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RECHERCHES SUR DES MORTIERS ET ENDUITS GALLO-ROMAINS DE BOURGOGNE par M. Michel FRIZOT De nombreux problèmes restent encore posés aux archéologues sur les chantiers de fouille par les vestiges mis au jour, notamment les substructions architecturales. Aussi apparaîtra-t-il normal de chercher à mettre à profit tous les indices retrouvés, y compris les plus frustes, tels que les mortiers et les enduits, qui sont souvent considérés comme de peu d'intérêt pour l'archéologie. Nous avons développé depuis quelques années des méthodes d'étude des matériaux de la construction antique, susceptibles d'apporter quelques réponses positives aux questions qui ne man- quent pas de se poser sur les sites archéologiques de Bourgogne que nous verrons plus précisément ici. Il nous a semblé en effet que des matériaux mis en oeuvre avec une certaine science par les Anciens, selon des procédés assez bien fixés, pouvaient aider à préciser des chronologies ou tout simple- ment mieux connaître les techniques d'édification des bâtiments. Nous avons mené de front l'étude des mortiers et celle des enduits, compte tenu du fait que ces matériaux d'usage bien différent dans la structure architecturale répondent à une même fabri- cation, avec les mêmes éléments, qui sont le sable, la chaux et parfois le tuileau (briques ou tuiles pilées). Les méthodes choisies sont basées sur la nature même de ces matériaux, de telle sorte que l'on puisse tirer des analyses le maximum de renseignements utiles pour les comparaisons entre les échantillons recueillis. Ces méthodes sont réparties en méthodes chimiques et méthodes géologiques. Méthodes chimiques. Elles seront différentes selon qu'on considérera le matériau comme un tout non dissocié ou que l'on voudra étudier certains éléments constructifs en particulier. D'un point de vue global de l'échantillon, nous avons choisi l'analyse par spectrographie d'absorption atomique, qui donne le

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RECHERCHES SUR DES MORTIERSET ENDUITS GALLO-ROMAINS

DE BOURGOGNE

par M. Michel FRIZOT

De nombreux problèmes restent encore posés aux archéologuessur les chantiers de fouille par les vestiges mis au jour, notammentles substructions architecturales. Aussi apparaîtra-t-il normal dechercher à mettre à profit tous les indices retrouvés, y comprisles plus frustes, tels que les mortiers et les enduits, qui sont souventconsidérés comme de peu d'intérêt pour l'archéologie.

Nous avons développé depuis quelques années des méthodesd'étude des matériaux de la construction antique, susceptiblesd'apporter quelques réponses positives aux questions qui ne man-quent pas de se poser sur les sites archéologiques de Bourgogneque nous verrons plus précisément ici.

Il nous a semblé en effet que des matériaux mis en œuvre avecune certaine science par les Anciens, selon des procédés assez bienfixés, pouvaient aider à préciser des chronologies ou tout simple-ment mieux connaître les techniques d'édification des bâtiments.Nous avons mené de front l'étude des mortiers et celle des enduits,compte tenu du fait que ces matériaux d'usage bien différentdans la structure architecturale répondent à une même fabri-cation, avec les mêmes éléments, qui sont le sable, la chaux etparfois le tuileau (briques ou tuiles pilées). Les méthodes choisiessont basées sur la nature même de ces matériaux, de telle sorteque l'on puisse tirer des analyses le maximum de renseignementsutiles pour les comparaisons entre les échantillons recueillis. Cesméthodes sont réparties en méthodes chimiques et méthodesgéologiques.

Méthodes chimiques.

Elles seront différentes selon qu'on considérera le matériaucomme un tout non dissocié ou que l'on voudra étudier certainséléments constructifs en particulier.

D'un point de vue global de l'échantillon, nous avons choisil'analyse par spectrographie d'absorption atomique, qui donne le

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pourcentage des éléments atomiques contenus dans l'échantillon.Nous avons dosé par cette méthode le fer, l'aluminium, le magné-sium et le calcium. L'échantillon doit être dissous dans un liquide,l'acide fluorhydrique pour les mesures du fer, du magnésium etde l'aluminium, l'acide chlorhydrique pour les mesures de calcium.

L'appareil d'analyse consiste essentiellement en une lampepropre à chaque élément analysé, un brûleur à l'acétylène quireçoit la solution de l'échantillon vaporisé et un spectrophotomètrequi analyse l'absorption par les atomes de l'échantillon des diversesradiations de la lampe. On obtient ainsi des pourcentages globauxd'oxydes métalliques : oxyde ferrique, alumine, oxyde de magné-sium et de chaux que l'on peut compter sous forme carbonatée.La silice est calculée par différence, étant donné que les élémentsainsi dosés constituent l'essentiel de l'échantillon original. Le reportde ces données sur des graphes triangulaires (silice / carbonate decalcium / somme des oxydes) permet de comparer les échantillonset d'en déduire analogies ou différences de composition globale.

On pourra obtenir d'autres renseignements sur l'échantillon, enparticulier par la mesure de la « perte au feu ». L'échantillon estporté à la température de 1 000° C, température à laquelle il perdla totalité de son gaz carbonique. On obtient ainsi la quantitéexacte de chaux carbonatée contenue dans le mortier ou dansl'enduit, quantité que l'on peut comparer aux résultats obtenuspar absorption atomique. Leur mesure faite entre temps à 300° Cdonne une idée de l'eau hygroscopique contenue dans l'échantillon.

Méthodes géologiques.

Étant donné la nature géologique des éléments qui entrent dansla composition des mortiers et enduits, et d'autre part l'aspectpierreux de ces matériaux que l'on peut parfois confondre avecdes formations d'origine géologique, il était naturel de songer àexploiter les méthodes olïertes par la géologie.

On pourra tout d'abord s'intéresser au sable contenu danschaque mortier. Ce sable sera extrait du mortier (dans le cas d'unsable siliceux) par action de l'acide chlorhydrique, filtrations,séchage. Dans le cas d'un mortier de sable calcaire, ce mode d'actionn'étant plus possible, on se contentera d'une désagrégation dansl'eau, après trempage prolongé. La séparation du sable des autrescomposants permet de l'étudier plus précisément et surtout d'enréaliser la granulométrie, c'est-à-dire de voir quelle est la répar-tition de la taille des grains du sable. La granulométrie se fait àl'aide de tamis de mailles normalisées, qui répartissent les grainsen classes de taille données. Les pourcentages obtenus sont reportés

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sur des graphes et forment les courbes granulométriques cumula-tives (fig. 1). La simple comparaison de ces courbes sur le graphelui-même permet de conclure à l'identité de tels ou tels sables,de former des groupes d'échantillons où le même sable est employé

0.10 0 .1 * 0,3 S

COSNE SUR LOIRE

FIG. 1. — Comparaison des courbes granulométriques d'échantillons deCosne-sur-I.oire (4 nettement différencié).

ou d'écarter d'autres échantillons dont le sable est trop différentet appartient à une autre couche géologique ou une autre pro-venance. Mais on dispose également d'indices numériques calculésà partir de ces courbes (médiane, sorting-index) qui apportentplus de précision dans la comparaison.

Une autre méthode, très classique en géologie, a pu être appli-quée avec succès à des mortiers et des enduits. Il s'agit de la tech-

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nique des lames minces, qui consiste à débiter, après indurationpar des résines, une plaque de matériau de quelques millimètresd'épaisseur, de la coller sur une lame de verre et de l'user jusqu'àtranslucidité du matériau. On obtient ainsi, sur la plaque de verre,la visualisation d'une coupe dans le matériau, sur laquelle on peutétudier avec un microscope à polarisation les divers constituantsgéologiques des échantillons, donc différencier, sans perturber

FIG. 2. — Lame mince, coupe d'un enduit'peint(Grain, Yonne) ; de haut en bas : couche de pein-ture en noir, couche superficielle de chaux etmarbre broyé, couche avec sable de rivière très

opaque (x 3).

l'échantillon, le quartz, le mica, la calcite, le tuileau, la chaux, etc.Très utile pour les mortiers, cette méthode s'avère encore plusintéressante pour les enduits peints ou non, que ce soit en lamesuperficielle pour connaître la présence de marbre dans la couchede surface des enduits, ou que ce soit en coupe transversale pourfaire apparaître très nettement les couches constitutives des enduitsy compris la couche de peinture lorsqu'il s'agit de peintures murales.Nous ne traiterons pas ici du cas des stucs qui fait également l'objetde nos recherches. De plus, ces lames minces se prêtent bien àla photographie qui assure de meilleures comparaisons entre leséchantillons (cf. fig. 2 et 3).

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Les résultats obtenus.

Nous avons pu appliquer ces méthodes à de nombreux échan-tillons recueillis sur certains chantiers archéologiques de Bour-gogne, en général des chantiers de moyenne importance, ne pré-,sentant pas de problèmes majeurs d'imbrication des structures :Champallement, Les Bardiaux, Cosne-sur-Loire, Escolives, Alésia,Mâlain, Crain, Entrains-sur-Nohain...

En ce qui concerne l'étude des mortiers, les résultats ont ététrès positifs pour la comparaison des structures détruites dont il

FIG. 3. •—• Lame mince, parallèlement à lasurface, dans la couche superficielle d'unenduit peint (Crain, Yonne). Nombreux frag-ments de marbre (en blanc) dans la chaux

(en gris) (x 3).

ne reste souvent que quelques assises de pierres liées au mortier.Ces études nous ont permis de former des groupements de mursqui apparaissent ainsi de même époque et appartenant au mêmeplan de construction. De même, nous avons pu éliminer des mursdont les matériaux trop différents montraient une réfection ou dumoins une mise en œuvre d'une autre époque que celle de laconstruction principale 1. Si nous prenons le cas du site d'Entrains-sur-Nohain, certains habitats sont apparemment homogènes,d'autres montrent des remaniements des murs. De même àChampallement et à Alésia, les différentes campagnes de construc-tion apparaissent bien par la comparaison des mortiers, qui coïncideavec les observations stratigraphiques des fouilleurs, qui se trouventainsi confirmées.

1. Cf. pour plus de précisions notre ouvrage : FRIZOT (M.), Mortiers etenduits peints antiques. Etude technique et archéologique, Centre de Recherchessur les techniques gréco-romaines, n» 4, Université de Dijon, 1975.

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Dans le domaine des enduits, de nombreuses remarques ont puêtre faites, en premier lieu, sur le nombre et la constitution desdiverses couches des enduits (peints ou non). Dans nos régions, noussommes en général bien loin des préceptes de Vitruve, qui recom-mande sept couches successives de mortier pour faire un bonenduit. Nous en comptons en général une ou deux auxquelles ilfaut ajouter la couche superficielle de chaux pure. De plus, nousavons souvent pu mettre en évidence dans cette couche superfi-cielle (de 1 à 5 mm environ d'épaisseur) la présence de marbrebroyé. Cette particularité, qui correspond bien aux habitudesgréco-romaines en la matière, montre la pénétration de ces tech-niques dans le domaine indigène gaulois, pénétration accrue certai-

profil

Fio. 4. — Essai de restitution du montage d'un enduit peint sur couche d'argileet baguettes de bois (1/10 environ) (Entrains-sur-Nohain).

nement par la présence d'ouvriers d'origine romaine, spécialisésdans, ce genre de travail. Par contre, nous avons pu remarquer àplusieurs reprises la persistance de techniques d'enduits dérivéesdes habitudes indigènes qui se manifestent surtout par la présenced'argile en sous-couche de l'enduit ou même en couche principale.

Les empreintes conservées dans ces couches d'argile (Champal-lement, Entrains) montrent nettement que les enduits (même peints,c'est-à-dire assez luxueux) étaient montés sur des baguettes debois, dont nous avons pu reconstituer approximativement l'assem-blage, sorte d'armature murale sur laquelle était passée une épaissecouche d'argile (fig. 4). Cette technique, issue de la constructionlocale gauloise en torchis, semble donc avoir coexisté avec unetechnique entièrement importée, celle des enduits peints romains,et s'être amalgamée à elle. C'est là un exemple de mixité destechniques, qu'il est important de voir précisément dans nosrégions plus ou moins fortement romanisées.

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Ces quelques remarques portant sur des matériaux apparemmentpeu intéressants montrent les enseignements que l'on peut tirerd'une étude scientifique des vestiges archéologiques, résultats par-fois étonnants en regard de la banalité apparente de la matièreétudiée. Ce genre d'étude est pour nous un complément de l'étudestylistique des enduits peints, que nous effectuons par ailleurs,et de l'étude architecturale des sites.