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1 A tous les choix conséquents à ces années de recherche, A tous les doutes qui m’ont assailli, A toutes ces heures noires de la nouvelle vie loin de chez soi, A cette impression que la thèse ne finirait jamais, A Isabelle qui les a tous balayés…

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L'histoire du Courrier des États-Unis entre 1828 et 1851. Thèse de doctorat - Anthony Grolleau-Fricard

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A tous les choix consquents ces annes de recherche, A tous les doutes qui mont assailli, A toutes ces heures noires de la nouvelle vie loin de chez soi, A cette impression que la thse ne finirait jamais, A Isabelle qui les a tous balays

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RemerciementsEn premier lieu, il convient de remercier M. Yvan Lamonde qui ma accompagn patiemment et conseill avec beaucoup de gentillesse pendant toutes ces annes. Je garde encore un souvenir mu de notre premire rencontre. En juillet 2003, dans son bureau de la rue McTavish, alors que je venais tout juste darriver au Qubec, il ma accueilli avec une trs grande sollicitude. Alors que je commenais lui parler du Courrier des tats-Unis, des recherches que javais hte dentamer, il ma arrt et ma demand le plus simplement du monde comment se passait mon arrive au Qubec, si mon installation se passait bien. Il ma ainsi donn le ton de la vie qubcoise o lon sait prendre le temps de vivre, de parler de soi et de son vcu, avant de discuter des sujets plus laborieux. Je dois aussi souligner limportant soutien que ma offert Mme Hlne Harter. Elle a pris la direction de ma thse en cours de route et sest rendue extrmement disponible malgr les 6 000 kilomtres qui nous sparaient. Travailler avec Mme Harter a non seulement t trs agrable mais galement trs enrichissant. Avenante, rigoureuse, formulant des remarques et des conseils qui mapparaissaient constamment dune trs grande justesse, Mme Harter a t une directrice de recherche hors pair. Je le remercie particulirement pour tous ses efforts de relecture et de correction. Enfin, M. Andr Kaspi est la troisime hypostase de la (sainte ?) trinit universitaire qui a permis la concrtisation de cette recherche. Il ma encadr lors de mon mmoire de D.E.A et ma soutenu dans les premires annes de ma thse. Sans M. Kaspi, sans sa confiance de mes dbuts de doctorant, cette thse naurait srement pas abouti Avant de verser dans les remerciements plus personnels, je suis tenu par une veille promesse de remercier deux personnes en particulier. Il sagit de mes deux premires amies canadiennes ; Christine Dy et Tess Fernandez. En aot 2003, elles mont accueilli chaleureusement dans une salle obscure du service doncologie molculaire de lHpital Royal Victoria Montral. Anglophones et trop timides pour parler franais, ces collgues ont toutefois t mon premier contact avec le monde du travail qubcois. Leur amiti pendant mes six premiers mois de vie au Qubec ma t

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prcieuse et elle lest toujours. Grce elles, jai particulirement enrichi mon vocabulaire anglais avec des mots de tous les jours mais que je noserais prononcer en Sorbonne. A leur ct, il y avait aussi France Bourdeau et Samar Dib. Toutes les quatre ont t comme des anges sur mes paules. Je tiens remercier Isabelle, ma conjointe. Elle a tout fait pour que, dans les derniers mois, je puisse me concentrer au mieux sur la rdaction. Et tous les soirs, invariablement, elle me demandait combien de pages javais crites et se faisait menaante lorsque jtais en dessous des quotas. Je lui dois normment. Je dois aussi remercier ceux, amis et famille, qui ont eu supporter et soutenir dune manire ou dune autre ces annes de recherche : ma mre, ma sur la petite Fanny, Caroline, Henri, Patrice, Babette, mes nombreux cousins et cousines, tous les Fricard du Chiron, la si gentille et adorable Colette, la famille Turcotte, le vieux briscard du milieu universitaire Denis Bliveau, Annie Gagnon mon amie des moments difficiles, les employs des Organismes de justice alternative du Qubec. Un grand merci tous mes amis du Qubec pour leur soutien et un grand merci mes amis de France et de Belgique pour leur amiti fidle. Quant Arnaud Chantraine qu vingt ans je surnommais ltudiant ternel, je vois avec le recul que mes taquineries dautrefois pourraient aujourdhui mtre servies. Jespre quArnaud acceptera ces regrets qui arrivent bien tardivement.

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SommaireRemerciements................................................................................................................. 3 Sommaire ......................................................................................................................... 5 Introduction ..................................................................................................................... 9 Premire partie : Les hommes qui ont fait le Courrier des tats-Unis ....................... 39Chapitre 1 Les propritaires et les rdacteurs en chef ................................................... 41I Les mystres dune fondation......................................................................................................41 A Les hypothses en prsence...................................................................................................42 B Ce que ltude du Courrier des tats-Unis laisse supposer ..................................................44 II Les annes Lacoste et linfluence bonapartiste ..........................................................................51 A Joseph Bonaparte et le contenu du journal ............................................................................51 B Une influence bonapartiste qui va au-del de Joseph Bonaparte...........................................59 III Charles de Behr, de libraire directeur de journal....................................................................83 A Les librairies de Charles de Behr...........................................................................................84 B Les tentatives dans la presse new-yorkaise ...........................................................................88 C Charles de Behr, propritaire du Courrier des tats-Unis ....................................................91 IV Frdric Gaillardet, un homme de lettres pour la dfense de la culture franaise en Amrique99 A Gaillardet, de Paris au Texas ...............................................................................................100 B Une re nouvelle..................................................................................................................110 C Consolidation des affaires du Courrier des tats-Unis .......................................................123 V Paul Arpin : lexprience de journaliste au service des ides rpublicaines ............................128 A Un directeur dexprience ...................................................................................................128 B Un rpublicain engag pour rdacteur en chef ....................................................................132

Chapitre 2 Les collaborateurs......................................................................................... 141I Qui sont les collaborateurs du Courrier des tats-Unis ? .........................................................141 A Les techniciens ....................................................................................................................141 B Les rdacteurs......................................................................................................................149 C Les correspondants ..............................................................................................................153 II Deux portraits de collaborateurs : Rgis de Trobriand et Pierre-Joseph-Olivier Chauveau .....164 A Rgis de Trobriand ..............................................................................................................164 B Pierre-Joseph-Olivier Chauveau..........................................................................................170

Conclusion de la premire partie....................................................................................... 174

Deuxime Partie : De lvnement jusquau lecteur ................................................. 177Chapitre 3 En amont de la publication du Courrier des tats-Unis ............................ 181I La circulation de linformation ..................................................................................................181 A Lacclration de la circulation de linformation entre lEurope et les Amriques.............181 B Les dlais de publication dans le Courrier des tats-Unis..................................................204 II Forme et rgularit de la publication........................................................................................213 A Forme et apparence du Courrier des tats-Unis .................................................................213 B Du journal hebdomadaire au quotidien................................................................................218 III Un digest europen et amricain .......................................................................................225 A Les sources europennes .....................................................................................................225 B Les sources amricaines ......................................................................................................234 IV Une place importante accorde la culture ............................................................................244 A Suivi de la vie culturelle en Amrique du Nord ..................................................................245 B La dimension littraire du Courrier des tats-Unis ............................................................249 C Les liens avec les libraires franais .....................................................................................256

Chapitre 4 En aval de la publication du Courrier des tats-Unis ................................ 265

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I La distribution du Courrier des tats-Unis ...............................................................................265 A Les mthodes de distribution du Courrier des tats-Unis ..................................................265 B Les difficults de distribution du Courrier des tats-Unis..................................................271 II Le rseau dagents du Courrier des tats-Unis........................................................................274 A Qui sont les agents du Courrier des tats-Unis ? ...............................................................275 B Les agents aux tats-Unis....................................................................................................278 C Les autres points de distribution ..........................................................................................286 III Le lectorat aux tats-Unis.......................................................................................................289 A Les communauts francophones aux tats-Unis .................................................................289 B Les lecteurs tats-uniens......................................................................................................307 IV Le lectorat en Amrique latine et dans les Carabes ...............................................................313 A Les Franais dans cette partie du monde .............................................................................314 B Les autres lecteurs ...............................................................................................................320 V Le lectorat au Bas-Canada .......................................................................................................323 A Limportance du Courrier des tats-Unis dans la presse canadienne franaise..................324 B Les lecteurs canadiens-franais du Courrier des tats-Unis ...............................................334

Conclusion de la deuxime partie...................................................................................... 343

Troisime Partie : La France, les tats-Unis et le Canada dans le Courrier des tatsUnis .............................................................................................................................. 347Chapitre 5 La priode bonapartiste (1828-1836) .......................................................... 351I Les annes dopposition aux rgimes franais...........................................................................351 A Contre labsolutisme (1828-1830).......................................................................................352 B Lre des bons sentiments (1830-1831)...............................................................................360 C Contre le systme du 13 mars (1831-1836) .........................................................................364 II Des tats-Unis presque idylliques (1828-1836).......................................................................376 A Un modle vertueux (1828-1836) .......................................................................................376 B Les limites du modle et les premiers dchirements Nord-Sud (1831-1835) ......................384 C La question des indemnits (1834-1836).............................................................................393 III Labsence de linformation canadienne ..................................................................................399 A La part de lactualit canadienne dans le Courrier des tats-Unis .....................................399 B Le traitement de lactualit canadienne ...............................................................................401

Chapitre 6 La priode orlaniste (1836-1848) ............................................................... 409I Le conservatisme orlaniste (1836-1848)..................................................................................409 A Les succs de la monarchie constitutionnelle (1836-1839) .................................................409 B Du Mouvement (1840-1842) ...........................................................................................414 C la Rsistance (1842-1848) ...........................................................................................425 II Des tats-Unis critiqus (1836-1848) ......................................................................................436 A Les premires critiques (1836-1839)...................................................................................437 B La fin du modle vertueux tats-uniens (1840-1848) ..........................................................445 C Les combats du Courrier des tats-Unis (1840-1848)........................................................464 III Les rbellions de 1837-1838 et le rveil de lintrt pour le Canada (1837-1848) .................478 A Les rbellions : de la condamnation aux premiers mois (1837-1839) ...............................478 B Le soutien de la cause canadienne (1840-1848) ..................................................................497

Chapitre 7 La priode rpublicaine (1848-1851) .......................................................... 513I Pour une Rpublique modre (1848-1851) ..............................................................................513 A De lespoir la fatalit (avril 1848 - janvier 1849) .............................................................514 B Une opposition modre (janvier 1849 - juin 1851)............................................................527 II Le retour du modle rpublicain tats-unien (1848-1851) .......................................................536 A La rpublique sur (1848-1851) .........................................................................................536 B Les timides prises de position du Courrier des tats-Unis (1848-1851).............................543 III Un nouvel oubli de la cause canadienne-franaise..................................................................556 A Le retour de lintrt pour les vnements canadiens (1848-1849).....................................557 B La question annexionniste (1849-1851) ..............................................................................564

Conclusion de la troisime partie ...................................................................................... 575

Conclusion ................................................................................................................... 581

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Index des noms propres, des lieux et des priodiques ................................................ 591 Table des images .......................................................................................................... 601 Table des tableaux ....................................................................................................... 603 Table des graphiques ................................................................................................... 605 Table des figures .......................................................................................................... 607 Table des annexes ........................................................................................................ 609 Annexes ........................................................................................................................ 611 Sources ......................................................................................................................... 625I Journaux ........................................................................................................................ 625 II Manuscrits .................................................................................................................... 626 III Documents officiels fonds du Ministre des Affaires trangres franais.......... 627 IV Mmoires et tmoignages contemporains................................................................. 627A Sur la France ............................................................................................................................627 B Sur les tats-Unis .....................................................................................................................628 C Sur le Canada ...........................................................................................................................629 D Sur lAmrique latine...............................................................................................................629

Bibliographie ............................................................................................................... 631I Histoire de France ......................................................................................................... 631A Histoire politique......................................................................................................................631 B Histoire de la presse et de limprim ........................................................................................633

II Histoire des tats-Unis ................................................................................................ 633A Ouvrages gnraux...................................................................................................................633 B Histoire politique......................................................................................................................634 C Histoire de la presse et de limprim ........................................................................................635 D Biographies ..............................................................................................................................635 E Histoire locale...........................................................................................................................636

III Histoire du Canada .................................................................................................... 637A Ouvrages gnraux...................................................................................................................637 B Histoire politique......................................................................................................................637 C Histoire de la presse et de limprim ........................................................................................638

IV Histoire des communauts francophones dans les Amriques ............................... 639A En Louisiane ............................................................................................................................639 B Dans le reste des tats-Unis .....................................................................................................640 C Hors tats-Unis et Canada .......................................................................................................641 D Histoire de la presse et de limprim........................................................................................641

V Evolutions techniques et circulation de linformation.............................................. 642A Le chemin de fer ......................................................................................................................642 B Le tlgraphe ............................................................................................................................643 C La navigation vapeur .............................................................................................................643

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Introduction

Il peut sembler trange de commencer une tude sur les premires annes dexistence du Courrier des tats-Unis dans la premire moiti du XIXe sicle en sintressant aux derniers instants qui prcdent sa disparition la veille de la Seconde Guerre mondiale. Pourtant cest laune de la fin du Courrier, que nous pouvons mesurer rtrospectivement limportance et le caractre exceptionnel de ce journal franais de New York. Le premier constat que permet ce rapide regard sur les derniers moments de ce journal est celui de sa longvit. Son premier numro est publi le 1er mars 1828. La date exacte de la publication de son dernier numro ne nous est pas connue. Nanmoins, les derniers exemplaires conservs par la New York Public Library datent de la fin dcembre 1937. Aucun lment de leur contenu ne laisse entrevoir que le journal publie ses derniers numros. Pourtant, le Courrier des tats-Unis disparat subitement en janvier 1938, quelques semaines avant de fter ses cent dix ans. Cette longvit est exceptionnelle pour un journal francophone fond aux tats-Unis au XIXe sicle. Alors que la grande majorit des feuilles francophones des tats-Unis ne dpasse pas le seuil des cinq annes dexistence1, seul un dentre eux passe les cent ans : le Courrier des tats-Unis de New York. LAbeille de la Nouvelle-Orlans, autre grand titre de la presse francophone des tats-Unis, disparat en 1926 aprs quatre-vingt-dix-neuf annes dexistence2. Le Courrier et lAbeille font figure dexceptions. Le second constat li aux dernires annes du Courrier des tats-Unis tient limportance de ce journal pour les Franais de New York et, plus largement, des tatsUnis. Lorsque la sant du journal se fait chancelante dans les annes 1930, Andr Lefebvre de La Boulaye, ambassadeur de France Washington entre 1933 et 1937,

Par exemple, pour la presse canadienne-franaise aux tats-Unis, 80,68% des titres fonds au XIXe sicle ne dpassent pas les cinq ans. Cf. Grolleau-Fricard (Anthony), Le Qubec et le Canada dans la presse francophone tats-unienne au XIXe sicle, Mmoire de DEA en Histoire, sous la direction dAndr Kaspi, Universit de Paris 1, 2001, p. 117. 2 LAbeille est fonde en 1827 et disparat en 1926. Cf. Bezou (Jacques), Historique du journalisme dexpression franaise en Louisiane , La Gazette de la presse de langue franaise, mai-juin 1974, p. 9.

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tente de mobiliser la Chambre de Commerce franaise de New York3. Il change officiellement plusieurs lettres avec Pierre Cartier, le prsident de la Chambre de Commerce, et lui demande de bien vouloir offrir une aide financire au Courrier. Lambassadeur ajoute que le Ministre des Affaires trangres compte aussi sur le soutien de la Chambre4. La position de Pierre Cartier est clairement explique dans sa lettre lambassadeur date du 28 dcembre 19355. Il prcise que la Chambre de Commerce franaise de New York, charge de rassembler les entrepreneurs et investisseurs franais de la ville, de les soutenir dans leurs dmarches et de dfendre leurs intrts, na pas lhabitude de financer des socits en difficult. Il explique galement que le nouveau directeur du Courrier est un homme de peu de confiance. Il ne publie pas de bilan annuel ce qui incite peu de socits y insrer des annonces. Pierre Cartier pense dailleurs que le meilleur moyen de redonner une nouvelle sant au Courrier serait quil change de directeur. Le prsident de la Chambre de Commerce franaise de New York prcise tout de mme qu titre personnel sa prestigieuse entreprise de joaillerie, Cartier New York, a sign un contrat de publicit dun an avec le Courrier des tats-Unis alors quil sait quelle ne touchera pas sa clientle. Il renouvelle le contrat rgulirement puisque nous retrouvons ses encarts publicitaires dans le dernier numro en notre possession, celui du 25 dcembre 1937. Lintervention de lambassadeur et du Ministre des Affaires trangres, le soutien financier rgulier de Pierre Cartier alors quil ny a aucun intrt, illustrent la place bien particulire quoccupe le Courrier, plus ancien journal francophone et franais dAmrique du Nord, au sein de la communaut des Franais installs aux tats-Unis. Si le Courrier a pu vivre aussi longtemps, cest grce la pugnacit de ses premiers dirigeants qui ont su lui donner une place dans le milieu journalistique nordamricain mais galement un lectorat aux tats-Unis, au Bas-Canada6 et travers tout le3

Nous reprenons ici le nom utilis par lambassadeur pour dsigner la Chambre de Commerce franaise de New York. Fonde en 1896, elle est aussi appele Chambre de Commerce franco-amricaine. Cf. Chaubet (Franois), La politique culturelle franaise et la diplomatie de la langue : alliance franaise (1883-1940), Paris, LHarmattan, 2006, p. 104. 4 Archives du Ministre des Affaires trangres Nantes, Fonds Washington, Carton 742, lettre dAndr Lefebvre de La Boulaye, ambassadeur de France Washington Pierre Cartier, prsident de la Chambre de Commerce franaise de New York, 31 dcembre 1935. 5 Ibid., lettre de Pierre Cartier, prsident de la Chambre de Commerce franaise de New York Andr Lefebvre de La Boulaye, ambassadeur de France Washington, 28 dcembre 1935. 6 Le Bas-Canada est le nom donn un territoire correspondant peu prs lactuelle province de Qubec. Cette province du Bas-Canada est cre par lActe constitutionnel de 1791. Ce nom disparat lgalement en 1841 lors de la mise en place de lActe dUnion qui fusionne le Haut et le Bas-Canada. Le Bas-Canada devient alors le Canada-Est. Nanmoins, lappellation Bas-Canada continue tre utilise

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continent. La profession de foi du premier numro du Courrier des tats-Unis, le 1er mars 1828, permet de distinguer des lments qui servent de base au succs de ce journal. Son directeur fait un pari ; celui de publier avec succs New York un journal crit en franais : La rsolution est prise de faire une preuve assez longue pour sassurer si un journal publi dans la plus universelle de toutes les langues modernes ne sera pas accueilli avec empressement dans cette hmisphre, ne fut-ce par considrations des riches trsors offerts par une littrature laquelle aucune autre nest suprieure . 7 Le sous-titre du Courrier pose galement les deux principaux thmes que nous retrouverons rgulirement pendant ses vingt-trois premires annes. Il se veut un journal politique et littraire . En tant que journal politique, il se propose dinformer ses lecteurs sur les vnements amricains mais surtout franais. La profession de foi prcise : Larticle consacr la France occupera une place importante dans notre feuille. Nous y mentionnerons les actes de son gouvernement, les discussions de ses chambres, les dcisions de ses tribunaux. Nous y donnerons les nouvelles de Paris et de ses dpartements . Pour tout ce qui concerne lactualit politique, les rdacteurs du Courrier se fixent une ligne ditoriale bien particulire. Alors que les presses franaise et tatsunienne8 sont politiquement engages, le Courrier dclare sa neutralit : [] ils [les rdacteurs du Courrier des tats-Unis] carteront avec soin toute espce dexagration. Les effervescences de parti, les animosits personnelles seront galement bannies de leurs colonnes . Cette neutralit annonce ds mars 1828 revient constamment chaque changement de directeur et prend des formes diverses. Dans tous les cas, elle est

par tous les Canadiens franais aprs 1840. Nous emploierons le terme Bas-Canada pour dsigner la fois la province du Bas-Canada de 1791 1841 et le Canada-Est aprs 1841. Lorsque nous utiliserons lappellation province du Qubec, ou le Qubec, nous dsignerons le mme territoire mais aprs 1867 et la cration de la Confdration du Canada. 7 Courrier des tats-Unis, volume I, numro 1, 1er mars 1828. 8 Nous utiliserons ladjectif tats-unien pour dsigner tout ce qui se rapporte aux tats-Unis. Etant donn que notre sujet stend sur des aspects nord-amricains et plus continentaux, utiliser ladjectif amricain pour dsigner ce qui se rapporte aux tats-Unis pourrait crer le doute. De la mme manire, nous emploierons le mot tats-unien pour dsigner un citoyen des tats-Unis.

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difficile tenir et ds le premier numro le Courrier des tats-Unis se positionne politiquement : Les Rdacteurs du Courrier des tats-Unis professent hautement un attachement invariable la grande cause de la libert civile et religieuse sur toute ltendue du globe . Parler de libert civile et religieuse dans cette premire moiti du XIXe sicle, cest dj prendre parti et annoncer ses orientations librales. A part pour la priode 1848-1853, au dbut de laquelle Paul Arpin annonce ouvertement quil est rpublicain et quil compte bien publier un Courrier rpublicain, chaque nouveau directeur explique quil souhaite rester neutre. Nous le verrons, pour chacun dentre eux, il sagit dune neutralit de faade qui ne survit pas bien longtemps aux actualits europennes et amricaines. Pourtant, le Courrier sapprovisionne auprs de journaux dobdiences politiques diverses, de correspondants aussi bien lgitimistes que rpublicains ce qui rend plus difficile lidentification des ides politiques de ses rdacteurs. A partir de ces quatre lments qui le dfinissent journal franais, politique, littraire et qui se veut neutre le Courrier des tats-Unis simpose rapidement comme le principal organe de presse francophone du continent amricain. Il est le journal de la communaut franaise de New York mais il est galement lu dans les annes 1850 dans tous les tats-Unis : au Nord, comme au Sud, sur la cte Est comme sur la cte Ouest. Ds sa cration, il sest dot dun rseau dagents lintrieur comme lextrieur des frontires tats-uniennes. Grce cela, il couvre tout le continent amricain du Canada9 lArgentine. Dailleurs, le 9 aot 1843, lors dun sjour Montral, Frdric Gaillardet, le rdacteur en chef du Courrier des tats-Unis, dans un long discours, prsente le succs continental de son journal : [] jai le bonheur de pouvoir dire aujourdhui quil se trouve peu dhommes dorigine franaise, jets par le destin dans les villes et les villages les plus reculs du Nouveau Monde depuis le Canada jusquaux dernires cits des Antilles et de lAmrique du Sud, qui ne connaissent lexistence du Courrier des tats-Unis et qui napprennent par lui aimer la mre-patrie absente, la suivre

Nous emploierons le terme Canada pour dsigner les deux provinces du Haut et du Bas-Canada (soit une zone reprsentant peu prs les actuels territoires de lOntario et du Qubec). Aprs la mise en place de lActe dUnion en 1841, la fusion des deux Canada est appel Canada-Uni. En 1867, sajoutent cet ensemble les colonies anglaises de Nouvelle-cosse et du Nouveau-Brunswick pour former la Confdration du Canada.

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par la pense dans la carrire de gloire et de civilisation o la France est la tte du reste de lunivers 10.

Un journal entre les modles journalistiques franais et tats-uniens

Ce succs peut aussi tre chiffr. Au printemps 1840, le Courrier des tatsUnis, aprs une priode difficile qui a bien failli sceller son sort, compte plus de 2 200 abonns11. Quatorze ans plus tard, il dclare 16 500 abonns rpartis travers tout le continent12. A titre de comparaison, en 1850, le prestigieux Journal des dbats ne tire qu 12 000 exemplaires pour chacun de ses numros13. En 1845, le Journal des dbats arrive en troisime position des journaux franais. Le Sicle a alors un tirage de 34 966 exemplaires par numros, tandis que la Presse arrive en deuxime position avec 22 40914. Pour ce qui est de la presse francophone au Bas-Canada, un journal aussi important que la Minerve de Montral compte 1 300 abonns tandis que le tropisme des diteurs canadiens-franais est datteindre 2 000 abonns15. En termes de nombre dexemplaires tirs, dans les annes 1840 et 1850, le Courrier des tats-Unis est un des plus importants journaux francophones du monde. Compar la presse new-yorkaise, le nombre dabonns du Courrier est nettement moins impressionnant. En 1856, la version quotidienne de la Tribune de New York est tire 29 000 exemplaires, tandis que sa version hebdomadaire compte 163 000 abonns. A la mme date, ldition quotidienne du Herald est publie 57 840 exemplaires, tandis que le New York Times tire quotidiennement 42 000 et le Sun 50 00016. La particularit du Courrier des tats-Unis est dtre un journal franais publi aux tats-Unis. Il subit la fois linfluence du modle journalistique franais, o il

Le Courrier des tats-Unis, volume. XVI, numro 73, 17 aot 1843. Gaillardet (Frdric), LAristocratie en Amrique, Paris, E. Dentu Editeur, 1883, p. 120 et Courrier des tats-Unis, volume XVIII, numro 157, 26 fvrier 1846. 12 Ernst (Robert), Immigrant Life in New York City 1825-1863, Syracuse, Syracuse University Press, 1994, p. 156. 13 Saminadayar-Perrin (Corinne), Les discours du journal : Rhtorique et mdias au XIXe sicle (18361885), Saint-Etienne, Presses universitaires de Saint-Etienne, 2007, p. 130. 14 Ledr (Charles), La presse lassaut de la monarchie 1815-1848, Paris, Armand Colin, 1960, p. 244. 15 Laurence (Grard), Les journaux dans la Province de Qubec et au Bas-Canada , Fleming (Patricia), Gallichan (Gilles) et Lamonde (Yvan), Histoire du livre et de limprim au Canada, des dbuts 1840, Montral, Presses de lUniversit de Montral, 2004, p. 222. 16 Coggeshall (William Turner), The Newspaper Record, New York, Lay & Brother, 1856, p. 150.11

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puise les informations franaises et europennes, et le modle journalistique tats-unien au sein duquel il baigne. La presse franaise des annes 1820-1850 est essentiellement une presse engage politiquement. Chacun des titres appartient une obdience politique. Ainsi, le Journal des dbats est un journal de lopposition sous la Restauration, puis, aprs la Rvolution de 1830, il est clairement identifi comme un journal conservateur soutenant le gouvernement et la mouvance politique de la Rsistance17. La presse est le fer de lance du combat politique. Sous la Restauration, les feuilles ministrielles et les journaux de lopposition, qui tirent plus dexemplaires18, se livrent dincessantes joutes verbales. Ces derniers nhsitent pas attaquer les diffrents gouvernements ultras et conservateurs qui se succdent sous la Restauration et sous la Monarchie de Juillet. En consquence, ces deux rgimes promulguent rgulirement des lois qui visent limiter la libert de la presse afin de faire taire les journaux dopposition19. Les journaux franais subissent donc les attaques rptes de gouvernants qui veulent les contrler. La presse est au premier rang des Rvolutions de 1830 et de 1848. Parmi les ordonnances que promulgue Charles X le 25 juillet 1830 et qui donnent le signal des Trois Glorieuses, il en est une qui suspend la libert de la presse priodique en obligeant les journaux demander aux autorits une autorisation pralable pour toute publication20. Il sagit du rtablissement purement et simplement de la censure. La presse dopposition ragit vivement et, linstar du National dArmand Carrel, joue un rle clef dans les soulvements de juillet 1830 et ltablissement du nouveau rgime. Pourtant, sous la Monarchie de Juillet, la presse franaise connat une priode de transition. Elle se prpare passer de son rle de presse politique une presse de masse, rpondant une logique plus conomique. Le dveloppement du romanfeuilleton la fin des annes 1830, publi dans les journaux, popularise la littrature et largit le lectorat. Lise Dumasy, dans lintroduction de louvrage collectif sur le romanfeuilleton quelle a dirig, explique que les dcennies 1830 et 1840 voit lmergence dune presse dont le but nest plus uniquement de diffuser des ides, mais de faire des

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Ledr (Charles), op. cit., p. 254. Ledr (Charles), Histoire de la presse, Paris, Librairie Arthme Fayard, 1958, p. 190. 19 Ledr (Charles), La presse lassaut, op. cit., p. 236-241. 20 Ibid., p. 105.

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profits 21. Enfin, la Monarchie de Juillet voit la presse rgionale se dvelopper. AndrJean Tudesq parle mme de cette priode comme de lge dor de la presse rgionale22. Cela signifie que, malgr la censure, la presse voit sa diffusion saccrotre Paris mais galement en province. Entre 1830 et 1850, la presse aux tats-Unis est bien diffrente de la presse franaise. Tout dabord, la censure est totalement inexistante. Alexis de Tocqueville le note dans son ouvrage De la dmocratie en Amrique et constate que la presse y est un lment essentiel du fonctionnement du pays et de ltat. Il crit : La souverainet du peuple et la libert de la presse sont donc deux choses entirement corrlatives ; la censure et la vote universel sont au contraire deux choses qui se contredisent, et ne peuvent se rencontrer longtemps dans les institutions politiques dun mme peuple. Parmi les douze millions dhommes qui vivent sur le territoire des tats-Unis, il nen est pas un seul qui ait encore os proposer de restreindre la libert de la presse 23. La presse tats-unienne existe depuis le dbut du XVIIIe sicle. Le premier journal publi aux tats-Unis est la Boston News-Letter de John Campbell dont le premier numro est dat du 24 avril 170424. Aprs une croissance lente mais rgulire jusquau dbut du XIXe sicle, le nombre de journaux explose. Pendant la dcennie 1790, 70 journaux hebdomadaires sont publis pour treize bihebdomadaires et trihebdomadaires et huit quotidiens. Cinquante ans plus tard, pendant la dcennie 1840, les tats-Unis comptent 1 141 hebdomadaires, 125 bihebdomadaires et trihebdomadaires et 138 quotidiens25. Pour la priode 1800-1830, la croissance de la presse se fait en nombre de journaux mais pas en termes de tirage. Ainsi, en 1833, le Courier and Enquirer de New York, considr comme le plus grand journal du pays ne publie que 4 500 exemplaires par numros26. Pendant la priode 1830-1850, la presseDumasy (Lise) (sous dir.), La querelle du roman-feuilleton, littrature, presse et politique, un dbat prcurseur, 1836-1848, Grenoble, ditions littraires et linguistiques de l'Universit de Grenoble, 2000, p. 7. 22 Tudesq (Andr-Jean), La presse provinciale de 1814 1848 , Bellanger (Claude), Godechot (Jacques), Guiral (Pierre) et Terrou (Fernand), Histoire gnrale de la presse franaise, Paris, Presses universitaires de France, 1969, Tome II, p. 173. 23 De Tocqueville (Alexis), De la dmocratie en Amrique, Bruxelles, Hauman, Cattoir et Cie, 1837, Tome II, p. 111-112. 24 Lee (Alfred M.), The Daily Newspaper in America, The Evolution of a Social Instrument, New York, MacMillan Company, 1937, p. 15. 25 Ibid., p. 718. 26 Mott (Frank Luther), American Journalism, a History: 1690-1960, New York, The MacMillan Company, 1962, p. 202.21

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tats-unienne profite des progrs techniques permettant une meilleure circulation de linformation et une plus grande rapidit dimpression. Le tirage de journaux progresse alors rapidement jusqu atteindre les tirages que nous avons cit plus haut. Cette augmentation des tirages est due pour lessentiel au dveloppement de journaux vendus trs bas prix. Cest ce quon appelle la penny press. Il sagit de journaux publis gnralement quotidiennement et vendus un prix dfiant toute concurrence : un penny cest--dire un cent lexemplaire. Dabord dveloppe Boston27, la penny press connat un premier succs avec le Sun de New York. Son premier numro est publi le 3 septembre 1833. Aprs seulement cinq mois dexistence, le Sun atteint un tirage de 5 000 exemplaires quotidiens28. Lhistorien Frederic Hudson fait des annes 1832-1835 une priode de transition qui change totalement le visage de la presse tats-unienne29. Il parle mme de rvolution : le format change et devient plus petit, la gestion de lespace de chaque page se modifie et se rationnalise, la relation linformation volue et la presse indpendante des partis se dveloppe et surtout la penny press apparat. Cette dernire se gnralise rapidement. Le Sun est vite imit. Trs rapidement, les plus grands titres de la presse tats-unienne sont des journaux un cent : le Herald de New York, fond par James Gordon Bennett en mai 183530, le Daily Times de Boston, cr en 183631, le Public Ledger de Philadelphie qui sort son premier numro en mars 183632. La baisse du prix de vente des exemplaires provoque une augmentation du nombre de lecteurs. Cela change compltement la relation linformation. Ainsi, les journaux doivent sadapter leurs nouveaux lecteurs et, pour ce faire, leurs diteurs augmentent la place accorde aux nouvelles locales, recherchent plus les nouvelles caractre sensationnel comme les faits divers o les affaires de murs et le crime sont prsents. Les journaux ouvrent galement leurs colonnes des histoires personnelles, des portraits de gens du commun33. La plupart des journaux sont installs dans les tats du Nord-Est du pays : Nouvelle-Angleterre, New York, New Jersey, Pennsylvanie. En 1840, 50% des

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Mott (Frank Luther), op. cit., p. 216. Ibid., p. 222. 29 Hudson (Frederic), Journalism in the United States from 1690 to 1872, New York, J. & J. Harper Editions, 1969, p. 408. 30 Mott (Frank Luther), op. cit., p. 229. 31 Ibid., p. 238. 32 Ibid., p. 239. 33 Ibid., p. 243.

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quotidiens y sont publis34. Cette presse est galement la plus diffuse dans tout le pays. Richard B. Kielbowicz, dans son ouvrage News in the Mail, explique que dans les annes 1830 et 1840, le transport de journaux par la poste occupe la plus grande part des transports de courrier et que le transport depuis les tats du Nord-Est destination des tats du Sud et de lOuest est de loin le plus important35. Pourtant, il nexiste pas de titres nationaux. Chaque journal est dabord local, traite des actualits nationales et internationales et est ensuite distribu travers tout le pays. Un autre lment particulier de la presse tats-unienne est lexistence dune presse communautaire, dite aussi ethnique, publiant des journaux en langue trangre. Le premier journal publi en langue trangre aux tats-Unis est un journal franais et francophone. Il sagit de la Gazette franaise publie en 1780, sur les presses de la flotte franaise Newport dans le Rhode Island36. Larrive aux tats-Unis de Franais fuyant la Rvolution de 1789 et de Croles francophones fuyant la Rvolution des Noirs hatiens a pour consquence que durant la dcennie 1790 la seule presse de langue trangre dans le pays est franaise. Dans la premire moiti du XIXe sicle, le dveloppement de la presse tats-unienne de langue trangre dpend de limmigration. Ainsi, alors que limmigration passe de 538 381 personnes en 1830-1839 1 427 337 pour la dcennie 1840-1849, il existe 45 journaux en langue trangre en 1839 et 158 en 185037. La part des journaux allemands est prpondrante. En 1839, ils reprsentent 84,4% des journaux en langue trangre publis aux tats-Unis et 84,2% en 185038. Si la presse francophone joue un rle de prcurseur de la presse communautaire aux tats-Unis, elle continue de se dvelopper pendant toute la premire moiti du XIXe sicle. Sur la priode 1830-1850, on peut distinguer trois types de journaux. Cest en Louisiane, tat dans lequel se concentre la plus importante population francophone des tats-Unis, quon trouve le plus grand nombre de journaux francophones et les plus dynamiques dentre eux. Entre 1830 et 1839, dix-neuf titres y sont publis, dont quinze la Nouvelle-Orlans. Pour la dcennie suivante, le nombre de journaux francophones publis monte 50, dont 33 la Nouvelle-Orlans. Aprs 1850, ce chiffre dcrot

Lee (Alfred M.), op. cit., p. 715-717. Kielbowicz (Richard B.), News in the Mail: the Press, Post Office and Public Information, 1700-1860s, New York, Greenwood Press, 1989, p. 71. 36 Perrault (R. B.), Survol de la presse franco-amricaine , Quintal (Claire) (sous dir.), Le journalisme de langue franaise aux tats-Unis, Qubec, Conseil de la Vie franaise en Amrique, 1984, p. 9. 37 Lee (Alfred M.), op. cit., p. 88. 38 Ibid., p. 735.35

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rgulirement39. Le second groupe des journaux francophones est constitu par la presse canadienne-franaise publie par des immigrants canadiens-franais qui sinstallent dans la rgion des Grands-Lacs et en Nouvelle-Angleterre. Le nombre de journaux canadiens-franais aux tats-Unis augmente surtout aprs 1860, lorsque le nombre dimmigrants sinstallant en Nouvelle-Angleterre est en pleine croissance. Entre 1830 et 1839, seulement quatre journaux sont fonds. Il sagit de quatre titres publis dans le Vermont par des membres du Parti patriote du Bas-Canada en exil. Pour la priode 1840-1849, il nexiste quun seul journal canadien-franais publi aux tats-Unis, lAmi de la jeunesse de Detroit40. Enfin le dernier groupe est celui des journaux francophones qui ne sont pas publis en Louisiane et qui ne sont pas canadiens-franais. Ils sont peu nombreux. Le Courrier des tats-Unis en cite quelques-uns comme la Revue franaise41, lEstafette42, lElecteur43, lIndicateur44, lIris, album des salons45, tous les cinq publis New York, le Littrateur de Boston46, ou encore le Rveil de SaintLouis47. Peu nombreux, peu connus, ces journaux semblent tre pour la plupart dits par des Croles ayant fui la Rvolution hatienne ou des Franais. Ds lors, entre 1830 et 1850, le plus important et dynamique centre de la presse francophone aux tats-Unis est la Louisiane. Cette situation souligne la particularit de lexistence et du succs du Courrier des tats-Unis New York, en dehors du bastion francophone quest la Louisiane.

1830-1850, un monde en plein changement

Pendant les premires vingt-trois annes dexistence du Courrier des tatsUnis, les presses franaise et tats-unienne ne sont pas les seules subir des modifications importantes dans leurs mthodes de production, leur lectorat et leur rle politique. Elles sont limage dun monde qui connat alors dincroyables changements techniques, politiques, conomiques et sociaux.39 40

Grolleau-Fricard (Anthony), op. cit., p. 114 et 118. Ibid., p. 104 et 114. 41 Courrier des tats-Unis, volume IX, numro 54, 3 septembre 1836. 42 Courrier des tats-Unis, volume XI, numro 92, 19 janvier 1839. 43 Courrier des tats-Unis, volume XII, numro 13, 13 avril 1839. 44 Courrier des tats-Unis, volume XIII, numro 3, 7 mars 1840. 45 Courrier des tats-Unis, volume XXIII, numro 30, 4 novembre 1848. 46 Courrier des tats-Unis, volume IX, numro 70, 29 octobre 1836. 47 Courrier des tats-Unis, volume XVII, numro 64, 25 juillet 1844.

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La France, les tats-Unis et le Canada, sont les trois pays auxquels le Courrier attache une importance particulire. La France est le pays dorigine de ses directeurs et de ses rdacteurs, mais aussi de la plupart de ses lecteurs. Elle est le sujet principal de ce journal. Les tats-Unis sont le pays daccueil o le Courrier est imprim, diffus. Enfin le Canada est une entit ne pas ngliger qui compte la population francophone la plus importante de lAmrique du Nord48, la plus revendicatrice de ses droits et de sa culture, concentre sur un territoire, le Bas-Canada, quelle occupe depuis le XVIIe sicle et quelle sest approprie. Sur ce territoire, la population canadienne-franaise a d sadapter une nouvelle situation aprs la cession lAngleterre en 176349. Le Courrier a des lecteurs au Bas-Canada et un de ses directeurs, Frdric Gaillardet, y fait un court voyage lt 1843 pendant lequel il reoit un accueil chaleureux de la part des hommes politiques locaux. Or, la France, les tats-Unis et le Canada sont au cur des bouleversements mondiaux de la priode 1830-1850. Pour ce qui est de la France, entre 1830 et 1850, la situation politique est des plus instables. Durant ces vingt annes, elle connat deux rvolutions russies, trois rgimes diffrents et de nombreuses insurrections rprimes Lyon et Paris. Ces trois rgimes portent au pouvoir des hommes, des principes politiques et des rseaux daffaires diffrents. Entre le rgne de Charles X et les dbuts de la deuxime Rpublique, il existe une incommensurable opposition de valeurs et de visions de la France. Sous la Restauration, rpublicains et bonapartistes sont pour la plupart des parias, des ennemis du rgime qui se regroupent en socits et en rseaux secrets dont le but est le renversement du rgime. Charles X, quant lui, reprsente la raction, le retour une monarchie de droit divin, un rgime plus autoritaire qui musle la presse ; ce qui provoque dailleurs sa chute en 183050. Il sappuie sur des factions politiques qui, pour certaines, sont encore plus ractionnaires que lui comme les ultras, plus royalistes que le roi, ou les chevaliers de la foi51. Aprs la Rvolution de Juillet 1830, LouisPhilippe lui succde la tte dune monarchie constitutionnelle, compromis entre la monarchie absolue et les principes de la Rvolution de 1789. Cest lpoque de lorlanisme, lre de la bourgeoisie et de ses gardes nationaux, symboles et garants duEn 1840, le Bas-Canada compte 650 000 habitants, en grande majorit des Canadiens franais. Cf. Lamonde (Yvan), Histoire sociale des ides au Qubec 1760-1896, Montral, Fides, 2000, p. 283. 49 Cf. Lamonde (Yvan) et Bouchard (Grard) (sous dir.), Qubcois et amricains, la culture qubcoise aux XIXe et XXe sicles, Montral, Fides, 1995. 50 Ledr (Charles), La presse lassaut, op. cit., p. 105. 51 Tulard (Jean), Les rvolutions de 1789 1851, Paris, Fayard, 1985, p. 361.48

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contrat entre le roi et les Franais52. Mais cela ne suffit pas. La crise conomique qui dure depuis 1847, une politique trangre mal perue, un roi de plus en plus autoritaire, un Guizot honni par bon nombre et des scandales politiques divers en 1847 ont tt fait de discrditer le rgime et de conduire la France vers la rvolution de fvrier 184853. la monarchie bourgeoise succde la Rpublique. Dabord ouverte de nombreux principes gnreux, elle est vite rcupre par les tenants de lordre et la bourgeoisie. Elle finit entre les mains du prince-prsident Louis-Napolon Bonaparte. Son coup dtat du 2 dcembre 1851 sonne alors le glas dune deuxime Rpublique dj moribonde54. Un an plus tard, le prince-prsident devient empereur des Franais sous le nom de Napolon III. Les grandes lignes de lhistoire de la France entre 1830 et 1850 ne doivent pas faire oublier les scandales et les crises politiques, les dbats de socit qui agitent son cours tortueux. En matire de politique internationale, la France se relve des consquences de la priode napolonienne. Malgr la position de la Rsistance, mouvance politique au pouvoir sur pratiquement toute la priode, prnant la paix tout prix, la France simplique dans les grands dossiers internationaux, comme la question dOrient dont les remous agitent les diplomaties europennes entre 1830 et 1840 sur fonds de lutte de pouvoirs entre lEmpire ottoman et lgypte de Mhmet Ali. Sur la priode 1830-1850, la France poursuit la conqute de lAlgrie dbute en mai 1830 sous Charles X par la prise dAlger55. Elle se rapproche galement de lautre monarchie constitutionnelle dEurope occidentale : lAngleterre. Malgr quelques tensions au moment de la question dOrient, les relations entre ces deux pays aboutissent un accord tacite, entre Guizot et le Premier ministre Aberdeen, baptis lEntente cordiale56. En ce qui concerne ses relations avec les tats-Unis, celles-ci connaissent dimportantes difficults qui auraient pu conduire la guerre pendant la dcennie 1830. Washington rclame la France des indemnits pour la confiscation de navires tats-uniens et de leurs cargaisons par les autorits franaises sous lEmpire. Ces saisies qui touchent 558 navires tats-uniens entre 1807 et 1812 sont la consquence du blocus continental mis en place par

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Rmond (Ren), Les droites en France, Paris, Aubier, 1982, p. 89-93. Tulard (Jean), op. cit., p. 447-458. 54 Agulhon (Maurice), Coup dtat et rpublique, Paris, Presses de Sciences Po, 1997, p. 53-55. 55 Tulard (Jean), op. cit., p. 449-451. 56 Ibid., p. 451.

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Napolon57. Aprs de longues ngociations qui stendent sur lensemble de la Restauration et les dbuts de la Monarchie de Juillet, un accord est sign le 4 juillet 1831 dans lequel la France sengage payer une indemnit de 25 millions58. Pourtant, celle-ci trane faire entriner le trait par la Chambre des dputs, qui finalement le refuse plus de deux ans plus tard au printemps 1834. Cette situation entrane non seulement la colre du prsident Jackson en dcembre 1834 mais surtout une crise diplomatique entre les deux pays qui met mal leurs relations jusquau printemps 1836. De plus, entre 1830 et 1850, la France intervient en Amrique latine. Pendant les vingtpremires annes qui suivent lindpendance en 1821, les relations avec le Mexique sont difficiles cause de la question de la scurit des ressortissants franais installs sur place. Leurs biens sont rgulirement attaqus et pills, ce qui entrane des discussions dlicates avec les autorits mexicaines afin quils soient ddommags. A cela sajoute le refus du gouvernement mexicain de signer un trait commercial avec la France. En 1838, cette situation se solde par une intervention militaire franaise dans la baie de Veracruz ainsi que par le blocus des ctes mexicaines59. Entre mars 1838 et octobre 1840, la France met en place un autre blocus contre un pays dAmrique latine. Cette fois, il sagit de lArgentine. Les raisons sont les mmes que pour lintervention au Mexique : dfense des droits des ressortissants franais vivant sur place et volont de forcer lArgentine signer des accords commerciaux60. Aprs 1840, la situation reste tendue entre la France et lArgentine, si bien quen 1845 la France bloque une nouvelle fois le Rio de la Plata mais cette fois avec lAngleterre61. Socialement, entre 1830 et 1850, la France est marque par la prise de pouvoir de la bourgeoisie. Elle se fond avec le rgime de la Monarchie de Juillet et se maintient malgr les insurrections et la rvolution de fvrier 184862. Le dveloppement de lindustrie, du commerce, des banques donne cette classe une position prdominante

Rmond (Ren), Les tats-Unis devant lopinion franaise, 1815-1852, Paris, Armand Colin, 1962, Tome II, p. 780. 58 Ibid., p. 783. 59 Dugast (Guy-Alain), La tentation mexicaine en France au XIXe sicle : l'image du Mexique et l'intervention franaise (1821-1862), Paris, LHarmattan, 2008, Tome 1, p. 64-65. 60 Depeyre (Michel), Une dmonstration navale franaise, Buenos Aires (1838) , Buchet (Christian) et Verg-Franceschi (Michel) (sous dir.), La mer, la France et lAmrique latine, Paris, Presses universitaires Paris- Sorbonne, 2006, p. 83. 61 Ibid., p. 88. 62 Rmond (Ren), Les droites op. cit., p. 89-93.

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dans la socit et dans ltat63. Bien sr, la bourgeoisie ne forme pas un corps homogne et est compose aussi bien de modestes commerants que de riches financiers ou industriels comme Laffitte ou les De Wendel. 1830 sonne le recul de laristocratie, de cette vieille noblesse ractionnaire, lgitimiste qui souhaite dans la restauration le retour complet de lAncien Rgime64. Elle tient la premire place sous Louis XVIII et sous Charles X, occupant la majorit des postes militaires, gouvernementaux, administratifs. Sous la Monarchie de Juillet, laristocratie doit cder le pas la bourgeoisie triomphante. Elle entre dans lopposition et tente parfois, comme en 1832 avec la rvolte de la Vende mene par la duchesse de Berry, de renverser le rgime65. Dans la premire moiti du XIXe sicle, une nouvelle classe merge, plus revendicatrice, ayant de nombreux liens avec les rpublicains : les ouvriers. Ce sont eux qui prennent les armes et dressent des barricades en juillet 1830, en juin 1832 lors des funrailles du gnral Lamarque, mais galement Lyon en 1831 et en 1834. Ce sont galement eux qui, aprs avoir particip aux journes de fvrier 1848, sont chargs par la troupe de Cavaignac, arrts et dports en Algrie en juin de la mme anne. Ils subissent les premiers les effets des crises conomiques comme en 1825 et en 1847, qui ont pour consquence lacclration de la mcanisation de lindustrie, la baisse des salaires et la une hausse du chmage66. Cette prise de conscience de classe se fait sur fond de bouillonnement intellectuel. Diffrentes thories sociales sont dveloppes par Saint-Simon, Jean Charles Lonard Sismondi, Charles Fourier, Etienne Cabet, Philippe Buchez et Louis Blanc. Enfin, en fvrier 1848, Karl Marx publie le Manifeste du Parti communiste67. conomiquement, la France connat galement des changements.

Lindustrialisation et la mcanisation grce la machine vapeur se dveloppent. Nanmoins, le chemin fer connat un essor tout relatif puisquen 1848 il ny a que 1 900 km de voies ferres en exploitation68. Le systme bancaire se dveloppe galement. A ct des grandes banques ne traitant quavec laristocratie et la grande bourgeoisie, apparaissent des banques dpartementales, des tablissements plus petits ouverts la63

Ponteil, (Flix), Les classes bourgeoises et lavnement de la dmocratie, Paris, Albin Michel, 1968, p. 159-186. 64 Rmond (Ren), Les droites op. cit., p. 46-71. 65 Ibid., p. 72-83. 66 Tulard (Jean), op. cit., p. 421. 67 Ibid., p. 428-433. 68 Ibid., p. 403.

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moyenne et la petite bourgeoisie, comme la Caisse gnrale du Commerce et de lIndustrie de Laffitte. Pendant la priode 1830-1850, nous assistons dmocratisation du crdit qui permet de dynamiser lconomie et dy intgrer des Franais aux revenus plus modestes. Le poids du milieu des banques est important. Dailleurs, deux prsidents du conseil de la Monarchie de Juillet, Lafitte et Casimir-Perier, sont tous les deux issus de la Banque69. Nanmoins, la France connat plusieurs crises boursires, comme celle de 184570, et des crises conomiques majeures en 1828-1831, 1839-1840 et en 1847-184871 qui crent un climat dagitation favorable aux journes de fvrier et cristallisent les tensions autour des Ateliers nationaux en juin 1848. Limage de la France pendant toute la priode 1848-1851 est celle dune agitation et dune instabilit politiques qui contrastent avec limmobilisme social et la lenteur des changements conomiques. Ce sont toutes les facettes de cette France que retranscrit et commente dans ses colonnes le Courrier des tats-Unis. Lactualit franaise y occupe une place primordiale, au dtriment des vnements qui se passent ailleurs en Europe. Politiquement, les tats-Unis, quant eux, semblent aux antipodes de la France : pas dagitation, pas dinsurrection, pas de changement de rgime. La constitution et les lections semblent suffire assurer la prennit du systme malgr tout un ensemble de bouleversements dordres conomiques, sociaux, culturels, politiques et mme gographiques. Le pays connat des changements profonds qui mettent en mouvement dimportantes forces centrifuges. La principale dentre elles, querelle larve, endmique, qui conduira la Guerre de Scession, concerne la question de lesclavage dans les tats du Sud. Lopposition entre le Nord et le Sud est de plus en plus prsente et envahit rgulirement le dbat politique. La question du Tarif douanier de 183272, lannexion de nouveaux territoires en 1849-185073 rebondissent constamment sur la question de lesclavage et exacerbe les passions. Si une politique de compromis permet souvent de sortir de ces crises, elle est incapable de rsorber le foss qui se creuse inluctablement entre le Nord et le Sud. Sur la question de lesclavage, se greffe lopposition entre le pouvoir fdral et lautonomie des tats, leur libert lgifrer

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Ponteil (Flix), op. cit., p. 159-186. Ibid., p. 186. 71 Broder (Albert), L'conomie franaise au XIXe sicle, Paris, Ophrys, 2000, p. 24-25. 72 Vincent (Bernard), Histoire des tats-Unis, Paris, Flammarion, 1997, p. 124. 73 Ibid., p. 121.

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pour leur propre territoire. En 1832-1833, la Caroline du Sud prend la tte dun mouvement dopposition au Tarif de 1832. John C. Calhoun pose alors le principe de la nullification qui dveloppe lide de la souverainet des tats. Selon lui, un tat peut refuser dappliquer une loi fdrale quil jugerait contraire ses intrts74. Du refus dappliquer une loi au rejet de lUnion, de la souverainet la scession il ny a quun pas. Comme le prcise Andr Kaspi dans son livre Les Amricains, le nationalisme et le sectionnalisme cest--dire les grands ensembles rgionaux que sont le Nord, le Sud et lOuest- sopposent pendant tout le XIXe sicle prcdant la Guerre de Scession75. Une autre de ces forces centrifuges, qui marque les tats-Unis de la priode 1830-1850, est le retour du systme des partis. Aprs la Seconde Guerre dIndpendance en 1815, avec la disparition du Parti fdraliste dAlexander Hamilton et de John Adams, le premier systme des partis que connat le pays prend fin. Commence alors ce que les historiens appellent lre des bons sentiments, sans partis politiques organiss. Les lections prsidentielles de 1824 et de 1828 marquent par le retour du systme des partis. Le Parti dmocrate et le Parti whig consolident leurs assises et leur discours pendant toute la dcennie 1830. Ces partis sont nationaux et sont prsents dans tous les tats. Ils rassemblent des courants et des personnes opposs et forment un des ciments du pays76. Ils sont galement lorigine de violents affrontements et de scandales lectoraux. Leur opposition se fixe sur des dbats de socit importants comme la question du renouvellement de la charte de la seconde Banque des tats-Unis pendant la dcennie 1830. Cette question illustre lopposition entre dun ct les banques et le milieu des affaires et de lautre le modle agricole des propritaires terriens grands et petits. Le discours des dmocrates de Jefferson jusqu Jackson est fortement marqu par cette dichotomie. Ils associent le capitalisme commercial la corruption et lEurope. Ils le dnoncent et lui opposent le modle fondateur de la dmocratie tats-unienne base sur des petits propritaires terriens, vertueux, qui sont les garants du fonctionnement du systme. Les dmocrates vont jusqu faire du milieu des affaires la nouvelle aristocratie nord-amricaine. Ils la combattent autant quils le peuvent en prnant des mesures conomiques favorisant la croissance de lagriculture. Ce discours dont la vigueur diminue aprs Andrew JacksonIbid., p. 124. Kaspi (Andr), Les Amricains, I. Naissance et essor des tats-Unis 1607-1945, Paris, Seuil, 1986, p. 166-1700. 76 Fohlen (Claude), Heffer (Jean) et Weil (Franois), Canada et tats-Unis depuis 1770, Paris, PUF, 1997, p. 138-149.75 74

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perdure tout de mme pendant toute la priode 1830-185077. La critique du milieu des affaires et des industriels sinscrit galement dans les tensions Nord-Sud. John C. Calhoun ou George Fitzhugh popularisent lide que lindustrie du Nord repose sur un systme dexploitation de lhomme, hypocrite, qui, finalement, reproduit un esclavagisme dguis78. La priode 1830-1850 voit le nombre dimmigrants arrivant aux tats-Unis augmenter fortement. Si entre 1810 et 1820, ce sont au total 114 000 Europens qui arrivent aux tats-Unis, aprs 1832, ils sont en moyenne 60 000 par an. Et aprs 1842, le phnomne sacclre puisquil arrive aux tats-Unis plus de 100 000 immigrants par an pour atteindre 400 000 au dbut des annes 185079. Cette arrive massive ne se fait pas sans bouleversements ni sans heurts. Les immigrants prfrent sinstaller dans les villes qui deviennent des lieux de tensions avec les nativistes et, plus tard dans les annes 1850, les know-nothings. A New York, principal port darrive des immigrants, 50% de la population est compose de personnes nes ltranger80. Ces tensions se chargent galement de haines religieuses, de nombreux immigrants allemands ou irlandais tant catholiques. Des affrontements sanglants ont rgulirement lieu entre nativistes et immigrants comme cest le cas Philadelphie et New York en mai 184481. Durant la premire moiti du XIXe sicle les tats-Unis achvent galement la conqute de nouveaux territoires vers lOuest. A la fin de la dcennie 1840, la cte pacifique est atteinte et la Californie devient le 31me tats de lUnion en 1850. Les nouveaux territoires ravivent les tensions lies la question de lesclavage. Leur entre dans lUnion menace de rompre lquilibre entre tats esclavagistes et tats du Nord non esclavagistes82. En 1820, lors de lentre du Missouri et du Maine dans lUnion, un compromis est trouv aprs de longs dbats au Congrs. Le Missouri devient un tat

Harvey (Louis-Georges), Le mouvement patriote comme projet de rupture (1805-1837) , Lamonde (Yvan) et Bouchard (Grard) (sous dir.), Qubcois et amricains, la culture qubcoise aux XIXe et XXe sicles, Montral, Fides, 1995, p. 99 et 103. 78 Kaspi (Andr), op. cit., p. 160. 79 Ibid., p. 134. 80 Ibid., p. 135. 81 Wallace (Michael) et Burrows (Edwin), Gotham: A History of New York City to 1898, Oxford University Press, 2000, p. 633. 82 Kaspi (Andr), op. cit., p. 146.

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esclavagiste tandis que le Maine interdit lesclavage83. Un nouveau compromis est ncessaire en 1850 aprs la conqute de nouveaux territoires sur le Mexique84. A linstar de la France, entre 1830 et 1850, les tats-Unis connaissent deux crises conomiques majeures en 1837 et en 1839-1843. Pourtant, le dveloppement du pays se poursuit. Le secteur industriel passe de 29% de la part de la valeur ajoute dans la production de biens en 1839 39% en 1849. Lagriculture, quant elle, reste le secteur le plus important de lconomie tats-unienne. Elle reprsente 66% la part de la valeur ajoute dans la production de biens en 1839 et 57% en 184985.Sous leffet de limmigration, le pays surbanise et de grands ples urbains se constituent New York, Philadelphie, Baltimore et Boston86. Les moyens de communication connaissent un incroyable dveloppement grce la vapeur. Le canal ri entre Albany et Buffalo est inaugur en 1825. Dautres canaux sont creuss par la suite, si bien quen 1850 les tats-Unis comptent 6 000 kilomtres de canaux. Le chemin de fer simpose rapidement dans le pays. En 1839, les tats-Unis ont construit 5 000 kilomtres de voies ferres. En 1849, ce nombre a plus que doubl : il atteint 12 000 kilomtres87. Au milieu de tous ces dveloppements, de toutes ces oppositions, le Courrier des tats-Unis trouve une place particulire. Son sige est install New York, capitale conomique du pays, principal port darrive des immigrants. Ses lecteurs sont rpartis partout sur le continent, au Canada comme au Mexique mais aussi aux tats-Unis. On trouve parmi eux des commerants de New York ou de Philadelphie tout comme des planteurs de Louisiane. De plus, ltat de New York est un tat du Nord, sans esclaves, alors que, comme nous le verrons, le Courrier est un journal tendance esclavagiste qui attaque rgulirement les abolitionnistes. La priode 1830 et 1850 est tout aussi importante pour le Bas-Canada que pour la France et les tats-Unis. Si aprs la Constitution de 1791, qui octroie une chambre basse lue par un suffrage censitaire trs large, llite canadienne-franaise fait preuve dun profond loyalisme et dune grande confiance lgard de la mtropole, il nen reste pas moins que les conflits latents entre cette lite et loligarchie compose des marchands et des fonctionnaires anglophones sont nombreux. Les annes 1820 posent83

Dangerfield (George), The Awakening of American Nationalism 1815-1828, New York, Harper & Row, 1965, p. 97-140. 84 Vincent (Bernard), op. cit., p. 121. 85 Ibid., p. 106-109. 86 Kaspi (Andr), op. cit., p. 135. 87 Ibid., p. 137.

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les tensions de la dcennie suivante. Elles voient le loyalisme canadien-franais seffriter. Certes, lglise et les Seigneurs restent toujours des soutiens inbranlables du rgime, mais llite canadienne-franaise commence douter88. En 1822 et en 1824, deux projets dunion du Haut et du Bas-Canada, dont lobjectif est clairement de mettre en minorit les francophones la chambre, sment le trouble dans les rangs des lus canadiens-franais89. Les affrontements sur le contrle de la liste civile c'est--dire les dpenses du gouverneur par la Chambre dassemble, sur la responsabilit du gouvernement, sur llectivit du Conseil lgislatif chambre haute nomme par le gouverneur se poursuivent sans que la mtropole napporte de rponses favorables aux demandes des Canadiens-franais. Le changement de nom du Parti canadien en Parti patriote en 1826 est symptomatique du changement dattitude des Canadiens franais. Comme la expliqu Louis-Georges Harvey, cette modification des termes raccroche les lus canadiens-franais une tradition plus amricaine de rupture avec lEurope. Ils deviennent des patriotes comme les tats-uniens lont t la fin du sicle prcdent. Des organisations nommes les Fils de la libert se crent durant les annes 1830 et ne sont pas sans rappeler les Sons of Liberty organiss par leurs voisins du Sud au moment de la guerre dIndpendance. De plus, le discours politique des patriotes opposant la corruption, identifie comme tant le fait de loligarchie des marchands anglais dtenant les pouvoirs financiers, la vertu des propritaires terriens qui forment la majorit de llectorat du Parti patriote, reprend pour beaucoup des lments du discours des dmocrates de Jackson90. Si les positions se radicalisent, il nen reste pas moins que les patriotes sappuient toujours sur une lgitimit lectorale. Lassiette du cens est assez large pour permettre lensemble des hommes de plus de 21 ans de voter. Ainsi, sopposent dans les esprits une oligarchie anglophone et un mouvement plus dmocratique, revendiquant lapplication complte du systme politique anglais. La dcennie 1830 est marque par laccentuation de la crise qui couvait dans les annes 1820 et surtout la rupture entre les patriotes et la mtropole anglaise. En fvrier 1834, la Chambre dassemble vote les 92 Rsolutions, texte lattention des autorits impriales anglaises, qui rsument toutes les revendications et toutes les difficults de la colonie du Bas-Canada91. La rponse de Londres arrive tardivement88 89

Lamonde (Yvan), Histoire sociale des ides au Qubec 1760-1896, Montral, Fides, 2000, p. 95-98. Ibid., p. 91-95. 90 Harvey (Louis-Georges), op. cit., pp. 98-107 91 Lamonde (Yvan), op. cit., pp. 122-125.

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sous la forme des rsolutions Russell, votes en mars 1837. Cest un non catgorique toutes les demandes des Canadiens franais92. Entre 1834 et 1837, sous leffet du silence de la mtropole et de lenvoi de la controverse commission Gosford, la situation dans la colonie continue de se dgrader93. Il nen faut pas plus pour entraner la colonie vers la rvolte. En novembre et dcembre 1837, le mouvement patriote prend les armes, mais il ne peut rsister aux troupes loyalistes. En novembre 1838, de nouveaux affrontements se soldent par une nouvelle dfaite. La consquence principale est la mise en place de lUnion entre les colonies du Haut et du Bas-Canada en fvrier 1841. Le nouvel ensemble prend le nom de Canada-Uni et a pour objectif de mettre en minorit les francophones la Chambre dassemble94. Mais cest sans compter sur les libraux anglophones du Haut-Canada et les nouveaux chefs de file des Canadiens franais qui sentendent pour demander la mise en place du gouvernement responsable. De son ct, lglise sort renforce de lchec des patriotes. Au milieu de la tempte, elle est reste fidle aux autorits coloniales, condamnant les rvolts. Cette fidlit lui donne du crdit auprs des Canadiens franais et auprs des autorits. Elle devient donc un acteur central et puissant qui ne cesse de prendre toujours plus de place dans la vie des Canadiens franais et dans la vie politique du Bas-Canada95. A dbut des annes 1840, Louis-Hyppolite LaFontaine saffirme comme le principal chef politique canadien-franais. Il est la tte dun mouvement qui dnonce la violence des rbellions de 1837 et de 1838. Son discours est plus favorable la mtropole et aux autorits coloniales. Il fait de lUnion des deux Canada une planche de salut quil faut saisir pour maintenir la culture, la langue et la religion des Canadiens franais. Il incarne un courant rformiste modr qui prne un nationalisme de conservation96. Dans la seconde moiti des annes 1840, un groupe dhommes plus jeunes, hritier du radicalisme des patriotes de 1837 et 1838, sorganise autour du journal lAvenir. Ils sont surnomms les rouges et portent des valeurs plus dmocratiques, revendicatrices et anticlricales. Entre 1849 et 1850, ils prchent, plus par dpit que par conviction, lannexion aux tats-Unis.

Ibid., p. 226-230. Lahaise (Robert) et Vallerand (Nol), Le Qubec sous le rgime anglais 1760-1867, Montral, Lanctt Editeur, 1999, p. 159-164. 94 Ibid., p. 192-194. 95 Lamonde (Yvan), op. cit., pp. 289-292. 96 Roy (Fernande), Histoire des idologies au Qubec aux XIXe et XXe sicles, Montral, Boral Express, 1993, p. 30-33.93

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L encore, la position gographique du Courrier des tats-Unis fait de lui un observateur privilgi des vnements canadiens et bas-canadiens. Il est alors le seul journal franais avoir directement accs la presse francophone du Bas-Canada et lutiliser pour comprendre la situation locale. Comme la expliqu Franoise Le Jeune, lors des rbellions des patriotes en 1837 et 1838, lensemble de la presse franaise de France salimente en information et se forge une opinion uniquement au travers de la presse mtropolitaine anglaise, ayant souvent une position peu favorable aux Canadiens franais97. Le Courrier, au contraire, prend ses sources directement au Bas-Canada. Il publie notamment les lettres dun correspondant de choix : Pierre-Joseph-Olivier Chauveau98, un avocat et homme politique de premier plan. De plus, comme la dmontr Louis-Georges Harvey, la distribution du Courrier des tats-Unis au Canada, la primeur de ses informations franaises, sa lecture franaise de lactualit canadiennefranaise et de lactualit amricaine, lui donnent un poids non ngligeable sur les constructions intellectuelles des lites canadiennes-franaises99. La France, la Canada et les tats-Unis connaissent des changements profonds et acclrs durant les dcennies des annes 1830 et 1840. Le Courrier des tats-Unis est un spectateur privilgi de ces bouleversements dont il rend compte ces lecteurs depuis New York. Nanmoins, les bornes chronologiques de 1830 et 1850 ne conviennent pas parfaitement pour tudier ce journal. Plutt que 1830, il faut prfrer la date de la fondation du Courrier des tats-Unis en 1828. Le choix dune anne pour clore notre tude est plus difficile. 1855 aurait pu constituer une bonne limite. Cette anne est marque par une reprise des relations entre la France et son ancienne colonie. La Capricieuse, frgate de la marine franaise, remonte alors le Saint-Laurent jusqu Qubec100. Mais pour le Courrier, lanne 1855 nest pas pertinente. La fin de la priode de direction de Paul Arpin en 1853 est une autre possibilit. Pourtant, il appert que 1851 constitue une meilleure limite chronologique. En juin 1851, le CourrierLe Jeune (Franoise), La presse franaise et les rbellions canadiennes de 1837 , Revue dhistoire de lAmrique franaise, volume 56, numro 4, printemps 2003, pp. 481-512. 98 Il devient en 1867 le premier Premier ministre de la nouvelle province du Qubec 99 Harvey (Louis-Georges), Importing the Revolution : The Image of America in French-Canadian Political Discourse, 1805-1837, Thse de Doctorat en Histoire, sous la direction de Pierre Savard, Universit dOttawa, 1990. 100 De Raymond (Jean-Franois), La Capricieuse dans les archives diplomatiques franaise. Linitiative et la dcision , Lamonde (Yvan) et Poton (Didier) (sous dir.), La Capricieuse (1855) : poupe et proue, les relations franco-qubcoises (1760-1914), Qubec, Presses de lUniversit Laval, 2006, p. 211-226 et Le Jeune (Franoise), La France et le Canada du milieu du XVIIIe au milieu du XIXe sicle : cession ou conqute ? , Joyal (Serge) et Linteau (Paul-Andr), France-Canada-Qubec, 400 ans de relations dexception, Montral, Presses de lUniversit de Montral, 2008, p. 57-94.97

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devient quotidien. A linstar de plusieurs journaux new-yorkais, le Courrier dispose alors de plusieurs ditions : ldition quotidienne, celle de la fin de semaine, une dition trihebdomadaire, une dition destination de la Californie et une dition destination de lEurope. A chacune de ces ditions correspond un prix dabonnement et un contenu diffrents. La mise en place de ces diffrentes ditions permet datteindre des lecteurs ayant des intrts et des moyens divers. Le passage une publication quotidienne et la multiplication des ditions qui en dcoule marque un changement important pour le Courrier.

Un journal peu connu des historiens

Malgr son importance, le Courrier des tats-Unis est un journal peu connu des historiens. En France, nous navons trouv que de rares tudes sur ce journal. La plus importante dentre elle est la thse de Doctorat en littrature franaise de Franoise Granger-Remington101. Or, cette recherche sattarde essentiellement sur les publications littraires dans les colonnes du Courrier. Franoise Granger-Remington donne pourtant quelques informations sur lhistoire du journal et ses propritaires. Mais elle ne cite que trs rarement ses sources, si bien quil est difficile de les vrifier ; dautant plus que certaines paraissent alambiques. Par exemple, Franoise Granger-Remington donne une version romanesque de la fondation du Courrier par un riche marchand newyorkais, utilisant un pseudonyme. La thse de Franoise Granger-Remington sattarde trs peu sur le contenu non littraire du Courrier. Les correspondances politiques du journal, franaises ou amricaines, qui prennent de plus en plus de place dans ses colonnes aprs 1840, sont peine abordes, tout juste cites et rpertories. Par contre, lanalyse des publications littraires du Courrier permet davoir une vue densemble sur les auteurs et la place de la littrature dans ce journal qui, ds son premier numro, sannonce comme un journal politique et littraire. Dailleurs, la publication de romans franais sous la forme de feuilletons est un lment important de son succs. Au dbut des annes 1840, Frdric Gaillardet, propritaire du Courrier des tats-Unis, cre une nouvelle publication hebdomadaire, exclusivement littraire, sous le titre de la Semaine littraire. Elle sajoute aux feuilletons et aux textes littraires qui continuent doccuper,

Granger-Remington (Franoise), Le Courrier des tats-Unis 1828-1870, Thse de Doctorat en Littrature franaise, sous la direction de Madeleine Fargeaud-Ambrire, Universit de Paris IV, 1981.

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selon les priodes et lactualit, entre deux colonnes et plus dune page dans le Courrier. Trois mmoires de Matrise sont consacrs au Courrier des tats-Unis davant 1850. Le premier est celui dIsabelle Dtienne qui fait tat des diffrents thmes abords dans le Courrier des tats-Unis entre 1840 et 1842102. Mais cette recherche sappuie essentiellement sur les travaux limits et parfois errons de Franoise GrangerRemington. Ds lors, les rflexions dIsabelle Dtienne sont biaises et ses conclusions sont limites. En 1994, Olivier Brgeard utilise le Courrier des tats-Unis pour tenter de dresser un portrait de la communaut franaise de New York103. Son travail est lui aussi limit par le peu dinformations fiables dont il dispose sur le Courrier des tatsUnis, son fonctionnement et son contenu. Enfin, en 2007, Fanny Grolleau poursuit les travaux dOlivier Brgeard sur la communaut franaise de New York entre 1830 et 1850104. Grce au Courrier, elle cherche montrer lvolution de la communaut franaise de New York et de certaines de ses institutions comme la Socit de bienfaisance franaise. Pourtant, pour Fanny Grolleau galement, la mconnaissance du Courrier et de son histoire, faute dune tude de fond sur ce journal, est la principale limite de sa recherche. A part ces tudes sur le Courrier des tats-Unis, lhistoriographie franaise sest peu intresse ce journal. Pour trouver des informations son sujet, il faut tendre le champ de la recherche aux ouvrages traitant des Franais aux tats-Unis ou aux relations entre la France et les tats-Unis. Mais les rsultats sont faibles. Ainsi, dans louvrage de Ren Rmond sur Les tats-Unis devant lopinion franaise, le Courrier nest cit quune seule fois de manire anecdotique105. Or, nous le verrons, ce journal est vendu en France, dispose dagents sur place et noue, dans les annes 1840, de nombreux contacts avec la presse parisienne. Il a donc particip la cration de limage des tats-Unis par lopinion franaise. La recherche dinformation sur le Courrier des tats-Unis peut galement tre tendue aux ouvrages dhistoriens ou drudits franais traitant de ses directeurs ou de

Dtienne (Isabelle), Le Courrier des tats-Unis 1840-1842, Mmoire de Matrise en Histoire, sous la direction de Claude Fohlen, Universit de Paris I, 1988. 103 Brgeard (Olivier), Les Franais de New York au milieu du XIXe sicle, une communaut ?, Mmoire de matrise en Histoire, sous la direction de Jean-Louis Pinol, Universit de Strasbourg, 1994. 104 Grolleau (Fanny), Le Courrier des tats-Unis et les Franais de New York 1828-1850, Mmoire de Master en Histoire, sous la direction de Mickael Augeron, Universit de La Rochelle, 2008. 105 Rmond (Ren), Les tats-Unis., op. cit., Tome I, p. 153.

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ses collaborateurs. Malheureusement, l aussi, seules quelques lignes sont consacres ce journal. Cest le cas dans les ouvrages consacrs Joseph Bonaparte, et ce bien quil joue un rle important dans les neuf premires annes de la vie du Courrier106. Par contre, larticle dAlbert Krebs sur lun des rdacteurs du Courrier des tats-Unis, Rgis de Trobriand, sattarde davantage sur le journal107. Il donne des informations pertinentes sur la collaboration de Rgis de Trobriand au Courrier. A part cela, le Courrier des tats-Unis intresse peu les historiens et les rudits franais. Par contre, outre-Atlantique, au Canada et aux tats-Unis, le Courrier des tats-Unis a t un peu plus tudi. En 1910, Marie-Caroline Post, la fille de Rgis de Trobriand, publie un recueil de lettres crites par son pre quelle commente. La collaboration de son pre au Courrier est cite, mais cet pisode de sa vie noccupant que quelques annes, Marie-Caroline Post sintresse peu ce journal108. Alexandre Belisle, rudit franco-amricain de Nouvelle-Angleterre, publie lanne suivante un ouvrage sur la presse franco-amricaine dans les tats du Nord-Est et dans la rgion des Grands-Lacs109. Il consacre quelques pages la presse francophone en Louisiane et au Courrier, mais sattarde trs peu sur les origines de ce journal et sur la priode antrieure 1850. Aprs 1930, des historiens tats-uniens commencent citer le Courrier des tats-Unis mais sans vraiment sattarder sur son histoire. Ainsi Alfred M. Lee et Frank L. Mott, historiens de la presse, citent plusieurs reprises le Courrier lorsquil est question de la presse ethnique110. Edward L. Tinker, spcialiste de la presse et des crits francophones en Louisiane, fait le portrait dcrivains et de journalistes louisianais du XIXe sicle111. Il crit quelques lignes sur Paul Arpin, le directeur du Courrier entre 1848 1853. Robert Ernst, dans un ouvrage sur les immigrants New York, fait plusieurs reprises rfrence au Courrier des tats-Unis en tant que journal influent de laBertin (Georges), Joseph Bonaparte en Amrique, Paris, Librairie de la Nouvelle Revue, 1893 ; Fleischmann (Hector), Joseph Bonaparte, lettres dexil 1825-1844, Paris, Charpentier et Fasquelle, 1912 ; Nabonne (Bernard), Joseph Bonaparte, le roi philosophe, Paris, Hachette, 1949. 107 Krebs (Albert), Rgis de Trobriand et le Courrier des tats-Unis, journal franais de New York (1841-1865) , Revue dhistoire moderne et contemporaine, octobre-dcembre 1971, Tome XVIII, pp. 574-575. 108 Post (Marie-Caroline), The Life and Mmoirs of Comte Rgis de Trobriand, Major-General in the Army of the United States, New York, E. P. Dutton & Company, 1910. 109 Belisle (Alexandre), Histoire de la presse franco-amricaine, Worcester, LOpinion publique, 1911. 110 Lee (Alfred M.), The Daily Newspaper in America, The Evolution of a Social Instrument, New York, MacMillan Company, 1937 ; Mott (Frank Luther), op. cit. 111 Tinker (Edward Larocque), Les crits de langue franaise en Louisiane au XIXe sicle : essais biographiques et bibliographiques, Genve, Slatkins Reprints, 1975.106

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communaut franaise de New York112. Patricia T. Stroud publie en 2005 un ouvrage trs complet sur la vie de Joseph Bonaparte aux tats-Unis, dans lequel elle traite plusieurs reprises du Courrier et dun de ses directeurs, Flix Lacoste113. Les citations du Courrier se font nombreuses dans diffrents travaux mais sans jamais quun de ces historiens ne stendent plus longuement sur ce journal. Tous les ouvrages de ces historiens fournissent toutefois des bribes dinformations qui permettent de mieux connatre le Courrier. Au Canada, aprs 1950, plusieurs historiens soulignent la fois limportance du Courrier dans la francophonie en Amrique du Nord et le besoin dune tude plus approfondie de ce journal. En 1955, Philippe Sylvain publie un ouvrage sur Henry de Courcy, correspondant du journal lUnivers aux tats-Unis partir de 1845114. Il consacre plusieurs pages bien documentes au Courrier des tats-Unis et notamment sur deux de ses directeurs, Frdric Gaillardet et Paul Arpin. Il appuie sa recherche sur le dpouillement de plusieurs annes de numros du Courrier publis dans les dcennies 1840 et 1850. Surtout, Philippe Sylvain est le premier historien comprendre limportance du Courrier dans la francophonie en Amrique du Nord cette poque. Il est aussi le premier constater le manque dinformations fiables sur ce journal. En 1987, il crit : Il est dommage que lon ne possde pas encore une bonne tude sur le Canada franais et le Courrier des tats-Unis 115. Il faut attendre 1975 pour que le Courrier des tats-Unis soit pour la premire fois le sujet principal dune recherche en histoire au Canada. Jacques Juneau-Masson fait alors sa Matrise sur ce journal116. Les sources sont son principal problme. Il ne dispose que des numros du Courrier pour les annes 1828, 1869 et 1898 ; et encore, elles ne sont pas toutes compltes. La recherche de Jacques Juneau-Masson sen trouve trs limite. Il reprend ici et l des affirmations, il vrifie peu ses sources et tire des conclusions gnrales quune lecture complte du Courrier contredit. Il se tient surtoutErnst (Robert), Immigrant Life in New York City 1825-1863, Syracuse, Syracuse University Press, 1994. 113 Stroud (Patricia Tyson), The Man Who Had Been King, The American Exile of Napoleons Brother Joseph, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2005. 114 Sylvain (Philippe), La vie et luvre de Henry de Courcy (1820-1861), premier historien de lglise catholique aux tats-Unis, Qubec, Les Presses universitaires Laval, 1955. 115 Sylvain (Philippe), Lamennais : lultramontain et le libral. Son influence aux tats-Unis et au Canada franais , Revue de lUniversit dOttawa, volume 57, numro 3, juillet/septembre 1987, p. 72. 116 Juneau-Masson (Jacques), Le Courrier des tats-Unis (1828, 1869 et 1898), Mmoire de Matrise en Etudes franaise, sous la direction de Lopold Leblanc, Universit de Montral, 1975.112

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prsenter les thmes abords dans le journal pour chacune de ces trois annes, ainsi que les quelques bribes dinformations quil a pu y trouver sur le fonctionnement ou lhistoire proprement dite du Courrier. La lecture de Philippe Sylvain manque terriblement cette recherche et aurait pu lui viter plusieurs erreurs dans la lecture parcellaire du Courrier quil a faite. En 1990, Louis-Georges Harvey est le premier historien mettre en vidence limportance du Courrier des tats-Unis au Bas-Canada117. Dans sa thse de doctorat, il sintresse linfluence du modle tats-unien sur le discours politique des patriotes entre 1805 et 1837. Une partie de sa recherche sattarde longuement sur les sources tats-uniennes de la presse canadienne-franaise pour lactualit des tats-Unis. Son constat est sans quivoque : la grande majorit des nouvelles en provenance des tatsUnis est tire de la presse de New York, et, en son sein, le Courrier des tats-Unis est la premire source utilise par les journaux canadiens-franais. En 2005, Louis-Georges Harvey publie un ouvrage issu de sa thse et continue de souligner linfluence du Courrier : Ainsi, les journaux publis en franais aux tats-Unis, notamment le Courrier des tats-Unis [], contriburent de faon particulire la reprsentation des tats-Unis qui se dessinait dans les journaux francophones de la colonie. 118 Enfin, en 2002, dans un article de la revue les Cahiers des dix, Yvan Lamonde dresse rapidement les grandes lignes des positionnements et de lintrt du Courrier des tats-Unis vis--vis du Bas-Canada de 1828 la rvolte de 1838119. Il met en avant deux choses : limportance de poursuivre ltude aprs 1838 et de mener une analyse plus approfondie de lhistoire de ce journal afin de mieux comprendre la porte de son influence au Bas-Canada ainsi que son rle dans les relations entre la France et son ancienne colonie entre 1763 et 1855. Le Courrier des