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« reussite» de l' Abbe La par Claude SAVART C'est a dessein que je place ma communication sous cetitre un peu provocant, et a certains egards contestable. Sans doute, il y a du Rastignac chez Migne, en tout cas de l'auvergnat tenace « monte» faire fortune dans la capitale. Et d'un autre c6te, on hesite a parler de reussite, lorsqu'on pense a l'abbe considerant, un matin de 1868, leg restes calcines de son imprimerie, ou, quelques anneesplus tard, et devenu presque aveugle, devant s'avouer l'ineluctable in- achevement de son programme de publications. Mais c'est a un autre niveau que Ie terme s'impose. Je ne connais pas d'autre exemple, dans Ie domaine de l'edition, d'une realisation d'une telle ampleur : pres d'un millier de grog volumes in-quarto publies, pour l'essentiel, en une trentaine d'annees (1837-1867) I C'est en ce gensque Migne a tout de me-me«reussi I), car il lui a fallu trouver des capitaux, des clients, en un mot leg moyens necessaires pour mener a bien une reuvre devant laquelle d'autres avaient recule ou avaient du rapidement s'avouer vaincus. C'estcela que je me propose d'essayer d'expliquer ici: leg facteurs de la reussite de l'edi- teur Migne, au genscommercial du mot. C'est dire que j'exclus de mon propos Ie travail de 1'« edi- teur» au gens scientifique: a quelles sources Migne a-t-il puise, quels collaborateurs s'est-il attache, etc? Au probleme de la reussite de Migne, je chercherai une solution dans leg directions que voici : origine et developpementde sesprojets d'edition; originalite eventuelle de ses methodes commer- ciales; chronologie precise de ses publications. A l'issue de cette triple demarche, on devrait se trouver en presence,non plus d'un« cas»historique inexplicable parce qu'incomparable,

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«

reussite» de l' AbbeLa

parClaude SAVART

C'est a dessein que je place ma communication sous cetitre un peu provocant, et a certains egards contestable.

Sans doute, il y a du Rastignac chez Migne, en tout cas del'auvergnat ten ace « monte» faire fortune dans la capitale.Et d'un autre c6te, on hesite a parler de reussite, lorsqu'onpense a l'abbe considerant, un matin de 1868, leg restescalcines de son imprimerie, ou, quelques annees plus tard, etdevenu presque aveugle, devant s'avouer l'ineluctable in-achevement de son programme de publications.

Mais c'est a un autre niveau que Ie terme s'impose. Je neconnais pas d'autre exemple, dans Ie domaine de l'edition,d'une realisation d'une telle ampleur : pres d'un millier de grogvolumes in-quarto publies, pour l'essentiel, en une trentained'annees (1837-1867) I C'est en ce gens que Migne a tout deme-me « reussi I), car il lui a fallu trouver des capitaux, desclients, en un mot leg moyens necessaires pour mener a bienune reuvre devant laquelle d'autres avaient recule ou avaientdu rapidement s'avouer vaincus. C'est cela que je me proposed'essayer d'expliquer ici: leg facteurs de la reussite de l'edi-teur Migne, au gens commercial du mot.

C'est dire que j'exclus de mon propos Ie travail de 1'« edi-teur» au gens scientifique: a quelles sources Migne a-t-ilpuise, quels collaborateurs s'est-il attache, etc? Au problemede la reussite de Migne, je chercherai une solution dans legdirections que voici : origine et developpement de ses projetsd'edition; originalite eventuelle de ses methodes commer-ciales; chronologie precise de ses publications. A l'issue decette triple demarche, on devrait se trouver en presence, nonplus d'un« cas» historique inexplicable parce qu'incomparable,

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86 (2)C. SAVART

mais seulement d'une ,aventure exceptionnelle tres concrete-ment enracinee dans un certain contexte historique.

1. La genese du programme

Comment I'abbe Migne en est-il venu Ii I'idee de se faireediteur? En I'absence d'une biographie scientifique completedu personnage, je ne pourrai que poser quelques jalons. Ceque DOllS savons de sa jeunesse repose, pour l'essentiel, surles informations rassemblees par I'abbe Barbier pour I'unede ses biographies ecclesiastiques 1; or ce dernier reste fortevasif sur Ie tournant qui conduira Ie fondateur de L'Universliorganiser les « Ateliers catholiques I). L'interesse s'en serait-ildavantage explique? Lui si prolixe Ii I' ordinaire, devientsoudain sur ce chapitre avare de confidences. 11 no us ditbien tres clairement et tres tot Ie but de ce qu'il vient d'entre-prendre. Ses premiers volumes sont sortis en 1837; desI' annee suivante, en demandant Ii la Direction de la Librairieun brevet d'imprimeur, il explique I:

« Mon dessein fixe est de populariser dans Ie clerge europeenleg chefs-d'ceuvre du catholicisme a force de bas prix et de belleexecution II.

Avec les annees, Ie « dessein I) -peu Ii peu realise -ne feraque s'amplifier, et I'editeur eQ explicitera volontiers Ie sensavec son intarissable eloquence publicitaire. 11 ecrit ainsi en1858 Ii Louis Veuillot, dont il est pret Ii payer fort chef quel-ques lignes elogieuses 3 :

« Je viens vous offrir pour 300 francs de volumes a votrechoix parmi mes publications, si vous voulez bien en inclurelanomenclature entre une t~te et une queue de votre main...Je crois rendre a l'Eglise Ie plus grand service qui lui ait jamaisete rendu...en ressuscitant integralement sa tradition ».

1 Biographie du clerge contemporain, par un solitaire (l'abbe Hippo-lyte Barbier), t. 3, 1841, p. 289-324.

2 Letire du 8 juillet 1838 (A. N., F 18 1803).3 Lettre du 13 fevrier 1858 (B. N., Man., N. a. fro 24633, folio 478).

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(3) LA « REUSSITE » DE L' ABBE MIGNE 87

Mais

ce projet, quand, comment a-t-il germe en lui? La-dessus, pas un mot. U ne seule fois, dans un prospectus de1838 4, il indique que l'idee des Cours complets (ses premierespublications) Ie hante « depuis pres de vingt ans », ce qui nousreporte

a ses annees de seminaire ; mais une telle affirmationn'est, ni vraiment precise, ni totalement digne de confiarJce.A la limite, c'est ce silence meme qui pose probleme, et qu'ildevient necessaire d'expliquer. Au-dela de l'ambition ency-clopedique qui anime beau coup de ses contemporains (onpense a un Pierre Larousse), est-ce que cette volante de Mignede contrlbuer au renouveau des sciences ecclesiastiques neproviendrait pas d'une source en quelque sofie « inavouable »?

Poser la question en ces termes, c'est presque dire deja lareponse que je suis tente de lui donner. II serait superflu dedemontrer ici que la volante de ranimer la vie intellectuelledans l'Eglise de France a ete un des elements essentiels-bien qu'il n'en ait pas eu l'exclusivite -du mouvementmennaisien. Serions-nous fondes a attribuer a l'influencede celui-ci la formation initiale des projets de Migne 5? Commeil arrive souvent dans ce type de recherche, je ne possedepas -on l'a vu ci-dessus -la preuve decisive d'une telleinfluence: si elle fut reelle, Migne n'avait evidemment aucuninteret a en faire etat quelques annees seulement apres lesencycliques Mirari vas et Singulari nos.

Par contre, leg signes ne manquent pas qui font de cetteinfluence une hypothese hautement probable; seule une etudeapprofondie des annees de jeunesse de Migne permettraitpeut-etre d'en preciser leg voies et leg eta pes concretes:

-Ce n'est pas ici Ie lieu d'analyser Ie contenu de L'Uni-vers, d~rant la periode oil Migne en regie l'animateur. II estcertain qu'en depit de ses protestations d'impartialite -ilporte pour epigraphe: « Unite dans les choses certaines, li-berte dans leg douteuses, charlie, verite, impartialite danstoutes » -, ses preferences vont a l'ultramontanisme ; Baillyn'hesite pas a fusionner avec lui sa Tribune ca tho lique, et

4 Prospectus des COUTS complels (A. N., F 18 1803), p. 2.5 Ct. au me-me moment Ie programme parallele de Ia revue I' Univer-

silt! calholique.

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C.

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L' Ami de la religion voit dans son apparition la menace d'uneresurrection de L' Avenir.

-Sans que l'on connaisse dans Ie detailles relations entreleg deux hommes, on constate que Migne beneficie constam-ment pour ses publications de l'appui publicitaire que luiapporte sans reserve Bonnetty. Celui-ci, dans ses Annales dephilosophie chretienne, multiplie leg comptes rendus elogieux :

«( M. l'abbe Migne publie depuis plusieurs annees un grandnombre de bOllS ouvrages, qu'il est parvenu a editer et a vendrea bon marche» 6. -«Parmi les entreprises de librairie religieuse,il est juste de mettre en premiere ligne celIe qu'a fondee et apu realiser de nos jours M. l'abbe Migne » 7. -« II est du devoirdes eveques, des superieurs de seminaires, des cures, qui aimentla religion, de lui venir en aide, et il taut Ie faire Ie plus t~tpossible, car humainement parlant, un seul homme ne peutlongtemps porter un si lourd fardeau» 8. -«Cette reuvredevrait etre protegee plus qu'elle ne rest par les gouverne-ments, par les eveques et par tous les catholiques... » 9.

Or Bonnetty, par son traditionalisme, demeure dans Ie sillagede la pensee mennaisienne.

-On a vu plus haut que la jeunesse de Migne nons etaitsurtout connue a travers Ie recit qu'en fit en 1841 HippolyteBarbier. Mais qui etait done ce dernier, et pourquoi ecrivait-il? Une breve notice, placee en t~te de ses lEuvres posthumes 1°,va nons Ie dire:

« On se tromperait fort, si ron imaginait qu'en entreprenantson reuvre Ie Biographe se proposa pour but principal de com-poser une galerie de portraits plus oumoins dignes de l'admira-tion des lecteurs. Au-dessus de la question des personnes etde la forme, il y avait avant tout, pour lui, d'excellentes veri-tes a rappeler, de precieuses reformes a demander et des insti-tutions venerables a retablir...1I plaida pour Ie retablissementdes officialites diocesaines... II crut trouver Ie remede (a la

8 Tome 4 de la 3e serie, octobre 1841, p. 320.7 Tome 5 de la 3e serie, janvier 1842, p. 67.8 Tome 14 de la 3e serie, novembre 1846, p. 394.9 Tome 8 de la 4e serie, aotlt 1853, p. 162.10 Abbe H. BARBIER, lEuvres posthumes, precedees d'une notice

biographique par G. Bazin (Paris, 1864), p. XVI-XVIII.

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(5) LA « REUSSITE» DF. L' ABBE MIGNE 89

situation du clerge de second ordre) dans l'application duprincipe de l'inamovibilite des desservants... II eut desire queIe clerge de notre temps fut amene II. se montrer moins dedai-gneux de la science profane... »

On voit mieux ainsi pourquoi l'abbe Migne, dont l'idealetait si proche du Bien, constituait pour lui une figure digned'etre mise en lumiere. Et d'oil Barbier tenait-il de tellesconvictions? Ne a Orleans en 1808, il avait dft en quitterIe grand seminaire en 1833 a cause de son attachement aumennaisianisme:

l'annee meme oil Migne quitte pour Parissa cure de Puiseaux I Barbier mourra en 1864, apres avoirete longtemps aumonier du lycee Louis-Ie-Grand. Les deuxhommes ont evidemment evolue dans Ie meme climat intellec-tuel et spirituel.

Faut-il pour autant parler du mennaisianisme de Migne?Dans une certaine mesure seulement, et en tout cas sanschercher en lui un « catholique liberal». Mais il en a retenutrois autres traits suffisamment attestes : l'ultramontanisme,Ie presbyterianisme (il s'est assez audacieusement engagedans la querelle pour la defense des desservants), enfin legvues « traditionalistes» sous-jacentes au programme de sespublications.

Entre l'intuition initiale, si precoce qu'elle ait ete, et samonumentale -encore que partielle -realisation, sur la-quelle je reviendrai, il me reste a preciser l'etape intermediaireque constitua l'elaboration d'un programme de publications.Celle-ci connut en realite des developpements successifs.Au depart, l'idee originale de Migne est de publier en chaquedomaine des sciences religieuses, so us Ie nom de « courscomplet», une selection des meilleurs traites, choisis de tellesorte que chaque auteur y figure par la question sur laquelleil a, de l'avis general, tout particulierement brille. C'est bienainsi que se presentent Ie COUtS complet d' Ecriture sainte et IeCOUtS complet de theologie, par lesquels il inaugure son activited' editeur. Devant leur succes, il va done bA.tir un programmed'ensemble, que nous lisons par exemple dans leg Annalesde philosophie chretienne de janvier 1842 11 :

u Tome 5 de la 3e serie. D. 68.

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« M. l'abbe Migne ne se propose rien moins que de publier unevaste encyclopedie de toute la science catholique. On en jugerapar la liste suivante des publications qui sont sous pre sse ou quiseront rises successivement sur Ie metier:1. un cours d'Ecriture sainte ;2. un cours de Theologie (acheves) ;3. un cours de Patrologie (saint Augustin est acheve) ;4. un cours de Droit canon;5. un cours de Devoirs ecclesiastiques ;6. un cours d' Ascetisme ;7. un cours d'Hagiographie ;8. un cours d'Eloquence sacree ;9. un cours d' Apologetique ;

10. un cours de Catechisme ;11. un cours de Controverses ;12. un cours de Biographie ;13. un cours de Conciles ;14. un cours de Liturgie ;15. un cours d'Histoire ;16. un' cours de Philosophie ;17. un cours de Litterature ;18. un cours de Sciences et d' Arts dans leurs rapports avec la

religion, etc, etc, etc.Puis leg principaux ouvrages en tous genres (mais toujours

dans Ie cercle religieux) tant fran<;ais qu'etrangers... .

Voila done « toute la science catholique» decoupee en « courscomplets» I Cependant rien n'est fixe quant au nombre desvolumes, et la liste -on l'aura remarque -reste ouverte ad'infinis prolongements par un prudent « etc». C'etait une

sage precaution.Car Ie succes se confirmant, Migne, quelques annees plus

tard, precise et amplifie Ie programme ci-dessus : il annoncemaintenant au public un ensemble de 2.000 volumes I SiIe chiffre est souvent cite, on en indique fort rarement la re-partition, et j'ai cru utile de la donner ci-dessous d'apres laRevue du monde catholique du 15 janvier 1848 12. On voitpar cette liste (oil se sont glisses quelques lapsus) que Ie

12 P. 3 de la couverture.

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(7) 91LA « REUS SITE » DE L' ABBE MIGNE

programme est devenu a la fois plus ambitieux et plus com-plexe. Si plusieurs series gardent Ie nom de « cours com-plets I), d'autres s'y juxtaposent SOliS leg titres leg plus divers,sans parler des ouvrages isoles. La « Patrologie» a prig lapremiere place avec un total prevu de 300 volumes; derriereelle viennent sept series de 100 volumes chacune, dont aucunene verra Ie jour. Par contre, 1'« Encyclopedie theologique» etleg « Orateurs sacres » seront plus vastes qu'on ne l'envisageaitici.

On aura remarque la note qui accompagne l'annonce ci-dessus : « Nous commencerons par leg publications qui auront,leg premieres, reuni cinq cents souscripteurs». Or Migne setrouvera, apres 1844, dans l'impossibilite de lancer aucunenouvelle serie importante. Les seules dont la realisation flit,semble-t-il, serieusement envisagee (plusieurs annonces ladonnent pour imminente), furent la collection des Concileset celIe dite Orb is christianus, en 80 volumes chacune. L 'abbene put desormais que s'efforcer d'achever leg series entrepri-ses; mais cela nous conduit a l'histoire des publications ef-fectives, sur laquelle DOUg reviendrons.

2.

Les {< Ateliers Catholiques» et leur clientele.

Ainsi Migne designe-t-ill'important etablissement industrielqu'il met sur pied dans Ie courant de l'annee 1838, a l'echellede ses projets. Pour ce faire, il a acquis un vaste terrain, horsde Paris mais a proximite de la barriere d'Enfer (actuelleplace Denfert-Rochereau), sur Ie territoire du Petit-Mont-rouge (actuel XIVe arrondissement), a l'angle de la Chausseedu Maine (actuelle avenue du Maine) et de la rue d' Amboise(actuelle rue Thibaud). Peut-on en preciser la superficie?L'acte de vente a l'editeur Garnier (apres Ie deces de Migne),date du 13 juillet 1876, indique 3.221 metres carres 13. L'em-placement est occupe aujourd'hui par quatre immeublesconstruits en 1895: numeros 18 et 20 rue Thibaud, 189 et191 avenue du Maine. Mais il semble que leg constructions

13 Archives Migne. J'adresse ici mes viis remerciements a Monsieuret Madame de Malzac, qui m'en ont aimablement autorise et facilitela consultation.

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92 (8)C. SAVART

n'en utilisaient qu'une partie: un « toise de la maison deM. Migne» du 3 juin 184114 attribue aux batiments deux

fa<;ades de 29,60 metres a l'ouest et 40,12 metres au midi;ils out pu d'ailleurs ~tre completes par la suite, mais aussilaisser la surface necessaire a des cours.

La disposition des lieux no us reste relativement malconfine. Barbier, en 1841, decrit « un edifice de quelque centpieds de long, reconvert d'une toiture en vitrage, et presen-taut a pen pres du reste l'aspect d'une eglise de campagne» 1°.Un historien du quartier, consignant sans doute des souvenirspersonnels, en trace Ie tableau suivant 16 :

« La fa~ade sur l'avenue du Maine etait des plus modestes.Une porte cochere, a droite et a gauche deux petits pavilIons aquatre fen~tres et a un seul etage... L 'emplacement occupepar l'imprimerie et ses annexes etait considerable; la fa~adeavait 30 metres sur l'avenue du Maine, et ils s'etendaient Ie longde la rue Thibaud sur une profondeur de 60 metres ».

Tel est bien -pour la fa<;ade ouest -l'aspect fixe par unegravure que publie Le Monde illustre apres l'incendie de186817. Mais cela ne nous renseigne pas sur les amenagementsinterieurs.

On sait seulement que ceux-ci devaient permettre la juxta-position des diverses etapes de la fabrication du livre, puisqueMigne, comme d'ailleurs a la m~me epoque plusieurs editeursreligieux de la province, avait opte pour leur integration, etintitulait -en toute modestie -son etablissement: « Ate-liers catholiques d'imprimerie, de librairie, de fonderie, destereotypie, de gla<;age, de satinage, de brochure, de reliure,de peinture et de sculpture » 18. Leur directeur conviait sanscesse Ie public, surtout Ie clerge et particulierement l'episco-pat, a venir admirer chez lui les merveilles de la techniquemoderne, mais les evocations lyriques de ses catalogues ne

14 Ibidem.15 Biographie du clerge contemporain, t. 3, p. 314.16 A. L'EsPRIT, A travers Ie XIV6: l'imprimerie Migne de la Chaussee

du Maine, dans L'Observatoire de la rive gauche, 14 juin 1914.17 Reproduite par Andre Vernet dans Annuaire 1960 de la Societe

historique du Xly6 arrondissement de Paris, p. 35.18 Catalogue, 1857, 64 p. (B. N., Q. 10), p. 1.

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(9) LA « REUSSITE) DE L' ABBE MIGNE 93

com portent aucune description precise. Outre la productiondes livres, il avait done entrepris celIe du mobilier d'eglise:orgues et harmoniums, tableaux et statues. S'offrant a« reproduire les chefs-d'reuvre de la peinture chretienne detoutes les ecoles I), il se faisait fort de « delivrer nos templesdes croutes dont on les affublait» 19. Le scepticisme restepermis sur ce point, et de toute maniere cette branche de sonactivite ne parait pas avoir pris tOllS les developpementsqu'il en attendait.

Faute de description, essayons du moins d'evaluer la capa-cite de production de l'entreprise, qui a d'ailleurs vraisem-blablement varie entre 1838 et 1868. Deux chiffres en four-niront l'ordre de grandeur: Ie nombre des presses, et l'effec-tif du personnel. Quant au premier, Barbier deja en 1841interpelle son lecteur 20 :

« Frappez a la porte, et... vans verrez fonctionner par laforce de la vapeur les cinq grandes presses mecaniques qu'il(Migne) vient de faire etablir au fond du batiment ».

Dans son Annuaire de l'imprimerie et de la presse pour 1854,comme dans Ie suivant pour 1855-1856, Eugene Gauthier 21,au milieu d'un tableau statistique comparant toutes lesimprimeries parisiennes, attribue aux « Ateliers catholiques»20 presses a bras et 4 presses mecaniques. Mais au mememoment Migne fait savoir a sa clientele que, afin d'obtenirline impression de meilleure qualite... 22

« La vapeur et les mecaniques ne sont plus appliquees qu'auxjournaux ; taus les labeurs se tirent aux presses a bras ».

Des ce moment, il a d'ailleurs pris l'habitude d'indiquer dansses annonces et ses catalogues que ses ateliers « peuvent en-ranter 2.000 volumes in-quarto toutes les 24 heures»; Iechiffre est evidemment approximatif, et probablement gonfle,car Bonnetty ecrira en relatant l'incendie 23 :

19 Ibidem, p. 2.20 Biographie du clerge contemporain, t. 3, p. 314.21 Paris (Dentu), 1854, 96 p. et 1855, xx-128 p.22 Catalogue de 1857 (cf. note 18 supra), p. 64.23 Annales de philosophie chretienne, t. 17 de la 5e serle, fevrier 1868,

p.141.

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(10)94 C. SAVART

« Pour imprimer un volume a 1000 exemplaires, M. Mignen'a besoin que de deux journees I).

Quel que soit Ie chiffre exact, il est certainement eleve.En ce qui concerne Ie personnel, les renseignements col-

lectes attestent de fortes variations, lesquelles refletentevidemment la croissance et Ie degre de prosperite de l'en-treprise. Passons-les rapidement en revue. En 1838, lorsqu'ildemande un brevet d'imprimeur, Etienne Migne (collabora-teur de son frere l'abbe) declare son intention d'occuper 100ouvriers 24; en 1841, Barbier mentionne 140 ouvriers 25.En 1849, un inspecteur de la librairie note dans un rapportsur les « Ateliers catholiques» 26 :

« Cet atelier typographique a acquis des proportions colos-sales, et en temps ordinaire occupe jusqu'a 150 ouvriers desdeux sexes. Aujourd'hui ce chiffre est considerablement re-duit I).

Puis la prosperite revient: au debut de l'annee 185427,Migne publie une offre d'emplois pour « porter a 500 Ie nom-bre de ses employes et ouvriers »; et dans son Annuaire parula m~me an nee, Eugene Gauthier detaille leurs diversestaches 28 :

« On compte en ce moment 596 personnes occupees par legAteliers catholiques du Petit-Montrouge, soit 190 compositeurs,38 imprimeurs, 24 correcteurs, 4 conducteurs et 340 employesdivers, tels que fondeurs, clicheurs, relieurs, redacteurs, bro-cheuses, etc. ».

Plus tard l'effectif semble diminuer: en 1860, Werdet parlede « plus de 300 ouvriers» 29; et au lendemain de l'incendiede 1868, les chiffres suivants sont avances 80 :

« Dans ces ateliers travaillaient 200 ouvriers ; au dehors 600personnes etaient occupees par cette colossale maison ».

24 Lettre du 9 juillet 1838 (A. N., F 18 1803).25 Biographie du clerge contemporain, t. 3, p. 314.26 Rapport du 2 juin 1849 (A. N., F 18 1803).27 Bibliographie de la France, 21 janvier 1854, Feuilleton, p. 30.28 Annuaire de l'imprimerie et de la presse pour 1854, p. 22-23.29 Edmond WERDET, De la librairie franr;aise, p. 261.30 Bibliographie de la France, 15 fevrier 1868, Chronique, p. 25.

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(11) LA «( REUS SITE » DE L 'ABBE MIGNE 95

Une evolution est rnanifeste. Le personnel de l'etablisse-ment lui-meme a atteint un maximum de 600 personnes, puisdiminue; mais cette baisse aurait peut-etre ete partielle-ment compensee par un nombre croissant d'artisans travail-lant a domicile, dans Ie quartier, pour Ie compte de la mememaison. De to ute maniere, un tel effectif, comme d'autrepart Ie nombre des presses, pIa cent les « Ateliers catholiques I)au niveau des plus grosses imprimeries fran<;aises de l'epoque,telles que l'Imprimerie Imperiale, ou la maison Mame aTours.

Si l'on connait assez bienl'effectif du personnel, on est beau-coup mains renseigne sur deux questions qui se posent a sonsujet: comment Migne Ie recrutait-il? et quelle etait sonattitude, en tant que patron, a l'egard de ses subordonnes?On a souvent represente l'ensemble des ouvriers de l'impri-merie du Petit-Montrouge comme un pittoresque rassemble-ment de pretres en rupture de ban, recueillis par leur astucieuxconfrere, non tant par charite, que pour les payer au-dessousdu taux habituel. II est certain que Migne accueillait lescandidatures de ce genre; j'ai vu, en ce sellS, la lettre d'uncure normand lui adressant une demande d'emploi pour unconfrere en difficulte avec son eveque 31 :

« ...Il ne gait quai faire pour vivre. Sachant que... vous em-ployez dans vos ateliers leg confreres malheureux... »

Par contre, il est impossible d'affirmer, en l'absence de donneesprecises, que les pretres interdits constituaient la majoritedu personnel de Migne. Ce qui est sur, c'est que ce derniercherchait egalement dans d'autres directions a recruter desouvriers dociles et peu exigeants. Eugene Gauthier, tres avertides aspects sociaux de la profession typographique, lui re-proche d'embaucher systematiquement a cette fin des travail-leurs etrangers 32 :

« Me permettrez-vous de m'inquieter de ces enr6lements decompositeurs etrangers, lorsque nos nationaux quittent l'im-primerie, faute de travail, pour se refugier dans d'autres profes-

31 Lettre d'un cure du diocese d'Evreux, 19 janvier 1859 (Archives

Migne).32 Annuaire de L'imprimerie et de La presse pour 1855-56, p. 5.

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sions?.. Avec vans je conviens qu'un Allemand bien chevelu,bien blond, bien doux, bien soumis, sans ressources et depaysedans Paris, est plus maniable qu'un FranQais done de la meil-leure nature... »

Cependant cette recherche d'une main-d'reuvre a bon marcheparait avoir ete tres generale chez leg imprimeurs de l'epoque.

Sur Ie comportement de notre pr~tre-industriel envers sesemployes et ouvriers, il est difficile de conclure, tant leg te-moignages se contredisent. Selon un rapport de 1849 33 :

« Il passe pour payer assez genereusement ses ouvriers...Son imprimerie manque parfois de surveillance, ce qui a donnelieu it. l'impression de quelques pamphlets politiques... »

Pour Gauthier 34, sa direction est surtout incoherente :

« Par un exces d'humanite, il partage entre 190 compositeursla besogne de 110 it. 120 ouvriers ordinaires, ce qui endort oueteint les habitudes laborieuses chez beaucoup d'entre eux;par une appreciation incompetente ou mal conseillee du travail,il inflige l'exclusion publique et prejudiciable it. des ouvrierssouvent tres capables... Je voudrais... que les prix de main-d'reuvre fussent dans des conditions avantageuses et hono-rables pour tous; que la somme de travail fut distribuee avecplus d'equite ; que l'humilite et la bonte paternelle fissent place(sic) aux taquineries mesquines et it. la vanite demonstrativedu maitre... »

Pour Werdet enfin 35, « leg ouvriers y sont paternellementtraites, quoique retribues modestement, mais ils sont sursd'y trouver constamment de l'ouvrage I). On comprendqu'en ce domaine, leg appreciations puissent demeurer assezlargement subjectives.

S'il fallait porter un jugement d'ensemble sur cette organisa-tion materielle des « Ateliers catholiques », je dirais volontiersque tout donne l'impression d'y avoir ete con<;u sur line lar-ge echelle, et en m~me temps de la fa<;on la plus economiquepossible: Ie vaste terrain choisi bars de Paris, Ie personnel

33 Rapport do 2 join 1849 (A. N., F 18 1803).34 Annuaire de L'imprimerie et de La presse pour 1854, p. 23.35 Edmond WERDET, De La Librairie franfJaise, p. 261.

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LA « REUS SITE » DE L' ABBE MIGNE 97(13)

nombreux mais sans doute assez chichement paye, etc. C'estd'ailleurs la m~me « politique » qui se degagerait d'une etudedu comportement de Migne dans Ie choix des textes et desauteurs a publier; d'oil leg nombreux proces pour contre-fafion qu'il s'attira par la reproduction parfois illicite (et peuonereuse) d'editions anterieures. Combien donnait-il aux au-teurs auxquels il commandait de nouveaux ouvrages? On pos-sede 36 deux contrats de 1852 et 1853 conclus avec l'abbeChassay, professeur au grand seminaire de Bayeux: celui-ci,pour l'Introduction aux Demonstrations evangeliques, touche1800 francs, plus 25 exemplaires de l'ouvrage; pour la Con-clusion des Demonstrations evangeliques, 1200 francs, plus 13exemplaires. Si l'on garde a l'esprit la taille de ces grog vo-lumes, cela n'a assurement rien d'excessif.

Quelle clientele etait destine a satisfaire l'impressionnantinstrument de production dont on vient d'entrevoir leg di-mensions? Poser cette question, c' est aborder Ie difficileprobleme des tirages, sur lequel leg informations sont fft-cheusement lacunaires. La source a laquelle on pense toutd'abord est Ie registre des declarations que tout imprimeuretait tenu de faire, aupres de l'administration, de son inten-tion d'imprimer tel ou tel ouvrage a tel nombre d'exemplai-res. Malheureusement, cette source est fort peu digne de con-fiance. Pour Ie cas qui nous occupe, un sondage effectue surl'annee 1841 37 montre Migne declarant quasi indifferemmentdes tirages de 10.000, 15.000 et m~me 100.000 exemplaires,qui sont bien peu vraisemblables. On possede par ailleursIe « Catalogue estimatif des ouvrages de librairie dependantde la succession de M. l'abbe Migne... d'apres l'expertisefaite par M. A. Labitte, libraire... » 38; cela ne nous avanceguere, puisqu'il indique Ie nombre d'exemplaires de chaqueouvrage inventorie apres la mort de l'editeur, done exclu-ant aussi bien les volumes vendus que ceux detruits dansl'incendie de 1868. Notons cependant qu'il ne reste alorsd'aucun titre plus de 1500 exemplaires, gaUr pour6 volumes des« reuvres diverges » (hors collection) dont il subsiste entre 1900

36 Archives Migne.37 A. N., F 18* 2, 28.38 Paris, impr. lith. Caillet, 1876,28 p. (B. N. : ~. 29996).

7

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98 (14)C. SAVART

et 2300 exemplaires chacun. Finalement, la seule sourcevraiment digne de confiance serait constituee par les registrescommerciaux eux-m~mes; nous ne les connaissons qu'a traversIe rapport redige par Firmin-Didot, commis expert au coursdu proces consecutif a l'incendie, rapport longuement citepar un article deja ancien mais precieux de F. de Mely 39.Firmin-Didot mentionne sa source:

« En compulsant avec Ie plus grand soin leg livres des tirages,j'ai pu, malgre quelques lacunes regrettables, saisir avec uneexactitude suffisante Ie mouvement des ventes operees surchaque ouvrage, sur chaque volume, en remontant jusqu'al'origine de l'etablissement I).

Et il signale les tirages les plus eleves :

« Le Cours d'Ecriture sainte et celui de Theologie (sont) legdeux ouvrages ayant atteint Ie plus fort tirage, 10.000 exem-plaires... Les plus nombreux tirages (sur cliches ont ete de)5000 exemplaires pour 50 volumes et 6000 pour 2 volumes...1)

La seconde affirmation ouvrirait la porte a des chiffres pluseleves -car on a pu renouveler plusieurs lois, sans doutedeux ou trois (indique Firmin-Didot), Ie tirage des cliches -,si la premiere affirmation ne posait un maximum de 10.000exemplaires par volume. Leur auteur parle d'ailleurs un peuplus bas de « l'insucces presque complet de beaucoup d'ou-vrages I), en particulier de la majeure partie des deux Patrolo-gies, et des 2e et 3e series de l' Encyclopedie Theologique. Letirage des deux COUtS complets se trouve confirme par la seuleallusion precise que nous fournisse Migne lui-meme, dans unprospectus datant de 1839 40 :

« Un premier tirage de 8.800 exemplaires pour leg deuxCours n'ayant pu suffire, et leg souscripteurs continuant aarriver... I)

Au total, les tirages pratiques aux « Ateliers catholiques»apparaissent comme tres voisins de ceux que pratiquent les

3D L'abbe" Migne, l'homme et l'reuvre, dans Revue archeologique

(1915) p. 251-253.40 Prospectus de 12 p., reIi6 avec Ie tome 6 du Cours de theologie

(exemplaire de Ia B. N.).

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99A « REUSSITE » DE L' ABBE MIGNE(15)

autres editeurs en ce milieu du XIXe siecle. Le recours syste-matique de Migne au clichage etait done destine, non a faireface a des tirages exceptionnels, mais a eviter l'immobilisa-tion d'innombrables caracteres tout en facilitant la conserva-tion des textes composes.

La clientele de Migne est evidemment principalement ec-clesiastique. Cela ressort par exemple du titre de ses prospec-tus, qui s'adressent tantot « a tOllS leg membres du clergecatholique» ; tan tot « a Messieurs leg Superieurs et Mesdamesleg Superieures de toutes leg communautes d'hommes et defemmes parlant franc;ais dans Ie monde catholique, ainsi qu'aMessieurs leg Instituteurs et Mesdames leg Institutrices usantde la meme langue» ; tantot « a tOllS leg diacres et sous-diacresdes grands seminaires et aux professeurs ecclesiastiques despetits seminaires »; tantot en outre « aux laiques instruits».Notre editeur ne manque'pas de se prevaloir des innombrableslettres elogieuses qui lui parviennent de l'univers entier:ecrivant a Louis Veuillot, il pretend en avoir deja (en 1858)rec;u 50.000 '1. Celles que lui adressent des eveques de to usleg pays sont si precieuses pour sa publicite, qu'illes rassembleau nombre de 189 dans line brochure publiee en 1859 SOliS Ietitre: Approbation de l'(l'uvre des Ateliers catholiques parl'episcopat fran~ais et etranger '2. En fait, il s'agit Ie plussouvent, non de veritables approbations, mais de lettres au-torisant Migne a faire proposer ses publications au clerge d'undiocese. C'est la en effet, semble-i-ii, Ie processus de venteIe plus frequent, un complexe systeme de 'primes permettantde trouver parmi leg ecclesiastiques d'actifs intermediaires.Cela permet a l'editeur de se passer dans line large mesure desservices (et done de reduire leg remises) des libraires; il peutmeme, en 1862 's, renoncer a son unique depositaire pari-sien, la librairie Regis Ruffet, rue Saint-Sulpice. Un aperc;ucomplementaire sur la clientele de Migne est fourni par lineliste -datee de janvier 1855 -" qui classe par categoriesleg nombreux destinataires de ses prospectus et circulaires

41 Lettre du 13 fevrier 1858 (cf. note 3 supra).42 B. N., Q. 10.43 Bibliographie de La France, 1(} mai 1862, Feuilleton, p. 320.44 Archives Migne.

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100 C. SAVART (16)

(il s'agit d'une facture de l'entreprise qui fournit leg bandesd'adresses) :

« Cures 33.422 ; vicaires 8.808 ; haut clerge 1.035 ; aum6niers1.779; seminaires 1.950; institutions ecclesiastiques 1.157;clerge de Paris 703; clerge des colonies 209. Ensemble:49.063 ».

Une phrase relevee au detour d'un catalogue de 1861 45fournit un chiffre tres voisin: « Nous sommes en correspon-dance avec 53.000 membres du clerge dans Ie monde ».

On aimerait cerner d'un peu plus pres la repartition geo-graphique de celie clientele qui no us est presentee camillerepandue sur toute la planete: taus leg dioceses fran~aissont-ils concernes? et to us leg pays etrangers? S'il est impos-sible d'en prendre une veritable vue d'ensemble, du mainsplusieurs approches convergentes permettent-elles de l'es-quisser. Un prospectus de 183848 donne la liste des diocesesdans chacun desquels ant ete souscrits plus de 100 exemplairesdes Cours complets. La carte qui en resulte (ci-dessous) n'arien pour surprendre: les dioceses cites possedent gait unepopulation nombreuse, voire plus particulierement des villesimportantes, gait un taux de pratique religieuse eleve. Mal-heureusement, on ne saisit 18. que l'accueil fait aux deux pre-miers ouvrages publies par l'abbe Migne, et l'on pent sedemander si sa clientele a prig aussi rapidement une physiono-mie definitive; mais ses correspondances commerciales sontconservees en trap petit nombre pour qu'on tente de dessinerune carte equivalente pour une date plus tardive. Quantaux clients de l'etranger, leg quelques correspondances con-servees 47 leg situent en Grande-Bretagne, Be)gique, Italiedu nord et centrale, Baviere, Autriche; leg approbationsepiscopales publiees en 185948 proviennent en outre, en assezgrand nombre, d'Espagne, du Canada et des Etats-Unis.II est done probable qu'il ne taut pas prendre trap au serieux

45 B. N., Q. 10.46 A. N., F 18 1803.47 Archives Migne.48 B. N., Q. 10.

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LA « REUSSITE» DE L' ABBE MIGNE

101

(17)

"'"

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~

4II

~DIOCESES COMPTANT CHACUN PLUS DE 100 SOUSCRIPTEURS AUX

.COURS COMPLETS.

(Prospectus, 1838 -A.N. FIB 1803).

AJOUTER A L'ETRANGER: CHAMBERY, FRIBOURG, MALINES, MILAN, ROME.

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102 (18)

C.

SAVART

les

propos de Bonnetty cherchant a susciter des acheteursfran~ais pour la Patrologie 49 :

« L 'editeur n'a pas encore assez de souscripteurs pour couvrirleg frais de son edition. Et encore la plupart de ces souscrip-teurs sont etrangers et Protestants ou Grecs... I)

En realite, la carte des acheteurs de la Bibliotheque universelledu clerge parait se confondre avec celIe de la catholicite, comptetenu d'une diffusion plus intense en France et peut-~tre dansles pays francophones.

Cette large diffusion resulte pour une bonne part des prixexceptionnellement bas auxquels ces ouvrages etaient propo-ses : dans la plupart des cas, 6 francs par volume in-quarto,sans parler de nombreuses possibilites de remises et facilitesde paiement. Mais de tels prix obligent a s'interroger sur Iefinancement de l'entreprise. Sur Ie colli total de l'reuvre deMigne, je me contenterai de signaler -sans pretendre con-troler Ie chiffre -que Ie baron Charles Dupin aurait declareau Senat Ie 20 juin 1862 00, en en faisant l'eloge :

« 850 volumes ont deja paru, qui ont coute 17 millions; 1150volumes restent encore a paraitre, qui couteront 23 millions ».

A coup sur en tout cas, aucune subvention officielle -malgreles appels reiteres de Bonnetty -n'est venue partager cefardeau, ni de la part de l'Etat, ni de celIe de l'episcopat.

Une etude approfondie des relations, avec ce dernier,de notre pr~tre-imprimeur deborderait de maintes fa<;ons lapresente recherche. On sait que les successifs archev~quesde Paris lui furent tantot franchement hostiles, tantot plusfavorables, sans que d'ailleurs finalement l'une ou l'autreattitude exer<;~t sur les affaires des « Ateliers catholiques))une influence notable. Ce qu'il taut preciser ici, c'est dansquelle mesure -en fait assez limitee -ces decisions por-taient directement ou non sur les activites de l'editeur. Unpassage de Barbier offre une version des faits qui est proba-

49 Annales de philosophie chretienne, t. 8 de la 4e serie, aoilt 1853,

p.162.50 Idem, t. 6 de la 5e serie, septembre 1862, p. 243.

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103(19) LA « REUSSITE» DE L' ABBE MIGNE

blement fort proche de celIe qu'en aurait donnee Migne lui-m~me 51 :

« M. de Quelen a fIechi devant leg jalousies cupides de li-braires... ; en consequence il a cru devoir defendre a M. Mignela continuation de son reuvre. Ene lui semblait, dit-on, tropcommerciale par un point, et en cela m~me inconciliable avecson caractere de pr~tre... (Migne s'obstina)... On ne renouvelapoint ses pouvoirs ; il est traite maintenant comme pr~tre etran-ger au diocese de Paris, mais non interdit, puisqu'etant dudiocese d'Orleans, il ne saurait ~tre interdit que par l'ev~quede cette derniere localite... Cinq ou six mois avant de mourir,M. de Quelen fit proposer a M. Migne de convertir cette specula-tion particuliere en une reuvre diocesaine dont lui, M. de Quelen,serait Ie superieur, et M. Migne Ie directeur. M. Migne negouta point cette proposition... M. Affre a continue la severitemalheureuse de son devancier... (Pourtant) personne ne con-teste, que je sache, la parfaite regularite, la conduite exemplaireet sacerdotale de M. Migne... »

A l'entendre, la decision de l'archev~que de Paris a ete obte-nue par la jalousie des concurrents, et l'archev~que lui-m~mese serait montre interesse et hypocrite. La version officielle,nons la trouvons par exemple un pen plus tard dans une lettrepastorale oil Monseigneur Affre rappelle la decision de sonpredecesseur et ses motifs 52 :

« II est dit en propres termes, dans une decision que notrePredecesseur prit en conseil Ie 2 decembre 1839 (au sujet del'abbe Migne)... que Ie pouvoir de dire la sainte Messe lui estindefiniment retire, ainsi que tous autres pouvoirs spirituels...II est vrai que l'un des motifs du retrait du celebret... a ete laprofession d'imprimeur et de libraire interdite aux pretres,ainsi que toutes les autres speculations mercantiles; mais cemotif n'a pas ete Ie seul ni Ie plus grave... »

La derniere phrase est decisive; mais alors quels furent lesveritables motifs de Monseigneur de Quelen? II semble queIe principal ait consiste dans les nombreux proces que Migne

51 Biographie du clerge contemporain, t. 3, p. 315-320.52 Lettre pastorale d~ 29 octobre 1847.

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s'etait attire par ses procedes commerciaux souvent desinvol-tes, en particulier un proces en contrefa<;on contre l'editeurMequignon relativement a certains tomes du Cours completde theologie. Le rapport du conseil archiepiscopal du 2 de-cembre 1839 retient l'argument suivant 53 :

« Serait-il convenable que M. l'abbe Migne descendit du saintautel pour aller se presenter devant Ie tribunal correctionnel )?

II est naturel que Migne ait prefere voir mise en lumiere,plutot qu'un tel motif, la jalousie de ses confreres.

Le conflit se prolongea SOliS l'episcopat de MonseigneurAffre, qui maintint par son mandement du 20 aotlt 1847 lessanctions prises par son predecesseur 54 :

« Nous confirmons en ce qui touche M. Migne, fondateur etdirecteur de la Voix de la Verite, la mesure prise par notre ve-nerable predecesseur qui lui retira leg pouvoirs spirituels danstoute l'etendue de ce diocese ).

Mais cette fois -et ce dernier texte Ie laisse transparaitre-c'est, plutot que l'editeur, Ie journaliste qui est vise, pours'etre engage dans la campagne en faveur des desservants;on ne lui reproche que secondairement ses proces (a cettedate avec son frere) ou Ie « charlatanisme» de sa publicite.La replique de Migne -qui pretendit « avoir souffert, parsuite de la publication de notre mandement, un grave dom-mage dans son commerce» -amena la lettre pastorale du29 octobre 1847 « qui confirme la condamnation...». Le conflitcependant s'eteignit vers la fin de l'annee 1847 55 :

« ...M. Migne fit sa soumission, et M. l'archeveque lui renditses bonnes graces. Le prelat qui a succede a M. Affre est lui-meme favorable a la continuation de l'entreprise de M. Migne.II appelle la prosperite sur cet etablissement typographique ».

Monseigneur Sib our en effet confia meme aux « Ateliers ca-tholiques» l'edition des Actes de l' Eglise de Paris en 1854.

53 Cite dans: Secretariat de l'archevP-que de Paris, Note concernant

M. Migne, 1847, 10 p. (B. N. : 80 Ln 27 14177).54 cr. LIMOUZIN-LAMOTHE et LEFLON, Mgr Denys-Auguste Affre

(Paris, 1971), p. 148-150.55 Rapport du 2 juin 1849 (A. N., F 18 1803).

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(21) LA « REUSSITE» DE L' ABBE MIGNE 105

De cette rapide evocation de relations parfois orageuses, onest autorise a conclure que, si l'episcopat ne mit pas a l'entre-prise d'entraves decisives, il ne lui apporta pas non plus d'aidefinanciere directe: Ie probleme du financement reste doncpose.

On en cherche generalement la solution dans l'appui que Iebas clerge fran~ais aurait, de diverges manieres, donne sanslesiner a la publication de la Bibliotheque universelle du clerge.Appui reel: j'en detaillerai dans un instant leg modalites.Mais solution peut-~tre trop seduisante : elle fait en quelquesorte, du millier de volumes publie par Migne, la cathedralemoderne financee anonymement par 40.000 cures de campa-gne. 11 est certain que Ie clerge concordataire disposait demoyens pecuniaires non negligeables; suffisaient-ils jci,et avons-nous la preuve du mouvement d'enthousiasme quileg aurait mis au service des publications de l'imprimerie duPetit-Montrouge? 11 est donc necessaire de preciser leg voiesqu'il put emprunter. 11 ne taut pas accorder trop d'impor-tance au trafic des intentions de messes pratique par Migne,comme ill'etait par bien d'autres editeurs de l'epoque: desprimes en volumes sont accordees pour l'envoi d'intentions,et leg messes sont acquittees par des pr~tres desireux de payerainsi leg volumes qu'ils souhaitent se procurer; cela n'etaitqu'une des facilites de paiement consenties a la clientele.La correspondance de Migne 56 garde la trace de plusieursdons ou legs re~us d'ecclesiastiques de diverges regions.Surtout, l'editeur par~ien avait eu l'idee, tres tot, de se con-stituer Ie banquier du clerge, en lui proposant un « Mode licite,solide, avantageux et meritoire de placer ses fonds» (l'offrefigure dans la plupart des catalogues et prospectus), moyen-nant un inter~t annuel de 5 % (7 % s'il est accepte en volu-mes I). Quel succes obtint cette initiative? Tres reel a coupsur: on conserve 57 une copieuse collection de reconnais-sances de dette, sans doute restituees apres remboursement;elles concernent des pr~tres de to us leg dioceses de France, etportent sur des sommes allant de 200 a 3.000 francs. Assezfructueux en tout cas pour que Migne elargisse ce role, se

56 Archives Migne.57 Ibidem.

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106 (22)

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proposant a ses confreres comme correspond ant pour toutesoperations boursieres. Cela ne suffit cependant pas a prouverqu'il faille voir dans ces activites la base du financement deson entreprise.

Le lancement de cette derniere a certainement exige l'in-vestissement de capitaux importants, dont on ne connait pasexactement la provenance. J e ne crois pas qu' elle soit achercher dans les economies personnelles de Migne avant sonarrivee a Paris -s'il y en eut, elles ant ete absorbees parL'

U nivers -, ni dans les benefices realises dans la gestion dece dernier -qui dut manger de l'argent plutot qu'il n'enrapporta. On peut penser par contre que, pendant ces deuxailS de journalisme (novembre 1833 -janvier 1836), l'abbeetait entre en relations avec de nombreuses personnalitesecclesiastiques ou laiques, parmi lesquelles il lui fut relative-ment aise de contracter divers emprunts en vue de ses projetsde publications. II est probable que d'autres emprunts, lamajeure

partie peut-~tre, furent obtenus aupres de sa proprefamille ou de ses amis, dans Ie Cantal ou ailleurs. Ce mode

de financement ne se limita d'ailleurs pas a la periode dedemarrage de I' affaire. La correspondance conservee 58fait etat -malheureusement par des allusions generalementimprecises

-de plusieurs emprunts importants contractesau cours des annees suivantes : en 1839 (Migne est encore entrain d'equiper son etablissement), 10.000 francs lui sont pr~tespar un certain « Regnault, proprietaire a Arcueil I), et 12.000francs

par un nomme « Bourdon, aneien Conservateur desfor~ts de la Couronne, demeurant a Compiegne »; une lettre

du 4 fevrier 1868 (l'incendie aura lieu une semaine plus tard)fait allusion a deux emprunts recents se montant respec-tivement a 65.000 (celui-ci est a cette date entierement rem-bourse) et 30.000 francs (qui restent a rembourser). lIs nesont explicables que par de nouvelles difficultes, de m~me quel'elargissement initial du programme laisse supposer un succesrapide

des premieres publications; c'est dire que nous sommesrenvoyes a une histoire des productions des « Ateliers catho-liques

».

58 Ibidem.

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(23) 107LA «REUSSITE» DE L' ABBE MIGNE

3.

Essor et inachevement de l'ceuvre

On repete ici ou la que l'abbe Migne avait donne a son entre-prise un tel dynamisme, qu'il etait parvenu a publier un nou-

veau volume chaque semaine ; il ecrit m~me en 1859, en exa-gerant sans doute quelque peu 59 :

« Au lieu de produire un volume de notre format tous leg troisjours, no us voulons augmenter d'un tiers cette production... »

Devinant qu'un tel rythme, s'il avait ete atteint, avait dl1 ad'autres moments se ralentir, j'ai voulu en avoir Ie creur net,avec

la pensee que l'evolution precise de cette productionconstituerait un bon barometre enregistreur des « climats »successifs -prosperite ou marasme -de l'entreprise. Lelecteur trouvera ci-dessous la courbe resultant des dates deparution relevees sur taus les volumes differents publies parl'abbe Migne. II etait inevitable de rencontrer dans ce travailquelques difficultes pratiques, sur lesquelles je ne m'attarderaipas longuement. Je dais neanmoins souligner que j'ai doneexclu toute mention de reedition, sauf lorsque celle-ci ajoutaitquelque chose a l'edition initiale. Cela exclut en particulierl'edition latine de la Patrologie grecque, parue a peu pres enm~me temps que son edition greco-latine, et ne lui ajoutantrien; par contre, j'ai inclu les deux editions des reuvres desaint Jean Chrysostome, une premiere edition en latin ayantlargement precede l'edition greco-latine. Je dais egalementsignaler que les deux guides indispensables de cette explora-tion ant ete trouves, d'une part dans Ie Catalogue general desimprimes de la Bibliotheque Nationale 60, d'autre part dansun Catalogue general des ouvrages edites par l'abbe Migne pu-blie, longtemps apres la mort de ce dernier, par l'editeurGarnier 81. Je n'ai cependant pas rencontre -ni par conse-quent mentionne --.:: trois ouvrages, qu'un article des Annalesde philosophie chretienne en 1856 donne comme parus, etdesigne ainsi 88 :

59 Bibliographie catholique, novembre 1859, Feuilleton d'annonces,

p.XLV.80 Tome 114, col. 946-1013.61 Paris (Garnier freres), s. d., 160 p. (B. N., Q. 10).62 Tome 14 de la 48 serie, octobre 1856, p. 324.

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108 C. SAVART (24)

« -Institutiones catholicae in modum catecheseos, par Pou-get. 12 volumes in-8°, prix 25 francs.

-Missae pontificales. 1 volume in-8°, broche 2,50 francs,demi-reliure 3,50 francs. Le m~me: 1 volume in-12, broche1,75 francs, demi-reliure 3,50 francs.

.-Biblia sacra. 2 beaux volumes in-4°, prix 12 francs I).

1°-

,'"/' Nombrt annuel des

60 -tit.rt$ IIOijvtaux publiis

par I'abbe Migne

50-

1.0-

30 -

to-

10 -

I I I18"0 1850 1860 /810

J'arrive ainsi a un total de 913 volumes, dont la repartitionchronologique est en effet tres loin de suggerer un flux regulier.

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(25) LA « REUSSITE» DE L' ABBE MIGNE 109

C'est en 1837 que paraissent leg premiers volumes des deuxCauls complets d' Ecriture sainte et de Theologie, dont la pu-blication ne s'achevera qu'en 1845. lIs sortent des pressesde l'imprimeurBailly, 2 place de la Sorbonne, mais leg editeurssont « Fr. J. P. et V. S. M »,c'est-a-direl'abbe Migneassociea

son frere Etienne-Victor, au 7 rue des Ma<;ons-Sorbonne.Comme on l'a vu par l'etude des tirages, Ie succes depasseleurs

esperances. C'est sans doute comme une confidence del'editeur qu'il taut lire cette phrase de l'article Migne du Dic-tionnaire de bibliologie par Brunet 63 :

« Ce succes inoui et pour ainsi dire prodigieux fonda l'reuvredes Ateliers catholiques I).

IlIa fonda d' abord en ce qu'il poussa et aida a la mise sur piedde la grande usine du Petit-Montrouge; il la fonda aussi en

amen ant l'abbe a elargir rapidement son programme initial.Des 1840, a la continuation des deux Cours s'ajoutait la pro-

duction de diverges reeditions en ordre disperse.L'annee 1844 est decisive, puisque Migne y lance presque

simultanement la Patrologie (latine), leg Orateurs sacres etl' Encyclopedie theologique. Illes poursuivra des lors parallele-ment,

sans jamais parvenir a commencer -on l'a vu plushaut -aucune autre collection importante. La courbe de sespublications montre en 1846-1848 un grave recul qui corres-pond a la crise de toute la vie economique du pays. Ce reculest suivi d'une remontee spectaculaire, que leg « Atelierscatholiques» ne sont pas seuls a connaitre: non seulementl'economie

fran<;aise sort de la crise au moment ou se rondeIe Second Empire, mais l'edition catholique en particulierbenefici~

alors d'~ne ecla\ante prosperite. Au cours de l'annee1854, Mlgne pubhe 73 nou'\reaux volumes!

Puis Ie rythme se ralentit, surtout apres 1860: que s'est-il passe? Entre plusieurs causes possibles, il est difficile dedeterminer celIe qui rut decisive, l'abbe n'ayant pas coutumede decourager Ie public par l'etalage de ses difficultes (si cen'est apres leg avoir surmontees). On pense au prix de revienteleve de la Patrologie grecque et des tables de la Patrologielatine. Mais s'il taut en croire Bonnetty, c'est presque toute

63 Tome 43 de la Troisieme encyclopedie theologique, col. 1220.

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(26)

110C.

SAVART

la

Patrologie que Migne publie a perte. Des 1853, a proposde la « latine», il affirme M :

« En ce moment m~me, l'editeur n'a pas encore assez de sou-scripteurs pour couvrir leg frais de son edition ».

Et plus nettement encore en 1857, au sujet de la « grecque » 65 :

« L 'editeur est encore fort au-dessous de ses avances, et s'iln'avait pas consacre a celie ceuvre tout son credit et taus legbenefices de ses precedentes publications, il aurait ete obliged'en interrompre l'impression ».

Ce qu'on a vu plus haut des tirages d'une part, des empruntsd'autre part, confirme que des difficultes assombrissent cetteperiode. Ajoutons que Migne lui-m~me, qui a depasse lasoixantaine et use par un travail acharne line solide constitu-tion, rencontre pour la premiere fois l'obstacle d'un affaiblis-sement de sa sante. Tout cela Ie conduit a envisager de pre-server l'avenir en se cherchant des continuateurs, ou du moins(mais il n'obtiendra ni l'un ni l'autre) de vendre a line insti-tution ou a line collectivite la propriete des cliches de la Pa-trologie pour financer l'achevement de son programme 66 :

«Nous voudrions qu'une grande annonce proposat a l'epis-carat du monde entier d'acheter a M. l'abbe Migne la proprietede cette bibliotheque unique... La collection resterait pro-visoirement entre leg mains de M. l'abbe Migne, et, apres lui,serait confiee a quelques administrateurs nommes par legev~ques. En donnant a M. I'abbe ~Iigne la libre disposition deces sommes, qui deviennent en ce moment inutiles sur legrayons de ses ateliers, on lui permettrait d'achever son ceuvre...»

Le ralentissement devient tel que l'annee 1867 ne voit sortirqu'un seul nouveau volume I

Au matin du 12 fevrier 1868, un incendie accidentel de-truisit de fond en comble les « Ateliers catholiques», br\1lant(pas totalement cependant) les livres des magasins, fondantIe metal des cliches, ecrasant Ie materiel SOliS les toitures effon-

64 Annales de philosophie chretienne, t. 8 de la 4e serie, aout 1853,

p.162.65 Idem, t. 16 de la 4e serie, octobre 1857, p. 250.66 Idem, t. 14 de la 5e serie, decembre 1866, p. 412-413.

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(27) LA «REusslTE » DE L' ABBE MIGNE

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drees. II a ete maintes fois evoque, et je n'y reviendrai pas.On gait comment leg compagnies d'assurances se firent tirerl'oreille, jusqu'a la conclusion d'un proces Ie 20 decembre1871. On gait moins comment Migne, sans parvenir a recon-stituer son imprimerie, edita encore cinq volumes -qu'ilfit imprimer a Abbeville 67 -avant de mourir en 1875.

La Bibliotheque universelle du clerge demeurait inachevee,temoignant neanmoins par ses dimensions monumentalesd'un moment de prosperite de l'edition religieuse fran<;aise, etde la volonte d'un homme.

67 Du moins pour Ies 4 volumes publies en 1873. Un cinquieme,

publie en 1875, -Ie tome 23 de I'Histoire ecclesiastique de Henrioncontinuee par l'abbe Vervorst -porte: «Imprimerie de J.-P. Mi-gne &. Faut-iI en concIure a un commencement de reconstitution des« Ateliers catholiques &?