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Bulletin de correspondance hellénique Les vases à reliefs thasiens de l'époque archaïque Anne Coulié Citer ce document / Cite this document : Coulié Anne. Les vases à reliefs thasiens de l'époque archaïque. In: Bulletin de correspondance hellénique. Volume 124, livraison 1, 2000. pp. 99-160; doi : 10.3406/bch.2000.7256 http://www.persee.fr/doc/bch_0007-4217_2000_num_124_1_7256 Document généré le 19/05/2016

Vases à reliefs thasiens de l'époque archaïque

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Vases à reliefs thasiens de l'époque archaïque.

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Bulletin de correspondancehellénique

Les vases à reliefs thasiens de l'époque archaïqueAnne Coulié

Citer ce document / Cite this document :

Coulié Anne. Les vases à reliefs thasiens de l'époque archaïque. In: Bulletin de correspondance hellénique. Volume 124,

livraison 1, 2000. pp. 99-160;

doi : 10.3406/bch.2000.7256

http://www.persee.fr/doc/bch_0007-4217_2000_num_124_1_7256

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AbstractThe object of this article is to make known the body of Archaic relief vases from Thasos which weredecorated by the technique of relief modelling or by rouletting. It argues in favour of the local characterof this production, stressing the coherence of the technique, shapes and decoration, and it details thefunction of the workshop, putting it back in its local artisanal context.

περίληψηΣτόχος του άρθρου είναι να γίνει γνωστό το σύνολο των αρχαϊκών ανάγλυφων αγγείων της Θάσου, ηδιακόσμηση των οποίων έχει γίνει είτε στο χέρι είτε με τη βοήθεια κυλινδρικής σφραγίδας.Υποστηρίζεται ο τοπικός χαρακτήρας της παραγωγής των αγγείων, υπογραμμίζοντας τη συνοχήτεχνικής, σχηματολογίου και διακόσμησης, και προσδιορίζεται ο τρόπος λειτουργίας του εργαστηρίουστο πλαίσιο της γενικότερης τοπικής βιοτεχνικής παραγωγής.

RésuméL'objet de cet article est de faire connaître l'ensemble des vases à reliefs thasiens de l'époquearchaïque, décorés dans la technique du modelé ou à la roulette. Il s'agit d'argumenter le caractèrelocal de cette production, en soulignant la cohérence de la technique, des formes et des décors et depréciser le fonctionnement de l'atelier, en le replaçant dans son contexte artisanal local.

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Les vases à reliefi thasiens

de l'époque archaïque*

par Anne Coulié

À François Salviat

Introduction

La catégorie des vases à reliefs confirme la vitalité et l'ambition de l'artisanat thasien à l'époque archaïque. La technique du relief modelé, de tradition cycladique, va inspirer les premières productions de la colonie parienne, comme en témoignent les trépieds publiés par E. Haspels1. Très vite, cependant, la technique devient celle de l'estampage à la roulette. Si cette pratique est attestée presque partout dans le monde grec, l'originalité de Thasos consiste à ne pas la cantonner à des décors secondaires. Les roulettes thasiennes innovent par la richesse de l'iconographie, dominée par des scènes mythologiques, et par la qualité de leur exécution2. Pour mieux

* Je remercie E. Simantoni-Boumia et M.-F. Billot pour leur lecture et leurs conseils ; C. Miggelbrink pour son aide précieuse au musée de Thasos. Le dossier graphique a été réalisé par N. Sigalas ; la numérisation des images par Ph. Collet. Les clichés proviennent tous de l'EFA: Ph. Collet pour les fig. 1, 3, 15, 19-22, 24, 31, 33-34, 36-47, 49, 52 et 53 ; E. Séraf pour les fig. 3 (détail), 4, 11-14, 16 et 29 ; J.-J. Maffre pour les fig. 7, 9, 10, 23, 25 ; 0. Picard pour les fig. 16 (détail) et 30 ; F. Salviat pour la fig. 27 ; A. Coulié pour la fig. 28.

Abréviations bibliographiques : ÉtThas XIX = A. Coulié, Les céramiques thasiennes à figures

noires (à paraître). Kerschner 1996 = M. Kerschner, « Perirrhanterien und Bec-

ken », Alt-Àgina II, 4 (1996). Miller 1987 = S. Miller «Archaic Relief Ware from the Nemea

Area » in Φίλια "Επη, Mélanges G. Mylonas II (1987), p. 266- 284.

Picard 1941 = Ch. Picard, « Une cimaise thasienne archaïque», MonPiot 38 (1941), p. 55-92.

Schàfer 1957 = J. SchÂfer, Studien zu den griechischen Relief- pithoi des 8.-€. Jahrhunderts aus Kreta, Rhodos, Tenos und Boiotien (1957).

Simantoni-Bournia 1990 = E. SiMANTONi-BouRNiA, Ανασκαφές Νάξου : οι ανάγλυφοι πίθοι (1990).

Simantoni-Bournia 1992 = Ε. Simantoni-Bournia, La céramique à reliefs au musée de Chios (1992).

Simantoni-Bournia 1999 = E. Simantoni-Bournia « H ανάγλυφη κεραμεική στα παράλια του Βόρειου Αιγαίου», in Αρχαία Μακεδονία VI: Στη μνήμη της Ι. Βοκοτοπού- λου, 6ο Διεθνές Συμπόσιο, Θεσσαλονίκη, 15-19 Οκτ. 1996, t. 2 (1999), ρ. 1011-1029.

Weinberg 1954 = S. Weinberg, « Corinthian Relief Ware : Pre- Hellenistic Period», Hesperia 23 (1954), p. 109-137.

1 E. Haspels, « Trépieds archaïques de Thasos », BCH 70 (1946), p. 233-237, fig. XXII. 2 Simantoni-Bournia 1999, p. 1019.

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mesurer la contribution de Thasos à la production des vases à reliefs, il convient de retracer rapidement l'histoire de l'estampage à la roulette.

Née à la fin du IVe millénaire, au Proche-Orient, sous la forme du sceau-cylindre, l'impression à la roulette devient courante au IIIe millénaire3 et se répand, au IIe millénaire, en Grèce. Après une éclipse presque totale à l'époque géométrique4, elle réapparaît au tournant des VIIIe et VIIe siècles en Crète, à Rhodes5, puis, au cours du VIIe siècle, à Corinthe, en Grande Grèce6 et peut-être en Attique7, probablement sous l'impulsion de modèles orientaux8. L'histoire du développement de cette technique à l'époque archaïque souligne l'existence de particularismes régionaux. Bien que le procédé soit connu de presque tous les ateliers de vases à reliefs au VIe siècle, on constate que son importance est très inégale dans l'espace et dans le temps.

Dans les Cyclades, en Béotie, en Crète et en Laconie, l'existence d'une grande tradition de décors à reliefs modelés à la main ou exécutés au moule explique le faible succès de la technique de l'estampage à la roulette : à Naxos, elle se cantonne aux décors secondaires simples comme la tresse9 ; à Tinos10, à Paros et à Siphnos11, des frises figurées estampées à la roulette existent, mais elles sont rares et souvent récentes, presque toujours postérieures au milieu du VIe siècle. En Crète, l'ancienneté des premières roulettes12, représentant des courses de cavaliers et des « chasses aux lièvres » en biges, ne doit pas cacher l'isolement de cette technique face à l'usage très populaire du moule qui perdure en plein VIe siècle. À Athènes, le procédé de la roulette, surtout utilisé pour des décors floraux, a fourni quelques scènes figurées, datées de la fin du VIIe siècle ou du début du VIe siècle jusqu'au début du Ve siècle, et dont E. Simantoni-Bour- nia a fait le recensement13 : deux chars (avec une superposition entre les deux) vers la droite conduits par des cochers, suivis d'un hoplite à pied ; une scène de comastes, flanquée de godrons ;

3 A. Furtwângler, Die antiken Gemen III (1900), p. 4. 11 Sur Siphnos, cf. J. K. Brock « Excavations in Siphnos », ABSA 4 Un vase de Milet, trouvé avec de la céramique mycénienne 44 (1949), p. 55-58, pi. 20, 1 et 2. La roulette la plus ancienne et géométrique, n'est pas un exemple sûr. Cf. P. Hommel, « Die (p. 56, n° 14, pi. 20, 2), datée de la première moitié du VIe s., Ausgrabung beim Athena-Tempel in Milet 1957 », MDAI(I) 9-10 présente des mules vers la droite évoluant sur un fond orné de (1959-1960), p. 56, pi. 56; cité par J. Boardman, Island Gems. motifs de remplissage. La plus récente (p. 57, n° 15, pi. 20, A Study of Greek Seals in the Geometric and Early Archaic Per- 1) présente une chasse aux lièvres par des cavaliers, datée de iods (1963), p. 162, n. 4 : «A very early example of the use la fin de l'archaïsme ; cité par SiMANTONhBouRNiA 1999, p. 1019, may be the fragment from Miletus, found below an early dans une note (n. 41) qui recense tous les bandeaux à reliefs seventh-century house. » On constate que la hauteur du ban- estampés à la roulette, au VIe s., dans les Cyclades. deau figuré, 9 cm, est plus importante que sur les premières 12 L. Pernier, «Templi arcaici sulla Patela di Prinias. Contri- attestations sûres de roulettes. buto allô studio deM'arte dedalica», ASM I (1914), p. 93, 5 SlMANTONl-BOURNIA 1999, p. 1016. fig. 47, p. 67, fig. 36, p. 70, fig. 39 ; SCHÂFFER 1957, p. 12, 6 Le périrrhantérion de l'Incoronata présente deux frises exé- 3, p. 15 et p. 20: l'exemplaire le plus récent est daté vers cutées à la roulette : une frise décorative de spirales entre les 630 ; le plus ancien semble antérieur au milieu du VIIe s. bandeaux horizontaux et une frise animalière de lions et de pan- 13 F. COURBY, Les vases grecs à reliefs (1922), p. 87, fig. 18 ; thères, estampée sur le bord, cf. M. Mertens-Horn, «Die archai- M. S. Brouskari, Musée de l'Acropole. Catalogue descriptif schen Baufriese aus Metapont», MDAI(R) 99 (1992), p. 16. (1974), p. 84-85, n° 68, pi. 154-155, présente quatre frag- 7 Simantoni-Bournia 1999, p. 1017, n. 31. ments de pithoi à reliefs qui constituent trois frises différentes : 8 Schàfer 1957, p. 92-93. quadriges, biges et comastes ; sur le bassin au Pégase, cf. 9 Simantoni-Bournia 1990, p. 47, évoque la rareté des décors A. Helsen, « A Relief-Decorated Basin », Thorikos VII (1970- exécutés à la roulette. Attestés seulement au VIe s., ils se limi- 1971), p. 155-171; cités par Simantoni-Bournia 1999, tent aux motifs ornementaux, non figurés. p. 1017, n. 31, qui date respectivement ces quatre scènes 10 Simantoni-Bournia 1999, p. 1017. du début du vie s. (voire de la fin du vne s., selon la datation

de M. S. Brouscari), du second quart du VIe, de la fin du VIe et du début du Ve s.

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une file de biges vers la gauche au scorpion ; des cavaliers ; Pégase, la chimère et une chasse au lièvre. Les pratiques de la Grèce de l'Est, notamment de Chios, conduisent au même constat : les frises florales14 sont privilégiées au détriment des frises figurées. Rhodes, enfin, où le procédé est bien connu, n'a pas donné naissance à une grande tradition iconographique : les thèmes figurés représentés au VIe siècle se réduisent à la centauromachie et aux courses de chars15.

Sur cette toile de fond, Corinthe se détache comme la terre d'élection de l'estampage à la roulette. On recense, outre les frises florales16 et animalières17, une dizaine de scènes à figures humaines s' étalant du milieu du VIIe siècle à la seconde moitié du VIe18. Parmi les scènes mythologiques, la plus ancienne est une centauromachie exécutée dans un relief très plat19. Au VIe siècle apparaissent d'autres thèmes : Persée et les Gorgones20, Thésée et le minotaure21, le jugement de Paris22 et un chœur de satyres et de ménades23. À cela s'ajoutent une chasse aux lions du milieu du VIIe siècle24, la représentation d'un doryphore et d'une péplophore, parfois interprétés comme un départ d'Amphiaraos et datant du début du VIe siècle, des courses de quadriges, assistées d'une Niké, sur un périrrhantérion du deuxième quart du VIe siècle25, des couples erotiques du troisième quart du siècle et une scène fragmentaire de la seconde moitié du VIe siècle, avec deux chevaux galopant, dont un, au moins, monté par un cavalier26.

Sans être de technique corinthienne, certaines productions témoignent du rayonnement de Corinthe sur des ateliers voisins. Des pithoi fragmentaires, trouvés à Némée et à Cléonai, présentent, l'un, un combat singulier entre un hoplite et un cavalier, daté de la seconde moitié du VIIe siècle, l'autre, deux bovins vers la gauche, appartenant peut-être à une scène mythologique, datable de la première moitié du VIe siècle27. Le lébès de Babès, près d'Olympie, daté du VIIe siècle, se rattache, avec son défilé de cavaliers vers la gauche, au même milieu stylistique28. C'est encore Corinthe qui pourrait être à l'origine de la vogue des vases à reliefs estampés à la roulette en Sicile et en Grande Grèce. Née vers 630, comme l'indique le périrrhantérion de l'In- coronata, cette tradition s'affirme au début du VIe siècle et demeure vivace jusqu'au Ve29. Elle se diffuse des milieux grecs en Étrurie.

14 SlMANTONI-BOURNIA 1992, pi. 12, 22 et pi. 8, 15. 22 KERSCHNER 1996, p. 74, cite V. G. KALLIPOLITIS « Reliefs 15 F. COURBY, op. cit. (supra, n. 13), p. 59, fig. 13; D. FEYTMANS, archaïques en terre cuite au musée de Corfou », RA 1968, « Les pithoi à reliefs de l'île de Rhodes », BCH 74 (1950), p. 25-34, fig. 1-3. p. 161-162. 23 SlMANTONI-BOURNIA 1999, p. 1019, n. 40. 16 SlMANTONI-BOURNIA 1992, pi. 5, 8, vers 530-520 (palmettes 24 SlMANTONI-BOURNIA 1999, p. 1018, n. 40, qui cite l'es- alternées reliées par des rinceaux) ; Miller 1987, pi. 50b et c. sentiel des vases suivants. 17 Simantoni-Bournia 1999, p. 1018, n. 40, qui recense éga- 25 Weinberg 1954, p. 118 ; M. lozzo, « Corinthian Basins on lement les scènes à figures humaines. High Stands », Hesperia 56 (1987), p. 411, pi. 82, 123-124. 18 Weinberg 1954, pi. 26. 26 Miller 1987, p. 271, 6, pi. 5lc. 19 WEINBERG 1954, p. 117, 137. 27 Miller 1987, p. 271, pi. 51a et b et pi. 52. 20 S. Hersom, «A Fragment of an Archaic Vessel with Stam- 28 Kerschner 1996, p. 76, pi. 19, 4. ped Decoration », Hesperia 21 (1952), p. 275-278, cité par 29 KERSCHNER 1996, p. 79-86 ; P. MARCONI, Agrigento (1929), Weinberg 1954, p. 118. La roulette est datée du second quart p. 201-209 : parmi les thèmes figurés, on recense divers types du VIe s. de courses de quadriges (avec des chevaux ailés ou flanqués 21 Miller 1987, p. 270, pi. 50a, cite la publication de S. d'une Niké ailée et de colonnes), des courses de cavaliers, G. Miller, « Excavations at Nemea 1983 », Hesperia 83 (1984), séparés ou non par des sphinx, des centauromachies, un pi. 41e. La roulette est datée de la première moitié du VIe s. cômos... Pour Sélinonte, voir un profil complet dans Weinberg

1954, p. 119 et pi. 27c.

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Ce tour d'horizon permet de mieux situer l'apport original de Thasos. Premier centre producteur de vases estampés à la roulette connu à ce jour en Grèce du Nord, Thasos, au VIe siècle, occuperait, derrière Corinthe, le second rang30. Ce constat pose d'emblée la question de l'origine de cette pratique. Si la grande tradition cycladique a donné l'impulsion aux premiers vases à reliefs thasiens exécutés dans la technique du modelé, comment s'explique le succès de la roulette, qui ne doit rien à la métropole de Paros ?

L'objet de cet article est triple. Il s'agit de faire connaître l'ensemble de la production tha- sienne à reliefs de l'époque archaïque : quatre vases ou supports décorés dans l'ancienne technique du modelé et, dans la nouvelle, vingt-sept autres et une larnax, qui permettent de restituer douze roulettes. Sur les huit exemplaires à figures humaines ou mythologiques, six sont entièrement reconstitués. Il s'agit aussi d'argumenter le caractère local de la production estampée en soulignant la cohérence de la technique, des formes et des décors, et de préciser le fonctionnement de l'atelier, replacé dans un contexte artisanal thasien qui en éclaire les conditions d'émergence.

Le corpus des vases à reliefs est présenté différemment selon la technique employée. L'ancienne technique du modelé organise le catalogue en fonction des vases : à un vase unique correspond un décor, également unique. En revanche, l'utilisation d'un estampage mécanique invite à réfléchir sur les roulettes qui ont pu décorer plusieurs vases. La présentation des vases sera dès lors articulée à celle des frises estampées. Tout en mettant l'accent sur le caractère le plus spectaculaire des productions thasiennes, l'analyse du décor est une étape préliminaire à une réflexion sur la technique.

/. Catalogue

A. L'ancienne technique du dessin modelé

La technique des figures modelées en faible relief et soulignées d'une incision de contour est ancienne. Elle se situe dans la tradition des grandes créations des VIIIe et VIIe siècles, en Crète, dans les Cyclades et en Béotie.

1. Le vase à l'Hermès. 2320 π, de l'Athénaion. Deux fragments figurés d'un vase fermé. Le fragment supérieur permet de restituer une paroi bien verticale, le fragment inférieur montre le resserrement du vase vers le pied. Pithos. Ép. : 2-2,2 cm. Ht. du fragment au pied : 9,3 cm ; au bras : 5,4 cm. Il s'agit d'un vase de grande proportion (fig. 1).

Sur le premier fragment (fig. 1A), le reste d'un buste et d'un bras plié au coude d'un personnage qui se dirige vers la droite. Il porte un vêtement à manches courtes. Sous son avant-bras, une inci-

30 SlMANTONI-BOURNIA 1999, p. 1018.

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Flg. 1. N° 1.

sion note la taille, une autre, le départ de la hanche. Une troisième, oblique, qui finit par se confondre avec la cassure, reste inexpliquée.

L'autre fragment (fig. IB), plus grand que le précédent, présente la jambe d'un personnage en marche. Il est chaussé de bottes montantes qui se terminent en dents de scie. À la hauteur de la cheville, la botte est striée d'incisions horizontales qui recouvrent jusqu'au cou-de-pied. Au-dessus du talon, une incision oblique pourrait noter le départ d'une aile dont le retour courbe derrière le mollet correspondrait à la terminaison supérieure. Le personnage serait alors Hermès. À la hauteur du mollet, une ligne incisée verticale note un muscle. Le pied repose sur une ligne de sol en relief.

Chronologie. C'est la céramique peinte locale qui fournit des parallèles décisifs. Sur le col d'une grande amphore-cratère (fig. 2)31, Hermès, maître des animaux, est chaussé de bottes identiques à celles du vase à reliefs. On retrouve l'échancrure au sommet, les filets horizontaux (quatre au lieu de trois sur le relief) sur la cheville qui se poursuivent sur l'avant du cou-de- pied. Un plat fragmentaire (2077 π) présentant une scène de rencontre entre un homme et une femme montre la popularité de ce type de chaussure masculine à Thasos à la fin du VIIe siècle32.

Fig. 2. Amphore-cratère à l'Hermès.

Pourrait appartenir au même vase : 7662 π, de l'Athénaion. Pithos. Les épaisseurs, la couleur de l'argile et la pellicule grise en

surface sont similaires à celles des fragments précédents. Vingt-deux fragments d'épaule, collés par groupes de trois (deux fois), de cinq et de deux (deux fois). Huit d'entre eux, les mieux conservés, présentent la même surface blanchâtre, disparue sur l'essentiel des fragments plus erodes. Diam. de l'ordre de 60 cm. Ht. max. : 16,8 cm. Ép. : 2 cm environ. L'argile, de couleur rouille, est bourrée d'impuretés : marbre, mica argenté, sable (fig. 3).

31 3928 π, trouvé au champ Valma, dans le remblai Sud, BCH 90 (1966), p. 952, fig. 15.

32 Ph. Zapheiropoulou, « La céramique mélienne : origine et provenance », in Les Cyclades. Matériaux pour une étude de géographie historique, Table ronde réunie à l'Université de Dijon les 11, 12 et 13 mars 1982 (1985), p. 181, fig. 7.

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Échelle 1/4

FIg. 3. N° 1.

La partie conservée correspond à l'épaule, très évasée. Trois zones décorées se succèdent : — Une chaînette à trois brins, avec deux rangées d'yeux aux intervalles, orne un bandeau

rapporté de 3, 1 cm de large, en relief par rapport à la frise florale. L'analyse des différents motifs permet de décomposer les gestes de l'artisan. Les cercles, tracés en premier à l'aide d'un outil, guidaient le dessin des brins. L'irrégularité de ces derniers s'explique par le fait qu'ils n'étaient pas tracés en continu mais que le travail était décomposé en gestes répétitifs : les traits parallèles, puis les courbes, selon une progression de l'artisan vers la droite.

— Une frise florale, composée de fleurs de lotus pointant alternativement vers le haut et vers le bas. Ht. de la frise florale : 5,5 cm. Nombre de fleurs restituées : au moins quatorze. La terre n'est pas épurée : il reste un gros fragment de marbre sous une tige, ce qui a dû gêner l'application du motif modelé. Des incisions préparatoires sont bien visibles sous les tiges très souvent disparues et à la place des boutons centraux. Une réparation antique n'est visible que de l'intérieur.

— La troisième zone décorative est formée d'une seconde bande d'argile rapportée qui forme une projection de section triangulaire sous la frise florale. L'argile mieux épurée se distingue du reste de la tranche à laquelle elle a été collée. On remarque des traces de pression et de lissage de part et d'autre, sur la frise florale et sous les godrons. Les godrons ont été incisés à main levée, d'où l'irrégularité entre l'écartement des traits. La main n'est pas toujours sûre. La languette centrale était tracée la première et guidait le feston qui reprenait son contour. Là encore, on reconstitue une progression de gauche à droite.

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Chronologie. La tresse pointée, les frises de lotus comme les godrons sont des motifs qui se rencontrent sur la céramique peinte locale au VIIe comme au début du VIe siècle. C'est donc l'appartenance très probable au vase précédent qui invite à dater ces frises décoratives de la fin du VIIe siècle.

2. 3995 π, du champ Valma, remblai Sud. Fragment de pithos. Ép. : 2,3 cm. Larg. max. : 9,5 cm. Argile de couleur thasienne. Aucune trace d'incisions destinées à guider la pose n'est visible (fig. 4).

Fleurs de lotus. Le calice est barré de trois traits plats en faible relief et décoré d'un point.

Chronologie. La forme épanouie du lotus se retrouve sur des céramiques orientalisantes du VIIe siècle33. Fig. 4. N° 2.

3. 17874. Trépied, d'un habitat archaïque sous l'Odéon. Ht. : 27 cm. Diam. : 36 cm. Ép. : 2-2,2 cm. L'argile contient beaucoup de marbre, de gypse et de micas (fig. 5). Ε. HAS- PELS, « Trépieds archaïques de Thasos », BCH 70 (1946), p. 232-235, pi. X, XI, XII.

Reste de « trois panneaux pleins, décorés chacun en relief d'une figure monstrueuse, séparés l'un de l'autre par un trépied ajouré, et couronnés par un rebord dans lequel devait s'insérer la cuve du vase auquel notre objet servait de pied»34. De chaque côté de la colonnette centrale, les espaces ajourés sont découpés en oblique de façon à épouser la cuve des trépieds. La largeur des évidements n'est pas du tout régulière : elle varie d'un trépied à l'autre de 1,5 à 2 cm. On remarque les mêmes approximations entre les épaisseurs des colonnettes (1,7 à 2 cm) et entre le diamètre des orifices des anses (2,8 à 3,35 cm). Les animaux fantastiques représentés sont le sphinx, le triton et l'hippocampe. Chaque relief est souligné par un trait de contour, tracé à main levée et d'une main très sûre. Des traces de vernis rouge vermillon sur le listel bien lissé, à la partie inférieure du rebord en ressaut, et de vernis plus foncé, couleur lie-de-vin, au-dessus de la queue du triton, sur le fond du vase et dans des incisions de la nageoire. L'ensemble du vase devait en être recouvert.

Chronologie. L'ancienne datation à la fin du VIIe siècle a été descendue par E. Simantoni-Bour- nia au premier quart du VIe siècle35. E. Haspels avait d'ailleurs, dans les dernières lignes de son article, esquissé une comparaison avec la tête Wix, une œuvre locale datée des années 570-56036. Face aux

Fig. S. N° 3.

33 Voir par exemple F. Salviat, « Plats creux insulaires à décor orientalisant à Thasos », ibid., p. 205, fig. 5 et 6. 34 E. Haspels, toc. cit. (supra, n. 1), p. 233.

35 SlMANTONI-BOURNIA 1999, p. 1015. 36 B. Holtzmann, « Une sphinge archaïque de Thasos », BCH 115 (1991), p. 165.

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parallèles « méliens » invoqués par E. Haspels, E. Simantoni-Bournia souligne le caractère local des représentations : le choix de l'hippocampe et du Triton, inconnus dans les Cyclades, peut s'expliquer par l'influence de l'Ionie du Nord, qui tempère les modèles de la métropole. Il convient toutefois de noter que ces animaux fantastiques restent originaux et isolés dans le répertoire orientalisant local. L'hippocampe n'est peut-être pas inconnu à haute époque s'il se cache derrière un fragment de cheval ailé, motif abondamment représenté à Thasos au VIIe siècle. Le premier Triton thasien répertorié apparaît dans la céramique à figures noires vers 550. En revanche, les sphinx de la céramique peinte locale, mieux connus aujourd'hui qu'à l'époque d'E. Haspels, invitent à réviser vers le bas la datation des trépieds. Le cratère de Cavala, invoqué comme parallèle par E. Simantoni-Bournia, a été attribué à un peintre chiote, actif dans un atelier thasien au début du VIe siècle. Le griffon du trépied suivant confirme la justesse de l'analyse et invite à dater les supports au premier quart du siècle.

4. 17874a. Trépied, d'un habitat archaïque sous l'Odéon. Ht. : 24 cm. Ép. : 1,8-2 cm (fig. 6). E. HASPELS, loc. cit., p. 235-236, pi. Xla.

De ce trépied fragmentaire, il ne reste que l'amorce de deux panneaux qui conservent, l'un, la queue d'un sanglier (fig. 6A), l'autre, l'avant-train d'un griffon (fig. 6B). Un troisième fragment, non illustré, mais décrit par E. Haspels comme pouvant appartenir au même support, présente la « queue serpentine incisée de petits traits d'un animal indéterminé ». Reste d'une trace rouge vermillon sous le ventre du griffon et d'une autre rouge sombre à l'intérieur d'une anse de trépied. Cela confirme que le vernis rouge était passé sur l'ensemble du vase.

La popularité du griffon dans la céramique peinte locale du premier quart du VIe siècle est désormais bien attestée. On retrouve, dans la phase au trait des deux premiers peintres de l'atelier thasien à figures noires, l'appendice en forme de boule au-dessus de l'œil, en avant de l'oreille, ainsi que la spirale partant du haut du crâne chez l'un d'entre eux37. Le sanglier est également très à la mode dans la carrière de ces deux peintres. La révision chronologique a l'intérêt de supprimer le hiatus entre la production modelée, de technique cycladique, et celle exécutée à la roulette.

Fig. 6. N° 4.

37 ÉtThas XIX, pi. VIII, 14 et VII, 6 ; XII, 65.

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B. Les roulettes

5. Le satyre et les danseuses (fig. 32)

C'est la plus ancienne roulette thasienne connue. Ht. : 4,2 cm. Développement : 1 1,2 cm. Le développement comprend un filet en relief qui sert de cadre inférieur et supérieur à la

frise figurée, comme l'indique l'empiétement des têtes et des pieds. La scène représente un satyre ithyphallique à gauche, et quatre danseuses. Celle qui mène la ronde se retourne vers ses compagnes dans un geste qui clôt la composition. La ligne verticale formée par le bras droit et la queue du satyre, les ornements de remplissage qui le flanquent, contribuent à l'isoler d'une scène où il fait figure d'intrus. Ces effets de césure éclairent le sens de l'image. Plutôt que d'un cômos bacchique, il s'agirait d'un chœur de femmes surprises par un satyre. Tout dans l'attitude de ce dernier insiste sur la notion d'instantané : le geste expressif des bras, l'équilibre fragile du corps sur les sabots courts, la souplesse des jambes pliées, l'élasticité de la pose, soulignée par le jeu de courbes inverses entre les fesses pointant vers l'arrière et le torse bombé. La tension du corps est encore soulignée par le sexe dressé. Les danseuses se tiennent par le poignet. Celle qui mène la ronde tient un bouton de lotus. La particularité la plus notable est la présence du singe, accroupi, la main sous le menton, entre les deux premières danseuses. Les ornements de remplissage sont nombreux et variés. Deux motifs rares font penser à des cactus. L'ornement le plus imposant, une étoile à quatorze branches, dont certaines se terminent en pointe, se retrouve approximativement sur des vases peints locaux, notamment sous les pieds de lékanai, datées de la fin du premier quart du VIe siècle38. Le remplissage de files de points apparaît à la même époque, vers 570, sur un plat en pseudo-figures noires, avant de devenir courant à partir du deuxième quart du siècle39. Les rosettes feuillues sont banales dans la céramique thasienne à figures noires du deuxième quart du VIe siècle. La datation proposée par E. Simantoni-Bournia, 575-550, peut-être 570- 56040, tient compte du parallèle iconographique que fournit un fragment chiote à reliefs, réalisé dans la technique du modelé. La représentation des sabots du satyre, un élément grec de l'Est, conforterait le rapprochement. Le contexte artisanal local conduirait à privilégier la datation haute. La densité et la variété des ornements de remplissage, qui disparaissent de la céramique peinte thasienne au cours du deuxième quart du siècle pour ne laisser place qu'aux rosettes à figures noires, constituent un premier argument pour situer la plus ancienne roulette connue à Thasos haut dans le deuxième quart du siècle. De plus, un plat local à figures noires41, l'un des premiers exécutés dans la nouvelle technique picturale par un peintre chiote émigré à Thasos, offre un parallèle stylistique précis au satyre en la personne d'un comaste fessu et ventru, dont la silhouette élastique est étonnamment proche. Vers 570.

38 Ibid., pi. XI, 38, 63 ; pi. XVIII, 115. 41 BCH 105 (1981), p. 944, fig. 27 ; A. LEMOS, Archaic Pot- 39 Ibid., pi. X, 29. tery of Chios (1991), pi. 237 ; ÊtThas XIX, pi. Ill, 99. 40 Simantoni-Bournia 1992, p. 48.

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Échelle 1/4

Flg. 7. N° 5a.

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La roulette a décoré au moins deux vases différents :

5a. 7884 π42, 72/3818, d'un habitat, au terrain Yannopoulos. Quatre fragments de pithos. L'argile est bourrée d'inclusions (gravier, gros grains de marbre, chamotte, mica). Diam. de l'embouchure : 54 cm. La cuisson est imparfaite, puisqu'une bande noire est bien visible dans la tranche. Un vernis rouge a été passé sur la partie verticale du col et sur l'épaule, depuis sa naissance jusqu'à la frise figurée. Sur le plat du bord, un encastrement a été aménagé pour recevoir un couvercle, cuit en même temps que le vase, comme l'indique la différence nette de la couleur de l'argile entre la partie couverte et celle qui ne l'était pas. Sur le col, on voit la trace d'arrachement d'une anse. La moulure sur l'épaule, comme la frise figurée attenante, servaient à consolider le raccord du col et de la panse. Le travail n'est pas toujours soigné ; des bavures n'ont été ni effacées, ni lissées (fig. 7).

La frise figurée se situe sur l'épaule. Le grand fragment (fig. 7A) a conservé, en entier, la partie supérieure de la frise, comme le montre la répétition du bouton de lotus, tenu par la seule femme tournée vers la gauche. Le second fragment (fig. 7B) permet de reconstituer la partie inférieure. Sous le bouton de lotus et les bras plies au coude des femmes, un singe. Le dernier fragment (fig. 7C) est le point de raccord. L'artisan progressait vers la gauche et a détruit, à son point d'arrivée, la partie droite du grand motif floral. Le chevauchement se trahit par le dédoublement des filets supérieurs : la roulette à l'arrivée plonge et se superpose au premier tracé. Du point de départ, il ne reste que la main droite de la dernière femme, dont la roulette, en fin de parcours, a imprimé le pied gauche, le devant de la robe, l'ébauche du profil, réduit à la ligne du front et du nez. Le raccord est approximatif puisque le personnage féminin est télescopé, comme l'indique le rapprochement entre le motif floral en forme de croix et le point de remplissage. La fin du tracé a entraîné une autre anomalie : la femme la précédant à droite a une chevelure deux fois plus large. La roulette freinée en fin de parcours, en plongeant, a dû glisser et fausser les proportions.

Du point de vue de la fonction du vase, la présence de la pellicule imperméabilisante suggère que le pithos contenait un liquide. Une scène dionysiaque serait bien adaptée à un pithos à vin.

5b. 120 π, provenance inconnue. Fragment de pithos, de support ou de réchaud ? On a là une des rares attestations de traces de feu à l'intérieur d'un vase. Ép. : 1,5 cm (fig. 8). PICARD 1941, p. 68, fig. 8.

Entre la deuxième et la troisième femme, on reconnaît la courbe de points, l'élément floral monté sur tige. Ce fragment ne donne aucun détail supplémentaire, mais la comparaison avec les précédents permet de corriger l'interprétation de la publication de 1941, selon laquelle « on voit encore un cortège de génies à têtes d'animaux — peut-être des processionnaires masqués — transportant des vases à libation, de style crétois préhellénique ».

Flg. 8. N° 5b.

42 Les premiers numéros sont des numéros de musée. Ils sont parfois suivis d'un numéro de fouilles.

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6. Le départ d'Amphiaraos (fig. 32)

Ht. : 4,3 cm. Un filet fin borde la partie supérieure et inférieure de la frise et appartient à la roulette. Développement : 17,8 cm.

Du point de vue de la composition, l'organisation la plus satisfaisante de la séquence revient à disposer les personnages de part et d'autre d'Amphiaraos vers qui convergent les regards. Aucun personnage n'est nommé, mais les vases peints inscrits, corinthiens et attiques, ainsi que la description par Pausanias du mythe, illustré sur le coffre de Cypsélos, permettent d'identifier la plupart des personnages. À droite, Éryphile, au vêtement finement plissé, est bien reconnais- sable à son collier. Elle est précédée du petit Alcmaion et de la nourrice Ainippè, qui porte dans ses bras le bébé Amphilochos. Son père Amphiaraos, avant de monter sur son char, se retourne vers lui et lui prend la main. Il porte un casque corinthien, une cuirasse qui finit par deux appendices obliques (impliquant la présence d'un chitoniskos) et il est armé de la lance. Le quadrige est conduit par le cocher Bâton, à la longue chevelure, qui tient deux rênes dans chaque main ainsi qu'un fouet à deux lanières dans la main droite. À gauche, trois pleureuses debout portent leurs mains à la tête en signe de deuil. Elles sont vêtues du péplos dont la partie inférieure est finement plissée. Celle de gauche semble tenir une bandelette raide ou un rameau, dont deux pointes dépassent de son coude. Entre deux d'entre elles, un trépied est posé sur une base. Un vieillard, assis sur un coussin ou un siège bas, porte sa main gauche à son front dans un geste qui orchestre celui des femmes. Il est vêtu d'un manteau, tient dans sa main droite un bâton qui souligne son âge, au même titre que sa calvitie. Il porte la barbe, sa chevelure descend sur la nuque. Les traits de son visage sont accusés. Sa bouche, largement ouverte, proférant un cri, est le détail où culmine l'angoisse de la scène. D'après les parallèles corinthiens et attiques43, il ne s'agit pas d'Oiklès, le père d'Amphiaraos, représenté comme un vieillard debout, à l'arrière plan, derrière les chevaux. Souvent interprété comme un devin44, ce personnage est parfois désigné par un nom qui varie entre la tradition corinthienne, Halimédès, et la tradition attique45.

Les modèles corinthiens ont été analysés par E. Simantoni-Bournia : le coffre de Cypsélos, décrit par Pausanias (V 17, 7-8), et le cratère corinthien du second quart du VIe siècle, qui donnent les noms46. On constate le style corinthianisant des chevaux thasiens, avec le rendu des têtes, plus fines et courtes que sur les roulettes suivantes, avec leur crinière en flammèche, atypique à Thasos au VIe siècle. Les pattes particulièrement hautes donnent à ces chevaux une élégance cycladique. E. Simantoni-Bournia relevait aussi des emprunts à la Grèce de l'Est (l'orientation de la scène vers la gauche, la crinière en flammèches, la roue à huit rayons) et des différences

43 J. Kluiver, «The Five Later "Tyrrhenian" Painters » BABesch Tainia, Mélanges R. Hampe (1980), p. 108-109, fig. 25, 1 : 71 (1996), p. 45, fig. 17. les cinq lettres d'une inscription incomplète se laissent lire 44 Κ. Schefold, Gôtter- und Heldensagen der Griechen in der par groupe de deux comme H (ou M) OP et, plus loin, ΟΣ. fruh- und hocharchaischen Kunst (1993), p. 283. 46 J. Boardman, Aux origines de la peinture sur vase en Grèce 45 I. Krauskopf, « Die Ausfahrt des Amphiaraos auf Ampho- (1999) p. 200, n° 401. ren der tyrrhenischen Gruppe », in H. A. Cahn, E. Simon (éds),

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avec le récit de Pausanias : la sérénité plus grande de la scène dans laquelle Amphiaraos ne brandit pas son glaive contre son épouse.

On peut ajouter à cette analyse des parallèles attiques qui contribuent à éclairer la scène de lamentation. L'amphore « tyrrhénienne » du musée de Florence47 présente, comme sur les documents corinthiens, le groupe familial derrière le char, pressé autour d'Amphiaraos : le bébé Amphilochos porté sur les épaules d'une servante, Éryphile, précédée du petit Alcmaion qui embrasse son père et d'une de ses filles. En arrière plan, derrière le char, un homme suivi de trois personnages féminins. On retrouve le vieillard à une place identique sur une autre amphore « tyrrhénienne »48, inscrite, qui l'identifie avec le père d'Amphiaraos. Devant le char, un vieillard accroupi, en équilibre sur la plante ou la pointe des pieds, est entouré de cinq pleureuses. Ce chiffre les dissocie des filles d'Amphiaraos, qui, au nombre de deux, sont toujours représentées avec le groupe familial, derrière le char.

La datation vers 550-540, proposée par E. Simantoni-Bournia, se fonde sur l'analyse des visages qu'elle rapproche de ceux de la première roulette : profil anguleux et contrasté, taille importante de l'œil. Elle compare le traitement de la crinière au second groupe des simas de Larissa, dont la datation traditionnelle, vers 550-530, a été remontée vers 550 par N. Winter49. En faveur d'une date haute, on peut invoquer l'expressivité du vieillard qui cristallise l'angoisse de la scène. L'artisanat thasien offre d'ailleurs un parallèle ancien à cette bouche déformée par le cri : la représentation du centaure d'une des plus anciennes simas, datée vers 580. Moins ancienne que celle du satyre et des danseuses — dont la thématique, la conception de l'espace foisonnant d'éléments de remplissage et le dessin des têtes hypertrophiées ont une allure plus archaïque — la roulette du départ d'Amphiaraos devrait dater, d'après les modèles s' étendant dans le deuxième quart du VIe siècle50, vers 550, à un moment où les scènes mythologiques sont abondamment représentées dans l'atelier des vases à figures noires contemporains.

Cette roulette très populaire est connue par neuf vases différents. Il s'agit de la plus grande série estampée parmi les vases thasiens.

6a. 2691 π. Fragment d'un grand pithos provenant d'une maison archaïque au champ Héraklis Kokkinos. Diam. : 80 cm env. Ép. : 2,4 cm ; 2,9 avec la bande en relief. BCH 85 (1961), p. 936 : ce vase a été trouvé dans des couches profondes, sous celles du IVe siècle, au niveau de la nappe phréatique (fig. 9).

Ce vase richement décoré, qui juxtaposait deux frises figurées, offre l'impression la plus nette d'une partie de la roulette du départ d'Amphiaraos, d'Éryphile à l'avant du quadrige. La cage du char était quadrillée, ce qui explique le dessin complexe de la partie supérieure de la roue où finit la

471. Krauskopf, LIMC\, 1(1981), s.v. * Amphiaraos», p. 694, 50 Le cratère corinthien récent est daté vers 570; les n° 9, et I, 2 (1981), p. 556, n° 9 ; J. Kluiver, loc. cit. {supra, amphores «tyrrhéniennes », du deuxième quart du siècle ; le n. 43). coffre de Cypsélos, du deuxième quart, peut-être vers 550 ; 48 I. KRAUSKOPF, loc. cit., p. 694, n° 10 et LIMC I, 2 (1981), les fragments en ivoire de Delphes, publiés par P. AMANDRY, p. 556, n° 10. BCH 63 (1939), p. 105, pi. 35, sont situés dans une four- 49 N. A. Winter, Greek Architectural Terracottas from the Pre- chette chronologique entre 570 et 550. historic to the End of the Archaic Period (1993), p. 237.

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caisse. On ne voit pas trace de la main d'Éryphile tenant le collier, qui a l'air de pendre dans le vide. Devant les têtes des chevaux, une ligne en relief correspond au bras levé de la troisième pleureuse, dont on voit le pli du péplos, à droite, devant la tête du vieillard.

Fig. 9. N° 6a.

6b. 7885 π. 70/813, des abords Ouest de l'agora. Vase fermé, au profil caréné. L'argile, bien qu'elle contienne des inclusions de calcaire, de quartz et de gneiss, est beaucoup plus épurée que sur les pithoi. On ne voit pas de différence de finesse entre les bandeaux d'argile rapportés et celle dans laquelle le vase est tourné. Diam. sous la bande en relief: 40 cm. Le diamètre maximal du vase, un peu plus haut, est légèrement supérieur. Ép. : 1,5 cm au niveau du bandeau figuré. L'épaule, tournée à part et collée, présente une carène marquée avec la vasque. Ceci est visible dans la tranche et à l'extérieur : l'épaule a été rajoutée sur le bandeau à reliefs. Sous la pression, le boudin d'argile qui bordait l'extrémité supérieure de la frise figurée s'est écrasé. BCH95 (1971), p. 777-778, fig. 1, présenté comme un pithos, trouvé dans un sondage profond contre le mur de fond du portique. Des traces d'incendie sur la cassure de l'épaule, à l'intérieur comme à l'extérieur (fig. 10).

La représentation figurée se situe en haut de la panse, sous l'épaule. Elle s'étend de l'avant-train coupé du cheval à la première pleureuse tournée vers la droite. La nourrice qui tient l'enfant correspond au point de raccord : c'est un personnage plus large que sur les autres bandeaux estampés. On voit la superposition de deux robes avec un décalage de 3 mm. Le décalage maximum se situe en bas, où la roulette a plongé. Le premier passage de la roulette se décèle aussi au filet supérieur placé

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Flg. 10. N° 6b.

plus haut que lors du second estampage. La première Éryphile, placée sous l'anse, a disparu sous la seconde et le raccord se fait au niveau de la nourrice, le personnage qui suit. Ce détail technique conforte ce que suggérait l'analyse de la composition. Le groupe des pleureuses, situé à gauche du quadrige, correspond à la fin de la séquence. Ce fragment permet aussi de préciser le détail des plis des vêtements, sur le chiton d'Éryphile et sur le bas du péplos de la pleureuse, ainsi que le geste de la première pleureuse. Ses bras levés tenaient peut-être un rameau. Dans sa main droite, une courbe en relief est bien visible entre elle et Éryphile.

6c. 1218 π, de l'agora, de la galerie aux piliers, 1955. Deux fragments recollés d'un support ajouré avec le bord d'un pied, conservé à gauche. Aucune trace de feu sur l'intérieur. L'argile, compte tenu de l'épaisseur du vase, est assez fine. Elle ne contient pas de grosses inclusions de marbre, mais des points de calcaire, de quartz, du mica, des vacuoles. L'argile bien épurée du bandeau figuré se distingue de la surface plus grossière, très micacée du vase. Ép. au niveau du relief: 2,2 cm ; du vase : 1,7 cm sous le relief. Diam. : 20 cm sous le relief. Le bord vertical du pied commence à 2,3 cm sous la frise figurée qui court sur la périphérie du vase. Le pied a une largeur minimale de 10,8 cm (fig. 11).

La séquence est conservée depuis les pattes antérieures des chevaux jusqu'à la robe de la nourrice. L'impression en très bas relief n'apporte pas de précisions supplémentaires. On voit autour du trou central un triangle incisé et les traces de deux autres motifs similaires rattachés au même centre. On restitue une étoile à quatre branches au moins.

6d. 604 π, trouvaille fortuite de P. Devambez, en 1952. Un fragment de vase tourné (pithos ou support ?). Le bandeau à reliefs correspond à la zone de l'épaule, du haut de la panse ou du haut du support. Ép. au niveau du relief: 2,1 cm. Inclusions de calcaire, mica, chamotte (fig. 12).

Ce fragment essentiel est le seul à conserver la portion énigmatique du début de la roulette, avec la scène de lamentation regroupant les trois femmes et le vieillard. Il conforte le geste des bras levés au-dessus des têtes. On a là la première représentation sûre du trépied : on distingue la cuve, les trois

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Fig. 11. N° 6c.

Fig. 12. N° 6d.

pieds, montés sur un support, les deux anses. La représentation la plus complète que l'on ait de la seconde pleureuse, à droite du trépied, montre qu'elle est très semblable à la première (même geste des deux mains levées, même péplos). Le vieillard est assis sur une fine bande horizontale, siège bas ou coussin. Derrière lui, à droite, au-dessus de sa tête, on distingue le rabat d'un troisième péplos, appartenant à un personnage féminin situé à l'arrière plan et dont les deux bras sont levés.

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6e. 7886 π. Provenance inconnue. Deux fragments recollés d'un support. Un trou est percé sous la frise figurée à droite. Ép. à la hauteur de la frise : 2 cm. Ht. conservée : 7 cm. Ép. de la paroi : 1,6 cm. Cet exemplaire est le seul à montrer la technique de chiquetage : des incisions verticales profondes à la base du bandeau estampé. La première incision et une surface volontairement irrégulière, permettant une meilleure adhérence, étaient recouvertes par la frise du départ d'Amphiaraos. Les deux incisions suivantes constituent un décor qui souligne la fin de la zone figurée ou indiquent la présence d'une seconde frise, immédiatement voisine, comme sur 6ε (fie. 13)

La scène est conservée depuis Éryphile aux pattes antérieures des chevaux. Les détails sont moins clairs.

Fig. 13. N° 6β. Flg. 14. N° 6f.

6f. 965 π. Trouvaille antérieure à 1940, provenance inconnue. Fragment d'épaule d'un vase tourné peu épais et trop épuré pour être un pithos. Ht. conservée : 4 cm. Ép. : 1,2 cm. Au-dessus du bandeau figuré, une moulure (fig. 14).

La représentation s'étend d'Amphilochos, porté par la nourrice, à la première pleureuse au bras levé. La surface assez érodée n'apporte guère d'éléments neufs. On retrouve le détail du trait en relief oblique entre la pleureuse et Éryphile, représentant peut-être un rameau.

6g. 7887 π. Provenance incertaine (le n° d'inv. est effacé). Fragment de larnax (la rectitude du profil et l'absence de traces de tournage interdisent d'y voir t^wu»*·^ ' *■ -" un vase). Traces de vernis rouge foncé. Ép. : 3,5 cm au niveau du relief. Larg. max. conservée : 20 cm. Ép. de la bande d'argile rapportée : 3 mm. (fig. 15).

Du dos de la nourrice aux pattes postérieures des chevaux. Toute la partie supérieure de la frise est perdue. Ce fragment confirme la forme du trépied.

Fig. 15. N° 6g.

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II présente l'intérêt de juxtaposer deux scènes différentes. Le second bandeau est placé immédiatement sous la première frise. Il reste des traces de la même peinture rouge foncé et une partie d'un chapiteau ionique.

6h. 78 S 29, du sondage Sotirelli. Fragment de pithos. BCH 103 (1979), p. 652, fig. 30. La séquence est conservée de l'arrière du quadrige à la tête de la nourrice.

6i. 52712, de la stoa aux offrandes votives du sanctuaire des Grands Dieux à Samothrace. Trépied. Ht. : 12,3 cm. Larg. : 10,7 cm. Ép. : 2,3 cm et 2,9 au niveau du relief. Ht. conservée du relief: 3,95 cm. D'après I. C. Love, l'argile commune, granuleuse, orange présente une portion grise ou brûlée. Elle émet l'hypothèse selon laquelle ce fragment pourrait appartenir au même vase que celui trouvé dans le téménos (8d). I. C. LOVE, in Samothrace 4, 1, The Hall of Votive Gifts (1962), p. 119, n° 4, fig. 4 ; SIMANTONI-BOURNIA 1999, p. 1018, n. 33.

La forme et la roulette du départ d'Amphiaraos ont été identifiées par P. Bernard.

7. La course de biges au chien et au trépied (fig. 32)

La roulette de 4,2 cm de hauteur a un développement de 17 cm. La roulette comprend deux filets qui servent de cadre supérieur et inférieur à la

représentation. La frise figurée est scandée par la répétition d'une séquence binaire : deux biges se succèdent de part et d'autre d'un chaudron, curieusement muni de trois anses. Sous la vasque, les pieds se terminent par des volutes. La place centrale du chaudron est indiquée par l'imbrication des motifs. Le cocher de gauche empiète sur le chaudron. À droite, les museaux et les pattes des chevaux mordent sur l'espace situé sous l'anse. Il est donc peu probable qu'il s'agisse du début de la roulette. Le premier bige est lancé au galop. Le cocher, chitoniskos bouffant au vent, genoux plies, bras tendus à l'horizontale, exprime la tension et l'élan de la course. Il tient le fouet à double lanière dans la main droite. Sa barbe est pointue, sa chevelure longue descend à mi-dos. La vivacité des chevaux est également notée par la cambrure dynamique de l'encolure et de la tête du premier cheval, par le jeu des pattes tendues à l'horizontale, libérant ainsi l'espace nécessaire à la représentation d'un chien dont la fonction est de rendre la vitesse. Le second bige instaure un jeu de variations. Le cocher est en train de monter sur la caisse de son char. Son corps s'agence selon un jeu de lignes qui s'opposent aux courbes formées par le premier cocher. La ligne de force est une diagonale partant du pied au sol et finissant à la tête. L'avant-bras plié au coude dessine un triangle qui se retrouve au niveau des rênes. La chevelure et la barbe des deux cochers sont identiques. Les chevelures en perles forment une longue mèche oblique. Mais en dépit de ces ressemblances, l'absence de chiton bouffant au vent, le pas calme des chevaux contrastent avec le mouvement du bige précédent. La caisse du char présente des motifs quadrillés, censés rendre les parois en cuir ou en vannerie.

La datation proposée par E. Simantoni-Bournia se fonde sur des analogies avec des œuvres datées à la charnière des deux derniers quarts du siècle : un vase d'Amasis, une sima de Clazomènes. Le fait que les trois phases du concours sont représentées : la montée sur le char,

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la course elle-même et la phase qui suit, avec le chaudron figurant le prix de la victoire, l'incite à identifier la scène comme les jeux funèbres en l'honneur de Pélias, et à souligner le rôle de Corinthe dans la diffusion d'une iconographie et d'une technique particulières vers Thasos. Dans sa description du coffre de Cypsélos, Pausanias fait suivre le départ d'Amphiaraos des concours en l'honneur de Pélias. L'ancienneté de ces deux représentations à Corinthe est également attestée par des cratères à colonnettes du deuxième quart du siècle. L'artisan thasien s'inspire donc d'une tradition mythologique élaborée au deuxième quart du siècle, qu'il réaménage en fonction d'une culture grecque de l'Est. L'orientation du mouvement vers la gauche et le motif des roues à huit rayons se retrouvent sur les simas de Larissa. Le rendu des rênes, deux dans chaque main, et du fouet pourrait s'inspirer du groupe 3 d'Âkerstrôm, daté traditionnellement vers 530- 520, mais remonté vers 550-540 par N. Winter51. Troisième quart du VIe siècle.

7a. 5147 n, 4876 π, 4877 π, d'un habitat archaïque, au terrain Apostolidis. Six fragments de support cylindrique dont quatre recollent. Aucune trace de feu n'est visible. Diam. : 30 cm. L'argile est très caractéristique de Thasos, bourrée de dégraissants, notamment de petits morceaux de marbre. Le cœur est gris (fig. 16). BCH94 (1970), p. 815, fig. 6.

On restitue trois zones distinctes. La zone supérieure est très détruite. Elle portait un décor incisé, conservé sur les rares portions de la surface qui n'ont pas été érodées. Sur le grand fragment (fig. 16A), les restes d'une fenêtre étroite d'1,1 cm de large: les outils ont laissé deux traces incisées qui ont entamé le tore supérieur du bandeau estampé. La fenêtre a donc été découpée dans une phase tardive du travail, après la pose de la bande d'argile fine décorée à la roulette. L'argile a été évacuée vers l'intérieur du vase, qui conserve sur l'envers la trace d'une boursouflure. Cette fenêtre est flanquée, sur la gauche, de deux incisions profondes, verticales. On trouve, 1,5 cm plus à gauche, la trace de deux autres incisions symétriques, aussi régulières et respectant le même espacement. On serait tenté de restituer, d'après des parallèles connus dans les Cyclades et abondamment représentés à Thasos même, depuis le VIIe siècle, ces zones incisées d'un décor de « triglyphes et de métopes », agrémenté de cercles. À droite de la fenêtre, un motif floral a conservé deux pétales entourés d'un feston et une pointe incisée. Le petit fragment non jointif (fig. 16B) réitère le même décor. À droite, deux incisions flanquent ce qui pourrait bien être une seconde fenêtre. À gauche, une nouvelle pointe incisée signalerait une seconde fleur, ce que tend à confirmer la trace évanescente d'une incision courbe, dans ce cas, le feston autour d'un pétale.

La frise à reliefs a été estampée sur une bande d'argile rapportée de 6,5 cm de hauteur et de 3 mm d'épaisseur qui se termine par deux tores. Le grand fragment permet de restituer la séquence complète, prise entre deux éléments répétés : l'avant-train du bige qui démarre à droite, l'arrière-train du bige lancé au galop et le cocher monté sur la caisse de son char, à gauche. Le petit fragment figuré a conservé le point de raccord. La tête des chevaux du char précédant le trépied disparaît sous la tunique de l'aurige. La roulette a été passée de gauche à droite, contrairement aux deux précédentes. Cet empiétement confirme l'organisation de la séquence autour du chaudron, étroitement imbriqué aux biges voisins. Le point de départ de la roulette se situe dans l'espace vide entre les deux biges.

51 A. Âkerstrôm, Die architektonischen Terrakotten Kleina- siens (1966), p. 61 et pi. 22-25 ; N. A. Winter, op. cit. {supra, n. 49), p. 238.

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Fig. 16. N° 7a.

Sous le registre figuré, on retrouve un décor incisé : à gauche, une fleur qui permet de mieux comprendre celle du registre supérieur : quatre pétales — celui de gauche est à peine conservé — sont entourés d'un feston, tracé approximativement, selon une ligne parfois discontinue. À l'extrémité gauche, tout près de la cassure, une incision, proche de la verticale, pourrait correspondre à la pointe déjà rencontrée. À droite, deux trous, dont le mieux conservé est cerclé de deux incisions concentriques, rappellent les trépieds publiés par E. Haspels. Ils devaient être fonctionnels et servir à l'attache d'une anse, en métal ou en corde. Sous l'orifice gauche, des restes d'incisions rappellent le haut du chaudron qui décore les pieds des plus anciens supports thasiens. L'hypothèse selon laquelle il s'agirait du départ d'un pied est confortée par le troisième fragment, trop mince pour correspondre à ce pied, mais qui pourrait être l'un des deux autres manquants.

Le fragment de pied (fig. 16C) donne des indications intéressantes du point de vue de la forme. Il se rattache au même vase par la qualité de l'argile et des incisions verticales qui se retrouvent sur les trois fragments. Il présente, plastiquement et graphiquement, la forme d'un chaudron. À gauche,

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la face interne indique le départ d'une arche qui devait rejoindre le corps du vase. Contrairement au trépied du début du VIe siècle, les pieds du chaudron sont incisés au lieu d'être rendus par des colon- nettes. Ce pied amusant reprend le motif du chaudron de la frise à reliefs. On est tenté de restituer trois panneaux, séparés, par des arches, des trois pieds en forme de chaudrons.

7b. 1819 π, de l'Artémision. Fragment de vase. L'argile est assez fine et épurée. Ép. de la frise: 1 cm. Diam. : 47 cm sous la frise (fig. 17).

Fig. 17. N° 7b.

La zone figurée se situe en haut de la panse. Elle est estampée sur un bandeau d'argile rapporté de 4,7 cm de haut qui se termine dans sa partie supérieure par un tore arrondi. De la première séquence ne sont conservés que les chevaux galopant et le chien. Le second bige, à gauche du trépied, est presque entier ; seul le museau des chevaux a été emporté dans la cassure. Le vase se referme au niveau de l'épaule. À 1,5 cm sous la frise figurée, une nouvelle bande d'argile de 1,5 cm a été rapportée et présente un décor de cannelures horizontales, faites à l'aide du tour.

7c. 966 π, trouvé avant 1940, provenance inconnue. Fragment d'épaule ou du haut de la panse d'un pithos (fig. 18).

La bande d'argile rapportée est très mince. De la séquence * ' estampée ne sont conservés que le trépied au centre, à sa gauche les jambes du cocher montant sur son char, dont la roue et la caisse quadrillée sont bien visibles et, à droite, les pattes des chevaux au galop et l'avant-train du chien.

7d. 5080. Pithos ou trépied, trouvé dans le téménos du sanctuaire des grands Dieux à Samothrace. Ht. : 10,7 cm. Larg. : 9 cm. Ép. : 1,6 cm. K. LEHMAN, Hesperia 21 (1952), p. 33-34, pi. 8c; cité par SlMANTONI-BOURNIA 1999, p. 1019, n. 33.

K. Lehman datait ce style ionien lourd et rond du milieu du VIe siècle.

Fig. 18. N° 7c.

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8. Course de biges au chien et à Voie (fig. 32)

La roulette a une hauteur de 4,5 cm et un développement de 17,5 cm. Elle comprend quatre filets horizontaux qui délimitent, deux par deux, la partie supérieure et inférieure de la zone décorée. Les têtes des cochers débordent sur le premier filet et s'arrêtent à la hauteur du second. Ces filets ne sont jamais tous visibles ensemble. Le second filet, le plus extérieur, est souvent englobé dans un tore supérieur (8c) ou dans une moulure de section triangulaire (8a). Le fragment 8a présente des filets doubles en bas ; le fragment 8c, en haut.

Comme sur la roulette précédente, la composition se fonde sur la répétition d'une séquence binaire comprenant deux biges lancés au galop. Rien ne permet de déterminer le début de la roulette : on ne dispose pas de points de raccord et les motifs sont systématiquement imbriqués pour effacer l'impression d'un commencement et d'une fin. Les analogies de composition avec la roulette précédente et la situation du décor sur 8a inviteraient, cependant, à restituer le bige à l'oie derrière celui au chien au moment de la conception de la roulette. Outre la reprise du sujet, on retrouve le jeu de variations entre les deux biges : l'attitude contrastée des cochers, le premier déjà sur son char, le second en train d'y monter ; des chevaux, dont les museaux, comme sur la roulette précédente, sont parallèles ou se déploient en éventail. Sur les deux roulettes, les auriges tiennent les rênes dans chaque main, le fouet présente deux lanières, les chevaux ont une houppe. La caisse du char au chien est ornée d'un décor quadrillé, même si ce détail a été omis sur le dessin (fig. 32).

Des différences sont, cependant, patentes. Le trépied de la victoire a disparu. Les roues du char sont de type attique. Une série d'incohérences montre que l'artisan ne se souciait pas de réalisme. Le cocher est en train de monter sur son char, alors que ses chevaux sont déjà lancés au galop. Le chien, dont la fonction est de souligner la vitesse, accompagne le bige le moins fougueux, alors que la tranquillité de l'oie contraste avec le dynamisme du second bige. La chevelure volant au vent est réservée au cocher le plus statique.

Chronologie. Cette roulette est l'aboutissement d'une tradition thasienne qui, comme à Larissa52, se prolonge dans le dernier quart du VIe siècle. La souplesse du dessin et les parallèles attiques invoqués par E. Simantoni-Bournia (peintre d'Antiménès, groupe de Léagros, coupe à figures rouges d'Euphronios) confortent cette datation. Dernier quart du VIe siècle.

8a. 2316 π, du remblai archaïque de l'Athénaion. Quatre fragments recollés d'un support ou d'un réchaud. Diam. : env. 40 cm. Ép. moyenne à la frise : 1,9 cm (fig. 19). BCH 84 (I960), p. 866.

Des traces de rouge, ponctuellement conservées, montrent que les zones décorées, qu'elles soient incisées ou estampées, en étaient recouvertes. À l'intérieur, quelques traces noires n'excluent pas la fonction de réchaud.

52 Â. Âkerstrôm, op. cit. (supra,, n. 51), groupe 4, pi. 34, 1, daté en fonction d'analogies techniques avec la figure rouge de la fin du siècle.

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·-*.

Flg. 19. N° 8a.

Le bandeau figuré illustre la séquence de façon incomplète. Le bige au chien est presque entier et permet notamment de préciser la coiffure de l'aurige, qui forme une masse horizontale volant au vent. Du bige à l'oie ne sont conservés que les avant-trains des chevaux et notamment les têtes étonnamment vivantes.

La forme du vase enrichit la série des supports à fenêtres d'un type nouveau. Le profil, qui n'est plus cylindrique mais évasé, sera étudié ultérieurement.

8b. 2315 π, de l'Athénaion. Trois fragments de support de type cylindrique, dont deux recollent. Diam. : 28 cm sous le relief. Ép. moy. à la frise figurée : 2,6 cm. D'infimes traces de rouge sont conservées sous les cuisses du cocher et à l'intérieur du cercle supérieur droit de la roue (fig. 20).

La séquence n'est pas complète. L'avant-train du bige à l'oie et une partie du char et du cocher du bige au chien ne sont pas conservés. Sur le fragment isolé, la tête permet de restituer la coiffure à queue de cheval du cocher du bige à l'oie. Elle diffère de celle, dressée à l'horizontale, de son confrère.

Fig. 20. N° 8b.

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La frise figurée est estampée sur une bande d'argile rapportée qui se prolonge vers le haut, de part et d'autre d'une rainure. Sous la frise figurée, un trou rond est bordé d'une incision. Au-dessus du premier, l'existence d'un second bandeau figuré est envisageable. La présence d'une bande d'argile rapportée, la surface irrégulière sur le fragment non jointif, l'existence d'un espace de séparation de plus d' 1 cm aménagé entre les deux frises n'excluent pas un décor double, attesté par ailleurs sur un vase plus récent (11).

8c. 2317 π, 2318 π, 2319 π, de l'Athénaion. Cinq fragments de support de type cylindrique, dont quatre recollent deux par deux. Diam. : 25 cm. Ép. moy. à la frise figurée : 2,1 cm. Au sommet de la frise figurée, par deux fois, on repère une surface lisse qui correspond à une fenêtre (fig. 21).

Ces fragments confirment la coiffure à queue de cheval du cocher du bige à l'oie et l'utilisation de la couleur rouge. Une trace rouge sur la patte d'un chien prouve que la peinture était passée sur l'ensemble de la représentation et non pas seulement sur le fond. Sous la frise figurée, des traces d'incisions en forme d'étoile. Comme sur 7a, le décor estampé côtoie le décor incisé.

Ces trois vases ont été trouvés dans le même sanctuaire et décorés avec la même roulette.

Flg. 21. N° 8c.

8d. N° d'inv? Du terrain Haritopoulos (fig. 22). Κ. PÉRISTÉRI, «Ένα αρχαϊκό σπίτι στην Θάσο », in Μνήμη Λ. Λαζαρίδη. Πόλις και χώρα στην αρχαία Μακεδονία και Θράκη, Πρακτικά Αρχαιολογικού Συνεδρίου, Καβάλα 9-11 Μαΐου 1986, Recherches franco-helléniques 1 (1990), p. 401, fig. 5.

Le fragment donne clairement le profil de l'aurige en train de monter sur son char : ce profil présente des traits ioniens très accusés. La caisse quadrillée du char est bien visible.

Rg. 22. N° 8d.

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9. La file de cavaliers vers L· droite (fig. 32)

Ht. de la roulette: 4,2 cm. Développement: env. 17 cm si la matrice comprend trois cavaliers. Deux filets qui délimitent la partie supérieure et inférieure de la zone appartiennent à la roulette.

Cette roulette n'est connue qu'à travers un vase.

961 π, provenance inconnue (fouilles d'avant 1940). Fragment de support évasé. La partie supérieure présente une trace de lissage, correspondant à l'aménagement d'une fenêtre étroite, rectangulaire (fig. 23).

D'après le dessin légèrement différent des chiens sous les chevaux (le chien de droite est placé plus bas, plus près du cadre inférieur) et des coiffures, plus ou moins plongeantes, des cavaliers, d'après l'allure différente de la tête du premier et du troisième cheval (la tête est plus renflée au point d'attache des oreilles, à droite), la matrice devait comprendre trois cavaliers. On constate que, comme sur les roulettes les plus récentes, les motifs (queues et pattes) sont imbriqués.

Les deux cavaliers visibles tiennent une rêne dans chaque main : l'écartement des bras est moindre à gauche. La scène est simple mais tous les détails sont explicités : on voit les deux mains et les deux pieds des cavaliers ainsi que toutes les pattes des chevaux. Les cavaliers ont une allure plus raide et plus stylisée que sur une lékanè thasienne à figures noires, datée du dernier quart du siècle53. Des analogies existent dans le rendu de la silhouette des chiens et du cheval (la houppe, le museau court). La « queue de cheval » triangulaire des cavaliers rappelle les coiffures de Larissa54, datées, selon N. Winter, des années 540. Deuxième moitié du VIe siècle.

Flg. 23. N° 9.

53 ÉtThas XIX, pi. XL, 300. 54 Â. Âkerstrom, op. cit. (supra, n. 51), pi. 25, 2 ; 33, 2 et 34,1.

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10. Le minotaure

La roulette est impossible à restituer. Ht. : env. 7,5 cm.

10a. SI 75, du quartier du Silène. Ép. : 3,3 cm. Un fragment d'épaule d'un gros pithos. Diam. : env. 60 cm. Ép. : de 2,6 à 3,1 cm (au niveau du relief)· La zone estampée devait occuper la partie supérieure de la panse (fig. 24).

Le bandeau figuré, d'environ 7,5 cm de haut et de 6 mm d'épaisseur, est très abîmé. Une large incision horizontale en soulignait l'extrémité. Une figure de face dont on voit le haut du torse, le bras gauche plié au coude et la chevelure tombant en deux masses d'au moins quatre mèches, de part et d'autre d'un visage de face, de forme nettement triangulaire. On distingue les yeux, la corne gauche et les deux oreilles volumineuses et pendantes. À sa droite, le reste d'un chapiteau de colonne ionique, qui pourrait désigner le labyrinthe. Des traces de vernis rouge sombre sont conservées sur le bras et la colonne. Plus à droite encore, une ligne courbe qui se termine par un empâtement à son extrémité supérieure.

2,5 cm plus bas, une moulure, de section triangulaire.

Fig. 24. N° 10a.

10b. 7887 π. Larnax. Il s'agit de la deuxième frise de la larnax, sous 6g (fig. 15). À gauche, reste de colonne à chapiteau ionique. Puis des traces de vernis rouge. C'est là un indice

fragile pour identifier la même roulette. Les dimensions des chapiteaux présentent de légères variations, mais celles-ci se constatent sur des motifs estampés, sans aucun doute, à l'aide de la même roulette (cf. les roulettes 6 et 11).

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La scène est d'une interprétation délicate. Représentée dès le VIIe siècle, la figure du minotaure connaît une grande vogue à Athènes dans la seconde moitié du VIe siècle55. Généralement figuré aux côtés de Thésée qui l'agrippe par une corne, le minotaure est, presque toujours, figuré les genoux fléchis et de profil. Sur le relief thasien, rien ne révèle la proximité du héros. La représentation frontale de la tête du minotaure est l'élément le plus étonnant. Des parallèles se rencontrent sur la céramique peinte : sur une amphore chalcidienne du troisième quart du siècle56, sur le médaillon d'une coupe attique à figures rouges, datée des années 48057. Cette présentation de face se retrouve sur une monnaie Cretoise, un statère de Cnossos, des années 425-40058.

La datation est difficile à préciser. La popularité du thème, en Attique, à la fin de l'archaïsme, les recherches sur la présentation de face ainsi qu'un argument de caractère technique, (la seule roulette thasienne de cette hauteur est récente), nous invitent à dater la roulette de la fin du VIe, voire du début du Ve siècle.

11. La dispute du trépied (fig. 32)

Cette scène n'est attestée que sur deux fragments d'un même vase. Ht. de la roulette : 8 cm. Le développement s'étend sur 17,2 cm. Trois filets appartenant

à la roulette bordent la représentation en haut et en bas. La scène ne pose aucun problème d'identification. Les protagonistes du drame, Apollon

et Héraclès sont flanqués, l'un, de sa sœur Artémis, l'autre de sa protectrice, Athéna. Artémis, reconnaissable à son carquois, à l'arc et à la flèche qu'elle tient dans sa main

droite, emboîte le pas à son frère, au sens littéral du terme : ses orteils passent sous le talon levé d'Apollon. La main d'Artémis, avec le pouce dressé, touche le crâne de son frère ; celle d'Apollon vient se nicher dans une petite fenêtre, aménagée dans le pan de l'himation de sa sœur. Les gestes de leurs bras sont identiques. Tout souligne la solidarité des jumeaux divins. Artémis porte par-dessus un chiton aux plis serrés, visible au niveau de ses mollets, un péplos dont le rabat bouffe à la taille, et, sur ses épaules, un petit manteau.

Devant elle, Apollon retient, de la main gauche, le trépied par son pied central. Sa chevelure longue tombe librement dans son dos. Il porte son manteau en écharpe sur sa poitrine. De sa main droite, il tient, dans un geste identique à celui de sa sœur jumelle, un petit arc et sans doute une flèche, comme le confirme le second fragment.

Le bouc est l'élément le plus original de cette scène. Cette note inattendue est une totale réussite. L'animal récalcitrant s'arc-boute et rechigne à suivre Héraclès. Il contribue à donner de la vivacité à cette scène animée.

55 S. WOODFORD, L/MCVI, 1 (1992), s.v. « Minotauros », p. 580. 57 V. LAMBRINOUDAKIS, LIMC VI, 1 (1992), s.v. « Apollon >, 56 Ibid, et LIMC VI 2, pi. 317, 8. p. 576, 29, et VI, 2 (1992), pi. 320, 29.

58 LIMC VI, 1 (1992), p. 575, 4, et V, 2 (1990), pi. 316, 4.

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Héraclès est le personnage central, dont le rôle est mis en valeur par la composition. Flanqué de part et d'autre de trois figures (dont le bouc), il se dirige vers la droite tout en retournant la tête vers Apollon, dans une attitude qui souligne sa position de pivot. Il porte une cuirasse, sous laquelle on voit pendre les manches courtes de son chitoniskos. Il tient le trépied sur ses épaules, à l'horizontale. L'anse centrale mal conservée se restitue d'après le geste de la main. On aurait là, pour la deuxième fois à Thasos, l'attestation de trépieds à trois anses.

Face à lui, Athéna à la lance, vêtue du chiton et de l'himation oblique, est représentée en coré ionienne, dont les jambes se devinent sous la transparence de l'étoffe. On note la mode des manches courtes finissant en traîne au niveau des coudes.

La scène canonique de la dispute donne lieu à une version qui s'enrichit de la présence de deux autres personnages. La rupture dans la composition est soulignée par la figure ailée, la seule à tourner le dos à Héraclès. Vêtue, comme Athéna, d'un chiton transparent et d'un hima- tion oblique, elle tient les plis de son vêtement de sa main gauche. Le bras droit détruit devait être plié au coude, à la hauteur de la taille. L'identification de cette figure, la plus endommagée de la série, doit tenir compte de la présence des ailes et du dernier personnage avec lequel elle forme un couple.

Le personnage à droite, le seul à porter la barbe, appartient au type des divinités paternelles. Son attribut, bien que fragmentaire, n'est pas un trident. On pense au sceptre de Zeus, d'autant que tout le lie du point de vue de l'iconographie à sa fille Athéna : son orientation vers la droite, la position de ses bras, sa façon de tenir la hampe, dont la partie supérieure disparaît derrière son torse, son vêtement (chiton et himation oblique, manches courtes finissant en traîne sous son coude, les plis de son manteau retombant de son bras droit). Lié à Athéna comme Arté- mis l'est à Apollon, sa place, à droite de l'image, est la solution la plus satisfaisante. Elle permet, en outre, d'unir, au moins par le regard, le roi des dieux à la scène centrale, tout en l'isolant dans le couple qu'il forme avec le personnage ailé, sur lequel il est temps de revenir. Identifiée à Iris ou à Éris, dont la présence serait justifiée par le thème de la dispute59, la figure ailée nous semble davantage correspondre à la première hypothèse. La représentation d'Éris est rare à l'époque archaïque, comme le souligne E. Simantoni-Bournia. De plus, la relation du personnage avec Zeus relève plus de l'attitude de la messagère, attendant les ordres, que de l'instigatrice d'une querelle dont elle se détourne. La scène juxtapose au thème du vol du trépied, celui d'une entrevue divine qui en prépare le dénouement.

La datation traditionnelle, à la fin du VIe siècle, reflète la vogue du thème en Attique, qui semble se diffuser sous l'impulsion des peintres à figures rouges. Des détails précis, comme le port du manteau d'Apollon en écharpe sur le torse, se rencontrent sur l'amphore de Berlin, signée par Andokidès60. La complexité de la composition, avec ses effets d'imbrication et ses

59 Simantoni-Bournia 1999, p. 1025. 60 Inv. F 2159 ; J. D. Beazley, Attic Red-Figure Vase-Painters2 (1963) (désormais cité ARV2), p. 3, 1.

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jeux sur les arrière-plans, qui donnent l'impression que la séquence d'Artémis à Héraclès forme une masse soudée dans la lutte, les recherches sur la transparence des étoffes, le rendu des plis, analogue à celui que l'on voit sur la dernière nymphe du relief du passage des Théores61, le tombé de l'himation d'Apollon, porté en écharpe, comme sur le relief au chevreuil62, le port du trépied sur l'épaule, enfin, qui se rencontre chez le Peintre de Berlin63, incitent à dater la plus achevée des roulettes thasiennes de la fin de l'archaïsme, au premier quart du Ve siècle.

11. 2692 π, du champ Héraklis Kokkinos (et non de l'Artémision, comme il est dit dans le LIMQ. Fragment de pithos. Diam. : 80 cm env. Ép. : 2,8 cm à la frise figurée ; ép. sous la frise à l'Apollon : 2,3 cm. Inclusions de cailloux, micas, graviers, de calcaire et de gneiss. La bande rapportée est faite d'une argile bourrée de micas (fig. 25). BCH 85 (1961), p. 936; V. LAMBRINOUDA- KIS, LIMCll 1, p. 306, n° 1020, s.v. «Apollon» et II 2, pi. 271. SlMANTONI-BOURNIA 1999, p. 1029, fig. 3.

C'est sous des bandes moulurées que prend place le bandeau d'argile rapporté. La séquence est complète, comme l'indique le retour de Zeus, dont on voit le bras levé et le pli caractéristique de l'himation. Le point de raccord, à droite d'Athéna, est très visible avec le décalage des filets horizontaux. Un autre indice confirme l'analyse. On retrouve dupliqué le motif de la manche d'Athéna

Fig. 25. N° 11.

61 B. Holtzmann, La sculpture de Thasos, corpus des reliefs, 62 Ibid., p. 129, pi. XLII, 56 : ce relief est daté des années /. Reliefs à thème divin, ÉtThas XV (1994), pi. XI. 480/475.

63 J. D. Beazley, Der Berliner Maler (1930), pi. 9, 2.

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se terminant par une traîne au niveau du coude, superposé au premier estampage, mais quelques millimètres plus haut, à droite, de même que les triples filets des bordures sont plus hauts en fin de tracé. L'artisan procédait donc de droite à gauche. Encore une fois, comme sur 6b, le calcul pour la mise en place du décor est juste et a permis un bon raccord.

llbis. 2691 π, du champ Héraklis Kokkinos. Ép. : 3,3 cm. Ép. sous la frise à l'Apollon : 2,3 cm (fig. 9). BCH 85 (1961), p. 936.

Entre les deux bandeaux figurés, la surface a été lissée. On a là, pour la deuxième fois, la coexistence de deux frises figurées accolées. Le relief est beaucoup plus plat : par manque d'argile ou du fait d'une pression insuffisante, beaucoup de détails n'apparaissent pas.

La séquence est conservée depuis Artémis avec le bout du sceptre de Zeus jusqu'au mollet d'Iris. Parmi les nouveaux détails, citons, entre les manteaux d' Artémis et d'Apollon, un trait en relief oblique qui, sur l'autre fragment, semble partir de la main de ce dernier (deux traits joints à une extrémité) : il s'agit d'un bout de l'arc. Le rendu du plissé sur le bas des robes d'Athéna et d'Iris est également mieux conservé.

En dépit d'anomalies de détail entre les deux fragments, il s'agit bien du même vase et de la même roulette. Des différences dans l'écartement et la largeur de certaines figures sont imputables à la façon dont est passée la roulette. Sur 11, la robe d'Artémis paraît moins large, mais il est possible que le relief sur l'avant de la robe soit cassé. Il manque un pli, à droite, sur la robe d'Artémis sur llbis, mais on en devine l'arrachement à l'emplacement attendu. L'écartement entre les pieds d'Héraclès a 2 mm de plus sur 11. La robe d'Athéna est un peu plus large.

12. N° d'inv ? Fragment non retrouvé au musée de Thasos. Trouvé entre l'Artémision et le passage des Théores avant 1934, qui est la date du premier cliché, (fig. 26).

Un cavalier vers la droite s'avance vers un personnage masculin, au mollet et à la cuisse musclés, tenant une cruche. À gauche, reste d'une queue d'un monstre marin. Les détails, trop imprécis, ne permettent pas d'identifier avec certitude la scène du retour d'Héphaïstos dans l'Olympe. L'allure figée de la monture, les proportions de la tête pourraient suggérer une datation au deuxième quart du siècle, entre la roulette du satyre et des danseuses et celle d'Amphiaraos.

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Fig. 26. N° 12.

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LES VASES A REUEFS THASIENS DE L'ÉPOQUE ARCHAÏQUE 129

Flg. 27. N° 13.

Trois frises florales très fragmentaires ne permettent pas de restituer le développement et posent des problèmes de chronologie.

13. 229 π, trouvé près du Pythion, en 1948. Fragment d'un grand vase tourné (pithos ?). Ép. : 1,6 cm. Ht. des deux bandeaux estampés : 4,5 cm. Larg. max. : 7,5 cm (fig. 27).

Les godrons et la frise florale ont probablement été estampés à partir de la même roulette. Le développement présente la hauteur habituelle de 4,5 cm. La régularité dans l'espacement entre les deux frises est un argument supplémentaire en ce sens. La frise florale présente une alternance de fleurs et de boutons de lotus. On est frappé par le traitement miniaturiste et soigné du dessin. Chaque élément est cerné d'un trait en faible relief.

Chronologie. Les trois filets supérieurs horizontaux qui appartiennent à la roulette n'apparaissent que tardivement, au dernier quart du VIe siècle sur les roulettes figurées. Le motif décoratif des boutons avec la notation d'un contour intérieur se rencontre aussi sur la céramique à figures noires tha- sienne au dernier tiers du siècle64.

14. 5172 π, d'un habitat archaïque au terrain Apostolidis. Vase fermé. La hauteur de la roulette n'est pas conservée, mais se restitue aux alentours de 4 cm. La frise florale, estampée sur l'épaule, est constituée de palmettes pointant alternativement vers le haut et vers le bas, liées par des rinceaux obliques et parallèles. Seule, une palmette vers le bas est conservée (fig. 28).

15. 349 π, Artémision. Fragment non retrouvé au musée de Thasos. L'élément floral formé de rinceaux disposés symétriquement est flanqué d'une limite verticale à gauche, sur le fragment de droite. Il pourrait s'agir d'un décor en métope (fig. 29). Fig. 28. N° 14.

16. 4761 π, d'un habitat archaïque au terrain Apostolidis, trouvé dans un sondage profond (S2 9) contenant un matériel homogène du VIe siècle. Larnax. Ép. du bord : 2,9 cm. Ht. du bandeau estampé : 2,8 cm. À l'intérieur, à 5 cm du bord, une fine moulure en relief. Ce décor est l'ancêtre du rai-de- cœur avec un pétale central (fig. 30).

Fig. 29. N° 15.

64 Cf. ÉtThas XIX, cf. le Peintre de la palestre, n" 273-275, 278, 303, 304...

Flg. 30. N° 16.

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130 ANNE COULIÉ

Cette production estampée à la roulette a été trouvée à Thasos, dans les sanctuaires (l'Athé- naion, l'Artémision), dans l'habitat et dans des contextes au cœur de la cité, sur l'agora (abords Ouest, galerie aux piliers). La provenance essentiellement locale et même plus précisément urbaine des trouvailles est un premier argument en faveur d'une localisation de l'atelier dans la cité antique, le site le mieux exploré, il est vrai. On connaît, en tout et pour tout, une exportation sûre à Samothrace : il s'agit d'un pithos estampé avec la roulette du départ d'Amphiaraos.

Comment justifier cependant le caractère thasien de cette série ? L'analyse de la technique, des formes et de l'iconographie permet-elle de définir un groupe homogène ?

//. La technique

Fig. 31. Vase à reliefs cycladique.

L'argile, le traitement des surfaces, la cuisson et la technique de décoration des vases constituent autant de biais pour définir une spécificité thasienne.

L'argile est le plus souvent grossière, mal épurée, bourrée d'inclusions : micas, inclusions blanches, éclats de marbre dépassant parfois le centimètre, chamotte. Cette qualité d'argile est une réalité trop courante dans cette catégorie de matériel pour fournir un critère décisif dans l'identification d'un atelier. On constate la récurrence de la couleur orange brique, ce qui est banal. La teinte approximative donnée par le Munsell, 2.5 YR 5/6-6/6 à 5 YR 616 est la même que pour les pithoi naxiens65. Pourtant un fragment trouvé à l'Artémision (7891, fig. 31) permet de mesurer l'écart entre la production thasienne et une importation cycladique : l'argile beige violacée (Munsell 2.5 YR 5/4 5/6), très micacée, dure, rappelle certains vases « méliens » des Cyclades, importés en petite quantité à Thasos. Le décor ancien, avec ses filets verticaux et ses volutes en relief, est de technique et de style cycladiques.

Pour les périodes archaïques, l'argile thasienne a fait l'objet d'une petite série d'analyses, comprenant un lot de vases peints orientalisants, un groupe à figures noires et de la céramique commune66. Parmi les vases estampés à la roulette, l'argile de la catégorie la plus fine, celle qui est la plus directement comparable aux séries analysées, est dans tous les cas plus orange, moins chamois que celle des productions à figures noires locales contemporaines. Elle se rapproche de celles de certaines figurines du VIe siècle, parmi lesquelles le type au polos est une création locale67. Les terres cuites architecturales thasiennes (simas aux « cavaliers thraces », gorgoneia), présen-

65 SlMANTONI-BOURNIA 1990, p. 44. 66 F. Villard, « Recherches sur la localisation des ateliers cycladiques de céramique géométrique et orientalisante : présentation d'ensemble», in R. Dalongeville, G. Rougemont (éds), Recherches dans les Cyclades. Résultats des travaux de la RCP 583, Collection de la Maison de l'Orient

ranéen 23, Série archéologique 13 (1993), p. 154. 67 Les figurines sont moulées dans une argile dont la couleur et le degré d'épuration varient. Certaines se rapprochent des productions à figures noires, de couleur chamois et faiblement micacées ; d'autres sont plus orange et contiennent davantage de mica. S. Huysecom prépare leur publication.

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tent une argile encore différente, plus proche d'une petite série de grands plats peints dans la technique de la figure noire ou de la pseudo-figure noire. On constate donc une grande diversité des argiles, y compris dans le groupe des vases à reliefs, dont le degré d'épuration est très variable. 6b, 9 et 7b ont des argiles qui contiennent des inclusions identiques mais beaucoup plus petites. Le dernier vase cité fait penser à une argile d'amphore. Cette diversité est visible sur un même vase, puisque les bandeaux rapportés et décorés sont beaucoup plus épurés que le corps du vase.

Le traitement de la surface fournit davantage d'informations pour cerner une spécificité thasienne. Si la présence d'une pellicule blanche, chargée d'assurer l'étanchéité, ne se rencontre qu'à l'intérieur du pithos 5a, un vernis rouge mettant en valeur les frises figurées pourrait davantage définir un trait d'atelier. À Naxos, aucune trace de peinture ni de vernis n'est visible sur les bandes décorées. En revanche, une pellicule d'argile est passée sur l'ensemble du vase68. À Tha- sos, le vernis rouge n'est totalement absent que sur les vases très érodés (9 et la plupart des bandeaux à l'Amphiaraos, imprimés en très bas relief). Conservé le plus souvent à l'état de traces infimes, on le détecte sur le fond des représentations, sur une surface moins exposée à l'usure du temps (3, 4, 7a, 8c, 8b, 6b, llbis). Les exemples les mieux préservés permettent d'affirmer que le vernis était passé sur l'ensemble du décor (8a, 5a, 10a, 3, 4) et qu'il pouvait déborder hors de la zone décorée (le départ de l'épaule du pithos 5a, au-dessus de la représentation figurée et la tranche verticale du bord) ; sur la moulure triangulaire (8a) ou sur les décors incisés (8a). Une larnax entière, trouvée dans la nécropole de Galepsos et exposée au musée de Cavala, présente des divergences importantes par rapport aux trouvailles thasiennes. L'argile est plus rosée. La totalité de sa surface, à l'intérieur et à l'extérieur, est recouverte d'une pellicule blanche, y compris le bandeau figuré. L'aveuglement de Polyphème estampé sur le plat du bord et sur le départ horizontal de la cuve se caractérise par un relief très plat, des silhouettes réduites à leur contour. L'absence de détails intérieurs, le manque de soin systématique au niveau des raccords renvoient à un artisanat plus sommaire, daté de la fin du VIe siècle.

La cuisson témoigne d'une bonne maîtrise, même si les vases les plus épais (8a, 11) laissent voir un filet gris courir dans la tranche. La maîtrise des hautes températures explique la qualité de la conservation des bandeaux figurés dont la netteté exceptionnelle a été soulignée par E. Simantoni-Bournia69. Ces remarques, toutefois, ne permettent pas de distinguer les productions thasiennes de celles de Naxos, également dures et bien cuites70. À Thasos l'adhérence des bandeaux au vase est excellente, peut-être facilitée par le faible relief des frises.

68 SIMANTONI-BOURNIA 1990, p. 48. 69 Simantoni-Bournia 1999, p. 1019. 70 Simantoni-Bournia 1990, p. 44.

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La technique du décor estampé à la roulette est un trait distinctif de la production tha- sienne. À quoi peut-on attribuer la vogue de la roulette ?

La technique de la roulette s'impose à Thasos dans le second quart du VIe siècle. Plus rapide et plus économique, elle détrône la grande tradition du relief modelé à la main, qui, après avoir fait la gloire de certaines Cyclades pendant deux siècles, donne, aux alentours de 600, des signes visibles d'essoufflement71. À Thasos, la technique du modelé s'illustre à travers des décors floraux (2, fig. 4), animaliers et mythologiques. Les trépieds publiés par E. Haspels (fig. 5 et 6), aujourd'hui au Musée National d'Athènes, sont les témoins les plus spectaculaires d'une pratique attestée dès la fin du VIIe siècle par le vase à l'Hermès, le plus ancien de la série (1, fig. 2) et qui se prolonge au premier quart du VIe siècle. Les représentations figurées trouvent des parallèles précis dans la céramique peinte contemporaine. La bottine ailée d'Hermès se retrouve à l'identique sur un col d'amphore et sur un plat thasiens de la fin du VIIe siècle, dont le style, dérivé du « mélien » des Cyclades, présente des originalités incontestables : l'allure plus élancée des figures, le foisonnement et l'élégance des éléments de remplissage72. . . Les plus anciens supports thasiens s'affranchissent encore davantage de la référence cycladique en innovant sur la forme et le décor. On ne peut que suivre la démonstration convaincante d'E. Simantoni-Bour- nia qui propose de descendre leur datation au premier quart du VIe siècle73. Ce sont, en effet, non pas les vases « méliens », mais bien les prédécesseurs directs des vases à figures noires qui offrent, dans la technique du trait et du réservé, les meilleurs parallèles au griffon et au sphinx des trépieds, inspirés par de nouveaux modèles venus d'Ionie du Nord et de Chios74. Dès lors, on peut s'interroger sur l'importance de l'héritage cycladique, qui semble se réduire à une technique bien adaptée au traitement de décors ambitieux. Les vases à reliefs permettent, une fois de plus, de souligner l'inventivité de la colonie et l'originalité de son style par rapport à celui de la métropole, Paros.

Si l'essor de la roulette a bénéficié de la crise du relief modelé, peut-on préciser les modalités de son adoption, à Thasos, au second quart du siècle ? D'après la roulette la plus ancienne (fig. 32, 5), l'impulsion pourrait venir de Chios. Le chœur des danseuses se retrouve sur un vase chiote, un peu plus ancien75. La référence iconographique s'éclaire à l'intérieur d'un contexte artisanal précis qui consacre, dès la fin du premier quart et pendant une bonne partie du second quart du siècle, le resserrement des relations entre Chios et Thasos, avec l'immigration d'un peintre qui modifie en profondeur le répertoire de l'atelier thasien auquel il s'intègre76. Cela dit, l'influence iconographique repérée ne signifie pas que le modèle chiote fut décisif sur le plan

71 Simantoni-Bournia 1999, p. 1016. 74 ÊtThas XIX, cf. les peintres de la première génération et, 72 Ph. Zapheiropoulou, loc. cit. (supra, n. 32), p. 178. en particulier, les deux premiers d'entre eux. 73 Simantoni-Bournia 1999, p. 1015. 75 Simantoni-Bournia 1999, p. 1020 et n. 43.

76 ÉtThas XIX, cf. le Peintre chiote.

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technique. En effet, le vase chiote invoqué a été exécuté dans la technique du modelé qui se prolonge à Chios, comme en Crète, plus longtemps qu'ailleurs77, même si l'estampage à la roulette s'y diffuse au VIe siècle.

Puisque le rôle de Chios reste ambigu, l'impulsion viendrait-elle de Corinthe, le plus grand centre producteur de roulettes à l'époque archaïque ? La seconde roulette thasienne figurant le départ d'Amphiaraos (fig. 32, 6) est de technique et de style corinthiens. La technique a pu conditionner le choix d'une iconographie — dont les racines corinthiennes sont attestées par des documents comme le coffre de Cypsélos ou des vases à figures noires — adoptée en même temps qu'elle. Deux réserves viennent pourtant à l'esprit. D'une part, l'iconographie de la première roulette thasienne innove par rapport aux modèles corinthiens : il s'agirait donc d'un emprunt sélectif et non d'une influence massive ; d'autre part, on constate un net déclin des importations corinthiennes au Corinthien Récent à Thasos, ce qui nuance l'idée d'un rôle moteur joué par Corinthe dans la période.

L'hypothèse d'E. Simantoni-Bournia selon laquelle Athènes, qui ne connaît que l'estampage à la roulette, aurait contribué à la diffusion de cette technique au VIe siècle en Egée78 a peu de chance de s'appliquer à Thasos. Si des influences attiques sont repérables au cours du deuxième quart du siècle, elles restent ponctuelles sur les vases à reliefs thasiens, y compris sur la roulette la plus récente figurant la dispute du trépied.

Puisque l'adoption de la roulette à Thasos reste sans paternité claire, on peut invoquer un phénomène très général qui veut que cette technique se substitue au relief modelé et au moule dans l'essentiel du monde grec à partir du second quart du VIe siècle.

Aucune roulette thasienne n'a été conservée. En dépit de la perte du prototype, qui pose des problèmes complexes sur lesquels nous reviendrons ultérieurement, les frises estampées sur une bande d'argile rapportée donnent des informations techniques. La comparaison des développements et des hauteurs témoigne de constantes significatives, comme l'illustre la liste suivante (fig. 32) :

5. Le satyre et les danseuses. Ht. : 4,2 cm. Développement : 1 1,2 cm. 6. Le départ d'Amphiaraos. Ht. : 4,3 cm. Développement: 17, 8 cm. 7. La course de biges au chien et au chaudron. Ht. : 4,2 cm. Développement: 17 cm. 8. La course de bige au chien et à l'oie. Ht. : 4,5 cm. Développement : 17,5 cm. 9. La file de cavaliers. Ht. : 4,2 cm. Développement: env. 17 cm.. 10. Le minotaure. Ht. : env. 7 cm. 11. La dispute du trépied. Ht. : 8 cm. Développement: 17,2 cm.

77 Simantoni-Bournia 1999, p. 1017, n. 30. 78 Ibid., p. 1017.

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11 Fig. 32. Développement de six roulettes thasiennes.

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La longueur la plus courante des développements se situe autour de 17 cm. Seule, la première roulette est sensiblement plus petite. La hauteur du bandeau figuré dépasse fréquemment 4 cm. Deux scènes sont plus imposantes : la représentation du minotaure et le vol du trépied, la dernière de la série, qui est, à bien des égards, la plus achevée. On constate parallèlement la multiplication des filets bordant la représentation. Uniques sur les premiers exemplaires, ils passent au nombre de deux sur la frise du bige à l'oie, au nombre de trois sur celle du vol du trépied. Ces constantes dans l'élaboration des roulettes, de même que l'évolution uniforme des plus récentes d'entre elles reflètent l'unité d'un milieu artisanal et l'existence d'habitudes d'atelier.

Trois fragments nous permettent de préciser la technique de la mise en place des bandeaux figurés. La technique du chiquetage, c'est- à-dire l'aménagement de rainures sur la surface du vase qui permettent une meilleure adhérence, est attestée sur 6e (fig. 13), au niveau de la cassure. Deux autres fragments de l'Athénaion confirment cette pratique. Sur 17 (58 0040, fig. 33), sept stries horizontales ont été incisées pour recevoir une bande d'argile dont il reste une partie en bas, à gauche. Sur 18 (58 1 1 12, fig. 34), l'empâtement d'argile au niveau de la rainure pourrait correspondre au reste d'un bandeau rapporté, attendu à la jonction de deux parties du vase, jonction que signale un renflement intérieur. En raison de la hauteur du bandeau (restitué d'après le travail de la surface du vase) et de la forme ronde de l'empâtement qui rappelle le crâne du cocher, on peut émettre l'hypothèse indémontrable qu'il s'agisse de la course de biges au chien et à l'oie.

Flg. 33. N° 17.

Fig. 34. N° 18.

Plus que la technique, ce sont les formes qui ancrent la série en contexte thasien.

///. Les Formes

Les pithoi et les supports sont les deux seules formes sûrement représentées à Thasos. L'amphore n'est pas clairement attestée, contrairement à la tradition cycladique. Quant aux réchauds, leur existence n'est pas assurée. Seuls, trois fragments (5b, 6b et 8a) présentent des traces de feu dont l'interprétation est malaisée.

Les pithoi

Ce terme désigne, d'ordinaire, un vase sans col par opposition à l'amphore. Le terme pithos évoque, au-delà d'une forme, une qualité d'argile, rouge, résistante, bourrée de dégrais-

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sants. Vu la très grande rareté des profils, nous renverrons par ce terme pithos à des vases fermés, tournés dans cette argile grossière.

Le pithos le mieux conservé (5a, fig. 7) présente un col court, un bord large et horizontal, une épaule plate. Sur le col, on voit la trace d'arrachement d'une anse horizontale. La présence d'un couvercle confirme la fonction de contenant clos. La couleur dionysiaque du décor pourrait suggérer qu'il s'agit d'un vase de stockage pour le vin. La jonction du col et de la panse, perceptible grâce à la présence d'un bourrelet intérieur, est masquée par le bandeau estampé dont l'origine fonctionnelle est de dissimuler le point de suture. La technique du colombin, qui consiste à monter le vase à partir de deux ou trois morceaux pour la panse et d'un dernier pour le col, est habituelle et bien connue79.

Les pithoi suivants prouvent l'existence d'un autre profil : Le pithos 1 (fig. 3) présente des fragments d'épaule au profil concave, doucement évasé vers la

panse et qui se resserre au niveau du col. Le fragment à la bottine ailée correspond au bas, plus étroit, de la panse.

Le pithos 10a (fig. 24) est réduit à un fragment d'épaule. La moulure triangulaire au bas du fragment correspond à la naissance de la panse. On ne voit pas de bourrelet d'argile indiquer le point de suture à l'intérieur, à la hauteur du bandeau figuré.

Le pithos 11 (fig. 9), avec ses deux fragments appartenant au départ de la panse, n'apporte pas de précisions notables sur la forme.

Ces vases de dimensions importantes (de 60 à 80 cm de diamètre) présentent au moins deux types de profils, si l'on en juge par l'articulation du col et de la panse. L'épaule décrit une ligne discontinue et tendant vers l'horizontale ou bien elle s'évase doucement depuis le col selon une courbure concave.

À côté des pithoi, on distingue une catégorie de vases fermés travaillés dans une argile mieux épurée.

Les vases fermés

6f. (fig. 14). L'argile est très épurée. 6b (fig. 10). Vase fermé. L'épaule oblique dessine un profil caréné qui se referme en direction de

la panse. On note la trace d'arrachement d'une anse verticale. Le parallèle fourni par un vase trouvé dans un habitat archaïque80 dont l'épaule carénée, collée à la panse, conserve, dans sa partie supérieure, le départ du col vertical, orienterait vers la forme de l'amphore.

7b (fig. 17). L'argile fine, très micacée, ressemble à une argile d'amphore. Le profil, qui articule l'épaule ronde qui se referme et la panse, n'est pas caréné.

79 Simantoni-Bournia 1990, p. 45, restitue les pithoi naxiens 80 4535 π, provenant du terrain Apostolidis. L'étude de ce en deux ou trois parties pour le corps du vase et en un nou- matériel, que le fouilleur, 0. Picard, m'a chargée de publier, vel élément pour le col. est en cours.

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Les pithoi et autres vases fermés constituent une part réduite de la production locale à reliefs, face aux supports qui la dominent très largement.

Les supports

La série des supports ajourés, pouvant prendre la forme de trépieds, permet d'isoler deux grands types : un type cylindrique et un type évasé.

Le type cylindrique

Relèvent de ce type les exemplaires les plus anciens, publiés par E. Haspels, qui sont aussi les plus complets. Le bord conservé sur 3 (fig. 5) présente une surface horizontale qui garantit la fonction de support. Ces supports prennent l'allure de trépieds, constitués de trois panneaux séparés par des arches en forme de trépied. L'exemplaire 7a (fig. 16) se fait l'héritier de cette tradition qui se prolonge jusqu'au dernier tiers du VIe siècle. Par rapport à son prédécesseur légèrement plus grand (36 cm au lieu de 30), on retrouve le jeu sur la forme et le décor du trépied, avec le dessin incisé de la cuve et les deux orifices pour l'attache de l'anse, qui pouvait être en corde ou en métal. Le trépied 7a innove sur plusieurs points : on remarque l'adjonction de fenêtres rectangulaires, la disparition du décor de cercles imprimés, l'apparition d'un décor floral incisé, le remplacement d'un pied à colonnettes par un pied plus large. Bien que le jeu des incisions invite à placer le pied (fig. 16C) sous le dessin incisé de la cuve, on constate des différences d'épaisseur. Le sommet du pied fait 2 cm, alors que l'épaisseur du vase est moindre sous la frise figurée : 1,2 cm pour le grand fragment ; 1,7 cm pour le second fragment figuré. Ces variations d'épaisseur, puisqu'elles concernent une même zone, n'excluent pas la restitution proposée (fig. 35) qui a l'avantage de faire coïncider une forme (le trépied), un élément de la forme (un pied en forme de trépied), un motif iconographique (le trépied de la victoire, le prix de la course de biges).

Flg. 35. N° 7a. Reconstitution.

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Fig. 36. N° 19.

Fig. 37. N° 20.

La vogue de cette forme est attestée par une série de fragments.

— Les colonnettes de l'Athénaion : 19 (fig. 36), dont les deux fragments (58 0030 et 58 0031) pourraient

appartenir au même support (2,7 cm de large χ 2 de profondeur), rappelle les colonnettes publiées par E. Haspels, mais elles sont plus étroites (2,5 au lieu de 4,5 cm) et devaient appartenir à des trépieds de taille plus modeste. La face antérieure est décorée de lignes incisées : une ligne simple qui sert de cadre et, au centre, deux lignes doubles rapprochées. Le décor plus complexe des premières colonnettes, fait de cercles imprimés (3), n'a pas été conservé sur cette surface restreinte.

— Le fragment n° 20 (58 00 33, fig. 37) conserve la trace d'un orifice, cerclé d'une incision. Comme il ne semble pas se refermer, on restitue une arche plutôt qu'un trou. D'après l'orientation des stries de tournage, il s'agit d'un support de type cylindrique.

— Des vases de forme cylindrique, percés de fenêtres :

8b (fig. 20). La forme est nettement cylindrique. Un trou cerclé d'une incision devait correspondre à l'accrochage de la poignée.

8c (fig. 21). Au-dessus de la frise figurée, par deux fois, l'argile lissée indique une terminaison qui pourrait correspondre à l'aménagement d'une fenêtre rectangulaire. Sous la frise figurée, un fragment conserve un décor de traits incisés, comme sur le support 7a (fig. 16A).

6e (fig. 13). L'orifice percé sous la scène figurant le départ d'Amphia- raos peut correspondre à un trou pour l'attache de l'anse, comme sur 7a et 8b, ou encore à une arche.

Un sous-groupe est constitué de pieds cylindriques, de plus petits diamètres. Ils s'inspirent de façon assez lointaine du premier type étudié.

6c (fig. 11). La limite supérieure du pied, marquée par une incision horizontale dans la tranche, se situe à 2,5 cm au-dessous de la frise figurée. On retrouve un trou au centre du motif incisé.

21. 5164 π, d'un habitat au terrain Apostolidis, d'un remblai hellénistique contenant beaucoup de matériel archaïque. Diam. : 25 cm. Ép. : Fig. 38. N° 21. 2,6 cm (fig. 38).

La tranche bien lissée à gauche correspond à une terminaison, conservée sur 12 cm de haut. La fleur incisée est un motif d'angle qui s'encastre entre deux fenêtres obliques, bordées, chacune, d'une incision. Le cœur de la fleur correspond, en revanche, à une cassure.

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LES VASES À RELIEFS THASIENS DE L'ÉPOQUE ARCHAÏQUE 139

22. 58 111. Fragment de pied de l'Athénaion. Ép. : 2, 5 cm (fig. 39). La tranche lissée du pied, conservée sur une hauteur de 9,3 cm, est bordée de

deux incisions verticales.

18. de l'Athénaion. Ép. : 1,8 cm. Diam. : 32 cm (fig. 34). Deux incisions verticales flanquent le pied à droite.

Flg. 39. N° 22.

Le type cylindrique est, de loin, le mieux connu. Sa hauteur est conséquente. Les exemplaires publiés par E. Haspels, dont le plus grand, au moins, présente un profil complet, mesurent 24 et 27 cm de haut. Parmi les nouveaux fragments, le mieux conservé (7a, fig. 16) a une hauteur de 15,5 cm. Il est difficile de dire si le renflement, parfois perceptible à l'intérieur du support (fig. 5, 16 et 34), correspond à un accident de tournage (on ne constate aucune boursouflure au revers de l'exemplaire 4) ou s'il indique la présence d'un raccord. Les supports s'agenceraient alors en plusieurs parties, comme les pithoi.

Le type évasé

L'exemplaire 8a (fig. 19) est le moins lacunaire de ce type. Diam. : 40 cm. Au-dessus de la zone figurée sont conservées deux terminaisons lissées. Celle de gauche est assurément une fenêtre oblique. Deux incisions horizontales sur la tranche indiquent son extrémité inférieure. La frise de biges continuait donc à courir vers la gauche. Le motif floral incisé, volontairement incomplet, est conçu comme un décor d'angle. La terminaison de droite, en revanche, bordée de deux incisions, est plus proche de la verticale, même si elle s'évase doucement vers le bas. La projection de la tranche manquante au niveau de la frise figurée coïncide avec la fin du bige. Le support de type évasé est, lui aussi, percé de fenêtres.

23. 7889 π, trois fragments de support de l'Athénaion. Ép. : 1,4-1,5 cm. Ht. max. conservée: 6,5 cm (fig. 40).

Le plus grand fragment présente le bord vertical gauche d'un pied. Trois incisions verticales soulignent la découpe du pied. Plus à droite, les pétales d'une palmette sont incisés. Sous le pétale inférieur, le reste d'une fenêtre. Le second fragment aux pétales présente également une tranche horizontale qui signale l'existence d'une fenêtre, de plus de trois centimètres de large. La surface ainsi dégagée n'est pas bien lissée ; elle conserve des traces d'empâtement. À gauche, le départ d'une projection verticale atteste la continuité du vase qui encadre la fenêtre. Le troisième fragment ne conserve que les incisions en étoile de la rosette. Il présente quelques traces noires qui n'excluent pas la fonction de réchaud. À gauche, le départ d'une arche, comme sur les supports 3, 4 et 7a. Une seconde surface lissée présente une orientation oblique qui permet de restituer une fenêtre de forme peut-être triangulaire. β^^ Fig- 40. N° 23.

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24. 7890 π. de l'Artémision. Diam. : 48 cm. Ép. : 1,7 cm (fig. 41). On retrouve comme sur 8a (fig. 19) une moulure plongeante, de section triangulaire. La trace

d'une étroite fenêtre rectangulaire, comme sur 7a (fig. 16A) montre qu'il existe des ponts entre les deux types de supports, issus d'un même atelier.

La vogue du support évasé, muni de pieds ou de fenêtres, est confirmée par des fragments de l'Athénaion :

25. 58 0034. Le bord travaillé du pied qui s'évase se situe à gauche. Ép. : 1,4 cm (fig. 42). L'argile est compacte, bien épurée. Deux fines incisions verticales soulignent le bord. La largeur

conservée du fragment (8,5 cm) est plus importante et l'épaisseur plus fine que celle du pied 7a.

26. 58 0035. Ép. : 1,4 cm (fig. 43). Même qualité d'argile que précédemment. Sur l'envers, des surplus n'ont pas été lissés. Le bord

travaillé est à gauche.

27. 58 0036. Ép. : 2 cm (fig. 44). Trois lignes incisées, une près du bord, deux autres resserrées, 1 cm plus loin.

Fig. 41. N° 24. Fig. 42. N° 25. Fig. 43. N° 26. Fig. 44. N° 27.

28. 58 0038. Ép. : 1,7 cm (fig. 45). Ce fragment porte le même décor, mais il s'agit probablement d'un support différent.

29. 58 0037. Ép. : 1,8 cm (fig. 46). Ce fragment présente une fenêtre découpée, rectangulaire, d'1 cm de large. À gauche de la fenêtre,

une incision ; puis, plus à gauche, deux autres incisions verticales, flanquées de cercles incisés. Sous la zone ajourée, entre des filets en relief, des files de cercles horizontales, imprimées à main levée. Les motifs incisés, la fenêtre, les moulures rappellent 24 (fig. 41).

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30. 7892 π, de l'Athénaion. Largeur du pied : 10,5 cm. Diam. : 26 cm (fig. 47). Il s'agit là de la seule surface de pose que nous possédions. On est tenté de restituer trois pieds,

séparés par trois vides plus petits.

Le support évasé présente une diversité de profil. Un des mieux préservés, provenant de l'Artémision, est ajouré et présente une forme conique81 (fig. 48).

En marge de ces groupes, on constate l'existence de profils plus difficiles à classer, qui témoignent de la diversité des supports thasiens.

9. Diam. : env. 37 cm. Ép. sous le bandeau figuré : 1,7 cm ; au niveau du décor : 2,3 cm (fig. 23). Ce support aux parois épaisses, au profil évasé, présente une fenêtre étroite d'1,5 cm de large,

aménagée au-dessus du premier cavalier à droite.

31. 58 719. Ép. : 1,8 cm. Diam. : 40 cm. L'argile est très orange (fig. 49). La tranche dessine une fenêtre oblique, à droite. On retrouve le décor de palmette d'angle

incisée. Pour l'incision des pétales, l'artisan commençait par les droites qu'il dotait ensuite d'une terminaison arrondie. Les deux pétales de droite présentent une jonction très approximative entre ces deux phases du travail. Le premier présente un repentir : la première courbe tracée, paraissant trop petite, un second contour arrondi a été tracé à 5 mm au-dessous du premier. L'artisan progressait dans son dessin des pétales de gauche à droite : deux reprises à l'intersection des pétales le montrent.

Fig. 45. N° 28. Flg. 46. N° 29. Flg. 47. N° 30.

Fig. 48. Support ajouré de l'Artémision.

Flg. 49. N° 31.

81 Cet exemplaire, photographié sans échelle (30441) et non retrouvé au musée, a conservé l'intégralité de sa hauteur et se présente sous la forme d'un pied conique, incisé de doubles lignes horizontales. Le cliché ne montre pas la partie supérieure de l'objet et ne permet pas de savoir s'il s'agit d'un

pied ou d'un support indépendant. Sous le bord en ressaut, une première zone avec deux trous ; puis une seconde plus haute, délimitée par des doubles filets horizontaux incisés, avec une longue fenêtre étroite ; suivent deux autres zones, délimitées par les mêmes filets doubles.

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Pour conclure sur le support, on soulignera la vogue d'une production dont on a peine à préciser la fonction. Celle du réchaud semble, sinon exclue, du moins marginale. Contrairement aux brasiers siciliotes, les traces de feu sont rares et peut-être accidentelles, dues à des incendies. Quels types de vases cette vaisselle de luxe, trouvée dans l'habitat et les sanctuaires, pouvait-elle supporter ?

Comme le démontre S. Weinberg pour la céramique corinthienne82, il est peu probable que l'on ait affaire à des supports de pithoi : d'une part, leur fond pointu était destiné à être enfoncé dans le sol ; d'autre part, les supports ne seraient pas assez robustes pour maintenir des pithoi pleins.

Les supports de vasques sont, en revanche, bien attestés à l'époque archaïque, à Corinthe sous la forme de bassins sur pieds hauts83 et de bols-tripodes84 ou dans un milieu proche de Thasos, à Chios, à Milet et à Clazomènes, sous la forme de supports de loutéria, de perirrhan- téria et de bassins en terre cuite85.

À Thasos, le seul rebord conservé (3, fig. 5) présente, dans les parties non érodées, une surface plane et lissée. Contrairement à la majorité des exemples précédents, le trépied n° 3 était donc indépendant du vase qu'il portait. Un support archaïque d'Izmir, mouluré, estampé et associé à une vasque amovible, constitue un bon parallèle86. La surface plane du rebord pourrait indiquer que les supports thasiens accueillaient de grandes vasques à fond plat, abondamment attestées à Thasos, notamment dans l'habitat87.

Si l'étroitesse des relations avec l'Ionie a pu jouer un rôle dans l'élaboration des supports fenestrés, leur popularité à Thasos s'explique aussi par une tradition locale, inspirée des Cyclades. Le support mélien du Louvre datant de l'époque géométrique88, décoré de motifs peints, est un lointain prédécesseur. En revanche, les pieds ajourés des amphores « méliennes » sont des formes que les artisans thasiens ont imitées à l'époque orientalisante et dans l'atelier thasien à figures noires. Les productions du VIe siècle confortent la très grande variété des profils. On trouve à côté de grands pieds cylindriques89, des pieds coniques90, dont un, au moins, est percé d'un orifice (fig. 50)91.

Fig. 50. Support ajouré de l'atelier thasien à

figures noires.

À côté des vases et des supports de vases, les roulettes thasiennes ont aussi décoré des larnax.

82 WEINBERG 1954, p. 116, n. 62. 83 M. lozzo, loc. cit. {supra, n. 25), p. 355-416. Certains supports présentent d'étroites fenêtres verticales, cf. Kerschner 1996, pi. 19. 84 S. HERSOM, loc. cit. (supra, n. 20), p. 275, fig. 1 et pi. 72. Le diamètre de 38 cm est proche de celui des supports thasiens. 85 Kerschner 1996, p. 78-79.

86 KERSCHNER 1996, p. 78, pi. 20, 1. 87 Par exemple, dans l'habitat au terrain Apostolidis. 88 J. Boardman, op. cit. (supra, n. 46), p. 59, n° 87, d'une hauteur de 20 cm. 89 ÉtThas XIX, pi. XLVIII, 379. 90 L. Ghali-Kahil, La céramique grecque (fouilles 1911-1956), ÉtThas VII (1960), p. 100, pi. XLIII, le publie comme un pied de lébès gamikos attique.

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Les larnax

Les larnax sont couramment attestées en Grèce du Nord92, y compris à Thasos93. La plupart des exemplaires connus sont décorés de motifs d'oves et de fers de lances, rehaussés d'un vernis rouge et datés de l'époque classique. Le n° 16 (fig. 30), avec un décor qui est l'ancêtre du rai-de-cœur, a l'intérêt d'attester cette production dès l'époque archaïque. Le n° 6g (fig. 15) est la seule larnax thasienne connue à ce jour qui porte un décor figuré. Une larnax du musée de Cavala, décorée de l'aveuglement de Polyphème94, fournit un parallèle bien conservé pour le VIe siècle qui témoigne de la diffusion régionale des larnax à décors mythologiques.

Si les supports constituent indéniablement une spécialité thasienne, l'analyse des productions révèle la diversité de l'atelier qui fait dans le gros pithos comme dans le vase à paroi fine et qui ne produit pas que des vases.

Le caractère le plus spectaculaire de cette production reste l'iconographie, d'une richesse exceptionnelle.

IV. ^iconographie

Contrairement à d'autres ateliers grecs, les productions thasiennes frappent par la rareté relative des frises florales. On constate, en revanche, l'importance du répertoire figuré et en particulier des scènes mythologiques.

La scène dionysiaque permet de mesurer, une fois de plus, l'influence de Chios sur l'artisanat thasien. Comme le mentionne E. Simantoni-Bournia95, les danseuses relèvent d'une iconographie chiote. Chios est une référence majeure dans la première moitié du VIe siècle. Sensible à travers la sculpture96, elle est autrement pondérable sur les productions de céramiques locales à figures noires. La mode chiotisante, dont l'acmé se situe aux alentours de 580-570, est largement provoquée par l'immigration à Thasos d'un artisan formé à Chios. Sur un de ses plats, mentionné dans le catalogue, le comaste, avec les proportions carrées de la tête, le geste balancé des bras donnant l'équilibre, les genoux plies, la souplesse du ventre et de la croupe, fournit un parallèle pour l'attitude du satyre qui ne figure pas sur le vase à reliefs de Chios. Ce rapproche-

91 ÉtThas XIX, pi. XXXVII, 245. sur le plat du bord et sur les frises, le vernis rouge, viré au 92 H. Koukouli-Chrysanthaki, « Sarcophages en terre cuite noir à un endroit. d'Abdère », BCH 94 (1970), p. 346-349, fig. 22-24. Cf. aussi 93 Cf. 1180 π, une larnax trouvée près d'Arkouda, dans une l'exemplaire du musée de Cavala, trouvé à Oisymè, colonie nécropole ancienne, BCH 80 (1956), p. 430, fig. 42. thasienne : il présente sur son bord vertical, à l'intérieur et à 94 Cf. supra, p. 131. l'extérieur, un motif d'oves et de fers de lance. On retrouve, 95 Simantoni-Bournia 1999, p. 1020 ; eau. 1992, pi. 1, 1.

96 B. HOLTZMANN, loc. cit. (supra, n. 36), p. 125-165.

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ment témoigne de l'origine commune des modèles de référence et de la vogue des scènes dionysiaques, dont nous voyons alors les premières apparitions à Thasos. Un autre document, attribué au même peintre, présente la première scène mythologique de l'atelier du VIe siècle : une chasse au sanglier de Calydon, représentée sur un cratère à colonnettes, exposé au musée de Cavala97. La forme du cratère, que l'on retrouve peint sur le plat aux comastes, au milieu d'autres vases liés au symposion (coupe ou calice, œnochoé), ainsi que le choix du mythe, né de la colère d'Artémis, négligée par Œnée, le roi-vigneron, disent l'importance de la culture du vin. L'iconographie d'une des plus anciennes simas thasiennes, la sima au centaure98, dont la sauvagerie est déchaînée par l'abus de vin, conforte l'importance de ce thème. Du point de vue du style, la face du centaure n'est pas très éloignée de celle du satyre qui conserve à Thasos, jusqu'à la fin du VIe siècle — en sculpture, sur la céramique et sur les monnaies — cette trogne caractéristique (nez en trompette, front bombé, longue barbe). La scène du pithos porte en germe un thème qui servira d'emblème à la cité : l'enlèvement de la ménade par le satyre sur les monnaies thasiennes de la fin du VIe siècle.

Si la convergence des sources figurées renseigne sur l'importance des contacts avec Chios et sur l'intérêt que suscite, à Thasos, la culture de la vigne dès les années 580, des analogies de détail (concernant, par exemple, les éléments de remplissage) analysées dans le catalogue, contribuent également à ancrer la scène du pithos dans un contexte artisanal local. La représentation exotique du singe accroupi, tourné vers la droite, rappelle un vase à reliefs tiniote du VIIe siècle99 et confirme l'éclectisme inventif de l'artisanat thasien.

Le départ d'Amphiaraos fut un épisode particulièrement populaire, à en juger par le nombre de vases estampés et par l'utilisation de cette roulette pendant plus d'un demi-siècle (fig. 9). Les thèmes du destin et de la trahison, qui sont au cœur du mythe, sont suffisamment denses pour en expliquer le succès. L'origine corinthienne du modèle a été analysée par E. Simantoni-Bournia. Le coffre de Cypsélos, comme l'amphore, désormais perdue, du Musée de Berlin, attestent la mise en image du mythe dès le second quart du VIe siècle. On retrouve des réminiscences précises. Cependant, la restitution complète du développement grâce au fragment 6d (fig. 12) renseigne sur une version plus riche, faisant intervenir des figures plus nombreuses. Une amphore « tyrrhénienne », mentionnée dans le catalogue, présente une pléthore de personnages, parmi lesquels on reconnaît les pleureuses et le vieillard. La version corinthienne revue et corrigée à la lumière de la tradition connue à Athènes inspire une création originale qui insiste sur la dimension prophétique de la scène. L'atmosphère divinatoire transparaît à travers la figure du vieillard, miroir d'Amphiaraos, qui connaît également son destin, à travers les lamentations funèbres des femmes autour du trépied prophétique, dont la représentation fait l'effet

97 A. Lemos, op. cit. (supra, n. 41), pi. 221. 99 N. ContoléON, Aspects de la Grèce préclassique (1970), 98 B. Holtzmann, « Une nouvelle sima archaïque», in Thasiaca, p. 30, pi. XVIII, 1. BCH Suppl. V (1979), p. 1-9.

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d'un hapax, et à travers la présence insistante des oiseaux, le seul animal représenté, contrairement à la variété du bestiaire sur le cratère corinthien. C'est le devin qui, sur l'image thasienne, dégage la plus grande charge d'expressivité. Précurseur du vieux devin du fronton d'Olympie, il rappelle, par le profil bombé de son front, par son nez camus, mais, surtout, par sa bouche agrandie par le cri, le centaure de la sima thasienne.

La dispute du trépied jouit d'une grande popularité dans la céramique attique. D. von Bothmer, à la suite de F. Brommer, en recense près de deux cents exemples100. On constate un engouement très fort pour ce thème au dernier quart du VIe siècle, lié — semble-t-il — au rayonnement de la frise du trésor de Siphnos101. Particulièrement prisé par les peintres à figures rouges, le thème est traité plusieurs fois dans l'atelier d'Andokidès102 — et l'on retrouve le port du chiton en écharpe sur le torse d'Apollon — , ainsi que par Phintias et dans la céramique à figures noires contemporaine. La vogue du mythe se prolonge au début du Ve siècle av. J.-C, comme en témoigne l'amphore panathénaïque du Peintre de Berlin103. La forte occurrence du mythe en pays attique permet, justement, de mesurer l'originalité de l'iconographie thasienne. La composition en diptyque avec l'annonce du dénouement de la dispute, sous l'arbitrage de Zeus, ne doit rien à Athènes. Les schémas attiques les plus courants mettent les deux protagonistes face à face ou les intègrent à une composition à quatre personnages, où figurent Artémis et Athéna104. D'autres versions plus fournies où les personnages abondent, encadrés parfois de chars, n'offrent pas davantage de parallèles exacts au relief thasien105. La frise du trésor de Siphnos a l'intérêt d'associer Zeus au mythe delphique, qui bénéficie d'une résonance particulière à Thasos puisqu'il réunit des figures importantes du panthéon local. Il confirme le succès du cycle apollinien, le plus représenté dans l'atelier local à figures noires. Qui plus est, la composition met en vedette Héraclès, dont le culte est l'un des plus populaires à Thasos. En dépit des nombreuses variantes créées autour du trépied, représenté verticalement, en oblique ou à l'horizontale au niveau des reins ou des torses, le port du trépied, maintenu à l'horizontale sur les épaules d'Héraclès, n'est pas attesté dans l'iconographie attique avant l'amphore du Peintre de Berlin, au début du Ve siècle. Au nombre des particularités thasiennes, citons aussi la figure d'Athéna, représentée avec économie, sans casque ni égide, comme lors de sa première apparition dans l'atelier thasien à figures noires106.

100 D. von Bothmer «The Struggle for the Tripod», in Fest- 1478), attribuée au Peintre de Lysipidès (J. D. Beazley, Attic schrift fur F. Brommer (1977), p. 51-63. Black-Figure Vase-Painters [1956], p. 255, 13 et 673 ; CVA 101 Ibid., p. 51 et 54. Munich 7, pi. 357-358). La coupe de Munich (inv. 2020), attri- 102 Ce détail est présent sur l'amphore de type A, à figures buée au Peintre de Lysipidès par Beazley; P. E. Arias, Storia rouges, de Berlin (inv. F 2159), signée par Andokidès et attri- délie ceramica di età arcaica, classica ed ellenistica e délia buée au Peintre d'Andokidès ; ARV2, p. 3, 1 ; E. Pfuhl, Maie- pittura di età archaica e classica, Enciclopedia Classica, sec- rei und Zeichnung (1923), III, pi. 87. Citons, du même atelier, tion III, vol. XI (1963), pi. 56, 1. l'amphore de type A, à figures rouges, de New York, Metro- 103 J. D. Beazley, Der Berliner Maler (1930), pi. 8, 2. politan Museum (inv. 63.11.6); D. VON BOTHMER, BMM 23 104 V. LAMBRINOUDAKIS, LIMC II, 1 (1984), s.v. «Apollon», (1964), p. 72-73 et BMM 24 (1965-1966), p. 210, où les p. 305-306. liens entre l'amphore et le trésor de Siphnos sont soulignés ; 105 Le cratère à col de New York, cf. D. Von Bothmer, toc. ARV2, p. 1617. Les deux autres vases sont décorés dans la cit. (supra, n. 100), pi. 17 ; LIMC II, 1 (1984), p. 307, n° 1034, technique de la figure noire. L'amphore à col de Munich (inv. et II, 2 (1984), pi. 272, n° 1034.

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Enfin et surtout, c'est l'adjonction du bouc qui signe l'isolement du relief thasien. Cette particularité iconographique a été interprétée par D. von Bothmer comme une variante sur le thème du rapt de la biche, traditionnellement liée à Apollon107 ou encore comme l'illustration d'une légende locale. Sur le relief thasien, le bouc est placé sur le même plan que le trépied prophétique. On peut penser à la place réservée aux chèvres dans le culte d'Apollon. P. Amandry108 évoque la consécration, par les Skyathiens, d'un bouc de choix au dieu. Ce sacrifice s'expliquerait par une légende locale racontée par Diodore et Plutarque, selon laquelle l'oracle de Delphes aurait été découvert par des chèvres. Le bouc soulignerait ainsi le sens profond de l'image : l'affirmation du pouvoir d'Apollon sur le sanctuaire delphique.

La représentation du minotaure, attestée, dès le VIIe siècle (par exemple, sur les vases peints de Sicile), se diffuse au début du VIe siècle, comme l'attestent des vases corinthiens et béotiens, une sima lydienne109, un brassard de bouclier d'Olympie110. La scène apparaît en Attique vers 560111 et devient à la mode dans la seconde partie du VIe siècle. Peu répandue dans le répertoire des vases à reliefs, elle figure néanmoins sur un vase corinthien daté de la première moitié du VIe siècle112. L'originalité thasienne réside dans l'évocation du labyrinthe, désigné par la colonne ionique, et, surtout, dans la représentation de face du minotaure. Elle se rencontre ponctuellement dans l'atelier chalcidien au troisième quart du siècle113 et retient l'attention des peintres attiques à figures rouges à la fin du VIe et au début du. Ve siècle114. Le cratère en calice à figures rouges, attribué au Peintre de Syriskos et daté vers 480, constitue le meilleur parallèle à la roulette thasienne115. Le traitement de cette image forte pourrait s'inspirer des recherches des imagiers d'Athènes.

Parmi le répertoire des roulettes figurées, la course de chars est le thème le plus anciennement représenté et l'un des plus populaires à l'époque archaïque. Il apparaît en Crète, au deuxième quart du VIIe siècle116. Deux vases de Prinias, exposés au musée d'Héracleion, témoignent d'une tradition locale. Les deux frises estampées combinent les thèmes du cavalier et du bige vers la droite, en les intégrant à une composition bien structurée où un motif floral, pour

106 N. Weill, « Images d'Artémis à l'Artémision de Thasos », 111 H. A Shapiro, « Old and New Heroes : Narrative, Compo- in H. Metzger (éd.), Actes du colloque sur les problèmes de sition and Subjects in Attic Black-Figure», ClAnt 9 (1990), l'image dans le monde méditerranéen classique, Lourmarin, p. 128-129. 1982 (1985), p. 141, pi. IV, fig. 8 ; ÉtThas XIX, n° 140. 112 MILLER 1987, p. 270, pi. 50a. 107 Cf. le lécythe attique de New York (D. von BOTHMER, 113 S. W00DF0RD, LIMC VI, 1 (1992), s.v. « Minotauros », loc. cit. [supra, n. 100], pi. 19) ; l'amphore de Tarquinia, p. 575 et pi. 317, 8. J. Boardman, Athenian Black Figure Vases. A Handbook 114 Cf. une coupe attique à figures rouges de Florence, datée (1974), n° 228 ; CVA Louvre 4, pi. 48, 2, cité dans LIMC II, vers 480 {ARV2 I, 413, 25 ; LIMC VI, 1, p. 576, 29 et VI, 2, 1 (1984), p. 306, n° 1024 : la biche qui retourne la tête en pi. 320, 29). direction d'Apollon lui est clairement associée. 115 ARV2\, p. 259, 1; P. HARTWIG, P. Wolters, R. ZAHN, in 108 P. Amandry, La mantique apollinienne à Delphes. Essai B. Graef, E. Langlotz (éds), Die antiken Vasen von derAkro- surle fonctionnement de l'oracle, BEFAR 170 (1950), p. 109- polis (1925), II, pi. 61, n° 735. 110. Je remercie F. Salviat pour ce renseignement. 116 Simantoni-Bournia 1999, p. 1017, n. 28 ; SCHÂFER 1957, 109 N. A. Winter, op. cit. (supra, n. 49), p. 236. p. 20, date la plus récente des deux roulettes de 630. 110 E. Kunze, Archaische Schildbânder, Olympische For- schungen 2 (1950), pi. 15d.

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la roulette la plus ancienne117, un motif floral et un trépied, pour la plus récente118, viennent scander l'espace et séparer les séquences. À l'exception du trépied, que l'on retrouve un siècle plus tard sur 7, les roulettes thasiennes doivent peu à celles de Crète, qu'il s'agisse des compositions, des motifs retenus (le cavalier, les motifs floraux, la chasse au lièvre...) ou encore du style. Ces remarques valent également pour le traitement de la « chasse » en bige qui se retrouve, en milieu crétois, sur la sima de Palaikastro119.

À Rhodes, les défilés de biges s'inscrivent dans un système décoratif original où les décors secondaires, très souvent des tresses, tapissent l'ensemble du vase. Cette esthétique influe sur le traitement des frises figurées, dont le caractère répétitif s'harmonise avec les bandeaux secondaires. À côté de la séquence banale, constituée d'un bige conduit par un cocher penché en avant, suivi d'un hoplite à pied120, on rencontre une roulette plus originale, datée vers 530 et constituée de lanciers, debout sur la caisse du bige, derrière l'aurige121. Là encore, les différences avec les roulettes thasiennes, à peu près contemporaines, sont patentes : la construction répétitive et non binaire de la séquence, l'absence de motifs secondaires comme les chiens, dont la fonction — on l'a souvent dit — , est de noter la vitesse, et, liée à cela, l'attitude calme et lente des chevaux rhodiens.

Ce peu d'intérêt pour le mouvement caractérise aussi les roulettes attiques. Les fragments de vases à reliefs de l'Acropole permettent de reconstituer plusieurs roulettes représentant des courses de biges122. La roulette la plus ancienne, datée du début VIe siècle, voire même du VIIe siècle, présente deux biges conduits par des cochers vers la droite, suivis d'un hoplite à pied. La roulette la plus récente, datée de la fin du VIe siècle et donc contemporaine d'une roulette thasienne, s'inspire du même schéma, avec quelques variantes, notamment l'orientation vers la gauche et la présence d'un hoplite en train de monter en char derrière chaque bige. En dépit du schéma identique de deux biges vers la gauche et du détail des roues à quatre rayons, repris sur 8, la comparaison avec les roulettes thasiennes fait éclater les différences. D'un point de vue technique, tout d'abord, le relief attique est très plat. Quant à l'iconographie, on relève la présence de l'hoplite et d'un scorpion dans le champ, le vêtement long des auriges, coiffés du pétase, le dessin de la caisse du char, dont le bord supérieur est horizontal et non échancré et qui n'est pas décorée d'un motif quadrillé. Enfin, le style diffère. Le profil des visages est bien attique, avec les traits accentués, le nez fort et la barbe pointue et plongeante. L'allure statique des auriges est cohérente avec le fait que le char sur lequel l'hoplite monte n'a pas encore démarré.

117 Schâfer 1957, p. 12, 3 ; L Pernier, Ioc. cit. {supra, n. 12), rons de 480, cf. N. A. Winter, op. cit. (supra, n. 49), p. 258, p. 93, fig. 47. n. 161. 118 SCHÂFER 1957, p. 15, 15; L. PERNIER, Ioc. cit., p. 70, 120 D. FeytmanS, Ioc. cit. (supra, n. 15), pi. XXIX. fig. 39. 121 SCHÂFER 1957, p. 55 ; MDAI(A) 21 (1896), pi. VI. 119 R. C. Bosanquet, ABSA 11 (1904), pi. XV, p. 300-303 et 122 M. S. BROUSKARl, op. cit. (supra, n. 13), p. 84θ5, η° 68, ABSA 40 (1939-1940), p. 67-68, pi. 17 ; sur la chronologie pi. 154-155. brutalement descendue de cette sima de la fin VIIe s. aux envl·

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Si les vases à reliefs ne fournissent pas de parallèles déterminants aux créations thasiennes, on a souvent signalé, en revanche, les ressemblances avec les terres cuites architecturales ioniennes d'Asie Mineure, notamment celles de Larissa. Les courses de biges les plus proches du schéma thasien, sans hoplites, excellent à rendre le mouvement qui anime également les roulettes thasiennes. On retrouve l'impression de vitesse donnée par les chiens, les tuniques bouffantes, les chevelures au vent. Enfin, le profil bien conservé d'un cocher (8d, fig. 22) est nettement ionien.

Si la citation est claire, on assiste néanmoins à une réélaboration du schéma à Thasos. La frise des biges au chien et au trépied s'intégrerait, en dépit des modèles des biges en chasse de Larissa, à la catégorie des reliefs mythologiques. E. Simantoni-Bournia a bien analysé la succession des trois phases du concours : la phase préliminaire indiquée par l'aurige montant sur son char, la phase agonistique proprement dite, puis la récompense finale matérialisée par le trépied de la victoire. L'identification avec les jeux funèbres en l'honneur de Pélias se fonde, en partie, sur l'association de cette scène et du départ d'Amphiaraos sur le coffre de Cypsélos. Cette interprétation a le mérite d'éclairer les relations étroites entre les roulettes 6, 7 et 8 (fig. 32). La version thasienne des jeux funèbres en l'honneur de Pélias réinterprète, dans un cadre mythologique corinthien, des modèles venus de l'Éolide. Ce faisant, elle inaugure une tradition d'atelier qui marque l'élaboration de la dernière roulette de la série : celle des biges à l'oie. Contrairement à l'esthétique répétitive des simas de Larissa, on retrouve l'organisation binaire de la séquence, jouant des variations entre le bige au galop et le bige à l'arrêt, entre l'aurige sur la caisse de son char ou en train d'y monter. Le traitement des rênes est identique sur les trois roulettes thasiennes. Il s'inspire du groupe 3 de Larissa, à la différence près qu'à Thasos les rênes sont doubles. Le dessin des caisses, agrémenté d'un motif quadrillé, est plus échancré à Thasos. Les mollets des auriges apparaissent, dégageant la souplesse et la tension de l'attitude, alors qu'à Larissa les genoux sont cachés. C'est une des astuces exploitées par les artisans thasiens pour renforcer l'impression de vie et de mouvement. L'énergie, la vitalité, la charge expressive culminent sur la dernière roulette, à propos de laquelle E. Simantoni-Bournia a souligné le rendu exceptionnel des têtes des chevaux. Elles permettent, en outre, de détecter l'adaptation thasienne. La crinière dressée et drue des chevaux et la houppe « en flammes »123 ont souvent été considérées comme des caractéristiques locales qui se retrouvent sur les vases peints ou à reliefs, sur les terres cuites (sur la sima et les antéfixes pentagonales de l'Héracleion) ainsi que sur la sculpture sur marbre. Le trépied à trois anses sur le relief des biges au chaudron, sans être un hapax124, est aussi une curiosité que le créateur de la dernière roulette semble avoir retenue (fig. 25 et 32). On peut s'interroger, pour finir, sur l'originalité du motif de l'oie, qui remplace le lièvre ou le daim des simas de Larissa. On constate la vogue de cet animal dans la céramique parienne ainsi que sur des antéfixes locales.

123 Picard 1941, p. 77. l'honneur de Pélias ; cf. P. Hartwig, P. Wolters, R. Zahn, op. 124 Ce motif apparaît dans la céramique attique, dès le cit. (supra, n. 115), I, p. 64, n° 590 et pi. 27. deuxième quart du VIe s., dans la représentation des jeux en

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LES VASES À REUEFS THASIENS DE L'ÉPOQUE ARCHAÏQUE 149

Flg. 51. Le bassin d'Aliki.

Le thème des cavaliers en chasse reprend une tradition locale ancienne. Le bassin d'Aliki (fig. 51)125, du VIIe siècle, en est une des premières attestations. Sur un fond luxuriant, tapissé de motifs de remplissage, on distingue, de gauche à droite, les deux jambes pendantes d'un cavalier, l'avant-train d'un cheval et, sous ses pattes avant, la tête d'un chien, dont l'encolure est rehaussée de rouge. Devant lui, l'arrière-train d'un second cheval et, juste avant la cassure, l'arrière-train et la longue queue en panache d'un chien. Une courbe correspond aux reins d'un second cavalier. Un fragment de sima, également trouvé à Aliki et daté du début du VIe siècle126, présente l'arrière-train d'un cheval et d'un chien. Enfin, les simas aux « cavaliers thraces » réinterprètent le même canevas dans le cadre d'une chasse au lièvre, motif également très populaire à Thasos, à en juger par la céramique peinte des années 600127. Une lékanè à figures noires, déjà citée dans le catalogue, reprend, au dernier quart du VIe siècle, la frise du vase à reliefs, à peu près contemporaine. Dans tous les cas, du schéma le plus simple — le vase à reliefs — au plus élaboré — la sima aux « cavaliers thraces » — , on constate la récurrence d'une orientation vers la droite.

Les choix iconographiques cristallisent la situation de Thasos, à la croisée d'influences variées. Chios, Corinthe, Athènes, l'Éolide fournissent autant de modèles qui nourrissent les imagiers thasiens. Le développement d'un artisanat éclectique va de pair avec l'affirmation d'une tradition locale, issue d'un atelier dont il s'agit, désormais, de préciser les contours et le fonctionnement.

V L atelier

L'existence de traditions d'atelier, qu'il s'agisse des formes, avec la vogue du support, de la technique, comme l'indiquent la taille et l'évolution des roulettes, de l'iconographie, avec la prédilection pour les scènes mythologiques et la transmission de schémas et de motifs, comme la représentation des chars ou des chevaux, invitent à conclure que les productions thasiennes estampées à la roulette témoignent d'une culture artisanale et visuelle commune. D'autres données confortent l'idée qu'elles sortent d'un seul et même atelier.

125 Cf. J. Servais, Aliki, I. Les deux sanctuaires, ÉfThas IX (1980), p. 25, fig. 31. 126 Ibid, p. 44, fig. 51.

127 F. Salviat, toc. cit. (supra n. 33), p. 213, fig. 24 et p. 214, fig. 23; id., «La céramique thasienne orientalisante et l'origine des vases méliens», ibid., p. 186, 187, 198, fig. 1, 2,

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1. Un atelier unique?

La chose est certaine pour les roulettes juxtaposées sur un même vase, comme c'est le cas pour celle du départ d'Amphiaraos, de la dispute du trépied et (?) du minotaure. L'association des bandeaux manifeste également la durée de vie de certaines roulettes, celle d'Amphiaraos étant en usage pendant plus de cinquante ans.

Le traitement du raccord permet de suivre une évolution vers une plus grande maîtrise technique. Bien que le premier pithos estampé ne montre pas la négligence de la larnax de Galep- sos, dont on a souligné les différences avec les productions thasiennes, il est clair que le raccord est approximatif, puisqu'un personnage féminin a disparu. Dans la suite de l'atelier, les points de raccord, mieux calculés, présentent des solutions astucieuses pour conserver le déroulement sans heurt de la roulette. Sur 6b (fig. 10) c'est la robe élargie de la nourrice qui assure la continuité entre le départ et la fin du tracé. Sur 1 1 (fig. 25) le calcul tombe juste à un millimètre près, ce qui explique la duplication, visible seulement à l'analyse, de la manche d'Athéna. Ce souci d'une continuité harmonieuse, qui se rencontre dans d'autres ateliers128, a pour corollaire une plus grande attention donnée à l'imbrication des motifs sur la roulette, de façon à gommer l'idée d'un début et d'une fin. La comparaison entre la course de biges au trépied (7) et celle, plus récente, du bige à l'oie (8) éclaire ce phénomène (fig. 32). La composition de la dernière roulette citée, comme celle de la dispute du trépied (11), annule systématiquement tous les effets de rupture qui permettent de restituer le début de la séquence sur la roulette du bige au chaudron.

Si l'existence d'un seul atelier producteur de frises estampées à la roulette n'étonne guère, vu la rareté du matériel, peut-on en préciser la taille ?

2. La taille et l'organisation de l'atelier

La série étudiée est trop restreinte pour permettre de préciser, par l'étude des mains, l'organisation et la taille de l'atelier. Les traces de doigts ont été le plus souvent lissées ; celles qui sont conservées se présentent sous la forme d'un creux sans trace d'empreintes digitales lisibles.

L'étude des formes éclaire des traditions, des habitudes collectives transmises sur la durée d'un siècle. La variété des profils au sein d'une même catégorie (les pithoi) ou autour d'un même type (les trépieds) ne s'organise pas en un système cohérent d'analogies et de différences qui rendraient l'approche du monde des potiers possible. On constate simplement que leur compétence ne se limite pas à la fabrication de vases tournés, mais s'étend à celle des larnax.

128 On repère également une meilleure maîtrise du raccord rai, estampé, une première fois, à gauche du cavalier, va être sur les roulettes Cretoises du VIIe s. Sur la plus ancienne, la grossi et servir de séparation entre deux cavaliers qui se sui- place a manqué pour intercaler une dernière fois la séquence vent, cf. L Pernier, Ioc. cit. (supra, n. 12), p. 93, fig. 47. entière : à la place de l'oiseau volant et du bige, le motif fto-

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L'estampage était forcément confié à un membre de l'atelier, puisque la roulette était appliquée sur de l'argile non cuite. Quatre fragments ont conservé le point de raccord. On restitue, dans trois cas, une progression de la roulette vers la gauche (fig. TA, 10 et 25) et, dans un cas, une progression vers la droite (fig. 16B). Ces informations techniques ne seraient exploitables dans l'optique individuelle de la détection des mains que si elles étaient plus nombreuses et croisées avec d'autres.

L'étude des décors permet-elle de repérer des mains d'artisans et de raisonner sur le fabricant de roulettes ? Vu la rareté des représentations, on ne peut guère tenter que de tester une seule hypothèse. Est-il possible de démontrer que l'atelier fonctionnait avec plusieurs artisans contemporains ?

On constate des différences éclatantes entre les deux plus anciennes roulettes que le changement de l'iconographie ne suffit pas à expliquer : le style, les proportions, les modèles de référence, la taille des roulettes divergent. L'écart d'une vingtaine d'années qui sépare ces deux productions conforte l'idée d'un changement de mains.

Entre les roulettes 6 et 7, les différences sont tout aussi évidentes (fig. 32). Le traitement des chevaux, par exemple, montre que le type corinthien de la roulette du départ d'Amphiaraos est abandonné sur la scène du bige au trépied, au profit d'un type très populaire à Thasos.

Les reprises littérales entre les deux roulettes aux biges s'interprètent davantage comme la persistance d'une tradition artisanale locale que comme la production d'un même artisan dont le dessin gagne en souplesse et en vivacité et qui se plaît à varier les détails (traitement des chevelures, des barbes, des crinières, des roues, des harnachements), sans se soucier de réalisme. La continuité repérée trahit un processus de formation d'un artisan au contact de l'autre, processus que l'existence d'une tradition vivace sur près d'un siècle nous oblige à supposer.

Le reste des roulettes ne donne aucune information supplémentaire sur la coexistence de deux artisans contemporains. L'état de conservation de celle au minotaure défie toute analyse stylistique. La frise aux cavaliers est peut-être de la même main que celle aux biges et au chaudron. Quant à la scène de la dispute entre Héraclès et Apollon, la conception de l'espace, saisi dans sa continuité, grâce à l'imbrication des motifs, la multiplication des filets horizontaux du cadre, l'indifférence pour le détail réaliste, notamment dans l'étagement des plans, la capacité à rendre le mouvement et la vie la rapprochent partiellement de la roulette des biges à l'oie.

L'étude des mains, rendue fragile par un corpus aussi restreint, souligne l'isolement des plus anciennes représentations. Dans la seconde moitié du VIe siècle, les réminiscences abondent et laissent penser que l'artisan de la roulette aux biges et au chaudron pourrait avoir formé le plus talentueux de l'équipe, actif dans le dernier quart du VIe et au début du Ve siècle.

L'étude des roulettes, si elle ne permet guère de préciser le nombre des artisans au travail, pose la question de leur confection et, au-delà, du rôle et de l'identité de celui qui les façonne. S'agit-il d'un spécialiste étranger à l'atelier, d'un artisan spécialisé de l'atelier ou encore d'un simple potier aux compétences multiples ?

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La réponse dépend largement du matériau dans lequel sont faites les roulettes. On considère qu'elles pouvaient être en argile, en bois ou en pierre. Les roulettes en pierre s'inspireraient des sceaux-cylindres mésopotamiens129. Des roulettes de style grec, datées des environs du milieu du VIe siècle et réalisées en steatite ou en marbre130, ont été retrouvées. Mais bien que l'une d'elles provienne d'Égine, rien n'assure qu'elles aient été produites en Grèce131. On constate, en effet, outre des différences stylistiques et techniques, que la hauteur de ces bobines est inférieure à celles des frises estampées sur des vases grecs132. Il n'est donc pas évident de relier les seules bobines conservées à la pratique grecque de l'estampage à la roulette.

Comme aucun prototype correspondant à des vases grecs n'est connu, l'hypothèse de roulettes en bois, désormais perdues, a souvent été émise133. Hypothèse que semble étayer la présence de bavures en relief, souvent verticales et interprétées comme des fissures de la roulette. C'est le cas pour les pithoi rhodiens134 et pour les terres cuites architecturales de Méta- ponte135. En dépit du caractère convaincant de l'argumentation, on ne peut exclure l'hypothèse d'une fissure de l'argile136. Bien que l'on ne connaisse pas de cylindre en argile, on a retrouvé des poinçons en creux à Naxos137 et à Thasos138. L'utilisation de moules en métal, ou de feuilles de métal travaillées au repoussé139 est également assurée, comme le prouve la découverte d'une matrice de bronze protocorinthienne à Corfou, conservée au Musée d'Oxford140. Cela dit, l'utilisation d'une bobine pleine peut sembler lourde et coûteuse et l'idée d'un positif exécuté au repoussé ne fait que déplacer le problème en imposant la confection de bobines d'argile en négatif.

Toutes les solutions sont théoriquement possibles et il n'est pas facile de trancher pour Thasos, qui possède à foison du bois, du marbre, de l'argile et divers minerais. En faveur d'une roulette en marbre141 ou en métal, on peut invoquer la qualité des estampages thasiens ; en faveur de l'argile, la découverte d'un moule local en terre cuite, précédemment citée, et un fonctionnement

129 A. Furtwângler, op. cit. (supra, n. 3), p. 5 : le matériau 135 M. Mertens-HORN, toc. cit (supra, n. 6), p. 11-14. le plus fréquent est l'hématite. On trouve aussi le lapis-lazuli, 136 Simantoni-Bournia 1992, p. 16, mentionne « une trace le jaspe, le porphyre, la serpentine, le cristal de roche et le verticale sur le fond du relief doit correspondre à un défaut marbre. (éclat?) du moule d'argile ou de bois». 130 Ibid., vol. I, pi. V, 42 et 43 et V, II, p. 24: un cylindre 137 E. Simantoni-Bournia, « Πηλινή σφραγίδα από τα Τρία trouvé en Babylonie, en steatite représentant Persée et la gor- Νάξου », Αρχαιογνωσία 6 (1989-1990), p. 137-149, pi. 6 gone ; le n° 42 représentant un quadrige au satyre et à la et 7, le propose pour un vase daté de la fin du VIe s. nymphe est daté de la seconde moitié du VIe s. dans Antike 138 V. Grace, F. Salviat, « Sceau thasien à marquer les Gemmen in deutschen Sammlungen II (1969), pi. 28, 118a amphores», BCH 86 (1962), p. 510-516. et p. 60; Schàfer 1957, p. 92, date ces deux roulettes au 139 Simantoni-Bournia 1992, pi. 27, 44 et p. 33-34; plus tôt de 550 ; J. Boardman, op. cit. (supra, n. 4), p. 135, M. Mertens-Horn, Ioc. cit. (supra, n. 6), p. 12, cite recense les deux cylindres précédents et un troisième en Ch. Christou, AD 19 (1964), A1, et son hypothèse d'une matrice marbre, tous datés du VIe s. en bronze pour fabriquer les frises à reliefs laconiennes. 131 SCHÀFER 1957, p. 92. 140 H. S. JONES, «A Greek Goldsmith's Mould in the 132 Ibid. Asmolean Museum », JHS 16 (1896), p. 323-334 ; cité par 133 J. L. STROCKES, «Stamped Pithoi-Fragments from Camei- V. G. KALLIPOLITIS, Ioc. cit. (supra, n. 22), p. 29 : « les reliefs ros » ABSA 12 (1905-1906), p. 73, cité par M. MERTENS-HORN, en terre cuite estampés sont pour la plupart produits par toc. cit. (supra, n. 6), p. 15; J. Boardman, op. cit. (supra, n. 4), les matrices des reliefs métalliques au repoussé. » p. 162. 141 SIMANTONI-BOURNIA 1990, p. 47, n. 20, considère qu'une 134 D. Feytmans, Ioc. cit. (supra, n. 15), p. 140 ; SCHÀFER roulette en pierre contribuerait à la netteté du relief. 1957, p. 92.

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moins complexe de l'atelier. En effet, si la roulette n'était pas en argile, l'atelier des vases estampés devait collaborer avec d'autres ateliers.

Dans l'optique où la roulette était en argile, peut-on préciser sa technique de fabrication ? L'hypothèse selon laquelle la roulette reprendrait, en négatif, un relief moulé n'est guère vraisemblable du fait du grand nombre d'étapes inhérentes à ce procédé qui suppose la confection d'une matrice en creux, d'un positif en relief, d'une roulette en creux pour aboutir à un bandeau estampé. Si l'hypothèse d'un positif modelé répond en partie à la critique en supprimant la phase du moulage, elle rencontre deux difficultés : la nécessité de calculs précis pour que le positif s'adapte exactement à la roulette et la forte probabilité que le relief ainsi obtenu soit mou, ce qui n'est pas le cas des roulettes thasiennes. Il est plus probable que le cylindre ait été directement gravé en négatif, selon une méthode attestée au Proche-Orient depuis le IVe millénaire et adoptée au IIe millénaire en Grèce. Il s'agit alors d'un travail d'intaille qui suppose une compétence particulière de l'artisan pour la gravure. On constate sur l'ensemble des vases à reliefs la fréquence des incisions décoratives : traits de contours, lignes, décors floraux. . .

Quoi qu'il en soit du matériau utilisé, la restitution d'un cylindre, gravé en négatif doit tenir compte du retrait de l'argile du vase à la cuisson, estimé entre 6 et 12 % et que nous fixons à 10 % pour la commodité du calcul. On obtient un diamètre d'environ 3,1 cm pour la roulette n° 5, 5 cm pour 6 et 8 et 4,8 cm pour 7, 9 et 11. L'hypothèse selon laquelle la gravure se ferait sur une argile non cuite semble plus difficile à admettre pour des raisons de lisibilité du décor. Si tel était le cas, cependant, la restitution des diamètres devrait prendre en compte un second retrait de l'argile, lors de la cuisson de la bobine.

En raison du caractère hypothétique de cette reconstitution des tâches au sein de l'atelier, il paraît sage de reprendre la question par le biais plus tangible des productions. Les objets en terre cuite, essentiellement des vases estampés à la roulette, se définissent comme une production de luxe, une production, en tout cas, limitée qui pose la question des autres productions de l'atelier.

D'après l'argile, très caractéristique, les formes, notamment les pithoi et le décor, parfois simplement incisé, il est possible d'annexer au même atelier tout un lot de productions courantes, destinées à un marché largement domestique.

3. Les contours de l'atelier

De l'argile aux objets

L'argile grossière des vases à reliefs bourrée de dégraissant qui en assure la solidité se retrouve sur toute une production courante. Les sanctuaires, comme l'Artémision et l'Athénaion, ont livré des pithoi sans décor ou simplement ornés de bandes modelées, travaillées au pouce, comme 32 (58 944), des « mortiers » de grande dimension, comme 33 (58 1 133) dont le diamètre est

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de 64 cm, des dinoi, dont 34 (58 1 1 13), de 50 cm de diamètre (fig. 52). La fouille du terrain Apostolidis permet de montrer que cet ensemble d'objets alimentait aussi un marché domestique. En plus des vases déjà cités, on recense un grand nombre de pesons. Toutes ces trouvailles proviennent de contextes du VII et du VIe siècle. Seule l'étude détaillée d'un matériel qui éclaire la vie quotidienne des Thasiens à l'époque archaïque permettra de préciser la datation et parfois la fonction de toute une série d'objets, travaillés dans la même argile. Le décor incisé qui apparaît souvent sur ce type de matériel pourrait conforter l'attribution du lot au même atelier.

Fig. 52. Ν™ 32, 33, 34.

L'utilisation de l'incision intervient, en effet, à plusieurs phases du travail dans l'atelier des vases à reliefs, ce qui en souligne l'importance. Elle conditionne la pose du bandeau d'argile décoré : les traces de chiquetage prennent la forme d'incisions plus ou moins régulières. L'incision apparaît essentiellement comme un décor secondaire, juxtaposé à la décoration principale. De ce point de vue, et en dépit du changement technique qui voit le modelage remplacé par la roulette, on observe des permanences : l'usage des incisions, présentes sur les productions modelées (contour des figures, lignes et cercles incisés, tracé de la tresse) se retrouve sur la série plus récente estampée à la roulette, sous forme de lignes et de motifs floraux, comme par exemple sur 7a. Outre les fragments de ce type déjà illustrés dans le chapitre sur la forme, on peut en citer trois autres exemples, 35 (58 039), 36 (58 041) et 37 (58 042) (%. 53).

Dans les cas où l'analyse technique est possible, on constate que la pose du bandeau à reliefs est antérieure au percement des fenêtres (7a) et à la mise en place du décor incisé, conçu

Flg. 53. N°s 35, 36, 37

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en rapport avec ces ouvertures, comme un cadre ou un motif d'angle. Sur 6c (fig. 1 1), on a une attestation directe de cette succession des opérations. L'incision verticale empiète sur la bande d'argile sur laquelle a été estampée la roulette. Ces remarques rejoignent celles de E. Haspels : « II semble que c'est après avoir terminé sa décoration que l'artiste ajourait son support en coupant la terre qui se trouvait entre les jambes et dans les anneaux des trépieds figurés. » Le travail d'évidement et d'incisions sur le vase se poursuivait donc après l'installation du bandeau à reliefs.

Vu l'importance de l'incision dans l'atelier des vases à reliefs, peut-on lui annexer l'importante série décorée de « triglyphes et de métopes » formées de croix pointées ?

Il faut dire tout d'abord que ce décor n'est jamais associé de façon sûre à un relief figuré. L'exemplaire 7a est le seul à conserver, à gauche de la fenêtre rectangulaire, deux incisions très visibles, puis, encore plus à gauche, deux autres moins apparentes. Il n'est pas impossible que la zone érodée de deux centimètres de large entre ces deux séries d'incisions ait été ornée de cercles incisés. Ce décor ne ferait pas, dans ce cas, le tour du vase, puisqu'un motif floral incisé est conservé à droite de la fenêtre rectangulaire.

La forme originale du support, en revanche, rattache ce type de décor à l'atelier. Un support de l'Artémision (24, fig. 41) présente l'intérêt d'avoir conservé, à gauche de la fenêtre, un décor incisé de lignes verticales, de cercles de huit millimètres de diamètre et le départ d'une incision oblique correspondant à une croix. Le décor de cercles incisés se retrouve sur les trépieds publiés par E. Haspels. Joints aux croix et aux traits verticaux, ils sont abondamment représentés sur des fragments de pithoi. Deux autres supports très fragmentaires, provenant de l'Athé- naion, sont percés de fenêtres et confirment le lien entre la forme thasienne du support et le décor incisé : sur 29 (fig. 46) et 30 (fig. 47).

Ces exemples invitent à annexer à l'atelier des vases à reliefs l'importante collection de vases incisés d'un décor de « triglyphes et de métopes ». Bien qu'une petite partie seulement de ce matériel soit publiée142, la diversité des provenances (l'Athénaion, l'Artémision, l'Héracleion, l'habitat), la différence dans la taille des bandeaux rapportés, plus ou moins larges, le jeu dans l'espacement des lignes incisées et dans le diamètre des cercles prouvent que cette production était importante. Ce motif, largement répandu en Attique, dans les Cyclades (à Naxos, Andros, Paros et à Kéos), en Eubée, beaucoup moins en Crète et en Argolide et presque pas à Rhodes, fait son apparition en Attique au début du dernier quart du VIIe siècle, se popularise dans la seconde moitié du VIe siècle et se prolonge, d'après les trouvailles d'Olynthe et de Kéos143, en pleine époque classique. On peut désormais ajouter à cette liste la contribution de Thasos, qui participe à cette mode dès la fin du VIIe siècle, comme l'indiquent des contextes stratifiés d'un habitat thasien au terrain Apostolidis.

142 M. Launey, Le sanctuaire et le culte d'Héraclès à Tha- 143 E. Simantoni-Bournia, « Πίθοι των ιστορικών χρόνων sos, ÉtThas I (1944), p. 118, fig. 73, présente deux fragments με εγχάρακτη διακόσμηση από την ΝΑ. Κέα » Κέα- trouvés dans l'édifice polygonal ; L. Ghali-Kahil, op. cit. (supra, Κύθνος : Ιστορία και Αρχαιολογία, Πρακτικά του Διε- η. 90), pi. XXIX, 116-118. θνούς Συμποσίου, Κέα-Κύθνος, 22-25 Ιουνίου 1994

(1998), ρ. 493-495.

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II nous reste, pour finir, à replacer l'atelier des vases à reliefs, dont l'activité englobe des productions plus courantes, dans le contexte artisanal plus vaste du travail de la terre cuite.

On a affaire à un atelier différent de celui qui produit, au VIe siècle, des céramiques peintes dans la technique à figures noires. Qu'il s'agisse de l'argile, plus orangée même dans le cas des vases les mieux épurés, qu'il s'agisse des formes dont, seule, celle du support ajouré se retrouve, ou encore des décors, les rares analogies s'interprètent comme le résultat d'une familiarité des artisans thasiens parmi lesquels circulent des répertoires communs, sans qu'il soit besoin d'en venir à l'hypothèse d'un atelier unique. Les rencontres sont ponctuelles. La représentation du comaste du plat à figures noires rappelle celle du satyre de la roulette la plus ancienne. Le grand motif de remplissage adapte un motif peint sur les pieds des lékanai tha- siennes contemporaines. Ces réminiscences s'expliquent largement par la mode chiotisante qui imprègne l'artisanat thasien autour des années 580. De même, la vogue des cavaliers en chasse est attestée sur diverses productions locales : sur les simas, les vases à reliefs et sur une lékanè à figures noires.

Le lien de l'atelier des vases à reliefs avec celui des terres cuites architecturales est plus délicat à démêler, au point que l'hypothèse d'un atelier unique a été plusieurs fois avancée. Le rapprochement entre les simas et les vases à reliefs est mentionné, pour la première fois, par Ch. Picard144. Il est réaffirmé par J. des Courtils : « On ajoutera que les céramiques à reliefs de Thasos présentent avec les terres cuites architecturales des affinités éclatantes : cette constatation peut également être faite dans le cas des céramiques à reliefs de Chios, comme l'a montré récemment E. Simantoni-Bournias145. » Selon cette dernière, « la production des terres cuites architecturales dans les ateliers de céramique à reliefs, faite de la même argile et à l'aide de moules identiques ou très voisins, est attestée à Chios, sans aucune ambiguïté, dès la seconde moitié du VIe siècle, prouvant ainsi, une fois encore, l'absence de cloisonnement et le vaste champ d'emprunt des motifs décoratifs, voire de la technique, d'une catégorie artistique à l'autre146. »

Quand on creuse la comparaison pour Thasos, on constate, en dépit de quelques motifs communs (la houppe et la crinière dressée, l'attitude et les proportions du cheval, le chien au collier, les deux pieds pendants du cavalier), la profonde originalité des simas aux « cavaliers thraces ». Par rapport à leurs prétendus modèles éoliens, on constate que le thème retenu est celui de lanciers à cheval et non celui d'une course de biges. Parmi les vases à reliefs thasiens, le seul à reprendre ce thème (9, fig. 23) n'illustre pas une chasse aux lièvres, comme c'est le cas sur la sima thasienne. Mais surtout, ce sont les cavaliers qui diffèrent. Leur vêtement exotique (la jupe, les pans attachés sur le torse de la fameuse zeira), le bouclier d'osier « en demi-lune » ne

144 Picard 1941, p. 68, compare l'iconographie et la tech- 146 E. Simantoni-Bournia, « Chian Relief Pottery and its Rela- nique. tionship to Chian and East Greek Architectural Terracotas», in 145 J. DES Courtils, Architectures thasiennes, Th. État, Uni- N. A. Winter (éd.), Proceedings of the 1st International Confe- versité de Paris X-Nanterre (1993), t. Ill, p. 564. rence on Archaic Greek Architectural Terracottas, December 2-4,

1988, Hesperia 59 (1990), p. 193-200. Ead. 1992, p. 104-105.

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sont pas grecs147. Sur cette documentation exceptionnelle et isolée que sont les simas thasiennes, les « cavaliers thraces » font leur première apparition dans l'art grec.

Si les choix iconographiques, constamment mis en avant dans la comparaison entre ces deux catégories de matériel, invitent à la nuance, le rapprochement tient-il du point de vue technique ?

L'argile des simas thasiennes n'est pas celle des vases à reliefs. La seule à s'en rapprocher, sans être identique, est la sima d'Aliki, dont l'argile plus grossière contient davantage de dégraissants que la série trouvée dans les sanctuaires urbains.

Du point de vue de la technique du relief, comme on l'a dit bien souvent, « les frises archi- tectoniques [rappellent] d'autres catégories de monuments archaïques où la technique est comparable : les vases de métal, dérivés de la technique du cylindre gravé et \espithoi à reliefs estampés ». Cependant et contrairement aux terres cuites architecturales de Grande-Grèce ou aux toits magno-grecs d'Olympie et de Delphes, décorés à la roulette148, les simas sont moulées. L'étude des tranches des simas montre que les bas reliefs n'ont pas été rajoutés à l'aide de matrices, mais moulés en même temps que la plaque verticale qui les supporte. Il faut donc restituer, à une première étape du travail, la fabrication d'un grand moule en creux de la longueur de la plaque de sima. Les différences dès lors éclatent : différences de taille qui séparent une miniature d'un très grand moule ; différences de support, tantôt cylindrique, tantôt plat. En revanche, on retrouve la composition binaire du prototype. Les frises de biges réunissent deux chars, comme les simas, deux cavaliers. La répétition, dans chaque cas, s'assortit d'un jeu de variation. Sur les roulettes aux biges, un cocher est à l'arrêt, le second, en pleine course. Les détails des chiens, du chaudron et de l'oie constituent autant de variables. Le bloc de sima Ρ 271, trouvé en 1913-14, aux abords du « Prytanée », et provenant probablement de l'Artémision149, permet de restituer la longueur totale de la plaque, complète au niveau du talon, comme l'indique une trace de peinture conservée sur la tranche. Elle est suffisamment bien conservée pour que l'on puisse comparer les deux groupes de cavaliers et saisir les nombreuses divergences de détails et d'espacement entre les deux séquences (les visages des cavaliers, les terminaisons des pattes des chiens, les museaux des chevaux). Si la composition binaire est la même sur les reliefs aux biges, rien n'indique, en revanche, que l'atelier des vases estampés à la roulette ait maîtrisé la technique du moulage à la matrice. Avant l'adoption de la roulette, les figures étaient modelées, avec leur contour souligné d'une incision, et non moulées.

Du point de vue de la technique picturale, enfin, les pratiques divergent. L'atelier des vases à reliefs ne connaît que le vernis rouge. Les simas font usage de la polychromie. Le fragment de l'Héracleion, avec ses couleurs bien conservées (le brun, le noir, le blanc et le rouge150)

147 Picard 1941, p. 66. 150 Le rouge n'est plus visible. Ou bien il a disparu, ou bien 148 Je remercie M .-F. Billot pour ce renseignement. l'auteur, cité à la note précédente, désigne un phénomène de 149 PICARD 1941, p. 56. cuisson.

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« permet de prendre une idée plus complète de l'art du peintre thasien qui avait prêté sa collaboration au coroplathe. Comme on le voit par ce morceau, il s'agissait d'un peu plus que d'une polychromie en teintes plates, donnant l'impression des vases à figures noires, par exemple151 ». La comparaison peut sembler imparfaite, puisque l'incision, essentielle sur les vases à figures noires, n'apparaît pas. Cette remarque est cependant à nuancer par le fait que l'incision, censée noter les détails, est remplacée par des détails moulés. Le développement parallèle des terres cuites architecturales et de la peinture sur vase a été remarqué et argumenté par Âkerstrôm. Les figures des simas de Larissa les plus récentes, datées du dernier quart du VIe siècle, se détachent en clair sur un fond sombre, alors que celles dont le style est plus ancien se rapprochent de la technique à figures noires sur un fond clair. Le lot thasien conforte le parallèle, en illustrant aussi la technique picturale plus ancienne du dessin au trait, attestée également à Larissa152, mais qui présente l'intérêt, à Thasos, d'exister aussi sur des vases peints, dont la chronologie est bien calée, par les modèles chiotes de référence et, surtout, grâce à l'évolution interne de l'atelier qui adopte la technique de la figure noire vers 580-570, au tournant des deux premiers quarts du siècle. Évidente sur une des plus anciennes simas, celle au centaure, la technique du trait se retrouve sur des antéfixes à la chimère et au Bellérophon. Bien des détails nous ont fait rapprocher les antéfixes à gorgoneia d'une série de plats thasiens illustrant le passage de la technique du dessin au trait et du réservé à celle de la figure noire. L'argile, le décor du cadre, formé d'arêtes, de godrons et d'une baguette moulurée ainsi que des motifs de remplissage identiques confortent le rapprochement153. En terme d'ateliers, les simas nous semblent davantage se rapprocher de la céramique peinte que de l'atelier des vases à reliefs.

Conclusion

Les productions estampées à la roulette offrent un témoignage supplémentaire de la vita- . lité de l'artisanat thasien à l'époque archaïque.

Les vases à reliefs les plus spectaculaires ont été situés dans leur contexte artisanal : celui d'un atelier qui, loin d'être spécialisé dans la vaisselle de luxe, se définit par une production courante, sans décor ou décorée de simples motifs incisés. Si l'on tente d'esquisser un tableau de l'artisanat thasien de la terre cuite à l'époque archaïque, on observe la coexistence de plusieurs ateliers actifs au VIe siècle. L'argile est un premier critère pour distinguer l'officine des vases à reliefs de celle des céramiques peintes et des terres cuites architecturales. À Thasos, on constate, dans ces deux derniers domaines, des contacts étroits, même s'ils sont peut-être ponctuels, qui

151 Picard 1941, p. 65. (éds), Céramique et peinture grecques. Modes d'emploi, Actes 152 A. ÂKERSTRÔM, op. cit. {supra, n. 51), pi. 19, 3 et 22, 2. du colloque de Paris, 26-28 avril 1995 (1999), p. 126-127 ; 153 A. Coulié, « Les figures noires thasiennes : la question ÉtThas XIX, ch. Ill, 3. 3 : La polyvalence des artisans, de leur localisation », in M.-C. VILLANUEVA PuiG, F. LlSSARRAGUE

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suggère l'existence d'artisans polyvalents. Une vision d'ensemble de l'artisanat de la terre cuite supposerait une meilleure connaissance du fonctionnement des ateliers d'amphores, dont nous ne savons presque rien pour l'époque archaïque, et de figurines, dont l'articulation avec d'autres officines contemporaines reste à préciser. Enfin, la restitution matérielle des roulettes pose la question d'une proximité éventuelle des arts des métaux ou du travail du marbre.

Si l'atelier des vases à reliefs ne saurait se réduire à ses réalisations les plus achevées, ces dernières, parce qu'elles ressortissent de l'archéologie figurée, ouvrent sur une histoire des mentalités. L'iconographie confirme le faciès culturel d'une cité, largement réceptive aux suggestions des grands centres, comme Corinthe et Athènes, et marquée par des zones géographiquement proches, comme Chios ou l'Éolide. Plus encore que la peinture sur vases locale du VIe siècle, dont les tendances à l'imitation désignent les mêmes modèles, les bandeaux estampés permettent de mesurer l'ambition et l'originalité d'un atelier qui affiche, à travers la richesse d'images mythologiques, ses choix culturels et religieux. Dans la scène de la dispute du trépied, Apollon, comme dans le cycle de Tityos, représenté deux fois dans la céramique locale à figures noires, affirme son pouvoir sur le sanctuaire de Delphes. Dionysos, célébré à travers le satyre sur la première roulette, comme Héraclès, sur la dernière, sont deux divinités majeures, sous le patronage desquelles la cité choisira de frapper monnaie. L'affirmation identitaire est aussi visible à travers la forme que prend l'éclectisme thasien, un éclectisme créateur qui se caractérise par ses audaces inventives, comme le singe aux côtés des danseuses, le bouc aux côtés d'Apollon. De façon plus générale, on peut dire que les modèles ont été revisités. La scène de la dispute du trépied est plus riche et plus complexe que sur la céramique attique contemporaine. On a là une image double juxtaposant le thème de la querelle et celui de l'annonce à Zeus, qui en sera l'arbitre. De même, le traitement du départ d'Amphiaraos est plus développé, mieux articulé que sur les modèles corinthiens. La force et la densité de ces images primordiales trahissent la richesse d'une culture qui ne nous est pas toujours connue par les textes.

J'aimerais, pour finir, revenir sur la question du succès de la roulette, qui donne lieu à Tha- sos à l'une des plus brillantes productions du monde grec. Selon E. Simantoni-Bournia154, l'impulsion donnée à cette technique dans certaines Cyclades et dans le Nord de la Grèce, à Chios et à Thasos, s'explique négativement par l'absence d'une tradition suffisamment ancrée pour s'opposer à la facilité d'une impression mécanique. Plus encore qu'à Chios ou dans les Cyclades, on constate l'essor de l'estampage à la roulette dans le monde colonial d'Occident. La coïncidence de certains thèmes, comme celui des quadriges à la Niké155, trahirait un emprunt à Corinthe156. L'iconographie comme le style témoignent pourtant d'une originalité certaine. Citons par exemple deux roulettes, datées du début du VIe siècle et qui comptent parmi les plus anciennes, avec la représentation de Kaineus et celle d'un cavalier flanqué d'un coq et d'un volatile157. En dépit du

154 SlMANTONhBOURNIA 1999, p. 1017-1018. 156 KERSCHNER 1996, p. 81. 155 P. Marconi, op. cit. {supra, n. 29), p. 202, fig. 138. 157 P. Marconi, op. cit. {supra, n. 29), p. 205, fig. 143 et 144.

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procédé de la roulette, on constate un goût prononcé pour une composition en métopes, avec des scènes structurées par des séparations verticales, des éléments architectoniques et décoratifs comme les colonnes, par exemple. A Thasos, l'engouement pour la roulette ne doit rien à la métropole, Paros. Mais, l'épanouissement de cette technique semble avoir été favorisé dans certaines cités jeunes du monde colonial.

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