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  • Daniel Panzac

    Les changes maritimes dans l'Empire ottoman au XVIIIe sicleIn: Revue de l'Occident musulman et de la Mditerrane, N39, 1985. pp. 177-188.

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    Panzac Daniel. Les changes maritimes dans l'Empire ottoman au XVIIIe sicle. In: Revue de l'Occident musulman et de laMditerrane, N39, 1985. pp. 177-188.

    doi : 10.3406/remmm.1985.2073

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0035-1474_1985_num_39_1_2073

  • R.O.M.M., 39, 1985-1

    LES CHANGES MARITIMES DANS L'EMPIRE OTTOMAN AU XVIIIe SICLE

    par Daniel PANZAC

    Si l'on connat assez bien maintenant les facteurs politiques, administratifs et religieux qui assurent, au XVIIIe sicle, la cohsion de l'Empire ottoman, il me semble que le facteur conomique soit quelque peu nglig. Or ce vaste ensemble politique est galement un espace conomique qui englobe toute la Mditerrane orientale et s'tend sur la majeure partie mridionale de la Mditerrane occidentale. Les relations maritimes jouent donc un rle considrable dans les changes pratiqus entre les provinces de l'Empire, contribuant ainsi au maintien de l'unit de celui-ci.

    Connatre les moyens, les mthodes et les acteurs de cette activit, tels sont les objets de ma recherche.

    Le trafic maritime vu par les consuls de France : On sait que l'Empire ottoman est principalement baign par la Mer Rouge, la

    Mer Noire et la Mer Blanche, nom turc de la Mer Ege. Pendant la plus grande partie du XVIIIe sicle, les deux premires sont peu prs exclusivement frquentes par les seuls navires quipage musulman. Il n'en va pas de mme pour la troisime, de loin la plus importante, o les btiments europens sont trs actifs, y compris dans les relations entre les diffrentes chelles du Levant et de Barbarie assures pour le compte d'affrteurs ottomans, activit qui porte le nom de caravane maritime.

    valuer l'importance de ce trafic et la part relative des diffrents pavillons dpend avant tout de statistiques fiables, fort rares bien sr pour cette poque. Il en existe toutefois, d'origine franaise, pour le port d'Alexandrie la fin du XVIIIe sicle.

    Tableau I Le trafic portuaire d'Alexandrie la fin du XVIIIe sicle (nombre de btiments) (1)

    Pavillon

    Franais Imprial Vnitien Ragusain Sudois Russe

    Ottoman Total

    1782 A rnves

    37 2

    67 41

    1 6

    373 527

    Dparts 31

    1 64 39

    1 6

    370 512

    1785 Arrives

    113 6

    66 103

    16 309 613

    Dparts 102

    4 63

    108

    16 309 602

  • 178 D. PANZAC

    En 1782, 1039 navires sont entrs ou sortis du port d'Alexandrie : 743, soit 71,4% au total, battent pavillon ottoman et 296, soit 28,6% sont europens. Cette considrable supriorit numrique des btiments turcs et assimils (grecs et maghrbins) est pourtant trompeuse (2). Elle est d'abord lie aux circonstances : l'inscurit due la guerre d'indpendance des tats-Unis limite les mouvements des navires europens, surtout les franais. La guerre se termine en 1783 ; en 1785, on constate un recul notable des navires ottomans qui ne sont plus que 618 et une progression considrable des europens qui sont 597, soit trois cents de plus. Il y a dsormais quasi galit.

    Mais plus que le nombre de navires compte la valeur de la cargaison : or celle-ci varie trs fortement selon les destinations, et les provenances des navires.

    Tableau II Valeur moyenne des cargaisons Alexandrie en 1782

    Europe Rgence d'Alger Rg. de Tunis Rg. de Tripoli Crte Albanie Ploponnse Salonique Istanbul Smyrne Rhodes-Caramanie Chypre-Syrie

    Importations valeur glob. (en livres tournois) 6 677 748

    1549 055 145 693 355.620 112 200

    9 000 3 500 000 2 360 000 1 570 000 1317 000

    77 746

    nombre de navires

    42 2

    25 14 32 11 3

    54 23 24

    264 33

    valeur moyenne

    158 994 0

    61962 10 406 11113 10 200 3 000

    64 814 102 608 65 458 4 988 2 355

    Exportations valeur glob. (en livres tournois) S 008 470 1 375 000 1 500 000 275 000 711000 11000 47 500

    2 168 000 8 265 000 3 828 000 ' 540 000 99 000

    nombre de navires

    44 1

    12 12 42 2 4

    38 59 42

    222 34

    valeur moy. del

    cargaison 113 828

    1 375 000 125 000 22 750 16 928 5 500

    11875 57 052

    140 078 91142 2 432 2911

    Les rsultats prsents ici le sont titre indicatif car il y a srement bon nombre de cas particuliers comme le suggre l'exemple de la Rgence d'Alger : les 2 navires qui en arrivent sont vides, par contre, celui qui s'y rend transporte une cargaison d'une valeur exceptionnelle : 1 375 000 livres ! Nanmoins lorsque les calculs portent sur plusieurs dizaines de btiments, la valeur moyenne obtenue reflte assez fidlement la qualit et l'importance des relations commerciales entre Alexandrie et les autres ports de la Mditerrane.

    Il y a tout d'abord les liaisons privilgies : l'Europe, Istanbul, Tunis, Smyrne et Salonique fournissent des cargaisons suprieures 50 000 livres, voire 100 000 livres. Tripoli de Barbarie, la Crte, l'Albanie, le Ploponnse l'exportation, assurent un fret de moindre valeur, entre 5 000 et 20 000 livres. Enfin Chypre, la Syrie et la Caramanie n'offrent que des cargaisons trs modestes, infrieures 5 000 livres, voire mme 2 500 livres. La rduction de moiti de la valeur de la cargaison expdie vers la Caramanie par rapport celle qui en provient signifie probablement qu'une bonne partie des navires s'y rendent vide.

  • CHANGES MARITIMES DANS L'EMPIRE OTTOMAN 179

    Tableau III - Trafic du port d'Alexandrie la fin du XVIIIe sicle : rpartition gographique

    Europe Rgence d'Alger Rgence de Tunis Rgence de Tripoli Crte Albanie Ploponnse Salonique Istanbul Smyrne Rhodes-Caramanie Chypre-Syrie

    1782 total

    86 3

    37 26 74 13 7

    92 82 66

    486 67

    bt. europ. 86 3

    37 12 23 7 3

    23 12 40 35 15

    bt. ott. 0 0 0

    14 51

    6 4

    69 70 26

    451 52

    1785 total

    67 6

    16 9

    87 1

    17 73 82 91

    609 114

    bt. europ. 67

    6 14 9

    33 1

    13 39 40 71

    189 70

    bt. ott. 0 0 2 0

    54 0 4

    34 42 20

    420 44

    En 1782, les navires europens, qui totalisent 28,6% des btiments Alexandrie, assurent seuls les liaisons entre ce port et l'Europe, Alger et Tunis, 60% de celles avec Smyrne et 33% de celles avec Salonique, tous ports riches cargaisons. Us ne sont vraiment minoritaires cet gard que pour Istanbul avec 17,1% du trafic. part la capitale de l'Empire, les btiments ottomans assurent par contre la majeure partie des transports de marchandises de peu de valeur. Ils sont presque seuls se charger de l'norme trafic de la Caramanie qui mobilise 451 de leurs navires sur 743 ; ils reprsentent galement 77,6% des navires en relation avec la Syrie. En 1782, l'anne faste pour le pavillon ottoman, celui-ci, qui reprsente 71,4% des navires qui font escale Alexandrie, ne transporte que 43,3% des marchandises, en valeur.

    cartons les relations avec l'Europe pour ne considrer que le seul commerce inter-ottoman. Il emploie 953 navires et reprsente 29 815 814 livres tournois de marchandises. Les cargaisons transportes par les 743 btiments ottomans valent 18 046 920 livres, soit 60,5% de celles-ci ; celles achemines par les 210 caravaneurs europens s'lvent 11 768 894 livres, soit 39,5%. La valeur moyenne des cargaisons des btiments ottomans s'lve 24 289 livres tournois, celle des navires europens 56 042 livres. Bien que trs minoritaires, en ces temps difficiles pour eux, ces derniers parviennent malgr tout assurer une part importante de ces changes en s'efforant de s'emparer du trafic le plus rentable.

    En 1785, la paix rtablie, les Europens reviennent en force. Non seulement, ils possdent le monopole des liaisons avec l'Europe, mais pratiquement aussi celui d Maghreb (Alger, Tunis, Tripoli), 29 navires sur 31. Ils assurent 78% des changes avec Smyrne, 53% de ceux avec Salonique, pratiquement la moiti de ceux avec Istanbul et mme la majorit des transports avec le Ploponnse et la Syrie. Les Ottomans ne conservent vraiment la prpondrance qu'avec la Caramanie, 69% du trafic, et avec la Crte, 62%, pour un nombre total de navires lgrement suprieur. En se fondant sur les chiffres des cargaisons de 1782, on peut estimer approximativement qu'en 1785, les

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    navires europens assurent les trois quarts, en valeur, de l'ensemble des changes d'Alexandrie et environ les deux tiers des transports maritimes l'intrieur de l'Empire ottoman partir de ce port.

    Trois pavillons dominent de manire crasante la caravane maritime : le franais, le ragusain et le vnitien, qui, eux trois, accaparent 93 95% de cette activit. Si le rtablissement de la paix n'est d'aucun effet sur les Vnitiens, 131 navires en 1782, 129 en 1785, il permet par contre aux Ragusains, et plus encore aux Franais, de dvelopper leur prsence de faon spectaculaire : les premiers passent de 80 21 1 btiments, les seconds de 68 215.

    C'est la caravane qui absorbe la majeure partie de ces navires : 188 sur 215 pour les Franais, 185 sur 211 pour les Ragusains, 119 sur 129 pour les Vnitiens.

    Tableau IV Distribution gographique de la caravane maritime Alexandrie Europe exclue, (par pavillon en 1785)

    Empire ottoman Rgence d'Alger Rgence de Tunis Rgence de Tripoli Crte Ploponnse-Grce Salonique Istanbul Smyrne Caramanie Chypre-Syrie

    Trafic Navires

    1105 6

    16 9

    87 17 73 82 91

    609 114

    total %

    100,0 0,5 1,5 0,8 7,9 1,6 6,6 7,4 8,2

    55,1 10,3

    Franais (*) Navires

    168 5

    10 8 8 3

    12 7

    25 67 23

    % 100,0

    3,0 6,0 4,8 4,8 1,8 7,1 4,2

    14,9 39,8 13,6

    Ragusain Navires

    185 1 3 1

    22 9

    26 15 34 57 17

    % 100,0

    0,5 1,6 0,5

    11,9 4,9

    14,0 8,1

    18,4 30,9 9,2

    Vnitien Navires

    119

    13 2

    3

    12 60 29

    % 100,0

    10,9 1,7

    2,5 10,0 50,4 24,5

    (*) On ignore lt provenance ou la destination de vingt caravaneurs franais qui sont en ralit 188

    Contrairement Venise, seuls les Franais et ls Ragusains sont prsents dans toutes les provinces maritimes de l'Empire ottoman. Certes la proportion de leurs btiments dans les diffrentes chelles n'est pas exactement la mme que celle de l'ensemble des navires qui les ont frquentes. Le pavillon franais est sur-reprsent au Maghreb, Smyrne et en Syrie par rapport la moyenne, infrieur celle-ci en Crte, Istanbul et en Caramanie, correct au Ploponnse et Salonique. Le pavillon de Raguse est suprieur la moyenne en Crte, au Ploponnse, Salonique, Smyrne, infrieur en Caramanie, quivalent au Maghreb et Istanbul. Malgr tout, l'examen de leur activit, sans autoriser la restitution intgrale des relations maritimes l'intrieur de l'Empire ottoman, permet nanmoins de s'en faire une ide suffisamment prcise et assez proche de la ralit. Ceci est particulirement prcieux lorsqu'on ne dispose pas d'informations sur la totalit des navires et, ce qui est le cas le plus frquent, sur les btiments ottomans.

    Les donnes concernant Smyrne prsentes ci-dessous, et puises aux mmes sources, montrent que chaque port ottoman a naturellement ses caractristiques propres. Ces statistiques permettent, comme pour Alexandrie, de prciser la part res

  • CHANGES MARITIMES DANS L'EMPIRE OTTOMAN 181

    pective des diffrents pavillons qui frquentent ce port. tales dans le temps, elles offrent de surcrot la possibilit de suivre l'volution de cette activit.

    Tableau V Les navires europens Smyrne en 1756 et 1776 (3)

    Nationalit

    France Angleterre Pays Bas Venise Toscane Raguse Sude Empire Total

    1756 Total

    Navires 143

    6 17 4

    18 37 14

    239

    % 59,9 2,5 7,1 1,7 7,5

    15,6 5,7

    100,0

    dont caravaneurs Navires

    68 ' 2

    12 19 8

    109

    % 62,4

    1,8

    11,0 17,4 7,4

    100,0

    1776 Total

    Navires 153

    9 27 84

    27

    6 306

    % 50,0 2,9 8,8

    27,5

    8,8

    2,0 100,0

    dont caravaneurs Navires

    74

    58

    11

    143

    % 51,7

    40,6

    7,7

    100,0

    vingt ans d'intervalle, le trafic des navires europens Smyrne se caractrise par les faits suivants :

    - la croissance du trafic : il passe de 239 btiments en 1756 306 en 1776. En doublant ces chiffres, pour avoir les arrives et les dparts comme Alexandrie, on , aboutit 478 enregistrements en 1756 et 612 en 1776, chiffre quivalent celui des 597 d'Alexandrie en 1785.

    Contrairement ce port, les liaisons avec l'Europe tiennent une place prpondrante Smyrne : 260 navires en comptant les arrives et les dparts, soit 54,4% du total en 1756, et 326 btiments, soit 53,3% du total en 1776. Alexandrie, on trouve 86 navires, 25,7% de l'ensemble en 1782, et 67, soit 11,2% en 1785. Smyrne est d'abord un grand port ottoman en liaison avec l'Europe, alors qu'Alexandrie est d'abord un grand port ottoman en liaison avec le reste de l'empire.

    - En 1756 comme en 1776, le pavillon franais, malgr une lgre rgression, occupe Smyrne une priorit absolue puisqu'il reprsente, dans tous les cas, entre 50 et 60% des diffrentes branches d'activit du trafic maritime europen. ses cts, on note l'apparition conjoncturelle d'autres pavillons : ceux de Toscane et de Sude en 1756, de l'Empire et celui, spectaculaire, de Venise en 1776. L'Angleterre, trs modestement, les Pays-Bas et Raguse, de faon plus srieuse, assurent une part assez rgulire de l'activit du grand port gen.

    La caravane, qui occupe environ 45% des navires europens, n'est pratique que par quelques pavillons : le franais, le toscan, le ragusain, le sudois en 1756, le franais, le vnitien, le ragusain en 1776. La caravane franaise est la seule prsenter trois caractristiques : elle est toujours prsente, elle a un caractre massif, elle dispose de sources. dfaut de donnes sur les navires ottomans, son tude peut nous donner une ide convenable des liaisons maritimes entre Smyrne et les rgions cti- res de l'Empire ottoman au XVIIIe sicle.

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    Afin de pallier les lacunes de la documentation et compenser les -coups trop violents dus notamment aux guerres europennes, j'ai choisi d'exploiter des moyennes quadriennales. Il s'agit ici des seuls dparts qui sont de 75 btiments par an en 1723-26, de 66 en 1750-53 et de 65 en 1773-76.

    Tableau VI Destination des caravaneurs franais de Smyrne au XVIIIe sicle (en pourcentage) (4)

    Destinations " la fortune * Rgence d'Alger Rgence de Tunis Rgence de Tripoli Crte Ploponnse, Grce, Cyclades Salonique, Macdoine, Thrace Istanbul Syrie, Chypre Egypte

    1723-1726 29,3 6,6

    12,2 4,2 6,3 7,3

    18,3

    2,0 13,8

    1750-1753 35,5 2,5 7,4 7,5 4,5 6,4

    17,0 1,1 6,0

    12,1

    1773-1776 14,0

    6,1 4,6 7,7 7,8

    15,7 8,4 3,8

    31,9

    L'importance de Smyrne attire les caravaneurs franais en qute d'affrtement. S'ils n'en trouvent pas, ils partent la fortune ou l'aventure en chercher sur une autre chelle.

    Lors de la premire priode, en 1723-26, la caravane franaise qui semble bien connatre des difficults trouver des affrtements, 29,3% la fortune, souligne les principales relations maritimes de Smyrne : tout d'abord la Mer Ege, la Crte, le Ploponnse, les Cyclades, la Macdoine reprsentent 31,9% des affrtements. Viennent ensuite le Maghreb, surtout Tunis, avec 23% et l'Egypte avec 13,8%.

    Le milieu du sicle, qui montre une crise de l'affrtement, 35,5% des navires l'aventure, prsente sensiblement les mmes caractres qu'un quart de sicle plus tt, avec toutefois, un certain tassement : la Mer Ege occupe 27,9% des btiments, le Mahgreb ensuite 17,4% et l'Egypte 12,1%. On note l'apparition de liaisons maritimes, trs modestes, 1,1% avec la capitale de l'Empire.

    La dernire srie montre par contre des diffrences marques. Tout d'abord, les caravaneurs trouvent aisment des clients, les malchanceux ne sont plus que 14%, ce qui peut s'interprter comme un signe de prosprit conomique. Les orientations gographiques ont volu. La Mer Ege demeure trs importante, 31,2% des caravaneurs continuent la sillonner, mais le Maghreb recule fortement, 10,7%, au profit de l'Egypte qui, avec 31,9% des btiments, devient le principal partenaire de Smyrne. Si la Syrie demeure trs secondaire, 3,8%, les liaisons maritimes avec Istanbul, releves vingt ans plus tt, se confirment et s'amplifient, 8,4%.

    Bien que ces chiffres ne couvrent que partiellement les changes maritimes de Smyrne avec l'Empire ottoman car il y manque les autres caravaneurs europens et les navires ottomans, ce que nous avons not propos d'Alexandrie peut galement s'appliquer ici. On peut donc admettre que les principales orientations gographi-

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    ques et chronologiques tablies sur la seule caravane franaise correspondent d'assez prs la ralit. Il ne s'agit toutefois que de gnralits, intressantes certes, mais qui ne donnent qu'une ide gnrale de cette activit. Pour aboutir une analyse plus fine de celle-ci, d'autres sources sont ncessaires qui, heureusement existent, au moins partiellement.

    Une source fconde: les contrats de caravane maritime. Cette activit conomique complexe qu'est la caravane maritime ne peut se

    drouler de faon satisfaisante qu' la condition que les deux parties concernes, les marins europens comme les ngociants ottomans, sachent de faon prcise ce qu'ils attendent les uns des autres. Seul un contrat rdig devant tmoins, dans les langues des intresss, et sign par eux, est mme de prvenir les contestations et les litiges. Or, ces contrats sont gnralement tablis et transcrits dans les registres de la chancellerie du consulat dont relve le capitaine (5). Ce sont des documents particulirement prcieux car ils fournissent des donnes proprement conomiques beaucoup plus prcises que les statistiques gnrales dj utilises, mais surtout, ils nous mettent en prsence des intresss eux-mmes. Ces contrats sont tous tablis de faon quasi identique, ce qui signifie qu'ils observent des pratiques administratives rglementes. Ils comportent les indications suivantes :

    le lieu et la date du contrat; le nom du capitaine et son lieu de rsidence ; le type et le nom du navire ; le nom du ou des affrteurs ottomans, leur appartenance ethnique ou rel

    igieuse et leur lieu de rsidence ;'

    la destination du navire et les escales prvues ; la cargaison, mais pas de manire systmatique ; la dure de l'estarie, c'est--dire le temps ncessaire accord au chargement

    et au dchargement de la cargaison; la rpartition des droits payer entre le capitaine et ses affrteurs ; le prix du nolisement, son lieu de paiement et la monnaie dans laquelle il

    doit s'effectuer. On dispose de 894 contrats tablis Alexandrie durant quatorze annes

    compltes, de 1754 1767. L'importance et le caractre homogne de cette documentation permettent une utilisation la fois chronologique et thmatique qui a t partiellement effectue dans l'article cit. Je me permets donc d'y renvoyer le lecteur en ce qui concerne la critique et l'exploitation de cette source. Je me contenterai ici de prsenter certains des rsultats obtenus.

    Le trafic Les statistiques consulaires, on l'a vu au dbut, fournissent des informations globales. Les contrats permettent eux une analyse plus dtaille, anne par anne, voire mois par mois, des mouvements portuaires. Les dparts des carava- neurs voluent de 1754 1767 de la faon suivante :

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    1754: 1755: 1756: 1757: 1758 : 1759: 1760:

    130 contrats 97 82 93 29 37 30

    D. PANZAC

    1761 : 1762: 1763 : 1764: 1765: 1766: 1767:

    21 contrats 24 50 63 63 92 83

    La guerre de Sept Ans est l'vnement majeur de cette priode. Commence de fait en 1755, dclare officiellement l'anne suivante, ses effets ne se font vraiment sentir sur le trafic franais qu' partir de 1758 qui marque l'effondrement brutal du nombre des navires franais Alexandrie. Les caravaneurs affrts, au nombre de 130 en 1754, sont encore 93 en 1757, mais seulement 29 l'anne suivante. Les corsaires anglais, non les flottes de guerre britanniques, provoquent le reflux et le dcouragement des capitaines franais dont un certain nombre, de guerre lasse, vendent leur btiment sur place (6). L'anne 1763, celle du trait de Paris, amorce le retour de navires franais, qui se confirme les annes suivantes. Profitant toutefois de la brutale rgression franaise, Ragusains, Vnitiens et autres neutres se sont imposs et conservent dsormais des clients fidles. En 1766, les Franais obtiennent 92 contrats de caravane, mais 83 seulement en 1767; on est loin des 130 en 1754.

    Les cargaisons Sur 894 contrats, 195 (21,8%) prcisent ce que transporte le navire. Certains sont uniquement affects des passagers, le plus souvent des plerins maghrbins de retour de La Mecque qui regagnent par mer Tripoli de Barbarie, Tunis, Bne ou Alger. La plupart des autres navires se consacrent avant tout aux marchandises, mme s'ils embarquent aussi quelques passagers. Il s'agit, soit de produits gyptiens, ou transitant par l'Egypte, embarqus Alexandrie, soit de productions destines ce pays, ou d'autres provinces, que les navires vont se procurer ailleurs. Les cargaisons comprennent des crales, bl et riz, des matires premires : bois, cendres provenant d'herbes brles devenues de la soude pour les savonneries et les verreries, des peaux. Le terme diverses recouvre une grande varit de produits tels que les fils de lin ou de coton, les toiles de coton, les nattes, le caf, le henn, la casse, etc.. Cent deux btiments sur 195 (52,3%) ont une cargaison d'une seule espce : 55 de matires premires et 35 de crales. Les autres ont un chargement complexe comprenant toujours du riz et des diverses.

    Grce la connaissance des cargaisons, la rpartition gographique de la caravane, prsente plus haut, trouve maintenant sa justification.

    Syrie : les navires y viennent sur lest charger avant tout du bl (73,3% d'entre eux) pour le Maghreb, parfois des cendres pour la Crte. En 1758, cause de la famine qui y rgne, on y apporte du riz. Inversement, l'anne suivante, c'est la Syrie qui fournit du bl l'Egypte, victime de la disette.

    Chypre : les navires viennent y prendre des crales et des caroubes pour Alexandrie et le Maghreb.

    Smyrne : des caravaneurs y apportent du riz et des diverses (65,9% des navires) et des cendres.

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    Anatolie mridionale, Caramanie : les navires y viennent sur lest charger du bois pour l'Egypte.

    Istanbul : tous les btiments y dbarquent du riz et des diverses. Salonique, Macdoine : riz et diverses. Crte : les trois quarts des navires apportent des cendres, les autres du riz et

    diverses. Maghreb : Les caravaneurs y dbarquent du riz et diverses charges

    Alexandrie, du bl pris en Syrie et des plerins de retour de la Mecque. Cette documentation nous claire sur deux points importants : Tout d'abord, elle souligne et prcise le rle conomique d'Alexandrie l'int

    rieur du monde ottoman : ce port est le dbouch de l'Egypte dont il exporte les productions notamment le riz du Delta, le lin, le coton, les cuirs, etc.. Il importe par contre le bois qui manque dans ce pays. Alexandrie est aussi un carrefour entre la Mditerrane et la Mer Rouge. C'est l qu'embarquent les plerins maghrbins retour de La Mecque, le caf apport du Ymen. C'est l que sont noliss les navires chargs d'approvisionner en bl syrien, grec ou chypriote les villes du Maghreb.

    Ces contrats permettent galement de comprendre les grandes diffrences de valeur des cargaisons selon leurs destinations que l'on avait releves au dbut de cette tude. Les cendres destines la Crte, le bois charg en Caramanie valent peu de choses compars aux riches chargements de diverses destins Smyrne ou Istanbul.

    Le prix du fret et son rglement Le plus souvent, le navire caravaneur est affrt pour un prix fix en fonction de sa taille et de sa destination. En 1754, le prix du trajet Alexandrie - Smyrne varie entre 400 et 1 500 piastres. Dans un cas sur quatre, le contrat numre le prix du transport pour chaque marchandise sparment. L'accord tabli le 6 novembre 1755 entre " le Capitaine Pierre Eynaud de Cassis, commandant le senau nomm Saint Franois de Paule... et les nomms Stamaty Giovanny Grec et Jacob Solan Juif stipule que les marchandises seront amenes Smyrne et que le paiement sera le suivant : " Cent piastres de quarante paras l'une pour chaque cent ardebs de riz de cent cinquante-deux ocques l'un, quinze paras pour chaque couffe de cendres, treize paras pour chaque quintal de kene de quarante-quatre ocques l'un et vingt cinq paras pour chaque quintal dit des lin, caf, cafas, toileries et autres " (7).

    Ces donnes prcises et dates permettent une exploitation la fois par catgorie et par destination, tale sur quatorze ans.

    En 1754 - 55, le prix pour le transport du riz s'tablit 90 piastres pour cent ardebs (18,6 tonnes) pour Smyrne, 100 pour Salonique, 120 pour Istanbul. En 1756 - 57, on passe respectivement 100, 110 et 130 piastres. Vers 1759-60, on atteint 140 piastres pour Salonique. partir de 1763, les prix baissent et, en 1764, retrouvent peu prs leur niveau de 1756 - 57. On observe une volution similaire pour les autres marchandises l'exception des cendres qui se maintiennent et dont le cot de transport reste lev. C'est bien videmment la Guerre de Sept Ans qui, par les risques qu'elle provoque, est cause de ce renchrissement temporaire du prix du fret.

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    Celui-ci se rgle pendant le dchargement des marchandises dans le port d'arrive. Il est stipul en piastres de quarante paras qui est une monnaie de compte, mais une centaine de contrats prcisent la monnaie relle utiliser.

    La monnaie d'argent reprsente 23,5% des rglements. Il s'agit de la piastre izo- lote et de la pataque, c'est--dire le thaler de Marie-Thrse. Ces pices sont utilises avant tout pour les ports de la Mer Ege. La monnaie d'or est de loin la plus utilise (76,5%). Le sequin de Venise et le sequin fundunkli, de valeur proche (3 piastres 27 paras et 3 piastres 25 paras) sont peu cits. Le sequin barbaresque, monnaie marocaine, est davantage pris, mais n'est utilis que pour le Maghreb. Le sequin zer- mahbub, frapp au Caire, figure lui seul dans 51,5% des contrats. Sa valeur, stable durant toute la priode, est de quatre sequins pour onze piastres ou 110 paras. Il sert rgler les frais de transport aussi bien vers l'Anatolie que vers la Grce ou le Maghreb.

    Les affrteurs Ces contrats prsentent enfin le trs grand intrt de nous rvler ces ngociants ottomans qui pratiquent le commerce maritime. Ce sont avant tout des Musulmans. En effet, les 894 contrats comportent 1731 noms qui se rpartissent ainsi :

    1604 noms de Musulmans, soit 92,7%; 71 noms de Chrtiens, soit 4,1%; 56 noms de Juifs, soit 3,2%.

    L'identification de tous ces personnages n'est pas possible faute de prcisions pour un certain nombre d'entre eux (8). Aprs un examen attentif et une critique serre, j'ai conserv et tudi 385 personnes dont je possde le nom prcis, l'appartenance ethnique et religieuse et le lieu de rsidence. Au total, 331 marchands musulmans (85,9%), 155 Turcs et 176 Arabes ; 31 marchands chrtiens (8,1%) et 23 marchands juifs (6,0%). Les non-musulmans sont un peu sur-reprsents, mais la prpondrance des Musulmans est suffisante pour rendre ces donnes utilisables.

    Les 385 marchands identifis qui affrtent des navires Alexandrie sont originaires de 43 villes ou provinces situes dans tout l'Empire ottoman. La plus importante est naturellement Alexandrie qui en abrite 132, soit 34,3% de l'ensemble. Deux sur trois sont des Arabes musulmans, mais on trouve aussi dans cette ville 22 Turcs, 17 Juifs et 4 Chrtiens de Syrie. Viennent ensuite Candie, 39 marchands (37 Turcs et 2 Grecs), Smyrne, 36 marchands (34 Turcs et 2 Grecs), Tripoli de Barbarie, 35 marchands arabes.

    Dans prs de la moiti des contrats on ne trouve qu'un affrteur. L'association, formule lgrement majoritaire, comprend deux six personnes au maximum. Elle se pratique de prfrence entre marchands de mme nation ; les trois quarts des Chrtiens et les deux tiers des Juifs ne s'associent qu'entre eux, les Arabes du Maghreb ou d'Egypte affrtent des navires entre eux, mais en aucun cas avec des non-musulmans et mme presque jamais avec des Turcs.

    La majeure partie des affrteurs n'apparaissent qu'une seule fois, mais un certain nombre le font plusieurs reprises, permettant ainsi d'esquisser sinon la carrire, du moins quelques aspects de celle-ci. En voici quelques uns :

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    Joseph Frangi marchand chrtien de Damas, rsidant Alexandrie (7 contrats) : tous destins

    la Syrie, avec escale pralable Damiette. La cargaison n'est pas prcise, mais l'escale de Damiette, la destination (Syrie, o rgne la famine), d'autres contrats similaires plus explicites, nous incitent penser que Frangi envoie du riz en Syrie. Un autre affrtement est mentionn pour Smyrne, le 4 mai 1756, enfin un dernier pour six mois, le 19 fvrier 1757. Frangi n'a aucun associ. Jacob Solam

    marchand juif d'Alexandrie (10 contrats) : ces contrats sont tous tablis entre le 17 juin 1755 et le 1er aot 1757. Solam est seul dans cinq cas, avec des associs juifs dans trois autres, une fois avec un Grec, enfin en compagnie de deux autres Juifs et de trois Turcs. Cette dernire association envoie le navire Alger ; les autres nolise- ments sont faits une fois pour Istanbul, quatre fois pour Salonique et autant pour Smyrne. Sauf celui d'Alger, dont nous ignorons la cargaison, les autres navires transportent du riz et des diverses. Hadgi Hussein Djezairli

    marchand turc d'Alexandrie (32 contrats) : il apparat dans 11 contrats en 1754, 5 en 1755 et 3 en 1760. La Guerre de Sept Ans semble bien l'avoir dgot des carava- neurs franais ! Dans 18 d'entre eux il opre seul, dans les autres, il est associ des Turcs. Il est en relation avec la plupart des grands ports ottomans, Smyrne, Salonique, Istanbul, Chypre, mais la moiti des navires qu'il affrte vont Candie. noter trois btiments destins Alger et un Bne. Une originalit : 14 de ses 32 contrats sont des aller-retour. Hadgi Ahmed el Maki oui

    marchand barbaresque tabli Alexandrie (12 contrats) : neuf contrats signs en 1754-57, puis, aprs interruption due la Guerre de Sept Ans, trois autres en 1763 - 67. Sept d'entre eux sont des associations o entrent des marchands maghrbins ou arabes d'Egypte. Tous les navires noliss se dirigent vers le Maghreb et aboutissent des ports tunisiens, principalement Sfax.

    L'intrt de ces contrats m'a invit rechercher les autres sries qui en auraient subsist. l'heure actuelle on trouve en France celles d'Alger que j'ai releves, de Tripoli de Barbarie et de Tunis pour le Maghreb, de La Cane en Crte et peut-tre de Sada au Liban, outre Alexandrie pour le Levant. Ces archives rapatries existent galement l'tranger car on a vu que les Franais n'taient pas les seuls pratiquer la caravane maritime. D'ores et dj, j'ai pu dpouiller Venise les contrats vnitiens tablis Chypre. Les archives de Vienne conservent les contrats des navires impriaux et on trouve Stockholm ceux qui intressent les Sudois. Il est noter que ces contrats sont tous tablis sur un modle uniforme quel que soit le pavillon utilis. Cette standardisation tmoigne de l'importance et du caractre international de cette pratique conomique essentielle pour l'Empire ottoman.

    Surtout, au-del des statistiques proprement dites, celles qui comptabilisent navires et marchandises, ce sont les hommes et surtout ces affrteurs ottomans qui pratiquent cette activit qui nous sont rvls. Pour mieux les connatre il convient de poursuivre l'enqute dans les archives ottomanes. Les registres des douanes

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    (Gmrk deftereri) et les registres des cadis sont examiner en priorit. Mais ct de ces archives officielles, il existe des archives prives de ngociants et d'armateurs qui sont trs prcieuses pour saisir la ralit quotidienne de ce trafic. Je pense par exemple ces papiers de commerants conservs au Muse de Sfax (9).

    S'agissant d'une activit dont les partenaires proviennent de part et d'autre de la Mditerrane, il me parait indispensable de recourir aux sources aussi bien en Orient qu'en Occident. Naturellement une telle entreprise dpasse les possibilits d'un seul chercheur. Je crois que la recherche et l'exploitation des donnes devraient, compte-tenu de leur importance et de leur diversit, tre rparties entre plusieurs chercheurs, ce qui donnerait cette enqute un caractre pluraliste et international aussi souhaitable dans son principe que fructueux dans ses rsultats.

    NOTES

    * Texte remani, d'une communication prsente au Third International Congress on the Economic and Social History of Turkey, tenu Princeton University (U.S.A.) du 24 au 26 aot 1983.

    (1) Archives Nationales, Paris, A.N.A.E. Bill 276 et 277. (2) La taille des navires ottomans est quivalente celle des europens : 150 tonneaux et 15

    hommes d'quipage en moyenne contre 127 tonneaux et 12 hommes d'quipage pour les Franais, . 150 tonneaux et 20 hommes pour les Vnitiens, 161 tonneaux et 17 hommes pour ceux de Raguse. Source : A.N.A.E. Bill 277.

    (3) Pour 1756: A.N.A.E. B III 271 ; Pour 1776: A.N.A.E. B I 1066. (4) Archives de la Chambre de Commerce de Marseille, A.C.C.M. J 411 i 429. (5) Panzac (Daniel), * Affrteurs ottomans et capitaines franais Alexandrie : la caravane

    maritime en Mditerrane au milieu du X Ville sicle ", Revue de l'Occident Musulman et de la Mditerrane, 34, 1982-2, p. 23-38.

    (6) Cinq ventes en 1758, deux en 1759, six en 1760. Les acheteurs sont tous des ngociants ottomans.

    (7) A.P.T. IRI, 8, f. 8901. (8) Par exemple, lorsque le contrat mentionne simplement : Hadgi Ali, marchand maure,

    c'est--dire arabe, Hassan Bcha, marchand turc, Yani, marchand grec ou Youssef, marchand juif. (9) L'article d'Ali Zouari, qui figure dans ce numro, est fond sur cette documentation.

    InformationsAutres contributions de Daniel PanzacCet article cite :Daniel Panzac. Affrteurs ottomans et capitaines franais Alexandrie, Revue de l'Occident musulman et de la Mditerrane, 1982, vol. 34, n 1, pp. 23-38.

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    PlanLe trafic maritime vu par les consuls de FranceUne source fconde : les contrats de caravane maritime.

    IllustrationsTableau I Le trafic portuaire d'Alexandrie la fin du XVIIIe sicle (nombre de btiments)Tableau II Valeur moyenne des cargaisons Alexandrie en 1782Tableau III Trafic du port d'Alexandrie la fin du XVIIIe sicle : rpartition gographiqueTableau IV Distribution gographique de la caravane maritime Alexandrie Europe exclue, (par pavillon en 1785)Tableau V Les navires europens Smyrne en 1756 et 1776Tableau VI Destination des caravaneurs franais de Smyrne au XVIIIe sicle (en pourcentage)