Zumthor Perfomance

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  • PERFORMANCE, RCEPTION, LECTURE

    Parce qu ' il n 'y a de contact possible qu'avec lui. C'est pourquoi, parce qu'elle est rencontre et affron-tement personnel, la lecture est dialogue. La Com-prhensiom) qu 'elle opre est fondamentalement dialogique: mon corps ragit la matrialit de l 'objet, ma voix se mle, virtuellement, la sienne. D'o le plaisir du texte)); de ce texte qui je fais, pour un instant, don de toutes les puissances que j 'appelle moi. Le don, Je plaisir, ncessairement transcendent 1 'ordre informatif du discours, terme ils 1 'liminent.

    C'est ainsi que j'entends (au mpris, peut-tre, de l ' intention de l'auteur) telle phrase de J.-F. Lye-tard posant que le livre a la dcouverte de ses rgles pour enjeu et non leur connaissance pour principe)) e). Loin de se dduire en se construisant, il se joue. Le lecteur ne peut gu ' entrer dans le jeu, confrontation gratuite et vitale, o l 'tre pse de tout son poids. Ludwig Pfeiffer, dans une confrence prononce il y a quelques annes au Centre univer-sitaire de Dubrownik, n'hsitait pas parler de la posie comme d'une scrtion du corps de l'hom-me. Paradoxe provocateur; mais Pfeiffer n 'en ten-dait pas moins la porte l'ensemble du phnomne littraire: ce phnomne qui nous oppose, je cite Pfeiffer, an unavoidable concreteness)). Or, cet in-vitable concret est ncessairement (parce que concret) li des formes socialises; formes qui peuvent tre aussi bien des rgles de comportement que des structures de langage, et qui ensemble

    (3) J.-F. LYOTARD, Le diffrend, p. 22.

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    constituent ce que l 'ethnologue Jacques Dournes nomme le formulisme. Dourn es entend par ce terme autre chose qu ' une topique (quoique Je formulismc puisse en inclure une): une srie de conduites ritua-lises. Nous revenons ainsi la dfinition initiale du potique.

    Encore faut-il s'entendre sur les modalits du rituel. Je reviens un instant, de faon comparative, 1 'inventaire des traits dfinitoire, de la communi-cation potique)) . Le fait de base, qui constitue en potique cette communication, c'est, je le rappelle, sa tendance ou son aptitude engendrer du plaisir plus que de l'information: vise gnrale qui met l ' accent sur l'lment hdonique, sans que l ' infor-mation soit ncessairement nie, tant s'en faut; la plus grande partie des textes littraires sont aussi dans une certaine mesure informatifs, mais leur fonction informative passe au second plan.

    On peut, dans l'histoire d'un texte potique, distinguer plusieurs moments: le moment de sa for-mation; puis, ncessairement (puisque ce texte, au moins de faon virtuelle, est destin la publicit) il y a transmission. Celle-ci permet la rception. Ultrieurement il y a conservation, en consquence de l'autre caractre propre du texte potique, sa dsalination l'gard des contraintes du temps. Par la suite on aura d'autres rceptions, en nombre indfini: je les regroupe sous le terme de ritration. chacun de ces moments, le medium peut tre, soit la parole vive, soit 1 'criture. Il en rsulte thori-quement (sauf erreur) une centaine de situations possibles! Je considre uniquement les deux ex-trmes.

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    Dans la situation d'oralit pure, telle que peut l'observer un ethnologue parmi des populations dites primitives, la formation s'opre par la voix, laquelle supporte la parole; la premire transmis-sion est l 'uvre d'un personnage utilisant en parole sa voix vive, laquelle est ncessairement, lie un geste. La rception va se faire par audition accompagne de vue, l'une et l'autre ayant pour objet le discours ainsi perform: c'est en effet le propre de la situation orale, que transmission et rception y constituent un acte unique de participa-tion, avec co-prsence, celle-ci engendrant le plaisir. Cet acte unique c'est la performance. Quant la conservation, en situation d'oralit pure, elle est livre la mmoire, mais la mmoire implique, dans la ritration, d ' incessantes variations re-cra-trices: c'est ce que, dans des travaux antrieurs, j'ai appel la mouvance.

    Dans la situation de le~ture telle que nous la connaissons dans la culture occidentale actuelle, la formation passe par 1 'criture, laquelle est un tra-c, dessin par un outil manuel (plume, etc.) ou une machine, et cod, du reste de faon diffrente selon les types d'criture, voire les types de langue. La premire transmission va se faire soit par manus-crit, soit par imprim, de toute manire au moyen du mme trac cod, dsormais subsistant par lui-mme, prt tre peru par la lecture. Quant celle-ci, elle est une vision au deuxime degr: le sens visuel du lecteur lui sert dcoder ce qui fut encod dans l'criture, opration distincte de la vision ordinaire (informatrice). Il y a certes visualit dans les deux cas; dans les deux cas fonctionne le nerf

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    optique; mais l'opration mentale est fort diffrente. La Conservation est due au livre, la biblioth-que, ce que Michel Foucault appelait l'archive. Grce au livre, la bibliothque une identit est fixe dans la permanence.

    Si J'on compare les deux situations ainsi dfi-nies, on constate qu'eJJe s'opposent (trs schmati-quement) comme un ensemble de procs naturels une srie de procds artificiels; en d'autres termes, leur relation n'est pas sans analogie avec ceJJe de la nature la culture dans le formalisme de Lvi-Strauss. La diffrence essentielle entre les deux modles de communication qu'elles ralisent rside en ceci qu'en situation d'oralit pure se maintient, de moment en moment, une unit trs forte, de 1 ' ordre de la perception. Toutes les fonctions de celle-ci (oue, vue, toucher ... ), l'intellection, l'mo-tion se trouvent mises simultanment en jeu, d 'une faon dramatique, qui provient de la prsence com-mune de l'metteur de la voix et du rcepteur auditif au sein d'un complexe sociologique et circonstan-ciel unique. La situation de pure criture-lecture (situation extrme, et qui semble aujourd'hui de moins en moins comprhensible pour les plus jeunes) limine, en principe totalement, ces facteurs. D'o, peut-tre, surtout de la part du rcepteur, les rsistances. La lecture s'apprend, on s'y entretient; elle exige effort et constance; le langage courant va jusqu' rserver le mot de culture pour en dsigner l'habitude, et les effets de celle-ci. Rien d'tonnant ce que nos moins de vingt ans en rejettent le modle, eux par et pour qui est en train de s'ins-taurer un univers de no-vocalit; ce que tant de

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    lecteurs de posie s'appliquent, dans la solitude de leur lecture, en articuler, intrieurement du moins, les sons. La lecture littraire ne cesse de tricher avec la lecture. l'acte de lecture s' intgre un dsir de rtablir l ' unit de la performance, cette unit pour nous perdue, d 'en restituer - par une gym-nastique personnelle, la posture, le rythme respira-toire, par l'imagination - la plnitude. Cet effort spontan en vue de la reconstitution de 1 ' unit est insparable de la recherche du plaisir. Inscrite dans 1 'activit de la lecture non moins que dans 1 'audition potique, cette recherche s'identifie ici au regret d 'une sparation qui n 'est pas dans la nature des choses, mais provient d'un artifice.

    La performance est acte de prsence au monde et soi. En elle le monde est prsent. Reste qu'on ne peut parler de performance de faon tout fait univoque et qu ' il y a lieu d 'en dfinir diffrents degrs, ou modalits: la performance proprement dite, enregistre par l 'ethnologue dans un contexte de pure oralit; puis une srie de ralisations plus ou moins nettes, qui s'cartent graduellement de ce modle premier. Mais jamais, sauf exception mal concevable, le modle n 'est compltement retourn. Il est vrai qu'il y eut historiquement une tentative pour l ' abolir: elle tint, vers la fin du Moyen ge, 1 'ensemble de pratiques mystiques qui reut le nom de devotio maderna. Les chrtiens de cette obdience essayaient d ' instaurer un dialogue direct, sans mdiation corporelle, entre le lecteur (le croyant) et le texte (la parole de Dieu). Ils recom-mandaient cette fin la lecture purement visuelle. Celle-ci est devenue la ntre par suite d 'une srie

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    PERFORMANCE ET LECTURE

    de mutations historiques, en particulier la multipli-cation du nombre des crits, altrant la relation de 1 'homme avec les textes ... La posie seule rsista; la pression des nouvelles technologies a fini par la faire entrer son tour dans le modle. Elle n'a pas oubli qu'elle y fut contrainte. Mais elle cessa de revendiquer l'ancien mode de communication per-formantiel, considr ds lors comme propre la Culture populaire, et dvaloris. la ralit de participants individuels, lourds de leur poids v ivant, se substituait un objet, le livre, sur lequel se trans-frait le besoin de prsence. Le livre ne peut tre neutre puisqu ' il est littrature, et que s'adresse lui, dans le lecteur, par la lecture, un appel, une demande instante. Peu importe ici de savoir si cette demande est justifie. Hormis la matrialit du livre, deux lments restent en jeu: la prsence du lecteur, rduit la solitude, et une absence qui, dans l' in -tensit de la demande potique, atteint la limite du tolrable.

    Et nanmoins ... Dans la situation performan-tielle, la prsence corporelle de l'auditeur et de l'in-terprte est prsence pleine, lourde des puissances sensorielles simultanment en veil. Dans la lecture, cette prsence-l est pour ainsi dire mise entre pa-renthses; mais il subsiste une prsence invisible, qui est manifestation d'un autre, assez forte pour que mon adhsion cette voix, moi ainsi adresse par le truchement de l'crit, engage l' ensemble de mes nergies corporelles. Entre la consommation, si je peux employer ce mot, d'un texte potique crit et d ' un texte transmis oralement, la diffrence ne rside que dans 1 ' intensit de la prsence.

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    On pourrait ainsi distinguer plusieurs types de performance, types issus l'un de l 'autre en dgrad. - D'une part, la performance avec audition accom-pagne d 'une vue globale de la situation d 'noncia-tion. C'est la performance complte, qui s'oppose de la manire la plus forte, irrductible, la lecture de type solitaire et silencieux. -Une autre classe se dfinit lorsqu ' un lment de mdiation fait dfaut, ainsi lorsqu ' il manque 1 'l-ment visuel, ce qui est le cas dans la mdiat!on au-ditive (disque, radio), dans l'audition sans visuali-sation (performance vocale directe dans laquelle la vue se trouve supprime fortuitement, pour des rai-sons topographiques). Dans des situations de ce genre, l'opposition entre performance et lecture tend se rduire. -Enfin, la lecture solitaire et purement visuelle marque le degr performantiel le plus faible, appa-remment proche de zro. Encore faut-il tenir compte, dans le sentiment que nous prouvons cet gard, de l'espce de surdit particulire que nous inflige notre ducation littraire. L'criture, au cours de la lutte qu'elle engagea, voici quelques sicles, pour s'assurer l' hgmonie dans la transmission du savoir et l'expression du pouvoir, se donna comme but avou la suspension ou la ngation de tout l-ment performantiel dans la communication. Jadis, la loi, c'tait la parole du roi, prononce sur la place publique, parole qui pouvait tre contredite, qui comme telle appelait au dialogue; 1 'tat moderne, abstrait, ne peut s'exprimer qu ' travers des textes crits, qu ' il met en dehors de toute prsence, et lors de la lecture desquels il reste absent, indiscu-

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    table. Dans le fonctionnement des textes littraires, J'effet d'opposi tion est plus fort encore. Durant deux, trois ou quatre cents ans, la partie de la socit qui dominait les tats, socit dite cultive, partici-pant l'Institution littraire, a fonctionn selon le deuxime modle de communication: cela nous pa-rat une ternit; mais du point de vue des longues dures historiques, 'aura t sans doute un pisode, important certes mais dont rien n'assure qu'il se per-ptuera. Je me refuse pronostiquer, comme cer-tains l'ont fait, la mort de la littrature. Je souhaite que celle-ci perdure; mais ce qui ne peut pas ne pas changer, c'est le type de mdiation du potique. Je citerais comme significative cet gard 1 'invasion de notre univers culturel, depuis une trentaine d'an-nes, par des formes d'art dont le rock me parat 1 'emblme. Malgr la mdiocrit textuelle (mais l n'est pas la question) du chant dans la musique rock, ce dont tmoigne celui-ci, c'est d 'une irrsis-tible Corporisation du plaisir potique, exigeant (aprs des sicles d'criture) J' usage d 'un medium plus lourd, plus manifestement biologique. De ce contexte, des formes de lecture nouvelles vont n-cessairement se dgager.

    La performance livre la connaissance de 1 ' auditeur-spectateur une situation d 'nonciation. L'criture tend la dissimuler mais, dans la mesure de son plaisir, le lecteur travaille la restituer. La Comprhension passe par cet effort. On sait l ' abondante bibliographie qui, depuis Benveniste, a tent d 'clairer (et parfois obscurci) 1 'ide d ' non-ciation. Je la prends ici pour l'acte ou la srie d 'actes qui oprent la mdiation entre les virtualits

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    de la langue et la manifestation du discours; entre la comptence et la performance pour employer les termes gnrativistes (4). La notion d'nonciation amne penser le discours comme vnement. Un processus global d'nonciation gnre tous les ni-veaux de la manifestation: il ouvre sa smiose, comme 1 'crit Eco e). Par l tombe et perd toute pertinence 1 'opposition faite par certains linguistes amricains entre le verbal et le non-verbal dans le discours. Aucun des lments de 1 'nonciation n'est dissociable de 1 'nonc. C'est pourquoi 1 'ironie est possible, le plus souvent issue d'un dcalage voulu entre 1 'nonciation et l'nonc. Les conditions , certes, dans lesquelles se produit J'nonciation va-rient selon la qualit et la quantit des facteurs en jeu, mais de toute manire elles dbordent largement l'nonc et 1 'nonciateur: elles tendent se mettre elles-mmes en vidence. Cela nous renvoie une fois encore l'existence physique des sujets.

    Subsiste la dissymtrie des situations de per-ception: lors d'une communication crite, la lecture du texte ne correspond qu ' l ' un seul des deux moments de la performance. Cette dernire, dans la co-prsence des participants, (r)actualise l'noncia-tion; l'criture ne peut que la suggrer, partir de marques dictiques, fragiles et souvent ambigus, sinon artificiellement effaces. Cette opposition se manifeste, du ct de 1 'auditeur-spectateur et du lee-

    (4) Cf. J. CERVONI, L 'nonciation; cf. galement P. OUEI.l..ET, ; F. RCANATI, La transpa renee et 1 'noncia tian.

    (5) U. Eco, Lector in fabulae (trad. franaise), pp. 51-58.

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    teur, au niveau de l'action oculaire: directe, percep-tion immdiate, d'une part; vision exigeant dco-dage, donc seconde, de l'autre: regarder versus lire. Le regard ne cesse d'chapper au contrle, il enre-gistre, sans toujours les distinguer, les lments d'une situation globale, la perception de laquelle sont troitement associs les autres sens. Ces l-ments - ces traits visibles, ces choses, - il les interprte: il enregistre les signaux que nous adresse la ralit extrieure (quoi qu'on entende par ce mot) et en fournit spontanment une comprhension emblmatique, Je plus souvent fugiti ve et aussitt remise en question. La vue directe engendre ainsi une smiotique sauvage, dont l'efficacit (sur les opinions et les conduites) provient du cumul des interprtations plus que de leur justesse intrinsque. Le latin mdival dsignait du terme de signatura Je rsultat de cette activit de l'il humain. Signa-tura implique que Je regard transforme en signum ce qu'il a peru. L'objet de cette perception est spe-culum, mot-cl des cultures mdivales: un reflet en mane et, comme reflet, exige 1 'interprtation ... Nous avons bris la circularit d'un tel systme de pense; il n 'en est pas moins historiquement rv-lateur d'une prise de conscience remontant J' aube du monde moderne.

    Dans la lecture, en revanche, 1 'action visuelle s'oriente d'emble vers le dchiffrement d'un code graphique, non vers l'observation de objets am-biants. Pour tout individu alphabtis ayant contrac-t 1 'habitude de lire, le rapport entre le signifiant (la lettre) et le signifi (ce que ces trois, quatre ou dix lettres ensemble veulent dire) est intrioris, ne

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    transite plus par l'objet. Vous lisez cc que les caractres tracs ont crit sur la page, et ce faisant passez directement la notion correspondante. Le rapport intgr devient immdiat entre le perceptible et le mental.

    Cette immdiatet a t ressentie ct exploite par toutes les civilisations de 1 'criture qui, chacune sa manire (selon la plasticit de son systme gra-phique), ont cherch la compenser. D'o la for-mation des calligraphies, phnomne universel, comme un effort ultime pour rintgrer la lecture dans le schme de la performance, faire d'elle une action performantielle. Qu'est-ce en effet que calli-graphier? C'est recrer un objet tel que 1 'il non seulement lise, mais regarde; c'est de retrouver, dans la vision de lecture, le regard et les sensations multiples qui sont attaches son exercice.

    Dans la mesure o la posie tend mettre en vedette le signifiant, maintenir sur lui une atten-tion continue, la calligraphie lui restituait, au sein des traditions crites, de quoi restaurer une prsence perdue. On sait les formes extrmes qu'elle a pris parfois, des carmina figurata de l'Antiquit et du Moyen ge jusqu'aux calligrammes d'Apollinaire. L'il peroit une phrase graphiquement contorsion-ne en forme de rose: simultanment il regarde la fleur et lit la phrase. La perception du texte est ddouble. De faon plus banale, la plupart des potes aujourd'hui impriment leurs pomes en dis-tribuant sur la page blancs et mots dans un ordre qui est significatif, car il cre un rythme visuel transformant le pome en un objet. La lecture s'en-richit de toute la profondeur du regard.

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    Chapitre IV

    L'engagement du corps

    De la performance la lecture change la struc-.ture du sens. La premire ne peut tre rduite au statut d'objet smiotique; toujours quelque chose d'elle dborde, se refuse fonctionner en signe ... et nanmoins exige interprtation: lments marginaux par rapport au langage et rarement codifis (le geste, l'intonation), ou situationnels par rapport l'non-ciation (temps, lieu, dcor). Sauf en cas de rituali-sation forte, rien de cela ne peut tre considr comme signe proprement dit - tout pourtant y fait sens. L'analyse de la performance dclerait ainsi des degrs de smanticit; mais c'est plutt d'un procs global de signifiance qu 'il s'agit. Le texte crit, en revanche, revendique sa smioticit. Seul

    le style comme tel s'y drobe en partie. C'est pourquoi, voici quelques annes, j'ai suggr de dis-tinguer, en posie, entre l'uvre et le texte e): le second terme dsigne une squence plus ou moins

    (1) P. ZUMTHOR,fntroduction ... , pp. 81-82.

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    longue d'noncs; Je premier, tout ce qui est poti-quement communiqu, hic et nunc. C'est au niveau de 1 'uvre que se manifeste le sens global, embras-sant, avec celui du texte, de multiples lments signifiants, auditifs, visuels, tactiles, systmatiss ou non dans le contexte culturel; ce que je nommerais le bruitage existentiel (les connotations, condition-nes par les circonstances et 1 'tat du corps rcep-teur, du texte et des lments non textuels); un accompagnement de formes ludiques de comporte-ment, dpourvues de contenu prdtermin ... Con-ue propos de la performance, l'ide d'uvre s'ap-plique, un degr moindre (mais de faon non mtaphorique!), la lecture du texte potique. Cette lecture comporte, en somme, un effort pour s'ex-traire des limitations smantiques propres 1 'action de lire.

    Que le corps ainsi soit engag dans toute per-ception du potique, les Anciens semblent en avoir eu conscience, qui distinguaient, parmi les parties de la rhtorique, lapronunciatio et l'actio: ces par-ties avaient pour fin de produire un effet sensoriel sur l'auditeur. Du jour o la rhtorique restreinte, selon 1 'expression de Grard Genette, cessa d 'tre un art de la parole pour devenir art littraire, le sou-venir de cet aspect de la doctrine se perdit. Des traces en subsistent dans la rhtorique des pas-sions conue par quelques thoriciens du dbut du XVIIe sicle; l'poque des Lumires les ~ffaa e).

    (2) S. KmEDI-VARGA, La rhtorique des passions, pp. 75-82; cf. galement A. G6MEZ-MO!UANA, La subversion du discours rituel, p. 11.

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    L'ENGAGEMENT DU CORPS

    L 'ide de littrature, qui prenait forme alors pour deux cents ans, ne les tolrait pas.

    La rhtorique de 1 'Antiquit - sans doute hritire en cela des Sophistes - posait ainsi, im-plicitement, une affirmation laquelle, aprs un long temps de surdit, nous prtons aujourd'hui de nouveau une oreille attentive et un esprit consentant. Elle enseignait, sa manire, que pour aller au sens d'un discours, sens dont je suppose l'intention chez celui qui me parle, je traverse les mots; mais que les mots rsistent, ils ont une paisseur, leur exis-tence pesante exige, pour qu ' ils soient compris, une intervention corporelle, sous la forme d ' une opra-tion vocale: que ce soit celle de la voix perue, pro-nonce et entendue, ou d'une voix inaudible, d'une articulation intriorise. C'est en ce sens que 1 'on a dit, de faon paradoxale, qu'on pense toujours avec son corps: le discours que quelqu ' un me tient sur le monde (quel que soit J'aspect du monde dont il me parle) constitue pour moi un corps corps avec le monde. Le monde me touche, je suis touch par lui; action double, rversible, galement valable dans les deux sens. Cette ide, clipse pendant un certain temps, renat aujourd'hui, en une sorte de retour du refoul, sans doute li l'ensemble de phnomnes contemporains qu'on enveloppe sous le terme douteux de post-modernit. La gnralisa-tion, aujourd'hui, de l'ide de performance en est l'une des consquences.

    Pourtant, c'est l moins une conqute que la redcouverte d ' un phnomne primaire. En ce sens, on peut dire que le discours potique met en valeur et exploite un fait central, sur lequel il se fonde,

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    PERFORMANCE, RCEPTION, LECfURE

    sans lequel il est inconcevable: dans une smantique qui embrasse le monde (c'est minemment le cas de la smantique potique), le corps est la fois le point de dpart, le point d'origine et le rfrent du discours. Le corps donne la mesure et les dimen-sions du monde: cela est vrai dans 1 'ordre linguis-tique o, selon l'usage universel des langues, les axes spatiaux droite/gauche, haut/bas, et d'autres, ne sont qu'une projection du corps sur le cosmos e). C'est par l que le texte potique signifie Je monde. C'est par Je corps que le sens en est peru. Le monde tel qu'il existe en dehors de moi n'est pas un en-soi intouchable, il est toujours, de faon pri-mordiale, de l'ordre du sensible: du visible, de l' au-dible, du tangible. Le monde que me signifie le texte potique est ncessairement de cet ordre-l; il l 'est beaucoup plus que ne peut l'tre l'objet d'un dis-cours informatif. Le texte . veille en moi cette conscience sourde d'tre au monde, conscience confuse, antrieure mes affects, mes jugements, et qui est comme une impuret grevant la pense pure ... laquelle, dans notre condition humaine, est (si l'on peut dire!) impos un corps. D'o le plaisir potique, qui provient, en somme de la constatation de cette infirmit de la pense pure. C'est l le fon-dement premier de toute connaissance, mais spcia-lement, et de manire exclusive, de ce qu'on nom-mait, l 'poque lointaine de Du Bos et de l'abb Brmond, vers 1930, la connaissance potique. Or,

    (3) P. GUIRAUT, Le langage du corps, pp. 49-70.

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    L'ENGAGEMENT DU CORPS

    non seulement la connaissance se fait par le corps mais elle est, en son principe, connaissance du corps. Je renvoie sur ce point un ouvrage dj ancien mais qui marqua les hommes de ma gnra-tion, La phnomnologie de la perception de Merleau-Ponty. Il y est fait tat d'une connaissance ant-prdicative, expression certes peu heureuse, mais o je me refuse entendre les chos d'ida-lisme noplatonicien dnoncs par certains. Le contexte en indique assez clairement qu'il s'agit d'un cumul de connaissances relevant de J'ordre de la sensation et qui, pour des raisons quelconques, n'affleurent pas au niveau de la rationalit mais constituent un fond de savoir sur lequel le reste se construit.

    Cette connaissance ant-prdicative est la base de l'exprience potique. C'est pourquoi le sens que peroit le lecteur dans le texte potique ne peut pas se rduire au dcodage de signes analysa-bles; il provient d'un procs indcomposable en mouvements particuliers. Ce trait nous ramne constater une fois de plus la parent troite (l'ana-logie) liant, dans ses structures, son fonctionnement, ses effets, la posie comme telle la communi-cation orale. Du fait mme que la posie est mani-festation (au deuxime degr) d'nergies et de valeurs du langage attnues sinon effaces dans l'usage communicatif courant, la langue y rvle quelque chose de sa nature profonde, fonde sur une monstratio, une deixis: montrant, rendant visible, rfrant par l mme une corporit.

    Harald Weinrich, reprenant un mot de Valry, crivait rcemment que la grammaire est une

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    PERFORMANCE, RCEPTION, LECTURE

    mmoire du corps (4). Maxime brillante, qui de-mande tre explicite, mais dont on peut penser qu'elle rvle, et non dissimule, une vrit pro-fonde: l'existence d 'un souvenir organique des sen-sations, des mouvements internes du corps, rythme du sang, des viscres, toute cette vie imprime d ' une manire indlbile dans ma conscience p-nombrale de ce que je suis, comme la trace d'un tre chaque instant disparu, et pourtant toujours moi-mme. Or, le corps a quelque chose d'indomp-table; d ' insaisissable. Il n 'y a pas de science du corps; il y a la biologie, l'anatomie et le reste, en-semble virtuellement infini, mais non une science du corps comme tel; encore moins, de mtaphysique du corps. Le corps ne peut jamais tre totalement rcupr. Notre socit de consommation, il est vrai, s'y efforce: dans nos clubs de fltness, par la com-mercialisation de la parure, de la sant (toute l'industrie mdicale) ... Il est clair que seule est ainsi touche 1 'apparence, non 1 'existence, du corps. De mme, la sociologie tudie les comportements cor-porels imposs par le contexte culturel; n'empche qu'il y a un reste insocialis. La socialisation du corps a des limites au-del desquelles s'tend une zone d'individuation proprement impntrable. C'est dans cette zone mme que se situe la connais-sance ant-prdicative de Merleau-Ponty, base du fait potique. D'o le ct sauvage de la lecture, le

    (4) H. WEINRlCH, Ueber Sprache, Leib und Gedacht-niS>>, in H. Y. GUMBRECHT et L. PFEIFFER (ds.), MaterialitiJt der Kommunikation, p. 89-90.

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    L'ENGAGEMENT DU CORPS

    ct de dcouverte, d'aventure, l'aspect ncessaire-ment inachev, incomplet de cette lecture, comme de tout plaisir. Le corps n'est jamais tout fait int-gr ni dans le groupe, ni dans le moi. L'opration de lecture est domine par ce caractre.

    Le corps reste tranger ma conscience de vivre. Il est l'environnement o je me droule. Les faits corporels ne sont jamais donns pleinement ni comme un sentiment, ni comme un souvenir; pour-tant, nous n'avons que notre corps pour nous manifester. Srie de paradoxes qui servent dfinir, par approche hsitante, erratique, le lieu o s'arti-cule la poticit. La poticit, ainsi lie la senso-rialit, ce que certains appellent le sensible, et que Merleau-Ponty nommait d'un mot magnifique, em-prunt la tradition du christianisme primitif, la chair. La chair, comme notion la fois premire et ultime. Mike) Dufrenne, et d' autres avec lui, posent 1 'unit originaire du sensible. Ils voquent une sen-sibilit gnrale antrieure la diffrenciation de la vue, de l'oue, du toucher, de l'odorat, du got. Dans la pluralit de nos sensations, ils reprent une unit cache, relle, perue parfois, mais insaisissa-ble, manifestant la prsence du corps entier engag dans le fonctionnement de chaque sens. Le psycho-logue italien D. Formaggio parle d'inter-corporit, traduisons, en franais technique, le corps syner-gique CS).

    La perception est foncirement prsence. Per-cevoir en lisant de la posie, c'est susciter une pr-

    (5) M. DUFRENNE, L'il et l'oreille, pp. 76-77.

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    sence moi, lecteur. Mais aucune prsence n'est jamais pleine, il n 'y a jamais concidence entre elle et moi. Toute prsence est prcaire, menace. Ma propre prsence moi est aussi menace que la pr-sence du monde moi, et ma prsence au monde. La prsence se joue dans un espace ordonn au corps et, dans le corps, ces lments mystrieux vers lesquels nous dirigent des flches que j'essaie ici de dessiner sans qu'il soit possible de dterminer, de faon prcise, le lieu o elles convergent. Toute posie traverse, et intgre plus ou moins imparfai-tement, la chane pistmologique sensation-percep-tion-connaissance-matrise du monde: la sensorial it se conquiert sur le sensible pour permettre, ultime-ment, la qute de 1 'objet.

    Nos sens, dans la signification la plus cor-porelle du mot, la vue, 1 'oue, ne sont pas seulement des outils d'enregistrement, ce sont des organes de connaissance. Or, toute connaissance est au service du vivant, qui elle permet de persvrer dans son tre. C'est pourquoi la chane pistmologique aboutit faire du vivant un sujet; elle met le sujet au monde. Ma lecture potique me met au monde dans le sens le plus littral de l 'expression. Je dcouvre qu'il existe un objet hors de moi; et je ne fais pas en cela une dcouverte d'ordre mtaphysi-que, simplement je me heurte une chose. Grce la connaissance ant-prdicative se produit au cours de l'existence d ' un tre humain une accumu-lation mmorielle, d 'origine corporelle, engendrant ce que Mike! Dufrenne nomme le virtuel. Fond sur cette accumulation des souvenirs du corps, le virtuel, comme un imaginaire immanent, leste le

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    peru (6). Ce que je perois en reoit un poids complmentaire. Le virtuel est de l'ordre du pres-senti, qui v ient s'associer avec le senti, et parfois s' identifie avec lui. Il n'est pensable que par rapport un sujet pour lequel il y a de l'imperu accroch au peru. Je perois cet objet; mais ma perception se trouve charge de quelque chose que je ne per-ois pas en cet instant, quelque chose qui est inscri t dans ma mmoire corporelle. Le pressenti n'est pas ncessairement une image; il est imaginable, il a la possibilit d'engendrer une image. De toute manire le virtuel hante le rel. Notre perception du rel est hante par la connaissance virtuelle rsultant, je le rpte, de 1 'accumulation mmorielle du corps. Le virtuel ainsi affleure dans tout discours. Dans le dis-cours reu comme potique, il envahit tout. C'est l encore, au niveau du lecteur, 1 'une des marques du potique.

    Le langage courant, en dehors de toute ide prconue de ce qu 'est la posie, emploie parfois, propos d ' un texte littraire, des expressions telles que: ce pome, ou ce roman, ou cette page me parle, me dit. Ou bien on invoquera le ton de tel auteur. Ce sont l, sans doute, des mtaphores, et qui paraissent rfrer assez banalement l'oralit. Je pense plutt qu 'elles en appellent une vocalit se.ntie comme prsence, comme un tre-l de quel -qu'un de concret. Ces expressions manifestent un sentiment confus des liens naturels ex istant entre le langage et la voix; de la vaste zone de qualits corn-

    (6) M. DUFRENNE, L'il et l'oreille, pp. 189; voir aussi pp. 190-200.

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    munes o tous deux se rencontrent et qui permet, quand on les dsigne, d'incessants glissements smantiques, voix s'employant pour parole ou l'in-verse. Or, si l'on tente de dfinir les caractres cor-porels propres de la voix, on constate ceci: depuis que s'est dveloppe une rtlexion sur l'essence de la posie, vers la fin du XVIIIe sicle, et surtout depuis la fin du xrxe, la plupart des caractres phy-siques de la voix sont perus comme positivement prsents dans la posie. Sur ces caractres eux-mmes, la littrature est abondante depuis les annes 30: acoustique, mdicale, psychanalytique. J'en extrais (en particulier, des travaux deI. Fonagy, D. Vasse et A. Tomatis) un petit nombre de thses:

    Premire thse: la voix est le lieu symbolique par excellence; mais un lieu qui ne peut pas tre dfini autrement que par un rapport, un cart, une articulation entre le sujet et l'objet, entre l'objet et l'autre. La voix est donc inobjectivable.

    Deuxime thse: la voix, lorsqu'on la peroit, tablit ou rtablit un rapport d'altrit, lequel fonde la parole du sujet.

    Troisime thse: tout objet prend une dimen-sion symbolique ds qu'il est vocalis. On conoit les implications de cette thse pour la posie; d'autant plus qu'elle reste pleinement vraie lors mme que la voix est intriorise, et que ne se produit pas de perception auditive enregistrable par des appareils.

    Quatrime thse (elle aussi rfrant directe-ment au potique): la voix est une subversion ou une rupture de la clture du corps. Mais elle traverse

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    L'ENGAGEMENT DU CORPS

    la limite du corps sans la rompre; elle signifie le lieu d'un sujet qui ne se rduit pas la localisation personnelle. En ce sens, la voix dloge 1 'homme de son corps. Pendant que je parle, ma voix me fait habiter mon langage. la fois elle me rvle une limite et m'en libre.

    Cinquime thse: la voix n'est pas spculaire; la voix n'a pas de miroir. Narcisse se voit dans la fontaine. S'il entend sa voix, ce n'en est point un reflet, mais la ralit mme.

    Sixime thse: couter un autre, c'est entendre, dans le silence de soi, sa voix qui vient d ' ailleurs. Cette voix, en s'adressant moi, exige de moi une attention qui devient, pour le temps de cette coute, mon lieu. Ces mots ne dfiniraient-ils pas aussi b ien le fait potique?

    Ces valeurs de la voix deviennent celles mme du langage, ds que celui-ci est peru comme po-tique. Et cette re-connaissance est indpendante du fait que le texte soit (physiquement ou par un effet de l'imagination) entendu par l'oreille ou prononc intrieurement. En d'autres termes, ces valeurs sont celles mme du phnomne potique, quel que soit le mode dont le langage est peru. Andr Spire, dans le livre cit, parle de danse buccale, que l 'on pourrait reproduire par des mouvements expressifs. Les mots, dit-il, ne sont jamais vritablement expressifs qu'en puissance, il faut les actualiser par une action vocale C). Tous les amateurs de littra-ture ont fait l 'exprience de cet instant o, lorsque

    c7) A. SPIRE, Plaisir potique et plaisir musculaire, pp. 53-56 et p. 283.

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  • PERFORMANCE, RCEPTION, LECTURE

    la densit potique devient grande, une articulation des sons commence accompagner spontanment le dcodage des graphismes.

    Nous sommes l au cur du problme. Sur ces traits physiques se fondent une bauche de savoir, la probabilit d 'effets de sens, la qute de valeurs intra-linguistiques dont-l' ensemble forme le berceau de toute posie, et merge obscurment, tumul-tueusement, dans toute perception -dans toute lec-ture - potique. J'essaie, en conclusion, d'en cer-ner les aspects principaux.

    1.- La voix est une chose. Elle a pleine ma-trialit. Ses traits sont descriptibles et, comme tout trait du rel, interprtables. D 'o les multiples sym-bolismes, personnels et mythologiques, fonds sur elle et sur son organe, la bouche, cavit primale comme l 'crit R.A. Spitz: thmatique de l' oralit-incorporation, boire-manger-aimer-possder, toutes les manifestations Orales du rapport de l'enfant sa mre. La voix, indice rotique (8).

    2.- La voix repose dans le silence du corps. Elle en mane, puis y revient. Mais le silence peut tre double; il est ambigu: absolu, c'est un nant; intgr au jeu de la voix, il devient signifiant: non ncessairement en tant que signe, mais il entre dans le procs de signifiance. Dans ce lieu o la voix se replie en elle-mme, elle s' identifie au souffle, d'o tant d'autres symbolismes, recueillis par les reli-gions: le souffle crateur, animus, rouah; la voix

    (8) Cf. R. A. SPITZ, De la naissance la parole, pp. 46-49 et p. 238; voir aussi du mme auteur, The prima cavity.

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    L'ENGAGEMENT DU CORPS

    comme puissance de vrit ~). Historiquement, toutes les grandes religions se sont rpandues par prdication, donc communication orale.

    3.- Le langage humain est li, en fait, la voix. L ' inverse n 'est pas vrai. La voix, qui nous est commune avec les animaux mammifres et les oi-seaux, se donne comme antrieure aux diffrencia-tions phylogntiques. Elle se situe entre le corps et la parole, signifiant la fois l'impossibilit d ' une origine et ce qui triomphe de cette impossibilit. Le son en est ambigu, v isant la fois la sensation, engageant le sensible musculaire, glandulaire, vis-cral, et la reprsentation, par le langage.

    4.- En disant quelque chose, la voix se dit. Par et dans la voix, la parole s'nonce comme la mmoire de quelque chose qui est effac en nous: de ce fait surtout que notre enfance a t purement orale jusqu'au jour de la grande sparation o l'on nous a envoys 1 'cole, seconde naissance. On ne rve pas de 1 'criture; le langage rv est vocal. Tout cela se dit dans la voix.

    5.- La voix est une forme archtypale, lie pour nous au sentiment de socialit. En entendant une voix ou en mettant la ntre, nous ressentons, nous dclarons que nous ne sommes pas seuls au monde. La voix potique nous le dclare de faon explicite, nous dit que, quoiqu'il arrive, nous ne sommes pas seuls. Arrire-plan touffu de sens po-tentiels.

    (9) Tout Je second volume de M. JoussE, Anthropologie du geste, est consacr ces questions. En ce qui concerne les cultures africaines, voir Je beau livre de J . JAHN, Mwztu, Paris, Seuil 1961.

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  • PERFORMANCE, RCEPTION, LECTURE

    6.- C'est l sans doute le fondement d'un cer-tain nombre de valeurs mythiques de diffusion uni-verselle: mythes sur la voix sans corps, troublante, exigeant gue 1 'on s'interroge sur elle et sur soi, la nymphe Echo, Merlin Entomb dans les textes du Moyen ge;- mythe de la liquit, de l'identit de la voix avec tout ce qui s'coule, 1 'eau, le sang, le sperme. Sur ce point, le Motif Index de Stith Thompson rvle 1 'extraordinaire richesse de telles associations.

    7.- Voix implique oue. Mais il y a deux oues, simultanes, puisque deux paires d'oreilles sont en prsence, celle de celui qui parle et celle de l'auditeur. Or, l 'oue (plus que la vue) est un sens privilgi, le premier s'veiller dans le ftus; et Tomatis a montr quel point celui-ci est marqu par cette exprience sensorielle intra-utrine. Une fois jet au monde, dans le tourbillon des. sensations qui 1 'agressent, 1 'enfant exhibe le plaisir qu'il prouve la merveilleuse ouverture de son oreille. L'oreille en effet capte directement l'espace am-biant, aussi bien ce qui vient de derrire que ce qui vient de devant. La vue aussi capte, certes, un es-pace; mais un espace orient et dont 1 'orientation exige des mouvements particuliers du corps. C'est pourquoi le corps, par l'oue, est prsent soi, d'une prsence non seulement spatiale, mais intime. En m'entendant, je m'auto-communique. Ma voix entendue me rvle moi non moins - quoique d'une manire diffrente- qu' l 'autre.

    Or la lecture du texte potique est coute d'une voix. Le lecteur, dans et par cette coute, refait en corps et en esprit le parcours trac par la voix du

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    L'ENGAGEMENT DU CORPS

    pote: du silence antrieur jusqu' l'objet qui lui est donn, ici, sur la page. J. Trabant rappelait rcem-ment quel point l'coute, comme phnomne, a retenu au XJXc sicle 1 ' attention des penseurs alle-mands. Les historiens de la philosophie ngligent en gnral de s'interroger sur ce point, pourtant r-vlateur. .. (1).

    Telles sont les valeurs exemplaires produites par 1 'usage de la voix humaine et son coute. Elles ne se manifestent que de faon fortuite et marginale dans la quotidiennet des discours ou dans l'expres-sion informative; la posie en opre 1 'extension au langage mme, ainsi exalt, promu 1 'universel. Peu importe qu 'il soit ou non livr l'criture. La lecture devient coute, saisie aveugle de cette trans-figuration , tandis que se forme le plaisir, sans pareil.

    (10) Cf. J. TRABANT, Vom Ohr zur Stimme, in H. U. GUMBRECJIT et L. PFEIFFER (ds.), Materialitiit ... , pp. 63-79.

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  • 1

    II

    L'imagination critique

  • S'il est vrai, comme il semble, que l'existence mme de la critique fait aujourd'hui problme, dis-cuter de mthodes est devenu un passe-temps assez vain. Les questions poses exigent des rponses d'ordre plus gnral. Encore, dans la mesure o je me risquerais en baucher quelques-unes, ne Je ferais-je qu'avec les rserves tenant la particularit de mon exprience: un demi-sicle de rflexion et de recherches sur Je Moyen ge europen, spcia-lement ses littratures. C'est pourquoi le nom d' historien dsigne et l sous ma plume, res-trictivement, celui dont l'objet est un ensemble de textes potiques appartenant au pass.

    *

    Cette double mise en garde, je la faisais, en termes prudents, dans un petit livre publi il y a une dizaine d'annes ct). La situation de notre disci-

    (1) P. ZUMTHOR, Parler du Moyen ge.

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  • L'IMAGINATION CRITIQUE

    pline, pour avoir peu chang, s'est clarifie depuis lors: la biologie y est du reste pour quelque chose, qui a pouss dans 1 'ge adulte une nouvelle gn-ration de chercheurs ct fit bien des vides parmi les plus anciens, sinon toujours les plus conservateurs!

    Pas question de rpter mon Parler du Moyen ge, ni de lui donner une suite que le temps coul rendrait drisoire. 1 'poque (le printemps de 1979) o je l'crivais, deux questions me sollici-taient surtout: celle que posait, incontournable, aux historiens 1 'ide d'altrit, emprunte par Jauss 1 'hermneutique allemande ct largement diffuse dans les annes 70 f): celle, d'autre part, que je m'adressais moi-mme, propos de la valeur heu-ristique du rcit, considr comme type de discours ' particulier. Naturellement mfiant envers les tho-ries, j'essayais de tirer au clair, dans ma propre pra-tique (et celle de quelques confrres assez proches), la nature et les implications de cet affrontement d'historicits diffrentes en quoi consiste notre ob-servation du pass. Si 1 'observation, comme il est souhaitable, ouvre un dialogue, quelle forme rev-tira ce dernier, ds lors que l'interlocuteur, non seu-lement est un Autre mais, par dfinition, mort et enterr? que seules subsistent de lui des traces refroidies, collectionnes et collationnes par l'ru-dition? Quelle que soit la technique employe (et Dieu sait qu'il en est de boteuses!), ce ne pourra jamais tre, ncessairement, qu'un dialogue rappor-t: une narration.

    (2) Cf. en particulier H. R. JAuss, Alteritiit und Moder-ni/at der mittelalterlichen Literatur, Munich, W. Fink, 1977, pp. 14-26.

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    L'IMAGINATION CRITIQUE

    Cette conclusion nous ramne, semble-t-il, Hrodote. Ce ne serait pas l un mal en soi; mais beaucoup d'histoire et d'histoires s'interposent au-jourd'hui entre leur Pre et nous, entre l'innocence du mythe ct les conflits qu'il nous faut assumer, sinon les dsillusions prouves.

    En fait, tout ce que, fin 1990, nous pouvons penser et dire s'inscrit dans un temps postrieur aux deux grandes cassures pistmiques qui auront hach notre sicle, de part et d'autre des annes 1950-1980. Nous avons connu alors, dans l'ge mr de ma gnration, une priode d'homognit heu-reuse. On y parlait de sciences humaines, sans mau-vaise conscience ni fausses pudeurs. Unanimement (ou presque) on avait des deux cts de 1 'Atlantique Nord revitalis la pense des grands anctres: Marx et Durkheim, Saussure et Troubetzko, Freud et (sauf en France) Jung. Sur l'uvre de ces gants s'difiait (comme un dfi la barbarie qu'avait t la guerre) une scolastique taye, intellectuellement par une fringale de scientificit, stylistiquement par une joyeuse autonomie des signifiants, socialement par des structures professionnelles-professorales de type fodal, assurant une autorit souvent oppres-sive une lite en voie de devenir grontocratie. Ainsi se solidifiait la matire bouillante qu 'avaient brasse, dans les annes 20 et 30, une poigne d'al-chimistes viennois, auxquels l'vnement, certes, avait t fatal, mais qui lguaient au monde une certaine ide de la forme: celle mme qu'illustraient, dans un trs apparent dsordre, travers l'Europe pr-nazie, les surralistes franais et les expression-nistes allemands, les artistes du Bauhaus, mais aussi

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  • L'IMAGINATION CRITIQUE

    Focillon et Wolflin, Bakhtine, le Cercle de Prague et bientt celui de Copenhague.

    Il a suffi de quelques dcs, autour de 1980, pour rompre ces harmonies. Il en subsiste des habitudes, des inerties de pense: la conviction, trs rpandue, que tout objet d'tude comporte une dimension collective; la distinction, universellement applique, de deux niveaux de ralit, le manifeste et le latent... Non que se soit perdu l'acquis d'une priode qui fut exceptionnellement brillante ct fconde; mais Je socle sous nos pieds se dsarticule, une atmosphre intellectuelle se rarfie et se charge de miasmes non identifis. Certaines vidences se dissipent. La cohrence de J'objet, prsuppos phi-losophique du structuralisme, est mise en cause; la ralit a cess d'tre un donn, rduite qu 'elle est, selon les termes de Lyotard C), un tat du rfrent rsultant de telle ou telle procdure; et nous avons appris qu'on ne fait pas la thorie d'un objet sans faire aussi son histoire. D'o, sans doute, la pause laquelle nous assistons depuis dix ans, dans la rflexion abstraite sur la littrature. Cette stase, du reste, affecte un secteur bien plus large de la connaissance. Le recul du chomskysme (et les prouesses de subtilit auxquelles doit se livrer un Chomsky vieillissant) sont la ranon d'une prise de position initiale, devenue intenable aujourd'hui: savoir qu'il n'y a pas d'ambiguts irrductibles. Du ct de la smiologie post-structuraliste, l 'effort de thorisation tend se concentrer sur la faillibi-lit des mthodes, dans le dsir (semble-t-il) d'as-

    (3) J.-F. LYOTARD, Le diffrend, p. 17.

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    sumer (ou de conjurer) le risque d'une dispersion, d'une drive, de la dislocation finale de 1 'appareil conceptuel: prix d'une nouvelle rationalit, ouverte sur des paradigmes encore dcouvrir e).

    Nous sommes en pleine crise de vridicit. Ni la philosophie ni l'histoire ne se rfrent plus au vrai. Cela mesure, ne ft-ce que depuis Saussure et Hjemslev, l'immensit d'une distance. Nous avons perdu Je droit de parler de sciences de 1 'homme: non seulement le droit, mais le got. Quant la Science de la littrature, que certains, au dbut des annes 50, appelaient de leurs vux, je prfre m'en taire! D'o le succs, aux confins de la linguistique et des tudes littraires, de la pragma-tique et de l' analyse des discours qui, elles, donnent l'impression d'ouvrir sur une libert. Peut-tre, au niveau des motivations profondes, s'agit-il moins de libert que de

  • L'IMAGINATION CRITIQUE

    Quoique le maintien de fragments dissocis des terminologies anciennes trouble, pour beaucoup, la perspective, une conscience se dgage et trahit l'ir-rductibilit de ces mutations. Depuis une quinzaine d'annes, on parle de post-modernisme. On aime-rait prendre le terme avec ironie, car il renvoie, in-volontairement, aux ambitions des novateurs du XIIe sicle, revendiquant modernitas nostra! Mais le mot importe moins que ce dont son emploi est le symptme: le besoin de catgories qui soient la fois valides idalement et historiquement; le dsir de trouver une alternative un systme de ratioci-nation hrit (c'est ce qu 'on prtend ... ) des Grecs; cette recherche cumulative de petites cohrences embotes comme des poupes russes, en une illu-sion de totalit; un scepticisme envers causalits et tlologies (la valorisation du rhizome plutt que de la souche) (6); 1 'appel au pluralisme mthodologi-que, le penchant l' ambigut des discours tenus sur le monde. Le savoir se r intriorise, grce 1 'an-nulation des valeurs d ' usage, au retour du sujet, au triomphe de l'individuation sur l'idation, du glissement sur la rupture C).

    D'o, pour le mdivis te (ou quiconque se voue l'tude de cultures du pass), un paradoxe propre affecter profondment l' ide qu 'il se fait

    (6) G. DELEUZE et F. UATIARI, Rhizome.

    (1) Cf. J.-F. LYOTARD, La condition postmodeme -Tentative de clarification, relativement aux tudes littraires: les deux volumes collectifs publis chez Benjamin, Amster-dam et Philadelphie, en 1986, Approaching Postmodemism, et 1987, Exploring Postmodernism.

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    de sa tche, et influer sur sa pratique. Ne va-t-il pas en effet, toutes contraintes abolies (et le mythe de J'objectivit une bonne fois pour toutes vid de substance), projeter, sur des documents de statut ontologique incertain, ses propres schmes imagi-naires? Et, suppos que tel soit bien le cas, est-ce l une dfaite ou une victoire, sinon la seconde par le dtour de la premire? (8). Le vieux problme de l'adquation de la mthode son objet se pose en de tout autres termes que nagure, si mme il se pose encore. Il n ' y a pas d 'objet en soi: cette pro-position a pris, de nos jours, valeur axiomatique. Il n'y a qu 'une relation entre Je suj et chercheur et ce propos de quoi il s' interroge. L'objet du m-diviste apparat ainsi dsormais comme double: c ' est, la fois et de manire indissociable, un v-nement du pass et le langage dont le faire conna-tre. vnement et langage se dfinissent rciproque-ment. Ensemble, indissociablement, ils constituent une pratique et un savoir. Ce qui importe d'abord, c'est la relation du dsir qui les unit, en mme temps que la libert avec laquelle l'un saisit l'autre, s'en loigne, le reprend. J 'en suis, quant moi, persuad: c'est pour n 'avoir pas compris d 'emble cette nou-velle donne, jou le jeu et affront le dfi, que le mdivisme s'est condamn une marginalisation qui (en dpit de tout ce qu 'on peut dire et sauf de rarissimes exceptions individuelles) le condamne

    (8) Cf. L. PATTERSON, Negotiating the Past: the Histo-rical Understandzg of Medieval Literature; et Les mthodes du discours critique dans Les tudes seizimistes, pp. 53-62 et 89-128.

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    aujourd 'hui l'enfermement dans le ghetto univer-sitaire.

    Au temps lointain de ma jeunesse, nous atten-dions de 1 'historien qu ' il nous dt ce que le pass devait avoir t: j 'entends, ce qu'il fallait (pour sau-vegarder l'illusoire quilibre du monde culturel auquel nous appartenions) absolument qu'il et t. II est vrai que, chez les gens de vingt ans, vers 1935, quelques doutes commenaient poindre; mais nos professeurs restaient imperturbables et leur tendance s'accusait plus fortement encore quand leur objet tait un ensemble de formes: art ou littrature. Ils se prvalaient de leur (bonne!) conscience histori-que, mais n'imaginaient pas que cette conscience et une histoire. Traiter de textes se ramenait sou-vent dcrire des contextes, sans que le descripteur se comptt lui-mme parmi les lments de ceux-ci.

    Le sentiment que, ncessairement, heureuse-ment, nous avons du pass, ce sentiment qu ' en gnral chacun de nous a lentement, laborieusement acquis et affin, ce sentiment nous pige. Il faut le savoir, et le dire. Le pass s'offre nous comme une mine de mtaphores l'aide desquelles, ind-finiment, nous nous disons. Pourquoi ne pas l' a-vouer, et faire de cet aveu un point de dpart? Une distance insurmontable nous spare de ce qu'on nomme le moyen ge; elle mesure une diffrence que rien jamais ne rduira. La seule qualit que nous ayons comme lui, c'est la qualit historique, le fait que nous possdons (et que le Moyen ge possda de son ct) une historicit propre, par laquelle et dans laquelle exister. C'est au sein de cette condi-tion commune que le prsent devient le lieu d 'un

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    L' IMAGINATION CRITIQUE

    savoir: sans curiosit vraie ni passion de 1 'actuel, aucune mmoire du pass ne peut tre vivante; inversement, la perception du prsent s'attnue et s'appauvrit lorsque s'efface en nous cette prsence, muette mais insistante, du pass (9). S'il importe (et nul, je pense, ne le niera) qu 'un lieu soit trouv commun au sujet de la recherche ct son objet, ce lieu ne peut exister qu 'aujourd'hui. L ' information la plus large possible assure, de part et d'autre, la fcondit de cette double coexistence: du pass en notre prsent, de celui-ci dans celui-l; elle en conditionne la richesse, en nuance les effets; mais elle n'en est aucunement la cause. Fruit de la volont (la volont du collectionneur, dans l'pret du labeur quotidien), elle toffe, renforce, parfois dynamise, mais ne cre rien.

    Nous sommes sortis du monde rassurant des grands rudits humanistes: les derniers d' entre eux, un Curtius, un Auerbach, nous ont quitts il y a plus de trente ans! Pour eux, la collecte des fa its consti-tuait une Origine: par del , leur gnie tait de dres-ser l'inventaire, de dgager une perspective, d'en fa ire jaillir l'ide que l 'on supposait latente. Au mieux, cette faon d'oprer s'est aujourd'hui dgra-de en mdiocre propdeutique. Elle exigeait une innocence que l'histoire (elle, justement!) nous a ravie. Rationalit ne signifie plus pour nous facult

    (9) Voir G. LE VOT, Histoire ouverte et espaces tran-sitionnels: propos de la pratique et de l'tude du chant m-dival, in P.-L. lAM (ds.), De la recherche la cration, pp. 13-33; etAvant-propos du no 73 de la Revue du musico-logie (1987).

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    argumentative ni logique analytique, mais drapage contrl parmi les apparences; et si la thorie n'in-tresse plus grand monde (et terrorise certains), c'est qu'elle tendrait nous faire rouler tout droit.

    *

    En histoire comme en psychanalyse, 1 'objet est une prsence perdue. Le Moyen ge est le non-lieu du mdiviste: hors-espace, dans la dimension d ' un pur nomadisme temporel. Pourtant, la saisie que, parfois passionnment, nous en tentons, implique le corps: engag par les puissances psychiques qu ' il possde et conditionne, mais aussi par l'opration, bien concrte (mme simplifie par nos techniques) de la main et de 1 'il; par le bien-tre ou la fatigue; par tout ce qui, dans ce que nous sommes, favorise la spontanit de l'intellect, l'intuition, la perception des analogies formelles, ou au contraire y fai t obs-tacle. Ce sont l dimensions d ' un espace subjectif, intriorisable, au sein duquel se constitue 1 ' image de l'objet. Admettons, pour simplifier, que celui-ci relve de la nature: nous le percevons travers les lunettes que constitue pour nous notre culture; mais cette perception demeure virtuelle tant que, grce une intervention personnelle, nous requrant tout entiers, nous n'en avons pas fait notre u-vre (1). Je n'hsiterais pas gnraliser, en les tendant toute dmarche historienne, les principes que suggre le musicologue G. Le Vot en vue de

    (10) Cf. J. DUDOIS, Pour un au-del de l'objet>>, pp. 57-59.

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    L ' IMAGINATION CRITIQUE

    l'excution, aujourd'hui, de mlodies mdivales: il s' agit de cration, non de musologie (11).

    La question est cel1e de la nature d ' une con-naissance. Que voulons-nous savoir, et quel sera le statut de ce que nous aurons appris?

    li importe de clarifier d 'emble la perspective, quitte recourir au paradoxe. L'opration de tout historien est de l'ordre de l'art. Sans doute l'est-elle de faon plus manifeste lorsqu'elle porte sur des textes potiques, objets que produisit une formali-sation seconde et intentionnelle, une surdtermina-tion du langage: par l mme enracins dans ce que l'tre humain possde de moins universalisable et de plus vrai, parmi les lans primordiaux qui nous font tre, chacun pour soi (12). Dans un sens peine diffrent, Vico (auquel on a toujours profit reve-nir) disait que la science consiste mettre les choses dans un ordre beau. En fait, c'est moins d'une Science que nous avons besoin en histoire (et sp-cialement dans celle qu'on dit littraire), que d'un savoir. L ' un, malheureusement, exclut souvent l 'au-tre: la science a pris parmi nous, durant deux ou trois sicles, des habitudes de tyrannie; et le savoir, par raction, s'habille des dfroques d'une sagesse. Ce n'est plus de cela qu 'il s'agit, mais de viser, travers la science, un savoir; la premire, usant de 1 'abstraction de l'ide; le second, se constituant en

    (11) G. LE VoT; Histoire ouverte et espaces ... , pp. 22-25.

    (12) Je renverrais sur ce point J. HAMBURGER, La rai-son et La passion: rflexion sur Les Limites de La connaissance.

    109

  • L'IMAGINATION CRITIQUE

    discours et dbouchant sur une action (13). La science part d'une observation; le savoir, d'une ex-prience ... qu'il reste articuler (comme s'exprime notre jargon) en discours: c'est--dire en tmoi-gnage, car (tandis que la science s'intresse au seul ritrable et n'a prise que sur lui) le savoir procde d'une confrontation mouvante avec l'objet, d'une bauche de dialogue avec ce qu 'a d'unique celui-ci. Cette intriorisation de la procdure cognitive (pour reprendre les termes de A. Corboz) (14) est axe, moins sur la connaissance elle-mme que sur le dsir de connatre. Elle exclut l 'emploi d'un dis-cours neutre et qui, prtendant la transparence, se vide de toute passion, passe la calandre les fris-sonnements de la vie. Elle attnue, jusqu' parfois la dissiper tout fait, la fascination qu 'exercent sur certains esprits les techniques d 'numration et d ' analyse; de ces dernires, elle ne nie pas la ncessit pralable, mais elle la situe son juste niveau: propdeutique ct5). Elle rend impossible la confusion entre historia et res gestae.

    On rcupre et revigore ainsi la distinction que posait jadis Lessing entre 1 'assemblage des informa-tions et la perception d'une organicit vivante ... dis-tinction du reste non sans danger; mais le savoir n'est jamais gratuit, ni sr. Il y a toujours un prix

    (13) P. ZUMlliOR, Le savoir et la science: le problme du romaniste, pp. 301-312.

    110

    (14) A. CORBOZ, Mathod-Maser, pp. 117-125.

    (15) Ibid., p. 118.

    L'IMAGINATION CRITIQUE

    payer, et ce prix est un risque, apparemment ins-crit dans les structures de notre univers. Il n'y a gure en effet de champ de recherche aujourd'hui, dans les domaines les plus divers, o l'on ose en-core se fonder sur le postulat classique d 'une coh-rence du monde ct6). Le risque courir, c'est d'avoir affronter soudain ce vertige, dans des conditions o la science ne nous procure aucun garde-fou. La science, notre science, prtend, il est vrai, travailler dans 1 'ordre du ncessaire; en vrit, faute de projet global, elle s'abandonne au hasard et, complmentairement, l'engendre; elle se mfie nanmoins, comme de produits alatoires, de l'art et de la posie, d'o provient la seule globalit concevable, mais qui ne la concerne pas; la seule ncessit vritable, mais qu'elle ne saurait penser. Entre les deux pinces de cette contradiction: nous, nos textes et, souhaitons-le, 1 'amour que nous leur portons.

    Certains, pour chapper au vertige, s'accroch-rent 1' ide d'une histoire totale, voire de la totalit de 1 'uvre d'art. Penser ainsi l'objet, crit Lyotard, c'est le soustraire toute connaissance e7). Ce qu 'on appelle la ralit est sans doute ontologique-ment univoque, et peut-tre homogne. Sur le plan du savoir, elle reste conflictuelle et htrogne. On peut en revendiquer une vue globale, non totale. J'oppose ainsi totalit, dsignant un ensemble

    (16) Consquences sur l'tude des textes: voir B. Trits-mans, Nerval et l' indtermination textuelle>>, pp. 423-436.

    (11) J.-F. LYOTARD, Le diffrend, p. 18.

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  • L'IMAGINATION CRITIQUE

    organique donn pour dos, globalit qui con-note ouverture, progressivit, nergie mouvante. Globalit implique des cohsions plus lches, moins de convention, moins de relations causales et un

    ' axe double de polarisation: vers le pass avec lequel nous sommes, chercheurs historiens aux prises et

    ' ' vers 1 'acte mme auquel, en ce moment, nous pas-sons. Reste que chacun de nous conserve le ds ir refoul de retrouver quelque doctrine totalisante, qui correspondrait l'ide mdivale de science. Ce dsir fait retour aujourd 'hui, et prend la forme fan-tasmique de l ' interdisciplinarit. Mais la ncessa ire diversit d'information que dsigne (ou dissimule) ce mot prend chez beaucoup de ceux qui la profes-sent la forme d ' un syncrtisme mou que Michel de Cerleau, nagure, traitait de maladie du savoir.

    L'histoire non plus n' est pas une catgorie homogne. Mais plutt que de constituer sous son nom un pot-pourri de commentaires emprunts, dmultiplions-en les dispositifs, excavons au fur et mesure le sol sur lequel s' installe le chantier (18). S'carter, explorer les zones vagues, hors-dfinition; d-centrer, distendre l ' image. Refuser toute interpr-tation pose, ex-pose, d'un point immobile, car le sAens procde du mouvement. La pluralit du Moyen Age, l ' interdpendance nos yeux ( travers ce brouillard de quelques sicles) des parties qui le composent, le polycentrisme de sa culture: ces traits, constats avec une confortable indiffrence idolo-gique (nous ne sommes plus concerns ... du moins

    (18) Ainsi, R. E. SULLIVAN, The carolingian age>>, p. 298.

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    L'IMAGINATION CRITIQUE

    le semble-t-il), font des tudes mdivales un champ priyilgi de rflexion sur une pratique.

    Ce que cherche ( certaines heures, dsespr-ment) notre socit, c' est un savoir sur elle-mme. L' htrognit de ceux qu'on lui propose la rassure plutt qu 'elle ne l' angoisse, car du fond de son his-to ire et de son inconscient elle rpugne aux totali-sations autant qu'aux totalitarismes. Spontanment, elle redoute les synthses, les vraies, celles qui pour des sicles vous bouclent au cachot: comme le fit, ou faillit de bien peu le faire, 1 'aristotlisme mdi-val. Elle s'amuse plutt feuilleter le Reader digest ou les encyclopdies qu 'on nous offre la porte. Ce dballage de connaissances l'assure contre la Synthse! Ce qu 'elle y cherche, c'est l 'occasion d ' un jeu. J'ignore si elle la trouve. Mais ce dont il faut se convaincre, c'est que, dans ce dsarroi, le plus grand besoin qui subsiste est de jouer: comme joue l' enfant pour qui son jeu instaure la seule image supportable et fconde de l'existence. Ce que cette socit attend de nous, chercheurs, c'est la pro-duction d 'un savoir ludique. Et ce dernier mot, dans un tel contexte, dnote moins la purilit que l'en-fance, les valeurs ontologiques lies aux premiers regards jets sur le monde, l'merveillement et au sentiment de souveraine libert qui procdent du premier dploiement d'une connaissance.

    Dans cette aire de jeu et d 'exprience (cet CS-pace potentiel comme crivait Winnicott), dans l 'exprience de ce jeu s'opre la transition entre moi et l'inaccessible rel e9): une prise m'est donne

    (19) D. W. WINNlCOTI, Jeu et ralit, pp. 19-40.

    113

  • L'IMAGINATION CRITIQUE

    sur celui-ci; sa possession fantasmatique m ' est offerte, en mme temps qu 'un plaisir. Cc ne sont pas les choses mmes ainsi connues qui jouent, sous nos yeux; elle jouent en nous, dans la conscience que nous en prenons; c'est--dire que Je jeu est en moi, de moi (que la tradition acadmique affuble du titre de chercheur, de savant, d ' historien, que sais-je?) et aussi, par l mme, en toi, de toi, mon lecteur, mon auditeur, mon lve, mon Autre.

    Le savoir est une longue, lente saveur. Spon-tanment, nos contemporains le redoutent, avides qu ' ils sont, ou qu'on les a rendus, d'histoire imm-diate. Mais l n'est pas la question. La seule ques-tion est celle d ' une corporit (intriorise) de la connaissance: une implication, dans 1 'ide mme et le langage qui la porte (et peut-tre la suscite), de la vue, de l'oue, et de l ' ineffable contact d 'o nat 1 'amour; des rythmes du sang et du battement des viscres, insparables de tout surgissement d'une image.

    K. White, en d 'autres termes (emprunts, hlas, Spengler), parle d ' une ouverture aux Saisisse-ments, intuitions directes trangres toute dmarche dductive: puise intellectuellement, l'humanit aspire tre ainsi saisie, de telle sorte que le cri.tre ultime de validit des connaissances soit que a se pense en moi CZ0). Ces expressions demeurent trop timides. Une prsence s'introduit, clandestinement, dans mon langage, J'habite, me-nace tout instant de Je faire sauter, sans pourtant que sa comprhensibilit s'abolisse. Elle trafique on

    (20) D. W . WINNICOTT, Jeu et ralit, pp. 44-45.

    114

    L'IMAGINATION CRITIQUE

    ne sait quelles centrales rationnelles, . court-circuite quelque postulat, modifie le voltage des fantasmes ... ct pourtant a marche, concluerait un moderne Galile. C'est en moi que Je systme (si J'on peut conserver ce terme!) prend sa valeur, partir de moi, en vertu de ce que rellement je suis, et non plus partir de l 'objet qu ' il me faudra produire. C'est moi que se mesurera son efficacit, non quelque description objective.

    S'il fallait catgoriser une telle pratique, je dirais que nous basculons ds lors du ct de la posie. Dans le sens fort et trans-historique du mot: relatif, non aux figures du langage comme telles, mais une manire de connatre le monde, une modalit minente du savoir. Information, collecte des faits, description de procs externes, apports de disciplines annexes ou voisines (linguistique ou anthropologie): tout cela, maintenu de plein droit (et, si possible, approfondi), la posie le domine, le matrise, en fait sa matire. Mais elle refuse d'y emprunter sa forme: elle ne le peut pas. Sa forme est image: fruit d'une opration personnelle, dont les rgles heuristiques se fondent sur un sdiment d'expriences mal communicables comme telles, inexplicitables, injustifiables, emprisonnes dans les limites (larges ou troites, autre question ... ) d'un individu vivant. Parlons ce propos d ' imagina-tion, sans presser le mot davantage.

    *

    L' imagination, facult potique, agit selon deux modalits. Elle part d'une saisie, intensment

    115

  • L' IMAGINATION CRITIQUE

    concrte, du rel particulier, mais cette saisie s'ac-compagne (sans que les temps s 'en distinguent tou-jours) d 'une remise en place et d'une recomposition, en vertu d ' analogies diverses, des lments perus: de la sorte en est mise en valeur, de manire inat-tendue, relativement l'exigence de 1 ' instant pr-sent, la ncessit vritable. Quand cette image investit le langage ct 1 ' anime, celui-ci, en se pro-nonant lui-mme, dit, dcouvre, cre des formes, de toute autre manire inaccessibles, latentes dans ce qui fut un objet. Sans doute est-ce ainsi que les enfants sentent, pensent et s'expriment, aussi longtemps qu ' ils restent purs.

    L'imagination, contrairement au dicton, n'est pas folle; simplement, elle d-raisonne. Plutt que de dduire, de 1 'objet auquel on la confronte, de possibles consquences, elle le fait travailler. Certes, il y a danger: 1 'objet, elle peut le casser. Mais o n'y a-t-il pas de danger? et est-ce, en dfinitive, cela qu i compte? Toutes les prudences joueront au pra-lable, dans la collecte d 'informations. Aprs usage des prceptes et concepts qui alors s 'imposent, on les retire comme le faufil d ' un vtement achev. Rien n ' assure que pour l'objet suivant prceptes et concepts restent les mmes; leur combinaison en tout cas varie infiniment. L 'hermneutique se saisit de la grammaire, laquelle est comptence, ency-clopdie, attention philologique. Elle se la soumet afin d 'en tirer profit pour nous, existants, tel que nous sommes. L'imagination fait fonctionner dans notre espace ludique l' objet qu 'elle a captur. Elle en transmue par l mme le statut; ce qui fut docu-

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    L' IMAGINATION CRITIQUE

    ment devient ral it partage, selon un autre mot de Winnicott.

    Quand l'objet est un texte, fondamentalement le discours critique en constitue la glose: une glose active, qui cre en mme temps et par l mme qu'elle ex-plique, dploie, manifeste, vivifie, se charge pour nous des parfums et des saveurs dont nous avons besoin pour exister, resti tue au texte pas-s le potentiel rotique que ncessairement, comme texte, en son temps, il dtint. Dans sa qualit pro-fonde ce discours est l'inverse du discours thori-que, iequel le nie. Ni assertive, ni catgorique, la parole qu ' inspire el soutient l' imagination critique entend demeurer en prise directe, non sur le monde mais bien sur CC monde, o nous som-mes, q~e nous sommes, et qui n'est pas un monde de vrit, mais de dsir.

    Ce genre de perception et de re-cration ima-ge s' impose particulirement, me sen;ble-t-il, au mdiviste. La posie du Moyen Age Ge me refuse parler de littrature) fut, dans son ensem-ble, d ' intention, s inon toujours de transmission, orale f 1). Elle fonctionna, jusqu ' une poque tar-dive, de manire mieux comparable (quoique non identique!) aux littratures des civilisations afri-caines traditionnelles qu ' notre moderne littrature: en cela surtout que le texte ne dit pas seulement quelque chose, mais le fait, non mtaphoriquement ni en puissance, mais rellement, dans le vcu

    (21) P. ZUMrHOR, La lettre et la voix, pp. 15-59.

    117

  • L'IMAGINATION CRITIQUE

    (comme on dit...) de chacun des participants CZ2). Or, par del une distance chronologique considra-ble, le but du mdiviste n 'est-il pas (ne devrait-il pas tre) de devenir lui-mme participant de l'uvre en cause, et d 'y faire participer ceux qui l'entendent ou le lisent?

    Relativement au sens qui, au terme de nos dis-cours, s'investira dans l 'uvre, celle-ci agit sur nous comme un metteur de messages brouills par les sicles et dont le dcodage (toujours approximatif) implique ma propre historicit: dmarche non arbi-traire, car elle implique aussi considration de 1 'his-toricit de cette uvre-l. Mais en me 1 'appropriant je la vis, et en la vivant je lui donne, par-del toutes les significations repres, un sens. Puis-je dire son sens? ou est-ce le mien? suscit par l 'acte mme de cette traduction, de cette translatio studii gu' est in-vitablement le temps de l'humanit. Je cherche ma propre histoire dans la singularit de mon objet; et lui, retrouve en moi, comme en prospective, la sienne. Il retrouve une passion: la mienne; celle que mon discours russira peut-tre communiquer au-tour de moi.

    Dans tous les objets relevant de l'histoire (et donc de l'historiographie), il faut bien chercher nous y retrouver. Qu'est-ce dire, sinon rorga-niser les donnes que 1 'on inventoria et en imaginer le sens? accoucher de son fruit, d'un fruit proba-ble, cette matrice signifiante? Un adage paradoxal

    (22) Voir le tmoignage d'africanistes, spcialement K. BARBER, L. WHITE et autres, in Discourse and its disguises, pp. 13-56.

    118

    L'IMAGINATION CRITIQUE

    assure que toute histoire est contemporaine. Mieux encore, Schlegel un jour parla de prvoir le pass: tant il est vrai que 1 ' historiographie, interprtation de documents contrlables, travaille chaud et, tou-jours discutable, souvent conteste, nous engage vitalement (nous: les historiens ct leurs lecteurs) chaque pas. Ce que j 'affirme, c'est la nature poti-que de cet engagement.

    Potique: fictionnelle, si J'on prfre, car la translalio, en bonne rhtorique, nous introduit au rgne des analogies, lesquelles manifestent une continuit relle, quoique voile ... de sorte que nous parvenons, comme l' crit A. Corboz, deux doigts de la dfinition surraliste de la posie! p). En vertu de son caractre analogique et donc fictionnel, Je discours potique de l' historien, par nature, est rcit. Le savoir gu' il constitue ct transmet (tout gorg qu ' il puisse tre d'lments scientifiques) appartient ce que Lyotard nommait le savoir nar-ratif f 4). Ou bien, ce d iscours ne dit rien, et rsonne (orgueilleusement parfois) dans la vanit de l 'ab-surde. C'est en sa qualit de rcit que le discours tenu par l'historien dclare son rapport avec le lieu singulier de sa double origine. Ainsi seulement a-t-il une chance de donner (par del tous les dcodages qu'il propose) sentir une prsence ct, peut-tre, une beaut.

    (23) A. CoRIJOZ, Mathod-Maser, p. 120.

    (24) J.-F. LYOTARD, La condition postmoderne, p. 35-43.

    119

  • L'IMAGINATION CRITIQUE

    . La beau~ vient en surplus, comme une grce. ~ais de la presence s'engendre un plaisir. Et Je plai-Sir est la plus haute valeur de 1 'esprit, car il est la fois joie et signe: le signe d'une victoire de et sur la vie, cette victoire qui nous fait humains.

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  • Table onomastique

    ABRAMS, 32 ANIKUPALOKlJTI, F., 64 ARISTOTE, 57 ARTAUD, A., 63, 67

    BAKIITINE, 102 BARBER, K., 118 BEN AMos, D. , 32 BREDNICH, R. W., 40 BURKE, 10

    CAlAME-GRIAULE, G., 40 CERVON!, J., 78 CHOPIN, H., 65 CORBOZ, A., 110, 119

    DE CERTEAU, M., 112

    D ELEUZE, G., 104 DOURNES, J., 71 DUBOIS, J. , 52, 108 DUFRENNE, M., 46, 87 DUNDEE, 32 DURKHEIM, 101

    Eco, U., 24, 78 ENTOMB, M., 94

    FRAL, 1 ., 43, 44, 45 FlNNEGAN, R., 40 FOCilLON, 102 FONAGY, l., 10, 30, 90 FONTANA, G., 65 FORMAGGIO, D., 87 FOUCAULT, M., 73 FREUD, 101

    GADAMER, 57, 58 GALILE, 115 GARCIA 'LORCA, F., 67

    GENETTE, G., 82 GINZBURG, 10 G6MEZ-MORIANA, A., 82 GOODY, J., 62 GREENBERG, J., 64 GREIMAS, A. J., 103 GATTARI, F., 104 GUIRAlJT, P., 84

    127

  • TABLE ONOMASTIQUE

    GUMBRECJ-ff, H. U., 95 GUMBRECI-IT, H. V., 86

    HAMBURGER, J. , 109 HJEMSLEV, 103 HOMRE, 55 H OUSMAN, A E., 46 H USSERL, 25 HYMES, D., 33, 34, 49

    INGARDEN, 57 ISER, W., 56

    JAHN, J., 93 lAM, P.-L., 107 JAUSS, H. R., 56, 57, 100 JOUSSE, M., 93 J UNG, 101

    KIBEDI-VARGA, S., 82

    LABov, 34 LE VoT, G., 107, 109 LESSING, 110 LOMAX, 32 LORCA, G., 63 LUTH!, M., 31 LYOTARD, J.-F., 70, 102, 104,

    119

    MAc LUHAN, M., 13, 39, 40, 47, 53

    MARx, 101 MERLEAU-PONTY, 46, 85, 87

    NERVAL, 111

    ONG, W., 13, 53 OUELLET, P., 78

    128

    PATRSON, L., 105 PAULI-JAN, J. , 67 PFEIFFER, L., 70, 86, 95

    RCANATI, F., 78 RO!ffiiCII, L., 40 R OSENBERG, G., 64 ROUBAUD, J., 60

    SANTERRES-SARKANY, S., 23 SAUSSURE, 101 SPENGLER, 114 SPIRE, A, 46 SPITZ, R. A, 92 SULLIVAN, R. E., 112 SUPPAN, W., 40

    THOMPSON, S., 94 TOMATIS, A, 9, 90 ThABANT, J., 95 TIUTSMANS, B., 111 TROUBETZKO, 101

    VAILLANT-COUTURIER, P., 64 VALRY, 85 VASSE, D., 90 VmGlLE, 55

    W ARNING, R., 57 WEINRICH, H., 85, 86 WHITE, K., 103, 114 WHITE, L., 118 WINNICOIT, D. W., 45, 113,

    114, 117 W6LFLIN, 102

    ZUMTIIOR, P., 55, 65, 81, 99, 110, 117

    Table des matires

    Avant-propos ... . . . ........ 7

    I. Performance, rception, lecture ...... .. 21

    Chapitre 1 Autour de l'ide de performance ... . .. . 29

    Chapitre 2 Performance et rception . . . . . . . . . . . . . 49

    Chapitre 3 Performance et lecture .......... .. .. 67

    Chapitre 4 L'engagement du corps .. .... ....... . 81

    II. L 'imagination critique ... .......... . 97

    Table bibliographique ............. ... ... 121

    Table onomastique . ................ . .. 127

    129

  • il

    La collection L'Univers des discours est dirige par Antonio Gomez-Moriana et Danile Trottier

    D~j parus dans cette collection:

    La subversion du discours rituel, par Antonio G6mez-Moriana

    L'Enjeu du manifeste, le manifeste enjeu, par Jeanne Demers et Lyne McMurray

    .leu textuel et profanation, par Danile Troltier

    Relations del' expdition M alaspina aux confins de .l'Empire e!>pagnol. L'chec du voyage, par Catherine Pou peney Hart

    Le discours maghrbin: dynamique textuelle chez Albert Memmi, par Robert Elbaz

    crire en France auXJXe sicle. Actes du Colloque de Rome 1987, par Graziella Paglia no et Antonio G6mez-Moriana (ds.)

    Le paradigme inquiet: Pirandello et le champ de la modernit, par Wladimir Krysinski

    Le roman qubcois de 1960 1975. Idologie et reprsentation littraire, par J6zef Kwaterko

    Le discours de presse. L'image des syndicats au Qubec (1982-1983), par Maryse Souchard

    Le voleur de parcours. Identit et cosmopolitisme dans la littrature qubcoise contemporaine, par Simon Harel

    1889 Un tat du discours social, par Marc Angenot

  • Romantisme et crises de La modernit. Posie et encyclopdie dans Le Brouillon de Novalis, par Waller Moser

    Apprendre lire des fables. Une approche smio-cognitive, par Christian Vandendorpc

    Le roman mmoriel, par Rgine Robin

    Le biologique et le social, par Nadia Khouri

    Rcits et actions. Pour une thorie de la lecture, par Bertrand Gervais

    La dimension hylique du roman, par Javier Garda Mndez

    Le contexte littraire: lecture pragmatique de Hubert Aquin et de Rjean Ducharme, par Marilyn Randall

    Sociocritique de la traduction. Thtre et altrit au Qubec, par Annie Brisset

    Le conflit des nonciations. Traduction et discours rapport, par Barbara Fol kart

    Vies et morts d 'Artaud. Le sjour Rodez, par Simon Harcl

    Parole exclusive, parole exclue, parole transgressive. Marginalisation et marginalit dans les pratiques discursives, par A. G6mez-Moriana et Catherine Pou peney Hart (ds.)

    Performance, rception, lecture, par Paul Zumthor

    La posie qubcoise actuelle, par Madeleine Gagnon

    Analyse des discours et sociocritique des textes, par Marc Angenot, Antonio G6mez-Moriana et Rgine Robin

    paratre prochainement:

    lias Canetti ou la dfaillance du roman, par Robert Elbaz

    Voir et savoir. Perception de l'univers des discours,

    par Pierre Ouellet

    Persuasion et sduction. par Maggy Saragossi Mlancolie et violence. Destin du sujet et de l'Histoire

    dans le romanesque aquinien, par Jacques Cardinal

    L'idologie: un quasi-argument, par Michel van Schendel