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MERCREDI 08 AVRIL 2015 NUMÉRO 808

MUSÉE DU PRADO

UNE STATUETTE DE MICHEL-ANGE

MIRACULEUSEMENT RESTAURÉE

P.03

ENTRETIEN AVEC JAMES BRADBURNE,

EX-DIRECTEUR GÉNÉRAL DU PALAZZO STROZZI

FLORENCE page 09

POUSSIN, UN PEINTRE SÉCULIER ?

ART ANCIEN page 11

BRONZES GRECS : LA CONQUÊTE DE

L’EXPRESSIVITÉ

ÉPOQUE HELLÉNISTIQUE page 06

ENCHÈRES MILLIONNAIRES POUR L’ART CHINOIS À HONGKONG page 04

POÉSIE PLATE-FORME«Conter»

avec Danielle Mémoire et Daniel Fabre

LE QUOTIDIEN DE L’ART | MERCREDI 08 AVRIL 2015 NUMÉRO 808PAGE 02BRÈVES

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Le Quotidien de l’Art- -

Agence de presse et d’édition de l’art - - 231, rue Saint Honoré – 75001 Paris - - ÉDITEUR Agence de presse et d’édition de l’art, Sarl au capital

social de 10 000 euros. 231, rue Saint Honoré – 75001 Paris. RCS Paris B 533 871 331 - - CPPAP 0314 W 91298 - - ISSN 2275-4407

www.lequotidiendelart.com - - Un site internet hébergé par Serveur Express, 8, rue Charles Pathé à Vincennes (94300), tél. : 01 58 64 26 80

PRINCIPAUX ACTIONNAIRES Nicolas Ferrand, Guillaume Houzé, Jean-Claude Meyer - - DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Nicolas Ferrand

DIRECTEUR DE LA RÉDACTION Philippe Régnier ([email protected]) RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE Roxana Azimi ([email protected])

MARCHÉ DE L’ART Alexandre Crochet ([email protected]) EXPOSITIONS, MUSÉES, PATRIMOINE Sarah Hugounenq

([email protected]) - - MAQUETTE Anne-Claire MéryDIRECTRICE COMMERCIALE Judith Zucca ([email protected]),

tél. : 01 82 83 33 14 - - ABONNEMENTS [email protected], tél. : 01 82 83 33 13 - - IMPRIMEUR Point44, 94500 Champigny sur Marne

CONCEPTION GRAPHIQUE Ariane Mendez - - SITE INTERNET Dévrig Viteau © ADAGP Paris 2013 pour les œuvres des adhérents

LE SPENCER MUSEUM FERME POUR RÉNOVATION> Le Spencer Museum, au Kansas, fermera ses portes le 12 avril afin de mener à bien un vaste chantier de rénovation de ses 30 000 mètres carrés, sous les auspices du cabinet d’architectes d’Ieoh Ming Pei. Les travaux concerneront la modernisation et l’agrandissement de l’entrée avec l’adjonction de nouveaux équipements pour le confort du public, la création d’une galerie pédagogique pour l’accueil d’expositions dossier et d’accrochages thématiques de la collection, l’ouverture d’une librairie (fermée en 2011 par manque de place), l’aménagement d’ascenseurs et l’accroissement des espaces de réserve. Grâce à un don anonyme, les travaux comprendront également la création d’un cabinet d’études pour les arts graphiques. La bibliothèque de l’établissement, la Murphy Art & Architecture Library, reste ouverte pendant les travaux.www.spencerart.ku.edu/

Façade du Spencer Museum of Art,

University of Kansas. © Spencer Museum

of Art, 2015.

EMMANUEL RIVIÈRE, LAURÉAT DU 5E PRIX ZERVOS> Jacques Py, président de l’association Fondation Christian & Yvonne Zervos, a remis le 27 mars à Vézelay le 5e Prix Zervos à Emmanuel Rivière. Le sculpteur nivernais enseigne à l’École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’art Olivier de Serres à Paris. Il recevra une enveloppe de 4 500 euros et développera son projet « Matrices » à l’atelier de la maison des Zervos à La Goulotte, près de Vézelay. Son installation consistant en une accumulation de moules disposés au sol en expansion infinie fera l’objet d’une exposition personnelle durant l’été 2016. Le jury était composé de François Delagoutte, chargé de mission pour la culture et le patrimoine au Conseil régional de Bourgogne, Jacques Deval, architecte, Annick Doucet, commissaire d’exposition et collectionneuse, Louis Doucet, collectionneur, Gilles Gally, sculpteur, Blanche Grinbaum-Salgas, conservateur en chef du patrimoine à la direction des musées de France, Baudoin Lebon, galeriste, et Catherine Viollet, chargée de mission pour les arts plastiques à Vitry-sur-Seine. www.fondationzervos.com

SWATCH FAIT VALSER LES ENCHÈRES> La collection Paul Dunkel, l’une des plus grandes collections de montres Swatch en mains privées, s’est envolée chez Sotheby’s hier à Hongkong : cet ensemble de 5 800 modèles réunis en 25 ans est parti à 46,7 millions de dollars de Hongkong, soit 5,5 millions d’euros. Ces montres étaient vendues en un seul lot. Elles ont été acquises par une institution européenne, au terme d’une bataille entre trois enchérisseurs.

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BISCIGLIADessins au stylo à bille

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Michel-Ange, Saint Jean-Baptiste enfant,

parties originales en marbre, lacunes comblées en fibre de verre et résine, 140 x 40 x 43 cm, vers 1495-1496. Fundación Casa

Ducal de Medinaceli.

UNE STATUETTE DE MICHEL-ANGE MIRACULEUSEMENT RESTAURÉE> Endommagé lors de la guerre civile espagnole, un marbre représentant Saint Jean-Baptiste enfant par Michel-Ange est exposé pour la première fois au musée du Prado, à Madrid, après une restauration périlleuse. Suivant le modèle du Saint Jean-Baptiste de Donatello (musée du Bargello, Florence), Michel-Ange réalise en 1495 un petit enfant de 6 ou 7 ans pour son commanditaire Pierfrancesco de Médicis. En 1936, le corps fut brisé en de nombreux morceaux dont seuls quatorze ont été retrouvés, soit moins de la moitié de la statue originale. Quant à la tête, elle fut brûlée. Un vaste projet de restauration a été entamé en 1994 à l’Opificio delle Pietre Dure de Florence. Un laser a été utilisé pour nettoyer la surface charbonnée de la tête, tandis qu’une reconstitution en trois dimensions couplée à des comparaisons avec des photographies avant sa destruction a permis de repositionner les fragments afin de reconstruire la pièce. Les parties manquantes ont été réalisées en fibre de verre et en résine. L’œuvre, propriété d’une fondation privée, est exposée au musée du Prado jusqu’au 28 juin.https://www.museodelprado.es/exposiciones/info/en-el-museo/

san-juanito/

LE QUOTIDIEN DE L’ART | MERCREDI 08 AVRIL 2015 NUMÉRO 808PAGE 04BRÈVES

Attribué à Camille Pissarro, Étude de trois nus féminins en plein

air, 1850. © Galleria d’Arte

Moderna di Palermo

UN PISSARRO ACQUIS POUR 400 EUROS EXPOSÉ À PALERME> La Galleria d’arte moderna de Palerme, en Sicile, expose actuellement une étude à l’huile de trois nus en plein air dont de récentes analyses scientifiques ont confirmé une attribution à Camille Pissarro (1830-1903). Réapparue l’an dernier et montrée aujourd’hui au public pour la première fois, cette esquisse de 45 cm sur 35 cm a été acquise par un collectionneur de Palerme lors de la foire aux antiquaires de Parme, pour la modique somme de 400 euros, révèle le journal italien Il Giornale dell’Arte. Selon cette même source, l’huile sur carton proviendrait de la cave d’une villa de la région de Côme. L’examen scientifique aurait confirmé l’authenticité de l’inscription au dos de la toile mentionnant « La Négresse, 1850, Camille Pissarro » de la main du dernier des cinq enfants de l’artiste, Paul-Émile.

ENCHÈRES MILLIONNAIRES POUR L’ART CHINOIS À HONGKONG> Un acheteur a dépensé l’équivalent de 13 millions d’euros chez Sotheby’s à Hongkong pour acquérir un vase chinois octogonal de la dynastie des Song du Sud (1127-1279). L’auctioneer en attendait autour de 7 millions d’euros. L’acheteur est Liu Yiqian, le financier et milliardaire chinois qui a acquis de nombreuses pièces importantes sur le marché ces dernières années pour alimenter son musée privé de Shanghai. Il s’était fait remarquer il y a environ un an en buvant du thé dans l’une de ses emplettes, un précieux bol Ming qu’il s’était offert pour 26 millions d’euros. Lors de cette même session de ventes, le Long Museum de Shanghai a acheté un vase Guan de la dynastie Song pour 13,4 millions d’euros. Enfin, un sceau impérial en jade de la dynastie Qing a atteint 5 millions d’euros.

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Arts de l’Orient et de l’Extrême-Orient

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LE QUOTIDIEN DE L’ART | MERCREDI 08 AVRIL 2015 NUMÉRO 808PAGE 05BRÈVES

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Exposition du vendredi 10 avril au dimanche 12 avril de 14h à 20h et sur rendez-vous

À MANTOUE, LA CHAMBRE DES ÉPOUX ROUVRE AU PUBLIC> Le parcours de visite du Palais ducal de Mantoue n’a rouvert dans son intégralité que vendredi dernier. Endommagé par le tremblement de terre qui avait ravagé l’Émilie-Romagne et sa région le 29 mai 2012, le Château Saint-Georges qui renferme la Chambre des époux, peinte par Andrea Mantegna entre 1465 et 1474, a été entièrement restauré. Des travaux de consolidation des structures architecturales et d’amélioration de résistance aux séismes étaient nécessaires sur la tour Nord-Est de l’édifice. Si la fresque était intacte, les couloirs permettant l’accès à la salle menaçaient de s’effondrer. À peine rouvert, le parcours s’enrichit du dépôt de la collection Romano Freddi, amateur d’art mantouan qui possède un fonds de bronzes, majoliques, armes, et peintures, témoignant de la vie à la cour de la famille des Gonzague au XVIe siècle. Ces derniers régnèrent sur le duché de Mantoue jusqu’au XVIIIe siècle. www.ducalemantova.org/

LE NASHER SCULPTURE CENTER LANCE UN PRIX POUR LA SCULPTURE> Le Nasher Sculpture Center, à Dallas, a annoncé jeudi 2 avril le lancement de son premier prix annuel destiné à honorer la carrière d’un artiste et sa contribution majeure dans le domaine de la sculpture contemporaine. Doté de 100 000 dollars (92 000 euros), le premier Nasher Prize for Sculpture sera décerné à l’automne à un artiste vivant. Le jury est formé de personnalités du monde de l’art, dont Sir Nicholas Serota, directeur de la Tate à Londres, mais aussi de l’artiste britannique et académicienne Phyllida Barlow, de Lynne Cooke, conservatrice à la National Gallery of Art de Washington, d’Okwui Enwezor, directeur de la Haus der Kunst de Munich et de la Biennale de Venise 2015, d’Yuko Hasegawa, conservateur au Museum of Contemporary Art de Tokyo (MOT), de Steven Nash, fondateur et directeur du Nasher Sculpture Center, et d’Alexander Potts, historien de l’art et professeur à l’université du Michigan. « Ces dernières années, la définition de la sculpture a évolué et a été élargie. Un prix qui attire l’attention sur l’état de la pratique sculpturale est une proposition excitante », a déclaré Nicholas Serota.

Plafond de la Chambre des époux au palais ducal de Mantoue, fresques

d’Andrea Mantegna, 1465-1474.

© Palazzo Ducale di Mantova.

EXPOSITION

Par Sarah Hugounenq

LE QUOTIDIEN DE L’ART | MERCREDI 08 AVRIL 2015 NUMÉRO 808PAGE 06

POTERE E PATHOS. BRONZI DEL MONDO ELLENISTICO Palazzo Strozzi, Florence — Jusqu’au 21 juin

Bronzes grecs : la conquête de l’expressivité

Le Palazzo Strozzi, à Florence, dresse un panorama de la statuaire grecque en bronze de l’époque hellénistique (du IVe siècle avant J.-C. au Ier siècle après J.-C.). À partir de chefs-d’œuvre issus des plus importants musées mondiaux, le parcours met en lumière l’émergence de nouvelles traditions artistiques grâce aux possibilités renouvelées du bronze. L’idéalisme grec laisse place à la force expressive au service du pouvoir souverain.

« C’est n’est pas une exposition sur l’archéologie. On parle ici de beauté, qui annonce déjà la Renaissance. Il n’est pas judicieux d’enfermer ces bronzes dans une boîte intitulée archéologie, il y a mille autres façons de les concevoir », estime James Bradburne, directeur général du Palazzo Strozzi, à Florence, qui signe ici sa dernière exposition pour l’institution (lire page 9). Digne d’un sujet d’étude scolaire, cette exposition de bronzes grecs antiques réussit toutefois le pari de tirer les multiples ficelles d’un même thème : six sections se suivent comme six histoires sur la représentation de la figure et de l’âme humaine.

Vue de l’exposition « Potere e pathos. Bronzi del mondo

ellenistico », Palazzo Strozzi, Florence.

© S. H.

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LE QUOTIDIEN DE L’ART | MERCREDI 08 AVRIL 2015 NUMÉRO 808PAGE 07

Portrait masculin, fin du IIe siècle avant J.-C., bronze et pâte de verre,

32,5 x 22 x 22 cm. Athènes, Musée

national archéologique. © Musée national

archéologique, Athènes.

UNE SÉRIE DE PORTRAITS DE SOUVERAINS PRÉSENTE LE

BRONZE COMME LE MÉDIUM

FAVORISANT LA NAISSANCE D’UN GENRE NOUVEAU : LE PORTRAIT

OFFICIEL.

EXPOSITION

BRONZES GRECS : LA CONQUÊTE DE

L’EXPRESSIVITÉ

Servi par une scénographie aérée et élégante, le parcours thématique aborde tour à tour le rôle du bronze dans la mise au point de nouvelles formules artistiques, au premier rang desquelles figure la conquête du naturalisme et de l’expressivité, et son rôle dans la propagande royale.L’âge hellénistique, qui met fin à l’idéalisme de la figure humaine de la période classique au profit du naturalisme, s’épanouit après l’arrivée au pouvoir d’Alexandre le Grand. Les commissaires ont alors cherché à démontrer les liens intrinsèques entre art, pouvoir et expressivité. L’avènement du naturalisme dans l’art grec ne peut être compris indépendamment de la conquête militaire et politique. Une série de portraits de souverains dont celui d’Alexandre le Grand à cheval (Museo Archeologico Nazionale, Naples) présente le bronze - réputé pour avoir plus de valeur que l’argent, et autant que l’or - comme le médium favorisant la naissance d’un genre nouveau : le portrait officiel. Celui-ci est construit dans une visée de propagande, reprenant les modèles athlétiques adaptés à un nouvel intérêt pour la sensibilité humaine. Avec l’utilisation du métal, l’homme peut être bedonnant, chauve ou ridé, comme dans cette rare représentation d’un artisan du Metropolitan

Museum of Art de New York. L’enfant est potelé, le corps abandonné, comme dans l’Éros endormi issu de la même institution. Grâce à la malléabilité du bronze, les formes réalistes deviennent les nouveaux canons expressifs. L’artiste se mue en un observateur de l’anatomie et de la psychologie humaine au profit d’œuvres qui véhiculent une émotion intense. Le front plissé et les sourcils froncés du portrait d’un poète du British Museum témoignent du tourment et de la réflexion du philosophe. Là, un jeune éphèbe, pièce conservée au musée archéologique d’Héraklion, prend une pose nonchalante et la mine boudeuse de l’adolescent. Le portrait n’est plus réduit à une image

SUITE DE LA PAGE 06

Éros endormi, IIIe - IIe siècles

avant J.-C., bronze, 41,9 x 85,2 x 35,6, cm.

New York, The Metropolitan Museum of Art,

Rogers Fund 1943. © Met, New York,

2015.

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LE QUOTIDIEN DE L’ART | MERCREDI 08 AVRIL 2015 NUMÉRO 808PAGE 08EXPOSITION

BRONZES GRECS : LA CONQUÊTE DE

L’EXPRESSIVITÉ

mais devient un reflet de l’âme. Ces canons se propagent dans le domaine du marbre comme le prouve le magnifique parallèle avec la tête du Getty Museum de Los Angeles d’un vieil homme barbu. Bronze et pierre entament un dialogue fécond. Pour la première fois depuis leur création, les deux versions de l’Apoxyomène de Vienne (bronze) et de Florence (marbre) sont confrontées. Les modèles expérimentés en bronze sont adaptés en sculpture. Ironie du sort, lors de la découverte du bronze au XIXe siècle, le marbre a été pris comme modèle pour restaurer la figure éclatée en 234 fragments.POTERE E PATHOS. BRONZI DEL MONDO ELLENISTICO,

jusqu’au 21 juin, Palazzo Strozzi, Piazza degli Strozzi, Florence,

http://www.palazzostrozzi.org/.

Catalogue, en italien, sous la direction de Jens Daehner et Kenneth Lapatin,

coéd. Palazzo Strozzi/Giunti, 370 p., 42 euros.

Itinérance : J. Paul Getty Museum, Los Angeles du 28 juillet au ler novembre ;

National Gallery of Art de Washington, du 6 décembre 2015 au 20 mars 2016.

SUITE DE LA PAGE 07

15 avril - 13 septembre

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Commissariat : Jens Daehner

et Kenneth Lapatin, conservateurs

au J. Paul Getty Museum, Los Angeles

Figure masculine, début de la période hellenistique, IVe -IIIe siècles

avant J.-C., bronze, 152 x 52 x 68 cm.

© Ephorie des antiquités sous-marines, Athènes.

LE QUOTIDIEN DE L’ART | MERCREDI 08 AVRIL 2015 NUMÉRO 808PAGE 09ENTRETIEN

Propos recueillis par Sarah Hugounenq

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James Bradburne. © jamesomara.com.

Sarah Hugounenq_La création d’un lieu centré sur l’événementiel en plein cœur d’une ville patrimoniale était un pari audacieux. Quel a été votre stratégie ?James Bradburne_Je crois que nous nous trompons avec le « tout » exposition temporaire. Cette mode internationale qui consiste à courir après les chiffres et les événements doit cesser au profit des expositions permanentes. L’exposition temporaire doit être travaillée afin d’inciter les gens à visiter et revisiter les collections, le patrimoine, à se réapproprier la culture. C’est dans cette logique que nous nous sommes entendus avec le musée archéologique de Florence pour qu’il présente une exposition sur leurs bronzes grecs [« Piccoli grandi bronzi », Museo Archeologico Nazionale di Firenze, jusqu’au 21 juin] en parallèle à « Potere e Pathos » au Palazzo Strozzi.

Dans ce cas, quel est le rôle de l’exposition temporaire ?L’exposition temporaire permet l’audace et doit être une expérience

qui réinvente et révolutionne la visite. Elle doit rendre le visiteur actif avec la mise en place d’une trame narrative et d’éléments qui interpellent. Dès mon

En poste depuis le 4 septembre 2006, James Bradburne a quitté la direction générale du Palazzo Strozzi à Florence au moment où s’ouvrait sa nouvelle exposition, « Potere e Pathos. Bronzes du monde hellénistique » (lire page 6). En huit ans, le conservateur britannique a contribué à mettre en place un modèle culturel unique en Italie, une fondation autonome alliant sphère publique et monde privé. Il nous livre son bilan et des pistes de réflexion sur les nouveaux enjeux des expositions temporaires.

JAMES BRADBURNE, ex-directeur général du Palazzo Strozzi

« Le partenariat public-privé est la clef de voûte

de la réussite »

L’EXPOSITION TEMPORAIRE

PERMET L’AUDACE ET

DOIT ÊTRE UNE EXPÉRIENCE QUI

RÉINVENTE ET RÉVOLUTIONNE

LA VISITE

LE QUOTIDIEN DE L’ART | MERCREDI 08 AVRIL 2015 NUMÉRO 808PAGE 10

IL FAUT OUVRIR

LA CULTURE, SANS LA

VULGARISER, J’ENTENDS,

SANS LA RENDRE

« VULGAIRE »

ENTRETIEN

JAMES BRADBURNE, EX-DIRECTEUR GÉNÉRAL DU

PALAZZO STROZZI

arrivée, j’ai fait du Palazzo Strozzi un laboratoire muséal pour tester et mettre en place de nouvelles solutions muséologiques. Chaque exposition doit servir de valeur ajoutée, non seulement du point de vue économique, mais surtout du point de vue social et éducatif.

Comptez-vous poursuivre ailleurs vos réflexions sur le rôle expérimental de la muséologie ?

Je vais rester à Florence quelques mois, mais j’ai déjà des pistes d’études avec l’École du Louvre à Paris, ou le British Museum à Londres sur le rôle des cartels ou des panneaux explicatifs. Pour notre précédente exposition sur le Bronzino, j’avais invité un poète qui a rédigé les cartels en rébus. Je participe à une réflexion plus globale sur le renouvellement nécessaire de la médiation dans les musées. Il faut ouvrir la culture, sans la vulgariser, j’entends, sans la rendre « vulgaire ».

Cette politique a-t-elle été permise grâce au modèle économique hybride de l’établissement associant la pérennité de service public et l’innovation du privé ?

Oui, tout à fait. Notre franchise et notre audace sont la conséquence de l’indépendance du conseil d’administration, qui ne comprend ni politique ni entrepreneur. Le partenariat public-privé est la clef de voûte de la réussite. Ni le public, ni le privé ne peuvent seuls assumer la sphère culturelle. Il faut absolument protéger et défendre à chaque seconde cette indépendance de l’équipe professionnelle. On verra comment mon successeur arrivera à se battre sur ce plan. En Italie, comme en France, le politique a un pouvoir décisionnaire fort sur la culture. C’est à mon sens la mort de la culture.

SUITE DE LA PAGE 09

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EXPOSITION LE QUOTIDIEN DE L’ART | MERCREDI 08 AVRIL 2015 NUMÉRO 808PAGE 11

Poussin, un peintre séculier ?Nicolas Poussin était-il un peintre chrétien ? La question surprend tant la peinture religieuse est omniprésente dans son corpus. Pourtant le débat mérite d’être rouvert, comme le montre la nouvelle exposition du musée du Louvre, « Poussin et Dieu ». Enquête sur la spiritualité d’un artiste au cœur des débats théologiques qui agitèrent la chrétienté après le concile de Trente._Par Sarah Hugounenq

Ce sont les révolutionnaires qui, les premiers, remirent en question la dévotion de Nicolas Poussin. Le peintre fut célébré au lendemain de la Révolution française comme un artiste érudit, renouvelant la peinture par le truchement de la référence à l’Antique et la débarrassant du même coup des oripeaux de la religion. L’historiographie du XXe siècle suivra cette voie jusqu’au débat historique de 1994 entre Jacques Thuillier, partisan du scepticisme de Poussin envers le catholicisme, et Marc Fumaroli, convaincu de la piété du peintre. C’est en référence à ce débat que les commissaires de la présente exposition au musée du Louvre l’intitulèrent « Poussin et Dieu », reprenant le titre de l’essai de Jacques Thuillier. Si les termes du débat sont inchangés, la réponse formulée aujourd’hui est radicalement différente.Au fil d’une scénographie grandiose, magnifiant les couleurs de Poussin, le parcours démontre progressivement la foi profonde du peintre. Trois raisons expliqueraient la remise en question par la critique de la dévotion de l’artiste. D’une part, le parcours met en avant la multiplicité des sources du maître. Ainsi, dans la version de l’Ashmolean Museum d’Oxford du Moïse exposé sur les eaux, la présence de Myriam en arrière-plan, pourtant absente des descriptions bibliques, renvoie à une version issue des textes antiques. Il en va de même dans Saint Pierre et saint Jean guérissant le boiteux (Metropolitan Museum of Art de New York) dont la source serait moins les Actes des Apôtres qu’un sarcophage paléochrétien conservé à Rome.Autre source de confusion, l’omniprésence de l’Ancien Testament, et en

Nicolas Poussin, Moïse exposé sur les

eaux, 1654, huile sur toile,

149,5 x 204,5 cm. Oxford, Ashmolean

Museum. © Ashmolean

Museum, University of Oxford.

Nicolas Poussin, Le Christ au jardin des Oliviers, pierre noire, plume et encre brune, lavis brun sur papier bleu. Windsor Castle,

Royal Library. © Royal Collection Trust/Her Majesty Queen Elizabeth II

2014.

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AU FIL D’UNE SCÉNOGRAPHIE

GRANDIOSE, MAGNIFIANT

LES COULEURS DE POUSSIN, LE PARCOURS DÉMONTRE

PROGRESSIVEMENT LA FOI PROFONDE

DU PEINTRE

LE QUOTIDIEN DE L’ART | MERCREDI 08 AVRIL 2015 NUMÉRO 808PAGE 12

Nicolas Poussin, Le Christ au jardin des Oliviers, vers 1628 ?,

huile sur cuivre, 62 x 49 cm. Collection

particulière (en dépôt au Metropolitan Museum of

Art, New York). © Private Collection.

Nicolas Poussin, Le Printemps ou Le Paradis terrestre,

1660-1664, huile sur toile, 118 x 160 cm.

Paris, musée du Louvre. INV. 7303.

© RMN-Grand Palais (musée du Louvre)/

Stéphane Maréchalle.

L’ACCROCHAGE CHERCHE À DÉMONTRER

COMBIEN POUSSIN FAIT

UNE SYNTHÈSE NOUVELLE ENTRE LES

TRADITIONS SACRÉES

CHRÉTIENNES ET ANTIQUES

EXPOSITION

POUSSIN, UN PEINTRE SÉCULIER ?

particulier de la figure de Moïse, dans le corpus de Poussin est à replacer dans le contexte de la mode de l’exégèse à l’époque du Grand Siècle. Les scènes de l’Ancien Testament étaient alors comprises comme des préfigurations des valeurs chrétiennes du Nouveau Testament. C’est dans

cette logique que le parcours s’articule autour de deux pivots, analysant d’un côté « Poussin et Moïse » et, en pendant, « Poussin et le Christ ».Enfin, l’accrochage cherche à démontrer combien Poussin fait une synthèse nouvelle entre les traditions sacrées chrétiennes et antiques. À ce titre, la confrontation de deux cimaises, l’une alignant les scènes bibliques, l’autre lui répondant par des épisodes mythologiques, est explicite. L’esprit humaniste du peintre qui considérait que certains personnages antiques annonçaient la foi chrétienne est ainsi mis en exergue. Peu à peu, s’affirme la piété singulière d’un homme dont la croyance n’a eu aucun autre tort que d’être profondément docte, et donc incomprise. Le peintre est célébré en philosophe, quand à la fin de sa carrière la présence de Dieu n’est plus que suggérée dans ses compositions. C’est sous cet angle qu’il faut lire les Quatre saisons du musée du Louvre qui clôturent le parcours.Par-delà les débats théologiques, l’accrochage réserve également de nombreuses pépites pour les amateurs de la peinture du XVIIe siècle, comme la confrontation inédite des deux seules peintures sur cuivre de l’artiste. Conservés dans des collections privées américaines, ces deux Christ au jardin des Oliviers au style quasi baroque sont mis en résonance avec une très belle étude sur papier bleu des collections royales britanniques, exposée pour la deuxième fois. Plus loin, il faut souligner le peu connu Saint Jean baptisant le peuple peint pour Cassiano dal Pozzo et aujourd’hui conservé au Getty Museum de Los Angeles. Les commissaires y reconnaissent l’idée originale de la série des Sept Sacrements, pivot de la carrière du maître. Enfin, a été reconstitué pour la première fois le diptyque de Paul Fréart de Chantelou, mécène du peintre. Il avait réuni La Vision d’Ézéchiel de Raphaël (Palais Pitti, Florence) et Le ravissement de saint Paul (Nicolas Poussin, conservé à Sarasota, en Floride) dans l’objectif de faire de Poussin un « Raphaël de France ».POUSSIN ET DIEU, jusqu’au 29 juin, Musée du Louvre, 75001 Paris, tél. 01 40 20 50 50,

www.louvre.fr.

Catalogue, sous la direction de Nicolas Milovanovic et Mickaël Szanto,

coéd. Hazan/musée du Louvre, 384 p., 45 euros

SUITE DE LA PAGE 11

Commissariat : Nicolas Milovanovic,

conservateur au département des

peintures du musée du Louvre, et Mickaël

Szanto, maître de conférences à

l’université Paris-Sorbonne.