15
1 Pour référencer cet article : GLEMAIN P., « Quels bénéficiaires pour le microcrédit « social » ? Du « degré de nécessité » des populations dîtes pauvres au Sud et au Nord à l’analyse des bénéficiaires de prêts « stabilité » à l’individu en France », Gestion et Management Publics, vol.5, Novembre 2007. Quels bénéficiaires pour le microcrédit « social » ? Du « degré de nécessité » des populations dites pauvres au Sud et au Nord à l’analyse des bénéficiaires de prêts « stabilité » à l’individu en France. Which Kind of People for Social Microcredit ? To Needle Degree in South to Beneficiaries of individual stability loans in France. Pascal Glémain 1 1 Economiste, Titulaire de la Chaire économie sociale & solidaire-ESSCA, Chercheur associé au Laboratoire d’Economie et de Management IEMN IAE-Nantes, et au CARTA Eso UMR6590 du CNRS, membre du RECEMAP. 1, Rue Lakanal. BP 40348. 49003 Angers cedex 01. [email protected] ou [email protected] . Résumé Le microcrédit social et l’exclusion bancaire et financière sont désormais entrés dans les préoccupations sociétales contemporaines au Nord comme au Sud. Toutefois, l’ingénierie socio- économique et bancaire du microcrédit suppose que les populations de bénéficiaires potentiels soient précisément dévoilées afin que les degrés de nécessité observés trouvent une réponse qui leur convient, en fonction du statut des individus aidés. Si, au Sud, les approches en termes de précarité, recouvrant les notions de condition et d’expérience, semblent acceptables ; il apparaît qu’au Nord une approche en termes de pauvreté « plurielle » soit plus pertinente. Cet article repose sur la compréhension de ces formes singulières de relations de crédit à épaisseur sociales et à mission solidaire animées : soit par des organisations privées citoyennes (ONG) au Sud, soit par des établissements publics bancaires à mission sociale tels que : les Crédits Municipaux, au Nord. Pour ce faire, nous nous appuyons sur une recherche action conduite à Cotonou au Bénin et, sur l’analyse de la politique bancaire sociale du Crédit Municipal de Nantes. Mots-clés Microcrédit social, précarité, pauvreté « plurielle », relations de crédit, politique bancaire sociale. Abstract : Social banking system and those who are exclude from standard banking system, are become a mainstream topic in our modern societies and uncertainty economies. Socioeconomical engineering of microsystem needs to know which kind beneficiaries could be concern with this “solidarity-based” finance. Therefore, we try to settle a typology of solidarity-based financial users by using two experiences, one in South at Cotonou (Benin) and One in North (Pays de la Loire, administrative area of France). This article wants, through social economic path for social policy and public banking management, to show how solidarity-based finance can struggle against banking exclusion and for keeping people “stand up” face with life problems. Key- Words social microcredit, precarity, “the” poverties, credit relationship, social banking policy.

Quels bénéficiaires pour le microcrédit « social » ? Du

  • Upload
    others

  • View
    9

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Quels bénéficiaires pour le microcrédit « social » ? Du

1

Pour référencer cet article :

GLEMAIN P., « Quels bénéficiaires pour le microcrédit « social » ? Du « degré de nécessité » des populations dîtes pauvres au Sud et au Nord à l’analyse des bénéficiaires de prêts « stabilité » à l’individu en France », Gestion et Management Publics, vol.5, Novembre 2007.

Quels bénéficiaires pour le microcrédit « social » ? Du « degré de nécessité » des populations dites pauvres au Sud et

au Nord à l’analyse des bénéficiaires de prêts « stabilité » à l’individu en France.

Which Kind of People for Social Microcredit ? To Needle Degree in South to Beneficiaries of individual stability loans in France.

Pascal Glémain1

1 Economiste, Titulaire de la Chaire économie sociale & solidaire-ESSCA, Chercheur associé au Laboratoire d’Economie et de Management IEMN IAE-Nantes, et au CARTA Eso UMR6590 du CNRS, membre du RECEMAP. 1, Rue Lakanal. BP 40348. 49003 Angers cedex 01. [email protected] ou [email protected] .

Résumé Le microcrédit social et l’exclusion bancaire et financière sont désormais entrés dans les préoccupations sociétales contemporaines au Nord comme au Sud. Toutefois, l’ingénierie socio-économique et bancaire du microcrédit suppose que les populations de bénéficiaires potentiels soient précisément dévoilées afin que les degrés de nécessité observés trouvent une réponse qui leur convient, en fonction du statut des individus aidés. Si, au Sud, les approches en termes de précarité, recouvrant les notions de condition et d’expérience, semblent acceptables ; il apparaît qu’au Nord une approche en termes de pauvreté « plurielle » soit plus pertinente. Cet article repose sur la compréhension de ces formes singulières de relations de crédit à épaisseur sociales et à mission solidaire animées : soit par des organisations privées citoyennes (ONG) au Sud, soit par des établissements publics bancaires à mission sociale tels que : les Crédits Municipaux, au Nord. Pour ce faire, nous nous appuyons sur une recherche action conduite à Cotonou au Bénin et, sur l’analyse de la politique bancaire sociale du Crédit Municipal de Nantes. Mots-clés Microcrédit social, précarité, pauvreté « plurielle », relations de crédit, politique bancaire sociale.

Abstract : Social banking system and those who are exclude from standard banking system, are become a mainstream topic in our modern societies and uncertainty economies. Socioeconomical engineering of microsystem needs to know which kind beneficiaries could be concern with this “solidarity-based” finance. Therefore, we try to settle a typology of solidarity-based financial users by using two experiences, one in South at Cotonou (Benin) and One in North (Pays de la Loire, administrative area of France). This article wants, through social economic path for social policy and public banking management, to show how solidarity-based finance can struggle against banking exclusion and for keeping people “stand up” face with life problems. Key- Words social microcredit, precarity, “the” poverties, credit relationship, social banking policy.

Page 2: Quels bénéficiaires pour le microcrédit « social » ? Du

2

« L’irrésistible ascension de la microfinance », « la microfinance est-elle sous l’emprise libérale ? », «les limites du recours à la microfinance dans les PED », ces titres d’articles publiés dans Problèmes économiques2 Illustrent le débat relatif à la microfinance3 contemporaine. Certains auteurs nous invitent à un « voyage au cœur d’une révolution, la microfinance contre la pauvreté » (P.de Lima et al., 2007)4, pendant que d’autres nous mettent en garde sur certaines externalités négatives de la pratique de cette microfinance par les banquiers aux pieds nus (.Servet, 2007)5

Les finances solidaires ou microfinance (microcrédits, microassurance et mobilisation de l’épargne de proximité) sont associées implicitement aux Pays du Sud et surtout, pour reprendre le Rapport du PNUD pour les établissements humains (UN-habitat) de 2003, au « défi des bidonvilles » (The Challenge of the Slums) des zones urbaines des Pays en développement, en voie de « favelisation » (Souty, 2007, 24). Au Nord, l’exclusion bancaire et financière dispose d’une image plus aimable parce qu’elle est cachée. La pauvreté est celle de la rue, des espaces accueillant les gens du voyage qui ne vivent pas « comme nous » ! Ne faut-il pas que ceux-ci soient relativement sédentarisés pour pouvoir accéder à ces financements ? Pourtant, l’opinion publique est régulièrement confrontée aux «

. Ces deux tendances s’attachent principalement à la performance économique du dispositif. Dans ce contexte particulier d’appréhension de cette innovation bancaire et financière, nous sommes enfermés depuis plusieurs années dans une logique d’économie de l’offre de microcrédits à la personne qui entreprend son emploi en le créant sans pour autant, à notre sens, que soit bien appréhendée « la » pauvreté originelle qu’elle est supposée combattre. En effet, avant même d’être accompagnées dans le cadre de ce dispositif d’insertion, ces personnes sont confrontées à de lourds handicaps socioéconomiques que nous ne connaissons guère. Qui sont donc les bénéficiaires de ces microcrédits professionnels ? Les choses se compliquent encore davantage lorsque la diversification du secteur s’étend vers de soi-disant microcrédits dit « sociaux », dont nous ignorons tout des bénéficiaires « pauvres » qui n’entreprennent pas via la très petite entreprise pour s’insérer ! Quels degrés de nécessité, en termes de précarité ou de pauvreté, les ont-ils poussé vers ces dispositifs de micro crédit social ? Assisterions-nous alors à l’affirmation d’une finance de slum household c’est-à-dire, selon la définition de l’ONU, une finance qui concerne un groupe d’individus sous le même toit à qui il manque une ou plusieurs des conditions suivantes : accès à une eau traitée, des sanitaires, une zone vivable, une construction pérenne ? Une telle pratique n’est-elle pas entrain de s’élargir en direction d’autres formes de pauvreté urbaine dans les Pays du Nord en particulier ?

Pour répondre à ces interrogations, cet article s’intéresse à un établissement public bancaire singulier relevant de l’économie solidaire locale et, pionnier dans le microcrédit à la personne dans le cadre de sa mission de solidarité depuis le 19ème siècle : le Crédit Municipal en l’occurrence celui de Nantes.

Après avoir essayé d’identifier les différents visages cachés derrière les différents degrés de nécessité observés et auxquels s’adressent les formes modernes de finances solidaires au Sud puis au Nord, nous proposerons une analyse économique et sociologique des bénéficiaires du prêt stabilité proposé par un binôme institutionnel associant Crédit Municipal et Centres Communaux d’Action Sociale (CCAS) de façon à mieux comprendre et expliquer les espaces « locaux » de pauvreté disqualifiante concernés par ces dispositifs mêlant accompagnement et financement.

1 – Les visages pluriels de la pauvreté concernée par le microcrédit : les leçons d’une comparaison Sud-Nord

2 n°2928, mercredi 18 juillet 2007, dossier : « La microfinance, un outil de lutte contre la pauvreté ? », La Documentation Française. 3 Nous entendons par microfinance, l’ensemble des activités de microcrédit, de microassurance et de mobilisation de l’épargne. 4 Voyage au cœur d’une révolution. La microfinance contre la pauvreté. JC.Lattès, Paris, 277, p. 4 5 Banquiers aux pieds nus. La microfinance. O.Jacob, Paris, 494p.

Page 3: Quels bénéficiaires pour le microcrédit « social » ? Du

3

nouveaux » pauvres, aux travailleurs pauvres, à la paupérisation rampante des femmes seules, qui reflètent les degrés de nécessité auxquels il faut répondre. Malgré cela, la disqualification sociale stigmatisante n’est pas aussi explicite qu’il n’y paraît. Qu’est ce qui caractérise les pauvres au Sud ? Qui forme « la » pauvreté au Nord ?

Il s’agit dans une première section de présenter la méthodologie adoptée lors d’une enquête de terrain microcrédit « social » réalisée à Cotonou au Bénin, reposant sur une analyse à partir des précarités révélées. Dans une seconde, nous discutons des grilles de lecture de la pauvreté proposées par la sociologie contemporaine, afin d’établir une méthodologie d’investigation pour les zones urbaines observées au Nord à partir des différentes formes de pauvreté disqualifiante observées en Pays-de-la-Loire.

1.1. Définir « la » pauvreté dans le Sud : une méthodologie singulière.

Nombre d’experts contemporains en microfinance dans les Pays du Sud s’interrogent ainsi : « la micro-finance aide-t-elle réellement les plus pauvres des pauvres ? » (Labie, 1999, 13). 2005-Année du micro-crédit dans le monde devait rendre compte du degré d’efficacité des institutions de micro-finance (IMF) à « briser le cercle vicieux de la misère »6 dans les pays en développement (PED). C’est bien la seule performance sociale des instituts de microfinance (IMF) qui se trouvait alors interrogée, alors que les populations concernées ou susceptibles de l’être par ces initiatives de finances plus ou moins formelles n’étaient elles-mêmes pas connues. Un trait commun les rassemble néanmoins. Ces populations relèvent de microéconomies populaires que nous définissons comme une forme d’organisation sociale et économique dont « l’unique richesse est la force de travail et, surtout, l’anxiété de vivre » (Razeto, 1993)7

Il faut remettre en cause les approches traditionnelles de la pauvreté à partir du niveau de revenu, même si celle-ci est plus facilement « quantifiable » dans la mesure où elle fait référence à un seuil de pauvreté objectivable. Mais quel est le sens d’un seuil de pauvreté dans un pays, comme le Bénin, où une part importante du PIB national relève de l’économie parallèle (trafic d’essence avec le Nigeria voisin) ? Etre « très pauvre» ce serait se situer au-dessous de ce seuil. Quelle pertinence accorder à des niveaux de revenus sous-estimés ou très approximatifs

. Contraintes par une incapacité chronique à satisfaire les besoins vitaux de chacun des membres de la parentèle ou du groupe social d’appartenance, ces populations cherchent à faire de l’activité économique un moyen pour répondre rapidement à la dureté du quotidien.

8

Afin de contourner cette difficulté, le travail réalisé (note 7) a envisagé d’envisager la pauvreté à Cotonou à partir des dimensions plurielles qui la caractérisent : l’environnement social qui ne permet pas aux enfants d’être instruits correctement (accès à l’école, fréquentation des classes); l’environnement humain marqué à la fois par les problèmes de santé (paludisme, sida…) qui accroissent les risques de défauts de paiement, et, par un système de valeurs a priori très hétérogène en raison de la mosaïque d’ethnies cohabitantes (Plah, Sahoué, Wxla, Goun, Tofin, Mina et Yarouba),. Le quartier d’Akpapkadodomè rassemble des ressortissants du Nigeria, du Togo, du Niger…, ainsi que des Yaruba, des Gouns…. L’environnement urbain repose sur un habitat inachevé ou précaire, mêlant surpeuplement et inconfort, caractéristiques des slum household évoqués plus haut. L’environnement économique est celui de la débrouille, c’est-à-dire d’une combinaison d’activités marchandes légales et illégales sans qu’elles puissent être assimilées à de véritables emplois. Dès lors, les revenus ne peuvent être que relativement faibles et, surtout, fortement volatils. Il existe

?

6 Extrait du texte de lancement de l’Aide Internationale du Micro-crédit, le 18/11/2004, au siège des Nations Unies à New York 7 Empresas de trabajadores y economia de mercado, PET, Chile. 8 Les femmes interrogées ont tendance à sous-estimer leur niveau de vie lorsqu’un occidental les interroge. D’autres ne maîtrise pas la totalité du budget familial, la plupart du temps composite.

Page 4: Quels bénéficiaires pour le microcrédit « social » ? Du

4

donc sur ce sous-espace géographique de Cotonou ville de multiples îlots de pauvreté caractérisés par des sous-groupes spécifiques appartenant à divers espaces de vulnérabilité. Pour mieux les appréhender, nous proposons une grille de lecture simplifiée (tableau 1):

Tableau 1 – Une nouvelle approche des espaces de vulnérabilité à Cotonou

Référentiels Indicateurs caractéristiques de vulnérabilité Besoins vitaux - alimentation - santé - logement

- montant des dépenses par personne/jour ; fréquence des repas. - Fréquences des maladies, accès aux soins, prévention - Ordinaires à conditions précaires ; collectif ; hors structure

Besoins sociétaux - administration - scolarisation

- détention de papiers officiels. - Aucune, ponctuelle, totale ; niveau d’instruction des parents

Inclusion économique et financière - activité et revenu - (dés)épargne

- activité régulière ? stable ? niveau et qualité revenu ; - épargne ou dettes : montant ? hébergement ?

Ces indicateurs permettent d’identifier des situations de précarité avérée. Par précarité avérée, nous entendons comme J.Wresinski (1987)9 : « l’absence d’une ou plusieurs sécurités permettent aux individus et à leur famille d’assumer leurs obligations d’activités économiques (production, transformation, commercialisation), familiales et sociales et, de jouir de leurs droits fondamentaux». Cette définition rejoint les travaux de J.Labbens (1978) considérant le pauvre comme un « individu démuni de ressources parce que, faute de santé, d’occupation rémunératrice, d’instruction, de relations sociales, il ne peut faire valoir ses droits sur autrui »10

Sécurité/besoins vitaux (BV) Logement Santé Alimentation eau, énergie

. Nous considérons alors trois niveaux de sécurités pertinents pour ce terrain d’études (tableau 2) :

Tableau 2 – Les niveaux de sécurité utilisés

Etat construction, accès compteur, densité par pièce Paludisme

Sécurité/besoins sociétaux (BS) Reconnaissance administrative Education Insertion sociale (reliés)

Papier d’Etat civil Taux de scolarisation des enfants Téléphone à disposition

Sécurité/droits fondamentaux (DF) Equipement du foyer Ancienneté chez Racines (association de suivi social)

TV et radio11

Nombre de mois

9 Grande pauvreté et précarité économique et sociale, Conseil économique et social, février 1987, p.25. Cité par P..Cingolani (2005) La précarité. QSJ ? PUF, 124p. Ici, p.16. 10 Sociologie de la pauvreté, Gallimard ; cité par A.Beiton et alii (2000), p.336. 11 Nous entendons en cela l’insertion macrosociale par accès à des moyens collectifs d’information.

Page 5: Quels bénéficiaires pour le microcrédit « social » ? Du

5

L’entrée par le logement à Cotonou ville nous est apparu comme un bon indicateur des conditions de vie des bénéficiaires des programmes d’épargne, de crédit, et d’accompagnement familial, conformément aux préconisations du Rapport ONU-Habitat (2003). Outre, les matériaux constituant et caractérisant le logement lui-même, nous avons considéré l’accès (ou pas) et le mode d’accès (légal ou piratage) aux compteurs électriques, ainsi que le nombre d’individus par pièce (densité)12

En focalisant notre observation sur la population suivie à la fois par les travailleurs sociaux de l’association de solidarité pour l’éducation et la santé : Racines, et, par les chargés de crédit du programme de l’ONG Initiative Développement ; nous n’étudions en fait que la population cible des finances solidaires : les plus pauvres parmi les pauvres, situations qui nécessitent de conjuguer accompagnement et financement individuel pour sortir les individus et leur famille des précarités durables qui les caractérisent. C’est à ce titre d’ailleurs que nous avons affaire à une économie solidaire, soit à des initiatives économiques à finalité sociale qui ne rentrent ni dans les activités de l’économie économique des opérations de banque, ni dans les activités de l’économie sociale d’insertion des individus. Au regard de nos analyses statistiques

comme de « bons » indicateurs de la satisfaction ou non du besoin en service de logement. Nous ne tenons pas compte faute d’information sur la propriété des bénéficiaires, de la possession d’un «terrain au village », ni de la perception éventuelles de loyers ou sous loyers. En ce qui concerne les besoins vitaux, les politiques de grande ampleur visant à diffuser les moustiquaires pour éviter le paludisme auraient dû produire leurs effets. Par conséquent, la présence du paludisme chez les bénéficiaires pose comme hypothèse à tester que cette sécurité « vitale » n’est pas assurée. L’insertion sociale des individus peut elle, être appréhendée à partir de leurs besoins sociétaux. Disposer d’un état civil, c’est engager des démarches administratives donc se lier à la société dans laquelle on évolue et, surtout, y inclure sa descendance. Le projet pour la jeune génération passe également par l’éducation. Le taux de scolarisation (ratio du nombre d’enfants scolarisés sur le nombre d’enfants scolarisables (en âge de l’être)) correspond donc à un sous indicateur qualitatif. L’insertion sociale des individus relève aussi de leur capacité à être « reliés » aux autres et aux institutions, donc de leur accès ou non au téléphone. Pour ce qui est des droits fondamentaux, nous avons mis en avant l’accès à l’information et à la diffusion de celle-ci, à la culture locale, à partir de l’équipement du foyer en téléviseur et en radio.

13

Cette tentative de classification correspond, dans le cadre de notre recherche à Cotonou, à une première étape pour la mise en place d’une analyse sociale plus complète des bénéficiaires les plus pauvres et très pauvres du dispositif expérimenté depuis 1994 et, qui a abouti en juillet 2006 à l’ouverture de l’agence ALIDE qui signifie en langue fon « il y a un chemin ». La recherche alors entreprise vise à participer à un effort de précision « pour décrire les multiples nuances de l’habitat précaire et (plus ou moins) spontané » (Souty 2007, 25)

, nous avons repéré deux populations distinctes de bénéficiaires, en situation de précarité différenciée, au sein de ce programme dual « accompagnement et financement ». Nous obtenons pour notre échantillon de Cotonou centre, selon notre spécification en termes de besoins ou de degré de nécessité (Figure 1).

14

qui caractérisent les environnements urbains où se pratiquent les finances solidaires dans les pays du Sud. Mais, cette entrée par le logement « favelisé » semble ne pas être suffisante pour caractériser les visages pluriels de la pauvreté au Nord. Les formes de précarités qui sont significatives au Sud perdent de leur pertinence explicative au Nord. Il convient alors plutôt de réinterroger les différentes formes de pauvretés.

12 Un biais peut être introduit ici: soit des individus de la parentèle ou non sont de passages, soit des vidomégons (jeunes filles « futures » bonnes à tout faire) sont de passages. 13 Cf. Rapport final disponible près de www.id-ong.org 14 « Un monde de bidonvilles ? », Sciences humaines, n°182, mai, pp.24-27. 15

Page 6: Quels bénéficiaires pour le microcrédit « social » ? Du

6

Figure 1 – La typologie des bénéficiaires de Racines à partir de ses groupes constituants

1.2. Impact de la relation banque/bénéficiaire au Nord.

Même s’il faut reconnaître avec Serge Paugam (2005, 19) « que la pauvreté ne constitue pas aujourd’hui, du moins en tant que tel, un champ de la sociologie » ; elle est bien une partie de l’objet de l’action des finances solidaires contemporaines en France. En effet, la pauvreté, lorsqu’elle se traduit par un défaut de solvabilité dans une société fortement bancarisée comme la nôtre, « déclasse » les individus qui sont contraints de compter leur argent (les moins bien lotis) et ceux qui ne subissent pas aussi fortement la même contrainte (les plus aisés) ! Attention ! Nous soulignons qu’il existe un continuum de situations qui rend difficile des oppositions trop binaires. Masi, les premiers sont des invisibles parce qu’en situation d’échec car ils sont absents là où le statut social se gagne sur le terrain de la participation à l’activité productive et aux échanges (Paugam, 2005, 175). Mais, le statut social tient aussi de plus en plus à la capacité individuelle à être la cible des

Page 7: Quels bénéficiaires pour le microcrédit « social » ? Du

7

innovations bancaires en termes d’assurances, de gestion de portefeuille… Ceux qui doivent compter pour survivre développent ainsi une relation particulière à « l’usage de » et à « l’accès à » la banque. Les relations courtes de crédit au cœur de l’offre des finances solidaires participent elles-mêmes de relations individuelles singulières à l’argent (propension plus ou moins grande à vivre à crédit ; à s’auto exclure de la relation de clientèle) et à ses représentations sociales (Zelizer, 1982)15. Outre la disqualification sociale, il faut désormais également aussi tenir compte de la disqualification bancaire. En effet, l’argent intègre ou exclut selon son niveau disponible ; il offre un statut à ceux qui y ont accès suffisant et qui en font usage comme bon leur semble, et, rejette ceux qui ne relèvent pas de cette dynamique particulière d’inclusion sociale. Dans une économie quasi totalement monétarisée comme la nôtre, ne pas étudier les relations entre ces « clients » qui ne comprennent pas (plus ?) toujours la culture et la logique du monde bancaire et ces nouvelles formes de finances à finalité sociale ; c’est prendre le risque de demeurer incapable d’analyser les actions collectives d’échange, fortement structurantes dans nos sociétés modernes. En effet, l’exclusion bancaire (ne plus avoir ni accès librement aux comptes et aux moyens de paiements, ni à leur usage de façon normalisée) et l’exclusion financière (ne plus avoir accès à l’épargne et surtout au crédit) discriminent de plus en plus entre les inclus économiques et les exclus sociaux. A la limite, c’est à fois « l’être » et le « pouvoir avoir pour être » qui sont anéantis à titre individuel, voire à l’échelle de la famille elle-même. Alors, la question de Norbert Elias résonne singulièrement « Pour quelles raisons les hommes dépendent-ils (financièrement) les uns des autres ? (Elias,1991, 163)16

Pour P.Moulévrier et G.Lazuech (2004, 87)

. Elle invite alors à rechercher « les valences affectives vers autrui » qui sont véhiculées par finances solidaires ?

17: « la banque, et plus précisément la relation bancaire entre le banquier et le client, construit comme objet sociologique, répond à cette nécessité de montrer que le social serait aussi à l’œuvre là où on ne l’attend pas, notamment dans une entreprise financière comme la banque ». En d’autres termes, cela signifie qu’il faut apprécier les représentations des clients (« agents » de la théorie de l’agence) à l’égard des firmes bancaires («principaux » de la dite théorie)18; mais aussi celles des bénéficiaires des finances solidaires vis-à-vis des banques de la social banking, c’est-à-dire des « pratiques bancaires socialement responsables dans lesquelles les fournisseurs de services financiers sont directement concernés par l’issue et les répercussions sociales de leurs produits » (Reifner, 2000)19

. Pour la finance sociale (social banking), donner aux pauvres n’est pas responsable dans la mesure où l’on rend dépendant à l’infini les bénéficiaires. Toutefois, il est possible de prêter aux pauvres en particulier lorsque ceux-ci correspondent au type idéal de pauvreté disqualifiante qui consiste en « une forme spécifique de la relation entre une population désignée comme pauvre en fonction de sa dépendance à l’égard des services sociaux et le reste de la société », S. Paugam (2005) et qui doit être distinguée des autres formes de la pauvreté (tableau 3).

15 D’après V.A.Zelizer (2005) La signification sociale de l’argent. Liber-Seuil, Paris, 331p. 16 Qu’est-ce que la sociologie ? AGORA-Pocket, ed. De l’Aube, n°123, Paris, 218p. Lire également : N.Elias (1987) La société des individus AGORA-Pocket, Fayard, n°163, Paris, 301p. et, N.Elias et JN.Scotson (1997) Logiques d’exclusion. AGORA-Pocket, Fayard, n°199, Paris, 339p. 17 Exclusion monétaire et usages sociaux de l’argent. Rapport final à la Communauté Urbaine de Nantes, CENS-Université de Nantes, MSH Ange Guépin, janvier, 147p. (non publié à ce jour). 18 La relation d’agence est un contrat par lequel une ou plusieurs personnes (le principal) engagent une autre personne (l’agent) pour exécuter en son ou leur nom une tâche quelconque qui implique une délégation d’un certain pouvoir de décision à l’agent. 19 « La finance sociale : des produits au service du développement communautaire et local », pp.200-217 in INAISE (2000) Banques et cohésion sociale. ECLM, DD110, Paris, 299p.

Page 8: Quels bénéficiaires pour le microcrédit « social » ? Du

8

Tableau 3 – Les formes élémentaires de la pauvreté

Par « solidarité », c’est-à-dire au sens des chercheurs du LERFAS20

20 Laboratoire coopératif de l’Université de Tours.

, avec une orientation de l’action vers tous, les finances solidaires s’attaquent donc bien à la pauvreté disqualifiante. Toutefois, contrairement à ce que pense S. Paugam, cette forme de pauvreté ne signifie pas exclusivement « la chute ». En effet, le déclassement impose, selon la situation sociale de l’individu concerné, une nouvelle relation à l’argent, lui évitant l’impasse de la pauvreté telle qu’elle est nourrie par les offres de crédits revolving. La mobilisation des finances solidaires contre la crainte de l’exclusion apporte un début de réponse comme nous allons tenter de le montrer maintenant.

2 - Le micro crédit social en France : pour qui ?

Nous avons constaté dans la partie précédente que les finances solidaires au Sud s’organisent à partir des précarités révélées par les contextes socioéconomiques situés caractérisant ainsi des degrés de nécessité dans un monde urbain précis. Au Nord, ces autres finances, se définissent plutôt par rapport aux formes plurielles de disqualification sociale rencontrées par les populations les plus fragilisées. En France, en particulier, nous assistons d’ailleurs à une modification significative du paysage des finances solidaires et de la social banking, répondant dans une certaine mesure, au Plan de Cohésion Sociale dit « plan Borloo », mis en œuvre depuis 2005. Nous nous intéresserons ainsi à la logique de ciblage des populations éligibles dans une première section de façon, dans une seconde, à conduire une analyse socioéconomique des bénéficiaires des prêts stabilités portés depuis 1999 par le Crédit Municipal sur les villes de Nantes, Angers et de Saint-Herblain en liaison avec les CCAS.

Page 9: Quels bénéficiaires pour le microcrédit « social » ? Du

9

Nous avons choisi le Crédit Municipal car ce fut le premier établissement bancaire à offrir du microcrédit social, autrement que par des pratiques d’autorisations plus ou moins larges de découvert bancaire pratiqué le plus souvent par les autres banques, et, parce que, héritier des Monts-de-Piété, il est aussi celui qui dispose de données secondaires susceptibles de permettre une caractérisation fine des populations cibles de ce microcrédit social (par opposition à professionnel) selon leur état de « pauvreté disqualifiante ».

2.1 « Bientôt des microcrédits pour les plus démunis »21

Les « plus démunis » sont ceux qui présentent des degrés de nécessité avérés. En d’autres termes, cette première approche caractérise les personnes pour lesquelles les crédits sont devenus trop chers et qui subissent des refus de prêts faute de garanties suffisantes. L’idée consiste donc, via la Caisse des Dépôts et Consignation (CDC) en tant que gestionnaire du Fonds de Cohésion Sociale issu du Plan Borloo, de les faire accéder à un emprunt pour pouvoir concrétiser leur projet de financement d’une formation, d’un permis de conduire, d’un moyen de locomotion pour se rendre au travail, d’équipement du foyer et en informatique. La frange de la population concernée par le Fonds de Cohésion Sociale (FCS)

. Socioéconomie des démunis.

22 correspond à celle pour laquelle « la situation précaire est un handicap à l’insertion sociale et professionnelle : demandeurs d’emploi, travailleurs pauvres et bénéficiaires de minima sociaux ». Le FCS doit donc répondre aux degrés de nécessité de ces trois populations distinctes. Il est paradoxal de considérer que les travailleurs pauvres entrent dans un dispositif qui vise à les faire sortir d’un état d’assistance, alors qu’ils sont sur des emplois stables bien que mal rémunérés ou du moins notoirement insuffisants pour supporter les charges de la vie quotidienne23

• les personnes physiques exclues du système économique et financier et qui pourraient y revenir par l’accès au crédit,

. Or, leur exclusion est d’abord bancaire en raison d’un surendettement chronique (credit revolving). Mais, ce FCS ne couvre pas cette exclusion là compte tenu des affectations imposées par le microcrédit social. Les autres démunis concernés (demandeurs d’emploi et bénéficiaires de minima sociaux) sont considérés comme exclus du crédit bancaire mais pouvant y revenir notamment si un accès à l’emploi devient possible. Mais, c’est sans considérer d’une part la rupture de relation de ces personnes à l’argent (son usage, sa valeur) et, d’autre part, l’éloignement vis-à-vis des institutions bancaires elles-mêmes lorsque les sujets enquêtés répondent spontanément à la question « quelle est votre banque ? » : « la CAF ».

La version élargie des bénéficiaires potentiels du micro crédit social concerne également :

• les chômeurs, les RMIstes, les travailleurs précaires, les personnes en voie d’exclusion,

• les étudiants, les apprentis et les jeunes travailleurs,

• les accidentés de la vie : les personnes ayant subi une baisse brutale de revenus suite à un divorce, une maladie, un handicap, une période de chômage.

Le tableau 4 rassemble les nécessités listées pour que les personnes soient éligibles au Fonds de cohésion sociale.

21 Titre du journal Le Parisien en date du 07 mars 2006 (OJD : 346686). 22 Loi de programmation pour la cohésion sociale, LPCS-article 80-III du 18 janvier 2005. 23 Si un SMIC « suffisait » à faire survivre une famille il y a 25-30 ans, désormais il ne suffit plus à faire vivre une personne seule !

Page 10: Quels bénéficiaires pour le microcrédit « social » ? Du

10

Tableau 4 – Objets et nature des prêts dans le dispositif du micro crédit social24

Au regard des formes élémentaires de la pauvreté, ce dispositif répond dans l’absolu tout autant aux franges de la population associées à la pauvreté intégrée qu’à celles relevant de la pauvreté disqualifiante. En effet, nous défendons la thèse selon laquelle le FCS s’adresse finalement à un mix de ces deux formes de pauvreté de façon à ce que le type idéal de pauvreté ressemble à la pauvreté marginale. Par conséquent, les plus démunis – type idéal du modèle de microcrédit social – relèvent d’une pauvreté relative, c’est-à-dire d’un statut de bancarisés non rentables à minima au sens de la production bancaire contemporaine parce qu’ils ne sollicitent pas d’autorisation de découverts bancaires, de crédits à la consommation ou immobilier, de monétique. Ce micro crédit social vient donc compléter le dispositif qui existe depuis le 19ème siècle en France du prêt sur gage (ordonnance de Napoléon de 1804) des Crédits Municipaux où existait au début de l’histoire des Caisses locales de Crédit Agricole à la fin du 19ème siècle également.

2.2 Les visages de la pauvreté disqualifiante concernés par les prêts « stabilités » du Crédit Municipal de Nantes.

Le dispositif qui nous intéresse ici est celui du «prêt stabilité » qui consiste à intervenir en trésorerie domestique pour aider les individus en difficultés de reste-à-vivre (revenu disponible après charges diverses) à financer leurs nécessités pour exister au titre de personne et, pour être dans la société en tant qu’acteur. En effet, comme le souligne A. Leroux (2004)25, les plus démunis ne sont pas seulement les quelques centaines de milliers de Sans Domicile Fixe (SDF) sur lesquels les médias braquent leurs objectifs, ni seulement ceux qui bénéficient de l’aide caritative des associations à but non lucratif telles que les Resto du cœur, ce sont surtout ceux que le sentiment de honte habite et qui fuit les dispositifs stigmatisants que peuvent être les associations nommées. C’est vers ceux-là que se tournent les formes modernes de finances solidaires, ce tout public des 4 à 8 millions de (nouveaux ou travailleurs) pauvres dont la pluralité des visages est par hypothèse le reflet de tous ceux qui ne présentent plus au regard des critères bancaires, les garanties suffisantes à la fois par rapport au risque et par rapport aux coûts qu’ils induisent et qui, à ce titre, sont refoulés du système bancaire. Ces franges de population, malgré un taux de bancarisation de près de 99% des majeurs de plus de 18 ans, n’ont plus d’autres alternatives que celle de l’ingénierie bancaire à épaisseur sociale portée par les Crédits Municipaux en France. Mais qui sont les bénéficiaires du microcrédit social appelé « prêt stabilité »26

24 Ce tableau a été construit à partir de la présentation faite en région par la CDC du plan Borloo et du fonds de cohésion sociale (avril 2006). 25 Eliminer la pauvreté en France. Economica. 26 Une étude est actuellement conduite pas nos collègues de l’Université de Limoges sur les bénéficiaires des prêts sur objet (ou sur gage) dont les Crédits Municipaux sont monopoleurs depuis l’ordonnance de Napoléon de 1804. L’idée sera de confronter notre recherche à la leur. Le Crédit Municipal de Nantes agissant aussi sur Angers, Tours et Limoges.

en région Pays de la Loire ? Il convient de préciser que la coproduction du

Page 11: Quels bénéficiaires pour le microcrédit « social » ? Du

11

microcrédit social par les CCAS et les Crédits Municipaux est antérieure au Plan Borloo de 2005. Les premiers dispositifs datent de 1999. Toutefois, parce que la saisie des données a été améliorée en utilisant la grille de lecture des Professions et Catégories Socioprofessionnelles établie en 1984. Nous nous limiterons dans le cadre de cet article à rendre compte de nos observations sur les dispositifs d’accompagnement porté par le CCAS et de financement porté par le Crédit Municipal de Nantes sur les villes d’Angers et de Nantes. Les finances solidaires, au Nord comme au Sud, ne veulent pas faire pour les plus pauvres mais faire avec eux. Qu’observons-nous sur Angers en 2005 et 2006 ?

Tableau 5 – La sociologie des bénéficiaires angevins du dispositif « prêt stabilité », 2005.

27

Nous observons, en adoptant la classification des individus par PCS et par activité, que le dispositif du prêt stabilité (forme de microcrédit social local animée par le binôme CCAS Angers-Crédit Municipal de Nantes) concerne, sans surprise, majoritairement des individus « sans emploi » (environ 77% des dossiers financés). Toutefois, les salariés en statut précaire dans le secteur privé représentent près de 14,6% du total des prêts « stabilités » financés. Ce sont les travailleurs pauvres. Les 8,3% restants correspondent aux salariés des secteurs publics et privés en « accidents de la vie ». Cette première taxonomie illustre ainsi partiellement la pauvreté disqualifiante et, emprunte à la pauvreté intégrée certaines caractéristiques de son type idéal de développement et de bassin d’emploi. Cela supposera que nous interrogions à terme les projets de territoire pour ces finances solidaires et les territoires de projets des acteurs de l’économie sociale et solidaire selon les caractéristiques socioéconomiques rencontrées. En d’autres termes, si des espaces de pauvreté différenciés par les statuts et activités nourrissent le dispositif de micro crédit social angevin, alors il convient pour les acteurs financiers

28

SDP pour services directs aux particuliers

Page 12: Quels bénéficiaires pour le microcrédit « social » ? Du

12

solidaires de poursuivre le dialogue social territorial engagé parce qu’il repose sur des relations adaptées au niveau local entre le CCAS et le Crédit Municipal pour partager l’information sociale et bancaire et, construire les propositions de micro crédit social attendues par ces franges fragilisées de la population. Ce marché est à ce titre culturellement encastré, au sens de P.DiMaggio (1994)28 ou de V.A. Zelizer (1988)29

, parce que les relations marchandes « à finalité sociale » établies participent à la construction sociale de ce marché et du rôle de l’argent dans les pratiques sociales. Nous comprenons ainsi la culture comme un moyen de percevoir le réel. Ce réel du micro crédit social angevin s’est d’ailleurs largement enrichi sur l’année 2006, comme le montre la matrice suivante :

Tableau 6 – La sociologie des bénéficiaires angevins du dispositif « prêt stabilité », 2006.

Si les « sans emploi » demeurent la population cible la plus importante, nous assistons au renforcement de la frange des travailleurs pauvres en situation précaire (secteurs public et privé). Apparaissent également de nouveau bénéficiaires : les indépendants et les retraités. Cette typologie se retrouve-t-elle sur la Communauté Urbaine de Nantes « Nantes Métropole » ? Le dispositif «nantais » de microcrédit social porté par les CCAS de Nantes et de Saint-Herblain connaît une moindre dynamique que celui d’Angers. Pourtant, la pauvreté disqualifiante n’y est pas moins

28 « Culture and economy » pp.27-57 in NJ.Smelser, R.Swedberg Richard (ed) The Handbook of Economic Sociology, Princeton University Press and New York, Russell Sage Foudation. 29 « Beyond the polemics on the market : Establishing a theoretical and empirical agenda », Sociological Forum, vol.3, n°4, pp.614-634.

Page 13: Quels bénéficiaires pour le microcrédit « social » ? Du

13

importante. Mais, le passage de Nantes métapole à Nantes métropole a externalisé les populations les plus fragiles sur les zones périurbaines et rurales. Par conséquent, les CCAS de Nantes et de Saint-Herblain ne capture aujourd’hui qu’une fraction limitée de la population des « plus » démunis, sans compter sur le mise en place des dispositifs concurrents depuis le plan Borloo de 2005 appliqué en 2006.

Tableau 7 – Sociologie des bénéficiaires de Nantes Métropole du dispositif « prêt stabilité », 2005

La nature des indépendants change entre le dispositif angevin et le dispositif nantais. Cela tient pour l’essentiel de la tertiarisation du bassin d’emploi nantais, invitant certains ouvriers et employés à créer leur propre emploi en allant vers la création de la très petite entreprise. Le micro crédit social sert alors à acquérir un véhicule nécessaire au développement de l’activité génératrice de revenu. Par conséquent, le microcrédit social apparaît alors en amont du microcrédit professionnel. Cette distinction n’existe pas dans les finances solidaires au Sud. Tableau 8 – Sociologie des bénéficiaires de Nantes Métropole du dispositif « prêt stabilité », 2006.

Sans que nous soyons en présence d’un archipel des employés, nous constatons néanmoins une affirmation du poids des employés dans les dispositifs du microcrédit social. Les demandes

Page 14: Quels bénéficiaires pour le microcrédit « social » ? Du

14

concernent là encore l’accès au moyen de locomotion (permis de conduire, achat de véhicule), mais aussi aux biens d’équipement du foyer dont la microinformatique. Ce processus liant accompagnement et financement à la personne est à ce titre parfaitement efficient pour répondre aux exclusions bancaires et financières, qui ne cessent de s’accroître dans nos sociétés occidentales. Comme le dit B.Tessé (2007)30

SOUTY J. (2007), « Un monde de bidonvilles ? », Sciences Humaines, n°182, mai, pp.24-27.

, Responsable du pôle action sociale du CCAS d’Angers : « le prêt n’est pas une réserve de trésorerie en cas de besoin, il doit avoir une destination, financer un projet, si modeste soit-il. Ce fléchage vers un projet est très difficile pour des gens qui vivent au jour le jour. Notre travail, c’est d’examiner le sens et l’utilité de ce projet dans un contexte de vie de la personne, et aussi de l’aider à se projeter dans le temps pour bien voir comment elle pourra l’assumer sur toute la durée (du prêt stabilité) ». Faut-il pour autant généraliser ce dispositif à l’échelle de tout le système bancaire ? Nous n’en sommes pas convaincus compte tenu des savoir-faire développés par l’ingénierie sociale des CCAS et l’ingénierie bancaire à vocation solidaire du Crédit Municipal.

Pour conclure, si le dispositif du prêt social n’en est encore qu’à sa prime jeunesse bien qu’il ne soit plus une utopie (Allemand, 2007), il n’en demeure pas moins qu’il s’impose dans le cadre du développement des formes modernes de microfinance comme un moyen de redonner en confiance aux personnes grâce à la confiance qui leur a été accordée dans le cadre de cette relation courte de crédit. A ce titre, les finances solidaires évaluent toutes les opportunités du réel et luttent pour leur concrétisation. Il en résulte une reconnaissance sociale portée par une culture partagée de la banque à finalité sociale, au coeur de la cohésion sociale locale. Nous rejoignons ainsi le dispositif « financement/accompagnement » au service de l’autonomisation des individus expérimentés à Cotonou centre au Bénin.

Nouvelle illustration du dialogue social territorial, le microcrédit dit « social » mérite tout autant que le microcrédit professionnel une attention particulière de la part des acteurs des nouveaux espaces publics de proximité. Cette dimension particulière de l’exclusion ouvre la voie d’une recherche prometteuse en finances solidaires donc en management des banques à mission sociale au Nord comme au Sud et de leurs responsabilités (Glémain, Taupin, 2007). Nous nous inscrivons dans cette démarche. Assisterons-nous alors à un renouveau de la microéconomie bancaire ?

Bibliographie

ALLEMAND S. coord (2007), La microfinance n’est plus une utopie ! Coll Acteurs de la Société, Autrement, Paris, 205p.

ELIAS N. (1991), Qu’est-ce que la sociologie ? Agora-Pocket, ed. de l’Aube, n°123, Paris, 218p.

LABIE M. (1999), La microfinance en question ? Coll. Pour les générations futures, ed. Luc Pire, Belgique, 312p.

DE LIMA P. (2007), Voyage au coeur d’une révolution. La microfinance contre la pauvreté, JC.Lattès, Paris, 277p.

MOULEVRIER P., LAZUECH G. (2004), Exclusion monétaire et usages sociaux de l’argent. Rapport à la Communauté Urbaine de Nantes, CENS Université de Nantes, MSH Ange Guépin, 147p.

PAUGAM S. (2005), Les formes élémentaires de la pauvreté. Coll. Le lien social, PUF, Paris, 266p.

REIFNER U. (2000), « La finance sociale : des produits au service du développement communautaire et local » in INAISE (2000) Banques et cohésion sociale, ECLM, DD1100, Paris, 299p.

SERVET J.M. (2007), Banquiers aux pieds nus. La microfinance. O.Jacob, Paris, 494p.

31

« CCAS et micro-crédit social : remettre les gens de bout ! », Actes, n°378, mai 2007, pp.17-22.

Page 15: Quels bénéficiaires pour le microcrédit « social » ? Du

15

TAUPIN M.T., GLEMAIN P. (2007), « Quelle(s) responsabilité(s) pour les finances solidaires ? », RECMA, n°304, mai, pp.27-45.

ZELIZER V.A. (2005), La signification sociale de l’argent, Liber, Seuil, Paris, 331p.