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Bulletin de la Sociétépréhistorique de France

Talaat n'IiskJ. Malhomme

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Malhomme J. Talaat n'Iisk. In: Bulletin de la Société préhistorique de France, tome 50, n°11-12, 1953. pp. 625-630;

doi : 10.3406/bspf.1953.5138

http://www.persee.fr/doc/bspf_0249-7638_1953_num_50_11_5138

Document généré le 09/04/2016

SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE FRANÇAISE 62Г)

Talaat n'Iisk. PAR

J. MALHOMME.

La découverte et l'étude du site ont été faites au cours de la mission accordée en 1951 par l'Institut des Hautes-Etudes Marocaines. M. Terrasse, Directeur de l'Institut, voudra bien trouver ici le témoignage de ma reconnaissance.

I. Les voies d'accès. — Pour nous rendre à Talaat n'Iisk, nous devons en venant de Marrakech, après les Ait Ourir, prendre la route du Zat qui, en amont du téléférique, n'est plus que la piste autocyclable d'Azgour. De Marrakech à ce dernier village, la distance est d'environ 70 kilomètres. Avant ce douar, il faut emprunter la piste muletière d'Ouarzast (1) qui, à travers la forêt de chênes-verts, mène au Yagour. Après un peu moins de trois heures de montée, au-dessus de Ouarzast, on arrive sur le plateau. Nous passons entre deux bassins, le premier, le parasiticide, œuvre du Contrôle des Ait Ourir, le deuxième, simple bassin de retenue pour l'irrigation. Nous sommes déjà dans la prairie. Le sentier vient côtoyer les tables de grès rouge, laisse à sa droite quelques azibs (2), puis descend pour rejoindre l'origine de Talaat n'Iisk (3). Nous sommes à 2 200 mètres d'altitude, dans la zone gréseuse d'effondrement, entre l'arête dominante du Yagour au Nord-Ouest (2 700 mètres) et le massif éruptif. Nous avons légèrement dépassé la station de gravures.

IL Le site. — Dans l'angle formé par la vallée sèche et le sentier, les grès s'avancent en proue au-dessus de la prairie triangulaire qui finit au Sud-Ouest, à plus de 1 kilomètre, aux azibs n'Ikkis. Presque à l'extrémité du promontoire, légèrement en contre-bas, des dalles gréseuses formant une aire horizontale de faible superficie, de l'ordre de l'are. Au coin Nord - Nord-Est de cette dernière, au bord abrupt de Talaat n'Iisk, un bloc de gros calibre domine la surface horizontale. Au bord de la vallée sèche, au Sud-Ouest du gros grès, des tables, horizontales aussi, descendent en escalier.

Résumons : une aire horizontale, un gros bloc, le tout ne dépassant pas deux cents mètres carrés, dominant la prairie : l'endroit idéal pour établir un sanctuaire, lié aux pâturages voisins.

III. Les gravures. — C'est justement en ce point prédestiné que sont accumulées les gravures. Sur cette aire, restreinte, existent une quarantaine de pétroglyphes dont trente-cinq ont été relevés. Les autres sont dans un état tel que l'on ne pouvait faire ce travail sans risque de grosses erreurs.

Sur une face inclinée du gros bloc, face aux alpages, le Grand Disque (Fig. 39) est orienté vers le Sud-Ouest. Imposant (un mètre de diamètre), les traits polis après piquetage, c'est la plus belle gravure découverte à ce jour dans le Grand Atlas. La reproduction n'en donne qu'une faible idée. Sur la même surface mais n'empiétant pas sur le motif principal ont été ajoutées deux circonférences ornées (Fig. 35 et 36).

En contre-bas, au bord du ravin, sur les premières tables, sont piquetés ou polis après piquetage les deux hallebardes (Fig. 1), les trois poignards (Fig. 4, 5 et 6), les deux pétroglyphes mystérieux (Fig. 2 et 3). L'aire horizontale possède les figures de 7 à 30. Comme il a été dit plus haut, à cause de l'érosion, tout en ce point n'a pas été relevé. Dans cette série, les disques, œuvres d'artistes, se font remarquer par la diversité de la décoration interne. Deux spirales (Fig. 11 et 14), quatre chars (Fig. 8.

(1) Depuis la rédaction de cette note, la piste a reçu des améliorations permettant de monter en Jeep sur le plateau.

(2) Berbère : azib : parc à bestiaux. (3) Berbère : talaat : vallée sèche. Iisk : corne.

626 SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE FRANÇAISE 10, 12 et 13), un «jeu» (Fig. 30) et quelques incisions énigmatiques (Fig. 7, 15, 16 et 27) s'y ajoutent.

Les deux planches jointes portent quelques figures relevées dans un rayon de 200 mètres en arrière du Grand Disque. Elles ont été retenues à cause de leur patine saturée et pour 31, 37 et 38 pour des raisons qui seront données plus bas. Dans la même zone, une représentation de félin (?) a été découverte mais non retrouvée. Aux environs, sur les bords de la vallée et plus au Nord, a été relevée toute une série de graphismes non reproduite dont la patine va de claire à très claire, aux traits piquetés, indécis, œuvre de Berbères très probablement. Mais ce ne sont pas des libyco-berbères classiques, car cavaliers et chameaux manquent. Il a été omis aussi une belle pierre à cupules, voisine du (irand Disque, qui doit appartenir au complexe des voies d'accès aux plateaux de transhumance et dont la connexion avec les gravures des hauts lieux, n'est probablement que géographique, ainsi que quelques incisions géométriques qui rappellent l'ensemble de Lalla Mina Hammou, site actuellement à l'étude.

Une remarque importante doit être faite : sur le site principal, les représentations anthropomorphes et zoomorphes manquent. Cependant, il existe ailleurs des figures humaines et animales de l'époque des incisions de Talaat n'Iisk ou du moins de certaines d'entre elles. Leur absence de cette station n'en est que plus remarquable.

IV. Considérations. ----- La présente note doit être complétée par quelques observations faites sur le terrain.

Les représentations de hallebardes (Fig. 1) ne sont pas rares dans le Grand Atlas; actuellement une trentaine ont été relevées et l'inventaire n'est qu'en cours, lilies seraient les premières découvertes en Afrique du Nord si H. Vaufrey n'en avait déjà signalé une de Gouiret bent Saloul (4). Les gravures de poignard sont plus nombreuses, près de cinquante. En plus, il en est connu un certain nombre non encore relevées.

N'étant que collecteur de gravures, l'auteur de ces lignes s'interdit toute conclusion. Il relèvera toutefois que tous les savants consultés s'accordent à dater de la même façon les incisions qui précèdent.

Les disques seraient particuliers au Grand Atlas. Il serait intéressant de pouvoir les rapprocher de pétroglyphes connus et notamment des poignards et hallebardes. Ce travail est actuellement difficile sinon impossible, lis sont parfois, quoique très rarement, voisins des armes : des poignards trois fois, des hallebardes deux fois. Mais le voisinage sur les roches ne permet pas d'inférer la contemporanéité. Dans leurs études sur les gravures de l'Afrique du Nord, Flamand et R. Vaufrey se sont en partie appuyés sur les techniques pour les classer ainsi que Th. Monod et H. Mauny pour celles du Sahara. Pour le Grand Atlas cette base manque. Prenons les hallebardes, armes bien datées et dont l'emploi n"a pas eu une longue durée (tout est relatif). Si pour elles le critère de la durée pouvait jouer, elles devraient avoir toutes été obtenues de la même façon. Il n'en est rien. Tant à l'Oukaïmeden qu'au Yagour, l'examen de ces gravures si caractéristiques fait ressortir qu'elles ont été obtenues soit par abrasion simple (cas très rare et pour les toutes petites pièces), soit par piquetage, soit par polissage après piquetage, soit par percussion (très rare aussi). On pourrait faire les mêmes constatations en examinant les disques s'il ne manquait l'utilisation de la percussion. Par conséquent ce procédé de classement ne peut jouer; à moins que la multiplicité des techniques n'indique l'identité d'âge.

Par ailleurs, il existe une question très importante touchant cette série : c'est la détermination des objets représentés. Il a été avancé que les disques représentaient les boucliers. C'est évidemment la première idée qui vient à l'esprit. L'observation sur le terrain n'emporte pas la conviction. A l'Oukaïmeden, entre deux poignards, existe une de ces figures (5). En un autre point du même plateau, près d'un cercle admirablement orné (6), une incision pourrait recevoir la même interprétation. Mais à l'Oukaïmeden toujours, sur deux grandes tables jointives, <îix-neuf armes (poignards, hallebardes, boomerangs) étalent la diversité

(4) R. Vali-rey. - I/Art rupestre Nord-Africain, p. 37. (5) Classée comme monument historique sous M. H. 31. (6) M. H. 91 24.

628 SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE FRANÇAISE de leurs formes alors que dans un coin se cache un petit disque (7). A une cinquantaine de mètres de là, en un lieu qui aurait pu être un sanctuaire, il a été découvert vingt quatre disques et rien d'autre (8). Plus loin, nous avons sept cercles ornés, seuls (9). Un disque entre deux poignards peut être un bouclier, mais vingt-quatre figures semblables, seules, ne peuvent l'être, à moins que cette arme défensive ait eu une valeur inconnue, autre que sa valeur de bataille. A Talaat n'Iisk nous enregistrons plus de quinze armes défensives pour cinq armes offensives, qui de plus sont topographiquement séparées : c'est curieux.

Aux azibs n'Ikkis, à 1 kilomètre de là, existe une petite série de guerriers porteurs du poignard droit triangulaire. Un seul a peut-être un bouclier : si c'était vrai, cette arme serait rectangulaire. A côté, un archer n'a pas d'arme de protection.

Il est possible que les disques représentent des boucliers, mais on ne le voit pas sur le terrain.

De plus, le bloc qui porte le Grand Disque appelle une remarque : il est gélif. Les différences thermiques ont causé de graves destructions sur les flancs du grès. La gravure, à part deux ou trois égratignures est intacte. Il est possible que des circonstances extérieures l'aient protégée : peinture, corps gras.

Les spirales (Fig. 11 et 14) sont très rares dans le Grand Atlas. En cinq ans de recherches, il n'en a été découvert que trois. La troisième est sur un grès, accompagné d'un trait serpentiforme (9 bis), à 34 kilomètres de là, à vol d'oiseau et en montagne. Le contexte, en ce point aussi, fait penser à un lieu sacré.

Si nous passons aux chars, la découverte de leurs représentations en Afrique du Nord n'est pas pour surprendre. Mais leur emplacement leur donne un intérêt particulier. En plus des quatre de Talaat n'Iisk, il en a été découvert quatre aux azibs n'Ikkis. Les observations suivantes sont valables pour tous.

Ce sujet a fait l'objet d'une étude de R. Mauny (10). D'après ce préhistorien, une voie préhistorique du Sahara Occidental est jalonnée par quinze stations portant 142 représentations de chars. Toujours d'après ce savant, la piste est le lieu géométrique des peintures et gravures de cette série. Il n'en signale pas hors de cet itinéraire. Donc le char sous-entend la voie de communication.

Pour le Yagour en général et Talaat n'Iisk en particulier, on ne voit pas très bien le tracé de la piste. Entre le Zat et le bord du plateau, il doit y avoir dans les 1 000 mètres de dénivellation d'une montée très rude. D'ailleurs en haute montagne, la bête de selle ou de bât est bien supérieure à la voiture à traction animale. En ce lieu où pourrait conduire une route? Au Yagour uniquement. On ne peut penser que les protohistoriques utilisaient un pareil itinéraire pour aller jusqu'à l'oued Ourika, sur le flanc Ouest du plateau. Par la plaine du Haouz, la distance est plus courte et le trajet incomparablement plus commode. Si pour ces gravures, l'hypothèse de R. Mauny était valable, elles seraient dans la vallée du Zat, très riche en mégalithes, et où il n'en existe pas.

Il est évident que les graveurs de chars du Yagour avaient vu des modèles. Mais au Sahara, il en était de même pour les artistes sahariens. Cependant, ces derniers n'ont représenté les véhicules que le long de la piste. Pourquoi le contraire ici?

Enfin pour cette classe de graphismes, on peut remarquer que l'examen des illustrations accompagnant l'étude de R. Mauny (11) ne permet pas de constater la moindre ressemblance entre les chars sahariens et ceux du Grand Atlas. Il est vrai que ceux-là ne sont pas tous représentés.

(7) M. H. 37. (S) M. H. 40 à M. H. 43. (9) M. H. 71. (9 bis) J. Malhomme. — Les Pierres excavées et les Gravures rupestres

du Grand Atlas. Bulletin de In Société de Préhistoire du Maroc, 1950, 2e 3'' 4e trimestres, fig. 1.

(10) R. Mauny. — - Une route préhistorique à travers le Sahara occidental, Bulletin de VI. F. A. \\, t. XII, 1950, p. 341-357.

(11) R. Mauny suit de près mes recherches et ses conseils et encouragements ne m'ont jamais fait défaut. Je le prie de croire à toute ma gratitude.

630 SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE FRANÇAISE Revenons à Talaat n'Iisk. Si nous quittons les abords immédiats du

Grand Disque, nous trouvons le poignard droit triangulaire (Fig. 31). Nous sommes donc toujours à la même époque. Restent les figures 37 et 38. Les pétroglyphes semblables ont été appelés, par l'auteur, « rectangles appendiculés ». Ils ne sont pas rares. Un bon modèle a été reproduit dans une étude préliminaire (12). Ces figures sont restées longtemps énigmatiques. Elles vont du rectangle, barré ou non, à l'ovale mais ont toujours l'appendice, coudé dans la plupart des cas. Cette pièce existe sur la tête de l'homme d'Imi n'Tourouni (13). L'abbé Breuil, le premier, a pensé à une massue (14). Dans le compte rendu de la note préliminaire sur les rupestres du Grand Atlas, N. Lamboglia écrit (15) : « ...una (figure) présenta una straordinaria rassomiglianza con quella dell « Orente » di monte Bego per la presenza d'una mazza (?) obliqua nel capo là dove à monte Bego si trova un pugnale ». Le « rectangle appendiculé » serait donc une arme. La ressemblance extraordinaire de l'homme d'Imi n'Tourouni avec l'« Orente » du monte Bego pourrait faire penser à l'époque du poignard droit, triangulaire. D'où on pourrait conclure que cette arme serait contemporaine du poignard et de la hallebarde et les figurations 37 et 38 seraient contemporaines de 1, 4, 5 et 6.

Enfin, nous arrivons aux trois représentations anthropomorphes (Fig. 32, 33 et 34). A part leur patine saturée indiquant une grande ancienneté, rien ne peut en être dit. Cependant, elles sont ithyphalliques comme celles des azibs n'Ikkis, ont les cuisses perpendiculaires au corps comme celles de l'Oukaïmeden, l'une porte des colliers comme l'homme du tizi tizi n'Tifina à l'Oukaïmeden (16). Mais là s'arrêtent des ressemblances qui ne permettent aucune conclusion.

Pour terminer, on doit signaler que les superpositions de gravures sont très rares dans le Grand Atlas et absentes à Talaat n'Iisk.

En résumé, Talaat n'Iisk est remarquable : 1) par l'emplacement du site; 2) par l'accumulation de gravures sur un espace restreint; 3) par la présence et la beauté du Grand Disque; 4) par le nombre et la beauté des disques secondaires; à) par la présence de quatre chars qui ne sont pas d'un type saharien; 6) par l'appartenance à peu près certaine au complexe du poignard

droit, triangulaire et de la hallebarde de toutes les pièces datables; 7) par la non superposition de gravures.

(12) J. Mai.homme. Id., p. 16, fig. 6 (2e figure, en bas. à gauche). (13) J. Malhomme. Id., p. 14, fig. 4. (14) Lettre personnelle. (15) N. Lamboglia. — Un singolare riscontro con monte Bego. Revue

d'Etudes Ligures. XVIIe année, nc 3-4. p. 241. (16) M. H. 91 21.

LIVRES ET ETUDES A SIGNALER (Suite de la p. 624')

Sieveking G. de G. — A grave group with beaker from the Paris basin (Un groupe de sépultures avec poteries du bassin de Paris) Annual report of the Institute of archaeology, G. В., vol. IX, 1953, p. 60-67, 4 ill., 1 pi. h. t. ^Descript. des vases provenant des Mureaux, près de Paris].

SuMMHiis R. — Notes on a tentative correlation of Southern African >tone age (Notes sur un essai de corrélation des civilisations de l'âge de la pierre en Afrique du Sud) Annual report of the Inst. of archaeology, G. В., vol. IX, 1953, p. 39-43, tabl.

Van Der Vlerk I. M. — The stratigraphy of the pleistocene of the Netherlands (La stratigraphie du pleistocene des Pays-Bas) Proceedings Kiel, nederl. Akad. Wet'ensch., Série В, vol. LVI, n» 1, 1953, p. 34-44, 5 ill., bibl.

(A suivre p. 649)


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