Zilberberg - Esquisse d'Une Grammaire Du Sublime Chez Longin

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  • 7/26/2019 Zilberberg - Esquisse d'Une Grammaire Du Sublime Chez Longin

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    Claude Zilberberg

    Esquisse d'une grammaire du sublime chez LonginIn: Langages, 34e anne, n137, 2000. pp. 102-121.

    Abstract

    The study has three objectives:

    (i) to reinforce the still fledgling hypothesis of the schematism of tension. This hypothesis proposes to accentuate the orientation

    of the interval which is considered to be more dynamic than opposition; the sublime according to Longinus' description is

    characterized by suddenness, hence speed, by which he forces the enunciatee to bridge the semantic gap;

    (ii) establish that the principal distinctions of rhetoric, in this case restricted if one relates it to the works of Aristotle, are already

    those that tensive semiotics is labouring to specify; (iii) finally, from the perspective of future generalization, the point of view

    adopted here is indirect as it is not presented as the ordinary relation of a commenting texte [D2] to a commented text [Dl], but as

    a commentary [D3] of a commentary [D2], such that the point of view has for its formula: [D3 - D2 - Dl]. The possibility of

    grammaticality, that is , the constraining recurrence of certain semantic categories , is related to the stabilization of the relation

    [D3 - D2].

    Citer ce document / Cite this document :

    Zilberberg Claude. Esquisse d'une grammaire du sublime chez Longin. In: Langages, 34e anne, n137, 2000. pp. 102-121.

    doi : 10.3406/lgge.2000.1787

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_2000_num_34_137_1787

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lgge_516http://dx.doi.org/10.3406/lgge.2000.1787http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_2000_num_34_137_1787http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_2000_num_34_137_1787http://dx.doi.org/10.3406/lgge.2000.1787http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lgge_516
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    Claude ZlLBERBERG

    G.D.R.

    Smiotique , C.N.R.S.

    ESQUISSE D UN E GRAMMAIRE DU

    SUBLIME

    CHEZ

    LONGIN

    L'ancienne

    rhtorique regardait comme des ornements et

    des

    artifices ces

    figures

    et ces relations que (...)

    les

    progrs

    de l'analyse trouveront

    un

    jour comme effets de

    proprit

    rofondes, ou

    de ce qu'on

    pourrait

    nommer :

    sensibil

    itormelle.

    P.Valry

    La rhtorique

    n'en

    finit pas de

    mourir... et

    de

    renatre.

    En

    1885, elle disparaiss

    ites programmes officiels de l'enseignement

    en

    France, mais chacun s'accorde

    reconnatre

    que la persuasion le

    faire

    persuasif1 l'argumentation, la

    dmonst

    ration,

    mme si la

    dlimitation

    de leur extension respective reste dlicate, sont des

    stratgies discursives qui

    sont

    autant de chapitres

    de

    la

    manipulation, donc de

    la

    rhtorique, de sorte qu'elle est probablement inhrente l'intersubjectivit,

    mais

    galement

    la

    subjectivit elle-mme puisque ego,

    nous

    dit-on,

    ne

    serait

    jamais

    seul.

    Le

    retour

    de la rhtorique a pris

    parfois un

    tour inattendu :

    elle

    a

    t

    restreinte aux

    figures de

    rhtorique,

    puis au couple mtaphore-mtonymie, parfois la seule

    mtaphore2,

    mais cette

    restriction s'accompagnait d'une installation

    des

    grandeurs

    retenues

    au

    centre du champ discursif, la thorie elle-mme ; bref,

    il

    tait demand

    l'une

    des

    parties de la rhtorique de la

    sauver

    toute, ce qui n tait possible

    que

    parce

    que la partie choisie valait implicitement pour le

    tout. C'est

    ainsi que

    R. Jakobson3, suivi par Lvi-Strauss,

    demandait

    au couple mtaphore-mtonymie

    de prendre

    en charge

    la structure mme

    de

    la

    langue.

    Comme il

    nous

    semble

    prilleux de

    substituer une

    partie

    au tout dont elle

    dpend,

    notre

    propos suivra une autre

    direction,

    elle-mme double, celle de la complment

    arit

    t

    de

    l'accentuation :

    (i) pour

    ce qui regarde

    la

    premire, la rhtorique, mme

    si

    la tripartition par genres (judiciaire,

    dlibratif,

    pidictique) a le

    plus souvent

    prvalu, est une thorie

    du

    discours sans doute culturellement situe, mais cette

    1. A.J.

    Creimas

    & J.

    Courtes,

    Smiotique 1, Paris,

    Hachette,

    1979, pp. 274-275.

    2. Selon Proust : Pour

    des

    raisons qui seraient trop longues dvelopper

    ici,

    je

    crois

    que

    la

    mtaphore seule

    peut

    donner

    une

    sorte d'ternit

    au

    style,

    (...)

    (in

    Contre

    Sainte-Beuve,

    Paris,

    Gallimard/La

    Pliade,

    1971, p.

    586).

    3.

    R.

    Jakobson, Essais

    de linguistique

    gnrale,

    Paris, Les

    ditions

    de Minuit,

    1963,

    pp.

    45-49.

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    objection

    n'est

    pas

    nos

    yeux absolument dirimante

    alors

    que la

    linguistique

    s'en

    tient la grammaire, laquelle se

    donne

    pour limite

    sacre

    la phrase ; dans ces

    conditions, la rhtorique

    s'inscrit

    comme complment et

    catalyse

    l'gard de

    la

    linguistique, laquelle

    ressort

    elle-mme comme defective ; la

    smiotique

    dispose

    certes d'une thorie du rcit, mais il serait trange

    d'tendre au

    discours ce

    qui

    vaut

    pour le rcit,

    alors

    mme que la

    smiotique

    greimassienne s'efforce

    dsormais

    de

    discerner

    les

    limites

    du

    schma

    narratif

    canonique ; (ii)

    pour

    ce qui regarde

    l accen

    tuation, nous faisons rfrence et hommage

    Cassirer,

    et sa

    dtermination

    exemplaire de tenir ensemble le sensible et l'intelligible ; en effet, l'accent4

    n'est-il

    pas, en quelque sorte, l'unit

    minimale

    de

    compte

    du sensible

    ? Cette tension

    entre

    le

    sensible et l'intelligible tension

    pour

    nous,

    tenant

    d'une certaine

    continuit

    culturelle,

    convenance,

    connivence pour

    d'autres

    univers

    de discours

    tait pourt

    ant

    nscrite

    dans

    les

    divisions

    de

    la rhtorique, notamment

    entre

    Yinvention, dirige

    par le

    docere,

    et

    Y

    elocution, dont l'orientation stylistique tait le

    movere.

    1. Le point de

    vue

    Encore balbutiantes, les sciences dites humaines doivent tre modestes puisque

    la

    prvision,

    c'est--dire

    l'efficacit,

    demeure

    hors

    de leur

    porte.

    Ce

    qu'il est

    lgitime

    d'attendre de

    leur

    part, c'est de

    dclarer un

    point de vue,

    c'est--dire une

    centralit, de

    mesurer

    le

    champ

    discursif se

    dployant

    partir

    de

    cette

    centralit,

    d'apprcier la

    circulation

    entre les catgories discursives ayant

    trouv

    place

    dans

    ce

    champ discursif, et

    enfin

    de montrer une inquitude pour les grandeurs demeurant

    en dehors

    des

    rseaux

    constitus. Le

    point de vue

    retenu

    ici

    est

    largement tributaire

    de la rflexion pistmologique et linguistique de Hjelmslev ; nous retenons deux

    directions : (i)

    du

    point de vue pistmologique,

    l isomorphisme entre

    la

    forme du

    contenu

    et

    la forme de l'expression ; (ii) du

    point

    de vue linguistique, la

    dcision

    pour

    le plan de l'expression de considrer que la structure syllabique

    canonique

    [voyelle

    vs

    consonne]

    prvient la

    structure

    phonologique,

    qui

    est

    la

    marque

    du

    structura

    lismeragois des annes soixante, et que la structure prosodique [accent

    vs

    modul

    ation]

    son

    tour prvient

    la structure syllabique. La

    fusion

    de ces

    demandes

    nous

    conduit

    donc

    recevoir,

    moyennant bien videmment une correction d'chelle,

    l accent

    et la modulation au titre de constituants discursifs

    lmentaires

    et pousser

    4.

    L'intuition

    n'est pas

    tendue,

    mais concentre ; elle est en quelque sorte ramene en un seul point.

    C'est seulement

    dans cette

    concentration

    qu'est

    trouv et

    mis en valeur

    ce

    moment

    sur lequel

    est

    pos

    l'accent de la "signification".

    (in

    E. Cassirer,

    Langage

    et mythe, Paris,

    les ditions

    de Minuit, 1989, p.

    113). Ds

    que la

    prosodie

    retrouve une

    place dans

    la thorie, la

    schizie

    (Hjelmslev)

    entre

    plan du contenu

    et

    plan

    de

    l'expression

    tend

    vers

    son

    retournement

    :

    la

    prosodie

    devient

    le

    plan du contenu

    et

    la

    signification

    le

    plan

    de

    l'expression,

    ce

    qui

    explique

    dj

    au

    moins en

    partie

    la mfiance

    enveloppant

    la

    prosodie.

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    jusqu' son

    point

    de

    rupture

    l'hypothse

    d'une

    prosodisation du contenu. Ce

    complexe

    [accent vs modulation] appelle une double mise au point : paradigmatique

    et

    syntagmatique.

    AvecJ. Fontanille5,

    nous

    avons formul l'hypothse que la prsence de l'accent

    et

    de la

    modulation

    dans

    les

    deux

    plans

    tait

    selon

    l'acception

    saussurienne du

    terme motive,

    dans la

    mesure

    o l'objet

    du sens,

    considr comme

    activit,

    praxis ininterrompue, est le commerce de l'intensit et de l'extensit, et ce sous une

    double

    condition : (i) l'intensit

    devient

    l'expression analytique du sensible,

    et

    l'extensit

    remplit la mme fonction pour l'intelligible ; (ii) l'accent

    est

    la

    forme

    exemplaire

    de

    l'intensit, et la modulation, la

    forme exemplaire de

    l'extensit.

    L'intensit

    et

    l'extensit sont apprhendes

    comme des gradients

    dlivrant

    compte tenu de l'vnementialit affectant, par dfinition, le

    sujet

    des valences

    respectivement

    intensives

    et

    extensives

    ;

    ds

    lors,

    du

    point

    de

    vue

    paradigmatique,

    l'accent et la modulation

    sont

    l'un vis--vis de l'autre dans un rapport de renverse

    ment

    l'accent

    fait prvaloir la valence intensive sur la valence

    extensive, dans

    l'exacte

    mesure o la modulation montre l'inverse. Soit :

    intensit

    aire

    de l'accent

    ^

    ,

    aire

    de

    la modulation

    extensit

    +

    Du point

    de vue paradigmatique,

    c'est--dire

    de la

    relation ou... ou

    ... , deux

    possibles

    font

    valoir leurs droits : celui de

    l'clat

    pour le sensible, celui de l'tendue,

    discrte ou

    non,

    pour

    l'intelligible,

    mais,

    certains gards,

    il

    n'est

    pas

    interdit

    de

    considrer que

    le

    paradigmatique

    n'a toujours

    pas

    t

    mis la question.

    Maintenant, du

    point de vue syntagmatique,

    c'est--dire du

    et... et

    ...

    admet

    tant

    a

    coexistence

    dans la

    chane des

    contraires, l'ordre

    de

    succession doit tre

    retenu comme

    pertinent: [a

    b] n'a

    rien

    voir

    avec [b

    >

    a].

    L'identit

    smiotique

    est double

    (i)

    elle

    ajuste

    tt ou tard l'identit paradigmatique

    des

    possibles et

    l'identit syntagmatique des compossibles,

    ainsi

    que

    Greimas l'avait

    indiqu :

    En linguistique, les choses se passent autrement :

    le discours

    y garde les

    5. J. Fontanille

    &

    Cl.

    Zilberberg,

    Tension

    et

    signification, Lige, P. Mardaga, 1998.

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    traces d'oprations

    syntaxiques

    antrieurement effectues : (...) 6 ; (ii) l'activit

    smiotique, dans la terminologie adopte par Hjelmslev,

    consiste

    tantt rsoudre

    les alternances en coexistences, tantt

    dfaire

    les coexistences en alternances :

    moins,

    le

    discours serait, selon une expression que nous dmarquons de

    Cassirer,

    muet.

    Le

    corollaire de

    la demande greimassienne stipule que l'ordre dans la

    chane est

    lui

    aussi sous le signe de

    la

    commutation. Moyennant le gouvernement de

    l'extensit par

    l'intensit, lequel est tabli

    par la prvalence

    de

    l'affectivit, la

    direction tensive doit tre leve au

    rang

    de composante critique de la signification :

    (i) si

    l'clat

    est

    pos

    comme terme

    ab

    quo et l'tendue comme terme

    ad

    quem,

    nous

    admettrons que la

    flche

    du sens

    est dcadente

    ;

    (ii)

    si maintenant

    l'tendue est

    pose

    comme terme

    ab

    quo et l'clat comme terme ad quem, la direction

    sera

    dite ascen

    dante.

    La terminologie ayant

    charge

    d'pouser

    les inflexions du sens, nous

    adop

    terons

    les

    conventions suivantes

    :

    clat

    =>

    1

    sommation =>

    accent

    [clat]

    tendue

    1

    rsolution

    direction

    dcadente

    modulation

    [tendue]

    tendue =>

    1

    gradation

    =>

    direction

    ascendante

    clat

    1

    acm

    2.

    Aspectualit et sublimit

    Cette tension,

    mme dans

    l'tat rudimentaire

    o elle est

    prsente,

    est

    dj celle

    qui

    rgle

    l'alternance

    entre

    la

    persuasion

    et

    enthousiasme,

    entre

    le

    docere

    et

    le

    movere. En effet, le style

    dit

    sublime a pour

    dfinissant

    de premier rang la direction

    ascendante [gradation

    acm]7 qui rgle son dploiement discursif, et ses caract

    ristiques dcoulent de son appartenance indfectible l'espace tensif Cependant, la

    place

    de

    la direction dans

    les thories

    smiotiques n'est

    pas

    clairement

    tablie

    : qu'il

    faille lui accorder une place

    n'est

    contest de

    personne,

    mais convient-il de

    lui

    6.

    A.J. Greimas & Courtes,

    Smiotique 1, op. cit., p. 31.

    7.

    Le

    recours

    au couple

    [gradation

    acm]

    constitue une

    modification

    par

    rapport

    aux choix retenus

    dans

    Tension

    et

    signification, mais prcisment

    le

    fait

    que

    les

    styles

    se

    saisissent de

    cette

    possibilit autorise

    ce

    renversement.

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    accorder la

    premire ? Convient-il

    de la

    reconnatre

    comme

    constante

    concentri

    que*

    Dans

    le cas de

    Saussure,

    il

    semble difficile

    de contester

    que,

    tout au moins

    pour

    le CLG, la notion

    de

    diffrence

    ne

    dtienne la prsance ; aux yeux

    de

    Hjelmslev, les notions de catgorie et de dpendance,

    celle-ci

    commandant celle-l,

    ont

    supplant

    la

    diffrence.

    Mais,

    rvrence

    garde,

    il

    semble

    difficile

    d'laborer

    une

    thorie du discours, dont la typologie des styles

    est un

    chapitre oblig,

    sans

    faire tat

    de

    la notion

    d'intervalle.

    2.1.

    Rvaluation de

    l'intervalle

    Plus

    prcisment sans doute, l'intervalle est au niveau

    d'une localit ce que la

    direction

    est au

    niveau de

    l'tendue.

    L'intervalle est une diffrence

    oriente

    et, par

    transposition, nous

    aimerions le considrer comme un quantum d'aspect, c'est--

    dire

    la

    provisoire

    limite

    du

    ressentir.

    Composable,

    l'intervalle

    est

    susceptible d'tre

    ajout, intgr dans un syntagme plus vaste pour former une suite [sx

    s2] ; cette

    notion

    d'intervalle prsente, par rapport

    la

    notion

    de diffrence,

    un

    autre avan

    tage

    elle tient compte, en

    raison

    de sa dpendance l'gard d'une direction tensive

    dcadente ou

    ascendante,

    de la place de S ou de s2. Compte tenu des

    limites

    de notre

    propos, nous n'envisagerons ici que le cas de s2 ; deux possibilits

    apparaissent

    aussitt

    :

    (i) si s2

    est un

    degr, nous admettons tre

    en face

    de la segmentation,

    c'est--dire d'une pause pour la phorie immanente la

    direction

    ; (ii) si s2 est une

    limite,

    le

    cas

    sera

    celui

    de

    la

    dmarcation,

    c'est--dire

    d'un

    arrt

    du

    point de

    vue

    phorique. Cette

    prsentation

    est

    conforme

    la dfinition de Amplification

    qui

    est

    l'un des

    ressorts

    dcisifs du

    sublime

    selon Longin : l' Amplification , respec

    tueuse de

    la segmentation, doit

    marquer chaque degr,

    comme

    on

    marque le

    pas

    :

    l'Amplification

    (...) "est un accroissement de paroles, que Von peut tirer

    de

    toutes

    les circonstances particulires, et de

    tous

    les

    lieux

    de

    Voraison,

    qui

    remplit

    le

    discours,

    et le fortifie, en

    appuyant sur ce qu'on a dj

    dit."

    8.

    J.

    Pigeaud est

    sans

    doute

    plus

    prcis

    quand il

    fait

    tat, dans

    sa traduction,

    d' amplification dans

    le

    nombre

    9.

    Le

    rseau des syntagmes

    tensifs lmentaires

    se

    prsente ainsi :

    ^^^^

    position

    direction ^^\^

    ascendance

    dcadence

    segmentation

    [= atteinte

    d'un degr]

    progression

    diminution

    dmarcation

    [= atteinte

    d'une

    limite]

    saturation

    annulation

    8. Longin, Le

    trait du sublime,

    traduction

    de

    Boileau,

    Paris,

    Le Livre de poche, 1995, p. 93.

    Pour

    eg

    citations du texte de Longin

    dans

    la traduction de Boileau, nous

    indiquerons

    dsormais entre parenthses

    le

    numro du chapitre

    et

    celui

    du

    fragment.

    9.

    Longin, Dit sublime, Paris,

    Rivages poche/Petite bibliothque,

    1993, p.

    74.

    106

  • 7/26/2019 Zilberberg - Esquisse d'Une Grammaire Du Sublime Chez Longin

    7/21

    L'

    Amplification occupe

    la case

    de

    la progression.

    2.2. Prvalence

    du tempo

    Quand

    nous

    lisons

    sous

    la

    plume de

    Longin

    :

    Car

    il

    [le

    Sublime]

    ne

    persuade

    pas

    proprement,

    mais

    il ravit, il transporte, et

    produit

    en

    nous

    une certaine

    admiration mle d'tonnement et de surprise,

    qui

    est toute

    autre

    chose que de

    plaire seulement, ou de persuader.

    (1.4),

    il

    apparat aussitt puisque, pour

    l'instant,

    notre

    description

    est,

    pour le meilleur

    ou

    le

    pire, de l'ordre de la para

    phrase

    que : (i)

    le sublime

    est ici de l'ordre de la

    dcadence et,

    aspectuellement

    parlant,

    de l'ordre de

    la

    sommation, alors

    que le

    plaisir

    et la

    persuasion

    relvent de la segmentation, lesquels sont pour Longin manifestement dceptifs

    puisqu'ils sont dprcis par l'adverbe

    seulement

    ; (ii) le

    sublime

    a pour mesure

    et

    sanction

    les

    affects

    majeurs

    unanimement

    reconnus

    : Y

    tonnement

    ,

    la

    sur

    prise

    et

    admiration

    ,

    laquelle n'est

    pas ici tout fait l' admiration

    cart

    sienne10 ; mais d'autres grandeurs

    restent

    en dehors de notre analyse.

    Longin

    oppose

    la

    persuasion

    au

    ravissement

    et au

    transport . Pour la

    langue classique, par

    excellence

    celle de Boileau, nous

    sommes en

    prsence de

    grandeurs discursives,

    lesquelles, compte

    tenu des conventions

    dj poses, sont de

    l'ordre de

    l'accent, que

    Cassirer, dans Langage

    et mythe,

    n'hsite pas

    riger en

    prsuppose

    du

    divin . Ces grandeurs

    comportent

    une clrit superlative, une

    marque

    de

    tempo,

    laquelle

    est

    pour une

    smantique

    logiciste

    au

    mieux

    choquante

    ;

    en revanche,

    pour

    l'hypothse d'une prosodisation du contenu pousse aussi

    loin

    que

    possible, elle est la

    bienvenue. Jusque-l, nous

    avons

    admis

    que la projection

    du

    sens avait pour assiette la corrlation de l'intensit et de l'extensit,

    mais

    cette

    mise

    en place est maintenant insuffisante, de sorte qu'il nous

    incombe

    de relancer

    l'analyse

    : chacune des deux dimensions

    mentionnes,

    l'intensit

    et

    l'extensit,

    admet elle-mme

    deux

    sous-dimensions : (i) l'intensit a

    pour sous-dimensions

    pro

    pres le tempo et la tonicit ;

    (ii)

    l'extensit a

    pour sous-dimensions propres

    la

    temporalit

    et

    la

    spatialit

    ;

    (iii)

    chacune

    des

    sous-dimensions mentionnes contrle

    un intervalle dmarc atif que nous portons sur le

    diagramme

    suivant (p. 108) :

    A

    ce stade de

    l'analyse, nous

    entrevoyons

    la

    raison

    mme

    de

    la distinction

    paradigmatique

    au

    principe

    du

    sublime. La

    distinction

    aspectuelle [dmarcation

    vs

    segmentation] est dans la dpendance

    des diffrences

    de tempo :

    segmentation lenteur

    dmarcation

    vivacit

    10. Nous

    y

    reviendrons

    en conclusion.

    107

  • 7/26/2019 Zilberberg - Esquisse d'Une Grammaire Du Sublime Chez Longin

    8/21

    i

    >

    0

    temp

    s

    s*

    toni i

    s

    ce

    bref

    ferm

    temporalit

    spatialit

    long

    ouvert

    Le sublime doit ainsi son

    efficience

    il produit

    en

    nous une certaine

    admirat

    ion.

    et sa

    transitivit

    il

    ravit,

    il transporte,

    la

    vivacit de

    son tempo.

    C'est ici que notre diagramme montre son utilit : le tempo vif contracte la dure,

    c'est--dire qu'il

    interdit

    la segmentation

    qui

    s'attarde

    de

    degr en degr puisqu'elle

    a tout son temps

    ; la dmarcation, non seulement efface les degrs, mais elle peut

    mme,

    dans

    des conditions extrmes, rduire l'intervalle

    compris entre

    les

    limites et

    aboutir

    leur superposition. La dmarcation a

    un au-del

    qui la

    rvle

    : la simulta

    nit.

    n

    revanche,

    la

    lenteur

    autorise

    la segmentation,

    puisque,

    pour

    une

    smioti-

    que de l intervalle, s'il n'y a

    et

    jamais

    que deux limites,

    il

    est toujours

    possible

    d'ajouter

    ou d'intercaler un degr

    supplmentaire entre

    deux degrs exis

    tants. Bref, la

    clrit

    abrge

    et

    ferme, tandis que la

    lenteur

    tend

    et ouvre.

    Avant

    d'aller plus loin,

    nous

    aimerions indiquer que la polarit

    propre

    au tempo, savoir

    [vif

    vs

    lent], n'puise pas la catgorisation du tempo ; une smiotique

    exhaustive

    du

    tempo

    devrait, nous semble-t-il, se dployer dans quatre

    directions

    : (i)

    l'uniformit

    du tempo, circonstance

    qui

    correspondait

    au terme neutre

    de

    la catgorie ;

    (ii)

    le

    changement

    de

    tempo dgageant

    tantt

    l'acclration,

    tantt le

    ralentissement

    ;

    (iii)

    la valeur

    du

    changement lui-mme sanctionne comme

    excs

    ou dfaut ; ainsi

    en

    franais,

    la

    prcipitation

    dsigne une acclration excessive ; pour la lenteur, les

    symtriques de la

    prcipitation

    sont

    chercher dans

    l'allure de celui qui

    lam

    bine, lanterne, tranasse; si

    l'on

    en croit le Grand Robert,

    l'asyndte

    semble

    bien le corrlat expressif de la vivacit du tempo puisqu'il la caractrise

    comme une

    sorte d'ellipse par laquelle

    on

    supprime dans une phrase

    certaines

    particules

    ou conjonctions, pour donner

    plus

    de

    rapidit et

    d'nergie

    au

    discours.

    ;

    la pjoration est

    corrle

    la prvalence de l'une

    des

    grandeurs constitutives

    du

    complexe

    [a vs b], soit l'algorithme

    probable

    :

    108

  • 7/26/2019 Zilberberg - Esquisse d'Une Grammaire Du Sublime Chez Longin

    9/21

    slection

    de

    a + disqualification

    de b comme

    excessif

    ou

    dfectif + pjoration

    de b

    + exclusion

    de

    b

    II

    est important de noter que a et b ne sont pas dfinis

    par

    une

    positivit

    ou une

    ngativit

    intrinsques

    celles-ci sont tributaires

    du point de vue adopt

    une

    mme

    valence

    de tempo peut

    tre dfinie

    comme

    acclration

    dcroissante

    et/ou

    dclration

    croissante. Des termes eux-mmes, tout ce qu'on est

    en droit d'exiger,

    c'est qu'ils soient distincte, c'est--dire

    relis

    l'un l'autre par

    un

    intervalle valu

    ou une rgle ; (iv) enfin la complexification

    pour sentir

    et goter les vitesses lentes et

    les lenteurs vives chres V. Janklvitch, mais ce point est manifestement

    en

    continuit avec le

    prcdent. C'est dire

    que, si

    le temps dit

    physique,

    le

    temps

    dit

    newtonien,

    est uniforme,

    gal

    lui-mme,

    le temps vcu est, lui, plac

    sous

    le signe de

    l'ingalit,

    de Y imperfection

    (Greimas) un quadruple titre : le rejet de

    l'unifor

    mit,

    e degr de

    concentration

    rendant

    compte

    de

    l'alternance

    entre

    temps

    dits

    forts

    et temps dits

    morts

    , l'ventualit

    de la

    perte

    comme

    lorsque

    l'on

    parle de la

    perte d'une

    rivire

    enfin la

    direction.

    3. Un

    sujet sous influence

    Ainsi, les affects

    ne

    se tiennent pas la priphrie

    du

    sens, mais

    en

    son

    centre, en

    son cur, et ce au nom de

    deux raisons

    conjointes :

    (i)

    l'mergence et la

    dissipation

    subites des affects d'une part, leur possible permanence

    d'autre

    part,

    peuvent

    certes,

    d'un

    point

    de

    vue transcendant,

    tre

    renvoyes

    la

    prenne

    inconstance

    des

    choses

    humaines , mais d'un point de vue immanent ces

    vcus de significa

    tion

    ,

    selon une belle expression

    de Cassirer, sont du

    ressort

    de l infatigable

    commutation,

    c'est--dire du si..., alors...

    ;

    l'affectivit, ds

    lors

    qu'elle

    est

    formulable en termes de rection,

    s'avre

    notre grammaire existentielle et

    du

    mme

    coup la

    garante

    de notre identit u ; (ii) les affects ne sont

    en

    aucune

    faon

    amorphes,

    mais leur formalit est

    restreinte,

    c'est--dire

    slective

    ;

    l'affectivit ne retient pas

    toutes

    les distinctions possibles :

    elle

    privilgie

    celles-l

    mmes

    qui

    permettent l ex

    pression

    des

    intensits

    prouves,

    c'est--dire mesures,

    savoir

    la

    tension

    entre

    le

    vif et

    le lent

    pour le

    tempo, entre le tonique

    et Y

    atone pour la tonicit, entre

    le

    bref

    et

    le long pour la temporalit, enfin entre le ferm et l'ouvert pour la spatialit.

    3.1. Sujet extatique

    vs

    sujet quanime

    L'efficience dont

    le sublime

    est crdit concerne la transformation du sujet

    d'tat

    ; cette transformation est toujours

    dcrite

    comme une

    division du

    sujet,

    comme une

    rupture d'identit. Plus

    exactement : un sujet un

    fait place

    un

    sujet

    aux

    11. Cf. Cl. Zilberberg, L'Affect comme clef cognitive ? Eutopias, deuxime poque, vol. 49, 1994.

    109

  • 7/26/2019 Zilberberg - Esquisse d'Une Grammaire Du Sublime Chez Longin

    10/21

    prises avec le survenir de sa

    division

    intime. Ainsi, pour le

    Littr,

    le

    transport

    est

    dfini comme un

    mouvement de passion qui nous met

    hors

    de nous-mmes

    et

    reoit

    comme

    synonyme l enthousiasme

    . Du point de vue

    terminologique,

    nous

    admettrons

    tre en

    prsence

    d'un sujet extatique,

    lequel

    prend la relve d'un

    sujet

    que

    nous

    dirons

    quanime.

    Le

    terme

    d'

    extase

    est

    d'ailleurs

    retenu

    par

    J.

    Pi-

    geaud dans sa traduction du texte de

    Longin

    :

    Car

    ce n'est pas la persuasion

    mais

    l'extase que la

    sublime

    nature

    mne les auditeurs. 12. Le sujet

    extatique

    et le sujet

    quanime

    s'inscrivent l'un

    et l'autre

    faut-il

    le dire

    :

    sans

    peine aucune dans

    l'espace

    tensif

    de l'ascendance

    :

    tonicit +

    vitesse

    intensit

    atonie +

    lenteur

    sujet

    quanime

    continuit

    de soi

    dimension

    de

    l'identit

    sujet

    /

    extatique /

    discontinuit

    de

    soi

    Cette schizie du sujet reste pourtant

    nigmatique,

    comme le remarque Valry

    dans Eupalinos

    propos de

    l'efficience

    du beau

    :

    Socrate (...) ce

    qui

    convient l'homme ; ce

    qui

    doit

    l'merveiller

    sans

    le

    confondre, le

    possder

    sans l'abtir...

    Phdre

    C'est ce

    qui

    le

    met

    sans effort, au-dessus

    de

    sa

    nature.

    Socrate

    Sans

    effort

    ?

    Au-dessus

    de

    sa nature

    ?

    Phdre Oui.

    Socrate

    Sans effort

    ? Comment

    se peut-il

    ?

    Au-dessus

    de sa nature ? Que

    veut

    dire

    ceci ?

    Je pense invinciblement

    un

    homme qui

    voudrait

    grimper

    sur ses propres

    paules

    ...

    13

    12 . Longin, Du sublime,

    op.

    cit., p. 52.

    13 . P. Valry,

    Eupalinos

    ou l'architecte, in uvres, tome 2, Paris,

    Gallimard/La

    Pliade, 1960, p. 89.

    Et

    un

    peu

    plus

    loin,

    Socrate usera

    de

    la dfinition

    mme

    du

    Littr

    :

    Je

    sais

    bien

    que

    les

    extrmes

    de

    l'amour, et que

    l'excs

    du

    vin,

    nous

    transportent, comme l'on dit, hors de nous-mmes ; (...) .

    110

  • 7/26/2019 Zilberberg - Esquisse d'Une Grammaire Du Sublime Chez Longin

    11/21

    Et de

    fait,

    pour le sujet

    quanime,

    le sujet extatique

    est

    incomprhensible,

    fou

    ,

    comme lorsque l'on

    dit

    en franais : c'est fou , mais ce

    renoncement ne

    nous

    convient pas. De

    mme

    que les

    diffrences

    de tempo administrent

    au mieux

    l alte

    rnance, dans le champ discursif, de

    la

    segmentation et de la dmarcation, c'est--dire

    l'ambiance,

    elles gouvernent

    la

    slection

    des

    modes

    de

    prsence,

    et

    singulirement

    le

    jeu de

    la

    potentialisation,

    c'est--dire couramment

    l'assomption du

    dj dans le

    propos du

    sujet, et l'actualisation,

    l'assomption du pas

    encore 15. Pour le

    sujet

    extatique,

    la

    potentialisation et

    l actualisation,

    lesquelles

    ne sont rien d'autre que les

    annexes du maintenant, se trouvent momentanment

    suspendues, et

    c'est

    en ce

    sens

    que le

    sujet

    extatique

    a

    t, peu prs unanimement, reconnu comme

    hors

    de

    lui-mme . Le regret et l'attente, considrs comme passions lmentaires

    du sujet

    quanime, ne valent plus pour

    le

    sujet extatique : nous

    sommes

    bien

    dans

    l'ordre de

    la commutation, et le

    bon sens

    semble

    y trouver son compte :

    n'est-il pas

    imp

    rieux pour

    le sujet d'identifier

    l'tat qui est

    le sien ? Mais si cette question s'impose,

    n'est-ce pas d'abord en

    raison

    de la mobilit et de la labilit des vcus du sujet ?

    Comme

    l'indiquait Greimas la

    fin de

    l'tude

    intitule De

    la modalisation

    de l'tre,

    ce qui est dmler, c'est le

    caractre

    tumultueux

    des changes nergtiques

    dont

    le

    sujet est syncrtiquement

    le thtre,

    l'enjeu

    et

    la mesure.

    3.2. Grammaticalit

    du

    sublime

    La

    commutation

    apparat

    ainsi

    comme l'analysant de l'efficience

    thymique

    : si

    [[a1?

    alors

    b],

    mais

    [si

    a2,

    alors

    non-b]].

    La

    variable

    dcisive

    a

    est,

    pour

    l'conomie

    affective,

    le tempo, puisque l'acclration et l'accroissement de la tonicit ont pour

    plan

    de l'expression

    la

    perte du contrle de

    soi par

    soi,

    dans l'exacte

    mesure

    o le

    ralentissement

    et

    l'accroissement de l'atonie

    signifient

    la rcupration de ce contrle

    par

    le

    sujet :

    Nous

    pouvons dire

    l'gard de la persuasion, que pour l'ordinaire

    elle n'a sur nous qu'autant de puissance que nous voulons.

    Il

    n'est

    pas ainsi du

    Sublime.

    Il

    donne

    au discours

    une

    certaine vigueur noble,

    une force invincible qui

    enlve

    l'me de quiconque nous coute.

    (1.4) 16.

    Le

    sublime, que Boileau se garde bien de

    confondre

    avec

    le

    style sublime,

    qui n'en

    est souvent que l'incertaine textualisation, est donc descriptible comme une triple

    rvolution : (i)

    une

    rvolution tensive place

    sous le

    signe de la soudainet de la

    14 . Selon

    Pascal

    : La mmoire est ncessaire pour toutes

    les

    oprations

    de la

    raison.

    (in uvres

    compltes, Paris,

    Gallimard/La

    Pliade,

    1954, p.

    1115).

    15.

    Dans les

    premires pages de La dialectique de la dure, Bachelard dsigne

    l'homme

    comme

    puissance

    d'attente et de

    guet...

    .

    16.

    Pour

    sa

    part, J.

    Pigeaud

    traduit

    ainsi

    : Assurment partout,

    accompagn du

    choc, le

    merveilleux

    toujours

    l'emporte sur

    ce qui vise

    convaincre et

    plaire

    ;

    puisque aussi

    bien

    le fait d'tre convaincu, la

    plupart

    du

    temps,

    nous

    en

    restons

    matres

    ;

    tandis

    que

    ce

    dont nous

    parlons

    ici,

    en

    emportant

    une

    emprise

    et

    une force irrsistibles, s'tablit

    bien

    au-dessus

    de

    l'auditeur

    .

    111

  • 7/26/2019 Zilberberg - Esquisse d'Une Grammaire Du Sublime Chez Longin

    12/21

    survenir

    +

    tempo

    advenir -

    sujet

    \ extatique

    dominanceu subir

    et

    u

    faire-subir

    contrlee

    soi sur soi

    sujet

    quanime

    dominance

    de l'agir

    transformation du sujet quanime en sujet extatique ; (ii) une rvolution noncia-

    tive

    qui

    tient

    au

    fait

    que

    le

    sujet extatique

    est

    un

    sujet

    disjoint

    priv

    selon le

    sujet

    quanime, libr

    selon le

    sujet extatique lui-mme de son ego, de son ici, de son

    maintenant,

    c'est--dire

    de ses appendices, sinon de son

    corps

    indispensables

    pour

    le premier, encombrants

    pour

    le second ;

    on

    songe aussitt au

    mot de

    Rim

    baud :

    Car

    JE est un autre.

    ,

    mais il n'est pas impossible que Rimbaud ait cherch

    revivre pour son

    compte personnel une

    exprience

    que le prosasme

    ambiant de

    la

    socit

    contemporaine excluait ses yeux ; (iii) une rvolution modale elle-mme

    double puisque les comptences

    propres du sujet

    sont

    virtualises

    et

    qu'un pouvoir

    piphane,

    une

    efficience

    indubitable

    tout

    simplement

    s'exerce

    ;

    nous

    la disons

    pi-

    phane

    en rfrence Durkheim, lequel lve,

    dans

    Les

    formes

    lmentaires de

    la vie

    religieuse,

    la puissance au rang

    de prsuppose

    du

    religieux :

    Ce

    que

    nous

    trouvons

    l'origine et

    la base de la pense religieuse, ce ne

    sont

    pas

    des

    objets ou

    des

    tres

    dtermins

    et distincts

    qui

    possdent

    par eux-mmes

    un

    caractre sacr ; mais ce

    sont des pouvoirs

    indfinis,

    des forces

    anonymes,

    plus

    ou

    moins

    nombreux selon

    les

    socits,

    parfois

    mme

    ramenes

    l'unit et

    dont

    Vimpersonnalit est strictement

    comparable celle des forces physiques dont les sciences de la

    nature

    tudient les

    manifestations.

    17. Le sublime de

    Longin

    et le religieux de Durkheim ont en

    commun

    le mme dsquilibre

    actanciel, le mme dispositif figurai, la

    mme distr

    ibution des valences tensives. Cette

    identit

    latente explique que tantt

    le

    sublime et

    le religieux puissent composer, par

    exemple

    dans l'hymne, l'un avec

    l'autre,

    tantt le

    sublime

    puisse

    prendre la relve du

    religieux

    quand ce

    dernier

    est, aux

    dires

    des

    sujets,

    engag dans son

    dclin.

    C'est

    d'ailleurs l'aveu de l'

    accent

    du

    divin

    qui

    distingue

    aux yeux de Boileau

    le

    sublime

    du

    Sublime

    :

    Une

    chose peut

    tre

    17.

    E.

    Durkheim,

    Les

    formes

    lmentaires de la vie religieuse, Paris,

    P.U.F., 1994, pp. 285-286.

    La

    notion

    d'

    efficience

    chez

    Cassirer

    prsente

    les

    mmes

    caractristiques.

    Cf.

    notamment

    La

    philosophie

    des

    formes symboliques, tome 3,

    Paris, Les

    ditions de

    Minuit,

    p.

    90, ainsi que

    dans le

    tome

    2, p.

    100.

    112

  • 7/26/2019 Zilberberg - Esquisse d'Une Grammaire Du Sublime Chez Longin

    13/21

    dans

    le style sublime, et

    n'tre pourtant

    pas

    Sublime,

    c'est--dire n'avoir rien

    d'extraordinaire

    ni de surprenant. Par exemple,

    Le

    souverain arbitre de la

    nature

    d'une seule

    parole forma

    la

    lumire. Voil qui

    est dans

    le

    style sublime : ce

    n

    'est

    pas

    nanmoins

    Sublime

    ; parce qu'il n'y

    a

    rien l de

    merveilleux,

    et

    qu'on

    ne

    pt

    aisment

    trouver.

    Mais,

    Dieu

    dit

    :

    Que

    la

    lumire

    se

    fasse,

    et

    la

    lumire

    se

    fit.

    Ce

    tour

    extraordinaire

    d'expression

    qui marque si bien

    l'obissance

    de la crature aux

    ordres

    du

    crateur, est

    vritablement

    sublime et

    a

    quelque

    chose

    de divin.

    I8. Il

    y

    aurait beaucoup

    dire

    propos de

    cette

    analyse

    ;

    nous nous contenterons de

    remarquer que le

    merveilleux

    consiste accentuer, c'est--dire

    relever

    les

    valences

    tensives immanentes

    tel

    procs,

    c'est--dire

    l'acclrer et le galvani

    seren second lieu, du point de vue fiduciaire, que l'effet

    devient

    cause de sa cause :

    la

    cible

    affecte projette la source affectante laquelle elle s'oblige.

    4.

    Du style aux styles

    La

    rflexion de Longin annonce

    un

    problme

    classique

    de la rflexion smioti-

    que : celui

    de

    l'alternance entre

    le confinement

    et le dploiement

    actoriels

    les

    tensions propres

    au schmatisme

    doivent-elles

    tre confies un seul acteur

    on

    pourrait

    parler

    ici de monogramme ou plusieurs ? Nous touchons ici la

    question du rabattement de

    la

    catgorie du nombre sur ce

    que

    Greimas

    appelait la

    structure

    actorielle

    19

    et

    celle

    de

    la

    transition

    du

    religieux

    vers le

    divin

    20.

    4.1. Tensions intrastylistiques

    Eu gard

    au dilemme

    : dcadence ou ascendance ? la

    prfrence

    de Longin

    va

    manifestement

    la

    dcadence :

    Mais quand le Sublime vient

    clater o ilfaut, il

    renverse tout comme un foudre, et prsente d'abord

    toutes

    les

    forces

    de l'orateur

    ramasses

    ensemble.

    (1.4) ; pour

    sa

    part, J. Pigeaud propose :

    (...)

    tandis

    que le

    sublime, quand il se produit au moment opportun, comme lafoudre

    il

    disperse tout

    et

    sur

    le

    champ

    manifeste,

    concentre,

    la

    force

    de

    l'orateur.

    .

    Les convergences

    et

    les

    diffrences

    entre

    la traduction de

    Boileau

    et

    celle de

    J. Pigeaud

    sont clairantes

    dans la mesure o la prdication, loin d'tre livre elle-mme, est

    surdtermine

    par les dimensions et les sous-dimensions dont nous avons fait tat

    en

    2.2. Une des

    difficults que

    rencontre

    l'analyse tient ce que

    le commentaire

    de Longin tantt se

    situe au niveau

    hyperotaxique

    des dimensions, l'intensit et

    l'extensit,

    tantt au

    18 . Longin, Le

    trait

    du

    sublime, op.

    cit., pp. 70-71.

    19 .

    A.J. Greimas, Les actants,

    les

    acteurs et

    les

    figures, in

    Du

    sens

    II,

    Paris, Les

    ditions

    du

    Seuil,

    1983,

    p.

    57.

    20 .

    Voir,

    entre

    autres, E.

    Cassirer, Langage

    et

    mythe,

    Paris,

    les ditions

    de Minuit,

    1989.

    113

  • 7/26/2019 Zilberberg - Esquisse d'Une Grammaire Du Sublime Chez Longin

    14/21

    niveau hypotaxique

    des

    sous-dimensions,

    la

    tonicit et le tempo

    pour

    l'intensit,

    la

    temporalit

    et

    la spatialit pour

    l'extensit.

    Nous avons

    avanc

    plus haut

    pour

    chaque sous-dimension

    tensive l'intervalle dmarcatif exemplaire, mais nous

    n'avons pas indiqu l'intervalle propre chaque dimension ; nous proposons main

    tenant

    l'intervalle [clatant

    vs

    faible]

    pour

    l'intensit

    et

    [concentr

    vs

    diffus]

    pour

    l'extensit,

    que

    nous

    reportons sur le diagramme

    de rfrence

    :

    tonique

    toni it

    tone

    vif

    tempo

    lent

    cl t nt

    intensit

    faible

    aire du

    sublime

    les sous-dimensions

    sont

    portes en caractres plus

    petits.

    aire

    du

    bas

    concentr extensit

    diffus

    bref

    temporalit

    long

    ferm epatialit ouvert

    Aux prdicats du

    sublime selon

    Longin correspondent les catgories

    discursives

    portes

    sur le

    diagramme. Examinons d'abord

    le cas

    de

    l'intensit :

    (i) l'intensit,

    au

    titre de dimension,

    est

    superlative

    et

    sa

    valence est celle

    de

    l'clat ;

    (ii)

    le tempo est

    vif, et sa valence, celle de la

    foudre, correspond

    au superlatif

    relatif

    des

    grammaires ; (iii) la valence de la tonicit est elle aussi suprieure

    puisque le

    sublime

    renverse tout

    (Boileau),

    disperse tout (J. Pigeaud) ;

    cette

    tonicit

    suprme

    est

    exprime

    par un dploiement

    actantiel

    et narratif particulier, he faire

    du

    sujet

    peut

    tre orient

    soit

    vers l'objet de valeur, soit

    vers un

    autre sujet ;

    dans

    le premier cas,

    le dploiement narratif prendra la forme d'une qute, par

    catalyse

    : d'une recon

    qute

    de l'objet de valeur ;

    le

    second cas, moins explor, mais

    non

    ignor 21,

    appelle

    21. A.J.

    Greimas,

    Le

    dfi, in

    Du

    sens

    II,

    Paris, Les

    ditions

    du Seuil,

    1983, pp.

    213-223 ;

    voir

    galement

    dans

    A.J.

    Greimas

    &

    J.

    Fontanille,

    les

    pages

    consacres

    la

    jalousie

    dans

    Smiotique des

    passions, Paris, Les

    ditions

    du

    Seuil, 1991,

    pp.

    265-317.

    114

  • 7/26/2019 Zilberberg - Esquisse d'Une Grammaire Du Sublime Chez Longin

    15/21

    un rcit

    que nous dirons de la prpondrance ; il est moins question d'une opposi

    tion

    ntre

    les

    deux

    vises narratives que d'une prvalence d'une direction sur

    l'autre,

    mais l'accent mis sur

    Y

    invincibilit

    du

    sublime

    II

    donne

    au

    discours

    une certaine vigueur noble, une force invincible

    qui

    enlve l'me de quiconque

    nous

    coute.

    ,

    selon

    Boileau

    ;

    le

    sublime

    en

    apportant

    une

    emprise

    et

    une

    force

    irrsis

    tibles, s'tablit

    bien

    au-dessus de l'auditeur ,

    selon

    J. Pigeaud donne penser

    que

    la

    tonicit

    s'inscrit

    plutt comme programme

    de

    base que comme

    programme

    d'usage

    ;

    pour le rcit de

    qute

    il

    s'agit d'abord

    de s'emparer, pour

    le

    rcit de

    prpondrance d'abord de l'emporter ; selon Boileau :

    le Sublime (...)

    renverse

    tout comme

    un

    foudre,

    ; selon

    J.

    Pigeaud :

    comme la foudre

    il

    disperse tout

    ;

    assurment,

    les cas de

    syncrtisme

    entre

    les deux schmas sont

    nombreux,

    mais les

    syncrtismes, loin

    de dmentir

    la

    structure,

    la

    confirment.

    Tournons-nous

    maintenant

    vers

    l'extensit

    :

    (i)

    l'extensit elle-mme

    est

    ra

    m sse

    dans la

    traduction

    de Boileau, sous le signe de la

    concentration

    dans la

    traduction

    de

    J.

    Pigeaud ; cette

    littralit,

    de notre point de vue,

    est le

    fait

    des

    contraintes de la schmatisation tensive ; (ii)

    pour

    la temporalit, la traduction de

    J. Pigeaud fait tat d'une configuration particulire : le

    moment

    opportun

    ; le

    moment est

    avec Y

    instant

    la limite de

    cette

    brivet

    que nous

    avons

    porte sur le

    diagramme.

    Les

    voies de l'intensit

    et celles

    de

    l'extensit diffrent

    notablement

    : l'intensit a pour vise l'affect,

    c'est--dire

    une mesure,

    tandis que

    l'extensit

    a en vue le

    dgagement

    d'un nombre, extensible ou

    rductible

    en fonction

    de l'axiologie

    en

    vigueur

    ;

    l'extensit

    se

    prsente

    comme

    un

    continuum

    analysable

    partir

    duquel

    des

    positions

    remarquables mergent :

    extensile

    exclusion

    [=

    restriction

    exclusive]

    restriction extension

    diffusion

    [= absence

    d'exclusion]

    Sous ce pralable, le

    moment opportun , ou encore le

    bon moment , relve de

    l'exclusivit,

    mi-chemin

    de

    la

    nullit

    et

    de

    la

    petite

    pluralit,

    de

    la

    poigne

    correspondant la

    restriction.

    Chaque

    position

    est

    bivalente

    : la

    restriction, par

    exemple,

    se

    laisse dcrire comme vise

    croissante

    et saisie

    dcroissante,

    c'est--dire

    que la restriction se rapproche de l'exclusion

    et

    s'loigne de la diffusion. De sorte que

    c'est par

    concordance

    schmatique que la concentration

    extensive

    appelle

    Hjelmslev

    dfinit

    la rection comme un

    appel

    la brivet

    du

    moment oppor

    tunpour la sous-dimension de la temporalit,

    (iii)

    pour la

    spatialit,

    elle apparat

    dans la traduction de Boileau,

    l o il

    faut

    , tandis

    que

    J. Pigeaud lui

    substitue

    la

    temporalit,

    mais cette substitution prouve l'identit de statut,

    dans

    la perspective

    tensive,

    des deux sous-dimensions, et au-del : la lgitimit

    de

    la

    temporalisation de

    115

  • 7/26/2019 Zilberberg - Esquisse d'Une Grammaire Du Sublime Chez Longin

    16/21

    l'espace,

    comme celle de la

    spatialisation

    du temps ; quoi

    qu'il en

    soit, ce

    l

    est

    l'quivalent

    nonciatif

    du

    bon endroit , lui-mme corrlat

    du

    bon

    moment .

    L'insistance porte sur cette

    configuration de l'

    opportunit

    laisse entrevoir

    la

    raison, c'est--dire le

    profit

    procur par la structure de l'extensit : l' opportun

    it

    se

    prsente

    comme un

    abrgement

    qui

    a

    pour

    corrlat

    spatial

    la

    fermeture

    ;

    de son ct, la ralisation discursive de la

    diffusion

    a pour conditions l'allongement

    temporel

    et

    l'ouverture

    spatiale ; ce qui nous permet

    de

    complter la mise en place

    prcdente

    :

    exclusion

    resctriction

    [=

    rectriction

    exclusive]

    diffusion

    [=

    absence

    d'exclusion]

    temporalit

    abrgement

    spatialit fermeture

    allongement

    ouverture

    L allongement

    est

    li

    la

    question

    dcisive

    de

    l'

    amplification

    ,

    laquelle

    est

    dfinie comme un

    discours

    qui augmente et qui agrandit les choses , mais

    aussitt

    Longin se dfie de cette

    multitude de paroles

    (12.1), de

    cet

    accroissement

    de

    paroles

    22, si

    contraire

    l'inapprciable clat du sublime.

    Le

    dpassement de

    cette

    difficult va tre

    demand

    une schizie

    du

    style,

    c'est--dire

    que Longin aboutit

    cette parit des styles,

    qui est le

    point

    de

    dpart de

    la

    rflexion de Wolfflin dans

    Renaissance et baroque. Soit la transformation :

    Cette transformation se laisse ainsi gloser : un

    discours Sx

    internant la

    tension

    [a

    vs

    b] fait place la

    bifurcation

    entre deux discours

    S2

    et S3

    ralisant

    chacun

    seulement

    l'une

    des

    composantes

    de

    la tension et virtualisant l'autre,

    soit pour

    S2 :

    et

    pour

    S3

    :

    ralisation

    de

    a

    +

    virtualisation

    de b

    Si = ralisation de b

    +

    virtualisation de a

    22.

    Voir les

    remarques

    de

    Fr.

    Goyet sur

    la

    copia

    et

    la

    plthos

    dans

    son introduction

    au

    Trait

    au

    sublime,

    op. cit.,

    pp. 30-33.

    116

  • 7/26/2019 Zilberberg - Esquisse d'Une Grammaire Du Sublime Chez Longin

    17/21

    Toutefois,

    dans l'ordre

    du

    discours, la

    virtualisation

    admet

    deux

    manifestations

    possibles : le silence

    modalis

    de celui

    qui, dans

    l'change,

    fait silence ,

    garde le

    silence

    , et la pj oration qui retient la

    grandeur

    concerne dans le champ

    discursif,

    mais en

    l'accablant.

    4.2. Tensions inter

    tylistique

    En

    effet,

    Longin

    constate

    que, si Dmosthne et Cicron sont l'un

    et l'autre

    sublimes,

    ils diffrent

    prcisment parce

    que le

    sublime de

    Dmosthne

    vite

    Y

    ac

    roissement

    de paroles

    :

    En

    effet,

    Dmosthne

    est grand

    en ce

    qu'il est serr et

    concis ; et Cicron, au contraire, en ce qu'il est diffus et

    tendu. On

    peut comparer

    ce premier, cause de la

    violence,

    de la rapidit, de la

    force et

    de la vhmence avec

    laquelle

    il

    ravage,

    pour

    ainsi

    dire,

    et

    emporte

    tout,

    une

    tempte

    et

    un

    foudre.

    Pour

    Cicron,

    on

    peut dire,

    mon avis,

    que comme un grand

    embrasement

    il

    dvore

    et

    consume tout ce

    qu'il

    rencontre, avec

    un

    feu

    qui

    ne s'tend

    point,

    qu'il rpand

    diversement dans ses ouvrages, et qui,

    mesure qu'il s'avance, prend toujours de

    nouvelles forces.

    (12.4). Les

    oppositions s'inscrivent aisment dans le cadre que

    nous proposons J. Pigeaud pour sa traduction du mme passage propose :

    l' extrme tension

    du

    sublime

    dmosthnien si l'on

    ajoute

    que Longin

    caractr

    ise,uelques lignes

    plus

    loin, le tempo de Cicron

    en

    soulignant la dpendance entre

    l' abondance

    et la

    lenteur

    :

    (...) l'abondance

    est meilleure,

    lorsqu'on veut, si

    j'ose

    me

    servir de ces

    termes,

    rpandre

    une

    rose agrable

    dans

    les esprits.

    Les

    oppositions directrices sont les suivantes :

    tempo

    dure

    espace

    Dmosthne

    vif

    concis

    serr

    Cicron

    lent

    tendu

    diffus

    Autrement dit,

    le

    partage entre

    Dmosthne et

    Cicron

    est

    celui

    qui

    porte

    sur la

    dcadence

    et l'ascendance tensives, et c'est en ce sens que l'un et l'autre

    sont,

    quoiqu'opposs, dits

    grands

    par Longin. Soit

    :

    117

  • 7/26/2019 Zilberberg - Esquisse d'Une Grammaire Du Sublime Chez Longin

    18/21

    tonique

    atone

    \ dcadence

    \ [d'un

    survenir]

    ponctuel

    systme

    Dmosthne

    tonique

    atone

    diffus ponctuel

    /

    ascendance

    /d'un parvenir] /

    diffus

    systme Cicron

    Nous

    estimons tre en

    prsence

    de

    styles smiotiques

    transculturels et transhis

    toriques. Le

    sublime de Dmosthne

    est

    celui de l'attaque et il vaut par la solidit de

    la

    potentialisation,

    par la valence de persistance 23 qui est la

    sienne

    :

    La

    marque

    infaillible

    du Sublime,

    c'est

    quand nous sentons

    qu'un discours

    qui nous laisse

    beaucoup

    penser, qu'il fait d'abord un effet sur nous,

    auquel

    il est

    bien

    difficile,

    pour ne pas dire impossible, de

    rsister, et

    qu'ensuite le souvenir

    nous

    en dure,

    et

    ne

    s 'efface qu'avec peine.

    (7.3).

    Le

    sublime de Cicron

    est

    celui de la progression, de

    ce que

    Baudelaire

    dnomme Y

    ternelle

    loi

    de

    la gradation

    24,

    laquelle soutient

    l'actualisation, c'est--dire le mode de

    prsence

    qui introduit, puis maintient le pas

    encore

    dans

    le

    champ

    discursif.

    Si

    l'on

    admet

    que le

    discours

    judiciaire appelle

    la

    persuasion par

    la

    preuve

    propos d'une singularit,

    il

    devient possible d'esquisser le

    systme sublogique

    des

    catgories

    discursives de la rhtorique. La persuasion tant dfinie en intensit par

    son atonie [ax], sa

    froideur

    , en

    extensit par

    sa

    concentration

    [bj], il

    est

    ais,

    partir de

    ce syntagme [a^b^,

    de

    projeter les autres combinaisons possibles :

    [a -b2],

    [-^

    et

    [a2-b2],

    soit

    :

    L'unanimit

    extensive

    est

    reconnue

    comme

    critre

    du

    sublime

    :

    (...)

    une

    chose

    est

    vritablement sublime, quand

    vous voyez qu'elle

    plat

    universellement et dans toutes

    ses parties. (...)

    (7.4). L'enthousiasme

    conjugue

    les valences les plus leves dans

    23.

    Nous empruntons

    ce

    terme

    Valry : Ce qui n[ou] frappe, persiste et

    se

    projette sur les choses

    suivantes. L'intense a donc

    une

    qualit propre qui est de persister au-del de la dure de sa cause.

    (in

    Cahiers, tome 1, Paris, Gallimard/La

    Pliade, 1973,

    p. 1235.

    24.

    Dans un

    fragment

    proprement hjelmslevien de Mon cur mis nu,

    Baudelaire

    crit : tudier

    dans tous ses modes,

    dans

    les uvres

    de la

    nature et dans les uvres

    de

    l'homme,

    l'universelle

    et ternelle

    loi

    de la gradation, des

    peu peu,

    du petit

    petit,

    avec les forces progressivement croissantes, comme les

    intrts

    composs, en matire

    de

    finances.

    Il

    en

    est

    de

    mme

    dans l'habilet

    artistique

    et littraire

    ;

    il

    en

    est

    de

    mme

    dans

    le

    trsor

    variable

    de

    la

    volont.

    (in uvres

    compltes,

    Paris,

    Gallimard/La Pliade, 1954,

    pp.

    1226-1227.)

    118

  • 7/26/2019 Zilberberg - Esquisse d'Une Grammaire Du Sublime Chez Longin

    19/21

    ^^^

    xtensit

    intensit^^^^

    tonicit

    atonie

    individualit

    toucher

    persuader

    collectivit

    enthousiasmer

    plaire

    chacune des

    dimensions

    et

    le propre

    des valences intensives,

    dionysiaques

    dirait

    Nietzsche, est

    de parvenir ce que l'auditeur

    soit pris

    d'une commune fureur

    avec

    celui qui parle.

    (32.4)

    ; Nietzsche encore

    parlerait ici de

    suspension

    du

    principe d'individuation , et de fait la collectivit que Longin a

    en

    vue

    semble

    plutt une masse

    qu'une

    somme

    . Ajoutons que

    le

    rseau projet

    ne tient

    pas

    compte

    de

    la vridiction,

    laquelle

    redouble

    plaisir

    toutes

    les

    combinaisons

    possi

    bles.

    En

    effet,

    Y

    image pour Boileau, V apparition

    pour J. Pigeaud, fait

    croire

    :

    (

    .

    .) l semble que nous

    voyons

    les

    choses dont

    nous parlons

    et

    quand nous

    les

    mettons

    devant les yeux de ceux qui nous

    coutent

    (15.1),

    et elle fait plus que

    persuader et que prouver.

    (15.10).

    5.

    Pour

    finir

    Une des

    constantes de l ouvrage de Longin est son

    insistance

    traquer les formes

    du

    mauvais

    sublime

    et

    il

    relve

    V

    enflure ,

    la

    purilit

    et

    le

    pathtique

    .

    Toutefois

    l'analyse

    n'a

    pas reproduire la pjoration, mais la traiter. Quand

    Longin crit :

    Toutes

    ces

    affectations cependant,

    si basses et

    si puriles ne

    viennent

    que

    d'une

    seule cause, c'est

    savoir de ce qu'on cherche trop la nouveaut dans les

    penses qui

    est la

    manie surtout des crivains d'aujourd'hui.

    (5), cette

    remarque

    invite d'elle-mme

    l'anachronisme, puisque la

    chasse

    la

    nouveaut

    (J. Pigeaud)

    est devenue la rgle pour l'crivain

    moderne ,

    de mme

    que, pour

    ce

    dernier, il

    est

    plus

    que probable que le sublime

    se

    distingue mal

    de l' enflure

    .

    L'hypothse du

    schmatisme

    tensif

    propose

    un

    dbut d'explication : la smiotisation

    d'un

    acquis

    culturel

    est

    pertinente

    si

    elle

    propose

    des

    possibles

    interdfinis,

    des

    ralisables

    25 dans

    la terminologie de Hjelmslev,

    et dans

    la foule nous aimerions

    distinguer

    entre

    un

    sublime

    intensif, celui de Longin, et un sublime extensif, dirig

    par cette

    qute de la nouveaut dont Longin se mfie ; le premier a pour

    ressort

    l'extase,

    et

    le second, l'admiration dans les termes qu'utilise Descartes dans le Trait

    des passions :

    Lors que la premire rencontre de quelque objet nous surprend &

    que nous le jugeons estre nouveau, ou fort diffrent de ce que nous connaissions

    25.

    La

    grammaire gnrale

    est

    faite

    par la

    reconnaissance

    des faits

    ralisables

    et

    des

    conditions

    immanentes de

    leur ralisation.

    (in

    Essais linguistiques,

    Paris, Les

    ditions de

    Minuit, 1971,

    p. 140).

    119

  • 7/26/2019 Zilberberg - Esquisse d'Une Grammaire Du Sublime Chez Longin

    20/21

    auparavant,

    ou bien de ce que

    nous

    supposions qu'il devoit estre, celafait que nous

    Vadmirons &

    et en sommes

    estonnez. Et pour ce que cela peut arriver

    avant

    que

    nous

    connaissions

    aucunement

    si cet

    objet nous

    est convenable, il

    me semble que

    l'Admiration

    est

    la premire de

    toutes

    les

    passions.

    Et elle n'a

    point

    de contraire,

    cause

    que,

    si

    l'objet

    qui

    se

    prsente

    n'a rien

    en soi qui

    nous

    surprenne,

    nous

    n'en

    sommes aucunement meus, &

    nous le

    considrons

    sans passion.

    26.

    Nous

    ajoute

    rons, out en ayant conscience que Descartes aurait probablement fronc le sourcil

    la

    lecture

    de cette remarque, que le

    sublime

    extensif

    consiste

    seulement

    puisque

    tel est le

    tribut

    exig par la distinction entre sublime

    intensif

    et sublime

    extensif

    dplacer

    telle grandeur de sa

    classe de sjour vers une classe

    d'accueil,

    et la

    commotion

    proprioceptive

    propre

    la

    nouveaut

    consiste

    dans

    le transfert, c'est--

    dire le syncrtisme d'une sortie et d'une entre diligentes que rien ne laissait prvoir.

    Soit

    en focalisant

    sur

    la

    grandeur

    e

    :

    [(a, b, c, d,)

    vs

    (e, f, g, h,)]

    tat

    initial

    [(a,

    b, c, d, e,) vs

    (f, g,

    h,)]

    tat final

    La

    distinction

    que

    nous

    proposons

    entre

    deux

    espces

    de

    sublime non

    seul

    ement

    rend

    compte du paradigme [

    Dmosthne

    vs

    Cicron ] tel que l'appr

    hende ongin,

    mais elle semble

    en

    rsonance

    avec la

    distinction

    entre

    le sublime

    et le

    beau

    telle

    que l'envisage H. Parret :

    Le sublime fait violence l'imaginat

    ion...) Le

    sublime

    est grandiose,

    colossal.

    La consquence de cette inscription

    naturelle

    du

    sublime est

    que

    le plaisir

    y est ngatif ou plutt passif le

    sublime nous

    force

    Vadmiration

    et au respect. (...) Le cycle

    pathmique

    en face

    du sublime

    comporte

    un moment

    d'inhibition

    et un moment d'panchement, tandis

    que

    le beau

    fait

    natre

    directement

    en

    nous

    un sentiment

    d'intensification de la vie homogne et

    non-contradictoire.

    27. Selon

    Parret,

    c'est

    la

    donation

    d'accent

    et

    la

    dsaccentua-

    tion qui sont

    au

    principe de la

    distinction

    entre

    le sublime et le

    quotidien

    :

    Le

    sublime

    du

    quotidien, c'est

    le quotidien

    accentu dans sa quotidiennet par l'exp

    rience

    esthtique.

    28.

    La recevabilit de

    ces propositions

    prsuppose que les

    formes

    du plan de l'expression et singulirement la tension catgorielle

    [accent

    vs

    modulation] que

    nous avons

    choisie comme

    fil conducteur de notre tude soient

    26.

    Descartes, Les passions de

    l'me,

    Paris, Vrin,

    1991,

    pp.

    108-109.

    27.

    H. Parret,

    Le sublime

    du quotidien,

    Paris/

    Amsterdam/Philadelphia, Hads-Benjamins,

    1988,

    p.

    22.

    28.

    ibid.,

    p. 20.

    120

  • 7/26/2019 Zilberberg - Esquisse d'Une Grammaire Du Sublime Chez Longin

    21/21

    reconnues comme formes du plan du

    contenu,

    si bien que la

    resmantisation

    de

    telle

    grandeur

    mondaine,

    laquelle

    tiennent

    tant

    Greimas

    dans

    De

    l'imperfection et

    Parret

    dans l'ouvrage

    cit, s'avre,

    selon

    le cas, une

    prosodisation

    ou une

    reprosodisation

    du

    contenu.

    La

    projection ininterrompue

    de

    sens se

    prsente

    comme un

    arbitrage

    entre

    les

    attentes de l'intensit et celles de l'extensit. Chaque dimension expecte l'unit dont

    elle est capable : (i)

    pour

    l'intensit, c'est l'vnement selon le

    Micro-Robert

    :

    ce qui

    arrive

    et

    qui

    a de l'importance pour l'homme

    ; cette dfinition appelle, du

    point de vue tensif, les catalyses suivantes :

    ce qui

    arrive

    selon l'intensit

    et qui

    a

    de l'importance pour l'homme

    selon l'extensit

    ; (ii)

    pour l'extensit, c'est

    l'tat,

    l'tat

    de

    choses, c'est--dire

    le

    bilan des

    identifications et des rejets mutuels tel

    qu'il ressort

    aprs

    effectuation des oprations de tris

    et

    de mlanges.

    Le

    sublime,

    qui

    enlve,

    ravit,

    transporte

    (Boileau),

    nous

    proposons

    de le

    reconnatre comme

    le superlatif mme

    de

    l'vnement

    en raison du recoupement de

    ses valences : le

    sublime, envisag d'un point de vue immanent comme le produit vertigineux de la

    clrit par la tonicit, fait accder le

    sujet

    ce que

    Valry

    appelle, dans un fragment

    des

    Cahiers,

    Y

    existence par vnements

    :

    Sensibilit est

    proprit

    d'un tre

    modifi passagrement, en tant que spar, et en tant qu'il comporte de n 'exister que

    par

    vnements. C'est l

    existence par vnements au moyen de, pendant

    l'vnement.

    (...)

    29. Si le sublime est de l'ordre de la fracture

    (Greimas,

    Parret), n'est-ce pas d

    au

    fait que la prosodie,

    le feu

    de l'vnement,

    virtualise,

    au

    moins

    un laps,

    la

    prose des

    tats

    ?

    Les convergences

    qui

    apparaissent

    entre

    la conceptualisation

    du

    sublime et

    certaines hypothses propres la smiotique tensive ne sauraient tre entirement

    fortuites.

    Il

    nous

    semble

    qu'elles en appellent

    trois

    propositions fondatrices : (i)

    l'intensit ne

    doit

    pas tre introduite

    aprs, mais d'abord ; (ii)

    es affects doivent

    tre

    reconnus comme des mesures ;

    ils

    font connatre

    l'tat

    du sujet d'tat

    en

    qualifiant

    tel

    quantum d'affect

    comme plaisant ou dplaisant

    et,

    partir

    de cette valuation, le

    sujet

    proroge l'tat

    s'il est dsirable, ou l'abrge s'il

    est

    hassable ;

    le

    sujet d'tat, cet

    arpenteur du sensible,

    dicte

    au

    sujet

    de

    faire

    son

    programme,

    mais

    le

    premier

    conoit ce

    qu'il

    ne saurait

    excuter, tandis que le

    second excute

    ce qu'il ne

    saurait

    concevoir ; (iii) cette

    identification concorde

    avec l'lection de l'intervalle et de ses

    correlate comme

    unit locale de

    l'espace tensif.

    29.

    P.

    Valry,

    Cahiers, tome 1,

    op. cit.,

    p. 1168.

    121