Traduire Le Bilinguisme Beckett

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  • 8/17/2019 Traduire Le Bilinguisme Beckett

    1/14

    CHIARA MONTINI, université paris S

    Traduire

    le

    bilinguisme

    l'exemple de Beckett

    lie

    assumai

    an

    expression

    af profundiiy.

    «In

    that

    connexions

    lie

    said

    «l

    recall

    one

    superb

    pun

    tinyway:

    "

    ...

    qui vive la

    pietà quand'è

    ben inoria..."»

    She

    said

    nolliing.

    «ls il noi

    a

    gréai phrase ?» lie guslieri.

    She said notliing.

    «Now»

    lie said

    like afool

  • 8/17/2019 Traduire Le Bilinguisme Beckett

    2/14

    REFLEXIONS CRITIQUES

    traduction?

    C'est justement à

    cette question que je

    voudrais

    répondre

    ici

    tout

    en

    esquissant

    des propositions de

    traduction

    de

    l'tuvre

    bilingue.

    Benjamin écrit

    que

    la traduction est la seule raison

    plausible

    de

    répéter

    plusieurs fois

    la

    même chose 3 . Beckett,

    dont la

    poétique a parmi

    ses thématiques fondamentales la répétition4 (la

    répétition

    des mots

    par

    l'écriture, la répétition

    des mêmes histoires avec

    des mots

    toujours

    diffé¬

    rents, la répétition maniaque des

    phrases,

    des situations,

    les petites diffé¬

    rences contenues

    dans ces

    répétitions, etc.),

    retrouve

    dans

    la réécriture

    une

    façon

    de

    dire,

    et

    de

    répéter «presque

    la

    même

    chose»

    '

    .

    Le

    résultat

    est une «écriture

    de

    la variation»,

    résultat

    atteint aussi grâce

    à

    la réé¬

    criture

    de

    toute l'uvre.

    Ainsi,

    par la réécriture. celle qui a

    été souvent

    définie

    comme «auto-traduction», Beckett

    enrichit

    son

    texte, tout en

    le

    modifiant graduellement,

    et manifeste

    son intention

    de

    répéter tout en

    confirmant

    l'impossibilité

    de répéter

    exactement

    la même chose.

    L'importance

    de la répétition de

    même que

    sa richesse

    ont

    été bien

    illus¬

    trée

    par

    Borges dans «Pierre Ménard. auteur du Quichotte».

    Ici Borges

    montre comment «le

    texte de

    Cervantes et celui

    de

    Ménard sont verba¬

    lement identiques, mais le second est presque

    infiniment

    plus

    riche.» En

    d'autres termes, toute

    circonstance temporelle et

    spatiale, toute

    modifica¬

    tion

    (inévitable)

    du

    contexte

    de récriture contribue aussi à faire évoluer

    le texte, à faire de récriture un phénomène mobile, limité,

    circonscrit

    et

    non pas. comme on

    l'avait

    si longtemps cru. absolu. Scripia manent,

    sans

    doute, mais la

    perpétuité de l'écriture est, elle aussi,

    atteinte par les

    modifications

    dues aux phénomènes

    extérieurs tels

    que le temps,

    l'espace

    ou

    le lecteur

    (et

    sa

    langue).

    La

    poétique

    de la

    répétition,

    dont

    le

    bilinguisme fait

    partie,

    trouve

    sa

    nécessité

    dès lors que Beckett commence à

    écrire en français (' et

    atteint sa maturité

    dans

    la

    trilogie

    romanesque. Ici Beckett montre

    bien

    l'intérêt

    qu'il porte au langage

    et

    au rapport du

    langage

    à la réalité et au

    sujet.

    Cet

    intérêt, il

    le

    manifeste aussi en écrivant dans une

    langue qui

    lui est étrangère pour ensuite revenir à la sienne propre,

    devenue

    comme

    étrangère. Le sujet écrit et parle dans une langue qui «ne lui appartient»

    pas et à

    laquelle

    il

    n'appartient pas, comme

    si

    (et il

    en va bien

    ainsi) il

    ne pouvait exister

    que grâce

    au

    langage sans pour autant se reconnaître

    3. Walter

    Benjamin. «La lâche

    du

    traducteur», in Mythe et

    violente,

    traduit de l'allemand

    et

    préfacé par

    Maurice

    de Gandillac.

    Dossier des

    Lettres Nouvelles. 1937. p.

    261-276.

    4. Voir aussi à

    ce

    sujet le beau livre de

    Connor

    Steven: Samuel Beckett. Différence. Theoiy

    and

    Text.

    19S8.

    5. Umberto Eco utilise

    cette expression dans son

    dernier

    essai

    sur

    la

    traduction qui

    a

    pour

    titre: Dire quasi

    la

    slessa cosa. Bombiani.

    2004.

    6. On pourrait même dire: au moment où il commence

    à

    concevoir

    son

    Áuvre

    en français.

    1 02

    c'est-à-dire à partir de

    Murphy. quand

    pour

    la

    première fois l'auteur fait une subtile référence

    à la

    traduction

    en

    insérant

    à l'intérieur de

    son

    roman un Monsieur Cooper.

    «serviteur

    de deux

    i m'ÉRATlRE maîtres».

    Voir

    à

    ce propos

    Bruno

    Clément. L' sans

    qualités. Rhétorique

    de Samuel

    xc I4i - mars

    :iioci Beckett.

    Paris. Le

    Seuil.

    1994.

    REFLEXIONS CRITIQUES

    traduction?

    C'est justement à

    cette question que je

    voudrais

    répondre

    ici

    tout

    en

    esquissant

    des propositions de

    traduction

    de

    l'tuvre

    bilingue.

    Benjamin écrit

    que

    la traduction est la seule raison

    plausible

    de

    répéter

    plusieurs fois

    la

    même chose 3 . Beckett,

    dont la

    poétique a parmi

    ses thématiques fondamentales la répétition4 (la

    répétition

    des mots

    par

    l'écriture, la répétition

    des mêmes histoires avec

    des mots

    toujours

    diffé¬

    rents, la répétition maniaque des

    phrases,

    des situations,

    les petites diffé¬

    rences contenues

    dans ces

    répétitions, etc.),

    retrouve

    dans

    la réécriture

    une

    façon

    de

    dire,

    et

    de

    répéter «presque

    la

    même

    chose»

    '

    .

    Le

    résultat

    est une «écriture

    de

    la variation»,

    résultat

    atteint aussi grâce

    à

    la réé¬

    criture

    de

    toute l'uvre.

    Ainsi,

    par la réécriture. celle qui a

    été souvent

    définie

    comme «auto-traduction», Beckett

    enrichit

    son

    texte, tout en

    le

    modifiant graduellement,

    et manifeste

    son intention

    de

    répéter tout en

    confirmant

    l'impossibilité

    de répéter

    exactement

    la même chose.

    L'importance

    de la répétition de

    même que

    sa richesse

    ont

    été bien

    illus¬

    trée

    par

    Borges dans «Pierre Ménard. auteur du Quichotte».

    Ici Borges

    montre comment «le

    texte de

    Cervantes et celui

    de

    Ménard sont verba¬

    lement identiques, mais le second est presque

    infiniment

    plus

    riche.» En

    d'autres termes, toute

    circonstance temporelle et

    spatiale, toute

    modifica¬

    tion

    (inévitable)

    du

    contexte

    de récriture contribue aussi à faire évoluer

    le texte, à faire de récriture un phénomène mobile, limité,

    circonscrit

    et

    non pas. comme on

    l'avait

    si longtemps cru. absolu. Scripia manent,

    sans

    doute, mais la

    perpétuité de l'écriture est, elle aussi,

    atteinte par les

    modifications

    dues aux phénomènes

    extérieurs tels

    que le temps,

    l'espace

    ou

    le lecteur

    (et

    sa

    langue).

    La

    poétique

    de la

    répétition,

    dont

    le

    bilinguisme fait

    partie,

    trouve

    sa

    nécessité

    dès lors que Beckett commence à

    écrire en français (' et

    atteint sa maturité

    dans

    la

    trilogie

    romanesque. Ici Beckett montre

    bien

    l'intérêt

    qu'il porte au langage

    et

    au rapport du

    langage

    à la réalité et au

    sujet.

    Cet

    intérêt, il

    le

    manifeste aussi en écrivant dans une

    langue qui

    lui est étrangère pour ensuite revenir à la sienne propre,

    devenue

    comme

    étrangère. Le sujet écrit et parle dans une langue qui «ne lui appartient»

    pas et à

    laquelle

    il

    n'appartient pas, comme

    si

    (et il

    en va bien

    ainsi) il

    ne pouvait exister

    que grâce

    au

    langage sans pour autant se reconnaître

    3. Walter

    Benjamin. «La lâche

    du

    traducteur», in Mythe et

    violente,

    traduit de l'allemand

    et

    préfacé par

    Maurice

    de Gandillac.

    Dossier des

    Lettres Nouvelles. 1937. p.

    261-276.

    4. Voir aussi à

    ce

    sujet le beau livre de

    Connor

    Steven: Samuel Beckett. Différence. Theoiy

    and

    Text.

    19S8.

    5. Umberto Eco utilise

    cette expression dans son

    dernier

    essai

    sur

    la

    traduction qui

    a

    pour

    titre: Dire quasi

    la

    slessa cosa. Bombiani.

    2004.

    6. On pourrait même dire: au moment où il commence

    à

    concevoir

    son

    Áuvre

    en français.

    1 02

    c'est-à-dire à partir de

    Murphy. quand

    pour

    la

    première fois l'auteur fait une subtile référence

    à la

    traduction

    en

    insérant

    à l'intérieur de

    son

    roman un Monsieur Cooper.

    «serviteur

    de deux

    i m'ÉRATlRE maîtres».

    Voir

    à

    ce propos

    Bruno

    Clément. L' sans

    qualités. Rhétorique

    de Samuel

    xc I4i - mars

    :iioci Beckett.

    Paris. Le

    Seuil.

    1994.

  • 8/17/2019 Traduire Le Bilinguisme Beckett

    3/14

    TRADUIRE LE BILINGUISME:

    L'EXEMPLE

    DE

    BECKETT

    dans les

    mots qui le disent.

    La dichotomie langage/réalité,

    qui entraîne

    celle,

    bien plus

    complexe,

    du

    langage/sujet,

    prend

    force

    dans

    le

    bilin¬

    guisme.

    Dans

    la

    trilogie le

    bilinguisme a pour tâche

    de

    reproduire en

    deux

    langues

    ce

    même

    sujet, montrant

    qu'il

    se trahit et

    qu'il

    est

    en

    même

    temps

    trahi

    par le

    langage,

    d'abord, et ensuite par les différentes

    langues.

    Cette

    trahison a

    lieu

    malgré le

    souci

    du narrateur de

    vérité et de

    «respect»

    du

    texte.

    D'ailleurs.

    Sam

    n'avait-il pas

    voulu

    faire

    la même

    chose quand il

    avait essayé

    de

    répéter

    l'histoire de

    Watt comme

    il

    la lui

    avait

    racontée ' ?

    Ce

    court

    rappel

    de

    ee

    qui

    est

    à

    la

    base

    du

    bilinguisme

    de

    Beckett

    me permet

    ainsi

    de formuler un

    postulat indispensable

    à

    mon

    essai, à

    savoir: l'uvre bilingue

    est un tout unique et

    elle

    est

    par

    conséquent tra-

    duisible, car toute

    uvre doit

    apodictiquement «permettre

    une traduction

    et

    conformément au signifié

    de cette forme, l'exiger»

    Z

    Ainsi,

    on trouve une

    réponse

    à

    notre

    première question: non

    seu¬

    lement on peut traduire

    l'uvre

    bilingue de

    Beckett.

    mais sa traduction

    est

    une

    exigence. Reste à

    voir comment

    la traduire.

    Pour

    répondre à cette

    deuxième

    question, j'ai

    essayé d'analyser

    certaines

    traductions en italien

    des

    uvres

    de

    Beckett

    en

    m'inspirant

    de

    l'ouvrage

    de

    Berman.

    Pour

    une

    critique des traductions,

    John

    Donne.

    L'analyse

    de la

    situation

    des traductions italiennes de

    l'uvre

    de

    Beckett

    jusqu'à

    1996, m'a d'abord permis de constater

    qu'elles

    ont été

    un empêchement à l'accomplissement de la «translation

    littéraire»'

    de

    l'uvre, et

    par conséquent à

    sa

    diffusion. Je

    me

    réfère ici aux

    textes

    romanesques que j'ai pu

    étudier de près et dont

    de nouvelles traductions

    ont récemment

    vu

    le

    jour,

    et notamment à Murphy. Watt.

    Mercier et

    Camier]0

    .

    Molloy, Malone

    meurt

    et

    L'Innommable.

    Les

    premières

    traduc¬

    tions

    allaient en titubant: elles étaient souvent littérales ou

    bien beau-

    7.

    Beckett

    décide

    de réécrire

    Watt

    plus de vingt ans

    après

    sa rédaction à cause, sans doute, des

    difficultés formelles

    du

    texte, mais aussi en

    conséquence du

    fait que le roman est l'aveu d'une

    rupture

    avec

    la

    langue

    anglaise

    et

    qu'il avait été conçu comme un

    point

    de non retour

    et

    no¬

    tamment comme la prémisse de

    l'Auvre

    bilingue.

    Dans

    l'uvre

    dc Beckett Watt représente un

    texte

    à

    dépasser, le dernier roman écrit d'abord en anglais, la prémisse au bilinguisme comme

    alternative et

    complément

    de

    la variation du même

    thème

    qui caractérise la poétique de

    Bec¬

    kett.

    Un point de non

    retour

    donc,

    un

    livre qui. par son bilinguisme

    latent

    tics gallicismes, les

    mots étranges, les jeux

    de miroir

    entre les deux personnages, etc.). n'avait peut-être pas été

    conçu

    pour

    être

    réécrit

    tout

    en

    préconisant

    l'uvre

    bilingue

    qui commence

    véritablement

    dans

    la

    langue étrangère.

    S.

    Benjamin.

    Walter.

    «La tâche du traducteur»,

    op. cil.

    D'après Benjamin une signification

    donnée,

    propre aux originaux, se manifeste

    dans

    leur iraduisibilité.

    9.

    A

    ce propos

    Berman

    parle

    d' «.étayuge de

    la

    traduction»

    qui

    «comprend tous les paratexles

    qui viennent la soutenir: introduction, préface, postface,

    notes,

    glossaires, etc.

    La

    traduction

    ne

    peut pas être

    "nue"

    sous

    peine

    de

    ne

    pas accomplir la translation lilléraire» (p. 6$). C'est

    peut-être à

    cause de la «translation

    manquée»

    que même de nos jours

    l'éditeur

    de

    Beckett

    re-

    0

    chigne

    à publier les

    nouvelles

    traductions de même que les ouvrages critiques le concernant. J 03

    10. Une nouvelle traduction

    de Mercier

    et Camier

    efl

    censée êlre prête à sortir, mais encore

    une

    fois

    l'éditeur retarde

    la publication.

    On parlera plus loin

    dc Mercier ei Camier et

    .Mercier

    t

    |-nTp.-vruRE

    antl Camier qui se distinguent des autres romans pour plusieurs

    raisons.

    n"

    mi

    - maks :ooi'

    TRADUIRE LE BILINGUISME:

    L'EXEMPLE

    DE

    BECKETT

    dans les

    mots qui le disent.

    La dichotomie langage/réalité,

    qui entraîne

    celle,

    bien plus

    complexe,

    du

    langage/sujet,

    prend

    force

    dans

    le

    bilin¬

    guisme.

    Dans

    la

    trilogie le

    bilinguisme a pour tâche

    de

    reproduire en

    deux

    langues

    ce

    même

    sujet, montrant

    qu'il

    se trahit et

    qu'il

    est

    en

    même

    temps

    trahi

    par le

    langage,

    d'abord, et ensuite par les différentes

    langues.

    Cette

    trahison a

    lieu

    malgré le

    souci

    du narrateur de

    vérité et de

    «respect»

    du

    texte.

    D'ailleurs.

    Sam

    n'avait-il pas

    voulu

    faire

    la même

    chose quand il

    avait essayé

    de

    répéter

    l'histoire de

    Watt comme

    il

    la lui

    avait

    racontée ' ?

    Ce

    court

    rappel

    de

    ee

    qui

    est

    à

    la

    base

    du

    bilinguisme

    de

    Beckett

    me permet

    ainsi

    de formuler un

    postulat indispensable

    à

    mon

    essai, à

    savoir: l'uvre bilingue

    est un tout unique et

    elle

    est

    par

    conséquent tra-

    duisible, car toute

    uvre doit

    apodictiquement «permettre

    une traduction

    et

    conformément au signifié

    de cette forme, l'exiger»

    Z

    Ainsi,

    on trouve une

    réponse

    à

    notre

    première question: non

    seu¬

    lement on peut traduire

    l'uvre

    bilingue de

    Beckett.

    mais sa traduction

    est

    une

    exigence. Reste à

    voir comment

    la traduire.

    Pour

    répondre à cette

    deuxième

    question, j'ai

    essayé d'analyser

    certaines

    traductions en italien

    des

    uvres

    de

    Beckett

    en

    m'inspirant

    de

    l'ouvrage

    de

    Berman.

    Pour

    une

    critique des traductions,

    John

    Donne.

    L'analyse

    de la

    situation

    des traductions italiennes de

    l'uvre

    de

    Beckett

    jusqu'à

    1996, m'a d'abord permis de constater

    qu'elles

    ont été

    un empêchement à l'accomplissement de la «translation

    littéraire»'

    de

    l'uvre, et

    par conséquent à

    sa

    diffusion. Je

    me

    réfère ici aux

    textes

    romanesques que j'ai pu

    étudier de près et dont

    de nouvelles traductions

    ont récemment

    vu

    le

    jour,

    et notamment à Murphy. Watt.

    Mercier et

    Camier]0

    .

    Molloy, Malone

    meurt

    et

    L'Innommable.

    Les

    premières

    traduc¬

    tions

    allaient en titubant: elles étaient souvent littérales ou

    bien beau-

    7.

    Beckett

    décide

    de réécrire

    Watt

    plus de vingt ans

    après

    sa rédaction à cause, sans doute, des

    difficultés formelles

    du

    texte, mais aussi en

    conséquence du

    fait que le roman est l'aveu d'une

    rupture

    avec

    la

    langue

    anglaise

    et

    qu'il avait été conçu comme un

    point

    de non retour

    et

    no¬

    tamment comme la prémisse de

    l'Auvre

    bilingue.

    Dans

    l'uvre

    dc Beckett Watt représente un

    texte

    à

    dépasser, le dernier roman écrit d'abord en anglais, la prémisse au bilinguisme comme

    alternative et

    complément

    de

    la variation du même

    thème

    qui caractérise la poétique de

    Bec¬

    kett.

    Un point de non

    retour

    donc,

    un

    livre qui. par son bilinguisme

    latent

    tics gallicismes, les

    mots étranges, les jeux

    de miroir

    entre les deux personnages, etc.). n'avait peut-être pas été

    conçu

    pour

    être

    réécrit

    tout

    en

    préconisant

    l'uvre

    bilingue

    qui commence

    véritablement

    dans

    la

    langue étrangère.

    S.

    Benjamin.

    Walter.

    «La tâche du traducteur»,

    op. cil.

    D'après Benjamin une signification

    donnée,

    propre aux originaux, se manifeste

    dans

    leur iraduisibilité.

    9.

    A

    ce propos

    Berman

    parle

    d' «.étayuge de

    la

    traduction»

    qui

    «comprend tous les paratexles

    qui viennent la soutenir: introduction, préface, postface,

    notes,

    glossaires, etc.

    La

    traduction

    ne

    peut pas être

    "nue"

    sous

    peine

    de

    ne

    pas accomplir la translation lilléraire» (p. 6$). C'est

    peut-être à

    cause de la «translation

    manquée»

    que même de nos jours

    l'éditeur

    de

    Beckett

    re-

    0

    chigne

    à publier les

    nouvelles

    traductions de même que les ouvrages critiques le concernant. J 03

    10. Une nouvelle traduction

    de Mercier

    et Camier

    efl

    censée êlre prête à sortir, mais encore

    une

    fois

    l'éditeur retarde

    la publication.

    On parlera plus loin

    dc Mercier ei Camier et

    .Mercier

    t

    |-nTp.-vruRE

    antl Camier qui se distinguent des autres romans pour plusieurs

    raisons.

    n"

    mi

    - maks :ooi'

  • 8/17/2019 Traduire Le Bilinguisme Beckett

    4/14

    REFLEXIONS CRITIQUES

    coup trop explicites par rapport aux originaux " . Parfois

    elles

    semblaient

    vouloir

    restituer

    au

    texte

    son

    côté

    «absurde»

    même quand

    il

    ne

    s'agis¬

    sait que d'un passage volontairement ambigu. C'était en quelque sorte se

    conformer

    à

    la catégorisation où Beckett avait été enfermé, «écrivain de

    l'absurde», et c'était aussi

    une

    façon de contourner

    l'ambiguïté,

    la

    dupli¬

    cité

    dont l' fait

    preuve et qui, à l'évidence, n'avait pas été

    saisie

    comme un des traits fondamentaux de la

    poétique

    de Beckett.

    Je

    pense,

    par exemple,

    à

    un échange entre

    Mercier et

    Camier qui montre comment

    Fauteur

    n'a pas

    laissé

    échapper

    un

    jeu sur les assonances:

    «A quoi

    acquiesces-tu?

    dit Camier

    À

    quoi à qui est-ce

    tu?

    Mais tu perds le nord, Camier.

    dit Mercier»12

    Ce passage,

    traduit

    à la lettre

    (distraitement?)

    dans la seule traduc¬

    tion italienne du roman

    13

    ,

    non seulement perd le

    jeu

    d'assonances qui

    semble

    avoir amusé Beckett. mais

    donne

    comme résultat un échange

    effectivement

    «absurde».

    Deuxième

    constatation: les

    traductions italiennes

    n'ont

    pris en

    compte

    qu'une

    seule des deux versions et pas nécessairement la

    pre¬

    mière

    l4

    .

    De

    plus,

    elles

    ont

    été

    rédigées

    à

    une

    époque

    (entre

    1

    957

    et

    1971) où, surtout

    au début,

    l'

    de

    Beckett

    était

    peu

    connue en Italie

    et, de

    par

    son caractère fort novateur, peu comprise.

    À

    l'époque,

    les

    traducteurs italiens

    ont dû

    travailler

    comme

    à

    tâtons, dans un

    espace

    flou

    et

    indéfini.

    Le

    fait qu'aucune

    des

    premières traductions

    ne

    soit pourvue

    d'introduction ni de note du traducteur qui aurait pu mieux illustrer son

    approche de

    l'uvre et

    de

    la

    traduction en

    est la confirmation.

    À

    partir de

    1996

    de nouvelles traductions en italien des

    romans

    cités b

    ont

    heureusement vu le jour. Des critiques bien

    connus

    dans

    le

    milieu

    beckettien

    en sont les

    auteurs.

    Aldo

    Tagliaferri,

    qui

    a

    écrit,

    entre

    autre,

    Samuel

    Beckett el

    la

    surdétermination

    littéraire,

    traduit la trilogie

    (publiée en

    1996).

    tandis que

    Gabriele Frasca,

    auteur de Cascando.

    Tre

    snidi

    su

    Beckett, traduit Watt (publié

    en

    1998) et Murphy (2003).

    Ces

    nouvelles traductions sont accompagnées de longues introductions. De

    plus, elles

    ont toutes

    une «Nota

    del

    traduttore». Ici les traducteurs ex¬

    pliquent

    qu'ils

    ont traduit conformément à la

    première

    édition

    publiée,

    mais

    qu'ils

    ont

    aussi

    eu recours

    aux deux textes écrits

    par

    Beckett de

    même

    que,

    dans le

    cas

    de

    la

    trilogie,

    à

    la

    traduction

    allemande

    de

    Elmar

    Tophoven en collaboration avec Beckett :

    1 1

    . An

    cours

    d'une

    conversation

    avec

    Ludovic

    Janvier, j'ai pu

    apprendre que

    Beckett

    avait

    renoncé

    à

    lire ses traductions cn

    italien car

    il

    les trouvait

    «mauvaises».

    1

    2.

    Traduction

    italienne:

    «A chi aceonsenli. Mercier'.' disse

    Camier.

    A chi che

    eosa

    ? disse

    . _ A

    Mercier...»,

    trad. de

    Luigi

    Buffarini.

    Ce

    passage

    a été supprimé dans

    la

    version

    anglaise.

    1 .

    U~t

    13. La traduction, de Luigi

    Buffarini.

    fut publié par Sugaco en

    1971.

    avant donc la

    parution

      du texte

    anglais.

    i ittératire '^- La traduction de

    Murphy,

    par exemple était

    faite

    à

    partir

    du texte français.

    n= i4i - maks :ooi. 15. A l'exception de Mercier

    el

    Camier.

    REFLEXIONS CRITIQUES

    coup trop explicites par rapport aux originaux " . Parfois

    elles

    semblaient

    vouloir

    restituer

    au

    texte

    son

    côté

    «absurde»

    même quand

    il

    ne

    s'agis¬

    sait que d'un passage volontairement ambigu. C'était en quelque sorte se

    conformer

    à

    la catégorisation où Beckett avait été enfermé, «écrivain de

    l'absurde», et c'était aussi

    une

    façon de contourner

    l'ambiguïté,

    la

    dupli¬

    cité

    dont l' fait

    preuve et qui, à l'évidence, n'avait pas été

    saisie

    comme un des traits fondamentaux de la

    poétique

    de Beckett.

    Je

    pense,

    par exemple,

    à

    un échange entre

    Mercier et

    Camier qui montre comment

    Fauteur

    n'a pas

    laissé

    échapper

    un

    jeu sur les assonances:

    «A quoi

    acquiesces-tu?

    dit Camier

    À

    quoi à qui est-ce

    tu?

    Mais tu perds le nord, Camier.

    dit Mercier»12

    Ce passage,

    traduit

    à la lettre

    (distraitement?)

    dans la seule traduc¬

    tion italienne du roman

    13

    ,

    non seulement perd le

    jeu

    d'assonances qui

    semble

    avoir amusé Beckett. mais

    donne

    comme résultat un échange

    effectivement

    «absurde».

    Deuxième

    constatation: les

    traductions italiennes

    n'ont

    pris en

    compte

    qu'une

    seule des deux versions et pas nécessairement la

    pre¬

    mière

    l4

    .

    De

    plus,

    elles

    ont

    été

    rédigées

    à

    une

    époque

    (entre

    1

    957

    et

    1971) où, surtout

    au début,

    l'

    de

    Beckett

    était

    peu

    connue en Italie

    et, de

    par

    son caractère fort novateur, peu comprise.

    À

    l'époque,

    les

    traducteurs italiens

    ont dû

    travailler

    comme

    à

    tâtons, dans un

    espace

    flou

    et

    indéfini.

    Le

    fait qu'aucune

    des

    premières traductions

    ne

    soit pourvue

    d'introduction ni de note du traducteur qui aurait pu mieux illustrer son

    approche de

    l'uvre et

    de

    la

    traduction en

    est la confirmation.

    À

    partir de

    1996

    de nouvelles traductions en italien des

    romans

    cités b

    ont

    heureusement vu le jour. Des critiques bien

    connus

    dans

    le

    milieu

    beckettien

    en sont les

    auteurs.

    Aldo

    Tagliaferri,

    qui

    a

    écrit,

    entre

    autre,

    Samuel

    Beckett el

    la

    surdétermination

    littéraire,

    traduit la trilogie

    (publiée en

    1996).

    tandis que

    Gabriele Frasca,

    auteur de Cascando.

    Tre

    snidi

    su

    Beckett, traduit Watt (publié

    en

    1998) et Murphy (2003).

    Ces

    nouvelles traductions sont accompagnées de longues introductions. De

    plus, elles

    ont toutes

    une «Nota

    del

    traduttore». Ici les traducteurs ex¬

    pliquent

    qu'ils

    ont traduit conformément à la

    première

    édition

    publiée,

    mais

    qu'ils

    ont

    aussi

    eu recours

    aux deux textes écrits

    par

    Beckett de

    même

    que,

    dans le

    cas

    de

    la

    trilogie,

    à

    la

    traduction

    allemande

    de

    Elmar

    Tophoven en collaboration avec Beckett :

    1 1

    . An

    cours

    d'une

    conversation

    avec

    Ludovic

    Janvier, j'ai pu

    apprendre que

    Beckett

    avait

    renoncé

    à

    lire ses traductions cn

    italien car

    il

    les trouvait

    «mauvaises».

    1

    2.

    Traduction

    italienne:

    «A chi aceonsenli. Mercier'.' disse

    Camier.

    A chi che

    eosa

    ? disse

    . _ A

    Mercier...»,

    trad. de

    Luigi

    Buffarini.

    Ce

    passage

    a été supprimé dans

    la

    version

    anglaise.

    1 .

    U~t

    13. La traduction, de Luigi

    Buffarini.

    fut publié par Sugaco en

    1971.

    avant donc la

    parution

      du texte

    anglais.

    i ittératire '^- La traduction de

    Murphy,

    par exemple était

    faite

    à

    partir

    du texte français.

    n= i4i - maks :ooi. 15. A l'exception de Mercier

    el

    Camier.

  • 8/17/2019 Traduire Le Bilinguisme Beckett

    5/14

    TRADUIRE LE

    BILINGUISME: L'EXEMPLE

    DE BECKETT

    Per qitanio aliiene

    ai

    problemi

    rii

    iradiizione, la

    cui

    solitzione

    rende i tesli

    qui

    ptthblicaii

    ancora

    più distanti

    da

    quiili

    finora

    posti

    in coimnercio

    in

    lingua

    haliana, ci

    si

    è anche avvalsi rii un confronte) crilico

    con

    la traditziane che

    Beckett stesso effettuù per

    queste

    opère nclla

    lingua

    inglese. e

    con

    quella di

    Elmar Tophovcn. che Beckett

    verifïcà

    mila

    lingua

    tedesca. '"

    La connaissance approfondie de l'°uvre, et

    notamment de

    l'uvre

    bilingue,

    de même que l'emploi de deux textes

    «originaux»

    ont ainsi

    permis d'obtenir des traductions qui sont, à mon avis, convaincantes

    en

    ee

    qu'elles

    sont «respectueuses» de

    l'original.

    Cela signifie, d'après

    Berman,

    qu'elles

    répondent

    aux

    deux

    critères

    sur lesquels

    on

    doit fonder

    l'évaluation

    de

    la

    traduction, à savoir, la

    poéiiché

    et Yétlriciié ''

    de

    l'tuvre.

    En

    choisissant

    de

    traduite un

    texte

    sans pour autant

    négliger

    l'autre

    version. Tagliaferri

    et

    Frasca

    adoptent

    une solution de compromis

    (mais

    quelle

    traduction

    n'est pas un compromis?)

    par

    rapport

    à l'uvre

    bilin¬

    gue, solution

    que

    seules leurs oreilles

    habituées

    au «beckettien»

    lb

    et

    leur

    connaissance approfondie

    de

    l' uvre

    bilingue

    et de l"«étayage traduc¬

    tif».

    ont

    pu rendre efficace. Les deux traducteurs reproduisent le rythme

    serré

    des

    originaux,

    et

    «parviennent

    à

    conserver

    et

    à

    restituer

    la

    plupart

    des «signifiants»

    fondamentaux de l'original» ' . voire du double de

    l'original.

    Mais la

    question

    «comment traduire le bilinguisme?» reste

    ouverte.

    Frasca et

    Tagliaferri

    semblent avoir

    réussi à

    respecter

    le caractère double

    du

    texte du fait

    même

    qu'ils n'ont aucunement

    négligé

    le bilinguisme de

    l'auteur.

    Cependant, de

    leur

    propre

    aveu, ils

    se conforment à la

    première

    version écrite par l'auteur, effectuant ainsi un choix. Choix qui n'est pas

    «exclusif»,

    au

    contraire:

    je

    crois

    qu'on

    pourrait

    se

    conformer

    à

    la

    deuxième

    rédaction

    tout

    en se

    référant à

    la première

    et

    obtenir

    le

    même

    résultat en termes de respect de l' Mais on pourrait,

    aussi,

    comme

    le

    fait

    Beckett en se réécrivant, essayer

    d'adapter

    les différents choix

    16.

    Aldo

    Tagliaferri.

    «Nota del

    traduttore». in

    Molloy. Malone

    miiore.

    Linnominabile.

    Finaudi. 1996. p. LXV.

    «Pour

    ce

    qui

    est des problèmes

    de traduction,

    dont

    la solution rend

    les

    lexies ici

    publiés encore plus

    éloignée de

    ceux qui

    sont disponibles en langue

    italienne,

    nous

    nous

    sommes appuyés

    sur

    une confrontation critique

    avec

    la

    traduction

    en

    anglais

    que Beckett

    fit

    de ees

    ouvrages, ainsi que

    celle d'IEImar

    Toplioven. en

    allemand, que Beckett révisa.» Je

    traduis.

    17.

    «

    La

    poétieiié

    d'une

    traduction

    réside

    en

    ce

    que

    le

    traducteur

    a

    réalisé

    un

    véritable

    travail

    textuel, a

    fait

    texte, en correspondance

    plus

    ou moins étroite avec la textualité

    de l'original.

    L.-] L'élhicité. elle,

    réside

    dans le respect, ou plutôt, dans un certain respect

    de

    l'original».

    A ce

    sujet

    Berman

    cite

    Jean-

    Yves

    Masson:

    «Les concepts

    issus

    de la réflexion

    éthique

    peu¬

    vent

    s'appliquer à la

    traduction

    précisément

    grâce

    à

    une

    méditation sur la

    notion

    de respect.

    Si la

    traduction respecte l'original,

    elle

    peut

    et doit

    même

    dialoguer avec

    lui.

    lui

    faire face,

    et

    lui

    tenir télé». Berman. op. cit..

    p.

    92.

    1

    S.

    Néologisme

    que j'emprunte

    à

    Ludovic Janvier

    pour

    définir le langage

    hybride

    de

    Beckett. inc

    19. Berman. dans Pour

    une critique des traductions.

    John Donne.

    Par

    exemple, dans la tra- ] 03

    duetion

    de la poésie «A Nelly» dans \l'

  • 8/17/2019 Traduire Le Bilinguisme Beckett

    6/14

    REFLEXIONS CRITIQUES

    dans les différents

    textes

    originaux, à la culture du pays récepteur de la

    nouvelle

    traduction.

    Je

    veux

    dire

    par

    que

    si,

    comme

    c'est

    souvent

    le

    cas

    dans les

    romans

    de Beckett

    cités,

    les modifications

    aux

    textes

    dans

    l'autre langue, sont dues

    aussi à

    une

    sorte

    de

    souci

    d'adaptation

    non

    seulement à la langue, mais aussi à la culture

    du pays

    (adaptation qui

    peut se faire tantôt par

    contraste

    tantôt par

    analogie

    avec cette langue

    et

    cette culture), le traducteur

    pourrait essayer de faire son choix entre

    les

    deux

    textes

    se référant à

    ses

    propres

    langue et

    culture.

    On peut

    remar¬

    quer, par

    exemple, que dans les textes allemands d'Elmar

    Tophoven.

    révisée par

    Beckett.

    les

    noms

    de

    lieux

    sont

    adaptés

    au

    pays

    récepteur

    de

    même qu'ils

    avaient été adaptés

    dans

    la deuxième

    version.

    Ainsi

    «Berne

    en Bresse» devient en anglais «Essy in Possy»20 et

    en

    allemand «Burg

    am Berg» 2'

    .

    ou encore «Seine

    Seine-et-Oise

    Seine-et-Marne Marne-et-

    Oise»

    devient

    en

    anglais «Feckham Peckham

    Fulham

    Clapham»22

    et en

    allemand «Rhein

    Rhein und Ruhr Rhein und

    Main Main

    und

    Ruhr»2'

    .

    Dans

    Murphy les

    adaptations

    à la culture

    du

    pays

    récepteur

    sont

    parfois

    importantes.

    L'incipit, par exemple, en est une

    démonstration.

    Ici

    Beckett

    fait une

    référence explicite

    à l'Ecclésiaste, référence qui est sans

    doute

    moins

    explicite

    aux

    oreilles

    du

    français

    moyen.

    Cel

    écart

    entre

    la

    culture

    anglosaxonne

    qui

    jouit d'une très

    forte tradition biblique et la

    culture

    francophone

    moins

    adonnée aux lectures bibliques est compensée

    par l'ajout

    de «l'Impasse de l'Enfant Jésus»

    dans

    le texte

    français.

    Cet

    ajout souligne le

    déterminisme

    de la

    situation de Murphy

    (qui

    esl dans

    une impasse)

    rejoignant ainsi le

    sens

    de

    l'allusion

    à l'Ecclésiaste24

    . De

    même,

    le narrateur

    joue

    ensuite en

    alternant des

    spécifications

    plus

    détaillées

    tantôt en anglais tantôt en

    français,

    obtenant une sorte

    de

    chqur

    à

    deux

    voix,

    une

    variation

    sur

    le

    même

    thème2''

    .

    20. Waiiing for

    Codât. Faber and Faber. 19S6. p. 43.

    21.

    Dranialische Diehiungen

    in

    ilrci

    Spraclien

    Suhrkamp.

    p. 91-92.

    22. Waiiing for Godol.

    p.

    44.

    23.

    Dranialische Dichlungcn

    in

    dici Spraclien Suhrkamp. p.

    92-93.

    24. Beckett nomme et transforme la

    ruelle

    à West Brompton («n

    mew in

    West Brompion») où

    Murphy était

    prisonnier, aspirant à la

    liberté, en

    l'«Impasse

    de

    l'Enl'ani

    Jésus. West Bromton.

    Londres».

    25. Pour

    le

    lecteur

    curieux,

    je

    reporte ici les

    deux incipit du texte

    dans les

    deux langues:

    The sun

    shone.

    having

    no alternative, on

    lhe

    notliing

    new. Murphy sui mu

    of

    it. as

    though

    he

    were

    free.

    in

    a

    mew in

    Wesi

    Brompion.

    Hère

    for

    what

    mighi

    have

    been

    six inonilis

    lu- hiul

    eaten.

    tlrunk.

    .v/e/j/. and

    pui

    lus eloihes on antl off.

    in

    a

    mctiinm-

    sizett

    cage

    of

    south-easiern

    aspect.

    Soon

    he

    would have lo

    huekle

    lo

    and

    srari

    eating.

    tlriiiking.

    slce/fing. tintt putling his

    clothcs

    on and off. in quiie

    alien

    sur-

    nmndings.

    iMurpliy.

    Grove Press, p.

    I

    )

    Le

    soleil

    brillail. if

    ayant

    pas

    d'alternative,

    sur

    le

    rien

    de

    neuf. Murphy. comme s'il

    élail l ibre, s'en tenait à l'écart, assis, dans

    l'impasse de

    ITîiifant-Jésiis. West

    Brompton. Londres. Là.

    depuis

    des mois, peul-être des années, il

    mangeait,

    buvait,

    donnait,

    s'habillait et

    se

    déshabillait,

    dans une cage

    de

    dimensions moyennes.

    j 0(\ exposée

    au

    nord-ouest,

    ayant sur

    d'autres

    cages

    de dimensions moyennes exposées

    au

    sud-est

    une vue

    ininterrompue.

    Bientôt il lui

    faudrait s'arranger

    autrement,

    car

      l'impasse

    de ITînfant-Jésus venait d'être

    condamnée.

    Bientôt

    il lui faudrait rap-

    UlTÉRATURE

    prendre, dans un

    cadre lotit

    à

    fait

    étranger, à manger, à

    boire,

    à

    dormir,

    à

    s'habiller

    N-- 141

    -maks:oo(>

    et

    à se déshabiller. (Murphy. Paris.

    Les

    Editions

    de Minuit, p.

    7)

    REFLEXIONS CRITIQUES

    dans les différents

    textes

    originaux, à la culture du pays récepteur de la

    nouvelle

    traduction.

    Je

    veux

    dire

    par

    que

    si,

    comme

    c'est

    souvent

    le

    cas

    dans les

    romans

    de Beckett

    cités,

    les modifications

    aux

    textes

    dans

    l'autre langue, sont dues

    aussi à

    une

    sorte

    de

    souci

    d'adaptation

    non

    seulement à la langue, mais aussi à la culture

    du pays

    (adaptation qui

    peut se faire tantôt par

    contraste

    tantôt par

    analogie

    avec cette langue

    et

    cette culture), le traducteur

    pourrait essayer de faire son choix entre

    les

    deux

    textes

    se référant à

    ses

    propres

    langue et

    culture.

    On peut

    remar¬

    quer, par

    exemple, que dans les textes allemands d'Elmar

    Tophoven.

    révisée par

    Beckett.

    les

    noms

    de

    lieux

    sont

    adaptés

    au

    pays

    récepteur

    de

    même qu'ils

    avaient été adaptés

    dans

    la deuxième

    version.

    Ainsi

    «Berne

    en Bresse» devient en anglais «Essy in Possy»20 et

    en

    allemand «Burg

    am Berg» 2'

    .

    ou encore «Seine

    Seine-et-Oise

    Seine-et-Marne Marne-et-

    Oise»

    devient

    en

    anglais «Feckham Peckham

    Fulham

    Clapham»22

    et en

    allemand «Rhein

    Rhein und Ruhr Rhein und

    Main Main

    und

    Ruhr»2'

    .

    Dans

    Murphy les

    adaptations

    à la culture

    du

    pays

    récepteur

    sont

    parfois

    importantes.

    L'incipit, par exemple, en est une

    démonstration.

    Ici

    Beckett

    fait une

    référence explicite

    à l'Ecclésiaste, référence qui est sans

    doute

    moins

    explicite

    aux

    oreilles

    du

    français

    moyen.

    Cel

    écart

    entre

    la

    culture

    anglosaxonne

    qui

    jouit d'une très

    forte tradition biblique et la

    culture

    francophone

    moins

    adonnée aux lectures bibliques est compensée

    par l'ajout

    de «l'Impasse de l'Enfant Jésus»

    dans

    le texte

    français.

    Cet

    ajout souligne le

    déterminisme

    de la

    situation de Murphy

    (qui

    esl dans

    une impasse)

    rejoignant ainsi le

    sens

    de

    l'allusion

    à l'Ecclésiaste24

    . De

    même,

    le narrateur

    joue

    ensuite en

    alternant des

    spécifications

    plus

    détaillées

    tantôt en anglais tantôt en

    français,

    obtenant une sorte

    de

    chqur

    à

    deux

    voix,

    une

    variation

    sur

    le

    même

    thème2''

    .

    20. Waiiing for

    Codât. Faber and Faber. 19S6. p. 43.

    21.

    Dranialische Diehiungen

    in

    ilrci

    Spraclien

    Suhrkamp.

    p. 91-92.

    22. Waiiing for Godol.

    p.

    44.

    23.

    Dranialische Dichlungcn

    in

    dici Spraclien Suhrkamp. p.

    92-93.

    24. Beckett nomme et transforme la

    ruelle

    à West Brompton («n

    mew in

    West Brompion») où

    Murphy était

    prisonnier, aspirant à la

    liberté, en

    l'«Impasse

    de

    l'Enl'ani

    Jésus. West Bromton.

    Londres».

    25. Pour

    le

    lecteur

    curieux,

    je

    reporte ici les

    deux incipit du texte

    dans les

    deux langues:

    The sun

    shone.

    having

    no alternative, on

    lhe

    notliing

    new. Murphy sui mu

    of

    it. as

    though

    he

    were

    free.

    in

    a

    mew in

    Wesi

    Brompion.

    Hère

    for

    what

    mighi

    have

    been

    six inonilis

    lu- hiul

    eaten.

    tlrunk.

    .v/e/j/. and

    pui

    lus eloihes on antl off.

    in

    a

    mctiinm-

    sizett

    cage

    of

    south-easiern

    aspect.

    Soon

    he

    would have lo

    huekle

    lo

    and

    srari

    eating.

    tlriiiking.

    slce/fing. tintt putling his

    clothcs

    on and off. in quiie

    alien

    sur-

    nmndings.

    iMurpliy.

    Grove Press, p.

    I

    )

    Le

    soleil

    brillail. if

    ayant

    pas

    d'alternative,

    sur

    le

    rien

    de

    neuf. Murphy. comme s'il

    élail l ibre, s'en tenait à l'écart, assis, dans

    l'impasse de

    ITîiifant-Jésiis. West

    Brompton. Londres. Là.

    depuis

    des mois, peul-être des années, il

    mangeait,

    buvait,

    donnait,

    s'habillait et

    se

    déshabillait,

    dans une cage

    de

    dimensions moyennes.

    j 0(\ exposée

    au

    nord-ouest,

    ayant sur

    d'autres

    cages

    de dimensions moyennes exposées

    au

    sud-est

    une vue

    ininterrompue.

    Bientôt il lui

    faudrait s'arranger

    autrement,

    car

      l'impasse

    de ITînfant-Jésus venait d'être

    condamnée.

    Bientôt

    il lui faudrait rap-

    UlTÉRATURE

    prendre, dans un

    cadre lotit

    à

    fait

    étranger, à manger, à

    boire,

    à

    dormir,

    à

    s'habiller

    N-- 141

    -maks:oo(>

    et

    à se déshabiller. (Murphy. Paris.

    Les

    Editions

    de Minuit, p.

    7)

  • 8/17/2019 Traduire Le Bilinguisme Beckett

    7/14

    TRADUIRE

    LE BILINGUISME: L'EXEMPLE

    DE

    BECKETT

    Parfois. Beckett profite aussi de la

    langue

    étrangère pour régler ses

    comptes,

    comme

    dans

    cet

    exemple

    il

    critique

    explicitement

    le

    purita¬

    nisme

    «anglo-irlandais» :

    Célia déclara que. s'il

    ne

    trouvait

    pas

    de travail incessamment, elle retourne-

    rail au sien. Murphy savait ce que cela voulait dire. Plus de musique.

    Cette phrase,

    lors de la rédaction

    en anglo-irlandais, fut choisie

    avec

    soin,

    de

    crainte qu'il ne

    manquât

    aux

    censeurs

    l'occasion de pratiquer leur synec-

    doche [sic  ]

    alors

    qu'en

    anglais

    il

    est

    moins

    explicite:

    Celia

    sait iliat

    if

    lie did

    iiotfind

    work at

    once

    she should

    have to

    go back lo

    tiers.

    Murphy knew

    whal thaï ineam.

    No more

    music.

    This phrase

    is cliasen

    with

    care.

    lest the fritliy censors

    should lack

    an occa¬

    sion to

    commit

    their

    fritliy

    synecdochc. 2t>

    Grâce

    à de telles modifications Beckett

    réécrit les textes sans

    opérer

    ni dans un sens destructeur ni vers une réhabilitation de l'uvre. II réé¬

    crit

    et.

    en réécrivant, il

    veille

    à

    se conformer

    au signifié de la

    première-

    version sous

    la

    «forme2''

    »

    d'une

    nouvelle langue. Ainsi, malgré les diffé¬

    rences

    entre

    les

    deux textes,

    malgré

    les

    modifications d'auteur

    dans

    la

    réécriture. la deuxième version par Beckett peut

    aider à

    clarifier des

    ambiguïtés

    ou

    à

    résoudre

    les difficultés

    d'interprétation 2S . C'est pourquoi

    dans

    la

    majorité

    des

    cas les

    modifications que

    les

    réécritures apportent

    aux cinq

    romans ne sont

    perceptibles qu'avec

    une

    lecture attentive

    et

    comparée

    des

    deux versions. De plus.

    Beckett demande

    à travailler avec

    des traducteurs, du moins pour ce qui

    concerne

    les deux romans en

    anglais

    et

    Molloy.

    Ensuite, il

    ne faut

    pas

    négliger

    le fait que la

    réécriture

    de

    Murphy

    a

    lieu

    au

    moment

    Beckett

    a

    décidé

    de

    rédiger

    son

    Euvre

    directement en français (et cela pendant une décennie) et qu'elle repré¬

    sente aussi une

    façon de

    s'approcher

    de

    la

    langue

    étrangère

    à

    l'aide

    d'un

    autochtone,

    son

    ami

    Alfred Péron. En

    d'autres

    termes,

    pour

    la réécriture

    de

    ces textes Beckett puise directement dans

    les premiers originaux

    où la

    deuxième version trouve effectivement son sens, d'après

    les

    mots de

    Benjamin. Mais,

    dans tous les

    romans,

    et notamment

    dans

    ceux

    de la

    trilogie,

    l'anglais

    reste latent dans l'original

    français et vice-versa. Ne

    serait-ce

    que

    par

    les

    noms des protagonistes, la description des

    paysages,

    les

    allusions

    au

    «génie

    de

    votre

    langue» (je souligne),

    les

    expressions

    qui renvoient

    à l'autre langue,

    et nombre d'autres détails dont nous

    avons vu

    quelques

    exemples.

    Dans ces romans20 .

    c'est

    justement le

    détail

    que

    Beckett élabore d'une langue à l'autre

    :

    tantôt c'est

    une expression

    26. Le texte français

    est

    à la page

    60

    de Murphy. Paris.

    Les

    Editions

    de

    Minuit,

    tandis que

    le

    deuxième esl à la page 76 de Murphy. Grove Press.

    ..

    ^y-,

    27. « Li irtuliizione è una

    forma.

    Per

    coglierla coine laie,

    occorre risti/ire

    aU'originalc.

    Infatli

    1.0

    I

    la legge

    délia

    iraduzione si irova in

    esso.

    » Benjamin. 222.  

    2S.

    C'est

    d'ailleurs

    ce

    que

    dit

    Tagliaferri

    dans

    sa

    «Nota del

    traduttore». littérature

    29.

    A l'exception de Mercier ei

    Camier.

    n- mi - m.vks :co

  • 8/17/2019 Traduire Le Bilinguisme Beckett

    8/14

    REFLEXIONS CRITIQUES

    clichée modifiée,

    renversée ou

    supprimée,

    tantôt

    c'est

    le renversement

    du

    registre

    (populaire

    dans

    une

    langue,

    plus

    recherché

    dans

    l'autre

    -,0

    ),

    tantôt la modification ou la non modification d'un

    nom

    de lieu ou

    de

    personne étranger, tantôt

    une critique

    plus ou

    moins

    discrète du texte

    1,

    tantôt une latence

    du

    texte

    II déjà présent

    à

    la première rédaction.

    C'est

    par

    ces

    stratagèmes que Beckett contribue au bilinguisme du

    texte,

    à

    sa

    duplicité, à son

    caractère

    variable.

    Et

    c'est justement sur

    cela que.

    dans

    mon

    idée, le «traducteur idéal»

    de

    Beckett,

    devrait pouvoir

    habilement

    jouer

    en

    utilisant

    les

    deux textes,

    en

    montrant la

    ductilité,

    la malléabilité

    du

    langage,

    des

    langues

    tout

    en

    puisant

    dans

    deux

    versions,

    et

    surtout

    en

    rendant

    manifeste,

    par la langue dont

    il se

    sert, le

    jeu de fon/da du sujet.

    Cependant,

    dans les cas cités, le choix

    des

    deux

    traducteurs

    italiens

    de

    l'ester

    proches de la

    première

    rédaction tout en faisant

    référence

    à la

    deuxième, se

    conforme à

    ce que Berman définit comme «un certain res¬

    pect du

    texte», grâce

    surtout

    à

    la

    dynamique

    de

    leur

    bilinguisme

    telle

    qu'on

    l'a

    résumée.

    Pour aller un

    peu

    plus loin, je

    propose une

    autre

    piste de réflexion.

    Nous

    savons que

    tout double

    de

    l'uvre

    de

    Beckett

    n'entretient

    pas

    la

    même relation au texte 1. Les textes qu'on a vus jusqu'ici ont

    plusieurs

    caractéristiques

    communes qui peuvent

    les

    apparenter, mais chaque texte

    développe une relation différente

    à

    son double.

    Le

    bilinguisme

    de

    Bec¬

    kett se modifie

    notamment

    par

    rapport aux

    périodes d'écriture

    et

    de

    réé¬

    criture,

    et

    aussi par

    rapport

    au laps de

    temps

    qui sépare la rédaction en

    une

    langue

    de

    celle dans l'autre langue. Si,

    par

    exemple,

    par

    un saut

    dans le temps, nous

    passons

    aux années 70. nous remarquerons

    que

    la

    façon

    qu'a

    Beckett

    de

    se

    réécrire

    subit

    une

    transformation

    importante,

    À

    cette époque la réécriture est presque contemporaine de la rédaction,

    comme

    si

    les textes naissaient

    en

    même temps dans

    leur

    double

    forme,

    l'anglaise

    et

    la française. Mais c'est aussi à cette époque que

    Beckett

    reprend de vieux

    textes,

    qu'il

    avait

    auparavant refusé de

    publier,

    notam¬

    ment Mercier el Camier (écrit en 1946 en français et réécrit

    entre

    1970

    date de la publication du texte

    français

    et

    1974 en anglais), Premier

    Amour

    (écrit en 1946 en

    français, publié en

    1970.

    et réécrit en anglais en

    1973). et les

    Foirades

    (écrites en fiançais

    dans les

    années 60, publiées

    dans les années

    70.

    et

    réécrits

    en

    anglais

    entre

    1973

    et

    1974).

    Comme

    les dates l'indiquent, Beckett

    commence

    à les réécrire au

    moment

    où il

    décide d'en publier la

    première

    rédaction.

    Dans

    le

    premier

    cas. celui de récriture

    presque contemporaine.

    la

    version

    anglaise,

    du

    moins

    quand

    elle

    suit

    de

    près le texte

    en

    français.

    1

    qo tend

    à insister davantage

    sur

    la répétition

    et

    souvent

    aussi

    à

    resserrer

    les

     

    30.

    Dans

    cet exemple. Fauteur

    utilise

    un registre

    encore

    plus

    informel

    dans la

    langue

    anglaise

    littérature P0l,r

    expliciter

    l'expression

    «tutoiement

    torrentiel

    » «torrent of

    civilities»

    en

    anglais

    k° i4i -M,\Rs200f>

    le

    tutoiement ne

    se distingue pas

    du

    vouvoiement.

    REFLEXIONS CRITIQUES

    clichée modifiée,

    renversée ou

    supprimée,

    tantôt

    c'est

    le renversement

    du

    registre

    (populaire

    dans

    une

    langue,

    plus

    recherché

    dans

    l'autre

    -,0

    ),

    tantôt la modification ou la non modification d'un

    nom

    de lieu ou

    de

    personne étranger, tantôt

    une critique

    plus ou

    moins

    discrète du texte

    1,

    tantôt une latence

    du

    texte

    II déjà présent

    à

    la première rédaction.

    C'est

    par

    ces

    stratagèmes que Beckett contribue au bilinguisme du

    texte,

    à

    sa

    duplicité, à son

    caractère

    variable.

    Et

    c'est justement sur

    cela que.

    dans

    mon

    idée, le «traducteur idéal»

    de

    Beckett,

    devrait pouvoir

    habilement

    jouer

    en

    utilisant

    les

    deux textes,

    en

    montrant la

    ductilité,

    la malléabilité

    du

    langage,

    des

    langues

    tout

    en

    puisant

    dans

    deux

    versions,

    et

    surtout

    en

    rendant

    manifeste,

    par la langue dont

    il se

    sert, le

    jeu de fon/da du sujet.

    Cependant,

    dans les cas cités, le choix

    des

    deux

    traducteurs

    italiens

    de

    l'ester

    proches de la

    première

    rédaction tout en faisant

    référence

    à la

    deuxième, se

    conforme à

    ce que Berman définit comme «un certain res¬

    pect du

    texte», grâce

    surtout

    à

    la

    dynamique

    de

    leur

    bilinguisme

    telle

    qu'on

    l'a

    résumée.

    Pour aller un

    peu

    plus loin, je

    propose une

    autre

    piste de réflexion.

    Nous

    savons que

    tout double

    de

    l'uvre

    de

    Beckett

    n'entretient

    pas

    la

    même relation au texte 1. Les textes qu'on a vus jusqu'ici ont

    plusieurs

    caractéristiques

    communes qui peuvent

    les

    apparenter, mais chaque texte

    développe une relation différente

    à

    son double.

    Le

    bilinguisme

    de

    Bec¬

    kett se modifie

    notamment

    par

    rapport aux

    périodes d'écriture

    et

    de

    réé¬

    criture,

    et

    aussi par

    rapport

    au laps de

    temps

    qui sépare la rédaction en

    une

    langue

    de

    celle dans l'autre langue. Si,

    par

    exemple,

    par

    un saut

    dans le temps, nous

    passons

    aux années 70. nous remarquerons

    que

    la

    façon

    qu'a

    Beckett

    de

    se

    réécrire

    subit

    une

    transformation

    importante,

    À

    cette époque la réécriture est presque contemporaine de la rédaction,

    comme

    si

    les textes naissaient

    en

    même temps dans

    leur

    double

    forme,

    l'anglaise

    et

    la française. Mais c'est aussi à cette époque que

    Beckett

    reprend de vieux

    textes,

    qu'il

    avait

    auparavant refusé de

    publier,

    notam¬

    ment Mercier el Camier (écrit en 1946 en français et réécrit

    entre

    1970

    date de la publication du texte

    français

    et

    1974 en anglais), Premier

    Amour

    (écrit en 1946 en

    français, publié en

    1970.

    et réécrit en anglais en

    1973). et les

    Foirades

    (écrites en fiançais

    dans les

    années 60, publiées

    dans les années

    70.

    et

    réécrits

    en

    anglais

    entre

    1973

    et

    1974).

    Comme

    les dates l'indiquent, Beckett

    commence

    à les réécrire au

    moment

    où il

    décide d'en publier la

    première

    rédaction.

    Dans

    le

    premier

    cas. celui de récriture

    presque contemporaine.

    la

    version

    anglaise,

    du

    moins

    quand

    elle

    suit

    de

    près le texte

    en

    français.

    1

    qo tend

    à insister davantage

    sur

    la répétition

    et

    souvent

    aussi

    à

    resserrer

    les

     

    30.

    Dans

    cet exemple. Fauteur

    utilise

    un registre

    encore

    plus

    informel

    dans la

    langue

    anglaise

    littérature P0l,r

    expliciter

    l'expression

    «tutoiement

    torrentiel

    » «torrent of

    civilities»

    en

    anglais

    k° i4i -M,\Rs200f>

    le

    tutoiement ne

    se distingue pas

    du

    vouvoiement.

  • 8/17/2019 Traduire Le Bilinguisme Beckett

    9/14

    TRADUIRE

    LE BILINGUISME: L'EXEMPLE DE BECKETT

    choix lexicaux tout en insistant sur l'utilisation du même mol. Pour ne

    donner

    qu'un

    exemple,

    dans

    Bing

    (première version

    en

    français.

    1966),

    Beckett

    alterne l'onomatopée

    du titre à «hop» lout au

    long

    du

    texte,

    tandis

    que dans Ping. la version anglaise,

    «ping»

    traduit aussi bien

    «bing»

    que

    «hop». Ou encore. Ping

    maintient

    (presque toujours)

    l'expression

    récurrente «joined like sewn», là où le

    français,

    après avoir

    une fois spécifié «joints comme cousus»,

    se

    contente souvent

    de

    répéter

    «joints». D'autres petites variations

    ont

    lieu,

    et

    elles visent

    notamment

    à

    aplatir, appauvrir davantage

    ce deuxième

    texte en le

    répétant

    dans

    l'autre langue.

    Dans

    son analyse du

    bilinguisme

    de Bing/Ping,

    Brian

    T. Fitch part

    de

    l'hypothèse que la deuxième version

    serait

    une évolution

    ultérieure

    du

    texte, pour ensuite s'apercevoir, après une

    analyse

    détaillée,

    que

    la

    version

    anglaise (donc

    la deuxième) est

    plus exactement

    une

    réorga¬

    nisation, par

    une redistribution

    des différentes unités de sens.

    Mais

    les

    manuscrits montrent que la deuxième version peut

    être

    aussi une

    régression, car parfois

    Beckett

    reprend

    en

    anglais

    les

    mots et

    les

    phrases

    qui avaient été

    modifiés

    dans les

    manuscrits de

    la version

    française

    avant

    publication

    M

    .

    Toutes

    ces

    différentes

    attitudes

    dans le passage

    d'une version à l'autre

    seraient,

    pour Fitch, la preuve

    que

    le texte 2 est

    un autre

    texte,

    un «recasiing» du premier. 11 me semble cependant que

    les

    modifications apportées par la réécriture ne

    compromettent

    pas

    la

    validité de ce que Berman appelle les «zones signifiantes» du texte.

    Au

    contraire. L'impression générale du même texte lu dans sa version

    anglaise

    ou française

    reste souvent

    la même, presque

    la même.

    Voyons, par exemple,

    l'incipit

    de Bing/Ping:

    Tout

    su

    tout

    blanc

    corps

    nu

    blanc

    un

    mètre

    jambes

    collées

    comme

    cousues.

    Lumière chaleur sol blanc un

    mètre

    carré

    jamais vu. Murs blancs un mèire

    sut-

    deux plafond blanc un mètre carré jamais vu.

    Cotps

    nu blanc

    fixe seuls les

    yeux à

    peine.

    Traces fouillis

    gris pâle presque

    blanc sur blanc. Mains

    pendues

    ouvertes

    creux

    face pieds blancs talons

    joints

    angle droit.

    Lumière chaleur

    faces blanches rayonnantes. Corps nu blanc fixe

    hop

    fixe ailleurs'-.

    .4//

    known

    ail while hure white

    body

    fixed one yard

    legs

    joined like sewn.

    Lighl hcai

    while floor one square yard never seen.

    White

    walls

    one

    yard by

    iwo white ceiling one square yard never seen.

    Bare

    white

    botly

    fixai only rite

    eyes

    only

    just.

    Traces

    blurs

    lighl

    grey

    almost

    while

    on

    white.

    Hands

    lianging

    palais

    front while feet

    lieds

    logeilter right angle.

    Lighl

    lient white

    planes shi¬

    lling white hure white

    botly

    fixed ping jixetl clsewhere.

    Cet extrait montre

    d'emblée l'extrême

    économie syntaxique de

    Bing et

    Ping, économie

    si

    caractéristique

    des

    textes

    de Beckett

    écrits

    à

    partir de la

    deuxième

    moitié des années 60. Cette

    syntaxe

    dépouillée. iqq

    3

    1 .

    Voir

    celte analyse

    dans

    Beckett

    and

    Babel. An

    Investigation

    imo the Suints

    ofhis

    Bilingiial

     

    Work.

    Toronto.

    Universitv

    of Toronto Press. 19SS. p. 65 et suiv.

    littérature

    32. Je souliene. " n iji-maks:iw.

    TRADUIRE

    LE BILINGUISME: L'EXEMPLE DE BECKETT

    choix lexicaux tout en insistant sur l'utilisation du même mol. Pour ne

    donner

    qu'un

    exemple,

    dans

    Bing

    (première version

    en

    français.

    1966),

    Beckett

    alterne l'onomatopée

    du titre à «hop» lout au

    long

    du

    texte,

    tandis

    que dans Ping. la version anglaise,

    «ping»

    traduit aussi bien

    «bing»

    que

    «hop». Ou encore. Ping

    maintient

    (presque toujours)

    l'expression

    récurrente «joined like sewn», là où le

    français,

    après avoir

    une fois spécifié «joints comme cousus»,

    se

    contente souvent

    de

    répéter

    «joints». D'autres petites variations

    ont

    lieu,

    et

    elles visent

    notamment

    à

    aplatir, appauvrir davantage

    ce deuxième

    texte en le

    répétant

    dans

    l'autre langue.

    Dans

    son analyse du

    bilinguisme

    de Bing/Ping,

    Brian

    T. Fitch part

    de

    l'hypothèse que la deuxième version

    serait

    une évolution

    ultérieure

    du

    texte, pour ensuite s'apercevoir, après une

    analyse

    détaillée,

    que

    la

    version

    anglaise (donc

    la deuxième) est

    plus exactement

    une

    réorga¬

    nisation, par

    une redistribution

    des différentes unités de sens.

    Mais

    les

    manuscrits montrent que la deuxième version peut

    être

    aussi une

    régression, car parfois

    Beckett

    reprend

    en

    anglais

    les

    mots et

    les

    phrases

    qui avaient été

    modifiés

    dans les

    manuscrits de

    la version

    française

    avant

    publication

    M

    .

    Toutes

    ces

    différentes

    attitudes

    dans le passage

    d'une version à l'autre

    seraient,

    pour Fitch, la preuve

    que

    le texte 2 est

    un autre

    texte,

    un «recasiing» du premier. 11 me semble cependant que

    les

    modifications apportées par la réécriture ne

    compromettent

    pas

    la

    validité de ce que Berman appelle les «zones signifiantes» du texte.

    Au

    contraire. L'impression générale du même texte lu dans sa version

    anglaise

    ou française

    reste souvent

    la même, presque

    la même.

    Voyons, par exemple,

    l'incipit

    de Bing/Ping:

    Tout

    su

    tout

    blanc

    corps

    nu

    blanc

    un

    mètre

    jambes

    collées

    comme

    cousues.

    Lumière chaleur sol blanc un

    mètre

    carré

    jamais vu. Murs blancs un mèire

    sut-

    deux plafond blanc un mètre carré jamais vu.

    Cotps

    nu blanc

    fixe seuls les

    yeux à

    peine.

    Traces fouillis

    gris pâle presque

    blanc sur blanc. Mains

    pendues

    ouvertes

    creux

    face pieds blancs talons

    joints

    angle droit.

    Lumière chaleur

    faces blanches rayonnantes. Corps nu blanc fixe

    hop

    fixe ailleurs'-.

    .4//

    known

    ail while hure white

    body

    fixed one yard

    legs

    joined like sewn.

    Lighl hcai

    while floor one square yard never seen.

    White

    walls

    one

    yard by

    iwo white ceiling one square yard never seen.

    Bare

    white

    botly

    fixai only rite

    eyes

    only

    just.

    Traces

    blurs

    lighl

    grey

    almost

    while

    on

    white.

    Hands

    lianging

    palais

    front while feet

    lieds

    logeilter right angle.

    Lighl

    lient white

    planes shi¬

    lling white hure white

    botly

    fixed ping jixetl clsewhere.

    Cet extrait montre

    d'emblée l'extrême

    économie syntaxique de

    Bing et

    Ping, économie

    si

    caractéristique

    des

    textes

    de Beckett

    écrits

    à

    partir de la

    deuxième

    moitié des années 60. Cette

    syntaxe

    dépouillée. iqq

    3

    1 .

    Voir

    celte analyse

    dans

    Beckett

    and

    Babel. An

    Investigation

    imo the Suints

    ofhis

    Bilingiial

     

    Work.

    Toronto.

    Universitv

    of Toronto Press. 19SS. p. 65 et suiv.

    littérature

    32. Je souliene. " n iji-maks:iw.

  • 8/17/2019 Traduire Le Bilinguisme Beckett

    10/14

    REFLEXIONS CRITIQUES

    aide, en

    un

    sens, le traducteur qui peut traduire mot à mot dans la majo¬

    rité

    des

    cas.

    J'ai

    souligné

    les

    quelques expressions

    qui

    s'éloignent

    de

    la

    traduction

    mot à mot, «yard»

    pour

    «mètre»,

    l'omission

    de

    «ouvertes»

    en anglais après

    main car

    ce mot semble être contenu dans

    «palms

    front» qui

    traduit «creux

    face». Ensuite «hop», traduit par «ping» est

    emblématique du fait que le

    texte anglais, en

    répétant

    le mot

    du

    titre,

    va

    vers une

    plus grande

    économie de

    mot

    que le

    texte

    français lotit

    en

    insis¬

    tant davantage sur la répétition. On voit alors comment un texte traduit

    «mot à mot» comporte,

    dans

    les deux langues, des différences subtiles

    qui

    confirment que les

    deux versions sont presque les mêmes.

    Cepen¬

    dant, au

    fur et

    à

    mesure

    qu'on avance dans la lecture, on peut remarquer

    des

    écarts

    plus importants

    entre

    elles:

    Lumière chaleur

    murmures

    à peine

    presque

    jamais toujours les mêmes

    tous

    sus.

    Mains blanches

    invisibles pendues

    ouvertes creux

    face.

    Corps

    nu blanc

    fixe

    un

    mètre hop

    fixe

    ailleurs. Seuls

    les yeux

    à

    peine bleu pâle presque blanc

    fixe face. Murmure

    à

    peine

    presque

    jamais une seconde peut-être une issue.

    Tête boule bien

    haute

    yeux bleu pâle presque blanc bing murmure

    bing

    silence.

    Ail white ail known

    îiuirmurs

    only

    just almost never

    always

    the saine

    ail

    known.

    Lighl

    beat hands

    liaiiging

    palms

    from

    white

    on

    white

    invisible.

    Bare

    while body fixai ping fixai elseuiiere. Only the eyes only

    just

    light blue

    al¬

    most white fixed

    front.

    Ping

    mttrnntr

    only just almost

    never one

    second per-

    haps

    a way ont. Head haughi eyes

    light

    blue almost white fixed

    front

    ping

    murinur ping

    silence.

    Dans

    ce passage l'auteur intervient

    sur

    le texte en le réécrivant

    non

    pas comme un

    traducteur respectueux

    le ferait, mais aussi en

    tant

    que

    créaient:

    Ici. la version

    anglaise

    devient plus longue, même si elle n'est

    aucunement

    plus

    riche

    que

    la

    française,

    au

    contraire.

    l'anglais

    contient

    plus de

    répétitions.

    À remarquer tout

    d'abord

    l'insistance

    sur

    le

    mot du

    titre dans la

    version

    anglaise,

    moins

    marquée

    dans le texte

    français.

    Ensuite.

    «.-4//

    while

    ail

    known». expression

    ici

    recourante,

    semble associer

    au concept de

    netteté et peut-être aussi

    de

    stérilité («ail

    while»).

    celui

    de

    répétition

    («ail known». souvenons-nous du passage de

    Murphv

    cité

    auparavant:

    «soleil brillait sur le rien

    de neuf»): tout est blanc

    et

    connu

    cependant

    «jamais toujours les

    mêmes tous

    sus». De

    même

    la

    réécriture.

    et

    avec elle la traduction, n'est jamais toujours la même. Ici. comme

    dans

    les

    romans,

    les

    changements

    apportés

    au

    texte

    réécrit

    soulignent

    la

    variabilité du

    langage

    et par conséquent de son système des

    langues,

    son

    caractère

    mobile,

    changeant et, sans

    doute, peu

    fiable.

    Cependant, une

    fois

    de

    plus,

    l'impression

    générale qu'on

    reçoit

    en lisant le

    texte

    en fran¬

    çais el le texte en anglais reste presque la même malgré les

    quelques

    ] ] Q

    modifications

    qui

    semblent

    insister davantage

    sur l'intention du

    texte qui

      promeut sa langue

    sèche, dépouillée,

    essentielle.

    Ainsi,

    les modifications

    littérature foni_

    elles

    aussi,

    pailie

    de

    cette

    poétique

    de la répétition, répétition

    REFLEXIONS CRITIQUES

    aide, en

    un

    sens, le traducteur qui peut traduire mot à mot dans la majo¬

    rité

    des

    cas.

    J'ai

    souligné

    les

    quelques expressions

    qui

    s'éloignent

    de

    la

    traduction

    mot à mot, «yard»

    pour

    «mètre»,

    l'omission

    de

    «ouvertes»

    en anglais après

    main car

    ce mot semble être contenu dans

    «palms

    front» qui

    traduit «creux

    face». Ensuite «hop», traduit par «ping» est

    emblématique du fait que le

    texte anglais, en

    répétant

    le mot

    du

    titre,

    va

    vers une

    plus grande

    économie de

    mot

    que le

    texte

    français lotit

    en

    insis¬

    tant davantage sur la répétition. On voit alors comment un texte traduit

    «mot à mot» comporte,

    dans

    les deux langues, des différences subtiles

    qui

    confirment que les

    deux versions sont presque les mêmes.

    Cepen¬

    dant, au

    fur et

    à

    mesure

    qu'on avance dans la lecture, on peut remarquer

    des

    écarts

    plus importants

    entre

    elles:

    Lumière chaleur

    murmures

    à peine

    presque

    jamais toujours les mêmes

    tous

    sus.

    Mains blanches

    invisibles pendues

    ouvertes creux

    face.

    Corps

    nu blanc

    fixe

    un

    mètre hop

    fixe

    ailleurs. Seuls

    les yeux

    à

    peine bleu pâle presque blanc

    fixe face. Murmure

    à

    peine

    presque

    jamais une seconde peut-être une issue.

    Tête boule bien

    haute

    yeux bleu pâle presque blanc bing murmure

    bing

    silence.

    Ail white ail known

    îiuirmurs

    only

    just almost never

    always

    the saine

    ail

    known.

    Lighl

    beat hands

    liaiiging

    palms

    from

    white

    on

    white

    invisible.

    Bare

    while body fixai ping fixai elseuiiere. Only the eyes only

    just

    light blue

    al¬

    most white fixed

    front.

    Ping

    mttrnntr

    only just almost

    never one

    second per-

    haps

    a way ont. Head haughi eyes

    light

    blue almost white fixed

    front

    ping

    murinur ping

    silence.

    Dans

    ce passage l'auteur intervient

    sur

    le texte en le réécrivant

    non

    pas comme un

    traducteur respectueux

    le ferait, mais aussi en

    tant

    que

    créaient:

    Ici. la version

    anglaise

    devient plus longue, même si elle n'est

    aucunement

    plus

    riche

    que

    la

    française,

    au

    contraire.

    l'anglais

    contient

    plus de

    répétitions.

    À remarquer tout

    d'abord

    l'insistance

    sur

    le

    mot du

    titre dans la

    version

    anglaise,

    moins

    marquée

    dans le texte

    français.

    Ensuite.

    «.-4//

    while

    ail

    known». expression

    ici

    recourante,

    semble associer

    au concept de

    netteté et peut-être aussi

    de

    stérilité («ail

    while»).

    celui

    de

    répétition

    («ail known». souvenons-nous du passage de

    Murphv

    cité

    auparavant:

    «soleil brillait sur le rien

    de neuf»): tout est blanc

    et

    connu

    cependant

    «jamais toujours les

    mêmes tous

    sus». De

    même

    la

    réécriture.

    et

    avec elle la traduction, n'est jamais toujours la même. Ici. comme

    dans

    les

    romans,

    les

    changements

    apportés

    au

    texte

    réécrit

    soulignent

    la

    variabilité du

    langage

    et par conséquent de son système des

    langues,

    son

    caractère

    mobile,

    changeant et, sans

    doute, peu

    fiable.

    Cependant, une

    fois

    de

    plus,

    l'impression

    générale qu'on

    reçoit

    en lisant le

    texte

    en fran¬

    çais el le texte en anglais reste presque la même malgré les

    quelques

    ] ] Q

    modifications

    qui

    semblent

    insister davantage

    sur l'intention du

    texte qui

      promeut sa langue

    sèche, dépouillée,

    essentielle.

    Ainsi,

    les modifications

    littérature foni_

    elles

    aussi,

    pailie

    de

    cette

    poétique

    de la répétition, répétition

  • 8/17/2019 Traduire Le Bilinguisme Beckett

    11/14

    TRADUIRE

    LE

    BILINGUISME: L EXEMPLE DE BECKETT

    jamais

    identique, de la variation. Les variations sont donc éclairantes au

    regard

    du

    texte

    et

    soulignent,

    par

    leur

    subtilité,

    les

    «zones

    signifiantes»

    que la

    traduction

    doit à son tour pouvoir

    souligner.

    Ce sont justement les

    «zones

    signifiantes» qui ont changé

    dans

    récriture

    de

    Beckett

    par

    rap¬

    port à la trilogie. Bing/Ping joue

    en

    effet sur l'économie du mot. sur une

    sorte

    de

    neutralisation absolue du sujet '-' qui semble disparaître

    derrière

    une pure

    image,

    créée par

    les

    mots du texte.

    Dans

    la trilogie, le sujet en

    voie

    de disparition s'acharnait

    à s'affirmer par

    un

    flux de mots incessant

    qu'il

    ne

    voulait que

    continuer à dire (pour continuer à se dire, à

    exister).

    Ce changement

    dans

    récriture a évidemment

    des

    conséquences

    sur

    la

    pratique

    du

    bilinguisme.

    Le

    fait

    même que les deux

    textes Bing/Ping

    naissent

    presque

    en

    même

    temps en dit beaucoup.

    L'autre

    langue tient

    lieu de «calmant»,

    de contrôle

    sur

    le discours, sur

    les mots,

    elle sert

    aussi l'effacement ultérieur du sujet. Elle empêche d'aller

    plus

    loin,

    en

    répétant d'abord le texte

    en

    même temps qu'il esl

    créé.

    C'est ainsi

    que

    Ping et Bing.

    presque

    simultanément,

    insistent sur les

    «zones signifiantes»

    (Y« économie» du texte, du

    mot). La réécriture aide

    le traducteur

    dans sa

    tâche. Dans ce deuxième

    cas. plus

    que dans celui des

    romans cités, les

    deux textes

    semblent indispensables

    à

    la

    réalisation

    d'une

    traduction. La

    variation

    sert aussi d'explication.

    Reste ouvert le problème du choix:

    quel

    texte

    choisit?

    Ou bien,

    est-il

    envisageable de traduire les deux

    textes

    à la fois? Et, dans

    l'affir¬

    mative,

    lequel

    traduire

    quand les divergences sont patentes?

    On pourrait

    commencer par

    traduire

    ce qui semble mieux

    convenir

    au mode de

    tra¬

    duction choisi,

    à

    la culture réceptrice (que ce soit

    dans

    un rapport de

    proximité

    ou

    d'étrangeté).

    voire à la

    subjectivité

    du traducteur.

    Si

    un tel

    mélange

    et

    de tels

    choix

    étaient possibles

    ce

    n'esl pour l'instant

    qu'une

    proposition

    on aurait alors une seule

    traduction

    de

    deux

    textes

    où la

    subjectivité

    du

    traducteur

    jouerait un rôle fondamental, et où les

    variations puiseraient directement dans

    les

    trois

    langues. Ainsi, la

    tra¬

    duction deviendrait une ultime variation.

    N'oublions

    pas que Beckett

    aussi avait

    été traducteur, et parfois

    même

    adaptateur.

    Dans

    les

    maximes

    de

    Chamfort,

    par exemple,

    il montre comment l'adaptation, parfois très

    libre en apparence, agit

    dans

    le

    respect

    du

    texte.

    Quand il traduit Cham¬

    fort. Beckett élimine

    les

    prémisses pour ne donner que la morale,

    car

    elle

    englobe

    les

    prémisses.

    En

    voici

    un

    exemple:

    La

    pensée

    console de tout

    et

    remédie

    à

    tout.

    Si quelquefois elle

    vous l'ait du

    mal.

    demandez-lui

    le remède

    du mal qu'elle vous a fait, elle vous

    le

    donnera.

    Dans

    la traduction de Beckett:

     

    111

    33. Cette neutralisation du sujet,

    devrait,

    d'ailleurs, permettre une plus

    grande «objectivité»

    dans

    la traduction, où le

    mot

    prime

    sur

    le sujet écrivain. Cependant. Beckett réaffirme, par les littérature

    changements

    apportés

    à

    la deuxième

    version, le pouvoir

    du sujet sur

    le

    lexie.

    m'

    mi - m

    u;s

    :n;):>

    TRADUIRE

    LE

    BILINGUISME: L EXEMPLE DE BECKETT

    jamais

    identique, de la variation. Les variations sont donc éclairantes au

    regard

    du

    texte

    et

    soulignent,

    par

    leur

    subtilité,

    les

    «zones

    signifiantes»

    que la

    traduction

    doit à son tour pouvoir

    souligner.

    Ce sont justement les

    «zones

    signifiantes» qui ont changé

    dans

    récriture

    de

    Beckett

    par

    rap¬

    port à la trilogie. Bing/Ping joue

    en

    effet sur l'économie du mot. sur une

    sorte

    de

    neutralisation absolue du sujet '-' qui semble disparaître

    derrière

    une pure

    image,

    créée par

    les

    mots du texte.

    Dans

    la trilogie, le sujet en

    voie

    de disparition s'acharnait

    à s'affirmer par

    un

    flux de mots incessant

    qu'il

    ne

    voulait que

    continuer à dire (pour continuer à se dire, à

    exister).

    Ce changement

    dans

    récriture a évidemment

    des

    conséquences

    sur

    la

    pratique

    du

    bilinguisme.

    Le

    fait

    même que les deux

    textes Bing/Ping

    naissent

    presque

    en

    même

    temps en dit beaucoup.

    L'autre

    langue tient

    lieu de «calmant»,

    de contrôle

    sur

    le discours, sur

    les mots,

    elle sert

    aussi l'effacement ultérieur du sujet. Elle empêche d'aller

    plus

    loin,

    en

    répétant d'abord le texte

    en

    même temps qu'il esl

    créé.

    C'est ainsi

    que

    Ping et Bing.

    presque

    simultanément,

    insistent sur les

    «zones signifiantes»

    (Y« économie» du texte, du

    mot). La réécriture aide

    le traducteur

    dans sa

    tâche. Dans ce deuxième

    cas. plus

    que dans celui des

    romans cités, les

    deux textes

    semblent indispensables

    à

    la

    réalisation

    d'une

    traduction. La

    variation

    sert aussi d'explication.

    Reste ouvert le problème du choix:

    quel

    texte

    choisit?

    Ou bien,

    est-il

    envisageable de traduire les deux

    textes

    à la fois? Et, dans

    l'affir¬

    mative,

    lequel

    traduire

    quand les divergences sont patentes?

    On pourrait

    commencer par

    traduire