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Trajets parisiens

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TRAJETS PARISIENS

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DU MÊME AUTEUR

ROMANS

Céleste, récit (La Table ronde). Agnès, ou le Désordre des signes (La Table ronde). Le Tombeau de Staline (La Table ronde). Une vie d'artiste (Balland).

ESSAIS

Les Fascismes français (en coll. avec R. Lasierra, éd. du Seuil).

Pétain (éd. du Seuil). Le Complexe de gauche (en coll. avec R. Lasierra,

Flammarion). Le Complexe de droite (en coll. avec R. Lasierra,

Flammarion). Courrier Paris-Stanford (en coll. avec A. Besançon,

Julliard). Histoire du nationalisme (le XIX siècle : les nations

romantiques, Fayard).

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JEAN PLUMYÈNE

TRAJETS PARISIENS

JULLIARD 8, rue Garancière

PARIS

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IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE QUINZE EXEMPLAIRES SUR VERGÉ DE HOLLANDE DES PAPETERIES VAN GELDER DONT DIX EXEM- PLAIRES NUMÉROTÉS DE 1 A 10 ET CINQ EXEMPLAIRES HORS COMMERCE NUMÉROTÉS DE H.C. 1 A H.C. 5, LE TOUT CONSTITUANT L'ÉDITION

ORIGINALE

La plupart des textes rassemblés dans ce volume ont paru dans la revue Commentaire.

© Julliard 1984 ISBN 2-260-00368-0

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PREAMBULE

T ous les écrivains sont parisiens, mais certains le sont plus que d'autres.

La première de ces deux propositions n'a pas à être démontrée. La seconde se prouve en marchant, dans les rues de la capitale. Le promeneur parisien est un promeneur engagé. Ses pas vont dans le sens de l'histoire, j'entends d'une histoire littéraire qui, depuis bientôt deux siècles que les temps sont modernes et contemporains, se nourrit de ses sensations, de ses émotions, de ses réflexions, l'emploie comme person- nage, comme lecteur, comme critique, comme écrivain.

Contemplez ces façades grises, ces persiennes déco- lorées, ces mansardes inaccessibles, regrettez que le Bois-Charbons ait fait place à une pizzeria, plantez-vous au coin d'une rue sans joie, suivez un boulevard flam- bant d'électricité, achetez France-Soir à la gare du Nord, commandez un demi en terrasse : vous voilà entré en littérature. La ville de Paris rédige ses Mémoires, dont vous êtes un paragraphe, un mot, un signe de ponctuation.

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C'est ainsi et je n'y peux rien. Il y a là quelque chose d'assez mystérieux, à quoi

Julien Green, par exemple, fait allusion, dans un Paris qui vient de paraître : « A mes yeux, écrit-il, Paris restera le décor d'un roman que personne n'écrira jamais. Que de fois je suis revenu de longues flâneries à travers de vieilles rues, le cœur lourd de tout ce que j'avais vu d'inexprimable ! S'agit-il là d'une illusion ? Je ne le crois pas. Il m'arrive souvent de m'arrêter tout à coup devant telle grande croisée drapée de fausses dentelles, au fond d'un vieux quartier, et de rêver sans fin aux destinées inconnues qui se déroulent à l'abri de ces vitres noires... » L'auteur d'un pareil paragra- phe s'inscrit d'emblée dans la lignée de ces Parisiens extrémistes dont je parlais tout à l'heure et dont il sera amplement question dans les chapitres qui vont suivre.

Je serais bien embarrassé de dire qui a commencé, de la ville elle-même ou des livres inspirés par elle. Si j'ai d'abord lu Léautaud, puis monté la rue des Martyrs ; si je connaissais les Passages avant ou après avoir pratiqué les surréalistes ; si c'est Fargue qui m'a poussé vers ses arrondissements de gares et de canaux, ou si c'est le contraire.

A bien réfléchir, la promenade est sans doute pre- mière. C'est une activité singulière ; on pourrait la mettre au nombre des arts libéraux, comme la conver- sation, à laquelle elle s'apparente. Le causeur change de sujet, le promeneur de trottoir. Tous deux passent

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du coq à l'âne. Il leur faut, à l'un comme à l'autre, énormément de liberté, de laissez-passer et de laisser- faire. Il leur faut une ville. Des salons, des cafés, des rues. Sans fauteuils, sans banquettes, pas de conversa- tion possible. Sans rues, pas de promenade (je laisse de côté les randonnées en forêt, les courses le long des rivières, le sentiment de la nature, qui ne sont pas dans mon sujet : la promenade en milieu rural est d'un autre ordre, encore qu'on puisse la considérer comme une variante, un cas particulier de flânerie moderne, un trait de civilisation urbaine).

La promenade parisienne est donc comme un genre littéraire, mineur mais précieux, allant son chemin de rue en rue et d'oeuvre en œuvre.

Ce genre a ses lois. Le promeneur oscille entre la mélancolie et le ravis-

sement. Tristesse et même désespoir de voir dispa- raître des impasses recrues de souvenirs, des restau- rants historiques, d'immémoriales devantures. Enchan- tement de retrouver, échappés comme par miracle aux démolisseurs en tout genre, la boulangerie à l'ancienne, la fontaine au fond de la cour, le bout de trottoir où l'on jouait enfant, la grande brasserie toujours debout. Cet état d'âme, en formation dès la monarchie de Juillet, se cristallise sous le Second Empire, quand le baron Haussmann, tranchant dans le vif de Paris, trace ses avenues rationnelles. De nos jours et plus que jamais, le Parisien sensible gémit sur les effets dévas- tateurs de l'urbanisme, puis, tourné le coin de la rue, s'émerveille de redécouvrir, intactes et même rénovées, les façades d'avant la faute.

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Ce va-et-vient entre le regret de ce qui n'est plus et l'action de grâces devant ce qui est encore est au prin- cipe même de l'interminable poème en prose qui, d'auteur en auteur, accompagne dans sa durée Paris qui toujours recommence.

Comme le savent tous les spécialistes, le piéton lettré va là où va tout le monde, et tire ses satisfactions des trottoirs les plus fréquentés, des bistrots de modèle courant, du tout-venant de la vie parisienne. Sans doute les palais de Paris, ses monuments, triomphaux ou imperceptibles, chacune de ses statues, même réduite à son socle, ont-ils suscité leur pesant de litté- rature. Mais ce ne sont pas ces chefs-d'œuvre, si par- faits soient-ils, qui motivent les professionnels de la poésie parisienne : ils se plaisent dans la rue grise, célèbrent le marchand de marrons, le marchand de poissons, le marchand de journaux, le marchand de tout, fréquentent le cinéma music-hall, grimpent les escaliers les plus raides, réclament le plat du jour.

Bref, les rues littéraires n'ont à première vue rien qui les distingue des autres, sinon que le promeneur assidu finit tôt ou tard par s'y retrouver, c'est-à-dire par mettre ses pas dans ceux de Baudelaire, de Fargue, d'André Breton et autres piétons fameux, même s'il ne sait rien ou presque de leurs paysages préférés, de leurs aventures immobilières. C'est comme si une douce nécessité se faufilait dans le hasard de la pérégrination

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parisienne, comme si la flânerie, si nonchalante soit- elle, s'orientait tout naturellement vers une sorte de Terre promise, d'ultra-Paris, de massif central où la Ville abonde en son être. C'est de cette zone particu- lière, névralgique et même névrotique, surchargée de littérature, que nous allons voir, au fil des pas et des pages, s'esquisser la géographie et se préciser les contours.

Mes chemins ne mènent pas nulle part.

Autant le dire tout de suite, ni le Quartier latin, ni Montparnasse, ni Saint-Germain-des-Prés ne sont cette région mère. Ces quartiers ont leur poésie, leurs habi- tués, leurs historiens, leurs riches heures... De toute façon, le moindre fragment d'espace parisien vaut comme source jaillissante : prenez une rue de Paris, lisez-la, elle deviendra littéraire (je pense par exemple à cette rue Max-Jacob, déshéritée, périphérique, et que je prends chaque matin, fonçant en automobile vers le bureau qui m'attend. C'est une pauvre rue sans fleurs, sans bistrot, sans boucherie même chevaline, sans rien. Pourtant son nom la rend intéressante et déjà deux ou trois auteurs l'ont mentionnée chemin faisant. Elle n'attend plus que le roman qui l'entraînera dans la carrière...). Mais il est, au cœur de la Ville, une contrée entre toutes, constellée de références, vers laquelle convergent tous les trajets.

Avouons-le, c'est à droite, sur la rive droite de la

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Seine, que sommeillent les vraies richesses. Elles sont là, simples et tranquilles, à portée de métro, tout près de l'arrêt d'autobus. On peut par exemple, si l'on y tient, retenir à l'hôtel de Dieppe, rue d'Amsterdam, la chambre de Baudelaire, et passer la nuit, comme Baudelaire, entre la gare Saint-Lazare et cette poi- gnante rue de Budapest où des fleurs du mal se déhan- chent dans des embrasures. Ce n'est qu'un exemple. Le présent ouvrage est du reste tout en exemples. J'égrène des détails, des bouts de trottoirs, des rampes d'escaliers, des stations de métro, des chambres de bonne.

La sémiologie n'est pas mon fort. Pourtant tous ces signes, mis bout à bout, finissent par tracer des pistes, dont il faut bien constater qu'elles se recoupent, s'en- trelacent et se rejoignent pour aboutir en fin de compte au même lieu de ralliement, au même système nerveux central dont le tissu n'est si serré qu'à force, juste- ment, de trajectoires.

Ce vagabondage tendancieux serait bien sûr impos- sible si Paris n'était pas resté, depuis un siècle et même bien davantage, fondamentalement, obstinément, miraculeusement semblable à lui-même.

La plus belle ville du monde a certes beaucoup souffert. Des décennies de loyers bloqués, ôtant tout intérêt à leur capital, découragèrent les propriétaires d'entretenir leurs immeubles qui peu à peu s'effondrè-

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rent. De leur côté les urbanistes rêvaient d'abolir les vieilles rues sinueuses et les maisonnettes biscornues pour les remplacer par des sanatoriums entourés d'es- paces verdâtres. Le Corbusier, avant la guerre, proje- quel stupide ensemble vertical. Heureusement la guerre tait de raser Paris et d'édifier sur son site je ne sais vint. Paris faillit brûler, mais ne brûla pas. Nous nous promenons toujours dans ses rues courbes.

Depuis, comme chacun sait, utopistes et promoteurs ont pris leur terrible revanche. Sans parvenir toutefois à entamer sérieusement la précieuse matière grise dont est faite la capitale.

C'est pourquoi, mais il fallait le démontrer, le décor charmant des souvenirs d'enfance de Paul Léautaud est toujours debout. Comme le sont les domiciles des frères Goncourt, le faubourg Saint-Martin de Fargue, les Passages surréalistes, le café Certâ d'Aragon, et ainsi de suite. On dira que je me promène dans le passé, que j'explore des sites désaffectés, que je me traîne derrière des ombres. A quoi je répondrai que ce ne serait pas la première fois qu'on interrogerait des ruines, qu'on s'intéresserait aux morts, aux lieux, à l'esprit qui souffle. D'ailleurs les pays parisiens dont je parle ne sont pas en ruine, et les écrivains que je cite sont pour la plupart si proches de nous que, pour un peu, je les aurais connus.

J'en suis même à me demander si ces vieilles rues couleur de pluie, ces carrefours à embouteillages, ces garleries marchandes, ces cafés-tabacs, ne sont pas, tout bien réfléchi, d'une actualité brûlante.

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LES GONCOURT DANS LEUR PAYSAGE

C 'EST dans l'arrière-saison, en fin d'après-midi, quand la lumière du jour n'a plus assez de force pour faire donner les couleurs, quand la

ligne des toits se découpe en noir sur le blanc du ciel, qu'il faut remonter la rue Saint-Georges, jusqu'à la petite place du même nom où elle conduit et s'achève.

La place Saint-Georges est parfaitement circulaire. Elle est bordée de façades surchargées de bas et de hauts-reliefs, de frises, de moulures, de corniches et de balustrades, comme aimaient à s'en anoblir, vers 1830, les hôtels particuliers de la bourgeoisie roman- tique. L'hôtel Thiers est là qui s'obstine. Incendié pendant la Commune et reconstruit sitôt après, il contient un bref musée Napoléon où l'on peut voir, en plâtre et en pain d'épice, à pied, à cheval et en voiture, toutes sortes de petits Napoléons populaires. On sera seul. Les visiteurs sont rares, et le musée rebelle à l'ouverture.

Tel autre hôtel s'est vu reconvertir. Naguère « par- ticulier », le voici voué à l'universel. Des sociétés, des

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services, des offices y ont élu domicile, et derrière la grande façade baroque s'étagent, en couches numéro- tées, des bureaux moquettés et climatisés, lieux géomé- triques d'abstraites transactions dont le sens, bien que suggéré à l'entrée par des plaques gravées de sigles, échappe au promeneur ordinaire.

Au centre de la place, en buste sur une fontaine, Gavarni, peintre lithographe, et, plus que tout peut- être, personnage. Stylisateur de la lorette, théoricien du genre bohème, prophète de la vie d'artiste, l' « homme le mieux habillé de France » irradia le pays parisien où nous sommes, donc le monde des arts et des lettres, qui, longtemps, eut ici son centre. En 1929, Daniel Halévy évoquait encore « ce refuge agréable que les Parisiens du Second Empire avaient dressé, comme un campement heureux, entre Notre- Dame-de-Lorette, la place Blanche et la barrière des Martyrs (1) ».

Aujourd'hui, quand le soir tombe sur la place Saint- Georges, que les bureaux se sont vidés de leur per- sonnel, que l'antiquaire a fermé ses volets (l'échoppe, vieux baraquement dissymétrique, se tasse dans un renfoncement d'architecture) et que seules quelques autos perdues s'entêtent à faire le tour de Gavarni, le parfait rond-point n'est plus qu'un décor vacant, un paysage de pierre, couleur de pierre, gris de tous les gris de la pierre, une lithographie grandeur nature.

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C'est un sujet de rêverie, en attendant de devenir un objet de science, que les migrations, d'un quartier à l'autre de la capitale, de ses artistes et de ses écri- vains. Quel vent poussa donc, au milieu des années quarante, la gent créatrice d'idées, de modes, de livres, d'images, à se transporter massivement autour de deux ou trois bistrots du boulevard Saint-Germain ? A s'y installer, à s'y organiser, à s'y constituer en une façon de micro-système planétaire, avec ses étoiles fixes et filantes, ses trajets orbitaux, ses habitudes gravitatives ? Pourquoi Saint-Germain-des-Prés ? Sans doute parce qu'un peu de village s'éternisait là, un rien de nature ( dans le nom du lieu : Montmartre, précé- demment, avait joué le même rôle, colline inspirée où la Ville s'achève, se dissout, se métamorphose en campagne. En se fixant dans le quartier Notre-Dame- de-Lorette, entre le Boulevard et la Butte, artistes et littérateurs trouvaient un compromis heureux, à deux pas du centre, à proximité de la marge.

Le mouvement avait commencé sous la monarchie de Juillet, quand le quartier fut construit, avec son église éponyme. Autour de quelques « folies » aristo- cratiques datant du siècle précédent, des rues, des

( Peut-être aussi les caves. Fatigués d'adorer les dieux sur les hauteurs, les hommes préférèrent un jour s'assembler dans les catacombes où l'on danse. D'où cette odeur d'humidité, cet éclai- rage insuffisant, cette atmosphère de cachot caractéristiques des romans existentialistes.

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immeubles, des palais bourgeois s'édifièrent, bientôt peuplés d'artistes tapageurs, d'écrivains illustres, de journalistes redoutables, tous environnés de lorettes, comme il en poussait alors à foison entre les pavés de la Ville.

Dumas, rue Saint-Lazare, donnait des fêtes extrava- gantes. George Sand et Chopin, rue Pigalle, se déchi- raient amoureusement. Théophile Gautier, Henri Heine, Baudelaire, Victor Hugo habitèrent dans les parages. Des dames y tenaient salon. Des actrices y mouraient de tuberculose. Au numéro 1 de la rue Fontaine, Gavarni avait son atelier : homme couvert de lorettes, il avait, pour faciliter leurs arrivées et leurs départs, équipé sa demeure de portes dérobées, de cloisons coulissantes et de resserres escamotables, commandées par un système très compliqué et très ingénieux de ressorts, de cordons, de poulies. Tout se passait ici, comme il n'y paraît plus, mais comme en témoignent les itinéraires du Guide Bleu et les plaques commémoratives.

En 1849, Edmond et Jules de Goncourt s'installent rue Saint-Georges. En plein milieu du siècle, au cœur du quartier artiste. Le 2 décembre 1851 — le jour même du coup d'Etat —, ils publient leur premier roman et rédigent la première page de leur fameux Journal. On ne saurait davantage être au centre de ce Dix-Neuvième dont bientôt le Palais d'Orsay, comme

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pour faire la nique à Beaubourg, conviera les masses nostalgiques à se ressouvenir. Ils demeuraient au 43, quatrième étage au fond de la cour. J'y fus, pour voir. On ne voit rien. Un petit immeuble fatigué, gris, pari- sien. J'espérais de la crémerie d'en face, au 42, que Madame Jupillon, dans Germinie Lacerteux, « essayait de remonter », après l'avoir fait « restaurer » et « repeindre » : « Les vitres de la devanture s'ornaient d'inscriptions en lettres jaunes. Des pyramides de cho- colat de la compagnie coloniale, des bols de café à fleurs, espacés de petits verres à liqueur, garnissaient les planches à l'étalage. A la porte brillait l'enseigne d'un pot de lait de cuivre coupé par le milieu ». Mais l'affaire n'a pas tenu. On vient de faire « restaurer » et « repeindre », pour y aménager un petit Institut de beauté : massages, sauna, crèmes épilatoires...

Les deux frères vont-ils se plaire en ce temps et en ce lieu où leur œuvre a pris son départ ? On sait que non. Ils quitteront, en 1868, la rue Saint-Georges pour Auteuil. Quant à leur siècle, ils le désavouent, comme si sa seconde moitié en déshonorait la première : « Mon Paris, le Paris où je suis né, le Paris des mœurs de 1830 à 1848, s'en va. Il s'en va par le matériel, il s'en va par le moral. La vie sociale y fait une grande évolution qui commence... Je suis étranger à ce qui vient, à ce qui est, comme à ces boulevards nouveaux, sans tournants, sans aventures de perspectives, impla- cables de ligne droite, qui ne sentent plus le monde de Balzac, qui font penser à quelque Babylone améri- caine de l'avenir ( 2 ) »

La complainte, devenue rengaine, sur le Paris qui

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Fargue, Léautaud, Breton et les autres, les écrivains dont je traite sont d'une sorte particulière : leurs vies et leurs œuvres sont si étroitement associées aux rues, aux façades, aux mœurs, aux itinéraires parisiens qu'on dirait que la Ville elle-même les a pris pour porte- parole. Ce sont des Parisiens profonds, des enracinés de la capitale, des promeneurs professionnels.

J'ai mis mes pas dans les leurs. On voudra bien ne pas prendre le petit ouvrage que

voici comme relevant de la critique, de l'histoire, ou d'une quelconque science littéraires. Il s'est écrit en marchant. C'est un récit de voyage, une suite de promenades, sans autre logique que l'agréable abandon qui est, après tout, la loi du genre. Sans doute les écrits des prédécesseurs ont-ils guidé mes errances. A moins que ce ne soit le contraire, que je me sois promené dans les livres, que j'aie lu dans le paysage.

Ce genre de vagabondage serait impossible si Paris n'était pas resté, depuis un siècle et même bien davantage, fondamentalement, obstinément, miracu- leusement semblable à lui-même. Le décor charmant des souvenirs d'enfance de Paul Léautaud est toujours debout. Comme le sont les demeures des frères Goncourt, le faubourg Saint-Martin de Fargue, les Passages surréalistes, le café Certâ d'Aragon, et ainsi de suite.

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