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R ECHERCHE ET PERSPECTIVES Pédagogie Médicale 2010; 11 (2): 97–109 DOI: 10.1051/pmed/2010011 c 2010 EDP Sciences / Société Internationale Francophone d’Education Médicale Étude descriptive de l’utilisation des cartes conceptuelles comme stratégie pédagogique en sciences de la santé A descriptive study of concept maps use as pedagogical strategy in health sciences Annie Rochette 1,2 , Marilou B ´ elisle 3 , André Laflamme 4 , Michèle Doucet 5 , Monique Chaput 6 et Barbara Fillion 2 1 Programme d’ergothérapie, École de réadaptation, Faculté de médecine, Université de Montréal, Montréal, Québec, Canada 2 Centre de recherche interdisciplinaire en réadaptation du Montréal Métropolitain (CRIR), Montréal, Québec, Canada 3 Centre d’études et de formation en enseignement supérieur (CEFES), Université de Montréal, Montréal, Québec, Canada 4 Bureau de l’environnement numérique d’apprentissage (BENA), Université de Montréal, Montréal, Québec, Canada 5 Faculté de médecine vétérinaire, Université de Montréal, St. Hyacinthe, Montréal, Québec, Canada 6 Centre de pédagogie appliquée aux sciences de la santé, Faculté de médecine, Université de Montréal, Montréal, Québec, Canada Manuscrit reçu le 21 janvier 2010 ; commentaires éditoriaux formulés aux auteurs le 16 mai 2010 ; accepté pour publication le 21 juillet 2010 Mots clés : Cartes conceptuelles ; pratiques actuelles ; sciences de la santé ; intégration des connaissances ; évaluation des connaissances Résumé – Contexte : Les cartes conceptuelles peuvent répondre à des usages multiples en éducation en sciences de la santé, comme stratégie de communication, comme aide à l’ap- prentissage, comme aide à la planification ou comme soutien à l’évaluation. Mais leur uti- lisation réelle dans le champ de la formation en sciences de la santé est mal connue. But : Les buts de cette étude exploratoire étaient : de documenter les pratiques actuelles d’utilisa- tion des cartes conceptuelles dans le quotidien des professeurs en sciences de la santé ayant suivi une formation en ce domaine; d’identifier les conditions perçues comme favorisant ou freinant leur utilisation. Méthodes : La population visée était les professeurs en sciences de la santé ayant suivi une formation sur les cartes conceptuelles dans deux universités qué- bécoises (n = 55). Un questionnaire en ligne a été conçu spécifiquement pour cette étude exploratoire. Une analyse comparative du contenu permettant de faire ressortir les simili- tudes et diérences a été réalisée. Résultats : Plus de trois quart des répondants (n = 26/33) rapportent utiliser les cartes conceptuelles. Leur utilisation est très variée : simple ou com- plexe, en prestation d’enseignement ou en évaluation, carte créée par le professeur et/ou les étudiants, construite en mode individuel ou collaboratif, en petit ou grand groupe. L’appren- tissage signifiant est identifié comme un avantage important des cartes conceptuelles alors que le temps supplémentaire requis est perçu comme un des obstacles à leur utilisation. Conclu- sion : Les pratiques actuelles d’utilisation des cartes conceptuelles en éducation en sciences de la santé sont diversifiées et les obstacles identifiés apparaissent surmontables, ce qui est prometteur pour l’avenir. Article publié par EDP Sciences

Étude descriptive de l’utilisation des cartes ...€¦ · proche par compétences. Par exemple, à l’Université de Montréal, cette approche est actuellement en phase d’implantation

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RECHERCHE ET PERSPECTIVESPédagogie Médicale 2010; 11 (2): 97–109

DOI: 10.1051/pmed/2010011

c© 2010 EDP Sciences / Société Internationale Francophone d’Education Médicale

Étude descriptive de l’utilisationdes cartes conceptuelles comme stratégiepédagogique en sciences de la santéA descriptive study of concept maps use as pedagogical strategy in healthsciences

Annie Rochette1,2, Marilou Belisle3, André Laflamme4, Michèle Doucet5,Monique Chaput6 et Barbara Fillion2

1 Programme d’ergothérapie, École de réadaptation, Faculté de médecine, Université de Montréal, Montréal, Québec,Canada

2 Centre de recherche interdisciplinaire en réadaptation du Montréal Métropolitain (CRIR), Montréal, Québec, Canada

3 Centre d’études et de formation en enseignement supérieur (CEFES), Université de Montréal, Montréal, Québec,Canada

4 Bureau de l’environnement numérique d’apprentissage (BENA), Université de Montréal, Montréal, Québec, Canada

5 Faculté de médecine vétérinaire, Université de Montréal, St. Hyacinthe, Montréal, Québec, Canada

6 Centre de pédagogie appliquée aux sciences de la santé, Faculté de médecine, Université de Montréal, Montréal,Québec, Canada

Manuscrit reçu le 21 janvier 2010 ; commentaires éditoriaux formulés aux auteurs le 16 mai 2010 ; accepté pour publicationle 21 juillet 2010

Mots clés :Cartes conceptuelles ;pratiques actuelles ;sciences de la santé ;intégrationdes connaissances ;évaluationdes connaissances

Résumé – Contexte : Les cartes conceptuelles peuvent répondre à des usages multiples enéducation en sciences de la santé, comme stratégie de communication, comme aide à l’ap-prentissage, comme aide à la planification ou comme soutien à l’évaluation. Mais leur uti-lisation réelle dans le champ de la formation en sciences de la santé est mal connue. But :Les buts de cette étude exploratoire étaient : de documenter les pratiques actuelles d’utilisa-tion des cartes conceptuelles dans le quotidien des professeurs en sciences de la santé ayantsuivi une formation en ce domaine ; d’identifier les conditions perçues comme favorisant oufreinant leur utilisation. Méthodes : La population visée était les professeurs en sciences dela santé ayant suivi une formation sur les cartes conceptuelles dans deux universités qué-bécoises (n = 55). Un questionnaire en ligne a été conçu spécifiquement pour cette étudeexploratoire. Une analyse comparative du contenu permettant de faire ressortir les simili-tudes et différences a été réalisée. Résultats : Plus de trois quart des répondants (n = 26/33)rapportent utiliser les cartes conceptuelles. Leur utilisation est très variée : simple ou com-plexe, en prestation d’enseignement ou en évaluation, carte créée par le professeur et/ou lesétudiants, construite en mode individuel ou collaboratif, en petit ou grand groupe. L’appren-tissage signifiant est identifié comme un avantage important des cartes conceptuelles alors quele temps supplémentaire requis est perçu comme un des obstacles à leur utilisation. Conclu-sion : Les pratiques actuelles d’utilisation des cartes conceptuelles en éducation en sciencesde la santé sont diversifiées et les obstacles identifiés apparaissent surmontables, ce qui estprometteur pour l’avenir.

Article publié par EDP Sciences

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98 A. Rochette et al.

Keywords:Concept map;actual practices;heath sciences;knowledge integration;knowledge assessment

Abstract – Context: Concept maps are useful in a variety of ways such as communicationstrategies, learning tools, planning tools or assessments. Yet what is known about their cur-rent use in health sciences? Purpose: Describing current concept map practices by healthsciences professors who benefited from specific training and secondly identifying perceivedfacilitators and hurdles to their use. Methods: The target group included all health scienceprofessors who were trained in concept mapping in two Quebec’s universities (n = 55). Datawere collected using an exploratory on line questionnaire developed specifically for this study.A comparative analysis of the content helped identify similarities and differences. Results:More than three quarters of respondents (n = 26/33) reported using concept maps in one orseveral courses. Their use varied greatly, from simple to complex, in individual or collabo-rative mode, in small or large size groups, from teaching strategies to assessments and mapscreated by teachers or students. Meaningful learning came out as an advantage while the ex-tra time needed proved to be a hurdle. Conclusion: Current concept map practices in healthsciences are varied. Hurdles could be overcome, which is promising for the future.

Introduction

Les cartes conceptuelles peuvent répondre à desusages multiples en éducation en sciences de lasanté, comme stratégie de communication, aide àl’apprentissage, comme aide à la planification oucomme soutien à l’évaluation. Mais leur utilisationréelle dans le champ de la formation en sciencesde la santé est mal connue. Nous présentons uneétude exploratoire visant à documenter les pratiquesactuelles d’utilisation des cartes conceptuelles dansle quotidien des professeurs en sciences de la santéayant suivi une formation en ce domaine. Un secondobjectif consiste à identifier les conditions perçuescomme favorisant ou freinant à leur utilisation.

Problématique

Utilité des cartes conceptuelles dans une logiqued’approche par compétences

Avec l’arrivée de profils de pratique commeCanMeds[1] ou d’autres[2], de plus en plus de pro-grammes de formation se tournent vers une ap-proche par compétences. Par exemple, à l’Universitéde Montréal, cette approche est actuellement enphase d’implantation dans plusieurs programmesde formation en santé (ergothérapie, médecine,pharmacie, soins infirmiers pour n’en citer quequelques-uns). La compétence se définit comme un

« savoir-agir complexe prenant appui sur la mobili-sation et la combinaison efficaces d’une variété deressources internes et externes à l’intérieur d’unefamille de situations »[3]. La notion d’efficacité estd’autant plus importante que le professionnel de lasanté, actuel et en devenir – c.-à-d. l’étudiant –,doit faire face à une augmentation exponentielle desconnaissances à maîtriser, ce qui complique le défid’être en mesure, le moment venu, de les mobiliseret de les combiner efficacement. Dès lors, on peutraisonnablement faire l’hypothèse qu’un travail por-tant sur l’organisation des connaissances antérieureset des connaissances nouvellement acquises, au mo-ment de l’apprentissage, serait une stratégie cogni-tive primordiale dans l’optique de la constructiond’un savoir-agir[4] ; il doit donc être encouragé etassisté par les enseignants au cours de la formation.Pour répondre à ce défi, de nouvelles stratégies pé-dagogiques doivent être adoptées. La carte concep-tuelle, avec ses différentes applications[5], pourraitfaciliter cette organisation et, à ce titre, elle constitueune technique pédagogique prometteuse dans unelogique d’approche par compétences.

Cette étude s’inscrit donc dans cette mouvancevers une approche par compétences de plusieursprogrammes de formation professionnelle en santéoù de nouvelles stratégies pédagogiques, commel’utilisation des cartes conceptuelles, sont mises enexergue.

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Étude descriptive de l’utilisation des cartes conceptuelles comme stratégie pédagogique en sciences de la santé 99

Qu’est-ce qu’une carte conceptuelle ?

Les cartes conceptuelles prennent appui sur la théo-rie de l’apprentissage signifiant proposé par DavidAusubel[6]. Elles permettent un apprentissage « si-gnifiant » (meaningful learning) en favorisant lesliens entre les connaissances antérieures et les nou-velles connaissances acquises en cours de formation,comparativement à un apprentissage « par cœur »(rote learning)[7]. En tant que tel, leur intégrationdans une pédagogie traditionnelle, comme l’ensei-gnement magistral, ne va pas nécessairement desoi[8]. Elle prend par contre tout son sens dansle cadre d’une pédagogie active, visant à créer lesconditions favorables à la mobilisation de ressourcesinternes (connaissances, habiletés, expériences etattitudes) et externes (documents, outils informa-tiques, moyens audiovisuels, collègues experts, etc.)par l’étudiant, en cohérence avec les principes direc-teurs d’une approche par compétences.

Concrètement, la carte conceptuelle a été pro-posée vers le milieu des années 1980 par Novak.Elle peut se définir comme un « dispositif schéma-tique permettant une représentation visuelle signi-fiante d’un groupe de concepts, intégrée à des propo-sitions structurées (traduction libre) »[9]. Elle permetainsi, tant à l’enseignant qu’à l’étudiant, d’expliciterles liens entre les différents concepts dont la maîtriseest nécessaire dans le cadre de la construction d’unecompétence – tout en signifiant que cette condi-tion n’est pas suffisante, la dimension du savoir-agir exigeant davantage que la simple appropriationde concepts). La carte conceptuelle est donc habi-tuellement composée de concepts reliés entre euxpar des liens unidirectionnels qui sont nommés (parun verbe), formant ainsi des propositions. L’activitéde construction d’une carte conceptuelle consisteainsi en un effort cognitif intentionnel visant à ex-pliciter et à relier entre eux des concepts en leshiérarchisant, à les relier aux connaissances anté-rieures, cette démarche étant au cœur de l’appren-tissage signifiant. La carte conceptuelle se distingueainsi d’autres modalités de cartographie, telles quela carte – ou réseau – sémantique – semantic net-work – (liens habituellement bidirectionnels, sans

organisation hiérarchique), de la carte heuristique –ou mentale – mind map – (concept central avecreprésentation arborescente des idées), de la cartecognitive (relations causales, sans explicitation desliens) ou encore de la carte de connaissances – know-ledge map – (concepts et liens appartenant à une listepréétablie). Bien que cette approche de la représen-tation figurative des connaissances ait été formaliséedepuis plus de vingt ans, la carte conceptuelle aconnu un regain de popularité avec les développe-ments technologiques, c’est-à-dire avec l’arrivée delogiciels informatiques permettant d’apporter unesimplification dans le traçage et dans la forme. Plu-sieurs logiciels de construction de cartes concep-tuelles sont disponibles gratuitement sur internetdont, notamment, CmapToolsMD (http://cmap.ihmc.us/download/).

Utilisation possible des cartes conceptuellesen sciences de la santé

En 2004, Marchand et d’Ivernois[7] ont proposéune synthèse des utilisations possibles des cartesconceptuelles en sciences de la santé. Ils décriventtrois utilisations des cartes conceptuelles. Première-ment, la carte conceptuelle peut servir comme aideà l’apprentissage dans le contexte d’une construc-tion par l’étudiant, individuellement ou en groupe,favorisant ainsi un apprentissage signifiant, la ré-solution de problème et la mémorisation par lamise en réseau des connaissances. La carte concep-tuelle peut aussi servir à l’enseignant comme aideà la planification de l’enseignement et à la concep-tion de design pédagogique, particulièrement dansle contexte de l’approche par compétences où l’oncherche à favoriser les liens entre les différents coursou, d’une façon générale, lorsque l’on souhaite fa-ciliter l’interdisciplinarité et la collaboration inter-professionnelle autour d’une situation complexe. Fi-nalement, la carte conceptuelle peut servir commestratégie d’évaluation des apprentissages, particuliè-rement pour l’identification de propositions (combi-naison de concepts et de mots de liaison) erronées ouabsentes, ce qui implique que l’on puisse comparer

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les cartes des étudiants à une carte de référence,élaborée par un expert ou un groupe de personnesressources ou encore que l’on utilise une carte « àtrous » (concepts et liens manquants que l’étudiantdoit compléter). Plus récemment encore, Daley etTorre[5] ont fait un nouvel inventaire, à partir d’unerecension des écrits, des différentes fonctions de lacarte conceptuelle dans le domaine de l’éducationmédicale, qu’ils classent sous quatre rubriques : 1)favoriser l’apprentissage signifiant ; 2) procurer uneressource additionnelle pour l’apprentissage ; 3) per-mettre aux instructeurs d’offrir une rétroaction auxétudiants et 4) évaluer les apprentissages et la perfor-mance. Ces deux typologies des usages de la carteconceptuelle sont très similaires, quoique la visionde Daley et Torre se centre davantage sur le point devue de l’étudiant et omet les possibilités d’utilisationdu point de vue de l’enseignant pour la planification,que mentionnent Marchand et d’Ivernois.

La conception des cartes ainsi que leur contenu(concept central, histoire de cas, etc.) seront in-fluencés par les objectifs d’utilisation visés. Ainsi,pour obtenir un portrait clair de l’utilisation de lacarte conceptuelle dans un contexte donné, les ob-jectifs d’utilisation et les raisons justifiant le choixd’utiliser la carte conceptuelle sont des informationsessentielles. Par exemple, les cartes conceptuellespeuvent être utilisées pour l’étude d’un cas ou bienpour permettre la synthèse des connaissances dansun domaine précis ou encore pour évaluer des ap-prentissages. Les cartes conceptuelles peuvent êtreutilisées soit uniquement par l’enseignant pour or-ganiser le contenu de son cours, soit uniquement parles étudiants ou à la fois par les étudiants et les en-seignants dans un même cours ou à l’intérieur d’uncurriculum.

Pourquoi se questionner sur les pratiques actuelles ?

Depuis quelques années, le Centre d’études etde formation en enseignement supérieur (CEFES)de l’Université de Montréal offre des formationssur les cartes conceptuelles dans deux universitésquébécoises aux professeurs intéressés. Cependant,

comme il ne suffit pas de se former pour intégrer unenouvelle stratégie d’enseignement dans sa pratiquequotidienne, il importe de se questionner sur les pra-tiques actuelles d’utilisation des cartes conceptuellesen sciences de la santé chez les enseignants ayantsuivi cette formation. La formation a-t-elle eu uneffet sur les stratégies d’enseignement des profes-seurs, les objectifs associés à l’utilisation des cartesconceptuelles, les types de cartes produites et lecontexte de leur utilisation ? Ce contexte d’utilisa-tion est aussi potentiellement influencé par certainesconditions du milieu facilitant ou limitant leur uti-lisation. Ces conditions peuvent appartenir à l’indi-vidu (croyances, connaissances, appropriation de latechnique, etc.) ou à l’environnement (accès à un lo-giciel, infrastructure comme le nombre d’étudiantspar groupe, soutien pour la formation, présenced’aide pour la correction, temps, etc.). Ainsi, l’iden-tification des obstacles et des avantages liés à l’utili-sation des cartes conceptuelles de même que des op-portunités (liés à l’environnement) et limites de sonusage (perception des retombées et de la valeur ajou-tée), selon la perception des utilisateurs, peut servirde base à des pistes d’actions concrètes pour éven-tuellement mettre en place des conditions facilitantleur utilisation et, ainsi, réduire l’écart entre les pra-tiques possibles et les pratiques actuelles.

Afin de documenter les pratiques pédagogiquesactuelles qui recourent aux cartes conceptuelles, ilconvient de se questionner sur le lien entre la lo-gique de leur utilisation et l’arrimage avec les autresapproches pédagogiques préconisées[8]. Le niveaude conviction de l’enseignant quant à la pertinencede cette stratégie pédagogique et son niveau deconfiance quant aux conditions permettant son utili-sation avec succès sont des éléments potentiellementimportants à considérer[10].

L’objectif principal de cette étude exploratoireest de documenter les pratiques actuelles d’utili-sation des cartes conceptuelles dans le quotidiendes professeurs en sciences de la santé ayant suiviune formation en ce domaine. Un second objectifconsiste à identifier les conditions perçues commefavorisant ou nuisant à leur utilisation.

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Méthodes

Dispositif de l’étude

Cette étude descriptive exploratoire utilise un ques-tionnaire administré à l’aide de l’outil de sondageen ligne Survey MonkeyMD. Cette méthode de col-lecte de données a été préférée à des entrevues indi-viduelles ou à des groupes de discussion principale-ment pour des raisons de faisabilité et de pertinence,puisqu’il s’agissait d’une étude exploratoire voulantdresser un portrait des pratiques effectives du plusgrand nombre d’enseignants répondant aux critèresd’inclusion. Le questionnaire en ligne permet au ré-pondant de compléter le sondage au moment quilui convient le mieux, sans qu’il soit nécessaire deprendre un rendez-vous préalablement. Les réponsessont transférables directement dans une base de don-nées, minimisant les possibilités d’erreurs liées àl’entrée des données par une tierce personne et mi-nimisant également les coûts. De plus, bien qu’il eûtété intéressant de sonder également les étudiants, laprésente étude cible les pratiques des enseignantsuniquement, également pour des raisons de faisabi-lité. Une enquête auprès des étudiants pourrait fairel’objet d’une autre étude.

Population visée

La population visée était composée des enseignantsappartenant à une des sept facultés, écoles ou dépar-tements des sciences de la santé de l’Université deMontréal ou de l’Université Laval (médecine, mé-decine dentaire, médecine vétérinaire, pharmacie,sciences infirmières, kinésiologie et optométrie),ayant suivi une formation sur les cartes concep-tuelles offerte par le CEFES entre janvier 2005 etjuin 2008 (n = 55). La formation, en petit groupede 10 à 15 participants, s’étalait sur deux demi-journées. Le cadre conceptuel servant de base àla formation s’inscrit dans une approche cogniti-viste qui met en valeur l’importance de l’apprentis-sage signifiant. Lors de cette formation, le partici-pant était amené à construire une carte conceptuelle

où il devait mettre en exergue ses connaissancesantérieures. Il s’agissait ainsi d’une formation enétapes, au cours de laquelle le participant expéri-mentait les différentes utilités de la carte concep-tuelle, depuis une utilisation simple comme stratégiede communication de l’enseignant vers les étudiants,jusqu’à une utilisation plus complexe impliquantune co-construction, comme lors de la collabora-tion synchrone et asynchrone dans la constructiond’une carte conceptuelle consensuelle. Un travailpratique était assorti à cet atelier : à partir d’un thèmeproposé par les participants, ceux-ci développaientune carte conceptuelle personnelle qui était discu-tée en groupe à la rencontre suivante. Cependant,au décours de cette deuxième rencontre, aucun suivin’était effectué de façon systématique mais le for-mateur se rendait disponible sur demande, au cas oùle participant désirait implanter cette stratégie dansson enseignement et souhaitait bénéficier d’un sou-tien supplémentaire.

Questionnaire

Un questionnaire a été développé spécifiquementpour l’étude à partir d’une recension des écrits surle sujet. Il a fait l’objet de discussions de l’équipede recherche (cinq réunions sur une période d’envi-ron un an), quant à la formulation des questions etl’ordre de ces dernières, tout en se souciant d’arri-mer le contenu recherché au cadre conceptuel. Laformulation des questions a été prétestée pour leurcompréhension auprès d’un répondant. La premièrepartie du questionnaire était composée de questionsouvertes visant à documenter les pratiques d’utilisa-tion des cartes conceptuelles en incluant le ration-nel sous-jacent (objectif principal). Par exemple :Utilisez-vous ou avez-vous déjà utilisé les cartesconceptuelles comme stratégie d’enseignement et/oud’apprentissage ? Pouvez-vous décrire l’utilisationque vous faites de la carte conceptuelle dans votreenseignement ? (veuillez s.v.p. préciser le but et ladémarche utilisée), etc. La deuxième partie étaitcomposée de questions ouvertes et fermées visantà documenter le contexte de l’utilisation des cartes

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conceptuelles, en mettant l’accent sur la percep-tion de la valeur ajoutée et des facteurs facilitantou freinant leur utilisation (objectif secondaire). Parexemple : Selon vous, quels sont les points forts oules avantages (valeur ajoutée) de l’utilisation de lacarte conceptuelle dans votre pratique d’enseigne-ment ? Selon vous, quelles sont les limites de l’uti-lisation de la carte conceptuelle dans le contextede votre pratique ? Quels conseils donneriez-vous àun collègue qui voudrait utiliser les cartes concep-tuelles dans son enseignement ? Etc.

Collecte de données

Les données ont été recueillies entre le 1er dé-cembre 2008 et le 30 janvier 2009. Les participantsont été invités à participer à l’étude en remplissantle questionnaire en ligne par un courrier électroniquepersonnalisé. Deux rappels par courrier électroniqueont été envoyés.

Analyse des données

Les données des questions fermées ont été inter-prétées de façon purement descriptive. Une analysequalitative comparative du contenu des données desquestions ouvertes a été réalisée afin de faire ressor-tir les similitudes et différences selon les contextesd’utilisation, en ce qui concerne le type de carte, son(ses) auteur(s), sa (ses) finalité(s), etc. Ces donnéesont été synthétisées sous la forme de deux cartesconceptuelles, co-construites en collaboration pardeux membres de l’équipe de recherche pour ensuitefaire l’objet de discussions avec les autres membresde l’équipe jusqu’à l’obtention d’un consensus.

Résultats

Les données des questions fermées sont présentéesde façon descriptive dans les tableaux I à III. Lesdonnées qualitatives extraites des questions ouvertessont présentées sous la forme de deux cartes concep-tuelles qui font l’objet des figures 1 et 2.

Tableau I. Caractéristiques des enseignants ayant réponduau questionnaire sur l’utilisation des cartes conceptuelles(n = 33).

Fréquence*GenreFemme 23Homme 10

Groupe d’âge20 à 39 ans 440 à 49 ans 1550 et plus 14

Titre d’emploiProfesseur 22Autres (chargé d’enseignement, 11responsable formationclinique ou pratique,chargé de projet)

Expérience en enseignement (années)< 10 ans 11Entre 10 ans et 24 ans 1425 et plus 8

Nombre d’étudiants par groupe50 et moins 3Entre 51 et 100 étudiants 4Entre 101 et 200 étudiants 9Plus de 200 étudiants 7

* Données manquantes pour certains répondants

Description de l’échantillon

Des 55 personnes sollicitées, 33 ont rempli le ques-tionnaire en ligne, soit un taux de réponse de 60 %.Parmi les répondants, huit d’entre eux (24,2 %) ontrapporté ne pas utiliser les cartes conceptuelles dansleur pratique. Les raisons de non-utilisation évo-quées étaient : un manque de temps (n = 3) ; ne s’ap-plique pas à leur contexte (n = 3) ; ne l’ont pas prio-risé comme stratégie (n = 1) et donnée manquante(n = 1). La majorité des répondants enseignaient àdes groupes de plus de 51 étudiants (n = 20/33) et

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Étude descriptive de l’utilisation des cartes conceptuelles comme stratégie pédagogique en sciences de la santé 103

Tableau II. Pratiques d’utilisation des cartes conceptuelles en éducation en sciences de la santé déclarées par les répondantsau questionnaire de l’étude (n = 26).

Fréquence*L’enseignant conçoit la carte (n = 7)Type de carte conceptuelle **Carte thématique 4Carte contextuelle 2Autre (les deux) 1

Méthode de traçagePapier crayon 1Cmap Tools 6MOT ou MOT+ 1

Les étudiants conçoivent la carte (n = 19)Type de carte conceptuelle**Carte thématique 7Carte contextuelle 5Autre (les deux) 7

Méthode de traçagePapier crayon 6CmapTools 16MOT ou MOT+ 1Autre : au choix de l’étudiant 1

Présentation de l’utilisationde la carte aux étudiantsOui 9

Type de présentationOrale 7Écrite 3Discussion 3Autres (APP, dépôt prof, oral ET écrit) 3

Rétroaction sur la carte conceptuelle ?Oui 16

Recueil de l’opinion des étudiantsSondage 1Discussion structurée 2Discussion informelle 5Autre (évaluation formelle de fin 1de session)

Lieu où la carte est conçue par l’étudiant Papier LogicielEn classe 6 8Hors classe 4 15

* Données manquantes pour certains répondants et possibilités de plusieurs réponses.** Carte thématique (portant sur un concept ou une question centrale) et carte contextuelle (décrivant les éléments propres à unehistoire de cas ou à une vignette).

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les deux tiers (n = 22/33) avaient plus de dix an-nées d’expérience en enseignement (voir tableau I).Le dénominateur varie en raison de données man-quantes.

Pratiques d’utilisation des cartes conceptuelles

La carte construite par l’enseignant

Parmi les 26 répondants utilisant les cartes concep-tuelles dans leur pratique, sept rapportaient conce-voir eux-mêmes les cartes. Ils rapportaient utiliserla carte conceptuelle pour organiser et structurer uncours ou en résumer son contenu. Cette techniqueétait perçue comme une représentation plus dyna-mique que statique et facilitant la visualisation duprocessus, d’un raisonnement ou d’une démarche(voir figure 1). À titre d’exemple, un répondant men-tionnait : « Représentation visuelle complète et dy-namique d’une situation. Bon soutien pour accom-pagner une explication ou un contenu ; rejoint plusd’étudiants que seulement l’explication verbale oula présentation linéaire sur PowerPoint ». Cepen-dant, pour un autre répondant, la perception de lavaleur ajoutée découlait d’une rétroaction obtenuedes étudiants : « Il m’est difficile d’évaluer l’impactchez les étudiants, tant au niveau compréhension,qu’étude mais lors de l’évaluation du cours, je re-çois parfois des commentaires à l’effet que c’est ap-précié. Pour moi, cela me permet de bien structurerles différentes sections du cours ».

La carte construite par les étudiants

Pour les autres répondants (n = 19), le scénario pri-vilégié consistait à faire construire les cartes concep-tuelles par les étudiants, afin de les inciter à fairedes liens, à organiser les connaissances, à intégrerles connaissances antérieures aux nouvelles connais-sances acquises, etc. Cette utilisation est diversifiéeen ce sens qu’elle pouvait se faire dans un contexteindividuel ou d’équipe, lors d’une pédagogie tradi-tionnelle (magistrale) ou d’une approche par pro-blèmes et faire l’objet d’une évaluation sommative

Tableau III. Utilisation de la carte conceptuelle comme unsoutien à l’évaluation par les répondants au questionnaire.

Évaluation Évaluation

formative* sommative*(n = 12/18) (n = 5/17)

Qui évalue les cartes ?

Professeurs 8 4

Professeur et l’étudiant 1 1

Tuteurs 1

Professeurs et tuteurs 1

Professeurs et correcteurs 1 1

Comment les cartessont-elles évaluées ?

Selon un barème 5 6

Commentaires inscrits 1

sur la carte

Discussion individuelle 1

Évaluation écrite 1

Discussion informelle 1

Existence d’un corrigé ? 6/18

* Données manquantes pour certains répondants (les chiffresreprésentent la fréquence).

ou formative (voir figure 2). Dans près de la moitiédes cas, la carte faisait l’objet d’une présentationorale de la part des étudiants. La majorité utili-sait le logiciel Cmap Tools (voir tableau II). Le ta-bleau III présente les particularités en lien avec l’uti-lisation de la carte conceptuelle comme une stratégied’évaluation des apprentissages. Alors que douze ré-pondants mentionnent utiliser la carte conceptuellecomme une évaluation formative, seuls cinq l’uti-lisent à titre d’évaluation sommative. Certains uti-lisent un corrigé « avec les éléments minimaux »mais un autre répondant mentionne : « Il n’y a pas decorrigé pour éviter que les étudiants croient qu’uneseule carte est juste... pour éviter aussi que la cartedu professeur ne circule par la suite et biaise les ré-sultats des cohortes subséquentes ».

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Étude descriptive de l’utilisation des cartes conceptuelles comme stratégie pédagogique en sciences de la santé 105

Fig. 1. Carte conceptuelle illustrant la diversité de l’utilisation des cartes conceptuelles par les répondants lorsque cettedernière est construite par l’enseignant.

Obstacles et valeur ajoutée identifiés

À propos des facteurs identifiés par les répondantscomme, respectivement, facilitant ou freinant l’utili-sation de cette stratégie dans leur pratique, le tempsapparaît être un facteur déterminant. En effet, les ré-pondants recommandaient à un pair entres autres :de suivre une formation, de former adéquatement lesétudiants, de se donner du temps pour connaître latechnique et de commencer à l’utiliser modestement(voir figures 1 et 2). À titre d’exemple de conseils,un répondant mentionne : « prendre le temps de seformer et réserver du temps dans l’horaire pourformer les étudiants adéquatement avant de leurdemander de créer des cartes » ; un autre écrit :« Je n’ai pas vraiment de conseil à donner. Je lui

expliquerais le principe et la nécessité d’un entraî-nement qui peut être payant à terme... Mais il fauts’y mettre avec discipline pour atteindre un niveaud’efficacité utile et acquérir le réflexe de l’utiliser »,alors que d’autres mentionnent : « GO ! GO ! GO ! Ilfaut se lancer... c’est vraiment révélateur de la com-préhension des étudiants et si vite à corriger... onvoit tout de suite les erreurs des étudiants » ou en-core : « Commencer modestement si on s’adresse àun grand groupe. Il est mieux de l’utiliser un peu quepas du tout ».

Lorsque ce sont les étudiants qui construisent lacarte conceptuelle, les enseignants identifient égale-ment le temps requis pour l’aspect technique commeun facteur important à prendre à compte ; en ré-ponse à la question sur les limites, un répondant

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Fig. 2. Carte conceptuelle illustrant la diversité de l’utilisation des cartes conceptuelles par les répondants lorsque cettedernière est construite par l’étudiant.

mentionnait : « Le temps à y consacrer, l’évaluation,la motivation de l’étudiant à utiliser cet outil quidemande effort et énergie. ». Un autre aspect men-tionné comme une limite par certains est l’aspecttechnique associé à l’utilisation d’un logiciel : « Lesbornes de la carte demeurent difficiles à définir etsuscitent de l’angoisse chez certains étudiants. Del’infiniment grand (explosion de liens, analogue àun discours tangentiel) à l’infiniment petit (décorti-cation obsessive d’un concept), il n’est pas toujoursaisé de trouver le juste milieu. » ou : « Les étu-diants ont tendance à mettre trop de détails et par-fois mettent plus d’énergie sur le design que sur lecontenu ».

Parmi les points forts, avantages ou valeursajoutées identifiés par les répondants, on y souligneles possibilités de faire une synthèse des connais-sances, ce que traduisent par exemple les mentions :« Outil de synthèse facilitant probablement la réten-tion des points importants. » ou : « pédagogie in-tégrative et dynamique » ou : « oblige à créer desliens entre les notions apprises ; oblige une certaineforme de synthèse ; permet la personnalisation des

apprentissages. Pour le professeur, permet de voird’emblée le niveau d’intégration ». On y décrit aussila possibilité de cerner le niveau de compréhensiondes étudiants, par exemple en mentionnant : « Per-met de faire des liens et de « voir » un peu plus cequi se passe dans la tête de l’étudiant. Mieux suivreson cheminement. » ou : « Permet de voir la com-préhension des étudiants beaucoup plus qu’un exa-men maison traditionnel... Permet de voir les liensque les étudiants font, ceux qu’ils font mal, ceux quimanquent de nuance, etc. ». Par ailleurs, lorsque lacarte conceptuelle est utilisée en mode évaluatif, lescritères permettant de l’évaluer correctement ont étérapportés par plusieurs comme un défi d’application.

Discussion

Cette étude exploratoire est originale et constitue,à notre connaissance, la première visant à recen-ser les pratiques actuelles d’utilisation des cartesconceptuelles au niveau universitaire en sciences dela santé. Elle comporte néanmoins quelques limites.

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Le taux de non-réponse à certaines questions peuts’expliquer par la méthode utilisée (sondage enligne). L’utilisation d’une entrevue téléphonique ouen face à face aurait permis de réduire ce nombrede données manquantes. Il est légitime de se ques-tionner sur les caractéristiques des non-répondants –taux de réponse de 60 %, malgré les relances – ;en l’état des informations disponibles, il n’est paspossible de savoir s’ils utilisent dans une proportionéquivalente les cartes conceptuelles comme straté-gie d’enseignement ou s’ils ont choisi de ne pas ré-pondre au sondage justement parce qu’ils ne les uti-lisent pas. En ce sens, les résultats de la présenteétude exploratoire offrent des pistes quant à la per-ception des utilisateurs et non-utilisateurs de cettestratégie mais les résultats ne sont pas nécessaire-ment représentatifs de l’ensemble des professeurs encontexte universitaire dans le domaine de la santé, enraison de la petite taille de l’échantillon.

L’objectif principal était de documenter les pra-tiques actuelles d’utilisation des cartes conceptuellesdans le quotidien des professeurs en sciences dela santé ayant suivi une formation en ce domaine.Les trois utilisations possibles telles que décritespar Marchand et d’Ivernois[7] (aide à l’apprentis-sage, aide à la planification, aide à l’évaluation) ontété mentionnées. Les résultats indiquent une grandevariété d’utilisation qui reflète sans doute la diver-sité des pratiques d’enseignement rapportées. Cettediversité est telle qu’il a été impossible de défi-nir des profils clairs d’utilisation. Même si les ré-pondants ont tous suivi une même formation, il estpossible que les enseignants n’étaient pas tous aumême stade d’appropriation de la technique au mo-ment de l’enquête, ce qui pourrait contribuer à ex-pliquer cette grande diversité et l’absence de profilclair, ce qui n’a pu être vérifié statistiquement. Plu-sieurs répondants utilisant l’approche par problèmesont rapporté utiliser la carte conceptuelle. Son uti-lisation est apparue particulièrement utile dans cecontexte tout en ne se limitant pas à cette méthodepédagogique.

Lorsque la carte conceptuelle était une produc-tion personnelle demandée aux étudiants, elle faisait

l’objet d’une présentation orale auprès d’eux dansprès de la moitié des cas. On imagine que suivantcette présentation, une forme de rétroaction étaitofferte. Selon une étude exploratoire auprès d’étu-diants en médecine (n = 134), la rétroaction por-tant à la fois sur la carte en tant que telle (organi-sation, lisibilité, nombre de détails à inclure, etc.) etsur le contenu (véracité des liens) est essentielle[11].Ceci concorde avec les pratiques actuelles : la ma-jorité des répondants qui font faire la carte par lesétudiants l’utilise aussi comme mode d’évaluation(formative), permettant ainsi d’offrir une forme ouune autre de rétroaction. Cependant, quoique l’utili-sation d’un barème de correction apparaisse commeune pratique courante, l’existence d’un corrigé estplutôt rare. Les résultats du sondage actuel ne per-mettent pas d’élucider davantage pourquoi les en-seignants ne fournissent pas systématiquement descorrigés aux étudiants alors qu’ils utilisent presquetous un barème de correction pour l’évaluation et/oula rétroaction. Cela reflète possiblement le désir desenseignants de respecter la nature individuelle etévolutive des cartes conceptuelles, surtout lorsquecelles-ci sont produites par les étudiants.

Plus de la moitié des répondants avaient plusde dix ans de carrière en enseignement. Le fait queles enseignants expérimentés pourraient s’intéresserdavantage à la pédagogie ou lui accorder une plusgrande priorité reste spéculatif. Quoi qu’il en soit, ilest légitime de supposer que plus ce type de straté-gie est intégré tôt dans la carrière d’un enseignant,plus grand pourrait être l’impact sur sa pratique. Onpeut en contrepartie faire l’hypothèse qu’une expé-rience minimale en enseignement soit requise pourque l’utilisation des cartes conceptuelles soit opti-male et apporte une réelle valeur ajoutée, commecela semble être le cas pour les étudiants[12].

Plusieurs logiciels de construction de cartesconceptuelles sont disponibles sur le web, gratuite-ment ou sous licence, par exemple : Belvedere, Sem-Net, MOT, Inspiration, PIViT ou Cmap Tools[13].Tous ces logiciels permettent des applications sensi-blement similaires. Dans cette étude, les répondantsont certainement été grandement influencés par la

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formation qui utilisait Cmap Tools, puisque la trèsgrande majorité d’entre eux ont rapporté l’utiliserdans leur pratique.

Par ailleurs, près du quart des répondants ontmentionné ne pas utiliser les cartes conceptuellesdans leur pratique, alors même que le fait qu’ils aientsuivi une formation sur le sujet démontre un intérêtde leur part à l’égard de cette stratégie. Il est ici in-téressant de souligner qu’il ne suffit pas de suivreune formation ou d’avoir un intérêt envers une stra-tégie pour l’intégrer dans sa pratique. En effet, desefforts importants, associés à un niveau de convic-tion et de confiance élevé, ainsi qu’à une percep-tion d’une balance avantages/désavantages positive,sont nécessaires pour modifier des habitudes solide-ment ancrées dans le quotidien et pour intégrer denouvelles stratégies dans sa pratique[10]. Un répon-dant a suggéré que l’utilisation des cartes concep-tuelles devrait être une recommandation explicite etqu’il devrait y avoir une obligation de former lesprofesseurs. Il faudrait alors vérifier que ces der-niers intègrent effectivement l’utilisation des cartesconceptuelles dans leurs stratégies d’enseignement,en changeant leur routine de travail.

L’objectif secondaire de l’étude était d’explo-rer les conditions perçues comme favorisant ou limi-tant l’utilisation des cartes conceptuelles. Le temps,que ce soit pour l’appropriation de la technique oula construction d’une carte, est l’obstacle le plussouvent mentionné chez l’ensemble des répondants,sans qu’il soit possible d’évaluer si cette contrainteaurait aussi été perçue pour une autre technique.Concernant les étudiants, Torre et al. [11] rapportentaussi que le temps requis pour construire la carteconceptuelle est une limite à son utilisation, quipourrait peut-être être dépassée grâce à un entraîne-ment. Les personnes habituées à la technique éla-borent des cartes très vite. Il est reconnu que lesétudiants exposés à des méthodes pédagogiques tra-ditionnelles où l’apprentissage signifiant est peu va-lorisé développent des stratégies de mémorisation etde rappel efficaces mais souvent superficielles leurpermettant d’avoir du succès dans leurs études eny accordant un minimum relatif de temps[14]. Par

contraste, la décision d’exiger des étudiants qu’ilsproduisent des cartes conceptuelles s’inscrit trèsclairement dans une perspective pédagogique alter-native, visant à favoriser le recours à des stratégiesd’apprentissage en profondeur ; au-delà des aspectstechniques liés à la construction graphique de lacarte, une telle démarche exige nécessairement uninvestissement en temps supérieur de la part des étu-diants.

Un autre élément identifié comme un obstacle àl’utilisation des cartes conceptuelles construites parles étudiants est la détermination du niveau de dé-tails à inclure. En effet, si la carte est dessinée à lamain sur une feuille ou au tableau, le niveau de dé-tails qu’il est possible d’inclure est habituellementdéfini par la grandeur de la feuille ou du tableau ;lorsque l’on utilise un logiciel comme CmapTools,l’espace de travail virtuel possédant une dimensioninfinie, oblige l’enseignant à statuer au préalable surle niveau de détail à inclure si l’on ne veut pas seretrouver avec une carte rendue illisible par le foi-sonnement des concepts qui y sont présentés.

Conclusion

Les résultats de cette étude exploratoire font appa-raître que les pratiques pédagogiques actuellementassociées à l’utilisation des cartes conceptuelles ensciences de la santé sont diversifiées. Ceci est po-tentiellement prometteur pour l’avenir, si l’on ad-met qu’il devient essentiel de promouvoir des stra-tégies d’apprentissage signifiant dans un contexteoù les données factuelles croissent exponentielle-ment. Ce travail a également permis d’identifier àla fois des avantages consécutifs à l’utilisation descartes conceptuelles mais aussi certains obstacles àleur utilisation. Comme l’ont souligné certains ré-pondants, la carte conceptuelle n’est pas une fin ensoi mais un moyen de favoriser un certain type d’ac-tivités cognitives cohérentes avec la perspective del’apprentissage signifiant. À ce titre, il s’agit d’unoutil utile à posséder dans son répertoire de moyenspédagogiques et à utiliser adéquatement en fonctiondes finalités à atteindre.

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Contributions

Annie Rochette, Marilou Bélisle, AndréLaflamme, Michèle Doucet et Monique Chaputont contribué à la conception du protocole derecherche. André Laflamme a pris en charge lerecueil des données. Annie Rochette et BarbaraFillion ont fait l’analyse des données avec lacollaboration des autres auteurs. Annie Rochetteet Barbara Fillion ont procédé à la rédaction dumanuscrit et tous les autres auteurs l’ont révisé àmultiples reprises.

Remerciements

Cette étude a été réalisée grâce à un fonds de re-cherche du Centre de recherche interdisciplinaire enréadaptation de Montréal (CRIR) et du site Centrede réadaptation Lucie-Bruneau (CRLB) octroyé àl’auteure principale. Annie Rochette est égalementdétentrice d’une bourse de chercheur Junior 1 duFonds de la Recherche en Santé du Québec (FRSQ).

Approbation éthique

Le protocole de recherche de cette étude a été ap-prouvé par le Comité d’éthique de la recherche dela Faculté de médecine de l’Université de Montréal(CERFM ; 07-#282).

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Correspondance et offprints : Annie Rochette, École de Réadap-tation, Université de Montréal C.P. 6128, Succursale Centre-VilleH3C 3J7 Montréal, Québec, Canada.Mailto : [email protected]

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