© MASSON Rev Neurol (Paris) 2006 ; 162 : 4, 515-517
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J.-M. LÉGER
Journées neuromusculaires
Les limites du concept de polyradiculonévrite chronique
d’hier à aujourd’hui
J.-M. Léger
Centre de Référence des Maladies Neuro-musculaires rares Paris-Est, Hôpital de la Salpêtrière, Paris.
La question des limites du concept de polyradiculo-névrite chronique (PRNC) n’est pas nouvelle, puisque pourexemple, la Revue Neurologique avait édité en 2002 unsupplément consacré aux polyneuropathies inflammatoiresautoimmunes aiguës et chroniques, dans lequel Vallat
et al.
(2002) avaient traité des PRNC et leurs frontières. La ques-tion n’est pas non plus tranchée si l’on en juge par la mul-tiplicité des publications et des éditoriaux, en particulierdepuis 5 ans sur ce sujet (Saperstein
et al.
, 2001 ; Hughes,2001 ; Vallat, 2003 ; Sander et Latov, 2003 ; Koller
et al.
,2005 ; Léger, 2005 ; Hughes, 2005).
On pourrait s’étonner d’un tel intérêt à mieux compren-dre une affection rare (dont la prévalence est estimée entre2 et 7,7 pour 100 000 habitants dans les quelques étudesépidémiologiques effectuées en Europe (Lunn
et al.
, 1999 ;Mygland et Monstadt, 2001)), et qui ne concerne donc pasplus de 6 000 patients en France. Il faut probablement voir,dans ce regain d’actualité des PRNC les effets conjuguésd’une meilleure compréhension (bien qu’encore trèsincomplète) des mécanismes physiopathologiques (Toykaet Gold, 2003 ; Koller
et al.
, 2005), d’une améliorationsinon des techniques du moins de l’interprétation des résul-tats des examens biologiques et surtout électrophysiologi-ques (Ad Hoc Subcommittee of the AAN AIDS TaskForce, 1991 ; Nicolas
et al.
, 2002 ; Léger, 2004a ; van denBergh et Piéret, 2004), du renouveau de l’intérêt de la biop-sie nerveuse au moins dans les formes atypiques (Vallat
etal.
, 2003), et surtout de l’efficacité des traitements immu-nomodulateurs et en particulier des immunoglobulinespolyvalentes intraveineuses à fortes doses (IgIV) (vanDoorn et Garssen, 2002 ; Ropper, 2003 ; Léger et Viala,2004 ; Dalakas, 2004 ; Léger, 2005).
L’un des objectifs prioritaires de ces études a été de défi-nir le concept de PRNC « idiopathique », et par voie deconséquence, d’en préciser les limites cliniques, électro-physiologiques, biologiques, histopathologiques, ainsi queles spécificités thérapeutiques. L’exposé détaillé de ces dif-férentes études étant traité par ailleurs dans ce numéro,cette introduction générale sera restreinte à quelques exem-ples, à titre d’illustration de la démarche.
LA RECHERCHE DES LIMITES DU CONCEPT DE PRNC N’A JAMAIS CESSÉ D’INTÉRESSER LES AUTEURS
Il serait fastidieux de reprendre ici en détail la liste chro-nologique des publications qui ont progressivement contri-bué à l’émergence du concept de PRNC (ou CIDP pourchronic inflammatory demyelinating polyradiculoneuro-pathy). Si l’on se reporte au titre original de l’article princepsd’Austin (1958), et surtout à son sous-titre, moins connu :« With 5-year observation of a placebo-controlled casetreated with corticotrophin, cortisone and prednisone »,sont apparues en premier lieu les notions de neuropathie àrechutes et de cortico-sensibilité. C’est Dyck et le groupede la Mayo Clinic (Dyck
et al.
, 1975) qui ont proposé leconcept de « polyradiculoneuropathy », ce qui impliquaitl’atteinte des racines nerveuses et celui d’« inflammatory »,ce qui anticipait du mécanisme causal, complétés par ladescription de 2 modalités évolutives : progressive (2/3 descas), et à rechutes (1/3 des cas). En 1987, McCombe
et al.
ont ajouté le terme « demyelinating », proposant dès lorsl’acronyme de CIDP, qui fera référence à partir de la fin desannées 1980 (Barohn
et al.
, 1989).Dix ans plus tard, un Comité Ad Hoc, curieusement rat-
taché à une « AIDS Task Force » de l’American Academyof Neurology, a édité et publié dans la revue Neurology(1991), des critères très complets cliniques, électrophysio-logiques, biologiques (issus de l’étude du LCR), et histo-pathologiques (issus de l’étude des prélèvements obtenuspar biopsie nerveuse), qui furent historiquement la pre-mière tentative de définition du concept de PRNC, et ontété largement utilisés, en particulier pour l’inclusion despatients dans les essais thérapeutiques.
En fait, cette première proposition de critères a faitl’objet de nombreuses critiques en raison de son manque desensibilité et surtout de spécificité. Les principaux griefstenaient à la difficulté de distinguer par ces critères lesPRNC « idiopathiques » des formes frontières (voir plusloin), et de prendre le risque de méconnaître des formesatypiques, qui par ces critères assurant la prééminence de
Tirés à part :
J.-M. L
ÉGER
, Consultation de Pathologie Neuro-musculaire, Bâtiment Babinski, Hôpital de la Salpêtrière, 47, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13.
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l’électrophysiologie, pouvaient être étiquetées « axono-pathies » (Vallat
et al.
, 2003).De nombreuses propositions de révision de ces critères
ont donc été publiées, principalement à partir de 2000(Hughes
et al.
, 2001 ; Nicolas
et al.
, 2002 ; Thaisetthawa-tkul
et al.
, 2002 ; Sander et Latov, 2003 ; van den Bergh etPiéret, 2004). En 2005, un groupe de travail travaillant sousl’égide d’une « Task Force » de l’European Federation ofNeurological Societies (EFNS), et de la Peripheral NerveSociety (PNS) a édité un ensemble de recommandationspour le diagnostic et le traitement des PRNC, qui vientd’être publié (EFSS/PNS Guideline on management ofCIDP, 2005). Parallèlement, en France, un groupe de tra-vail « PIDC » (pour polyradiculonévrite inflammatoiredémyélinisante chronique) a édité des recommandations,publiées dans la Revue Neurologique (Recommandationsdu Groupe Français d’Étude des PIDC, 2005).
LA PRNC PEUT ÊTRE ASSOCIÉE À UNE MALADIE GÉNÉRALE ET COMPORTE DE NOMBREUSES FORMES FRONTIÈRES
Maladies générales
Bien que le concept de PRNC implique dans la trèsgrande majorité des cas l’absence de tout autre atteinte sys-témique (justifiant donc le terme « idiopathique »), certai-nes PRNC sont associées à un diabète, une gammapathiemonoclonale dite de signification indéterminée (ou mono-clonal gammopathy of unknown significance : MGUS),le plus souvent IgG ou IgA, un syndrome de Gougerot-Sjögren, une infection par le VIH, ou un lymphome, pourne citer que les associations les plus fréquentes. La recher-che systématique de ces affections doit être la règle dansl’évaluation d’une PRNC. L’attitude thérapeutique vis-à-vis de ces formes associées est développée dans les Guide-lines cités en référence plus haut.
Formes frontières
Les affections qui suivent figurent dans le Guideline et lesrecommandations cités plus haut. La plupart des expertsretiennent comme faisant partie du concept de PRNC : lesformes sensitives pures, les formes associées à une démyé-linisation du système nerveux central, les formes multi-focales (caractérisant le syndrome de Lewis-Sumner, encoreappelé MADSAM neuropathy, pour multifocal acquireddemyelinating sensory and motor neuropathy), et les formesavec démyélinisation distale prédominante (encore appe-lées DADS neuropathy pour distal acquired demyelinatingsensory neuropathy). Toutes ces formes seront détailléesdans un autre article de ce numéro (Azulay, 2006), et posentla question, outre de leurs définitions diagnostiques, de leurinclusion dans les essais thérapeutiques concernant lesPRNC. Deux études rétrospectives récentes (Viala
et al.
,2004 ; Verschueren
et al.
, 2005) chez des patients atteintsde syndrome de Lewis-Sumner, ont montré par exemple
une différence dans la réponse aux traitements immuno-modulateurs, par rapport aux PRNC communes.
Les neuropathies dysimmunitaires chroniques suivantessont généralement considérées par les experts commeexclues du concept de PRNC, tout en satisfaisant au statutambigu de formes frontières. Il s’agit des neuropathies motri-ces multifocales (Léger, 2004b ; Nobile-Orazio
et al.
, 2005),et des polyneuropathies associées à une gammapathie mono-clonale IgM avec activité anti-MAG (myelin-associated-glycoprotein) (Léger et Hayes, 2001 ; Nobile-Orazio et Carpo,2001). Bien que partageant avec les PRNC de nombreusescaractéristiques, en particulier du fait de leur statut communde neuropathie démyélinisante chronique dysimmunitaire,elles s’en différencient par leurs signes cliniques, électro-physiologiques, immunochimiques, et surtout par leur réponseaux traitements immunomodulateurs. Par exemple, la neuro-pathie motrice multifocale ne répond pas aux corticoïdes etaux échanges plasmatiques (qui tous deux sont efficacesdans les PRNC), mais répond de manière fréquente et fran-che aux IgIV (Léger et Béhin, 2005).
LA RECHERCHE DES LIMITES DU CONCEPT DE PRNC N’A QUE PEU INFLUENCÉ À CE JOUR LES DÉMARCHES D’ÉVALUATION PAR LES ÉCHELLES FONCTIONNELLES, ET LES ESSAIS THÉRAPEUTIQUES
Échelles d’évaluation
Depuis une dizaine d’années, la nécessité s’est imposéed’une évaluation fonctionnelle des PRNC, qui repose sur desoutils simples, validés et reproductibles, en particulier pourleur utilisation dans des essais contrôlés randomisés (rando-mised controlled trials : RCT). Parmi les propositions ayantfait l’objet de publications, deux échelles fonctionnelles ont étépréférées par les experts européens, dans les PRNC : l’ODSS(Overall Disability Status Scale) qui a été mise au point par legroupe de travail INCAT (Inflammatory Neuropathy Causeand Treatment) (Merkies
et al.
, 2002), validée dans les PRNC(Merkies
et al.
, 2003), et utilisée dans un RCT (Hughes
etal.
, 2001) ; et l’Amsterdam Linear Disability Status Scale(ALDSS), qui est en cours de validation dans les PRNC.
Ces 2 types d’échelles sont globales, et mesurent lesconséquences fonctionnelles de la PRNC pour un patient.Elles ne tiennent donc pas compte des différentes formesde PRNC, et sont d’ailleurs utilisées dans d’autres neuro-pathies chroniques.
Essais thérapeutiques
Les RCT exigent des critères d’inclusion pour lespatients, qui bien entendu tiennent compte de ceux définispour le concept de PRNC. Mais les patients, avec des for-mes différentes (par exemple à prédominance motrice ousensitive ; ou avec des blocs de conduction francs ou non)
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bénéficient du même traitement pendant toute la duréede l’essai, ou parfois de 2 traitements comparatifs. Il estdès lors difficile d’apprécier la spécificité de réponse desdifférentes formes cliniques, sauf à reconstituer des « sous-groupes » dont l’effectif est faible, compte tenu des effec-tifs déjà faibles des patients inclus dans ces RCT.
CONCLUSIONS
La recherche des limites du concept de PRNC est déjàancienne et doit être encouragée. La mise au point récente deGuidelines et de recommandations devrait faciliter la démar-che diagnostique, souvent difficile dans cette affection.
En revanche, il reste un champ libre pour la définition denouvelles entités à mieux préciser, encore regroupées sousle terme commode de PRNC, et probablement sous tenduespar des mécanismes physiopathologiques différents.
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