aux besoins, uneéconomie informelle florissante a pris la relève du retrait de l'État.Cette économie non observée représente, en 2005, 16 à 17 Ofo

du pm et emploie 50 Ofo de la population active. Présente dès lapériode coloniale, elle s'est amplifiée à partir des années 1970en raison de la rigidité de l'économie, de l'offre en particulier.Les produits à prix administrés sont revendus par exemple sur lemarché parallèle. De même, le monopole du commerce extérieuraugmente les opportunités de le contourner. Pour les autoritésalgériennes, la priorité est le secteur industriel qui représentele secteur public: le secteur privé est abandonné au commerceinformel. Or, 70 Ofo de la valeur ajoutée hors hydrocarbures estproduite par le secteur privé. le marché informel s'est développédans la distribution principalement: les produits importés par lesquarante-cinq mille sociétés d'import-export sont redistribués àdes commerçants privés locaux grâce aux réseaux de l'économieinformelle. D'autres secteurs sont profondément touchés: l'agri-culture, le BTP, le foncier et l'immobilier". L'emploi informel estestimé, en 1985, à 25 Ofo de l'emploi total hors agriculture, il estpassé à 29 Ofo en 1982, puis à 33 Ofo en 1997 et à plus de 40 Ofo

en 2001 ! • Les activités informelles qui ont investi en particulierl'artisanat de service et la distribution sont appelées à se maintenirdans l'avenir tant que les réformes de libéralisation ne seront pastotalement achevées, que le secteur privé déclaré n'a pas atteintle niveau d'investissement lui permettant d'impulser fortementet durablement l'offre d'emplois et que le taux de chômage ne

29 .• L'intelligent », Jeune Afrique, 2186, décembre 2002.30. N. E. Hammouda, • Secteur et emploi informel en Alqérie», dansMS. Musette et J. Charmes [âir.}, Informalisation des économiesmaghrébines, Alger, Cread, 2006.

LE RETOUR INESPÉRÉ DE L'ABONDANCE FINANCIÈRE 1149

sera pas descendu à un niveau acceptable" .• Alors qu'en 2008,

la Sonatrach est devenue la plus grande et lucrative compagniepétrolière du continent africain (elle a engrangé 81 milliards dedollars, après les 57 milliards de 2007)32, l'économie rentièren'a profité qu'à «six cent mille à huit cent mille. personnes".En mai 2008, le ministre de l'Énergie, Chakib Khalil, a annoncéque la Sonatrach investirait dans les années à venir 45 milliardsde dollars, pour atteindre les 2 millions de barils par jour et les85 millions de mètres cubes de gaz. Cette entreprise est à nouveaula locomotive d'une économie qui peine à se diversifier: 98 Ofo

des revenus extérieurs proviennent du secteur des hydrocarbures;jamais l'Algérie n'a été aussi dépendante. La crise du logementn'est plus aussi aiguë et l'amélioration des infrastructures routièresest patente. la société des Émirats arabes unis Emaar Propertiesinvestira 30 milliards de dollars sur douze ans dans des healthcare city et dans des projets touristiques: le gouvernement prévoitd'atteindre 1,2 million de visiteurs étrangers à partir de 2010, leMaroc ambitionne les 10 millions ... Comme dans les années 1970,

l'Algérie est un grand chantier. Mais, à la différence du passé, cesont des entreprises chinoises et des salariés chinois qui assurentdans des délais records la livraison des produits commandés. Car,entre-temps, l'Algérie s'est désindustrialisée et ne dispose plusde diplômés qualifiés en nombre suffisant: la rente pétrolièrepassée a détruit le capital humain en faisant fuir. les cerveaux •.

La richesse pétrolière retrouvée permet à l'Algérie de redonnerde la voix sur la scène régionale et internationale et de réappa-raître comme un marché émergent attractif pour les investisseurs.Pour les Algériens, la présidence d'Abdelaziz Bouteflika signified'abord un semblant de retour de l'État après le règne des mafias.L'affaire Khalifa a illustré l'audace de ceux qui, à découvert, se sontpermis de blanchir leurs capitaux accumulés durant la décennie

31 .• Alger, Marché du travail et emploi en Algérie», Rapport de J'Or-ganisation internationale du travail, octobre 2003, p. 43.32 .• Politicai Risk Services», Algeria Country Forecast, 1" juil-let 2008, p. 13.33. ICG, 2001, Algeria's Economy, http://wlVlV.crisisweb.org.

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1501 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

de violence". Les campagnes contre la corruption lancées dansla foulée de cette affaire s'inscrivent dans une mise en scène duretour de l'État. Entre 1999 et 2009, Abdelaziz Bouteflika, aidé parle prix du pétrole, est parvenu à restaurer, si ce n'est la légitimitédes institutions, un retour à l'ordre dans les affaires. Cependant,sa volonté de poursuivre en 2009 «l'œuvre» entamée en 1999soulève des doutes et des inquiétudes. Son écrasante victoire à

l'élection présidentielle de mai 2009 était prévisible (90 DIo de votesen sa faveur), les rivaux du président candidat ne disposant nide l'appareil d'État ni de la logistique d'un grand parti politiquepopulaire. L'élection ne pouvait que se traduire par un plébiscite. Leprésident souhaite faire revivre la fiction d'un président populairesur le modèle de Houari Boumediene (1965-1979). Aussi, l'enjeu del'élection a porté davantage sur le taux de participation. Le tauxofficiel de participation, 74, II 0/0, a soulevé des interrogations sursa fiabilité. En 1999, le •vote Bouteflika » s'expliquait par la volontéde tourner la page des années de violence, d'oublier le drame dela guerre civile. En 2009, le plébiscite présidentiel a consisté àfaire croire qu'il n'y a pas de vide politique, que la nation disposed'un chef d'État fortement soutenu par sa population: avec leretour de l'abondance financière, Abdelaziz Bouteflika fait resur-gir le • boumediénisme •. Pourtant comme le soulignent certainsobservateurs, avec un cours inférieur à 70 dollars au-delà de 2011,• l'économie algérienne serait confrontée à un véritable séisme,pouvant entraîner des licenciements massifs" s. Depuis 1999, àl'exception du remboursement de la dette, l'Algérie de Bouteflika

34. L'affaire Khaiifa concerne l'ascension fu 19uraIlte du groupe RajikKhalifa (banque et transports} dans les années J 990. Le groupe seraaccusé du blanchimellt de l'argent des gélléraux. Réfutant cette thèse,A. Belkaid écrit: «avec des moyens financiers considérables, un sou-tien politique sans Jaille jusqu'au moins 2002, la sympathie desmilieux d'affaires occidentaux, Khalifa avait la possibilité de bâtirUll groupe puissant et crédible, comparable il ceux des oligarquesrusses », dans A. Belkaid, Un regard calme sur l'Algérie, Paris, Seuil,2005.35. Chems Eddine Chitour, • Troisième contrechoc pétrolier. Que doitfaire l'Algérie?» L'Expression, 24 'IOvembre 2008.

1E RETOUR INESPÉRÉ DE L'ABONDANCE FINANCIÈRE 1 151

n'a pas su sortir de la dépendance énergétique. Préoccupé, àJuste titre, par la réconciliation nationale après la guerre civile(1991-1999), le président a mis en œuvre une politique d'amnésiequi a fonctionné: le drame de la guerre civile est enfoui dans lamémoire collective et il se dégage un accord tacite pour ne pas leraire resurgir. La peur des responsabilités mutuelles a paralysé lesprotagonistes d'hier. C'est une plaie qui s'est refermée sans avoirété désinfectée ... Le souci du président d'entrer dans l'histoirecomme le «sauveur» de l'Algérie cache l'incapacité de bâtir desinstitutions politiques légitimes. Le renouveau du clientélisme peutfonctionner momentanément grâce aux revenus du pétrole. Maisles problèmes demeurent toujours: dépendance pétrolière, faiblessedes institutions, chômage, corruption, etc. Autant d'ingrédientsqui sapent les bases de stabilité future. L'Algérie n'est pas laTunisie et l'État n'a ni les moyens de contraindre la populationni les compétences pour lui offrir de meilleures conditions de vie.Sans institution démocratique, ni opposition légitime, la fictiondu plébiscite présidentiel ne fera que retarder la confrontationde l'Algérie à ses défis. La restauration de «la grandeur passée»sous la présidence d'A. Bouteflika ne répond que partiellementaux problèmes de l'Algérie. Si cette politique s'est traduite par uneamélioration de la sécurité, elle n'a pas convaincu les citoyenslors des rencontres entre le peuple et ses représentants que sontles élections. La très forte abstention lors des scrutins montreque, pour les électeurs algériens, les partis politiques sont dansl'incapacité de représenter la société; ils apparaissent commedes instruments au service d'un système qui leur accorde unemarge de manœuvre bien réduite. Ainsi, plus que le troisièmechoc pétrolier, c'est l'absence d'institutions démocratiques quialimente les inquiétudes car, comme le souligne le sociologueZoubir Arous, le risque est grand: «Il n'y a plus de forces orga-nisées capables de mener des changements pacifiques. C'est doncla voie ouverte au changement par le chaos" .• Lors des électionslégislatives de mai 2007, les éditorialistes ont souligné l'urgencede restaurer le lien entre électeurs et dirigeants politiques. Or, le

36. El Watan, 20 mai 2007.

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152 1 VIOLENCE DE LA RENTE PËTROLlÈRE

taux national de participation a été de 35,51 DIo, soit l'un des plusfaibles enregistrés officiellement depuis l'indépendance en 1962.

Pis encore, le taux «réel. de participation aurait été inférieur à20 Ofo, selon le premier secrétaire du Front des forces socialistes(FFS), Karim Tabou, qui avait appelé au boycott. En fait, dansune chronique pertinente «Voter pour qui, pourquoi?J7., unéditorialiste algérien souligne que les électeurs • sanctionnentl'absence de politique et la transformation des partis en simplesappareils et courroies du système ... Cela suppose que l'on sortedes logiques de façade pour aller vers une démocratisation réelleet effective •. La très forte abstention a montré l'incapacité despartis politiques à mobiliser des électeurs, les partis politiquesapparaissant comme un instrument au service d'un systèmeclientéliste qui ne répond plus aux attentes. Ce désintérêt a étéd'autant plus surprenant pour le gouvernement que ses résultatséconomiques dépassent les prévisions les plus optimistes. Avecun plan de relance économique de 140 milliards de dollars encinq ans (2004-2009), un taux de croissance moyen de 4,9 Ofo, unaccroissement de 92 DIo du PŒ et de 29 Ofo du revenu par habitant,une baisse du chômage de Il Ofo, les partis gouvernementauxauraient dû soulever un vent d'enthousiasme ... Or, l'inverse s'estproduit, le FLN, par exemple, ayant perdu des sièges. C'est direque, pour les électeurs, les performances récentes de l'économiealgérienne ne semblent pas un gage de développement durable,mais un effet de la montée du prix du baril. L'Algérie s'est enrichie,néanmoins ses dirigeants ne sont pas parvenus à convaincre lescitoyens qu'ils en sont les premiers bénéficiaires. La redistributionpaternaliste de la rente pétrolière ne fait plus recette, elle peutnéanmoins continuer à alimenter un cercle restreint d'électeursdans le cadre d'un système clientéliste".

37.Le Quotidiend'Oran, 19 mai 2007.38. M. Hachemaoui, «Permanences du jeu politique en Algérie.,Politiqueétrangère, 2, 2009.

1L RETOUR INESPËRË DE L:ABONDANCE FINANCIÈRE 1153

Libye: que faire de la révolution?Surmontant les trois défis qui le menacent (dissidence islamiste

armée, sanctions internationales et tentatives de coups d'État), lel' gime libyen est parvenu à survivre et à exploiter les deux opportu-nités qui se sont offertes à lui: les attentats du Il septembre 2001 etl'invasion de l'Irak en mars 2003. En fin tacticien, Mouammar Kadhafia intégré la Libye dans «la guerre contre le terrorisme mondial. et aconstruit de son pays l'image d'un eldorado en Méditerranée. Cetteconversion s'est accompagnée d'un nouveau langage, adapté austandard de la communauté internationale, où fleurissent les termesde transparence, de lutte contre la corruption et de démocratie. Cechangement est le produit de la nouvelle «stratégie économiquenationale •. Michael Porter, Professeur à Harvard, en est le designer.Dans la préface d'un rapport de deux cents pages réalisé en coo-pération avec le Conseil général du plan libyen, il dessine la Libyedu futur: elle sera rayonnante tant son potentiel est énorme ... PourSeif el Islam, « la Libye sera un pays moderne, avec des infrastruc-tures modernes, un PNB [produit national brut] élevé. Ses citoyensauront le meilleur niveau de vie de la région. La Libye aura desrelations plus proches avec le reste du monde, avec l'Afrique, unpartenariat avec l'Union européenne (UE).Elle adhérera à l'OMC[Organisation mondiale du commerce]. La Libye sera le pont entrel'Europe et l'Afrique" », Mais la Libye sera-t-elle démocratique?À aucun moment dans l'interview, il n'en a été question.

LmYE: UN NOUVEL ÉMIRAT(sources: FMI, Banque mondiale, UN Comtrade Data Base)

pm (en milliards de US $) pm/habitant/an (en US $)

2002: 19,12010: 50,0

3512

8300

Moyenne du taux de croissance du pm

1975-2005: 1 Ofo

2005-2010: 5 Ofo

39. Interview, LeFigaro, 8 décembre 2007.

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1541 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

Population totale(en millions)1960: 1,31988: 4,22005: 5,92015: 6,9

Population urbaine(en % du total)23 0/0

68 0/0

87,9 0/0

90,3 0/0

Espérance de vie :1960: 47 ans1990: 61 ans2005: 72,7 ans

Taux de fécondité (nombre de naissances par femme)1975: 7,62005:3

Taux de mortalité infantile (pour 1000)1970: 1052005: 18

Total des dépenses militaire en Ofo du PIB1962: 1,20/0

1986: 12,0 Ofo

2000: 3 0/0

2008: 1 Ofo

Taux d'électrification en 2009: 97 0/0

Classement IDH en 2009 : 55

Pour réaliser son devenir, le régime se doit d'abord de réinté-grer la communauté internationale, en d'autres termes, de fairelever l'embargo. La préoccupation du régime a donc été de mettrefin à ce régime des sanctions. Pour cela, il a accepté le principed'indemnisation des familles de victimes, alors même qu'il n'ajamais reconnu sa responsabilité. Une Fondation est chargéede verser des indemnités: 2,7 milliards de dollars aux famillesde victimes de l'attentat de Lockerbie et 270 millions de dollarsà celles de l'attentat du vol d'UTA. Elle a également pour butd'. humaniser. le régime en modifiant son image dans la presse

LE RETOUR INESPÉRÉ DE L'ABONDANCE FINANCIÈRE 1155

internationale. Une coalition libérale, représentée par Seif elIslam, a pris l'initiative de faire basculer le régime dans le boncamp, celui des États-Unis et de ses alliés. Pour les réformateursqui composent cette coalition, la Libye ne doit plus reproduire leserreurs du passé, mais bien au contraire exploiter, dans le mondede l'après-Il Septembre, ses avantages comparatifs et offrir à sesnouveaux alliés l'approvisionnement énergétique nécessaire etune coopération dans les domaines de la sécurité. La Libye seconvertit à vive allure et dans tous les domaines. Elle met enavant la convergence de ses intérêts avec ceux des États-Uniset de l'Europe. Elle met un terme à son programme d'armes dedestruction massive et encourage les autres régimes à en faireautant. Elle libéralise son secteur pétrolier et offre à l'Europe desgaranties sur son approvisionnement en énergie. Les nouvellesélites des domaines pétrolier et sécuritaire, formées aux États-Unis, marginalisent progressivement les révolutionnaires formésen Europe de l'Est. Pour celles-ci, la Libye doit impérativements'ancrer dans le monde occidental. Mais comment défaire sansremous le régime révolutionnaire? Celui-ci dispose encore de<chiens de garde» qui n'apprécient pas les changements du régime.Comment rendre la JamahiTiya efficace? Pour les réformateurs,le modèle est la Chine communiste : faire cohabiter le patrimoinerévolutionnaire (la révolution, le Livre vert) dans une économiede marché. Seif el Islam, le 21 août 2007, a appelé à la fin del'ère révolutionnaire et à la transformation de la révolution versun État constitutionnel. En 2008, il a fait appel à des professeursde renom afin de participer à l'élaboration d'une Constitution enLibye, préparant la voie à la succession du Guide sans pour autantmodifier la nature non démocratique du régime".

Dès la levée de l'embargo, le régime a commencé à se délesterde son héritage révolutionnaire. En janvier 2005, une directivedu colonel Kadhafi au congrès général du peuple, demandel'abolition de la Cour du peuple (procès politiques secrets). Pour

40. En 2008, B.R. Barber, Hemando de Soto, R. Putn.am, A. Giddells,F. Fukuyama et J. Nye 'ont rendu visite au Guide», Maghreb confi-dentiel, 23 décembre 2008.

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1561 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

la Ligue libyenne des droits de l'homme: «L'abolition du "tribunalpopulaire" et les lois d'exception sont sans doute un pas louabledans la bonne direction, mais devraient être suivies par d'autresmesures si le but de leur suppression est de remédier à la situationdéplorable des droits humains en Libye, En fait, le respect des droitsde l'homme a été entravé non seulement par le tribunal populaire,mais, plus particulièrement, par l'absence totale d'un systèmejudiciaire équitable et indépendanr".» L'abolition des tribunauxrévolutionnaires a constitué une réponse aux campagnes menéespar les défenseurs des droits humains. Mais, pour la population, leproblème majeur provient de l'organisation politique du régime.Bien qu'en 2000, Kadhafi ait décidé, dans un instant de colère,de. tout abolir>, les problèmes n'en sont pas moins restés: •Voustenez [les membres du congrès général du peuple] à préserverdes méthodes désuètes pour justifier le gaspillage du pétrole ... Cesystème est aboli. Dès la tenue des congrès populaires de base etaprès la réunion du congrès général du peuple, ce qu'on appellele comité populaire général n'existera plus. Dorénavant, il n'y aplus de "gouvernement" ... Tout ce système est aboli! Maintenant,nous travaillerons avec des communes et des Sha'abiyates.Tous les projets, le budget et l'argent, tout ce que vous faitesà l'intérieur des Sha'abiyates ne dépendra plus "d'en haut", deTripoli, de Kufra ou de Syrte ...Ce sera le pouvoir du peuple, dela commune et de la SlIa'abiyate42

•• Déçu, Kadhafi a décrétéla décentralisation obligatoire: «au niveau de la Sha 'abiyate,vous avez tout ce qu'il vous faut et des secrétaires pour tous lessecteurs: la santé, l'éducation, l'agriculture, l'industrie. Il n'estdonc pas nécessaire de se référer à quelqu'un d'en haut. C'est àvous seuls maintenant d'assumer vos responsabilités. Ce systèmeva continuer pendant cinquante ou cent ans, jusqu'à ce quevous ayez compris. Seulement alors, nous pourrons revenir ausystème du comité populaire général [gouvernement] •. Trente et

41. Ligue libyenne des droits de l'homme, .A Judiciary WithoutJustice», 15 janvier 2005.42. Discours devant le congres général du peuple, janvier 2000. En1998, la plupart des mÏlristeres ont été transférés de Tripoli vers lesvilles de Benghazi, Kufra et Syrte.

LE RETOUR INESPËRÉ DE L'ABONDANCE FINANCIÈRE 1 157

une Sha 'abiyates ont été créées et ont pu disposer, en théorie,de la gestion des ressources locales (budget, etc.l, Les congrèspopulaires de base ont été répartis dans chacune d'elles afin degarantir, en théorie là encore, l'expression du peuple. ChaqueSha'abiyate dispose de son comité populaire, qui est le pouvoirxécutif, et de ses secrétariats (départements de l'éducation, de

la santé, etc.)", Or, pour les Libyens, la décentralisation soulèvele problème du transfert des allocations: les municipalités neprélevant pas d'impôt, elles demeurent dépendantes des revenusen provenance de la capitale. Par ce biais, le régime n'a faitqu'exposer les responsables locaux au mécontentement populaire.La période des sanctions a laissé des traces que chacun peut seremémorer comme des scènes de bagarre autour de kiosques à painsubventionné. Pour rendre efficace la Jarnahiriya, les réformateursconsidèrent que son basculement dans une économie de marchéest subordonné à l'institutionnalisation de la révolution: il fautd'abord rassurer les révolutionnaires avec des garanties inscritesdans la future Constitution, afin de pouvoir édifier un cadreéconomique plus ouvert. En cela, l'ouverture libyenne sembles'apparenter davantage au «capitalisme communiste chinois»qu'à la perestroïka soviétique. Malgré tout, ces transformationssuscitent des inquiétudes auprès des révolutionnaires qui craignentl'ouverture de la boîte de Pandore". En effet, la Jamahariya estpour ses serviteurs un instrument d'enrichissement formidablequi fonctionne dans la plus grande opacité. La remise en questionde ce système économique provoque des remous que le Guide sedoit d'apaiser. À l'occasion du trente-septième anniversaire dela révolution, Kadhafi a livré un discours qui s'est inscrit dansla peur de l'incertitude, l'objectif étant de rassurer les piliers durégime, les comités révolutionnaires: «Soyez prêts à n'importequel moment à écraser les ennemis de l'intérieur qui tenteraientde s'opposer à la marche du peuple ... Lorsque nous avons mené

43. Wellfare in the Mediterraneen Countries. Great Arab PopularSocialist Libyan Iamahiriya. Irttp://www.unpan.org/44. Zidan Mohamed, 'Libye, la Jill des illusions., La lettre duCermam, 9, décembre 2005.

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1581 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

la révolution, nous ne voulions pas du pouvoir pour nous-mêmes,mais nous l'avons assumé pour le peuple, nous ne permettronsà personne de le voler au peuple" .• La peur de voir le projet desréformateurs - une Libye révolutionnaire capitaliste - dérailler,ouvrant une fenêtre de tir aux opposants au régime, est manifeste.Les comités révolutionnaires gardent en mémoire la pétition signéepar cent huit membres peu avant la visite, en mars 2004, à Tripoli,de William Burns, qui appelait à des changements radicaux", Lesévénements de Benghazi constituent une bonne illustration deleur inquiétude. Le 17 février 2006, devant le consulat d'Italie,des manifestants encadrés par les comités révolutionnaires ontcommencé à scander des slogans anti-italiens, en réaction à laprovocation d'un ministre italien portant un sous-vêtement oùétait reproduite l'une des caricatures danoises. Mais très vite, desslogans anti-Kadhafi ont fusé et la police, débordée, a tiré surla foule, faisant onze morts et plus de soixante blessés. Aprèscet événement, tous les dignitaires du régime se sont rendus àBenghazi afin de calmer les esprits. Le ministre de l'Intérieur aété limogé pour « usage disproportionné de la force» et des Frèresmusulmans, originaires de cette région et emprisonnés depuis 1998,

ont été libérés. En mars 2007, afin de rassurer, Kadhafi a tenuun discours révolutionnaire où il réconforte les révolutionnairesen précisant qu'aucune réforme politique n'est à l'ordre du jouret que la démocratie et les partis politiques sont des leurres poli-tiques qu'il faut condamner, Enfin, en guise d'exutoire, il se lancedans une diatribe contre l'Italie coloniale (19]]-1942) et exige

45. Discours de M. Kadhafi, 2 septembre 2006, Agence de presselibyenne, JANA.46. Cali For Reform in Libya, .A vision Of Libya's Future»: «Thecreation of constitutional rule chosen by the people their oum freewill, and the dissolution of ail legislation, structures and orqaniza-tions that deuiate from or contradict this constitutiOlzal legal frame-work; the establishment of democratie princip/es, the rule of lawand the inâepenâence of the judiciary; the quaranteeinq of politicalparticipation in the decision-ma king process, the democratie selec-tion of leaders, and the implementation and respect of the principlethat qovernments change, etc.»

1~ RETOUR INESPÉRÉ DE L'ABONDANCE FINANCIÈRE /159

des compensations financières pour les séquelles occasionnéesdurant cette période. Force est de constater qu'il a été entendu,car, le 30 août 2008, le gouvernement de Berlusconi a expriméses excuses et a offert une compensation de 5 milliards de dollars,répartie en investissements sur vingt-cinq ans.

Cette tension autour des transformations politiques est depeu d'effets sur l'ouverture économique du marché libyen. Lesanctions levées, la Libye est l'objet de l'attention des compa-

gnies pétrolières internationales qui perçoivent dans ce pays undes derniers eldorados en Méditerranée". Dès septembre 1999,

le ministre du Plan et de l'économie, Abdel Hafiz Al Zalaytanisouligne qu'entre 2001 et 2005, le gouvernement va investir21 milliards de dollars sur un montant de 35 milliards de dollars(60010 par l'État et 40010 par des investissements directs étrangersdans l'industrie du pétrole et celle de l'électricité. Pour les vingtprochaines années, le pays aura besoin d'environ 150 milliards dedollars d'investissements. Les projets de la Libye sont colossaux,mais à la hauteur de ses capacités financières. Pour les autorités,ce sont des atouts indéniables qu'il devient nécessaire d'exploiterdans le cadre du basculement de la Libye dans le bon camp. Commeen Algérie, c'est le secteur des hydrocarbures qui attire l'essentieldes investissements. En septembre 2006, le gouvernement a lancéson troisième appel d'offres international: douze permis offshoreet vingt-neuf permis on shore ont été mis en vente aux enchèresdans les bassins prolifiques de Syrte, de Ghadames, et dans lesbassins d'exploration de Murzuk, de Kufra et de Cyrénaïque. Cedernier s'est inscrit dans la politique d'ouverture du secteur deshydrocarbures lancée par Ghanem Shoukri. En septembre 2004,

fait exceptionnel, son gouvernement a mis aux enchères quinzezones off shore et on shore pour l'exploration. Cette procédure estcensée être des plus transparentes pour choisir ses collaborateursétrangers, elle constitue une rupture avec l'opacité et l'arbitrairequi a caractérisé les décisions en Libye et démontre l'autorité

47. Seulement 25 % des réserves de gaz et de pétrole sont exploitées.Interview de Tarek Hassan, directeur de la planification a la NOC,New YorkTimes, 23 juillet 2004.

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1601 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROUtRE

nouvelle acquise par le gouvernement de Ghanem Shoukri dans leprocessus complexe de décision. Le Premier ministre est parvenuà convaincre les cercles informels proches du Guide que la Libyedoit changer ses méthodes si elle veut convaincre les investis-seurs étrangers de revenir. La modernisation de l'économie et desinfrastructures libyennes doit impérativement s'accompagner detransformations dans les pratiques commerciales. Mais les conces-sions accordées avec EPSA IV (le renouvellement des contratsd'exploration et de partage de production) ont montré commentle secteur pétrolier constitue toujours une arme diplomatique pourla Libye. Les compagnies américaines ont obtenu neuf blocs surquinze mis aux enchères. L'objectif politique et diplomatique aété atteint. En mai 2006, les États-Unis et la Libye ont rétablileurs relations diplomatiques. La US-Libya Business Associationanimée par David Goldwyn a atteint son objectif: la Libye està nouveau accessible à Arnerada Hess, Chevron, ConocoPhilips,Occidental et Marathon.

Si le secteur pétrolier est la priorité du gouvernement, lesinfrastructures civiles malmenées durant l'embargo, ne sont paspour autant délaissées. Fin septembre 2007, s'est tenue à Genèveune réunion supervisée par Phoenicia Group Libya LLc, regrou-pant des responsables du gouvernement et des investisseurs.Les enjeux ont porté sur la réalisation d'un plan ambitieux dedéveloppement en termes d'infrastructures: construction d'aéro-ports, d'autoroutes, de logements, d'écoles, d'hôpitaux et un trainrégional (trans-Africa] de 4800 km reliant la Tunisie à l'Égypteet les villes de Sebha et Syrtre au Tchad et au Mali. Les revenusissus de la rente pétrolière permettent une politique d'investis-sements soutenue. Le secteur du transport aérien en profite pourrajeunir sa flotte: achat de douze Airbus (huit en option) pour lacompagnie Afriqiyah Airways; deux jets d'affaires vendus parBombardier Inc. Plus importants sont les accords signés entreEADS et la Libya Africa Portfolio For Investment, dirigée parBeshir Saleh, pour la réalisation d'un centre d'entraînement etde maintenance, une Air Academy et un centre météorologique.L'idée est de faire de la Libye un hub régional pour l'Afrique etle Moyen-Orient. L'ambition du gouvernement est de créer une

LE RETOUR INESPÉRÉ DE L'ABONDANCE FINANCltRE 1 161

zone commerciale de Zuwarah à Bukamash. Soutenu par Saadial Kadhafi, ce projet (The Raad ta the Future) a été présenté enseptembre 2007 : il ferait de la côte libyenne une zone compa-rable à • New York, Monte-Carlo et Hongkong », soulignait-illors d'une conférence de presse, The Socialist Port Authority, encharge de la gestion des 7 ports commerciaux, prévoit d'agrandirle port de Misourata pour atteindre une capacité de 6 millions detonnes de marchandises par an. Le Railway Executive Board aun programme de réseaux ferroviaires: Syrte-Benghazi (600 km),Benghazi-Tobruk (470 km) et un métro à Tripoli.

Le troisième choc pétrolier a restauré les atouts de la Libye.Le régime, qui a fêté en septembre 2009 ses 40 ans, a retrouvégrâce à ses réserves en dollars (100 milliards de dollars en 2008)une aura qu'il croyait à jamais perdue, Après les excuses del'Italie de Berlusconi, c'est le président du Conseil fédéral de laSuisse qui s'est excusé pour le traitement infligé par la policeà Hannibal, le plus jeune fils de Kadhafi, dans un palace deGenève". En septembre 2009, la justice écossaise a libéré, pouroraisons humanitaires », Ali Basset Meghari, pourtant jugé cou-pable de l'attentat de Lockerbie. Enfin, la Libye a pris pour un anla présidence du Conseil de sécurité aux Nations unies. En 2009,le régime libyen a redécouvert tous les charmes et les avantagesde la richesse pétrolière,

48. Le 15juillet 2008, Hannibal Kadhafi, le quatrième fils de Kadhafi,et sa femme avaient été arrêtés à Genève, suite à une plainte de deuxemployés de maison qui les accusaient de les avoir frappés. Après ledépôt d'une caution, le couple était libéré. En représailles, la Libyecessait d'approvisionller la Suisse en pétrole, réduisait ses échangescommerciaux et prenait en otages deux ressortissants suisses. Afin desortir de la logique d'une crise diplomatique, le président du Conseilfédéral Ks'excusa' et déclencha une crise politique en Suisse car laLibye ne pardonna pas pour autant et garde toujours un des deuxressortissants suisses!

Page 83: Violence de La Rente Petroliere

1621 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

--Irak: violence de la reconstruction étatiqueet nationale

En mai 2003, le président G. Bush annonce que la guerre enIrak est terminée et qu'une nouvelle ère s'ouvre pour les Irakiens,

la liberté, la démocratie et le développement étant les fruits

attendus de la libération. Dans un contexte posttraumatique, le

régime de Saddam Hussein a été accusé par l'administration Bushde connivence avec le réseau al-Qaida"? et de produire des armes

de destruction massive susceptibles de servir à des terroristes".

Puis, l'expérience irakienne est devenue le symbole de l'imposition

de la démocratie par la force dans la perspective de «libérer» dessociétés arabo-musulmanes soumises à des régimes dictatoriaux".

Dans les faits, le plan d'après guerre de l'administration Bush aété confronté à de très sérieux obstacles (manque de soldats pour

sécuriser l'Irak, rejet progressif par la population des forces d'occu-

pation, développement de la torture, etc.)". De façon symbolique,

le 30 juin 2004, l'Irak retrouve sa souveraineté et l'administrateur

Paul Bremer quitte Bagdad. Dans la perspective de reconstruire

un système politique légitime, des élections législatives ont été

organisées en janvier 2005. Environ 14 millions d'électeurs ont été

appelés à voter pour élire les 275 députés de l'Assemblée nationale

provisoire, les membres du conseil de Bagdad, des dix-sept conseils

régionaux et les cent onze membres du Parlement autonome duKurdistan. Plus de cent vingt partis politiques se sont inscrits pour

y participer, sept mille candidats sont enregistrés sur cent neuf

listes pour participer à une élection à la proportionnelle intégrale.

La liste parrainée par Ali Sistani, l'Alliance unifiée irakienne, a

obtenu 48,1 % des voix, soit cent quarante sièges; l'Alliance des

49.Ibll Cheikh alLibi (Ali MohamedAl Fakheri], arrêté en 2001 à lafrontière pakistano-afqhane, avait [ait, sous la torture en Eqypte, deJa.usses révélations sur les liens entre le régime de Saddam Husseinet al-Qaida. n est décédé le 10 mai 2009 à Tripoli, dans les locauxde la sécurité illtérieure.50. Hans Blix, Irak, les armes introuvables, Paris, Fayard, 2004.51. B. Rouqier, • Le grand Moyen-Orient : un moment d'utopie inter-nationale ?', Critique internationale, 26, janvier 2005.52. T. Dodge, .The Cause of' a USJai/ure., Survival, 49 (I), 2007.

LE RETOUR INESPÉRÉ DE L'ABONDANCE FINANCIÈRE 1163

partis kurdes, 25 Ofo, soit soixante-quinze sièges; la liste du Pre~ierministre Yyad Allaoui, 13,80/0, soit quarante sièges; enfin la liste

du président, Ghazi el Yaour, n'a obtenu que 1,7 Ofo et cinq sièges.

Le 15 octobre 2005, un référendum sur la Constitution a établi les

bases du nouvel Irak". Cette «transition» s'est conclue par de nou-

velles élections législatives le 15 décembre 2005, qui ont confirmé lestatut de première et deuxième forces politiques à l'Alliance unifiée

irakienne et à l'Alliance démocratique et patriotique du Kurdistan.

Les Arabes sunnites, après avoir boycotté les premières élections

législatives du 30 janvier qui avaient pour but d'élire les membres del'Assemblée nationale afin qu'ils rédigent la Constitution définitive

de l'Irak et qui la soumettent à référendum, ont participé à celles du15 décembre 2005, sous la bannière du Front irakien de la concorde".

Après avoir tout contrôlé sous Saddam Hussein, les sunnites sontdevenus minoritaires à l'Assemblée et marginaux dans les régions

pétrolières où dominent les Kurdes dans le Nord et les chiites dans

le Sud. lis ont perdu le pouvoir et le pétrole. De façon symbolique,

Saddam Hussein a été exécuté en décembre 2006. L'Irak a basculé

dans une période de violence qui a fait, entre 2004 et 2008, plusde quatre-vingt mille victimes, aggravant un peu plus le drame

d'une société qui est déjà profondément meurtrie par une décennied'embargo (1991-2003) et une guerre de libération. Dans la violence,

la coalition au pouvoir a bâti un nouveau système politique afin de

remplacer le bricolage politique post-Saddam Hussein qui souffrait

d'un déficit de légitimité. Ainsi, le 30 janvier 2005, ont été posées

les bases d'une autorité démocratique car, pour la première fois

depuis la fin de l'ancien régime, les Irakiens ont été appelés à voter

pour choisir leur gouvernement. Le refus des responsables sunnites

d'y participer souligne la longue marche restant à accomplir pour

parvenir à une représentation de la société irakienne conforme

53. «L'Irak est un État multinational, muitilingue et multiconfes-siollnel., écrit H. Hakim dans «L'Irak: de la Constitution intérimaireà la Constitution permanente», Cahiers d'études sur la Méditerranéeorientale et le monde turco-iranien, 38, 2004.54. M. Benraad, «Irak, avancées et écueils d 'une tra/lsition (2005-2006)., dans Frédéric Charillon et Bernard Rougier [dir.}, Le Moyen-Orient en crise, Paris, La Documentatio/l française, 2006-2007.

Page 84: Violence de La Rente Petroliere

164/ VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

à toutes ses composantes. Les appels au boycott de partis et depersonnalités, en raison des conditions d'insécurité, ont été rejetéspar le gouvernement en raison de la vacance du pouvoir qu'un telreport n'aurait pas manqué de créer. La période transitoire a étéassortie d'une cristallisation des identités ethniques et religieuses.Progressivement, trois constructions politiques ont émergé et sesont approprié des caractéristiques identitaires menaçant l'Irakd'implosion. Derrière les dix-huit provinces, trois grandes régionsse dessinent en fait: le Kurdistan au Nord, l'espace chiite au Sud et,dans un ventre mou, les provinces sunnites du centre. Très clairement,les Kurdes, qui gèrent depuis des années leur autonomie au sein del'Irak", font des envieux auprès des chiites qui montrent dans leurrésistance passive à l'occupation américaine, une stratégie prochede celle des Kurdes. Le projet de créer une région qui regrouperaitles provinces du Moyen-Euphrate a été explicitement formulélors du congrès de solidarité des provinces du Moyen-Euphrate àNajaf. La perspective d'un Irak fédéral provoquerait dans l'espacepolitique chiite un processus de regroupement des provinces sur lemodèle Kurde. Seules les provinces sunnites restent à la marge d'unetelle évolution. Engagés dans une stratégie de résistance armée,les sunnites rejettent une évolution politique qui les marginalise.Minoritaires dans un espace fédéral, ils auraient de plus été privésdes ressources pétrolières, situées dans la région de Kirkuk et deBassora". De plus, la reconstruction d'un appareil sécuritaire irakienpar les forces de la coalition est perçue par les sunnites commediscriminatoire. La reconversion d'une partie des peshmergas kurdesdans les forces de sécurité irakiennes ou de certaines milices chiitesfait craindre que, souscouvert de forces nationales, opèrent en faitdes groupes ethniques et religieux spécifiques. Cette peur sunnite devoir l'appareil d'État en reconstruction au service des exclus d'hierva nourrir une violence préventive. Initialement, la violence a été lefait des produits dérivés du régime de Saddam Hussein (fedayin de

55 .• Iraq alld the Kurds: The Brewing Battle over Kirkuk •. rCG, 56,18 juillet 2006; M. Van Bruinessen, «Kurdisn Chaltenqes», ChaillotPaper, 79, juillet 2005.

56 .• Where is Iraq Headinq ? Lessons from Basra >, ICG, 67, 25 juin2007.

LE RETOUR INESPÉRÉ DE L'ABONDANCE FINANCIÈRE /165

addam, etc.) et des groupes islamistes proches d'al-Qaida (Ansarel Islam). Au cours de l'année 2003, se développe une résistancearmée locale, qui a pris pour bastion des villes arabes sunnitesproches de Bagdad (Ramadi, Falloujah, etc.l". À cela s'ajoute la«résistance chiite >, dès le début de l'insurrection, en mars 2004,des partisans de l'Imam Moktada Sadr" •.

La fin officielle de la guerre s'est traduite par l'émergence et ledéveloppement d'une guérilla que les troupes américaines ne sontpas parvenues à détruire et qui a miné le projet de reconstruction del'Irak"': sur les 18 milliards de dollars d'aides à la reconstruction del'Irak, seulement 2 DIo ont été utilisés en 2004. En fait, les conditionspolitiques et sécuritaires n'ont pas permis de remettre en marchel'économie irakienne. L'insécurité et le chômage ont augmenté etsont devenus les symboles de l'après-Saddam Hussein. Le chan-gement de régime s'est accompagné de réformes économiques etd'une modification radicale des droits de propriété'" favorisant le• pillage des ressources nationales au bénéfice d'une nouvelle élitedirigeante" ». L'assassinat systématique desjuges chargés d'enquêtersur la corruption et la criminalité - plus de quinze ont été tués en2006 - par des organisations criminelles soucieuses de sécuriserles nouveaux propriétaires est apparu, comme dans l'Algérie desannées 1990.• Le vide sécuritaire qui a accompagné la libérationde l'Irak a non seulement renforcé les mafias existantes, mais aoffert des opportunités pour les nouvelles organisations crimi-nelles" .• Entre 2003-2006, 40 à 50 DIo des revenus de la guérillairakienne proviennent de la contrebande du pétrole. La fin du

57. M. Benraaâ, «Du phénomène arabe sunnite irakien», Hérodote,130, 2008, p. 65.58. «lraq's Civil War, the Sadrists and the Surqe», rCG, 72, 7 février2008.59. B. Hoffinan, «Insurqency and counterinsurqency in Iraq», Studiesin Conflict and Terrorism, 29 (2), 2006.60. Bassam Youssif, «Coalition Economie Policies 111 Iraq >, dansLeonard Binder (eâ.}, Rebuilding Devastated Economies in the MiddleEast, op. cit., p. 229.61. David Baran, Vivre la tyrannie, op. cit., p. 21.62. Bilai A. Wahab, «Hoto Iraqi Oil Smuggling Greases Violence.,Middle East Quartely, Fall, 2006, p. 2

Page 85: Violence de La Rente Petroliere

1661 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROUtRE

régime de Saddam Hussein et l'incapacité des autorités américainesà instaurer un ordre politique se sont traduites par la volonté desacteurs politiques irakiens de contrôler la principale ressource, lepétrole. Du Kurdistan à Bassora, de la guérilla au gouvernement,le contrôle du trafic pétrolier est devenu un enjeu vital. LejournalThe Pen.in.sula rapporte que: «Le parti Fadhila contrôle aussi bienJ'autorité de la province que l'industrie pétrolière à Bassora. Quandle nouveau Premier ministre Nuri al Maliki, en mai 2006, a choiside ne pas donner le ministère du Pétrole au parti Fadhila, ce derniera annoncé de mettre un terme aux exportations pétrolières'? .• Lafin de la mainmise du Baath sur les champs pétrolifères a induitune compétition féroce et violente entre les nouveaux acteurspolitiques. Une source politique chiite a déclaré à unjoumaliste:• Celui qui contrôle Bassora contrôle les ressources pétrolières ...Sa position est stratégique, c'est pourquoi personne ne souhaite yrenoncer=.» Le contrôle du pétrole est donc devenu une des prioritésdu nouveau gouvernement, dont les revenus, entre 2003 et 2005,ont atteint plus de 33 milliards de dollars grâce à la montée duprix du baril. Le troisième choc pétrolier a permis de bénéficierde revenus inespérés, fort utiles dans sa quête de consolidationdu pouvoir. Le format initial projeté des troupes irakiennes devaitregrouper des effectifs estimés à 226700 hommes répartis de lafaçon suivante: 7l 000 police; 40000 lraqi Civil Defense Corps;40000 army personnel; 25700 border patrol personnel; 50000facilities protection. En janvier 2004, les effectifs globaux ontatteint le chiffre de 20660065; mais, en janvier 2009, ce chiffre estpassé à six cent mille hommes. Cela ne fut pas sans soulever denombreux problèmes. La priorité accordée à la sécurité s'est faiteau détriment de la reconstruction. À l'exception des secteurs dela sécurité ou de J'énergie, les autres activités économiques sontrestés en berne. Pour la majorité, la situation sanitaire demeure

63. The Peninsula, Dalla, 27 mai 2006.64. The Peninsula, Dalla, 27 mai 2006.

65 .• Iraq : Building a Ilew Security Structure _, International CrisisGroup, 20, 2003; Donna Miles, «Iraqi Cicil Defense Corps Growsin Number and Role» American Forces Press Service, http Junuu:defensetink.mî!

LE RETOUR INESPÉRË DE L'ABONDANCE FINANCIÈRE 1 167

inquiétante, et la situation sociale désespérante, avec un tauxde chômage qui varie entre 25 et 50 010 de la population active".

Entre 2005 et 2009, le régime a bénéficié du succès de lastratégie de contre-guérilla menée par les troupes américaines. Ennovembre 2008, la ratification par le Parlement de l'accord sur lemaintien des troupes américaines jusqu'en 2010-201167 permet derenforcer la coopération sécuritaire entre les États-Unis et les forcesirakiennes, dont les effectifs avoisinent les six cent mille hommes".Ainsi, le régime irakien serait apte à déployer ses forces arméesdans la perspective du départ des troupes américaines. Le risquede son effondrement écarté, il doit affronter la violence terroriste,comme dans l'Algérie des années 199069• Le retournement destribus arabes sunnites contre al-Qaida, excédées par les ambitions• hégémoniques» de cette organisation", a affaibli sa capacité denuisance et a obligé le régime à intégrer une partie des tribusarabes alliées dans le dispositif sécuritaire. Comme le souligne lePremier ministre Nouri Al-Maliki, 20010 des cinquante-trois milleFils d'Irak, organisation tribale arabe sunnite qui a combattu al-Qaida, seront intégrés dans les forces de l'ordre, les autres serontpayés «jusqu'à ce qu'on leur trouve un emploi" •. Doté de sixcent mille hommes et de 80 milliards de dollars de revenus issusdes exportations de pétrole en 2008, le régime peut commencerà satisfaire une partie de «J'océan des besoins> de la population.

66 .• Reconstructing Iraq _, rCG, septembre 2004.

67.54 % des parlementaires ont voté pour le maintien. Le US Statusof Forces Agreement (SOFA; a été soutenu par le bloc Kurde, le partiDaawa, les autres partis shiites membres de l'alliance gouverne-mentale et le Conseil suprême islamique d'Irak. 14 députés se S071tabstenus et 77 étaient absents lors du vote.68. The Econornist Intelligence Unit, décembre 2008, p. JO.69. H.M. Mohammed, Suicide Bombers in Iraq. The Strategy andIdeoIogy of Martyrdom, Washington (û.C], US lnstitute of PeacePress, 2007.70.M. Benraad, «De la tentative hégémonique au déclin de l'organi-sation d'al-Qaida en Irak>, Maghreb-Machrek, }97, 2008.

71.Entretien accordé au journal Le Monde, mercredi 17 juin 2009.

Page 86: Violence de La Rente Petroliere

1681 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

IRAK: DES BESOINS ÉLÉMENTAIRES À SATISFAIRE(sources: FMI, Banque mondiale, UN Comtrade Data Base)

pœ (en milliards de US $) pœ/habitant/an (en US $)

2002: 20,32010; 83,8

4494005

Moyenne du taux de croissance du pœ1975-2005: -2005-2010: 5 Ofo

Population totale(en millions)1960: 6,81988: 18,8

2005: 28,0

2015: 35,9

Population urbaine(en % du total)43 Ofo

73 Ofo

66,6 Ofo

Espérance de vie:J960: 48 ans1990: 59 ans2005: 57,7 ans

Taux de fécondité (nombre de naissances par femme)1975: 7

2005: 4,9

Taux de mortalité infantile (pour 1000)1970: 88

2005: J25

Total des dépenses militaire en % du pœ1962: 8,7 Ofo

1986: 32 Ofo

2000:

2007: 2,5 Ofo

Taux d'électrification en 2009: -

Classement IDH en 2009 ; -

LE RETOUR INESPÉRÉ DE L'ABONDANCE FINANCIÈRE 1169

En retrouvant son aisance financière des années 1970 (la detteextérieure, qui représentait presque 500 Ofo du pœ en 2004, a étéramenée après négociation avec le Club de Paris et de Londres, à60 Ofo du pœ en 2008, et son remboursement ne représente plusque 8 Ofo des revenus extérieurs), le gouvernement est à même derépondre aux besoins les plus pressants, Les importations sontpassées de 20 milliards de dollars américains en 2004 à 37 milliardsde dollars américains en 2008. L'arrivée sur le marché irakien deproduits alimentaires et autres - en provenance de Syrie et deTurquie - a réduit considérablement «l'Insécurité alimentaire •. En2005, selon le UN World Food Programme, 47 % de la populationétait dans une situation d'insécurité alimentaire; en 2008, ilsn'étaient plus que 3,1 %12• Les bienfaits de l'abondance se fontressentir dans les besoins de base des Irakiens. Mais il faudraitdes «centaines de milliards de dollars"» avant de retrouver desinfrastructures civiles dignes des années 1980. Or, si le maintiende la violence constitue un handicap à J'investissement, la corrup-tion représente un sérieux obstacle à la reconstruction. De plus,la manne pétrolière attise des appétits à l'intérieur du pouvoirirakien, ce qui soumet la coalition au pouvoir à rude épreuve, tantelle paraît dépourvue de moyens pour réguler la principale sourcede revenus extérieurs. On peut considérer que le principal défi dunouveau pouvoir irakien sera de parvenir à se doter d'institutionspolitiques assez légitimes pour pouvoir imposer par la force dela loi une répartition équitable des revenus pétroliers entre lesrégions pétrolifères et les partis politiques".

72. <Iraq», The Economist Intelligence Unit, décembre 2008, p. 14.73.• lraq's reconstruction and economic development will requirehU/zdreds of billions of dollars of infrastructures investment andBaghdad Izopes that foreign partners will play a sizeable raie », WWlV.

emergùzgmarketsmonitor.com74. P. Le Billon, «Corruption, Reconstruction and Oil Governance inIraq », Third Wor1d Quater1y, 26 (4-5), 2005.

Page 87: Violence de La Rente Petroliere

1701 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

- Un renouveau fragile

À bout de souffle à la veille du troisième choc pétrolier, lesrégimes ont finalement traversé la décennie avec brio. En 2009, lecolonel Kadhafi a fêté les 40 ans de la révolution et savouré avecsatisfaction ses succès diplomatiques. Furieux après l'arrestationde son fils Hannibal à Genève, il a qualifié la Suisse, lors dusommet du G8, à Aquila, en juillet 2009, de «mafia mondiale»! Letroisième choc pétrolier a redonné au régime libyen la puissancedu verbe après les années de silence sous l'embargo. En Algérie,aux élections présidentielles d'avril 2009, Abdelaziz Bouteflikaa été plébiscité pour son troisième mandat. La paix civile res-taurée, le pays a retrouvé une croissance économique digne desannées 1970 et une confiance qui semblait disparue. À l'instardes exigences libyennes vis-à-vis de l'histoire coloniale italienne,l'Algérie de Bouteflika attend de la France des excuses officiellesavant de concevoir un Traité d'amitié entre les deux États". EnIrak, en février 2009, la liste patronnée par le Premier ministreNour Al Maliki, «Coalition pour l'État de droit>, est arrivée entête du scrutin aux élections provinciales. Après avoir boycottéles élections législatives du 30 janvier 2005, les organisationspolitiques représentant les Arabes sunnites ont décidé de participeraux scrutins, reconnaissant par là, l'autorité du gouvernement".Dopé par les revenus pétroliers, le nouveau régime est parvenuà réduire la pauvreté, sans pour autant réussir à instaurer la paixcivile. Vulnérable et fragile, son sort repose sans doute sur sacapacité à exploiter et à redistribuer les immenses réserves pétro-lières afin d'être en mesure d'offrir à une population meurtrie uneamélioration des conditions de vie. Pour cela, le gouvernementdoit trouver une issue à la question de la répartition des droitsde propriété sur les champs pétrolifères entre les différentesrégions et rendre suffisamment attractive son offre de mise aux

75.L. Bucaille, «Exiqer des excuses de la France», Raison publique,JO,2009.76. Le taux de participation a atteint 51 0(0.

LE RETOUR INESPÉRÉ DE L'ABONDANCE FINANCIÈRE 1 171

enchères des blocs afin de convaincre les compagnies pétrolièresinternationales d'investir dans la prospection et l'exploitation".

La richesse retrouvée, ces trois pays sont redevenus des grandschantiers. Comme dans les années 1970, des routes, autoroutes,ports, aéroports, métros, hôpitaux, universités, usines, logementset autres sont en construction, offrant un paysage à l'opposé decelui des années 1990. Pour le plus grand bonheur des popula-tions, le troisième choc pétrolier s'est réalisé dans un contexteidéologique vide. À la différence des années 1970, les régimes nedisposent plus de cet élan guerrier qui les a amenés à dilapiderdans des aventures militaires l'essentiel de la manne pétrolière.De plus, instruits par l'amère expérience de la fluctuation des prixdu pétrole, ils ont renoncé à la réalisation de projets pharaoniquespour se contenter de satisfaire les besoins les plus pressants despopulations (logement, eau, électricité, transports). Enfin, unespace critique se développe sur les usages de la rente pétrolière,tant dans les médias ou dans l'opinion que chez les élites. Maisce renouveau est fragile. Redevenu stratégique, le secteur deshydrocarbures est au cœur des politiques de développement. Ledynamisme du secteur pétrolier a relancé la croissance économique:entre 2003 et 2008, le taux moyen était de 8 % en Libye, de 7 %en Algérie et de 5 % en Irak. Mais, comme dans les années 1970,cette croissance économique est entièrement dépendante du secteurdes hydrocarbures: plus de 98 % des revenus de ces trois paysproviennent des exportations de gaz et de pétrole. Aussi, lorsquele prix du pétrole s'est effondré en 2009, la peur des effets d'unnouveau contrechoc a resurgi.

À la dépendance des hydrocarbures, s'ajoute la violence poli-tique. Des émeutes en Kabylie, en 2001, à la révolte des Mozabites,en 2009, la société algérienne est régulièrement secouée par desviolences sociales et ethniques qui lui rappellent la vulnérabilité desa cohésion. De plus, si la guerre civile s'est éloignée, ses produitsdérivés continuent à prospérer. Ainsi, l'installation du conseil

77. En septembre 2009, le gouvernement a mis aux enchères desblocs afin d'accroître la production dans l'espoir de retrouver les 4millions de barils par jour des années 1970.

Page 88: Violence de La Rente Petroliere

172 1 VIOLENCE DE LA RENTE ptTROLlÈRE

consultatif d'al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) dans le sud

algérien a des conséquences meurtrières. Pour la première fois

en Algérie, la technique de l'attentat suicide est intégrée dans le

dispositif de guerre contre le régimes. Lejeudi 6 septembre 2007,

un attentat suicide a visé le cortège du président dans la ville de

Batna (vingt-deux morts et plus de cent blessés). Le samedi 8, un

autre a eu lieu contre la caserne des gardes-côtes à Dellys : il a été

perpétré par un adolescent de 15 ans, le bilan est de vingt-huit

morts. Le 11 avril, une triple attaque a provoqué à Alger trente

morts et deux cent vingt blessés. Un communiqué d'al-Qaida au

Maghreb islamique explique: «Nous disons aux renégats et à

leurs maîtres croisés: recevez la nouvelle de la venue des jeunescombattants de l'islam qui aiment la mort et le martyr comme

vous aimez la vie de débauche et de délinquant; par Allah, nous

ne déposerons pas nos épées ni ne savourerons la vie, jusqu'à ce

que nous libérions chaque pouce de la terre d'islam de tout croisé

et de tout renégat et collaborateur (avec l'ennemi) et jusqu'à ce

que nos pieds foulent notre Andalousie perdue et notre Jérusalembafouée.» Al-Qaida au Maghreb islamique ambitionne donc de

servir de plate-forme aux organisations terroristes régionales etsurtout de devenir l'intermédiaire incontournable pour l'envoi

de combattants en Irak, en contrepartie d'une aide logistiqued'al-Qaida dans la région",

La Libye de Kadhafi a fait l'économie d'une guerre civile et aéchappé au destin de l'Irak de Saddam Hussein. En revanche, elle

demeure un ennemi pour les islamistes d'al-Qaida. Pour Cheikh

al Libi, un commandant d'al-Qaida en Afghanistan, décédé en2009: ((Kadhafi est la tyrannie de la Libye, après de longues

années, il a soudain découvert que l'Amérique n'est pas un ennemi,

78. Dans une interview Ii Echourouk El Youmi du 5 juillet 2009,Hassan Hattab, l'ancien chef du Groupe salafiste pour la prédicationet le combat (GSPC) affirme que SOli groupe, affilié formellement Iicette orqanisation, a toujours ~efusé les attaques suicides, pourtantrevendiquées par al-Qaida! Affirmation qui relance la thèse de lamanipulation de l'AQMI par les services de sécurité algériens.79. Richard A. Oppel Jr, «Foreiqn Fiqhters in Iraq Are Tied To Alliedof US,, The New York Times, 22 novembre 2007.

LE RETOUR INESPÉRÉ DE L'ABONDANCE FINANCIÈRE 1 173

et transforme la Libye en une nouvelle base pour les croisés .»Toutefois, à la différence de l'Irak et de l'Algérie, la rhétorique

d'al-Qaida ne parvient pas à se traduire dans les faits. La Libye n'a

connu aucun attentat suicide sur son territoire. Il est fort probable

que le retour des combattants libyens d'Irak aura des effets sur la

sécurité. Mais pour l'heure, le régime est confronté à des formes

de contestation qui paraissent bénignes au regard de l'Algérie et

de l'Irak. En septembre 2009, sous la houlette de Seif Al Islam, il

a libéré cinquante-six prisonniers du Groupe islamique des com-battants libyens (GICL), dans la perspective d'une réconciliation

nationale. Pour illustrer sa volonté de réconciliation, il a fait

détruire la prison d'Abou Salem, symbole, dans les années 1990,

de la répression contre les islamistes.

- ConclusionLe retour de l'abondance financière a permis de reconsolider

les régimes non démocratiques algérien et libyen. En Irak, cette

manne financière inattendue a permis de renforcer l'installa-

tion coûteuse du nouveau régime par les États-Unis": Dans le

chapitre suivant, nous analyserons et questionnerons les effets

de la politique européenne sur la gouvernance en Algérie et en

Libye. Comme le souligne El Houssain Abouchi: «Presque plus

de quarante ans après les indépendances des États maghrébins,

le problème de la démocratie, au-delà de celui de la recherche et,

de l'instauration d'un État stable et d'un système politique ayant

l'accord de toutes les composantes politiques et sociologiques, est

à l'ordre du jour".» Les espoirs placés dans la décennie 1990 se

sont dissipés pour laisser la place à une décennie perdue: celle de

80. L'étude de Bilmes et Stiglitz, estime que le coût de la guerre(200J-20JO) pourrait atteindre 2000 milliards de dollars et pose laquestion: «Would they have thouçht (the American people) that theremiqnt be better ways of aduancinq the cause of democracy or evenprotecting themselves against an attack, that wou/el cost best a frac-tion of these amont», dans L. Bi/mes et J. Stiglitz, The Economie Costof the Iraq War, Cambridge (Mass.), Mi/ken Institue, 2006, p. 34.81.« Démocratie et gouvemance de la politique électorale en Afriquedu Nord». http://www.francophonie-durable.org

Page 89: Violence de La Rente Petroliere

174 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROUtRE

la guerre civile en Algérie, celle des sanctions internationales enLibye. Les élections organisées au cours de cette période n'ont pasdonné naissance à un moment fondateur porteur d'un processusde démocratisation. Les «designs institutionnels» échafaudéspar les régimes n'ont pas provoqué un • déraillement démocra-tique ,,82 inattendu et imprévisible, mais salutaire. De même, lalibéralisation économique n'a pas permis l'émergence de pouvoirsconcurrentiels; elle a davantage favorisé une consolidation desrégimes autoritaires", régimes qui ont démontré leur robustesseet provoqué un sentiment d'impuissance quant à leur évolutionvers la démocratie. Les raisons historiques de l'impossible démo-cratie sont connues, les facteurs explicatifs du syndrome autori-taire dans la région sont rigoureusement démontrés". L'agendainternational est-il plus favorable aujourd'hui à la promotionet à l'installation de la démocratie ? Peut-on concevoir que lepartenariat euro-méditerranéen et la PEY accorderont une placeplus importante à l'installation de la démocratie dans la région?L'UEparviendrait-elle à exporter à moindre coût ses normes et sesvaleurs et à faire le bonheur des déçus de la richesse pétrolière?

82. Jean-Noël Ferrié. «Les limites d'ulle démocratisation par lasociété civile en Afrique du Nord», Maghreb-Machrek, 175, 2003.83. E. Kienle, «Libéralisation économique et délibératioll politique:le nouveau visage de l'autoritarisme >, dans O. Dabène, V Geisser etG. Massarâier [dir.), Autoritarismes démocratiques et démocratiesautoritaires au XXI' siècle, Paris, La Découverte, 2008.84. M. Camau et V Geisser. Le Syndrome autoritaire, Paris, Pressesde Sciences Po. 2003.

c apitre 5Algérie et Libye à l'épreuve de lapolitique européenne de voiôinage

Alors que l'Irak est l'objet d'une expérimentation politiqueinédite mais ambitieuse - faire fonctionner, sous le contrôle desÉtats-Unis, une économie rentière dans une démocratie imposée' -,l'Algérie et la Libye sont aux prises avec la politique européennede voisinage. En mai 2004, Chris Patten souligne que: «Aucours des dix dernières années, l'instrument le plus efficace de lapolitique étrangère de l'Union a été la promesse de l'adhésion àl'UE. Ce n'est pas durable. Pour la décennie à venir, nous devonstrouver de nouveaux moyens d'exporter la stabilité, la sécurité etla prospérité que nous avons créées au sein de l'UE élargie. Nousdevrions commencer par nous entendre sur une vision plus clairepour les relations avec nos voisins.' La Commission présente sapolitique de voisinage et définit un nouveau cadre de relationsavec des pays non concernés par l'intégration à l'UE. Pour les paysdu sud de la Méditerranée (Algérie, Égypte, Israël, Jordanie, Liban,Libye, Maroc, Palestine, Syrie et Tunisie) les échanges s'effectuentdorénavant dans un cadre produit et défini par l'UE'. Pour les paysdu Maghreb qui le souhaitent: • L'UE propose à nos voisins unerelation privilégiée, basée sur un engagement mutuel en faveurde valeurs communes (la démocratie et les droits de l'homme, larègle de droit, la bonne gouvernance, les principes d'économie de

1. R. Sprillgborg (ed.), Oil and Democracy in Iraq, Londres, SOAS-Middle East Issues, 2007.2.M.-F. Labouz, CPhilip et P. Soldatos iâir.), L'UEélargie aux nouvellesfrontières et à la recherche d'une politique de voisinage, Bruxelïes,Bruylant, 2006; Bemâ Weber, Europe's Neighbourhood betweenConditionaHty, Network Governance and Bargaining,Ilttp://www.ceri-sciellces-po.org

Page 90: Violence de La Rente Petroliere

176 1 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLItRE

marché et le développement durable). La PEY [politique européennede voisinage] va au-delà des relations existantes pour offrir unerelation politique et une intégration économique plus poussées.Le niveau d'ambition des relations dépendra de la manière dontces valeurs sont efficacement partagées. La PEY reste distinctedu processus d'élargissement même si elle ne préjuge pas, pourles voisins européens, de l'évolution future de leurs relationsavec l'Union, conformément aux dispositions du Traité".» LaPEY rompt avec la décennie passée, qui œuvrait à la constructiond'une intégration régionale au Maghreb, en encourageant unerelation bilatérale: «L'élément clé de la politique européenne devoisinage repose sur les «plans d'action PEY bilatéraux» approuvésmutuellement par l'UE et chaque partenaire. Ceux-ci définissentun programme de réformes économiques et politiques avec despriorités à court et moyen terme. La mise en application des septpremiers plans d'action PEY (approuvés début 2005 avec Israël,la Jordanie, la Moldavie, le Maroc, l'Autorité palestinienne, laTunisie et l'Ukraine) est en route et celle des derniers à être adoptés(avec l'Arménie, J'Azerbaïdjan et la Géorgie) va débuter. Le Libansuivra sous peu et le plan d'action UE-Égypte est presque agréé.La mise en œuvre est conjointement encouragée et surveillée parles sous-comités'.»

Au Maghreb, la Libye et l'Algérie n'ont pas encore adopté lesplans d'action. La première ne remplit pas les conditions: elle n'estpas signataire du partenariat euro-méditerranéen (PEM) et doncd'un accord d'association avec l'UE. Quant à l'Algérie, après lasignature de son accord d'association avec l'UE en avril 2002, pourune mise en œuvre en septembre 20055, elle a d'abord exprimé son

3. Voir le document de stratégie de la PEV; Bruxelles, 2004. http://ec, europe. eu4. http://ec.europa.eu5. Le 22·avril 2002, l'Algérie a signé l'accord d'association à l'UEavec une mise en œuvre le 1" septembre 2005. Cet accord prévoyaitde réduire les droits de douane, de favoriser la libre circulation descapitaux COllcemant les IDE directs en Algérie, de favoriser le dia-logue politique, le respect des principes démocratiques et des droitsde l'hom.me et d'œuvrer à l'intégration régionale.

ALGÉRIE ET LIBYE À L'ÉPREUVE DE LA POLITIQUE EUROPÉENNE 1177

r 'fus d'adhérer à la PEY, en septembre 2007, puis elle a manifestéde l'intérêt, en 2008, pour l'élaboration d'un plan. Cependant,-n 2009, la Libye et l'Algérie sont les deux pays d'Afrique duNord à ne pas être engagés dans un plan d'action. En prenant lerelais d'un PEM moribond (le cercle vertueux attendu ne s'étaitpas enclenché et le bilan du processus de Barcelone est plus quemltigé"), la PEY, de par son ambition politique et économique,oulève des inquiétudes à Alger et à Tripoli. Pour ces pays, elle

institutionnalise «une logique d'hégémonie'» dans le cadre d'unerelation bilatérale qui ne peut être que défavorable tant elle estsusceptible de les déposséder du contrôle de l'agenda des réformeséconomiques et politiques à mettre en œuvre. En 2002, l'Algérieavait signé à contrecœur l'accord d'association avec l'UE; en2009, elle dénonce le manque de soutien de l'UE à l'intégrationde l'Algérie dans l'OMC et l'absence d'investissement hors hydro-carbures". Par ces critiques, elle exprime sa déception vis-à-visde l'UE et donc son refus de se précipiter dans un plan d'action.

En fait, la • résistance» à la politique européenne de voisinageest le produit de la richesse pétrolière'. L'Algérie et la Libye sontintéressées par le marché énergétique et la coopération sécuritaire,mais non par la dimension politique de la PEY, et encore moinspar son intrusion dans l'agenda des réformes économiques. Pourquelles raisons accepteraient-ils de s'imposer des contraintes?Que le Maroc, la Tunisie, J'Égypte jouent le jeu de l'Europepeut aisément se comprendre. Ces pays attendent un retour surinvestissement de leur participation à la politique de voisinage,lequel peut prendre la forme d'aides financières diverses. De plus,en fonction du devenir de la Turquie, ils pourront accélérer les

6. Jean- Yves Moisseron, • Bilan mitigé des accords de Barcelone»,dans Le Partenariat euro-méditerranéen dix ans après Barcelone,Géoéconornie, 35, 2005.7.E. Barbé, •L'UE et son voisinage en Méditerranée», dans J. Rupnik.{dir}, Les Banlieues de l'Europe, Paris, Presses de Sciences po, 2007,p.1628.• Le torchon brûle entre Alger et Bruxelles», El Watan, 23 mai 2009.9. H. Darbouche, «Decodinq Algeria's ENP Policy», MediterraneanPolitics, 13 {3}, 2008, p. Il.

Page 91: Violence de La Rente Petroliere

1781 VIOLENCE DE LA RENTE PtTROLlÈRE

réformes politiques ou les stopper et se contenter des réformeséconomiques en cas de refus de son adhésion. À défaut de «valeurscornmunes'?», des intérêts et des attentes expliquent l'acceptationde l'hégémonie. Mais, pour l'Algérie et la Libye, avec un fonds, en2009, doté respectivement d'environ 140 milliards de dollars et100 milliards de dollars, les aides financières de l'UE semblent unecarotte bien fade au regard du chemin à parcourir, d'autant quecette hégémonie européenne pourrait, non pas faire chuter, maisau moins bien secouer «les coalitions dédiées à l'exploitation de larente"» qui, contre vents et marées, ont réussi à survivre commel'ont démontré les chapitres précédents. Aussi, la relation idéaleserait de se limiter à une participation active dans l'architectureénergétique de l'UE et dans l'intégration de la stratégie de sécuritérégionale. Face à l'insistance de l'UE pour parvenir à arrimer cesdeux pays à la politique de voisinage, l'Algérie et la Libye prennentplaisir à préciser qu'à la différence des autres pays de la région,si elles acceptent de discuter de la PEY, elles n'éprouvent pas lebesoin de s'y associer. Cette indifférence calculée est un formidableatout dans les négociations avec l'UE, car elle contraint celle-cià réduire très sensiblement ses prétentions et attentes politiques,voire à éviter d'aborder les problèmes fondamentaux de l'absencede démocratie et de mauvaise gouvernance.

Afin de ne pas accroître l'hostilité de l'Algérie à la PEY, undocument de stratégie (2007-2013) pointe trois axes susceptibles defavoriser des changements: une réforme de la justice, la croissanceéconomique et l'emploi, le renforcement des services publics debase". La démarche est progressive: _Une approche progressiveà l'encontre des pays voisins de l'UE est également nécessaire envue de l'introduction d'un engagement graduel pour chaque État,

JO. F. Bafoi], • Variété des processus d'européanisation en Europe cen-trale et orientale», dans F. Bafoil et T. Beichelt (dir.}, L'européanisationd'Ouest en Est, Paris, L'Harmattan, 2008, p. 59.11. G. Fauarel-Garriques, «Violence mafieuse et pouvoir politique enRussie », dans Jean-Louis Briquet et Gilles Favarel-Garriques, Milieuxcriminels et pouvoir politique, Paris, Karthaia, 2008, p. 188.J 2. Instrument européen de uoisinaç« et de partenariat. Algérie.Document de stratégie {2007-2013}, http://ec.europa.eu

ALGÉRIE ET LIBYE À L'ÉPREUVE DE LA POLITIOUE EUROPÉENNE 1 179

en fonction de sa volonté d'intensifier ses réformes économiqueset politiques. La marche à suivre d'une telle politique n'est plusune conditionnalité politique, mais bien plus du benchmarking:une définition claire et publique des actions que l'UE attend deses partenaires" .• Il s'agit, à l'inverse des États-Unis en Irak, deprendre le temps nécessaire à l'élaboration d'une politique capabled'assainir les outils et instruments de l'État, afin de parvenir àétablir une relation minimale de confiance entre les pouvoirs publicset les usagers". La Libye, bien qu'invitée à rejoindre le PEM et àbénéficier de la PEVis, ne se précipite pas non plus; elle prend lamesure de son importance", Pour l'instant, elle préfère bâtir desrelations commerciales et militaires avec des partenaires moinsencombrants comme l'Italie et la Russie. En principe, la PEY estsoucieuse d'œuvrer à la mise en œuvre d'une bonne gouvernance,ambition qui, au regard de la trajectoire postcoloniale de l'Algérieet de la Libye, apparaît comme fondamentale. En effet, ces pays ontdémontré les limites de la richesse pétrolière lorsqu'aucun contrôledémocratique n'y est exercé; son usage ne peut être que toxiquepour les États et les sociétés, comme le montre les pratiques decorruption, véritables obstacles au développement". L'approcheprogressive de l'UE en Algérie et en Libye s'articule autour dedeux niveaux: un premier, stratégique, consistant à construireune politique commune afin de répondre aux préoccupationssécuritaires (terrorisme, migrations, frontières) et énergétiques(sécurité des approvisionnements) ; un second, politique, soucieux

13.Rosa Rossi, .The European Neighbourhood Policy in Perspective»,dans Jean Monnet Centre {erl.}«Euro-Med s, Italie, Catane, 2004, p. 11.14.En 2008, le classement de Transparency International place l'Al-gérie à la 92' place et la Libye à 134'.15. «The long tenn objective of the EU policy relations with Libyais and remains Lioya's full accession to the Barcelona Process andparticipation in the European Neiqhboumoo« Policy. This wouldenhance the promising potential for joint co-operation Îll importantinternational issues su ch as migrations and development Ùl Africa .•16. En 2009, un accord-cadre, Libye-UE, était toujours en négocia-tion à Bru.xelles.J 7. Pranab Bardhan, .Corruption and Development: A Reuietu ofIssues», Journal of Economie Literature, 35 {3}, 3 septembre 1997.

Page 92: Violence de La Rente Petroliere

1801 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

non de changer les régimes, mais de favoriser l'exportation desnormes et des valeurs de l'UE!s. L'articulation des deux soulève

des problèmes d'éthique: peut-on faire de la Libye un partenaire

stratégique en matière de politique migratoire par exemple? Le

non-décollage économique de la région participe des inquiétudesmigratoires et sécuritaires qui alimentent la PEV. De plus, si la

dimension bilatérale favorise la construction d'un marché de

l'énergie et d'une politique sécuritaire commune, elle éloigne la

région d'une construction horizontale maghrébine qui offre, en

termes d'emplois et de croissance, des avantages durables et des

garanties de stabilité plus forte que la dépendance à une économie

rentière. Ainsi, un des effets pervers de la PEY serait de renforcer,face à l'absence de perspective d'e intégration renforcée'?», les

secteurs énergétiques en Algérie et en Libye, bien qu'ils soient

incapables de satisfaire l'océan des besoins, et cela au détriment

d'une diversification des économies. Intégrés dans les réseauxd'approvisionnement de l'UE, l'Algérie et la Libye ne pourraient

que se désintéresser d'une intégration au Maghreb, en dépit de

la source de création d'emplois et de richesses qu'elle pourraitgénérer. L'intégration régionale apparaît dès lors comme une

demande de pays moins dotés de ressources naturelles, comme

le Maroc et la Tunisie". Dans cette perspective, aux contentieux

historiques entre le Maroc et l'Algérie, il faudrait ajouter l'éco-

nomie rentière comme pourfendeuse des «pères du nationalismeet du mouvement maghrébin de libération'! »,

18. Z. laidi (eâ.), EU Foreign Policy in a Globalized World, Londres,Routledqe, 2008.19. Christian Nakhlé, «Frontières de l'Europe», Les Carnets du CAP,printemps 2006, p. 83.20.1. Martinet, K L'intégration régionale au Maroc et en Tunisie »,Euromesco, janvier 2009. http//www.euromesco.net21. A. Abdou, «Le Maghreb en jachère», Le Quotidien d'Oran, 24 août2006. Rappelons que la conférence de Tanger du 27 au 30 avril 1958- qui réunissait le Née-Destour, l'Istiqlal et le FLN - stipulait: «Laconférence de Tanger [...] consciente d'exprimer la volonté unanimedes peuples du Maghreb arabe il 'unir leur destin dans la solida-rité étroite de leurs intérêts, convaincue que le moment est venude concrétiser cette volonté d'union dans le cadre d'institutions

ALGÉRIE ET LIBYE À L'ÉPREUVE DE LA POLITIOUE EUROPÉENNE 1 181

La construction d'un marché de l'énergie

Le 27 avril 2004, le colonel Kadhafi est invité par la Commission

il se rendre à Bruxelles pour une visite historique. En effet, depuis

1992, le Guide ne peut se rendre dans un pays occidental en rai-

son des poursuites judiciaires à son encontre. Pourtant, comme

le précise Romano Pro di, l'ancien président de la Commission

européenne: « L'Union européenne n'a pas de relations formelles

avec la Libye, et la Commission n'a pas de délégation à Tripoli.Mais la Libye est un pays clé de la rive sud de la Méditerranée, en

même temps qu'elle joue un rôle très important sur le continent

africain. La Libye est un observateur du processus de Barcelonedepuis avril 1999, après avoir été invitée pour la première fois

à la conférence Euro-Med de Stuttgart. Depuis, elle est invitée àdevenir membre à part entière du processus. [Cela] requiert une

demande formelle dans laquelle la Libye s'engage à accepter tout

son acquis, et qui devra être examinée par le Conseil".»

La volonté européenne d'intégrer la Libye dans le partena-

riat est ancienne. À peine les sanctions de l'ONU suspendues

en avril 1999, Romani Prodi a invité Mouammar Kadhafi, à

Bruxelles. L'objectif était de l'amener à discuter de son adhésion

au partenariat euro-méditerranéen. Cette invitation fut l'objet

d'une intense discussion entre Chris Patten, responsable des

relations avec les pays méditerranéens, et Javier Sola na, res-

ponsable de la politique extérieure et de sécurité commune, ces

derniers rappelant que la Libye n'était pas encore absoute des

accusations portées contre elle. Ce couac européen accentuera lediscours critique du colonel Kadhafi sur l'accord d'association avec

l'Europe: «L'expérience européenne ne nous est d'aucune utilité ...

J'ai toujours rejeté le traité de Barcelone. C'est une conspirationcontre l'intégrité territoriale africaine. Vouloir nous attirer, nous

assister au travers du processus de Barcelone en démembrant le

communes, afin de leur permettre d'assurer le rôle qui lui incombedans le concert des nations, décide d'œuvrer à la réalisation de cetteunion, considère que la forme fédérale répond le miellX aux réalitésdes pays participants. »

22. La Revue parlementaire, juin 2005, p. 11

Page 93: Violence de La Rente Petroliere

1821 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLltRE

Origine des importations de pétroleet de gaz de l'Union européenne (2008)

en milliards de dollars

Pétrole

Russie~::::~~~T,;:II••• 115,8Norvège 61,3

Libye 41,7Arabie Saoudite

KazakhstanIran

NigeriaAlgérie

AzerbaidjanIrak

AngolaGuinée équatoriale

VenezuelaMexique

SyrieKoweitBrésil

Égypte

23,220,618,2

16,5

15,714,9

13,3

10,9

5,64,7

4,5

4,3

4,02,62,2

Norvège ~:=::::=:~~~i:16,7Russie 16,3Algérie 11,4Nigeria i""-' •••.••• -.... 5 ,0

OatarÉgypte

Trinidad et TobagoTurkménistan

UbyeKazakhstan

Arabie SaouditeBiélorussie

Guinée équatorialeUkraine

OuzbékistanÉtats-Unis

AngolaSuisse

Sources: UN Gamtrade, 2009.

Gaz

3,32,5

1,80,8

0,50,50,3

0,20,090.090,08

0,080,080,07

Donnéesnon disponiblespour l'Irak

ALGÉRIE ET LIBYE À L'ÉPREUVE DE LA POLITIOUE EUROPÉENNE 1183

continent, en volant l'Afrique du Nord pour l'annexer à l'Unioneuropéenne, cela est inacceptable".» Ce rejet politique du par-tenariat avec l'Europe se traduit, quelques années plus tard, pardes retrouvailles énergétiques, L'inauguration, le 7 octobre 2004,

du West Jamahiriya Gas Project, scelle l'arrimage de la Libye àl'Europe: «Nous annonçons au monde que l'Italie et la Libye sontdécidées à faire de la Méditerranée une mer de paix, une mer decommerce et de tourisme, une mer sous laquelle les pipelines depétrole et de gaz joignent, à travers la Libye et l'Italie, l'Afriqueet l'Europe" .• Cette convergence énergétique s'inscrit dans ladéclaration ministérielle du forum Euro-Med de l'énergie, enmai 2003, qui souligne la nécessité, entre 2003-2006, de para-chever «l'anneau gazier Euro-Méditerranée méditerranéen» enrenforçant son soutien aux projets suivants" :- gazoduc approvisionnant l'Espagne et la France à partir de

l'Algérie;- gazoduc approvisionnant J'Italie et la France à partir de l'Algérie;- gazoduc partant de la Libye pour desservir l'Italie (passant

par Malte);- l'interconnexion gazière entre l'Égypte, la Libye et la Tunisie.

L'Algérie représente 10 0/0 et la Libye 2 0/0 des importationsde gaz de l'UE, dont le principal fournisseur est la Russie. Ladépendance de l'UE vis-à-vis des importations de gaz ne cessede croître: 62 0/0 de sa consommation de gaz était importée en2006. L'Algérie détient les sixièmes réserves mondiales prouvées,elle est le quatrième exportateur mondial de gaz. Bénéficiantde la construction d'un marché du gaz en Europe, l'Algérie estdevenue le troisième fournisseur de l'UE qu'elle approvisionnepar gaz liquéfié (LNG)et pipelines (Transmed ; Gazoduc MaghrebEurope). Deux projets en cours, « Galsi» et «Medgaz », doiventrelier l'Algérie et l'Italie par la Sicile pour le premier, l'Algérie et

23. Intervention de M. Kadhafi en juillet 2001 à Lusaka lors de la créa-tion de l'Union africaine, Géopolitique africaine, 4, novembre 200J.24. Jamahiriya News Agency, 7 octobre 200425. Euromed Report, 23 mai 2003, http://europa.eu.int

Page 94: Violence de La Rente Petroliere

184/ VIOLENCE DE LA RENTE PtTROLlÈRE

l'Espagne pour le second". La Libye a un très net retard en matièred'exploitation de son gaz. L'Algérie a commencé l'exploitation, laproduction et la commercialisation du sien dès les années 1970,alors que la Libye n'a véritablement commencé qu'en 1990. Sondéficit en matière d'infrastructures gazières est considérable auregard des infrastructures algériennes. Cela dit, la compagnieitalienne Agip œuvre à un rapprochement du secteur gazier enAfrique du Nord. Son objectif, à travers la Agip North Africa andMiddle East Ltd, est de parvenir à faire converger les politiquesénergétiques algériennes et libyennes. Prenant exemple sur lapolitique française en Algérie, l'Italie ambitionne de devenir le«parrains de la Libye nouvelle. Elle dispose pour cela d'atoutsconsidéra bles. À travers sa société pétrolière Agip, elle mènedepuis des décennies un partenariat privilégié avec la Libye.Face aux besoins énergétiques de l'Europe, elle œuvre en Afriquedu Nord à la convergence des fournisseurs de gaz algériens etlibyens. La Libye a un intérêt évident à rallier une partie de seschamps gaziers aux réseaux de transport algériens. L'Algériea-t-elle intérêt à voir se développer une telle synergie? Si, surle court terme, l'Algérie peut être inquiète de voir émerger unautre fournisseur de gaz en Afrique du Nord, elle peut sur le longterme exploiter sa position dominante en devenant un véritablepoumon d'exportation de gaz vers l'Europe à travers le gazoducEuro-Méditerranée. La construction de 1385 km de gasline deHassi R'Mel jusqu'à Cordoue en Espagne, via le Maroc, démontrequ'en dépit des relations conflictuelles entre le Maroc et l'Algérie,la convergence des intérêts a primé. Ainsi, la Libye et l'Algérieont un avantage évident à faire converger leurs intérêts dans lemarché international du gaz.

Les expériences passées dans le domaine du pétrole le prou-vent: la Sonatrach et la NOC ont agi de concert pour asseoir etconforter leurs positions. En effet, dans les années 1970,l'Algérie

26.J. Percebois, • The Supply of Naturai Gas in the European Union.Strategie Issues», OPECEnergyReview,mars 2008, Vol. 32, p. 50;S. Boussena et J. -P. Pauwels, LeDéfipétrolier,Paris, Vuibert, 2006,p. /06.

ALGÉRIE ET LIBYE À L'ÉPREUVE DE LA POLITIQUE EUROPÉENNE /185

et la Libye faisaient cause commune dans l'industrie pétrolière.Si le nationalisme arabe de Kadhafi s'expliquait par l'influencedu président Nasser", le modèle d'industrie pétrolière à bâtir étaitalgérien .• La Libye n'a eu au départ ni expérience, ni backgroundindustriel. Elle aurait à forger de toutes pièces une populationau plus haut niveau technique et scientifique" .» Dès l'arrivée deKadhafi au pouvoir, une coopération dans le secteur des hydrocar-bures a été lancée entre les deux pays. Dans les années 1970, faceaux compagnies étrangères, ils envisagent de constituer un frontunique pour défendre leurs positions et intérêts et de coordonnerleurs efforts pour développer davantage leurs économies nationales.Une coopération s'est instaurée entre la Sonatrach et la Lipteco(Llpetco qui deviendra, en 1970,la Linoco et finalement, en 1972,la NOC) en matière d'échanges d'informations, de techniciens,d'experts, et la création de sociétés mixtes pour la recherche, laproduction et le transport de pétrole. Les dirigeants de la NOCs'inspirent de la Sonatrach et cherchent à en faire un instrumentde l'État dans sa politique de captation des ressources naturelles.Ils imitent les trois étapes de la Sonatrach pour s'affranchir descompagnies étrangères: augmenter les investissements, développerl'engineering afin de réduire la dépendance et exiger l'utilisationmaximale de produits susceptibles d'être fabriqués sur place,développer les services. En 1971,la nationalisation des gisementsde gaz et des canalisations de transport et l'augmentation de sesparts à la hauteur de 51 010 font que la Sonatrach disposait destrois quarts de la production de pétrole et de la totalité de laproduction de gaz. Dans les années 1980, la Sonatrach et la NOCont signé des accords de coopération qui, le 11 novembre 1988,permettent la création de deux joint-ventures :The Arab Libyan-Algerian Exploration and Production Company (Alepco), chargéde l'exploration du pétrole (ail exploration) et la Libyan-AlgerianGeophysics Company (LAGC).Cette coopération a eu pour résultat

27. Paul Balta, Le Grand Maghreb: des indépendances à l'an 2000,Paris, La Découverte, /990.28. G. Destane de Bernis, «La Libye et l'Algérie: stratégies de déve-loppement comparées" Annuaire de l'Afriquedu Nord, 197/.

Page 95: Violence de La Rente Petroliere

1861 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

la découverte d'un gisement de pétrole à Oued Merabia, en 1994,au nord-ouest de l'Algérie, dans le champ de Hassi Messaoud. Ennovembre 1999, la Sonatrach et la NOC envisagent l'explorationcommune de blocs en bordure de la frontière des deux pays, dansle cadre d'un joint-venture29• La Libye, soucieuse de développerson réseau de transport signe des accords de coopération avecl'Algérie, la Tunisie et l'Égypte. Des sociétés communes sontcréées (Arab Maghreb Company for Gas and Transportation,Libyan Arab Algerian Company for Exploration and Production,Algerian Libyan Company for Geophysics Inc, Arab CompanyFor Engineering Consult). Paradoxalement, le constat d'échecde leurs modèles économiques à la fin des années 1980 les aamenées en entrer en concurrence pour approvisionner les Étatsconsommateurs d'Europe. La mise en réseaux de l'Algérie et dela Libye s'inscrit dans un souci européen de diversification deses sources d'approvisionnement. La crainte d'une trop grandedépendance à l'égard de Gazprom a augmenté l'intérêt pourles réserves libyennes et algériennes. Dès la levée définitive del'embargo en 2003, la Libye est apparue extrêmement attractive.Ahmed Abdulkarim, ancien président de la NOCet actuel directeurde Oilinvest, (the state-oumeâ oil holding company), précise quele gouvernement cherche à faire venir 10 milliards de dollarsd'investissement étrangers dans le secteur des hydrocarburesavant 201OJo. En effet, seulement 25 Ofo des réserves de gaz et depétrole, estimées à 40 milliards de barils, sont exploitées". Deplus la production libyenne est d'environ 1,5 million de barilspar jour, le gouvernement envisage d'augmenter sa capacité deproduction à 1,8 million de barils par jour en 2006 et à 3 mil-lions en 2020, niveau de production d'avant la nationalisation,en 197132• Dans le domaine du gaz, la Libye espère commencerrapidement à l'exporter vers l'Italie à travers un pipeline souterrain

29. Voir «AIgeria », dans Arab Oil and Gas Directory, 2000.30. Houston Business Journal, 5 janvier 2004.31. Interview de Tarek Hassan, directeur de la planification à laNOC, New YorkTimes, 23 juillet 2004.32. Yves Gazzo, Pétrole et développement: le cas libyen, Paris,Economica, 1980.

ALGÉRIE ET LIBYE À L'ÉPREUVE DE LA POLITIQUE EUROPÉENNE 1 187

en Méditerranée. Les réserves de gaz de la Libye sont estiméesà 1500 milliards de m3, soit 1 0/0 des réserves mondiales, et saproduction, en 1999, était de 12200 millions de mJ par an". Afinde coordonner ce renouveau, la Libye s'est dotée d'un Cound/forOil and Gas Affairs dont l'objectif est de construire une stratégieaussi efficace que celle de l'Algérie.

_ La construction d'une stratégie de sécuritéLa mise en réseau de l'Algérie et de la Libye dans le dispositif

d'approvisionnement de l'UE suppose la stabilité des régimeset la sécurité des territoires, conditions qui, tout au long de ladécennie 1980, faisaient défaut, comme le souligne J. Percebois :«La sécurité de l'approvisionnement énergétique est une des pré-occupations les plus importantes de la Commission européenneJ4

.»Si, sur le plan commercial, les contrats à long terme assurent unesécurité dans l'approvisionnement, encore faut-il que les pipelinesne soient pas l'objet de sabotage. La reconsolidation des régimesà la faveur du troisième choc pétrolier a permis un retour à lastabilité. L'intégration dans le dialogue OTAN-Méditerranée aoffert des ressources supplémentaires, susceptibles de sécuriser desespaces traversés par des organisations terroristes, telle l'AQMlJ5.Conscients des avantages de leur position géographique, lesrégimes algériens et libyens doivent, afin d'exploiter pleinementcette proximité entre les États consommateurs et les producteurs,démontrer que les inquiétudes européennes sur les menaces destabilité et de sécurité de la région relèvent du passé. L'anneaugazier euro-méditerranéen a démontré que les pays de la régionsont capables d'un minimum d'entente pour favoriser le transitdes hydrocarbures vers l'Europe dans les meilleures conditions.

33. Energy Information Administration, juillet 1999. umnu.eia.do«.

gov34. J. Pereebois, • The Supply of Naturai Gas in the European Union.Strategie Issues», art. cité, p. 3535. J.F. Coustillère, «Les rapports Europe-Maghreb en matière desécurité et de défense >, Année du Maghreb, 2008; sur l'AQMI, lioirJ-P Filiu, «Tiu: Local and Global Jihad of al-Qaida in the IslmnicMaghreb », Middle East Journal, 63 (2), printemps 2009.

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L'intégration progressive des forces armées des pays de la régiondu Maghreb dans une architecture régionale de défense (dialogue.OTAN-Méditerranée) offre des garanties de sécurité plus fortesen éloignant le spectre d'un conflit direct. L'implication gran-dissante des États-Unis dans la région", à la suite des attentatsdu 11 septembre 2001, favorise également la construction d'unecoalition régionale antiterroriste. Partie prenante de l'initiativede partenariat avec le Moyen-Orient(MEPI} lancée par le prési-dent Bush, le Maghreb est l'objet d'une attention particulièredans trois secteurs: sécuritaires, économiques et énergétiques.En février 2006, Donald Rumsfeld effectuait une «tournée auMaghreb» qui s'inscrivait à la fois dans le cadre de la lutte contrele terrorisme et du rapprochement des États du Maghreb del'OTANJ1.Depuis le lancement du dialogue OTAN-Méditerranéeen mars 2000, les manœuvres communes n'ont cessé de se déve-lopper entre l'OTAN, l'Algérie et le Maroc par exemple. Sur le planéconomique, l'accord de libre-échange établi entre le Maroc etles États-Unis ouvre de nouvelles perspectives d'échanges écono-miques. De plus, les investissements des compagnies américainesen Algérie et en Libye ne cessent de croître. Le rétablissementdes liens diplomatiques avec la Libye et les projets d'installationd'une base militaire dans Je Sahel, en Mauritanie, dans le cadrede la lutte contre Je terrorisme, manifestent le nouvel engagementdes États-Unis dans la région. Le déficit d'implication de l'Unioneuropéenne dans le conflit du Sahara occidental, justifié par lesouci de ne heurter ni le Maroc ni l'Algérie, laisse aux États-Unisla possibilité d'œuvrer au Maghreb.

Les attentats du 11 septembre 2001 ont un double impacten Afrique du Nord: ils légitiment la lutte contre l'islamisme,y compris par la violation des droits de l'homme, et permettentl'intégration du Maghreb dans le dispositif mondial de la guerrecontre le terrorisme mis en place par l'administration Bush. Lesattentats de Madrid (11 mars 2003) provoqueront quant à eux

36. A. Benantar, [dir.}, Les États-Unis et le Maghreb. Regain d'inté-rêt?, Alger, Cread, 2007.37. «Le Maghreb stratéqique», http://www./ldc.nato.int

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un début d'organisation au sein de l'UE dans la lutte contre leterrorisme. Les groupes armés islamistes originaires du Maghrebapparaissent comme l'une des principales menaces pour lesÉtats du sud de l'Europe. La politique d'éradication de la menaceterroriste en Algérie et en Libye trouve un écho favorable auxÉtats-UnisJ8. Pour l'administration Bush, la principale menaceen Afrique du Nord est localisée dans le Sahel. «Les activitésdes réseaux terroristes qui opèrent dans des régions abandon-nées de l'Afrique du Nord et du Sahel représentent la principalemenace au Maghreb. Les extrémistes locaux et les combattantsjihadistes qui fuient l'Afghanistan ont trouvé un refuge salutaireprès du Sahara où ils peuvent se permettre d'opérer sans gênedes gouvernements19.» Dans cette perspective, la mise en œuvred'une coalition régionale constitue le meilleur instrument de luttecontre le terrorisme. Ces initiatives de sécurité participent de lavolonté d'instaurer un climat de confiance dans une région où laméfiance règne, tant entre les pays qui la composent que vis-à-visdes initiatives européennes en matière de sécurité. Le temps estloin où l'on considérait qu'au Maghreb Eurofor et Euromarforétaient «UDe ingérence flagrante et une menace directe contrela souveraineté du sud de la Méditerranée et même un dangerpour la paix et la sécurité" •. L'édification d'un «anneau gazierEuro-Méditerranée méditerranéen» contraint les pays produc-teurs, de transit et consommateurs à converger vers un minimumd'entente sur une stratégie de sécurité en Méditerranée. Cetteentente stratégique (anneau gazier, lutte contre le terrorisme) seretrouve également dans la «lutte contre les migrants ». Il s'agitde freiner l'arrivée des migrants clandestins grâce à un dispo-sitif militaire. Face aux migrants en provenance du Maghreb et

3 8. L. Martil/ez, «La sécurité en Algérie et en Libye après leIl-Septembre., Euromesco Papers, 22, mai 2003.39. Maghreb Roundtable, CSl, février 2006. .40. Eurofor (force opérationnelle rapide) et Euromarfor (force man-time européenne) sont des forces composées par la France, l'Espagne,l'Italie et le Portugal, qui, au cours de la décennie 1990, aspiraientà répondre à des impératifs sécuritaires. Le Dossier d'Athéna del'THEON,Paris, La Documentationfrançaise, 2' trimestre 1997.

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d'Afrique subsaharienne, les dispositifs en place sont le SNE", TheEuropean Naval Forces et Frontex. Ce dispositif est complété pardes opérations maritimes comme le projet «Neptune», OperationActive Endeavour menée par l'OTAN, le projet «Atlantis» et plusrécemment le projet «cheval de mec>. U s'agit, dorénavant, decontrôler non seulement les eaux internationales, mais aussi leseaux territoriales. Les effets de cette militarisation sont doubles:ils permettent de fermer certaines voies de passage sans pourautant tarir le flux de migrantsw ; sur le plan administratif, ilspermettent la réadmission des migrants clandestins (10 Ofo desentrées des migrants dans l'UE sont irréguliers) qui seraientpassés au travers du dispositif dans le dernier pays de transit.Face aux inquiétudes européennes sur la question migratoire,la Libye a accepté l'installation sur son sol de _centres fermés •.En février 2003, Tony Blair lance l'idée de créer des «zones deprotection. hors de l'Europe, son projet est repris, en août 2004,par Otto Schily, ministre de l'Intérieur allemand, et GiuseppePisanu, son homologue italien, qui proposent l'idée de créer descentres fermés, c'est-à-dire des camps où seraient instruites lesdemandes d'asile de migrants". Depuis ces initiatives, le Maghrebs'est peuplé de quelques camps et a signé des accords bilatérauxde coopération et de réadmission avec l'UP'.

Le Maghreb est-il devenu "le gendarme de l'Europe»? Leflux de clandestins en provenance de l'Afrique subsaharienne et

41. Le SIVE (Système intégré de surveillance extérieure) est un dis-positif opérationnel qui permet la surveillance de la frontière sudde l'Espagne. Il a quatre fonctions: détecter, identifier, suivre etintercepter toute embarcation qui. essaie d'entrer illégalement sur leterritoire de /'UE. Revue maritime, 465, juin 2003.42. D. Lutterbek, «Policinq Migrations in The Meditcrranmn»,Mediterranean Politics, 11 (J), 2006.43. Isabelle Saint-Saëns, «Des camps en Europe aux camps de l'Eu-rope», Multitudes, 19, hiver 2004.44. }-P Cassarino, «Informalisinq Readmission Agreements in the EUNeiqhbourhood J, The International Spectator, 42 (2), 2007. Ell 2004est adopté le programme Aeneas : doté de 250 millions d'euros pou.rla période 2004-2008, il apporte une assistance technique et finan-cière «dans le cadre d'un véritable partenariat. {http://europa.eu}.

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, destination de l'Europe fait du Maghreb une région de transit.D'autant plus que deux pays, l'Algérie et la Libye, contournés parles migrants dans les années 1990 en raison de la guerre civilet des sanctions internationales, ont retrouvé leur attractivité

au cours de la décennie 2000. Les populations des pays les pluspauvres migrent chez les voisins les plus riches (Mali, Niger etTchad en Libye, par exemple). Le premier facteur explicatif dudépart des migrants d'Afrique vers le Maghreb est la pauvreté, alorsque le chômage est le premier facteur explicatif des Maghrébinsvers J'Europe. Les conflits en Afrique subsaharienne et les écartsde richesse qui ne cessent de s'accroître entre le Nord et le Sudexpliquent le phénomène migratoire. Après avoir militarisé lafrontière en Méditerranée, la Libye réclame, avec le soutien deMalte, des moyens militaires pour sécuriser ses frontières mari-times et terrestres. En septembre 2007, Kadhafi réclame mêmeune aide financière de l'UE de l'ordre de JOmilliards d'euros afinde combattre ces flux. À défaut d'argent, la Libye espère se doterd'une marine adaptée que l'Italie est prête à lui vendre. PrincipalÉtat de l'Union concerné par la question des flux migratoiresclandestins, l'île de Malte a réclamé une aide concrète de l'UEpour aider la Libye: «Si la Libye avait des meilleures patrouillesà sa frontière sud, elle pourrait réduire le flux des migrants quiarrivent à Malte et en Italie», souligne Tonio Borg, ministre desAffaires intérieures maltaises.L'échec économique et la pression démographique placent sur lesroutes migratoires des jeunes à la recherche d'un avenir meilleur.Le différentiel économique entre les États du Maghreb et l'UErend le projet migratoire attractif, en dépit de la fermeture del'accès légal au marché du travail. La généralisation du systèmedes visas, mise en place dans l'espace Schengen par les pays del'UE, conduit les migrants à chercher de nouvelles voies d'accèsà l'Europe, en particulier pour migrer en Espagne et en Italie.Au cours de ces dix dernières années, le Maghreb est devenuun véritable «lieu de transit. pour les populations du sud duSahara. Pour l'instant, «les migrations de citoyens des pays dusud du Sahara ne concernent que dans une faible mesure l'Europe,puisque la plupart des migrants subsahariens s'installent pour

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des périodes plus ou moins longues au Maghreb, en Libye, enAlgérie dans une moindre mesure, et de plus en plus au Maroc.On estime ainsi à plus de 2 millions le nombre de personnes dusud du Sahara vivant actuellement en Libye... Les chiffres tirésde différentes sources indiquent que le nombre de migrantssubsahariens accédant au Maghreb se situe entre soixante-cinqmille et quatre-vingt mille annuellement" », Seulement 15 0/0

d'entre eux cherchent à se rendre directement en Europe". C'estdire que le Maghreb est devenu une région d'immigration, alorsque son économie est incapable de créer les emplois nécessairesà sa population active.

- Marché de l'énergie et stratégie de sécurité:que devient "intégration régionale?

L'intégration réussie de l'Algérie et de la Libye dans le dispo-sitif d'approvisionnement de l'DE et dans la stratégie de sécuritérégionale ne répond pas pour autant aux préoccupations et auxbesoins de la région. Pis, elle éloigne la région d'une intégrationéconomique qui apparaît comme J'une des réponses les pluseffectives en matière de création d'emplois et de richesses. Lacroissance de la population active au Maghreb suppose qu'il faudra«créer près de 16 millions d'emplois entre 2000 et 2020 pour lesnouveaux arrivants sur le marché. Compte tenu du niveau dechômage estimé à 20,4 Ofo au Maghreb, les pays de cette régiondevront créer quelque 22 millions d'emplois au cours des deuxprochaines décennies pour occuper à la fois les chômeurs et lesnouveaux venus sur le marché" », En un demi-siècle, la populationdu Maghreb a été multipliée par 3,03, de 25,7 millions d'habitantsen 1950 à 77,8 millions d'habitants en 2001. L'espérance de vieest passée de 42 ans à 67 ans, à l'exception de la Mauritanie où

45. Mehdi Lahlou, «Le Maghreb: lieux de transit», La Pensée duMidi, 10, 200346. Mehdi Lahlou, «Plan d'action pour gérer les migrations irrégu-Hères â partir de l'Afrique., BIT, Genève, avril 2003.47. Banque Mondiale. Rapport dir. P. Dyer, «Disponibilité de main-d'œuvre, chômage et création d'emplois dans le Maqhreo», p. 2.http://doc.abliatoo. net. ma

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l'espérance de vie ne dépasse pas les 50 ans. Cette révolutiondémographique a pour conséquence une augmentation de lapopulation des 20-40 ans, passée de 23 millions à 28 millionsentre 2000 et 2010. Selon les projections pour 2010, les 20-40 ansreprésenteront 36 0/0 de la population totale. Comme beaucoupd'observateurs le soulignent, cette tranche d'âge correspond à descandidats potentiels à la migration. Très clairement, 9 millions de«jeunes. seront menacés d'exclusion dans un avenir immédiat.Il faudra attendre 2030 pour voir cette tranche d'âge diminuer etne plus représenter que 33 Ofo de la population totale. Les revenusdu pétrole hier, ceux du gaz demain, seront insuffisants pourrépondre à ces demandes. Enjuin 2005, Rodrigo de Rato, directeurgénéral du Fonds monétaire international (FMI),établit un constatcritique sur la région: «Une intégration économique régionaleplus poussée présenterait des avantages importants. Elle créeraitun marché régional de plus de 7 5 millions de consommateurs [...]elle entraînerait des gains d'efficience et rendrait la région plusattrayante pour les investisseurs étrangers. Et, surtout, les structureséconomiques complémentaires des pays du Maghreb créeraientdes possibilités d'échanges qui bénéficieraient à tous les pays dela région" .••En 2003 le commerce formel intrarégional des paysdu Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie, Libye) ne dépasse pas les3 Ofo. En comparaison, «le commerce intrazone représentait 60,2 Ofo

de J'DE, 22,3 Ofo de l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est(Asean), 10,6 Ofo des pays d'Europe centrale et orientale (PECO)et19,9 Ofo des pays du Marché commun du Sud (Mercosur)" », Uneexplication structurelle est donnée à cette faiblesse des échanges:elle tient à la faible complémentarité économique". En fait, pourMoharned Boussetta, l'une des solutions pour dynamiser le com-merce intrarégional se trouve dans le démantèlement tarifaire. Pourl'Algérie: « la suppression de 50 Dio ou de 100 Ofo des droits de taxesapplicables aux importations agricoles en provenance du Maroc

48. Rodrigo de Rato, «Intégration économique au Maghreb: sur lechemin de la prospérité», L'Économiste (Maroc), 15 juin 2005.49. M. Boussetta, Femise, 1]-2/ août 2004, p. 59.50. J. Bensidoun et A. Chevalier, Europe-Méditerranée: le pari del'ouverture, Pa.ris, Economica, 1996.

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1941 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

et de la Tunisie entraînerait une progression des échanges avecces deux pays de respectivement 20,9 Ofo et 47,9 Ofo; en matièred'échanges industriels, il se traduirait par une expansion de ceséchanges de 34,4 Ofo et 84,9 % respectivement" •. Le coût de cettefaible intégration est évalué à «la privation de 2 à 3 Ofo du pmannuel des pays maghrébins •. Un tel constat soulève des questionssur les raisons de ce manque". En effet, la situation économiquedes pays d'Afrique du Nord n'est pas en mesure de se payer le1uxe d'un tel gâchis économique. Ce «bénéficie pour tous _ a étéjusqu'à présent refusé. Lors du forum pour le développement enAfrique du Nord.Ies 19-20 février 2007,Ie texte introductif, s'in-titulait: «le commerce: pour une croissance créatrice d'emploi».Il y était précisé que: • L'augmentation et la stabilisation des tauxde croissance n'ont pas eu d'impact significatif sur la réductiondu chômage et de la pauvreté [...] alors que des études montrentqu'avec des mesures simples mais soigneusement conçues, lecommerce intrarégional peut être multiplié par un facteur de5 à 10-. Le forum ambitionne, entre autres, de «rechercher dessolutions aux problèmes qui empêchent le développement ducommerce dans la régionv». Les économies rentières de l'Algérieet de la Libye constitueraient-elles un obstacle à l'intégrationrégionale? En somme, est-ce l'assurance de bénéficier du marchéeuropéen qui les libère de la contrainte politique d'œuvrer à uneintégration régionale?

En mars 2005, la rencontre entre le président AbdelazizBouteflika et le roi du Maroc, Mohamed VI, apparaît comme les pré-misses du «dégel». La presse se fait l'écho de la rumeur annonçant

51. M. Boussetta, Femise, 13-21 août 2004, p. 95

52. La stratégie maghrébine de déueloppement'esr fondée sur le "pro-gramme de Ras Lanouf", adopté en Libye en 1991. Elle articuleles trois étapes définissant les modalités de l'intégration régionale:l'instauration d'une zone de libre échange, U1leunion. douanière etun marché commun •. P. Botha and F. Aggad .• The Arab MaghrebUnion as a Regional Economie and Political Grouping: a CaseStudy», Politics, 42, 2004, p. 33-47.

53. Forum pour le développement en Afrique du Nord, http://northafricaforum.orq

AI GÉRIE ET LIBYE À L'ÉPREUVE DE LA POLITIOUE EUROPÉENNE 1195

Iii réouverture de la frontière entre l'Algérie et le Maroc, premierI(C te symbolique des retrouvailles. Dans la foulée, la Libye, quipréside l'Union du Maghreb arabe (UMA), annonçe la date d'unsommet des chefs d'État les 25 et 26 mai à Tripoli. Enthousiasmede courte durée. Mohamed VI déclare qu'il ne participera pas ausommet, provoquant de fait son annulation. Les propos tenuspar A. Bouteflika, quelque temps auparavant, sur le droit desahraouis à l'autodétermination, servent de prétexte pour remettren question les tentatives de réconciliation algéro-marocaine, Le

discours officiel de l'Algérie sur le Sahara n'a pas changé. Commele rappelle M. Messahel en mars 2006: «La résolution de conflitréside dans l'exercice par le peuple sahraoui de son droit sacré àl'autodétermination [...] c'est la position définitive de l'Algérie [...]la situation de blocage revient, en premier lieu, à l'ONU qui doitbouger et prendre ses responsabilités" .» Position que souligneMohamed Bedjaoui, ministre des Affaires étrangères, en juin 2006au journal Liberté (5 juin 2006), en insistant sur le plan Bakeret le soutien à la résolution 1675 (2006) qui rappelle le droit àl'autodétermination du peuple sahraoui. Pour le Maroc, le retourde l'abondance financière en Algérie expliquait son désintérêtéconomique pour la région. En fait, la fermeture de la frontièrecoûte plus cher au Maroc qu'à l'Algérie. Le risque d'un conflit directest inenvisageable, « L'Algérie et le Maroc collaborent étroitementavec les États-Unis dans sa guerre contre le terrorisme. U est doncparticulièrement difficile pour Washington de favoriser l'un oul'autre parce qu'elle veut rester proche des deux [...] L'Algérie esttrès forte, le Maroc a remporté la guerre, le Polisario, sous occu-pation, est faible. Le conflit armé n'est pas à l'ordre dujour. Tantque l'Algérie dit au Polisario de ne pas combattre, il ne va pas lefaire=.» Cela dit, l'Algérie s'efforce, avec le projet « Medgaz», decontourner le Maroc et d'atteindre directement l'Espagne! Cettetension régionale exaspère les entreprises de la région. Les acteurséconomiques ont d'autant plus intérêt à porter le projet d'une

54. M. Messahe], ministre des Affaires étranqères, Algérie. Algérie-UMA, 26 mars 2006.55. Déclaration de James Baker, TelQel Magazine, Maroc, août 2004.

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intégration régionale que les dirigeants politiques de la régionsemblent à nouveau entrer dans une «guerre froide ». L'Algérie,le Maroc et la Libye se sont engagés dans une «petite course.régionale à l'armement".

Le conflit du Sahara occidental apparaît comme le principalfacteur de blocage dans la construction de l'UMA. Il illustrel'incapacité de l'Algérie et du Maroc à sortir d'une relation deméfiance, d'hostilité parfois, depuis la guerre des sables de 1963.

Le conflit du Sahara occidental a été surtout une formidableopportunité politique d'asseoir leur autorité. Pour la monarchiemarocaine, il lui a permis de s'approprier le sentiment nationalistealors porté par le mouvement de l'Istiqlal qui faisait de la causedu Grand Maroc l'un de ses combats politiques. Pour le régimealgérien, il a représenté un moyen de justifier le pouvoir d'unearmée et d'entretenir le sentiment nationaliste. L'avantage duconflit saharien était évident: l'instauration, sous couvert d'unsentiment nationaliste, de régimes politiques autoritaires. Au coursdes années 1970-1980, ce conflit était un prétexte à l'établissementde relations hostiles. Confrontés à des critiques internes sur laviolation des droits de l'homme, la corruption, la concentration desrichesses et l'absence de liberté, l'Algérie et le Maroc ont trouvédans le conflit du Sahara occidental l'occasion de déverser, grâceà une presse complaisante, des préjugés et des clichés sur l'autre,dans l'espoir de rallier à leur cause une population frustrée par ladégradation des conditions économiques et sociales. À la fin desannées 1980, les pays du Maghreb se rallient au projet de l'UMA,qui est perçu comme un facteur de rapprochement avec l'Europe.

56. En Algérie, un contrat d'armement de 3,5 milliards de dollars(40 chasseurs Mig 29 SMT, 28 chasseurs Su-30Mk, 16 yak-130, 8groupes de missiles antiaériens 5-300 PMU et de 40 chars T-90),«Achat d'armes au Maqhreb», El Watan, 11 mars 2006. En 2007,le Maroc achetait 24 appareils F16 (2,4 milliards de dollars), etDassault et la Libye négociaient la vente de l'avion Rajale. Dansun article intitulé .Alger prépare la guerre» (Maroc hebdo inter-national, 6-12 septembre 2002), l'auteur estime que le suranne-ment algérien constitue une sérieuse menace pour la stabiliu: deses voisins.

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Mais deux années seulement après sa création, il soulève déjàdes doutes quant à la possibilité de voir se réaliser l'intégrationrégionale: «Les incertitudes politiques et pratiques demeurentévidentes. Quand et comment le fonctionnement institutionnelsera-t-il stabilisé? Quel est le fil conducteur de la construction?Quel est son moteur, dans la première étape au moins? Les proposofficiels sont flous ou contradictoires. Pour un observateur exté-rieur, le processus d'intégration n'est pas réellement enclenché.Le thème maghrébin apparaît utilisé dans les discours politiquesinternes à des fins étrangères".» Dès le début, le projet politiquede l'UMA apparaît comme instrumental, il vise à répondre auxattentes de l'Europe. Jacques Delors précise: «qu'en construisantl'UMA, les pays du Maghreb élargissent considérablement les pers-pectives de partenariat de part et d'autre de la Méditerranée" ». Laconstruction de ce nouvel espace a pour but de se rapprocher dela Communauté européenne. Cet objectif sera pleinement atteintavec les accords signés avec l'UE dans le cadre du PEM. Danscette perspective, le développement d'une intégration régionalen'est pas l'objectif principal. Aujourd'hui avec la PEY, l'Algérie etla Libye sont débarrassées du fardeau de l'intégration régionale,le Maroc et la Tunisie, bien qu'intéressés par celle-ci, car elle leurpermettrait d'accroître leurs exportations, nouent des liens tousazimuts afin de compenser l'absence d'un marché régional (zonesde libre-échange Maroc - États-Unis en 2006, Maroc-Turquie en2006, traité d'Agadir en 2004). Le coût du. non-Maghreb. exaspèreles entreprises de la région pour qui la stratégie des États est encontradiction avec les besoins des sociétés. Le 17 février 2007, despatrons des patrons» du Maghreb se sont réunis à Marrakech etont annoncé la naissance de l'Union maghrébine des employeurs.La date retenue n'était pas fortuite: le 17 février 1989 était crééel'UMA. Projet politique alors, l'UMA est devenu un enjeu vital pourles entreprises. Comme le déclare Hammad Kassal, vice-président

57. Rober Bistolji, «La politique maghrébine de la communauté.,AAN, tome XXVIiI, 1990, p. 23.58. Cité par Robert Bistolfi, «La poli.tique maghrébine de la commu.-nauté», art. cité, p. 25.

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de la Confédération générale des entrepreneurs marocains et l'undes fondateurs de l'Union maghrébine des employeurs: «C'estl'économie qui va briser le mur politique qui existe aujourd'hui.Nous voulons faire pression sur nos gouvernements pour qu'ilspuissent eux-mêmes améliorer leurs relations".»

En augmentant sa demande énergétique, l'UE accentue enAlgérie et en Libye l'emprise du secteur des hydrocarburesdans l'économie. Or celui-ci est quasiment hégémonique; lesexportations d'hydrocarbures assurent déjà 98 % des revenusextérieurs. De plus, en garantissant le marché énergétique et enprojetant d'institutionnaliser les relations bilatérales, elle libèreces deux pays du projet d'une intégration régionale au Maghreb,dont l'absence pénalise davantage le Maroc et la Tunisie. Sur leplan stratégique, l'UE est parvenue à intégrer ces deux pays à lafois dans son dispositif d'approvisionnement en gaz et dans sapolitique de lutte contre les migrants. Mais sur le plan politique,est-elle capable d'exporter ses normes et ses valeurs? En sommepeut-elle aller au-delà de l'énergie et de la sécurité? Ille faudrait,car la Russie de Vladimir Poutine offre également un "partenariatstratégique" à l'Algérie et à la Libye...

- Les limites de la politique européenne

Face à la résistance algéro-Iibyenne, la dimension économiqueet sécuritaire de la politique de l'UE a très largement pris le dessussur les réformes politiques. La démocratie apparaît comme leparent pauvre de cette politique, et pourtant, comment concevoirdes changements économiques si la satisfaction des citoyens n'estpas au cœur des préoccupations des dirigeants politiques"? Lessuccès rencontrés dans la construction du marché du gaz, la luttecontre le terrorisme et les migrants clandestins, permettent-ils àl'UE de disposer d'un capital de confiance suffisant pour aborderles problèmes politiques? L'approche réaliste avance que pour

59. LeFigaro, 16février 2007.60. Richard Gillepsie, «A Political Agenda for Region-Building? TheEMP and Democracy Promotion in North Africa», Paper Universityof California,2004.

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neutraliser les ambitions russes en Algérie et en Libye, l'UE doit,dans ces deux pays, ignorer les problèmes politiques (démocratieet gouvernance) afin de maximiser sa présence dans les domainesde l'énergie et de la sécurité. Pour les populations de la région, cechoix stratégique explique l'indifférence, voire la complaisance,avec laquelle les États de l'Union européenne traitent la corruptiondans la région. L'accaparement des ressources publiques à des finsprivées par les coalitions autoritaires était déjà ignoré au sein dupartenariat euro-méditerranéen, ce qui, au regard des opinions,le décrédibilisait grandement. Qu'adviendra-t-il de la nouvellepolitique européenne si ce problème n'est pas à nouveau abordé?Comment augmenter la confiance des investisseurs étrangers(et donc augmenter les IDE hors hydrocarbures) si les capitauxnationaux sont investis ailleurs"? La PEY ne semble pas être lecadre le plus adéquat pour aborder le problème de la corruptionet donc de la gouvernance. Pourtant, ces problèmes nourrissentdans les sociétés du Sud une partie du discours des mouvementsislamistes, qui opposent à la corruption des régimes la «vertu»d'un régime islamique.

Dans un passé récent, l'un des avantages de la rente pétrolièreétait de pouvoir immuniser ses détenteurs contre toute forme depression ou de menace issue de la communauté internationale.La richesse pétrolière a produit des amitiés intéressées au sein despays démocratiques, ce qui a libéré les régimes de toute inquiétudequant à des représailles économiques ou diplomatiques en casde violation des droits de l'homme. Le pétrole a été une armediplomatique durant la période de l'embargo en Libye (1992-1999,la levée définitive au sens juridique intervenant en 2003) et de laguerre civile en Algérie (1991-1999). L'implantation de sociétéspétrolières européennes en Libye a constitué, sous l'embargo, unatout considérable pour neutraliser la relation conflictuelle avecles États-Unis. En effet, l'administration Clinton avait évoqué lapossibilité de • durcir» l'embargo contre la Libye, en l'élargissantau pétrole. Mais l'Italie et l'Allemagne ont clairement fait savoir à

61. Richard Youngs, «The EU and Democracy Promotion in theMediterronean : A new or Disingelluous Strategy?» unuuiliv.ac.uk.

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2001 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

l'administration Clinton leur refus d'un embargo pétrolier sur laLibye, car la part des exportations libyennes vers ces deux paysétait trop importante. Pour le régime libyen l'objectif diplomatiqueétait atteint: la Libye disposait de relais européens importantssusceptibles de freiner la diplomatie des sanctions lancées par lesÉtats-Unis6

'. De plus, les régimes autoritaires pétroliers peuventsans crainte réprimer leurs populations ou leurs opposants carle secteur touristique est embryonnaire et les investisseurs dansle secteur énergétique sont peu sensibles au sort des populations

locales. Là où un régime autoritaire, comme la Tunisie s'évertueà trouver des formules sophistiquées afin de réprimer ses oppo-sants sans trop le laisser apparaître, l'Algérie lance en 1995 sa«guerre totale» contre les islamistes sans que cela ne freine lesinvestissements dans le secteur des hydrocarbures-'. Hier, l'Europeprotégeait la Libye de la politique des sanctions des États-Unis.Aujourd'hui, la Russie protégerait-elle la Libye et l'Algérie d'unepolitique européenne ambitieuse en matière d'exportation denormes et de valeurs démocratiques? Jusqu'à présent, l'Algérieet la Libye affrontent davantage les délégations de représentantsde grands groupes industriels de l'armement que celles composéesde techniciens de l'ingénierie démocratique.

Principe de réalité

Au bord de l'implosion dix ans plus tôt, l'Algérie et la Libyese sont dotées de fonds de réserves afin de réguler les sommescolossales que le troisième choc pétrolier leur a permis d'engrangeret que l'économie ne peut absorber. Mis au ban de la communautéinternationale dans les années 1990, ces pays sont devenus, enraison de leur richesse retrouvée, très courtisés, Outre les infras-tructures civiles à restaurer, après une décennie d'embargo et deviolence, c'est le retour des grands contrats d'armements, de projetsindustriels, de villes nouvelles, etc. La dépense de cette nouvelle

62. D. Cortriqht et G.A Lapez, The Sanctions Decade: AssessingUNin the 1990, Boulder (Coto.}, 2000.63. L. Martines, La Guerrecivile en Algérie,Paris, Karthala, 1997.

ALGÉRIE ET LIBYE À L'ÉPREUVE DE LA POLITIOUE EUROPÉENNE 1201

manne financière est l'objet de nombreuses marques d'attentiond'investisseurs étrangers: UE, Russie, États-Unis, Chine, etc.

La levée des sanctions, par l'UE, sur la vente d'armes à laLibye a soulevé quelques réticences. Lors d'un débat à l'Unionde l'Europe occidentale (UEO),le 22 octobre 2004, le BritanniqueLord Russel Johnston précise: «La Libye commence à mieux secomporter et la première réaction de l'UE est de lui vendre desarmes ... Ce n'est pas la bonne solution.» La justification de lalevée des sanctions de L'UEsur la vente d'armes à la Libye reposesur la nécessité de lui fournir les moyens de lutter contre l'im-migration clandestine", En septembre 2004, un mois avant ladécision de l'UE, l'Italie exprime clairement sa volonté d'aider lerégime libyen à disposer de la panoplie des instruments militairesnécessaires aux contrôles des flux migratoires: nouveaux radars,hélicoptères, viseurs optiques, navires, etc. Prenant prétexte ded'invasion» d'immigrants africains en provenance de la Libye(le vivier de sans-papiers est estimé à environ 2 millions d'Afri-cains), l'Italie réussit à convaincre ses partenaires européensde mettre définitivement un terme aux sanctions sur la vented'armes. En contrepartie, la Libye offre la possibilité de mettreen place sur le sol libyen des centres d'accueil pour clandes-tins'". L'instrumentalisation de la question migratoire à des finsmilitaires et commerciales a été efficace: l'argument est retenu,l'UE lève son embargo sur la vente d'armes à la Libye! Aprèsavoir renoncé aux armes de destruction massive, la Libye veutreconstruire sa puissance militaire conventionnelle. Les industriesrusses, britanniques, françaises, allemandes, italiennes et améri-caines sont en compétition. La levée des sanctions, par l'UE, enoctobre 2004, est suivie par celle des États-Unis, en mai 2006. Le

64. La déclaration de Luxembourg (General Affoirs and ExternalRelations Council} stipule: «lt is well-known [act that one oj the EUmember states - and therefore ail member states because ojthe openborders - is having considerabte problems with iIlegal immigrantscoming from Libya. The Millisters agreed today that cooperationwith Libya on the topie ojmigration has beeome a pressing matter».65. N. Ferré, «La Libye pour "externaliser" le droit d'asile de l'UE.,Le Monde, 20 juillet 2005.

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2021 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

marché libyen concerne la modernisation des neuf frégates de lamarine libyenne, de la surveillance des frontières et de la remise

en état des Mirages. En France, depuis juillet 2006, la Commission

interministérielle d'étude des exportations de matériels de guerre

(ClEEMG) étudie un dossier de vente d'hélicoptères de combat

Tigre. La Libye ambitionne toujours d'être un pays moteur dans

la région et sur le continent; elle recherche un statut de • puis-sance responsable», de pays médiateur entre l'UE et l'Afrique. La

convergence des intérêts entre la France et la Libye, sur l'Afrique

en particulier, explique ce rapprochement entre les deux pays".Le ministère de la Défense confirme, le 21 octobre 2007, une offre

d'achat libyenne qui était à l'étude devant la CIEEMG. Le marché

libyen est l'objet de convoitise: la concurrence est rude entre les

firmes européennes, d'autant plus que la Russie a pour objectif de

redevenir le principal fournisseur de l'Algérie et de la Libye. Si,

pour les pays d'Europe centrale, l'intégration dans l'UE est une

garantie de protection face à la Russie, pour l'Algérie et la Libye,

la Russie est un garde-fou utile face à une politique européenne

qui déciderait de revoir à la hausse ses attentes sur la démocratieet la bonne gouvernance.

Dans le cadre de partenariats stratégiques avec l'Algérie (2001)

et la Libye (1998), la Russie offre à ces deux pays une coopération

stratégique libérée de toute entrave politique. À la différence

de l'UE, qui articule stratégie (énergie et sécurité) et politique

(démocratie et gouvemance), la Russie se focalise uniquement sur

l'énergie et la sécurité, offrant ainsi à ces pays un cadre souple.

En visite à Alger, V. Poutine déclare: • L'Algérie est un partenaire

clé de la Russie en Méditerranée •. Pour la Russie, compte tenu

de son importance dans le dispositif d'approvisionnement en

gaz de l'UE, l'Algérie devient un pays à faire basculer dans la

stratégie de Gazprom afin d'augmenter la dépendance de l'UE

et accroître en même temps les bénéfices mutuels pour les deux

66. L. Martinez, «La Libye et la guerre au Darfour», Revue outre-mer, 20, 2007.

ALGËRIE ET LIBYE À L'ÉPREUVE DE LA POLITIQUE EUROPËENNE 1203

pays'". Ainsi, lorsque la Russie accepte la reconversion de ladette militaire algérienne contractée dans les années 1960-1970

(4,7 milliards de dollars) en achat d'armements pour un mon-

tant de 3,5 milliards de dollars, Vladimir Poutine pose comme

condition l'entrée de Gazprom dans la Sonatrach à hauteur de

15 0/0, condition refusée par Abdelaziz Bouteflika, pour le plus

grand soulagement des partenaires européens qui craignentque Gazprom ne parvienne à satelliser la Sonatrach" •. L'armée

algérienne, considérée comme prorusse (80 % de son matériel est

russe) est vaincue par les énergéticiens de la Sonatrach, consi-dérés comme pro-UE. L'Algérie est prête à se réarmer en Russie,

mais non à y livrer son gaz, car, entre les demandes de l'UE et

celles de la Russie, l'Algérie peut dorénavant choisir son menu

à la carte. En l'occurrence, elle continue à faire de la Russie son

principal fournisseur d'armement - puisqu'elle est devenue, en

2008, le deuxième importateur d'armement russe" - et de l'UE

son principal débouché pour le gaz. Débouté des champs gaziersde l'Algérie, Gazprom se tourne vers la Libye. Comme en Algérie,

la Russie a pour ambition de récupérer le rôle de premier fournis-

seur d'armes qu'elle détenait dans les années 1970-1980. De plus,

67. H. Darbouche, • Russiall-Algerian Cooperation and the "gasOPEC": What's ill the Pipeline>, CEPS, Policy brief, 123, mars 2007.68. Une dépêche de l'agence russe d'inJonnations internationales, «LaRussie perd pied en Algérie. (13 décembre 2007), résumait bien l'en-jeu de la présence de Gazprom. en Algérie: «En raison de leurs atoutsen matiere de ressources naturelles, les deux pays auraient pu contrô-ler environ 40 % de la livraison de gaz à l'UE. Mais, en essayant deneutraliser la pression croissante de Gazprom, les consommateurseuropéens de gaz ont décidé de miser sur l'Algérie et la Libye. La lutteopiniâtre engagée par l'UE pour la diversification des livraisons éner-gétiques rend la présence de Gazprom dans ces pays inadmissiblespour les acheteurs de qaz,» http://fr.rian.nI69. L'AIgéri.e a .la principale marine de guerre de la région. Mêmel'Egypte ne peut rivaliser. Dans le domaine aérien, L'accumulationde Su-27, de Su-30 et de Mig-29SMT permettra à Alger de disposerd'une supériorité aérienne nette dans toute la région>, dans .L'Algériepuissance régionale méditerranéenne incontoumable?, Défense etsécurité internationale, 25, avril 2007, p. 62

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2041 VIOLENCE DE LA RENTE PËTROLlÈRE

elle propose l'achat de la production du gaz libyen, qu'elle sechargerait d'intégrer dans ses circuits d'approvisionnement versl'Europe. Début juillet 2007, la direction de Gazprom, emmenéepar son vice-président, Alexander Medvedev, se rend à Tripoli pournégocier un memorendum ofunderstanding avec la NOe. Il s'agitd'obtenir de la Libye le même accord qu'avec la Sonatrach sur laliquéfaction de gaz et l'offre commune de projet. Ce qui ne manquepas d'inquiéter les Européens! La rencontre, à Tripoli, entre YuriSafranik, chairman du Russian Oil and Gas Union, et MuhammadSaleh Mansouri, président du Libyan Business Council, s'est faiteen présence de représentants des grands groupes russes: Lukoil,Tafnet, SoyuzNefteGaz, Gazpromenet, Makhachkala Seaport, etc.La Libye se réarme en Russie, mais elle n'est pas prête à intégrer« le cartel du gaz. sous la houlette de Gazprom. Cependant, à ladifférence de l'Algérie, la Libye n'a pas résilié son memorendumof understandinq avec Gazprom. Le régime de Kadhafi exploiteremarquablement la peur de Gazprom en Europe pour négocierson accord-cadre avec J'UE.

Ainsi, le principal obstacle à la politique européenne en Algérieet en Libye tient à la présence de la Russie qui offre, sur le planstratégique, des perspectives dans les domaines énergétiqueset militaires aussi intéressantes que celles de l'UE et sans lescontraintes de la PEV.Dans cette trilogie, où les enjeux stratégiquessont dominants, les sociétés sont les grandes oubliées. Or J'analysedes usages de la rente pétrolière de 1970 à 2000 montre, commenous l'avons souligné dans les chapitres précédents, que la rentepétrolière a été incapable de générer des créations d'emplois etd'améliorer de façon durable le bien-être des populations à causede l'absence de démocratie. La rente gazière qui se dessine (2005-2030) risque d'être tout aussi inefficace si le cadre politique nechange pas. Dans un article paru dans L'Expression, le professeurChems Eddine Chitour exprimait le sentiment de chacun vis-à-vis de ce troisième choc: «II faut plus que jamais revoir tout ceque nous faisons. Pour commencer, l'État doit arrêter de vivresur un train de richesses qui ne correspond pas à une création derichesses. Il nous faut réhabiliter notre savoir-faire en comptantsur nous-mêmes et non sur les Chinois, les Français, Turcs et

ALGËRIE ET LIBYE À L'ÉPREUVE DE LA POLITIOUE EUROPÉENNE 1205

autres Coréens pour qui l'Algérie est un bazar où on peut refilern'importe quoi pour l'équivalent de 30 milliards de dollars degadgets sans lendemain ... Il faut un nouveau programme pourgérer J'Algérie, un programme fondé sur la formation des hommes.Cela commence à l'école" .» La rente pétrolière a détruit le savoir-faire local, engendré des attentes de consommation, entretenuJ'illusion de la richesse et marginalisé les investissements dans lecapital humain. La rente pétrolière a provoqué les mêmes effetsque la production de drogue. Dans le Rif, au Maroc, elle a amenéles paysans à favoriser la culture du haschich, plus lucrative bienque destructrice pour leur environnement, et a engendr~ un com-portement de nouveaux riches chez les trafiquants". Economiepétrolière ou économie de la drogue, les illusions nées de l'effetrichesse disparaissent très vite avec l'émergence de la violence etle développement de la pauvreté. En somme, la rente pétrolièren'a pas plus développé l'Algérie, la Libye ou L'Irak que l'écono-mie de la drogue n'a favorisé le développement du Maroc, de laBirmanie ou de l'Afghanistan". La demande mondiale de pétroleet de gaz étant plus forte que la demande de cocaïne, d'opium etde haschich, les hydrocarbures génèrent des revenus beaucoupplus importants que les nereo-États".

«Les émeutes du gaz Il

Le retour de la richesse pétrolière s'est inscrit dans un contextede profond désenchantement et pessimisme. À la différence dupremier choc pétrolier - qui nourrissait un nationalisme pétro-lier symbolisé par le slogan: <le pétrole arabe aux Arabes" » -,

70. L'Expression, 24 novembre 2008.7J.Kellza Afsald, Maroc: enquêtes sur le cannabis, décembre 2003,Ilttp://www.unodc.org72. P.A. Chouvy, Les Territoires de l'opium. Conflits et trafics dutriangle d'or et du croissant d'or, Genève, Olizane, 2002.73. La population consommatrice de coca"Ïneest estimée à six mil-lions aux États-Unis, principal État consommareur, ce qui nécessiteune production de 450 kg par an et représente un marché de 30 à50 milliards de dollars.74. Voi·r le premier chapitre.

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2061 VIOLENCE DE LA RENTE P~TROLlÈRE

le troisième choc n'a suscité aucun enthousiasme, tant chez lesélites que dans la population. Car, entre les deux, on avait puconstater que la richesse pétrolière était vaine si aucune autoritédémocratique ne pouvait exercer un contrôle sur son usage. Or,rien n'a fondamentalement changé dans l'exercice du pouvoirdans ces deux pays. À la faveur de l'initiative française du projetde l'Union pour la Méditerranée, une opportunité se présente derediscuter de la place des réformes politiques dans le cadre desrelations euro-méditerranéennes. L'équilibre même de la politiqueeuropéenne repose sur le principe de la non-ingérence et durespect de la souveraineté. D'un commun accord, afin de ne pasheurter les régimes autoritaires signataires, les problèmes liés aunon-respect des droits humains et des libertés sont exclus deséchanges publics et relégués à un niveau privé où des critiques• fermes mais amicales» sont émises. À cette autocensure, s'estajoutée une méthode fondée sur une approche graduelle. Plutôtque d'aborder frontalement la question du déficit démocratique,du trucage des élections, de la violation des droits humains et dela corruption, la PEY a" investi» sur des secteurs porteurs, commela liberté et la justice. L'idée de base consiste à rejeter toutes lesformes de conditionnalité en raison de leurs effets improductifssur les régimes. Le problème est que, depuis le Il septembre 2001,l'ambition politique de l'UE est limitée par les craintes liées à lasécurité de l'approvisionnement énergétique et par l'obsessiondu terrorisme Islamiste".

Les changements qui se sont opérés au cours de la décen-nie 2000 ont ouvert un questionnement sur les usages de larente pétrolière. Alors qu'en Irak, le changement de régime amis la question du contrôle de la rente et de sa redistribution aucœur des transactions entre les nouveaux acteurs politiques, enAlgérie et en Libye, la rente pétrolière reste encore sous le contrôleexclusif des coalitions autoritaires. Ainsi, quarante ans après leslogan des mouvements nationalistes arabes: « le pétrole arabeaux Arabes », émerge la revendication par les populations locales

75.R. Gillepsie, «The EMP and Democracy Promotion in North Ajrica»,30 mai 2004, http://escholarship.org

ALG~RIE ET LIBYE À L'~PREUVE DE LA POLITIOUE EUROP~ENNE 1207

(Kurdes et arabes chiites en Irak, Mozabites en Algérie) dujusteretour de la richesse des régions pétrolifères aux populations quiles habitent. Ces revendications, anciennes pour l'Irak, nouvellespour l'Algérie et encore refoulées en Libye, posent la question ducontrôle démocratique sur la rente pétrolière. En 2004, le prixadministré de gaz butane augmentait en Algérie, passant de170 dinars algériens à 300. En janvier 2005, en plein hiver, desémeutes, que la presse a qualifiés d'. émeutes du gaz», éclatentdans la wilaya de Djelfa et se répandent dans le centre et l'Ouestde l'Algérie. Depuis cette date, le Sud de l'Algérie est l'objet desoulèvements réguliers portés par un sentiment d'injustice: au nomde quoi la principale source de revenus extérieurs, en l'occurrenceles hydrocarbures, serait-elle contrôlée, gérée et distribuée pardes élites. étrangères» (d'Alger) aux régions pétrolifères? Pourla première fois, la population exprime son droit au contrôle dela principale ressource de l'Algérie et réclame des comptes auxgouvernements sur les choix de ses dépenses. Pourquoi la régionla plus riche en ressource énergétique de l'Algérie n'est-elle pasmieux dotée en infrastructure civile? De façon inquiétante, laréponse est, pour les émeutiers. leur identité berbérophone. Enmai 2008, dans la vallée du Mzab, la ville de Berriane est deve-nue le symbole de l'affrontement entre Arabes et Berbères. Dansles rues de la ville, s'opposent des individus convaincus que lemontant de la redistribution de la richesse pétrolière dépend del'appartenance ethnique ou raciale. Après la contestation et laviolence des islamistes, viendrait le temps de la revanche desterroirs, de la Kabylie au Mzab.

- Conclusion

La peur d'une crise dans son approvisionnement énergétiqueexplique sans doute la faiblesse de l'Europe lorsqu'il s'agit d'aborderles problèmes politiques chez ses fournisseurs au Maghreb. La trèsforte dépendance à l'égard de la Russie l'oblige à ménager l'Algérieet la Libye. Le choix du gaz contraint les États consommateurset producteurs à un minimum de règles communes nécessairesà l'édification d'un réseau sécurisé de pipelines. Les questionsdiplomatiques (le conflit du Sahara occidental) et politiques

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2081 VIOLENCE DE LA RENTE PËTROLlÈRE

(démocratie et gouvernance) apparaissent comme porteuses deconflits et dissensions à déconnecter de l'architecture énergétiquequi se dessine. Ces problèmes s'ajoutent aux inquiétudes nées dela peur de «la fin du pétrole> rendant l'approvisionnement en gazd'autant plus nécessaire. Entre les attentats du 11septembre et lacrise financière mondiale, la montée du prix du baril de pétrole,qui a atteint les 147 dollars en 2008, est devenue une sourcede panique pour les États consommateurs, comme l'illustre lapublication d'ouvrages pessimistes annonçant la fin d'un monde,celui fondé au début du xx' siècle sur une énergie peu chère etabondante".

Le troisième choc pétrolier (2003-2008) fait resurgir la peur dupétrole, une peur fondée sur les prévisions d'un baril à 200 dollars.À son sommet, le prix du baril était expliqué par la thèse sur lafin du pétrole bon marché en raison du déclin de la productionet de l'augmentation de la demande née des besoins énergétiquesdes pays émergents. Pourtant, après son effondrement à 40 dollarsen 2009, parmi les facteurs explicatifs de son envolée, celui dela spéculation sur les matières premières apparaît comme le plusconvaincant. Mais pour les pays producteurs, cette inquiétudefondée sur la fin du pétrole apparaît irrationnelle tant elle faitl'économie d'une réflexion sur la société de gaspillage dans lesgrands pays industrialisés, dont la surconsommation d'énergies'explique par la volonté de satisfaire des besoins illimités. Commele souligne avec humour Cheikh Yamani, l'ancien ministre del'Énergie d'Arabie Saoudite: • La fin de l'âge de pierre n'a pas eulieu par manque de pierres. > En revanche, la fin du pétrole estdavantage à mettre en perspective avec les transformations desmentalités concernant l'usage des hydrocarbures. Comme le char-bon hier, la menace pour les pays producteurs de pétrole provientdavantage des représentations négatives associées à cette énergie,en particulier sur l'environnement écologique, qui pourraientamener à un développement de nouvelles formes d'énergie".

76. Y. Cochet, Pétrole Apocalypse, Paris, Fayard, 2005.77. J.-L. Winger, La Vie après le pétrole: de la pénurie aux énergienouvelles, Paris, Autrement, 2005.

ALGËRIE ET LIBYE À L'ÉPREUVE DE LA POLITIOUE EUROPËENNE 1209

Mais en attendant la révolution énergétique, le troisième chocpétrolier a été salutaire pour l'Algérie d'Abdelaziz Bouteflika etla Libye de Kadhafi. il a permis le passage d'une rente pétrolièrevers une rente gazière générée par leur arrimage à la politiqueénergétique européenne. Reste que, si l'UE ne souhaite pas revoiren Algérie et en Libye les déboires liés aux usages passés de larente pétrolière, elle se doit de mettre en œuvre une réelle politiqued'exportation des normes et des valeurs démocratiques, sans quoielle s'exposerait, non seulement à gérer l'instabilité au Maghreb,mais également à faire face à des problèmes d'approvisionnement,si les populations locales décidaient de saboter une architectureénergétique qui ne leur offre ni emplois ni infrastructures civilesà la hauteur de leurs attentes. Les émeutes du gaz en 2004 enAlgérie rappellent que la sécurité de l'approvisionnement éner-gétique de l'Europe passe par le bien-être des populations des

pays producteurs.

Page 107: Violence de La Rente Petroliere

Concluoion

Ce travail conforte l'hypothèse émise par Benjamin Smith' : les

régimes autoritaires rentiers disposent des ressources suffisantes

pour surmonter les crises politiques inhérentes aux contrechocspétroliers. L'analyse des usages de la rente entre 1970 et 2003

confirme que les régimes algérien, irakien et libyen sont parvenus

à survivre tant à l'effondrement du prix du baril de pétrole, en

1986, qu'aux conflits et insurrections qui ont suivi. Le prix de cette

adaptation à ce nouvel environnement a été la transformation de

l'économie rentière en économie de pillage. Peu étudiée dans la

trajectoire des régimes autoritaires rentiers, celle-ci est pourtant

une composante fondamentale de la survie des coalitions auto-

ritaires en période de rareté des ressources. Ce travail confirmeégalement le constat de Kiren Aziz Chaudhry/, pour qui la richesse

pétrolière a détruit les outils de pilotage des gouvernants. Face àune arrivée aussi soudaine qu'abondante de revenus, ces derniers

ont perdu la maîtrise des dépenses. Cette incapacité à gérer unerichesse inattendue a résulté du contexte révolutionnaire dans

lequel elle a surgi. La légitimité des révolutionnaires reposait

sur leurs capacités à redistribuer à la population, sous forme de

biens et de services, une partie de la richesse pétrolière. L'absence

d'institutions démocratiques susceptibles d'exercer un contrôle

sur les dépenses a provoqué la faillite de ces économies.

Mais loin d'être une malédiction, comme le croient les partisans

de cette théorie, qui projettent sur la rente pétrolière une vision

1. Benjamin Smith, «The Wrong Kinâ of Crisis: Why ail Boomsand Busts Rarely Leaâ to Authoritarian Breakdown" Studies inComparative International Development, 40 (4), hiver 2006.2. Kiren Aziz Chaudhry, .On The Way to Market. EconomieLiberalisation and Iraq's Invasion of Kuwait», Middle East Report,mai-juill 1991.

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2121 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈRE

rationnelle quant à son usage sur le plan économique, elle a été,

en fait, pour ces régimes, le moteur d'une économie de (gas)pillage

qui a assuré leur longévité. Pour certains, il suffirait d'une bonne

gouvernance pour que la rente accroisse la richesse nationale et le

bien-être de chacun. Mais ce raisonnement, valable pour un paysdémocratique comme la Norvège, n'est pas applicable à des régimes

autoritaires rentiers, dans la mesure où la manne pétrolière estinvestie, non pas dans la réalisation de performances économiques,

mais dans les mécanismes et les rouages de la consolidation d'un

système clientéliste. En somme, si les économies de l'Algérie, de

la Libye et de l'Irak ont. échoué », les régimes ont. réussi» à se

maintenir et à se consolider, en dépit des piètres résultats éco-

nomiques, des révoltes et des guerres. En 2007, la Libye dispose

d'environ 100 milliards de dollars de réserves, mais son économie

dépend presque uniquement du pétrole; 98 Ofo des revenus issus des

exportations proviennent des hydrocarbures, ceux-ci produisent

80 % des recettes budgétaires, le secteur pétrolier représente 74 0/0

du PIB et 70 % de la population active est employée par l'État!

Le taux de chômage est de 30 0/0, et 14 % de la population vit en

dessous du seuil de pauvreté (150 dollars américains par mois).

Du point de vue économique, c'est un échec. Cependant, du point

de vue politique, le régime de Kadhafi, né d'un coup d'État en

1969, a fêté ses quarante années de pouvoir en septembre 2009 !

La même année, le président Abdelaziz Bouteflika est plébiscitépar une élection présidentielle fort peu démocratique et s'offre le

luxe de faire revivre la fiction du régime de Houari Boumediene

(1965-1979). Là encore, les revenus extérieurs proviennent à 98 0/0

de la vente des hydrocarbures, qui assurent 60 % des recettes

budgétaires. Depuis 1962, les élites dirigeantes sont toutes issues

du parti FLN et assurent au régime sa consolidation, en dépit de

choix économiques et politiques fortement critiqués, sans pro-

voquer pour autant un changement de régime. Les allocationsde ressources ont favorisé l'installation de ce régime et l'ont

consolidé; le prix de cette réussite a certainement été la faillite

économique de l'Algérie. Enfin, le régime de Saddam Hussein

serait sans doute toujours présent si l'administration Bush, à la

suite du Il septembre 2001, n'avait pas décidé de le déraciner.

CONCLUSION 1213

Le Baath aurait pu fêter en 2008 ses quarante années au pouvoir,mais dans un Irak dévasté et meurtri.

Isabelle Beaulieu souligne avec raison que; «La rente en soi

n'est ni une malédiction ni une bénédiction pour l'économie

d'un pays. Son impact varie selon les formes institutionnelles

régulatrices dudit pays, qui peut l'utiliser pour investir dans

la formation de capital et adopter des comportements autres

que prédateurs'.» Son analyse de la Malaisie, pays musulman,

démontre la cohabitation réussie entre une économie rentière

et un système politique autoritaire. Le déploiement de la rente

a permis un investissement massif dans le capital humain etla naissance d'un. État industrialisé et rentier>. En somme, la

Malaisie est devenue le pays qu'auraient souhaité réaliser les élites

nationalistes des années 1970 en Algérie, en Libye et en Irak; un

État fort et industrialisé. À la différence de la Malaisie, nos trois

pays ont fait des mauvais choix, qui les ont conduits à un usage

inefficace de la rente pétrolière. Le cadre révolutionnaire dans

lequel s'est déployée la rente a contraint les dirigeants à instaurer

une économie fondée sur le gaspillage qui les a entraînés au bordde la faillite financière. En érigeant le pétrole au rang de symbole

de la nation, en le comparant au sang du peuple et en l'utilisant

comme carburant de la révolution, ces régimes ont été aveuglés

par les pouvoirs magiques qu'ils projetaient sur cette ressource

naturelle. Cette cécité volontaire n'a pu se maintenir qu'en raisonde l'absence d'institutions de régulation; le flot de la richesse

pétrolière a irrigué des réseaux cJientélistes sans que soit exercéaucun contrôle démocratique. Des organes de régulation, les

services de sécurité durant la période d'abondance (1973-1986) et

des mafias lors de la pénurie (1986-2000) ont assumé par défaut

le rôle d'institutions modératrices. Sous leur influence, les régimes

ont survécu aux multiples épreuves qui ont jalonné leur trajectoire,

mais ces organes de régulation par défaut ont été incapables

d'ériger dans la durée une stratégie efficace de développement.À la faveur du troisième choc pétrolier (2003-2008), ces pays

3. 1. Beaulieu, L'État rentier. Le cas de la Malaysia, Ottawa; Pllt),2008, p. 47.

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2141 VIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLItRE

ont retrouvé une abondance financière inespérée leur permettantde se doter de fonds de réserves précieux dans une période decrise financière. Ce nouveau tsunami financier inquiète. Si, enIrak, il apparaît comme une aubaine pour le nouveau régime, enAlgérie et en Libye, il suscite des attentes contradictoires. Pour lesdirigeants, cette nouvelle manne arrive dans un contexte idéo-logique vide. Il n'y a plus de révolution à financer, de socialismearabe à entretenir, d'ambition régionale à réaliser. La richesseest là, et avec elle la peur de la dilapider. L'absence d'institutionsrégulatrices fait craindre à nouveau un immense gâchis. Lorsdu forum économique mondial sur la compétitivité globale en2009, un « constat impitoyable» a été brossé sur la compétitivitéen Algérie et en Libye. Sur une liste de 133 pays, l'Algérie seclasse à la 83' place, avant la Libye (88'), mais loin de la Tunisie(40'). Avec un marché du travail des plus rigides au monde, unsystème éducatif déplorable et une absence de transparence dansles dépenses de l'État, la Libye et l'Algérie constatent que le cheminà parcourir p~ur rejoindre la Malaisie, classée à la 24' place, seralong. À défaut de disposer des outils adéquats pour exploiter lessurplus financiers, ceux-ci sont placés dans des fonds de réserves,en prévision d'un éventuel effondrement du prix du baril, alors queles besoins sont immenses. Les économies algériennes et libyennessont incapables d'absorber ces milliards de dollars qu'a générésle troisième choc pétrolier. Sous-industrialisées et dépourvues ducapital humain nécessaire, l'Algérie et la Libye confient la miseen oeuvre et la réalisation des grands chantiers à des entreprisesétrangères. Dans un contexte de violence sociale et politique,Abdelaziz Bouteflika et Mouammar Kadhafi présentent le paradoxed'être des chefs d'État riches, mais incapables de répondre à lademande sociale. Des émeutes secouent régulièrement l'Algérie etoccasionnellement la Libye. Elles rappellent la vulnérabilité de leurcohésion sociale. De plus et comme en Irak, la violence terroristecontinue à prospérer, avec la complicité ou non des services desécurité'. Cette violence est utile: elle voile les mécanismes de

4. Pour certains obser/lateurs, l'implantation d'al-Qaida au Maghrebest une manipulation des services de sécurité du régime algérien

CONCLUSION 1215

fonctionnement des régimes et entretien l'illusion de la menaceislamiste. Les radicaux islamistes au Maghreb ont trouvé dansal-Qaida l'organisation armée qui manquait dans la région, etles régimes entretiennent la peur que véhicule cette organisationen Europe et ailleurs. Cette rente diplomatique permet ainsi demaintenir à distance un regard critique sur les usages passés etprésents de la rente pétrolière.

L'Algérie et la Libye seront-elles capables de sortir du cycleinfernal dans lequel la rente pétrolière les a conduites? FaisonsJ'hypothèse que l'expérience irakienne - faire cohabiter uneéconomie rentière et une démocratie - ne manquera pas d'in-fluencer ses deux anciens compères du clan des durs de J'OPEP,si cette dernière s'avérait concluante. Dans le cas inverse, sil'installation d'une {(démocratie pétrolière» en Irak faisait «fausseroute .5, il ne resterait plus qu'à espérer pour les populations deces pays une diffusion plus ample du modèle malaisien. Danscette perspective, J'absence de destinée démocratique serait aumoins compensée par la quiétude d'un environnement sécuriséet relativement confortable.

afin de susciter la peur auprès des pays européens et l'inquiétudedes États-Unis quant à leurs intérêts dans la région, les obligeantà une coopération sécuritaire. F.Gèze et S. Mellah. «"Al-Qaida auMaghreb ". ou la très étrange histoire du GSPC algérien », Algeria-Watch, 22 septembre 2007.5. P. Collier and A. Hoeffler, «Démocraties pétrolières H, Afriquecontemporaine, 216, 2005.

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Page 117: Violence de La Rente Petroliere

Collection Nouveaux DébatsLa collection Poche des Presses de Sciences Po

Demière6 parution6

20. Les Habits neufs de David CameronLes conservateurs britanniques (J 990-2010)Agnès Alexandre-Collier2010 / ISBN 978-2-7246-1150-2

19. Les Gouvernements New LabourLe bilan de Tony Blair et de Gordon BrownFlorence Faucher-King et Patrick Le Galès2010 / ISBN 978-2-7246-1149-6

18. Chine ou Japon, quel leader pour l'Asie?Claude Meyer2010 / ISBN 978-2-7246-1154-0

1 7. Le Mérite contre la justiceMarie Duru-Bellat2009 / ISBN 978-2-7246-1130-4

16. Paris, métropole hors les mursAménager et gouverner un Grand ParisFrédéric Gilli et Jean-Marc Offner2009/ ISBN 978-2-7246-1092-5

15. La France dans la nouvelle Europe. Assumer le changement d'échelle

Christian Lequesne2008/ ISBN 978-2-7246-1085-7

Page 118: Violence de La Rente Petroliere

14. Chine brune ou Chine verte ?Les dilemmes de l'État-partiBenoît Verrnander2007./ ISBN 978-2-7246-1047-5

]3. Les Banlieues de l'EuropeLes politiques de voisinage de l'Union européenneJacques Rupnik (dir.)

2007/ ISBN 978-2-7246-1044-4

12. Tony Blair, 1997-2007Le bilan des réformesFlorence Faucher-King et Patrick Le Gales

2007/ ISBN 978-2-7246-1032- J

11. Qui sont les députés français ?Enquête sur des élites inconnuesOlivier Costa et Eric Kerrouche2007 / ISBN 978-2-7246-1030-7

JO. Faut-il sauver les grandes écoles?De la culture de la sélection il la culture de l'innovationPierre Vel tz2007/ ISBN 978-2-7246-1024-6

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(Déoat6Luis MartinezVIOLENCE DE LA RENTE PÉTROLIÈREAlgérie - Irak - LibyeDans les années 1970, grâce à la rente pétrolière,l'Algérie, la Libye et l'Irak paraissaient engagés dans unprocessus de modernisation accélérée. Le pétrole étaitla bénédiction qui permettrait à ces États de rattraperleur « retard» économique.~Algérie était un « dragon en Méditerranée ». la Libye un« émirat» et l'Irak « la puissance militaire montante» dumonde arabe. Sur le plan politique, le socialisme progres-siste laissait penser que des transformations profondess'opéraient: émancipation de la femme, urbanisation,scolarisation, augmentation de l'espérance de vie ...Quelques décennies plus tard, la désillusion est cruelle.Le sentiment de richesse a enlralné ces pays dans desexpérimentations voire des impasses politiques, éco-nomiques et militaires aux conséquences désastreusesdont ils peinent encore à sortir.Comment cela a-t-il été possible? Cespays peuvent-ils fairel'économie de réformes profondes? L'UEpeut-elle exporterses normes et ses valeurs et protéger ses approvi-sionnements gaziers? La première synthèse sur le sujet.

Luis Martinez est directeur de rechercheauCERI-SciencesPo.Il est l'auteur de La Guerre civile en Algérie (Karthala, 1998)et de The Libyan Paradox (Hurst,2007).