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1/16 Pourquoi peindre en couleur ? Jacques Traut mars 2016 Je n’aborde que certains angles d’approche. Le sujet est trop vaste pour que je balaye l’ensemble des problématiques. C’est une vision personnelle que je livre, en m’appuyant sur mon expérience et à partir de commentaires sur certaines de mes œuvres. C’est ma propre quête de belles couleurs que je mets ici en question. Ce que je ne traiterai pas : je ne parlerai pas d’histoire de la couleur, ni de symbolique, ni de sociologie des couleurs. Autant de cultures, d’époques, autant d’interprétations du sens des couleurs. Michel Pastoureau a longuement et fort bien parlé de tout cela. (réf : Le petit livre des couleurs). Personnellement, je recherche à appréhender la beauté qui se dégage des couleurs, quelles harmonies de couleurs peut concevoir un peintre, et que ressent un observateur devant les couleurs d’un tableau. Je m’interroge sur la puissance picturale que chaque couleur peut libérer et quel chemin elle emprunte pour nous atteindre. Quel éclat et quel souffle visuel on peut en obtenir ? Existe-t-il des valeurs universelles dans l’emploi des couleurs ? Quand je ferme les yeux, un monde étrange se dessine. En taches de couleurs éphémères, fluctuantes, tirées de la vision du moment précédent, yeux ouverts, mais aussi de parties de mémoires profondément enfouies et oubliées. L’ensemble se dessine en taches informes disposées sur des cercles concentriques, du plus clair au plus foncé, depuis le centre jusqu’au pourtour. Avec quelques taches foncées presque noires disséminées sur l’ensemble de la vision. Cela ressemble à une scène de théâtre, une ouverture vers un monde irréel, le décor d’une histoire à venir, à inventer. Curieusement dans cet ensemble informe peut surgir un visage d’une grande précision et très expressif, parfaitement dessiné. Pas de corps, de silhouettes, uniquement des visages, je dirais presque uniquement des regards. Si je pouvais coucher sur la toile la vision surprise, entrevue l’espace d’un instant, je serais assurément un grand peintre. La vision est souvent époustouflante, fantastique et d’une rare beauté. Mais elle reste insaisissable, elle s’évapore dès que je veux la saisir. Les couleurs ne sont pas toujours vives, mais elles resplendissent avec intensité. Dès qu’une couleur se modifie, c’est l’ensemble de la vision qui change, avec toujours respectée une harmonie générale à partir du noir en fond d’écran et de 3 couleurs principales, deux plus claires et une plus foncée. Souvent une partie choisie dans l’ordre des couleurs de l’arc en ciel, depuis le rouge jusqu’au violet. Ce sont ces visions qui m’ont en partie incité à peindre, à fixer la beauté entraperçue aux limites du conscient et de l’inconscient. Une autre façon d’approcher l’origine subconsciente, à la base du ressenti des couleurs, serait d’interroger et de décrypter les rêves. Mais personnellement, je ne rêve qu’en noir et blanc. Une peinture pour être aboutie doit être porteuse de sens. La couleur diffuse en plus de l’émotion qui vient enrichir ce sens. En une dimension non rationnelle, donnant du poids, de l’épaisseur à l’œuvre. Quand l’œil rencontre un tableau, la couleur est le premier élément perçu. Elle provoque un choc instantané, avant même de comprendre le sujet de l’œuvre et avant même de pouvoir suivre le cheminement du dessin. L’émotion s’impose sans possibilité de contrôle. Une émotion inattendue et involontaire déclenchée par la perception soudaine de la couleur dominante qui peut rappeler une atmosphère, un événement ou des scènes profondément ancrées dans des souvenirs inconscients. C’est généralement une seule couleur dominante dans la gamme du chaud ou du froid qui donne l’atmosphère et provoque l’émotion. Ce peut être aussi un binôme de couleurs, comme un rouge et un bleu, qui livre une opposition signifiante, un contraste appuyé. Ce sera rarement trois couleurs ensemble, car celles-ci se détruiraient mutuellement et terniraient la perception première.

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Pourquoi peindre en couleur ? Jacques Traut – mars 2016

Je n’aborde que certains angles d’approche. Le sujet est trop vaste pour que je balaye l’ensemble des problématiques. C’est une vision personnelle que je livre, en m’appuyant sur mon expérience et à partir de commentaires sur certaines de mes œuvres. C’est ma propre quête de belles couleurs que je mets ici en question. Ce que je ne traiterai pas : je ne parlerai pas d’histoire de la couleur, ni de symbolique, ni de sociologie des couleurs. Autant de cultures, d’époques, autant d’interprétations du sens des couleurs. Michel Pastoureau a longuement et fort bien parlé de tout cela. (réf : Le petit livre des couleurs). Personnellement, je recherche à appréhender la beauté qui se dégage des couleurs, quelles harmonies de couleurs peut concevoir un peintre, et que ressent un observateur devant les couleurs d’un tableau. Je m’interroge sur la puissance picturale que chaque couleur peut libérer et quel chemin elle emprunte pour nous atteindre. Quel éclat et quel souffle visuel on peut en obtenir ? Existe-t-il des valeurs universelles dans l’emploi des couleurs ? Quand je ferme les yeux, un monde étrange se dessine. En taches de couleurs éphémères, fluctuantes, tirées de la vision du moment précédent, yeux ouverts, mais aussi de parties de mémoires profondément enfouies et oubliées. L’ensemble se dessine en taches informes disposées sur des cercles concentriques, du plus clair au plus foncé, depuis le centre jusqu’au pourtour. Avec quelques taches foncées presque noires disséminées sur l’ensemble de la vision. Cela ressemble à une scène de théâtre, une ouverture vers un monde irréel, le décor d’une histoire à venir, à inventer. Curieusement dans cet ensemble informe peut surgir un visage d’une grande précision et très expressif, parfaitement dessiné. Pas de corps, de silhouettes, uniquement des visages, je dirais presque uniquement des regards. Si je pouvais coucher sur la toile la vision surprise, entrevue l’espace d’un instant, je serais assurément un grand peintre. La vision est souvent époustouflante, fantastique et d’une rare beauté. Mais elle reste insaisissable, elle s’évapore dès que je veux la saisir. Les couleurs ne sont pas toujours vives, mais elles resplendissent avec intensité. Dès qu’une couleur se modifie, c’est l’ensemble de la vision qui change, avec toujours respectée une harmonie générale à partir du noir en fond d’écran et de 3 couleurs principales, deux plus claires et une plus foncée. Souvent une partie choisie dans l’ordre des couleurs de l’arc en ciel, depuis le rouge jusqu’au violet. Ce sont ces visions qui m’ont en partie incité à peindre, à fixer la beauté entraperçue aux limites du conscient et de l’inconscient. Une autre façon d’approcher l’origine subconsciente, à la base du ressenti des couleurs, serait d’interroger et de décrypter les rêves. Mais personnellement, je ne rêve qu’en noir et blanc. Une peinture pour être aboutie doit être porteuse de sens. La couleur diffuse en plus de l’émotion qui vient enrichir ce sens. En une dimension non rationnelle, donnant du poids, de l’épaisseur à l’œuvre. Quand l’œil rencontre un tableau, la couleur est le premier élément perçu. Elle provoque un choc instantané, avant même de comprendre le sujet de l’œuvre et avant même de pouvoir suivre le cheminement du dessin. L’émotion s’impose sans possibilité de contrôle. Une émotion inattendue et involontaire déclenchée par la perception soudaine de la couleur dominante qui peut rappeler une atmosphère, un événement ou des scènes profondément ancrées dans des souvenirs inconscients. C’est généralement une seule couleur dominante dans la gamme du chaud ou du froid qui donne l’atmosphère et provoque l’émotion. Ce peut être aussi un binôme de couleurs, comme un rouge et un bleu, qui livre une opposition signifiante, un contraste appuyé. Ce sera rarement trois couleurs ensemble, car celles-ci se détruiraient mutuellement et terniraient la perception première.

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La perception immédiate de la couleur, c’est bien ce que l’on ressent dès la vision globale d’une œuvre d’art. Mais dans un second temps, lors de l’examen prolongé de l’œuvre, la couleur, ou plutôt des harmonies de couleurs peuvent également imprégner et disperser des émotions colorées variées autour de chaque détail de la scène. La couleur, c’est la vie qui circule à l’intérieur des objets et des êtres, avec sa plénitude d’émotions, douces ou cruelles. La couleur n’est pas neutre. Chaque couleur véhicule une émotion particulière (voir par exemple la roue des émotions de Plutchik et ses huit émotions fondamentales, la peur, la colère, la joie, la tristesse, la confiance, la surprise, le dégoût et l'anticipation). Au surplus, toutes les couleurs réagissent les unes parmi les autres. Des couleurs associées et c’est une dimension supplémentaire dans le ressenti émotionnel. La couleur pure ferme le regard et fige la perception. Modifiée par des ajouts d’autres teintes proches ou complémentaires, la couleur s’ouvre vers des ressentis et des émotions complexes et nuancés.

Roue des 8 émotions de base traduites en couleur de Plutchik (psychologue américain 1927 - 2006)

la peur, la colère, la joie, la tristesse, la confiance, la surprise, le dégoût et l'anticipation

Cette roue ne dit bien sûr pas tout. Elle ne parle ni du noir, ni du blanc. L’association d’une couleur à une émotion peut aussi varier d’une époque à une autre, d’une culture à une autre. Il faut comprendre la source de l’émotion. Une émotion liée à une couleur se développe par l’accumulation de souvenirs longuement et profondément enracinés dans l’inconscient. C’est la partie vivante et non rationnelle des souvenirs qui remonte à la surface et qui submerge le ressenti présent. Mais quelque soit le lieu, l’époque, l’être humain sera toujours confronté à des invariants, la couleur du ciel, de la mer, de la terre, du sang et du soleil. Il est ainsi façonné par les mêmes émotions colorées, sinon très proches. Quelque soit son histoire personnelle et ses souvenirs, le ressenti visuel de l’être humain relate et témoigne des mêmes visions universelles.

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La roue des émotions de Plutchik classe les émotions dans l’ordre des couleurs du cercle chromatique. A gauche les couleurs chaudes de la vie et de l’humain. A droite les couleurs froides de l’espace et de la spiritualité. Au centre de la roue les couleurs fortes disent le sujet de premier plan. A l’extérieur les couleurs pâles d’ambiance, d’environnement ou d’éloignement. La roue de Plutchik peut être contestée pour une association émotion-couleur précise. Mais elle montre bien comment l’intensité d’une couleur peut modifier la tonalité d’une émotion. En passant par exemple d’un vert clair à un vert plus foncé, on peut transformer une simple acceptation passive en admiration active. Avec deux couleurs proches dans le cercle chromatique, on peut affiner un sentiment. Joie et confiance (jaune et vert) amènent à l’amour. Joie et anticipation (jaune et orange) amènent à l‘optimisme. On peut ainsi pressentir quelles émotions complexes il est possible d’obtenir par juxtaposition de couleurs. Le peintre qui désire rendre visible une émotion particulière pourra avantageusement s’inspirer des couleurs que lui propose cette roue de Plutchik. Le noir et le blanc sont présents dans la gamme des couleurs à disposition du peintre. Mais ce ne sont pas de vrais couleurs. Employées seules, ce sont des couleurs neutres, qui sont inaptes à développer des impressions fortes et des sentiments passionnés. Noir et blanc sont des couleurs qui délivrent du rien, du vide, de l’immobilité, qui figent, des couleurs de deuil. Une œuvre en noir et blanc peut être belle, mais elle reste froide. Elle entraîne à la méditation, à la contemplation, au retour vers le passé. Les couleurs apportent de la vie. Elles incitent à un regard vers l’avenir, vers tout ce qui est en devenir. Elles sont élan, action, mouvement. Elles peuvent porter l’ensemble des émotions, joie, confiance, peur, surprise, tristesse, dégoût, colère ou clairvoyance active. Ou encore un mélange de tout cela. Le noir est mort et terme, le blanc est vide et disparition. La couleur est vie, qualité et mouvement. Peindre en couleur, c’est peindre la vie. Kandinsky a magnifiquement parlé des couleurs dans son ouvrage : « Du spirituel dans l’art ». Je cite ce qu’il en a écrit : « Le rouge, couleur sans limites, essentiellement chaude, agit intérieurement comme une couleur débordante d'une vie ardente et agitée. » « Le rouge chaud, rendu plus intense par l’addition du jaune donne l’orangé. Le mouvement du rouge, qui était enfermé en lui-même, se transforme en irradiations, en expansion. » « Le jaune citron vif blesse les yeux. L’œil ne peut le soutenir. On dirait une oreille déchirée par le son de la trompette. Le regard clignote et va se plonger dans les calmes profondeurs du bleu et du vert. » « Le bleu, apaise et calme en s'approfondissant. En glissant vers le noir, il se colore d’une tristesse qui dépasse l’humain. ». « Lorsqu'il s'éclaircit, le bleu semble lointain et indifférent, jusqu'à n'être plus qu'un repos silencieux. » « La passivité est le caractère dominant du vert absolu. Qu'il passe au clair ou au foncé, le vert ne perd jamais son caractère premier d'indifférence et d'immobilité. » « Le violet est un rouge refroidi au sens physique et psychique du mot. Il y a en lui quelque chose de maladif, d’éteint et triste. » « Le noir est comme un rien sans possibilités. Un rien mort après la mort du soleil, comme un silence éternel, sans l’avenir, sans l’espérance même d’un avenir. »

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Avant de parler de choix de couleurs, on peut rappeler quelques principes de base. Toutes les ondes lumineuses (ondes électromagnétiques comprises entre 380 et 780 nanomètres) sont incolores. C’est le cerveau, relié à l’œil, qui les traduit en couleurs. Dans l’espace toutes ces ondes se mélangent entre elles et donnent une lumière blanche. A partir de trois couleurs fondamentales ou ondes fondamentales, bleu, vert et rouge (outremer violet, vert jaune, vermillon orangé), on peut avec un jeu de prismes, en synthèse additive, reconstituer l’ensemble du spectre des couleurs. On parle de système additif, car en superposant toutes les ondes-couleurs on obtient la lumière blanche. Le mélange des pigments se fait dans le système soustractif à partir de trois couleurs primaires différentes des couleurs fondamentales (bleu cyan ou céruléum, rouge magenta ou carmin et jaune citron). Système dit soustractif, car en superposant l’ensemble de ces trois pigments, couleurs primaires, on obtient le noir, ce qui revient à supprimer la lumière. C’est pourquoi en aquarelle on limite le nombre de couches afin de conserver de la transparence. En imprimerie pour reconstituer l’ensemble de la gamme des couleurs on utilise les 3 couleurs primaires du système soustractif. La gamme complète des couleurs est bien schématisée par le triangle des couleurs de Jean-Louis Morelle. Aux sommets on place les 3 couleurs primaires et on reconstruit une gamme de 31 couleurs correspondant à 31 proportions différentes de ces 3 couleurs primaires. Au centre le noir avec une proportion identique des 3 couleurs primaires. Les 3 couleurs secondaires vert, violet, orange sont obtenues par la superposition en égale proportion de 2 couleurs primaires et exclusion de la troisième. Ce qui donne un nuancier à 31 couleurs.

Ceci est un schéma qui reste très théorique. Partant de couleurs primaires du commerce particulières à des marques et selon le type de médium, les couleurs obtenues par mélange donneront un rendu différent. A chacun de faire son choix à partir de sa propre expérience. Personnellement, je l’ai constitué en aquarelle, à partir de trois couleurs primaires, un jaune citron Blockx, un bleu de Céruléum et un carmin. Toutefois, afin de simplifier les mélanges, j’ai pris directement en couleurs secondaires un vert émeraude, un violet bleu et un vermillon orangé. A remarquer que ce sont les trois couleurs fondamentales du système additif.

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On n’obtient pas ainsi en pratique l’ensemble de la gamme des couleurs. Les bleus outremers, les ocres, les terres et les diverses nuances de rouge ne sont pas correctement représentés. Si l’on veut disposer d’une palette plus large, il y a intérêt à partir d’une palette de 7 à 20 couleurs réparties au mieux sur le triangle théorique des couleurs, et choisies suivant ses goûts personnels. Ensuite, pour faciliter la recherche du ton juste, on peut au préalable situer précisément les couleurs avec lesquelles on fabrique le mélange. On distingue les couleurs chaudes (ocres, terres, oranges et rouges) à droite du triangle, des couleurs froides (du vert au violet en passant par le gris) à gauche du triangle. Le jaune primaire est une couleur de lumière, ni froide, ni chaude. Certains classent le jaune parmi les couleurs chaudes. Mais cela dépend du contexte. Avec le jaune et le violet et toutes les couleurs située sur la médiane du triangle, on est dans des valeurs limites qui peuvent aussi bien faire partie d’une palette chaude que d’une palette froide. L’expérience de l’artiste lui fait aussi découvrir quelques principes universels. Les couleurs claires attirent et retiennent le regard. Ce sont elles qui permettent de structurer le tableau. Les couleurs sombres ferment le parcours des yeux et délimitent des espaces. Les couleurs chaudes prédominent sur les couleurs froides. On les utilise pour marquer le premier plan. Les couleurs froides éloignent. Dans un paysage, c’est l’intensité des couleurs qui donnera l’impression de présence ou d’éloignement. Un rouge pâle peut très bien situer le sujet dans le lointain. Partant de ces prémisses je peux revenir à mes choix personnels. J’ai deux couleurs de base. L’ocre qui pacifie le regard. Le bleu de cobalt qui apaise le lieu. L’ocre est la couleur prédominante de la terre, mais aussi de nos habitats. Nos chambres sont la plupart du temps tapissées d’ocre, couleur neutre et douce, pour un repos sans aspérité. Le bleu de cobalt est la couleur du ciel, de l’esprit, de l’élévation. Toutes deux sont des couleurs de fond de toile, d’accompagnement, de mise en valeur du sujet et de repos du regard entre deux éléments marquants de la scène peinte. Dans la nature, le gris domine, des gris avec une infinité de nuances de couleurs estompées. L’artiste va souvent rechercher les couleurs cachées. Il les extirpe, les juxtapose. Ce qui est uniformément coloré dans ce qu’il voit, ce sont les objets, les maisons, les habits, pas la nature. Et même les objets uniformément colorés sont perçues avec beaucoup de nuances du fait des reflets de lumière. La mer n’est pas uniformément bleu outremer, l’herbe n’est pas vert émeraude, la terre n’est pas ocre brun, le ciel n’est pas bleu azur. La nature recèle une infinité de couleurs mélangées qui viennent enrichir l’impression de couleur dominante. Le peintre, lui, recherche la couleur juste et pure qui convient pour son tableau, et décline ensuite à partir d’elle, toutes les harmonies possibles de la plus subtile à la plus heurtée. Personnellement, je pratique assez rarement les aplats. A partir d’une couleur ou plutôt une impression de couleur dominante, je recherche ce qui l’illumine ou la nie. Un vert appelle un rose. Un violet appelle un orange. Mes rouges sont parsemés de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Mes apparences d’aplat sont cernées par des blancs ou plutôt des couleurs pâles et des couleurs sombres. Les trois primaires, bleu, jaune, rouge, sont pour moi trop brutales. Dans sa palette Monet n’utilisait ni bleu primaire, ni rouge primaire. Seulement 5 couleurs. Ses bleus étaient travaillés à partir de bleu de cobalt et de vert émeraude. Ses rouges à partir de garance et de vermillon. Avec une tonalité générale plus chaude que froide. Les couleurs poussées aux extrêmes reflètent un déséquilibre, un manque. Et même les couleurs secondaires, vert, orange et violet sont encore trop marquées. C’est plus loin, à l’intérieur du triangle des couleurs, qu’il faut rechercher des harmonies douces, soit dans une combinaison de couleurs froides, soit dans une combinaison de couleurs chaudes.

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Si on contemple un instant une couleur pure, l’image résiduelle qui apparaît lorsqu’on détourne les yeux est la couleur complémentaire. L’œil s’efforce de rétablir un état d’équilibre. Le gris engendre cet état d’équilibre de l’appareil sensitif optique. On peut obtenir ce gris en mélangeant du noir et du blanc, ou plutôt en mélangeant plusieurs couleurs qui contiennent les trois couleurs primaires en proportions égales, jaune, rouge et bleu. Le peintre, lui, recherche une harmonie non physique, non mathématique, une harmonie qui véhicule du sens, de l’expression et de l’émotion. Dans le triangle des couleurs, l’équilibre d’un tableau sera décentré, suivant ce que le peintre voudra signifier, suivant l’émotion qu’il voudra privilégier. Le peintre jouera aussi pleinement sur les contrastes. Contrastes d’oppositions, couleur chaude-couleur froide, foncé-clair, couleur associée à sa complémentaire, couleur pure et couleur rompue, couleur opaque et couleur transparente. Il pousse cette opposition, parfois à l’extrême, parfois tout en subtilité, passages à peine définis. Ce sont ces contrastes qui donnent de la vie au tableau, qui permettent de mettre en valeur des éléments précis du tableau. Un tableau sans contrastes exprime peu, c’est un fouillis grisâtre invisible. C’est l’extrême diversité des valeurs dans une représentation en noir et blanc qui fonde toute la richesse et la beauté d’un tableau. C’est l’extrême diversité des couleurs d’une scène représentée qui enchante le regard.

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Le rouge

Le rouge est la couleur de la vie. Couleur du sang, pulsion de vie et du corps. Le rouge accompagne les émotions les plus vives. Il est la couleur de l’action, de la lutte et de l'affirmation de soi. C'est aussi la couleur du sexe et de la violence, la couleur du feu qui brûle les passions, du combat dans l'arène, du courage et de l’audace. Carmin, rouge d’alizarine, rouge anglais, rouge brique, rouge coquelicot, magenta, garance, pourpre, sanguine, vermeil. Autant de nuances, autant de noms. Le vermillon et le rouge hélios attirent et irritent le regard. Les garances apportent de la chaleur. Rubis et corail sont riches de nuances. Les carmins donnent de la profondeur. Lavé de blanc, le rouge devient rose. Assombri, il devient brun.

Variations autour du rouge pastel – 2014

Le rouge est ici partout, mais ne peut rester uniforme. Je suis parti d’un papier de couleur rouge, ce qui a décidé de l’unité de ton. Maintenant ce rouge, il faut le faire chanter, le mettre en valeur. Le jaune en arrière-plan lui donne de l’éclat. Mais pas seulement. Le rouge est associé avec sa couleur complémentaire, un vert sombre grisé qui structure la toile, tout en restant en retrait car moins dominant. Le rouge peut aussi chanter avec des jaunes orangés. L’espace est rempli de formes courbes, de toutes les couleurs présentes, mais contredites par des traces rectilignes verticales rouges qui donnent du rythme à l’ensemble. Le plus lumineux est au centre, comme une clairière au milieu de la forêt. Le pastel est utilisé sur la tranche en mouvements rapides plus ou moins appuyés. Les traits verticaux évoquent les arbres et les verts foncés évoquent les rochers et les feuillages sans soleil de la forêt. L’ensemble devient cohérent, profond, chaleureux et lumineux.

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Le jaune

Le jaune, pris comme couleur prépondérante, n’est pas ma couleur. Il n’est ni chaud, ni froid. A l’instar du noir, seul, il n’exprime rien. C’est un néant de lumière. Même teinté d’ocre, il est sec et inoccupé, terrain vague entre deux îlots de verdure. Il ne vit qu’associé à d’autres couleurs et par contrastes forts. Dans un champ, en plages horizontales, il structure, renvoie le regard vers l’infini et illumine le reste de la prairie. Il délimite l’horizon d’un ciel. Sur un feuillage, il le fait frétiller, renvoie le regard sur d’autres partie de la toile. Il permet de circuler et n’enferme pas. Il ne place pas de mur comme le noir. Deux façon d’exprimer le rien, en le fixant par du noir ou avec la lumière du jaune, en le renvoyant dans l’ailleurs, le vide de l’infini. Le jaune, s’il n’est pas ma couleur de départ, est pourtant très présent dans mes tableaux, comme couleur de lumière et souvent enrichi de rouge ou de brun. Si l’on recherche de belles variations autour d’un jaune un peu chaud, on peut les trouver du côté de Klimt. Il associe le jaune au noir plutôt qu’à sa complémentaire le violet. Le bleu un peu grisé et le vert, plus jaune que bleu, sont intégrés par de multiples petites touches qu’il ne répartit pas uniformément sur l’ensemble de la toile. Le rouge est encore moins présent directement, mais il peut apporter des nuances d’orangé. L’ensemble reste dans des couleurs chaudes. « Le baiser » ou « l’arbre de vie » en sont une magnifique illustration. Une belle harmonie pourrait aussi être obtenue à partir de jaunes légèrement réchauffés d’ocre, sur un fond tracé avec des nuances de verts jaunis, verts clairs et verts foncés. La représentation d’algues balayées en profondeur par des courants marins. Le jaune, c’est aussi la couleur des fleurs des champs, associées à des verts tendres et rehaussée par quelques rouges. Dans ce pastel évoquant les massifs de fleurs de Giverny, mi-abstrait, mi-réaliste, on suit un cheminement visuel structuré par la lumière jaune. C’est un fouillis de couleurs à prédominance jaune, obtenu par un ensemble de taches aux contours imprécis et de formes variées.

Fleurs jaunes, rouges et oranges de Giverny fig 2.12

pastel – 2015

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Comme couleur de prédilection, je choisis le bleu, lointain, distancié, reposé, sans passion.

Le bleu Il se décline en une infinité de nuances, gamme complète du triangle des couleurs entre le vert, le violet et le noir. Les plus proches de la couleur primaire, bleu de Cyan, de Cérulèum ou cendre bleue. Ceux tirant vers le rouge, bleu de cobalt et bleu d’outremer. Ou tirant vers le jaune, comme le bleu turquoise ou le bleu azur. Ou encore obscurcis par un mélange de jaune et de rouge, bleu de Prusse, bleu indigo, gris de Payne. La couleur de la mer peut receler l’ensemble de ces variétés du turquoise à l’outremer et jusqu’au violet en passant par des bleus foncés presque noirs. Des bleus seuls donneraient un rendu assez fade et un peu froid, en déséquilibre visuel. On peut les mettre en valeur par juxtaposition d’autres couleurs au besoin très tranchées et éloignées sur le triangle des couleurs. Comment j’associe les bleus retenus aux autres couleurs ? En apportant de petites touches non bleues sur de petites surfaces, plutôt que par disposition de grands aplats. La couleur peut être ternie et adoucie avec des gris. La couleur peut être belle sans nécessairement être vive et heurter le regard.

Où va notre regard ? fig 2.8 pastel – 2015

Ici des bleus violacés portés par une écriture calligraphique. Contrastes sur les noirs et blancs et sur l’épaisseur des traits plutôt que sur la couleur. Les variations subtiles de bleu et de gris permettent de rêver, de danser et de s'envoler vers un futur incertain. S’en dégage un peu de romantisme et de sensualité.

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Harmonies de couleurs

Une couleur ne fait pas un tableau. Dans mes tentatives précédentes autour d’une des trois couleurs primaires, j’ai du à chaque fois la faire vibrer par des arrangements furtifs créés à partir des deux autres couleurs nettement rompues. Je sais bien que des peintre comme Klein ont prétendu offrir un tableau d’une seule couleur vive, présentée en un seul aplat, mais c’était de la pure provocation. Inutile de s’y arrêter. La reproduction exacte des couleurs d’un sujet observé dans la nature ne fait pas non plus un tableau. La dispersion au hasard des couleurs de la palette sur l’ensemble de la toile encore moins. Dans un tableau les couleurs dialoguent, chantent entre elles, par la volonté et la magie du peintre. Certes, mais comment ? Y a-t-il des règles d’harmonie, des recommandations à observer ? J’ai déjà indiqué que l’harmonie visuelle est atteinte si elle correspond à un état d’équilibre, obtenu par la présence des trois couleurs primaires. Afin d’atteindre le repos de l’œil et du système visuel dans son ensemble. Sinon le regard serait confronté à une surdose ou à un manque. Qui dit présence de ces trois couleurs de base, ne dit pas forcément égalité entre elles. La prédominance d’une couleur primaire est toujours porteuse de sens. Qui dit présence de ces trois couleurs de base, ne dit pas non plus qu’elles doivent apparaître pures. Un violet peut apporter à la fois du rouge et du bleu. Ainsi l’équilibre de la somme des couleurs dispersées sur le tableau se rapprochera souvent du centre théorique du triangle des couleurs, équivalent du gris plutôt que du noir. Mais cet équilibre peut être décentré, suivant ce que le peintre voudra signifier, suivant l’émotion qu’il voudra privilégier. On doit considérer au moins deux niveaux d’harmonie. L’harmonie générale quand on se place à une certaine distance du tableau et qu’un premier regard nous saisit, nous accroche, nous met en émoi ou non. Et l’harmonie dégagée par chaque détail, quand on s’arrête, quand on prend son temps, quand on suit la composition, quand on circule tout autour de la toile, guidé par les chemins tracés, suggérés par l’artiste. Bornes sombres ou aplats de lumière. L’harmonie générale est construite à partir d’une couleur prépondérante, à la rigueur deux, rarement trois, que l’on retrouve sur l’ensemble de la toile. L’harmonie dégagée par chaque détail est plus complexe. Elle est formée d’un ensemble de couleurs qui viennent contredire ou nuancer la couleur dominante par quelques taches contrastées. Pour finalement se rapprocher de l’équilibre entre les trois couleurs primaires et offrir du repos à l’œil de l’observateur. On ne fonde pas une harmonie avec les trois couleurs primaires pures et vives. Les couleurs complémentaires ne sont pas non plus harmonieuses. Le bleu associé à l’orange ne donne rien de beau. Dans les enluminures du moyen-âge le bleu était plutôt associé à l’or. Plusieurs types d’harmonies sont possibles. Avec deux ou trois couleurs, très proches dans le cercle des couleurs, mais avec des variations en saturation ou en degré de valeurs rompues. Ou en harmonie polychrome : Deux ou trois couleurs assez éloignées et dispersées sur l’ensemble de la toile. Mais au moins l’une des couleurs doit s’éloigner de la couleur primaire. Le rouge par exemple peut être plutôt un rouge-gris, ou un rosé, ou un rouge orangé. On choisit au départ, pour l’ensemble de la toile, une couleur de base. Puis on amène progressivement des contrastes ou des dégradés subtils. Et on peut refaire la démarche pour chaque élément du sujet, compte tenu des intentions recherchées.

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Pour choisir des variations et des harmonies de couleurs, je pars d’un nuancier, ici réalisé en aquarelle.

On peut trouver des harmonies très variées et très réjouissantes, avec l’association de deux couleurs et d’un peu d’eau. Je suis parti pour ce nuancier de 3 couleurs primaires et de 3 couleurs secondaires (en ligne) que j’ai mélangées à une palette personnelle de 9 couleurs plutôt douces (en colonne). Les effets sont d’autant plus beaux que les couleurs ne sont pas uniformément mélangées. Deux couleurs véhiculées par le cheminement de l’eau suffisent pour créer des harmonies complexes et étonnantes. A l’huile on peut obtenir des effets intéressants et inattendus en répartissant sur la toile, au couteau et d’un seul geste, 2 couleurs sorties directement du tube et non mélangées.

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Pour rendre ces notions de recherche d’harmonies encore plus concrètes, prenons pour exemple un tableau d’un des maîtres de la couleur, « Quatorze tournesols dans un vase » de Vincent Van Gogh. L’ensemble apparaît nettement jaune. Mais pas de jaune citron pur. Des jaunes réchauffés jusqu’à des rouges rompus, de type rouge de Venise. Le fond est traité en jaune clair assez froid et neutre pour faire ressortir les tournesols, juxtapositions d’ocres, d’oranges et de bruns rouges. Les tournesols sont aussi cernés par des traits de noirs bleutés et de petites taches de verts estompés. Même non visibles directement les deux autres couleurs primaires, rouge et bleu sont bien présentes. Le parti pris de centrer le sujet sur la toile et de jouer presque exclusivement sur une harmonie de différents jaunes, insuffle au tableau sa force chromatique, explosion de lumière qui fixe le regard et l’empêche de se détourner. Chaque fleur de tournesol raconte une histoire singulière. C’est par l’observation prolongée des détails qu’on peut suivre la richesse et la diversité des harmonies de proximité. C’est ce qui fait l’œuvre d’art. Ici pour donner l’unité du sujet et la force de l’ensemble, chaque fleur est peinte dans une même harmonie générale. Ce qui amène aux questions de composition. J’y reviendrai plus tard. Notons que les contrastes en valeur sont vifs, fleurs colorées sur fond pâle et en bas vase clair sur plateau foncé. En clignant des yeux on peut, sans prendre conscience du sujet, cheminer de taches en taches, toutes foncées sur fond clair.

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Paul Klee. Une merveille d’harmonie de couleurs claires et vives dans la gamme des verts est offerte par l’aquarelle de Paul Klee : «Dans le style de Bach». Qui a dit qu’il était difficile de concevoir et d’exécuter une aquarelle abstraite ?

J’avais dit le vert appelle le rose. C’est la tonalité d’ambiance choisie par Klee. Sérénité immobile, sans vagues, mais fraîche et bienveillante. Le mouvement est apporté par des traits noirs distribués horizontalement comme des notes sonores percutantes, vives, rehaussées par des oranges, des carmins et des bleus rois. Ces couleurs d’enrichissement de l’harmonie verte générale sont distribuées sur la toile, dans un mouvement d’ensemble, mais aussi chacune en concordance avec les couleurs placées à proximité. Proximité de bleus avec des verts. Proximité d’oranges avec des rouges. Encore faut-il que ces couleurs d’appoint soient éparpillées de telle sorte qu'elles ne se détruisent pas les unes des autres, mais racontent à chaque fois un bout de l’histoire du tableau. La couleur, certes, mais également le rythme. Comme dans une partition musicale. C’est par conviction profonde que Klee fait référence à Bach. Il tente une correspondance entre la musique et son œuvre picturale. Lui-même musicien, Klee peint, mais après avoir analysé en profondeur les méthodes, les procédés d’écriture de Bach ou de Mozart. Il tente ainsi une traduction graphique de la musique. Dans les cours qu’il donne au Bauhaus, il parle de contrepoint, de fugue ou de syncope. Non pour retranscrire directement la partition, mais pour appliquer les richesses de la musique à un autre moyen d’expression. Pour aboutir in fine à une harmonie d’ambiance faite de sérénité et qui soit enrichie de développements complexes et inattendus. Parlant d’harmonie, s’agit-il de la même harmonie qui caractérise une œuvre musicale ? Peut-on aller jusqu’à transcrire sur la toile une partition musicale ? La question est : y a-t-il une harmonie, une écriture commune à tous les arts ? En particulier à la peinture et à la musique ? Pierre Boulez y répond sans ambiguïté : « Le langage de la vue diffère de celui de l’oreille, les principes acoustiques ne sont pas du tout les mêmes que ceux de la couleur. Toutes les comparaisons qui ont été tentées sont confuses, tirées par les cheveux, ou réduites à d’inconsistantes équations. Ce n’est pas parce qu’il y a des fréquences auditives et des fréquences visuelles que les lois suivies sont les mêmes. Il est un moment où l’incarnation fait que le son, le timbre est différent de la couleur. »

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Mais il ajoute, en mettant en avant une concordance de structure : « Le principe qu’il nous faut retenir des exemples que nous donne Klee, c’est qu’il existe une ligne principale et des lignes secondaires, qu’il faut comprendre comment ces lignes secondaires s’organisent géométriquement par rapport à la ligne principale. » Le peintre peut organiser ses couleurs comme le musicien organise les sons, par variation d’intensité ou d’accord. Recherche d’harmonie de couleurs et composition musicale suivent ainsi des voies parallèles, sinon identiques. Messiaen disait entendre les accords et les tonalités comme des couleurs précises, et que de la sorte des rapports d'intervalles se traduisaient pour lui en une sensation qualitative globale correspondant à une couleur. Son écriture musicale débouche pour lui sur un univers coloré. Mais il reconnaît lui-même : « J’ai beau mettre des couleurs dans ma musique, dans les harmonies, dans mes complexes de sons et dans mon orchestration, les auditeurs entendent mais ils ne voient rien. » Je pense plutôt que le lien est à rechercher du côté de l’émotion. Les harmonies musicales déclenchent en lui la même émotion que celle qu’il ressent devant des harmonies de couleur. Il ajoute : Je suis atteint d’une sorte de synesthésie qui se trouve davantage dans mon intellect que dans mon corps et me permet, lorsque j’entends de la musique, et aussi lorsque je la lis, de voir intérieurement, par l’œil de l’esprit, des couleurs qui bougent avec la musique ; et ces couleurs, je les sens d’une manière excessivement vive et j’ai même indiqué sur mes partitions ces correspondances avec précision. Il faudrait évidemment prouver scientifiquement ce rapport, mais je n’en suis pas capable. »

Personnellement c’est vers Mahler que je rechercherais des correspondances entre couleur et sonorité des instruments. Plus d’ailleurs des couleurs orchestrales obtenues par juxtaposition d’instruments aux timbres variés que par des jeux d’accords simples. Je pense également aux couleurs chaudes de Haendel, éclats de rouges, entourés d’une gamme du cercle chromatique, partant du jaune jusqu’au violet. Mes propres couleurs privilégiés dans les tons froids sont plus difficiles à cerner, mais je les reconnais chez des compositeurs tels que Liszt, Debussy, Josquin des Prés ou Monteverdi. En peinture on occupe l’espace, en musique on prend appui sur le temps. La musique pénètre immédiatement au plus profond du cerveau et l’enchante. Durablement. La couleur réjouit et apaise le regard, mais en superficie et puis s’en va. C’est accompagnée par d’autres impressions, d’autres visions de forme ou de composition que la couleur pourra se frayer un chemin plus durable. L’émotion suscitée ne persistera que si l’intellect, si des réminiscences interviennent. Je reconnais cette lumière sur l’eau. Je retrouve cette harmonie qui me plait. Je décrypte le message du peintre. La couleur ou plutôt les harmonies de couleur entrent alors en résonance avec la pensée, l’âme diraient certains. La musique classique n’est pas accessible d’emblée. C’est par l’éducation, par la réécoute attentionnée, que l’on parvient à pénétrer dans l’univers si particulier de la musique classique, à entrer en phase avec la mélodie de chacune des œuvres musicales universellement reconnues. Il en va de même avec la peinture. La fréquentation assidue des musées, ou la contemplation d’ouvrages d’art, permet de s’initier progressivement à chacun des types de peinture, à suivre les choix opérés par les artistes pour chacune des époques, pour chacune des cultures et à véritablement apprécier les harmonies douces de couleurs.

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Si je considère mes propres toiles, je retrouve un bon exemple d’harmonie autour de bleus, verts et jaunes, avec « Demeure sur le Loing à Moret » huile peinte en 2009 et corrigée en 2015.

Maison sur le Loing à Moret fig 2.13 Huile sur toile – 2009 (repris en 2015)

La lumière est ici présente partout. Aucun lieu d’éclat. Il n’y a pas de cheminement, comme si la route était achevée. C’est un havre de paix. Verts et bleus se mélangent en harmonie générale contemplative, immobilité spirituelle de l’esprit apaisé. L’eau est stagnante, claire, transparente, mais aussi sombre et inquiétante. On plonge dans la source de la vie. La tonalité générale est plutôt froide. Les rouges bruns soulignent les habitats, les lieux de protection. Ce sont les couleurs sombres, presque noires qui délimitent et donnent du corps à la scène, soulignent la séparation entre l’eau et la terre ferme. Rupture entre la maison principale, lieu de recueillement directement sur l’eau du Loing, et les maisons de ville plus loin. Je choisis cette peinture comme exemple, pour moi réussi, d’harmonie personnelle de couleurs.

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Formes et couleurs rassemblées

Pétales de couleurs Pastel – 2014

Ici un dialogue entre la forme et la couleur. La forme prime. Les formes pointues donnent de l’élan, de la vigueur. Le rythme soutenu à partir de formes variées est comme une expansion partant du centre qui contient en germe les quatre couleurs du pastel, jaune citron, jaune ocre vert, orange et rouge orangé. L’agressivité du trait est réduite par l’harmonie générale, comme un impromptu de piano. Le blanc et le jaune vif citron apportent la lumière en fort contraste sur le fond noir. La couleur est utilisée non pour son pouvoir émotionnel mais pour son pouvoir vibratoire. Différentes nuances sur les pétales entre le jaune et le rouge réparties par larges traits. Le travail a été obtenu par une succession de jets, plus ou moins appuyés et sans retouches, avec la tranche du bâtonnet de pastel, en couleurs pures. L’impression générale est douce et légère, danse de pétales et d’oiseaux qui vibrent dans la lumière surgie du néant. Le tout est bien cohérent, bien assis sur ses bases. Il y a beaucoup d’équilibre, de force et de vie dans cette entité en marche.