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1. Le rôle de l’épigraphie : modèles interprétatifs d’intégration L’épigraphie est l’une des sources les plus vivantes, les plus expressives dans l’étude des structures socio- culturelles de l’empire romain. Les inscriptions rendent la « civilisation romaine » plus visible parce qu’on peut identifier des milliers d’individus distincts, leurs noms, leurs professions, leurs ambitions, leurs carrières, leurs rapports familiaux ainsi que leur identité ethnique et cul- turelle. L’épigraphie montre de manière significative des aspects importants de la société et elle nous permet d’ex- plorer les aspects divers de la « romanisation ». On y perçoit le choix fait par un individu ; celui-ci – délibéré ou non – peut nous renseigner sur sa romanité, par exemple par l’adoption d’un nom romain, par ses valeurs et ses ambitions en matière de romanité ; l’épigraphie peut également montrer la parenté indigène, l’adhésion d’un individu ou d’une communauté aux valeurs, aux cultes et aux traditions indigènes. Mais il faut se demander si l’épigraphie est vraiment représentative. Il pourrait s’agir d’un petit « club » de personnes utilisant l’épigraphie en Italie et dans les provinces. Les inscriptions sur pierre ont été principale- ment érigées par les militaires et les élites – comme les grands propriétaires et les bourgeoisies municipales –, ainsi que leurs clients, leurs affranchis et leurs esclaves. Dans ce cas nous ne reconnaissons qu’un petit segment de la société et même pour les grandes villes de l’empire, qui nous donnent de multiples inscriptions, comme Nîmes ou Narbonne, la plupart des individus nous échappe. De plus la répartition géographique est très inégale et les inscriptions sont rares ou même absentes dans une grande partie de l’empire romain, particulièrement en Ralph HÄUSSLER Signes de la « romanisation » à travers l’épigraphie : possibilités d’interprétations et problèmes méthodologiques 1 Sur la capacité d’écrire et de lire dans le monde romain, cf. Harris 1989 et Woolf 2000 avec bibliographie récente. Cf. Häussler et Pearce 2007 pour les témoignages archéologiques qui nous permettent d’étudier la capacité de lire et d’écrire dans l’empire occidental ; cf. Derks et Roymans 2001 pour l’utilisation des seaux (pour les contrats) chez les Bataves. Voir aussi les communications dans Cooley (dir.) 2001 sur « Becoming Roman, Writing Latin ? ». Sur l’onomastique en Grande-Bretagne, cf. aussi Mullen 2007. 2 ILN-3, 274-286. 3 Cf. par ex. Goody 1986; Whitehouse 2007 et autres contributions dans Lomas et alii (dir.) 2007. contexte rural. Cela ne signifie pas que les « petites gens » ne savent pas écrire : les graffites sur plomb, sur bois et sur céramique indiquent leur « capacité » à écrire et à lire (cf. M. Feugère, ce volume) ; par exemple, les potiers de La Graufesenque ont besoin de faire leurs comptes en latin et en Grande-Bretagne le grand nombre de formes d’écriture dans les sanctuaires de Bath et de Uley indique que chaque pèlerin pouvait écrire sa propre tablette d’exécration (cf. R.S.O. Tomlin, ce volume), et même en Germanie Inférieure, chez les Bataves, on a uti- lisé des contrats écrits. D’une manière générale, nous pouvons supposer que l’alphabétisation joue un rôle important sous le Haut-Empire 1 . Prenons par exemple les bornes de frontière qui délimitent les territoires des colonies d’Arles et d’Aix-en-Provence qui, au contraire des bornes médiévales et modernes, n’utilisent que l’écri- ture et pas de symboles héraldiques 2 ; cela ne montre pas nécessairement une aptidue générale à l’écriture (ou au moins de la lecture) de la population, mais au moins une conception de la société romaine dans laquelle on attend des individus qu’ils maîtrissent un minimum de lecture. Quelle est la valeur de l’épigraphie pour l’étude de la « romanisation » ? En général, les témoignages ne montrent que la partie émergente de l’iceberg des déve- loppements sociaux, et il pourrait donc être probléma- tique de généraliser exclusivement sur la base de l’épigra- phie pour toute la société d’une cité ou d’une province. Prenons, par exemple, la première utilisation de l’épi- graphie dans une société indigène, que ce soit en latin soit dans une langue indigène : cet acte pourrait indiquer un développement important, qui nous permettent de tirer plusieurs conclusions sur l’organisation sociale : l’usage de l’épigraphie reflète une organisation sociale com- parable à celle de l’État (et non à un « tribu » ou un « chefferie ») 3 ; souvent les premières inscriptions se – 9 – In: R. Häussler (dir.), Romanisation et épigraphie. Études interdisciplinaires sur l’acculturation et l’identité dans l’Empire romain (Archéologie et Histoire Romaine, 17), Montagnac 2008, 9-30. halshs-00342164, version 1 - 26 Nov 2008 Manuscrit auteur, publié dans "Romanisation et épigraphie, Lattes, CNRS, 2001, Lattes : France (2001)"

Signes de La « Romanisation » à Travers l’Épigraphie

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Signes de La « Romanisation » à Travers l’Épigraphie

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  • 1. Le rle de lpigraphie : modles interprtatifs dintgration

    Lpigraphie est lune des sources les plus vivantes, lesplus expressives dans ltude des structures socio-culturelles de lempire romain. Les inscriptions rendent la civilisation romaine plus visible parce quon peutidentifier des milliers dindividus distincts, leurs noms,leurs professions, leurs ambitions, leurs carrires, leursrapports familiaux ainsi que leur identit ethnique et cul-turelle. Lpigraphie montre de manire significative desaspects importants de la socit et elle nous permet dex-plorer les aspects divers de la romanisation . On y peroit le choix fait par un individu ; celui-ci dlibrou non peut nous renseigner sur sa romanit, par exemple par ladoption dun nom romain, par ses valeurset ses ambitions en matire de romanit ; lpigraphiepeut galement montrer la parent indigne, ladhsiondun individu ou dune communaut aux valeurs, aux cultes et aux traditions indignes.

    Mais il faut se demander si lpigraphie est vraimentreprsentative. Il pourrait sagir dun petit club depersonnes utilisant lpigraphie en Italie et dans les provinces. Les inscriptions sur pierre ont t principale-ment riges par les militaires et les lites comme lesgrands propritaires et les bourgeoisies municipales ,ainsi que leurs clients, leurs affranchis et leurs esclaves.Dans ce cas nous ne reconnaissons quun petit segmentde la socit et mme pour les grandes villes de lempire,qui nous donnent de multiples inscriptions, commeNmes ou Narbonne, la plupart des individus nous chappe.De plus la rpartition gographique est trs ingale et lesinscriptions sont rares ou mme absentes dans une grande partie de lempire romain, particulirement en

    Ralph HUSSLER

    Signes de la romanisation travers lpigraphie :possibilits dinterprtations et problmes mthodologiques

    1 Sur la capacit dcrire et de lire dans le monde romain, cf. Harris 1989 et Woolf 2000 avec bibliographie rcente. Cf. Hussler et Pearce 2007pour les tmoignages archologiques qui nous permettent dtudier la capacit de lire et dcrire dans lempire occidental ; cf. Derks et Roymans2001 pour lutilisation des seaux (pour les contrats) chez les Bataves. Voir aussi les communications dans Cooley (dir.) 2001 sur BecomingRoman, Writing Latin ? . Sur lonomastique en Grande-Bretagne, cf. aussi Mullen 2007.

    2 ILN-3, 274-286. 3 Cf. par ex. Goody 1986; Whitehouse 2007 et autres contributions dans Lomas et alii (dir.) 2007.

    contexte rural. Cela ne signifie pas que les petitesgens ne savent pas crire : les graffites sur plomb, surbois et sur cramique indiquent leur capacit crireet lire (cf. M. Feugre, ce volume) ; par exemple, lespotiers de La Graufesenque ont besoin de faire leurscomptes en latin et en Grande-Bretagne le grand nombrede formes dcriture dans les sanctuaires de Bath et deUley indique que chaque plerin pouvait crire sa propretablette dexcration (cf. R.S.O. Tomlin, ce volume), etmme en Germanie Infrieure, chez les Bataves, on a uti-lis des contrats crits. Dune manire gnrale, nouspouvons supposer que lalphabtisation joue un rleimportant sous le Haut-Empire 1. Prenons par exempleles bornes de frontire qui dlimitent les territoires descolonies dArles et dAix-en-Provence qui, au contrairedes bornes mdivales et modernes, nutilisent que lcri-ture et pas de symboles hraldiques 2 ; cela ne montre pasncessairement une aptidue gnrale lcriture (ou aumoins de la lecture) de la population, mais au moins uneconception de la socit romaine dans laquelle on attenddes individus quils matrissent un minimum de lecture.

    Quelle est la valeur de lpigraphie pour ltude de la romanisation ? En gnral, les tmoignages ne montrent que la partie mergente de liceberg des dve-loppements sociaux, et il pourrait donc tre problma-tique de gnraliser exclusivement sur la base de lpigra-phie pour toute la socit dune cit ou dune province.Prenons, par exemple, la premire utilisation de lpi-graphie dans une socit indigne, que ce soit en latin soitdans une langue indigne : cet acte pourrait indiquer undveloppement important, qui nous permettent de tirerplusieurs conclusions sur lorganisation sociale : lusagede lpigraphie reflte une organisation sociale com-parable celle de ltat (et non un tribu ou un chefferie ) 3 ; souvent les premires inscriptions se

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    In: R. Hussler (dir.), Romanisation et pigraphie. tudes interdisciplinaires sur lacculturation et lidentit dans lEmpire romain (Archologie etHistoire Romaine, 17), Montagnac 2008, 9-30.

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    08Manuscrit auteur, publi dans "Romanisation et pigraphie, Lattes, CNRS, 2001, Lattes : France (2001)"

  • 4 Cf. par ex. la situation en Italie du Nord : Hussler 2002 ; 2007.5 Cf. par ex. Morris 1991 sur larchologie des anctres et la Saxe/Goldstein hypothse.6 ILLRP II 517 ; CIL V 7749 ; cf. Bianchi 1996. Cf. aussi Hussler et Pearce 2007; Hussler 2007.7 Cf. Galsterer, Crawford et Coleman 1996 pour ldition, traduction et commentaire de la lex Osca tabulae Bantinae. Cf. Salmon 1967 pour un

    dbat sur lorigine indigne ou romaine de ces magistratures dans le Samnium, comme le censor Bovianum (cf. Pauli 1883).8 Voir aussi Galsterer 1976 sur ladministration de lItalie rpublicaine.9 Pour la rvolution culturelle , cf. Habinek et Schiesaro 1997 ; Woolf 2001 ; Zanker 1988.10 MacMullen 1982 ; lexplication de Meyer (1990) nest pas suffisante ; voir aussi par exemple Alfldy et Panciera 2001 pour la Selbstdar-

    stellung et Woolf 1996 ; 2001 pour lpigraphie et la revolution culturelle sous Auguste.11 Cf. Elias 1974.12 Pour les tudes sur centre et priphrie et les problmes qui pose leur application lempire romain, cf. Woolf 1990.

    trouvent dans les socits avec des centres urbains ou aumoins proto-urbains 4. Lpigraphie peut aussi montrer unprocessus dans lequel lindividu et sa russite deviennentplus important que la collectivit, comme la commmo-ration prive par une stle funraire (et, en contextearchologique, lvolution dun culte danctres) indi-quant le dveloppement de la proprit prive et de ladescendance directe dans la socit : le tombeau et lastle peuvent marquer lautorit sur les terres et limpor-tance de la parent, indiquant un statut hrit 5. En outrelalphabet, lonomastique, la langue et les formules peutreflter des influences externes (trusque, grecque, latine,etc.).

    Ds lintgration dun peuple dans lempire romain,lpigraphie montre de plus en plus limportance desstructures romaines. La sententia Minuciorum 6 de 117 av.n. ., par exemple, est une tablette de bronze dans la-quelle les arbitres romains imposent des conceptionsromaines dans un conflit entre Gnes et leurs voisins, lesLangenses Veituri en Ligurie : par exemple, lide de laproprit prive, des frontires de terres et le versementdes tributs des facteurs qui pourraient dsquilibrer lesstructures socioconomiques traditionnelles des socitsrurales, tribales et non-urbanises parce quils ncessitentla cration dun surplus et la montisation de la socitpour le versement des tributs. De plus nous voyons queles Romains ont latinis les noms liguriens cest unemthode dinterpretatio que nous observons dans toutlempire romain.

    Comme on le voit ci-dessous, le statut dun individu etson autorit dpendent, avec lexpansion de lempire, deplus en plus de son rapport avec les autorits romaines. Dans les communauts locales on voit, ds laRpublique, la cration de nouvelles magistratures avecdes titres latins ; dans linscription osque de Bantia,q(uaestor), pr(aetor), tr(ibunus) pl(ebis) et le censor(censtur en osque) sont des lments trangers ; le q dequaestor nest mme pas un caractre osque 7. Ladoptiondes censores montre entre outre que la politique locale at affecte par des obligations militaires et financiresimposes par Rome, pendant que les lites suivent de plusen plus le modle dun cursus honorum de colonie latine,

    comme Bantia 8. En Gaule, galement, on a adopt lestitres latins, comme le praitor (praetor) dans linscriptiongallo-grecque de Vitrolles (RIG I, G-108).

    Sous le Haut-Empire, lintgration des socits indi-gnes dans les superstructures impriales prend une autredimension au niveau culturel, social et conomique. Onpense la rvolution culturelle sous Auguste 9, quisemble avoir motiv la pense et les actions des lites dans tout lempire romain. Cela a provoqu le boom en urbanisation, architecture, mausoles et pi-graphie monumentale ; comme nous allons voir ci-des-sous, l epigraphic habit laugmentation des inscriptions latines sous le Haut-Empire est surtout unphnomne culturel 10.

    Pour mieux comprendre les dveloppements socio-culturels, la sociologie nous procure des modles compl-mentaires. Daprs ltude de N. Elias 11, nous pouvonsidentifier plusieurs cadres sociaux dans lesquels lindi-vidu a pu agir face limprialisme romain sous laRpublique et le Haut-Empire. Par exemple :

    - premirement, dans la communaut locale, limpor-tance des rapports sociaux internes va diminuer et les rap-ports externes au niveau de la province et de lempirevont augmenter. Nous voyons, par exemple, limportancedes ambassades Rome et, sous le Haut-Empire, du culteimprial pour structurer le rapport avec Rome ; en outre,il y a des indignes actifs dans larme romaine, qui dsirent les magistratures romaines, qui montrent leurstatut romain (la citoyennet, le rang questre,) ou quideviennent des amis ou des lgats du princeps. Cela vaaugmenter linterdpendance des communauts.

    - deuximement, le pouvoir central 12 va diminuer lepouvoir des lites locales, comme dans le cas des curato-res rei publicae et kalendarii qui contrlent les financesdes communauts locales sous le Haut-Empire.

    - troisimement, les dcisions politiques des lites etdes communauts locales sont infrieures aux dcisionsdu gouverneur, du snat et du princeps comme ds 186av. n. . dans le cas du senatus consultum de Bacchana-libus (CIL I2 581) qui infre dans les intrts des allisromains.

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    Signes de la romanisation travers lpigraphie

    - quatrimement, lusage du pouvoir est monopolispar ltat ; on pense lorganisation de larme et du cen-sus par Rome, linterdiction des collegia dans les villes etla dfinition de lautorit des magistrats locaux parRome, par exemple par la lex de Gallia Cisalpina (env.49 av. n. .) 13.

    - finalement, de nouvelles institutions sont cres,comme lorganisation des annonae et des impts, lamontisation de lconomie, la fondation des marchs(fora) et des centres urbains. Les processus de productionet de distribution ne sont plus dtermins par les exigen-ces locales et les conventions de rciprocit ; en cons-quence les distances entre producteur et consommateuraugmente dans lempire romain ; par exemple, il y a desmonocultures, comme en Espagne pour payer desimpts 14, et les centres de production qui peuvent appro-visionner plusieurs provinces, entre autres, en cramiqueet en textiles.

    Dans une socit dans laquelle ltat romain offre denouvelles ambitions sociales, et dans laquelle les rapportssociaux stendent de plus en plus au-del de la commu-naut indigne, lpigraphie va stendre en mme tempsque la res publica, ses institutions, ses lois et ses symboles de statut. Dans un contexte local, decurio etordo jouent un rle important dans le fonctionnement delempire. De plus, lempire romain offre des structuresqui permettent la mobilit sociale. Par exemple, les vt-rans de larme romaine, mme dun rang infrieur (cen-turio ou primus pilus), peuvent acqurir une positionsociale leur permettant de devenir magistrat dans unecommune 15 : Hasta, le primus pilus [Titus ---]laeienusest devenu quaestor 16, Quintus Carrinas a obtenu leduumvirat 17, et le primus pilus Gaius Valerius Clementusde Turin est devenu IIvir quinquenalis, flamen Augustalisperpetuus et patronus coloniae 18. En mme temps, leslites et leurs ambitions ne sont plus limit dans la cit :des individus sont devenus des magistrats dans plusieurscommunauts. Dautres gens, comme dans le cas deVibius Crispus (ci-dessous), sont mme devenus snateuret proche de lempereur. Les inscriptions montrent doncque, sous le Haut-Empire, lunit politique et sociale delempire a graduellement effac les diffrences entrevainqueurs et vaincus.

    2. Romanisation : intgration et identitCest lambition de ce recueil de mieux comprendre

    les processus de romanisation sur la base de lpigra-phie et de rflchir sur nos modles mthodologiques.Pour notre tude, la romanisation est dfinie comme ledsir dadhrer la socit romaine, dadopter sesvaleurs, de souscrire lart de vivre romain et de montrerpubliquement une identit romaine. Dans notre dfini-tion, la romanisation nest pas un processus automatiquequi a t initi par la conqute romaine, ni une formedimprialisme qui, simplement, sert consolider le pou-voir romain. Il sagit plutt, dans la terminologie de M.Torelli, de l auto-romanizzazione 19 : cest lidentitculturelle exprime par lindividu, une reprsentation desoi-mme ou, daprs G. Alfldy, la Selbstdar-stellung , la prsentation dune image de soi-mme 20.

    part lmergence dune identit romaine (notre romanisation ), il y a dautres processus qui ont eu lieuen mme temps, comme le commerce, la fondation decolonies, les migrations, la dportation, lexpropriationdes terres, lexploitation des ressources minires, lesimpts et lintgration des indignes dans larme romaine(comme mercenaires, auxiliaires et lgionnaires). Cesprocessus ont un impact significatif sur les socits indi-gnes parce quils menacent les structures sociocono-miques indignes ; cela peut finalement provoquer lchec des hirarchies et des idologies indignes ; parexemple, face lintgration dans larme romaine et lautorit dAuguste et sa propagande , une situationpeut survenir dans laquelle la population indigne naccepte plus lautorit et les symboles de pouvoir de sapropre aristocratie.

    Il semble que cette faillite de la socit indigne soitun des prmisses ncessaires qui ont rendu possible latransformation profonde des structures socioculturelles la fin du Ier s. av. n. ., en orientant les peuples indignesvers Rome.

    Et surtout pendant la priode rpublicaine, la popula-tion locale va employer des moyens divers pour consoli-der son autorit. Ces stratgies sont souvent dune diver-sit exprimentale et arbitraire et, du point de vue cultu-rel, ne sont pas ncessairement orientes vers Rome ;

    13 Pour la lex de Gallia Cisalpina, cf. CIL I 205 = XI 1146 ; Mommsen 1858 ; Laffi 1986 ; Bruna 1972 ; Crawford 1996.14 Keay 1992 pour le dveloppement des monocultures en Espagne en rponse limprialisme romain.15 Hussler 1998b.16 Mennella 1984, 230.17 CIL V 7600.18 CIL V 7007.19 Terme utilis par exemple par Torelli 1996, 69-99.20 Pour le concept de la Selbstdarstellung , voir Alfldy et Panciera 2001.

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    nous pouvons mme imaginer des processus anti-romains , comme nous allons voir ci-dessous.Lensemble de ces processus (cf. tableau 1, colonne dedroite) a provoqu des changements importants, maismalgr ces changements, les peuples sous dominationromaine ont russi prserver leur identit sous laRpublique 21. cette poque on voit aussi apparatrelethnogense, cest--dire la cration de nouvelles iden-tits ethniques, comme en Gaule Cisalpine (v. infra),ainsi que la fixation gographique des territoires ethniques : Rome ne permet plus la migration des peu-ples 22. Il ne semble gure possible de parler de roma-nisation avant le Ier s. av. n. ., mais on peut constaterlinterdpendance et lintgration des socits en Italie 23,l hellnisation de Rome et des villes italiennes, et unepopulation de plus en plus polyglotte grce aux rapportscommerciaux, de la culture hellnique et de linteractionpolitique. Avec lpigraphie, lcriture se rpand de plusen plus parce que ctait un moyen utile qui a servi entreautre consolider le pouvoir des lites locales et prser-ver lidentit, ce qui explique le grand nombre desinscriptions indignes en osque, ombrien, trusque, vni-tien, gaulois, ibrique, etc.

    Contrairement limage du latin parl utilis commelingua franca dans lempire occidental, les inscriptions latines sur pierre constituent surtout un phnomne cul-turel du Haut-Empire 24. Il sagit dune culture pigra-phique dans laquelle lpigraphie appartient un rper-toire servant exprimer le dsir dadhrer aux lites puissantes de lempire ; linscription est devenue un sym-bole du rang et de la russite sociale : ce sont surtout leslites qui essaient dexceller en romanit, en ducation etdans les valeurs romaines. Il semble que les mentalitsont tant chang que, pour un membre de laristocratie duHaut-Empire, lcriture indigne de mme que les autres symboles de pouvoir traditionels a perdu sonsens, et seule une inscription en latin, imitant les inscrip-tions monumentales de Rome, semble tre appropriepour afficher son identit. Une fois que les lites localesont fait ce choix, les autres couches sociales vont essayerdimiter la culture pigraphique des lites municipales,mais la diffrence sociale sera toujours sensible parce que

    les lites vont en mme temps perfectionner leur repr-sentation pigraphique 25.

    Lpigraphie latine sous le Haut-Empire semble trelargement le rsultat dune rduction des choix culturelsparce que les valeurs du Principat motivent laction deslites locales. Cela donne limage dune homognit desformes culturelles, mais un individu ou une communautse servent aussi du rpertoire global pour exprimer sapropre identit dans un monde global . Dans cecontexte, le terme globalisation culturelle nindiquepas une homognisation culturelle ou une formed imprialisme culturel : cest plutt un discours surle monde et ses diversits culturelles ; sous le Haut-Empire, avec la prminence de lempereur et du pouvoirromain, cest certainement un processus qui sert com-muniquer consciemment ou non lappartenance entreles peuples et les individus dans lempire 26. Cela a crune langue et des points de repre communs universelle-ment intelligibles dans lempire, en ce qui concerne, parexemple, lart de vivre des lites, la mode, le rang social,les symboles du pouvoir, etc. Et malgr une certaine uni-formit de faon certaine en ce qui concerne les for-mules pigraphiques , nous observons une diversitrgionale sous le Haut-Empire : pas pour prserver lescultures locales (pas de rsistance culturelle ), mais lesparticularits locales et la diversification des identitsconstituent un trait normal dans une culture globale ; daprs Robertson, cest la particularization of univer-salism 27.

    3. Onomastique et identit romainePour les tudes de lidentit locale dans les provinces

    occidentales, les noms personnels sont une source impor-tante (cf. les contributions de J. Gascou, B. Rmy et S. deBrestian, ce volume) 28. Le choix dun nom est gnrale-ment considr comme significatif, comme dans les nom-breuses inscriptions o le fils porte un nom romain, alorsque ses parents portent un nom indigne. Mais il faut sedemander si cela montre aussi ladoption dune identitromaine ou si cela reflte simplement lacquisition de lacitoyennet romaine, donc de lacquisition de tria nomi-

    21 Mme dans un contexte rpublicain tardif, lidentit locale reste toujours importante en Italie : encore en Ier s. av. n. ., Ciceron (De legibus 2, 5)a dit que chacun deux patries, deux citoyennets, deux loyauts.

    22 Voir les contributions dans Bradley, Isayev et Riva 2007 et dans K. Lomas (dir.), The Emergence of Roman Identities : Italy 300 BC - AD 100,Actes du colloque de Londres, avril 2007, paratre (JRA supplment).

    23 Cf. David 1994. 24 Cf. MacMullen 1982 ; Meyer 1990 ; Woolf 1996.25 Pour Miller (1987), par exemple, lmulation des classes plus humbles est un processus important travers lequel les symboles de pouvoir et

    la culture matrielle sont constamment modifis.26 Pour la globalisation dans lempire romain, cf. Hussler 1997 ; 2007a ; Hingley 2006. Sur le concept de la globalisation culturelle, voir la dfi-

    nition de Robertson 1987, 20-39 ; Robertson 1988.27 Pour globalisation et particularisation, cf. Robertson 1992, 102.28 Cf. les contributions dans M. Dondin-Payre et M.-Th. Raepsaet-Charlier (d.) 2001.

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  • Romanisation & identit romaine

    Romanisation : dsir dadhrer la socit romaine, dadopter sesvaleurs, de montrer une identit romaine.Romanitas : exprimer ladhsion aux lites puissantes de lEmpireromain.Participation, collaboration, intgration :

    Rpublique : plutt lexclusion du pouvoir politique (par ex. lexclu-sion des Gaulois de la citoyennet romaine).

    Ds le Ier s. av. n. ., loctroi du ius Latii et de la citoyennet romainerendent lintgration possible.

    Mot-cl : la participation, surtout lintgration des lites locales par : la participation politique, militaire, sociale, commerciale lgitimation de leur pouvoir par leur proximit lempereur

    La population plus humble profite aussi : par ex. par la mobilitsociale, par lvolution des identits urbaines locales, en profitant ducommerce et en circonvenant les hirarchies locales.

    Identification avec Rome - possible grce : la participation et aux ambitions politiques, militaires, conomiques

    au sein de lempire romain. aux possibilits de mobilit sociale et gographique. les couches plus humbles dveloppent galement des identits et

    une certaine confiance en soi (plebs urbana, collegia, les artisansriches).

    Le pouvoir romain dtermine de plus en plus le statut des lites locales etdonc aussi leurs symboles du pouvoir.

    Le choix Rpublique/Hellnisme : un rpertoire de choix trs large ; lindividu

    fait des choix plus arbitraires, plus spontans, plus innovants, Haut-Empire : un choix de plus en plus limit, motiv par l idal

    romain (comme lart de vivre romain, les symboles de statut, etc.).Motivations : Les lites adoptent les valeurs du Principat - paix, humani-

    tas, paideia, prosprit -, qui motivent les actions des individus.Pas dopposition entre les indignes et les Romains (sous le

    Haut-Empire) : par ex. la diffrence en romanit est surtout le rsultatdu statut de lindividu ; les lites excellent dans leur romanitas.

    Identit et ethnicit : Chaque personne a plusieurs identits dpendant du contexte. Identit personnelle : conscience de soi, les reprsentations, les

    expriences (une identit constamment reproduite). Identit sociale, relve la position de lindividu dans la socit et la

    culture. Ethnicit : une identit locale ; aprs la conqute romaine, les con-

    structions identitaires se reproduisent dans lopposition entre soi etlAutre (donc : souvent des identits plus fortes, en utilisant des nou-velles formes dexpression, surtout dans la Rpublique, v. colonnede droite, s.v. ethnogense).

    Quest-ce que la culture romaine ? Entre autres : les mores maiorum, les lois romaines,... Mais il faut tenir compte de la globalisation de la culture romaine

    (les influences externes : trusques, hellnistiques,).La globalisation culturelle

    Lempire romain et la compression de lespace et du temps ont sti-mul lintensification des interactions culturelles et des relations soci-ales entre les lieux distants.

    Le rsultat : un discours sur le monde, ses constituants et sur ladiversit du monde.

    Lutilisation dune langue intelligible dans toute lempire : un rpertoi-re des artefacts, des mythes et une langue crite globale .

    Trouver sa place, son identit dans le monde. Insrer lhistoire dunecommunaut dans une narration mythologique grco-romaine.

    Les individus et les groupes, en utilisant les symboles et les objetsdisponibles, crer une nouvelle identit, un nouveau cadre de senset pratiques (cf. Cunningham 2000).

    Diffrence importante entre hellnisme et romanisation : le pouvoirde Rome (cela implique par consquent que les symboles de pou-voir romain ne valent rien en dehors de l'empire romain).

    La particularisation - rponse la globalisation : Prserver / forger une identit locale plus forte - avec un rpertoire

    global : ethnogense, construction identitaire, identit ethnique. Sous le Haut-Empire : lintgration de la population dans ltat

    romain par les rapports sociaux (p.ex. les rapports de patronage).

    Autres processus pendant la priode romaine

    (y compris des processus qui menacent la stabilit des socits indigneset qui vont obliger une restructuration sociale et politique de ces socits)

    Colonisation romaine et consolidation du pouvoir : Expropriation ; Immigration ; Urbanisme ; Amlioration de linfrastructure et de communication:

    voies, transport fluvial, Centuriation ; cadastres ; irrigation/drainage des terres.

    Intgration dun(e) tribu/chefferie dans ltat romaine : Intgration dans les super-structures de ltat ;

    Les rapports socio-conomiques au-del de la communaut devien-nent de plus en plus importants

    Interaction, contact culturel ou acculturation : Interaction entre (au moins) deux socits. Adoption des traits de lautre culture et leur intgration dans les

    structures socioculturelles indignes ; parfois en loignant un objetdu sens dorigine.

    Des choix relativement arbitraires, spontans et innovants. Rome nest pas ncessairement le point de repre pour les socits

    indignes - cest donc difficile de parler de romanisation . Cf. aussi autres contacts (transalpins, grecques, trusques,) Lvolution des nouvelles cultures hybrides au milieu local (la cro-

    lisation de Webster 2001).

    Ethnogense : Cration dune identit en rponse limprialisme romain :

    par exemple par la demande des troupes et des impts par ethnies. Les traits (foedera) entre Rome et un peuple aident prserver

    des ethnies prromaines et crer une ide territoriale des ethnoi(territoires la base des municipes).

    Sollicitation dune identit plus forte.

    Dveloppements conomiques : Montisation : lacquisition des richesses, la marchandisation

    des rapports sociaux, etc. Production dun surplus : exploitations plus intensives par des indi-

    gnes (p.ex. monocultures,). Commerce plus intensif. La production de masse (terre sigille, verre, statuettes religieu-

    ses,) et la distribution lchelle globale . lites : des intrts commerciaux partout dans lempire, par exemple

    lachat de terres et lexploitation des domaines lointains... Exploitation des mines et des carrires, par exemple par des publi-

    cains.

    Dveloppements militaires, par ex. Socii comme troupes auxiliaires : dveloppement dune conscience

    commune avec Rome. Mercenariats des Gaulois dans la Rpublique. Cela peut rsulter dune identification avec Rome et ses structures

    politiques ; aussi dans lusage de monnaies.

    Transfer des connaissances techniques :

    Par exemple, ladoption de nouvelles formes de cramiques, ladoption du tour de potier, la cration des cramiques vernis noir, etc.

    Dveloppements juridiques : Les rangs sociaux dfinis par Rome. Intgration des indignes dans les procs lgaux romains (par ex.

    faire appel Rome en vitant la juridiction locale). Imposer les conceptions de la loi romaine (par ex. le concept de la

    proprit romaine).

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    Tableau 1 - La romanisation et autres changements socioculturels.

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  • 29 Cf. par ex. Zonabend pour la question pourquoi nommer ? en Alsace du XIXe s. de n. . Au contraire, ltude de Gardthausen (1917) propo-se que les citoyens romains nont pas de libre choix, mais que leur nom tait ncessaire pour identifier leur statut et leur origine sur les listes ducens romain.

    30 Pour les aspects onomastiques en gypte (linteraction grco-dmotique, par exemple les individus qui portent un nom dmotique et aussi un nomgrec), cf. par exemple les tudes de W. Claryrisse (par ex. 1985, 1998).

    31 Excut localement, mais intgr dans le cens romain, cf. par ex. Schnbauer 1952 pour Herakleia.32 Cf. Lejeune 1977 ; 1978 et Untermann 1950-1961 ; 1956 pour la romanisation des anthroponymes indignes en Italie du Nord.33 Pour les Decknamen cf. Weisgerber 1968 ; Raepsaet-Charlier 1995, 207-226 ; Dondin-Payre, M. et Raepsaet-Charlier, M.-Th. (ds.) 2001.34 Cf. Dondin-Payre et Raepsaet-Charlier (d.) 2001 ; cf. Hussler 1993 pour une tude de cas en Germanie suprieure.35 Nicolet 1977, 50.36 Si on essaie dviter un modle progressif de romanisation , on ne peut pas mesurer le degr de romanisation ou la divergence dun pro-

    cessus progressif qui mne vers la romanit.

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    na, au moins pour la documentation publique. Il faut sedemander si lonomastique a t consciemment utilisepour montrer lidentit personnelle ou si ladoption dunnom romain nindique que lenrichissement du rpertoireonomastique indigne/local. De plus, nous devons tenircompte de la possibilit quun individu pourrait avoir eu,en mme temps, plusieurs noms en cours de sa vie. Lestudes sur diverses poques montrent que le choix dunnom peut dpendre de lge de lindividu, de laccomplis-sement des rites de passage et du contexte (familial,public, collgial) 29. Dans lempire romain, il est normalde changer de nom quand on change le statut : un nomromain semble donc appropri pour afficher la citoyenne-t romaine. En gypte hellnistique et romaine, la mmepersonne dorigine indigne (par exemple un scribe) peutporter un nom gyptien dans les textes dmotiques et unnom grec dans les textes grecs 30. Cest dire que le nomapparaisant sur une inscription nest pas ncessairementle seul nom du ddicant ou du dfunt, mais quun nom at choisi parce quil a t considr comme appropri aucontexte.

    Les noms sur les inscriptions monumentales dpendentpartiellement du statu de lindividu. Lexpansion du systme onomastique romain en Italie et dans les pro-vinces est reli la naturalisation et lintgration des indi-gnes dans les formalits du cens romain 31. Un citoyenromain va montrer son statut par des tria nomina ; pourles citoyens dorigine indigne cela ncessite la crationdun gentilice 32, soit ladoption dun gentilice romain,comme ladoption du gentilice dun bienfaiteur, soit lacration dun gentilice tir dun nom indigne. Pour tra-duire son nom en latin, on a aussi choisi des Deck-namen (ou noms dassonance , cest--dire les nomslatins dont la prononciation ressemble celle des nomsindignes) 33 ; en outre certains noms latins semblent tre plus rpandus dans certaines rgions ou provincesqu Rome (cf. aussi B. Rmy, ce volume) 34. On peutimaginer un scnario dans lequel quelquun a dabort adopt un nom latin dans le rpertoire local pourles raisons pragmatiques, mais, comme en chaque adoption de traits trangers, cela peut avoir des rpercus-sions importantes long terme, jusqu lextinction dunnom indigne.

    Les statistiques montrent des volutions onomastiquesdivergentes selon les rgions occidentales. Ltude de J.Gascou sur la cit dApt (ce volume) montre, par exemple,que les noms celtiques ne sont populaires quau Ier s. den. . ; ensuite ce sont les noms latins qui dominent. Pourles Alpes Cottiennes, en revanche, B. Rmy (ce volume)a montr limportance des noms indignes et des nomslocaux sous le Haut-Empire, qui, pour lui, tmoignentdun attachement au pass ; ce type de dnominationreste quasiment stable pendant toute la priode consid-re. En Gaule orientale, dans la cit des Vangions, ce sontau dbut les lites locales bien intgres ou romaniss qui montrent leur romanit par leurs noms le nom taitdonc un signe de leur statut culturel ; mais ds 200 den. . on trouve de plus en plus de noms indignes et mal-romaniss sur les inscriptions maladroites, quipourraient appartenir peut-tre aux nouveaux-richesessayant simplement dimiter les attributs des lites : lastle funraire, mais pas ladoption dun nom appropriqui contredit leur identit (Hussler 1993). Contrairementaux inscriptions sur pierre, les graffites montrent souventdes choix diffrents, par exemple lutilisation du cogno-men, du prnom usuel et aussi une vulgarisation des nomset souvent des noms dorigine indigne.

    Pour les Romains, un nom peut donner des informa-tions importantes sur lorigine et le statut dune personne, la plupart de ces donnes nous chappent,parce quil nous manque les connaissances empi-riques des contemporains 35 : Ciceron (Verres, II, IV,81) expliquait Scipion que la cognitio, qui a cre lesstudia et les artes, nest pas plus large que celle du genuset du nomen .

    4. Inscriptions maladroites indices dune rsistance culturelle ?

    part les inscriptions qui excellent en romanitas,il y a aussi un grand nombre dinscriptions mdiocres ence qui concerne lcriture, le style, la graphie, lorthographeet le travail de la pierre. Montrent-elles un faible degr de romanisation ou mme une rsistance la romanisation 36 ? On peut envisager plusieurs possibi-

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    lits. Dabord, il faut se rappeler que la romanit est unsigne de rang social et que ce sont les lites qui y ex-cellent. Les couches sociales infrieures nont probable-ment pas les mmes capacits financires, ni lducationpour produire une inscription de qualit suprieure.

    Dun autre ct, on peut envisager que ces inscriptionsmontrent surtout ladoption de lpigraphie latine dans lerpertoire culturel des socits indignes ; dans ce cas,qui pourrait ressembler un choc des cultures , lesindividus crent des inscriptions dun caractre plusspontan et expriment parce quil faut tenir compte desmentalits indignes.

    Prenons par exemple les stles de la Canavese, au nordde Turin, et les pietri fluviali des Bagienni de largion Cuneo-Alba en Pimont (cf. aussi larticle de G.Cresci-Marrone, ce volume) 37 : la brve inscription quisuit est typique de la rgion des Bagienni : EnicusRoucarius Dissi f(ili) decurio 38. Daprs son nom,Enicus tait un indigne 39. Du fait quil tait decurio,donc un personnage important et probablement bien intgr dans les structures municipales de lpoqueromaine, plusieurs lments ne semblent pas trs appro-pris son rang social, comme lusage dune grossire pierre fluviale et la composition onomastique inatten-due dans laquelle le cognomen a pris la place du praeno-men, comme souvent dans cette rgion du Pimont.

    Mais ce ne sont pas l des indices dune rsistance cul-turelle la romanisation : cela reflte, au contraire, desmentalits indignes. Prenons par exemple la traditiondes stles monumentales sans pigraphie, bien connuedans la rgion, comme les stles de lge du Fer dans laLunigiana, celles de Gaule Narbonnaise ou celles de lgedu Bronze dans le Val Camonica 40. Sur ces stles, lpi-graphie ne reprsente quune astuce supplmentaire delpoque romaine. Il faut aussi penser leffort immensencessaire pour graver une pietre fluviale par rapport une inscription sur grs ou sur marbre. La pierre fluvia-le pourrait avoir servi comme marqueur visible dans lepaysage, avec le but daffirmer le pouvoir dEnicus sur laterre et les gens. Cela semble encore plus probable si onconsidre le contexte dun paysage vigoureusement cen-turi et colonis par les Romains 41 : cela a radicalement

    transform lorganisation du paysage indigne, ce qui vancessiter la raffirmation des hirarchies. Pour les indi-vidus comme Enicus, il faut sadapter aux nouvelles formes dautorit, de proprit et dconomie.

    Nous voyons que lpigraphie a t adapte aux perceptions indignes, ce qui a gnr une image plusdynamique de lpigraphie entre traditions indignes etprotocoles romains ; ce qui ne signifie pas que des genscomme Enicus ne sont pas capables dutiliser les proto-coles romains dans un autre contexte, par exemple enmilieu urbain.

    5. Communication religieuse : rsistance, syncrtisme, innovation

    Dans le domaine religieux, galement, on voit souventdes inscriptions plus spontanes. Une ddicace sert par-fois exprimer la romanitas du ddicant. Par exemple,les inscriptions qui refltent la loyaut et lhommage lempereur de la part des communauts locales 42, ou laddicace du rex magnus de Britannia, Togidubnus, Neptune et Fortune (RIB 91). Mais, surtout en contextereligieux, lpigraphie montre la complexit des change-ments socioculturels, ce discours entre la persistence descultes existants et les nouvelles exigences sociocul-turelles de lempire romain.

    A priori on ne peut pas attendre de changements religieux profonds, si on considre que Rome na querarement montr un intrt pour les religions locales etquelle na pas eu de Sendungsbewutsein , pas depropension convertir ses allis ; au contraire, lesRomains et ltat romain ont adopt une multitude decultes trangers 43. En Orient on observe largement lacontinuit des cultes prromains ; parfois, un culte enhonneur de lempereur est insr dans les sanctuairesimportants, mais cette pratique remonte aux cultes dessouverains hellnistiques 44. Rome va intervenir quandlordre public est menac, comme dans le cas desBacchanales (v. supra). Un cas exceptionnel tait la per-scution des druides en Gaule et en Bretagne, un proces-sus qui culmine sous Claude avec le sige de Mona

    37 Mennella 1983 ; Hussler 1998b.38 Roda 1982, 203 ; Mennella 1983, 25 ; cf. aussi le cas de Mocus Caranius (CIL V 7656 = IIt IX 1, 197).39 Nom indigne, surtout rparti dans la rgion autour des Alpes Maritimes, cf. Delamarre 2003, 163, s.v. eni- > in- dans.40 Pour la Lunigiana, cf. Ambrosi 1992 ; cf. aussi le menhir gallo-latin de Naintr (Lejeune, RIG II.1, 70-82).41 Fraccaro 1957; cf. Hussler 1997.42 Pour le culte imprial dans les provinces occidentales, cf. Fishwick 1987 sqq. ; Cancik 2003. Pour lAsie Mineur cf. Price 1984.43 Cf. en gnral Beard, North et Price 1998 et en particulier p. 314 : pas dimposition car la religion romaine tait une religion of place , mais il

    y a des changes et des interactions de niveau vari entre les cultes et pratiques de Rome et ceux des provinces.44 Cf. Alcock 1993 pour la Grce.

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    (Anglesey) dans le Pays de Galles en 61 et 78 de n. . 45 ;par consquent, il y a probablement des raisons plusconvaincantes pour expliquer linterdiction de la religiondruidique, par exemple leur organisation politique. Romea aussi cr quelques centres religieux provinciaux,notamment le sanctuaire fdral des Trois Gaules Lyon,probablement une tentative pour associer le pouvoir poli-tico-religieux indigne avec le culte imprial, parce que Lyon remplace le centre mythique de la Gaule en territoire des Carnutes, o les druides sigeaient une foispar an (Caes. BG VI 13-14).

    Dun autre cte, il faut tenir compte des processusautochtones. Par exemple, un processus de transforma-tion sest acclr au sein des cultes la fin de lge duFer, comme le montrent entre autres les premires con-structions de btiments cultuels, des sculptures anthropo-morphes, des dpts votifs de caractre priv et moinscollectif, ladaptation de mythes grecs, etc. 46. Mais fina-lement ce sont les protagonistes qui finances et encouragentles cultes locaux, qui ont initi eux-mme des change-ments importants : par exemple ladoption de la cito-yennet romaine peut-elle susciter le refus de certainsaspects des cultes indignes, comme le culte des ttescoupes, encore rpandu jusqu la fin de lge du Fer ?

    Sous le Haut-Empire, larchologie et lpigraphiesemblent montrer des changements profonds enOccident, comme labandon de lart latnien, ladoptionde larchitecture romaine pour les sanctuaires (temples podium) et lapparition dune multitude de nouveaux cultes sans prcedente lge du Fer. Lpigraphie lemontre aussi, avec des nouvelles identits religieuses etladoption des formes grco-romaines dans le rpertoirereligieux local. Mais ce nest pas une romanisation dela religion, parce que la population indigne na pas simplement adopt des formes grco-romaines pourmieux exprimer ses cultes et croyances, mais ces choixsont lorigine de lvolution des nouvelles structuresreligieuses qui ont amen le dveloppement de nouvellesreligions : des religions hybrides ou croles . Lemodle de la crolisation montre comment les indi-gnes ont choisi certains lments dune culture extrieureou de celle des conqurants, leur accordent des significa-tions nouvelles et les mlent aux traditions indignes,

    do la cration de formes culturelles et religieuses com-pltement nouvelles 47.

    Comment faut-il donc interprter nos tmoignagespigraphiques ? Par exemple, les inscriptions rvlent denombreux thonymes en latin et en celtique et des com-binaisons entre noms latin et celtique. Cela montre-t-ilune fusion entre deux cultures ou la persistance dela religion indigne ? En gnral, nous pouvons assu-mer quun thonyme latin nindique pas la romanisa-tion de la religion locale parce quil sagit simplementdune traduction. On parle souvent de l interpretatioromana 48, la traduction dun thonyme en latin ou plus souvent lidentification dun dieu (ou dun conceptdivin) indigne par le nom dune divinit romaine,comme dans le cas de Csar qui parle des dieux les pluspuissants de la Gaule : Mercure, Mars, Jupiter, Apollo etMinerve (Caes. BG, VI 16-17). De la mme manire, lesRomains ont associ leurs dieux aux dieux grecs, commeMercure et Herms ou Minerve et Athna, mais ils ontaussi, au cours du temps, adopt les reprsentations, lesattributs et les caractristiques des dieux grecs pour leurspropres dieux.

    En Gaule, on peut imaginer quil sagit plus couram-ment dune interpretatio indigena , cest--dire quepour riger une inscription en latin, la population indi-gne a choisi le nom dune divinit romaine approprie,avec des caractristiques comparables celles de la divi-nit indigne. Ce phnomne nest pas limit la Gaule :nous allons rencontrer le mme phnomne en Orient,comme dans le cas du Zeus Bronton pour le dieu du ton-nerre indigne en Phrygie (cf. G. F. Chiai, ce volume).

    En mme temps, un grand nombre de thonymes cel-tiques existent sous le Haut-Empire dans les provincesoccidentales 49. Cela ne montre pas une rsistance la romanisation parce que les Romains nont pas impo-s leurs cultes aux indignes ; pourtant cela pourrait treune rponse la globalisation progressive des formesculturelles sous le Haut-Empire, soit une rponse la pro-pagation des nouveaux cultes orientaux, soit le dsirdexprimer une identit locale.

    Il est plus difficile de vrifier une possible origine pr-romaine de ces centaines de thonymes celtiques qui sontattests sous le Haut-Empire. Seul un petit nombre de

    45 Tacite, Agr. 18 ; Ann. 14, 29. La cruaut de la religion druidique est un vieux topos pour les auteurs antiques, alors que la pratique de sacrificeshumains est dj obsolte quand la perscution commence. Voir Brunaux 2000 pour la discussion des sources antiques.

    46 Cf. Hussler 2007a.47 Webster 2001 pour la crolisation .48 Terme utilis par Tacite, Germ. 43, 3. Cf. Duval 1976, 67-69.49 Rpertoire des thonymes en celtique : Jufer et Luginbhl 2001.

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  • 50 Taranoou (RIG G-27, Orgon).51 Ddicace de Cornelia Rokloisia (RIG G-65, Glanum), les divinits coutantes (cf. la ddicace aux Auribus de Glanum).52 Beleino (RIG G-28, Saint-Chamas, Calissane) ; [Be]len[ou] (RIG G-63, Glanum). Incertain : [Be]len|[--?]ou (RIG G-24, Marseille).53 Belesami (RIG G-153, Vaison-la-Romaine) ; cf. Minervae Belisamae (Saint-Lizier, CIL XIII 8); deo Belisamarus (Saint-Marcel-les-Chalon, CIL

    XIII 11224).54 Matrebo Glanikabo (RIG G-64, Glanum); Matrebo Namausikabo (RIG G-203, Nmes).55 Andounna eaux den bas : Delamarre 2003, 324, s.v. unna eaux ; RIG G-183 ; les desses-mres pour Clera 2003.56 Karnonou (probablement le [C]ernunno du pilier des nautes de Paris ?), ici le nom est spcifi par un toponyme au gnitif : Al[i]so[nt]eas (RIG

    G-224, Aumes/Montagnac).57 Kamulati : thonyme Camulos ou un nom personnel ? (RIG G-67, Glanum).58 Lougous : probablement un nom personnel et pas un thonyme (RIG G-159, Als).59 Pour RIG G-184, Lejeune a propos deux reconstructions : une divinit masculine, Konnou, ou une divinit fminine, [ou]latiabo potentibus

    (vlati = puissance).60 Reconstruction de Lejeune 1985, RIG G-206 (Nmes).61 Hussler 2007a.62 Pour cette assimilation , cf. entre autres Duval 1976, 76 sq. 63 Pour linterprtation des pithtes indignes, cf. larticle de F. Benot 1959.64 Green 1992, 137, s.v. Mabon ; 140, s.v. Maponus ; Botheroyd et Botheroyd 2004, 206-207, s.v. Mabon ; 216, s.v. Maponus. Dans Jufer et

    Luginbhl (2001, 51) il y a 8 attestations de Maponus, dont 4 associes Apollo (deo Apollini Mapono de Corbridge et Ribchester ; deo Maponode Vindolanda et peut-tre Mapono de Glanum (Rolland 1944, IAG, 213).

    65 De Bernardo Stempel 2008; Delamarre 2003, 216-217, s.v. mapo-.66 Cf. par exemple les pithtes associes au Dagda irlandais (Olmsted 1994, 45) et la longue liste des pithtes associes au Zeus grec (Olmsted

    1994, 77-78).67 Vernostonos (Cocidios) dEbchester, Grande-Bretagne (RIB 1102).68 Cf. Delamarre 2003, 295-296, s.v. teuta, touta tribu, peuple. Il y a un Mars Toutatis Barkway, Kelvedon (Grande-Bretagne) et Seckau

    (Autriche) (RIB 219; RIB II.8, 2503.131; CIL III 5320) ; en Grande-Bretagne, il y a aussi plusieurs inscriptions TOT , peut-tre une abrvia-tion pour To(u)t(atis) (cf. RIB II.3, 2422). Pour Teutanus cf. Jufer et Luginbhl 2001, 66-67 ; lpithte Teutanus est attribue trois fois Jupiter,Toutanis deux fois Mercure et Toutiorix une fois Apollo.

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    noms sont dj attests la fin de lge du Fer, commeTaranus 50, Rokloisia 51, Belenos 52, Belesami 53,Matres 54, Andounna 55 et Carnonos 56 (cf. aussi A. Mullen,ce volume) ; la reconstruction des thonymes Camu-lus(?) 57, Lougous(?) 58, Vlatiabo/Konnou(?) 59 et Ala[---]einoui(?) 60 est trs douteuse. Mais il faut tenircompte du fait que ces noms sont seulement attestsautour du Ier s. av. n. . en Gaule Narbonnaise, une rgiondepuis longtemps sous linfluence culturelle de Marseilleet aprs la conqute romaine tait en pleine mutation 61.

    De mme, on ne peut pas tablir un rapport direct entrelge du Fer et lpoque romaine, parce que la plupart deces thonymes ne sont plus attests sous le Haut-Empire.Il est donc possible quune grand partie des thonymesceltiques attests dans les inscriptions latines soient descrations de cette poque : avec le raccourcissement desdistances entre les communauts dans lempire romain, ilfallait exprimer lidentit spcifique dun culte local.Lpithte celtique sert souvent communiquer les parti-cularits dune divinit, alors que le choix de la languesemble avoir t un choix conscient pour voquer lanciennet dun culte local son origine prromaineprsume et pour faire remonter lautorit cultuelle deslites aux poques prcdentes. Le choix dune langue estdlibr : ainsi, dans les cits dApt et dAix-en-Provence, Jupiter et Silvain prennent des pithtes lati-nes, alors que Mars, Mercure et les desses-mres pren-nent les pithtes celtiques (cf. Hussler, ce volume).

    Ceci nous amne un autre problme mthodologiqueconcernant la signification des thonymes celtiques lpoque romaine. La plupart de ces noms sont attestsdans des combinaisons entre un nom latin et un nom cel-tique, comme Mars Cocidios, Mars Belatucadros, MarsLoucetius ou Apollo Grannus. Ces compositions ont tsouvent interprtes comme une fusion ou une assimila-tion entre une divinit romaine et une divinit indigne 62,mais cela nest pas certain parce quil sagit souvent toutsimplement dpithtes qui qualifient le pouvoir dudieu 63. Prenons, par exemple, le cas du dieu Maponos,trs rpandu en Grande-Bretagne romaine, qui est aussiconnu comme Mabon dans un texte mdival gallois,Kulhwch ac Olwen 64. Mais Maponos ntait pas forc-ment un dieu prromain, car ce mot signifie simplement le fils du dieu et il tait utilis comme surnom pourApollon en Grande-Bretagne : Apollon Maponos est Apollon, le fils du dieu (Zeus) 65. Mme si maponostait, lorigine, un attribut, il peut aussi tre utilis ind-pendamment comme le nom dun dieu ou son synonyme.

    Comme dans le cas de Maponus, beaucoup de tho-nymes celtiques ntaient que des pithtes ou surnomsdune divinit ou dune notion divine ; cest un phnomnetypique dans la religion indo-europenne, tout fait com-parable avec le grand nombre dpithtes grecs 66. Il y adonc un grand nombre dpithtes fonctionnelles, commeVernostonos (le dieu) de loin suprieur 67, Toutatis (le dieu) de la touta, du peuple 68, Mars Cocidios le

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  • Mars sanglant 69, Mars Belatucadros le Mars fort enbataille 70, Mars Bar(ios) le Mars furieux, rageur ,Mars Corotiacos 71 Mars des armes (Mars militaris),les Matres Ollotoutae 72 signifie les desses-mresomnium gentium 73.

    Mogons non plus ne semble pas tre le nom dun dieudistinct, mais simplement un surnom qualificatif qui peuttre associ diverses divinits : bien quil y ait des ddi-caces deo Mog(on)ti 74 et la dea Mogontia 75, mogonssignifie simplement puissant ou fort 76, et on trouve, entre autres, des ddicaces Mogons Vitiris 77 etaux Matres Mogontiones 78. De plus il y a un grand nombre dpithtes donomastiques , des surnomsfonds sur un nom personnel ou de tribu, dun peuple,dune rivire ou dune ville 79.

    Mais on ne peut pas toujours identifier avec certitudelorigine dun thonyne : Brigantia, par exemple, pourraittre un nom donomatique drivant du nom desBrigantes, la region o Brigantia est le plus rpandue 80.Mais on trouve partout des thonymes commenant parbriga- dans la Keltik, comme les Matres Brigiacae dePealbo de Castro 81, la Brigindona dAuxey (Cte-dOr) 82, et la Bricta/Brixta de Luxeuil-les-Bains (Haute-Sane) 83. Il pourrait quil sagit ici de la desse-mrereine de la religion locale : Brigantia pourrait donc trecomparable la Brigit dans la mythologie irlandaise 84.

    Malgr cette myriade de ddicaces, lpigraphie nestpas toujours reprsentative et ne donne quun petit

    aperu des religions locales car la plupart des pratiquescultuelles nous chappent. Pour ltude de la continuit etde la transformation de la religion indigne lpoqueromaine, la Grande-Bretagne nous livre un grand nombrede sanctuaires de lge du Fer qui continuent dtre fr-quents pendant toute la priode romaine, commeHayling Island, Harlow, Uley, etc. 85. La Grande-Bretagne nous fournit aussi un grand nombre de ddi-caces aux divinits portant un nom celtique ; des dizainesde ddicaces Cocidios, Maponos, Belatucadros, Sulis,Veteri, etc. 86.

    Mais, malheureusement, la rpartition des ddicacesne correspond pas la rpartition des sanctuaires roma-no-celtiques dorigine prromaine 87. Elles se trouventsurtout dans le Nord (prs du Mur dHadrien) et la rgionautour de la colonie de Gloucester, alors que les sanctuai-res dorigine indigne se trouvent surtout dans le sud et lesud-est de lAngleterre. En gnral, on voit une conti-nuit des pratiques rituelles, par exemple dans le choixdanimaux pour les sacrifices de sang 88 ; mais dans cessanctuaires lpigraphie est rarement atteste ; lusagedes autels votifs ntait pas une coutume au sein des cultes indignes ; Csar nous raconte dj linterdictiondruidique dcrire les choses sacrs (Csar, BG 6,14) 89. Quest-ce que cela implique pour linterprtationdes nombreux thonymes celtiques ? Peuvent-ils vrai-ment remonter lpoque prromaine ? Probablementpas. Ils refltent surtout le Zeitgeist du Principat, et cer-

    69 Pour Cocidius cf. Delamarre 2003, 120-121, s.v. cocos, coccos carlate, rouge.70 Cf. Delamarre 2003, 70 ; 96.71 RIB 213 (Martlesham).72 RIB 574 (Heron Bridge) ; RIB 1030-1032 (Binchester).73 Cf. De Bernardo Stempel 2008 ; Delamarre 2003, 241, s.v. ollos tous ; ibd. 295, s.v. touta tribu, peuple.74 RIB 921.75 CIL XIII 4313 = ILS 4706 (Sablon).76 De Bernardo Stempel 2008 ; Delamarre 2003, 213, s.v. mageto > mogeto puissant. 77 De Netherby, RIB 971.78 DAgons, AE 1986, 471.79 Cf. De Bernardo Stempel 2008.80 Jufer et Luginbhl 2001, 31 ; Delamarre 2003, 87-88, s.v. briga; brigantion.81 CIL II 6338.1.82 CIL XIII 2638.83 CIL XIII 5425-6 ; AE 1951, 231, par exemple: CIL XIII 5426: Luxovio et Brixtae.84 Cf. Le Roux et Guyonvarch 1991, 114-5 pour les six variantes de la desse en mythologie irlandaise. 85 Cf. King 2005 ; 2007 ; cf. aussi Hussler 2008.86 Green and Raybould 1999.87 Cf. Hussler 2001.88 Cf. par exemple, la popularit ininterrompue de la chvre en contexte rituel alors que la consommation domestique sest tourne vers llevage

    du porc sous le Haut-Empire ; cf. A. King 2005 pour une tude des ossements danimaux dans les sanctuaires britanniques.89 Les tablettes dexcration, les defixiones, quon trouve en grand nombre Bath et Uley (voir aussi R.S.O. Tomlin, ce volume), constituent en

    Angleterre une exception majeure.

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  • tainement dans le cas de la Grande-Bretagne, le contextemilitaire, o nous trouvons des divinits comme Marscocidios le Mars sanglant , Mars belatucadros leMars fort au combat, le Mars vainqueur 90.

    6. pigraphie et latinisation en Italie entre persistance et assimilation

    On a avanc la thse que lexpansion des inscriptionslatines au dbut du Principat refltait les incertitudes pro-voques par les bouleversements socioconomiques cette poque 91 ; ainsi, une pitaphe pourrait offrir unechance de se sortir des incertitudes sociales, soit reflterla peur de perdre un statut hrit, ou encore la russitesociale, comme celle des affranchis et leurs descendants ; dautres poques on trouve des situations comparables,comme lnorme mobilit sociale la fin du XIXe sicle, lorigine de laugmentation des monuments funraires.

    Mais cette explication nest pas suffisante dans lesrgions de lempire o lusage de lpigraphie est djconnu. Pour mieux comprendre le rle de lpigraphiedans les provinces, il faut tenir compte de son volutionen Italie qui consiste, sous la Rpublique, en des peuplestrs divers dun point de vue ethnique et linguistique. Eneffet, au dbut de lexpansion romaine, le latin tait lalangue dune petite minorit habitant le Latium. Ailleursen Italie, on constate la raret, voire mme labsence delpigraphie latine pendant la priode rpublicaine, alorsque les pigraphies indignes (par ex. trusque,osque, ombrienne ou gauloise) natteignent souvent leurpoint culminant que vers 100 av. n. . 92. Le choix duti-liser le latin (y compris lalphabet, la langue, les formu-les et lonomastique) tait donc dlibr. En Italie il y a,semble-t-il, un rapport direct entre ladoption de lpigra-phie latine et les concepts dintgration et didentitromaine : on a utilis le latin pour montrer sa complicitavec Rome et son lite.

    En ce qui concerne lpigraphie et la latinisation, onpeut identifier plusieurs processus parallles (cf. aussitableau 2) :

    Premirement, lexpansion romaine a engendr,comme nous lavons dj vu ci-dessus, des rpercussionsimportantes, dont la stimulation de lcriture dans lessocits indignes. Avec linteraction plus intensive entreles peuples italiens, lcriture devient importante pour

    rdiger des traits avec Rome, des constitutions munici-pales, des contrats commerciaux, etc., mais on na pascrit ncessairement en latin, sauf quelques rares dclara-tions politiques 93.

    Deuximement, on voit lvolution des pigraphiesindignes existantes qui ont t utilises des nouvellesfins : pas seulement pour les stles funraires, pour lescomptes ou pour les marqueurs de proprit, mais aussipour les lgendes montaires ainsi que dans le domainepublic et religieux.

    Troisimement, il semble que des noms italiques etlatins ont t souvent adopts bien avant ladoption delpigraphie latine, ce qui montre linteraction entre lespeuples en Italie, comme dans le contexte militaire etdiplomatique. Le choix dun nom latin nest pas nces-sairement un signe de romanit ; on a plutt largi lerpertoire onomastique indigne.

    Quatrimement, mme si le latin nest pas utilis surles inscriptions locales, il y a une connaissance du latin,surtout de la langue parle, parmi les lites, les militaireset les commerants. Prenons par exemple la GauleCisalpine : ds le IIe s. av. n. , un pote dorigine insubreest attest, nomm malus auctor Latinitatis par Ciceron(Epistulae ad Atticum 7, 3, 10) ; la capitale des Insubres,Mediolanum/Milan, semble tre devenue un centreimportant pour la rhtorique, la ville o Virgile a fait sestudes au Ier s. av. n. . (Pline, Epistulae 4, 13, 3 ; Dona-tus, Vit. Verg. 7), un moment au cours duquel Milan ettoute la Cisalpine occidentale taient encore immergedans la culture indigne, latnienne, presque 200 ansaprs la conqute romaine 94.

    Cinquimement, plusieurs raisons ont motiv le choixde la langue latine pour les inscriptions monumentales.Elles apparaissent rarement avant le Ier s. av. n. . et ellessont plus rpandues partir de lpoque augustenne. Lelatin a acquis souvent une dimension idologique : lesindividus suivent lexemple des ddicaces et des res ges-tae de lpoque augustenne et de la littrature de cettepoque. Le latin est donc aussi un choix dlibr commesigne de lidentit dun individu ou dune communautpour montrer son statut romain (citoyen romain, munici-pium romain, etc.) ; ou aussi un signe de loyaut, expri-mant lintgration dans la socit romaine (cf. la ddica-ce des Salassi, dsigns incolae dAoste, qui illustre leurrestitution sociale seulement quelques annes aprs leurasservissement sous Auguste) 95. Mais on voit aussi desdclarations lgales, par exemple un signe de proprit,

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    90 V. supra.91 Woolf 1996, 39.92 Pour les langues de lItalie prromaine et rpublicaine, cf. Conway, Whatmought et Johnson 1933 ; Untermann 2000 ; Rix 2002.93 En mme temps, on voit lvolution dune nouvelle identit romaine : par exemple, Delos, les commerants dorigine italienne sappelaient les

    rhomanoi (pour le bilinguisme grco-latine sur Delos, cf. Adams 2003).94 Mratschek 1984.95 Cavallaro et Walser 1988 n 1.

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  • volution de lpigraphie & de lOnomastiqueentre Rpublique et Haut-Empire

    criture - de plus en plus rpandue en Italie et en Gaule (sur crami-que, sur plomb, sur pierre)

    cela pourrait reflter, par ex., lvolution des tribus en tats qui ont besoin de

    lcriture. l'individualisation de la socit indigne :

    commmoration des individus. cf. aussi les raisons pragmatiques, par ex. pour crire des contrats

    conomiques

    Onomastique italo-latine : adoption trs tt en Italie et ailleurs interaction avec le commerce et le contexte militaire :

    une question didentit ? ou simplement largir le rpertoire onomastique indigne ?

    Langue latine : au dbut, choisie pour des raisons pragmatiques (linguafranca en Italie) ;

    Mais pas ncessairement utilise sur les inscriptions ou en contextepublic !

    Inscriptions sur pierre :initialement dans les langues indignes ; pas de ncessit de choisir leLatin.

    Les langues de la bureaucratie romaine :grecque et latine ; diffusionpar ladministration et larme

    pigraphie & romanisation sous le Haut-Empire :inscription en latin et imitation des inscriptions monumentales de Romesemble appropri pour montrer le statut des lites locales, de les identifiercomme magistrat local, citoyen romain, affranchi,

    Absence (ou raret) de lcriture - sous le Haut-Empire : probablement une dcision consciente, par ex. en contexte religieux,notamment en Gaule et en Grande-Bretagne.

    pigraphie latine & Romanisation

    Les bouleversements sociaux rendent ncessaire lpigraphie : Confirmation de la hirarchie verticale : la (r-)affirmation de lautorit

    et du statut social. Confirmation de la hirarchie horizontale, donc au sein des lites loca-

    les. Prserver le mmoire dun individu, dun nom ou dune gens - et de

    ses res gestae - dans le contexte dune intense mobilit sociale etgographique.

    Rle des inscriptions comme un avertissement du propritaire du sol,des droits ancestraux, du rang social (p. ex. civitas romana), etc.

    L'identit de l'individu : l'image et la reprsentation de soi-mme Promotion dune identit sociale ou rgionale (dun groupe social,

    dun individu, dune tribu, dune association (cultuelle), etc.)

    Rponse la globalisation culturelle Utiliser une langue commune (latin-grec, mais aussi par rapports aux

    mythes, lonomastique, aux titres de professions, aux magistrats,aux carrires militaires).

    Forger une identit locale/rgionale (par ex. lidentit dun municipe,dune colonie,)

    Persistance et volution des traits indignes Lonomastique, les toponymes et les thonymes dorigine indigne La vulgarisation du latin qui reflte la langue parle rgionale

    Culture coloniale ? Pour les deux premiers sicles de n. ., l'pigraphie romaine reflte-t-

    elle surtout une culture coloniale (colons, soldats, snateurs, che-valiers et leurs clients, etc.) : peut-on rellement juger du degr de la romanisation partir des inscriptions ?

    En gnral, pas dimposition des cultes romains dans les provinces :par exemple en Gaule on trouve des thonymes latins, mais pasncessairement de dieux romaines.

    des droits ancestraux (comme dans le cas des inscriptionsde la Canavese, cf. infra et larticle de G. Cresci Marrone,ce volume).

    Dans ce contexte, il faut tenir compte de la diffrenceentre ladoption du latin (plutt spontane) et limage idale de lpigraphie latine, qui influe souvent sur laqualit de lcriture : par une criture soigne linscrip-tion est un signe de statut et de romanit, dducationgrco-romaine, tandis quune qualit mdiocre pourraitindiquer que le latin est adopt par exemple par lesclasses plus humbles pour des raisons plus pragma-tiques et dans le souci dimiter les symboles des lites.

    Si on considre lvolution des systmes pigra-phiques indignes et leur importance la fin de laRpublique, le succs de lpigraphie latine semble enco-re plus frappant. Sous le Haut-Empire nous verrons queles choix culturels semblent de plus en plus limits parcequils ont t motivs par des concepts de romanitas(romanit) et humanitas ( civilisation ), et que le latin

    devait tre considr comme un signe de civilisationromaine en allent sur les traces de Virgile et Ovide. Mmedans les provinces occidentales on a rig des inscrip-tions qui citent des vers de Virgile 96. Pour les lites duHaut-Empire, sexprimer en latin ou en grec avait uneporte, tandis que les langues indignes ont perdu toutsens pour les inscriptions publiques et pour les comm-morations.

    6.1 La Gaule Cisalpine occidentale : de la rsistance lassimilation 97 ?

    La Gaule Cisalpine occidentale offre un cadre exem-plaire pour tudier lvolution des usages pigraphiquesaprs la conqute romaine. Entre le IIIe et le Ier s. av. n. .on observe une renaissance et lvolution dun anciensystme pigraphique ; le gallo-trusque ou lpontique,dj rpandu dans les centres proto-urbains en territoire lpontique au VIIeVIe s., une adaptation de

    96 Par exemple linscription CIL XIII 1568 dans laquelle on a insr quelques lignes de Virgile (Aen. IV 336; V 80; Buc. V 74); cf. Achard 1989 pourdautres exemples.

    97 Cf. Hussler 1997 ; 1998 ; 2007.

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    Tableau 2 - Epigraphie et romanisation.

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  • lalphabet trusque pour transcrire une langue celtique 98.Pendant la priode romaine, le Gallo-trusque a-t-il servi exprimer une identit locale (ou celtique) vis--vis deRome, peut-tre un alphabet national comme un rejetdlibr de lalphabet latin 99 ? En miroir, cela pourraitaussi montrer limportance des autres centres enCisalpine, comme Gnes et Milan, probablement plusinfluents sur les formes culturelles de la rgion. Ou est-cequil sagit simplement de la ncessit de lcriture,exprime par un alphabet et une langue existants sansintention de montrer un sens didentit ou daltrit( otherness ).

    On ne doit pas considrer lpigraphie de faon isolesi on veut en comprendre le contexte socioculturel. Laconqute romaine de lItalie du Nord-Ouest, largementacheve en 222/196 av. n. ., nest pas suivie dune roma-nisation culturelle. La conqute semble avoir stimulquelques processus dj amorcs au IIIe s., comme lacration des structures dtat, lvolution prcoce desstructures urbaines, par exemple Milan et Verceil, ledveloppement des objets typiques pour la rgion 100 etune forte identit indigne en pigraphie et en numisma-tique. Jusqu la fin du Ier s. av. n. ., lidentit culturellea t largement implante dans la culture latnienne, mal-gr la colonisation romaine.

    Prenons par exemple les drachmes padanes qui circu-laient au nord de la Padane et en Pimont. Elles remon-tent au IVe/IIIe s. av. n. ., labores sur la base de ladrachme lourde de Marseille du IVe sicle av. n. . 101.Malgr la prsence de nombreuses colonies romaines enGaule Cisalpine et des grands marchs lchelle italienne(comme Cremona et les Campi Macri) 102, ces drachmes subsistent en raison de leur importance dans lessocits indignes ; mme les Romains nont pu imposerleurs deniers au Ier s. av. n. ., mais ils ont spcialementproduit le victoriatus/quinarius pour la Gaule Cis-alpine 103.

    Aprs la conqute romaine, ces drachmes ont beau-coup volu au IIe s. av. n. . Les lgendes montaires etliconographie montrent des raisonnements trs diffrents

    de ceux des autres peuples en Italie ; on voit mme unecertaine celtisiation , mais pas de romanisation 104.Par exemple, les images de lArtemis Ephesia et du lion,tirs de la drachme massaliote, deviennent des motifs trsabstraits, influence par lart latnien (Fig. 1). Et pendantle IIe s., la lgende Massa a t remplace par des lignescourtes et des points ; entre autres, cela pourrait indiquerque Marseille a perdu son rle conomique et culturel, etque lcriture ne jouait pas un rle important enTranspadane a cette poque. Cela va changer vers 100 av. n. . avec ladoption, en Cisalpine occidentale, des lgendes gallo-trusques, comme toutiopous, pirakos etrikos 105. Il semble que lcriture est alors devenue unmoyen dexprimer lautorit des lites locales et uneidentit locale. Toutiopous 106 et rikos 107 ne seraient pasdes noms personnels (comme ceux des montairesromains), mais reprsentent probablement des institu-tions et magistrats, comme le touta le peuple et lerikos roi . Ce type de titre est aussi attest sur les graf-fites et les pierres, par exemple takos toutas par dcret

    98 Pour le lpontique, cf. Lejeune 1971 ; 1988=RIG ; Solinas 1992/93 ; Motta 2000. Les graffiti de Sesto Calende et Castelletto Ticino pourraientindiquer ladoption de lcriture au VIe, peut-tre mme au VIIe s. av. n. ., comme propos par Gambari et Colonna 1986, 119-164.

    99 Prosdocimi 1991, 56-57 ; Marinetti et Prosdocimi 1994, v. infra.100De Marinis 1977 ; Agostinetti 1990 montre que les vasi a trottola sont trs rpandus dans le territoire des Insubres.101Gorini 1994.102Cremona est une fondation romaine en bordure du territoire insubre, o, daprs Tacite, une grande partie de lItalie se rassemblait pour un mar-

    ch annuel (Tacite, Hist. 3, 32, 2) ; galement les Campi Macri en proximit de Mantova : Strabon 5, 1, 11; Varro, Rust. 2, praef. 6; cf. Gabba1988. Pour Grassi (1990-91 ; 1993), Cremona joue un rle important en intgrant les Insubriens dans lconomie romaine.

    103Crawford 1985.104Il semble que le poids des drachmes ait t associ celui des deniers romains.105Pautasso 1962, types 9, 10, 11, 12.106Pour touta et toutiopouos, cf. Delamarre 2003, 295-296.107Lambert 1994 a propos rikos ; pour le pluriel rikoi cf. Morandi 1984 ; Marinnetti et Prosdocimi 1994.

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    Fig. 1 - Revers dune drachme padane de la rgion des Insubres, avec lalegende toutiopouos et un lion celtis (Pautasso 1962 ; Arslan1994).

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    du peuple sur linscription de Briona 108, rikana de lareine sur un graffito dOleggio 109 et argentomaterecus/Arkatoko{k}materekos le matre de largent 110 (unquaestor ?) de Verceil (v. infra). La publication des dcretsdu peuple et la cration des magistrats avec des noms cel-tiques pourraient indiquer lmancipation des institutionsindignes, ainsi quune forme dorganisation sociale ta-tique 111.

    Lcriture et les lgendes montaires en alphabetgallo-trusque se sont diffuses au-del de la Cisalpine enGaule Transalpine et dans la valle du Rhne. Cela a inci-t Prosdocimi nommer le gallo-trusque un alphabetnational celtique 112. Mais cet alphabet montre-t-ilvraiment une identit celtique , une rsistance cultu-relle Rome ? Probablement pas. Les lgendes de ladrachme padane et leur iconographie sont plutt unedclaration dautonomie politique et conomique dans unmonde domin par Rome. Cest limprialisme romainqui a incit cette nouvelle vague didentits locales. Cesidentits ont beaucoup volu en rponse Rome,comme celui des Insubres et leur capitale Medio-lanum/Milan 113. Ladoption de lpigraphie gallo-trusque par les Salasses et en Gaule Transalpine montremoins une identit celtique , comme propos parProsdocimi, que le rle de Milan comme nouveau centreconomique, politique et culturel de la rgion.

    Linscription de Briona constitue un autre cas intres-sant : il y a plusieurs caractristiques indignes, commela langue, lalphabet, lonomastique celtique, liconogra-phie et le takos toutas dj mentionn ci-dessus. Maisaussi le kuitos lekatos : kuitos semble tre une adoptiondu nom romain Quintus et lekatos pourrait tre son titre. Rome, legatus ntait pas une magistrature ; dans lecontexte cisalpin toutefois, cela pourrait montrer limpor-tance des rapports diplomatiques entre Rome et des peuples allis ; legatus pourrait mme tre une magistra-ture locale (cf. aussi le rle des flamines dans les rapportsentre lempereur et une cit provinciale sous le Haut-Empire). Ceci montre le degr dinteraction des peuples

    cisalpins avec Rome ainsi que ladoption dun titre latinpour une nouvelle fonction politique en milieu indigne.En ce qui concerne la latinisation de lonomastique cel-tique, un gentilice apparat pour la premire fois en GauleCisalpine occidentale dans une inscription gallo-trusquede Curregio (pas de tria nomina). Ces changements sontsurtout le rsultat de linteraction entre Gaulois, Romainset autres peuples italiens ; et pas ncessairement lindiced identit romaine .

    Dans le contexte multiculturel de lItalie rpublicaine,on peut imaginer que les populations sont bilingues oumultilingues 114, mais les inscriptions bilingues sontextrmement rares. La bilingue de Verceil (Fig. 2) mont-re les problmes didentit parmi les lites locales autourde 10050 av. n. . 115. Le latin et lalphabet romaindominent sur linscription et le texte gallo-trusque napparat que comme annexe la suite :

    108Texte et commentaires par Campanile 1981 et Lejeune 1988, 11-25. Pour takos toutas cf. Delamarre 2003, 295-296.109Delamarre 2003, 53-54 ; Gambari, F. M., Le iscrizioni vascolari della necropoli , dans : G. Spagnolo Garzoli (d.), Conubia gentium. La necro-

    poli di Oleggio e la romanizzazione dei Vertamocori, Torino 1999, 387-95.110 Delamarre 2003, 258.111 Hussler 2000.112 Marinetti et Prosdocimi 1994.113 Milan tait probablement un des lieux demission des drachmes padanes, cf. Arslan 1982.114 Sur le bilinguisme cf. par ex. Adams et alii (d.) 2002 ; Adams 2003.115 Lejeune (1977) a dat cette inscription vers 100 av. n. . et la donc insre dans les activits romaines de cette poque autour de Verceil, comme

    lexploitation des mines dans la Bessa par les socits publicains romaines la fin du IIe s. av. n. ., la guerre contre les Salasses, la bataille deMarius contre les Cimbres, et en 100 av. n. . la fondation de la colonie romaine Eporedia/Ivrea. Vers 100 av. n. . la ville de Verceil voit une nouvelle phase durbanisation (cf. Mercando 1990). Il est dj plus difficile dattribuer ces inscriptions aux fondations des colonies latines sousla lex Pompeia de 89 av. n. . parce quon pourrait attendre une allusion au rang de colonie et aux magistrats. Baldacci (1977) a propos quuneinscription en latin doit dater dune poque postrieure loctroi de la citoyennet romaine Verceil en 49 av. n. . ; cela nest pas probable, maissi linscription datait de milieu ou de la fin du Ier sicle av. n. ., son caractre non-romain serait encore plus frappant une poque laquelle lespopulations ont fait lexprience de la Guerre des Gaules et des guerres civiques.

    Ralph Hussler

    Fig. 2 - Inscription bilingue en latin et en gaulois de Ver-ceil (Lejeune 1977 ; Lambert1994).

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  • En latin :Finis | campo quem | dedit Acisius | argantocomater|ecuscomunem | deis et hominib|us, ita ut lapide[s]| IIII statuti sunt.

    Fin du terrain quAcisius Argantocomataracus a donnpour tre commun aux dieux et aux hommes, dans leslimites o quatre pierres ont t riges. 116

    Puis en celtique :Akisios . Arkatoko{k}|materekos . atom . teuo|ton . koneu.

    Le texte latin contient plus de dtails, parce quil afallu expliquer des expressions et concepts indignes :par exemple, le mot celtique teuoton a t paraphra-s comme comunem deis et hominibus en latin, cest--dire que le campus a t commun aux dieux et auxhommes 117 et que les fines ont t marques par IIIIstatutis 118. Dans une autre bilingue gallo-latine, celle deTodi, lexpression celtique karnitu a d tre traduite parlocauit et statuit 119. Le contexte de linscription leslimites du campus ddi aux dieux et aux hommes napas non plus un caractre romain, car Akisios na pastrouv de mot plus appropri que le terme campus ;Lejeune (1988: 33) a propos que ce campus soit uneplace destine la crmonie annuelle de renouvellementde lunion entre les dieux et les hommes, par exempleSamin en religion celtique 120. Le titre du ddicant,arkatokomaterekos matre de largent , nest pas tra-duit en latin 121, mais la mme poque, les titres osquesaussi, comme le meddix, ne sont pas traduits non plus.

    On peut aussi se demander pourquoi Akisios a choiside rdiger une ddicace bilingue. Pour sadresser auxdivers groupes ethniques, aux indignes comme auxRomains (les publicains qui exploitent les mines dor dela Bessa ou les soldats qui protgeaient Verceil contre lesSalasses et les Cimbres) ? Il semble que cette inscriptionreflte surtout lidentit ambigu de son ddicant,Akisios : dun ct, il agit dans un contexte indigne (uncampus/nemeton dans la religion celtique) et il porte unnom et un titre indigne et il ne voit pas la ncessit de letraduire en latin. Mais dun autre ct, il agit probable-ment dans des contextes sociopolitiques plus larges, ceuxdune colonie de droit latin (accord Verceil entre 89 et49 av. n. .), de la province de la Gaule Cisalpine et duneItalie en cours dunification politique au Ier s. av. n. .Malgr le choix du latin comme nouveau code social,

    Akisios na pas adopt le style dune inscription latine : ilmanque les conventions de lpigraphie latine et il a uti-lis la langue latine dans une forme originale, inattendueet spontane.

    Linscription illustre le bilinguisme du ddicant et saposition entre milieu indigne et cadre romain. Les liteslocales affichent un certain multiculturalisme : lasituation est analogue en archologie o des artefactsromains, italiens et hellnistiques ctoient des objets lat-niens. Pendant prs de deux sicles aprs la conquteromaine et quelques dcennies avant lapoge delAuguste, la socit et la culture matrielle en Italie nordoccidentale sappuient largement sur les valeurs indi-gnes ; les autres symboles de pouvoir et les artefactsemploys dans les transactions sociales driventprincipalement de la culture indigne jusqu la fin du Iersicle av. n. . 122.

    Au Ier s. av. n. . ils sont perceptibles de profonds bouleversements socioculturels au sein du milieu indig-ne : par exemple, les rites funraires indignes se ctoientde nouveaux rituels dorigine italique, et la culturematrielle se transforme rapidement, au-del de ladop-tion isole dun objet prestigieux. Finalement, autour de30 av. n. ., la documentation archologique montre deschangements importants : par exemple les formes cra-miques indignes disparaissent (comme les vasi a trotto-la), tandis que le port du costume traditionnel, indiqupar les fibules latniennes et les boutons coniques ligu-riens, a dur un peu plus longtemps, du moins en contextefunraire, parce que le costume tait un signe de statutsocial et de lidentit du groupe social (dfini par lge, legenre, la profession,...) auquel tout individu appartient.

    Les inscriptions rpublicaines, comme celles deVerceil et Briona, montrent que les critures indignesont su sadapter la nouvelle ralit sociale et politique,et que les individus comme Akisios nont pas vu la nces-sit dacqurir un nom ou un titre latin mme au Ier s.av. n. . Alors, pourquoi les pigraphies indignes nont-elles pas survcu dans lOccident romain ? Les inscrip-tions monumentales en latin apparaissent rarement avantlpoque augustenne et gnralement dans un contextetrs diffrent, plus particulirement dans une sociturbanise et aprs labandon de la culture latniennecomme symbole de rang et de pouvoir.

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    116 Traduction P.-Y. Lambert 1994.117 RIG II.1, *E-2 ; Delamarre 2003, 141-142, s.v. deuogdonioi les dieux-et-les-hommes.118 Cf. aussi la phrase inter quattuor terminos dune ddicace Fonti Dianae Victoriae de Pino Torinese (Turin) (CIL V 7493).119 Lejeune 1988, 35-8.120Delamarre 2003, 141-142. Discut par De Bernardo-Stempel 1998, 98-100, qui tablit une relation entre teuoton et la formule dia ocus duine

    des textes irlandais mdivaux ; mais cela semble contredire le texte latin comunem deis et hominibus.121Un titre de magistrature semble plus plausible. Sil agissait dune filiation de la forme -knos fils de X , une telle filiation serait normalement

    traduite, en Pimont, par une filiation latine du type Akisios, fils de A. .122De Marinis 1977.

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  • 6.2 Exclusion & intgration : la Gaule Cis-alpine

    Restons Verceil. Sous le Haut-Empire lpigraphiesemble de trs haute qualit 123, ce qui reflte un contextesocial trs diffrent. On constate une participation activedes lites locales et de la population indigne dans la hirarchie impriale. Lpigraphie tmoigne de la pr-sence de snateurs et dequites Verceil. Ces bonnes rela-tions avec Rome donnent aussi aux autres habitants de lacit des opportunits exceptionnelles, comme lindique legrand nombre de gardes prtoriennes originaires deVerceil.

    Lucius Iunius Vibius Crispus est un de ces snateursde Verceil qui ont fait une carrire exceptionnelle au Ier s.de n. . 124 : Tacite 125 raconte quil tait dorigine humble et que ctait surtout lloquence qui lui adonn la possibilit dadhrer au cercle des amis de lem-pereur pour Tacite, la rhtorique a t un des facteursimportants de la romanisation (cf. aussi Tac. Agr. 24).Les exploits de Vibius Crispus sont remarquables : Il at consul trois fois 126, curator aquarum Rome (6871de n. .) 127, proconsul Africae 128 et legatus pro praetorein censibus accipiendis Hispaniae citerioris sousVespasien 129. Dans la cit de Verceil on trouve plusieursVibii, y compris des affranchis dans le village deGhemme, peut-tre la rsidence rurale de Vibius Crispus 130.

    Ce sont les individus comme Vibius Crispus qui ontfaonn limage de Verceil sous le Haut-Empire. Nousobservons lvolution des nouveaux notables qui aban-donnent leurs identits ethniques, adoptent une identitmunicipale et prennent place dans les structures de hi-rarchie et de patronage lchelle impriale. Mme lesfamilles dorigine indigne tissent par mariage des liensavec dautres familles aristocratiques en Italie et dans

    les provinces, tablissent des rapports conomiques,acquirent des terres dans dautres rgions. On peutgalement exercer une magistrature dans plusieurs cits,comme le dcurion P. Metellus, quaestor Turin etduouir Ivrea 131, ou M. Aponius Restitutus, svir Ivreaet duouir Monteu da Po 132.

    Ce qui est important cest le fait que les pigraphies indignes (gauloise, osque ou trusque) ont perdu leurrle sous le Haut-Empire : pour les lites ayant des ambi-tions impriales (comme les familles de Verceil quiveulent voir leurs fils dans les gardes prtoriennes Rome), une inscription gallo-trusque a perdu son sens etle latin est devenu une ncessit.

    Mais comment peut-on expliquer cette profonde trans-formation des formes pigraphiques entre la fin de laRpublique et le Haut-Empire ? Une prmisse importan-te est fournie par la capacit des Romains au moinsdepuis 90/89 av. n. . intgrer les peuples allis, sur-tout leurs lites. Cela na pas toujours t le cas. Cicronnous raconte quil tait interdit de donner la citoyennetromaine aux peuples gaulois :

    Etenim quaedam foedera exstant, ut CenomanorumInsubrium Helvetiorum (...) nonnullorum item ex Galliabarbarorum, quorum in foederibus exceptum est, nequiseorum a nobis civis recipiatur 133. Mais il existe certains traits, tels que ceux desCenomani, des Insubres, des Helvtes, des Iapides et dequelques barbares de la Gaule ; dans ces traits se trouvestipul, par exception, quaucun deux ne pourra tre reupar nous comme citoyen.

    Cette forme de sgrgation nencourage pas lintgra-tion des allis gaulois avec Rome. Par consquent, on nepeut pas sattendre, cette poque, une identificationavec Rome, ni une assimilation culturelle, ni ladop-tion des symboles et de lart de vivre de llite romaine.

    123Roda 1985.124CIL V 6660 ; also cf. Schol. Inv. 4, 81.125Tacite, Dial. 8 : () quamquam ad has ipsas opes possunt videri eloquentiae beneficio venisse, sed ipsa eloquentia; cuius numen et caelestis vis

    multa quidem omnibus saeculis exempla editit, ad quam usque fortunam homines ingenii viribus pervenerint, sed haec, ut supra dixi, proxima etquae non auditu cognoscenda, sed oculis spectanda haberemus. Nam quo sordidus et abiectius nati sunt quoque notabilior paupertas et angus-tiae rerum nascentes cos circumsteterunt, () per multos iam annos potentissimi sunt civitatis () nunc principes in Caesaris amicitia aguntferuntque cuncta.

    126AE 1968, 6 : cos. suff. (bis).127Frontin., Aq. 102 (avec les corrections dAlfldy, Senatoren aus Norditalien 1982, 358).128Pline, NH 19, 4.129AE 1939, 60.130Iunius Crispus (CIL V 8927) ; Vibia Cris[pi---] (CIL V 6711). Pour les affranchis, Vibia Earine, laffranchie de Crispus, atteste sur une inscrip-

    tion rige par Lucius Iunius Onesophorus (CIL V 6790) la combinaison des noms Lucius, Vibius, Iunius et Crispus pourrait indiquer quil sagit des affranchis de Vibius Crispus.

    131CIL V 6955 ; cf. aussi CIL V 7016 (curial Taur et | [decu?]r Epored() ) et CIL V 7033 ([scr]ib Aug Taur | [--VI?]uir Epor).132NSc 1903, 44; cf. aussi laffranchi T. Aebutius Leona, (se)vir(o) et aug(ustali) | Karrei et Industriae (CIL V 7496).133Ciceron, Pro Balbo 14, 32 (traduction de M. Cabaret-Dupaty, Discours pour sa maison, Paris 1919).

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    Ralph Hussler

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  • Il ny a quune interaction culturelle assez arbitraire quinaboutira que dans quelques adoptions isoles de traitstrangers.

    Pour les peuples de Transpadane, la situation va changer profondment en 89 av. n. . quand Rome leuraccorde le droit latin (ius Latii), alors que le reste delItalie reoit la citoyennet romaine, qui sera accorde tous les Cisalpini par Csar 40 ans plus tard. Il sembleque cela a provoqu des bouleversements profonds et desconsquences socioculturelles, car au Ier s. av. n. . denouvaux usages culturels (comme les artefacts, les ritesfunraires, la langue, etc.) ont t adopts ; la bilingue deVerceil montre aussi lambigut socioculturelle de cetpoque.

    La participation est donc le mot-cl qui a rendu possible la romanisation culturelle. La population indi-gne a saisi des opportunits : par exemple, certaines per-sonnes ont essay de circonvenir les hirarchies indi-gnes en faisant appel aux cours romaines, mme pour lesprocs mineurs, si bien que Rome a d restreindre cesdroits pour viter dtre inonde par les procs juri-diques 134. Dans ce cas, ctait les indignes qui profi-taient des nouvelles opportunits et qui dtruisaient eux-mme leurs propres structures sociales un processusencore amplifi par la participation des Gaulois cisalpinsaux guerres de Csar, des triumvirs et dAuguste, conduisant une nouvelle forme didentification avecltat romain et ses duces.

    Lpigraphie latine a donc suivi un long chemin, durefus lassimilation. Elle est devenue un moyen propiceet significatif pour les lites locales : comme les villas etles mausoles, elles ont choisi le latin comme signe deleur rang social. Dj Horace (Odes 3, 8, 5) voquait desutraque lingua ; le grec et le latin sont les langues des lites duques et sont devenus des instruments pour affi-cher lhumanitas dune lite civilise . Ceci pourraitaussi expliquer le caractre strotyp de lpigraphielatine sous le Haut-Empire avec toutes ses abrviationsstandardises. Les inscriptions maladroites , qui drivent de choix arbitraires , nont plus leur place.Une inscription, comme la stle bilingue dAkisios de

    Verceil, de composition originale et inhabituelle, nestplus du got des lites locales des Ier IIIe s. de n. .

    6.3 Standardisation & diversit : Novare & Verceil

    Sous le Haut-Empire, derrire cette faade dinscrip-tions relativement standardises , on distingue desassemblages diffrents dans chaque ville. Prenons, parexemple, les deux villes adjacentes de Verceil et Novareen Transpadane. Toutes les deux sont dorigine prromai-ne et sont devenues des colonies latines aprs 89 av. n. .et finalement municipes de citoyens romains en 49 av.n. . Elles sont aussi des villes riches : Verceil il y a dessnateurs importants et Novare bnficie dvergtes prospres. Mais lpigraphie montre des diffrences frappantes (cf. tableau 3) : les noms personnels dorigineceltique nexistent pas Verceil o on a utilis des trianomina et pas de noms uniques 135 ; toujours Verceil,les magistrats locaux sont moins attests que les sna-teurs ; une grande partie de la population a des ambitionsmilitaires, surtout lespoir de rejoindre la prestigieusegarde prtorienne Rome. Au contraire, levergtisme,les noms gaulois et quelques divinits indignes sont pluscaractristiques de Novare et son territoire : par exempleMoccus 136, Tincus (CIL V 6650 137), les Matronae 138, etdes combinaisons, comme Iuppiter O(ptimus) M(axi-mus), les Matronae indulgentae et Mercurius lucrorumpotenti (CIL V 6594), qui pourraient sous-entendre desdivinits indignes.

    Dans ces deux villes dhistoire assez proche, lapplica-tion de stratgies diffrentes est largement initie par leslites. Verceil est orient vers Rome et la population peutfaire une carrire Rome, grce leurs patrons, commele snateur Vibius Crispus. La population de Novare aaussi des liens important avec Rome, ce quil ne faut pasngliger, mais llite sinvestit davantage dans le muni-cipe en parant la ville de bains, de schola et de portiquesavec le maintien du respect envers les autorits locales etle souci de leur carrire.

    134Cf. Crawford 1996 pour la lex de Gallia Cisalpina.135 Verceil a t la ville indigne, daprs Pline, loppidum Vercellae Libiciorum ex Salluis ortae (Pline, NH 3, 17, 21). Les tmoignages pigraphiques

    de Verceil refltent lidal dune ville romaine typique : large usage des tria nomina, des noms latins, des carrires la romaine et des formulesromaines. Labondance des tria nomina et du tribus romain nest pas ncessairement un signe de lacquisition de la citoyennet romaine, commedans les provinces, car la Transpadana a reu la ciuitas romana en 49 av n. . (Luraschi 1979 ; Ewins 1955). Les noms uniques et lonomastiqueceltique-ligurienne sont presque absents de cette cit dorigine indigne ; lexception principale est le village de Victumulae/Cerrione avec desinscriptions comparable celles des Canavese et Cuneese, avec filiation celtique, comme Fronto, Verionis f(ilius) or Secuttius Ebrisci f(ilius) (AE1988, 617-22).

    136Cf. aussi le nom personnel dorigine celtique, Moccius, de Caraglio (CIL V 7835).137AE 1990, 855 : Tinco | Mocc(o) d(icatum).138CIL V 6488, 6491 et 6497a : Dianae et | Mat[r(ones?)] | L[-]uetidic[---] - lassociation de Diana et les Matronae pourrait indiquer une Diana

    indigne (?) ; CIL V 6575, 6615, 6619 et 6641 : Matronis sacrum pro salute C. Caesaris | Augusti Germanici | Narcissus C. Caesaris.

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