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Acteurs de l’Economie / Mars 2010 16 Actualité / n préambule, chassons toute mauvai- se idée qui chercherait à agréger une valeur à l’identité ou à la conscience idéo- logiques de celui qui entreprend.Il n’y a pas le bon entrepreneur de gauche et le mauvais entrepreneur de droite. Et bien sûr la réciprocité est tout aussi exacte. Tout simplement parce qu’entreprendre transcende les convictions et les valeurs politiques, puisqu’il fait appel à des ger- mes, à des ressorts, à des vocations qui convergent vers l’acte de bâtir, de progres- ser, d’innover. Des germes, des ressorts, des vocations à la fois universels et totale- ment personnels, qui explorent prioritai- rement un objectif: celui de paver son chemin d’un sens. Oxymore Il n’empêche, l’association des mots Entreprendre et Gauche interroge. Elle est un oxymore pour certains, une évi- dence pour d’autres. Un oxymore, une mésalliance parce qu’on pourra arguer que longtemps, et encore aujourd’hui dans certains rangs de la Gauche y com- pris au Parti socialiste que représentent Gérard Collomb et Manuel Valls, trop de discours et de décisions atteignent l’inté- grité de l’acte d’entreprendre, parfois même diabolisent les valeurs et les auteurs de l’entrepreneuriat. Des dis- cours et des décisions volontiers malthu- siens, caricaturaux, démagogiques, voire populistes et sectaires,concourant à alté- rer les valeurs du travail et du risque, à nier le travail et l’entreprise comme ter- reaux d’épanouissement et d’évolution de soi. Mais aussi des comportements d’appareils incompatibles avec certains principes entrepreneuriaux: les vicissitu- des organisationnelles, identitaires, stra- tégiques, managériales, que traverse le Parti socialiste en témoignent. « La raison d’être de gauche est épuisée. Le PS est lesté d’un boulet mental, et est malade de son hypocrisie dès que l‘on aborde des sujets comme l’entreprise ou le travail. Il ne sait ni créer ni construire un projet. Il est atteint par la peur du progrès », corrobo- re Manuel Valls lui-même dans son entretien publié dans Acteurs de l’écono- mie (mai 2009).Tout comme le déplore l’historien et philosophe Marcel Gauchet, constatant que la Gauche rejet- te « la dimension publique, sociale, de l’in- dividu, qui a pour manifestations la responsabilité, la capacité de créer et d’en- treprendre, l’attente d’être reconnu dans l’exercice de son travail, de son talent, de son inventivité ». Dans un tel maelström, Gérard Collomb et Manuel Valls - eux aussi chefs d’entreprise puisqu’ils diri- gent des municipalités - peuvent-ils bien donner âme et consistance à leur appétit, à leurs convictions d’entreprendre? Tandem Mais Entreprendre et Gauche peuvent aussi former un solide et singulier tan- dem. Bien sûr,la Gauche n’est pas pro- priétaire des vertus, et Valéry Giscard d’Estaing aura eu pour bon mot de rap- peler qu’elle n’a pas le monopole du cœur. Toutefois, si l’on accepte qu’hono- rer une conscience de Gauche, fonda- mentalement c’est être soucieux d’équité, d’exemplarité, d’intégrité, c’est être convaincu qu’entreprendre constitue une opportunité précieuse de riposter aux inégalités, c’est être tendu vers un modè- le capitaliste, marchand, et libéral régulé et raisonnable, nourri par une concep- tion équilibrée et saine du profit et de la répartition des richesses; si l’on accepte qu’honorer une conscience de Gauche, fondamentalement c’est essayer d’être juste dans ses décisions et ses arbitrages, c’est prendre, c’est-à-dire accomplir et assumer, ses responsabilités, c’est être dans l’innovation, y compris en matières sociale, managériale, de gouvernance; si l’on accepte qu’honorer une conscience de Gauche, fondamentalement c’est introduire le bien collectif parmi ses prio- rités, enfin c’est chercher à articuler, à harmoniser les intérêts tout aussi essen- tiels de l’individu et de la communauté, c’est-à-dire aussi l’intérêt de l’entrepre- neur et celui des salariés ou des autres parties prenantes, alors oui, dans ces conditions, être de Gauche et entrepren- dre ouvre une perspective, celle de don- ner à l’acte d’entreprendre davantage qu’un sens: une utilité, pour soi-même, et pour les autres. Ces autres ayant pour visage des femmes et des hommes, pour sujets des territoires ou des causes - édu- cationnelles, culturelles, sociales, associa- tives -, enfin pour dessein une préoccu- pation d’ordre sociétal.A ces conditions, l’esprit et l’acte d’entreprendre irriguent la création de valeur aussi pour les autres. La société, l’entreprise, comme l’individu sont alors embarqués dans un même vœu: agir en citoyens. Cohérence Certes, les exemples ne manquent pas d’entrepreneurs de Droite qui appliquent dans leur quotidien des valeurs dites de Gauche, et bien sûr d’entrepreneurs de Gauche qui emploient des valeurs dites de Droite. La ligne de démarcation n’exis- te pas, fort heureusement. Il peut sembler toutefois plus difficile,car plus exigeant, pour l’entrepreneur d’être de Gauche que de Droite. On assimile volontiers l’Homme de gauche et entrepre- neur, à un entrepreneur de Gauche. Provoquant là une regrettable confusion, et exposant l’intéressé au regard scruta- teur, volontiers contempteur d’une assemblée qui va épier,disséquer la cohé- rence de ses valeurs et de ses actes,la jux- taposition de sa conscience et de sa fonc- tion. On réclame de l’Homme de gauche et entrepreneur une éthique et une exem- plarité qu’il a plus que d’autres l’obliga- tion d’accomplir. Il peut être plus aisé, en tous les cas plus naturel, d’être Homme de Droite et entrepreneur, car le modèle libéral auquel il se réfère d’une part reconnaît et encourage spontanément la volonté d’entreprendre, mais aussi légitime une sacralisation de l’individu, de la réussite personnelle,du succès de l’entrepreneur. Ceci parfois au détriment d’une réalité pourtant incontestable: d’abord l’entre- preneur et sa réussite ne sont rien sans tous ceux: salariés, clients, fournisseurs, environnement direct, et bien sûr actionnaires - ces derniers trop souvent la cible dans les rangs de la Gauche d’un opprobre aussi inique qu’irresponsable -, qui ensemble forment la longue chaîne des parties prenantes. D’autre part, on n’entreprend pas, ou alors avec grande souffrance et à de rares occasions, si l’on n’a pas la chance d’être dans les condi- tions, notamment sociales, de le faire. Les quelques belles réussites d’entrepre- neurs issus de nulle part, aussi emblé- matiques et remarquables soient-elles, sont l’arbre qui cache la forêt. Etre de Gauche et se dire entrepreneur, c’est avoir ainsi pour devoir de faire évoluer la société pour donner au plus grand nom- bre l’opportunité de faire naître en soi, de faire grandir en soi, l’envie et l’esprit d’entreprendre, puis d’avoir les moyens de les assouvir. Un devoir qui donne résonance à ce qui a fécondé et aujour- d’hui fertilise le « combat de gauche » cher à Manuel Valls: « chercher à arra- cher les gens à leur destin ». Humilité Etre habité d’une conscience de Gauche doit ramener humblement l’entrepre- neur à ce qu’il est.A ce qu’il ne serait pas sans les autres. Et ainsi à équilibrer la place qu’il occupe avec celle qui revient aux autres. Au moment où la Gauche et particulièrement le Parti socialiste sont à la fois vides et en recherche de conscien- ce, d’idéologie, de projet, d’identité, peut- être l’esprit d’entreprendre peut-il former un point d’ancrage, une raison d’être et d’agir, salvateurs. Peut-être est-il temps, pour ceux que la cause interroge, sollicite, mobilise, de regarder ce que Manuel Valls, faisant référence au Rocardisme, considère être une « éthique de la vérité », qui exhorte à créer avec les citoyens un rapport de responsabilité et à accepter de « se salir les mains ». Se salir les mains: le quotidien et le devoir communs à tous les entrepreneurs. De Droite comme de Gauche. « Une éthique de la vérité » E Par Denis LAFAY

Une nouvelle gauche moderne ouverte au monde de l\'\'entreprise

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Acteurs de l’Economie / Mars 201016

Actualité /

n préambule, chassons toute mauvai-se idée qui chercherait à agréger une

valeur à l’identité ou à la conscience idéo-logiques de celui qui entreprend. Il n’y apas le bon entrepreneur de gauche et le

mauvais entrepreneur de droite. Et biensûr la réciprocité est tout aussi exacte.Tout simplement parce qu’entreprendretranscende les convictions et les valeurspolitiques, puisqu’il fait appel à des ger-mes, à des ressorts, à des vocations quiconvergent vers l’acte de bâtir,de progres-ser, d’innover. Des germes, des ressorts,des vocations à la fois universels et totale-ment personnels, qui explorent prioritai-rement un objectif: celui de paver sonchemin d’un sens.

OxymoreIl n’empêche, l’association des motsEntreprendre et Gauche interroge. Elleest un oxymore pour certains, une évi-dence pour d’autres. Un oxymore, unemésalliance parce qu’on pourra arguerque longtemps, et encore aujourd’huidans certains rangs de la Gauche y com-pris au Parti socialiste que représententGérard Collomb et Manuel Valls, trop dediscours et de décisions atteignent l’inté-grité de l’acte d’entreprendre, parfoismême diabolisent les valeurs et lesauteurs de l’entrepreneuriat. Des dis-cours et des décisions volontiers malthu-siens, caricaturaux, démagogiques, voirepopulistes et sectaires, concourant à alté-rer les valeurs du travail et du risque, ànier le travail et l’entreprise comme ter-reaux d’épanouissement et d’évolutionde soi. Mais aussi des comportementsd’appareils incompatibles avec certainsprincipes entrepreneuriaux: les vicissitu-des organisationnelles, identitaires, stra-tégiques, managériales, que traverse leParti socialiste en témoignent. « La raisond’être de gauche est épuisée. Le PS est lestéd’un boulet mental, et est malade de sonhypocrisie dès que l‘on aborde des sujetscomme l’entreprise ou le travail. Il ne saitni créer ni construire un projet. Il estatteint par la peur du progrès », corrobo-

re Manuel Valls lui-même dans sonentretien publié dans Acteurs de l’écono-mie (mai 2009). Tout comme le déplorel’historien et philosophe MarcelGauchet, constatant que la Gauche rejet-te « la dimension publique, sociale, de l’in-dividu, qui a pour manifestations laresponsabilité, la capacité de créer et d’en-treprendre, l’attente d’être reconnu dansl’exercice de son travail, de son talent, deson inventivité ». Dans un tel maelström,Gérard Collomb et Manuel Valls - euxaussi chefs d’entreprise puisqu’ils diri-gent des municipalités - peuvent-ils biendonner âme et consistance à leur appétit,à leurs convictions d’entreprendre?

TandemMais Entreprendre et Gauche peuventaussi former un solide et singulier tan-dem. Bien sûr, la Gauche n’est pas pro-priétaire des vertus, et Valéry Giscardd’Estaing aura eu pour bon mot de rap-peler qu’elle n’a pas le monopole ducœur. Toutefois, si l’on accepte qu’hono-rer une conscience de Gauche, fonda-mentalement c’est être soucieux d’équité,d’exemplarité, d’intégrité, c’est êtreconvaincu qu’entreprendre constitue uneopportunité précieuse de riposter auxinégalités, c’est être tendu vers un modè-le capitaliste, marchand, et libéral réguléet raisonnable, nourri par une concep-tion équilibrée et saine du profit et de larépartition des richesses; si l’on acceptequ’honorer une conscience de Gauche,fondamentalement c’est essayer d’êtrejuste dans ses décisions et ses arbitrages,c’est prendre, c’est-à-dire accomplir etassumer, ses responsabilités, c’est êtredans l’innovation, y compris en matièressociale, managériale, de gouvernance; sil’on accepte qu’honorer une consciencede Gauche, fondamentalement c’estintroduire le bien collectif parmi ses prio-rités, enfin c’est chercher à articuler, àharmoniser les intérêts tout aussi essen-tiels de l’individu et de la communauté,c’est-à-dire aussi l’intérêt de l’entrepre-neur et celui des salariés ou des autresparties prenantes, alors oui, dans cesconditions, être de Gauche et entrepren-dre ouvre une perspective, celle de don-ner à l’acte d’entreprendre davantagequ’un sens: une utilité,pour soi-même,et

pour les autres. Ces autres ayant pourvisage des femmes et des hommes, poursujets des territoires ou des causes - édu-cationnelles, culturelles, sociales, associa-tives -, enfin pour dessein une préoccu-pation d’ordre sociétal. A ces conditions,l’esprit et l’acte d’entreprendre irriguentla création de valeur aussi pour les autres.La société, l’entreprise, comme l’individusont alors embarqués dans un mêmevœu: agir en citoyens.

CohérenceCertes, les exemples ne manquent pasd’entrepreneurs de Droite qui appliquentdans leur quotidien des valeurs dites deGauche, et bien sûr d’entrepreneurs deGauche qui emploient des valeurs ditesde Droite.La ligne de démarcation n’exis-te pas, fort heureusement.Il peut sembler toutefois plus difficile, carplus exigeant, pour l’entrepreneur d’êtrede Gauche que de Droite. On assimilevolontiers l’Homme de gauche et entrepre-neur, à un entrepreneur de Gauche.Provoquant là une regrettable confusion,et exposant l’intéressé au regard scruta-teur, volontiers contempteur d’uneassemblée qui va épier, disséquer la cohé-rence de ses valeurs et de ses actes, la jux-taposition de sa conscience et de sa fonc-tion. On réclame de l’Homme de gaucheet entrepreneur une éthique et une exem-plarité qu’il a plus que d’autres l’obliga-tion d’accomplir.Il peut être plus aisé, en tous les cas plusnaturel, d’être Homme de Droite etentrepreneur, car le modèle libéralauquel il se réfère d’une part reconnaîtet encourage spontanément la volontéd’entreprendre, mais aussi légitime unesacralisation de l’individu, de la réussitepersonnelle, du succès de l’entrepreneur.Ceci parfois au détriment d’une réalitépourtant incontestable: d’abord l’entre-preneur et sa réussite ne sont rien sanstous ceux: salariés, clients, fournisseurs,environnement direct, et bien sûractionnaires - ces derniers trop souventla cible dans les rangs de la Gauche d’unopprobre aussi inique qu’irresponsable -,qui ensemble forment la longue chaînedes parties prenantes. D’autre part, onn’entreprend pas, ou alors avec grandesouffrance et à de rares occasions, si l’on

n’a pas la chance d’être dans les condi-tions, notamment sociales, de le faire.Les quelques belles réussites d’entrepre-neurs issus de nulle part, aussi emblé-matiques et remarquables soient-elles,sont l’arbre qui cache la forêt. Etre deGauche et se dire entrepreneur, c’estavoir ainsi pour devoir de faire évoluer lasociété pour donner au plus grand nom-bre l’opportunité de faire naître en soi,de faire grandir en soi, l’envie et l’espritd’entreprendre, puis d’avoir les moyensde les assouvir. Un devoir qui donnerésonance à ce qui a fécondé et aujour-d’hui fertilise le « combat de gauche »cher à Manuel Valls: « chercher à arra-cher les gens à leur destin ».

HumilitéEtre habité d’une conscience de Gauchedoit ramener humblement l’entrepre-neur à ce qu’il est. A ce qu’il ne serait passans les autres. Et ainsi à équilibrer laplace qu’il occupe avec celle qui revientaux autres. Au moment où la Gauche etparticulièrement le Parti socialiste sont àla fois vides et en recherche de conscien-ce, d’idéologie, de projet, d’identité, peut-être l’esprit d’entreprendre peut-il formerun point d’ancrage, une raison d’être etd’agir, salvateurs. Peut-être est-il temps,pour ceux que la cause interroge, sollicite,mobilise, de regarder ce que ManuelValls, faisant référence au Rocardisme,considère être une « éthique de la vérité »,qui exhorte à créer avec les citoyens unrapport de responsabilité et à accepter de« se salir les mains ». Se salir les mains: lequotidien et le devoir communs à tous lesentrepreneurs. De Droite comme deGauche.

« Une éthique de la vérité »E

Par Denis LAFAY

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auche » et « entreprendre »: loin derelever de l’oxymore, le mariage des

deux termes peut se révéler fécond. Cettealliance serait même l’une des clés de larégénération du Parti socialiste. Tel est dumoins ce que Gérard Collomb et ManuelValls ont tenté de démontrer de concert le4 février à l’IAE de Lyon. Une démonstra-tion brillante,servie par un ping-pong ver-bal entre les deux édiles, qui n’hésitait pasà emprunter à l’histoire de la pensée éco-nomique. Ainsi le pédagogue GérardCollomb en appela aux phalanstères de

Charles Fourier, aux Saint-simoniens dudébut du XIXe siècle, mais aussi àProudhon, afin de mettre en évidencequ’au cours de l’Histoire, associer Gaucheet entreprise n’avait pas paru si paradoxal.Manuel Valls préféra souligner la spécifici-té de la société française, marquée par uneaspiration très forte à l’égalité, et qui culti-ve, contrairement aux sociétés anglo-saxonnes,un rapport particulier au risque,à l’argent, à l’entrepreneuriat. Pourtant,selon le député-maire d’Evry, entreprend-re peut bel et bien être « de Gauche ». « Il

Entreprendre,une idée de gauche?La conférence organisée par Acteurs de l’économie et l’IAE deLyon le 4 février a été l’occasion d’un échange fécond sur la dialectique entre Gauche et entrepreneuriat. A la tribune,Gérard Collomb, maire de Lyon, Manuel Valls, député-maired’Evry, et Gérard Debrinay, Pdg d’Algoé, ont exposé aux 500spectateurs les réalités idéologiques, politiques, économiques quicroisent - et divisent - pensée de gauche et esprit d’entreprendre.

« POUR SCHUMPETER, L’ENTREPRENEUR EST CELUI QUI INNOVE. C’EST CE QUE NOUS, MAIRES, ESSAYONS DE FAIRE,AVEC LES MÊMES PROBLÉMATIQUES QUE CELLES DE L’ENTREPRISE ». GERARD COLLOMB

en partenariat avec

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Acteurs de l’Economie / Janvier 201018

faut peut-être revenir aux sources en articu-lant l’auto-réalisation de l’individu avec lacollectivité, l’intérêt général, la justice sociale,l’esprit d’entrepreneuriat », estima-t-il.Iconoclaste, il alla jusqu’à vanter les méritesdu blairisme, selon lequel « il n’y a pas dejustice sociale sans compétitivité: sans riches-ses, on ne peut pas les distribuer ». Afin decombattre encore un peu plus les idéesreçues, Manuel Valls fit remarquer que

lorsque la Gauche avait été au pouvoir, elleavait plutôt agi de manière réformatrice(décentralisation dans un pays de traditionjacobine, ouverture de la place de Paris auxmarchés financiers, ouverture du capitald’un certain nombre de grandes entrepri-ses…) et réaliste. Un modèle qu’il regrettene jamais avoir vu théorisé.« La Gauche n’ajamais gouverné dans la durée – c’est notremal endémique. Nous considérons donc quecette pratique du pouvoir nous a nui, qu’ellenous a aliéné la classe ouvrière ».Face aux deux hommes politiques, GérardDebrinay, Pdg d’Algoé (conseil en mana-gement) exhorta la Gauche à « retrouver cequi est peut-être son ADN ». Et d’évoquerles Lumières, synonymes de progrèshumain, et de « refus de la fatalité, des cas-tes installées, des situations acquises ». « LaGauche devrait avoir naturellement laconcurrence comme valeur », affirma-t-il.Tout en rappelant l’importance du rôle dela société civile: « L’Etat est indispensable,mais on ne peut pas tout attendre de lui ».

CollectifS’autoproclamant et s’autopersuadant,non sans humour, « minoritaires au seindu PS mais bientôt majoritaires », ManuelValls et Gérard Collomb s’essayèrent àébaucher l’entreprise de demain. « Aprèsun premier stade fondé sur la libre entrepri-se et la régulation par le marché, générateurd’inégalités et de surproduction; après undeuxième stade basé sur l’entreprise fordiste,qui marie en un cercle vertueux performan-ce économique et sociale grâce au contextedes Trente Glorieuses; après l’entreprisefinanciarisée de ces dernières années, quinous a menés à la crise, nous devons inven-ter un autre modèle », jugea GérardCollomb. Un appel à sortir des cadres tra-ditionnels apprécié par Manuel Valls. L’éluse veut catégorique: « La Gauche doit inté-grer qu’il n’y a pas d’alternative au modèled’économie de marché ». Et d’enfoncer leclou du réalisme: « Nous devons nous pen-cher sur la question de la prise de risques. Lesystème de faillite en vigueur en France

amène en général les entreprises à fermerlorsqu’elles connaissent des difficultés. Or ilvaut mieux que 20 à 30 personnes soientlicenciées et que l’entreprise reparte, plutôtque celle-ci finisse par être liquidée, laissantsur le carreau la totalité de ses effectifs ».Perçue comme un collectif, l’entreprise dedemain évoquée par les trois participantsau débat aurait compris les leçons de lacrise: elle « a remis l’Homme au cœur dudébat » (Manuel Valls), « ne procède pas àune coupure artificielle entre le patron et legroupe de salariés » (Gérard Debrinay),« sait que sa main d’œuvre est son capital, etque sa qualité réside dans la ressourcehumaine » (Gérard Collomb).

Managers locauxLes débats s’orientèrent ensuite sur la perti-nence du parallèle entre maire et entrepre-neur. Gérard Collomb déclara « rencontrerles mêmes problèmes qu’un entrepreneur »,etnotamment celui de la gestion d’une« masse salariale » pléthorique, équivalenteà celle « d’une belle PME » (plus de 30 000personnes en additionnant notamment lescollaborateurs du Grand Lyon, desHospices Civils de Lyon…). « PourSchumpeter, l’entrepreneur est celui qui inno-ve.C’est ce que nous,maires,essayons de faire,avec les mêmes problématiques que celles del’entreprise », compléta le maire de Lyon,encitant plusieurs exemples locaux d’innova-tion: la naissance du pôle de compétitivitéLyonbiopôle, l’arrivée des Velo’V, le déve-loppement du quartier Lyon Confluence,ou encore la mise en place du GLEE (GrandLyon l’esprit d’entreprise). Manuel Vallsrenchérit en valorisant les maires,véritables« managers locaux », au détriment des« anciens ministres »: « Ce sont les villes,notamment en Europe, qui ont fait naîtrenotre civilisation. On pourrait conduire unpays comme on pilote une ville».Et d’en pro-

fiter pour décocher une flèche acérée à cer-tains de ses camarades socialistes:« Comment des élus de Gauche inventifs etintelligents dans leur fief – à Tulle ou Lille parexemple –, peuvent-ils défendre au niveaunational des programmes ou des formulestotalement dépassés? ». L’occasion pour ledéputé de redéfinir ce que signifie « être deGauche»: «C’est réformer,moderniser l’Etat,mais c’est d’abord arracher les gens à leur des-tin et les conduire dans un projet collectif ».Synthétisant les débats, pointant du doigtdes chantiers majeurs encore en jachèrecomme la mobilité sociale, l’emploi, leretour de la croissance, ou encore la res-tauration de la confiance, notamment ausein de l’entreprise, Gérard Debrinay a

souhaité encourager la gauche à s’appro-prier deux vertus: la « sincérité » (dans lesillage du « parler vrai » de Michel Rocard)ainsi que le « courage d’affronter les clientè-les qui lui sont naturellement acquises ».Une feuille de route approuvée parManuel Valls comme Gérard Collomb.« Ily a du Mendès France, du Rocard à retro-uver », confirma le premier. Alors que ledeuxième affirmait encore une fois sondésir de faire le lien entre l’économique etle social: « On ne pourra pas soutenir notremodèle social sans croissance ». ●

« LA GAUCHE DOIT INTÉGRER QU’IL N’Y A PASD’ALTERNATIVE AU MODÈLE D’ÉCONOMIE DEMARCHÉ ». MANUEL VALLS

« COMMENT DES ÉLUS DEGAUCHE INVENTIFS ETINTELLIGENTS DANS LEURFIEF – À TULLE OU LILLEPAR EXEMPLE –, PEUVENT-ILS DÉFENDRE AUNIVEAU NATIONAL DESPROGRAMMES OU DESFORMULES TOTALEMENTDÉPASSÉS? »

« L’Etat est indispensable, mais onne peut pas tout attendre de lui ».Gérard Debrinay.

Actualité / Evénement

« IL N’Y A PAS DE JUSTICE SOCIALE SANS COMPÉTITIVITÉ ;SANS RICHESSES, ON NE PEUTPAS LES DISTRIBUER ». MANUEL VALLS

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