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Monsieur John Scheid L'investiture impériale d'après les commentaires des arvales In: Cahiers du Centre Gustave Glotz, 3, 1992. pp. 221-237. Citer ce document / Cite this document : Scheid John. L'investiture impériale d'après les commentaires des arvales. In: Cahiers du Centre Gustave Glotz, 3, 1992. pp. 221-237. doi : 10.3406/ccgg.1992.1360 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ccgg_1016-9008_1992_num_3_1_1360

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Monsieur John Scheid

L'investiture impériale d'après les commentaires des arvalesIn: Cahiers du Centre Gustave Glotz, 3, 1992. pp. 221-237.

Citer ce document / Cite this document :

Scheid John. L'investiture impériale d'après les commentaires des arvales. In: Cahiers du Centre Gustave Glotz, 3, 1992. pp.221-237.

doi : 10.3406/ccgg.1992.1360

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L'investiture impériale d'après les commentaires des arvales

John Scheid École Pratique des Hautes Études, Vème section

La découverte entre 1865 et 1869 d'une importante série de comptes rendus de la confrérie arvale a permis à Th. Mommsen de renouveler la problématique de l'investiture impériale. Avant cette date, on ne disposait que de la lex dite de imperio Vespasiani, des sources littéraires, et de quelques témoignages épigraphiques ou numismatiques indirects. Les archives des arvales donnaient jusqu'alors deux dates : celle de la prise du titre de pater patriae par Claude, en 44, et celle de l'adoption de Licinianus par Galba. La moisson de W. Henzen livra vingt autres données directes sur les avènements impériaux, auxquelles se sont ajoutées depuis une poignée de témoignages complémentaires (tableau 1).

Références

CIL VI, 2028 32346 e 2032 2039 2041

2041/2

2044 2051

2060

Date

38 39 44 57 58 59

66 69

81

Passages concernant l'investiture des empereurs connus

avant 1867 après 1867/9 - -

pater patappêïïT - - -

- adopt.de Liciïiïânus

-

imper.appell. ; pater pat imper.appell.

- imper. ; trib.pot. imper. ; trib.pot.

com.cons. ; com.sacerd.; imper. ; trib.pot

imper. imper. ; com.trib.; com.cons.

et com.sacerd.d'Othon ; trib.pot; imper, de Vitellius.

imper.; com.trib.

Tableau 1

La théorie développée par Th. Mommsen à la suite de ces découvertes est, très schématiquement, la suivante1.

Le pouvoir impérial repose sur deux pouvoirs formels avant tout, Yimperium proconsulaire et la puissance tribunicienne ; il requiert par conséquent deux actes de création. L'imperium de l'empereur dérive de l'acclamation impériale par les troupes et par le sénat ; le titre d'imperator rend apte à l'exercice de Vimperium. La situation juridique de Γ imper ator correspondrait à celle des chefs de guerre victorieux de la République ; mais

Th. Mommsen, Le droit public romain (tr. fr. 1887-1891), 1984, V, 158 sq.

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alors que, traditionnellement, c'était un [mperium consulaire ou proconsulaire qui pouvait déboucher, dans certaines conditions, sur la collation du titre d'imperator, ce serait depuis Auguste l'acclamation par le peuple en armes qui transformerait un particulier en détenteur d'imperium. Cet acte révolutionnaire exprimant la souveraineté populaire aurait dispensé le pouvoir en question de se faire légitimer par un vote comitial. Et comme les procès- verbaux des arvales ne mentionnent pas de comices définissant la portée de Yimperium conféré par l'acclamation, Th. Mommsen a supposé que ces précisions étaient contenues dans la loi sur la puissance tnbunicienne qui, elle, est commémorée par les arvales. Deuxième pouvoir du prince, la puissance tribunicienne est toujours décernée après Yimperium, et les procès-verbaux des arvales prouvent que, conformément à sa nature civile, elle est conférée par le peuple. Ces comices impériaux, le terme est de Mommsen, auraient conféré non seulement la puissance tribunicienne, mais aussi la définition de ce pouvoir et de Yimperium. Cette procédure serait restée en vigueur au moins jusqu'à Domitien, toujours d'après le témoignage des commentaires des arvales. D'ailleurs les juristes Gaius et Ulpien dérivent d'une loi (d'après Mommsen la loi sur la puissance tribunicienne) le droit impérial d'édicter ; cette loi aurait contenu également les clauses de la lex dite de Yimperium de Vespasien.

En 1888, J. Kromayer2 a repris cette théorie en la corrigeant sur certains points. À la suite de Th. Mommsen, il considère le titre d'imperator comme la simple expression de Yimperium du titulaire à l'instant de l'acclamation. Celle- ci est cependant implicitement mise en rapport avec un pouvoir à venir, un pouvoir légalement limité dans le temps et l'espace, mais formellement indépendant du simple titre conféré par l'acclamation des soldats. Le titre exprimerait l'aptitude à exercer Yimperium et habiliterait le titulaire à porter les insignes impératoriaux, sans être obligé de les abandonner dès qu'il franchissait le pomerium. Quant au contenu du pouvoir annoncé par le titre, c'est-à-dire Yimperium proconsulaire, J. Kromayer pense qu'il était accordé par les comices, à l'image des grands commandements exceptionnels de la République finissante. Comme preuves de sa théorie, il citait le témoignage de Dion Cassius sur les événements de 27 av. n. ère, la modification de 23, et la loi consulaire sur Yimperium de Tibère, en 11 apr. n. ère3. La puissance tribunicienne, quant à elle, aurait été accordée par une autre loi. Aux yeux de Kromayer, celle-ci ne pouvait conférer que les pouvoirs spécifiques de la puissance tribunicienne.

Tels étaient, en gros, les termes du débat qui commença il y a un siècle, et qui continue de se développer. Ce n'est pas ce débat que je reprendrai, mais un

2 J. Kromayer, Die rechtliche Begrûndung des Prinzipats (Dissertation Strasbourg), Marbourg, 1888. Pour une bibliographie récente pour toute cette question, voir F. Jacques, J. Scheid, Rome et l'intégration de l'Empire (44 av. J.-C .- 26 ap. J.-C), Paris, 1990 : ΧΧΠ sq., et 22 sq ; Kl. M. Girardet, "Der Rechtsstatus Oktavians im Jahre 32 v. Chr.", dans RhM, 133, 1990, 322 - 350.

3 Kromayer 1888 : 32 sq.

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L'investiture impériale 223

élément majeur de l'argumentation sur lequel il se fonde, le témoignage des procès-verbaux du collège arvale, dont je tenterai de préciser et d'évaluer la portée. Avant d'exposer le dossier dans son contexte, et d'en tirer tous les renseignements qu'il donne sur l'investiture des princes, je tiens à rappeler, pour commencer, une donnée de base.

Les commentaires des arvales ne doivent pas être considérés comme un registre d'actes d'État, en tout cas pas au sens où nous l'entendons : ces documents enregistrent les comptes rendus des services religieux liés à ces actes publics ou les commémorant. La confrérie des arvales appartenait aux sacerdoces publics de Rome, et les services religieux ordinaires et extraordinaires qu'elle célébrait étaient dictés par le calendrier public des Romains. Par conséquent, sa liturgie reflète les devoirs religieux de la respublica, et on peut exploiter son témoignage pour reconstruire, non seulement l'ensemble des services religieux liés à l'investiture impériale, mais indirectement l'investiture elle-même. Toutefois, les comptes rendus annuels des frères arvales ne doivent pas être surinterprétés. Les documents connus appartiennent à la transcription sur le marbre d'un résumé du rapport "officiel", plus ou moins détaillé, que le président de la confrérie rédigeait, cérémonie après cérémonie, sur un codex. Il ne faut pas se laisser émerveiller par la précision de ces documents, car il s'agit généralement de rapports plus ou moins complets sur des actes liturgiques, non de leur description exhaustive4.

♦ ♦♦

Les commentaires des arvales livrent, à l'heure actuelle, des informations précises sur l'investiture de cinq princes : Caligula, Néron, Othon, Vitellius et Domitien*.

Cette donnée appelle une première précision. Nous ne possédons aucun témoignage sur l'investiture d'Auguste, de Tibère ou de Claude, parce que les procès-verbaux des arvales étaient laconiques sous les deux premiers princes, et que nous ne possédons que quelques fragments des comptes rendus du règne de Claude. Après Domitien, les arvales ne mentionnent plus la célébration de services liés à l'investiture. Trois raisons peuvent rendre compte de ce silence subit et surprenant. Les prêtres ont pu prendre la décision de ne plus mentionner ces services religieux dans leurs commentaires épigraphiques ; mais cette décision contredirait les coutumes de la confrérie et n'est, dans l'état actuel de la documentation, pas soutenable. A mes yeux, les arvales ne mentionnent plus ces cérémonies parce qu'ils ne les célébraient plus. Pourquoi ? Une première explication pourrait être que Domitien et ses

4 Voir J. Scheid, Romulus et ses frères. Le collège des frères arvales, modèle du culte public dans la Rome des empereurs (B.E.FAA. n°275), Rome 1990 : 40 -72.

5 On consultera aussi les commentaires de W. Henzen, Actafratrum Arvalium quae supersunt, Berlin, 1874, 63 sq. et Scheid 1990 : 384 sq.

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successeurs ont décidé que seuls les quatre grands collèges sacerdotaux et les magistrats célébreraient les services religieux scandant et commémorant l'investiture princière. Ce genre de restriction est envisageable6. On peut cependant aussi conclure que les cérémonies ont été limitées à la journée même de l'investiture, à l'exemple de la suppression, à partir de Vespasien, des commémorations d'anniversaires impériaux divers7; et comme nous ne possédons pas les comptes rendus complets des années d'investiture suivantes, nous ne disposons pas non plus d'autres témoignages de ces cérémonies. Ma préférence va à la deuxième interprétation, mais quoi qu'il en soit, il est erroné de se fonder sur le silence des commentaires des arvales pour conclure de façon irrévocable que le processus d'investiture impériale lui-même disparut après l'année 818. Voyons à présent le catalogue des services religieux que les arvales ont célébré à l'occasion des avènements princiers.

1 - Caligula. Tibère meurt le 16 mars 37. Caligula est acclamé par les prétoriens de

Misène. Le 18 mars, le sénat approuve l'acclamation ; le 28 mars, Caligula entre à Rome et le 29 mars, d'après Suétone9, le sénat lui confère, le ius arbitriumque omnium rerum. Le procès-verbal de l'année 38, qui est entièrement conservé jusqu'au 12 octobre10, comporte trois rubriques qui se rapportent à l'avènement, celles du 18 mars (également conservée en 39), du 28 mars et du 21 septembre.

Le service du 18 mars commémorait l'acceptation du titre d'imperator par le jeune prince, ou plus exactement la formule employée précisait que le sénat l'avait acclamé à son tour (voir tableau 2). Le service du 28 mars commémorait l'entrée de Caligula à Rome, celui du 21 septembre l'acceptation du titre de père de la patrie (tableau 2).

6 Voir à titre d'exemple l'épisode rapporté par Tacite, Ann., 3, 64, 4 sq. qui décrit un conflit de maiestas entre collèges sacerdotaux.

7 Scheid 1990 : 356 sq.

8 Telle est p. ex. la position de M. Hammond, Transmission of the imperial powers front the death of Nero in AD. 68 to that of Alexander Severus in AD. 235, dans MAAR 24, 1956 : 61-133, notamment 85, déjà dénoncée par Bl. Parsi, Désignation et investiture de l'empereur romain (1er et2ème siècles après J.-C.), Paris, 1963 : 93.

9 Suet, C. Calig., 14, 1. Voir pour tout ceci P. Brunt, "Lex de imperio Vespasiani", dans JRS 67, 1977 : 95 -116, notamment 98 -100. D'après Dion Cassius, il reçut en un jour tous les pouvoirs et prérogatives qu'Auguste avait progressivement accumulés et dont certains n'avaient jamais été acceptés par Tibère (Dio 59, 3, 1).

10 Voir MEFRA, 92, 1980 : 221 sq.

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L'investiture impériale 225

2 - Claude. Comme les procès-verbaux conservés ne mentionnent que la collation du

titre de père de la patrie (tableau 3), je passe sur l'avènement de ce prince.

CALIGULA

18 mars

NERON

13 octobre

OTHON 15?janvier

VTTELLIUS (1er mai pour le 19 avril)

puMhlfcJN

14septem- 1 bre

5&

66

6$

6$

CILVI, 2028,c, 1.8 - 14

CILVI, 32346, e,

CILVI, 2041, 1.9 -14

CILVI, 2042, b, 1.49 - d, 1.1 sq. CILVI, 2044, Π, f,1.36- 40

CILVI, 2051, Lfr.7, 1.35-40

CILVI, 2051, 1, 1.84 - 89

CILVI, 2060, 1.27 - 32

quod hoc die C.Caesar Augustus Germanicus a senato impera[tor appellatus est] quod hoc [ — Germa- n]icus ab senato imp[erator appellatus est] ob imperium Neronis Gaudi Caesaris Aug. Germanici

[---]

[ — Nero]nis Caes.

[---]

ob diem imperì (Vitelli) German.imp.quod XIII k.Mai.stat.est

obimpenum Caes[aris] diui f. Domitiani Aug.

a.[in]Capitolio b.[ante templum

no]uom

[in Capitolio]

in Capitolio

[---]

a.[---] b.in tem[plo nouo]

[---]

a.in Capitolio

b.in foro Aug.

in Capitolio

aJoui Iunoni Mineruae hostias maiores m

b.diuo Augusto unam

Iou[i] bouem[ — ]

Ioui b.marem, Iunoni uaccam, Mineruae uacc, Felicitati publi- cae uacc, Genio ipsius taurum, diuo Aug. b.marem, diuae Aug.uaccam, diuo Claudio b.marem

[---]

a.[- - -] b.[- -, diuae Claudiae] uir[gini uacc, — ]

[ — Mineruae] uacc, Vic[t]oriae uacc, sa[l]uti [uacc,- -Marti ultori t]aur., Genio ips.taur. a.Ioui b.m., Iun.uacc, Min.uacc, Ioui uict. b.m., Saluti uacc, Felicitat.uacc, Gen. p.R.taur.b.Marti ultori taur., Gen. ips.taur. Ioui o.m.b.m., Iunoni reginae uaccam, Mineruae uaccam, Salut[i] uaccam, Felicitati uaccam, Marti taurum

Tableau 2. Services célébrés ob imperium

3 - Néron. Claude meurt le 13 octobre 54. Néron est acclamé par les prétoriens de la

garde, dans le palais impérial puis dans leur camp, où il paraît avoir pris les

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226 J.Scheid

auspices11. Ensuite il se rend à la Curie, où le sénat prend des arrêts {consulta) à son sujet. Néron accepte tous les honneurs sauf le titre de père de la patrie12. Les commentaires des arvales livrent des données précises sur l'acclamation impéra tori ale, la collation de la puissance tribunicienne, ainsi que sur les comices consulaires et sacerdotaux de Néron (tableaux 3-5). Les données sont claires, et n'appellent que trois précisions.Le procès-verbal de 59 nous apprend que le 4 mars les arvales commémoraient les comices consulaires de Néron (tableau 5).

38

21 septembre

44

[12] janvier

MEFRA 1980, 225, 1.56-63

CIL VI, 2032, 1.3-14

quod eo die C.Caesar Augustus Germanicus cons[ensu] senatus delatum sibi patris patriae nomen recepisset quodTi.Claudius Cae[sar Augustjus Germanicus ρ p. appellatus [est]

a. in Capitolio

>. ad templum nouom

in Capit]olio

a. Ioui limoni Mineruae hostias maiores ΠΙ b. diuo Augusto unam

Ioui bouem marem, Iun[oni uac]cam, Mineruae uaccam, Felicitati u]accam, diuo Aug. bouem marem, di[uae] Augustae uaccam

Tableau 3. Collation du titre de pater patriae

Or, le premier consulat de Néron date du 1er janvier 55. Quels sont alors les comices consulaires mentionnés ? Ceux du 4 mars 54 ? Mais à cette date, Claude était en vie et il n'y avait aucune raison de modifier les dispositions prises en 51, lors de l'adoption de Néron : le jeune homme avait alors reçu le privilège de gérer les faisceaux dès qu'il aurait atteint l'âge de vingt ans13. La date de la commémoration prouve qu'il ne s'agissait pas non plus de comices spéciaux convoqués après la mort de Claude. Autrement dit, il faut reconnaître avec Mommsen et Henzen qu'il ne peut s'agir que de la commémoration du privilège de 51. Or Tacite ne mentionne qu'une décision du sénat, alors que le procès-verbal des arvales précise que le privilège fut accordé par les comices : la formule employée prouve qu'il s'agissait d'une désignation, d'une élection en bonne et due forme. Le privilège identique accordé sous Auguste à Caius et Lucius Césars authentifient cette procédure. Auguste lui-même, Tacite et Dion Cassius14 rapportent que les deux enfants furent élus consuls par les comices, à

11 Suet., Ner. 8 : ...inter horam sextant septimamque processif ad excubitores, cum ob totius diei diritatem non aliud auspicandi tempus accommodatius uideretur.

12 Suet., Ner. 8; Tac., Ann., 12, 69 (sententiam militum secuta patrum consulta).

13 Tac, Ann., 12, 41, 2 ; Mommsen, "Bemerkungen zu der neuen Arvaltafel", dans Hermes, 2, 1867, 56- 63, notamment 63 ; Henzen 1874 : 66.

14 RGDA II, 46 - III, 6 ; Tac. Ann., 1, 3, 2 ; Dio 55, 9, 2.

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L'investiture impériale 227

cette réserve près que leur consulat commencerait post quinquennium15. Contrairement à ce que la formule floue de Tacite laisserait entendre - en fait l'historien ne se réfère qu'à une étape de la procédure - Néron a été élu consul pour une date lointaine. En octobre 54, on a sans doute considéré que désormais sui iuris après la mort de son père, l'empereur, Néron pouvait et devait revêtir sans tarder ce consulat.

COMITIA TRIBUNICIAE POTESTATIS 57 4 décembre

38 4 décembre

69 28 février

69 30 avril

81 30 septembre

CIL VI, 2039, 1.14-21

CIL VI, 2041, 1.19-23

CIL VI, 2051, 1, 1.58-62

CIL VI, 2051, 1, 1.81-93

CIL VI, 2060, 1.33-38

ob tribuniciae potestat Neronis Claudi Caesaris Aug. Germanici ob tribunic.potestatem Neronis Gaudi Caesaris Aug.Germanici ob comit.trib.pot.imp. (Othonis)

obcomitia trib. pot[[Vitelli]] Germanici imp. [ob co]mitìa tribunicia Caesaris diui f. Dom[itia]ni Aug.

Ioui b.marem, Iunoni uaccam, Mineruae uaccam

Ioui b.marem, Iunoni uaccam, Mineruae uaccam

Ioui b.m., Iunoni uacc, Mineruae uacc., Saluti uacc, Victoriae uacc, Gen.p.R.taur., Gen. ipsius taur. Iou.b.m., Iun.uacc, Min. uacc ., Saluti uacc, Gen. ipsius taur. uictumis immo[l]at[i]s Ioui o.m. [b]ouem m[a]rem, Iunoni reginae uaccam, Mineruae uaccam

Tableau 4

COMTTIA CONSULARIA 59 4 mars

69 26 janvier

CIL VI, 2041 1.64-70

CILVL2051 1, 1.41-45

ob comitia consularia Neronis Qaudi Caesaris Aug.Germanici ob [c]omitia consularia imp. Otho-nis Caesar. Aug.

Ioui bouem mar., Iunoni uacc, Mineruae uaccam, Genio ipsius taurum Ioui b.m., I[u]noni uacc, Miner, uacc, Gen.ips.taur.

Tableau 5.

Le 5 mars 59, les arvales sacrifient [ob pojntificatum Neronis (tableau 6). W. Henzen a supposé qu'ils commémoraient l'entrée de Néron dans le collège pontifical en 5116. Avec M. Hoffman Lewis17 je ne suis pas convaincu par cette interprétation. Les empereurs, et leurs successeurs présumés, sont toujours

15 Henzen 1874 : 66 n'a pas vu ce parallèle,

i* Henzen 1874 : 66 sq.

17 M. Hoffman Lewis, The Official Priests of Rome under the Julio-Claudians. A Study of the Nobility from 44 B.C. to 68 AJD. (MAAR, 16), Rome, 1955 : 35.

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cooptés dans tous les collèges sacerdotaux : des monnaies et quelques inscriptions prouvent que tel fut le cas du jeune Néron. Par conséquent, on comprendrait mal pourquoi seule l'élection parmi les pontifes aurait été fêtée. Les comptes rendus de 58 et 59, qui sont complets, prouvent qu'aucune autre élection sacerdotale de Néron n'était célébrée par les arvales. L'hypothèse de W. Henzen ne peut donc pas être retenue. Autrement dit, le 5 mars les prêtres commémorent l'élection de l'empereur Néron au souverain pontificat. Comme Tibère en 15, Néron a dû attendre les comices sacerdotaux réguliers18 du mois de mars 55 pour être élu à cette fonction.

COMPITA SACERDOTIORUM COMITIA PONTTFICATUS MAXIMI 39 5 mars δ9~

5 mars W 9 mars

CIL VI, 2041, 1.71-2042, a, 1.5 CIL VI, 2051, 1, 1.68-71 CIL VI, 2051, 1, 1.72-76

[ob po]ntificatum Neronis Claudi Caesaris Aug. Germanici ob comitia sacerdotior.imp. O[t]honis Aug. ob comitia pontif .max Othonis Aug.

Ioui [b.m., Iu]noni uaccam, Mineruae uaccam, Genio ipsius taurum Ioui b.m., Iunoni uacc, Mineruae uacc, Genio ips.taur. Ioui b.m., Iun.uacc, Mineru. uacc, deae Diae uacc, Gen.ips. taur.

Tableau 6

Enfin, il convient d'éliminer un problème relatif à l'anniversaire de la collation de la puissance tribunicienne. En se fondant sur l'omission, dans le libellé de la commémoration des arvales, de la mention des comices, et sur le changement du comput des puissances tribuniciennes à partir de l'année 60, M. Y. Perrin a tenté de reconstruire un "coup d'état" débouchant, en 60, sur une "monarchie tribunicienne"19. Les arguments invoqués par M. Perrin ne paraissent pas pouvoir être retenus.

Je n'accorderai pas une importance excessive à la formule employée par les arvales (tableau 4). Notons qu'il n'est pas impossible que le libellé de l'année 57 (ob tribuniciae potestat(is) Neronis) recouvre, en fait, la formule correcte ob (comitia) tribuniciae potestatis. Quoi qu'il en soit, le deuxième argument, le changement de comput attesté sur le procès-verbal de l'année 60, ne peut pas être invoqué à l'appui de cette thèse. Quels sont les faits ? Le 3 janvier 59, la titulature de Néron est, d'après les commentaires des arvales :

18 L'élection d'Auguste au grand pontificat eut lieu le 6 mars 12 av. J.-G, celle de Tibère le 10 mars 15 : si l'on y ajoute les documents concernant Néron et Othon, on peut conclure que les comices sacerdotaux tombaient en mars. Sous la République ils avaient lieu entre les comices prétoriens et consulaires.

w Y. Perrin, Le règne de Néron : une monarchie tribunicienne ?(A propos du changement apporté au comput des puissances tribuniciennes en l'année 60), dans B. Rémy (éd.), Recherches épigraphiques. Documents relatifs à l'histoire des institutions et de l'administration de l'Empire romain (Mémoires du Centre Jean Palerne, VI), Saint-Etienne, 1986 : 55-83.

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L'investiture impériale 229

trib. pot. V, imp. VI, cos. Ill, design. IIII 20 ; mais le 1er et le 3 janvier 60, toujours d'après les commentaires des arvales, elle a changé : trib. pot. VII, imp. VII, cos. IIII 2i. Les monnaies, quant à elles, associent la VIe puissance tribunicienne (revêtue en principe entre le 13.10 ou le 4.12.59 et le 13.10 ou le 4.12.60) et le IVe consulat (1.7.60)22. Toutefois, un diplôme militaire donne, à la date du 2 juillet 60, tr. p. VII, imp. VII, cos. IIII 23. M. Perrin déduit de la modification du numéro d'ordre de la puissance tribunicienne, attestée le 1er janvier 60, que Néron a procédé à ce changement entre le 4 décembre, jour traditionnel du renouvellement de la puissance tribunicienne, et le 31 décembre : il propose le 15 décembre, jour du dépôt de la barbe de Néron.

Il s'agit, en fait, d'un faux problème que Th. Mommsen a résolu24. Jusqu'en 59, la puissance tribunicienne de Néron est comptée à partir du 13 octobre ou du 4 décembre 54. En 60, le système est modifié : le décompte est rendu conforme aux coutumes de l'année tribunicienne, qui commençait le 10 décembre, et la période du 13.10 ou 4.12.54 au 9.12.54 est attribuée à la lère puissance tribunicienne. Ce changement est intervenu entre le 1er janvier (monnaies) et le 2 juillet 60 (diplôme militaire). Mais pourquoi alors le nouveau décompte figure-t-il sur les commentaires arvales, le 1er et le 3 janvier ? Th. Mommsen a compris que c'est parce que, conformément aux coutumes de la confrérie, le procès-verbal de 60 a été gravé sur le marbre à la fin de l'année 60 ou au début de l'année 61. A cette date, la réforme était connue et le rédacteur de l'extrait a rectifié la titulature de Néron. Autrement dit, les commentaires des arvales ne prouvent pas que la modification du comput est antérieure au 1er janvier 60. D'ailleurs rien n'atteste cette révolution tribunicienne sur les commentaires des arvales. Certes, la fin du procès-verbal de l'année 59 est mutilée, mais les fragments concernés sont suffisamment grands pour prouver qu'aucun service n'a été célébré par les arvales entre le 12 et le 17 décembre, terme annuel de l'exercice d'une présidence du collège. La cérémonie du 15 décembre 59, qui conclut le compte rendu annuel des arvales sous le principat de Néron, n'est en rien mise en relation avec la révolution supposée : il s'agit d'un simple sacrifice offert à l'occasion de l'anniversaire du prince. En 60, la description en est

20 CIL VI, 2041, 1. 40 sq.

21 CIL VI, 2042 d, 1. 17 ; 1. 27.

22 BMC I, CLXII ; CL. Clay, Die Mûnzprâgung des Kaisers Nero in Rom und Lugdunum. Teil I : Die Edelmetallprâgung der Jahre 54-64 n.Chr., dans NZ 96, 1982 ; 7-52 (qui donne une autre chronologie des puissances tribuniciennes, ne tenant pas compte des données que nous examinons: 13.10.59 - 31.12.59, tr.pot.VI; 1.1.60 - 12.10.60, tr.pot.VI, cos IIII; 13.10.60 - 12.10.61, tr.pot.Vn, cos.IÏÏI).

23 CIL XVI, 4.

24 Mommsen, 1984 : V, 62, note 2 .

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intégralement conservée : les arvales ne commémorent que le natalis de Néron ; les victimes offertes sont les mêmes qu'au 15 décembre 58 et 592s.

4 - Othon. Le 15 janvier 69, Galba est assassiné ; Othon est acclamé par les

prétoriens. Le soir, il se rend au Sénat. Les sénateurs acceptent l'acclamation et lui décernent, d'après Tacite26, la puissance tribunicienne, le nom d'Auguste et tous les honneurs des princes {omnes principum honores).

Les commentaires des arvales attestent une procédure plus longue et plus complexe. Le [15] janvier - l'inscription ne donne pas la date précise - on célèbre un sacrifice correspondant, selon toute vraisemblance, au dies imperii d'Othon (tableau 2)27. Le 26 janvier, sacrifice ob comitia consularia ; le 28 février, ob comitia tribuniciae potestatis ; le 5 mars^ò comitia sacerdotiorum, et enfin le 9 mars, ob comitia pontificatus maximi (tableaux 4-6).

5 - Vitellius. Le 16/17 avril 69, Othon se suicide. La nouvelle atteint Rome au cours

des jeux de Cérès, qui durent du 12 au 19 avril, donc entre le 16 et le 19 avril. D'après Tacite28, le Sénat se réunit ensuite pour décerner statim à Vitellius cuncta longis aliorum principatibus composita. Les commentaires des arvales précisent cette description. Le 30 avril, les arvales sacrifient ob comitia tribuniciae potestatis (tableau 4). Le 1er mai, les prêtres officient ob diem imperii. . . quod (ante diem tertium decimum) k(alendas) Mai(as) stat(utum) est (tableau 2) ; or si le dies imperii a été fixé au 19 avril, cela signifie que l'acclamation par le sénat a eu lieu le 19 avril2?. Enfin, un fragment infime évoque des [com]itia. W. Henzen a proposé de l'attribuer aux comices sacerdotaux de Vitellius30.

2* 15 décembre 58 : CIL VI, 2041, 1. 29 - 34 ; 15 ; décembre 59 : CIL VI, 2042 d, 1. 9 - 14 ;

26 Tac., Hist., 1, 47, 1 : decernitur Othoni tribunicia potestas et nomen Augusti et omnes principum honores.Voa aussi Dio - Xiph. 64, 8, 1 ; Plut., Galba, 28.

27 CIL VI, 2051, 1, fr.6, 1.38 - 40 ; voir Brunt 1977, 99.

28 Tac, Hist. 2, 55.

29 Les spéculations de P. Brunt sur le retardement du sacrifice en question dû, d'après lui, à l'incompétence de L. Maecius Postumus, sont démenties par les nouvelles données concernant cet arvale et son fils : il s'agit en fait de deux prêtres différents, père et fils, voir Scheid, Les frères arvales. Recrutement et origine sociale sous les Julio - Claudiens, Paris, 1975 : 277, n°55. Maecius Postumus père n'était plus un jeune sénateur en 69, et le retard de la célébration de Yimperium a certainement une autre raison. H pourrait simplement s'agir du débat sur la date du dies imperii, car on note que le rapport des arvales n'indique pas qu'on sacrifie ob imperium, mais ob diem imperii, quod a.d. XIII stat. est, comme s'il fallait justifier le choix de cette date : j'en conclus que la décision de fixer le dies imperii au 19 avril a dû être prise après le 19 avril, sans doute le 30 avril ou peu avant.

30 CIL VI, 2051 fr.6, 1.3.

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6 - Domitien. Titus meurt le 13 décembre 81. Les comptes rendus des arvales

rapportent des services religieux le 14 septembre, ob imperium (tableau 2), et le 30 septembre, ob comitia tribunicia (tableau 4).

**♦

Si nous réunissons ces données, un certain nombre de conclusions peuvent être formulées. Commençons par les formules employées.

1 - Imperium. Les commentaires des arvales utilisent trois types de formules qui peuvent

donner lieu à plusieurs interprétations. Les termes employés et le choix de la date du 18 mars prouvent que, en 38 et 39, les arvales commémorent l'acclamation de Caligula par le sénat. Mais sur les documents relatifs à Néron, Othon, Vitellius et sans doute même Domitien, les choses sont moins claires. Aux jours commémorés, ils furent certes appelés imperator par le sénat, mais ce dernier décida également, au cours de la même séance, de recommander la collation des pouvoirs et privilèges traditionnels au princeps. Par conséquent, la formule ob imperium peut se référer au sénatus-consulte sur les pouvoirs (dont Yimperium et sa définition) plutôt qu'à la seule acclamation impératoriale. On notera que, en 69 et 81, Mars et Félicitas figurent parmi les divinités invoquées, ce qui renvoie au domaine militaire, à Yimperium dans sa plénitude31.

2 - Puissance tribunicienne. La différence entre la formule ob tribuniciam potestatem (Néron) et ob

comitia tribuniciae potestatis (69 et 81) est illusoire. D'abord parce que la formule employée en 57 ne doit pas forcément être classée avec celle de 58. En effet ob tribuniciae potestat(is) peut être un simple lapsus pour ob (comitia) tribuniciae potestat(is). L'exemple des trois documents relatifs aux sacerdoces recommande cette solution : bien que le rédacteur écrive [ob pojntificatum et ob comitia sacerdotiorum, il se réfère au même acte public, aux comices sacerdotaux.

Quoi qu'il en soit, que signifient les expressions ob comitia tribunicia et ob tribuniciam potestatem ? Les documents examinés permettent-ils de comprendre sous cette expression autre chose que la collation de la puissance tribunicienne, notamment celle des privilèges et pouvoirs contenus dans la loi dite de imperio Vespasiani, ainsi que la définition de l' imperium proconsulaire ? J'estime que c'est impossible pour des raisons internes à notre

31 Sous Vitellius les arvales sacrifient à cette occasion au Forum d'Auguste, qui est lié aux décisions concernant la guerre, bref à l'exercice de X imperium proconsulaire. L'argument topographique est toutefois moins fort qu'il ne paraît, car le Forum d'Auguste est également lié aux triomphes et donc au titre d'imperator.

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corpus. Car à chaque fois qu'il est question de comices sur les Commentaires des arvales, ces comices concernent l'objet précis qui est indiqué : le consulat, les sacerdoces, le grand pontificat - et la puissance tribunicienne. D'ailleurs la formule employée en 58, ob tribunic(iam) potestatem, en apporte la preuve explicite, car elle ne peut être employée par le rédacteur que si la puissance tribunicienne constitue l'objet précis et exclusif des comices commémorés. Ceci vaut également pour la formule du 5 mars 59 : [ob pojntificatum.

Ces précisions faites, nous pouvons nous demander ce que signifient les commémorations ou célébrations inscrites sur les comptes rendus des arvales, et dans quelle mesure elles permettent de reconstituer la procédure d'investiture de l'empereur romain.

Manifestement, les arvales - c'est-à-dire les collèges sacerdotaux - ne célèbrent et ne commémorent pas tous les actes d'investiture, ils en choisissent quelques uns. Sont sélectionnées, à côté d'autres éléments sans intérêt pour notre enquête, l'acclamation par le sénat, la collation de la puissance tribunicienne, éventuellement certaines élections ou acceptations de titres. Les choix des arvales n'ont pas été fixés une fois pour toutes, ils ont varié dans le temps. Au cours du demi-siècle examiné, trois systèmes sont attestés :

- la commémoration la plus simple de l'avènement, attestée en 38-39, consiste à fêter uniquement l'acclamation impératoriale par le sénat, et à célébrer le souvenir d'événements moins importants pour notre propos, mais intéressants pour la "tonalité" augustéenne de l'arrivée au pouvoir de Caligula, comme Y advent us à Rome et l'acceptation (tardive) du titre de père de la patrie, qui attiraient la lumière sur la "mise en scène" de l'avènement plus que sur la collation des pouvoirs et privilèges ;

- sous Néron, les arvales commémorent l'acclamation impératoriale et le vote des comices conférant la puissance tribunicienne ;

- peut-être en 6932 et certainement en 81, les arvales modifient leur choix : désormais, les jours mêmes de l'acclamation impératoriale et du vote de la loi sur la puissance tribunicienne, les arvales offrent un sacrifice ; mais ils ne commémorent plus le souvenir de ces événements au cours des années successives, tout comme ils ne sacrifient plus, à partir de Vespasien, à l'occasion des anniversaires, bonheurs ou malheurs de la domus Augusta33 ; et puisque les comptes rendus postérieurs à Domitien ne conservent aucune trace de la commémoration des actes d'investiture, nous pouvons conclure que les choix adoptés en 69 ou sous les Flaviens furent définitifs.

Indépendamment du fait que les arvales n'ont peut-être pas été associés à toutes les fêtes et commémorations liées à l'investiture de l'empereur, il est évident que leur choix de l'acclamation impératoriale et des comices de la puissance tribunicienne n'implique pas que l'investiture proprement dite se

32 Comme les empereurs concernés ont perdu le pouvoir au cours de la même année, il est impossible de vérifier si l'on avait déjà rompu dès 69 avec la tradition des commémorations annuelles.

33 Scheid 1990 : 426 sq.

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L'investiture impériale 233

réduisait à ces deux actes. Mais en sélectionnant deux pouvoirs et deux moments précis, le choix des arvales - et donc des autorités romaines - signale l'importance de ceux-ci.

La célébration de l'acclamation impératoriale avertit de ne pas trop "dévaluer" le titre d'imperator conféré par les soldats et le sénat : ce titre était

si important que, sous Caligula, il était seul parmi les actes d'investiture à être commémoré. Par ailleurs, le choix de l'acclamation et de la collation de la puissance tribunicienne font de celles-ci l'élément central de l'investiture, alors que le vote des lois sur l'étendue de Ximperium, ainsi que les sénatus-consultes recommandant la convocation des comices pour la collation des puissances et pouvoirs sont relégués au second plan. Secondaires apparaissent également l'acclamation par les soldats et la loi sur les privilèges, sans doute parce qu'ils ne suffisaient pas pour investir formellement le prince : à la lumière de ce choix, la loi sur les privilèges de l'empereur paraît concerner plutôt certaines conditions de l'exercice de Ximperium et de la puissance tribunicienne que ces pouvoirs eux-mêmes34.

*** A l'aide de ces observations, nous pouvons reconstituer dans le

prolongement de J. Kromayer la procédure d'avènement suivante : 1. Les soldats acclament l'empereur. D'après une remarque de Suétone à

propos de l'investiture de Néron, on pourrait supposer que, contrairement à l'affirmation de Mommsen35, Ximperator prenait alors les auspices. Suétone36 écrit en effet que Néron décida de se rendre dans la caserne des prétoriens quand le temps parut le plus propice à la prise des auspices. Certes, Néron possédait déjà Ximperium proconsulaire à la mort de Claude, et c'est en vertu de ce pouvoir qu'il pouvait prendre les auspices, d'autant plus que la caserne était située hors du pomerium. On notera toutefois que la prise d'auspices détermina la conduite de Néron, ce qui laisse entendre qu'elle était très importante, et donc liée aux événements qui allaient se dérouler.

Quoi qu'il en soit, conformément à la tradition l'autorisant à approuver l'acclamation d'un imperator par les soldats, le sénat reconnaît ensuite l'initiative des soldats en acclamant à son tour l'empereur.

2. Le même jour, ou l'un des jours suivants, le sénat délibère et propose aux magistrats de faire conférer à l'empereur la puissance tribunicienne, Ximperium proconsulaire, une série de privilèges, dispenses et droits, bref ce que contient la loi dite de imperio Vespasiani, des titres, enfin de le faire élire consul, membre de tous les collèges sacerdotaux, souverain pontife et de le faire coopter dans toutes les sodalités.

34 Contra P. Brunt 1977 (avec la bibliographie).

35 Mommsen, 1984 : V, 5.

36 Suet., Nero, 8 ; voir note 11.

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Autant de sénatus-consultes - Tacite emploie le pluriel pour Néron37 - que les historiens romains résument par des formules générales qui ne doivent pas tromper, et qu'il faut se garder de vouloir retrouver sous telle ou telle clause de la lex dite de imperio Vespasiani. En rapprochant, par exemple, la fameuse clause discrétionnaire de la lex39 du ius arbitriumque omnium rerum, que le sénat aurait, d'après Suétone39, accordé à Caligula, on risque de commettre la même erreur que lorsqu'on a voulu reconnaître, d'après une formule tacitéenne40, la puissance tribunicienne sous l'expression είς πλείστον ΰψους διαιράμενο, "élevé au sommet le plus élevé", ad summum fastigium, employée par Auguste à propos d'Agrippa41.

3. A la suite de ces sénatus-consultes, les magistrats convoquent les comices, qui confèrent tous ces pouvoirs et privilèges, sans doute séparément ou par groupes, du moins au premier siècle.

Quelle preuve puis-je apporter en faveur de cette reconstruction, suivant laquelle l'empereur n'est formellement investi de tous ses pouvoirs qu'après les avoir reçus par les lois mentionnées ?

Précisons tout de suite que cette reconstruction concerne la légitimité du pouvoir impérial, et non la réalité du pouvoir que le nouveau prince possède depuis son acclamation par les soldats et le sénat, parfois même auparavant : cet état de choses est clairement affirmé par les commémorations des années 38-39. Mais les Commentaires des arvales postérieurs prouvent que la collation de la puissance tribunicienne était au moins aussi importante, et apportent une autre confirmation indirecte de cette hypothèse.

Chaque année, les magistrats et les prêtres de Rome, dont les arvales, formulent des voeux pour le salut de la respublica et du prince42 ; les voeux pour le salut de l'empereur sont renouvelés si celui-ci change. Cinq documents doivent être examinés.

37 Tac. Ann., 12, 69, 3.

38 ILS 244, 1. 16 sq. (clause VI) : utique quaecunque ex usu reipublicae maiestate diuinarum hum[na]rum publicarum priuatarumque rerum esse censebit, ei agerefacere ius potestasque sit, uti diuo Aug. (etc) fuit.

39 Voir note 9.

40 Voir E.W. Gray, "The imperium of M. Agrippa. A note on P. Colon, inv.nr.4701", dans ZPE, 6, 1970, 227-238 ; L. Koenen, "Summum fastigium. Zu der Laudano funebris des Augustus", dans ZPE, 6, 1970, 239-243 .

41 M. Gronewald, "Ein neues Fragment der Laudario funebris des Augustus auf Agrippa", dans ZPE, 52, 1983 : 61-62.

42 Pour ces services voir Scheid 1990 : 289 -363.

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L'investiture impériale 235

- Avènement de Vitellius. Les comptes rendus sont malheureusement mutilés43. En tout cas on peut

noter que les deux premiers services concernant Vitellius tombent le 30 avril (comices tribuniciens) et le 1er mai (acclamation). Par conséquent, plus d'une semaine et demie après l'avènement officiel de Vitellius, les voeux pour son salut n'ont pas encore été formulés44 ; ils figuraient vraisemblablement sur le fragment qui livre aussi la trace d'autres comices45. - Avènement de Domitien.

Sacrifices lors de l'acclamation impératoriale, le 14 septembre 81, et lors des comices tribuniciens, le 30 septembre ; voeux pour son salut le 1er octobre. - Avènement de Pertinax.

Malgré des sources maigres et peu sûres, nous savons que Pertinax fut acclamé le 1er janvier 193 ; les voeux pour son salut auraient donc pu être prononcés le 3, mais en fait ils sont formulés le 1246. - Avènement d'Elagabal.

Acclamé le 8 juin 218, voeux le 14 juillet47. - Avènement de Gordien ΙΠ.

Acclamation entre le 14 avril et le 1er mai 238, voeux le 10 [mai]48. Dans chacun de ces cas, un délai plus ou moins long sépare les premiers

actes d'investiture de la formulation des voeux. Ce délai ne peut pas seulement être justifié par la situation tendue, car il est également attesté lors des successions tranquilles, comme en 81. On ne peut pas non plus considérer l'émission de voeux comme un élément négligeable du processus d'investiture, car sinon on ne comprend pas pourquoi les arvales attendent parfois si longtemps avant de prononcer leurs voeux et le font au lendemain des votes

43 CIL VI, 20S1, 1, 81-88, la plaque est cassée après la ligne 88 et le compte rendu ne reprend qu'avec l'acquittement de voeux lié à Yadventus de Vitellius (CIL VI, 2051, Π, fr.1-2, 1.2-5 ; Henzen 1874 : 115, voir note suivante).

44 Les voeux du 14 mars sont un faux du rédacteur, maquillant en voeux pour Vitellius les voeux de départ en campagne d1 Othon (voir Henzen 1874 : 115). A cette date, Rome était encore tenue par les Othoniens, et il était impossible non seulement d'y émettre des voeux officiels pour Vitellius, mais aussi de l'élire arvale et d'en faire leur magister (CIL VI, 2051, 1, fr.6, 1.76-80). Le service qui précède le sacrifice du 29 mai est vraisemblablement une solutio, comme Henzen (1874 : 115) l'a vu, et non une nuncupatio ; est-elle en relation avec les voeux de départ "maquillés" du 14 mars ? Malheureusement l'état des fragments nous interdit d'aller plus loin. Quoi qu'il en soit, la solutio du mois de mai est suivie du rapport sur le sacrifice à Dea Dia du 29 mai.

45 CIL VI, 2051, Π, fr.6.

** Scheid 1990 : 310.

47 CIL VL2104, verso, 1. 31-38. Entre le 30 mai et la cooptation d'Elagabal par les arvales, peu avant le 14 juillet, les comptes rendus n'enregistrent aucun service.

48 Scheid, "Nouvelles données sur les avènements de Claude, de Septime Sévère et de Gordien m", âansBSNAF, 1988, 361-371.

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comitiaux. Autant d'interrogations qui me paraissent indiquer que le délai n'était pas gratuit. S'agissant d'un rite religieux, la raison du retard doit être cherchée d'abord dans les règles du droit sacré. Au cours de la nuncupatio, les arvales utilisent une formule dont tous les termes doivent être clairs, précis et dépourvus d'ambiguïté : telle est l'exigence pour tout contrat et notamment pour toute prière49. Or, tant que tous les actes d'investiture ne sont pas achevés, l'empereur ne peut pas figurer en tant que tel dans une prière votive, cela n'est possible qu'une fois le processus formel achevé, comme dans le cas de Domitien. Le cas d'Othon permet de préciser cette conclusion.

Acclamé le 15/16 janvier 69, Othon ne reçoit la puissance tribunicienne que le 28 février. Pourtant il est l'objet de voeux publics dès le 30 janvier50. Est-ce l'exception qui détruit la règle ? Je ne le pense pas, car pourquoi les arvales attendent-ils quinze jours avant de prononcer leurs voeux ? D'autre part, entre l'acclamation et les voeux un événement important est intervenu, l'élection d'Othon au consulat le 26 janvier51. Je propose de considérer que cette élection conférait à Othon un pouvoir formellement inattaquable, qui le rendait apte à être l'objet de voeux publics : en somme il se trouvait dans la même situation juridique que l'empereur Auguste entre 27 et 23 avant notre ère.

Le délai séparant l'acclamation impératoriale des prises de voeux

s'explique, à mes yeux, par l'attente du deuxième grand acte d'investiture : le "vote" de la loi sur la puissance tribunicienne, éventuellement une autre

sanction comitiale. A la lumière de ces documents, l'empereur paraît donc être investi formellement par les soldats et le sénat aussi bien que par les comices, même si l'acclamation et son acceptation par le sénat déclenchent le processus.

Mais pourquoi retarde-t-on le vote de la loi sur la puissance tribunicienne ou, dans le cas d'Othon, l'élection au consulat ? La réponse pourrait être que sur ce point également, on respectait les formes, en laissant passer, si rien n'urgeait, un trinundinum ou un binundinum avant la réunion de ce qu'on appela jusqu'à Domitien en tout cas les comices^. Même si cette procédure s'est ensuite figée en rituel d'avènement, et si les divers pouvoirs ont été conférés par une "loi" unique, les témoignages du IIIe siècle montrent que le délai entre l'acclamation et l'investiture définitive existait toujours. Et si ce délai appartenait au rituel d'investiture, il avait une raison d'être : la volonté populaire, ou ce qu'on considérait comme telle, était requise pour créer l'empereur.

49 Plin., NH 28, 10 sq. ; Serv., In Aen., 12, 172 ; Geli., ΝΑ 2, 28 sq.

50 CIL VI, 2051,1, fr.6, 1.46-54.

51 CIL VI, 2051, 1, fr.6., 1.41-45.

52 Déjà relevé par Brunt 1977 : 98 sq.

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L'investiture impériale 237

Autrement dit, la procédure d'investiture de l'empereur romain révèle, comme P. Brunt l'a bien vu«, les fondements du pnncipat. L'empereur n'est pas de droit divin ; il n'est pas non plus l'Etat, il exerce ses fonctions par la volonté du peuple romain. Quelque "monarchique" qu'il soit, le régime du principat s'inscrit dans le cadre conceptuel de la cité.

53 Brunt 1977: 116.