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LE « CRITÈRE DE VÉRITÉ » (????????? ??? ????????) COMME OUTIL HELLÉNISTIQUE DE CLASSIFICATION DES SYSTÈMES PHILOSOPHIQUES Marwan Rashed Presses Universitaires de France | « Les Études philosophiques » 2015/1 n° 112 | pages 65 à 82 ISSN 0014-2166 ISBN 9782130651093 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2015-1-page-65.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- !Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Marwan Rashed, « Le « critère de vérité » (????????? ??? ????????) comme outil hellénistique de classification des systèmes philosophiques », Les Études philosophiques 2015/1 (n° 112), p. 65-82. DOI 10.3917/leph.151.0065 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Nanterre - Paris 10 - - 193.50.140.116 - 17/09/2015 09h17. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Nanterre - Paris 10 - - 193.50.140.116 - 17/09/2015 09h17. © Presses Universitaires de France

RASHED Critère de vérité

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  • LE CRITRE DE VRIT (????????? ??? ????????) COMMEOUTIL HELLNISTIQUE DE CLASSIFICATION DES SYSTMESPHILOSOPHIQUESMarwan Rashed

    Presses Universitaires de France | Les tudes philosophiques 2015/1 n 112 | pages 65 82 ISSN 0014-2166ISBN 9782130651093

    Article disponible en ligne l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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    Marwan Rashed, Le critre de vrit (????????? ??? ????????) comme outil hellnistiquede classification des systmes philosophiques , Les tudes philosophiques 2015/1 (n 112),p. 65-82.DOI 10.3917/leph.151.0065--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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  • 5 janvier 2015 10:16 - Jules Vuillemin et les systmes philosophiques - Collectif - tudes philosophiques - 155 x 240 - page 64 / 160 - PUF -

    5 janvier 2015 10:16 - Jules Vuillemin et les systmes philosophiques - Collectif - tudes philosophiques - 155 x 240 - page 65 / 160 - PUF -

    Les tudes philosophiques, n 1/2015, pp. 65-81

    Introduction

    Dans sa premire acception philosophique, le critre de vrit ( ) dsigne une vrit immdiate qui permet de (re-)connatre une vrit mdiate. Les diffrentes coles hellnistiques dis-puteront donc de sa dfinition comme elles disputeront de tout objet philo-sophique. De mme quelles auront une notion diffrente de lme ou du plaisir, elles sopposeront sur le critre de vrit.

    Cette manire de voir les choses drobe lessentiel. Car le critre de vrit, en raison de sa nature principielle, nest pas un objet comme les autres. non pas du fait que toute tentative pour dfinir la vrit nous engagerait dans un cercle ou une rgression, mais parce que seule dentre toutes les notions de la philosophie antique, le critre de vrit est une notion mta-systmique. Il ne sagit pas de dire que le critre de vrit, tant premier, est indmon-trable et doit tre postul. De nombreux postulats ne sont pas des critres et sont communs (presque) toutes les coles philosophiques de lAntiquit. Bien plutt, lassomption de tel ou tel critre de vrit, chaque fois en sur-plomb sur un certain systme, dictera sa structure. Le critre de vrit nest pas un fait, pas mme un postulat de dpart, cest la langue dans laquelle sexprime toute thse du systme considr. on en vient ds lors vite se demander si pour les philosophies hellnistiques, le critre de vrit, avant dtre la question philosophique laquelle les historiens se sont arrts un problme pos par une certaine notion1 nest pas avant tout un problme didentit2.

    1. Pour deux contributions remarquables sur le critre, voir Gisela striker, , in Essays on Hellenistic Epistemology and Ethics, Cambridge, Cambridge university Press, 1996, pp. 22-76 et Jacques Brunschwig, Le problme de lhritage concep-tuel dans le scepticisme : sextus empiricus et la notion de , in tudes sur les philo-sophies hellnistiques, picurisme, stocisme, scepticisme, Paris, Puf, pp. 289-319.

    2. Dans sa contribution au prsent recueil, Th. Benatoul associe, de ce point de vue, le critre de vrit la notion de fin (telos) et au nombre et types de causes admis par les

    Le CRItRe De VRIt ( )

    Comme outIL heLLnIstIque De CLAssIFICAtIon Des systmes

    PhILosoPhIques

    .La classification cubique des systmes philosophiques par Jules Vuillemin

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  • 66 Marwan Rashed

    5 janvier 2015 10:16 - Jules Vuillemin et les systmes philosophiques - Collectif - tudes philosophiques - 155 x 240 - page 66 / 160 - PUF -

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    Jules Vuillemin, dans ses ouvrages Ncessit ou Contingence. Laporie de Diodore et les systmes philosophiques (1984) et What are Philosophical Systems? (1986), argumente en faveur de deux thses systmiques extrmement fortes. Dans le second, J. Vuillemin juge possible de classer, dans le langage naturel, les formes assertoriques primitives et de rattacher, chacune de ces formes, une classe de systmes philosophiques. Lactivit philosophique se caractrise donc par un constat doubl dun acte de foi. Le constat est que lactivit phi-losophique authentique, la diffrence de lactivit langagire naturelle et par opposition la philosophie clectique doit retenir une forme propo-sitionnelle lexclusion de toutes les autres. Lacte de foi, que tous les choix, dans cet espace produit par lanalyse des propositions, sont lgitimes. Les diffrents choix ne sopposent pas comme le vrai au faux, mais en fonction de leur parcimonie. est prfrable le systme auquel moins incombera la charge de sa propre preuve.

    Cette thse, sur laquelle nous reviendrons plus bas, doit nous viter une erreur dapprciation de Ncessit ou Contingence. Ce livre se divise en deux parties, lune analytique, consacre la reconstitution de lArgument Dominateur, lautre synthtique, o lon retrouve les thmatiques de What are Philosophical Systems?. Dans la partie analytique, J. Vuillemin montre comment diffrents systmes philosophiques se caractrisent par le rejet dune prmisse diffrente du Dominateur. Il ne faudrait pas croire, bien entendu, que ce soit largument lui-mme qui suffise produire le systme philosophique considr. Bien plutt, le systme dcoule dune certaine attitude propositionnelle , elle-mme lie une intuition gnrale sur le centre de gravit du discours althique (l acte de foi de J. Vuillemin). La thse rejete est tout au plus la moins conciliable avec le systme en jeu. que le rapport entre laporie et les systmes ne soit dailleurs pas simplement biunivoque, il suffit de constater que Clanthe et Chrysippe, pourtant tous deux stociens, rejettent deux prmisses diffrentes pour ltablir. et que des reprsentants de diffrents systmes rejettent quant eux la mme prmisse du Dominateur3.

    mme ainsi claircie, cette situation conserve cependant des zones dombre. on peut en particulier se demander quel est le rapport entre clas-sification propositionnelle des systmes et classification aportique ; plus prcisment, comment l attitude propositionnelle se traduit par le rejet de telle ou telle prmisse qui, en premire apparence du moins, na rien dincompatible avec lintuition gnrale du systme.

    systmes antiques. on pourrait mme ajouter que les deux dernires rubriques interviennent plus directement dans les classifications antiques des systmes que celle du critre. Je voudrais cependant montrer ici que la discussion du critre est plus fondamentale et que son choix dicte, encore que de manire diffuse et complexe, les positions que lon adoptera en thique et en physique.

    3. Vuillemin en est dailleurs parfaitement conscient. Cf. Jules Vuillemin, Ncessit ou Contingence. Laporie de Diodore et les systmes philosophiques, Paris, minuit, 1984, p. 273.

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    67Le critre de vrit ( )

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    une autre question, plus historique, consiste se demander en philo-sophe ou sans recourir au miracle ce qui fait que tous les systmes ont t instancis au moins une fois par les Grecs. Dans Ncessit ou Contingence, Vuillemin crit (p. 284) : Renan a parl du miracle grec. Les rudits ennemis des miracles nont pas encore expliqu ce miracle-l. on devra se de mander, sil savre que la notion de critre de vrit ( ) est bien loutil hellnistique de classification des systmes philosophiques, quel rapport il entretient avec ce que Vuillemin identifie comme la cause de la pluralit des systmes : les diffrents types de prdication.

    Je diviserai cette tude en deux sections. Je montrerai tout dabord comment le critre de vrit constitue sans doute loutil ancien de classification-production des systmes philosophiques, en mattachant plus spcialement aux quatre grandes coles hellnistiques, picurisme, stocisme, aristotlisme, platonisme. Je consacrerai ma seconde section faire quelques remarques, cette lumire, sur le rapport entre les deux parties, analytique et synthtique, de Ncessit ou Contingence.

    I. Le critre de vrit et les quatre coles de lAntiquit

    1) picurisme

    Commenons par ces propositions quon peut dsigner comme des pr-dications de linstruction ou de la mthode. Vuillemin attire lattention sur le fait que si elles ont pu passer inaperues des linguistes peut-tre [] faute de lire parfois un trait de gomtrie4 , elles sont nanmoins systma-tiquement luvre dans le discours des mathmaticiens. Le gomtre ne se borne pas noncer des subsomptions catgoriques universelles, il construit la figure individuelle et quelconque, cest--dire celle dans laquelle nentrent que les proprits universelles propres la dfinition de ses lments. Dire, cest alors exhiber une rgle de construction.

    Le critre de vrit dpicure est triple. Voici ce qucrit Diogne Larce (X 31) : Cest pourquoi, dans le Canon, picure dit que les critres de la vrit sont les sensations, les prnotions et les affections ( ). Les prnotions, comme leur nom lindique, sont des lments primordiaux de notre action cognitive. Voici comment elles sont dcrites un peu plus loin (X 33) :

    quant la prnotion, ils disent quelle est comme une apprhension (), ou une opinion droite ( ), ou une notion (), ou une conception gnrale ( ) que nous avons en rserve en nous,

    4. Jules Vuillemin, Les formes fondamentales de la prdication : un essai de classifi-cation , in Recherches sur la philosophie et le langage, cahier n 4 du Groupe de Recherche sur la philosophie et le langage, universit des sciences sociales de Grenoble, Paris, Vrin, 1984, pp. 9-30, pp. 23-24.

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  • 68 Marwan Rashed

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    cest--dire la mmoire de ce qui nous est souvent apparu en provenance du dehors, par exemple quand on dit que telle sorte de chose est un homme . en effet, en mme temps que lon prononce homme , aussitt par la prnotion on pense une image de lhomme, du fait que les sensations prcdent. et donc pour tout nom, ce qui en premier est mis ses cts est clair. et nous naurions pas entrepris de chercher ce que nous recherchons, si nous ne lavions pas connu auparavant, comme lorsquon dit : Ce qui se tient l-bas est un cheval ou un buf ; car il faut par la prnotion avoir connu un jour la configuration () du cheval et du buf. et nous naurions pas non plus donn un nom quelque chose si auparavant nous navions pas connu son empreinte ( ) par la prnotion. Les prnotions sont donc claires.

    sans entrer dans les nombreuses difficults textuelles, historiques et doc-trinales que recle ce texte, on remarquera que la question fondamen-tale quil soulve est celle de lorientation, pour ainsi dire, du critre de vrit quest la prnotion. sagit-il simplement de recenser ce qui, en nous, nous permet un certain instant davoir une certitude ? Dans ce cas, jai effectivement besoin de deux critres pour tre certain dtre face un cheval : de la sensation, purement passive, qui reoit lempreinte de la configuration du cheval et dune image stocke dans ma mmoire qui va permettre lauthentification de cette empreinte. Le critre de vrit serait alors immdiat, prodlique, confirmation de la prsence-existence dun certain individu.

    Les historiens ont reconnu depuis longtemps que ce ntait pas l la fonc-tion du critre de vrit dpicure. Il faut tre sensible, dans le texte cit, lide dune recherche (cf. , ). La prnotion nous permet de lancer une recherche sur un objet qui ne se donne encore que confusment et qui peut tre un cheval ou un buf. La sensation et la prnotion servent donc plus progresser dans nos connaissances qu les formuler une fois rendues mani-festes ( ce cheval est un cheval ) et ce, mme si elles sont aussi luvre dans ce dernier cas. La canonique est une mthode qui nous apprendra utiliser les critres de vrit notre disposition, cest--dire les mobiliser en vu dun gain de connaissance.

    Les grandes catgories de cette mthode se rduisent deux couples, confirmation/non-confirmation (/ ) et infirmation/non-infirmation (/ )5. Ces deux couples dfinissent lespace de toute recherche, en prenant en compte la zone, susceptible de clture matrielle ou non, o elle se dploie. picure distingue en effet entre les vrits quon peut qualifier de directement acces-sibles et celles qui ne le sont pas. Parmi ces dernires, il faut distinguer entre celles qui ne le sont pas du tout parce que, comme on le verra, lnonc qui les

    5. tous les textes importants, sur ce chapitre, sont traduits dans Anthony A. Long et David sedley, Les Philosophes hellnistiques, traduction par J. Brunschwig et P. Pellegrin, Paris, GF-Flammarion, 2001, 3 vol., vol. I, pp. 187-199.

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    exprime est mal construit et celles qui ne sont accessibles que mdiatement. nest pas immdiatement accessible ce qui est trop loign de nous, selon la distance, le temps ou la dimension, pour pouvoir tre apprhend par nos sens. Il peut sagir dune configuration microscopique mais aussi, tout simplement, dun universel, puisque ce dernier sera entendu en extension et non, comme chez Aristote, dans lunit reconnaissable de son concept. La distinction entre particulier et universel revient donc, chez picure, celle entre immdiatet et non immdiatet de laccs cognitif. on peut repr-senter les choses ainsi :

    Opinions vraies Opinions fausses

    Accessibilit immdiate (I) (II)

    Accessibilit non immdiate (III) (IV)

    Les deux premires catgories ( confirmation / non-confirmation , / ) sont celles de laccessibilit imm-diate. une prsomption est alors soit confirme par lvidence sensible, soit infirme par elle. Dans le cas dun universel apparent (les nombres carrs, par exemple), cest une clture de type perceptif qui permet au mcanisme, en se laissant rduire celui de linspection sous un meilleur jour dun particulier, de fonctionner. Cela permet de saisir lapparente confusion de la contradictoire et de la contraire. Cest en effet lintro-duction de la notion de clture qui fait que est le contraire, et non pas le contradictoire (comme la langue lexigerait), de . Plus prcisment, cest un contradictoire sans troisime issue, puisque lon suppose implicitement que lon a immdiatement ins-pect tous les cas de figure.

    en revanche, les deux dernires catgories ( infirmation / non-infirmation , / ) se dploient lorsque laccessibilit immdiate fait dfaut. Lexemple picurien est celui du vide et du mouvement. on infre du mouvement (chose apparente) au vide (chose non apparente) selon une , tandis quon infre du mou-vement la ngation de la ngation du vide selon une . Ici aussi, une clture agit comme en sous-main, de telle manire rendre inconcevable la sparation du mouvement et celle du vide. La clture, une fois construite, se rvle enserrer ces deux ralits dans un mme espace notionnel.

    Lexplication brivement esquisse claire la question des explications multiples . J. Vuillemin et Th. Bnatoul se sont levs contre une lecture de type pragmatico-sceptique de cette thorie6. Th. Bnatoul a insist sur la

    6. Cf. Jules Vuillemin, Ncessit ou Contingence, op. cit., p. 204 et Thomas Benatoul, La mthode picurienne des explications multiples , in Les Cahiers philosophiques de Strasbourg, 15, 2003, Presses universitaires de strasbourg, pp. 15-47.

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    limitation du champ o cette mthode est valide les phnomnes clestes. Comment expliquer que la proposition la taille du soleil est sa taille appa-rente et la proposition la taille du soleil est immensment plus grande que sa taille apparente sont toutes les deux vraies ? Cest, tout simplement, que ces deux assertions relvent de la troisime catgorie donc quelles sont vraies si elles ne sont pas infirmes mais qutant donn la distance entre les objets dont elles traitent et nous, tant donn aussi les dures immenses sur lesquelles ces phnomnes se dploient, rien ne nous assure de linvariance et de lunicit vritable des objets traits. Dans lexemple mentionn, on pourra tout fait admettre que la taille du soleil varie et que les deux assertions sont vraies diffrents moments. on na pas accs au soleil, ici, parce que rien nimpose de penser quil ny a quun seul soleil.

    Il faut donc bien distinguer le rejet picurien du principe du tiers-exclu, luvre dans nos catgories I et II, de ce qui pouvait apparatre en III, dans le cas des explications multiples, comme un rejet du principe de non- contradiction, mais qui nest en ralit quune affirmation de la compatibi-lit, au vu des circonstances, de diffrentes explications mtorologiques.

    on conclura en soulignant un point commun des quatre classes pi-curiennes. que la procdure soit matriellement close (dans le temps, lespace et les ordres de grandeur) avec la confirmation/non-confirmation, ou close selon la notion avec linfirmation/non-infirmation, il y a toujours, sous-jacente, lide dune construction. Parfois presque imperceptible quand il sagit de dire que ce corbeau est noir , elle nen est pas moins prsente, du fait quil faut toujours comprendre, dans un cadre picurien, que lors-quon se livre cette affirmation, on vrifie que cet assemblage bien dfini datomes qui est un corbeau est noir et non que du noir et dautres pro-prits du corbeau mapparaissent immdiatement dans telle mme zone de lespace-temps.

    2) Stocisme

    La prdication circonstancielle de Vuillemin est, la rigueur, une loca-lisation. on assigne en effet des coordonnes despace-temps un certain phnomne, dans un repre dont le sujet-parlant constitue lorigine. Il ne sagit pas de dire quune substance aristotlicienne, dont le logos constitue lun des plans dexistence le vritable plan dexistence, puisque cest celui o se constitue son essence se trouve ralise tel moment et en tel lieu. Bien plutt, on assignera une zone matrielle de lespace-temps une srie de caractristiques matrielles phnomnales dont la combinaison est dsigne comme tant un homme ou un cheval . La diffrence la plus importante, mais non la seule, est que dans le cadre de la prdication substantielle, la zone occupe par une substance ne peut tre occupe que par cette substance, tandis que dans le cadre de la prdication circonstan-cielle, on peut localiser en cette zone autant de caractristiques que lon voudra.

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  • 5 janvier 2015 10:16 - Jules Vuillemin et les systmes philosophiques - Collectif - tudes philosophiques - 155 x 240 - page 70 / 160 - PUF -

    71Le critre de vrit ( )

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    Voici ce qucrit Diogne Larce en VII 54 au sujet du critre des stociens :

    Le critre de vrit, ils disent que cest la reprsentation comprhensive, cest-- dire celle qui vient dun objet existant, comme le disent Chrysippe au deuxime livre de ses Physiques, Antipatros et Apollodore. (Je donne ces prcisions) car Bothos admet plusieurs critres : lintellect, la sensation, la tendance et la science. mais Chrysippe, en dsaccord avec lui-mme, au premier livre de son trait Sur la raison, dit que les critres sont la sensation et la prnotion. La prnotion est une notion naturelle des universaux. Dautres parmi les stociens plus anciens admettent comme critre la raison droite, comme le dit Posidonios dans son trait Sur le critre.

    quant la reprsentation comprhensive , cest daprs les sources de sextus (AM VII 248)

    celle qui vient de ce qui existe, qui est imprime et marque conformment ce qui existe, et telle quelle ne pourrait pas provenir de ce qui nexiste pas.

    on se concentrera ici sur la position de Chrysippe. selon Diogne, Chrysippe sest contredit. Alors quau deuxime livre des Physiques, il a identifi le critre la , il sest dcid pour la sensation () et la prnotion () dans le trait Sur la raison. Comment expliquer cet cart ? et surtout, comment expliquer que Chrysippe, dordinaire si soucieux de lidentit systmique du stocisme, se soit ralli, sur ce point videmment capital, la terminologie picurienne ? Dans une tude qui fait autorit sur la notion de critre de vrit, Gisela striker crit : If we have correctly explained Chrysippus statement that is a criterion of truth, then it is clear that he called it a criterion in the same sense as Epicurus. This is not so remarkable if we reflect that Stoic doc-trine on the or was on many counts the same as that of the Epicureans7. une telle dclaration parat insatisfaisante. La solution pourrait plutt tenir dans les constatations faites un peu plus haut. Il faut partir de la premire dfinition stocienne du critre, celle du critre comme . Comme lcrit Jacques Brunschwig : [] lusage de cette notion qui prdomine chez les stociens nest plus dtermin par le modle du . La est prsente comme un , non parce quelle permet de tester quelque chose dautre que ce quelle prsente elle-mme, mais parce quelle permet daffirmer que quelque chose est le cas, qui est ltat des choses mme qui est prsent par elle (et qui est causalement son producteur) ; ce qui nous fait connatre que quelque chose est le cas est la mme chose que ce qui constitue le de la vrit de cette connaissance8. Cette distinction permet de comprendre

    7. Gisela striker, , art. cit., p. 65.8. Jacques Brunschwig, Le problme de lhritage conceptuel dans le scepticisme :

    sextus empiricus et la notion de , art. cit., p. 317.

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  • 72 Marwan Rashed

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    la stratgie de Chrysippe. en stocien conscient des enjeux de rivalit sys-tmique avec les picuriens, il renonce une conception mthodique du critre. Il lui substitue une conception prodlique, o les vrits fournies par la sont non seulement accessibles immdia-tement, mais o cest mme dans cette accession immdiate quelles rsident (alors que chez picure, elles taient atteintes par elle). mais pour que la ait une consistance, pour quil y ait vritablement reconnaissance et non pas simplement contact physique (comme lorsquun rayon de lumire touche un corps inerte), on doit pouvoir lanalyser en deux moments, lun, la sensation, qui nous assure du contact physique avec lobjet et lautre, la reconnaissance, qui nous assure dune certaine accointance avec cet objet9. Pour que je voie du noir, du volatile et du croassant en cet endroit de lespace-temps, il faut que je sois dot de sensation et dune certaine capa-cit de synthse perceptive. Jmets donc la conjecture suivante : le couple ne faisait que gloser, chez Chrysippe, lexpression . Chrysippe aurait ainsi retourn la terminologie pi-curienne contre son auteur. Certes, aurait-il accord, et sont des critres. mais il ne faut pas interprter ces termes comme le fait picure. Ces deux instances, loin de contribuer confirmer ou infirmer telle ou telle thse, portent en elles-mmes, en tant que moments de la , toute vrit possible.

    3) Aristotlisme

    La prdication substantielle de J. Vuillemin plonge dans le temps la pr-dication nominale pure, sur laquelle on reviendra dans la section suivante. mais la plonge dans le temps est aussi une ouverture lexistence sensible, donc catgoriale. Celle-ci est marque par une tension entre permanence et flux gnralis. La permanence est celle des substances, qui demeurent iden-tiques elles-mmes durant un certain temps. Le flux gnralis est celui des transformations matrielles quelles subissent incessamment en tant que par-ties de lunivers. Il faut donc, dans ce cadre, distinguer deux types prdicatifs qui nont rien voir, celui par lequel on dcrit la subsomption dun individu sous un universel de classe, qui se vrifie tant que lindividu perdure, et celui par lequel on dcrit tous les changements qui peuvent affecter lindividu sans lui faire perdre son identit (ni a fortiori son existence). on voit donc que les rapports de la prdication substantielle et de la prdication accidentelle ne se laissent saisir quen introduisant une double approche du rel. Par notre ima-gination, ultimement tributaire de la sensation, nous circonscrivons les

    9. ma lecture saccorde bien avec celle de George B. Kerferd ( The Problem of Sunkatathesis and Katalepsis in stoic Doctrine , in Jacques Brunschwig (dir.), Les Stociens et leur logique, 2e dition revue, augmente et mise jour, Paris, Vrin, 2006, pp. 109-130), selon laquelle, pour le dire avec les mots de Th. Benatoul, en note complmentaire ce mme article, p. 130, la vrit dune phantasia rsulte dune rfrence ascendante un lekton autant voire plus que dune rfrence descendante une chose relle .

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  • 5 janvier 2015 10:16 - Jules Vuillemin et les systmes philosophiques - Collectif - tudes philosophiques - 155 x 240 - page 72 / 160 - PUF -

    73Le critre de vrit ( )

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    substances premires des Catgories. Par la raison, nous les classons dans un arbre gnral du rel dfinissable, cest--dire nous y reconnaissons laction structurante dune forme hylmorphique, elle-mme garante de lessence.

    la diffrence dpicure et des stociens, Aristote na jamais parl, expressis verbis, de . Il y a donc un apparent para-doxe voquer une thorie aristotlicienne du critre. Lintgration de cette notion son systme par ses successeurs nen est que plus intressante. Il faut partir, pour la comprendre, de la clbre doxographie de sextus empiricus, Adversus Mathematicos, VII, 217-226, o celui-ci identifie le critre aristo-tlicien comme la raison et la sensation . Voici ce texte, quen dpit de sa longueur je traduis dans son intgralit (et rdite sur deux points), en raison de son intrt :

    quant Aristote, Thophraste et la communaut des Pripatticiens, du fait que la nature des choses, pour sen tenir la plus haute distinction, est double puisque certaines choses, comme je viens de le dire, sont perceptibles et dautres intelligibles ils admettent que le critre lui aussi10 est double, la perception tant celui des choses perceptibles et lintellection celui des choses intelligibles, mais que le caractre dvi-dence, comme la expliqu Thophraste, est commun aux deux. selon lordre, le critre irrationnel et indmontrable, savoir la perception, est premier, tandis que selon la puissance, cest lintelligence, mme si elle parat venir en second, aprs la perception, pour ce qui est de lordre.

    sous leffet des choses perceptibles, en effet, la perception est mue, tandis que sous leffet du mouvement rpondant lvidence qui entoure la perception, il se produit un mouvement dans lme des animaux suprieurs, meilleurs et qui ont la capacit de se mouvoir eux-mmes. en ce mouvement consiste ce quils appellent mmoire et imagination, mmoire de laffection de la perception, imagination de la chose per-ceptible ayant imprim laffection sur la perception. Cest pourquoi ils disent quun mouvement de ce genre est analogue une empreinte. la faon dont celle-ci je veux dire lempreinte est produite par quelque chose et sous leffet de quelque chose (par quelque chose, comme la pression du pied, sous leffet de quelque chose, comme de Dion), de mme le mouvement susmentionn de lme est produit par quelque chose, comme laffection de la perception et sous leffet de quelque chose, comme la chose perceptible, eu gard laquelle il conserve une certaine similitude.

    son tour, ce mouvement, quon appelle mmoire et imagination, contient en lui un troisime mouvement, diffrent, qui survient, celui de limagination ration-nelle, qui se produit finalement pour nous permettre de juger et de choisir. Ce mou-vement est appel intellect discursif et intelligence , comme lorsque quelquun, alors que Dion apparat de manire vidente, a la perception affecte, en quelque sorte, et capte, et que par laffection de la perception, une certaine imagination naisse en son me, ce que nous disions plus haut tre mmoire et se comporter de manire semblable une empreinte, puis qu partir de cette imagination, sponta-nment, il dessine et modle une image son propre usage, telle lhomme gnrique. Ce type de mouvement de lme, en fonction de ses diffrentes occurrences, ceux dentre les philosophes qui sont pripatticiens le dnomment intellect discursif

    10. Je lis pour , car lui seul me parat donner sens au qui prcde.

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  • 74 Marwan Rashed

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    et intelligence , intellect discursif selon la puissance, intelligence selon lacte. quand en effet lme peut se constituer ce modle, cest--dire quand par nature elle en a la capacit, elle est appele intellect discursif , mais quand elle le fait de manire actuelle hic et nunc, elle est appele intelligence .

    partir de lintelligence et de lintelligence discursive sont constitus le concept, la science et lart. Lintelligence discursive nat tantt des formes particulires et tan-tt des formes et des genres. mais alors que le rassemblement de ce genre dimages par lintelligence et la ressaisie de celles qui sont particulires en une image gnrale est appele concept, cest dans le rassemblement et la ressaisie de ces derniers11 que finalement se constituent la science et lart, la science possdant exactitude et recti-tude, lart un degr moindre. De mme que la nature des sciences et des arts relve dun genre postrieur, de mme ce quon appelle opinion . quand en effet lme incline limagination produite par la perception, se porte au devant de ce qui se prsente elle et y acquiesce, elle est dite opinion . Il est donc manifeste, daprs ce qui a t dit, que les premiers critres de la connaissance des choses sont la per-ception et lintelligence, lune se trouvant dans la situation de linstrument et lautre de lartisan. De mme en effet que nous, nous ne pouvons pas valuer pesanteur et lgret sans balance, ni, sans rgle, saisir la diffrence du droit et du courbe, de mme lintelligence ne saurait, sans la perception, se prononcer sur les choses.

    on aperoit, la lecture de ce texte, que les successeurs dAristote ont t sensibles la double immersion formelle et phnomnale de la sub-stance aristotlicienne. Cest en effet cette double immersion, dans le champ des formes dfinissables, au moins en droit, et dans celui du devenir et du changement, qui impose un double critre, la sensation identifiant la sub-stance individuelle et le logos lidentifiant comme substance, cest--dire y reconnaissant luniversel formel luvre dans les ruses de la permanence (reproduction et subsistance)12.

    4) Platonisme

    on achvera ce bref parcours en examinant brivement comment sextus empiricus reconstitue la doctrine platonicienne du critre de vrit. Voici ce quil crit :

    Ainsi donc, Platon, dans le Time, du fait quil a divis les choses en intelligibles et sensibles et dit que les intelligibles pouvaient tre comprises par la raison, tandis

    11. Je lis pour et interprte ce pronom en rapport avec le concept () juste voqu. sans cette correction ou une correction de ce type, la rptition de la phrase me parat trop maladroite.

    12. Cest encore le cas du plus grand aristotlicien de lAntiquit, Alexandre dAphrodise. Cf. Robert W. sharples, The Criterion of truth in Philo Judaeus, Alcinous and Alexander of Aphrodisias , in Pamela huby et Gordon neal (dir.), The Criterion of Truth, Liverpool university Press, 1989, pp. 231-256, p. 240 et n. 63. Cette analyse ne doit pas nous dissi-muler lvidente coloration hellnistique du texte traduit et la discrtion avec laquelle la forme (eidos) aristotlicienne est traite. sur ce point, voir Riccardo Chiaradonna, Platonismo e teoria della conoscenza stoica tra II e III secolo d.c. , in mauro Bonazzi et Christoph helmig (dir.), Platonic Stoicism Stoic Platonism. The Dialogue between Platonism and Stoicism in Antiquity, Leuven, Leuven university Press, 2007, pp. 209-241, p. 230.

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    75Le critre de vrit ( )

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    que les sensibles se trouvaient objets dopinion, a manifestement dfini la raison comme critre de la connaissance des choses, en comprenant avec elle, dun mme geste, lvidence transmise par la sensation. Il sexprime ainsi : quest-ce qui est toujours et na pas dengendrement et quest-ce qui est engendr et nest jamais ? Le premier est embrass par une intellection accompagne de raison, [tant toujours lidentique,] tandis que le second fait lobjet dune opinion accompagne de sen-sation [irrationnelle, tant engendr et dtruit, mais jamais rellement ntant]. Les Platoniciens disent que chez lui, il y a une raison quon appelle comprhensive, celle qui se saisit de lvidence et de la vrit. Il faut en effet que la raison, pour discerner la vrit, prenne lvidence pour point de dpart, puisque cest au moyen des donnes manifestes que sopre le discernement des choses vraies. mais lvidence ne suffit pas pour connatre le vrai : si quelque chose apparat avec vidence, cela nexiste pas pour autant forcment en vrit, il faut aussi que soit prsente une instance discernant ce qui apparat seulement de ce qui, outre quil apparat, existe aussi en vrit savoir la raison13.

    Ce texte est trs contourn et ne me parat pas avoir t expliqu de manire satisfaisante. Il faut commencer par noter la double prsence de Platon dun ct, des Platoniciens de lautre. Platon est prsent par une phrase du Time, dans laquelle la source de sextus a opr des coupes assez notables. Celles-ci visent neutraliser la porte ontologique de la distinc-tion platonicienne qui ouvre, rappelons-le, le monologue de time (27d-28a) en la transformant en une simple distinction modale : les objets qui nous entourent sont compris dune certaine manire par la sensation, dune autre par lintellection14. Cet affadissement prpare la thse des Platoniciens, selon laquelle il y a quelque chose quon appelle la raison comprhensive () chez Platon. or ce mot napparat nulle part dans le corpus de Platon. De plus, la prsentation du mcanisme de cette raison compr-hensive rappelle fortement, dans son dualisme sensation-intellection, la prsentation de la thorie aristotlicienne de la connaissance. Certes, nos auteurs tentent de subordonner les deux instances sous le chef de la raison. mais cet effort demeure verbal et la distinction est maintenue. Au bout du compte, on ne discerne plus gure ce qui distingue lpistmologie de Platon de celle dAristote. Il ny aura plus qu interprter ce qui est toujours comme des formes rellement incarnes et sparables par lintellect pour achever la fusion des deux doctrines.

    si lon rsiste cet clectisme douteux qui nhsite pas tronquer le texte de Platon pour mieux convaincre , on interprtera la phrase du Time en un sens oppos. Le critre de vrit est et nest que lintellect, seul apte

    13. Adversus Mathematicos, VII 141-143.14. Voici ma traduction de ce passage du Time : Ainsi donc, mon avis, il faut tout

    dabord distinguer ce qui suit, savoir la nature de ce qui est toujours et na pas dengen-drement et celle de ce qui est engendr et nest jamais. Le premier est embrass par une intel-lection accompagne de raison, tant toujours lidentique, tandis que le second fait lobjet dune opinion accompagne de sensation irrationnelle, tant engendr et dtruit, mais jamais rellement ntant.

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  • 76 Marwan Rashed

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    entrer en contact avec ltre qui est toujours puisque la vrit, prcis-ment, se confond avec cet tre qui est toujours. Platon le dira dailleurs expli-citement un peu plus bas, lorsquil abordera la question du temps (Time, 37e-38b). Je traduis :

    [] tait et sera sont des formes engendres, que nous rapportons la substance ternelle mauvais escient. nous disons en effet quelle tait, est et sera, alors qu celle-ci ne convient, parler vridiquement, que est, tandis que tait et sera peuvent tre adquatement dit dans le cas de la gnration en progression dans le temps ce sont en effet tous deux des mouvements, tandis que ce qui est toujours lidentique de manire immuable, ce nest ni plus vnrable ni plus jeune quil lui convient de devenir sous leffet du temps, ni dtre n jadis, ni dtre maintenant un tre engen-dr, ni de devoir exister lavenir ; bref, ne sauraient en rien lui appartenir tous ces caractres que la gnration a attachs aux choses qui se meuvent dans la sensation, car du temps qui imite lternit et fait des cercles en suivant le nombre, ces choses sont devenues les formes et, outre cela, nous nous exprimons encore comme suit : ce qui est n est ce qui est n, ce qui nat est ce qui nat, et aussi ce qui natra est ce qui natra et le non-tre est non-tre ; en rien de cela, nous ne nous exprimons avec rigueur.

    si, au sujet de lintelligible, on ne peut dire que est et non tait et sera , cest bien sr parce que ce est est un prsent intemporel, dont le grec peut mme en cet usage se dispenser. Point nest besoin de souligner combien cette caractrisation nous rapproche des phrases nominales de Philosophical Systems. J. Vuillemin sappuie sur lopposition dresse par Benveniste entre phrases nominales et phrases verbales. La phrase nominale exclut par nature les dterminations spatiales et temporelles. Cest prcis-ment ce quexprime Platon, dans le Time, en parlant de ce qui est toujours et na pas dengendrement , puisque lunivers lui-mme est engendr.

    II. What are philosophical systems? et le

    1) De la linguistique gnrale laccs au vrai

    nous venons de voir que la description du critre de vrit par les quatre grands systmes de lAntiquit se fait en des termes trs proches, voire identiques, de ceux quutilise J. Vuillemin pour caractriser les types primordiaux dnoncs. on est donc conduit se poser la question du rap-port entre les deux classifications. Pour dire les choses simplement, faut-il considrer que le est une version teinte de cognitif dun simple fait de langue, ou bien penser que la structure du lan-gage reflte un niveau plus profond de ralit, mais que ce niveau pourrait tre dcrit sans rfrence aux formes de la prdication ? quen dautres termes, les formes de la prdication ont le bon got de se laisser classer comme elles le font ?

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  • 5 janvier 2015 10:16 - Jules Vuillemin et les systmes philosophiques - Collectif - tudes philosophiques - 155 x 240 - page 76 / 160 - PUF -

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    J. Vuillemin lui-mme, videmment, pose la question. Dans la section de son ouvrage consacre la mise en lumire du fil directeur de la dduction des formes lmentaires de la prdication, il crit en effet la chose suivante :

    The unravelling of the leading thread, according to the principle of identity, may be and will be interpreted in two different ways15.

    La premire est linguistique :

    There is first the formal or linguistic interpretation. Has the classification which distributes the identifications of existent individuals into several possible kinds a real counterpart in natural language ? General linguistics will help us to recognize semantic and pragmatical units. By exploiting the concepts of a system of opposition and of neu-tralization and applying them to the analysis of the verb, we shall even follow the general progress of the deduction.

    mais il ne sagit l, comme le remarque J. Vuillemin, que dune aide heu-ristique fournie par la linguistique. La linguistique gnrale, en dployant sous nos yeux les diffrents types propositionnels quelle exhume au petit bonheur, nous aide les reconnatre. Pour nous en tenir un niveau encore formel, mais dj plus habit par la matire des choses, il faut en revenir lnonc et ses cinq lments pertinents. si en effet lon admet quon peut, dans un nonc prdicatif quelconque, distinguer les cinq lments que sont : (1) lindividu sujet, (2) luniversel prdiqu, (3) le marqueur de leur unit syntaxique, (4) lengagement la vridicit de la part du locuteur et (5) lnonc lui-mme en tant quvnement du monde, il sensuit alors que lon aura cinq types dnoncs fondamentaux, en fonction du privilge accord chacun des cinq lments reconnus appartenir lnonc prdicatif complet minimal.

    J. Vuillemin montre, dans la suite du livre, comment ce privilge per-met de se livrer cinq actes prdicatifs diffrents. mais pour le montrer, il faut adopter une position mta-discursive, o prcisment lon sefforce de maintenir une neutralit philosophique complte en adhrant strictement la phnomnologie de la langue16 . un peu comme lintellect humain dAristote doit tre pur de toute forme pour pouvoir toutes les accueillir, notre approche de la langue doit tre absolument non philosophique pour que lon puisse recueillir toute position philosophique en puissance dans une forme simple dnoncs. J. Vuillemin, dans un geste vrai dire platonicien, se livre ici une sorte de parricide, montrant que le programme de neutralit catgoriale de quine est en ralit trs peu neutre, mais vhicule une ontologie combinant atomes dmocritens et classes platoniciennes17.

    15. Jules Vuillemin, Ncessit ou Contingence, op. cit., p. 47.16. Ibidem, p. 45.17. Ibidem, p. 44.

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  • 78 Marwan Rashed

    5 janvier 2015 10:16 - Jules Vuillemin et les systmes philosophiques - Collectif - tudes philosophiques - 155 x 240 - page 78 / 160 - PUF -

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    Cette position permet de dpasser la premire interprtation, linguis-tique et formelle, de la dduction, pour se ranger la seconde :

    General criteria of reality, however, will only be obtained when we choose the sec-ond interpretation, which is in terms of truth, not of form. The following principle of semiotics will then be applied : for communication to succeed, the participants must be able to have access to the truth-conditions of the sentences, so that a category will be considered as effectively used when the participants agree on the way they have access to the truth conditions involved by its kinds of identifications18.

    Il est assez fascinant de constater comment, press den venir aux vritables raisons quon peut qualifier de philosophiques refltes par des faits de langue, J. Vuillemin en vient voquer les critres gnraux de la ralit , ce qui est une traduction plus exacte encore de que critre de vrit . Comment expliquer cette convergence entre les analyses hellnistiques et un tel projet ? Vuillemin, sauf erreur de ma part, ne men-tionne jamais ni dans Ncessit ou Contingence, ni dans Philosophical Systems la thmatisation hellnistique du critre de vrit19. A fortiori ne tente-t-il nul rapprochement entre ces discussions et son propre projet de classification des systmes. Le rapprochement suggr paraitrait donc, au bout du compte, doublement clairant.

    Il montre tout dabord que les systmes hellnistiques ont forc laccs aux conditions de vrit caractristiques des noncs primitifs de J. Vuillemin sans passer par la dduction linguistique ni a fortiori par la combinatoire exhaustive qui la fonde. Ce fait nous conduit admettre une position intermdiaire et permet dchapper, en quelque sorte, la dicho-tomie miracle versus dduction. Les philosophes paens ne pouvaient tom-ber sur toutes les formes possibles par opration du saint-esprit : il y a un travail identifiable, et identifi comme une rubrique dans les doxographies antiques, qui sapparente au classement des systmes de Vuillemin. mais nous navons pas, proprement parler, de dduction antique des systmes philosophiques, pour deux raisons. La premire, cest que les Anciens classent peu et, quand ils sy risquent, mal. La seconde, quils connaissent la philosophie et la grammaire, mais non la linguistique. Lide directrice de J. Vuillemin den rester au plan dune phnomnologie du langage

    18. Ibidem, p. 47.19. ni dailleurs dans un autre texte o pourtant il mentionne en passant quelque chose

    qui, dvelopp et prcis, et pu y ressembler : voir Jules Vuillemin, Perspective de la philo-sophie , Janus, 4, 1964-1965, pp. 103-112, p. 105 (je remercie Baptiste mls de mavoir fait prendre connaissance de ce texte) : [] nulle philosophie nest vritablement monumen-tale, si elle ne sappuie sur une thorie de la connaissance et si elle ne se dfinit par rapport au critre fondamental de la vrit. Cicron, snque, montaigne, Rousseau ont exerc un rle immense dans lhistoire des ides ; ils nous ont laiss une morale et un art de vivre trs pr-cieux. nul ne les comptera au nombre des grands philosophes, de quelque importance quait t leur apport dans la formation des ides philosophiques leur poque.

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  • 5 janvier 2015 10:16 - Jules Vuillemin et les systmes philosophiques - Collectif - tudes philosophiques - 155 x 240 - page 78 / 160 - PUF -

    79Le critre de vrit ( )

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    leur aurait donc t parfaitement trangre. La stocisation massive de la grammaire antique en est le signe tangible.

    2) Analyse et synthse des systmes philosophiques

    ma seconde remarque conclusive ne portera pas sur la philosophie antique, mais sur lexamen auquel J. Vuillemin la soumet dans Ncessit ou Contingence. J. Vuillemin dcompose explicitement son entreprise en deux moments, celui de lanalyse puis celui de la synthse. Ltude historique des rponses des systmes laporie du Dominateur relve de lanalyse, la dduction prdicative des systmes eux-mmes de la synthse, qui se conclut finalement par un retour aux rsultats de lanalyse sur le point considr et qui en justifie les rsultats en les replaant dans lordres des choses (laporie du Dominateur). Cest cette synthse, dit J. Vuillemin, qui permet de faire entendre, au-del de lvidence de lanalyse, les rsonances des notions20 .

    Cette distinction entre analyse et synthse voque les tudes de Vuillemin sur Descartes et la faon dont il a oppos lusage de ce couple en mathma-tiques, o la rversibilit est entire, et son usage en mtaphysique, o la syn-thse se rvle impuissante, par ses simples forces, passer de linfini (Dieu) au fini (la crature). Alors que lanalyse sous-jacente la preuve par les effets permet de remonter Dieu, la synthse achoppe sur la dduction du monde partir de Dieu. Ainsi, ds La philosophie de lalgbre, Vuillemin pouvait-il crire :

    Lordre synthtique doit [] commencer par la cause pour aller vers leffet. Il bute donc immdiatement contre le problme de la cration, de ce passage du plus au moins ou du surplus lexpression, sur lequel aucune lumire naturelle ne nous claire et qui demeure un mystre pour la religion. Dans les proportions, la cause gale leffet ; dquations en quations, nous passons du mme au mme, et la syn-thse est assure de retrouver lanalyse. Dans lanalyse mtaphysique, leffet prsent dans une cause qui lui est htrogne rend ncessaire un progrs de ma pense et lassigne de faon dtermine. Dans la synthse mtaphysique enfin, la cause dpas-sant infiniment ses effets, aucun principe rationnel, en dehors du dtour de lanalyse, ne nous permet de dduire ceux-ci, en vertu mme de la disproportion entre le fini et linfini. Cest ce que montre le rapport quentretiennent, selon les deux mthodes, la preuve a posteriori de lexistence de Dieu ou preuve par les effets et la preuve a priori ou preuve ontologique21.

    Bien que J. Vuillemin demeure silencieux sur ce point, on pourrait se deman-der de quel type de couple analyse-synthse se rapproche celui quil met en place. sagit-il dun cas de rversibilit totale, ou non ?

    Il pourrait sembler, au premier abord, que nous sommes loin, avec la classification des systmes, de la situation mtaphysique. Il ny a, dira-t-on,

    20. Jules Vuillemin, Ncessit ou Contingence, op. cit., p. 357.21. Jules Vuillemin, La Philosophie de lalgbre, Paris, Puf, 1962, p. 27.

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  • 80 Marwan Rashed

    5 janvier 2015 10:16 - Jules Vuillemin et les systmes philosophiques - Collectif - tudes philosophiques - 155 x 240 - page 80 / 160 - PUF -

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    aucune incommensurabilit entre la classification linguistique des sys-tmes et leur rsolution de telle ou telle aporie physique ou thique. en droit, donc, nous pouvons aussi bien remonter de leur attitude lgard de laporie du Dominateur leurs principes modaux et leurs principes tout court quemprunter le cheminement inverse.

    Pourtant, lanalyse-synthse des systmes philosophiques nest pas non plus mathmatique. Pour la raison simple quil ne suffit pas dadopter une position quant au critre de vrit puisque cest selon nous de cela quil sagit pour construire le Dominateur et, a fortiori, pour proposer une rponse celui-ci. La philosophie classique se laisse diviser, nous le savons grce J. Vuillemin, en systmes intuitionnistes, conceptualistes, ralistes, etc., mais le Dominateur en tant que tel ntait sans doute connu daucun philosophe postrieur lAntiquit. en tout cas, aucun na pris la peine de lanalyser ni dy reconnatre ce grand test des positions morales. on peut donc tout au plus affirmer que si un philosophe digne de ce nom rpond au Dominateur, il le fait en conformit avec son critre de vrit ; mais un choix de critre de vrit nimplique ni empiriquement ni transcendantalement la rsolution du Dominateur.

    Pour dire les mmes choses autrement, on ne peut parfaitement super-poser la classification des systmes de la contingence dicte par laporie du Dominateur, la classification des systmes de la nature dicte par laporie du mouvement22 et la classification des systmes tout court dicte par les formes lmentaires de la prdication. Les constatations que nous avons faites permettent, semble-t-il, de mieux saisir le rapport quentretiennent ces classifications. Les Anciens, on le sait, divisaient la philosophie en trois grands ensembles, logique, thique et physique. Le statut de la logique, dans ce dispositif, est notoirement ambigu. lment part entire de la philo-sophie pour les stociens, elle nen est que linstrument pour dautres. Ce flottement pourrait tre d au fait que la logique, la diffrence de lthique et de la physique, nest le lieu daucune aporie structurante. si les coles sopposent ds ce stade, en particulier sur la question du critre de vrit, ce nest pas dans la forme dune aporie, soit dun ensemble de thses dont une est rejeter pour assurer la cohrence de lensemble restant. Dans le cas du critre de vrit, la question est plutt de conserver une thse et de rejeter toutes les autres, cest--dire de construire un monde dont le noyau althique consiste en des universaux, ou des sujets-substrats, ou des circonstances, ou des constructions humainement effectuables, ou des apparences subjectives. on peut bien sr rapprocher la thse positive dans la discussion du critre

    22. Voir Jules Vuillemin, sur deux cas dapplication de laxiomatique la philosophie : lanalyse du mouvement par Znon dle et lanalyse de la libert par Diodore Kronos , Fundamenta Scientiae, 6, 1985, pp. 209-219, qui ne retrouve pas, dans son analyse de largu-ment de la flche, le cadastre exhum par le Dominateur. Je suis paradoxalement plus royaliste que le roi sur ce point, cf. marwan Rashed, Alexandre dAphrodise, Commentaire perdu sur la Physique dAristote (livres IV-VIII) : Les scholies byzantines, Berlin/new york, Walter de Gruyter, 2011, pp. 84-88.

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  • 5 janvier 2015 10:16 - Jules Vuillemin et les systmes philosophiques - Collectif - tudes philosophiques - 155 x 240 - page 80 / 160 - PUF -

    81Le critre de vrit ( )

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    de vrit et la thse ngative, cest--dire la ngation de la prmisse positive rejete dans largument de Znon et dans celui de Diodore. mais il parat clair que la convergence ne saurait tre ni simple, ni bi-univoque, ni totale. Rien nimpose en particulier que le nombre des prmisses de largument de Znon soit gal celui de largument de Diodore et que lui-mme soit gal celui des types de critres de vrit.

    on vient de suggrer que ce qui rendait, en mtaphysique, la synthse incommensurable lanalyse, tait le problme de la Cration. bien y regarder, on peut se demander si la question des systmes philosophiques ne se pose pas en termes similaires. entre les conditions premires qui dictent la combinatoire des formes assertoriques et les systmes historiquement ins-tancis, il y a au fond le mme cart quentre lexistence de Dieu et celle de la crature. Alors que lon peut remonter dun systme particulier sa forme assertorique premire reconnatre par exemple comme intuitionnistes des systmes aussi divers que ceux dpicure, de Descartes et de Kant , lintui-tionnisme en tant que tel ne dicte lui seul aucun dentre eux, puisquune part dcisive dans llaboration de chacun est prise par un questionnement indissociable de lhistoire du gnie humain.

    Reste la question du statut des deux apories du Dominateur et de la Flche. si elles ne sont pas le systme lui-mme, si leur instruction ne se confond pas avec le dploiement des conditions assertoriques de la systmaticit, en quoi se distinguent-elles de nimporte quel puzzle ayant mis aux prises telles ou telles coles philosophiques antiques ? on suggrera quil sagit surtout dune affaire de degr, sans que cette caractrisation nait rien de dprciatif. Certains puzzles se tiennent plus prs du cur du systme que dautres. Cependant, mme loccasion dune aporie en apparence locale comme celle fournie par lnonc le sage peut-il senivrer ? les systmes sopposent toujours de manire trs systmatique. si le Dominateur et la Flche sont premiers, cest parce que le rapport entre leur traitement et la position dune ontologie est le plus immdiat, et parce que leur rsolution engage, plus que dautres, lensemble dune discipline lthique et la physique. en sorte que nous nous approchons, avec eux, dun cadastre des systmes eux-mmes. De ce point de vue, ce nest sans doute pas un hasard si dans sa forme pure, la polmique autour du critre de vrit, celle du Dominateur et celle de la Flche sont des polmiques antiques, voire hellnistiques ; car leur consti-tution ne dpend pas dun contenu pistmique dict par lhistoire (des sciences, de la thologie, etc.), mais se tient au plus prs de la forme pure des systmes dcline dans les champs thique et physique , qui sestompera, par la suite, raison de linflation des contenus pistmiques dterminant le dveloppement dune philosophie donne.

    marwan Rasheduniversit de Paris-sorbonne & Centre Lon-Robin

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  • 5 janvier 2015 10:16 - Jules Vuillemin et les systmes philosophiques - Collectif - tudes philosophiques - 155 x 240 - page 82 / 160 - PUF -

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