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NUMÉRO 60 SAVOIR ALLEZ Le magazine de l’UNIL | Mai 2015 | Gratuit ! POLITIQUE La Suisse, un exemple pour la France 16 CULTURE Gustave Roud, la fascination des corps paysans 30 PHAGOTHÉRAPIE Comment des virus combattent des bactéries 54 SOCIÉTÉ LES ROBOTS VONT-ILS NOUS REMPLACER ?

VONT-ILS NOUS REMPLACER ?

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NUMÉRO

60

SAVOIR ALLEZ

Le magazine de l’UNIL | Mai 2015 | Gratuit!POLITIQUELa Suisse, un exemple pour la France16

CULTUREGustave Roud, la fascination des corps paysans 30

PHAGOTHÉRAPIEComment des virus combattent des bactéries54

SOCIÉTÉ

LES ROBOTSVONT-ILS NOUS REMPLACER ?

LA BOU-TIQUE

DE L’UNIL

WWW.UNIL.CH/LABOUTIQUER É C E P T I O N A M P H I M A X , 2e É T A G E

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Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne 3

ÉDITOIS

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IMPRESSUMMagazine de l’Universitéde LausanneNo 60, mai 2015www.unil.ch/allezsavoir

Editeur responsableUniversité de LausanneUne publication d’UNICOM, service de communication et d’audiovisuelQuartier UNIL-SorgeBâtiment Amphimax1015 LausanneTél. 021 692 22 [email protected]

Rédaction en chefJocelyn Rochat, David Spring (UNICOM)

Création de la maquetteEdy Ceppi (UNICOM)

RédacteursMélanie AffentrangerSonia ArnalMireille DescombesElisabeth GordonCynthia KhattarVirginie JobéNadine RichonAnne-Sylvie Sprenger

CorrecteursAlbert GrunFabienne TrivierNadia Stango

Direction artistiqueSecteur B Sàrlwww.secteurb.ch

PhotographieNicole Chuard

IllustrationEric Pitteloud (pp. 3, 29)

CouvertureThinkstock

ImpressionIRL plus SA

Tirage17 000 exemplaires

ParutionTrois fois par an, en janvier,mai et septembre

[email protected] (p. 4)021 692 22 80

LES DINOSAURESONT FAIT DE VIEUX OS

Seule la tête de l’énorme bête écail-leuse émerge de la mare où elle barbote. Son poids l’empêche d’en sortir. Le regard vide, ce dinosaure verdâtre va terminer sa carrière

sous les crocs d’une brute plus féroce que lui, dans une jungle moite du Crétacé. Cette série de clichés a bercé bien des enfances.

Heureusement, dans les années 70, les géants du passé ont connu un coup de jeune. La Dinosaur Renaissance a permis de véhiculer de nouvelles images. En 1975, le Scientific American publiait un dessin de dinosaure à plumes, bien en avance sur son temps. Trois ans plus tard, des illus-trations de Roy Andersen parues dans le National Geographic fournissaient un car-burant puissant à l’imaginaire de toute une génération de fanatiques de ces grandes bêtes, dont le soussigné.

Lors de la décennie suivante, le dessi-nateur Bill Watterson a représenté de nom-breux dinosaures sophistiqués dans Cal-vin & Hobbes. C’est également la passion

enfantine – et plutôt masculine – pour les tricératops et les allosaures que l’Améri-cain a saisie. Un enthousiasme durable. Conservateur au Musée cantonal de géo-logie de Lausanne, Robin Marchant ren-contre régulièrement de jeunes visiteurs capables de citer, des étoiles dans les yeux, des noms en –us d’une douzaine de lettres (lire en p. 22).

C’est évidemment Jurassic Park, en 1993, qui a popularisé ces animaux pré-historiques. Place à des bestioles vives, capables de courir derrière une jeep ou d’ouvrir une porte. Mais le quatrième opus, Jurassic World (2015), tient-il compte des découvertes les plus récentes réalisées en Chine ? Même si l’idée existe depuis long-temps dans la communauté scientifique, la parenté des théropodes avec les oiseaux ne passe pas vraiment. Confirmée pour la pre-mière fois en 1996, la présence de plumes primitives sur près de 40 espèces de dino-saures à ce jour semble incroyable. Et pour cause: réduire le splendide tyrannosaure à un lointain grand-oncle du poulet (-frites) est un crime de lèse-majesté déprimant.

Et pourtant, cette constatation signifie que si tous les dinosaures terrestres ont disparu, les espèces aviaires ont survécu. Cela veut dire que dans l’arbre généalo-gique très étendu des pigeons ou des moi-neaux sont perchées des créatures de 6 tonnes et 12 mètres de long. Les oiseaux existent depuis au moins 150 millions d’an-nées. Leurs ancêtres ont plané au dessus d’une sorte de fin du monde il y a 65 mil-lions d’années. Cet exploit et leur parenté prestigieuse consolent les orphelins des diplodocus.

DAVID SPRINGRédacteur, UNIL

TRICÉRATOPSIllustration parueen été 1978 dans le National Geographic.© Roy Andersen/NationalGeographic Creative

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JE M’ABONNE À « ALLEZ SAVOIR ! » Pour s’abonner gratuitement à la version imprimée, il suffit de remplir le coupon ci-dessous et de l’envoyer par courrier à : Université  de Lausanne, UNICOM, Amphimax, 1015 Lausanne. Par fax au 021 692 22 05. Ou par courrier électronique à [email protected]

Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne 5

IL Y A UNE VIE APRÈS L’UNILNoëlle Revaz,écrivaine (pas) banale.

RELIGIONL’Islam,c’est compliqué.

SOMMAIRE

SAVOIR ALLEZ

Le magazine de l’UNIL | Mai 2015 | GratuitBRÈVES

L’actualité du campus:distinctions, formation,

international, publications.

PORTFOLIOThéâtre,

recherche, exposition.

MOT COMPTE TRIPLEHagiographie.

Avec EricChevalley.

PALÉONTOLOGIES’il te plaît,

dessine-moiun dinosaure.

RÉFLEXIONLa science au service

de la pratique.Par Joerg Dietz.

CULTUREGustave Roud,la fascination

des corps paysans.

SUPPLÉMENT SPÉCIAL Gustave Roudphotographe.

TECHNOLOGIELes robots vont-ils nous

piquer nos emplois?Entretien avec Daniela Cerqui.

BIOLOGIEComment les plantes

se parlent du soleilet de leurs bobos.

MÉDECINEPhagothérapie: comment luttercontre les infections... avec des virus.Premier essai clinique au CHUV.

C’ÉTAIT DANS«ALLEZ SAVOIR !»Force et attrapes.Article paru en 1999.

LIVRESMythologie, grossesse,universités, management, roman,formation, théâtre.

FORMATION CONTINUEL’humain replacé au cœurde la transition écologique.Scientific Communication.

RENDEZ-VOUSEvènements,conférences, sortieset expositions.

CAFÉ GOURMAND«On ne peut pastout avoir».Avec Bettina Klaus.

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POLITIQUE La Suisse,

un exemplepour la France.

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CAGE DE CRISTALAu Théâtre La Grange de Dorigny, le 20 février. Véra (incarnée par Valérie Liengme) et son mari Michael ont convié leur ami Ferdinand à venir admirer leur nouvelle décoration d’intérieur. En affichant leur bonheur outrancier, les hôtes exercent une pression croissante sur leur invité et tentent de lui imposer de changer sa vie, jusque dans ses aspects les plus intimes. Ferdinand, de plus en plus abasourdi, leur oppose une résistance passive. Ecrite par Václav Havel en 1975, Vernissage est une farce cruelle et drôle, dans laquelle les spectateurs se retrouvent facilement. A Dorigny, ce texte a été mis en scène par Matthias Urban, qui vient de conclure sa résidence d’artiste, entamée trois ans plus tôt avec 1984, d’après Orwell. Les thèmes de la surveillance, du contrôle et de l’enfermement ont été placés au centre de plusieurs spectacles et ateliers. DS

Reportage photo et rencontre avec Matthias

Urban sur www.unil.ch/allezsavoir

PHOTO NICOLE CHUARD © UNIL

DANS LA TÊTED’UNE PERSONNE LÉSÉE MÉDULLAIREAu Laboratoire de recherche expérimentale sur le comporte-ment de la Faculté des sciences sociales et politiques, le 23 février. Maître d'enseignement et de recherche à l’Institut des sciences du sport, Jérôme Barral s’entretient avec Marie Simonet, doctorante (de dos), qui incarne le rôle d’un «sujet contrôle», donc sans déficience motrice. Dans le cadre d’un projet pilote qui implique également des étudiantes, ces chercheurs s’intéressent à l’activité cérébrale chez les personnes lésées médullaires, grâce à l’électro encéphalographie. Il s’agira d’essayer de comprendre comment le cerveau de ces dernières se réorganise, que ce soit chez des paraplégiques ou des tétraplégiques. La recherche portera en particulier sur les mécanismes d’inhibition motrice, c’est-à-dire le fait d’arrêter une tâche en cours pour en entreprendre une autre, ainsi que sur l’observation d’actions motrices. A terme, ces travaux visent également à trouver des alternatives à l’entraînement physique régulier des personnes concernées, une part très importante de leur réhabilitation. DS

Entretien avec Jérôme Barral sur

www.unil.ch/allezsavoir

PHOTO FABRICE DUCREST © UNIL

10 Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne

Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne 11

ARTISTE,VOS PAPIERS !Les collections de la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne (BCUL) s’enrichissent régulièrement de manuscrits et d’ouvrages rares, anciens et modernes. Afin de mieux faire connaître les trésors acquis ou reçus par l’institution entre 2011 et 2014, une exposition présente une sélection de documents, sur le site de la BCUL à la Riponne (jusqu’au 31 juillet, 8h-22h). L’occasion de se rendre compte que, en Suisse romande, des artistes réalisent des livres aussi magnifiques qu’originaux. Quelques exemples sur cette double page, avec Le grand signe d’abandon (Marcel Miracle). Matin brun (texte de Franck Pavloff, estampes de Coralie Hirschi). Les citrons (texte d’Eugenio Montale, illustrations de Claire Nydegger). Micromégas (texte de Voltaire, eaux fortes de Thierry Bourquin). DS

Exposition virtuelle sur www.unil.ch/

rarissima. De plus, Silvio Corsini

(conservateur de la Réserve précieuse)

commente un choix de documents sur

www.unil.ch/allezsavoir

PHOTOS © LAURENT DUBOIS BCUL

12 Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne

Dès le 28 mai, grâce à «eLectures», les usagers inscrits à la Bibliothèque cantonale et universi-taire de Lausanne (BCUL) pourront emprunter gratuitement des ouvrages numériques, pour une durée de 28 jours. Il suffit d’un accès au net et d’un appareil de lecture, comme un smartphone ou une tablette (iOS ou Android), une liseuse compatible ADE ou un Kindle Fire. Ainsi, il n’est plus néces-saire de se déplacer sur l’un des sites de la BCU, à Lausanne, pour faire le plein de bouquins. De plus, le prêt est possible depuis l’étranger, ce qui

s’annonce bien pratique pour les vacances d’été. Tourné vers le grand public, le catalogue propose plus de 8000 titres, dont 2400 en anglais. L’offre, où l’on retrouve de grands éditeurs comme Seuil ou Gallimard, comprend de la littérature (y com-pris de la poésie, du théâtre, des polars et de la SF), mais également des essais en sciences hu-maines et sociales, ou relatifs à l’actualité. Bien entendu, le nombre de titres va augmenter avec le temps. RACHEL VEZ FRIDRICH

www.bcu-lausanne.ch

LA LECTURE, C’EST PARTOUT ET TOUT LE TEMPS

LE SITE

BIBLIOTHÈQUE

BRÈVES

PLÂTRE ET CIMENT

LA BANANE S’ÉTENDL’Unithèque, qui abrite la Biblio-thèque cantonale et universitaire, ne désemplit pas. Construit en 1983, alors que l’UNIL comptait 6000 étudiants (contre plus de 14 000 aujourd’hui), ce bâtiment emblématique du campus va être agrandi et mis en conformité en regard des normes actuelles, notamment en ce qui concerne la sécurité et la consommation d’énergie. Pour un coût estimé à 73,3 millions de francs, le nombre de places de travail va passer de 863 à 2000, et l’espace de stoc-kage des ouvrages va être doublé (47 000 mètres linéaires de plus). En effet, malgré le numérique, la pression pour la conservation des imprimés augmente. De plus, la capacité du restaurant univer-sitaire va être accrue. Selon les prévisions, la nouvelle «Banane» devrait être mise en service en 2019. (RÉD.)

La participation aux activités sociales et cultu-relles sur le campus.

La proportiond’utilisateurs d’au moinsun réseau social.

91,9 %47,4 %La majorité s’adapte sans difficulté à la vie universitaire.

72,3 %

ENQUÊTE

COMMENT ALLEZ-VOUS? PLUTÔT BIEN!L’Université de Lausanne prend soin de ses étu-diants. Chaque année depuis 2006, une enquête téléphonique est menée auprès des personnes en première année, six semaines après leurs débuts. Une opération organisée par le Service d’orienta-tion et carrières et la Fédération des associations d’étudiant-e-s (FAE). En novembre 2014, des entre-tiens d’une vingtaine de minutes avec 1042 nou-veaux ont été réalisés: un taux de réponse de 41 %.Les nouvelles sont bonnes: 93 % d’entre eux se dé-clarent satisfaits du choix de leurs études. Au fil des réponses, c’est un véritable portrait chiffré qui se dessine. 64 % des débutants habitent chez leurs parents, et 56 % dans la région lausannoise (des données stables). Un peu moins de la moitié tra-vaillent à côté des études (pendant les semestres), en moyenne 6 heure 30 par semaine. Les activités sociales et culturelles sur le campus (théâtre, vie

associative) intéressent 47,4 % des personnes in-terrogées. Cette hausse nette par rapport aux an-nées précédentes prouve la volonté d’intégration des nouveaux sur le site, qui devient un lieu de vie. Les réseaux sociaux restent très populaires: seuls 8,1 % n’en n’utilisent aucun. Facebook, YouTube et Instagram sont les plus courus. Les grands fans de ces médias se recrutent en Faculté des HEC, puis en Médecine. Enfin, les personnes sondées apprécient particu-lièrement d’être appelées par d’autres étudiants de l’UNIL. Les confidences, par rapport à d’éven-tuels problèmes, viennent plus facilement. Des en-tretiens avec des psychologues professionnels, à l’UNIL, sont proposés aux débutants en difficulté (isolement, soucis financiers). DS

Les résultats: www.unil.ch/soc/comment-allez-vous

EN DIRECT DELA RECHERCHELancé en janvier dernier, le blog www.hecimpact.ch (en anglais) est dédié à la recherche menée à la Faculté des hautes études commerciales. Rédigés par des scientifiques, mais accessibles à toutes les personnes intéressées par l’économie, les articles traitent de nombreux sujets, bien souvent d’actualité, comme par exemple le risque systémique financier en Europe, le leadership ou le mana-gement. (RÉD.)

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Lors de sa tournée en Inde, fin février, la Com-pagnie Linga a présenté Re-mapping the Body. Donnée pour la première fois à Pully en 2012, cette performance mêle la danse contempo-raine et les nouvelles technologies, en colla-boration avec l’Institut des sciences du sport. Equipés de capteurs qui recueillent leurs don-nées physiologiques, les artistes créent une bande-son poétique et déroutante sur scène,

grâce aux mouvements de leurs corps. Une manière innovante d’appréhender les liens entre l’humain et la machine. Organisés par Swissnex India et Pro Helvetia, les spectacles de New Dehli et de Bangalore étaient enrichis d’ateliers animés par Marco Cantalupo, cofon-dateur de Linga, ainsi que de conférences données par Daniela Cerqui, chercheuse à l’UNIL (lire également en p. 36). (RÉD.)

DANSE À BANGALOREINTERNATIONAL SPORT

VOLLEYEURS AU SOMMETLe 28 mars dernier à Fribourg, le LUC Volleyball a rem-porté la Coupe de Suisse face au TV Schönenwerd. Le club lausannois décroche ainsi ce trophée pour la cin-quième fois. Tout n’a pas été facile pour l’équipe, qui a sauvé trois balles de match avant de s’imposer. Egale-ment en lice pour le titre de champion suisse, le LUC s’est finalement incliné lors de sa 5e rencontre avec Lugano, le 19 avril au Tessin.Deux jours plus tôt, le 4e match des play-off, qui s’est soldé par une défaite, a rassemblé plus de 1800 spec-tateurs à Dorigny. Ce qui a fait dire à son entraîneur Georges-André Carrel : «Nous avons perdu un match mais gagné un public !». De leur côté, les jeunes de l’équipe des M19 sont devenus champions suisses. En septembre 2015, le LUC Volleyball va fêter ses 40 ans en grandes pompes. (RÉD.)

www.lucvolleyball.ch

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La Faculté des sciences sociales et politiques a réformé en profondeur deux de ses masters, qui passent de 90 à 120 crédits ECTS (soit deux ans). Dès la rentrée de septembre 2015, de nouvelles orientations attendent les étudiants. En Sciences sociales, il s’agit de «Parcours de vie, inégalités et politiques sociales», «Droits humains, diversi-té et globalisation», «Culture, communication et médias» et «Corps, science et santé». En Science

politique, il s’agit de «Métiers politiques», «Mon-dialisation» et «Politique et histoire internatio-nale». Dans les deux cas, les nouvelles formules visent à faciliter la mobilité internationale, ainsi que la possibilité de faire des stages en milieu pro-fessionnel. Un lien plus étroit avec la recherche distingue également ces cursus de la formation de base, donnée au niveau du bachelor. (RÉD.)

www.unil.ch/ssp

LES HABITS NEUFS DES MASTERSFORMATION

DÈS LA RENTRÉEDE SEPTEMBRE 2015,DE NOUVELLESORIENTATIONS ATTENDENT LES ÉTUDIANTSEN SCIENCES SOCIALESET POLITIQUES.

A LA DIFFÉRENCE DE FACEBOOK, OÙ DES PAGES OFFICIELLES PEUVENT DIFFUSER UN PROGRAMME POLITIQUE, TWITTER EST UN LIEU OÙ L’INDIVIDU COMPTE BEAUCOUP PLUS QUE LE GROUPE OU LE PARTI.Martin Grandjean, doctorant à l’Université de Lausanne et chercheur en Humanités digitales,dans La Liberté du 7 février 2015.

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14 Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne

439C’est le nombre d’articles que les chercheurs de l’UNIL et du CHUV ont publiés dans des re-vues scientifiques cette année (d’après Serval,

au 8 avril 2015). Dans Frontiers in Microbiology, le 19 février, une équipe de chercheurs et d’étudiants a présenté ses tra-vaux sur le génome d’Estrella lausannensis 1 ). Il s’agit d’une bactérie apparentée aux chlamydia découverte dans l’eau du fleuve Llobregat de Barcelone.Cet article est l’un des fruits d’un cours original lancé en 2010, «Sequence a Genome» 2 ). Pendant deux semestres, des étudiants de master en Biologie apprennent à isoler et préparer l’ADN d’un micro-organisme, se familiarisent avec les technologies de séquençage et la bioinformatique, traitent et analysent les données produites, afin de définir quels gènes possède cette bactérie et de comprendre quels gènes produisent quelles protéines. «Le génome d’une bac-térie nous donne également des idées sur ses résistances aux métaux lourds et aux antibiotiques, ainsi que sur ses facteurs de virulence, explique Gilbert Greub, médecin-chef des laboratoires de mi-crobiologie diagnostique à l’Institut de microbiologie et cosignataire de l’article. Les applications médicales pour les patients sont évidentes.Ce professeur fait partie de l’équipe d’enseignants enthousiastes qui encadre Sequence a Genome, un cur-sus très apprécié, puisqu’il a décroché un «Excellence in Teaching Awards» de la Faculté de biologie et de méde-cine en 2012. «Dès le premier jour, nos étudiants sont im-mergés dans le monde de la recherche, c’est-à-dire hors de leur zone de confort. Ils ne savent pas ce qu’ils vont trou-ver et ils doivent se dépasser», remarque Gilbert Greub. Une vraie découverte et une publication dans une revue ont récompensé leurs efforts, puisque le génome d’Estrella lausannensis était inconnu auparavant. Autre avantage: ce cours prépare également la relève en génomique, un domaine qui progresse à toute vitesse, grâce aux avancées des technologies de séquençage et de la bioinformatique. Plusieurs des participants aux pre-mières éditions se sont d’ailleurs lancés dans des carrières de chercheurs. DS1) L’article: journal.frontiersin.org/article/10.3389/fmicb.2015.00101/ abstract2) Le blog du cours: wp.unil.ch/sequenceagenome

1432 Le nombre de références faites à l’Uni-versité de Lausanne et au CHUV dans les médias en 2015, selon la revue de presse

Argus, au 8 avril 2015. Sur son site web, le 9 janvier, le New York Times a raconté l’exploit de deux grimpeurs, parvenus en escalade libre au sommet d’El Capitan, terrifiante falaise située dans le parc de Yosemite. Le quotidien a utilisé une modélisation en 3 dimensions de la formation rocheuse, réalisée par des chercheurs de la Faculté des géosciences et de l’envi-ronnement. En février, le rapport SPACE 2013 (pour Sta-tistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe) a été publié. Marcelo Aebi, professeur à l’Institut de criminolo-gie et de droit pénal, et co-auteur du document, a été inter-rogé par les médias à cette occasion. Toujours en février, The Irish Times a mis en valeur les recherches menées à l’UNIL par Edward Farmer. Lorsqu’elle est agressée par un insecte glouton, la plante Arabidopsis thaliana utilise l’électricité pour propager l’information d’une plante à l’autre et organiser une riposte chimique (lire également en p. 42). Tout début mars, le New Yorker se demandait: «Qu’arrive-t-il à la fourmi solitaire ?». Les recherches menées par Laurent Keller, au Département d’écologie et d’évolution, montrent que les ouvrières seules vivent nettement moins longtemps que celles qui restent en groupe, même si elles sont nourries. En économie, l’abandon du taux plancher, le franc fort et l’idée de la création d’un fonds souverain suisse ont mobilisé Philippe Bacchetta, professeur en HEC. Enfin, les sociologues Gianni Haver et Olivier Glassey ont été régulièrement interrogés par les médias, notamment sur des thématiques touchant les réseaux sociaux et le numérique. DS

ESTRELLA LAUSANNENSISLIVRE SES SECRETS

VERTIGE, PLANTESET SOLITUDE MORTELLE

LIVRE

BRÈVES

L’UNIL DANS LES MÉDIAS PASSAGE EN REVUE

LE TOUR DE L’ÎLEPuissants aimants pour l’imagination, les îles prennent aussi bien des atours de para-dis, de refuges contre le monde, de lieux d’ex-périmentation de socié-tés idéales ou de termi-nus des illusions. Les liens entre la nature et l’homme s’y expri-ment de manière forte. Réelles ou rêvées, elles forment le sujet cen-tral d’un ouvrage col-lectif né d’un colloque qui s’est tenu en 2012 à l’Université de Genève. Après avoir traité des jardins, ce nouveau vo-lume d’une série consa-crée aux mondes clos aborde les territoires in-sulaires sous de nom-breux angles, comme par exemple l’histoire de l’art, l’anthropolo-gie, l’ethnologie, l’his-toire des religions ou la littérature. Ainsi, Neil Forsyth, professeur ho-noraire de l’UNIL, s’est intéressé à Bermudes, un poème d’Andrew Marvell (1621-1678). Dans des mers plus froides, Nicolas Meylan, maître assistant à l’Ins-titut religions, cultures et modernité, s’est pen-ché sur l’Islande du XIIIe siècle et sur sa relation aussi bien conflictuelle qu’admirative avec sa métropole, la Nor-vège. DS

MONDES CLOS. LES ÎLES.Infolio (2015), 320 p.

Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne 15

MÉDECINE, 4L, EUROPE ET GÉOGRAPHIEÀ L'HONNEUR

Depuis ce 1er janvier, Pat Cox préside la Fondation Jean Mon-net pour l’Europe. Cet ancien pré-sident du Parlement européen, de nationalité irlandaise, succède à José Maria Gil-Robles. Sexagé-naire, cet habitant de Dublin au français excellent fut professeur d’économie, journaliste et député européen. Après les élections gé-nérales britanniques du 7 mai, un colloque sera consacré à l’hypo-thèse du «Britxit», c’est-à-dire la sortie potentielle de l’Europe par le Royaume-Uni, où l’euroscepti-cisme – notamment dans les mé-dias – est puissant. Dans son édi-tion d’avril 2015, L’uniscope, le journal du campus de l’UNIL, a ré-alisé un portrait de Pat Cox. DS

L’Association des géographes de l’Université de Lausanne (ArGile) a récompensé Jonathan Bussard pour son Mémoire de master, inti-tulé Protection et valorisation du patrimoine géomorphologique du Parc naturel régional Gruyère Pays-d’Enhaut. Etats des lieux et pers-pectives. L’objet principal est la réalisation d’un inventaire des géo-morphosites de ce parc de 503 km2, c’est-à-dire les lieux qui pos-sèdent un intérêt scientifique, éco-logique ou esthétique. Son tra-vail sert de base pour analyser les usages et la gestion des sites, notamment en termes de pro-tection et de valorisation. (RÉD.)

http://mesoscaphe.unil.ch/igul/ memoires/bd/

ARCHÉOLOGIEÉNERGIE

TRANSITION EN CHANTIERLe premier évènement Volteface s’est déroulé à l’UNIL le 2 février dernier. Cette plateforme, née d’un partenariat entre l’UNIL et Romande Energie, est consacrée aux aspects sociaux et culturels de la transition énergétique, pensée trop souvent uniquement comme un défi technologique. Lors d’ateliers, les participants venus de milieux très différents (économie, politique, associations) ont fait émerger des thèmes sur lesquels des scientifiques vont se pencher ces prochaines années. Des liens entre les préoccupations du public et la recherche se créent ainsi. Le projet Volteface bénéficie d’un soutien de l’Etat de Vaud. (RÉD.)

Résultats des ateliers et prochains évènements sur www.volteface.ch

Le 29 mai, lors du Dies aca-demicus, le Prix de l’Univer-sité de Lausanne est décerné à Gilbert Kaenel. Ce dernier a dirigé le Musée d’archéo-logie et d’histoire du can-ton de Vaud pendant trente ans, jusqu’en avril dernier. Cet archéologue passionné, spécialiste de l’âge du fer, a également été fait comman-deur de l’Ordre des Arts et des Lettres en mars dernier. Lorsque l’on évoque La Tène, le mystérieux Mormont ou l’Helvétie romaine, c’est souvent à lui que l’on pense. Le numéro 151 des Cahiers d’archéo-logie romande, paru en automne 2014, est un volume de mélanges offert à l’occasion du 65e anniversaire de celui que l’on surnomme «Auguste». (RÉD.)

DES LAURIERS POUR GILBERT KAENELFa

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Etudiants à la Faculté des HEC, Florian Gharib et Matthieu Charlot ont participé au 4L Tro-phy 2015. Annuelle, cette course automobile humanitaire est des-tinée aux étudiants. 2300 d’entre eux ont parcouru, exclusivement au volant de la petite Renault, un itinéraire de 6000 km à tra-vers la France, l’Espagne et le Ma-roc. Les deux compères ont trans-porté des fournitures scolaires (cahiers, crayons, etc.), qui ont ensuite été redistribués aux en-fants du Sud marocain par l’As-sociation Enfants Du Désert. Une aventure humaine et mécanique: les deux étudiants ont beaucoup aimé la solidarité qui régnait entre les participants. NOÉMIE WALTER

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Privat-docente et chercheuse au Laboratoire de recherche en neu-roimagerie, Marzia De Lucia a obtenu une subvention «EUREKA-Eurostars Program» d’un mon-tant de 870 000 euros pour trois ans. Ce montant est destiné à fi-nancer le projet «ComAlert». Ce dernier se base sur un nouveau test développé par Marzia De Lu-cia, en collaboration avec Andrea Rossetti et Mauro Oddo (UNIL-CHUV). Il permet de prédire les chances de réveil des patients comateux après un arrêt car-diaque. Pour cela, les médecins se basent sur un système de surveil-lance des ondes cérébrales des patients (lire également Allez sa-voir ! no 53 de janvier 2013). (RÉD.)

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POLITIQUE

MODÈLELa conseillère fédérale Simonetta Sommaruga et François Hollande, lors de la finale de la Coupe Davis remportée par la Suisse, le 22 novembre 2014 à Lille.© DUKAS / Corbis

16 Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne

Ils sont de droite comme de gauche, nationalistes ou écolos, allemands et français, politiciens ou chercheurs. Ils apprécient le modèle suisse et le disent. Comme Dominique Bourg, professeur à l’UNIL, qui a sorti récemment un livre où il propose d’«Helvétiser la France». Voici pourquoi. PROPOS RECUEILLIS PAR JOCELYN ROCHAT

LA SUISSE,UN EXEMPLE POUR LA

FRANCEAllez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne 17

18 Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne

AS: Quand vous voyagez en train, vous pensez à «Hel-vétiser la France» ?Dominique Bourg: C’est vrai. Je prends souvent le train, et c’est là que m’est venue l’idée du livre. Notamment dans le TGV, qui est un train bruyant, construit avec des matériaux qui n’ont pas été choisis pour durer, comme cette moquette qui ne se nettoie pas, sans parler des WC chimiques qui dysfonctionnent. Je ne comprends pas que ce soit si mal conçu. Alors que les constructeurs des rames sont sou-vent les mêmes, les cahiers des charges suisses et fran-çais privilégient des paramètres différents. En France, c’est la vitesse. Pourquoi pas, mais il vaudrait mieux un train qui va un peu moins vite et qui soit plus confortable.

Comme un train suisse ?Oui, ils sont rapides, mais pas de façon inutile. Ils sont confortables, propres et bien insonorisés. Et surtout, ils des-servent efficacement l’ensemble du pays. Ici, vous n’avez pas besoin de voiture, vous pouvez aller partout en trans-ports publics. En France, si vous sortez de Paris ou d’autres métropoles, c’est impossible. Le réseau ferroviaire suisse est une merveille d’équilibre, et c’est aussi une manifesta-tion très intéressante de la puissance publique.

Les trains nous en diraient donc long sur la façon dont un pays est gouverné ?Je le pense. Le train suisse est consensuel. Il a été ima-giné pour satisfaire une clientèle dont on sait qu’elle est plurielle. Ce n’est pas le cas en France. Et cela vaut aussi pour la politique. Dans l’Hexagone, le système ne fonc-tionne que dans l’affrontement. C’est un sport national, les gens adorent ça. Mais quand ça va mal et qu’il faut aborder des sujets très importants, on devrait pouvoir trouver des consensus et prendre des décisions qui rassemblent des majorités, ce qui est impossible dans la culture française. Les institutions ne font que renforcer les fractures et les oppositions. La France est un pays divisé qui reste dans la logique du tout ou rien. Et l’alternance entre la droite et la gauche n’arrange rien, puisqu’elle offre, momentanément, tout le pouvoir à un seul camp, et qu’elle interdit à des poli-ticiens issus de partis différents de travailler ensemble.

Justement, le système suisse oblige des adversaires politiques à collaborer. Dans votre livre, vous aime-riez qu’un socialiste français soit parfois forcé de tra-vailler avec un élu Front national. Mais franchement, est-ce possible ?C’est bien le problème. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’est pas souhaitable que cette situation évolue.

«Helvétiser la France», c’est vraiment imaginable ?Il y a, aujourd’hui en France, un intérêt pour le changement constitutionnel. Les gens se rendent bien compte qu’on est arrivé à la fin de la Ve République, et qu’il y a un risque de

Elle est bien révolue, l’époque où les Suisses vivaient cachés. Désormais, de nombreuses voix s’élèvent à l’étranger pour saluer leur système politique, avant de suggérer de s’en inspirer. L’an dernier, au Forum des 100 organisé chaque année par L’Hebdo à l’UNIL,

c’est l’ex-numéro 2 du gouvernement allemand, l’écologiste Joschka Fischer, qui a conseillé à l’Europe de s’inspirer de la Suisse qui, «en centralisant le pouvoir dans un “Etat de la raison” quadrilingue, a pu échapper aux nationalismes des Etats ethniquement homogènes et devenir une petite Europe moderne».

Plus récemment, c’est le philosophe Michel Onfray qui a confessé son intérêt pour la démocratie helvétique, dans Le Journal du matin de RSR La Première. Très critique avec l’Europe, ce Français de gauche apprécie l’attitude «liber-taire» des Suisses. Une admiration que partagent d’autres antieuropéens, mais de droite, comme Marine Le Pen ou Eric Zemmour qui défendent les votes antiminarets ou sur l’immigration de masse des Suisses. La patronne du ras-semblement Bleu Marine a ainsi fait la Une du Matin en déclarant «Les Suisses ont raison».

Il y a enfin eu une série de best-sellers qui, à l’image de François Garçon, tentent d’expliquer Le modèle suisse. Sans oublier L’Allemagne disparaît du banquier socialiste allemand controversé Thilo Sarrazin, qui cite plusieurs fois la Suisse en exemple. Et enfin ce livre d’entretiens où le professeur franco-suisse de l’UNIL, Dominique Bourg, envisage carrément d’«Helvétiser la France». Est-ce bien sérieux ? Allez savoir ! lui a posé la question.

DOMINIQUE BOURGProfesseur à l’Institutde géographieet durabilité.Nicole Chuard © UNIL

POLITIQUE

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voir arriver Marine Le Pen au pouvoir. Donc changement constitutionnel il y aura, puisque la France ne sait pas se changer sans changer ses institutions. Les institutions actuelles ont été imaginées pour sortir de la IVe République. Elles ont été très utiles à un moment donné, mais elles ont été complètement dénaturées avec le mandat présidentiel raccourci, les problèmes de cohabitation, etc. Elles dysfonc-tionnent, et elles ont encore intensifié les tares nationales. Notamment en focalisant l’attention sur la présidentielle. Dès qu’un candidat est élu, la guerre reprend en prévi-sion de l’élection suivante. C’en est ridicule, et ce système a transformé les partis en petites coteries de militants qui ne débattent plus du fond, et sont prêts à se tuer au détri-ment de l’intelligence, de l’intérêt général et du reste de la population. C’est effrayant et totalement inefficace.

La Suisse élit son Parlement à la proportionnelle. Si on transpose ce système en France, cela permet à Marine Le Pen d’obtenir une forte délégation, peut-être même la plus importante du pays, comme c’est le cas pour l’UDC en Suisse. Vous pensez toujours que c’est une bonne idée ?Le Front national, ce n’est pas ma tasse de thé, mais si on a un FN à 30%, c’est parce qu’on a une représentation par-lementaire et des partis qui dysfonctionnent. C’est parce que les gens ont l’impression de ne plus être écoutés du tout – ce qui est foncièrement vrai – et parce que les gens ont l’impression d’être extrêmement mal représentés, ce qui est aussi extrêmement vrai. Si on tient compte de l’abs-

tention, la majorité qui gouverne la France représente au mieux 20 à 25% de la population. Et le Parlement français est l’un des plus masculins, et un de ceux qui représentent le moins bien les catégories socioprofessionnelles, y com-pris des classes d’âge, donc un Parlement qui ne repré-sente plus grand monde.

Si on imagine une Assemblée nationale élue à la pro-portionnelle, le pays devient ingouvernable...Nous sommes d’accord. Deux réponses à cette difficulté: d’abord, on n’est pas obligé de pratiquer une proportion-nelle stricte. On peut choisir un système mixte, comme en Allemagne. Ensuite, il faut bien voir que 30% d’UDC en Suisse ne représentent pas un danger, parce qu’ils sont élus dans des gouvernements collégiaux où les autres grandes tendances politiques sont aussi représentées. En France, c’est très différent, puisqu’un FN qui obtient 30% des voix peut gagner une élection, et ensuite gouverner tout seul.

Tout seul et durablement...Le système français permet à une faible majorité d’impo-ser ses vues durant plusieurs années, même si le reste de la population trouve certaines de ces idées extrêmes. Quand vous votez pour la droite ou la gauche, vous choisis-sez aussi un paquet électoral. Mais quand vous interrogez les Français, vous découvrez qu’ils ne se reconnaissent jamais dans la totalité du programme proposé par les candidats. En revanche, quand on a des gouvernements collégiaux comme en Suisse, il en va tout autrement.

«LA SUISSEA RÉUSSI À METTREEN ŒUVRE CE QUENOUS RÉCLAMONS DEPUIS DES DÉCENNIES»MARINE LE PEN

«LA SUISSE EST LE SEUL MODÈLE FÉDÉRALISTE QUI POURRAIT SERVIRÀ L’UNION EUROPÉENNE»JOSCHKA FISCHER

«LES SUISSES SONT LES VRAIS, LES SEULS HÉRITIERS DE LA DÉMOCRATIE SELON JEAN-JACQUES ROUSSEAU» ERIC ZEMMOUR

«LE MODÈLE SUISSE, J’AIME BEAUCOUP.VOUS ÊTES DES LIBER-TAIRES BIEN PLUS PROCHES DE LA DÉMO-CRATIE QUE NOUS»MICHEL ONFRAY

CE QU’ILS EN PENSENT

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POLITIQUE

Ce gouvernement plus diversifié travaille de manière collégiale, et cherche des compromis, des consensus. Il lui arrive très souvent de prendre une décision que les citoyens n’approuvent pas dans sa totalité, mais qu’ils admettent, parce qu’ils pensent que c’est la moins mau-vaise solution, ou la plus acceptable.

C’est pour cela que la Suisse est le royaume des cen-tristes, alors qu’en France, des figures comme Fran-çois Bayrou et Jean-François Kahn n’accèdent jamais au pouvoir...Exactement. En Suisse, les modérés des différents par-tis travaillent ensemble. Quand je propose d’helvétiser la France, je pense à cette recherche de consensus. C’est un système bien plus intéressant. Et quand les problèmes environnementaux se poseront de manière plus insistante, dans 20 ou 30 ans, on aura besoin de mécanismes de ce genre. Comment voulez-vous – j’imagine un scénario hor-rible – organiser des rationnements dans un système fran-çais ? Il y aurait tout le monde dans la rue. Alors que c’est imaginable en Suisse, où des politiciens peuvent expliquer que le rationnement est la solution la moins injuste qui a été trouvée pour résoudre une crise. Et ça passerait pro-bablement en votation, dans le calme.

Vous voyez beaucoup d’avantages à la machine suisse à dégager des consensus. Ici, pourtant, ce système est souvent critiqué dans les médias parce qu’il ne permettrait pas de faire des choix clairs, et qu’il accou-cherait toujours de demi-mesures...En Suisse, on fait vraiment la différence entre ses convic-tions profondes, son analyse de la situation et le type de solution qui peut être efficace et qui va convenir à l’en-semble du pays pour permettre à la nation d’avancer. C’est vraiment génial. Le consensus, ça ne veut pas dire que vous êtes d’accord sur tout et sur le fond, mais que vous êtes d’accord pour vous entendre sur une solution de compro-mis, parce qu’il n’y a pas d’autre issue dans les démocraties qui sont forcément pluralistes. Que voulez-vous de mieux ?

La majorité des Suisses sera d’accord avec vous. Reste à savoir si ce modèle suisse est soluble dans l’âme gauloise, si friande de combats politiques. Et puis, ce serait dommage pour le spectacle...C’est vrai que les téléspectateurs suisses s’amusent beau-coup en suivant la politique de leurs voisins, mais la France ne rigole pas, et le pays dégringole. Et je pense que son système politique est pour beaucoup dans ce déclin très inquiétant.

Il n’y a pas si longtemps, dans les débats politiques comme dans les soirées électorales, les Français par-laient aux Français de la France et du modèle fran-çais. Mais, depuis quelque temps, on entend de plus 

en plus souvent des politiciens et des experts évoquer des modèles étrangers. C’est souvent l’Allemagne, par-fois la Suisse. Comment expliquer ce changement de perspective ?Les Français ne sont pas fous: ils sont bien conscients que leur pays dégringole. Du coup, la fierté gauloise en prend un coup, on devient plus modeste et on regarde ce qui marche ailleurs, ce que les Suisses ont toujours fait. Ici, on est très fier d’être Suisse, mais ce sentiment n’a jamais empêché les gens de tirer des leçons de ce qui arrive dans le reste du monde. La fierté française, elle, a longtemps aveuglé les Français. Ce n’est plus le cas, heureusement. Profitons-en.

Quand il est venu annoncer son retour en politique, sur TF1, Nicolas Sarkozy a parlé de référendums. Et Ségolène Royal a proposé récemment qu’un référen-dum local permette de trouver une solution au conflit relatif au barrage de Sivens... Ce sont des proposi-tions qui vont dans la bonne direction ?Il faudra voir à l’usage. Habituellement, en France, lors des grands référendums, les citoyens ne répondent jamais à la question posée. Ils répondent à celui qui l’a posée. A par-tir du moment où vous remplacez l’hyper-président, cet homme qui doit sauver le pays tout seul, par un gouverne-ment collégial où siègent des partis différents, un tel réflexe n’a plus de sens. Vous devez répondre à la question posée. En Suisse, les gens votent beaucoup, et ils m’épatent sou-vent. C’est toujours sensé, même quand je ne suis pas d’ac-cord avec le résultat. Ce n’est pas parce que le Suisse est plus intelligent dans ses gènes. Mais parce que les insti-tutions ont élevé le niveau d’exigence citoyen des Suisses, alors que le système français abaisse le niveau d’exigence.

Votre vision de la Suisse est flatteuse...C’est vrai, mais, comme je l’ai écrit dans le livre, je ne pense pas que tout est parfait, j’ai seulement rassemblé les idées et les fonctionnements que je trouve géniaux dans ce pays. Et comme j’y vis, je sais que ça marche.

Pourtant, quand on parle d’écologie, votre domaine de recherche à l’UNIL, la démocratie à la Suisse n’est pas aussi efficace...Ce n’est pas la démocratie qui nous empêche de résoudre les problèmes écologiques. On le sait, les hommes ne se mobilisent que s’ils se sentent directement responsables d’un dommage, ou quand ils sont confrontés à un danger soudain, évident et perceptible par les sens. Quand on a affaire à des problèmes abstraits, compliqués, techniques et qui ne produiront des effets que dans une temporalité assez longue, comme le dérèglement climatique, c’est beau-coup plus difficile de sensibiliser des gens, parce que leur thermomètre de bien-être immédiat ne fonctionne pas. Les mécanismes de la démocratie représentative ne permettent pas de répondre à cela, mais aucun système ne le fera.

HELVÉTISER LA FRANCE.Entretiens de Dominique Bourg avec Philippe Dumartheray.Ed. L’Aire/Ginkgo (2014), 96 p.

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Composée des mots grecs há-gios (saint, sacré) et gráphein (écrire), l’hagiographie qua-lifie l’écriture de la vie ou de l’œuvre des saints. Le terme

s’applique aujourd’hui également à l’étude de ces documents qui peuvent prendre plusieurs formes,

notamment la vita qui retrace la vie et les miracles d’un saint et la pas-sio qui rapporte les souffrances et les supplices endurés par un mar-tyr chrétien.

Contrairement aux biographies, les récits hagiographiques ont plutôt pour vocation de rappeler les vertus extraordinaires et la sainteté du per-sonnage. «Destinés en premier lieu à être lus pendant une célébration liturgique, ils obéissent à toute une série de conventions stylistiques», ex-plique Eric Chevalley, spécialiste du culte des saints et de l’Antiquité tar-dive. La personne dont on relate la vie est généralement qualifiée d’ «enfant-vieillard», on suppose qu’elle bénéfi-ciait dès son plus jeune âge de la sa-gesse d’un vieil homme.

Les œuvres hagiographiques sont fréquemment peuplées d’élé-ments merveilleux, notamment de guérisons miraculeuses apportant la preuve de la vertu du personnage, mais dont l’historicité s’avère souvent

discutable. Une facette de la disci-pline parfois décevante, car les textes ne fournissent que peu de détails sur la vie quotidienne de l’époque. Coau-teur d’un ouvrage rassemblant trois documents anciens relatifs aux ori-gines de l’abbaye de Saint-Maurice (VS)*, Eric Chevalley explique que

les écrits ne révèlent rien sur la ma-nière dont ce lieu était géré. Certains passages de l’histoire sont même tus. Le fait que saint Sigismond, fonda-teur du monastère en 515, ait fait as-sassiner son fils est par exemple to-talement passé sous silence.

Par extension, le terme «hagiogra-phie» est d’ailleurs aujourd’hui uti-lisé de manière péjorative pour dési-gner une biographie excessivement élogieuse et le manque de recul d’un auteur envers la personne ou le sujet étudié.

Le livre d’Eric Chevalley révèle une autre spécificité de la discipline. La réalisation de l’ouvrage, édité en latin et en français, a nécessité l’étude approfondie de dizaines de manus-crits anciens. Les textes hagiogra-phiques sont en effet souvent ano-nymes et donc peu protégés. Au fil des ans, ils ont ainsi fréquemment été complétés, voire modifiés. Un vrai casse-tête pour les chercheurs dont la mission a été de retrouver la ver-

sion la plus authentique et originale possible. Le latiniste a également col-laboré à la réalisation d’un ouvrage plus large sur l’histoire de l’abbaye. Dirigé par Bernard Andenmatten, professeur à l’UNIL, le livre est paru en avril 2015 à l’occasion du 1500e anniversaire de la fondation du lieu.

L’hagiographie, désuète ? Certai-nement pas. Elle joue encore un rôle essentiel lors des processus de ca-nonisation. A l’occasion des procès de béatification, de multiples écrits sont rédigés afin de retracer la vie des saints contemporains. On y a ajoute désormais des éléments plus scientifiques comme des témoi-gnages de médecins mais l’objectif reste toujours d’apporter la preuve de la vertu extraordinaire de la per-sonne susceptible d’être canoni-sée. De nombreux historiens et la-tinistes s’intéressent encore à cette thématique. Par exemple, le Centre d’études médiévales et postmédié-vales de l’UNIL s’est récemment penché, dans le cadre d’un cours public, sur les saints et la sainteté au Moyen Age, à Lausanne et en Suisse romande. Yann Dahhaoui, chercheur à l’Institut religions, cultures, modernité y relevait l’im-portance des récits hagiographiques dans la création du mythe de saint Nicolas.MÉLANIE AFFENTRANGER

* La mémoire hagiographique de l’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune - Passion anonyme de saint Maurice, Vie des abbés d’Agaune, Passion de saint Sigismond. Par Eric Cheval-ley et Cédric Roduit. Cahiers lausannois d’his-toire médiévale, vol. 53 (2014), 289 p.

A mi-chemin entre récit historique et légende peuplée d’éléments merveilleux, les textes hagiographiques relatent la vie ou l’œuvre des saints. Apparus dès l’Antiquité, ils gardent aujourd’hui leur importance durant les procédures de canonisation. L’éclairage d’Eric Chevalley, maître d’enseignement et de recherche à l’Institut d'archéologie et des sciences de l'Antiquité.

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PALÉONTOLOGIE

DILONG PARADOXUSMembre des Tyranno- sauroidea découverten Chine, ce petit dinosaure possédait des plumes simples. Il a vécu il y a environ 130 millions d’années.© Portia Sloan Rollings/National Geographic Creative

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S’IL TE PLAÎT,DESSINE-MOI UNDINOSAURE

Ils bondissent et rugissent. A leur approche, les humains fuient ou finissent en casse-croûtes. Les dinosaures de Jurassic World, quatrième opus de la série lancée par Steven Spielberg, occupent le terrain cet été. Même s’ils sont spectaculaires, les animaux montrés dans le film ne collent pas aux découvertes les plus récentes de la paléontologie. TEXTE DAVID SPRING

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Le mélange de la préhistoire et du moteur à explosion fait toujours plaisir à voir. Ainsi, dans une séquence de Jurassic World (sortie le 10 juin), un groupe de raptors galope autour d’une moto. Comme pour s’inscrire dans la continuité du premier Jurassic Park (1993), ces ani-

maux sont dotés d’une peau écailleuse. Cette scène d’action exotique a agacé le zoologue Darren Naish, de l’Université de Southampton. Sur son compte Twitter@TetZoo, il a indi-qué que le message basique du film est «que la science aille se faire voir, nous n’avons pas besoin de plumes puantes».

La raison de son ire ? Depuis vingt ans, on sait que bien des espèces du grand groupe (ou clade) des Coelurosau-ria – dont font partie de nombreux carnivores comme les tyrannosaures – possédaient un plumage archaïque. Les preuves ont été dénichées dans le nord-est de la Chine, où la province du Liaoning est devenue l’un des hauts lieux de la paléontologie. Localement, des cendres volcaniques ont permis une conservation exceptionnelle des fossiles. Parmi eux figure le Sinosauropteryx, décrit en 1996 *. Le corps de cet animal, qui a vécu il y a environ 130 millions d’années, était couvert de plumes filamentaires simples. En 2004, dans Nature *, des scientifiques chinois annon-çaient la présence de protoplumes sur Dilong paradoxus, membre des prestigieux Tyrannosauroidea.

En 2007, rappelle Robin Marchant, conservateur au Musée cantonal de géologie et chercheur à l’UNIL, «des nodosités régulières observées sur le radius d’un Veloci-

raptor trouvé en Mongolie ont permis de démontrer qu’il possédait également des plumes primitives.*» Au total, les restes de plus d’une quarantaine d’espèces emplumées ont été identifiés à ce jour. Leur point commun: ils sont tous terrestres, contrairement à l’Archaeopteryx, un dinosaure volant connu depuis 1861.

Du pain aux dinosVoici bien la découverte la plus troublante de ces dernières décennies: apparus il y a environ 150 millions d’années, les oiseaux ont émergé d’une branche des dinosaures, celle des théropodes (où l’on trouve l’essentiel des prédateurs). Ce qui signifie que les ancêtres de nos moineaux ont sur-vécu à l’extinction massive qui sonne la fin du Crétacé, il y a 65 millions d’années. Et que nous donnons du pain à des dinosaures aquatiques, le dimanche au bord du lac.

Cette hypothèse, qui rencontre un large consensus chez les scientifiques, ne date pourtant pas d’hier. Elle a été émise par Thomas Henry Huxley, peu après la publi-cation De l’origine des espèces de Charles Darwin, en 1859. Le nom de ce biologiste anglais a été donné à Anchiornis huxleyi * exhumé dans le Liaoning. Cette bête a gambadé à la fin du Jurassique, il y a environ 160 millions d’an-nées. Elle est devenue célèbre en 2010, lorsqu’une équipe de chercheurs de l’Université de Yale a réussi à reconsti-tuer sa couleur *, grâce aux vestiges de ses mélanosomes. C’est-à-dire les organites qui fabriquent les couleurs noir et rouge-brun. «Selon ces travaux, l’animal ressemblait un peu à une pie avec ses plumes noires et blanches, et il pos-sédait une crête rouge !», note Robin Marchant.

Ce dernier incite toutefois à la prudence: «Nous connais-sons les os et les empreintes des dinosaures: tout le reste, ce sont des suppositions.» Mais, au vu de l’extraordinaire richesse de couleurs de leurs pépillants descendants, il est légitime de supposer qu’ils n’étaient pas seulement gris ou verts, comme ils ont été représentés depuis un siècle et continuent à l’être dans la fiction.

Quel bruit émettaient-ils ? Là aussi, seules des conjec-tures sont permises. «Avant de sortir de l’œuf, les crocodiles piaillent. Les oiseaux possèdent un répertoire incroyable. Je ne serais donc pas étonné que les dinosaures fussent bien plus mélodieux que les épouvantables barrissements que l’on entend dans Jurassic Park», sourit Robin Marchant.

Passage à l’horizontaleLe maintien de ces créatures préhistoriques a beaucoup évolué. «Par le passé, certains dinosaures étaient représen-tés à la manière des kangourous, debout sur leurs pattes arrière. D’autres barbotaient en permanence dans des mares, car on les supposait trop lourds pour se déplacer, se souvient Robin Marchant. Mais de nos jours, les illustra-tions les montrent avec la colonne vertébrale à l’horizon-tale, leur queue se balançant afin de compenser le mouve-ment.» Un spectacle nettement plus gracieux.

ROBIN MARCHANTConservateur au Musée cantonal de géologieet chercheur à l’UNIL.Nicole Chuard © UNIL

Le Musée cantonal de géologiewww.unil.ch/mcg/fr/home.html

PALÉONTOLOGIE

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TORSTEN VENNEMANNProfesseur à l’Institut des dynamiques dela surface terrestre.Nicole Chuard © UNIL

Ainsi, il est réaliste de penser que les sauropodes (les grands quadrupèdes herbivores dont font partie les diplo-docus), «pouvaient se dresser sur leurs pattes arrière, ou même courir. Les éléphants en sont bien capables», note le chercheur.

Dans plusieurs épisodes de Jurassic Park, on voit des théropodes se déplacer à grande vitesse, au point de rat-traper une Jeep ou une moto. «Grâce aux empreintes de pas et à la longueur des fémurs des dinosaures, nous pos-sédons quelques indications sur leurs capacités de course, indique Robin Marchant. Mais le problème consiste à déter-miner quel animal a laissé quelle trace.» Toutefois, grâce à des simulations, on estime que le frêle Compsognathus pou-vait dépasser les 60 km/h. Le tyrannosaure tournait plu-tôt autour des 30 km/h, ce qui est déjà pas mal pour une bête de 6 tonnes, et de toute façon beaucoup trop pour ses victimes au cinéma.

Dans son récent ouvrage Jurassique Suisse: des dino-saures et des mammouths dans nos jardins !, Robin Mar-chant met l’accent sur une différence importante entre les reptiles et les dinosaures. Les membres des premiers sont pliés, et se trouvent sur les côtés de leur corps. Les seconds, comme les humains d’ailleurs, se déplacent sur des pattes droites. Cette posture demande moins de force pour trans-porter un poids important. C’est probablement cette carac-téristique qui a permis à certaines espèces d’atteindre des tailles comme 13 mètres de haut et 22 mètres de long, à l’image du brachiosaure.

Esprit de familleNotre pays recense plusieurs milliers de traces de pas de dinosaures, comme par exemple au Piz dal Diavel (GR) ou sur le site de Béchat Bovais (JU). Ces pistes tendent à montrer que bien des herbivores vivaient en troupeaux. «Les nom-breuses empreintes trouvées autour des nids accréditent l’idée que certains étaient de véritables mères poules, et qu’ils s’occupaient de leurs petits, tout comme les oiseaux.»

Le dimorphisme sexuel reste largement un mystère: comment distinguer les femelles des mâles ? En 2005, trois chercheurs américains, parmi lesquels figure «Jack» Hor-ner, qui a collaboré avec Steven Spielberg, ont annoncé une découverte importante (et contestée) dans Science*. A l’in-térieur d’un os de tyrannosaure, Mary Schweitzer a repéré la présence de tissus particuliers, appelés os médullaires. Ceux-ci n’existent que chez les femelles oiseaux en ges-tation, et leur servent à stocker le calcium nécessaire à la fabrication des œufs. Ce qui a permis à la fois de détermi-ner le sexe de la créature et de renforcer le lien entre dino-saures et volatiles.

Loin des fantasmes génétiques de Jurassic Park, c’est la géochimie qui a fourni des informations intéressantes, grâce à l’analyse des dents et des os. Ces derniers fixent, au moment de leur formation, l’oxygène de l’eau que nous absorbons, que cette dernière soit contenue dans la nour-

riture ou dans l’air – sous forme de vapeur ou de pluie. Cet élément indispensable à la vie possède plusieurs isotopes stables. Dans la nature, 16O (8 protons et 8 neutrons) est le plus abondant (plus de 99% des effectifs). Son cousin 18O (8 protons et 10 neutrons) est nettement plus rare (0,2 %). Le quotient entre le second et le premier, noté δ18O, donne de précieuses indications aux paléoclimatologues. «Ce ratio varie en fonction de la température, de la latitude et de la quantité d’eau condensée dans l’air», explique Torsten Ven-nemann, professeur à l’Institut des dynamiques de la sur-face terrestre. Mais à quoi comparer ce chiffre ? «Depuis près de cinquante ans, les stations météorologiques du monde entier mesurent ces valeurs.» Les saisons jouent également un rôle: en été, on trouve davantage de 18O dans les précipitations, et c’est l’inverse en hiver.

Cette dernière information se croise avec la suivante: les os se remplacent au cours de la vie à un rythme qui varie selon les espèces. Il est possible d’y repérer des anneaux de croissance et donc d’avoir une idée de la vitesse à laquelle l’animal a grandi, selon que les saisons furent chaudes ou froides dans les dernières années de sa vie, voire même dans les premières années si l’on utilise les dents.

Sang chaud ou froid ?La concentration des différents isotopes dépend également de la température du corps au moment où le tissu osseux se forme. Ce qui nous amène à la question suivante:

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les dinosaures avaient-ils le sang froid comme les rep-tiles ou chaud comme les oiseaux ? Les premiers, dits ecto-thermes, ont la même température que leur milieu. Leur croissance est lente et ils consomment beaucoup moins de nourriture que les endothermes, qui maintiennent leur organisme à température constante et dont la croissance est rapide. Même s’ils vivent côte à côte et partagent l’eau de mares communes, leurs δ18O seront différents, puisque leurs températures internes le sont également.

Imaginons maintenant des restes de dinosaures et d’ec-tothermes (crocodiles et tortues), datant de la même période préhistorique et trouvés dans le même gisement. Mesu-rons leurs concentrations respectives en isotopes d’oxy-gène. Faisons exactement le même travail, mais avec des mammifères et des ectothermes contemporains. Les diffé-rences observées entre les deux groupes de fossiles et les deux groupes modernes sont similaires, ce qui permet à une équipe de chercheurs de soutenir que l’endothermie était répandue chez les dinosaures *.

Croissance rapideAvec un étudiant de master, Torsten Vennemann a travaillé sur un os d’un membre de la famille des Tyrannosauroidea, en utilisant une approche déjà publiée par son groupe de recherche sur un autre dinosaure en 2004*. Ce tissu a crû de 15 cm de diamètre en 5 ans, ce qui est énorme. «Une telle croissance n’est possible que si l’animal mange beau-coup», ajoute le professeur. Les quantités deviennent car-rément astronomiques si l’on visualise le menu d’un diplo-docus ou d’un brachiosaure, des herbivores à côté desquels l’éléphant d’Afrique fait figure de petite chose.

Un tel métabolisme est-il vraisemblable ? En 2014, dans Science*, des scientifiques proposent une troisième voie: la mésothermie. L’un des animaux souvent étudié par Torsten Vennemann, le requin blanc, la pratique. «En temps nor-mal, cet animal possède la même température que celle de l’eau. Mais il peut la faire monter de 5 degrés afin d’être plus actif que ses proies, par exemple en eaux froides. Cela lui procure un avantage par rapport aux autres espèces.» Les

PALÉONTOLOGIE

SINOSAUROPTERYXDécouvert en Chine et dé-crit en 1996, ce dinosaure à plumes d’un mètre de long a vécu il y a environ 130 millions d’années. Sa couleur a pu être déduite de ses fossiles.© Keystone/Science PhotoLibrary/Julius T. Csotonyi

ANCHIORNISHUXLEYILes couleurs de ce minus-cule dinosaure, qui a vécu il y a 160 millions d’an-nées, ont été reconsti-tuées par des chercheurs de l’Université de Yale.© Keystone/Science PhotoLibrary/Julius T Csotonyi

L’Institut des dynamiques de la surface terrestrewww.unil.ch/idyst/en/home.html

Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne 27

dinosaures auraient donc fonctionné ainsi. «Cela devait être très pratique de pouvoir passer d’un système à l’autre, c’est-à- dire de manger davantage et de croître quand la nourri-ture était abondante, et de passer à l’ectothermie, bien plus économique, lorsque les conditions deviennent difficiles.»

This is the endLes oiseaux furent les seuls dinosaures à franchir la limite Crétacé-Tertiaire (C-T), c’est-à-dire une grande extinction qui a eu lieu il y a 65 millions d’années. Adieu, tricératops et ptéranodons ! Mais quelle est l’arme du crime ? Météo-rite ou éruptions ? Le sujet fait l’objet d’une controverse durable. Expert scientifique à l’Institut des sciences de la Terre, Thierry Adatte est l’un des co-auteurs d’un article paru dans Science, fin 2014*. Grâce aux zircons, soit des cristaux recueillis dans des couches de roches et cendres volcaniques en Inde (lire également Allez savoir ! N°57), il a été possible de dater les différentes éruptions colossales qui ont eu lieu à l’époque. L’essentiel des coulées a commencé

250 000 ans avant la limite C-T, pour se terminer 300 ou 400 000 ans après. Les quantités folles de gaz et de pous-sières émises pendant des millénaires ont modifié le cli-mat. Si l’on ajoute un (ou deux) astéroïdes géants à la fac-ture, le compte est réglé.

Les dinosaures terrestres sont-ils perdus à jamais ? Juras-sic World, comme les autres films de la série, imagine que de l’ADN de ces créatures, isolé depuis le sang de mous-tiques figés dans l’ambre, serve à les faire renaître. Hélas, cette idée poétique reste aussi invraisemblable qu’en 1993, car la fragile molécule d’ADN ne peut se préserver, en par-tie, que pendant quelques centaines de milliers d’années dans des conditions de froid bien particulières. Il n’y a rien à espérer de fossiles minéralisés depuis des éons.

Pour nous consoler, la nature nous a laissé 10 000 espèces d’oiseaux, présents sous tous les climats, du sommet des montagnes au bord des océans. Leurs couleurs et leurs chants nous laissent entrevoir la richesse de la vie lorsque les dinosaures régnaient sur la planète.

JURASSIQUE SUISSE.Des dinosaures et desmammouths dans nosjardins. Par Robin Marchant en collaboration avec Bernard Pichon.Ed. Favre (2014), 231 p.

* Les références desarticles se trouvent sur www.unil.ch/allezsavoir

28 Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne4 Allez savoir ! N° 51 Mai 2012 UNIL | Université de Lausanne4 Allez savoir ! N° 51 Mai 2012 UNIL | Université de Lausanne

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Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne 29

RÉFLEXION

AMENER SUR LE MARCHÉ DES JEUNES BIEN FORMÉS REPRÉSENTE À NOS YEUX UNE PRIORITÉ.

Ala Faculté des hautes études commerciales, où j’enseigne depuis 2009, nous pouvons mettre à la disposition des entreprises non pas seule-

ment un contenu scientifique qui a fait ses preuves dans de nombreuses situations, mais encore une manière analytique d’appréhender les pro-blèmes par-delà les savoirs établis et les intuitions. Le manager idéal, à mes yeux, développe sa compré-hension des mécanismes de causa-lité et se révèle ainsi capable de cri-tiquer ses propres propositions de départ. En quelque sorte, il devient un scientifique.

Cette manière de penser et de faire, qui implique souvent la néces-sité de revenir vers le terrain pour tester les savoirs et les intuitions dans un contexte particulier, j’essaie de la transmettre aux étudiantes et aux étudiants du cours Evidence-based Management, leur permettant de travailler sur des cas pratiques. Un exemple. Nous avons étudié l’histoire d’une petite société alémanique qui, dans un contexte compétitif, envi-sageait d’augmenter la commission journalière touchée par ses livreurs-cyclistes. La rémunération est déter-minante pour doper la motivation, en principe, mais l’entreprise concer-née voulait tester cette proposition éprouvée. Eh bien, dans ce cas, avec des livreurs-cyclistes exerçant pour la plupart d’entre eux cette activité à côté de leurs études, la motivation

LA SCIENCE AU SERVICEDE LA PRATIQUE

financière s’est révélée unique et peu inspirante en termes d’engage-ment personnel. Après avoir atteint un montant à leur convenance, les employés n’en faisaient pas davan-tage. Au contraire de leurs intuitions initiales, les managers ayant testé ces hypothèses d’une manière expéri-mentale ont abandonné l’idée d’aug-menter la commission des cyclistes.

Pour citer deux chercheurs de Stanford University: «Parce que les compagnies varient tellement en termes d’âge, de taille, de forme, d’histoire, il est dans ce domaine encore plus risqué que sur le ter-rain médical de considérer qu’un traitement valable dans un cas par-ticulier le sera forcément ailleurs.» Autrement dit, on trouve bien sou-vent dans le business des facteurs uniques qui ne changent pas les prin-cipes de base mais introduisent des variations inattendues. C’est pour-quoi, dans notre faculté, nous met-tons l’accent non seulement sur les savoirs acquis mais également sur les processus scientifiques permet-tant de tester les propositions cau-sales. Enfin, notre message veut sou-ligner que la méthode expérimentale exécutée sur le terrain reste le meil-leur moyen de valider ces proposi-tions (par exemple, comment les incitations financières influencent la performance au travail).

L’université est là pour le rappeler et offrir son expertise. Hélas, que ce soit dans le monde médical ou dans

celui des affaires, il faut bien consta-ter que les savoirs, les méthodes et les expériences scientifiquement éta-blies – Evidence based – ne se trans-mettent pas facilement aux profes-sionnels engagés quotidiennement dans des pratiques exigeantes. Il faut dès lors améliorer les liens entre le monde de la recherche académique et la société. Pour ce qui me concerne, en tant que professeur au Départe-ment de comportement organisa-tionnel et vice-doyen en charge de la recherche, il s’agit aussi de prépa-rer nos étudiantes et nos étudiants à apporter dans le monde du travail cet esprit scientifique capable d’amélio-rer la compréhension des causalités.

Pour cela, il faut que les universi-taires travaillent avec rigueur et ne cèdent en rien à certaines facilités, par exemple aux ambitions person-nelles qui viennent interférer avec la recherche au risque de produire des travaux et des résultats bâclés.

Diverses, les exigences externes ne doivent pas entraver l’activité scientifique. Sans oublier que la qua-lité de la recherche est essentielle pour améliorer l’enseignement. Ame-ner sur le marché des jeunes bien formés représente à nos yeux une priorité.

JOERG DIETZProfesseur à la Faculté des HEC

30 Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne

CULTURE

D’abord, il y a la légende. Une représentation col-lective qui traverse les décennies et fige une per-sonnalité sous quelques traits spécifiques. Ainsi, dans l’opinion publique, Gustave Roud, lorsqu’on se souvient de lui, n’a gardé qu’un seul visage.

Celui de ce poète du Haut-Jorat qui n’a cessé de chercher, pendant toute sa vie, au cœur des campagnes vaudoises et de leurs paysages brumeux, les traces éparses d’un para-dis perdu.

Les poèmes de l’auteur de l’Essai pour un paradis sont, en effet, tous marqués par cette tension métaphysique, la quête d’un accord réalisé et éprouvé ici et maintenant: un accord vécu dans le monde réel. Qu’ils prennent leur an-crage dans la contemplation des paysages qui l’entourent ou dans les scènes d’un quotidien rural, ses textes tendent tous vers une forme de sacré terrestre, que Roud nomme le «paradis humain».

Il n’en fallait pas plus pour que les commentateurs du poète se concentrent essentiellement sur ces rapports entre nature et spiritualité, solitude et plénitude. Et ce, d’autant plus que la biographie de l’écrivain, qui le dessine en colo-cataire éternel de sa sœur aînée dans la maison familiale

de Carrouge, vient encore grossir cette représentation d’un poète esseulé retranché dans sa campagne. «Pour beaucoup, hélas, persiste la vision d’un homme solitaire, marchant dans les plaines et enfermé chez lui avec sa sœur», relève le pro-fesseur Antonio Rodriguez, par ailleurs président de l’Asso-ciation des amis de Gustave Roud. «Il écrirait des poèmes, prendrait quelques photos le reste du temps, et voilà tout...»

La réalité derrière la légendeL’image d’Epinal est assez jolie, il est vrai, mais passable-ment sommaire. C’est ce que s’apprêtent à mettre en avant les différentes manifestations liées à cette «Année Gustave Roud» (lire l’encadré p. 34), nourries par les documents et les archives conservés au Centre de recherches sur les lettres romandes et à la Bibliothèque cantonale et universitaire.

En premier lieu, Gustave Roud n’est pas ce poète isolé, retiré du monde et de ses congénères, qu’a cristallisé sa lé-gende. «Ce n’était pas un homme qui vivait dans sa tour d’ivoire», corrige immédiatement le professeur Daniel Mag-getti. Et son collègue Philippe Kaenel, historien de l’art, d’en-chaîner: «Gustave Roud est un homme de réseau, qui a une correspondance considérable avec les principaux acteurs

COMMEUNE STATUEFernand Cherpillod à la charrue. Diapositive,années 1940.© Fonds Gustave Roud,BCU/Lausanne, C.-A. Subilia

Le Centre de recherches sur les lettres romandeswww.unil.ch/crlr

GUSTAVE ROUD LA FASCINATION DES CORPS

PAYSANSA l’initiative du Centre de recherches sur les lettres romandes, qui fête son 50e anniversaire, trois professeurs en Lettres ont lancé une «Année Roud 2015», soit des publications et des manifestations universitaires ou muséales destinées à explorer les multiples pratiques du poète vaudois. De quoi découvrir cet auteur sous un tout autre jour. TEXTE ANNE-SYLVIE SPRENGER

Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne 31

32 Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne

culturels, non seulement locaux mais bien au-delà. Et ceux-ci appartiennent d’ailleurs aussi bien au monde litté-raire, de l’édition ou de l’art, comme les peintres René Au-berjonois, Steven-Paul Robert, Jean Clerc ou Jean Lecoultre.» Pour preuve, ses échanges épistolaires foisonnants, attes-tant de la diversité de ses contacts et de la richesse de ses relations professionnelles.

Antonio Rodriguez évoque également l’influence que le poète aura sur l’histoire même de la poésie romande: «Après la mort de Ramuz, Roud dirige pratiquement tout le milieu poétique. Il est en lien avec les éditeurs, les jurés des Prix, les revues... La plupart des jeunes poètes passent par lui pour commencer leur carrière poétique. Ils lui écrivent, lui rendent visite... Maurice Chappaz, Jacques Chessex, Phi-lippe Jaccottet ou encore Pierre-Alain Tâche sont tous ve-nus à Carrouge.» De quoi en effet bousculer la légende d’un promeneur solitaire en terres vaudoises...

Le correctif n’est pas anodin. Ce malentendu a en effet marqué de son empreinte la réception de l’œuvre photogra-phique. On pourrait même dire qu’il est indirectement en lien avec ce qui s’apparente à une éviction...

Une véritable œuvre photographique«La photographie de Roud a longtemps été considérée comme une partie subalterne et secondaire de ses activités. Un des buts des manifestations de cette année est justement de ré-équilibrer, ou plutôt de mettre en perspective les différentes pratiques de Gustave Roud, en tenant compte aussi de son travail de traducteur, de critique littéraire, de commenta-teur des arts visuels», explique Daniel Maggetti, tout en soulignant que «Roud est évidemment d’abord un poète et

un écrivain». Sur ce point, Antonio Rodriguez est quant à lui très clair: «C’est un écrivain qui fait de la photographie, sans doute un important écrivain-photographe européen, et non un auteur qui illustrerait ses textes ou qui mènerait une unique esthétique à travers deux arts.»

Si le Vaudois a en effet souvent vendu des publirepor-tages à la presse romande, y compris à L’illustré, il n’en reste pas moins qu’il entretenait avec cet art un vrai rap-port d’artiste. «Gustave Roud a une pratique précoce de la photographie, à laquelle il s’intéresse non seulement esthéti-quement, mais aussi d’un point de vue technique», rappelle Daniel Maggetti. Le poète va ainsi travailler le noir et blanc, mais aussi la couleur dès ses débuts, lorsqu’il réalise no-tamment des autochromes. Et évidemment il développe lui-même ses clichés et essaie divers procédés, en se tournant aussi, dans la dernière partie de sa vie, vers la diapositive. «Il a été particulièrement expérimental en matière de pho-tographie», souligne Antonio Rodriguez. «Finalement bien plus qu’en littérature, où il était plus conservateur et clas-sique, marqué par Claudel...»

Aujourd’hui, l’œuvre laissée par Gustave Roud est à un tournant. Avec ses 13 000 clichés environ, le fonds photo-graphique Roud de la Bibliothèque cantonale et universi-taire s’apprête à révéler ce pan méconnu de la création du Vaudois. Mais pourquoi l’œuvre photographique a-t-elle mis autant de temps à être reconnue pour sa valeur intrin-sèque ? En premier lieu, les chercheurs avancent le fait que la photographie n’était pas aussi institutionnalisée que de nos jours lorsque Roud s’y est illustré: «La place de la photo, dans l’œuvre de Roud, apparaissait alors comme forcément périphérique, voire anecdotique. Si elle pouvait présenter un intérêt historique ou même ethnologique, elle ne faisait en aucun cas œuvre», relate Philippe Kaenel, avant d’ajou-ter: «Nous ne sommes pas de cet avis.»

En effet, l’étude des photographies de Roud met en lu-mière la constance de son travail artistique et de ses re-cherches dans ce domaine. «C’est une pratique raisonnée, assidue, construite et réfléchie. De plus, c’est une pratique qui a donné lieu à une présence publique: elle ne saurait être strictement de l’ordre de l’intime, puisqu’elle a été en partie publiée», analyse encore l’historien de l’art.

Photographies intimes ?Publique ou privée ? Voilà la question qui a longtemps freiné la reconnaissance de ce formidable travail photographique, comme nous l’expose Daniel Maggetti: «Une des raisons de la marginalisation des photos de Roud tient au fait que ce qu’on en avait vu était très connoté: il s’agissait essentiel-lement de jeunes paysans à la plastique irréprochable, en partie dénudés. On n’avait pas vu grand-chose de plus. Du coup, Philippe Jaccottet, qui a joué un rôle de premier plan dans la prise en charge posthume de l’œuvre de Roud, éprou-vait un certain malaise face à des images qui lui semblaient laisser transparaître une part de voyeurisme. A ses yeux, la

CULTURE

DANIEL MAGGETTI, ANTONIO RODRIGUEZET PHILIPPE KAENELProfesseurs à la Faculté des Lettres de l’UNIL.Nicole Chuard © UNIL

L’Année Gustave Roudgustave-roud.ch

Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne 33

mise à distance ou la sublimation n’étaient pas suffisantes dans ces photos-là pour qu’on les prenne en considération sous un angle strictement esthétique.»

Disons-le plus simplement: le caractère érotique de nom-breux clichés de Gustave Roud, toujours avec des hommes pour seuls objets de désir, dérangeait. Et Antonio Rodriguez de confirmer que «pendant plus d’une trentaine d’années, Philippe Jaccottet n’a pas souhaité que l’on mette cette pho-tographie en avant. Sur un certain plan, il avait raison: il fallait d’abord faire vivre sa poésie. Mais pour lui, la photo relevait du domaine privé et menaçait l’œuvre littéraire. C’était une autre époque où les liens entre photographie et littérature ou encore les rapports à l’homo-érotisme étaient différents des nôtres.»

Gustave Roud ne cachait pas ses photographiesPartant de la concomitance entre le désir chez Roud et sa figure de poète solitaire retranché chez lui, la crainte de faire de lui, aux yeux du grand public, un voyeur transi apparaissait comme une menace potentielle pour l’œuvre. C’était pourtant ne pas voir ce que nous révèlent justement ces photographies. Soit le contact réel noué par le poète avec ces paysans, ainsi que leur participation active à ces prises de vue. «On a fait de Roud cet être introverti, enfermé dans sa maison du Jorat, qui aurait dérobé des clichés de jeunes hommes dans les campagnes. Ce n’était pas son but évidem-ment», pense Antonio Rodriguez, qui poursuit: «Il développe une esthétique identifiable, il a photographié des générations de paysans, faisant des séries, avec des protocoles précis, leur demandant de prendre des poses identiques, mitrail-lant parfois son modèle, tournant autour de lui avec l’appa-

reil. Il ne cachait absolument pas sa production, il en tirait des cartes postales, partageait des tirages dans sa corres-pondance, quand il ne les exposait pas dans son bureau. Il a d’ailleurs conservé ce vaste matériel chez lui, sans doute pour le transmettre après sa mort.»

Sur le rapport au paysan, Daniel Maggetti ajoute a contra-rio: «La photographie s’apparente aussi à une forme de mé-diation qui lui permettait d’entrer en contact avec les autres, et notamment avec ces travailleurs des champs. Cette ac-tivité ouvertement assumée lui donne accès à eux, elle lui confère un rôle, celui de preneur d’images, et lui offre l’oc-casion de fixer ces moments, sans être considéré comme quelqu’un de complètement hors de propos: il vient avec son appareil, il est à sa place.» Le poète se met d’ailleurs souvent en scène dans l’image, son ombre apparaissant au côté du modèle photographié. «Cette mise en abyme est une manière pour Roud de se projeter dans le monde qu’il cap-ture. C’est un peu la relation entre la proie et l’ombre qui se joue dans ces photos», résume le professeur.

Les athlètes des champs en pleine actionLa production photographique de Gustave Roud ne se limite pas aux clichés de corps masculins. Le poète a été inspiré par les paysages, par les natures mortes et par les fleurs; il a tiré des portraits, et photographié des tableaux de ses amis peintres, des animaux (surtout des chats), ainsi que d’innombrables scènes de vie paysanne. Mais c’est dans ces images de corps semi-dénudés, toujours masculins, que se réalise la vraie intersection entre sa poésie et les images qu’il capte. «Le lien et la comparaison entre l’écri-vain et le photographe se font surtout par ce biais-là»,

COMMEUN ATHLÈTEA gauche, une image tirée d’Olympia, de Leni Riefenstahl (1936-1938). A droite, «Fernand en train d’aiguiser sa faux», une photographie de Gustave Roud datant des années 1935-40.© Akg-images | ullstein bild© Fonds Gustave Roud,BCU/Lausanne, C.-A. Subilia

34 Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne

confirme Antonio Rodriguez. «Dans les écrits de Roud, il est déjà question de corps d’hommes, que l’on voit se bai-gner ou se reposer nus, mais ce n’est pas si explicite, sim-plement évoqué. Dans sa photographie, le corps masculin, jeune, musclé, glabre, est mis en scène en tant que force.» Et de poursuivre encore: «Il y a des composantes érotiques dans l’œuvre littéraire, mais la figure d’Aimé, cet être adoré comme la promesse d’une fusion entre l’homme et la terre, est toujours associée à celle d’un ange. Une plume se pose sur son épaule ou des cloches résonnent au loin, avec un ar-rière-plan spirituel. Dans la photo, cela est différent. Quand Roud photographie le corps de ses jeunes amis paysans, il les magnifie en les prenant en contre-plongée. Il n’en fait pas des paysans naturalistes en train de peiner au travail, mais plutôt des figures d’athlètes des champs en pleine ac-tion, proches de statues grecques.» Et le professeur associé de faire le lien avec l’esthétique des sportifs dans les années 30, représentée notamment par une Riefenstahl lorsqu’elle filme les Jeux olympiques de Berlin.

Ces images prolongent l’œuvre littéraire du poèteLa composante érotique chez Roud n’était pas inconnue de son vivant, mais elle était masquée: on n’en parlait pas. Pour certains commentateurs, mettre en avant ces images serait revenu à évoquer une homosexualité possible, à quit-ter le plan artistique pour entrer dans le domaine du privé. Sentiment que nuance aujourd’hui le président de l’Asso-ciation: «Peu importe que Roud ait été homosexuel ou non. D’ailleurs, ce n’est pas parce qu’on est homosexuel qu’on dé-veloppe forcément une esthétique homosexuelle. Il est pos-sible de passer par l’évocation d’une femme. Je ne me pro-nonce pas sur l’homosexualité de l’auteur, mais il y a une composante érotique du corps masculin dans sa photogra-phie, qui a donc été pensée et construite. Le reconnaître, ce n’est pas tomber dans des anecdotes intimes à la façon de Sainte-Beuve, mais simplement décrire son esthétique.»

Quel éclairage ce fonds photographique apporte-t-il ? «L’œuvre de Roud est fragmentaire, disséminée, liée à des figures ou à des moments précis; on la lit différemment lorsqu’on la met en dialogue avec sa photo, qui arrête ces instants, ou qui en est un complément, voire un prolonge-ment», déclare Daniel Maggetti. Le regard nouveau qu’on porte sur les textes en ayant pris connaissance des photo-graphies induit une perte de terrain du sacré face au pro-fane. L’accès à ce fameux «paradis humain» tant recherché par le poète ne serait-il pas donné par la beauté des corps et par leur célébration dans le désir ? C’est en cela précisément que l’œuvre photographique de Gustave Roud se révèle ré-solument moderne, ou plutôt intemporelle. Et Antonio Rodri-guez de conclure: «Qui que l’on soit, et quelle que soit notre identité sexuelle, ces photographies touchent, parce qu’elles célèbrent le désir par le regard et la beauté tragique qui le constitue.» Tel le chant mélancolique de la séparation tou-jours irrésolue entre le sujet désirant et l’objet du désir.

En collaboration exceptionnelle avec des institutions hors de l’UNIL, l’Année Gustave Roud promet mille et une découvertes savoureuses.

UN SITEA partir du site de l’Association des Amis de Gustave Roud, un nouveau site de référence vient d’être inauguré: biographie illustrée avec de nombreux documents inédits, exposition de photographies du Fonds de la BCU, actualités sur l’auteur.gustave-roud.ch

TROIS LIVRESGustave Roud, la plume et le regard. Dirigé par Philippe Kae-nel et Daniel Maggetti. Ed. Infolio, octobre 2015.

Chez Gustave Roud: une demeure en poésie. Dirigé par Anne-Frédérique Schlaepfer, avec des photographies de Philippe Pache et Gustave Roud, accompagnées de textes de Georges Borgeaud, Philippe Jaccottet, Antonio Rodriguez et Pierre-Alain Tâche. Ed. Infolio, octobre 2015.

Correspondance C. F. Ramuz - Gustave Roud. Edition établie et commentée par Ivana Bogevic et Daniel Maggetti. Cahiers Gustave Roud N° 16, 2016.

QUATRE EXPOSITIONSRoud - Burnand, deux visions de la campagne. Du 20 mai au 29 novembre 2015, Moudon, Musée Eugène-Burnand.www.eugene-burnand.ch

Gustave Roud, Le monde des signes et l’univers des choses. Du 27 juin au 25 octobre 2015, Montricher, Fondation Jan Michalski. www.fondation-janmichalski.com

Gustave Roud: correspondances électives. Du 10 septembre au 31 janvier, Lausanne, Bibliothèque cantonale et univer-sitaire de Lausanne, site Riponne. www.bcu-lausanne.ch

Gustave Roud, les traces éparses du paradis. Du 8 octobre au 13 décembre 2015, Musée d’art de Pully.www.musees.vd.ch/fr/musee-de-pully

ET ENCORE...Le Centre de recherches sur les lettres romandes fête ses 50 ans cette année. Il sera présent au Livre sur les quais 2015, du 4 au 6 septembre à Morges. Un site iconographique consacré à la vie littéraire romande en images vient d’être ouvert. Extraits des fonds Suzi Pilet, Henry-Louis Mermod, René Auberjonois, Charles Clément, Alexandre Cingria, etc. http://wp.unil.ch/crlrimages

L’ANNÉE GUSTAVE ROUD

CULTURE

L’ACCÈS À CE FAMEUX «PARADIS HUMAIN» TANT RECHERCHÉ PAR LE POÈTE NE SERAIT-IL PAS DONNÉ PAR LA BEAUTÉ DES CORPS ET PAR LEUR CÉLÉBRATION DANS LE DÉSIR?

GUSTAVE ROUD Photographié par Simone Oppliger.© Fonds G. Roud, CRLR / © Mémoires d’Ici, Centre de recherche et de documentation du Jura bernois, fonds Simone Oppliger

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36 Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne

Oncologues, psychologues, conducteurs de bus, analystes financiers, assistants personnels ou vendeurs dans les maga-sins: les machines savent tout faire. Comment ont-elles pu devenir si performantes en une vingtaine d’années, quels métiers sont les plus menacés, et y a-t-il encore des domaines où les êtres humains sont meilleurs ? TEXTE SONIA ARNAL

LES ROBOTSVONT-ILS NOUS PIQUER NOS

EMPLOIS?

Le Groupe de biologie computationnellewww.unil.ch/cbg

36 Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne

TECHNOLOGIE

Dans l’inconscient collectif, un robot est soit un ordi-nateur omniscient qui finit par prendre le dessus sur les humains, comme HAL 9000 dans le film 2001 L’odyssée de l’espace, soit un androïde capable de sentiments, tellement proche de nous qu’il devient

impossible de le démasquer, comme dans Blade Runner, un autre film culte. Et ce n’est pas demain, croit-on naïvement,

qu’on croisera dans notre vraie vie un robot de ce genre. Er-reur. Ils sont déjà partout, mais on ne les remarque pas: ils ne ressemblent évidemment pas au portrait que les films ou les livres ont dressé.

L’intelligence artificielle est omniprésente: vous rece-vez un mail de confirmation après un achat sur Internet, ce n’est évidemment pas un humain qui l’a écrit, mais

Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne 37

ÉTRANGETÉEn Occident, les robots clairement non-humanoïdes sont bien acceptés. Mais quand la distinction n’est plus possible, le rejet devient fort.© Thinkstock

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38 Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne

TECHNOLOGIE

une machine. Vous allez en voiture quelque part, c’est aussi une machine qui calcule votre itinéraire en fonction des bouchons, des travaux, et qui vous guide. Vous achetez un livre sur un site Internet, c’est encore une intelligence artificielle qui vous suggère une liste d’autres ouvrages qui pourraient aussi vous intéresser.

3 millions d’emplois pour les machinesDe nombreux universitaires ou think tanks étudient les conséquences de cette évolution, notamment sur le mar-ché de l’emploi. Roland Berger Strategy Consultants l’a fait pour la France et relève que dans les prochaines dix an-nées, 3 millions d’emplois pourraient être confiés à des machines. Ce bureau de consultants en stratégie a calculé que 42% des métiers sont concernés par ce risque. Deux chercheurs d’Oxford se sont livrés à une analyse similaire sur l’emploi aux USA et arrivent à un nombre relativement proche: 47% des métiers pourraient être automatisés d’ici dix à vingt ans.

Les progrès des robotsComment expliquer l’essor des robots dans le monde du travail ? Par diverses avancées technologiques. La pre-mière est la puissance de calcul – dans un article du ma-gazine Science et Vie de novembre 2014, cette intéressante comparaison était donnée en exemple: en 1997, le super-calculateur ASCI Red, élaboré pour la simulation d’essais nucléaires, occupait la surface d’un court de tennis, réali-sait 1800 milliards d’opérations par seconde, et coûtait 55 millions de dollars. Une dizaine d’années plus tard, la PS3 atteignait la même puissance pour une poignée de dollars et quelques centimètres cubes.

Les machines s’adaptent à l’inconnuDeuxième élément déterminant, le Big Data, ou banques de données qui contiennent des masses d’informations – depuis que tout ou presque est digitalisé et stocké dans le Cloud, un robot connecté pourvu d’algorithmes performants qui fait des miracles quand il s’agit de trouver, trier et ana-lyser des informations, voire les interpréter et prendre des décisions. Enfin, ces dernières années ont vu des amélio-rations notables dans la faculté des robots à s’adapter à des environnements inconnus. «C’est un point crucial, analyse Micha Hersch, auteur d’une thèse en robotique cognitive et chercheur au groupe de Biologie computationnelle de l’UNIL. Cela permet au robot de sortir de la chaîne de montage et de réagir aux évènements de son entourage, voire d’interagir avec des humains ou avec d’autres machines dans un es-pace ouvert. Grâce à cette nouvelle compétence, on voit des robots déployés en zone de combat, ou la voiture de Google, qui se conduit elle-même.»

De 42% à 47% des métiers concernés d’ici 10 à 20 ans – voilà qui est inquiétant. Dans Le Temps du 12 décembre 2014, Olivier Feller, conseiller national vaudois (PLR), s’en

est d’ailleurs préoccupé, relevant que si cette robotisation imminente va créer des emplois dans les secteurs de la tech-nologie, «ils ne remplaceront de loin pas tous les emplois dé-truits, ni en nombre ni en termes de compétences requises».

Les métiers que les robots vont nous volerTout employé est-il également menacé ? Non. Après les ou-vriers, qui ont déjà payé un lourd tribut à l’industrialisation puis à l’automatisation, c’est le tertiaire qui va être investi par les machines. Carl Frey et Michael Osborne, les deux chercheurs d’Oxford qui ont analysé le marché de l’emploi américain, ont dans leur étude également dressé la liste des domaines les plus à risque. Dans l’ordre, ils citent les trans-ports et la logistique, via l’interconnexion des bases de don-nées, puis les employés de bureau et services administratifs, la production de biens, qui devrait être encore plus auto-matisée qu’aujourd’hui, l’aide à la personne, les caissières.

C’est lié comme on l’a vu aux évolutions techniques. Mais comme le relève Micha Hersch, «c’est aussi parce que la ma-nière de pratiquer ces métiers a énormément changé. En établissant des protocoles et des procédures pour toutes les décisions, on se rapproche de la façon de fonctionner d’un ordinateur. Avant, un banquier accordait un prêt pour une maison en fonction de ce qu’il savait de son client après des années de relations bancaires – il y avait les chiffres, les salaires, mais aussi l’intuition. Aujourd’hui, que ce soit pour les prêts, la gestion de portefeuilles, etc., un banquier applique souvent des protocoles décidés par la hiérarchie. Avec de tels critères, c’est facile de créer un logiciel qui dit oui ou non aux demandes online».

Nous ne sommes pas égaux face aux machinesDans le «combat» entre hommes et machines pour un job, tout le monde n’est pas égal. Il y a bien sûr certaines tâches

Le premier emploi de cet ordinateur ferait pâlir d’envie tous les aspirants à la célé-brité: star de la TV américaine. Ce produit d’IBM, conçu pour comprendre des ques-tions posées en langage naturel et y répondre pertinemment, a gagné l’équivalent de Questions pour un champion, soit Jeopardy !, aux Etats-Unis. Il a battu les humains champions des champions. Les principales qualités de Watson sont un accès à une foultitude de connaissances – il a avalé toutes les encyclopédies possibles et imagi-nables dans toutes les spécialités couvertes par le savoir humain – et des algorithmes très efficients qui lui permettent d’extraire de toutes ces infos la meilleure réponse en un temps record. Son exploit dans ce jeu a été particulièrement apprécié: utiliser les indices donnés par le présentateur implique de «comprendre» des jeux de mots, l’ironie, bref le deuxième degré plutôt que le sens littéral, ce qui n’est pas donné au premier ordinateur venu. Aujourd’hui Watson est aussi médecin – il aide au diagnos-tic et au choix du bon traitement dans différents hôpitaux américains, notamment dans le domaine du cancer – analyste financier, outil de soutien pour manager, et il se lance dans la gastronomie via la création de recettes: il analyse les assemblages de molécules chimiques mieux que personne... SA

WATSON, ROBOT À TOUT FAIRE

47%LA PROPORTION DES MÉTIERS QUI POURRAIENT ÊTRE AUTOMATISÉS D’ICI VINGT ANS.

Portrait-RobotExposition à La Maison d’Ailleurs, à Yverdon-les-Bains. Dès le 21 juin. www.ailleurs.ch

Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne 39

qu’il est difficile de déléguer à des machines, celles par exemple qui impliquent une grande part de créativité ou sont basées sur le lien social et humain – enseignants, assistants sociaux, éducateurs... Mais ce n’est pas le seul critère; le statut social de ceux dont les emplois sont me-nacés est un paramètre de poids. Il est facile pour un or-dinateur de prendre la place du médecin: on enregistre les symptômes et les analyses d’un patient, le logiciel les com-pare avec sa banque de données, établit un diagnostic et conseille une thérapie. «Outre une probable demande des patients pour une médecine exercée par les êtres humains, il est très probable que les médecins sauront se défendre et garantir la pérennité de leurs emplois. Les chauffeurs de métro, moins», analyse Micha Hersch.

Une menace pour les humains ?Si des chercheurs ou politiciens s’inquiètent des consé-quences de la robotisation des métiers sur le marché de l’emploi, d’autres ont peur pour l’être humain tout court. C’est le cas du célèbre physicien Stephen Hawking qui, dans une interview à la BBC, a fait part de ses craintes de-vant l’intelligence artificielle qui pourrait «décoller seule, et se redéfinir de plus en plus vite, sans que les humains, limités par leur évolution biologique, ne puissent rivaliser».

Cette évolution est de l’ordre du fantasme. Laurent Kel-ler, professeur au Département d’écologie et évolution de la Faculté de biologie et de médecine, a utilisé des robots

pour des recherches sur sa spécialité. «L’idée était de mieux comprendre la collaboration et l’altruisme chez les four-mis, en étudiant notamment l’importance du lien de pa-renté, et de retracer comment ils se sont construits à l’ori-gine – maintenant que toutes sont altruistes, il nous est impossible de savoir comment cela a commencé.» Les ro-bots utilisés pour cette recherche ont un réseau de neu-rones qui peut évoluer au cours des générations de sé-lection auxquels ils ont été soumis. Ils ont donc surtout permis à Laurent Keller de remonter le temps, en jouant en quelque sorte le rôle de fourmis originelles avec et sans lien de parenté, mais aussi de l’accélérer, en sélectionnant des robots sur des centaines de générations dans l’ordi-nateur. Il a ainsi découvert que les «fourmis robotiques apprennent à mentir pour ne pas partager la nourriture quand elles sont sélectionnées au cours des générations dans des colonies contenant des individus non apparen-tés... Au contraire, des comportements coopérateurs et al-truistes apparaissent rapidement au cours des générations d’évolution expérimentale quand les fourmis artificielles étaient dans des sociétés composées d’individus apparen-tés», précise le chercheur. Qui, on le voit, n’est donc pas près d’être remplacé par un robot.

Mais il continue à s’aider de machines dans ses re-cherches, cette fois-ci un ordinateur, pour analyser les dé-placements de centaines de fourmis et dégager des patterns qu’une intelligence humaine prendrait des années à voir.

AUTOMATISATIONL’industrie recourt déjà largement aux robots. Aujourd’hui, c’est au tour du secteur tertiaire. Ici, les usines Porsche à Leipzig.© Thorsten Futh/LAIF-REA

40 Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne

Le laboratoire d’anthropologie culturellewww.unil.ch/lacs

TECHNOLOGIE

Est-ce que vous voyez quelque chose de positif dans la présence de robots dans le monde du travail ?L’aspect positif que tout le monde met en avant est le remplacement de l’homme dans les tâches rébarba-tives ou dangereuses, par exemple les chaînes de montage ou le déminage. C’est vrai qu’il existe, mais la question est: quel intérêt ? En théorie, la société

délègue aussi la production du savoir technique.

Donc les robots sont dangereux et ne servent à rien ?Ce n’est pas ce que je dis. Evidemment qu’ils servent à quelque chose: on ne va pas envoyer un homme sauter sur une mine si on peut envoyer une ma-chine à la place. Mais poser la question en termes d’usage, c’est mal poser la question: on répondra toujours positi-vement. Si on a créé un robot, c’est tou-jours pour remplir un usage.

Quelle est la bonne question, alors ?Celle de la société que nous voulons, de l’idée de l’humain que nous avons et dé-fendons. Au Japon, dans les EMS, les personnes âgées peuvent tripoter un robot en forme de bébé phoque, pourvu de poils, d’expressions faciales et de bruits. On peut trouver super de créer un lien avec une machine qui leur per-met d’aller mieux. Moi je trouve pathé-tique qu’un automate doive prendre le relais du lien familial et social que nous laissons tomber.

Avoir un collègue robot, ce sera comment ?Nous travaillons tous déjà avec des ro-bots – ou de l’intelligence artificielle, c’est pareil. Mais nous ne le remar-

«LES GENS ACCEPTENT BIEN LES ROBOTS QUAND IL EST CLAIR QU’ILS NE SONT PAS HUMAINS»Daniela Cerqui, maître d’enseignement et de recherche notamment au laboratoire d’Anthropologie culturelle et sociale de l’UNIL, a fait du lien qui unit l’homme et la machine, et de l’acceptation de ces dernières parmi nous, l’une de ses spécialités.

de loisirs nous tend les bras et on de-vrait avoir plus de temps pour aller à la plage. Dans les faits, ça fait plus de vingt ans que les ordinateurs et les robots travaillent avec nous ou pour nous, et qu’on ne va pas plus à la plage qu’avant... Et je note un glissement dan-gereux: avant, on concevait une ma-chine à laquelle on déléguait un acte technique pénible, maintenant on lui

DANIELA CERQUIMaître d’enseignement et de recherche.Nicole Chuard © UNIL

Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne 41

quons souvent pas, parce que nous vi-vons un peu dans cette illusion qu’un robot est une machine qui ressemble à un être humain. Ce qui n’est presque jamais le cas – le plus souvent, c’est un ordinateur. Je ne pense donc pas que c’est un problème pour les gens d’accepter des collègues machines. Le point qui risque d’être délicat, c’est ce-lui de la comparaison. Un robot sera forcément «meilleur» à l’aune des cri-tères du monde du travail, qui quanti-fient tout, donc n’accordent de la valeur qu’à ce qui se compte, soit la vitesse, la performance, la productivité. Ça ne va pas être très gratifiant de se com-parer à une telle «perfection». Mais en-core une fois, ce qu’il faudrait, c’est re-mettre en question ces critères, pas la capacité de l’humain à les atteindre.

De façon générale, comment l’être humain accepte-t-il la cohabitation avec la machine ?Il y a des différences culturelles. Au Japon par exemple, l’acceptation est très forte. On l’explique par la tradition animiste qui est la leur: les animaux et les objets ont une âme, comme les

humains, et donc les automates aussi. On y trouve ainsi beaucoup de robots anthropomorphes. En Occident, il n’y a pas de rejet de principe, et les ma-chines sont le plus souvent acceptées, pour la fonction qu’elles remplissent.

Est-ce qu’un robot est mieux ac-cepté quand il a une apparence humaine ?Pour les Occidentaux, il existe ce qu’on appelle «la vallée de l’étrange». Schématiquement parlant, on peut dire que les gens acceptent bien les robots quand il est clair qu’ils ne sont pas humains. Jusqu’à un certain point, ils peuvent être humanoïdes. Mais quand on n’arrive plus à les distinguer du pre-mier coup d’œil d’un être de chair et de sang, que le doute s’installe, il y a un rejet très fort – de l’ordre de la peur, à cause de ce sentiment d’étrangeté. Mais l’intelligence artificielle est très bien acceptée.

Est-ce aussi le cas lorsque la ma-chine occupe une fonction plus «re-lationnelle» – il y a par exemple un robot psychologue...

Oui, et ça n’est pas nouveau. Dès les dé-buts de l’intelligence artificielle, un lo-giciel a joué ce rôle en échangeant avec des patients. Bien qu’assez basique – il posait surtout des questions en rebond à des mots-clés écrits par les patients, comme «mère» ou «rêve» – Eliza a très bien été acceptée par les humains.

Le constructeur des robots aspira-teurs Roomba, iRobot, dit que cer-tains propriétaires l’emmènent en vacances parce qu’il le mérite, ou le débranchent quand il a bien tra-vaillé, pour qu’il se repose... Ce fa-bricant relève que des soldats qui ont «collaboré» avec l’un de ses ro-bots démineurs Warrior le supplient de le réparer quand il saute sur une mine. Ils l’aiment et n’en veulent pas un autre tout neuf à la place...Eh bien ça me réjouit ! J’y vois un signe de rébellion. Le lien affectif reste le plus fort, il est réinvesti là où l’on voudrait que tout ne soit que quantification et ef-ficacité. Mais ça reste pathétique qu’on en soit à développer des relations affec-tives avec des machines plutôt qu’avec les gens qui nous entourent... SA

SCIENCE-FICTIONEn mars 1956, Ed Emshwiller représente un robot solitaire à la surface de Mars. Toujours dans les années 50, le même illustrateur imagine un salon de beauté du 3e millénaire, entièrement robotisé.© Coll. Maison d’Ailleurs /Agence Martienne

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Elles n’ont pas de cerveau, pas d’yeux. Elles ne crient pas et restent incapables de marcher. Pourtant, les plantes ont des facultés sophistiquées de défense contre les attaques d’herbivores et elles savent même détecter les voisines qui pourraient leur faire de l’ombre. Des chercheurs de l’UNIL étudient leurs étonnants modes de communication. TEXTE VIRGINIE JOBÉ

COMMENT LES PLANTES

SE PARLENTDU SOLEIL ET DE LEURS BOBOS

Le Centre intégratif de génomiquewww.unil.ch/cig

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BIOLOGIE

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DU SOLEIL ET DE LEURS BOBOS

FUTÉEUne plante est capable de faire la distinction entre le passage d’un nuage et l’ombre qui lui vient d’une voisine.© Thinkstock

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44 Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne

Les plantes ne peuvent pas se permettre qu’on leur fasse de l’ombre. Parce que le soleil, c’est leur survie. Elles doivent donc résister contre des ennemis végétaux ten-tés de voler leur lumière, qu’elles soient entourées de membres de la famille ou de fleurs étrangères. Mais

aussi contre des intrus dentés, chenilles ou ongulés, qui, par la verdure alléchés, viennent mordiller leurs feuilles, autrement dit leurs panneaux solaires.

Au pays des plantes, on se bat donc contre des herbivores affamés et aussi contre des parasols intempestifs. Sans vio-lence affichée, mais avec des procédés chimiques et élec-triques aussi raffinés que complexes. Bienvenue dans le monde fascinant de ces organismes qui, privés de système nerveux central, ont développé d’incroyables pouvoirs. De quoi cultiver la curiosité des biologistes de l’UNIL.

Plus près de toi mon soleil«Une plante est capable de faire la distinction entre le passage d’un nuage et l’ombre qui vient d’une voisine», indique Christian Fankhauser, professeur ordinaire au Centre intégratif de génomique (CIG) de la Faculté de bio-logie et de médecine de l’UNIL et spécialiste du dévelop-pement des plantes. «Cette capacité formidable lui permet de ne pas s’exciter et ainsi d’éviter de pousser inutilement à la moindre baisse de lumière.»

Une plante éloignée de la lumière va chercher à tout prix à grandir en allongeant sa tige plutôt que de dépérir. Une technique d’«évitement de l’ombre» intelligente qui se réa-lise cependant au détriment de la croissance des feuilles et des organes de stockage, comme les racines, précise le bio-logiste. «Dans un environnement naturel, ça lui donne un avantage compétitif, mais dans un milieu agricole, il s’agit d’un problème. La tige est rarement ce qui intéresse le culti-vateur qui se retrouve avec moins d’éléments à récolter.»

La plante analyse les ondes qui l’entourentLe professeur rappelle les premières recherches effectuées sur la perception de la lumière dans les années 20 aux Etats-Unis suite aux déconvenues de paysans. «Les agriculteurs ont remarqué que s’ils bougeaient d’est en ouest, ils pou-vaient prendre leurs semences avec eux et les planter sans problème. Mais quand ils voulaient bouger du nord au sud, ça ne fonctionnait pas. On a donc financé des recherches pour comprendre d’où venait cette différence. Et on a décou-vert que le temps de floraison est contrôlé par la longueur des jours, qui fluctue de façon différente au long de l’an-née. La perception de la lumière passe avant les change-ments de température.»

Et comment la plante arrive-t-elle à savoir qui est respon-sable de son manque d’ensoleillement ? Grâce à sa savante sensibilité qui l’aide à analyser les ondes qui l’entourent. «Elle peut mesurer le rapport qu’il y a entre deux longueurs d’onde: le rouge – que l’être humain voit aussi et que la plante absorbe autant que le bleu, ce qui fait que les feuilles nous

apparaissent vertes – et le rouge lointain, que notre œil détecte mal, et que la plante reflète. A l’ombre d’une congé-nère, la plante ne capte presque pas de rouge, car celui-ci est utilisé pour la photosynthèse de celle qui lui cache la lumière. Mais il lui reste alors beaucoup de rouge lointain, et elle va s’allonger.»

En d’autres termes, Madame la plante individualiste détecte le rouge lointain de ses voisines, s’insurge contre ses ennemies potentielles et déclenche alors tout un tas de réactions à l’interne afin de montrer sa supériorité.

Le langage corporel des plantesSéverine Lorrain, docteur en Biologie qui a écrit sa thèse sur les mécanismes de défense des plantes à Toulouse, est venue à l’UNIL afin de réaliser un post-doc sur le sujet avec l’équipe de Christian Fankhauser. Les résultats de ses recherches, menées durant plus de trois ans avec un ingé-nieur, Micha Hersch, ont été publiés dans la revue PNAS. Car, pour comprendre la complexité du langage corporel de la jolie Arabette des dames, ou Arabidopsis thaliana, à savoir la «souris de laboratoire» d’un biologiste végétal, il a fallu jouer de pluridisciplinarité. «J’étais aux fourneaux

EDWARD FARMERProfesseur ordinaire au Département de biologie moléculaire végétale (DBMV) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL.Nicole Chuard © UNIL

Département de biologie moléculaire végétale www.unil.ch/dbmv 

BIOLOGIE

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et il écrivait les recettes, résume Séverine Lorrain. Nous sommes arrivés à la conclusion que les végétaux utilisent les mêmes principes d’ingénierie que ceux appliqués dans les systèmes de communication de l’être humain. En gros, la plante module sa capacité “d’écoute” en fonction de la force du signal produit: si le signal est fort, pas besoin de bien écouter. Mais si le signal généré est faible, elle va “tendre l’oreille”.» Dans ce cas précis, elle perçoit la présence d’autres plantes à travers le changement du rapport de la quantité de rouge sur le rouge lointain grâce à des photo-récepteurs particuliers appelés phytochromes, explique la biologiste. «On pourrait comparer ces phytochromes avec des variateurs qui modulent la synthèse d’une hormone de croissance, l’auxine. Lorsqu’il y a plus de rouge que de rouge lointain, le variateur est à pleine puissance et freine la synthèse d’auxine. Une plante n’est pas très loin ? Le rap-port rouge sur rouge lointain diminue et diminue le varia-teur. La conséquence ? Une synthèse importante d’auxine.»

Cette hormone va aider le végétal à rester compétitif par rapport à ses voisines. «En se déplaçant dans la plante, elle va inhiber la croissance des feuilles, mais favoriser celle des tiges, ajoute Séverine Lorrain. Plus fort que ça, une

CHRISTIAN FANKHAUSERProfesseur ordinaire au Centre intégratif de génomique (CIG) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL.Nicole Chuard © UNIL

Le docteur en Biologie Edward Farmer, originaire du Pays de Galles et qui a étudié entre autres en Alle-magne et aux Etats-Unis, s’est retrouvé par hasard en Suisse romande afin de faire des recherches sur les mécanismes de défense des plantes. Une aubaine, car ce sont deux physiologistes genevois du XVIIIe siècle qui ont influencé son travail. Charles Bonnet et son livre Recherches sur l’usage des feuilles dans les plantes (1754) et Jean Senebier, «qui a combiné la biologie végétale avec la chimie organique pour faire cette incroyable découverte: les plantes fixent le CO2».

Sans ces deux illustres genevois, les professeurs Edward Farmer et Christian Fankhauser n’auraient peut-être pas pu unir leurs forces autour d’une nouvelle recherche sur l’Arabette des dames. En effet, en col-laboration avec un groupe de l’Université de Genève, ils viennent d’obtenir une bourse d’études afin d’analy-ser les effets de la lumière sur les signaux électriques longue distance et les mécanismes de défense. «Face à un terrible dilemme – entrer en compétition avec ses voisines pour accéder à la lumière ou se défendre contre un agent pathogène – une plante met en géné-ral la priorité sur la croissance, signale Christian Fan-khauser. Du coup, elle se défend moins bien. Ce qui explique, peut-être, pourquoi on a besoin d’employer autant de pesticides dans les champs. Nous allons étu-dier les mécanismes qui font qu’elle pousse plutôt que de se protéger. Nos conclusions pourront potentielle-ment être utiles à l’agriculture.»

En outre, le laboratoire du prof. Fankhauser va tra-vailler avec des membres de l’EPFL sur un projet de cellules photovoltaïques et de tomates sous serres. «Nous allons utiliser des cellules photovoltaïques trans-parentes de plusieurs couleurs afin de déterminer quelles longueurs d’onde permettent de faire pousser des plantes en parfaite santé qui donnent un bon ren-dement. Et qui permettent, en plus, à l’agriculteur de générer suffisamment d’électricité pour pouvoir ali-menter sa ferme et éventuellement le réseau.» VJ

DE DEUX NATURALISTESGENEVOIS À UNE AGRICULTUREDE POINTE

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plante à l’ombre va produire plus d’auxines, mais égale-ment plus de transporteurs pour acheminer les hormones de croissance plus facilement aux endroits désirés.» Et non pas partout, car cela générerait des dépenses d’énergie inu-tiles. Pas folle la plante.

Le génie de la plante d’appartementLes végétaux, décidément étonnants, ont plus d’un pétale à leur corolle pour parer aux tracas du quotidien. Du genre: comment arriver à avoir de la lumière quand il n’y en a presque pas. Par exemple lorsque l’on est une plante d’ap-partement. «On l’a tous expérimenté, rappelle Christian Fankhauser. Dans une pièce peu lumineuse, la plante penche ses feuilles vers la fenêtre. Il s’agit du phénomène de phototropisme: pousser de façon oblique pour attraper les rayons du soleil.»

Ici, les photorécepteurs sont des phototropines, que l’on trouve surtout dans la tige, et qui captent la lumière bleue utile à la croissance directionnelle. Ils permettent des réponses locales et à distance. «La partie de la tige qui est du côté de l’ombre va pousser plus vite, grâce à une accu-mulation d’auxines, que celle qui est exposée à la lumière, signale le professeur au CIG. Automatiquement, cela va réo-rienter la croissance de la tige et de la sorte permettre aux feuilles de se tourner vers le soleil.» Ingénieuse, la plante.

Pourquoi les plantes sont si difficiles à mangerEt comme si les soucis de lumière ne suffisaient pas, les végétaux ont aussi à faire face aux assauts de prédateurs voraces, parfois coriaces, contre lesquels ils ont développé des armes efficaces. Comme le remarque Edward Farmer, professeur ordinaire au Département de biologie molécu-laire végétale (DBMV) de la Faculté de biologie et de méde-cine de l’UNIL, «théoriquement, nous devrions pouvoir nous nourrir en broutant le gazon ou en mangeant des feuilles d’arbre. Mais les périodes de disette en Europe ont prouvé le contraire. Pourquoi les plantes sont-elles si difficiles à manger ?» Il ne faut jamais sous-estimer un végétal blessé.

Le professeur a d’abord découvert que lorsqu’une feuille d’Arabette des dames est attaquée par un insecte, la plante va augmenter sa production d’une toute petite phytohor-mone dénommée jasmonate. «Cette hormone déclenche une série d’évènements moléculaires invisibles à l’œil nu qui activent des mécanismes de défense dans les feuilles. C’est-à-dire qu’elle provoque une surexpression de deux types de gènes: les gènes de signalisation, importants pour le contrôle des mécanismes de défense, et les gènes de défense. Ces gènes sont contrôlés par ce que l’on nomme la voie du jasmonate.»

Détail notable: les mécanismes de défense activés par le jasmonate agissent principalement sur le système digestif des herbivores. Ils rendent, mélangés à des toxines et des protéines, la plante indigeste. Ce qui explique que nous, humains, soyons obligés de cuire des pommes de terre

par exemple pour les assimiler. Simplement parce qu’elles contiennent des protéines antidigestives. «Une plante pos-sède un niveau de défense de base et des défenses induites. La voie du jasmonate contrôle en large partie les deux», pré-cise Edward Farmer.

Comment la plante parle à ses feuillesSi ce cocktail explosif ne tue pas l’assaillant, il lui com-plique sérieusement la vie. Un insecte non spécialisé goûte la plante, se dit «beurk», part chercher une autre victime et perd beaucoup de temps à trouver ce qui lui conviendra. Un herbivore spécialisé, c’est-à-dire habitué à avaler tou-jours la même espèce, va quant à lui investir un temps fou à la détoxification des molécules de défense. «Cela freine sa croissance et il devient à son tour une proie facile pour les oiseaux ou tout autre prédateur.»

Une question restait en suspens: comment la plante prévient-elle ses feuilles saines que l’une d’elles est acci-dentée ? Il y a peu, l’équipe du laboratoire d’Edward Far-mer a mis au jour l’existence de signaux électriques qui font office de messagers grâce à l’utilisation de petites électrodes placées sur les feuilles, comparables à un élec-

SÉVERINE LORRAINDocteur en biologie.Nicole Chuard © UNIL

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troencéphalogramme. «Il s’agissait de réaliser une carto-graphie de l’activité électrique de la plante à la suite d’une blessure, comme on peut en faire une de l’activité cérébrale sur le crâne humain.»

Les résultats de ces recherches sont sortis dans la revue Nature. «Les signaux électriques, les WASPs (wound-acti-vated surface potentials), comme la guêpe en anglais, sont propagés à travers le système vasculaire dans certaines autres feuilles afin d’activer la synthèse du jasmonate qui ensuite active les gènes de défense, relate le biologiste. Seules certaines parties de la plante réagissent. Car si cela se propageait partout, elle devrait le payer cher. Comme la société civile paie pour les avions de l’armée suisse. C’est une dépense significative.»

Des découvertes intrigantesUne étrange cellule, vide et morte, captive actuellement l’équipe du professeur en Biologie moléculaire végétale: le xylème, qui produit des conduites pour l’eau et les miné-raux dans la plante. «La pression dans cette cellule est infé-rieure à notre pression atmosphérique. En revanche, quand un insecte attaque une feuille et qu’il casse une veine, la

pression dans le xylème monte pour égaler celle de l’at-mosphère dans laquelle nous sommes.» Ce changement est transmis rapidement à travers la plante. D’abord au niveau des feuilles et de la tige, puis dans les racines. Autour du xylème mort se trouvent d’autres petites cellules vivantes. «Ces cellules semblent être importantes dans la propagation de signaux et surtout être le tout premier site de produc-tion de l’acide jasmonique dans une feuille éloignée de la feuille blessée, c’est-à-dire à distance d’une blessure. Elles ont été très peu étudiées par les biologistes, n’ont même pas de rôle connu. Cela va nous occuper pour des années, je pense», s’enthousiasme Edward Farmer.

Autre découverte, «intrigante», selon le professeur au DBMV, certains gènes nécessaires à la transmission des signaux électriques, tels les GLR (Glutamate Receptor-Like), «ressemblent très fortement aux gènes qui agissent sur les synapses rapides du cerveau humain. On ne sait pas encore s’ils fonctionnent de la même manière. Les plantes sont très sophistiquées. On ne peut plus dire qu’elles sont primitives ou qu’elles réagissent lentement. En défendant ses feuilles, chaque plante défend la photosynthèse, c’est-à-dire les réac-tions biochimiques les plus primordiales pour la vie.»

ARABIDOPSIS THALIANAL’Arabette des damesest très utilisée dansles laboratoiresdes biologistes. © DBMV – UNIL

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L’attentat contre Charlie Hebdo a attiré l’attention des Occidentaux sur la guerre que se livrent les musulmans dans de nombreux pays. Voici quelques clés pour comprendre ce conflit aussi opaque que sanglant, où s’affrontent des conceptions différentes du Coran et de la tradition islamique. TEXTE JOCELYN ROCHAT

L’ISLAM C’EST

RELIGION

Cela semble incompréhensible. Et pourtant, tout est malheureusement vrai. Dans le film Timbuktu, on voit des djihadistes africains détruire les tombes de saints musulmans. Ailleurs, ce sont des atten-tats commis au nom d’Al-Qaida qui ciblent des mos-

quées au Yémen, faisant près de 150 morts et 350 blessés chez les croyants. Et, encore plus inimaginable, il y a ces avions iraniens qui bombardent l’Etat islamique (Daech) qui se retrouvent aux côtés des Américains. L’ex-«grand Satan» est devenu allié de circonstance...

Chaque jour qui passe vient troubler davantage les Occi-dentaux. Choqués par les attentats de Paris, Copenhague et Tunis, les Européens découvrent qu’ils ne sont pas la pre-mière cible des fous de dieu. Qu’il ne s’agit pas d’un conflit de civilisation entre la chrétienté et l’islam, mais plutôt d’une guerre mondiale au sein de l’islam qui fait beaucoup plus de victimes chez les musulmans que chez les carica-turistes européens.

Un Coran, mais deux messagesPour comprendre ce qui se passe, un peu partout sur la pla-nète, mais aussi en Suisse, il faut remonter aux origines de l’islam. Tout commence dans une montagne des environs de La Mecque, vers 610 après Jésus-Christ. Selon la tradi-tion, Muhammad (qu’on traduit souvent, mais impropre-ment, par Mahomet) a entendu la voix de l’ange Gabriel lui révéler des sourates (fragments) qui deviendront les cha-pitres du Coran. Alors que le prophète essaie de convertir les foules polythéistes d’Arabie au monothéisme, il reçoit un accueil mitigé dans sa ville natale, qui le pousse à partir pour l’oasis de Médine. Muhammad y développe les règles de l’islam, avant de prendre les armes contre La Mecque et de conquérir sa ville natale en 630.

Après sa mort en 632, l’enseignement de Muhammad est rassemblé dans le Coran. Ce livre raconte deux his-toires sensiblement différentes. «Dans la première par-tie, qui correspond à l’époque où le prophète vivait à

BATAILLEDE KERBALADécapitation de Hussein, en 680. Ce martyrescelle la séparation religieuse entre les sunnites et les chiites.© akg-images / British Library

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La Mecque, Muhammad est un prédicateur qui peine à convaincre les riches Mecquois polythéistes dont il trouble les coutumes. Il a donc besoin de s’appuyer sur les Juifs et les chrétiens, et son message est pacifique. La seconde par-tie du Coran correspond aux années durant lesquelles le prophète réside à Médine, où il devient à la fois chef d’Etat, juge et même commandant militaire qui mène des raz-zias. Ces textes sont bien plus juridiques et polémiques», détaille Jean-Claude Basset, qui a donné à l’UNIL un cours intitulé «Courants de pensée dans l’islam contemporain». A l’inverse de la Bible des chrétiens, qui commence par des périodes belliqueuses pour aller vers un message pacifique, «le Coran débute avec une période pacifique et se termine sur la période belliqueuse. Cette organisation du livre peut en influencer la compréhension, ajoute Philippe Gonzalez, sociologue à l’UNIL. Imaginez, par exemple, que la Bible ne se termine pas sur le message de Jésus, mais sur Le Livre de Josué qui campe la conquête de la terre promise... Cela don-nerait une tonalité moins pacifique à ces textes.»

Qui sont les arbitres ?Comme le prophète a été prédicateur puis chef d’Etat, son enseignement développé dans le Coran (un texte poétique et juridique, narratif et éthique compliqué) comporte de

nombreuses répétitions et de notables contradictions. «La difficulté est de savoir ce qu’il faut faire dans des cas de ce genre. Sur le principe, les juristes de l’islam ont décidé que c’était la période la plus récente qui prévalait. Or c’est la période des enjeux politiques, et aussi celle du djihad», explique Jean-Claude Basset.

Mais dans le détail, comment gérer les contradictions du texte ? Qui va décider en cas de doute ? C’est problématique, car l’islam ne connaît pas, comme l’Académie française, par exemple, une instance reconnue qui arbitre. Quand il y avait un pouvoir politique, comme le calife, celui-ci pouvait rendre des avis, après discussion avec les savants, les oulé-mas, les responsables religieux. Mais le dernier califat a été aboli par Atatürk en 1924. Du coup, on assiste à d’innom-brables conflits d’interprétation, depuis la crise majeure qui a provoqué la séparation des sunnites et des chiites en 657.

Un texte, mais tellement de lecturesPour comprendre la diversité de l’islam et ses conflits actuels, il ne suffit pas de lire le Coran. Il vaut mieux examiner ses lecteurs. Ce qui n’est guère plus facile, car «le monde musulman est traversé par des courants très nombreux, qui peuvent être parfaitement contradictoires», observe Jean-Claude Basset.

«Tout commence par une question plus politique que religieuse: qui va succéder à Muhammad à la tête du mou-vement ?» En 632, le prophète meurt subitement sans avoir organisé sa succession. Dès lors, deux clans s’opposent. Certains pensent qu’il faut se tourner vers la famille. Ils verraient bien Ali, le cousin et gendre du prophète, devenir calife. D’autres estiment qu’il est trop jeune, et préfèrent coopter celui qui semble le plus apte à diriger le mouve-ment. S’ensuivent des intrigues, des conflits fratricides et des assassinats comme ceux d’Ali et de son fils Hussein, dont le martyre à Kerbala scelle la séparation religieuse entre les sunnites et les chiites, qui perdure encore aujourd’hui

Qui sont les chiites ?Ces chiites, toutes sectes confondues, représentent entre 10 et 13% des musulmans (selon le PEW Research Center). Sou-vent minoritaires, ils ont été persécutés, ce qui a poussé cer-tains d’entre eux à se réfugier dans les montagnes, comme les Druzes. En Occident, on associe volontiers ce courant à l’ayatollah Khomeiny. C’est logique, quand on sait que le chiisme est la religion officielle de l’Iran, dont la popu-lation est composée à 80% de chiites. Pourtant, cela reste très réducteur, parce que, «en focalisant sur l’Iran perse, on oublie de dire que les bases de ce courant sont arabes. On sait aujourd’hui que l’Irak est un pays à majorité chiite, et qu’il y a des chiites un peu partout dans le monde arabe, comme les zaïdites du Yémen. Quant aux chiites ismaéliens, dont le plus connu est l’Aga Khan, ils sont présents aussi bien en Occident qu’en Afrique», précise Jean-Claude Basset.Les chiites considèrent que Dieu a choisi les imams, Ali et

JEAN-CLAUDE BASSETChargé de cours à la retraite. A l’UNIL, il a notamment donné «Courants de pensée dans l’islam contemporain». Ses cours sur «L’islam etles musulmans»,dans le cadre de Connaissance 3, sont très suivis.Nicole Chuard © UNIL

Connaissance 3wp.unil.ch/connaissance3

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ses descendants, pour conduire la communauté musulmane. Souvent privés du pouvoir, ils ont développé une interpréta-tion plus spirituelle du Coran. Beaucoup d’entre eux vivent dans l’attente du retour de l’imam caché qui doit venir juger les vivants et les morts.

Enfin, les chiites ont des divergences politiques et géos-tratégiques avec les sunnites. Leur zone d’influence part d’Iran pour s’étendre à la moitié de l’Irak, mais encore à Bah-reïn (chiite à 70%). Sans oublier la Syrie, où les Iraniens sou-tiennent le régime de Bachar al-Assad. Pas forcément pour des raisons religieuses, puisque les chiites alaouites sont considérés comme des hérétiques, mais pour une forme de solidarité face à la poussée des sunnites dans la région.

Qui sont les sunnites ?Les sunnites, c’est le courant très largement majoritaire dans l’islam, puisque 87 à 90% des musulmans s’en récla-ment (toujours selon le PEW). A la mort de Muhammad, ils ont opté pour des califes issus de la tribu mecquoise des quraychites. Le troisième de ces califes a fixé le texte du Coran sous la forme que nous connaissons aujourd’hui, et il a fait disparaître les variantes qui ont pu circuler précédem-ment. Enfin, au moment de situer les sunnites sur la carte du monde, on cherche l’Arabie saoudite, l’Egypte et la Turquie...

«Une fois encore, c’est un peu plus compliqué, sourit Jean-Claude Basset, parce que le premier pays sunnite, c’est l’In-donésie. On trouve ensuite le Pakistan, l’Inde et le Bangla-desh. Et là, vous n’avez pas encore donné le nom d’un seul pays arabe. Si on reste dans la région où est né l’islam, on voit effectivement qu’il y a la version turque, avec les héri-tiers des Ottomans. Il y a aussi l’Egypte, qui a toujours été un phare, l’Arabie saoudite, qui est le nouveau venu, et le Qatar, qui joue de son influence grâce à l’argent du pétrole.»

Il y a une guerre au sein de l’islamLa rivalité ancestrale entre les sunnites et les chiites a été réactivée ces dernières décennies, et elle a pris un tour san-glant. Pourquoi ? Jean-Claude Basset remonte à la Révolution iranienne de 1979, menée par l’ayatollah Khomeiny. «Pour la première fois, un mouvement populaire musulman a réussi à faire tomber un régime autoritaire, soutenu par l’Occident et relativement armé. C’est un évènement qui a donné des raisons d’espérer à tout le monde musulman, chiite comme sunnite, de l’Indonésie jusqu’au Maroc.»

Cette révolution, explique Jean-Claude Basset, «est l’abou-tissement d’un mouvement de réformes qui commence au début du XXe siècle. Des intellectuels, choqués par l’état catastrophique des pays musulmans, comme par les pres-sions exercées par l’Occident, ont développé l’idée d’un retour aux origines». Cela se passe notamment en Ara-bie saoudite, où se développent des courants fondamenta-listes comme le wahhabisme. Et aussi en Egypte, qui «est le noyau de ce mouvement de réislamisation. Pourtant, les Frères musulmans, qui ont mené ce projet ne sont arrivés

au pouvoir qu’en 2011, et n’y sont restés qu’un an et demi, contrairement aux Iraniens dont la révolution est à la fois l’aboutissement de cette réflexion visant à réformer l’islam, et le déclencheur d’autres changements».

Après, il y a eu l’attaque de l’Iran par l’Irak, menée par Saddam Hussein, bien conscient que la majorité des Ira-kiens étaient chiites, et qu’ils risquaient d’être influencés par leurs voisins iraniens. Puis les guerres d’Afghanistan, et de nombreux crimes religieux, comme ceux du comman-dant Massoud (sunnite), coupable d’une attaque de la tribu chiite des Hazaras, qui s’est soldée par le massacre de 6000 personnes et le viol de 3000 femmes. Bref, une succession de drames qui ont ravivé la tension latente entre les deux grands concurrents de l’islam.

Pourquoi tuer des musulmans quand on vise l’OccidentLes journaux en témoignent tous les jours: des organisations terroristes comme Al-Qaida et Daech ont fait assassiner bien plus de musulmans que d’Occidentaux. «Ces mouvements frappent des pouvoirs musulmans parce qu’ils estiment qu’il y a trop de croyants qui sont prêts au compromis avec l’Occident, et parce qu’ils les considèrent comme des ven-dus, explique Jean-Claude Basset. Dans le monde musul-man, il y a une frustration énorme, celle d’avoir été une

PHILIPPEGONZALEZSociologue des médias à l’UNIL. Il travaille sur les religions dans l’espace public et propose entre autres un cours sur «L’après-Charlie Hebdo».Nicole Chuard © UNIL

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L’Institut des sciences socialeswww.unil.ch/iss

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grande civilisation et de ne plus l’être. A l’âge d’or de l’islam, tout le monde, de l’Inde à l’Espagne, allait étudier dans les universités de Bagdad. Et puis, au XVe siècle, il y a eu un renversement complet. Les musulmans ont été chas-sés d’Espagne, et, simultanément, de nouvelles voies de navigation ont été découvertes. Elles ont permis l’essor de l’Occident qui ne s’est plus laissé rattraper. La colonisation a aussi constitué un choc énorme, parce qu’une terre isla-mique doit rester islamique. Enfin, il y a eu George Bush qui a parlé de croisade, et les Américains qui ont détruit l’Irak et laissé la place à Daech.»

«Si on a une diffusion du wahhabisme et du salafisme à l’international, c’est aussi à cause des pétrodollars des pays du Golfe qui ont financé des traductions, des imams, des écoles, des réseaux et qui ont diffusé ces idées fondamen-talistes, estime Philippe Gonzalez. Jusqu’à ce que la créa-ture se retourne contre le créateur. Car désormais, l’Arabie saoudite est aussi menacée. Si le califat de Daech devait réussir son implantation, il tenterait de prendre le contrôle des lieux saints de l’islam dont l’Arabie est la gardienne.»

La violence, c’est un phénomène récentReste à comprendre pourquoi cette violence n’a éclaté que ces dernières décennies, alors que le ressentiment est bien plus ancien. «Il y a des siècles entiers durant lesquels on ne parle pas de djihad, précise Jean-Claude Basset. C’est un dis-cours qui réapparaît dans les temps de crise. Ce concept de «guerre juste», plutôt que de «guerre sainte», a notamment été développé par le penseur Ibn Taymiyya, qui a vécu peu après la chute de Bagdad, en 1258. Ce juriste musulman, qui appartenait à l’école minoritaire des hanbalites, l’école de Droit la plus restrictive de l’islam, a tenté d’organiser la résistance par le djihad sur les ruines laissées par les Mon-gols.» Et aujourd’hui, c’est ce juriste qui est le plus traduit et qui se retrouve cité dans la propagande de Daech. Parce

que le XXIe siècle est perçu comme une nouvelle crise, où les Occidentaux auraient remplacé les Mongols.

A l’image de Muhammad, qui est passé du discours paci-fique de la Mecque, au ton guerrier de Médine, des musul-mans réactivent la violence latente des textes religieux en période de crise. Cette caractéristique du Coran explique peut-être aussi son succès au XXIe siècle. «C’est une religion qui a pensé la politique dès le départ avec Muhammad, ce qui n’était pas du tout le cas d’un Jésus, par exemple. Dans un moment de crise, face à la chute des idéologies et à la mondialisation qui bouleverse toutes les structures, on peut imaginer que l’islam, avec son discours de résistance violent peut constituer une sorte de valeur refuge», suggère Jean-Claude Basset.

La Suisse et l’islamismeReste à comprendre pourquoi la Suisse, comme l’Europe, n’est pas sensibilisée à cette guerre mondiale dans l’islam. «La première difficulté, c’est que la majorité de nos contem-porains manquent de repères religieux, répond Philippe Gonzalez, sociologue des médias à l’UNIL. Dans mon cours sur l’après-Charlie Hebdo, je suis obligé de donner des pré-cisions sur l’histoire chrétienne, sur le blasphème notam-ment, parce que le référent religieux est devenu très mince, sans parler du traitement médiatique qui est expéditif et sommaire. Et le deuxième élément, c’est que la Suisse n’a pas d’histoire avec l’islam. Devoir expliquer les différences entre les sunnites et les chiites, c’est comme si on devait expliquer l’histoire des guerres de religions dans le chris-tianisme depuis la Réforme à une population qui n’en a jamais entendu parler.»

S’ajoute une troisième difficulté: l’omniprésence dans les médias d’interlocuteurs folkloriques. «Les deux acteurs qui sont intéressés à donner une représentation publique de l’islam en Suisse sont soit des musulmans ultraconser-vateurs qui essaient d’imposer l’image la plus rigoriste de leur religion, soit des politiciens qui veulent thématiser la question de l’étranger, en mettant la photo d’Oussama ben Laden sur un passeport suisse», observe Philippe Gonzalez.

Un problème bien réel, une méconnaissance de la gra-vité de la crise comme de ses enjeux... il y a là un cocktail détonnant. «Le religieux fait un retour dans nos sociétés qui ont perdu le sens du danger que peuvent représen-ter des fanatiques, ajoute Philippe Gonzalez. Ici, on traite volontiers du religieux sous l’angle de l’opinion, comme un phénomène culturel, comme des goûts et des couleurs qui ne se discuteraient pas. Et nous sommes rattrapés par des gens qui ne pensent pas du tout de la même manière. Du coup, il faudra bien réguler ces discours, parce qu’il y a des gens qui prêchent la haine.» Des gens qui sont prêts à en découdre, ce qui laisse imaginer que «ces problèmes vont se poser durant les vingt prochaines années, au moins», estime Jean-Claude Basset. C’est dire s’il est devenu impé-ratif de s’y intéresser.

INDONÉSIECet archipel estle premier payssunnite au monde.Ici, la mosquéeIstiqlal de Jakarta,qui peut accueillir120 000 personnes.© REUTERS/Beawiharta

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Avant de la rencontrer, on s’est demandé quel effet l’écri-vaine nous ferait, au-delà d’être admirative du Prix de littérature suisse qu’elle ve-

nait de recevoir. Première impression court-circuitée: c’est en entrant dans les toilettes que nous l’avons d’abord croisée, à La Rotonde, le café biennois où Noëlle Revaz a proposé de se voir. Présage d’un entretien avec une écri-vaine plutôt anticonformiste ?

Il y a des rencontres qu’on pré-férerait garder pour soi. Poser le stylo et juste échanger. D’autant plus quand la personne face à vous se livre comme sans défense. Une innocence presque malgré elle. Un regard doux, mais des traits angu-leux. Car Noëlle Revaz est écrivaine, et si la parole jaillit sans frein, elle n’en est pas pour le moins maitri-sée. Voire même un peu provocante. «On a souvent dit de moi que j’étais douce, j’étais stupéfaite. Je me voyais rude, brute, un peu sauvage. J’associais la douceur à quelque chose de négatif. Mais petit à petit je m’y fais.»

Un peu brutale ? Peut-être. Car d’emblée elle l’affirme: si c’était à refaire, elle ne retournerait pas à l’Université ! «J’aurais voyagé ou fait des petits boulots...» Une écri-vaine en devenir qui étudie la littérature, ce n’est pas si évident. «Il y a un côté intimidant en Lettres, il faut élabo-rer des théories, être analytique. Le contraire de la créati-vité.» Noëlle Revaz avoue avoir mal vécu cette période et aurait préféré étudier ailleurs que sur ce «campus froid» de Dorigny. «J’étais une étudiante perdue, solitaire. Je vou-lais écrire mais comment mettre cela en place ?»

Peut-être pas anodin, elle opte pour l’étude du latin, une langue morte. «Ça m’arrangeait de ne pas avoir à la parler !» Mais paradoxalement, c’est grâce à la radio, un média où il faut faire entendre sa voix, que vient le

déclic. Après sa licence, alors qu’elle enseigne le latin dans une école pri-vée, un ami lui propose de rédiger pour Espace 2 de courtes histoires autour du sport. Pas du tout son domaine. «Sous un pseudonyme mas-culin, j’avais ma fierté ! Je m’écoutais, cachée sous la couverture.»

C’est à 33 ans, avec son premier roman Rapport aux bêtes, qu’éclot l’écrivaine, émancipée des grandes références et des règles grammati-cales aussi. «Moi qui aimais Proust, il m’a fallu des mois pour parvenir à exagérer la langue et ne plus respec-ter la grammaire.» Jusqu’à élaborer un parler «primitif».

Emancipée, Noëlle Revaz semble l’être aussi aujourd’hui de la litté-rature elle-même. «J’ai l’impression de m’en détacher. Je continuerai à écrire mais les livres ont moins de

poids dans ma vie.» Au profit d’autre chose ? Lorsque nous la rencontrons, Noëlle Revaz est mère depuis deux mois. «Je pense souvent qu’on peut choisir l’âge qu’on a, c’est un concept. Moi, pour l’instant, j’ai envie d’avoir dans les 35 ans.»

Elle nous avait prévenus. Ne pas se fier à ses traits doux, la donc éternelle jeune femme aime casser les codes. Jusqu’à s’attaquer à la figure de l’auteur elle-même. «Etre écrivaine, c’est quelque chose de banal. Cela me semble beaucoup moins extraordinaire qu’auparavant.» Depuis qu’elle travaille à l’Institut littéraire suisse, Noëlle Revaz s’est habituée à avoir des écrivains comme collègues et comme étudiants, des écrivains en herbe aussi. Comme pour confirmer ses propos, durant l’entretien, Noëlle Revaz interrogera le photographe sur son activité, parlera avec nous de voyages. Puis ira retrouver son compagnon qui promène leur bébé en ville. Ecrivain, un métier comme un autre ? Ce n’est qu’une impression... CYNTHIA KHATTAR

NOËLLE REVAZLicence en Lettresen 1995.© Thierry Porchet / Strates

La communauté des alumnide l’UNIL en ligne : www.unil.ch/alumnil

IL Y A UNE VIE APRÈS L’UNIL

NOËLLE REVAZ, ÉCRIVAINE(PAS) BANALE

Avant l’apparition des antibiotiques, on utilisait des virus pour lutter contre les bactéries pathogènes. Cet ancien traitement, aujourd’hui abandonné dans nos pays, pourrait connaître une seconde vie. La phagothérapie offre en effet une alternative aux antibiotiques qui se heurtent de plus en plus à la résistance des bactéries. Dans ce domaine, les chercheurs de l’UNIL et du CHUV font figure de pionniers, en Suisse et en Europe TEXTE ÉLISABETH GORDON

MÉDECINE

COMMENT LUTTER CONTRELES INFECTIONS... AVEC DES

VIRUS

Le programme européen Phagoburnwww.phagoburn.eu

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C’est devenu un véritable problème de santé pu-blique: de plus en plus de bactéries s’adaptent aux antibiotiques censés les éliminer. En l’ab-sence d’alternative à ces médicaments, cer-tains experts estiment que «ces microbes ré-

sistants pourraient provoquer 10 millions de décès d’ici à 2050, soit plus que le cancer», souligne Grégory Resch, maître-assistant suppléant au Département de microbio-logie fondamentale de l’UNIL.

Compte tenu de l’augmentation du phénomène de ré-sistance, les médecins risquent d’être bientôt démunis face à de nombreuses infections devenues intraitables. D’autant que «la mise sur le marché de nouveaux anti-biotiques a drastiquement chuté depuis 1980», constate Yok-Ai Que, médecin-adjoint au Service de médecine in-tensive adulte du CHUV.

Des «mangeurs» de bactériesL’une des solutions pour sortir de cette impasse pourrait venir des bactériophages, ces virus qui sont des préda-teurs naturels des bactéries. Leur nom vient des termes grecs baktêria (bâton, à cause de la forme des premières bactéries observées) et phagos (mangeur).

En fait, ces phages, comme on les appelle aussi, ne «mangent» pas les micro-organismes. Comme tous les virus, ils ont besoin de la machinerie enzymatique d’une cellule hôte pour se multiplier. A cette fin, ils utilisent donc une bactérie qu’ils détruisent une fois leur répli-cation achevée.

Ces bactériophages ont véritablement colonisé la pla-nète. «Ils sont présents là où il y a des bactéries», sou-ligne Grégory Resch et l’on estime qu’il y aurait sur terre 1031 particules (dix mille milliards de milliards de mil-

liards !), ce qui fait d’eux «l’entité biologique la plus repré-sentée à la surface du globe». Ils affectionnent tout par-ticulièrement le sol et les eaux usées, mais on en trouve partout, y compris dans les eaux de surface «où il y en a plus de 1 million par goutte d’eau de mer, précise le microbiologiste. Quand vous vous baignez et que vous buvez la tasse, vous en ingurgitez des milliards !» Le corps humain (les intestins, la salive, le nez, etc.) en renferme aussi.

Le pouvoir bactéricide des eaux du GangeFort heureusement, ces virus sont inoffensifs pour l’être humain. Non seulement ils ne s’attaquent qu’aux bacté-ries, mais en outre chacun d’eux ne s’en prend qu’à une proie particulière – «un phage qui détruit une Escheri-chia coli ne va pas s’attaquer à un streptocoque», précise Grégory Resch – et même à un nombre limité de souches de cette espèce. Cette spécificité fait d’eux des alliés de choix dans la lutte contre les maladies infectieuses d’ori-gine bactérienne.

La découverte de l’activité bactéricide des phages remonte aux années 1890. Parti en Inde pour analyser les eaux du Gange, le bactériologiste britannique Ernest Hankin «a été surpris de n’y trouver que très peu de vibrions du choléra, alors que cette maladie provoquait des épidémies dans le pays, raconte le microbiologiste de l’UNIL. C’était d’autant plus étonnant qu’à l’époque, on pensait que les bactéries étaient véhiculées par les fleuves.» C’est ainsi que le chercheur britannique a com-pris que ces eaux contenaient des particules qui avaient un pouvoir antibactérien. «Il n’a pas deviné qu’il s’agis-sait de virus, mais il a mis le phénomène en évidence pour la première fois.»

VIRUSPHAGESPhotographie en microscopie électronique de ces virus, prédateurs naturels des bactéries. Une goutte d’eau demer en contient plusd’un million.© Frank Oechslin, Départementde microbiologie fondamentale

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Il a ensuite fallu attendre 1917 pour qu’un chercheur franco-canadien travaillant à l’Institut Pasteur, Félix d’Hérelle, isole ces agents actifs – auxquels il a donné leur nom de bactériophages – dans les selles de patients infec-tés. «Il a constaté qu’en introduisant d’importantes quanti-tés de phages dans les puits de villages en Inde, on parve-nait à éradiquer une épidémie de choléra en deux jours au lieu de sept», selon Grégory Resch. Malgré le scepticisme de nombre de ses collègues, Félix d’Hérelle a proposé d’uti-liser ces virus en médecine humaine et, à partir de 1919, ils ont été employés pour traiter les infections bactériennes.

L’âge d’or des bactériophages s’est terminé dix ans plus tard avec l’arrivée sur le marché des premiers antibiotiques. On disposait alors de médicaments «qui sont faciles à uti-liser, qui donnent de bons résultats et dont le modèle éco-nomique a beaucoup de succès: l’industrie les produit, les médecins les prescrivent et les patients les reçoivent», ex-plique Yok-Ai Que. Grâce à eux, on pensait pouvoir éradi-quer les épidémies. Les phages sont donc tombés en dé-suétude. Ce qui n’a pas empêché un chercheur lausannois, Jean-Pierre Feihl, de faire, en 1949, sa thèse sur «La théra-peutique des staphylococcies par le bactériophage», dans laquelle il expliquait qu’il avait guéri 83% des 77 patients qu’il avait traités avec des phages.

Mais il en aurait fallu beaucoup plus pour faire de l’ombre aux antibiotiques qui avaient fait leurs preuves et relégué les virus tueurs de bactéries au rang d’antiquités. La pha-gothérapie a depuis été totalement abandonnée en Europe de l’Ouest, et notamment en Suisse. Elle est cependant tou-jours utilisée en Russie, en Pologne et en Géorgie, pays qui abrite un institut dédié à la recherche et à l’application mé-dicale des bactériophages, le George Eliava Institute of Bac-teriophages, Microbiology and Virology, ainsi qu’un centre consacré à la thérapie. «Les médecins y traitent chaque an-née 2000 patients, atteints surtout d’infections urinaires et intestinales, uniquement avec des bactériophages», constate Grégory Resch, qui a passé récemment plusieurs semaines en Géorgie.

Dans le reste de l’Europe, la roue est toutefois en train de tourner pour les phages, car les antibiotiques ont mon-tré leurs limites. De plus en plus de bactéries se sont en ef-fet adaptées à ces médicaments auxquelles elles opposent de la résistance. Pour faire face à ce phénomène inquiétant, les chercheurs et médecins s’intéressent donc à nouveau à la phagothérapie. «Leur spécificité était auparavant le ta-lon d’Achille de ces virus, car il était beaucoup plus aisé d’utiliser des antibiotiques à large spectre. Aujourd’hui, cela devient l’un de leurs principaux avantages», explique Yok-Ai Que. La phagothérapie nécessite toutefois «un cou-plage entre le diagnostic microbiologique et la prescription des phages», ajoute le médecin intensiviste. Fort heureu-sement, on dispose actuellement de techniques capables d’identifier rapidement l’agent pathogène afin de savoir quel virus utiliser. Il est aussi possible d’utiliser des cock-tails de bactériophages, ce qui élargit leur spectre d’action.

Les phages ne détruisent pas la flore intestinaleAutre intérêt de ces virus: ils ne s’attaquent pas aux bac-téries commensales (qui vivent à l’intérieur de notre orga-nisme). D’ailleurs, nos intestins en renferment une grande quantité. Contrairement aux antibiotiques, souligne Gré-gory Resch, «ils ne détruisent donc pas la flore intesti-nale», le fameux microbiote dont on mesure aujourd’hui l’importance pour notre santé. En outre, «en nonante ans d’expériences, les Géorgiens disent n’avoir jamais constaté de complications graves, poursuit le microbiologiste. Au pire, ils n’ont observé que quelques poussées de fièvre chez leurs patients.»

Certes, comme avec les antibiotiques, on pourrait aussi observer avec les phages des phénomènes de résistance, mais ceux-ci devraient pouvoir être plus facilement maî-trisés. «Contrairement aux médicaments, les phages ont co-évolué avec leurs hôtes depuis des millions d’années, constate Yok-Ai Que. Dans la nature, si une bactérie de-vient résistante à un phage, elle se multiplie et la proba-bilité qu’elle rencontre un autre virus auquel elle est sen-sible augmente. Aussitôt, celui-ci se reproduit en grandes quantités et il parvient à contrôler l’expansion de la bac-

LES PHAGESNE SONTPAS DIFFICILESÀ CULTIVER

GRÉGORY RESCHMaître-assistant suppléant au Département de microbiologie fondamentale.Nicole Chuard © UNIL

MÉDECINE Le Service de médecine intensive adulte du CHUVwww.chuv.ch/soinsintensifs/sia_home

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térie.» En cas de résistance, «le répertoire de phages dis-ponibles dans la nature étant presque infini, on trouvera sans doute plus aisément la parade en recherchant d’autres phages, ajoute Grégory Resch. Leur identification et leur isolation ne prennent que quelques jours, alors qu’il faut des années de recherche pour mettre au point un nouvel antibiotique potentiel.»

Dans les eaux usées des stations d’épurationEn outre, les phages ne sont pas particulièrement diffi-ciles à cultiver. «Dans notre laboratoire, précise Grégory Resch, nous isolons les bactériophages à partir d’échan-tillons d’eaux usées que nous récupérons notamment à la station d’épuration de Vidy. Une fois centrifugés (pour éli-miner les bactéries restantes), puis filtrés, ces échantillons donnent une “soupe” renfermant de nombreux phages que l’on isole en les mettant en contact avec la bactérie qui nous intéresse.» Ils se reproduisent alors très rapidement. Les bactériophages ainsi obtenus peuvent ensuite être conser-vés pendant plusieurs années à 4 °C; ils peuvent aussi être congelés ou lyophilisés.

Ça marche, mais il faudra quand même le prouver !Les bactériophages présentent donc de nombreux avan-tages. Pourquoi tarder à les utiliser dans la pratique cli-nique, comme on le faisait au début du XXe siècle ? «La docu-mentation scientifique existante n’a pas la qualité requise aujourd’hui par les agences de régulation des médicaments, comme Swissmedic en Suisse», répond Yok-Ai Que. Pour que les phages puissent recevoir une autorisation de mise sur le marché, il faut que leur fabrication réponde aux cri-tères très stricts de “bonne pratique de fabrication” et de “bonne pratique des essais cliniques”. Autant dire que les chercheurs et médecins doivent remettre l’ouvrage sur le métier et – presque – tout reprendre à zéro, comme cela se fait pour n’importe quel médicament, afin de prouver scientifiquement l’intérêt et l’innocuité de la phagothérapie.C’est à cette tâche que Yok-Ai Que, Grégory Resch et leurs

collègues de l’UNIL et du CHUV se sont attelés. Ils parti-cipent à la première étude clinique européenne sur la pha-gothérapie, Phagoburn (lire en page 58). Par ailleurs, dans le cadre du programme SCOPES du FNS (qui favorise les échanges scientifiques entre le Suisse et les pays d’Europe de l’Est), ils collaborent avec leurs collègues de l’Institut géorgien. «Nous étudions des bactériophages qui luttent contre les Acinetobacter. Les Géorgiens isolent des phages que, dans notre laboratoire, nous séquençons et testerons sur un modèle animal. Notre objectif est de trouver un cocktail de phages actifs contre cette bactérie résistante aux antibiotiques.»

Autre projet: la constitution d’une banque de phages. Pour traiter rapidement les patients infectés par une bac-térie pathogène, les médecins doivent en effet pouvoir dis-poser très rapidement des phages adéquats. «Grâce à une subvention que nous avons reçue de la Loterie Romande, nous allons isoler, identifier et séquencer 150 phages cette année et autant l’année prochaine», précise Yok-Ai Que.

Les projets ne manquent donc pas. L’UNIL et le CHUV comptent ainsi conforter leur rôle de pionniers en remet-tant au goût du jour la phagothérapie qui fournira aux médecins une nouvelle arme, complémentaire aux anti-biotiques, pour lutter contre les bactéries pathogènes.

YOK-AIE QUEMédecin-adjoint au Service de médecine intensive adultedu CHUV.Nicole Chuard © UNIL

Le laboratoire public de l’UNIL, L’Eprouvette, propose à tout un chacun de se fami-liariser avec les phages. Dans le cadre du programme Agora du FNS qui vise à favo-riser la communication entre les chercheurs et le public, un atelier bactériophage, «Phageback, le retour des virus guérisseurs», a été ouvert en février 2015. «Les visi-teurs vont récupérer un échantillon d’eau usée à la station d’épuration de Vidy, comme nous le faisons dans notre laboratoire, explique Grégory Resch, chercheur au Dé-partement de microbiologie fondamentale de l’UNIL. Puis ils reviennent à L’Eprou-vette pour isoler les phages qu’ils peuvent ensuite observer à la plate-forme de mi-croscopie électronique et photographier.» Outre cet atelier, des expositions et des débats seront aussi organisés afin «de discuter avec le public des enjeux de la pha-gothérapie», conclut le microbiologiste. EG

Inscriptions et renseignements: [email protected]

«PHAGEBACK», UN ATELIER OUVERT AU PUBLIC

58 Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne

Cet essai, le premier du genre, s’ins-crit dans le cadre du programme européen, Phagoburn, coordonné

par le Ministère français de la défense et regroupant la France, la Belgique et la Suisse. Au total, 220 patients devraient y participer, «dont 10 à 15 à Lausanne», précise Yok-Ai Que, médecin-adjoint au Service de médecine intensive adulte du CHUV. Pourquoi s’intéresser tout particulièrement aux grands brûlés ?

«Ces patients ont un système immuni-taire déficient et toutes leurs défenses physiques sont altérées puisqu’ils n’ont plus de peau pour les protéger contre le monde extérieur, explique le médecin. En outre, ils restent long-temps à l’hôpital et sont statistique-ment plus exposés que d’autres à des germes résistants.» Ils sont donc par-ticulièrement sensibles aux infections «qui augmentent la morbidité, car elles

PHAGOTHÉRAPIE: PREMIERESSAI CLINIQUE AU CHUVL’été prochain, le CHUV devrait démarrer des tests cliniques visant à traiter à l’aide de bactériophages des patients brûlés infectés par Escherichia coli et Pseudomonas aeruginosa.

détruisent les greffes de peau qui sont la pierre angulaire du traitement».

Parmi les fauteurs de troubles, on trouve Escherichia coli, «qui infecte fréquemment les patients brûlés, et Pseudomonas aeruginosa, «un germe très récalcitrant aux antibiotiques». D’où l’idée d’essayer de traiter ces malades avec des bactériophages qui seront mis dans des pansements.

Des résultats chez l’animalLes comités d’éthique des trois pays concernés ont déjà donné leur accord et il ne reste plus qu’à attendre le feu vert de leurs agences de régulation des médicaments pour démarrer les tests cliniques. Ceux-ci devraient com-mencer en mai en France et en juin à Lausanne. Au total, «au moins sept centres hospitaliers y participeront dont un seul, le CHUV, en Suisse», pré-cise Yok-Ai Que.

«Chez l’animal, les essais ont été prometteurs» et le spécialiste de médecine intensive espère bien que les résultats obtenus sur des patients, que l’on devrait connaître d’ici dix-huit à vingt-quatre mois, seront aussi enthousiasmants. Si tel est le cas, cela pourrait accélérer l’autorisation de mise sur le marché de ces phages. Et inciter les chercheurs et les médecins lausannois à explorer les bénéfices de la phagothérapie pour lutter contre des infections affectant les patients atteints de mucoviscidose ou d’autres maladies. EG

EN ACTIONLes ronds blancs sont des «plages de lyses», c’est à dire le résultat de la rencontre entre un phage et une bactérie. Le premier se multiplie au sein de la seconde, qui meurt. Les descendants s’en prennent ensuite aux cellules voisines. Dans ce cas, la bactérie est une souche clinique de Klebsiella pneumoniae résistante à plusieurs antibiotiques (pathogène humain important).© Gregory Resch

MÉDECINE

Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne 59

1999Ainsi, le déclencheur qui provoque le départ vers l’aventure est plus proche de l’histoire de Lancelot. Comme lui, Luke a échappé très jeune à un mas-sacre d’envahisseurs. Comme Lan-celot enfant, il est tenu éloigné des évènements tragiques et sa vraie nature ne se révèle que petit à pe-tit. Perceval aussi apprend ses ori-gines par un ermite et leur destin commun sera de restaurer le lignage. Le psychanalyste freudien Otto Rank a bien mis à jour le canevas de la nais-sance du héros (Œdipe, la légende d’Alexandre le Grand, Jésus, Arthur, Tristan, etc.). Cet archétype appar-tient entre autres au réservoir my-thologique indo-européen.»

L’astuce narrative de Lucas est sans doute d’avoir opéré des «conjoin-tures» entre les mythes médiévaux et antiques: par exemple, lorsque Luke doit délivrer la princesse Leia dans le labyrinthe de l’Etoile noire où évolue Dark Vador (Thésée, Ariane et le Minotaure). C’est encore le cas lorsque, comme Œdipe, sa destinée le conduit à tuer son père contre son gré. «Au sens freudien, le parallèle fonctionne, explique Susanne Wo-kusch, aujourd’hui privat-docente à l’Ecole de français langue étran-gère et grande amatrice de science-fiction, tuer le père, symboliquement du moins, c’est devenir un homme.» Alain Corbellari suspecte aussi Lu-cas d’avoir puisé dans la mythologie

scandinave. Des personnages qui rappellent des elfes, des trolls, etc., bien sûr, mais aussi de manière plus subtile, comme dans l’épisode de la main coupée: «En duel contre son père, qui s’est révélé être Dark Va-dor, Luke se fait couper la main. Il découvre, plus tard, que Vador porte aussi les stigmates du bras tranché. Comme Týr (dieu nordique garant du droit et de la justice), qui a mis la main dans la gueule du loup Fenrir en gage de sa bonne foi pour que ce dernier se laisse attacher (Fenrir, ne pouvant se délivrer, tranche l’avant- bras de Týr). La main que l’on donne, c’est le tribut que l’on paie pour être délivré. De manière plus générale, perdre son intégrité physique est une étape de l’initiation du héros.»

Le scénario de la première trilo-gie de La Guerre des étoiles a repris le mythe de la naissance du héros, son parcours initiatique et sa lutte contre des monstres qui représentent avant tout des peurs enfouies dans l’inconscient et dont chaque individu doit pouvoir se libérer. Cette dimen-sion représente sans doute un puis-sant antirides pour la saga de Lucas.

La sortie de Star Wars, épisode VII: Le Réveil de la Force pour décembre 2015, soit 38 ans après le premier film, prouve en tous cas que les ar-chétypes mis en images par George Lucas ont trouvé leur public, sur plu-sieurs générations. DS

Été 1999, Star Wars, épisode I: La Menace fantôme débarque dans les salles. L’occasion pour Allez savoir ! de dénicher quelques-unes des sources

auxquelles cette série à grand suc-cès s’abreuve.

«Les médiévistes ont l’habitude de lire les chansons de geste avec environ 70% de motifs et de cli-chés, explique Alain Corbellari, au-jourd’hui professeur associé en Sec-tion de français. En voyant Star Wars, ce sont ces motifs qui m’ont frappé. Pour qu’un mythe soit efficace, il faut qu’il soit très simple. C’est le cas ici. On reprend des schémas d’aventure vieux comme le monde.»

Mais on retrouve aussi les mythes de l’ère moderne, comme celui de l’Homme contre la machine, alterna-tivement idéalisé et décrié au cours du XXe siècle: «Star Wars mélange un monde ultra technologique, incom-préhensible, et un monde fait de va-leurs fondamentalement humaines», souligne Alexander Schwarz, ac-tuellement professeur en Section d’allemand.

Pour illustrer la lutte entre le Bien et le Mal, Lucas a recouru à la my-thologie médiévale. «Il dit avoir voulu faire de Luke une sorte de Perceval. Mais si la référence au héros médié-val existe bel et bien, à y regarder de près, il y a confusion entre plusieurs personnages, relève Alain Corbellari.

FORCEET ATTRAPESLe septième épisode de Star Wars sortira en décembre de cette année. Il y a bien longtemps, dans un numéro lointain d’Allez savoir !, le journaliste Michel Beuret s’était intéressé aux raisons du succès de la saga de George Lucas.

C’ÉTAIT DANS ALLEZ SAVOIR !

Texte paru dans Allez savoir ! No 14, juin 1999. Archives du magazine : http ://scriptorium.bcu-lausanne.ch

L’ASTUCE NARRATIVE DE LUCAS EST SANS DOUTE D'AVOIR OPÉRÉ DES «CONJOINTURES» ENTRE LES MYTHES MÉDIÉVAUXET ANTIQUES.

LIVRES

«Qu’est-ce que la mytholo-gie ?», s’interroge Claude Calame dans un gros ouvrage publié chez Folio Essais. La réponse, on

s’en doute, n’est pas simple. Direc-teur d’études à l’Ecole des hautes études en Sciences sociales à Paris, l’anthropologue et helléniste suisse – qui a longtemps enseigné à l’Univer-sité de Lausanne – rappelle en préam-bule l’existence de multiples versions des mythes grecs «qui invitent à de constantes réinterprétations et à des puissantes recréations». Il souligne aussi que la signification du mot grec mûthos diffère profondément de celle du français moderne: elle n’a pas le sens de récit traditionnel ou fictif.

Quels termes utilisaient alors les Grecs pour désigner ces fables magni-fiques qui nous fascinent toujours autant ? Ils se référaient à la pratique poétique, explique Claude Calame,

prenant pour exemple L’Hymne homé-rique à Déméter qui évoque le rapt de Perséphone par Hadès. Raconter un mythe, précise-t-il, c’est recourir «à une forme poétique pour avoir des effets d’ordre esthétique, émotionnel, politique et moral sur un public parti-culier dans des circonstances d’énon-ciations précises».

A travers différents exemples, l’au-teur nous démontre ensuite que rien n’est plus instable, plus variable qu’un mythe grec. Le chapitre VI consacré à «Hélène, la guerre de Troie et les des-seins d’une première historiographie» se révèle particulièrement éclairant. Claude Calame nous y explique com-ment la belle Hélène, stigmatisée et jugée responsable de tous les maux dans L’Iliade, est en revanche blanchie par plusieurs écrivains, le philosophe Gorgias, le poète tragique Euripide ou l’historien Hérodote. Pour ce dernier, qui rapporte une version qu’il aurait

recueillie auprès des prêtres en Egypte, Hélène ne se serait pas ren-due à Troie, mais aurait séjourné sur les bords du Nil durant toute la guerre. Une version «orientée vers le présent, politiquement et moralement marqué par les récentes guerres médiques».

Toujours aussi savant et complexe, Claude Calame interroge ensuite le célèbre devin Tirésias et l’ardent Hip-polyte, héros victime de son amour trop exclusif pour Artémis, avant de conclure: «Dans la profusion de leurs versions sans cesse revisitées, par une plasticité qui relève d’une poétique tou-chant formes et contenus, les mythes grecs continuent à nous offrir non seu-lement des scénarios d’action, mais aussi des figures d’une extraordinaire épaisseur humaine, emportés que sont les protagonistes des mythes grecs par passions et destinées de mortelles et de mortels éphémères.»MIREILLE DESCOMBES

Dans un essai fort savant, l'anthropologue et helléniste Claude Calame démontre que la mythologie grecque n'a pas fini de nous surprendre.

LA BELLE HÉLÈNE, STIGMATISÉE ET JUGÉE RESPONSABLE DE TOUS LES MAUX DANS L'ILIADE, EST EN REVANCHE BLANCHIE PAR PLUSIEURS ÉCRIVAINS.

Hélène de Troie. Œuvre de Dante Gabriel Rossetti (1863), conservée à la Kunsthalle de Hambourg. © AKG-images

VOUS AVEZ DIT MYTHES?

QU'EST-CE QUELA MYTHOLOGIE GRECQUE? De Claude Calame.Folio Essais (2015), 732 p.

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60 Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne

UN MÉTIER DIFFICILEET SÉDUISANT

Cet ouvrage collectif est le fruit d’enquêtes de terrain menées par des sociologues et des anthropologues, en Suisse. La gros-sesse et l’accouchement y sont abordés sous différents angles. Comme par exemple la procréation médicalement assistée, la médicalisation de la maternité, les liens entre les gynécologues-obstétriciens et les sages-femmes ou encore une immersion dans un service de néonatologie. Bien qu’académiques, les ar-ticles intéresseront un large public. DS

ACCOMPAGNER LA NAISSANCE.TERRAINS SOCIO-ANTHROPOLOGIQUES EN SUISSE ROMANDE.Sous la dir. de Claudine Burton-Jeangros, Raphaël Hammer et Irene Maffi. BSN Press (2014), 203 p.

Valaisan, Jérôme Meizoz (Faculté des lettres) connaît son coin de pays. Les loups dans ces parages ont bien souvent figure humaine. De cette sorte d’hommes qui détruisent les paysages au nom de la croissance illimitée. Le romancier conte l’agression jamais élucidée subie par un jeune écolo en 1991. Des chapitres brefs font défiler des figures comme celles de Chappaz, Bourdieu ou Franz Weber. Un narrateur mi-ironique et mi-empathique s’adresse en «tu» à un personnage qui fut l’ami du garçon tabassé. Des phrases courtes pour ne pas charger encore ce réel bour-souflé par l’activité économique. NR

HAUT VAL DES LOUPS. Par Jérôme Meizoz. Zoé (2015), 123 pages.

Depuis les années 2000, et notamment sous l’influence de la réforme de Bologne, l’interdisciplinarité a pris une importance croissante dans le monde universitaire.Dans ce contexte, que sont devenues les disciplines acadé-miques «classiques»? Cet ouvrage collectif passe cette ques-tion au crible, sous quatre points de vue: la gouvernance des institutions, la recherche, les pratiques pédagogiques et le mé-tier d’enseignant-chercheur. DS

DISCIPLINES ACADÉMIQUES EN TRANSFORMATION.ENTRE INNOVATION ET RÉSISTANCE.Sous la dir. d’Adriana Gorga et Jean-Philippe Leresche.Editions des Archives contemporaines (2015), 257 p.

Concocté notamment par Yves Pigneur, professeur en HEC et Alex Osterwalder, co-fondateur de Strategyzer, cet ouvrage constitue la suite de Business Model nouvelle génération, qui s’est vendu à 1 million d’exemplaires en une trentaine de langues. Il se concentre sur la proposition de valeur et donne des outils pour réussir à créer des produits ou des services que les consomma-teurs veulent. Un livre accessible à tous, grâce à son graphisme exceptionnel, à sa clarté et à ses compléments en ligne. DS

VALUE PROPOSITION DESIGN.Par Alex Osterwalder, Yves Pigneur, Greg Bernard, Alan Smith. Wiley (2014), 290 p. La version française paraît en mai chez Pearson.

La notion de «formation la vie durant» s’arrêterait-elle d’un coup à l’âge de la retraite? Professeur honoraire à l’UNIL, Roland J. Campiche déplore le manque de reconnaissance publique des neuf «universités des seniors» que compte la Suisse, ainsi que le faible intérêt des chercheurs pour ce sujet.Pourtant, l’accroissement de l’espérance de vie ouvre des pers-pectives, à la fois pour de nouvelles formations et des péda-gogies à inventer. DS

ADULTES AÎNÉS, LES OUBLIÉS DE LA FORMATION.Roland J. Campiche et Afi Sika Kuzeawu.Antipodes (2014), 172 p.

Précaire, fluctuant, le métier de comédien n’est pas facile. Il n’en exerce pas moins un formidable pou-voir d’appel auprès des jeunes. «De l’école à la scène»

s’articule autour de cette «apparente antinomie». Réali-sée par les sociologues Valérie Rolle et Olivier Moeschler,

tous deux rattachés à l’Université de Lausanne, cette étude s’inscrit dans la mission de recherche de la Manufacture-HETSR et a été finan-cée par la Haute Ecole spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO). Se focalisant sur les quatre premières promotions issues de la Manufac-ture, soit une soixantaine d’indivi-dus, elle interroge les «conditions

structurelles, institutionnelles et individuelles d’entrée, de maintien et, le cas échéant, de sortie du métier».

Les auteurs situent leur démarche dans le champ de l’analyse sociale des professions et du travail artistiques, se référant notamment aux recherches de Nathalie Heinich et Pierre-Michel Menger. Ils rappellent que les problèmes d’insertion professionnelle ne datent pas d’aujourd’hui, mais qu’ils sont rendus plus visibles par l’exigence «d’employabi-lité» imposée aux HES (Hautes écoles spécialisées).

Les deux sociologues se sont immergés dans les rythmes et les routines de la Manufacture. Ils en évoquent la nais-sance en 2003, le choix de former une quinzaine de comé-diennes et comédiens au rythme de deux volées tous les trois ans, la reconnaissance HES différée – elle est acquise en 2010 – les exigeants critères pédagogiques de départ et les adaptations nécessaires, le passage du modèle de «théâtre école» à celui d’«école de théâtre». Comment et qui choisir ? Doit-on privilégier les fortes personnalités ou penser prio-ritairement groupe, cohésion et donc malléabilité ? Email-lant leurs propos avec les témoignages des étudiants, des trois directeurs et des administrateurs, Valérie Rolle et Oli-vier Moeschler relèvent que les étudiants sont «d’une ori-gine sociale aisée pour la grande majorité».

La fin des études et l’entrée dans la vie professionnelle s’avèrent cruciales pour les comédiens. De compagnons d’aventure artistique à la Manufacture, les voilà qui se re-trouvent concurrents et rivaux. Savoir se faire élire, savoir collaborer et se diversifier tout en gardant confiance en soi deviennent des stratégies nécessaires pour trouver des en-gagements et durer. Et plusieurs y parviennent, pour autant que l’on puisse déjà en juger. MIREILLE DESCOMBES

DE L’ÉCOLE À LA SCÈNE.De Valérie Rolle et Olivier Moeschler. Editions Antipodes (2014), 222 p.

Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne 61

62 Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne

FORMATION CONTINUE La Formation Continue UNIL-EPFLwww.formation-continue-unil-epfl.ch021 693 71 20

Depuis quelques années, les projets d’agglomérations connaissent une incroyable dynamique en Suisse. La mutation du pays, dans lequel les citadins com-posent désormais 84% de la population, se voit par-tout. Comment faire en sorte que cette valse des

grues et des pelles mécaniques ne signifie pas la fin de notre qualité de vie ?

Une des réponses réside dans le programme de forma-tion continue «Urbanisme durable». Ce Master of Advanced Studies (MAS), composé de trois modules d’un semestre cha-cun, suivi d’un mémoire de fin d’études, prépare «des profes-sionnels polyvalents, capables d’intégrer les enjeux sociaux et environnementaux à la démarche de transformation des espaces urbains», expose Antonio Da Cunha, professeur à l’Institut de géographie et durabilité et directeur du MAS, dont la troisième édition démarre cet automne.

Le chercheur relève que les villes dominent les sociétés contemporaines pour le meilleur et pour le pire. La pauvreté s’y loge au cœur même de l’abondance. Leur mode de crois-sance étalée ne cesse d’alourdir leur empreinte écologique. Elles consomment deux tiers des ressources matérielles de la planète. Les logements, les bâtiments dans lesquels nous travaillons et nos déplacements urbains constituent 60% de la facture énergétique. Mais les villes constituent aussi le passage obligé de la recherche d’avenirs de substitution. Le développement de nos sociétés ne sera durable que si nos villes deviennent plus innovatrices, plus équitables, plus belles et plus économes.

La construction d’écoquartiers exemplaires, conçus dans la perspective de la transition énergétique, se poursuit chaque jour. L’un des enjeux consiste à les relier à la ville ordinaire, qui doit être «impliquée plus fortement dans le changement», relève le professeur. Ce dernier insiste enfin sur l’importance des «démarches participatives: l’urba-nisme est l’affaire de tous, c’est-à-dire des professionnels, des élus et des habitants».

Autant dire que les étudiants du MAS, admis sur dossier, s’attaquent à des projets complexes, dont la durée dépasse celle des cycles politiques. «Ces futurs chefs d’orchestre ou “ensembliers” de l’action urbaine en suivent toutes les étapes: depuis la programmation des ouvrages urbains jusqu’à la restitution de ceux-ci aux usagers», ajoute Antonio Da Cunha.

Leurs tâches comprennent le soutien aux élus, la coordina-tion et le décloisonnement de l’action publique, l’organisation de la participation et de la communication. Il s’agit de faire émerger le récit collectif des projets en cours et de faire par-tager une nouvelle ambition pour les territoires urbanisés.»

Mélange de compétencesLes volées comprennent naturellement des géographes, des architectes et des urbanistes. Mais des ingénieurs, des politologues, des psychologues et même des anthropolo-gues ont déjà suivi le cursus. Un mélange de compétences et une interdisciplinarité qui ravissent Antonio Da Cunha. Comme de nombreux travaux de groupe figurent au pro-

Une formation continue interdisciplinaire en urbanisme durable, tournée vers la pratique et nourrie par la re-cherche académique, est consacrée aux transformations des villes dans la perspective du développement durable.

L’HUMAIN REPLACÉ AU CŒUR DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE

ANTONIO DA CUNHAProfesseur à l’Institut de géographie et durabilité et directeur du MAS «Urbanisme durable».Nicole Chuard © UNIL

Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne 63

NOUVELLE FORMATION

La rédaction de rapports, de demandes de fonds et d’ar-ticles pour des revues spécialisées prend une place impor-tante dans la vie des scientifiques. C’est également le cas dans l’industrie, et certaines start-ups . «Savoir communi-quer par écrit et en anglais, de manière efficace, est indis-pensable à de nombreuses personnes actives dans le monde de la recherche», explique Giorgio Margaritondo, professeur et directeur de la Formation continue à l’EPFL.

Fort de sa longue expérience personnelle de physicien et d’éditeur d’un journal scientifique, ce dernier propose un nouveau cursus, qui permet aux participants «d’arriver à un très bon niveau de communication, grâce à des stra-tégies et des règles simples». Le tout en quatre demi-jour-nées, durant octobre et novembre 2015.

Les journalistes et les chercheurs partagent un souci commun: comment saisir l’attention de leurs lecteurs, lessi-vés par un déluge d’informations ? Parmi les modèles, Gior-gio Margaritondo mentionne le New York Times et Ernest Hemingway: «L’essentiel du contenu doit être donné dès le début du document. Pendant le cours, nous allons beaucoup travailler sur les titres, les figures et les premières phrases.» Les erreurs les plus courantes, comme par exemple celle qui consiste à écrire son texte dans sa propre langue puis à le traduire dans celle d’Alan Turing, font partie du cursus, tourné vers la pratique.

Des exercices de réécriture sont naturellement inscrits au programme. Car «il est souvent possible d’exprimer la même idée avec deux fois moins de mots», sourit Giorgio Marga-ritondo. Une démarche qui fonctionne à travers les disci-plines. Ainsi, «des physiciens peuvent améliorer des docu-ments rédigés par des chimistes. Même si certains détails leur échappent, il reste possible de chercher le message et d’éliminer le superflu.» Le cursus comprend enfin des aspects plus stratégiques, comme la planification de l’écri-ture dans le temps et la relecture critique.

Le seul prérequis consiste en un niveau d’anglais moyen, car il ne s’agit pas d’un cours de langue. Toutefois, pour garantir que le contenu produit par les participants soit cor-rect, Ann Bless, anglophone et professionnelle expérimen-tée de la communication scientifique, intervient tout au long de la formation. Afin de garantir de bonnes interactions, le nombre de participants est limité à 12.

En 2016, deux nouvelles formations courtes (Effective Oral Presentation et Successful Research Proposals) seront proposées pour compléter Scientific Communication. De quoi travailler des compétences transversales très utiles. DS

www.formation-continue-unil-epfl.ch/scientific-communication-writing

SCIENTIFIC COMMUNICATION

gramme, «tous les talents sont mobilisés». Le professeur est d’ailleurs impressionné par la rapidité avec laquelle les par-ticipants produisent des résultats de qualité. Les novices qui cherchent avant tout à se familiariser avec les langages de l’urbanisme et de la conduite du projet ne doivent pas s’in-quiéter: les pédagogies actives et le travail de groupe en ate-lier permettent une mutualisation des connaissances dans les meilleures conditions.

La théorie et la pratique se partagent le temps de cette formation continue à égalité. «Nos étudiants sont placés dans des situations réelles de projets de commandes publiques. Il peut s’agir par exemple d’une friche à revaloriser, de jar-dins familiaux à transformer, de la création d’un nouveau quartier ou de la conception d’un vaste espace, comme par exemple, cette année, le Val-de-Ruz», détaille Antonio Da Cunha. Toutes les échelles, du très local au transfrontalier, sont traitées. Bien sûr, des visites sur le terrain et des ren-contres avec des professionnels et des responsables locaux sont organisées. Au total, le MAS mobilise plus d’une cen-taine d’intervenants, dont une large majorité de praticiens.

Trois institutions partenairesLes trois modules du cursus sont donnés sur les sites des trois institutions partenaires: les Université de Lausanne, de Genève et de Neuchâtel. Chacun d’entre eux se conclut par la présentation d’un poster réalisé en petits groupes. Plon-gés dans une situation réelle, comme par exemple l’étale-ment urbain le long du littoral neuchâtelois, ou la régénéra-tion d’une friche urbaine, les participants défendent leurs diagnostics, leurs principes stratégiques et les mesures qu’ils ont choisies, en présence d’urbanistes actifs dans les lieux concernés. «Le retour est donc immédiat», note Anto-nio Da Cunha.

Les personnes qui ne souhaitent pas suivre l’entier du cursus peuvent se lancer dans l’un des trois modules et le faire valider sous la forme d’un Certificate of Advanced Stu-dies. Pour les participants au MAS, le parcours se conclut par un mémoire personnel de fin d’études, en général d’une cinquantaine de pages. «Le but consiste à produire un docu-ment stratégique qui servira de guide dans la pratique», indique le directeur du programme. Quel genre de tra-vaux ? Par exemple, comment rendre aux piétons le centre historique de Nicosie, envahi aujourd’hui par les voitures. Les conflits entre la vie nocturne et le repos des habitants à Bellinzone. Ou encore la manière d’appliquer les principes de la durabilité dans les quartiers urbains comme dans les zones rurales.

Les cours représentent l’occasion de se constituer un réseau de contacts. Pour le renforcer, une rencontre entre alumni et professionnels est organisée chaque été. Enfin, les participants sont invités au colloque annuel de la Fédé-ration suisse des urbanistes. DS

www.formation-continue-unil-epfl.ch/urbanisme-durable-masProchaine rentrée en septembre 2015.

84 %LA PROPORTION DE SUISSES QUI HABITENT DANS UN ESPACE URBAIN.

64 Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne

RENDEZ-VOUS Toute l’actualité des événements, conférences, colloques, soutenances de thèses ou congrès organisés à l’Université de Lausanne se trouve sur www.unil.ch, rubrique mémento.

Me 20 mai

CES VOISINS INCONNUSDer Mann mit den zwei Augen de Matthias Zschokke. Un roman acerbe et brillant qui met en scène un héros moderne dans un monde vide de sens. Lecture bilingue (all/fr) par l’auteur et sa traductrice, Patricia Zurcher. Rencontre modérée parMarie Fleury Wullschleger. Lausanne.Palais de Rumine, Aula. 19h. www.bcu-lausanne.ch. 021 316 78 63

Jusqu’au ve 29 mai 

LES DÉCOMBRESDE LA FINITUDELe Cabanon accueille Tarik Hayward, lauréat de la Triennale de sculpture de l’UNIL. Il interrogera la relation du travail de l’artiste avec l’environne-ment fermé de la galerie. UNIL-Dorigny. Anthropole. Le Cabanon.Du lu au ve de 8h à 19h et sa de 10h à 17h. www.lecabanon-unil.ch

Je 28 mai 

LEÇONS INAUGURALESLes nouveaux professeurs de la Faculté de biologie et de médecine donnent des conférences ouvertes à tous. L’occasion de s’informer sur l’autisme ou les neurosciences. Autres dates: 11 et 12 juin. Lau-sanne. CHUV, Auditoire César-Roux. 17h15. www.unil.ch/fbm > Faculté > Communication > Leçons inau-gurales et symposiums

Di 31 mai 

MYSTÈRES DE L’UNILDans le cadre des Mystères de l’UNIL, l’artiste John Howe (Le Seigneur des Anneaux) et le scénariste Benoît Peeters (Les Cités obscures) donnent deux conférences, suivies d’une séance de dédicaces. Intervention des professeurs Dominique Bourg et Alain Boillat. En partenariat avec la Maison d’Ailleurs. UNIL-Sorge. Amphimax, 11h. www.unil.ch/mysteres.

Ve 29 mai 

DIES ACADEMICUSCette cérémonie annuelle ouverte au public mêle allocutions offi-cielles, remise de prix et de docto-rats honoris causa à des person-nalités, ainsi que des intermèdes musicaux proposés par l’OSUL(lire en p. 15). Un moment important de la vie de l’institution.UNIL-Amphimax. Auditoire Erna Hamburger, 10h. www.unil.ch

Di 31 mai 

FÊTE DE LA NATUREAprès un week-end de portes ou-vertes les 9 et 10 mai pour son ou-verture, la Maison de la Rivièreparticipe à la Fête de la nature.L’occasion de découvrir ce centre, grâce à des visites guidées de l’ex-position et du site. Tolochenaz.Maison de la Rivière.11h et 14h.www.maisondelariviere.ch.021 802 20 75

Dès le di 21 juin 

PORTRAIT-ROBOTCette exposition réfléchit aux rela-tions complexes se tissant entre le robot et l’être humain. Elle vous in-vite à découvrir pourquoi les por-traits esquissés par nos cousins de métal permettent à l’homme de se réinventer (lire également en p. 36). Yverdon-les-Bains. Maison d’Ailleurs. Ma-ve 14h-18h, sa-di 11h-18h.www.ailleurs.ch. 024 425 64 38

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Jusqu’au ve 31 juillet

RARISSIMASélection d’ouvrages rares et de ma-nuscrits acquis par l’institution entre 2011 et 2014. Une exposition pour découvrir la richesse de la création contemporaine dans le domaine du livre d’artiste (lire également en p. 10). Lausanne. BCUL site Riponne. 8h à 22h. www.bcu-lausanne.ch. Exposition virtuelle sur www.unil.ch/rarissima. 021 316 78 63

Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne 65

Di 30 août

LE MONDE DES POISSONSAvec un guide, partez à la décou-verte des poissons de la rivière et du lac (comme le brochet, la truite, le vairon, etc.) en les observant dans le canal et les aquariums de la Mai-son de la Rivière, inaugurée début mai 2015.Tolochenaz. Maison de la Rivière. De 14h à 16h. www.maisondelari-viere.ch. 021 802 20 75

Lu 14 septembre

C’EST LA RENTRÉE D’AUTOMNEDébut des cours pour le semestre d’automne 2015-2016. Une semaine d’accueil pour les nouveaux étu-diants est organisée du 7 au 11 sep-tembre. Les cours prennent fin le 18 décembre. Calendrier académique: www.unil.ch/central/page4804.html. 021 692 21 00

Di 21 juin 

ELINA DUNI QUARTETGrande voix de la musique actuelle, Elina Duni et son trio jazz offrent une alchimie étonnante entre des airs ins-pirés du répertoire traditionnel alba-nais et le jazz contemporain.Du folklore des Balkans sublimé par la beauté d’un timbre de voix unique. Lausanne. Palais de Rumine,Corps central. 20h. www.bcu-lausanne.ch. 021 316 78 63

En permanence

L’ÉPROUVETTEAménagée comme un vrai labora-toire de biologie, l’Eprouvette invite tous les publics (familles, enfants, associations, curieux, etc.) à se glisser dans la peau de cher cheurs pour expérimen-ter certains grands principes des sciences expérimentales et discu-ter des enjeux de la recherche.http://wp.unil.ch/media - tion   s cientifique. 021 692 20 79

MUSÉE DE GÉOLOGIEPour côtoyer des dinosaures (lire également en p. 22), voir un sque-lette de mammouth, admirer une collection fabuleuse de cristaux et tout apprendre du passé de notre région et des Alpes, une visite au Musée de géologie s’impose. Lausanne. Palais de Rumine. Ma-je 11h - 18h, ve - di 11h - 17h. www.unil.ch/mcg. 021 316 33 10

FRÉQUENCE BANANEPilotée par des étudiants de l’UNIL et de l’EPFL, la radio dif-fuse ses émissions 24h/24 et 7 jours sur 7. A retrouver sur le câble (94.55 MHz) et sur le Net.Au programme: beaucoup de musique, mais également des infos, des débats, des interviewset des chroniques. Pour ne rien rater de la vie du campus. www.frequencebanane.ch 

Du lu 29 juin au ve 28 août 

COURS D’ÉTÉPour vivre au rythme du français au cœur de l’été ! L’UNIL propose des Cours de français intensifs de 3 se-maines et de 6 semaines.Ils sont ouverts à tous les non-fran-cophones dès le niveau «Complet débutant» (âge minimum: 17 ans).Délai d’inscription: 2 juin.www.unil.ch/cvac.021 692 30 90

Me 10 juin 

LETTRES FRONTIÈRELa BCU Lausanne vous convie à par-ticiper à son club de lecture et àdécouvrir, début juin, la nouvelleSélection Lettres frontière qui réu-nit les dix meilleurs livres de Rhône-Alpes et de Suisse romande. Inscrip-tions: [email protected] 021 316 78 75/44.Lausanne. Palais de Rumine. 12h–14h.www.bcu-lausanne.ch

Je 25 et ve 26 juin 

DE L’ADMINISTRATION À LA GOUVERNANCE OLYMPIQUEUn symposium organisé à l’occasion du 100e anniversaire de la présence du CIO à Lausanne. Il est question de sport pour tous, d’antidopage, etc. UNIL-Mouline. Idheap, Aula. Participa-tion gratuite, mais inscription obliga-toire jusqu’au 30 mai, sur:www.idheap.ch/100symposium

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66 Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne

Grande, patiente, Bettina Klaus attend sagement son inter-locutrice. Mathématicienne, professeure à la Faculté des HEC, Bettina Klaus est une

spécialiste de la théorie des jeux ap-pliquée à l’économie. A ses étudiants en 3e année de bachelor, elle explique avec beaucoup d’exemples les prin-cipes fondamentaux du partage ou de l’allocation des ressources limitées. Il peut s’agir d’un gâteau (bien divi-sible) ou d’un billet de concert (bien indivisible ou impartageable).

«Nous voulons tout et c’est une équation impossible. Par exemple, payer peu d’impôts et en même temps bénéficier d’un service public partout accessible et de grande qualité», ré-sume-t-elle. Trois principes régulent les choix économiques, mais aussi politiques: l’efficacité, la justice et la motivation ou la «non-manipulabi-lité». Or, ces trois principes entrent en contradiction. Il s’agit donc de dé-terminer lesquels sont compatibles avec la situation étudiée.

Que faire avec un seul billet de concert pour deux personnes ? «Je peux leur demander leur motivation et donner ce billet au plus grand fan du musicien concerné mais alors je ne tiens pas compte des désirs ex-primés par ces deux personnes. Je peux jeter le billet à la poubelle, his-toire de ne favoriser personne, mais alors je contreviens au principe d’ef-ficacité», explique Bettina Klaus. Cela vaut pour la répartition des élèves dans les différentes écoles, l’admis-sion des étudiants à l’université, la distribution des doses d’un vac-cin, l’attribution des voix à tel parti, le partage d’un volume de travail entre plusieurs personnes qui sou-

haitent toutes travailler beaucoup, par exemple. Ou pas suffisamment pour permettre la réalisation de la tâche assignée en termes d’heures de travail.

Comment appliquer le principe de justice dans le domaine économique, se demande-t-elle. Question diffi-cile quand on sait que les humains n’agissent pas forcément d’une ma-nière rationnelle. La science écono-mique ne peut plus se passer de la psychologie. Ni des mathématiques.

La théorie des jeux étant très ré-pandue parmi les économistes et d’autres scientifiques, Bettina Klaus a très tôt noué des liens avec des col-lègues aux quatre coins du monde. Lorsque l’UNIL l’engage, elle est ap-pelée à Boston par Alvin Roth qui en-seigne alors à la Harvard Business School. Le futur Prix Nobel d’Econo-mie connaît les recherches menées par la jeune femme aux Pays-Bas (Maastricht) ou encore en Espagne

Bettina Klaus étudie d’un point de vue économique l’assignation des biens divisibles et indivisibles entre les individus. Moment de partage autour d’une table.

(Barcelone). L’UNIL attendra donc une année. Professeure ordinaire de-puis 2009, Bettina Klaus n’a jamais regretté son choix lausannois.

En HEC, elle apprécie la collabo-ration entre les membres du Dépar-tement d’économétrie et d’économie politique. Elle aime son travail et la vie en Suisse, voyage et retrouve régulièrement ses parents en Alle-magne, son pays d’origine. En ce mo-ment, elle dirige deux thèses de doc-torat et profite de ses connexions pour permettre à ses doctorants de passer un semestre à Stanford ou ailleurs. Bettina Klaus soigne ses étudiants, quitte à bousculer un peu les plus jeunes en leur proposant dès la 3e an-née de bachelor de donner son cours en anglais. Ils sont plutôt contents dans la mesure où ils devront effec-tuer leur master dans cette langue. Mais cette polyglotte répond volon-tiers aux questions en français... et en allemand. NADINE RICHON

«ON NE PEUT PAS TOUT AVOIR»

CAFÉ GOURMAND

UN GOÛT DE L’ENFANCELes biscuits et gâteaux confectionnés parune spécialiste du genre, ma mère.

UNE VILLE DE GOÛT ?Barcelone pour lejambon d’Espagneet les merveilleux tapas. J’aime aussi la cuisine impressionnanteet légère du Japon.

AVEC QUI PARTAGER UN REPAS ?Je rencontre tant de personnes intéres-santes mais elles sont éparpillées dans le monde. Je voudraisles avoir à ma table plus souvent.

BETTINA KLAUS au restaurant Le P’tit Lausannois...au centre de Lausanne.© Nicole Chuard

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MystèresL’UNIL'15

CLEF DES JOURSTrouve la

JOURSavec les chercheurs de l’Université

11 h - 17 hEntrée libreArrêt m1 : UNIL-Sorgewww.unil.ch/mysteresMAI

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