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EHESS Un centre bulgare antirusse àParis. 1836-1846 Author(s): Pierre Voillery Source: Cahiers du Monde russe et soviétique, Vol. 23, No. 1 (Jan. - Mar., 1982), pp. 33-43 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/20169943 . Accessed: 12/06/2014 16:10 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers du Monde russe et soviétique. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.2.32.109 on Thu, 12 Jun 2014 16:10:24 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Un centre bulgare antirusse à Paris. 1836-1846

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Un centre bulgare antirusse àParis. 1836-1846Author(s): Pierre VoillerySource: Cahiers du Monde russe et soviétique, Vol. 23, No. 1 (Jan. - Mar., 1982), pp. 33-43Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/20169943 .

Accessed: 12/06/2014 16:10

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PIERRE VOILLERY

UN CENTRE BULGARE ANTIRUSSE ? PARIS

1836-1846*

Lorsque Alexandre Exarh arrive ? Paris, dans le courant

de l'ann?e 1836, il est le seul sujet ottoman bulgare connu de nous ? r?sider dans la capitale fran?aise. Un an apr?s, un personnage de poids le rejoint : Nikolaj Vogorides est nomm?

drogman, attach? ? l'ambassade ottomane de Paris (1). Ori

ginaire de Kotel, son p?re Stefan est gouverneur de l'?le de

Samos, porte le titre de prince, apr?s avoir ?t? caimac?n de

Valachie (1821) et de Moldavie (1822), drogman de la Flotte

(1823) (2). La famille Vogorides est ?galement c?l?bre parmi les Bulgares : l'oncle du prince Stefan est Sofronij Vracanski. De 1835 ? 1846, une v?ritable communaut? bulgare se forme ? Paris, dont au moins 21 de ses membres sont connus. Cer

tains le sont uniquement par leur patronyme cit? dans un

texte ou une lettre d'archives ; pour d'autres, nous poss?dons des renseignements plus complets. Des individus prestigieux

ayant eu une carri?re publique ont suscit? des travaux, tels

les Vogorides, Alexandre Exarh, Gavril Kr?stevic, Nikolaj Piccolo, Pet?r Beron ou Georgi Sava Rakovski. Ces 21 cas

recens?s permettent de tracer le portrait de ce groupe (voir

Tableau 1).

*

La r?partition annuelle de ce contingent montre une

variation continue de son effectif, tout en r?v?lant que la

tendance g?n?rale est ? l'accroissement. Le Tableau 2 illustre

cette ?volution. Nous ignorons les dates de s?jour de sept

Bulgares dont la pr?sence est attest?e par ailleurs, un seul

cas est ant?rieur ? 1826. Si, jusqu'en 1841, l'effectif reste

faible, d?s l'ann?e suivante, il s'?l?ve ? neuf membres sans

compter ceux dont la pr?sence est possible sans ?tre prouv?e.

L'origine sociale et la provenance g?ographique des membres

de ce groupe sont r?v?latrices de l'homog?n?it? de cet ensemble (Tableau 3).

* Cet expos? est extrait, pour sa plus grande partie, d'une

th?se de 3e cycle soutenue en 1980 ? l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, dont le titre ?tait : La Renaissance bul

gare et l'Occident, la France et les Bulgares, 1762-1856.

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Tableau 1. Bulgares pr?sents

Dates Lieu de naissance

Etudes

1 VOGORIDES Ata?as 1821-1826 Kotel

2 EXARH Alexandre 1836-1846 Eski Zaara

3 VOGORIDES Nikolaj 1837-1839 Kotel

4 KR?STEVIC Gavril 1838 ? Kotel

5 PICCOLO Nikolaj 1839-1850 T?rnovo

6 PROTIC Pet?r 1840-1850 T?rnovo

7 EXARH Ivan 1841-1846 Eski Zaara

8 PICCOLO Teohar 1841 ? T?rnovo

9 KIROVIC Dimit?r 1842 ? T?rnovo

10 RAKOVSKI Georgi 1842-1843 Kotel

11 KOSTOVIC Pet?r 1842 ? Elena

12 KRISTIDES Pet?r ? ?

13 DOBROVlC Panayote ? Selimnie

14 ATANASOVIC Georgi ? Svistov

15 MIHAJLOV V. ? ?

16 COMAKOV Stefan 1844-1848 Koprivstica

17 STOJANOVIC L. ? ?

18 SCAFFI E. ? ?

19 BERON Pet?r 1845 ? Kotel

20 SELIMINSKI Ivan 1845 ? Selimnie

21 PROTOPOPOV n c .x+ XT., t ? Svigtov _Nikolaj_

Bucarest, Vienne,

W?rzburg

Bucarest, Paris

Constantinople

Paris

Bucarest, Bologne

Paris

Paris

Paris

Paris

Constantinople

Ploegti

Bucarest, Paris

Pise, Florence, Ath?nes

Heidelberg, Munich

Ath?nes, Pise, Florence

Tableau 2. Effectif annuel des Bulgares pr?sents ? Paris de 1836 ? 1845

1836 1837 1838 1839 1840 1841 1842 1843 1844 1845

Arriv?e

2 3

1 2

D?part Total

1 2 3 3 4 6 9 9

10 12

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? Paris de 1821 ? 1846

Profession Notables Prot?g?s Liens de Inconnu Choix

_famille_politique

M?decin X M?decin,

diplomate X

Diplomate X

Juriste

M?decin X

M?decin

Agronome X

M?decin

M?decin

Ma?tre d ' ?cole

Secr?taire des

Vogorides Correcteur

M?decin

M?decin X

?

?

M?decin X

M?decin X

1, 3

1, 3

2

1, 3

7

1

6, 8, 9

5, 8, 9

2

5, 6, 9

5, 6, 8

X

X

X

X

X

Grecs

Pol.

?

Pol.

Pol.

Pol.

Pol.

Pol.

Pol.

Pol.

Pol.

Pol.

?

Pol.

Pol.

Pol.

Rus.

Ville d'origine

Kotel 5 T?rnovo 4 Selimnie 2 SviStov 2 Eski Zaara 2

KoprivStica 1 Elena 1 Inconnu 4

Tableau 3

Milieu social

Notables et n?gociants 8

Prot?g?s 4 Liens de famille 8 Inconnu 6

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36 PIERRE VOILLERY

Cinq Bulgares install?s ? Paris viennent de la m?me cit? : Kotel. Ce sont les Vogorides et leurs deux prot?g?s, ainsi

que le docteur Pet?r Beron, auteur du Riben bukvar. Nikolaj Piccolo et ses trois neveux sont originaires de T?rnovo. En

fait, toutes ces villes appartiennent ? une m?me structure de

production agro-industrielle : ces petites cit?s sont sp?ciali

s?es dans la production et la commercialisation de la soie

et de l'essence de rose, deux produits du n?goce international.

Kotel, Selimnie, Eski Zaara, KoprivStica sont des villes si

tu?es dans la vall?e des Roses ou au pi?mont du Balkan et

de la Sredna Gora. Eski Zaara, T?rnovo, SviStov sont plac?es sur l'axe routier nord-sud qui met en communication Constan

tinople et la plaine thrace avec les principaut?s danubiennes

et l'Europe centrale, alors que la voie Est-Ouest, suivant

le bassin de la Marica, passe ? proximit? d'Eski Zaara et

longe la vall?e des Roses. Quant ? Elena, cette petite ville

situ?e sur le flanc nord du Balkan appartient ? la zone d'influence de Kotel et d'Eski Zaara. Ce d?terminisme g?ogra

phique et ?conomique trouve sa correspondance dans l'origine sociale des membres de ce groupe. Huit d'entre eux sont

issus de familles de notables ou de n?gociants, mais il n'y a qu'un seul fils de n?gociants dans ce sous-ensemble,

Ivan Seliminski. Les ?tudes universitaires ne semblent pas attirer particuli?rement cette derni?re classe socio-profession nelle. Ces notables sont : les deux Vogorides, les deux Exarh,

Nikolaj Piccolo (3), Pet?r Beron et Stefan Comakov dont le

p?re est beglik?i ? Kopriv?tica (4). Il collecte pour le compte de l'administration ottomane les taxes sur les ovins et les

caprins. Huit membres sont install?s ? Paris en famille :

Nikolaj Vogorides est le neveu d'Ata?as ; Ivan Exarh est

appel? par son fr?re ; Pet?r Proti?, Teohar Piccolo et Dimit?r Kirovi? sont les neveux de Nikolaj Piccolo qui assure leur

installation dans la capitale fran?aise (5). Quatre des Bulgares vivant ? Paris sont des "prot?g?s" : Gavril Krastevic* (6) et Pet?r Kristides (7) sont "prot?g?s" par la famille Vogorides ; comme l'est Georgi Rakovski, ce qui sauvera sa t?te (8).

Pet?r Kostovic d'Elena est appuy? et par Alexandre Exarh

et par les partisans du prince Czartoryski (9). Ces faits ap

portent un ?l?ment d'explication de la transmission sociale

du savoir au sein de la soci?t? bulgare ottomane : le savoir

tend ? se transmettre au sein d'une m?me famille, constituant

ainsi des dynasties de lettr?s. Sur ce plan, la naissance

est d?terminante, bien que le statut social ne se transmette

pas automatiquement du p?re au fils, ou aux collat?raux.

L'entraide est essentielle dans cette soci?t? ; au sein d'une

famille, d'un milieu, d'une client?le, un membre bien plac? tend ? aider ses proches moins favoris?s. Ce syst?me de pro

tection est particuli?rement ? l'honneur puisqu'un notable

comme Alexandre Exarh en b?n?ficie, au moins au d?but, avant

d'en faire b?n?ficier d'autres (10).

Bien que plus limit?e, faute de renseignements suffisants,

une rapide analyse des ?tudes et des professions des membres

du groupe met ? nouveau en lumi?re l'homog?n?it? de l'en

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UN CENTRE BULGARE ANTIRUSSE A PARIS 37

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38 PIERRE VOILLERY

semble et la permanence de certains faits historiques parmi les lettr?s bulgares. Les universit?s allemandes et italiennes

sont les plus fr?quent?es par ces individus, depuis l'?poque o? les commer?ants ragusains et allemands entretiennent des

relations ?conomiques privil?gi?es avec l'Europe balkanique.

Si Raguse a perdu sa puissance, les circuits d'?change et de

communication sont demeur?s inchang?s. Trois des Bulgares

qui nous int?ressent ont ?tudi? ? Pise, ? Bologne, ? Florence. Trois sont dipl?m?s d'universit?s allemandes : Heidelberg, Munich, W?rzburg. Deux ont suivi les cours d'?tablissements

d'Ath?nes, et six sont d'anciens ?l?ves des ?coles phanariotes de Bucarest et de Constantinople. Avec huit ?tudiants bulga res, Paris est le nouveau centre universitaire ?tranger des

Bulgares, t?moignant de la volont? des "classes" ais?es de

ce peuple de s'occidentaliser. La plupart changent d'universit?

au fur et ? mesure de leur sp?cialisation, ce qui explique les fr?quents changements de villes. Quant aux choix profes

sionnels, la carri?re m?dicale domine nettement : dix m?decins

sur un effectif total de 21 membres. Cette h?g?monie s'explique par le sous-d?veloppement sanitaire dont souffrent les popu

lations ottomanes et par la volont? du pouvoir de former des

m?decins. De plus, nonobstant le prestige attach? ? ce m?tier,

son exercice ne n?cessite que peu de mat?riel et aucune

inscription ? l'Ordre, ce dernier n'existant pas ! Trois sont

juristes ou diplomates, les deux se confondant, A. Exarh

?tant en outre m?decin. Un poursuit des ?tudes d'agronomie, un autre est enseignant. Dans tous les cas, la pr?occupation est la m?me : l'id?al de ces hommes est de favoriser le pro

gr?s social, le d?veloppement ?conomique et la mise en valeur

du sol de leur pays natal. Un cas est cependant ?tonnant :

Panayote DobroviC, apr?s des ?tudes ? Ploesti, enseigne ?

Marseille, ville ayant le monopole des ?changes fran?ais avec

le Levant, avant de devenir correcteur d'imprimerie chez

Firmin Didot pour les ouvrages en langue grecque (11).

Les ann?es 1840 voient donc la constitution d'une v?ritable

communaut? bulgare ? Paris, dont les membres se connaissent

? des titres divers. Ils ne sont pas non plus isol?s. Un p?le

favorable aux Bulgares a pu se maintenir depuis le s?jour

d'Ata?as Vogorides qui y exer?a la m?decine de 1821 ? 1826, avant de mourir dans cette ville (12). L'historien roumain

d'opposition Radu Florescu d?nombre ? la m?me ?poque une

trentaine d'?tudiants roumains qu'il nomme le "groupe du

Coll?ge de France", ces Roumains pr?f?rant suivre les cours

du prestigieux ?tablissement, n'ayant pas ? y passer d'exa

men (13). En 1839, le prince Adam Czartoryski introduit dans

les milieux politiques fran?ais le dirigeant roumain antirusse

Campiceanu (14). Enfin, au moins pendant les premi?res

ann?es, celles qui correspondent ? la mise en place du

Tanzimat, le groupe bulgare b?n?ficie de la protection bien

veillante du personnel de l'ambassade ottomane de Paris.

Paradoxalement, la capitale fran?aise est l'un des grands centres du Tanzimat. Si l'?re des R?formes (Tanzim, Tanzimat)

qui anime l'histoire ottomane pendant plus de vingt ann?es

n'est pas directement au centre de notre sujet, sa proclamation

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UN CENTRE BULGARE ANTIRUSSE A PARIS 39

l?gitime toutes les initiatives prises par les Bulgares de Paris. La r?forme commence officiellement le 3 novembre 1839, par la proclamation publique par le jeune sultan Mahmoud

du Hatti Sheriff du Gui Hane, en pr?sence de l'ensemble du

corps diplomatique de Constantinople et du duc de Joinville, fils de Louis-Philippe (15). Les principales dispositions du texte concernent la r?forme des imp?ts et de la justice. Le

d?cret abolit l'affermage des imp?ts et cr?e une organisation de perceptions et de recettes g?n?rales ; il d?cide de la

r?partition du harac par le pouvoir municipal qu'il organise. Codifiant le droit p?nal et le droit civil, il favorise l'int?

gration des chr?tiens ? la vie publique de l'Empire en les

pla?ant sur un pied d'?galit? avec les sujets musulmans.

Cette ?re nouvelle a suscit? des analyses diff?rentes, mais

non contradictoires : on a pu parler de christianisation de

l'Empire, de son occidentalisation ou de sa centralisation (16).

Paris est l'un des centres du Tanzimat non seulement

parce que les capitales fran?aise et anglaise sont ? l'origine

politique ou ?conomique de ce mouvement, ou parce que les

mod?les institutionnels mis en place par le Gouvernement

ottoman sont fortement influenc?s par ceux existant alors en

France, mais aussi parce que les ambassades ottomanes dans ces deux capitales sont les bases de d?part et les foyers de

repli des hommes du Tanzimat. Ambassadeur ? Paris de 1838 ? 1840, Ahmet Fehti Pacha est ministre du Commerce de Rechid Pacha, puis de son successeur de 1840 ? 1844, ann?e o? il devient pr?sident du Conseil d'Etat. Rechid Pacha, Grand Vizir de 1839 ? 1841, devient, apr?s sa chute, ambas sadeur ? Paris. Aali Pacha, sous-secr?taire aux Affaires

?trang?res de Rechid Pacha, est ambassadeur ? Londres de 1841 ? 1844 avant de retrouver un portefeuille minist?riel. En 1840, Mehmet Kibrisli, futur ambassadeur ? Londres, est officier de cavalerie dans l'arm?e fran?aise (17). Les Bulgares profitent du Tanzimat et y participent activement : Alexandre

Exarh succ?de ? Nikolaj Vogorides au poste d'attach? d'am

bassade ? Paris (18) ; Alexandre Vogorides, le futur Aleko Pacha, est membre du Conseil d'Etat, puis ministre des Postes

alors que Stefan, son p?re, si?ge au Conseil du Tanzimat,

portant le titre de "Conseiller imp?rial". L'acc?s au pouvoir restait ouvert aux sujets chr?tiens ottomans ou aux non

musulmans, pourvu qu'ils soient favorables au maintien de

l'Empire (19). Si ce groupe de Bulgares r?sidant ? Paris de 1836 ? 1845

est socialement et culturellement homog?ne, il est remarquable de constater que sur le plan des choix plus sp?cifiquement

politiques, une coh?sion identique se manifeste. Mais entendons

nous bien sur le sens du mot "politique", pour les Bulgares, ? cette ?poque. Il signifie l'attitude que ces notables - et ?

cette phase de son d?veloppement, la Renaissance bulgare

est le fait des notables urbains - adoptent vis-?-vis de la

question du choix d'un "protecteur" ?tranger des chr?tiens

bulgares. Ce protecteur doit-il ?tre la Russie ? Faut-il appeler la France ? Comment peut-on ?largir le champ d'application des Capitulations, en passant de la notion ?troite de protection

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40 PIERRE VOILLERY

des catholiques ? la protection des chr?tiens ? Cette pen s?e "politique" ne postule en aucun cas l'ind?pendance, la

conscience nationale, la cr?ation d'un Etat. Elle est, pour

nous, un moyen commode d'opposer cette attitude et cette

d?marche aux mouvements plus culturels et religieux qui carac

t?risent alors la Renaissance bulgare. Cette coh?sion politique des Bulgares de Paris a ceci de particulier qu'elle fait de ce groupe un centre polonophile, ?troitement li? ? l'?migration de tendance aristocratique dirig?e par Adam Czartoryski,

profond?ment et majoritairement oppos?e ? une interpr?tation russophile de l'identit? bulgare et panrusse de l'identit? slave. C'est au contact des partisans du prince Adam que se forme la "conscience politique" de ces Bulgares ; c'est ?

partir de ce groupe de notables bulgares vivant ? Paris que

le prince Adam pr?tendra structurer et contr?ler le mouvement

bulgare dans les r?gions ottomanes, concurremment aux ini

tiatives de Michel Czayka Czaykowski parmi les communaut?s

bulgares de l'Empire (20).

Quand, dans le texte r?dig? par N. Planinski, dans un but de propagande, lors de l'?lection princi?re de Bulgarie en 1886, Alexandre Exarh raconte ses d?buts politiques en

France, il ne met l'accent que sur l'affaire de Candie et sa

collaboration avec Coletti et St?phanopoli de Comn?ne (21). Cette collaboration n'avait ?t? rendue possible que parce que

le prince Czartoryski appuyait cette entreprise et neutralisait

ainsi d'?ventuelles mesures de r?torsion de l'ambassade otto

mane. Il est l?gitime de dater le commencement des rapports entre le jeune Bulgare et l'H?tel Lambert (demeure parisienne du prince Czartoryski) des premiers mois de l'ann?e 1841. En 1840-1841, selon Planinski, A. Exarh ?tait le seul Bulgare r?sidant ? Paris (22). Nous savons ce que vaut cette affir

mation. Mais, prise sous un angle diff?rent, elle refl?te

malgr? tout la r?alit?. D?s cette ?poque, le jeune Bulgare para?t ?tre le personnage le plus influent de la communaut?

bulgare de Paris et exerce un ascendant certain sur ses

compatriotes. Il est le seul, ? cette date, ? avoir une activit?

politique et il occupe des fonctions officielles ? l'ambassade

ottomane, ce qui lui conf?re un statut social privil?gi? dans

les milieux politiques fran?ais. De plus, jusqu'en 1845, l'en semble des Bulgares r?sidant ? Paris pr?sente une grande

coh?sion politique : tous sont li?s au prince Czartoryski.

Dans ses M?moires, Ivan Seliminski, qui sera le premier

Bulgare vivant ? Paris ? d?fendre des opinions russophiles, s'insurge contre les choix polonophiles de ce groupe (23). Il ?crit que, outre Alexandre Exarh, Pet?r ProtiC, Teohar

Piccolo, Dimit?r Kirovi? et Georgi AtanasoviC sont li?s ?

l'H?tel Lambert. Dans la biographie qu'il a consacr?e ? Seli

minski, Mihajl Arnaudov d?clare que Nikolaj Piccolo ?tait,

quant ? lui, tr?s proche d'Alexandre Exarh (24) et favorable aux Polonais. Gavril Kr?steviC (25) et Stefan ?omakov,(26) sont du m?me bord. Enfin, une lettre manuscrite conserv?e

dans les Archives Czartoryski de Cracovie confirme l'identit? de quatre Bulgares de Paris favorables au prince : A. Exarh ;

T. Piccolo ; G. Atanasovi? et P. Kristides ; le m?me document

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UN CENTRE BULGARE ANTIRUSSE A PARIS 41

cite deux autres Bulgares dont nous ne savons rien : E. Scaffi

et L. Stojanovic (27). D'autres membres de cette communaut?

peuvent ?tre consid?r?s comme d?fendant les th?ses de l'H?tel Lambert, pour plusieurs raisons : P. Kostovi? vient en France

appuy? par A. Exarh et Michel Czayka Czaykowski, agent polonais ? Constantinople, et P. Dobrovi? (28) est correcteur

de grec et de bulgare chez Didot, imprimeur du prince Czar

toryski et des principaux manifestes bulgares r?dig?s sous

le patronage de ce dernier. Sur 21 cas recens?s, 13 sont

li?s plus ou moins longtemps ? l'H?tel Lambert et d?fendent des positions antirusses, un est nettement favorable ? la

Russie, et un, G. S. Rakovski, adoptera des th?ses socialistes

et ind?pendantistes bien que, en 1842, il ne soit qu'un proscrit en fuite ? la suite de l'?chec d'une insurrection arm?e.

Ces Bulgares favorables ? une intervention occidentale dans

la question sud-slave se regroupent au sein de deux soci?t?s :

la Soci?t? orientale et la Soci?t? slave. Nous ignorons tout des activit?s de ces deux organisations, mais nous savons,

gr?ce ? une lettre ?crite en 1845 par Ivan Seliminski, qu'elles exercent une

grande influence sur les jeunes de Turquie r?sidant en Europe occidentale (29) et qu' A. Exarh, P. Proti?, D. KiroviC, T. Piccolo, G. Atanasovic sont membres de la

Soci?t? orientale en 1845 (30), alors qu'? cette date A. Exarh a d?j? rompu avec le prince Czartoryski (3D.

*

Apr?s 1845, ce p?le bulgare parisien continue d'exister tout en se renouvelant. Mais son r?le au sein des Bulgares tend ? d?cro?tre, d'autant que le d?part d'Alexandre Exarh et son installation ? Constantinople privent le groupe de sa

cheville ouvri?re. Cependant, plus de dix ann?es durant, il

fut un foyer de la Renaissance bulgare, un centre culturel et

un centre "politique" en m?me temps. Les membres de ce groupe, aussi structur? qu'informel,

eurent, pour ceux dont la carri?re ult?rieure nous est connue, un r?le central dans les processus qui aboutirent ? la for

mation de la nationalit? bulgare. A. Exarh fut le "v?ritable

chef" de la communaut? bulgare de Constantinople apr?s 1847 (32) ; il devint l'un des principaux artisans de la formation de l'identit? culturelle et religieuse bulgare. Ce

m?me personnage, ainsi que G. Kr?steviC, G. Atanasovic, St. Comakov et N. Vogorides devinrent par la suite de hauts

fonctionnaires de l'administration ottomane et de la principaut?

bulgare, une fois celle-ci cr??e. P. Dobrovic participa ? l'im

pression de nombreux livres en bulgare, Beron et Piccolo

furent des personnalit?s importantes du monde scientifique

d'alors, Seliminski et Rakovski furent d'ardents patriotes. Tous venaient des m?mes villes et du m?me milieu social, tous

s'?taient connus ? Paris.

Paris, sept. 1980-janv. 1981.

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42 PIERRE VOILLERY

1. Nikolaj Na?ov, "Knjaz Stefan Bogoridi, biografski be lezki" (Le prince Stefan Bogoridi, notes biographiques), in Sbornik na B?lgarskata akademija na naukite (Recueil de

l'Acad?mie des sciences de Bulgarie), cit? infra SbBAN, Sofia, 24, XIV, 1931, pp. 38-52.

2. Ibid. ; Etienne Bogoridi, "Edin b?lgarin ot minalite vremenna : knjaz St. Bogoridi" (Un Bulgare des temps pass?s :

le prince St. Bogoridi), Periodicesko spisanie na BAN, 71, 1911. 3. Vesselin Besevliev, "Proizhod i p?rvi st?pki na dok.

Nikolaj Pikolo" (Origine et premiers pas du docteur N. Piccolo), Studia balc?nica (cit? infra SB), 2, 1970, pp. 187-204 ; Tatiana

Kirova, "Dr. N. Pikolo, cien na frenskata akademija na nau

kite" (Le docteur N. Piccolo, membre de l'Acad?mie des sciences

fran?aise), Spisanie na B?lgarskata akademija na naukite

(cit? infra SpBAN), 4-5, 1973. 4. A. T. Sopov, "Dr. St. Comakov", SbBAN, XII, 1919,

pp. 27-29. 5. Mihajl Arnaudov, Ivan Seliminski, zivot, delo, idei,

1799-1867 (Ivan Seliminski, vie, activit?s, id?es, 1799-1867), Sofia, BAN, 1938, p. 263 ; Ivan Seliminski, Memoiri (M?moires), Sofia, BAN, 13, p. 6.

6. M. Arnaudov, op. cit., p. 263.; Marko Balabanov,

Gavril Kr?stevic", Sofia, BAN, 1914. 7. Rekopiszti Czartoryski, Cracovie (cit? infra Rkp Czart.),

5487 IV, ff. 323-333. 8. Vesselin Trajkov, "G. S. Rakovski's relations with for

eign politicians and men of lettres", Bulgarian Historical

Review, 3, 1973, pp. 26-41. 9. Lettre du 18 janvier 1842, Narodnata Biblioteka Kiril i

Metodi, Sofia, Service des manuscrits, fonds Alexandre Exarh,

II A 5647. 10. Pierre Voillery, La Renaissance bulgare et l'Occident,

la France et les Bulgares, 1762-1856, Paris, th?se de 3e cycle,

EHESS, X- 398 p., pp. 139-140. 11. M. Arnaudov, op. cit., p. 263.

12. Ibid.

13. Radu Florescu, "The struggle against Russia in the

Rumanian Principalities, 1821-1845", in Acta hist?rica, Munich,

II, p. 184. 14. Ibid., p. 173. 15. Edouard Engelhardt, La Turquie et le Tanzimat, ou

histoire des r?formes de l'Empire ottoman depuis 1826 ? nos

jours, Paris, 1882, I. 16. Beginning of modernization in the Middle East, Chica

go, Chicago University Press, 1968. On peut consulter dans ce volume collectif : Roderick Davison, "The advent of the prin

ciple of representation in the government of the Ottoman

empire", pp. 93-108 ; Stanford J. Shaw, "Some aspects of the aims and achievement of the nineteenth-century Ottoman

reformers", pp. 29-39 ; Albert Hourani, "Ottoman reformers and

the politic of notables", pp. 41-68.

17. Auguste Vapereau, Dictionnaire biographique des con

temporains, Paris.

18. Nikolaj Planinski, Certi ot zivot? na Aleksand?r

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UN CENTRE BULGARE ANTIRUSSE A PARIS 43

Ekzarh (Passages de la vie d'Alexandre Exarh), Sliven, B?l

garsko zname, 1884, pp. 5-6. 19. Ismail Pach?, n? de parents grecs en 1812, vint ?

Paris de 1840 ? 1844 pour suivre des ?tudes de m?decine et devint ministre du Commerce.

20. P. Voillery, op. cit., pp. 204 sq.; Vanda Smohowska

Petrova, Mihajl Cajkovski, Sad?k Pacha i b?lgarskoto v?zraZ dane (Michel Czaykowski, Sadik Pacha et la Renaissance

bulgare), Sofia, BAN, 1973, 215 p. 21. N. Planinski, op. cit., pp. 5-6.

22. Ibid. 23. I. Seliminski, op. cit., p. 7.

24. M. Arnaudov, op. cit., p. 269.

25. M. Balabanov, op. cit.

26. A. T. Sopov, art. cit., pp. 27-28.

27. Rkp. Czart., 5487 IV, ff. 323-333. 28. M. Arnaudov, op. cit., p. 269.

29. Ibid., pp. 264-265. 30. I. Seliminski, op. cit., p. 7.

31. P. Voillery, op. cit., pp. 194 sq. 32. Todor Todorov, "Carigradskata kolonija i c?rkovnijat

v?pros" (La colonie bulgare de Constantinople et la question

religieuse), in 100 godini ot ucredjavaneto na b?lgarskata ekzarhja (Le centi?me anniversaire de la fondation de l'exar

chie bulgare), Sofia, Sinodalno izdatelstvo, 1971, pp. 85-116.

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