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RREPPRRODUUCCTTIOON DDEESS ŒŒUVVRESS DD''AART LLeess ccopiess ddannss lla sscullptuurre aannttiiquee SSoommmaiire Introduction Invention et imitation dans l'art grec Essor de la copie au I er siècle avant J.-C. Les copies d'époque impériale Bibliographie Les auteurs BBerrnaarrd HHOOLTTZZMMANNN, ancien membre de l'École française d'Athènes, professeur émérite d'archéologie grecque , Encyclopædia Universalis : encyclopedie_print http://www.universalis-edu.com/index.php?id=21&tx_eu... 1 sur 21 21/09/10 06:59

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RREEPPRROODDUUCCTTIIOONN DDEESSŒŒUUVVRREESS DD''AARRTT LLeess ccooppiieess

ddaannss llaa ssccuullppttuurree aannttiiqquuee

SSoommmmaaiirree

Introduction

Invention et imitation dans l'art grec

Essor de la copie au Ier siècle avant J.-C.

Les copies d'époque impériale

Bibliographie

Les auteursBBeerrnnaarrdd HHOOLLTTZZMMAANNNN, ancien membre de l'Écolefrançaise d'Athènes, professeur émérited'archéologie grecque,

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VVeennuuss GGeenneettrriixxVenus Genetrix, copie romaine, d'après un

original attribué à Callimachos, fin du Ve siècleav. J.-C., marbre. Musée du Louvre, Paris.

Crédit :Giraudon, The Bridgeman Art Library

Tous les documents proposés par Encyclopædia Universalissont légalement autorisés pour l'usage pédagogique

LLaa VVéénnuuss ddee MMiillooLa Vénus de Milo, sculpture grecque, vers 100

av. J.-C., marbre. Musée du Louvre, Paris.

Crédit :Peter Willi/ The Bridgeman Art Library

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PPrriissee ddee vvuuee

Jusqu'au xviiie siècle, l'art antique forma pourl'Occident une unité factice où arts grec et romainse trouvaient confondus ; c'était en fait tout cequ'on pouvait voir ou trouver d'antique en Italie etsurtout à Rome. Lorsque Winckelmann, éruditallemand établi à Rome, entreprit le premier dedistinguer art grec et art romain, ce fut encore àpartir d'œuvres d'époque romaine : l'Apollon duBelvédère (Vatican), dont il fait l'incarnation dugénie grec, est en réalité la froide copie d'un original

grec attribué à Léocharès (ive s. av. J.-C.). Ce n'estqu'avec les publications monumentales de Stuart etRevett (Antiquities of Athens, 1762-1794) et deChandler (Travels in Asia Minor and Greece,1775-1776), les razzias de lord Elgin sur l'Acropoled'Athènes (1800-1801) et les premières fouillesfinancées par la société londonienne des Dilettanti(temple d'Athéna Aphaïa à Égine, en 1811 ; templed'Apollon Épicourios à Bassae-Phigalie, en 1812)que l'architecture et la plastique grecquesapparurent dans toute leur originalité. La créationd'un État indépendant (1832) patronné par lespuissances acheva d'ouvrir à la Grèce la cultureoccidentale : des instituts de recherche apparurent,des fouilles systématiques commencèrent (Olympie,1875 ; Delphes, 1892). La différence profonde

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entre sculpture grecque et sculpture romaineapparut alors, et l'influence déterminante de lapremière lorsque les deux civilisations entrèrent encontact durant la période hellénistique. Nonseulement les conquérants romains avaient fait mainbasse sur d'innombrables statues quitransformèrent Rome en un véritable musée de l'artgrec, mais l'engouement pour celui-ci devint tel au

ier siècle avant J.-C. qu'on entreprit de copier lesœuvres les plus célèbres pour en décorer maisonsprivées et monuments publics. De là cette énormemasse de « copies romaines », qui, en dépit dunombre croissant d'originaux grecs révélés par lesfouilles et les trouvailles fortuites en Grèce et enAsie Mineure (Musée national d'Athènes, Muséearchéologique d'Istanbul), continue de former la trèsgrande majorité des sculptures antiques connues.Sans elles, des artistes aussi importants quePolyclète, Praxitèle ou Lysippe ne seraient plus pournous, à l'instar des grands maîtres de la peinturegrecque, que des noms mentionnés par quelquestextes. La prise de conscience progressive del'importance des copies pour l'histoire de l'art grec a

provoqué, depuis la fin du xixe siècle, la définitiond'une méthode qui permet d'établir leur degré deparenté avec l'original perdu et leur date, par unedémarche critique semblable à celle des philologuesen face des textes antiques transmis par lesmanuscrits du haut Moyen Âge. Cette

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Kopienforschung serait somme toute aisée et sesrésultats assez assurés si l'on se trouvait en face de« copies conformes » reproduisant tel quel l'original.Mais, comme l'a montré G. Lippold, la plupart de cescopies sont en fait des adaptations, descontaminations ou des pastiches, où le sensartistique du copiste et le goût de l'époque entrentpour une part variable.

IInnvveennttiioonn eett iimmiittaattiioonn ddaannss ll''aarrttggrreecc

Dans l'art grec, la copie est partout et nulle part. Dès

le début du vie siècle, de grandes offrandessculptées n'hésitent pas à présenter des doublets : àDelphes, les Jumeaux d'Argos (590-580 av. J.-C.) ; àSamos, les groupes de Chéramyès (vers 570 ; uneréplique de l'Hèra de Samos du Louvre a été trouvéeen 1984) et de Généléos (vers 560). Encore cesstatues se distinguent-elles par tel ou tel détail. Dansun art religieux, dominé par l'existence de quelquestypes, où formules et styles se transmettent demaître à élève et souvent de père en fils, il faut aucontraire admirer l'ingéniosité des sculpteursarchaïques à produire des variations nouvelles. Même

si certains signent leur œuvre dès la fin du viie siècle,tous s'insèrent dans une tradition qui ne connaît pasde rupture : nulle avant-garde dans l'art grec. Ainsi,

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la créativité personnelle, au lieu d'être affichéejusqu'à l'exaspération, comme dans l'artcontemporain, s'exprime-t-elle par un apport souventdiscret. En effet, le sculpteur grec imite et emprunte,mais toujours aussi adapte, et cela dès l'origine : lescouroï colossaux qui datent de 600 avant J.-C. sontévidemment « copiés » de l'Égypte, mais ils sont toutautres déjà par leur esprit. En signant parfois leursœuvres dès cette époque, les sculpteurs grecs ontd'ailleurs affirmé d'emblée leur qualité de créateurs.Ainsi, en restant presque exclusivement attachée auxtypes du couros et de la corè, la sculpture grecque aconnu une évolution considérable en un peu plus decent ans ; si l'on examine de près les coraï del'Acropole, on verra que, par-delà l'uniformité d'untype très rigide, chacune est individualisée par lesdétails de la chevelure et du vêtement ou par lemodelé du visage. Le développement saisissant del'art grec est fait de l'accumulation de ces petitesinitiatives personnelles, stimulées par l'espritagonistique des Grecs ; copier servilement, c'eût étéun aveu d'impuissance – un affront fait aucommanditaire et à la divinité dédicataire. Seules lestechniques où l'objet est issu d'un moule– toreutique et terres cuites – ont produit dèsl'archaïsme des doublets, mais il s'agit souvent d'unepacotille sans grande valeur fabriquée en série– démarche différente de la copie volontaire aposteriori.

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L'un des premiers exemples connus de copiespourrait être la statue d'Agias, qui faisait partie del'ex-voto érigé à Delphes entre 336 et 332 parDaochos II, tétrarque de Thessalie – si du moins lastatue en marbre du musée de Delphes est l'exacteréplique, exécutée dans l'atelier même de Lysippe, del'original en bronze que celui-ci avait réalisé pour unmonument semblable à Pharsale. Mais il est permisd'en douter, lorsqu'on sait que le passage d'unmatériau à l'autre entraîne nécessairement desmodifications, notamment dans la pondération et letraitement de la chevelure ; il s'agirait donc plutôtd'une adaptation que d'une copie.

À partir du ive siècle avant J.-C., avec le déclin desvaleurs religieuses et politiques traditionnelles etl'apparition, à la suite des conquêtes d'Alexandre,d'un nouveau monde grec, on voit se développer uneactivité créatrice moins foncièrement étrangère à lacopie proprement dite.

Avant même la fondation des grandes monarchiesmilitaires, où le culte de la personnalité royale vadonner un élan nouveau à ce genre, jusqu'alorsmineur, le portrait avait commencé à se répandre :portraits d'intellectuels, surtout, souvent imaginaires.La fidélité au type établi étant ici impérative, laliberté d'interprétation est restreinte. Elle existecependant, comme le montre la juxtaposition dedeux portraits de Socrate. Ces effigies, placées un

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peu partout dans les lieux publics et les sanctuaires à

partir du ive siècle, manifestent l'irréductible goûtdes artistes grecs et de leur clientèle pour uneœuvre tant soit peu originale.

Plus important encore, l'époque hellénistique(323-30 av. J.-C.) voit l'éclosion d'un phénomène decivilisation qu'on observe là pour la première fois :l'art grec fait sciemment retour sur lui-même. Mais,ici encore, ce n'est pas pour copier à proprementparler : on s'inspire d'un style antérieur pour créerdes œuvres nouvelles. Ces pastiches illustrentl'éclectisme de l'art hellénistique, international etculturel, qui, bien qu'encore capable d'invention,emprunte volontiers au passé : archaïsme,maniérisme postclassique (430-370), sensibilitépréromantique (370-320). Il en résulte une série destyles plus « néo » que « rétro » (néo-archaïque,néo-attique, néo-classique), dans la mesure où lestyle antérieur est réélaboré dans le contextecontemporain. Tous ces styles ont en commun d'êtredécoratifs : ils reprennent les composantes formellesd'un style antérieur sans chercher à en retrouverl'esprit. De là l'impression de froide virtuosité quedonnent souvent ces œuvres, surtout celles de l'artarchaïsant : couroï et coraï étaient le lieu d'uneépiphanie ; or il n'en reste qu'une calligraphie futile.Ainsi, ces résurgences annoncent l'attitude romaine :le goût pour un style n'implique pas sacompréhension profonde et la plupart de ces

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engouements sont des malentendus.

De ces styles, l'archaïsant est sans doute le premieren date. Attesté sûrement depuis le milieu du

ive siècle, il a peut-être eu un précurseur dès la fin du

ve siècle avec Alcamène, dont l'Hermès Propylaios« copiait » les Hermès archaïques. Il subsiste en tantque tendance jusqu'à l'époque impériale – mais c'està de véritables copies conformes qu'on a alorsaffaire, et non plus à des pastiches. Beaucoup plus

tard, vers le milieu du iie siècle avant J.-C., apparaîtle style néo-attique, qui reprend les formulesmaniéristes de la génération post-phidiesque(Callicratès, Callimachos), caractérisées par lavirtuosité du drapé mouillé, qui révèle les formes ducorps féminin et les enveloppe d'un tourbillon de plisarbitraires. Ces deux styles permettent aux ateliersattiques de se perpétuer, par-delà le déclind'Athènes comme centre créateur, en exploitant lerépertoire. Le néo-classicisme est plus diffus,répandu jusque dans les nouveaux foyers de la vie

artistique. Plus qu'avec la sculpture du ve siècle, il

renoue avec celle du ive, et notamment avecPraxitèle, dont les figures féminines dénudéestrouvent durant la période hellénistique un échoindéfiniment répété. Là encore, nulle copie àstrictement parler, mais des pastiches, desadaptations, des transpositions, des contaminations,des variantes... De toute cette production, dont

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l'Occident a été également très friand depuis laRenaissance, la Vénus de Milo est l'œuvre la pluscélèbre – au point d'être devenue, par un quiproquosignificatif, la personnification même de la sculptureclassique, alors que c'en est un bon pastiche de la fin

du iie siècle avant J.-C.

VVeennuuss GGeenneettrriixxVenus Genetrix, copie romaine, d'après un

original attribué à Callimachos, fin du Ve siècleav. J.-C., marbre. Musée du Louvre, Paris.

Crédit :Giraudon, The Bridgeman Art Library

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LLaa VVéénnuuss ddee MMiilloo

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La Vénus de Milo, sculpture grecque, vers 100av. J.-C., marbre. Musée du Louvre, Paris.

Crédit :Peter Willi/ The Bridgeman Art Library

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EEssssoorr ddee llaa ccooppiiee aauu IIeerr ssiièècclleeaavvaanntt JJ..--CC..

Tandis que la sculpture hellénistique s'étiole presquepartout en un éclectisme d'ailleurs prolixe,

apparaissent depuis la seconde moitié du iie siècle devéritables copies, qui ont pour but de reproduire uneœuvre antérieure. Cette évolution, signe du déclin del'art grec, est due avant tout à l'énorme demande deRome, qui bouleverse les conditions de la productionet du marché. La sculpture grecque s'était quelque

peu laïcisée depuis le ive siècle, mais tout en restantpublique : même privées, les commandes avaientpresque toujours une destination officielle (statueshonorifiques, etc.). Or voici que l'engouement deRome, né des pillages de ses généraux, puis de sesmagistrats (cf. les discours de Cicéron contreVerrès), amène un véritable dévoiement de lasculpture grecque ; arrachées à leur contexte primitifpour orner à Rome des édifices sans rapport avecelles, les statues grecques ont donné aux Romains le

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goût d'une sculpture décorative, qui prolifère bientôtdans les édifices et les jardins. Pour satisfaire cettefringale, il fallut bien produire – et massivement, sil'on considère jusqu'où alla cette passion denouveaux riches : selon Pline (XXXIV, 36), MarcusAemilius Scaurus fit décorer de trois mille statues lemur de scène de son théâtre temporaire, en 58avant J.-C. Même un connaisseur comme Cicéron esttombé dans ce travers ; dans une lettre à son amiFabius Gallus (Ep. ad fam. VII, 23), il lui reproched'avoir acheté pour lui des statues d'un prixexorbitant : « Enfin, c'était quelque chose qui auraitpu à la rigueur convenir à ma bibliothèque et qui esten rapport avec mes goûts, mais des Bacchantes ! oùveux-tu que je les mette chez moi ? [...] En fait, ceque j'achète d'habitude, ce sont des statues quipuissent décorer un coin de ma palestre à la manièred'un gymnase... » (c'est-à-dire des statuesd'intellectuels et non d'athlètes, le gymnase étantaussi un lieu de conférences et de cours à l'époquehellénistique). La valeur artistique des œuvres est icinettement subordonnée à leur usage décoratif.

Les plus riches pouvaient donc se procurer descopies grandeur nature, mais les autres devaient secontenter plus modestement de reproductions àéchelle réduite : c'est l'origine de cette petitesculpture d'appartement dont les maisons de Délosont fourni d'abondants et parfois décourageants

exemples. Ainsi, au ier siècle avant J.-C., la plus

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grande partie des ateliers de sculpture grecs ontcommencé à produire pour l'exportation, d'unemanière parfois quasi industrielle. Dans une époquetrès troublée et difficile pour l'Orient grec, ce« boom » était trop inespéré et lucratif pour que lessculpteurs grecs aient pu résister à la tentation, celad'autant plus que la création même était en crise.L'impact de cette commercialisation de l'art futdifférent d'un centre à l'autre ; Athènes s'yabandonna entièrement, semble-t-il, exploitant sansvergogne les ressources intactes de son passé,tandis que Rhodes persévéra longtemps dans unbaroque souvent grandiloquent. En tout cas, ungrand nombre de sculpteurs grecs, suivant lemarché, gagnèrent Rome, contribuant ainsi àl'affaiblissement des centres créateurs traditionnels.L'un des mieux connus et des plus importants estPasitélès, contemporain de Pompée : originaire d'unecité grecque d'Italie du Sud, il joua à Rome un grandrôle dans la propagation de la sculpture grecque, nonseulement par l'audience de son atelier, où l'oncopiait et paraphrasait avec virtuosité les œuvresgrecques célèbres – audience prolongée par sondisciple Stéphanos et le disciple de celui-ci,Ménélaos –, mais aussi par ses écrits (Mirabilia Operain toto orbe, en cinq livres, utilisés par Pline). Onl'imagine plus homme d'affaires et animateurqu'artiste, à l'instar de ces directeurs de galeries quiintroduisirent l'art contemporain européen à NewYork ; c'est dans des officines comme la sienne que

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s'est élaborée la synthèse qu'est l'art augustéen.

Pour satisfaire le désir de la clientèle romaine decopies aussi proches que possible de l'original, destechniques nouvelles se développèrent, qui permirentde réduire la part d'interprétation inhérente à toutecopie « à main levée » et firent des sculpteurs desimples praticiens. La découverte d'un atelier decopiste, malheureusement non daté, à Baïes, enCampanie, a récemment éclairé le processus de lareproduction des œuvres grecques : on y a trouvédes moulages en plâtre de différentes parties destatues, dont une partie de la tête de l'Aristogitondu célèbre groupe en bronze de Critios et Nésiotès,dressé sur l'agora d'Athènes peu après 479. Si l'onrapproche ces trouvailles étonnantes, les premièresdu genre, d'un texte de Lucien (Zeus Tragoidos, 33)et de certaines copies inachevées en marbre, on peuten tirer les conclusions suivantes. Les originaux grecs

ont été, sans doute à partir de la fin du iie siècleavant J.-C., très fréquemment surmoulés, en poixpour les bronzes, en plâtre pour les marbres ; lesnégatifs partiels ainsi obtenus étaient vendus auxateliers de copistes locaux ou expédiés en Italie. Dansle cas d'une copie en marbre, on recomposait unplâtre complet de l'original, reproduit ensuite par leprocédé du pointage, encore pratiqué de nos jours,qui permet de reporter sur le bloc dégrossi unnombre aussi grand qu'on le désire de points derepère assurant dans les trois dimensions l'identité

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de la copie avec le modèle ; dans le cas d'une copieen bronze, les négatifs assemblés permettaient deproduire directement la copie par fonte à cire perdue.Ce processus devait donner lieu à une activitécommerciale dont nous ignorons tout : il est certainque le possesseur (cité ou sanctuaire) d'un originaldevait être payé pour la prise d'un moulage et queles négatifs partiels ainsi obtenus devaient se vendreassez cher. L'importance d'un atelier, dans le monde

grec et, à partir du ier siècle avant J.-C., à Rome, puisen Occident, devait se mesurer à la quantité demoulages d'originaux grecs qu'il possédait et dont ilpouvait proposer des copies à sa clientèle.

LLeess ccooppiieess dd''ééppooqquuee iimmppéérriiaallee

Cette première vague de production intensive,destinée à satisfaire l'appétit de la clientèle romaine,fit place, à partir d'Auguste, à une activité plusdifférenciée : les copies conformes de statuesgrecques semblent avoir cédé le pas aux adaptationset contaminations de types grecs. Le stylenéo-classique augustéen est en partie fondé surcette combinatoire, dont témoignent les statuesofficielles qui donnent le ton. C'est un sculpteur grecsignant « Cléoménès, fils de Cléoménès, Athénien »qui a réalisé, probablement à Rome entre 40 et 30avant J.-C., une statue-portrait où l'on a crureconnaître Octavien, le futur Auguste (Louvre, MA

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1207) : la tête, portrait aigu et retenu à la fois, estgreffée sur la copie d'une statue d'Hermès datant de460 avant J.-C. (type dit de l'Hermès Ludovisi), dontle style « sévère » atténue le contraste entre levisage émacié et le corps athlétique. Le sculpteurretrouve donc ici quelque initiative ; il lui revient dechoisir un type de corps compatible avec latête-portrait, afin que la statue présente unecertaine unité. Dans le domaine de l'art funéraire,plus industrialisé, l'adaptation est différente : lesateliers disposaient d'un stock de statues toujoursprêtes dont seul le visage inachevé restait à sculpterà la ressemblance du défunt.

Même dans ce prêt-à-portrait, la mode change ; pourles statues de femmes, le type dit de la Pudicitia, en

vogue au ier siècle avant J.-C., est remplacé à partird'Auguste par les types de Déméter et de Coré ditesles deux Herculanaises : la Grande Herculanaise estutilisée pour les statues de femmes âgées, la Petite,pour les jeunes filles non mariées. Les deux types

étant restés en vogue jusqu'au iiie siècle après J.-C.,les portraits qu'ils portent permettent de dater cescopies et montrent l'évolution du goût et de latechnique, même dans un art aussi répétitif et àpremière vue sclérosé. À mesure que l'on s'éloignede la période hellénistique, le sens plastique vas'émoussant, et les copies, même soignées, se fontvides et mécaniques : le vêtement des originauxgrecs, n'étant plus ni porté ni compris, est souvent

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recopié d'une matière erronée.

Le iie siècle après J.-C., apogée de la Paix romaine quistimule l'unification de l'Empire étendu à toute laMéditerranée, est marqué par un regain d'hellénisme,mais sur un mode désormais nostalgique : lescontemporains d'Hadrien et de Marc Aurèle, qui ontcompris plus profondément la civilisation grecqueque leurs ancêtres hâtifs et prédateurs, saventqu'elle est révolue, même si elle se survit à Athèneset dans les cités florissantes de l'Asie Mineure ; c'estpar un romantisme semblable à celui qui fit

redécouvrir au xixe siècle le Moyen Âge que l'ons'attache à l'art classique. Les copies et variantes dePolyclète et de Phidias abondent ; les statuesd'Antinoüs, le jeune amant d'Hadrien divinisé aprèssa mort, empruntent à des types d'athlètes de la

première et de la seconde moitié du ve siècle.Hadrien lui-même ira plus loin encore : dans sonvaste domaine de Tivoli, on trouve non seulementdes répliques de statues grecques, comme dans

toute villa romaine depuis le ier siècle avant J.-C.,mais des copies de bâtiments et un pot-pourri dessites qui l'avaient enchanté lors de ses voyages enOrient. L'évolution des coutumes funéraires, avec lamode du sarcophage, ouvre alors aux ateliers decopistes une voie nouvelle : désormais, on peutcopier non seulement les statues en ronde bossemais aussi les frises architecturales sculptées ou

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transposer en reliefs des types statuaires ; lesateliers attiques seront prompts à exploiter ce filon.Pour la clientèle plus modeste, les stèlesstéréotypées n'attendent plus que l'inscription quiles individualisera. Ainsi la copie, plus ou moins

conforme, est devenue au iie siècle après J.-C. l'acteessentiel de l'activité artistique : elle règne dans laplastique religieuse, honorifique et funéraire, lacréation proprement dite étant limitée aux portraitset aux reliefs historiques (sur les colonnes et arcs detriomphe), genres politiques d'une actualité toujoursrenouvelée. Mais, même en ce domaine, l'originalité

périclite durant le iiie siècle ; on ne copie même plus,on remploie : les portraits de seconde main,retouchés ou même remodelés pour représenter unautre personnage, sont assez fréquents, et ladécoration de l'arc de Constantin, construit à Romeentre 312 et 315, est un « patchwork » habile de

reliefs historiques du iie siècle après J.-C., où lestêtes des empereurs antonins sont remplacées parcelles de Constantin et de Licinius.

C'est d'ailleurs durant les temps troublés quisuccèdent à la dynastie des Sévères (193-235) ques'amorce la mutation qui conduit au-delà de l'artantique : le corps humain cesse d'être le lieuprivilégié de l'épiphanie du divin, ce n'est plus qu'unleurre – un lieu de perdition. Dès lors, l'art grec etses succédanés romains sont condamnés : la figure

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humaine, telle qu'elle était conçue et représentéedepuis mille ans, s'efface. On cesse de copier, etbientôt on commencera à détruire.

Durant ce long cycle esthétique, la copie aura doncjoué un grand rôle dans l'évolution de la plastique :créatrice tant qu'elle est enracinée dans la traditiongrecque vivante, proliférante dès lors qu'elle devientl'instrument privilégié de l'hybridation culturelle qui atransféré à Rome le répertoire formel de la Grèce. Cephénomène capital, unique jusqu'à présent dansl'histoire de l'art, il se pourrait bien que nous soyonsamenés à en faire l'expérience à l'échelle mondiale :du Japon au Centrafrique en passant par les Émirats,l'Occident exsangue exporte ses modèles, copiésavec plus ou moins de bonheur ou d'habileté. Qui sait

si l'art mondial du xxie siècle ne sera pas, avec lesmalentendus et les déformations d'usage, une copiede l'art européen, non pas actuel mais « classique » ?

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Bibliographie

OOuuvvrraaggeess dd''eennsseemmbbllee

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