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  • Collection dirige par Jean-Pierre Zaracler

    Jean-Marie VAYSSE Professeur l'universit de Toulouse II-Le Mirail

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  • Dans la mme collection

    Dictionnaire Kant, par Jean-Marie Vaysse

    Dictionnaire Spinoza, par Charles Ramond

    Dictionnaire Foucault, par Anne Aniel

    Du mme auteur

    Totalit et subjectivit, Spinoza dans l'idalisme allemand, Paris, Vrin 1994 Hegel, Temps et histoire, Paris, PUF, 1998

    Le vocabulaire de Kant, Paris, Ellipses, 1998

    Kant et la fmalit, Paris, Ellipses, 1999 L'inconscient des iVIodernes, Paris, Gallimard, 1999

    Le vocabulaire de Heidegger, Paris, Ellipses, 2000

    Vie,monde, individuation, (J,-IV!. Vaysse, diteur), Hildesheim, OIms, 2003 Totalit et finitude, Spinoza et Heidegger, Paris, Vrin, 2004 Schelling: art etln)'t1wlogie, Paris, Ellipses, 2004 Inconscient et philosophie, Avant Freud, aprs Freud, Paris, Bordas, 2004

    La stratgie critique de Kant, Paris, Ellipses, 2005

    Les problmes fondamentaux de la phn01nnologie de Heidegger, Paris, Ellipses, 2005

    ISBN 978-2-7298-3099-1 Ellipses dition Marketing S.A., 2007

    32, rue Bargue 75740 Paris cedex 15 Le Code de la proprit intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'\lrticle L 122-52 et 3a), d'une part, que les copies ou reproductions strictement rserves l'usage priv du copiste et non desti-nes une utilisation collective}), et d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, toute reprsentation ou reproduction intgrale ou partielle faite sans consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite (ArL L 122-4). Cette reprsentation ou reproduction, par quelque procd que ce soit constituerait une contrefaon sanctionne par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la proprit intellectuelle.

    www.editions-ellipses.fr

  • Introduction 7 Dcision 32 Althia 11 (Entscheidung) Angoisse 12 Dclin 33 (Angst) (Ahfall, Untergang) Apeiron 14 Dpassement 34 (herwindung-Verwindung) Athisme 15

    Destin 35 Attente-S'attend re 16 (Schicksan (Erwartung-Gewartigen)

    Destruction 36 Avenir 17 (Destruktian) (Zukunft) Dette 38 Bavardage 18 (SchuId) (Gerede) Devancement 39 Chose 19 (Var/aufen) (Ding) Diffrence 40 Christianisme 20 Disponibilit 41 Commencement 22 (Zu ha nden heit) (Anfang) Dispositif 42 Communisme 23 (Gesteln (Kammunismus) Disposition 44 Comprendre 25 (Beftndlichkeit) (Verstehen) Dite 45 Conscience 26 (Sage) (Gewissen) Divin 47 Curiosit 28 (Gatti iche) (Neugier) cho 48 Dasein 29 (Anklang) Dchance 31 claircie 49 (Verfallen) (Lichtung)

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  • Ennui 50 Histoire de l'tre 75 (Langweile) (Seynsgeschichte) quivoque 52 Historialit 76 (Zweideutigkeit) (Gesch ichtl ich keit) poque 53 Humanisme 78 Eschatologie 54 Idalisme allemand 80

    Essence 55 Impens 81 (Wesen) Instant 82 tre 56 (A ugenblick) (Sein-Seyn) Intratemporalit 83 tre-t 59 Ipsit 84 (Gewesenheit) (Se/bstheit) tre-jet 60 Jeu de passe 85 (Geworfen heit) (ZuspieD tre-L-avec 61 Laisser-tre 86 (Mitdasein) (Sein-Iassen) vnement appropriant 62 Libert 87 (Ereignis)

    Lieu 89 Existence 64 (Ort) Existential-existentiel 65 Logique 90 (existenziall-existenzieID

    Logos 91 Exprience 66 (Erfahrung) Machination 92 Explicitation 68

    (Machenschaft) (Auslegung) Mal 93 Facticit 69 Marxisme 95

    Finitude 70 Mditation 96 (Endlichkeit) (Besinnung) Grecs 71 Mtaphysique 98

    Habiter 72 Mtontologie 100

    Hermneutique 73 Mondit 102

    Histoire 74 (We/tlichkeit)

    (Historie) Mort 104

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  • National-socia 1 isme 106 Prsence 136 Nant 108 (An wesen heit) (Nichts) Principe d'identit 137 Nihilisme 110 Principe de raison 138

    Nullit 112 (Satz von Grund) (Nichtigkeit) Projet 140 uvre d'art 113 (Entwurf)

    On 114 Propre-impropre 141 (eigent! ich-u neigent! ich) Ontologie 115

    Publicit 142 Onto-thologie 116 (Offent! ich keit) Oubli 118 Quadriparti 144 Oubli de l'tre 118 (Geviert) Outil 119 Question de l'tre 145 (Zeug) (Seinsfrage) Ouverture 121 Quotidiennet 148 (Ersch!ossenheit) (A lltiig!ichkeit) Parler 122 Raison 149 (Rede) (Vemunft) Parole 123 Renvoi 150 (Sprache) (Verweisung) Pense 125 Rptition 151 (Den ken) Rsolution 152 Peuple 127 (En tsch !ossen heit) (Vo!k) Salut 154 Phnomnologie 128 Saut 155 Philosophie 129 (Sprung) Physis 130 Schme 156

    Posie 131 Science 157

    Politique 133 Secret 158

    Prsent 135 (Geheimnis) (Gegenwart) Srnit 159

    (Ge!assen heit)

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  • Souci 161 Thologie 173 (Sorge) Tournant 175 Spatialit 162 (Kehre) (Raumlichkeit) Trad ition-Dl ivra nce 176 Su bjectit-Su bjectivit 164 (Tradition-Uherlieferung) Subsistance 165 Tragdie 177 (Vorhandenheit) Transcendance 179 Technique 167 Travailleur 180 Temporalit 168 Universit 181 (Zeitlichkeit)

    Vrit 182 Temporal-it 170 (Wahrheit) (Temporalitdt)

    Vie 184 Temps 171 (Lehen) Temps Modernes 172 Bibliographie 187 (Neuzeit)

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  • Entreprendre un vocabulaire de Heidegger prsente un double risque. D'une part, nous ne disposons pas encore de la totalit des textes et, mme si l'dition de la Gesamtausgabe est dj trs avance avec notamment les Contributions la philosolJhie, que certains n'hsitent pas mettre sur pied d'galit avec tre et Temps, ainsi que les textes importants qui suivent, il est permis de penser que de nouveaux chemins sont peut-tre venir dans les volumes paratre. D'autre part, il est impossible de systmatiser une pense qui rcuse par principe le systme et se donne en des chemins et des fugues . La langue de Heidegger est en effet une langue, non point la langue d'avant Babel visant dire l'Origine dans une ultime mta-philosophie, mais ce tour que nous permet de jouer la bablisation, nous autorisant faire scintiller un jeu de passe (Zuspiel) entre le grec et l'allemand, entre un premier commence-ment et un autre. Par ailleurs, si toute grande pense suppose un travail mme la langue, en affrontant son paisseur, plus que toute autre, la pense de Heidegger s'enracine doublement dans le corps de la langue allemande et dans celui de la tradition mtaphysique telle qu'elle s'est dpose partir de la langue grecque, pour porter la parole l'impens de ces langues, les faisant balbutier en leur initialit et faisant dire chacune l'inou d'un futur antrieur o le crpuscule se fait anamnse du matin. Cela implique une violence consistant en une exprience de la parole, en une interprtation devenant l'explicitation de la situation propre au comprendre par l'lucidation de ses prsuppositions. Loin d'tre un art de comprendre l'hermneutique devient ainsi indissociable d'une situation existentielle et historiale. Ds lors, ce qui est proprement hermneutique c'est le prsent qui prend source dans l'appel que se lancent l'un l'autre provenance et avenir . Sans doute la Grce est-elle un tel futur antrieur, et vrit et raison doivent-elles tre reconduites vers althia et logos, comme vers ces mots de l'origine qui ne nous donnent jamais celle-ci comme telle, mais comme une trace en laquelle elle se retire. Faire parler grec l'allemand en faisant dire au grec plus qu'il ne dit, tel est le pari, une fois que l'on admet

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  • que la question de l'tre est la question fondamentale, mais que, ce vocable appartenant la langue de la mtaphysique, la tche de la pense est de porter au jour le dploiement de la mtaphysique afin de la situer en ses limites.

    Une telle tche est un travail de traduction et, en premier lieu, de traduction de la tradition philosophique selon ce qui se nomme destruction phnomnologique . Dis-moi ce que tu entends par traduire, et je te dirai qui tu es , disait un jour Heidegger. Traduire c'est d'abord lire et couter la langue, y compris et surtout sa propre langue, qu'il s'agit de faire parler autrement en subver-tissant le lexique de la mtaphysique, et donc aussi de la langue la plus commune, si tant est que celle-ci soit toujours dj spontan-ment mtaphysique ou que cette dernire en soit comme l'envers au sens o la philosophie est le monde l'envers , c'est--dire une figure de l'immdiatet leve la puissance de l'eidos. tre et Temps part ainsi de la quotidiennet pour lui arracher des mots indits (Zuhandenheit, Bewandtnis, VVorumwillen, VVoraufhin, etc.), recherchant galement des mots pour dire le temps (Zeitigung, Gewesenheit, Auf-sich-zulw11'l1nen, Zuriich-zu, Sich-aujJzalten-bei) et en en inventant d'autres pour pointer vers un autre commencement de la pense (Gestell, Seyn, Ereignis, Da-sein). Des chemins et non une uvre, disait Heidegger de son travail, s'efforant de traduire non seulement les Grecs, mais aussi les potes et penseurs de sa propre langue. En ce sens, la pense est essentiellement dialogue et doit, pour ce faire, trouver et retrouver des mots.

    Ds lors, dpasser la mtaphysique ne consiste ni la renier ni la dmolir, mais la situer pour pouvoir se l'approprier, en dialoguant avec elle, c'est--dire en la soumettant une rptition qui est la dlivrance d'un possible venir, un retour dans les possibilits du Dasein ayant-t-L . Voil ce que veut dire Heidegger lorsqu'il affirme que le Dasein se choisit ses propres hros . Il s'agit de Parmnide, Aristote, Kant et aussi quelques autres, dont les potes, et non de ce que de basses polmiques ont voulu nous faire croire. Dasein dsigne alors le lieu en lequel se tient l'homme dan~ son ouverture l'tre. Nouveau baptme pour celui qui doit apprendre

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  • dposer son nom d'homme pour retrouver celui de IVlortel et penser l'tre comme fond abyssal, en nous invitant remonter en de du monde de Descartes vers la branloire prenne dont parle IVlontaigne. Il n'en reste pas moins vrai que la langue de Heidegger, mme si elle est foncirement un dialogue implique aussi un lexi-que, comprenant ce qu'il aimait lui-mme appeler des concepts fondamentaux , que le prsent ouvrage s'efforce de cerner.

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  • Althia ___ _

    Le nom grec de la vrit, comprise comme non-voilement, livre l'essence originaire de la vrit par rapport sa dtermination tra-ditionnelle comme adquation de la chose et de l'intellect.

    Heidegger rinterprte l'allgorie de la caverne de Platon comme le conflit entre ces deux ententes de la vrit. Dans le terme grec althia domine l'ide de voilement et la vrit est comprise comme arrachement une occultation. Or, depuis longtemps, la vrit n'a plus ce sens ontologique, mais le sens logique d'un accord de la pense avec son objet, qui merge dans l'allgorie de la caverne, dont le thme n'est pas la vrit, mais la formation comme revirement de l'me vers le monde intelligible du vrai. La conception de la vrit comme dvoilement ne disparat pas pour autant chez Platon, car demeure l'essence litigieuse de la vrit comme arrachement une occultation, comme lutte avec le voilement, ainsi qu'en tmoigne la redescente de l'homme libr dans la caverne donnant lieu un combat entre les prisonniers et le librateur. Platon considre la pai-dia comme une victoire constante remporter sur l'occultation. Le voilement menace sans cesse le dvoilement, et la caverne est l'image d'une non-vrit originelle partir de laquelle et contre laquelle la vrit doit se dployer. Toutefois, Platon expose une autre concep-tion de la vrit, o le dvoilement est soumis au joug de l'ide. La chose n'apparat plus partir d'elle-mme dans le hors retrait, son dvoilement se trouvant subordonn au dvoilement antrieur de l'ide qui en constitue la quiddit, l'essence. L'ide devient l'a priori, la condition du non-voilement de l'tant. Si la caverne continuait faire signe vers la vrit comme dvoilement, l'ascension hors de la caverne fait signe vers la vrit comme exactitude. La vrit n'est plus alors un trait de l'tre mais de la connaissance, le discours vrai ralisant une lwmoosis, une similitude, qui imite la structure de la chose. On retrouve chez Aristote la mme tension entre deux conceptions de la vrit, car il affirme tantt que la vrit se trouve dans les choses, tantt qu'elle est dans le jugement.

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  • En remontant vers l'entente matinale de la vrit, Heidegger comprend l'althia comme unit du voilement et du dvoilement, au sens o c'est l'occultation qui garantit l'tre son dvoilement. Or, dans un texte plus tardif, La fin de la philosophie et la tche de la pense, Heidegger affirme que la thse d'une mutation de l'essence de la vrit, la conduisant du dvoilement la rectitude, n'est pas tenable. Il faut concevoir l'althia comme claircie d'un monde de la prsence et prsentation de l'tant dans la pense et la parole, qui se manifestent ds le dpart dans la perspective de l'homoosis et de l'adaequatio, comme mise en accord de la reprsentation et de ce qui est prsent. Ds le dbut de la pense grecque, la vrit serait donc pense en termes de conformit de la reprsentation et de la chose. Ds Homre, le terme alths ne se dit que des noncs, au sens de la rectitude et confiance qu'on peut leur accorder. La vrit n'aurait donc jamais signifi le non-retrait de la chose, pas mme chez les Grecs. Ceux-ci ont certes entrevu la dimension du dvoilement, mais ne l'ont jamais pense comme telle. Heidegger ne fait donc plus rfrence une origine grecque perdue, mais s'approprie le grec pour lui faire dire son impens. (lM.; EV.; DPV.; EC.)

    (Angst)

    Disposition fondamentale constituant un contre-mouvement par rapport la dchance et rvlant le souci comme tre du Dasein.

    S'identifiant au On et immerg dans le monde de la proccupa-tion, le Dasein dchu fuit devant lui-mme, mais ne rencontre que lui-mme. Transport devant lui-mme par son ouverture prop're, il n'est pas confront un tant intramondain susceptible de lui faire

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  • peur, mais se retrouve dans la tonalit de l'angoisse. la diffrence de la peur, qui est toujours peur d'un tant intramondain, celle-ci n'a jamais affaire un tant et ne sait pas de quoi elle s'angoisse. Le devant-quoi de l'angoisse est l'tre-au-monde comme tel, de sorte que le menaant ne se trouve nulle part et que, de manire significative, le On puisse dire que ce n'est rien. En effet, avec cette tonalit affective le Dasein est mis en prsence du nant, car il n'en est plus rien de l'tant intramondain. Le Dasein merge hors de l'tant et cette mergence n'est rien d'autre que la transcendance qui fait que l'angoisse manifeste l'tre-libre, la libert de se choisir. Le Dasein est ainsi isol en un solipsisme existential qui, loin de le couper du monde l'instar du solipsisme du sujet cartsien, le place devant lui-mme comme tre-au-monde, dvoilant son tre comme tre-en-avant-de-soi, souci.

    La fuite propre la dchance est fuite dans le chez-soi de la quo-tidiennet et devant le hors de chez soi, devant l'inquitante tranget (Unheimlichkeit) de l'tre-au-monde jet et remis lui-mme. Il n'y a l nul pathos de l'existence et l'angoisse peut s'assortir d'une totale quitude. Elle est en fait la seule disposition authentique, toutes les autres tonalits n'en tant que des modifications impropres. Aussi est-elle foncirement rare. Elle s'historialise selon diffrentes modalits correspondant aux diffrentes poques de l'tre, allant de l'tonnement l'effroi (Erschrecln) en passant par la mlancolie et l'ennui. Si l'tonnement est la tonalit initiale de la philosophie interrogeant l'tant quant son tre, la mlancolie est la tonalit mtaphysique par excellence s'attristant de la scission du sensible et de l'intelligible et s'achevant autant dans le nihilisme actif et la joie nietzschenne d'abolir cette sparation que dans le nihilisme passif et l'ennui. L'effroi est la modalit ultime qui saisit la pense face l'atonalit d'une poque, o la dtresse ultime est absence de dtresse et oubli de l'oubli de l'tre, propres l'poque de la technique. Aussi rare que l'angoisse, il est la tonalit de la fin de la mtaphysique prouvant l'tre comme fond abyssal incalculable reposant sur le Nant, solidaire en ce sens de la pudeur (Scheu) propre la pense. (ET. 40; QM.)

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  • Anaximandre affirme que l'illimit, apeiron, est le principe de toutes choses et que la naissance, gnsis, et la corruption, phtora, des choses procdent d'une mme ncessit, car elles doivent tre juges pour leur injustice selon l'ordre du temps.

    Heidegger interprte la naissance et la corruption comme des modes de l'panouissement et de l'anantissement, s'claircissant l'intrieur de la physis. La naissance est ce qui entre pour un temps en prsence et qui est vou l'anantissement. Provenance et anantissement sont ainsi le mme selon une ncessit qui nous renvoie l'apeiron comme arch de tout ce qui est. L'apeiron est donc la rsistance oppose toute limitation.

    Heidegger insiste sur le sens privatif de l'apeiron entrant en relation avec l'essence privative de l'althia. L'alpha privatif a donc le carac-tre de l'arch, au sens o, si l'tre est prsence, il n'est pas simple persistance comme crispation dans la constance. Caractrise par la gnsis, la prsence implique la finitude propre la corruption, le surgissement ne surgissant qu'en tant qu'il s'vanouit. Cette nces-sit repose sur le temps comme ce qui assigne le prsent entrer en prsence pour un temps. La temporalit de l'tre est donc son dploiement fini en prsence, l'entre en prsence tant ce temps qui ne dure qu'un temps. Heidegger comprend ainsi l'apeiron comme l'tre, l'arch qui empche toute limite au sens de la prsence sub-sistante, qu'tre et Ternps appelait Vorhandenheit. (CFM .. PA.)

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  • La philosophie est un athisme, dans la mesure o elle n'a rien voir avec la foi et la religion.

    Toutefois, l'athisme ne se ramne pas une simple thse spcu-lative niant l'existence de Dieu, qui demeure une thse thologique. L'athisme dsigne d'abord l'attitude qui consiste se dmarquer de toute religiosit, au sens o la religion tablit des liens, au sens de religare, alors que la philosophie se dtache de ces liens, en reconduisant le Dasein sa facticit.

    D'un point de vue ontologico-historial, l'athisme est le destin de la mtaphysique ainsi que du christianisme dans sa rencontre avec la mtaphysique. Le mot de Nietzsche Dieu est mort , loin d'ex-primer un athisme vulgaire, marque le point d'accomplissement de la mtaphysique dans un nihilisme qui est inversion du platonisme, permettant alors de comprendre le christianisme comme un pla-tonisme pour le peuple . Nietzsche, qui annonce la mort de Dieu, dit aussi que Dieu est mort touff de thologie. Corrlativement, l'poque moderne se caractrise par la ddivinisation comme figure de ce que Holderlin appelle le retrait du divin , dont le christia-nisme est l'expression ultime. De mme que le paganisme suppose l'interprtation chrtienne, toute scularisation prsuppose une clricalisation, qui est elle-mme le rsultat d'une hellnisation de la Rvlation. Plus originaire que l'opposition thisme-athisme est alors la constitution onto-thologique de la mtaphysique. (ECM., BP.)

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  • (Erwa rtu ng-Gewii rtigen)

    Le s'attendre caractrise l'avenir inauthentique propre la pr-occupation du On. Il se distingue du devancement, qui caractrise l'avenir authentique.

    Dans la mesure o on s'attend quelque chose, celui-ci est pr-sent comme un prsent qui n'est pas encore. Toute attente n'est possible que sur la base d'un s'attendre qui est la fois oublieux et prsentifiant. C'est ainsi qu'un s'attendre appartient la constitution de la peur, dont la temporalit est impropre. L'attente qui carac-trise la peur est un oubli, car elle implique un garement devant le pouvoir-tre factice o l'tre-au-monde se proccupe de l'tant disponible. Celui qui prend peur s'oublie et ne s'empare d'aucune possibilit dtermine. Cet oubli est en mme temps un prsentifier gar: c'est ainsi que, dans la panique, on sauve n'importe quoi en oubliant l'essentiel.

    Le s'attendre caractrise donc la dchance, o le prsentifier rsulte de l'attendre comme attente indtermine. Ce phnomne est particulirement vident dans la curiosit, o le s'attendre est un prsentifier sautillant donnant lieu la distraction et la dis-persion. Le Dasein est alors partout et nulle part. Le plus souvent le comprendre repose sur l'attendre, car le prsentifier qui s'attend et conserve constitue la manire dont le Dasein se reconnat dans le monde ambiant. (ET. 68- 69)

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  • (Zukunft)

    L'avenir est le mode de temporalisation originaire de la temporalit. En tant qu'tre-en-avant-de-soi le Dasein est avenant ou -venir.

    Dans la mesure o le Dasein advient soi dans sa possibilit la plus propre, le laisser advenir soi qui soutient cette possibilit est le phnomne de l'avenir. Celui-ci ne dsigne pas un maintenant qui n'est pas encore, mais la venue dans laquelle le Dasein advient soi dans son pouvoir-tre le plus propre comme fini. L'avenir authentique est le devancement, alors que l'avenir inauthentique est le s'attendre. La temporalit originaire se temporalise partir du devancement, et c'est de cet avenir authentique que jaillissent l'tre-t et le prsent.

    Dans la mesure o le souci est tre la mort, le Dasein existe de manire finie et l'avenir authentique est lui-mme fini. L'avenir est donc li la finitude essentielle du Dasein en tant qu'il est mortel. L'argument de l'infinit du temps ne peut pas tre une objection contre la finitude de la temporalit originaire. En effet, la finitude de l'advenir soi n'a pas le sens d'une cessation du temps, mais est un trait de la temporalisation. Seule la comprhension vulgaire du temps permet de perdre de vue cette finitude. Dans la mesure o la temporalit inauthentique provient de la temporalit authentique, c'est l'infinit qui drive de la finitude essentielle et non l'inverse. Ce n'est que parce que le temps originaire est fini que le temps driv peut se temporaliser comme infini. (ET. 65)

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  • (Gerede)

    Caractrise le mode impropre du parler de l'existence dchue.

    De prime abord et le plus souvent le Dasein rgle sa compr-hension quotidienne sur un tre-exprim prtabli. l'instar de la dchance et de ses autres existentiaux (curiosit, quivoque), le bavardage n'a pas un sens pjoratif. Il est le discours du On, le on-dit. Conformment la comprhensibilit commune incluse dans le langage, le discours est compris sans qu'il soit ncessaire de s'en approprier la comprhension originaire, ne se communiquant que sur le mode de ce qui est relat et redit, organisant ainsi l'tre-l'un-avec-l'autre en lgitimant l'autorit du on-dit.

    Le discours revt ainsi un caractre d'autorit, et au on dit fait galement cho le c'est crit . Le bavardage est aussi l'autorit du texte, de la littrature . Dans tous les cas, il est la possibilit de tout comprendre sans appropriation de la chose, ne relevant pas d'une volont dlibre de tromper, mais impliquant cependant une fermeture du questionnement. Le Dasein ne peut s'y soustraire, et tout comprendre doit s'accomplir partir de lui et contre lui. En ce sens, on peut aller jusqu' dire que la mtaphysique elle-mme, en tant qu'oubli de l'tre est une guise du bavardage. (ET. 35)

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  • (Ding)

    Heidegger distingue entre la chose que la mtaphysique conoit comme un objet reprsent et la Chose comme ce qui chappe cette dtermination.

    Dans son cours Qu'est--ce ql/une chose?, Heidegger distingue trois priodes de l'histoire de la chose. La premire pose la rci-procit de la chose et de l'nonc: la chose et le logos sont le fil conducteur pour la dtermination des catgories comme traits de l'tre. La deuxime conoit l'nonc mathmatiquement et dgage les principes a priori qui se trouvent dans l'essence de la pense: la chose est objet pour un sujet, le projet mathmatique de la science de la nature dterminant d'avance, par raison pure, ce qu'elle doit tre. La troisime priode opre une critique de la raison pure: la constitution transcendantale de l'objectivit chez Kant comprend le sens de l'tre comme objectivit de l'objet. La confrence La chose entreprend de penser la Chose en dehors de cette dtermination d'objectivit. Si la chose est pense, depuis l'ontologie grecque, comme production, qu'en est-il de sa prsence? Le savoir de la science dtruit les choses en tant que telles dans le dploiement de leur tre. Or, la Chose est indissociable d'un lieu partir duquel elle ouvre un monde et qui constitue sa proximit. Celle-ci n'est ni une petite distance, ni une rduction de la distance, mais le sjour des choses. Si une cruche est un contenant form d'un fond, d'une paroi et d'une anse, se tenant en elle-mme comme vase et pro-duite par un potier, ce qui en fait une Chose est qu'elle est en tant que vase, pouvant contenir et verser un liquide ou tre vide. En la fabriquant le potier donne forme au vide: le vide est ainsi l'infigu-rable ou l'insaisissable qui, se tenant en retrait, donne forme la cruche, rendant possible le rassemblement de la Chose se tenant en elle-mme. La conception scientifique du vide n'a pas accs

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  • la cruche comme Chose en sa proximit, o le vide contient la fois en prenant et en retenant ce qui est vers. Le contenir du vide repose alors sur le dverser, qui est un offrir.

    Or, dans l'eau verse, il y a la source jaillissant de la terre et la pluie du ciel, les mortels dont la soif est apaise et la libation offerte aux dieux. La Chose rassemble ainsi le Quadriparti. Le versement de l'offrande retient la terre, le ciel, les dieux et les mortels, en les faisant paratre. La Chose est ainsi ce qui rassemble. Des mots tels que chose, Ding, thing, res dsignent ce qui concerne les hommes. Pour les Latins, ce qui fait la realitas de la res c'est le concernement. Celui-ci dsigne la rceptivit du Dasein aux choses dans le commerce avec le monde ambiant, telles qu'elles l'abordent et l'affectent selon diffrentes modalits. Sous l'influence de la philosophie, la chose devient l'ens en tant qu'il est reprsent et, dans le langage de la mtaphysique, elle dsigne ce qui est quelque chose et pas rien. Pour Kant, la chose en soi dsigne ce qui n'est pas un objet pour notre reprsentation. tre et Temps distinguait de l'tant subsistant l'tant disponible comme outil inscrit dans un rseau de renvois constituant sa tournure et sa significativit. prsent, il s'agit de distinguer la chose comme ens de la Chose telle qu'elle s'inscrit dans le jeu de renvoi des Quatre. En retenant les Quatre dans la simplicit du Quadriparti, la Chose rassemble la terre comme demeure sous le ciel, les mortels et les divins qui leur font signe. C'est en ce jeu de miroir que s'ouvre le monde. (QC.; EC.)

    Du christianisme comme religion positive et fait social et historique il convient de remonter la christianit qui le rend possible et qui rside dans l'exprience chrtienne primitive.

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  • C'est l'exprience de la vie chrtienne primitive qui a mis le jeune Heidegger sur la voie de nombre de thmes de l'analytique existentiale. Il se situe alors la croise de la tradition catholique antimoderniste et du protestantisme. Les cours, qui s'talent entre 1918 et 1921) portent sur la phnomnologie de la religion, sur les ptres de Paul, sur Augustin et les fondements philosophiques de la mystique mdivale. Alors que la scolastique aristotlicienne est affecte d'une ccit phnomnologique la spcificit du vcu religieux, la mystique et Luther ragissent contre une telle ccit en retrouvant l'ex'Prience chrtienne de la vie facticielle de Paul et Augustin.

    La religiosit chrtienne primitive se trouve donc dans l'exp-rience de la vie facticielle, centre sur la notion de monde propre, o l'exprience de la vie factice est historique et o la religiosit chrtienne vit la temporalit en tant que telle. Le phnomne de la temporalit devient par l dcisif, car la parousie se rapporte l'accomplissement de la vie, son moment ne pouvant tre saisi objectivement. Il n'y a, en effet, pour la vie chrtienne aucune certitude, mais l'incertitude est au contraire constitutive de cette vie: tel est le motif du combat d'Augustin contre le plagianisme et de Luther contre la justification par les uvres. Cette position n'a rien de dogmatique et de thorique, et le sens de la facticit est dtermin comme temporalit. Cette interprtation de l'exprience chrtienne primitive a mis Heidegger sur la voie de la reconnais-sance du souci comme existential fondamental travers la lecture d'Augustin. La tentation est interprte comme un existential, et la description augustinienne de la vie facticielle comme dispersion dans le multiple annonce dj ce qui deviendra la dchance. Si le jeune Heidegger est chrtien et si la lecture de Paul, Augustin Luther et Kierkegaard a jou un rle essentiel dans la formation de sa pense, il a cependant rompu trs tt avec la foi chrtienne. (PRL.)

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  • (Anfang)

    Dfinit l'initial non au sens d'une antriorit chronologique, d'un dbut (Beginn), mais au sens ontologico-historial.

    Le commencement doit se comprendre comme un coup d'envoi) une donation ou dispensation OUVTant une poque et faisant Histoire. C'est ainsi, par exemple, que la cration artistique est un puiser (Schopfen) instaurant une vrit qui ne renvoie pas simplement une subjectivit cratrice, mais fonde un projet qui est une dtermination du Dasein historiaI, de sorte que l'initialit de l'uvre demeure venir, devant nous, comme Dasein ayant-t-I. Dans tous les cas, le commencement dsigne moins l'annonce de quelque chose de futur que l'injonction rpondre et correspondre un appel.

    La pense de l'tre comme dploiement historiaI permet d'expri-menter la philosophie telle qu'elle est parvenue jusqu' nous comme l'histoire du premier commencement du dploiement de l'tre, qui se caractrise par le fait que celui-ci se refuse la pense au profit de l'ex'}Jrience mtaphysique de l'tantit de l'tant. La pense qui ex.'}Jrimente l'tre non plus comme tantit mais comme vrit de l'tre (Seyn) en son dploiement comme Ereignis pense en direction de l'autre commencement. Heidegger envisage ce passage dans les Contributions la philosophie selon six fugues articulant un penser ontologico-historial irrductible un systme. Nous avons ainsi: 1) l'cho (der Anldang)) qui dsigne le point o le penser trouve son issue dans l'ex'}Jrience de l'oubli de l'tre) la vrit de l'tre faisant cho comme ce qui rsonne sur le mode du refus selon le jeu de renvoi de l'Ereignis et de l'Enteignis; 2) le jeu de passe (Zuspiel)) qui dsigne notamment le dialogue entre la pense grecque d'avant Platon qui n'est pas encore mtaphysique et celle qui ne l'est plus; 3) le saut (der Sprung) dans l'tre comme Ereignis, surgissant d'une flure de l'tre impliquant la bance de la diffrence de l:tre et de l'tant et l'appartenance du Nant l'tre; 4) la fondation (die

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  • Grndung), par laquelle le penser fonde la vrit de l'tre comme Da-sein, telle qu'elle est ouverte dans le saut; 5) les avenants (die Zu-lznftigen), qui exprimentent l'injonction du saut en fondant la vrit de l'tre dans la proximit du divin (essentiellement Hlderlin et Nietzsche); 6) le dernier Dieu, qui dsigne la configuration en laquelle se joue le rapport de l'tre au divin et de l'homme au Dieu, tel qu'il se montre partir de la vrit de l'tre. (OOA.; BP.)

    (Kommunismus)

    Ce terme ne doit pas s'entendre en son acception politique courante, mais au sens ontologico-historial comme constitution mtaphysique de l'humanit en la phase ultime des Temps lVlodernes.

    Cette notion, utilise dans un texte de 39-40 intitul Koinon, carac-trise la domination de l'tant propre la puissance de machination ou de manipulation (JVIachenschaft) dans le Dispositif. L'essence du communisme est l'hgmonie de la puissance conformment au caractre inconditionn de la manipulation. Il ne s'agit donc ni d'une forme d'tat, ni d'une vision politique du monde, mais de la configuration mtaphysique de la modernit parvenue son terme. Le communisme est ainsi l'ge de l'absence de sens (Sinnlosiglit) comme structure spcifique du comprendre, o le Dasein ne parvient pas s'approprier son tre propre du fait de l'abandon ontologique de l'tant livr au calcul et la machination. Les valeurs, alors invoques comme les fins les plus hautes de l'humanit, ne sont que l'expression cache de l'abandon de l'tant par l'tre (Seinsverlassenheit). Aussi une telle poque fait-elle prolifrer le sens comme sens payant, instituant l'homme comme producteur de valeurs et salari du sens. Compris mtaphysiquement le communisme ne tient donc pas au

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  • fait que chacun ait travailler et consommer par plaisir, mais en ce que tous les comportements sont soumis l'hgmonie de la puissance, la possession de la puissance plantaire demeurant un but offert une frnsie par la satisfaction de laquelle l'hgmonie de cette puissance s'accomplit, de telle manire que sa possession ne parvienne jamais la domination de la puissance, mais soit au contraire assujettie par elle.

    Les idologies totalitaires, mais aussi les dmocraties librales, sont des consquences du communisme, qui existe l'tat latent ds le dbut des Temps modernes, notamment dans la thorie politique anglaise fondant, sur la base du christianisme, la thorie moderne de l'tat garant de la souverainet et l'conomie politique garante du bonheur. Heidegger va mme jusqu' dire que la forme christo-bourgeoise du bolchvisme anglais est la plus dangereuse . Il s'agit de renvoyer dos--dos le totalitarisme et le libralisme, en montrant qu'un certain type de dmocratie reposant sur le seul principe du libralisme conomique porte en lui la possibilit du totalitarisme. Plus fondamentalement, ce qui est en jeu est une logique de la puissance ordonne l'indistinction principielle de la guerre et de la paix selon la figure historiale de la guerre totale . Heidegger affirme que, contrairement ce que prtend Clausewitz, la guerre n'est pas la continuation de la politique par d'autres moyens, mais qu'elle devient le dploiement total de la machination en lequel l'tant devient entirement calculable et panifiable. Une telle guerre n'est donc pas la simple continuation du politique, mais sa mta-morphose foncire, car ce n'est plus la guerre qui est une modalit du politique, mais le politique une modalit de la guerre. Aussi ne saurait-il y avoir ni vainqueurs ni vaincus, car la paix n'est qu'un mode de perptuation de la guerre sous d'autres formes, la guerre dfinissant l'essence du politique comme processus d'hgmonie plantaire aboutissant une servitude gnralise. Le communisme permet donc de penser les ultimes retombes du nihilisme, com-pris par Nietzsche comme destin de la mtaphysique. S'il permet notamment d'en mesurer les consquences politiques, telle qu'elles se sont manifestes en particulier dans le nazisme et le staFnisme, il donne aussi penser d'autres possibles totalitaires s'effectuant

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  • sous le couvert de la libert et de l'universalisme. En effet, les ph-nomnes de plantarisation des enjeux politiques, conomiques et stratgiques n'ont sans doute pas fini de dployer les possibilits dvastatrices. (K.)

    (Verstehen)

    Existential qui fait que, comme tre-au-monde, le Dasein a tou-jours une comprhension de son tre et du monde. Il constitue le Dasein comme projet (Entwwj) , c'est--dire comme pouvoir-tre ou tre-possible, selon une possibilit existentiale se tenant plus haut que toute effectivit.

    Dtermin par le projet, le Dasein, dont la seule substance est l'existence, savoir le fait d'avoir tre, est ce qu'il devient. Il n'y a donc pas de nature humaine ou d'essence de l'homme, mais le comprendre de l'existence est toujours comprendre du monde impliquant une vue (Sicht), dans la mesure o en lui l'tant est dvoil comme tel. Il ne s'agit pas d'une facult de connatre ou d'un intellect, mais de la pleine ouverture de l'tre-au-monde qui fait que le Dasein est clairci, non au sens o il serait clair par un autre tant, mais au sens o il est lui-mme l'claircie. Telle est la structure ontologique originaire qui fonde ce que la tradition nomme lumen naturale.

    Le comprendre se temporalise partir de l'avenir soit de manire propre dans le devancement, soit de manire impropre dans l'at-tendre. De faon plus radicale, dans le projet ekstatique propre au comprendre c'est l'tre en tant que tel qui se rvle au Dasein, destinant l'homme dans l'ek-sistence du Dasein. Dasein est alors

    2.5

  • crit Da-sein pour montrer que le L de l'tre n'est pas seulement l'tre dploy par le Dasein, mais cette adresse de l'tre en tant que tel quoi la pense doit correspondre. (ET. 31, 68; BP.)

    (Gewissen)

    Ce terme, qui en allemand dsigne la conscience morale, est ici l'appel du souci convoquant le soi-mme du Dasein hors de sa perte dans le On vers son tre-en-dette le plus propre. Dans la conscience, le Dasein est la fois l'appelant et l'appel.

    Le problme est en effet d'assurer une connexion entre la possibi-lit ontologico-existentiale qu'est le devancement de la mort et une attestation ontico-existentielle de ce pouvoir-tre, puisque l'tre la mort n'est pas exprimentable comme tel. Si dans le devancement de la mort le Dasein atteint une transparence l'gard de son exis-tence, il n'en reste pas moins que son pouvoir-tre-tout doit tre ontiquement attest. Or, le Dasein n'tant pas la plupart du temps lui-mme mais le On, l'appel de la conscience brise l'coute prte au On. L'appel ne dit rien, il n'nonce aucune prescription mais convoque le Dasein son pouvoir-tre le plus propre. Parlant sur le mode du faire-silence la conscience rvle au Dasein son tre-en-dette. La dette (Schuld) n'est pas ici une faute morale reposant sur une culpabilit, mais renvoie la facticit de l'tre-jet. Cette notion doit tre pense non seulement en dehors de tout calcul, mais aussi indpendamment de tout rapport un devoir ou une loi, vis--vis de quoi le Dasein serait en dfaut. En tant que jet au monde de manire finie, le Dasein nat et meurt, c'est--dire vient au monde aussi longtemps qu'il existe, ne posant pas lui-mme son propre fondement, mais ne pouvant l'tre que dans la reprise de

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  • la facticit d'une ouverture qu'il n'a pas choisie, mais qui doit tre assume. La dette signifie la nullit existentiale du Dasein en tant qu'il est lui-mme son propre fondement la croise de l'tre-jet et du projet. Cette nullit n'est pas une privation, mais ce qui nous constitue comme nuls et jets. Elle fonde pour le Dasein la possi-bilit de n'tre pas proprement lui-mme dans une dchance qui n'est pas un accident de parcours, mais un existential. Anamnse de l'tre-jet l'appel de la conscience rvle le souci comme transi de nullit, et la comprhension de l'appel est le vouloir-avoir-conscience comme disponibilit l'appel dans le faire-silence de l'angoisse o devient possible la rsolution.

    Cette caractrisation de la conscience n'a aucune connotation morale, tout en permettant de comprendre la conception commune de la conscience morale comme voix renvoyant un juge ou un guide. On constate dans cette conception commune un primat de la mauvaise conscience, impliquant l'ide d'une dette conue comme endettement empirique par rapport une transcendance ou un systme de valeurs. La conscience est ainsi soit une instance thologique, soit une instance critique (Kant), soit elle renvoie des directives fondes sur un systme axiologique (M. Scheler). Heidegger exhibe une instance plus originaire que toutes ces conceptions, car l'appel, en tant que rappel d'un pouvoir-tre authentique factice, livre au Dasein sa possibilit la plus propre. Ds lors, on ne saurait cerner le phnomne existential de la dette en s'appuyant sur l'ide de mal comme privation du bien, car il s'agit l de valeurs ontiques qui ont toujours le caractre d'un tant subsistant. L'tre-en-dette originaire est au contraire condition de possibilit du bien et du mal moraux et il ne peut donc tre dtermin par la moralit, car celle-ci le prsuppose. L'appel de la conscience ne donne donc comprendre aucun pouvoir-tre idal et universel, mais ouvre chaque fois le pouvoir-tre isol d'un Dasein singulier. On peut ainsi confrer un sens existential la ngativit en la concevant partir de l'tre-jet et en donnant un nouveau fondement la responsabilit, consistant pour le Dasein librer son pouvoir-tre authentique. Tel est le pralable de tout agir moral. (ET. 54-60)

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  • (Neugier)

    Existential de la dchance dfinissant le mode impropre du com-prendre, c'est--dire une tendance spcifique de la quotidiennet au voir.

    Si l'claircie est cette ouverture partir de laquelle une vue est possible, la curiosit est une tendance d'tre particulire de la quotidiennet consistant en l'envie de voir. Cette envie dpasse largement le simple dsir de connatre, qui en drive. L'tre-au-monde s'identifiant de prime abord au monde de la proccupation, la curiosit se proccupe de voir pour voir, toujours assoiffe de nouveaut, incapable de sjourner auprs de ce qui est le plus proche et ne se souciant que de la dispersion vers des possibilits toujours nouvelles. Cette incapacit sjourner dans le monde constitue, avec la dispersion, l'agitation qui est partout et nulle part: la curiosit, dans sa frnsie de voir, demeure aveugle l'essentiel.

    La curiosit, qui n'est pas sans rappeler le divertissement pasca-lien, renvoie ce dsir de voir ou de connatre qui est, pour Aristote, l'origine de la science et de la philosophie. Toutefois, elle n'a rien voir avec l'tonnement, dont Platon et Aristote nous disent qu'il est le commencement de la philosophie, impliquant un dtachement par rapport la quotidiennet. La curiosit, en effet, ne se soucie pas d'tre frappe d'incomprhension dans la stupeur face l'tant: si elle peut dcouvrir la peur, elle reste trangre l'angoisse. Heidegger a abord trs tt cette question dans ses premiers cours consacrs Augustin et son interprtation de la concupiscence. Augustin note que le terme voir ne concerne pas le seul sens de la vue, mais tous les autres sens: c'est ainsi que l'on dit vois comme cela sent bon , vois quel got cela a , vois comme cette sonorit est belle . La curiosit concerne donc l'exprience perceptive en gnral, car tous les sens s'ordonnent la vision, lorsqu'il s'agit de connatre. Si la primaut du voir a t dgage par Augu~tin dans

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  • son interprtation de la concupiscence comme concupiscence de la vue, concevant celle-ci comme le mode minent du connatre, cette gense existentiale du savoir doit aussi se comprendre partir de l'affirmation parmnidienne de l'identit de l'tre et du penser conu comme apprhension intuitive. Toute la tradition a en effet privilgi, de Platon Husserl, le voir intuitif comme donation de la chose mme. Parmnide, le premier, lorsqu'il affirme qu' tre et penser sont le mme veut dire que l'tre se donne d'abord dans le noein comme pur accueil intuitif de la prsence. Or, par rapport cette saisie originaire la curiosit, en tant qu'existential de la dchance, est une vue drive ordonne au On et la quotidiennet.

    36)

    Si dans l'allemand philosophique ce terme dsigne l'existence et signifie littralement tre-l , il caractrise ici cet tant exemplaire qu'est l'homme pour qui il y va de son tre en tant qu'il a tre.

    L'analytique existentiale lucide les existentiaux, c'est--dire les dterminations ontologiques du Dasein qui se distinguent des catgories comme dterminations ontologiques des autres tants. Le Dasein n'est point tant l'homme que le lieu en lequel cet tant qu'est l'homme est ouvert la rvlation du sens de l'tre. Parce qu'elle n'est pas une anthropologie, l'analytique existentiale ne part pas de l'homme, mais de l'tre et de la diffrence ontologique entre l'tre ct l'tant. La question n'est plus qu'est-ce que l'homme? , mais qui est le Dasein? . Le Dasein n'est pas un sujet, au sens de la philosophie moderne de Descartes Husserl. Il n'est pas non plus une essence immuable de l'homme, car il n'y a pas, pour Heidegger, de nature humaine. Chaque Dasein singulier est une aventure se temporalisant partir de l'avenir, sans tre prdtermin par une essence ou une nature immuables: il est un Dasein historiaI se

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  • caractrisant par sa miennet, au sens o le Dasein est d'abord mon Dasein dans son extension entre naissance et mort. Il y a l un principe d'individuation qui ne procde pas d'une subjectivation et qui dtermine le Dasein en tant qu'tre-au-monde et tre-en-avant-de-soi comme tre la mort.

    Dasein est ainsi la fois une destruction, une traduction et un baptme. C'est d'abord la destruction du sujet moderne au sens de l'ego cogito. Le Dasein n'est pas une forme d'intriorit, une conscience oppose un objet ou un monde. la diffrence des monades leibniziennes qui n'ont pas besoin de fentres, car elles tiennent leur principe de leur intriorit, le Dasein n'a pas besoin de fentres, parce qu'il est toujours dj dfenestr et en dehors de lui-mme, son ipsit tant son aprit, son ouverture comme -tre-au-monde. Il n'a donc pas besoin d'un monde comme d'un vis--vis ou d'un contenant, car il est foncirement tre-au-monde. Dasein est ensuite une traduction qui, en de de la mtaphysique de la subjectivit constituant le monde comme l'immondice d'une subjectivit sans monde, reprend ce qu'Aristote a pens comme psych en disant que l'me est en quelque manire l'tant . Il ne s'agit pas l d'un vague animisme, mais de montrer comment la pr-sence des choses est toujours notre prsence aux choses, comment c'est notre prsence qui donne de la prsence aux choses. Objets inanims avez-vous donc une me? demande Lamartine, le pote de l'extrme mlancolie de la subjectivit qui implore aussi le temps de suspendre son vol , ne sachant pas, comme le saura un autre pote, F. Ponge, prendre le parti pris des choses et ignorant que le temps n'est pas une simple succession. cette demande d'animation des objets et cette imprcation contre le temps, Heidegger rpond en prenant parti pour la chose mme, renouant avec Aristote en disant que Dasein est tout ce qui existe en ce sens qu'il y va de la prsence des choses et qu'il n'y a de prsence qu'en tant que nous sjournons dans le L du Dasein. Si les objets sont inanims en tant qu'ils sont objectivs dans un sujet constituant leur objectit en recueillant la temporalit comme forme d'intriorit d'un sujet, en revanche les choses ont une me en ce sens qu'elles ne sont plus squestres dans le carcan de l'intriorit, mars entrent

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  • d'elles-mmes en prsence dans le lieu du Dasein} au lieu d'tre reprsentes comme un objet pour un sujet. l'instar de la psych et la diffrence de l'ego moderne, le Dasein ne constitue pas les choses comme objets, mais institue l'homme dans le l des choses. C'est enfin un nouveau baptme de l'homme recevant le nom de mortel, ds lors que la temporalit du Dasein est conue comme finie et que l'tre-au-monde est tre la mort. la dtermination traditionnelle de l'essence de l'homme comme animal rationale se substitue ainsi le Dasein, dont Heidegger dira dans les Contributions la philosophie qu'il est venir, requrant par l une nouvelle entente de l'tre en tant que tel partir de l'Ereignis. C'est pourquoi il crit alors Dasein Da-sein, mettant l'accent sur le l de l'tre comme rapport de l'tre l'homme, rapport o l'tre en tant que tel (Seyn) se retient et se rserve en sa donation. (ET., passim; BP.)

    (Verfal/en)

    Mode selon lequel le Dasein est quotidiennement au monde.

    Ce terme n'a aucune signification ngative ou pjorative et ne signifie pas une chute ou un dfaut, mais caractrise la manire dont le Dasein est auprs du monde dont il se proccupe de prime abord et la plus souvent. La dchance fonde la connexion ontologique de ces trois existentiaux de la quotidiennet que sont le bavardage, la curiosit et l'quivoque, o le Dasein n'est pas lui-mme de manire propre mais le On. L'tre-au-monde dchu est tentateur, en ce sens que le Dasein se pr-donne lui-mme la possibilit de succomber aux charmes de ce type d'existence. Aussi est-il en mme temps rassurant, car il apporte scurit et apaisement.

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  • Si ce terme peut prter quivoque, du fait de sa connotation thologique, il caractrise en fait l'existence impropre soumise l'emprise du On, son trait essentiel tant la mobilit par laquelle le Dasein tourne le dos son pouvoir-tre propre pour s'immerger dans le monde de la proccupation quotidienne. Il en rsulte la frnsie de l'affairement o, prcipit dans le tourbillon de la quotidiennet, le pouvoir-tre du Dasein est alin. Or, le Dasein ne peut dchoir que parce qu'il y va de son tre-au-monde, de sorte que la dchance soit une preuve de l'existentialit et que l'existence propre ne soit pas au-dessus de la quotidiennet, mais en soit au contraire une modification.

    (ET. 38)

    (Entscheid u ng)

    Dans la mesure o la rsolution est toujours celle d'un Dasein fac-tice, elle n'existe que comme dcision. Celle-ci est donc l'ouverture propre la rsolution.

    Seule la dcision permet de savoir quoi le Dasein doit se dcider, car la rsolution ne consiste pas actualiser des possibles prd-termins comme si l'existence effective tait un complment de la possibilit. Seule la dcision projette et dtermine ce qui chaque fois est une possibilit factice d'existence, un projet d'tre. La rso-lution ne peut donc tre sre d'elle-mme que comme dcision.

    Si la rsolution appartient foncirement l'indtermination existentielle, elle ne peut tre dtermine chaque fois que dans la dcision. Si le Dasein est le plus souvent perdu dans l'irrsolution propre au On et si la rsolution consiste se laisser convoquer hors

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  • de la perte dans le On, la dcision ne peut se jouer qu' mme le On. L'articulation de la rsolution et de la dcision recoupe donc celle de l'existential et de l'existentiel. (ET. 60)

    (Abfall, Untergang)

    La notion de dclin s'oppose aussi bien l'ide de progrs que de dcadence, pour penser l'histoire de l'tre partir de l'oubli de l'tre comme constitutif de la mtaphysique.

    Loin de toute acception pjorative, le dclin signifie que, dans la mtaphysique, la question du sens de l'tre, n'apparat plus que comme celle de ce qu'il y a de premier et de suprme dans l'tant. Compris partir du commencement grec de la philosophie, il n'est pas une chute par rapport un tant originaire perdu. Cette notion prsuppose deux existentiaux lucids dans tre et Temps: la dchance et la dette. La premire comme mobilit propre au Dasein inauthentique, se comprenant de prime abord partir de son monde et de son immersion dans le On, renvoie aussi au sujet mtaphysique. La seconde caractrise la finitude du Dasein renvoy son pouvoir-tre comme projet jet. Loin de signifier un tat de pch ou de dcadence, ces deux notions indiquent une sparation, une dsappropriation, qui se traduit dans l'histoire de la pense comme un dclin.

    Il ne s'agit point tant alors de progresser que de remonter vers la pense grecque comme ce qui porte notre destin, dcline notre identit. Dclin doit s'entendre comme dcliner un nom que l'on laisse tomber sous un cas. L'tre, compris comme tantit de l'tant, s'est dclin dans l'histoire de la mtaphysique en diverses mani-res, se disant successivement comme eidos, energia, cogito, Esprit,

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  • Volont de puissance. Le dclin est ainsi la dicte de l'tre de l'tant selon les transformations d'un mme texte. Ce dclin ne peut tre peru que du point de vue de la pense ontologico-historiale, telle qu'elle prpare l'autre commencement de la pense. (ET. 38; lM.; PA., HG.)

    (berwindung-Verwindung)

    Le dpassement de la mtaphysique ne signifie pas que celle-ci est dpasse, mais que s'achve cette poque qui est le premier commen-cement de la pense, en quoi consiste la mtaphysique.

    Il est le prolongement de la destruction. Il ne s'agit donc pas de surmonter ou d'abandonner la mtaphysique, au sens o l'on pourrait la quitter comme on quitte une pice, mais d'aller au-del d'elle en s'appropriant son essence et en retrouvant son site d'origine dans la pense ontologico-historiale. Dire de la mtaphysique qu'elle est passe ne signifie pas simplement qu'elle a disparu, mais qu'elle est entre dans l'tre-t. C'est ainsi qu'elle est parvenue la domination absolue, en s'accomplissant dans le dploiement plantaire de la technique qui est son devenir monde. Elle doit donc tre comprise comme la fatalit ncessaire de l'Occident et la condition de sa domination plantaire, c'est--dire aussi, d'une certaine faon, de sa puissance et de sa russite.

    Le dpassement doit donc se penser par rapport l'Histoire de l'tre. En ce sens dpasser la mtaphysique c'est la remettre sa place et sa propre vrit. Par l, elle n'est pas tant surmonte que remmore en sa vrit. Heidegger reconnat lui-mme que ce terme de dpassement n'est pas satisfaisant, peut-tre parce qu'il reste encore trop nietzschen et donc, en dernire instance, m.taphysi-que. Aussi prfre-t-il au terme heruJindung le terme Ven17ind'ung,

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  • rmission. Le verbe allemand verwinden signifie se remettre d'un chagrin ou d'une maladie. Il s'agit de se remettre de la mtaphysique dsormais comprise partir de l'oubli de l'tre. Cette rmission n'est donc pas une simple prise de cong, mais davantage une appropria-tion qui rend possible la pense de l'Ereignis et le saut dans l'autre commencement. L'tre est alors compris comme fond abyssal, Ahgrund, qui est la fois non-fond (Ungrund) et fond originaire (Urgrund). Cette triplicit exprime le sens de la finitude de l'tre. En effet, la pense de la finitude demeure insuffisante tant qu'elle continue prsupposer une infinitude. Si la finitude essentielle du Dasein est sa mortalit, cette finitude doit tre comprise partir de l'tre pens comme ce qui n'a pas de fond. Ni le Dasein ni l'tre ne sont des fondements et leur finitude n'est que l'autre nom de leur abyssalit. Le dpassement de la mtaphysique ne signifie donc pas aller au-del de la mtaphysique pour la remplacer par autre chose. Il s'agit de remonter au fondement de la mtaphysique, en un pas en arrire qui rtrocde hors d'elle, selon une dmarche solidaire de la destruction phnomnologique de l'histoire de la tradition et de la rptition du problme de l'tre. (EC.; BP.)

    (Schicksa~

    Le destin est le provenir originaire du Dasein, inclus dans la rsolution authentique, o celui-ci se remet lui-mme en une possibilit la fois hrite et choisie.

    En revenant soi dans la rsolution, le Dasein ouvre des possi-bilits dont il hrite et qu'il a assumer dans son tre-jet factice. Loin d'tre une prdestination, le destin constitue le Dasein comme le destinataire de son tre-t. En tant qu'il est historiaI, le Dasein

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  • est destinaI: il a un destin, non au sens o il subit un concours de circonstances, mais o il revient librement vers le pass dont il est l'hritier. C'est ainsi que nous sommes les destinataires d'une tra-dition dont nous hritons, mme si, selon le mot du pote R. Char, notre hritage n'est prcd par nul testament. Cet hritage ne doit pas s'entendre en effet comme un simple patrimoine, mais comme cet tre-t que nous sommes et qu'il nous appartient de rpter en librant ses possibles impenss.

    Dans la mesure o l'tre-atHTIonde est un tre commun, le destin est aussi un co-destin, un destin commun comme provenir historiaI d'une communaut. De mme que l'tre en commun n'est pas une juxtaposition de sujets, mais un tre-au-monde dans un monde commun, le co-destin n'est pas une somme de destins individuels, mais l'historialit authentique d'un monde commun. Le destin est la saisie devanante du l de l'instant, requise par la rsolution, impliquant le co-destin comme tre-avec autrui. Le co-destin est ainsi ouvert dans la rptition de l'hritage transmis. Seule en effet la rptition comme reprise de l'tre-t rend possible une histoire pour le Dasein. Si dans tre et Temps, le destin est essentiellement rfr au Dasein, par la suite il sera compris comme destin de l'tre en relation l'histoire de l'tre comme dispensation historiale de l'tre qui, chaque poque, se dispense en se retirant. (ET. 74)

    (Destru ktion)

    La destruction est une dconstruction critique des concepts hrits de la tradition, permettant de remonter aux sources o ils ont t puiss.

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  • Loin d'avoir un sens ngatif, elle est la comprhension authenti-que de l'histoire de la philosophie partir de la question du sens de l'tre et de sa temporal-it. Elle est ainsi une rptition des possibles hrits et elle est implique par l'hermneutique de la facticit qui comprend le Dasein comme historiaI. En tant que destinataire de son tre-t comme tradition partir de son avenir, le Dasein se comprend en sa libert finie pour assumer la facticit de son hri-tage. Il ne s'agit donc pas de revenir au pass ou de la restituer, ni d'envisager de progresser par rapport ce pass, mais de le librer pour une reprise d'une possibilit d'existence ayant t l et qui est susceptible d'un avenir.

    Si donc la destruction est un dbat avec l'histoire, il ne s'agit pas d'une simple histoire des ides, car elle consiste interprter l'ontologie traditionnelle, telle qu'elle trouve son origine dans la philosophie grecque, partir de l'historialit du Dasein et de la problmatique de l'tre temporal. Elle permet ainsi de remonter de la question de l'tre de l'tant, qui est la question directrice de la mtaphysique, la question de l'tre en tant que tel, comme question fondamentale que la mtaphysique ne pose jamais. Tous les grands cours de Heidegger sur l'histoire de la philosophie, des Prsocratiques Nietzsche, doivent tre lus comme la mise en uvre de ce travail de destruction. Cette destruction est qualifie de phnomnologique, en ce sens qu'elle fait voir l'tre comme le phnomne de la phnomnologie qui, de prime abord, n'apparat pas. Elle revt l'aspect d'une dconstruction, dans la mesure o pour remonter du driv vers l'originaire, elle doit dmonter les pseudo-vidences transmises par la tradition, qui ont recouvert le sens originaire des concepts fondamentaux, en prenant comme fil conducteur la question du sens de l'tre. (ET. 6; PE)

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  • (5chuld)

    La conscience comme appel du souci convoque sur le mode du faire-silence le DClsein son pouvoir-tre propre comme tant en dette, c'est--dire renvoy sa facticit de projet jet propre un tant qui a tre. C'est donc l'appel du souci qui donne lieu l'tre-en-dette.

    Le terme allemand Schuld est le substantif du verbe sallen, signi-fiant devoir. Au sens courant, la dette est ce que l'on doit quelqu'un, et tre en dette signifie tre responsable de quelque chose. Or, ces phnomnes ne sont possibles que parce qu'il y a dans le DClsein le fondement d'un manque. C'est en ce sens qu'tre en dette au sens d'un manquement une exigence thique est un mode driv de l'tre-en-dette essentiel du DClsein.

    Le phnomne de la dette n'est donc pas d'abord li un dbit ou une infraction au droit, ni li une proccupation calculatrice. La dette n'est ni un simple dfaut ni un manque, mais renvoie la nullit existentiale du DClsein. L'tre-en-dette ne rsulte donc pas d'un endettement ontique, mais celui-ci n'est possible que sur le fondement d'un tre-en-dette constituant le DClsein sur le fond d'une ngativit propre son existence. (ET. 58)

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  • (Vorla ufen)

    Le devancement est l'avenir authentique, oppos au s'attendre comme avenir inauthentique.

    Le devancement renvoie au souci comme tre-en-avant-de-soi du Dasein tel qu'il se temporalise vers l'avenir. Il se manifeste essen-tiellement comme la possibilit du comprendre du pouvoir-tre extrme le plus propre du Dasein comme tre la mort. Si, en effet, la mort est pour le Dasein la possibilit ultime de sa propre impossi-bilit, elle ne lui donne rien raliser et n'est pas susceptible d'une attestation existentielle. En tant qu'elle est cependant sa possibilit la plus propre, elle l'interpelle comme singulier. Le devancement est ainsi la comprhension de cette absoluit d'une mort, qui est insubstituable et qui isole de Dasein en sa singularit. Je ne puis donc tre le Dasein que je suis moi-mme que dans cette marche d'avance qu'est le devancement vers la mort. La mort tant une possibilit la fois absolue et indtermine en sa certitude mme, le devancement vers une mort dont je suis certain sans savoir quand elle va arriver ouvre le comprendre selon la tonalit de l'angoisse en transportant le Dasein en son tre-jet. Celui-ci se trouve ainsi devant le rien de la possible impossibilit de son existence. Par l, le devancement lui dvoile sa perte dans le On, en le transportant dans sa libert angoisse pour la mort.

    Toutefois, le devancement de la mort ne nous livre qu'une attes-tation ontologique et existentiale et non une attestation on tique et existentielle. Il reste donc savoir ce qu'il en est d'un pouvoir-tre authentique effectif. Or, le souci est cooriginairement constitu par la mort et la dette, et la rsolution consiste se projeter vers l'tre-en-dette dans le vouloir avoir conscience comme appel du souci, dvoilant la perte dans le On. Ds lors, seule la connexion du devancement et de la rsolution permet de fournir une attestation existentielle de l'existence authentique. La vritable pense de la

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  • mort est ainsi le vouloir avoir conscience se rendant existentiellement transparent dans la rsolution devanante. Celle-ci libre la possi-bilit de s'emparer de l'existence partir de la mort et de la dette, rendant le Dasein phnomnalement visible dans son authenticit et sa totalit possibles. (ET. 53, 62)

    Si la diffrence ontique rsulte de la distinction entre deux tants, elle suppose la diffrence ontologique comme distinction de l'tant et de l'tre.

    Si la diffrence ontologique rgit l'ensemble de la mtaphysique et constitue son essence comme passage au-del de l'tant vers l'tre, elle ramne toutefois cette diffrence la distinction entre essence et existence recoupant la distinction entre la vrit et l'apparence. En tant qu'tre de l'tant, l'tre est le transcendant qui dvoile l'tant en tant que tel, tout en se retirant en ce dvoilement mme. Pour la mtaphysique, cette diffrence devient le passage de l'tant prsent la prsence constante de son tantit, manifestant ainsi la secrte structure temporelle des concepts de l'ontologie traditionnelle. Or si, en un sens restreint, la diffrence ontologique est la diffrence entre l'tant et son tantit, en un sens plus radical il convient de penser une diffrence entre, d'une part, l'tant et son tantit et, d'autre part, l'tre en tant que tel.

    La diffrence implique ainsi un diffrend entre l'tant et l'tre, exigeant de penser ce dernier comme fond abyssal. Or, ce diffrend et cet abme se trouvent aussi dans la parole qui les nomme comme la Dif-frence, qui tient ouvert le milieu dans lequel adviennent monde et choses. Dans sa confrence de 1950, La parole, Heidegger parle de la Dif-frence comme la dimension qui amne lhonde et

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  • choses ce qui leur est propre. C'est dans le parler de la parole, recueil o sonne le silence de la Dif-frence, que parvient en son propre le parler mortel et son bruitement . Les mortels parlent en coutant l'injonction du silence de la Dif-frence laquelle ils rpondent. (PP'; ID.; AP.)

    (Zuhandenheit)

    Dfinit le mode d'tre de l'outil comme ce qui est utilisable, comme ce qui est littralement port de main et caractrise l'outil comme utile et manipulable.

    La disponibilit est une dtermination ontologico-catgoriale de l'tant avec lequel le Dasein a affaire dans le monde ambiant, qui n'est pas un monde d'objets offerts une considration thorique, mais un monde d'outils disponibles pour la proccupation comme modalit du souci et pris en vue dans la circonspection (Urnsicht). Contre Husserl, qui affirme que c'est la perception qui nous livre la prsence en chair et en os , Heidegger montre qu'il est un mode de donation plus originaire, qui est celui des outils dans l'usage et le maniement. la manipulation des tants disponibles correspond un mode de temporalisation spcifique. Toute manipulation d'outils a en effet le caractre du s'attendre- (Gewartigen), impliquant un oubli de soi, dans la mesure o le Dasein quotidien utilise l'tant disponible sans en faire l'objet d'une rflexion thmatique. La manipulation de l'outil dvoile ainsi des structures temporelles spcifiques: lorsque l'outil ne fonctionne plus ou manque, lorsque le rseau des renvois ustensiliers est perturb, un horizon de prsence se dploie soit sur le mode de l'insistance, soit sur celui de l'absence ou du dfaut, une telle exprience tmoignant d'une rsistance de la ralit.

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  • Le point de dpart de l'analytique existentiale n'est pas la consi-dration thorique d'un sujet coup du monde et considrant des objets lui faisant face, mais le monde de la quotidiennet mdiocre. La proccupation dfinit la structure existentiale commune tous les comportements dans ce monde prochain du Dasein qui est le monde ambiant dans lequel il est d'abord immerg, de sorte que l'attitude cognitive ne soit pas la premire relation au monde. La connaissance n'est jamais qu'un mode driv de l'tre-au-monde, requrant une dficience de la proccupation qui permet un virage, propre l'attitude thorico-cognitive, de la disponibilit la subsis-tance, de la circonspection de l'tant disponible (zuhanden) une considration de l'tant comme subsistant (vorhanden). (ET. 13-15,69)

    (Geste/~

    Ce terme, qui dans l'allemand ordinaire signifie trteau ou chs-sis, est utilis par Heidegger pour caractriser l'essence de la technique moderne. Il a pu galement tre rendu en franais par arraisonnement .

    La technique moderne est un mode de dvoilement, consistant en une provocation par laquelle la nature est mise en demeure de livrer une nergie pouvant tre accumule comme un stock disponible. La technique manifeste ainsi la domination de la mtaphysique moderne de la subjectivit, telle qu'elle s'accomplit dans la doctrine nietzschenne d'une volont de puissance qui ne veut que son propre ternel retour en s'affirmant comme volont de volont, en un processus dfini comme machination en lequel la totalit de l'tant est mise en scurit et devient calculable.

    {

    ce processus appartient d'abord la planification plantaire comme

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  • organisation de tous les secteurs de l'tant. Lui appartient ensuite l'usure comme pure exigence de produire et de consommer, faisant de l'homme la premire des matires premires. Lui appartient enfin l'uniformit rsultant de l'abolition des hirarchies mtaphysiques et de l'galisation de l'animalit et de l'humanit. L'ordre politique correspondant ce dispositif peut tre le totalitarisme, qu'il s'agisse de sa forme nationaliste (fascisme), socialiste (communisme) ou librale (amricanisme).

    Toutefois, contrairement une ide reue, Heidegger ne rejette pas la technique de manire ractionnaire, ne la considrant pas comme dangereuse ou malfique en elle-mme. Il n'assimile pas davantage la technique au totalitarisme, qui n'en est qu'une consquence perverse lorsque l'essence de la technique n'est pas pense. Le danger de l'poque de la technique en son hgmonie plantaire tient au mystre de son essence non pense, empchant l'homme de revenir un dvoilement plus originel et d'entendre l'appel d'une vrit beaucoup plus initiale. Si l'ge de la technique apparat comme la figure acheve de l'oubli de l'tre, o la dtresse propre la pense se manifeste comme absence de dtresse dans la scurisation et objectivation inconditionnes de l'tant, il est aussi cet extrme pril partir duquel est pensable le salut comme possi-bilit d'un autre commencement une fois la mtaphysique acheve. Le Dispositif procde en effet d'une mise en demeure de l'homme par l'tre, lui rvlant qu'il n'est pas le matre de la technique et le renvoyant par l sa finitude essentielle et une pense de l'tre en tant que tel. C'est en ce point qu'il est possible se reprendre le sens initial de la techn comme dvoilement produisant le vTai dans l'clat de son paratre, savoir le beau. Par l il apparat que l'essence de la technique n'a rien de technique et que, l're de son dploiement plantaire, il serait possible d'apprhender l'art comme un domaine parent. La question de l'essence de la technique permet ainsi de reprendre celle de l'uvre d'art, en se demandant comment une nouvelle forme d'art peut alors devenir possible l'intrieur du Dispositif. (EC.; ECM.; TE.)

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  • (Beft nd 1 ich keit)

    Existential permettant de dterminer la tonalit (Stimmung) du Dasein, le fait qu'il soit dispos d'une certaine faon selon son ouver-ture au monde. Elle est insparable du comprendre, dans la mesure o celui-ci est toujours dtermin par une tonalit, et o mme le regard thorique le plus pur n'est pas exempt de tonalit.

    Irrductible un tat psychologique, la disposition ouvre le Dasein en son tre-jet, dterminant la manire dont de l'tant peut tre rencontr, selon une rceptivit autrui et aux choses dans le commerce avec le monde ambiant, nomme concernement (Betroffenheit). Le Dasein tant toujours dispos selon une tonalit affective, le commerce avec le monde ambiant ne relve ni de la simple perception, ni de l'observation, mais comporte une dimension pathique : autrui et les choses m'abordent selon diverses modalits allant de l'attraction la rpulsion. N'tant pas simplement ressenties ou vues, les choses me concernent, faisant encontre en m'affectant de faon plus ou moins forte.

    Il s'agit de repenser la conception traditionnelle de l'affectivit, des passions, telle qu'elle a t initie par Aristote en Rhtorique II comme hermneutique de la quotidiennet de l'tre-l'un-avec-l'autre, au lieu de se contenter de la psychologiser la faon de la postrit aristotlicienne aussi bien chrtienne que moderne. Mode d'tre selon lequel le Dasein se livre au monde et se laisse aborder par lui, la disposition se temporalise partir de l'tre-t. Les tonalits affectives tant irrductibles des flux de vcus, il convient de dga-ger la condition de possibilit de leur intentionnalit en montrant que toutes ces tonalits ont le caractre du se reporter vers ... . Paradoxalement, la peur ne consiste pas dans l'attente d'un mal venir, car elle n'est pas tant peur de quelque chose ou de quelqu'un que peur pour soi, un tel retour soi impliquant un oublizde soi se

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  • traduisant par un garement qui fait d'elle un oubli-attentif-prsen-tifiant. Les tonalits affectives se temporalisent toutes partir de l'oubli comme pass inauthentique, y compris l'espoir qui est un esprer pour soi. Seule l'angoisse s'angoisse pour le Dasein en tant que jet dans l'tranget, se temporalisant partir de la rptition comme tre-t authentique, naissant de l'avenir de la rsolution, alors que la peur nat du prsent perdu. Si la peur vient d'un tant rencontr dans le monde ambiant de la proccupation, l'angoisse vient de l'tre-au-monde comme tre la mort et ramne le Dasein son tre-jet propre comme pouvant tre rpt. Aussi ne peut-elle tre prouve que par celui qui n'a plus peur, son autre nom tant la srnit (Gelassenheit). (ET. 29 cl 30. 68)

    (Sage)

    Ce terme est utilis par le dernier Heidegger pour caractriser l'essence de la parole comprise comme dploiement.

    La Dite doit s'entendre comme monstration, constituant la parole comme monstre qui cherche, partir des contres de la venue en prsence, faire apparatre et dfaire l'clat de ce qui entre en prsence. Elle libre donc ce qui entre en prsence en sa prsence propre et dlivre ce qui s'absente l'absence qui lui convient. Elle dploie ainsi la parole dans la coappartenance du parler et du faire silence. C'est partir de l qu'couter la parole revient laisser dire sa Dite, toute coute vritable tant un se laisser dire et, en ce sens, parler c'est rpter la Dite entendue. Toutefois, celle-ci n'est pas une voix transcendante, mais se dploie mme la parole humaine: elle n'est donc pas une rvlation ou la parole de Dieu, car ce sont

    4.5

  • les hommes eux-mmes qui sont capables ou non de nommer les dieux, comme nous l'apprend Hlderlin. En tant qu'elle montre, la Dite est ce qui ajointe le jeu de l'claircie.

    Ce qu'elle montre est l'vnement appropriant, l'Ereignis, comme donation du il y a . C'est cet appropriement qui indique aux mor-tels la loi ou le statut du sjour de leur tre, non pas au sens d'une norme ou d'un dcret, mais d'une remise qui s'adresse eux et qui institue la langue comme demeure de l'tre et l'homme l'coute de la Dite dans le dploiement de la parole comme le berger de l'tre . Il s'agit ainsi de renvoyer dos--dos les termes de l'opposition entre langue naturelle et langue formelle. Il ne suffit pas en effet d'opposer l'information le parler quotidien conu comme naturel, ou de dire que celui-ci n'est qu'un rsidu de l'information formali-sable. En fait, il n'existe pas de parole naturelle, car toute parole est historiale et destinale, et c'est ainsi qu'un peuple se dfinit d'abord par sa langue. Il n'y a donc pas de parole en soi, qu'il s'agisse de l'information ou d'une langue naturelle, car toutes deux sont histo-riques. Heidegger cite Novalis qui affirme que ce que la parole a de propre, savoir qu'elle ne se soucie que d'elle-mme, personne ne le sait . Le propre de la parole ne rside pas dans la particularit d'une langue, mais l'homme n'est capable de parler que pour autant qu'il prte coute la Dite destinale laquelle il appartient. En ce sens, la parole parle solitairement et, si dans cette solitude, rgne un dfaut de communaut, c'est nanmoins ce dfaut qui lie la communaut. Le dploiement de la parole n'advient que si l'homme est remis en propre lui partir de la Dite. Celle-ci ne se laisse pas saisir dans un nonc, mais ne se manifeste que dans le silence qui fonde toute parole et dans la solitude qui fonde toute communaut, de mme que l'tre ne se dispense qu'en son demeurer manquant et que toute remmoration n'advient que sur fond d'oubli.

    (AP.)

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  • (GattI iche)

    Heidegger parle indiffremment des dieux, du dieu et du divin, pour dsigner ce qui peut advenir dans l'espace du sacr (Heilige) et qui ne se laisse plus penser ni selon la configuration de l'onto-thologie, ni partir d'une religion ou d'une rvlation.

    Seul l'homme en tant que Dasein existe. Si le dieu est, il n'existe pas, si ce n'est au sens de l'existentia onto-thologique, telle qu'elle est dductible de l'essentia et culmine dans la dtermination mta-physique de Dieu comme causa sui. La ddivinisation (Entgotterung) est alors un des traits caractristiques des Temps lVlodernes, n'tant que l'envers invitable d'une divinisation o le Dieu judo-chrtien est interprt comme cause et fondement du reprsenter eX'}Jlica-tif. La ddivinisation qui rsulte de la divinisation de la causalit s'accorde avec la mutation propre aux Temps Modernes comme exploitation planifie de l'tant. Aussi le christianisme, malgr une apparente rsistance, devient-il de plus en plus conforme un tel projet. La reprsentation ontique de Dieu et le calcul explicatif avec lui comme crateur a son fondement dans l'interprtation de l'tantit de l'tant comme prsence produite et productible. Si dans l'histoire du premier commencement (platonico-chrtien, moderne) Dieu est, en tant qu'inconditionn et infini, l'tantit et la cause de l'tant, dans la prhistoire de l'autre commencement l'tre est l'vnement du fond abyssal en lequel s'ouvre un espace pour le divin. Aussi le dpassement de tout besoin de religion comme rechute dans une forme de divinisation de l'tant offre-t-elle aux dieux le plus magnifique des dons, savoir la possibilit d'une fondation de leur divinit en laquelle ils peuvent retourner de manire initiale en leur essence. La pense du divin est ainsi mancipe de toute forme de thologie.

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  • En ce sens, le divin n'est ni un tant, ni l'tre, et la question n'est point tant de savoir si le Dieu est capable d'tre que de savoir si l'tre est capable du Dieu. S'il est trop tard pour les dieux et trop tt pour l'tre, il ne s'agit pas de revenir au pass, un quelconque paganisme, mais de retrouver l'essence de la vrit de l'tre qui ne fut jamais possde ni fonde et dont le dploiement se trouve dans le dernier Dieu . Celui-ci, loin de s'entendre en une acception calculante comme un terme espr et de s'attendre comme satisfac-tion d'un besoin religieux, dsigne la place vide de l'indtermination de la divinit du divin partir de l'absence de tonalit et de dtresse de l'homme du Gestell. Devant se comprendre partir de la finitude de l'tre, il n'est ni un individu ni un tant, mais la place partir de laquelle il est possible de prendre cong de l' onto-thologie, de l'humanisme et de l'anthropomorphisme croyant tantt que Dieu cre l'homme, tantt que l'homme cre Dieu. Il tient sa singularit du fait qu'il se tient l'cart de toute dtermination calclante s'exprimant en des termes tels que mono-thisme, poly-thisme, pan-thisme, termes qui rsultent de l'apologtique judo-chrtienne qui a pour prsuppos spculatif la mtaphysique. (AH.; BP.; B.)

    (Anklang)

    L'cho est l'cho de l'tre comme ce qui se refuse dans l'abandon de l'tant par l'tre.

    La pense ontologico-historiale prend son dpart dans l'exprience de l'abandon de l'tant par l'tre et de l'oubli de l'tre en l'homme. Cet abandon ontologique signifie l'abandon de l'tant par le retrait de la vrit de l'tre dans la scurisation de l'tant, l'ultime dtresse tant alors l'absence de dtresse. L'abandon devient ainsii le mode

    48

  • historiaI de dvoilement de l'tre. Or, lorsque la pense dvoile cet abandon ontologique, le dploiement de la vrit de l'tre fait cho sur le mode du refus. Ce qui se refuse ainsi est le dploiement de la vrit de l'tre comme Ereignis. L'cho est donc ce domaine o l'Ereignis rsonne sur le mode de l'Enteignis, du dpropriement qui, en tant que tel, renvoie la possibilit de l'Ereignis.

    L'abandon ontologique est cette poque singulire dans l'histoire de la vrit de l'tre, o cette vrit hsite se livrer clairement dans son essence et qui correspond l'hgmonie de la machination. Celle-ci est un mode de dploiement de l'tre, conformment auquel l'tantit de l'tant est dtermine et projete dans l'horizon du faire, du fabriquer, du reprsenter. Cette conception prend sa source dans la pense antique, o le comportement producteur est le fil conduc-teur de la comprhension de l'tre. C'est donc dans l'exprience de l'abandon de l'tant par l'tre que fait cho le dploiement de la vrit de l'tre comme refus qui, en tant que dpropriement, renvoie un autre commencement comme dploiement de l'Ereignis. partir de l, une interprtation ontologico-historiale de la pense, depuis son commencement grec jusqu' nos jours, est possible ainsi que le jeu de passe entre ce premier commencement et un autre. (BP.)

    (Lichtung)

    L'claircie dsigne d'abord l'ouverture de l'tre-au-monde. Ce terme est repris par la suite pour penser l'tre en tant que tel comme clairire.

    Si le Dasein est son ouverture, apportant avec lui son L, il est existentialement clairci comme tre-au-monde partir de la tem-poralit ekstatique constitutive du souci. Tel est le sens ontologique

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  • de ce que la tradition a appel lumire naturelle . Heidegger reprend ce terme pour penser la dispensation de l'tre partir de physis, althia et logos. En s'clairant comme mergence et dvoi-lement, l'tre se retire en occultant la source de tout dvoilement. C'est ainsi que l'occultation appartient l'althia comme l'ombre appartient la lumire.

    Lichtung provient du verbe lichten qui signifie d'abord claircir une fort, laguer un arbre, et ne dsigne point tant la lumire que la contre libre pour le jeu du clair et de l'obscur. C'est ainsi qu'une clairire est un espace dgag pouvant recevoir et renvoyer la lumire. La Lichtung est donc ce qui rend possible toute visibilit et le Dasein est le gardien de cette clairire o l'tre s'claircit en se retirant. C'est ainsi que le dernier Heidegger dplace la question de l'tre et du temps vers celle de la clairire et de la prsence. Il n'y a en effet de prsence que dans la clairire de l'Ouvert. Or, si l'althia a bien nomm cette clairire, elle ne l'a pas pense comme telle, dans la mesure o, en tant que non-retrait de la prsence, elle impliquait l'exactitude de la reprsentation et la justesse de l'nonciation.

    (ET. 28; EC.; PP.)

    (Langweile)

    L'ennui est la tonalit qui rvle l'tant dans son tout et avec lui le monde. Il se distingue de l'angoisse, qui manifeste l'tre comme ce qui n'est rien d'tant et rvle du mme coup le nant.

    Heidegger distingue, dans son cours Les concepts fondamentaux de la tntaphysique, trois sortes d'ennuis: le fait d'tre ennuy par quelque chose, le fait de s'ennuyer quelque chose, l'ennui profond. Dans le premier cas, nous sommes trans en longueur

    50

  • par le temps, qui tarde passer, et laisss vides par les choses, qui se refusent, comme lorsque nous attendons le train en regardant sans cesse la montre pour passer le temps. Dans le deuxime cas, le temps nous abandonne nous-mmes selon un verrouillage du pass, une ligature de l'avenir et une dilatation du prsent, l'arrt du maintenant constituant l'lment ennuyeux et ce qui ennuie provenant du Dasein lui-mme. Dans les deux cas, nous avons recours un passe-temps pour chasser l'ennui. Dans le premier cas, le passe-temps est une agitation qui apporte l'impatience en essayant de tuer le temps, comme lorsqu'on fait des alles et venus en regardant la montre dans l'attente du train. Dans le second cas, le passe-temps reste inapparent et n'est plus une simple esquive, car l'ennui a envahi une situation, comme lorsque dans une soire nous fumons en parlant de banalits. Enfin, dans l'ennui profond, il n'y a plus de passe-temps possible, car le Dasein est livr l'tant qui se refuse en entier et il est envot par l'horizon du temps.

    Si l'ennui est la faon dont le temps devient long, cela implique une clipse de l'instant, celui-ci s'imposant comme ce qui est refus dans l'envotement du temps. C'est ainsi qu'avec l'ennui profond le laps de temps devient long dans une amplification du temps qui fait disparatre l'instant comme possibilit de l'existence vritable. L'ennui profond est la tonalit fondamentale du Dasein contem-porain, tel qu'il est, dans son isolement, renvoy son ipsit. Or, l'poque contemporaine est en mme temps celle des sciences de la vie et de l'homme, qui ne peuvent donner lieu qu' des manires de rprimer l'ennui profond, renvoyant l'humanit de l'homme une psychologie des profondeurs et une thorie du comportement, faisant, avec les thories de l'volution, de l'animalit l'archive de l'humanit, selon un geste mtaphysique empchant de librer le Dasein dans la dcision de l'instant. L'existence devient ainsi un fardeau, au point que l'on s'ennuie mourir de ne pouvoir mourir, lorsque la finitude n'en finit pas et que l'individuation ne peut que se raccrocher au laisser-vivre. Si donc l'ennui profond consiste souffrir du temps, il est aussi comme mobilit de la vie nostalgie par rapport au monde, dans une solitude o la finitude est prouve comme ngativit et o le Dasein n'est plus renvoy qu' la facticit de son

    .51

  • vivre. S'il est la tonalit de l'poque de la technique plantaire, c'est parce que cette poque n'est plus capable de mnager un sjour, un thos, c'est--dire d'amnager cette forme suprme de la mobilit de l'exister qu'est l'habitation de la terre par les mortels. (CFM.; QM.)

    (Zweideutigkeit)

    Dsigne la situation de l'existence dchue, o tout semble tre compris sans l'tre. Il est alors impossible de dcider ce qui est ouvert une comprhension authentique et ce qui ne l'est pas.

    L'quivoque concerne non seulement le monde, mais aussi l'tre-l'un-avec-l'autre et le Dasein lui-mme. Est foncirement quivoque le comprendre comme pouvoir-tre. Le Dasein est toujours quivoquement l o rgnent bavardage et curiosit, l'quivoque alimentant celle-ci et donnant celui-l l'illusion de dcider. Tout semble alors vritablement compris et aller de soi, chacun pressentant ce que les autres ont pressenti. L'quivoque prdonne ainsi les possibilits du Dasein, en les touffant dans l'uf.

    Ce mode d'ouverture rgit les relations humaines, dans la mesure o l'autre n'est l qu' partir de ce qu'il dit et que l'on sait de lui. L'tre-l'un-avec-l'autre sous l'emprise du On est ainsi un espionnage rciproque, sans qu'il y ait la moindre intention de dissimulation. L'quivoque n'est rien d'autre que l'illusion immanente l'horizon du On. Elle fait passer la publicit du bavardage et de la curiosit pour l'essentiel qu'elle marque ensuite du sceau de l'anodin. Elle est le mode de prsence du Dasein impropre dans son ouverture publique. Dterminant l'tre en commun quotidien, elle autorise un secret espionnage gnralis, o chacun observe l'autre pour savoir

    52

  • ce qu'il dira et comment il se comportera, alors que toutes les possi-bilits sont dj prdessines. Il ne s'agit nullement d'une intention dlibre de dissimulation ou de dformation, car elle renvoie la facticit de l'tre-l'un-avec-l'autre. En ce sens, elle anesthsie la possibilit de toute rsolution authentique, ne donnant lieu qu' l'irrsolution du Dasein dchu dans son monde ambiant. (ET. 37)

    La notion d'poque est lie l'Histoire de l'tre: elle est le mode de dispensation historiale de l'tre.

    poque doit se penser partir d'poch qui, des coles anciennes jusqu' Husserl, dsigne la suspension des actes thtiques de la conscience. De faon plus radicale, l'poch de l'tre est la retenue claircissante de sa vrit, telle qu'elle se dispense en se retirant. L'essence poquale de l'tre appartenant sa temporal-it, l'tre ouvre ainsi un monde, auquel chaque fois correspond un Dasein sauvegardant l'poqualit de l'tre. Les diffrentes poques sont le grec, le chrtien, le moderne, le plantaire et l'hesprial.

    Pens poqualement, le grec est le dbut de l'poque de l'tre. Il ne s'agit pas l d'une proprit culturelle, mais du matin d'un destin o l'tre s'claircit au sein de l'tant en appelant un avenir historiaI qui va se dispenser selon certaines guises. Le chrtien rsulte de la rencontre de la christianit avec la mtaphysique, instituant le partage de l'ens creator et de l'ens creatu111. Le moderne dploie le sens de l'tre comme subjectivit souveraine donnant lieu l'po-que des conceptions du monde et au devenir anthropologie de la mtaphysique. Il accomplit la mtaphysique, devenue intelligible dans le tout de son histoire comme celle du premier commence-ment, dans le plantaire en quoi consiste l'hgmonie de l'essence

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  • impense de la technique comme devenir monde de la mtaphysique. L'hesprial dsigne enfin la futurition de l'initial de l'aurore. Dans tous les cas, chaque poque implique une mutation de l'essence de la vrit, initialement comprise comme althia, partir de laquelle l'tre se retire en tant qu'il se dclt dans l'tant. (ECM.; PA.)

    L'eschatologie de l'tre ne doit pas s'entendre au sens thologique, mais comme le caractre destinaI de l'tre tel qu'il se dispense en son histoire.

    Ce terme est utilis dans La parole d'Anaximandre pour montrer en quoi cette parole matinale est toujours prsente au-del de tout crpuscule. L'aurore est ainsi toujours au-del de tout crpuscule et son jadis advient comme le futur de l'eschaton, la pointe extrme de l'adieu, que Heidegger nomme Dis-cs, en laquelle se rassemble l'Histoire de l'tre. Le logos de l'eschaton comme rassemblement de l'extrme se recueillant dans le dis-cs est ainsi l'eschatologie de l'tre, au sens o l'aurore porte dj en elle le cong donn la mtaphysique. Heidegger prcise alors qu'il convient de comprendre l'eschatologie de l'tre partir de la Phnomnologie de l'esprit qui en est une phase, en tant qu'elle accomplit la ~ubjectivit absolue et rassemble le sens mtaphysique de l'tre jusqu'alors de mise en en prenant cong. En achevant la mtaphysique dans le savoir absolu, Hegel donne en effet penser le crpuscule comme futur antrieur de l'aurore.

    Penser partir de l'eschatologie de l'tre, c'est donc attendre le jadis de l'aurore dans le futur antrieur de l'avenir, selon ce qu'tre et Temps appelle rptition. En cho la parole aurorale d'Anaxi-mandre, se trouve le dire potique de G. Trakl. Dans u~ texte de

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  • 1953, La parole dans l'lment du ponle, Heidegger voit dans le dict de G. Traklle site de ce Dis-cs qui se nomme pays du soir, Occident, comme pays du dclin et d'une closion originelle d'un matin en lui cache. Plus originaire que tout Occident platonico-chrtien, ce pays du soir est proche de ce que Hlderlin nomme Hesprie comme futur antrieur de l'aurore, dont l'Europe n'est qu'un avatar, et demeurant devant nous. (PA.; AP.)

    (Wesen)

    Dsigne l'entre en prsence ou le dploiement de ce qui se dis-pense selon une modalit historiale.

    Heidegger rejetant l'opposition mtaphysique de l'essence et de l'existence, l'essence n'a plus le sens d'une idalit mtahistorique au sens platonicien ou d'un possible au sens leibnizien, mais dsi-gne un mode de dploiement ontologico-historial. S'opre ainsi un dplacement radical de la question de l'essence: d