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MAGAZINE N°157 AVRIL 2013 www.poly.fr Made in France Baccarat & Bleu de Chauffe Musée vodou Visite envoûtée avant ouverture Marc-Antoine Mathieu 3 secondes de BD Les Festivals Frontières, Pisteurs d’étoiles, Impetus, FACTO, Les Européennes & Les Éphémères un printemps explosif

POLY n°157 – Avril 2013

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Le magazine Culture et Société de référence en Alsace et dans le Grand-Est.

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Marc-Antoine Mathieu3 secondes de BD

Les Festivals Frontières, Pisteurs d’étoiles,Impetus, FACTO, Les Européennes& Les Éphémères

un printemps explosif

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Vendredi 26 aVrilPMC Salle ÉraSMe - 20h30

ari Rasilainen direction Kari KRiiKKu clarinette

SallinenPalatsin Porteilla op. 68a (aux portes du palais)

lindbergConcerto pour clarinette et orchestre

SibeliuSSymphonie n° 2 en ré majeur op. 43

OrchestrePHILHARMONIQUE DE STRASBOURGORCHESTRE NATIONAL

SAISON 2012>2013Renseignements : 03 69 06 37 06 / www.philharmonique.strasbourg.euBilletterie : caisse OPS entrée Schweitzer du lundi au vendredi de 10h à 18h Boutique Culture, 10 place de la cathédrale du mardi au samedi de 12h à 19h

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Vendredi 26 aVrilPMC Salle ÉraSMe - 20h30

ari Rasilainen direction Kari KRiiKKu clarinette

SallinenPalatsin Porteilla op. 68a (aux portes du palais)

lindbergConcerto pour clarinette et orchestre

SibeliuSSymphonie n° 2 en ré majeur op. 43

OrchestrePHILHARMONIQUE DE STRASBOURGORCHESTRE NATIONAL

SAISON 2012>2013Renseignements : 03 69 06 37 06 / www.philharmonique.strasbourg.euBilletterie : caisse OPS entrée Schweitzer du lundi au vendredi de 10h à 18h Boutique Culture, 10 place de la cathédrale du mardi au samedi de 12h à 19h

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SPRING BREAK Pour la troisième année, Colmar fête le Printemps (jusqu’au 14 avril) : afin de célébrer l’arrivée des beaux jours, la ville se met en quatre, organisant notamment des marchés de saison (places des Dominicains et de l’Ancienne Douane), des expositions / vente (avec Déclinaisons patchwork, du 10 au 14 avril, au Koïfhus), des visites guidées ou encore des animations par dizaines. Également au programme, neuf programmes de jazz manouche dont, en clôture, Di Mauro swing (dimanche 14 à 17h, Salle des Catheri-nettes), six compères qui décoiffent. Pour ce concert final, C’est l’exit assuré du coup de spleen dominical et l’ouverture définitive du cœur au swing printanier. N’oublions pas les quatre concerts de musique classique avec notamment Les Cordes de France (di-manche 7 avril, à 17h, en l’Église Saint-Matthieu) dans un excitant programme intégralement consacré à Haendel.www.printemps-colmar.com

HIGELIN PUISSANCE 3Aucune excuse ne sera acceptée pour manquer le live événement de la nouvelle tournée de Jacques Higelin, puisqu’il nous propose trois dates dans le Grand Est : à L’Illiade d’Illkirch-Graffenstaden (11 avril), à l’Espace Georges Sadoul de Saint-Dié-des-Vosges (12 avril) et au Théâtre musical de Besançon (27 avril). Entre émotion et énergie, une soirée indispensable ! www.jacqueshigelin.fr

JE SUIS UNE LÉGENDELa galerie d’art My Monkey accueille, du 11 avril au 31 mai, le travail d’étudiants de l’École des Beaux-Arts de Nancy, sous le tutorat du designer graphique Pierre Vanni. L’exposition Cf. légendes restitue leur réflexion autour de la notion de “légende” (ac-compagnant une image) quant à dix lieux nancéiens plus ou moins emblématiques. www.mymonkey.fr

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FASCI-NANTES TESSELLES

GÉNÉREUXPlacés sous la direction de Vahan Mardi-rossian, les musiciens de L’Ensemble Amalgammes - La Philharmonie de Poche proposent, avec la complicité du pianiste Igor Tchetuev (photo), la neuvième édition de leur concert de bien-faisance, donné au profit des enfants défa-vorisés de France et d’Arménie (samedi 6 avril, à la Cité de la musique et de la danse de Strasbourg). Au programme, des pages de Mozart, Dvořák et Elgar. www.ensemble-amalgammes.com

SPIRITE OR NOT SPIRITE ?Pionnière de l’art numérique, l’artiste anglaise Suzanne Treister propose une histoire hallucinée des technologies de l’information à l’Espace multimédia gantner de Bourogne. Jusqu’au 31 août, Grimoire du Futur regroupe des dia-grammes alchimiques (reliant le secteur militaire, l’évolution du web 2.0, les agences de renseignement et l’industrie cinématographique) ou un tarot divina-toire où se croisent utopies et person-nalités comme Timothy Leary (partisan du LSD à usage thérapeutique), Hannah Arendt ou encore H.P. Lovecraft !www.suzannetreister.netwww.espacemultimediagantner.cg90.net

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HANSIFAIT SON MARCHÉ

En accueillant le mosaïste Gérard Brand, le Musée de la Faïence de Sarreguemines propose la découverte d’étranges joujoux et d’un fasci-nant bestiaire où se mêlent les matières (cuir, métal, tissu, verre…). L’exposition L’Enfance de l’art (jusqu’au 2 juin) porte décidément bien son nom. Derrière une apparente naïveté du sujet, il faut déceler la recherche et la maî-trise de la mosaïque en volumes et en vides qui n’appartient qu’à l’artiste venu d’Obernai. www.sarreguemines-museum.com

Passionné par l’œuvre de Hansi dont il a acquis les droits, Steve Risch lance un groupement d’une trentaine d’entreprises alsaciennes et crée une marque met-tant à l’honneur les produits locaux (café, pâtes, biscuits…) : Le Marché de l’Oncle Hansi. La gamme, dont le packaging reprend les images un brin naïves de l’artiste, est à découvrir au rez-de-chaussée du musée Hansi de Riquewihr et dans les boutiques spécialisées. Bientôt dans les grandes surfaces…www.hansi.fr

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VOIXL’ALMC (Association lorraine de musique de chambre) a invité une des plus belles forma-tions vocales de la scène internationale, le Chœur de Chambre Accentus de Lau-rence Equilbey (vendredi 12 avril, à la Salle Poirel de Nancy). Le programme ? Un best of d’un ensemble qui a fêté son vingtième anniversaire en 2012 avec quelques-unes des œuvres qui ont jalonné son histoire comme l’Agnus Dei de Barber et la Messe en sol de Poulenc, mais aussi des pièces de Brahms, Rachmaninoff, Ligeti…www.poirel.nancy.fr – www.almc.com.fr

JEUX D’ENFANTSPhilippe Dorin est un des auteurs jeune public les plus prisés. Abeilles, habillez-moi de vous !, à voir au théâtre de La Coupole de Saint-Louis, mercredi 10 avril (dès 7 ans) raconte les jeux d’enfants d’un garçon et d’une fille. Un cache-cache où l’on s’imagine en chevalier ou en princesse prisonnière dans un donjon. Cet univers enfantin est l’écrin permettant d’aborder, de manière sensible et poétique, le rapport au corps, à la solitude et l’amour.www.lacoupole.fr

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L’ASSIETTE AU

BLURLa vingt-cinquième édition des Eurockéennes (du 4 au 7 juillet) ? C’est quatre jours – et non plus trois ! – de musique pour jeunes (Asaf Avidan) ou moins jeunes (Smashing Pumpkins, Blur), d’electro hyper débridée (Major Lazer) et de rock sombre (Black Angels), de psyché-délisme multicolore (Tame Impala) ou de pop noisesque monolithique (My Bloody Valentine). La presqu’île du Malsaucy en tremble d’avance… surtout qu’il ne s’agit là que des premiers noms ! www.eurockeennes.fr

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Electropop romantique (Yan Wagner, en photo, retrouvez une chronique sur www.poly.fr), chanson française (Olivia Ruiz, Benjamin Biolay), rock torturé (Archive, Shannon Wright) ou techno furieuse (Vitalic, Boys Noize) : le stras-bourgeois Festival des Artefacts (du 10 au 28 avril, au Zénith, à La Laiterie et à La Salle des fêtes de Schilti-gheim) mêle découvertes pointues, valeurs sûres et succès du moment. À voir aussi, Lescop, Lou Doillon (voir Poly n°156), Woodkid ou Aline qui prouvent la bonne santé des musiques actuelles hexagonales. www.festival.artefacts.org

TOMBÉS POUR LA FRANCE

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LA LEÇON

DE PIANOAvec son projet Solo Piano I et II, le trublion hip-hop-electro-cabaret- n’importe Chilly Gonzales se convertit en pianiste (presque) sérieux. Les prestations du maestro, même s’il joue Satie, Debussy, Ravel ou Fauré, de-meurent éminemment spectaculaires. On ne change pas un entertainist comme ça… nous le verrons samedi 27 avril, à Salle des Fêtes de Schiltigheim. Séance de rattrapage le 8 juillet dans le cadre du festival Jazzopen à Stuttgart. www.ville-schiltigheim.fr – www.jazzopen.com

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DANCER IN THE DARKLongue cape noire sur le dos plutôt que futal pattes d’eph’ pail-leté sur les guiboles. Coupe afro ? Non, lourde mèche tombant dans l’œil gauche. Chant haut perché ? Incantations et mantras vocaux ! Le trio finlandais K-X-P (en concert vendredi 12 avril, aux Trinitaires de Metz et, samedi 13, au Troc’afé strasbourgeois) invente le disco glauque, mêlant boules à facettes et têtes de mort, orgues gothiques et beats qui claquent, dark wave d’outre-tombe et sonorités club hypnotiques. K-X-P : numéro 1 sur tous les dance-floors des centrales nucléaires… www.lestrinitaires.com – www.facebook.com/panimix

SISTER HEROINAvec Poppy - Trails of Afghan Heroin, Robert Knoth et Antoinette de Jong retracent, de sa production en Afghanistan à sa distribution à Londres, le parcours de l’héroïne à travers douze pays. Mêlant photographies, images en mouvement, textes et voix-off, les deux artistes hollandais montrent, dans cette installation multimédia visible jusqu’au 2 juin, au Mudam (Luxembourg), les dégâts de la globalisation : conflits, crimes, maladies et exploitation de la pauvreté.www.mudam.lu

Robert Knoth & Antoinette de Jong, Poppy - Trails of Afghan Heroin, 2012. Vue de l’installation au Fotomuseum de Rotterdam

TOTEMSMaïmouna Guerresi, plasticienne italienne convertie à l’Islam suite à de nombreux voyages en Afrique, expose The Mystic Black Body à Sti-multania (Strasbourg, du 11 avril au 16 juin). Les icônes soufies et autres madones figées, habillées de man-teaux et coiffées de “chapeaux mina-rets”, posant sur des fonds peints, composent une étrange galerie de portraits, entre autorités sacrées et sculptures vivantes. www.stimultania.org

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MUDAM LUXEMBOURG23/03/2013 – 08/09/2013

L’IMAGE PAPILLONMATHIEU KLEYEBE ABONNENC, DOVE ALLOUCHE, LONNIE VAN BRUMMELEN & SIEBREN DE HAAN, MOYRA DAVEY, TACITA DEAN, JASON DODGE, FELIX GONZALEZ-TORRES, IAN KIAER, JOCHEN LEMPERT, ZOE LEONARD, HELEN MIRRA, DOMINIQUE PETITGAND, JOHN STEZAKER, DANH VO, TRIS VONNA-MICHELL

Moyra Davey, L’Image fantôme, 2012 (detail), Courtesy the artist and Murray Guy, New York © Photo: Rémi Villaggi

[email protected]

Mudam Luxembourg Musée d’Art Moderne Grand-Duc Jean

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MUDAM LUXEMBOURG23/03/2013 – 08/09/2013

L’IMAGE PAPILLONMATHIEU KLEYEBE ABONNENC, DOVE ALLOUCHE, LONNIE VAN BRUMMELEN & SIEBREN DE HAAN, MOYRA DAVEY, TACITA DEAN, JASON DODGE, FELIX GONZALEZ-TORRES, IAN KIAER, JOCHEN LEMPERT, ZOE LEONARD, HELEN MIRRA, DOMINIQUE PETITGAND, JOHN STEZAKER, DANH VO, TRIS VONNA-MICHELL

Moyra Davey, L’Image fantôme, 2012 (detail), Courtesy the artist and Murray Guy, New York © Photo: Rémi Villaggi

[email protected]

Mudam Luxembourg Musée d’Art Moderne Grand-Duc Jean

AFRIKABAMBAATAADes objets cérémoniaux de Côte d’Ivoire, du Mali ou du Nigeria. Des statues ou des masques du peuple dogon. Des fétiches protecteurs ou des maternités. Les 500 pièces présentées dans l’expo vente d’art primitif africain organi-sée les 6 et 7 avril (10h-19h), à la Salle des fêtes de Lochwiller (près de Mar-moutier), datant de 1950 à nos jours, sont issues de la collection de Mathieu Barth. Des joyaux rituels à contempler (entrée gratuite)… et à acquérir.06 81 59 50 00

LE SENSDE LAVIE Oxmo Puccino (en concert vendredi 5 avril au Moloco de Montbéliard) a une place à part dans le rap français, faisant le cross-over entre hip-hop, chanson et jazz. Récemment “victo-risé” (Victoire du meilleur album de musiques urbaines), il est aujourd’hui un Artiste confirmé qui peint des chansons à la décibel et parle de pa-ternité ou de train-train quotidien… www.lemoloco.com

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LA DOUBLE VIE DE VERONICA Un petit quelque chose des girl groups US sixties (Ronettes et com-pagnie), une pointe de Pixies (frappant sur leur titre Right Side Of My Brain), un soupçon de Jesus and Mary Chain pour le côté noisy… Le quatuor anglais Veronica Falls livre sa version de la pop au Noumatrouff de Mulhouse (vendredi 26 avril) : dense et céleste, rose et noire. Directe, limpide et familière, belle comme une bourrasque venant agiter un ciel azur. www.noumatrouff.fr

ARCHÉOLOGIE URBAINELe peintre strasbourgeois Mathieu Wernert dévoile ses dernières toiles, comme délavées et abîmées, dans la vaste Salle Blanche de la librairie Kléber, jusqu’au 31 avril. Ses œuvres de grand format, avec leurs successives couches grattées, sont comme autant de segments de murs, avec affiches et graffitis, arrachés de centres urbains. www.librairie-kleber.com www.mathieuwernert.blogspot.com

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SOMMAIRE

COUVERTUREPrésentée dans le cadre de l’exposition du Museum Tinguely intitulée Sodeli, d’Kutt-lebutzer (voir page 37), cette photo d’Helen Sager a été prise au cours du carnaval de Bâle, en 1974, année où Jean Tinguely rejoignait la clique des Kuttlebutzer, la plus frondeuse de toutes, ici montrée en pleine action. Pleine de vie, de mystère et d’explosivité, elle symbo-lise pour nous un printemps plein de culture, d’envies, de sève… « Boum / Le monde entier fait Boum / Tout l’univers fait Boum / Parc’que mon cœur fait Boum Boum / Boum » chantait Charles Trenet. Et c’est exactement de cela dont il s’agit…

www.tinguely.ch

20 Le cristal Baccarat & les sacs Bleu de Chauffe : la bonne santé du made in France en deux exemples

26 Visite du futur Musée Vodou avant ouverture, à Strasbourg

30 Ganesh versus the Third Reich, leçon de vie au Maillon

32 Rencontre burlesque avec l’effeuilleuse Champagne Mademoiselle ?

34 Double actualité pour la compagnie Mémoires Vives avec la création de Parmi n(v)ous et Kerakoum

38 Grundfrage (Question fondamentale) : exposition en forme de lendemain de cuite au Crac

42 Compositeur et pianiste, Thierry Pécou est en résidence à Metz

44 L’amour de haute voltige par le Cirque Aïtal

46 Plongée dans un festival bicéphale : Les Européennes à Montbéliard et Y a de l’Europe dans l’Aire à Belfort

50 Paysages étincelants de Ferdinand Hodler à la Fondation Beyeler

56 Marc-Antoine Mathieu explore les limites de la bande dessinée

58 La Filature nous invite dans La Cabane Thoreau et à visiter l’histoire parallèle des USA avec Tout va bien en Amérique de David Lescot

78 Dessinée par Kengo Kuma, La Cité des Arts de Besançon réunit sous un même toit le Frac et le Conservatoire

80 Les élèves de LISAA et Libre Objet révèlent la Poésie du quotidien

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OURS / ILS FONT POLY

Dorothée LachmannNée dans le Val de Villé cher à Roger Siffer, mulhou-sienne d’adoption, elle écrit pour le plaisir des traits d’union et des points de suspension. Et puis aussi pour le frisson du rideau qui se lève, ensuite, quand s’éteint la lumière. [email protected]

Emmanuel DosdaIl forge les mots, mixe les notes. Chic et choc, jamais toc. À Poly depuis une dizaine d’années, son domaine de prédilection est au croisement du krautrock et des rayures de [email protected]

Thomas FlagelThéâtre moldave, danse expérimentale, graffeurs sauvages, auteurs algériens… Sa curiosité ne connaît pas de limites. Il nous fait partager ses découvertes depuis quatre ans dans [email protected]

Stéphane LouisSon regard sur les choses est un de celui qui nous touche le plus et les images de celui qui s’est déjà vu consacrer un livre monographique (chez Arthénon) nous entraînent dans un étrange ailleurs.www.stephanelouis.com

Eugène Riousse L’ancien élève de l’Ésad à Strasbourg, cofon-dateur, avec Baptiste Filippi et Alice Saey, de la revue Vignette où il publie ses bandes dessinées, développe un travail graphique largement influencé par la gravure. www.eugeneriousse.com

Éric MeyerRonchon et bon vivant. À son univers poétique d’objets en tôle amoureusement façonnés (chaussures, avions…) s’ajoute un autre, description acerbe et enlevée de notre monde contemporain, mis en lumière par la gravure.http://ericaerodyne.blogspot.com/

Benoît LinderCet habitué des scènes de théâtre et des plateaux de cinéma poursuit un travail d’auteur qui oscille entre temps suspendus et grands nulles parts modernes.www.benoit-linder-photographe.com

www.poly.fr

RÉDACTION / [email protected] – 03 90 22 93 49

Responsable de la rédaction : Hervé Lévy / [email protected]

RédacteursEmmanuel Dosda / [email protected] Flagel / [email protected]ée Lachmann / [email protected]

Ont participé à ce numéroGeoffroy Krempp, Pierre Reichert, Irina Schrag, Daniel Vogel et Raphaël Zimmermann

GraphisteAnaïs Guillon / [email protected]

MaquetteBlãs Alonso-Garcia en partenariat avec l'équipe de Poly

© Poly 2013. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. Tous droits de reproduction réservés. Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs.

ADMINISTRATION / PubLICITÉDirecteur de la publication : Julien Schick / [email protected]

Administration, gestion, diffusion, abonnements : 03 90 22 93 38Gwenaëlle Lecointe / [email protected]

Publicité : 03 90 22 93 36Julien Schick / [email protected]çoise Kayser / [email protected] Hemmendinger / [email protected] Vincent Nebois / [email protected]

Magazine mensuel édité par BKN / 03 90 22 93 30S.à.R.L. au capital de 100 000 e16 rue Édouard Teutsch – 67000 STRASBOURG

Dépôt légal : Avril 2013SIRET : 402 074 678 000 44 – ISSN 1956-9130Impression : CE

COMMuNICATIONBKN Éditeur / BKN Studio – www.bkn.fr

OursListe des collaborateurs d’un journal, d’une revue (Petit Robert)

L'ours Benjamin

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Une exposition réalisée en partenariat avec le Deutsches Architekturmuseum de Francfort, qui la présentera du 3 octobre 2013 au 12 janvier 2014.

Cette exposition est reconnue d’intérêt national par le ministère de la Culture et de la Communication / Direction générale des patrimoines / Service des musées de France. Elle bénéficie à ce titre d’un soutien financier exceptionnel de l’État.

INTERFÉRENCES INTERFERENZEN ARCHITECTUREALLEMAGNE-FRANCE, 1800-2000

30 MARS - 21 JUILLET 2013 MUSÉE D’ART MODERNE ET CONTEMPORAIN

WWW.MUSEES.STRASBOURG.EU

FONDATION LAURENZ www.schaulager.org

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«Approuvez-vous le projet de création d’une Collectivité Territoriale d’Al-sace, par fusion du Conseil régional

d’Alsace, du Conseil général du Bas-Rhin et du Conseil général du Haut-Rhin ? » Voilà la question à laquelle tous les Alsaciens vont être appelés à répondre lors du référendum du 7 avril. Au fil des réunions, des discours et des rencontres, Philippe Richert1, insti-gateur de cette initiative déjà adoptée par les élus2 évoque une « chance historique », une « démarche unique en France », voire une « responsabilité face aux générations futures ». Les mots claquent au vent, mais au final, quelle est l’essence de cette consulta-tion ? Opération de com’ (puisque, rappelons-le, l’Assemblée nationale et le Sénat auront le dernier mot sur la création de la CTA3) ou réelle opportunité pour la région ?

Les principaux arguments des partisans du oui peuvent être classés en quatre catégories : une efficacité accrue grâce à la simplification du mille-feuilles institutionnel, des économies en espèces sonnantes et trébuchantes, une place renforcée de l’Alsace sur la scène hexa-gonale et européenne et un esprit pionnier qui aura valeur d’exemple pour le reste du pays. Si les deux premiers semblent les plus percu-tants en temps de crise, ils sont également les

plus ardus à défendre : les contours exacts de la potentielle future CTA demeurent en effet indéterminés (avec un risque considérable de voir émerger une usine à gaz géante) et les baisses de coût induites seraient faibles. Rap-pelons de plus que le référendum, à lui seul, sera facturé 1,8 millions d’euros.

Est-ce une raison suffisante pour voter non ou ne pas se rendre aux urnes4 ? Aujourd’hui, le processus est sur les rails. Toute sortie de route aurait des effets dommageables… L’image donnée par un rejet populaire serait désastreuse pour la région et laisserait une profonde empreinte dans les esprits, accen-tuant fractures et blocages. C’est donc en faisant un pari tout pascalien qu’on ira voter oui, le pari que l’union fasse la force (c’est la devise de la Belgique, on ne rigole pas) afin que l’Alsace affermie parle d’une seule voix et se fasse mieux entendre à Paris et Bruxelles. Le pari également que cette CTA préfigure une nouvelle organisation territoriale dans l’Hexagone… En somme, sur le plan symbo-lique (les aspects mathématiques et organi-sationnels sont plus discutables), il y a plus à gagner qu’à perdre dans la victoire du oui. Et c’est essentiellement la force des symboles qui fait la politique.

1+1+1=1 ? Par Hervé LévyIllustration signée Éric Meyer pour Poly

ÉDITO

1 Président du Conseil régional d’Alsace et ancien Ministre chargé des Collectivités territoriales (2010-2012) 2 Résolution du Congrès d’Alsace du 24 novembre 2012 adoptée par les 122 élus des deux Départements et de la Région (108 pour, 5 contre, 9 abstentions).3 Collectivité Territoriale d’Alsace4 Le oui devra représenter, à la fois, 50% des suffrages exprimés et 25% des électeurs inscrits, dans chaque département

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photographies d'ad petersen les mille lieux de l'art

27. 2. – 26. 5. 2013

Martial Raysse pendant les préparations pour l‘exposition « D

ylaby » à l’entrée du Museum

Stedelijk, Am

sterdam, 1962 ©

photo : Ad Petersen, A

msterdam

www.tinguely.chmardi à dimanche 11 – 18 h

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LIVRES – BD – CD – DVD

PANIQUE AU DANCINGPlus qu’une bande dessinée, un bel ouvrage avec couverture à rabats, sérigraphiée et colorée. Pas d’orange pétant ni de bleu nuit à l’intérieur cependant, mais des cases en noir & blanc où l’on reconnaît le coup de crayon et la ligne claire de l’auteure strasbourgeoise du Fil d’Ariane. Le polar d’Ariane Pinel débute par un coup de fil à la gendarmerie d’un bled alsacien. Il ne s’agit que d’un simple tapage nocturne… qui glissera vers Agatha Christie, version terroir : une fois les sosies de Jugnot (période Pinot simple flic, avec la moustache de rigueur) arrivés à la salle des fêtes, lieu du bruyant bal pop, on remarque l’étrange disparition d’un joueur de cornemuse. S’en suit, une convocation en règle de tous les “troubadours” adeptes de musique folklo-rique et une confrontation épique entre deux mondes : les hippies et les képis. (E.D.)

Tapage Nocturne, édité par les Éditions L’Œuf (14 €)http://editionsoeuf.blogspot.fr − http://arianepinel.ultra-book.com

AU FIL DE

L’EAUSuccédant à Valère Novarina au Prix de Littérature francophone Jean Arp décerné dans le cadre des 8e Rencontres européennes de Littérature à Strasbourg, Silvia Baron Supervielle voit de nouveaux poèmes être publiés par les Éditions Arfuyen dans un superbe recueil. Née en 1934 à Buenos Aires, cette cousine du poète franco-uruguayen Jules Supervielle (1884-1960) est ins-tallée en France depuis 1961. Elle nous emporte, en français, Sur le fleuve, ne voulant « pas écrire mais signaler les ombres éthérées du néant », le fil de ses souvenirs et de ses sensations : « J’entends un cri / dans l’encre / qui ne sait pas s’écrire / lorsque la plume / sur la surface sereine / dessine un autre / reflet. » (T.F.)Sur le fleuve, Éditions Arfuyen (14 €)www.arfuyen.frwww.prixeuropeendelitterature.eu

DE BATTREMON CŒUR…

Hermetic Delight ne sera sans doute jamais sélectionné aux Victoires de la musique, mais il s’est déjà fait un nom dans l’under-ground. Résultat ? Des dates qui tombent et des propositions de concert un peu partout autour du monde. Le quintet strasbour-geois se paye même le luxe d’éditer un vinyle (blanc), Heartbeat, qui fait battre les cœurs si vite qu’ils s’emballent vers des destinés pop brute ou shoegaze dense. Le nouveau maxi du groupe mêle voix angé-liques et rock vrombissant dans un tour-billon brumeux. Leurs amis et collègues

mulhousiens de Pauwels vont plus loin dans la maltraitance de la chose rock, empilant les crashs soniques, expérimentations ca-balistiques et envolées stridentes dans la Noosphere. À découvrir sur l’objet / CD non identifié, sérigraphié par Oscar Lumière à la HEAR Mulhouse, et sobrement nommé Pauwels #1. (E.D.)Heartbeat d’Hermetic Delight, vinyle 4 titres (12 €) www.hermeticdelight.com

Pauwels #1 de Pauwels, CD / livret illustré en édition limitée à 271 exemplaires (10 €) – en concert samedi 13 avril à Stimultania (Strasbourg)www.pauwelsmusic.com

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LIVRES – BD – CD – DVD

ARCHÉOBULLESVoilà une bande dessinée jeune public (dès 7 ans) ludique et pédagogique narrant la vie à l’époque gallo-romaine, à Metz (ou plutôt Divodurum), au IIe siècle. Avec un scénario de Kévin Kazek (régisseur des collections au Musée de Metz Métropole) et des dessins de Randy Agostini, l’ouvrage invite à mieux connaître nos ancêtres. L’histoire de L’Anneau de Curmilla est en effet un prétexte pour aborder une période où Rome est à son zénith. On y découvre les thermes, les jeux du cirque, la structure urbaine de la ville et ses principaux monuments… Un dossier pédagogique d’une quinzaine de pages (également conseillé aux adultes) complète cette fiction didactique : ne reste plus qu’à se rendre au musée pour contempler les objets présentés dans les planches. (P.R.)L’anneau de Curmilla est paru au Buveur d’encre (12,90 €)www.lebuveurdencre.fr – http://musee.metzmetropole.fr

ALSALGÉRIESpécialiste de l’histoire de l’immigration, Yves Frey livre une synthèse inédite sur La Guerre d’Algérie en Alsace. Notamment nourri d’archives issues des Renseigne-ments généraux, cet ouvrage est une enquête sur les combattants de l’ombre d’un conflit qui s’étendit sur le territoire métropolitain. Base arrière importante pour le FLN (Front de libération national), l’Alsace, où se sont installés de nombreux Algériens dès les années 1950, fut un reflet des multiples circonvolutions des “évé-nements”: lutte entre le FLN et le MNA (Mouvement national algérien), réactions de l’opinion publique face à l’envoi du contingent, appui de “porteurs de valises” venus d’horizons différents… La Guerre d’Algérie eut une « empreinte durable en Alsace ». C’est elle que l’historien nous invite à examiner, sans jamais chercher « à satisfaire tel ou tel porteur de mémoire, telle ou telle victime ». (H.L.)La Guerre d’Algérie en Alsace est paru à La Nuée Bleue (20 €)www.nueebleue.com

COMPTINESAprès Minou, Ours, Poney et Teckel, l’auteur Olivier Douzou et l’illustratrice lorraine Frédérique Bertrand signent un cin-quième opus pour la collection des Comptines en continu du Rouergue. Dans la lignée d’Un deux trois, nous irons au bois, ils jouent des chiffres et des jeux de mots imagés pour imaginer la vie subaquatique de la truite pêchée par le papa du petit narrateur s’apprêtant à la manger en famille. Avec des traits doux et des couleurs chatoyantes, la Truite est une maîtresse d’école, ses teckels d’élèves portent des uniformes rayés et sont munis de tubas… C’est qu’il s’en passe des choses dans les p’tites têtes de nos bambins ! (T.F.)Truite, Rouergue Éditions, dès 2 ans (10 €)www.lerouergue.com

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Alors que la vénérable maison lorraine fêtera son 250e anniversaire en 2014, Baccarat, symbole du luxe hexagonal, nous a exceptionnellement ouvert ses portes. Visite dans une manufacture qui emploie la plus grande concentration de Meilleurs Ouvriers de France du pays, où sont produits verres, lustres, vases, bijoux, flacons…

l’âge de cristal

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Par Hervé LévyPhotos de Stéphane Louis pour Poly

boutiques à Strasbourg (44 rue des Hallebardes, 03 88 32 32 10), Nancy (2 rue des Domini-cains, 03 83 30 55 11) et bacca-rat (2 rue de des Cristalleries, 03 83 76 60 01)

Taillé sur mesure, Baccarat la Haute Couture du cristal, exposition à découvrir dans la chapelle de la Manufacture de juin à octobre

www.baccarat.fr

1 Il se trouve 11 place des États-Unis. On peut y visiter un musée (ouvert tous les jours sauf dimanche et mardi de 10h à 18h)2 Fonds d’investissement américain www.starwoodcapital.com3 Et non cueillir4 Quantité de cristal en fusion néces-saire à la fabrication d’un produit 5 Du 9 au 14 avril – www.cosmit.it

Si le nouvel écrin de Baccarat se situe au cœur du seizième arrondissement de Paris, dans l’ancien hôtel particulier

de Marie-Laure de Noailles1 revu et corrigé avec panache par Philippe Starck au cours de la dernière décennie, son âme demeure enchâssée dans un petit village de Meurthe-et-Moselle. Des 4 600 habitants, la manu-facture fondée en 1764 emploie aujourd’hui 700 personnes (2 200 en 1900, période la plus faste de l’histoire) sur six hectares de bâtiments industriels. C’est « l’unique site de production » nous explique Christine Henis-sart, responsable du Château et du Musée du cristal situé dans la cité lorraine (fermé depuis décembre 2012, il rouvrira l’année prochaine pour le quart de siècle de la maison) : « Tout y est produit à chaud, façonné à froid, assem-blé et conditionné pour l’expédition ». Pro-priété de Starwood Capital Group2, devenu actionnaire majoritaire en 2005, la cristal-lerie a réalisé un chiffre d’affaires de 158,4 millions d’euros en 2012 (en croissance de 10,6% par rapport à l’exercice précédent). Bannière de la french touch du luxe, Baccarat est aujourd’hui dirigé par l’Autrichien Markus Lampe, un quadra spécialiste de la filière – il œuvra chez Swarovski – qui affirme : « Nous sommes extrêmement fiers de notre marque emblématique et nous avons à cœur de conti-nuer de développer son héritage français et son savoir-faire d’excellence ». La politique générale du groupe tend à illustrer cette asser-tion avec une augmentation de capital de 27,5 millions d’euros (en mai 2012) souscrits par le fonds d’investissement Catterton Partners qui détient aujourd’hui 22% de l’entreprise ou un important investissement de 8,6 millions sur le site lorrain (en septembre).

Chaud / FroidDes maisons d’ouvriers multicolores, une façade qui n’a pas changé depuis la fin du XIXe siècle, ornée du blason de la commune : tout semble calme à Baccarat. Les apparences sont cependant trompeuses… Une fois franchies les portes de la manufacture, nous pénétrons en effet dans l’Atelier à chaud, enveloppés par le vacarme et la chaleur des fours circulaires à gaz portant un mélange de silice, d’oxyde de plomb et de carbonate de potassium à 1450° C. Des hommes vont et viennent, concentrés. Ils commencent par « cueiller3 une ration de cristal au pot », comme l’explique Frédéric Furst, un des 24 MOF (Meilleur Ouvrier de France) employés à la cristallerie (un record) qui tourne 24 heures sur 24, en trois-huit. Le verrier souffle, donne une forme à la paraison4 qui n’en a pas encore. Il faut aller vite – « le cristal met entre 30 secondes et une minute à refroidir » – et avoir des gestes d’une préci-sion extrême. Pour certaines pièces, comme les branches de lustre, deux verriers entrent en action : dans un ballet d’une intense élé-gance, ils vont torsader le cristal en fusion avant de l’insérer dans un moule en bois. À chaque extrémité, le surplus est coupé : jeté dans une caisse, il deviendra avec tous les autres rebuts, le groisil qui trié, nettoyé et broyé sera refondu. À quelques mètres de là, un nouveau four d’une capacité de 14 tonnes est en construction : il entrera en fonction dans quelques semaines afin de répondre à la hausse de la demande. Déposées sur un “gamin mécanique”, les pièces son achemi-nées vers l’arche de recuisson qui permet un refroidissement progressif. Translucides ou colorées (les teintes sont obtenues grâce à l’adjonction de différents oxydes), elles

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passent ensuite sous l’œil impitoyable des vérificateurs. Pour Évelyne Denain, qui observe attentivement un gobelet Mosaïque, il « est impératif d’avoir de bons yeux et beaucoup d’expérience » pour éliminer les malfaçons (lorsque le verrier a mal soufflé donnant un arrondi imparfait, par exemple) ou les malfinesses (le cristal est en cause : impuretés incluses, rayures…) dont certaines pourront être corrigées. Au final, « 20 à 30% des pièces sont envoyées au rebut, plus de 40% pour les produits de couleur, plus ardus à travailler ».

Présent / PasséDans les Ateliers à froid, le produit est fignolé à l’extrême. L’atmosphère est studieuse que ce soit chez les filles de la dorure (où un four est nécessaire pour réchauffer l’or et le fixer sur les pièces) ou le long de la “chaîne” des luminaires (en pleine modernisation afin de faire face à une demande croissante) où il faut 45 heures pour monter / démonter / conditionner de véritables puzzles de cristal vendus entre 50 et 70 000 euros. Partout, on ressent la fierté d’appartenir à une maison qui a su allier une tradition et des savoir-faire vieux de près de 250 ans (« Notre best-seller demeure le verre Harcourt créé en 1841 » explique Christine Henissart) et une mo-dernité affirmée qui se manifeste « dans la collaboration avec des designers. Initiée en 1916 avec Georges Chevalier, elle se prolonge aujourd’hui avec Kenzo Takada, Arik Lévy, Jaime Hayon et bien évidemment Philippe Starck » pour Éric Polo-Grillo, responsable de la boutique Baccarat de Strasbourg. Dans un coin, on aperçoit des formes fascinantes : les prototypes des luminaires imaginés par les frères Campana pour le salon Euroluce

de Milan5. Interdit de photographier, secret défense… Comme eux, nombre de designers plongent dans les vastes archives de Baccarat, revisitant l’histoire de la marque, la mêlant à leur propre univers. La visite s’achève avec la délicatesse du Verre du Tsar à l’atelier de taille qui rassemble huit MOF. Le « cristal est travaillé comme une pierre précieuse » selon un d’entre eux, Domi-nique Malherbe qui a réalisé une carafe en forme de diamant pour le Jubilé de la Reine d’Angleterre (dont le bouchon, seul, nécessita six heures de travail). La taille, c’est « ma-thématique. On trace des repères, puis on attaque le cristal avec des meules différentes et tout se joue en dessous du millimètre… Pour le Verre du Tsar, une vingtaine sont uti-lisées. Nous sommes dans la haute couture. » Ce qui explique aussi son prix : 2 000 € pièce. Chez Baccarat n’existe aucune limite dans les “commandes spéciales” réalisées pour des clients fortunés : un secteur en pleine expan-sion, tout comme le bijou qui représente 50% des produits écoulés sur le marché français. Les mains habiles des ouvriers de la manu-facture n’en ont pas fini de faire rêver dans un univers exempt de toute automatisation. Seul l’atelier de gravure utilise des machines : elles datent de 1865 et ont été mises au point par un ingénieur nommé Kessler qui inventa un dispositif capable de graver douze verres en même temps. Avec leurs roues dentées permettant de dessiner des arabesques, elles sont encore en fonction… C’est aussi cela l’es-prit d’une maison qui a permis que « les jeux optiques du cristal deviennent jeux mentaux et poétiques où tout est relatif et sujet à l’illu-sion, elle-même source d’imaginaire » pour Philippe Starck.

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20 à 30% des pièces sont en-voyées au rebut, plus de 40% pour les produits de couleur

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DU 2 AU 11 MAI 2013HAGUENAU

L’HUMOUR DES NOTES

AU THÉÂTRE LE SOIR… Valeurs sûres et talents inédits+ LA FRAMBOISE FRIVOLE+ LE BARBER SHOP QUARTET+ TRIWAP… et bien d’autres

DANS LA RUE… Spectacles gratuits

et déjantés les après-midiSAMEDI 4, DIMANCHE 5

(BANQUET A PARTIR DE MIDI), JEUDI 9 MAI (ASCENSION)

LE FESTIVAL OFF + L’OPIUM DU PEUPLE + HOPLA GUYS+ SOIRÉE 100 % BELGE

SPECTACLES JEUNE PUBLIC EN SALLE

+ LES WACKIDS AU MILLENIUM LE 8 MAI

+ L’ÉBOURIFFÉ A LA MAC DE BISCHWILLER LE 11 MAI

PROGRAMME COMPLET SUR : WWW.HUMOUR-DES-NOTES.COM

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La marque strasbourgeoise Bleu de chauffe revisite les vieux stan-dards de la maroquinerie en réactualisant les besaces de postier ou de plombier, créant ainsi des incontournables pour les jeunes gens modernes du monde entier. Back to basics.

working class hero

Fasciné par le monde du travail immorta-lisé par Irving Penn, photographe amé-ricain auteur de la série Small trades

sur les “petits métiers” dans les années 1950, Alexandre Rousseau (création) et Thierry Batteux (développement) lancent Bleu de chauffe (BDC), en 2010, depuis leur bureau basé à Strasbourg. Le nom vient des tenues en toile portées par les conducteurs de locomo-tives à vapeur de la fin du XIXe siècle. La griffe hand-made propose une gamme de sacs re-prenant les codes du workwear à l’ancienne, confectionnant « des produits qui font appel au savoir-faire et à l’authenticité », selon Alexandre, ex-designer pour Le Coq sportif ou Lancel. « Nous retravaillons les sacs de métiers d’antan, modernisés par des amé-

nagements intérieurs – où l’on peut glisser des outils contemporains que sont tablettes numériques ou ordinateurs portables – et rendus fonctionnels pour un usage urbain. »

Les sacs et besaces rétro sont fabriquées ex-clusivement en France avec du cuir végétal, c’est-à-dire tanné à partir d’éléments naturels, comme au début du siècle dernier, avec des écorces de châtaignier, de mimosa ou d’aca-cia. Les produits – toile et feutrine venant du Nord de la France, pièces métalliques de la région parisienne et cuir du Sud – sont montés, coupés, façonnés et piqués par des artisans de l’atelier Bleu de chauffe situé dans l’Aveyron, près de Millau, « au pied du viaduc de Norman Foster ». Gage d’authenticité :

Par Emmanuel Dosda

En vente à Strasbourg chez Algorithme, 6 rue Gutenbergwww.algorithmelaloggia.com

Liste des points de vente sur le site de bleu de chauffe

www.bleu-de-chauffe.com

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l’ouvrier date et signe de son prénom l’éti-quette de coton cousue sur les réalisations BDC. « Nous avons régulièrement des mails de gens demandant de féliciter Charlotte, Julien ou Isabelle. Derrière chaque produit, il y a un visage », se réjouit Alexandre Rous-seau.

Le sac “plombier”, première création Bleu de chauffe et ouvrage iconique de la marque, le “postier”, le “coursier”, le “télégramme” ou encore la musette “type armée” en toile stonewashée… la collection, dont les modèles sont disponibles dans plusieurs volumes et couleurs (coloris “non teinté” naturel ou encore “pain brûlé”), s’étoffe. Tout comme les collaborations – avec le concept store FrenchTrotters à Paris (réalisation d’une ligne dans un esprit “baroudeur”), les Cycles Angot (le vélo Antoine) ou les ateliers Heschung à Dettwiller (des sacs oversize…) – qui se mul-tiplient. BDC compte aujourd’hui environ soixante références s’arrachant aux quatre coins du monde, grâce à un réseau de distribu-tion « assez sélectif » partout en Europe, mais aussi en Afrique ou en Asie (les Coréens sont très friands de French touch) et une présence très active sur les blogs et réseaux sociaux.

Le profil du porteur de sac Bleu de chauffe ? Un homme (à 60%) prêt à mettre le prix (350 euros environ) pour un accessoire de qualité. Un urbain de 25 / 45 ans se déplaçant à vélo, écoutant Animal Collective ou Beach House et consommant des légumes bio issus d’une Amap. Bref, un branché soucieux d’écologie et du redressement productif du pays. Car Bleu de chauffe est une affaire qui roule et crée des emplois : « Avec un peu moins de 1 000 pièces la première année, nous en avons produit 5 000 la troisième. L’an pro-chain, nous pensons atteindre la barre des 7 000 ! Nous avons commencé avec un atelier de trois personnes qui en compte une dizaine aujourd’hui. Il travaille dorénavant en exclu-sivité pour nous et forme des artisans. Deux jeunes compagnons ont été embauchés en 2013. »

Injecter des nouveautés chaque saison, en fonction des envies et tendances, tout en conservant ses classiques : la griffe alsacienne met de l’huile de coude et continue à se déve-lopper, ne craignant jamais d’aller au turbin.

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Durant ses safaris dévolus à la chasse, Marc Arbogast, ancien PDG des Brasseries Fischer, se passionna pour l’Art vodou. Ayant compilé des centaines de statuettes et fétiches d’Afrique occidentale, il décide de créer le premier Musée Vodou d’envergure, à Strasbourg. Rencontre avant ouverture, à la rentrée.

Par Thomas FlagelPhotos de Benoît Linder pour Poly

Le Musée Vodou – Le Château d’eau se situera 4 route des Romains à Strasbourg

www.le-chateau-d-eau.com

voodoo child

MUSÉE

Rendez-vous est pris, rue des Charpen-tiers, au fond d’une de ces cours inté-rieures insoupçonnables dont regorge

la capitale alsacienne. Bernard Müller, docteur en Anthropologie et chef de projet du futur Musée Vodou, nous accueille dans deux salles où s’entassent des centaines d’objets, crânes et statues étiquetés et emballés. Depuis ces modestes réserves, des pièces reviennent de prêt du Quai Branly, de la Kunsthalle de Bonn ou sont en partance pour la fondation La Caixa de Madrid. Pour celui qui grandit au Togo de 1974 à 1983 avec ses parents, « ces objets font partie de la vie de tous les jours ». Il ne cache pas sa joie de travailler sur le futur Château d’eau, projet de musée privé mettant en valeur l’incroyable collection constituée au Togo et au Bénin par Marc Arbogast, depuis 1963.

Le Château d’eauEn 2007, cet ancien ingénieur aux brasse-ries Fischer et Adelshoffen, devenu PDG puis directeur de la stratégie et du développement d’Heineken (les entreprises historiques étant tombées dans l’escarcelle du groupe hollan-dais en 1996), acquérait l’ancien Château d’eau de la route des Romains, à Strasbourg. Un édifice de 1878, jouxtant la gare, qui servait de réservoir pour l’alimentation des locomotives à vapeur. Classé aux Monuments historiques avec ses quatre cuves de 200 m3, les négociations avec l’administration dans l’optique de travaux d’aménagements pour en faire un musée traînent. Après moult rebondissements, une seule est conservée

autour d’un escalier central qui dessert les différents niveaux du bâtiment. À l’automne 2012, le chantier d’1,6 millions d’euros, entiè-rement financé par le collectionneur, débute. Il devrait s’achever cet été : 700 m2 exploi-tables répartis du sous-sol (réserves à murs en verre visibles par le public) au troisième étage (œuvres majeures de la collection dans la glo-riette aux vitraux rénovés). L’espace dédié à l’exposition permanente (150 à 200 pièces tournant tous les deux ans) et les reconstitu-tions d’autels, tels qu’ils existent aujourd’hui encore au Togo et au Bénin, occuperont les premier et deuxième étages, le rez-de-chaus-sée servant à l’accueil du public et à des ex-positions de créateurs contemporains. Seule dépense pour la Ville de Strasbourg, le finan-cement d’un escalier extérieur aux normes d’accessibilité qui, pour l’instant, achoppe. Mais « difficile de croire que la question ne se débloquera pas devant la qualité du projet », estime Bernard Müller. « Mis à part le New Orleans Historic Voodoo Museum, centré sur le versant haïtien du culte, et le modeste Soul Of Africa Museum d’Essen, il n’existe pas de musée dédié. Le Château d’eau – Musée vodou sera donc le plus important avec plus de 800 pièces : aux 500 de Marc Arbogast s’ajoute le rachat des 356 du collectionneur Jean-Jacques Mandel. »

Des Ashantis aux FonsCe fonds vodou plonge aux racines même de ce culte religieux et de cette tradition philosophique nés dans l’ancienne côte des esclaves, sur la rive atlantique de l’Afrique.

1 Le vodou viendrait, pour Suzanne Preston Blier, professeure d’Art africain à Harvard, de la langue Fon (Bénin) vodun : “vo” (se reposer) et “dun” (puiser de l’eau) signifiant allégoriquement « la nécessité de rester calme quelles que soient les difficultés auxquelles chacun peut être confronté »2 Sorte de devin jetant les cauris (coquillages) pour y lire le destin

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C’est le royaume du Dahomey, l’actuel Bénin, qui l’a institué au XVIIe siècle, ancrant cette croyance partagée par les Ashantis (Ghana) et les Yorubas (Nigéria) en l’existence d’un lien entre monde visible et invisible, d’une com-munication possible entre vivants et esprits grâce au sacrifice, à la prière et à la possession. Le vodou1 s’est construit sur les bases du Fa, « cet art de lire passé, présent comme futur en décryptant les forces en jeu », explique Gabin Djimassé, chercheur et historien bé-ninois. Longtemps raillés et détruits par les colons et missionnaires européens, les objets de pouvoirs que sont les fétiches et autres gris-gris ont traversé les siècles avec leur an-cêtres divinisés et leur panthéon renvoyant aux forces de la nature (terre, mer et foudre). Contrairement à la spoliation massive opérée dans les Arts premiers, le travail autour de la collection mené avec Nanette Jacomijn Snœp (conservatrice des collections historiques au Musée du Quai Branly) s’effectue en lien étroit avec les prêtres africains. Il a permis de recenser, décrire et comprendre la finalité de chaque objet, mais aussi de les “désactiver” pour le bien-être du musée !

EthnologieCrânes de prêtres bokono2 portant calebasses et cauris incrustées, autels des ancêtres en métal sur des pics, fétiches botchio (protec-teur du village ou d’un lieu) ou djoka desti-nés à se protéger de l’infortune, à conjurer le sort et infléchir les routes du destin, costumes egungun représentant les morts de l’année dans lesquels les couches de tissus accumulés

signalent la généalogie aux initiés, représen-tations des dieux du panthéon comme Mami Wata et sa queue de sirène (dont la collection regorge de versions contemporaines et éton-nantes aux couleurs et formes pop) ou encore statues kélessi particulièrement craintes pour leur capacité à renvoyer le mal vers l’autre… les objets couvrent tout le champ du vodou to-golais et béninois. Des talismans pouvant jeter des sorts aux sculptures collectives protégeant les champs, ressemblant à s’y méprendre à une version assise d’Anubis. Chacun d’entre eux est le fruit de cérémonies et d’activations par les prêtres. Le demandeur lui amène un objet personnel qu’il ajoute à une sculpture réalisée par ses soins ou commandée à un artiste. Un ensemble de rituels “charge” les objets qui reçoivent du sang de poule, de l’alcool et de l’huile de palme. Ces couches sacrificielles, qui peuvent être nombreuses et récurrentes, activent ses pouvoirs. Les accu-mulations humaines (cheveux, ongles, os…) s’ajoutent à des morceaux de métal, trans-perçant cou et sexe ou se terminant, souvent, par deux arcs de cercle recourbés symbolisant la foudre (force et pouvoir). Mais aussi à des chaînes et cadenas marquant le fil des choses à dénouer, les lieux des ensorcellements ou les contrats liant deux personnes. Au milieu de tout cela, nous restons fascinés par une sorte de Janus à deux têtes accolées par la nuque, le double de l’individu dont il convient aussi de s’occuper si l’on ne veut pas que le mort revienne nous hanter.

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Que devient un porteur lorsque sa voltigeuse l’a plaqué ? C’est toute la question qui anime Undermän, spec-tacle viril et loufoque, présenté dans le cadre de Pisteurs d’Etoiles et porté par trois gaillards au cœur tendre venus de Scandinavie.

Par Dorothée LachmannPhoto de Ludwig Duregård

À Obernai, sous le grand cha-piteau du festival Pisteurs d’Etoiles, vendredi 3 et samedi 4 mai

03 88 95 68 19www.pisteursdetoiles.com

des mecs, des vrais

CIRQUE CONTEMPORAIN

O n peut avoir une allure de bûcheron et le cœur en miettes pour cause de chagrin d’amour. Puisant sa source

dans des histoires vécues, le spectacle de la compagnie Poetry in Motion évoque une réalité cruelle pour les acrobates de main-à-main, parfois partenaires dans la vie comme sur scène. Quand le couple se sépare, le porteur n’a plus personne à porter. De là à ce qu’il s’aperçoive que plus rien ne le porte lui-même… C’est alors que nos trois undermän

(hommes du dessous, en suédois) décident de prendre le taureau par les cornes et de pour-suivre leur travail malgré tout. « Ils sont eux-mêmes et donnent tout ce qui leur reste pour atteindre leur rêve : lâcher prise, s’amuser, se jeter dans l’inconnu et compter sur la vie pour les réceptionner. Tout cela avec dérision et risque de hernie discale », sourit le metteur en scène Olle Strandberg. Un peu balourds et maladroits, certes, mais révélant petit à petit une sensibilité à fleur de peau, les trois mâles mélancoliques prennent d’abord le parti de rire d’eux-mêmes. Privés de leur moitié, les voilà obligés de remplir le vide d’une autre manière. Entre hommes. Avec leurs quatre-vingt-quinze kilos, leurs barbes hirsutes et leurs chemises à carreaux, on comprendra qu’ils choisissent le registre de la sincérité pour séduire le public plutôt que d’opter pour la grâce. De leur force et de leur agilité, ils vont user pour inventer de nouveaux numéros, remplaçant la frêle partenaire de jadis par des kettlebells – poids de musculation ronds – ou se portant les uns les autres avec une inventi-vité débridée. Jouant des clichés pour casser les clichés, ces virils Suédois n’hésitent pas à rire aussi de leur part de féminité assumée. Au final, une belle histoire d’amitié pour soigner les blessures d’un amour envolé.

le cirque en fête !Le festival Pisteurs d’Étoiles installe son chapiteau pour deux semaines, avec une affiche étourdissante. Pour la première fois en Europe, le public découvrira une compagnie de cirque taïwanaise, le Mix Acroba-tic Theater. Avec Pursue our dreams (30 avril et 1er mai), ces artistes virtuoses jouent la carte de la pluridisciplinarité, en mariant acrobaties, jongleries, clowneries, danse et théâtre. La Catalogne sera particulière-ment à l’honneur pour cette 18e édition, le 1er mai, avec la présence de six compagnies dont le Circ Panic, un moment de délicieux frisson avec son ballet en apesanteur renouvelant la technique du mât chinois. Ou encore Atempo Circ, alliant en pleine rue les prouesses circassiennes à la danse et à la musique. Quant à la compagnie Capgirades, basée à Barcelone, elle livrera toute la magie d’un duo féminin de trapézistes.À Obernai, sous chapiteau du 30 avril au 11 mai

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www.web-tv-culture.com24, rue Salomon de Rothschild - 92288 Suresnes - FRANCETél. : +33 (0)1 57 32 87 00 / Fax : +33 (0)1 57 32 87 87Web : www.carrenoir.com

SNCFSNC_11_0000_Logo201116/02/2011

ÉQUIVALENCE QUADRI

DÉGRADÉ CYAN MAGENTA YELLOW

RÉSERVE BLANCHECe fichier est un document d’exécution créé sur Illustrator version CS3.

Horaires d’ouverturevendredi 3 mai : 14 h - 20 h 30

samedi 4 mai : 10 h - 19 hdimanche 5 mai : 10 h - 18 h

Entrée libre

Place de l’Hôtel de Ville

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Avec la première française de Ganesh versus the Third Reich, Le Maillon nous convie à la découverte d’une compagnie australienne pas comme les autres. Le Back to Back Theatre cultive la différence pour renforcer la tolérance.

Par Thomas FlagelPhoto de Jeff Busby

À Strasbourg, au Maillon-Wac-ken, jeudi 4 et vendredi 5 avril (en anglais et allemand, surtitré en français)

03 88 27 61 81www.maillon.eu

Rencontre avec Bruce Gladwin et l’équipe artistique, jeudi 4 avril, à l’issue de la représentation

www.backtobacktheatre.com

la sagesse de l’éléphant

THÉÂTRE

L’ iconographie un brin provocatrice représentant un homme au ventre proéminent affublé d’un masque

d’éléphant (le dieu hindou Ganesh) à côté d’un Hitler chétif nageant dans un costume en laine visiblement trop grand pour lui, ne pouvait qu’attirer l’attention. Le titre même du spectacle sonnait comme un doux écho aux nanars d’Ed Wood ou de séries Z comme Dead snow, Godzilla contre King Kong ou L’Attaque des tomates tueuses ! N’en déplaise à certains, il n’en est rien. La pièce de Bruce Gladwin est une intelligente mise en abîme plongeant aux racines mêmes du Back to Back Theater. Formée en 1987, cette compa-gnie installée dans la petite ville de Geelong, à proximité de Melbourne, est constituée d’une troupe permanente de six comédiens handi-capés et déficients mentaux. C’est leur travail à base d’improvisation qui a donné naissance à Ganesh versus the Third Reich, exploration de la construction d’un spectacle et des ques-tions éthiques et morales qu’il peut soulever chez ses créateurs.

L’histoire débute sur les chapeaux de roues. Ganesh, dieu de la sagesse et de l’intelli-gence reconnaissable à sa tête d’éléphant, est envoyé à travers l’Allemagne nazie, en 1943, à la recherche de la Swastika, antique symbole sanskrit dérobé pour devenir croix gammée. Au temps où les hommes étaient dénués de langage, les symboles (clé du Nil, yin yang, croissant et étoile…) les convain-quirent que la mort n’était pas la fin de tout. Séduits par cette promesse, ils devinrent les

victimes d’une tyrannie de leur propre in-vention. La mission est périlleuse, d’autant que le puissant Shiva, divinité destructrice, menace d’anéantir l’univers si elle échoue. De ce fil rouge – la fiction construite, livrée de manière fragmentaire – découle un spectacle dans le spectacle : celui de cette troupe inha-bituelle confrontée à l’éclosion de problèmes philosophiques liés aux thèmes abordés et aux personnalités de chacun. Peut-on jouer l’horreur nazie ? Se faire violence et dépasser ses blocages pour le collectif (dire je t’aime à un autre homme pour Brian qui interprète Ganesh, prendre une balle dans la tête et s’écrouler avec vraisemblance pour le colérique Scott) ? Plonger dans les horreurs de l’holocauste et jouer des tortionnaires avec des comédiens dont on peut sincère-ment douter qu’ils distinguent avec certi-tude réalité et fiction, comme Mark, tancé par Scott l’accusant d’avoir un cerveau de poisson rouge ?

Sur cette scène au décor inachevé et aux objets (tables, rideaux de plastique et pen-deries) s’accumulant aux quatre coins, les répliques cinglantes et, parfois, absurdes s’accompagnent de petits renoncements et de grandes hésitations, créant des vagues de rires qui, subrepticement, se déplacent vers une prise de conscience des enjeux habilement soulevés. David Woods, le chef de troupe, ne manque ainsi pas l’occasion de prendre l’auditoire à témoin : « Vous êtes venus ici comme au zoo, voir un freak show ? » Et de l’acculer dans ses ultimes re-

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Poly 157 Avril 13 31

tranchements : « Vous êtes des pervers venus voir une troupe de déficients intellectuels ! » Si l’on en doutait, les pistes sont définitive-ment brouillées entre ce qui est joué et ce qui ne l’est pas… D’un coup, les comédiens ne sont plus les seuls à sentir la lourde responsa-bilité du poids de l’histoire, ni à s’interroger sur leur place de conteurs / récepteurs d’un récit qui les dépasse. Les normes actuelles, la considération du handicap et la différence se retrouvent questionnées, malheureuse-ment sans gloriole, en regard des positions défendues par le IIIe Reich. Le spectacle chaotique qui prend forme, menant du face à face entre Ganesh et le terrible docteur Mengele (ange de la mort fasciné par « les dégénérés ») jusqu’à la confrontation finale avec un Hitler chétif à la fin de la guerre affir-mant avoir conçu « une mythologie que les

autres hommes ont suivi », rend toutes les personnes présentes complices de cette créa-tion théâtrale comme de l’embrasement du monde. La fonction de l’artiste se retrouve bien jumelle de celle de l’écrivain qui, pour Jean-Paul Sartre, devait « faire en sorte que nul ne puisse ignorer le monde, et que nul ne s’en puisse dire innocent ».

Quant à la grande humanité de David Woods, agissant en metteur en scène dans la pièce, qui ne cesse de ménager les uns et les autres, de positiver et de chercher à construire col-lectivement un spectacle basé sur de vraies émotions, elle est mise à nue et poussée jusqu’à son implosion finale, nous laissant face à une question aussi essentielle qu’exis-tentielle : qu’est-ce qu’être humain ?

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Depuis Tournée de Mathieu Amalric, les effeuilleuses sexy aux formes généreuses fleurissent. Rencontre avec Morgan Spengler, coquette coquine dans les atours de son personnage, Champagne Mademoiselle ?, en pleine prépa-ration d’un labo burlesque.

Par Thomas FlagelPhoto de Mylène Furhmann / Hurluberlue

Cabaret Comic’s – La ligue des femmes fatales, à Strasbourg, à La Salamandre, samedi 13 avril

03 90 41 87 27www.lasalamandrestrasbourg.com

Avril ne te découvre pas d’un fil, à Strasbourg, au Kafteur, mardi 30 avril

03 88 22 22 03www.kafteur.com

Magic Mirrors, tous les jours à la Foire aux vins de Colmar, du 9 au 18 août

www.foire-colmar.com

www.champagne mademoiselle.fr

femme fatale

Du rouge à lèvres torride à la coiffe sty-lisée, Morgan Spengler respire le style “pin-up des fifties” jusqu’au bout des

ongles. L’effeuillage, elle est tombée dedans après une soirée burlesque au camionneur, voilà une paire d’années. « C’était simplement fait pour moi, comme une évidence », se sou-vient-elle. « J’avais déjà le goût du teasing1, mais cela multipliait tout d’un coup ses po-tentialités. » Avant d’embrasser la personna-lité et le look de Champagne Mademoiselle ?, Morgan multipliait les tours de chants jazzy. Un pianiste l’avait poussée dedans, polis-sant les facilités naturelles d’une ado de 16 ans loin de cet univers vocal. À l’époque de cette rencontre décisive, Morgan défilait sur les podiums pour sa mère, styliste. Autant d’ingrédients venant nourrir, aujourd’hui, les actes burlesques mêlant chant, jeu et effeuillage qu’elle compose pour les soirées créées avec la troupe des Pin-Up d’Alsace2. Avant de remonter le Magic Mirrors à la Foire aux Vins de Colmar où elle avait déjà

fait sensation l’été dernier avec une robe qui se détricotait entre les mains d’une personne du public pendant qu’elle chantait, notre ef-feuilleuse strasbourgeoise se lance dans un laboratoire au Kafteur. Le théâtre entend ainsi pimenter son 20e anniversaire par un mélange d’humour et de sensualité, relevé d’extrava-gance aux touches coquines. « Entourée de filles que j’aime comme Coco Das Vegas, Cherry Lyly Darling ou encore Peppy Made-line, je vais créer une histoire autour de l’arri-vée d’une troupe internationale déboulant à grands renforts de paillettes et d’accessoires. Au pianiste Michel Ott, de nous accompagner comme il le pourra… » Au menu : histoires d’amour et de jalousie mais aussi transpo-sition sur scène de l’ambiance backstage des loges. La belle, qui agira en meneuse de revue, réserve son lot de surprises, d’éven-tails de tailles surdimensionnées, de costumes brillants de mille facettes car « dans le bur-lesque, on est accro aux paillettes, passant notre temps à en coudre des centaines sur nos costumes ». Tout juste dévoile-t-elle le titre du spectacle donné le 30 avril : Avril ne te découvre pas d’un fil, « parce qu’à minuit, on pourra faire ce qu’il nous plait », glisse-t-elle en bonne “teaseuse”.

1 Art de taquiner, d’aguicher et de créer l’envie par le suspens2 www.pinupdalsace.com

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femme fatale

Christiane :

je ne suis pas coupable, c’est une erreur

nest-theatre.fr+33(0)3 82 82 14 92

CDN de Thionville Lorrainedirection Jean BoillotLe Nord ESt Théâtre, CDN de Thionville-Lorraine,est subventionné par le Ministère de la Culture et de la Communication – DRAC Lorraine, la Ville de Thionville et la Région Lorraine

12 › 14 avril Théâtre en Bois Thionville du Collectif Berlin dans le cadre de CONTREBANDEavec le Festival FRONTIERES

Land’s End

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La compagnie Mémoires Vives a une double actu en avril, présentant Parmi n(v)ous à Pôle Sud et Kerakoum à L’Espace culturel de Venden-heim, dans le cadre du festival Les Éphémères. Rencontre avec des “clandestins” à la langue bien pendue.

clandestino

Yan Gilg et sa compagnie Mémoires Vives, prix Michèle Bur 2013 du Club de la Presse, sont omniprésents

dans le paysage local, enchaînant les projets depuis 2006 – À Nos Morts…, Folies-Colo-nies, Beautiful Djazaïr – traitant essentielle-ment de l’histoire des immigrations, diffusés sur les scènes alsaciennes. Pourtant, ils se considèrent encore comme des laissés pour compte… « En termes de budget, mais aussi dans certains lieux et champs culturels, nous sommes des clandestins », s’indigne Yan, connu pour son franc-parler. « Bien sûr, nous avons pris du grade, mais nous nous considé-rons toujours comme des exclus. La plupart du temps, nous ne sommes pas dans la pro-grammation de saison, mais dans les inters-

tices. » Et Yan Gilg d’évoquer le projet, pour l’instant avorté, d’un lieu dédié aux cultures urbaines qui aurait dû, selon lui, voir le jour dès la fin des années 1990, au moment du début de l’effervescence strasbourgeoise.

Ainsi, Parmi n(v)ous parle de Mémoires Vives et de tous les artistes hip-hop qui se démènent afin de trouver des espaces où s’exprimer. Le spectacle traite aussi (et surtout) des “véri-tables” sans-papiers, des déracinés, s’inspi-rant de textes (Poète, tes papiers d’Emmanuel Flory…) et de témoignages puisés dans des livres ou documentaires relatant différents itinéraires, parfois cruels. « Bien sûr, ça n’est pas le même degré de déchirure et de violence », concède Yan. Parmi n(v)ous,

Par Emmanuel Dosda Photos de Michel Gabriel Duffour

Parmi n(v)ous

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Poly 157 Avril 13 35

SPECTACLES

c’est une mise en abyme, l’histoire de quatre artistes qui rentrent clandestinement dans un théâtre afin de monter une pièce chorégra-phique sur des destins d’exilés, d’invisibles. Des images d’archives sont projetées et des sons diffusés tandis qu’Yvonnette Hoareau, Sébastien Vela Lopez, Marino Vana et Mickaël Stoll entrent dans la danse. Sébastien, choré-graphe, évoque un tableau, le solo d’Yvonnette « sur le témoignage d’une femme expulsée et jetée dans le désert. Sa danse fluide, dans son énergie et son émotion, est en décalage avec les souffrances, les viols, que raconte la voix-off. » Succession de saynètes en mou-vement liées par une trame et racontant des trajectoires, cette création est « impertinente et politique, une satire, un petit cri »… non dénué d’humour et d’autodérision, avec des performances physiques, des corps en tension, du rap, des muscles et même des perruques.

Fenêtres ouvertesEn avril, Mémoires Vives nous convie égale-ment à un « voyage musical » de Strasbourg à Alger via Marseille. Kerakoum (“comment allez-vous ?” en arabe), projet musical construit autour de poèmes de Yacine Kateb ou Mohamed Benhamadouche, raconte « la souffrance coloniale et les rêves d’exil de la jeunesse algérienne », selon Yan Gilg. Mêlant hip-hop et world, flow rap puissant et chant mélodieux, airs d’accordéon ou de mandole algérois, le spectacle croise les genres et les langues, car le hip-hop, qui sample à tout va, « a le monde entier dans ses gènes ». Ce

show mixant les sonorités est présenté (le 26 avril) dans le cadre du festival Les Éphémères, “fenêtres urbaines” grandes ouvertes, durant quelques jours, à Vendenheim. Cette mani-festation, une « proposition très complète », d’après Sébastien Vela Lopez, rassemble des spectacles tels que Recyclables (le 16) de Magic Electro – quatre danseurs font une intrusion dans le monde de l’entreprise – ou encore le concours musical New Soul Contest (le 19) organisé par Les Sons d’la Rue, asso créée par Yan Gilg en 1996. Il était important pour Stéphane Litolff, directeur de l’Espace culturel de Vendenheim qui fête ses dix ans, de rappeler que « les premières créations de Mé-moires Vives ou de Magic Electro ont eu lieu ici. Il y a un lien très étroit entre nous. » Pour lui, cette focale sur ces pratiques montrent qu’elles « s’ouvrent à d’autres esthétiques, aux musiques du monde ou au classique… » Elles ne se cantonnent plus strictement au hip-hop. Prenons l’exemple de Cuerpo (le 23) de la compagnie Mira, rencontre de trois dan-seurs, d’une violoniste (Clémence Schaming) et d’un percussionniste corporel (Cheikh Sall). Pour Sébastien Vela Lopez, directeur artis-tique et chorégraphe de la compagnie (avec Yvonnette), « au-delà des effets sonores des percussions corporelles, c’est la gestuelle de Cheikh dont je voulais m’accaparer pour la déstructurer et l’amener vers quelque chose de visuel. » Il utilise ses mouvements pour l’écriture chorégraphique d’une pièce interro-geant le rapport entre le corps en mouvement et l’espace.

Parmi n(v)ous :

À Strasbourg, à Pôle Sud, du 2 au 4 avril

03 88 39 23 40www.pole-sud.fr(navette depuis Lingolsheim : départ mercredi 3 avril à 19h30 devant la Maison des Artswww.lingolsheim.fr)

À Oberhausbergen, au PréO, mardi 7 mai

03 88 56 90 39www.le-preo.fr

À Reichshoffen, à La Castine, samedi 12 octobre

www.lacastine.com

À Vendenheim, à l’Espace Culturel vendredi 25 octobre

www.vendenheim.fr

www.cie-memoires-vives.org

Festival Les Éphémères :

À Vendenheim, à L’Espace culturel et autres lieux (Média-thèque Tomi ungerer…), du 13 au 26 avril

03 88 59 45 50www.vendenheim.fr

Kerakoum sera également pré-senté samedi 30 novembre, au PréO d’Oberhausbergen, dans le cadre du Festival Strasbourg Méditerranée

www.strasmed.com

Kerakoum

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36 Poly 157 Avril 13

Après la chronique sociale sur l’étiolement de la classe ou-vrière (Sortie d’usine1), Nicolas Bonneau poursuit son art de conteur et de théâtre documen-taire avec Fait(s) divers, à la re-cherche de Jacques B. Un polar noir en forme de road movie qui nous conduit sur les traces d’un tueur en série.

ténèbres, je suis

T out est parti d’un choc. Celui d’en-tendre son propre patronyme dans un documentaire relatant le parcours

d’un serial killer à la télévision. Fascination et dégoût. Attirance pour la face cachée des choses et répulsion devant l’horreur des meurtres commis. Nicolas Bonneau, conteur et comédien, avait les idées chamboulées, mais claires : il allait partir à la recherche de Jacques Bonneau, son double sombre, en une exploration de cette barbarie qui sommeille en chacun de nous. À rebours du temps mé-diatique banalisant les faits divers « qui font diversion » comme l’écrivait Pierre Bourdieu2, le metteur en scène se lance sur les traces de Jacques B, médecin de campagne d’une petite ville de Picardie, qui assassinat sept femmes dans les années 1980. « Il y a eu un soupçon sur ce notable, vite balayé. Personne n’y a cru : ni les enquêteurs, ni la presse, ni la population », explique Jacques Bonneau. « Personne n’a rien vu, ou rien voulu voir. »

Avec sa voiture, le comédien parcourt les routes de campagnes. Découvre les lieux fa-

miliers du tueur : de gares en hôtels, de res-taurants routiers jusqu’au parloir de la prison pour rencontrer le “monstre”, enfermé à per-pétuité. Pour nourrir son théâtre documen-taire, il va au-devant de ses connaissances, de ses parents comme de ceux des victimes, de son avocat mais aussi d’un chroniqueur judiciaire ayant couvert l’affaire… De quoi tendre un miroir sans tain au public, plonger au cœur des ténèbres, là où règnent les pul-sions animales les plus obscures, celles qui font, aussi, de nous des hommes. Très vite s’imposèrent des questions : « Comment les habitants de cette petite ville ont-ils vécu ces meurtres pendant neuf années ? Comment vit-on avec la peur, la rumeur, le fantasme, les soupçons, les doutes, la presse… ? » De son propre aveu, Nicolas Bonneau lui-même se laisse happer par l’enquête et se met à côtoyer son propre monstre, cette part enfouie tout au fond de soi où l’horreur est humaine et nous tutoie, dans un face à face qui, seul, permet de savoir intimement pourquoi la bête sommeille en nous. D’un Bonneau à l’autre, du conte à la cruelle réalité.

THÉÂTRE

Par Irina Schrag

Fait(s) divers, à la recherche de Jacques B, à Strasbourg, au Taps Scala (dès 14 ans), du 3 au 5 avril

03 88 34 10 36www.taps.strasbourg.eu

Ali 74 (sur le combat du siècle entre Foreman et Ali à Kinsha-sa), à Contrexéville, au Casino, mardi 28 mai

03 29 08 01 14www.casinocontrexeville.com

1 Lire Ces gens là, paru dans Poly n°140 ou sur www.poly.fr2 Dans l’excellent petit ouvrage du sociologue Sur la télévision, Éditions Raisons d’agir, 1996

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Poly 157 Avril 13 37

En France, le Carnaval se résume trop souvent à un triste défilé de chars – quand il y en a – et de troupes plus ou moins déguisées se dé-plaçant mollement au milieu d’une pluie de cotillons faméliques… À Bâle, c’est une autre histoire : le Fasnacht mobilise les énergies et électrise les foules. Sur cette photo énig-matique, on découvre la clique des Kuttle-butzer (littéralement “nettoyeurs de tripes”), la plus indisciplinée de toutes, au sein de laquelle Jean Tinguely fut actif une ving-taine d’années. Anticonformistes tendance anarcho-burlesque, ces adeptes de la liberté d’expression ont foutu le feu au carnaval (au sens propre) entre 1957 et 1999, se rebellant contre le comité d’organisation et sa rigidité,

le faisant même sauter (au sens propre, bis) en 1974 – année où cette photo a été prise – à grands renforts de pétards dans une opération nommée Le Grand Boum dont le créateur du Cyclop fut un des grands artificiers. Entre scène surréaliste avec ses personnages portant melons et parapluies (tout droit sortis d’un tableau de Magritte ou d’un film d’Angelopou-los) et références à la festive révolution de pa-cotille que fut mai 68, cette image donne envie d’arpenter le pavé pour, joyeusement, mettre le caillon. Eh Roger (Siffer), si tu cherches l’esprit du Kabaret – oui, oui ça s’écrit avec un k désormais – rhénan, ne vas pas plus loin. Un scintillant éclat est enchâssé au cœur du Carnaval de Bâle.

Par Hervé LévyPhoto d’Helen Sager © Musée Tinguely, 2013

Sodeli, d’Kuttlebutzer, expo-sition présentée à bâle, au Museum Tinguely, jusqu’au 14 avril

+ 41 61 681 93 20 www.tinguely.ch

UN REGARD sodeli, d’kuttlebutzer signée Helen Sager

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38 Poly 157 Avril 13

Au Centre rhénan d’Art contemporain d’Altkirch, Severin Dünser et Christian Kobald, œuvrant au CoCo1 de Vienne, signent le commissariat de Grundfrage (Question fondamentale). Une exposition en forme de lendemain de fête jouant sur l’interactivité public / artistes.

Par Thomas Flagel

À Altkirch, au Crac jusqu’au 5 mai

03 89 08 82 59www.cracalsace.com

bingo ! tous les dimanches à 16h, & Happy Hour chaque jeudis, de 17h à 19h

Ateliers de Pâques pour les enfants (6-12 ans) du 15 au 18 avril et du 22 au 26 avril

Concert electro de Koudlam, samedi 4 mai

www.koudlam.com

happy hour coco

Les curators invités par Sophie Kaplan (ancienne directrice du Crac) ont cultivé le mystère, barrant d’un gros trait noir

le sujet de leur exposition à la manière des services secrets censurant les informations top-secret. Point de fil conducteur reliant l’ensemble éclectique ici réuni, mais une ques-tion fondamentale s’en dégageant : la place du visiteur dans l’activation du sens des ins-tallations et autres photographies, écho au concept d’esthétique relationnelle développé par Nicolas Bourriaud2. Commissaire d’expo-sition, critique d’art et théoricien, le co-fon-dateur du Palais de Tokyo définissait ainsi, au milieu des années 1990, les œuvres contempo-raines abolissant la frontière entre l’artiste et la personne regardant le fruit de son travail, mais surtout celles produisant une « esthé-tique de l’interhumain, de la rencontre, de

la proximité, de la résistance au formatage social ». Ainsi l’espace du Crac est-il investi par diverses installations participatives.

be fashion, Do fashion,Fuck fashionLe jeune colombien Oscar Murillo propose Ossie’s Bingo Boutique, avec chaises en plas-tique, bandeson entêtante et lots à gagner. Dès qu’il y a assez de monde dans l’exposition (à minima chaque dimanche à 16h), un bingo est organisé. Le gagnant repart avec un vrai /faux tee-shirt Comme Des Garçons. L’artiste de 27 ans a travaillé comme designer pour la marque de luxe à laquelle il a demandé, pour cette pièce, un stock de vêtements griffés, revendu pour acheter des tee-shirts aux fripes. Soigneusement choisis, il les a ensuite re-séri-

ART CONTEMPORAIN

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Poly 157 Avril 13 39

graphiés et logotisé aux couleurs des célèbres yeux et cœur. Un contre pied à l’idée même du luxe, prouvant si besoin était, qu’il est plus classe d’avoir une création unique d’un artiste qu’un t-shirt bling-bling pour happy fews vendu dans une vingtaine de boutiques dans le monde. Chaque participant est en tout cas invité à faire une fête digne de ce nom. Pour motiver les troupes (et les plus timides), une vidéo d’un bingo particulièrement caliente, tournée en Amérique du Sud, donne le ton.

Si votre visite se déroule un jeudi après-mi-di, ne manquez pas l’happy hour activant, de 17h à 19h, l’installation d’un bar sur rou-lettes de Noële Ody. Cette jeune trentenaire autrichienne n’en finit pas de proposer de véritables plateformes à interactions sociales jouant sur la surprise des visiteurs, invités à boire un verre sur un zinc en fer forgé agré-menté de platines pour que chacun puisse faire monter l’ambiance avec la musique de son choix. Une sculpture de métal et de films plastique fondus, représentant la silhouette de ceux qui auront le plus levé le coude, trône à proximité, rappelant à chacun la finalité du lieu. Cette pièce ne prend vie qu’avec un public lui donnant sens. Une création décalée de son environnement habituel (un centre d’art en

lieu et place d’un bistrot de ville) qui révèle la seule fonction socialisante de rencontre entre des êtres.

Traces de soiDans les autres salles de cette ancienne école, Grundfrage explore une certaine vision du temps qui passe, figé en photographies noir et blanc par Max Peintner, septuagénaire réalisant des autoportraits en vue subjective de tout ce qu’il peut voir de son corps. Cette technique utilisée en psychanalyse renvoie à son expérimentation visuelle d’éléments non perceptibles car invisibles. Que fait-on de ce que l’on voit ? Comment cela influence-t-il nos représentations et, donc, nos pensées ? Les Legs in the morning de l’octogénaire rou-maine Greta Brãtescu témoignent elles aussi de la différence entre idée (les courbes fémi-nines au réveil) et réalité (les jambes fatiguées d’une vieille féministe radicale ayant traversé les aléas de l’histoire). Plus légères, les séries de clichés de Carina Brandes figent des traces de performances, moments intimes d’une bande de filles en poses sexys, exhibitions de corps-objets où la nudité semble témoigner d’un modernisme à tout crin, de la représenta-tion, comme de l’image de soi. L’écart entre les deux est bien une Question fondamentale.

1 Contemporary Concerns www.co-co.at2 Esthétique relationnelle, paru aux Presses du réel (8 €) www.lespressesdureel.com

Légendes

À gauche, Ohne Titel de Carina Brandes, Galerie BQ et l’artiste

À droite, Selbstbildnis 1 de Max Peintner, 1984, Courtesy de l’artiste et Gallerie Georg Kargl, Vienne

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40 Poly 157 Avril 13

Temps fort de la saison culturelle de Thionville, la troisième édition du Festival Frontières invite au voyage d’une langue à l’autre. Aux expositions, débats, ren-contres et projections s’ajoutent Contrebande, la résonance théâ-trale programmée par NEST.

halte !

FESTIVAL

Par Patrick Lopokin Portrait de Patrick Deville par Tomohican

Festival Frontières, dans dif-férents lieux à Thionville, du 6 au 12 avril

03 82 82 25 05www.festivalfrontieres.fr

Contrebande, programmation théâtre du Nord-Est Théâtre au théâtre en bois, au théâtre de Thionville et dans les biblio-thèques de la région, du 6 au 14 avril

03 82 82 14 92 www.nest-theatre.fr

u’elles soient géographiques, sociales et symboliques, les frontières franchies par ce rendez-vous lorrain permettent

aux festivaliers de tous crins de dépasser les séquelles de l’histoire et les tentations de repli identitaire pour aller vers l’autre, s’ouvrir à l’inconnu et cultiver sa curiosité. Avec le souci de la transdisciplinarité, les photographies de Frank Costa (On se croirait dans le monde, au Centre culturel Jacques Brel) constituent une première invitation au voyage complété par un Café Frontières (samedi 6 avril). Autre proposition originale, le web-documentaire Border Bistro1 (au Beffroi), propose, le temps du festival, de revivre neuf journées passées dans autant de cafés situés le long de la fron-tière linguistique divisant administrativement la Belgique. Des rades au look improbables qui sont des lieux de rencontres et d’échanges dans lesquels les brèves de comptoir en mou-cheront plus d’un sur des questions aussi fondamentales que l’identité, le rôle de la politique, l’Europe ou encore les enjeux du multiculturalisme. Parmi les têtes d’affiche, ne manquez pas les rencontres avec Patrick Deville (Café Beverly’s, samedi 6), romancier évoluant entre fiction et reportage qui, après son magnifique Kampuchéa en 2011, reçu le

prix Fémina en 2012 pour Peste et choléra2, récit célébrant un grand voyageur méconnu ; mais aussi la japonaise Yôko Tawada, qui écrit alternativement en allemand et en japonais, signant l’an passé un Journal des jours trem-blants. Après Fukushima3 (Café Beverly’s, dimanche 7).

De son côté, le Nord Est Théâtre, avec Contre-bande, compose un temps consacré à des mises en espace de textes fort originales à l’image des Bibliothèques vivantes (samedi 6 et mercredi 10 avril) : au lieu d’emprun-ter des livres, ce sont des êtres humains qui transmettent au public récits de vie singu-liers, témoignages de combats ou d’engage-ments collectifs et individuels. Le Collectif Berlin plonge dans l’absurdité administrative transfrontalière avec Land’s end (les 12, 13 et 14 avril au Théâtre en Bois). Un meurtre en France et Belgique déchaine les passions. La confrontation orchestrée de deux suspects, engluée dans l’imbroglio inhérent aux diffé-rences des systèmes judiciaires des deux pays démontre dans une imparable performance documentaire parsemée de fiction l’absur-dité de la notion même de frontière entre les hommes.

Q

1 www.borderbistro.eu2 www.seuil.com3 www.editions-verdier.fr

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Poly 157 Avril 13 41

halte !

Danseurs aux corps droits et ports de têtes altiers, justaucorps échancrés dévoilant des silhouettes affutées,

Twyla Tharp, comme son homologue William Forsythe, s’inscrit dans une tradition célé-brant les lignes corporelles de ses interprètes. Créé en 1986, In the upper room est de ces ballets classiques piochant allégrement dans le répertoire contemporain. La chorégraphe américaine, qui a signé plus d’une centaine de spectacles mais aussi des projets pour la télé, Broadway et le cinéma (notamment aux côtés de Miloš Forman), met ses danseurs à rude épreuve, les faisant tournoyer dans des élans aux impulsions athlétiques. Sur une musique de Philip Glass, l’utilisation des pointes se fait quasiment oublier au profit de vagues d’évolu-tions chorales célébrant l’énergie, le partage. Le répertoire de mouvements classiques (pas,

Pour son second programme à l’Opéra, le Ballet de Lorraine explore deux visions contempo-raines de la danse classique : celle de la chorégraphe américaine Twyla Tharp avec In the upper room et de la franco-autrichienne Gisèle Vienne1 dans la recréation de Showroomdummies#3.

Par Daniel VogelPhoto de M. Rousseau

À Nancy, à l’Opéra national de Lorraine, du 5 au 7 avril03 83 85 33 20www.opera-national-lorraine.fr

www.ballet-de-lorraine.eu

rooms with views

1 Lire Les poupées de chair rêvent-elles de pantins électriques ? consa-cré à Gisèle Vienne, dans Poly n°155 ou sur www.poly.fr2 On ne peut que penser à Blade Runner, film de Ridley Scott, d’après une nouvelle de Philip K. Dick

portés et jetés) se révèle à la manière des stan-dards de jazz revisités et réactualisés pour ne former rien moins qu’une master piece. Loin d’être un simple accueil, In the upper room est transmise au Ballet de Lorraine par Stacy Caddell, soliste du prestigieux New York City Ballet de George Balanchine, qui rejoignit la compagnie de danse Twyla Tharp en 1991.

De pièce majeure, il est aussi question avec la troisième version de Showroomdummies. L’artiste et metteuse en scène touche-à-tout Gisèle Vienne, accompagnée d’Étienne Bi-deau-Rey, revient sur son conte lancinant et fascinant. L’exploration dickienne2 de la fron-tière entre corps humains et corps artificiel est tirée d’un roman érotico-masochiste de Leopold von Sacher-Masoch, La Vénus à la fourrure. Un homme y tombe amoureux d’une statue de Vénus. La personnification de cette déesse lui permettra d’assouvir ses fantasmes, jusqu’à en devenir, tout à fait volontairement, l’esclave. D’une superbe étrangeté, le duo de chorégraphes fait des danseurs des pantins de chair à la rigidité troublante. La sensua-lité froide de postures figées et de corps aux sursauts abrupts est renforcée par l’utilisa-tion de masques aux sourires trop grands et carnassiers pour ne pas être inquiétants. Réhaussée par la musique électronique signée Peter Rehberg, Showroomdummies#3 plonge allégrement dans la face sombre, et parfois violente, de nos désirs, au cœur d’une perver-sité toute… humaine.

DANSE

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Février 2013. Dans l’acoustique parfaite de la Salle de l’Esplanade résonnent des notes venues du fond des âges : y est

donné Ñawpa (1999) de Thierry Pécou (né en 1965), pièce imaginée à partir de « l’analyse d’une collection de flûtes préhispaniques des Andes conservée à Berlin ». Il ne s’agit cepen-dant pas d’une « reconstruction de sonorités oubliées, mais de la tentative de suivre une trace, invitant l’auditeur à une méditation poétique sur le temps ». Dans cette archéomu-sicologie onirique apparaît un des fondamen-taux de l’art du compositeur : une attirance pour les sonorités extra-européennes à l’image d’un de ses prédécesseurs, François-Bernard Mâche2. Sans doute est-ce, en partie, une forme de réaction à cinq années d’études au Conservatoire de Paris et à la « pression esthé-tique enfermante » du milieu des années 1980 où le tout-puissant sérialisme3, imposait ses canons : « Une génération d’enseignants développait l’idée de la “table rase”, une musique qui ne devait avoir aucun rapport avec ce qui avait existé auparavant. » On en est très largement revenu…

ComposerChine ancienne, Grèce antique, Tibet éternel, Amérique précolombienne, immense et mystérieuse Amazonie… L’œuvre de Thierry Pécou se nourrit de cultures éloignées dans l’espace et le temps, de ce “Tout-monde” forgé par Édouard Glissant pour désigner « notre univers tel qu’il change et perdure en échan-geant et, en même temps, la “vision” que nous en avons ». Le compositeur aux racines antillaises a fait sienne cette définition du poète martiniquais disparu en 2011, cherchant sans cesse à « dire le monde, c’est-à-dire à

mieux connaître ses musiques pour les retra-duire avec les éléments de mon langage et les instruments de l’orchestre traditionnel. » Lorsqu’il a rencontré les textes de Glissant, « ce fut un choc. J’ai eu le sentiment d’y lire la théorisation de ma propre démarche » faite d’imprégnation des autres cultures, tout en préservant une certaine distance, pour ne pas s’y noyer. « Ma chance est d’avoir eu un bagage sonore très identifié, d’être ancré dans un paysage déterminé tout en étant conscient du monde environnant. Il faut savoir rester soi-même et respecter l’opacité de l’autre : voilà l’indispensable condition de la vraie rencontre. » Ce n’est du reste que récemment qu’il a commencé à travailler avec des instru-ments venus d’ailleurs, confrontant in vivo musiques écrites et non-écrites dans SEHEL pour rabab, derbouka et sept instruments (2013). De ce rhizome multifocal émerge une évidente dimension politique : dans Passeurs d’eau (2004), par exemple, cantate amazo-nienne sur des chants amérindiens, existe la volonté de montrer que « ces cultures ont été occultées, niées et détruites par les Européens au XVIe siècle ». Avec Outre-mémoire (2003) c’est un regard violent dans son essence et délicat dans son expression qu’il nous propose sur l’esclavage.

InterpréterCette “musique monde”, on la découvrira avec la création d’Orquoy, page pour grand orchestre dont le titre est un mot quechua signifiant « composer, en tout cas si on le traduit dans nos codes de langage. Il désigne plus précisément l’action d’un intercesseur entre des forces surnaturelles et les hommes, une sorte de chamane. » Dans cette partition

Compositeur et pianiste, Thierry Pécou est en résidence à Metz1 : musicien voyageur, explorateur de l’espace et du temps, il nous fait découvrir les deux facettes de son art à L’Arsenal.

la musique du tout-monde

Par Hervé LévyPhoto de Geoffroy Krempp pour Poly

Cri selon cri – Cry by cry, à Metz, à L’Arsenal, vendredi 5 avril03 87 74 16 16www.arsenal-metz.fr

Création mondiale d’Orquoy à Metz, à L’Arsenal, vendredi 19 avril03 87 74 16 16www.orchestrenational- lorraine.fr

www.thierrypecou.fr

MUSIQUE CONTEMPORAINE

1 À l’Arsenal-Metz en Scènes, en partenariat avec l’Orchestre national de Lorraine et avec le soutien de la Sacem2 Né en 1935, il dirigea pendant une dizaine d’années le département de musique de l’Université de Stras-bourg3 Technique de composition musicale fondée sur l’utilisation de la série4 www.variances.onclame.com5 Référence au livre de Jean-Fran-çois Boukobza, Bartók et le folklore imaginaire paru aux éditions de la Cité de la musique, en 2005 ww.citedelamusique.fr

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se retrouve également la dimension physique qui habite une musique « demandant à l’in-terprète un puissant investissement corpo-rel », une virtuosité revendiquée qui demeure cependant dans les limites de la jouabilité. Également pianiste, Thierry Pécou est familier de cette promenade sur le fil du rasoir… Une “double casquette” où le même homme ac-complit le geste créateur et sa concrétisation instrumentale, s’inscrivant dans une tradi-tion, « un rapport très normal à la musique jusqu’au milieu du XXe siècle, où les deux activités se séparent ». C’est pour cela qu’il joue dans des formations qu’il a créées, Zellig tout d’abord (fondé en 1998, il en est direc-teur artistique jusqu’en 2009) en référence

au film de Woody Allen mettant en scène un “personnage caméléon” se laissant impré-gner par son environnement immédiat. Lui a succédé l’ensemble Variances4, « plate-forme entre création contemporaine et musiques de l’oralité » que l’on entendra à Metz dans un programme intitulé Cri selon cri – Cry by cry, un « portrait croisé de deux compositeurs-in-terprètes, de deux continents sonores », celui de l’Américaine Lisa Bielawa et de Thierry Pécou avec ses Machines désirantes (2009), pièce pour une fois non identifiée territoria-lement et spatialement. Une autre escapade aux confins de ce Folklore imaginaire5, mais toujours le fruit d’un « processus de transla-tion du vécu du voyage vers la partition ».

Il faut savoir rester soi-même et respecter l’opacité de l’autre

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Kati Pikkarainen et Victor Cathala se sont rencontrés au Centre national des Arts du cirque au début des années

2000. Depuis, ils sont partenaires sur scène et à la ville. Un couple comme tous les autres, mis à part un détail : lorsqu’ils s’envoient en l’air, ce n’est pas une métaphore. La voltigeuse et son porteur, excellent dans la technique de main-à-main (qu’ils développent depuis plus de dix ans), la métamorphosant en véritable langage des sentiments. Tout naturellement, l’envie leur est venue de transformer leur vie en spectacle, en y ajoutant des nouveautés comme les jeux icariens. Après La piste là, première création – et énorme succès – les voici dévoilant leur quotidien dans Pour le meilleur et pour le pire. Sur la piste en terre de leur chapiteau, le couple arrive au volant d’une vieille Simca rouge customisée… Comme l’annonce d’un road movie carrément à l’ouest sur les chemins tortueux de la vie à deux. La pétaradante guimbarde, troisième personnage du spectacle, se fait tour à tour maison, chambre nuptiale, vestiaire, débarras, tandis que l’autoradio balance une bande-son déjantée, où Noir Désir, AC/DC et les Clash sont revus à la sauce Aïtal. Dans cette mise en scène clownesque, ce sont les portières qui claquent. Et les comptes se

règlent à coups de manivelle. Surgissant de dessous le capot, telle une diablotine sortie de sa boîte, la minuscule Kati fait l’effet d’une brindille à côté du colosse Victor. Ce jubilatoire contraste n’est pas pour rien dans la réussite du duo : la blonde finlandaise et le brun toulousain jouent de leurs diffé-rences pour inventer des figures hilarantes. La jeune femme, par exemple, est transfor-mée en écharpe, enroulée autour du cou de son homme ou fait de la balançoire entre ses jambes. S’il faut une sacrée dose de confiance mutuelle dans l’acrobatie de main-à-main, le couple n’échappe pas aux scènes de ménage, qu’il élève même au rang d’art. Le quotidien, direz-vous ? Sauf qu’ici, on s’en va bouder au sommet d’un mât chinois bricolé à partir de pots d’échappement. Tout devient acrobatique avec ceux qui ne connaissent, pour s’expri-mer, que le langage de la pirouette. Mais ce qu’ils ont à dire est si fort que leurs portés en deviennent époustouflants, et leur complicité procure au moins autant de frissons que leur performance technique. Parce qu’ils savent, sans complexes, rire du pire, Kati et Victor livrent ici le meilleur de leur vie de couple et d’artistes. C’est beau et sincère. C’est de l’amour.

À quoi ressemble la vie quotidienne d’un couple d’acrobates ? Au meilleur et au pire, si l’on en croit le nouveau spectacle du Cirque Aïtal. L’improbable duo pratique un amour de haute voltige, dont l’humour est la clef de voûte.

Par Dorothée LachmannPhoto de Mario del Curto

À Offenbourg, au Kulturforum, sous chapiteau (présenté par Le Maillon et le Kulturbüro Offenburg), du 7 au 10 avril (Kulturbus gratuit depuis Stras-bourg)

+49 781 82-2000www.kulturbuero.offenburg.de

03 88 27 61 81www.maillon.eu

À Forbach, au Carreau, sous chapiteau, du 16 au 18 avril

03 87 84 64 34www.carreau-forbach.com

scènes de ménage

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Concert folk songUne soirée avec Alex Keiling and the Mary Jill band, c’est entrer dans une musique à la beauté intimiste et touchante, tantôt joyeuse et tantôt mélancolique.

Alex Keiling and the Mary Jill band - Vendredi 05 avril à 20h30

Alex Keiling : Guitare, voixMary Langenfeld : Violoncelle Brice Gil : Percussions.Tarif plein : 14 – réduit : 12abonné : 9 - Jeune : 8 Places limitées, pensez à réserver.

Duo flûte traversière et pianoKarine Roynard et Reiko Kodera interprètent un répertoire de musique de chambre et nous font découvrir avec virtuosité ces oeuvres pour flûte et piano. Karine Roynard : flûte traversièreKeiko Kodera : pianoTarif plein : 14 – réduit : 12-abonné : 9 - Jeune : 8

CONCERT EN SONATE Karine Roynard et Reiko Kodera Samedi 13 avril à 20h30

LE CORDONNIER Cie À Fleurs de mains Dimanche 14 avril à 15h00 MarionnettesUn conte des frères Grimm sur le jour et la nuit, le travail humain et l’aide reçue pour ceux qui mettent du cœur à l’ouvrage.Cécile Marion : marionnettes, voix, personnages. Sarah Buffler : harpe, narrateur.Tarif unique 8 euros

VIRGINIE FOSSATIExposition de peinture du 10-04-2013 au 07-05-2013

yves siffer_peintures sous-verre i Exposition du 9 mars au 14 avril 2013

GALERIE pAsCALe FroesseL PrÉseNTe

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46 Poly 157 Avril 13

P our Yannick Marzin, directeur de MA scène nationale - Pays de Montbé-liard, et Thierry Vautherot, directeur

du Granit de Belfort, le constat s’imposait : leur situation au cœur de la zone des trois frontières (France, Allemagne et Suisse) les poussent, par essence, à se tourner vers la création artistique d’autres pays dont l’écho n’était pas assez important au milieu de saisons fortement marquées par les spec-tacles hexagonaux. La première édition d’un festival bicéphale qui s’étend sur l’ensemble de l’aire urbaine n’est d’ailleurs qu’un début.

D’ici quatre à cinq ans, les deux structures pourraient fusionner pour constituer un Pôle de Création… européenne ! L’envie fait son chemin, les programmations croisées se mul-tiplient et des bus seront même mis en place pour permettre aux spectateurs de se rendre sur les différents lieux.

Les EuropéennesClin d’œil aux Eurockéennes de Belfort, Les Européennes (déclinaison du festival côté MA scène nationale) rend hommage aux femmes avec des artistes à fort caractère comme

MA scène nationale et Le Granit organisent conjointement un nouvel et ambi-tieux festival dédié à la création continentale : Les Européennes à Montbéliard et Y a de l’Europe dans l’Aire à Belfort. Plongée dans une programmation audacieuse mêlant danse, théâtre, musique et cirque.

Par Thomas Flagel

Festival Les Européennes & Y a de l’Europe dans l’Aire, à L’Arche de bethoncourt, à la Coopérative et au Granit de belfort, aux bains douches de Montbéliard, du 2 au 12 avril

08 05 71 07 00www.mascenenationale.com

03 84 58 67 67www.legranit.org

au-delà des frontières

FESTIVAL

Teach us to outgrow our Madness © Roberto Flores Moncada

* Voir Poly n°154 ou sur www.poly.fr

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Poly 157 Avril 13 47

Renatte Jett, compositrice et chanteuse re-marquée chez Krzysztof Warlikowski qui, en première française, enflammera les Bains Douches de Montbéliard avec son groupe. Entre rythmes dub, ambiances planantes à la Sigur Rós et chant à faire pâlir de jalousie la grande Björk, ce Jett Live endiablé reprendra aussi les compositions signées par Renatte pour le sombre et puissant (A)pollonia du metteur en scène polonais. La soirée Women on fire ! réunit l’acrobate française Chloé Moglia dans Opus Corpus et la danseuse flamande Lisbeth Gruwez pour It’s going to get worse and worse and worse, my friend. Cette dernière, muse de Jan Fabre qui créa Quando l’uomo principale è una donna, solo dans lequel elle évoluait, entièrement nue, le corps maculé d’huile d’olive en 2004, dévoile sa dernière création. En chemise blanche et pantalon gris, elle calque ses mouvements sur le discours samplé et fragmenté d’un prédi-cateur américain ultra conservateur, dénon-çant dans un martialisme tout en fluidité et en force, les errements idéologiques et la haine se cachant derrière les mots de l’homme d’église. Sa frénésie de mouvements prend au corps le désir compulsif de persuasion insidieuse. Elle se fait sauvage pour clouer la bête au sol dans un mano à mano époustouflant de maîtrise.Mais la plus étonnante – et assurément la plus excitante – des découvertes des Européennes nous vient d’Islande avec Teach us to outgrow our Madness. La chorégraphe Erna Ómars- dóttir, formée auprès des plus grands de l’école belge (Ann Teresa de Keersmaker, Jan Fabre, Sidi Larbi Cherkaoui) nous plonge dans un sabbat collectif orchestré par cinq femmes possédées. Les gestes quotidiens, banals entre amies, dérivent lentement mais sûrement dans une hystérie des corps où la brutalité des cris et des transes fiévreuses prend la forme d’incantation païenne libératrice. Un étrange conte cruel dévoilant les forces dionysiaques, les parts sombres et animales de l’Homme avec une acuité et un talent hors du commun.

Y a d’l’Europe dans l’AireCôté Granit, la pluridisciplinarité est de mise avec Bal en Chine*, dernière création cho-régraphique de Caterina Sagna autour des peurs de l’autre et du racisme collectif, mais aussi de la musique avec l’excellent Brussels Jazz Orchestra, oscarisé pour la BO de The Artist. Avec pour chanteurs David Linx et la diva portugaise Maria João, ils revisitent les standars de Gershwin dans A Different Porgy & Another Bess (Naïve Records), dynamitant

Summertime et usant de toute leur créativité débridée pour affrioler It ain’t necesseraly so. Un must !Changement de genre avec Michel Dupont ou réinventer le monde, pièce réinterprétant ce conte des frères Grimm dans lequel un roi enferme sa fille dans une tour, troublé par cette enfant devenu femme qui ressemble à s’y méprendre à sa mère, morte en couches. Anne-Cécile Vandalem mélange cette matière aux faits divers d’aujourd’hui pour construire une fable sur l’enfermement, entre horreur et potentiel de développement créatif d’un imaginaire, seule échappatoire à l’absence de liberté. Avec beaucoup d’originalité, la met-teuse en scène recrée une forme de réclusion en plaçant le public dans un noir total, assis sur des coussins autour d’un cercle délimi-té par huit enceintes. Entre paroles, bruits, ambiances sonores et musique, les sens des spectateurs sont mis à contribution pour per-cevoir le récit, sentir les choses… et imaginer le reste !

À voir

Opus Corpus de Chloé Moglia (sera également joué au Centre Pompi-dou-Metz, dimanche 19 mai dans le cadre du Festival Perspectives – www.festival-perspectives.de) et It’s going to get worse and worse and worse, my friend de Lisbeth Gruwez, jeudi 4 avril aux Bains Douches de Montbéliard

Brussels Jazz Orchestra, vendredi 5 avril au Granit de Belfort

Teach us to outgrow our Madness d’Erna Ómarsdóttir, samedi 6 avril aux Bains Douches de Montbéliard

Bal en Chine de Caterina Sagna, lundi 8 avril au Granit de Belfort

Jett Live, le 12 avril aux Bains Douches de Montbéliard

It’s going to get worse…© Luc Depreitere

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Entre surréalisme finissant et expressionnisme abstrait naissant, les Fictions de Roberto Matta (1911-2002) se déploient, teintées d’une intense poésie, au Museum Frieder Burda de Baden-Baden.

Par Hervé LévyPeinture de Roberto Matta, L’Atout, 1954, Collection privée © VG Bild-Kunst, Bonn 2013

À baden-baden, au Museum Frieder burda, jusqu’au 2 juin

+49 72 21 398 980www.museum-frieder-burda.de

machines oniriques

Depuis sa disparition, Matta n’avait guère suscité les passions : un peu plus de dix ans après, hasard du

calendrier, deux expositions sont organi-sées, à Marseille1 et Baden-Baden, rendant hommage à un surréaliste auquel il est ce-pendant bien malaisé de coller une étiquette. Adoubé par André Breton dans les années 1930, il est excommunié par le même en 1948, devenu le gourou de plus en plus rigide d’un mouvement à bout se souffle. Éxilé aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mon-diale, l’artiste avait influencé toute la géné-ration des Rauschenberg et consorts. Matta ne se laisse néanmoins pas si facilement cerner : s’il évoque parfois les mondes ima-ginaires peuplés d’étranges concrétions mé-lancoliques et métaphysiques d’Yves Tanguy (le surréaliste dont il est incontestablement le plus proche), son art possède également un versant politique et ironique que l’on découvre dans la présentation, au Museum Frieder Burda, d’une trentaine de toiles de grand format.

Les machines (visant à produire on se sait quoi) semblent vivantes dans des peintures où la froideur métallique d’armatures en acier

se mêle aux courbes organiques de bestioles inidentifiables. La civilisation industrielle en prend un sacré coup, le Bluff technologique2 est dénoncé avec force dans d’étranges pay-sages fantasmagoriques animés d’un mou-vement perpétuel. Les lignes de dissolvent, flottent puis se perdent dans le néant, les cou-leurs claquantes semblent s’étioler… Dans le chaos d’un cosmos tranchant, l’être humain est broyé par une superstructure totalitaire. Le glissement d’une critique de l’évolution de la société déshumanisée et robotisée vers une charge violente contre le capitalisme (et un rapprochement corollaire, à l’époque, avec le communisme et les démocraties populaires) est à l’œuvre. Matta quitte définitivement son pays natal après le coup d’état du général Pi-nochet, le 11 septembre 1973, pour s’installer en France et en Italie : « C’est cet exil qui a déterminé toute ma vie. Entre deux cultures, mon travail est un travail de séparation… De l’exil, je suis passé à l’ex-il, quelque part entre le connu et l’inconnu, entre la réalité et l’imaginaire, là où commence la poésie », affirmait-il. Comme un fulgurant résumé de ses toiles aux charmes pénétrants où le regard se perd et divague avec jubilation.

1 Matta : du Surréalisme à l’Histoire, au Musée Cantini, jusqu’au 19 mai www.marseille.fr2 Ouvrage de Jacques Ellul de 1988, réédité chez Fayard dans la collection Pluriel, en 2012 (12,70 €) www.fayard.fr

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le Jardin de Franceà Baden-Baden

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Le Jardin de France Restaurant à Baden-Baden

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Les dimanches de printempsau Jardin de France

Comme tous les ans et spécialement pour nos clients alsaciens, notre restaurant sera ouvert les

dimanches 28.04, 12.05 et 19.05.Par ailleurs n´hésitez pas à venir nous voir après avoir

visité le musée Frieder Burda pour un Déjeuner et profitez de notre formule menu du jour à 32€ (41€ le samedi).

Les menus sont toujours actualisés sur notre site :

www.lejardindefrance.de À très bientôt pour découvrir ou redécouvrir ce

petit coin de France à Baden Baden.

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Jusqu’au 15 mai 2013

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50 Poly 157 Avril 13

La Fondation Beyeler rend hommage à l’un des grands peintres suisses, Ferdinand Hodler (1853-1918), en présentant 80 œuvres des cinq der-nières années de sa vie. Entre portraits pénétrants et massifs montagneux étincelants, la palette de l’artiste étonne de modernité.

Par Thomas Flagel

À Riehen (à côté de bâle), à la Fondation beyeler, jusqu’au 26 mai

+41 61 645 97 00www.fondationbeyeler.ch

flamboyants paysages

P our Oscar Wilde, « avant Turner, il n’y avait pas de brouillard à Londres. » Y avait-il des montagnes en Suisse avant

Hodler ? La découverte de quelques-unes des plus belles séries du Genevois réunies à Riehen permet d’en douter. La nature ro-cheuse trouve, dans des formats variés, des lettres de noblesse franches. D’un Ruisseau de Champéry (1916) étrangement figé avec son eau mouvante à l’imposante Jungfrau vue de Mürren (1914), cime évanescente dans sa majestueuse et imposante massivité se déga-geant habilement des nuages la tutoyant, l’on découvre tout d’abord les contours prononcés et sombres caractéristiques de l’artiste. Puis viennent les explorations clairvoyantes des autoportraits à l’huile. Ferdinand se dépeint,

barbe hirsute et ténébreuse, successivement malicieux, étonné, tourmenté. L’expressivité de son visage, au centre de la toile, se joue dans la commissure de ses yeux, ses sourcils plus ou moins froncés et son front plissé. La gamme de couleurs est d’ores et déjà vivifiée par touches de vert et de jaune accompagnant les rouges, les unes dans les autres.

Chambre avec vueAtteint d’une maladie pulmonaire qui l’emportera au printemps 1918, Ferdinand Hodler limite ses déplacements et multiplie les variations sur le même thème… Les Dents blanches à Champéry sont immortalisées au soleil levant (1916) dans des bleus lumineux à la frontière d’une plaine verte et d’une mon-

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PEINTURE

tagne totalement orange à son sommet. Le noir des contours précédents est remplacé par de superbes teintes bleutées. La bataille de la lumière est belle et bien gagnée avec une autre vue, quasi nocturne : le clair-obscur de la fin du jour voit, dans ces ambiances surréalistes peuplant les hautes altitudes, la cime de la montagne s’assombrir en relief d’un ciel que le soleil termine d’embraser de ses rousseurs illuminant une vallée dont resplendissent les profondeurs. Tourné vers un certain radica-lisme pictural de plus en plus abstrait, l’audace du peintre se lit dans ses combinaisons de cou-leurs.

Son Grammont (1917), tout de bleu et de jaune léchant les flancs de la montagne dont les rayons de soleil embrasent la roche qui semble, seule, se réfléchir dans le ciel, trône au-dessus du lac de Taney étrangement immo-bile, comme secoué intérieurement par tant de beauté brute. Le même, Après la pluie (1917), est tout aussi touchant, empli d’une mélan-colie qui ne devait pas manquer de submer-ger celui qui, depuis la mort de sa maîtresse Valentine Godé-Darel, se trouvait seul devant

l’immensité de ces paysages. Dans les der-niers mois de sa vie, il ne peint plus que le lac Léman et le Mont Blanc, souvent tôt le matin ou à la tombée du jour. La chaine du plus haut sommet d’Europe, à l’aube en novembre 1917, célèbre la beauté des contrastes et des reflets. Les bleus n’ont jamais été si profonds tandis que les jaunes s’émiettent en rose verdâtres et sémillants.

Au-delà de ces aplats de couleurs aux nom-breuses variations de textures et de teintes, la grande modernité de Ferdinand Hodler est peut-être à chercher du côté des cadrages qu’il propose, tout en largeur panoramique, dans lesquels l’horizon est toujours trop haut (dans le premier tiers de la hauteur) ou trop bas (dans le dernier, laissant toute la place à un ciel sans nuages). Un écart loin de tout équi-libre qui dévoile la force d’un regard mais aussi le suc si particulier de l’émerveillement d’un artiste dont, finalement, les innovations de couleurs – sublimes lorsque sa palette se fait plus froide en nuances de gris, de violets et de noirs – n’auront pas été les seules audaces.

Légendes

1. Le lac Léman et le Mont Blanc à l’aube, 1918. Huile sur toile, 60 x 126 cm, Collection privée. Photo : Hulya Kolabas

2. Le lac Léman et le Mont Blanc à l’aube (mars), 1918. Huile sur toile, 66 x 80,5 cm, Collection privée, Zurich. Photo : SIK-ISEA

3. Le lac Léman et le Mont Blanc à l’aube, 1918. Huile sur toile, 65 x 91,5 cm, Kunsthaus Zurich, don de l’Holenia Trust à la mémoire de Joseph H. Hirshhorn. Photo : Kunsthaus Zurich

4. Selbstbildnis, 1914, autoportrait à l’huile sur toile, 43 x 39 cm, Museum zu Allerheiligen, Schaffhouse. Photo : Museum zu Allerheiligen, Schaffhouse

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Un printemps métal ? Telles sont les prévisions météorologiques du festival franc-comtois des cultures et musiques divergentes Impetus. Exploration décoiffante dans la programmation d’une quatrième édition placée sous le patronage de Lydia Lunch.

Par Emmanuel Dosda Photos : Lydia Lunch (à gauche) et La Gale (à droite)

À Montbéliard (Le Moloco…), belfort (La Poudrière…), Héri-court, Sevenans, Porrentruy (CH) et Delémont (CH), dans divers lieux, du 17 au 23 avril

03 84 58 11 77www.impetusfestival.com

stupeur ettremblements

Inutile de gaspiller deux heures de son temps devant le miroir à refaire sa per-manente avant de s’immerger dans l’ébou-

riffant Impetus : sa prog’ hurlante, outran-cière et rageuse s’est donnée pour mission de nous mettre la tête à l’envers et de titiller sérieusement nos tympans en misant sur des esthétiques borderline. Concerts noise, mais aussi performances au napalm (death) ou cinéma expérimental : La Poudrière de Belfort, le Moloco de Montbéliard (en com-pagnie d’une poignée de partenaires et d’as-sociations locales) se sont investis dans une manifestation musicale sur un vaste territoire, où les arts visuels ont une place d’honneur. Quelques exemples : intervention vidéo du collectif Burstscratch sur la façade du Moloco ou l’hommage rendu à l’émission culte L’oeil du Cyclone à L’Espace multimédia gantner de Bourogne et sur le campus de Belfort.

Parmi les nombreuses aventures soniques et bruitistes, citons les bidouillages de Pied Gauche (dimanche 21 avril à l’Espace gantner), homme-orchestre épaulé par de drôles d’inventions mécaniques, les sauvage-ries de Za ! (samedi 20 au SAS Delémont, dans

le Jura suisse) ou encore le métal hypnotique de Cult of Luna (dimanche 21 au Moloco). Notre coup de cœur ? La Gale (mardi 23 à la Bibliothèque de Belfort), projet hip-hop radical de la lausannoise Karine Guignard, prête à en découdre à grand renfort de beats acérés et de punchlines tranchants. « Tu es né poussière, tu retourneras poussière, les vau-tours chaque jour dévoreront tes viscères. » La messe est dite. Ne pas manquer la soirée de clôture avec, entre autres, Mombu, duo batterie / saxo, dans l’ancien fort militaire du Mont-Bart sur les hauteurs de Montbéliard. Un événement forcément perché.

La charismatique Lydia Lunch (samedi 20 au SAS de Delémont) regarde tout ce beau monde du haut de ses 50 ans passés. Reine de l’underground US, chanteuse, réalisa-trice, écrivaine ou comédienne, elle fut une éminente membre de la scène no-wave au début des eighties. Cette artiste d’avant-garde, féministe trash poético-punk proche de Sonic Youth et copine de Nick Cave dans son époque hirsute, propose des performances entre lecture musicale, spoken word et noise made in New York.

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vendredi 12, samedi 13, et dimanche 14 avril 2013

au Cinéma Palace Lumière ALTKIRCH

• Ouverture le vendredi 12 avril 2013 à 18h15 en pré-sence de Samir Abdallah, réalisateur et président du jury, suivie de la projection-débat du documentaire Gaza-strophe.

• 40 courts métrages et documentaires en compétition (Inde, Royaume Uni, Belgique, Pays-Bas, Australie, USA, Canada, Espagne, Allemagne, France et Alsace).

• Cycle les conflits d’hier et d’aujourd’hui (Palestine, Algérie, Cambodge, Égypte).

• Cérémonie de clôture et remise des prix le dimanche 14 avril 2013 à 17h00.

Association Forum +Ville d’Altkirch

Mairie – BP 1011 68134 Altkirch cedex0033 (0) 389 08 36 03

[email protected]

VARIATIONS

variation couchée

déclinaison standard

variation textuelle

variation épurée

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Le Badisches Staatstheater de Karlsruhe continue son exploration de l’opéra français avec une efficace production de La Vestale de Spontini. Une rareté qui déploie ses charmes autour d’un amour interdit1 dans la Rome antique.

Par Hervé LévyPhoto de Jürgen Frahm

À Karlsruhe, au badisches Staatstheater, les 11, 17 et 26 avril ainsi que les 12 et 26 mai

+49 721 355 70www.staatstheater.karlsruhe.de

S i La Vestale (1807) ressemble au chaînon manquant entre les ouvrages de Gluck et le grand opéra français

d’un Meyerbeer, force est de constater que l’époque n’est pas tendre pour l’œuvre de Spontini qui n’est plus guère montée sur les scènes européennes, alors qu’on fêtait en 1830 sa 200e représentation à l’Opéra de Paris. Dommageable oubli pour une pièce adulée par Berlioz (« Foudres du ciel ! Quelle musique ! » écrivait-il à son propos dans ses Soirées de l’orchestre) qui annonce Norma de Bellini (1831). Il est vrai qu’on ne peut qu’être séduits par une orchestration violente, une partition héroïque (magnifiquement inter-prétée par Johannes Willig, dont la baguette, ductile et précise, fait merveille à la tête de la Badische Staatskapelle) et des scènes de chœur grisantes. L’histoire ? Celle d’un amour impossible entre le général romain Licinius (Andrea Shin, impeccable), de retour d’une campagne victorieuse en Gaule, et Julia, jeune vestale incarnée par Barbara Dobrzanska à la voix étincelante qui se sort avec brio des pièges d’un rôle complexe, rendu célèbre par Maria Callas2. Alors que leurs cœurs et leurs corps se rapprochent, la flamme sacrée qu’elle devait garder s’éteint. Pour cette négligence, elle est condamnée à être enterrée vivante,

mais une intervention divine (humaine, telle-ment humaine, cependant, dans cette mise en scène) permet le happy end.

Pièce écrite sous le premier Empire, La Vestale emprunte à l’époque sa fascination pour l’antique et une volonté de s’affranchir de la tutelle de l’Église, explorant les rapports complexes entre pouvoirs spirituel et tempo-rel avec, en toile de fond, le Concordat signé avec le Pape Pie VII en 1801. C’est cette veine laïque qu’a exploitée Aron Stiehl dans une mise en scène intemporelle : costumes gris pour les militaires, orange seventies pour les vestales qui ressemblent aux adeptes d’une secte dont le symbole serait un gigantesque V rouge et luminescent (comme dans la série avec les vilains lézards d’outre-espace) se déployant sur une couronne de lauriers où s’entrecroisent deux M16. Cette vision des rapports potentiellement incestueux entre le sabre et le goupillon empruntée aux esthé-tiques totalitaires est certes roborative, mais demeure un brin manichéenne, la charge contre la religion faisant, à certains instants, fi d’une subtilité qui aurait été bienvenue. Mais les panzers ne sont-ils pas des armes efficaces dans tout conflit ?

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1 Le titre de cet article signifie du reste “amour interdit” et fait réfé-rence à un des soap operas les plus célèbres dans le monde germanique2 Enregistrement disponible chez Andromeda

verbotene liebe

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RASAINTE

LANCE Avec Eliahu Inbal à la baguette, une mise en scène signée Tatjana Gürbaca, des solistes de premier plan (dont Zoran Todorovich dans le rôle-titre et Susan MacLean, étoile montante de la scène wagnérienne, dans celui de Kundry), cette production de Parsifal promet. Le chef-d’œuvre testamentaire de Wagner, à la fois épopée initiatique et odyssée religieuse syncré-tique, est à découvrir vendredi 12 et dimanche 14 avril au Grand Théâtre de Luxembourg. Cheminons en com-pagnie de celui que Verlaine décrit ainsi : « Il a vaincu l’Enfer et rentre sous la tente / Avec un lourd trophée à son bras puéril. »www.theatres.lu

Une nouvelle coproduction entre l’Opéra-Théâtre de Metz-Métro-pole (représentations du 12 au 16 avril) et l’Opéra national de Lor-raine, à Nancy (du 30 avril au 9 mai) permettra de découvrir la rare Iolanta de Tchaïkovski, Cette étonnante œuvre est l’histoire de la fille du Roi René : elle est aveugle… mais ne le sait pas puisqu’elle vit recluse dans le palais de son père depuis sa naissance. À la fin de ce conte, dont un des personnages centraux est un mystérieux médecin maure, elle recouvrera la vue. Un happy end aux accents mystiques peu coutumier chez le compositeur. Vraiment ? Pour le metteur en scène David Hermann, il s’agit d’une pièce ambiguë qui « contient à la fois une fin heureuse et une fin qui nous mène vers la mort ». On peut aussi voir Iolanta comme une innocente qui va progressivement perdre sa naïveté, une « transposition féminine de personnages tels que Siegfried, Parsifal ou, pour rester dans la tradition slave, d’une Rusalka ». C’est dans un décor contemporain et glacé, pétri de tech-nologie (un reflet de l’existence virtuelle, dégagée du monde, où la jeune fille évolue) que se déploie une partition pour laquelle Jacques Mercier dirige l’Orchestre national de Lorraine. www.opera.metzmetropole.frwww.opera-national-lorraine.fr

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BALTRAGIQUEAvec cette mise en scène intense et vire-voltante, Vera Nemirova (à qui l’on doit un remarqué Ring à Francfort) s’empare avec intelligence d’Un Ballo in maschera (Un Bal masqué) de Verdi. Présentée au Theater Basel (1er, 13 et 15 avril), cette production de la maison bâloise magnifie une œuvre où les destinées individuelles s’imbriquent intimement dans les événements politiques puisqu’elle s’inspire d’un fait historique, l’assassinat du roi Gustave III de Suède au cours d’un bal masqué, en 1792. Entre Amour, conspiration, amitié et devoir. www.theater-basel.ch

PRINCESSE AVEUGLE

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Inlassable explorateur des limites de la bande dessinée, Marc-Antoine Mathieu nous entraîne dans d’excitantes expérimentations avec une expo-sition autour de 3’’ à la Médiathèque André Malraux et le dernier opus des aventures de Julius Corentin Acquefacques.

Par Hervé Lévy

À Strasbourg, à la Médiathèque André Malraux, jusqu’au 20 avril

03 88 45 10 10www.mediatheques-cus.fr

vertiges graphiques

En 2011, Marc-Antoine Mathieu créait la sensation avec 3’’ – prononcer “trois secondes” – aventure graphique mul-

tiforme qui a débuté par une « version numé-rique. J’étais fasciné par ce geste, tout récent dans l’évolution humaine, consistant, sur les écrans tactiles, à zoomer avec le pouce et l’index. À partir de cette idée, j’ai imaginé 3’’. Très vite, l’envie est venue d’en faire éga-lement un livre1. » Neuf cases carrées en noir et blanc par page. Soient 603 images pour une action qui dure précisément trois secondes (le temps, par exemple, d’un coup de feu) que le lecteur suit, perché sur un photon, accompa-gnant cette particule de lumière qui parcourt 900 000 kilomètres. De reflet en reflet, les images s’enchâssent les unes dans les autres, construites avec une immense rigueur : « Je me suis mis dans la peau d’un architecte. Avec pour point de départ un croquis de base, il a fallu tout ajuster, ne pas se tromper dans les angles de vue, dans les trajectoires du photon, pour que l’édifice tienne debout. » À ces deux dimensions initiales, l’exposition (présentée à la Médiathèque Malraux) en ajoute une troisième : « Chacune requiert une attitude différente ».

L’Empire de la lumièreDevant cet album muet sans aucune bulle (seul une mouche pousse un « ! »), le “lecteur enquêteur” est invité à fouiller les angles morts, à lire les journaux que tiennent les personnages à la main, à observer les détails et à chercher tous les indices possibles d’une narration éclatée. Au cours de cet intervalle temporel minuscule se manifestent en effet les contours d’une histoire dont la toile de fond est l’univers corrompu du football. Si ce Cluedo fascine, il questionne également les codes de la bande dessinée : « Un des fonda-

mentaux du genre est de laisser une zone de liberté pour le regard dans l’entre-cases, cette gouttière blanche que Thierry Groensteen2 nomme l’espace inter-iconique. C’est une ellipse temporelle qui permet à l’imagina-tion du lecteur, même inconsciemment, de se déployer. Dans 3’’, elle est réduite au néant, rendant toute échappatoire impossible. Cette contrainte va de pair avec une construction faite de zooms en lignes droites dans les-quels on est obligés de suivre la lumière. » Une telle double privation de liberté dans la lecture est une formidable invitation faite au lecteur, puisqu’il lui est proposé de « plonger dans les coins et recoins du dessin pour cueillir des indices et réinterpréter les dif-férents signes afin de reconstituer l’intrigue, de découvrir ce qui est en train de se passer, voire de réinventer ses propres histoires. » Finalement, le champ suggestif tradition-nel de la BD a subi une simple translation, intégrant le cœur de l’image, ici considérée comme l’épicentre du mystère et le point de départ de tous les possibles, l’œil, malgré les apparences, étant libéré. Assez éloignée de cette lecture cérébrale, la version numérique de 3’’ propose une « expérience physique proche du vertige » : le regard complètement contraint pour le coup, nous sommes happés dans un « tunnel d’images » où il est presque impossible de discerner une trame narrative. C’est le zoom absolu et envoûtant qui gobe le regardeur pour le rejeter, hébété. Cette réflexion sur la réalité – qui évoque Blow up d’Antonioni – va bien au-delà de la simple BD numérique, s’émancipant de la case pour devenir autonome… ce qui n’est pas le cas de l’exposition (qui, déployée – son mode de présentation “normal” – ferait 33 mètres de long) : « Il s’agit simplement de générer une autre manière de voir l’album, de plonger

BANDE DESSINÉE

1 Chaque album (paru chez Delcourt) contient le code permettant d’accéder à la version numérique www.editions-delcourt.fr/3s2 Théoricien de la bande dessinée3 Dans quelques mois paraîtra à L’Association, Labyrinthum, pro-chain livre de Marc-Antoine Mathieu www.lassociation.fr

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dans les cases en les agrandissant et d’avoir la possibilité de se promener au cœur de l’image. » Une variation d’une autre essence sur la notion de zoom, en somme.

Dreams are my realityMagritte, Borges, Ionesco, Beckett… À la lecture des œuvres de Marc-Antoine Mathieu, traversées par des thématiques que ces créa-teurs ont explorées – le labyrinthe3, la mise en abyme, le miroir ou encore l’absurde – les références peuvent s’empiler sans jamais, cependant, rendre compte de la profonde originalité d’un auteur qui a développé, au fil des albums, « une rêverie prenant en compte le statut du livre papier ». C’est sans doute la saga Julius Corentin Acquefacques, dont vient de paraître le sixième opus (après neuf ans d’attente), qui reflète le mieux cette démarche. Acquefacques ? Voilà une version inversée (et phonétique) de Kafka dont l’univers donne bien des traits à une saga qui se plaît à explo-rer la bande dessinée : invention de l’anti-

case (un rectangle découpé dans la planche), irruption de la 3D (avec lunettes fournies), insertion d’une spirale version pop-up ou encore, dans le dernier-né Le Décalage, pages déchirées. Drôle d’album du reste qui s’ouvre, conformément à son appellation, par la page 7 faisant office de couverture. Logique puisque « le livre débute alors que l’histoire a déjà commencé ». Dans cet opus composé sur le principe du mouvement perpétuel, le héros est exclu de sa propre aventure et les personnages secondaires vont tenter de le retrouver dans une quête poétique – Schuiten n’est parfois pas loin – entraînant le lecteur dans un désert où les grains de sable sont des mots, au milieu duquel émergent, comme de fascinantes cités antiques oubliées, les contours de planches de bande dessinée en ruines. « Ce hors-piste métaphysique m’épuise », déclare un des pro-tagonistes. Marc-Antoine Mathieu, lui, reste dans les clous, proposant une épopée onirique à la rigoureuse construction intellectuelle.

Le Décalage, tome 6 de Julius Corentin Acque-facques, prisonnier des rêves vient de paraître chez Delcourt (14,30 €)www.editions-delcourt.fr

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À partir de Walden ou la vie dans les bois, récit d’Henry David Thoreau, Ramona Poenaru et Gaël Chaillat créent Ma Cabane, pièce “construite” avec l’aide de jeunes Mulhousiens. Une invitation à sucer la moelle de la vie.

Par Emmanuel Dosda

À Mulhouse, à La Filature, les 9 et 10 avril (à 19h, en première partie de Tout va bien en Amé-rique, voir page de droite)

03 89 36 28 28www.lafilature.org

À Erstein, à l’Auditorium du Musée Würth, mardi 7 mai (à 10h30 et 14h30)

03 88 64 74 84www.musee-wurth.fr

thoreau par les cornes

Nous rencontrons Ramona Poenaru (vidéo) et Gaël Chaillat (manipula-tion) de la compagnie Des Châteaux

en l’air, chez eux, à Strasbourg, à quelques jours de leur séjour au long cours à La Fila-ture. Au beau milieu de cartons éparpillés – éléments de la mise en scène –, ils s’ap-prêtent à vivre une résidence d’un mois dans l’enceinte du théâtre mulhousien, avec enfants et bagages. Une retraite faisant écho (toutes proportions gardées) à celle d’Henry David Thoreau (1817-1862), auteur de Walden qui s’est isolé durant deux ans, deux mois et deux jours, de 1845 à 1847, dans une cahute construite de ses mains, au bord de l’étang de Walden. Sous les arbres, en contact direct avec la nature, l’Américain observa la flore et écouta le chant des oiseaux. Il renoua avec ses fondamentaux, loin des contraintes de la société, de l’argent et des conventions. De cette expérience solitaire (relative : il n’est qu’à quelques kilomètres du monde civilisé dont il ne se coupe pas totalement), il tirera Walden, un ouvrage fondamental s‘adressant « à ceux qui doutent, une réflexion philoso-phique qui donnent des outils pour aborder la vie », selon Ramona et Gaël.

Quel impact a, aujourd’hui, ce récit écrit au XIXe siècle ? Pour apporter une réponse, le couple initie une réflexion autour d’ateliers pédagogiques avec des collégiens et lycéens

de Mulhouse. Gaël Chaillat : « Le texte est magnifique, lyrique, avec des envolées philo-sophiques. Mais nous n’allons utiliser que des extraits, des idées, des mots, pour initier une discussion. Thoreau nous dit : simplifiez vos besoins pour vivre, devenez ce que vous êtes, n’écoutez pas les gens autour de vous… pour ne pas apercevoir, à l’heure de votre mort, que vous n’avez pas vécu. » Se retirer, prendre le temps de penser, de se demander « quelle est sa cabane intérieure et comment forger sa pensée » ?

Ma Cabane, forme courte, dispositif dont l’esthétique répond à l’ascétisme de Thoreau, oscille entre installation plastique et théâtre. Dans la salle, des extraits sonores rendront (en partie) compte des différents ateliers. Sur scène, des cartons empilés, tels des briques agglomérées symbolisant une réflexion qui s’organise peu à peu, permettent des jeux de construction et de déconstruction grâce aux manipulations de Gaël. Ils prendront la forme d’éléments architecturaux et devien-dront espaces de projection sur lesquels défileront des images : la Maison du peuple de Ceausescu, des villas dans un lotissement ou encore des habitats de fortune. Un jeu de Lego, une vision pointilliste de la philosophie de Thoreau, « une plongée dans la pensée en mouvement de l’auteur de Walden ».

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Tout va bien en Amérique, vraiment ? David Lescot, artiste associé à La Filature, questionne l’histoire non officielle des États-Unis à travers une pièce musi-cale, un oratorio slamé et chanté, à l’inouï casting.

Par Emmanuel DosdaPhotos de Christophe Raynaudde Lage

À Mulhouse, à La Filature, mardi 9 et mercredi 10 avril

03 89 36 28 28www.lafilature.org

À l’occasion du spectacle Tout va bien en Amérique, initiation à l’Open Mic par le slameur et rappeur D’ de Kabal, samedi 13 avril de 10h à 17h au Noumatrouff

03 89 36 28 34

america, america

Le rêve américain vu par les USA d’en bas. L’histoire, en pointillés, du nouveau monde, de 1492 à nos jours, de

Christophe Colomb à Rudolph Giuliani1. Tout va bien en Amérique, ce sont des parcours singuliers narrés via un long texte épique sur Catherine Weldon – peintre new-yorkaise du XIXe siècle qui s’est immergée dans une réserve indienne auprès du chef Sitting Bull –, des extraits du poète Charles Reznikoff ou « un grand poème interrogatoire sur les insti-tutions américaines » de Walt Whitman. Tout au long de la pièce, il est question d’anti-héros et de marginaux, du génocide des Indiens, de ségrégation, d’esclavage ou d’abolitionnisme, de la grande histoire et « d’aventures minus-cules », commente David Lescot2.

Le metteur en scène a pour habitude de s’adresser aux comédiens comme un chef d’or-chestre à ses musiciens. Sous sa baguette, un impressionnant et hétéroclite casting regroupe le poète hip-hop Saul Williams (vedette du film Slam de Marc Levin), la chanteuse gospel américaine Ursuline Kairson, le rappeur fran-çais D’ de Kabal ou la comédienne Irène Jacob

(notamment vue chez Kieślowski). Épaulé par Benoît Delbecq, pianiste et directeur musical, David Lescot a « mis en place » un “essai théâ-tral” expérimental : « Quand on monte une pièce d’Ibsen, on sait à peu près où on va ! Là, il a fallu inventer une forme. Nous nous sommes approchés de celle du concert, de la revue. C’est un spectacle de music-hall inclas-sable mélangeant poésie, musique, fausses conférences et projections sur un écran de six mètres sur six. » Chaque soir, sur le plateau, le vidéaste Éric Vernhes crée « une mémoire vivante du spectacle » à laquelle il mêle des images d’archives retravaillées et décompo-sées.

La douzaine d’épisodes qui composent le show offre une traversée chronologique faisant le parallèle entre histoire des populations oppri-mées et création musicale : le blues, le jazz ou le rap sont autant de cris indissociables du contexte politique et social qui les a vu naître. Si tout n’est pas rose, le temps passe vite durant ce long périple américain par les petites routes, le volume de l’autoradio monté au maximum.

THÉÂTRE MUSICAL

1 Médiatique Maire de New York, de 1994 à 20012 Lire l’article sur Le Système de Ponzi, spectacle sur le monde de la finance, dans le Poly n°148 ou sur www.poly.fr ; à voir du 14 au 17 mai au CDN de Besançon www.cdn-besancon.fr

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Sous la baguette de Michal Dworzynski, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg nous entraîne sur les rives du Styx (1999) avec le concerto pour alto de Giya Kancheli, compositeur mystique et minimaliste.

Par Hervé LévyPhoto de Luciano Rossetti © Phocus ECM Records

À Strasbourg, au Palais de la musique et des congrès, jeudi 11 et vendredi 12 avril

03 69 06 37 06www.philharmonique.stras-bourg.eu

sur le fleuve des morts

Un pont entre les vivants et les morts, mais également entre « le monde vocal du chœur et l’écriture instru-

mentale pour orchestre » : voilà comment Giya Kancheli (né en 1935) décrit le rôle de l’altiste (Maxim Rysanov, pour cette soirée) dans un concerto qui plonge le public au cœur d’un entre-deux où toute temporalité semble abolie. « Dès la toute première note, nous

sommes libérés de notre perception ordinaire du temps pour flotter dans l’éternité comme des nuages », écrivait Alfred Schnittke1 pour décrire l’art du compositeur géorgien. C’est bien ce sentiment qui nous étreint dans Styx, partition qui reflète une œuvre minimaliste – évoquant parfois celles de son exact contem-porain Arvo Pärt2 – et mystique où le silence possède une place centrale : « Quand une per-sonne entre dans une église, une synagogue ou une mosquée, alors qu’il n’y a pas d’office, elle se trouve confrontée à une sorte de silence tout à fait spécial. Je veux transformer cela en musique et pense être “programmé” pour écrire des partitions qui bougent très lente-ment, d’un mouvement presque impercep-tible. Le silence est préparé par la musique, et se transforme lui-même en musique. Mon rêve est d’atteindre ce type précis de silence. Peut-être, la plus belle musique, du reste, est-elle le silence. » Accompagnant cette page contemplative, la Symphonie n°2 de Rachma-ninoff, pleine de bruit et de fureur, créera un fécond contraste.

kancheli, côté cdSi Styx a fait l’objet d’un remarquable enregistrement dans la collection 20/21 de Deutsche Grammophon, la plus grande partie de l’œuvre de Giya Kancheli est éditée chez ECM : il en va ainsi du remarquable Dipli-pito (2004), belle introduction à son minimalisme inspiré contenant deux

pièces majeures, Valse Boston (pour piano et cordes) et Diplipito (pour violoncelle, contre-ténor et orchestre). Dégagées de toute “scories” superficielles, ces partitions d’une intense fluidité semblent se dresser vers le ciel comme de vibrantes prières séculières.www.ecmrecords.com 1 Compositeur russe (1934-1998)

2 Compositeur estonien (né en 1935)

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Musée des Beaux-Artsde MulhouseExposition du 6 avril au 26 mai 2013tous les jours (sauf mardis et jours fériés) de 13h à 18h30

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Fernand d’OnofrioDieu moléculaire

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Mis en scène par Emmanuelle Laborit, Héritages mêle français et langue des signes, éclairant une histoire passée sous silence : celle des sourds.

Par Dorothée LachmannPhotos de Sylvie Badie-Levet

À Colmar, à la Comédie de l’Est, mercredi 3 et jeudi 4 avril

03 89 24 31 78www.comedie-est.com

www.ivt.fr

le geste a la parole

THÉÂTRE

Nous sommes en 1760. L’abbé de l’Épée observe deux sœurs malentendantes communiquer entre elles par gestes.

Précurseur, il va poser les bases de la LSF (Langue des Signes Française) en calquant une grammaire gestuelle sur la syntaxe du français. En 1791, l’Assemblée nationale pro-mulgue une loi permettant aux sourds de bé-néficier des Droits de l’Homme. Mais le XIXe siècle voit le triomphe des oralistes qui votent l’interdiction des gestes dans l’éducation des sourds, les condamnant ainsi à un double silence lors du Congrès de Milan de 1880. « La LSF était une langue estimée “animale” à l’époque. Aujourd’hui, existent des lois re-connaissant la Langue des Signes Française, mais, dans les faits, rien de concret n’a été appliqué », explique Emmanuelle Laborit. Comédienne et metteuse en scène, elle dirige l’IVT (International Visual Theatre) depuis 2003. Dans Héritages, convoquant le spectre du fameux congrès, elle met en lumière les traumatismes et l’évolution de cette histoire méconnue, à travers le parcours d’une famille du XXIe siècle.

Né d’une résidence de l’écrivain Bertrand Leclair à l’IVT, le texte se nourrit largement de témoignages. « En amont de la création de la pièce, l’auteur a participé à des ateliers avec les comédiens sourds, afin d’échanger

sur leur vision de leur histoire, sur la manière dont ils en ont eu connaissance. À partir de ce matériau, il en a tiré une fiction », pour-suit Emmanuelle Laborit. Sourd profond de naissance, Julien Laporte revient dans sa maison familiale, vingt-cinq ans après l’avoir fuie. Sa mère vient de mourir, son frère et sa sœur veulent régler l’héritage. De retour sur le lieu d’une enfance désastreuse, soumise à l’autorité d’un père obsédé par les thèses oralistes, il est accompagné d’une amie in-terprète puisqu’il s’exprime désormais uni-quement en langue des signes. Une présence ressentie comme une agression par son frère, comme une souffrance par sa sœur. L’ombre du père plane sur les retrouvailles. Sur scène, la confrontation des deux langues est un choix revendiqué : « Un moment en LSF sans tra-duction pour une immersion totale dans le monde des sourds et vice-versa. C’est une plongée à travers ces deux langues, pour deux publics. Ils reçoivent la même information. » Trois comédiens sourds et trois comédiens entendants participent à cette rencontre de deux univers, dont le potentiel de quiproquos n’est pas pour déplaire à la metteuse en scène qui entend bien « jouer des confusions et des impossibles ». Mais aussi « explorer les vibra-tions des voix perceptibles au public sourd. Être à l’écoute des silences. Faire de la tra-versée une expérience. »

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Kintz Collection – Mulhousewww.kintz-decoration-meuble-mulhouse.com

Studio Café – Forbachwww.studiocafe.e-monsite.com

Abbaye de Neumünster – Luxembourgwww.ccrn.lu

Espace Multimédia Gantner - Bourogne www.espacemultimediagantner.cg90.net

Le Théâtre National de Strasbourgwww.tns.fr

où trouver Les lieux référents (plus de 120 exemplaires)

Bas-RhinStrasbourg La Boutique Culture, CG67, Cinéma L'Odyssée, Graphigro, Restaurant la Victoire, CUS, Région Alsace, Pôle Sud Oberhausbergen PréO Ha-guenau Médiathèque, Théâtre, Mairie Sélestat Frac Alsace, Mairie Schiltigheim Mairie, École de Musique, Le Cheval Blanc Illkirch L’Illiade Bischwiller MAC

Haut-RhinColmar Le Poussin Vert, CG68, Cinéma ColiséeIllzach Espace 110 Kingersheim Espace Tival Mulhouse Cinéma Bel Air, Mairie, Filature Saint-

Louis Mairie, Musée Fernet Branca

Franche-ComtéBelfort Centre chorégraphique Montbéliard MA Scène nationale, Hôtel particulier Sponeck

LorraineForbach Le Carreau Metz Opéra théâtre de Metz Métropole

LuxembourgLuxembourg MUDAM

Les lieux de diffusion ++ (entre 30 et 90 exemplaires)

Bas-Rhin Bischheim Mairie, Centre Culturel, Salle du Cercle, Bibliothèque (Cour des Bœcklin) Haguenau École de Musique, Musée Historique, Relais Culturel Hœnheim Mairie Illkirch Mairie Lingolsheim Mairie Obernai Espace Athic Ostwald Mairie, Château de l'Île, Le Point d'Eau Sélestat ACA Saverne Rohan Schiltig-heim Ferme Linck Strasbourg Arte, CIRDD, Espace Insight, FEC, La Choucrouterie, L'Artichaut, Le Kafteur, Lisaa, La Maison des Associations, Stimultania, Strasbourg Événements, Café Broglie, Snack Michel, Trolleybus, Archives de la Ville de Strasbourg et de la CUS, CEAAC, CRDP, Restaurant Chez Yvonne, Cinéma Star St Éxupéry, IUFM, Afges, Électricité de Strasbourg, MAMCS, TJP Petite Scène et Grande Scène, Espace avenir de l'Université de Strasbourg, CCI de Stras-bourg, La Laiterie, les Taps Gare et Scala, Pôle Sud, Le Vaisseau, l'École d'Architecture de Strasbourg, Fnac, BNU, Bibliothèques du Neudorf, Hautepierre, Kuhn, Meinau & de Cronenbourg, Creps Cube Noir, Le Maillon, l'Opéra National du Rhin, l'École supérieure des Arts décoratifs, Le Théâtre national de Strasbourg Vendenheim Espace Culturel

Haut-RhinAltkirch Crac Alsace Cernay Espace Grün, École de musique Colmar Hiéro Colmar, Lézard, Le Grillen, Civa, Bibliothèque Municipale, Musée d'Unterlinden, Fnac, École de musique, Comédie de l’Est, Théâtre municipal, Espace Malraux, Mairie Guebwiller Les Dominicains de Haute-Alsace, IEAC Huningue Triangle Kembs Espace Rhénan Kingersheim Créa Mulhouse Kintz Collection, Société Industrielle, Quartz, La Filature, Bibliothèque, Médiathèque, Musée des Beaux Arts, École Le Quai, CCI, Kunsthalle, Théâtre de la Sinne, Musée de l'Impression sur Étof-fes, La Vitrine, École de danse Ribeauvillé Salle du Parc Rixheim La Passerelle Saint-Louis Théâtre de

la Coupole, Médiathèque Thann Relais Culturel

Franche-ComtéBelfort Mairie, Le Granit, Tour 46, Médiathèque, CNCFC, École d’art Gérard Jacot, Citadelle, CG 90, Cinéma des Quais Bourogne Espace Multimédia Gantner Montbéliard Le 19, Le Château (Musée), Les Bains, Médiathèque, La Maison d’Agglomération, Musée d'art et d'histoire Beurnier Rossel, Mairie

LorraineForbach Office de tourisme, Mairie, Le Carreau, Le Castel Coucou, Restaurants Le Carré mauve, le Loungo, Studio Café Lunéville Mairie, Théâtre La Méridienne Meisenthal CIAV, Cadhame, Musée du Verre et du Cristal Metz L'Arsenal, Les Trinitaires, le FRAC Lorraine, Ville de Metz, Médiathèques : Pon-tiffroy, Sablon et Jean-Macé à Borny, Bibliothèques : Bellecroix, Magny, Patrotte, Musée de La Cour d'or, Ensemble Poirel Nancy Théâtre de la Manufacture, la Médiathèque de la Manufacture, l'Opéra national de Lorraine, Mairie, Musée des Beaux-Arts de Nancy, Bib-liothèque Stanislas Phalsbourg Mairie, OT, Musées Saint Louis les Bitche Cristallerie Sarreguemines Mairie, Office de tourisme, Musée de la faience, Jardin des faienciers et moulin Blies, Restaurant café concert le “Terminus” Thionville Théâtre en Bois (NEST), Mairie, Bibliothèque municipale, L'Adagio, Centre Jacques Brel

LuxembourgLuxembourg la Philharmonie, le Casino, l'Abbaye de Neumünster, Musée National d'Histoire et d'Art du Luxembourg

Et dans d'autres lieux (bars, restaurants, magasins…)

Les lieux de lecturec Les salles d’attente des Hôpitaux

Universitaires de Strasbourg, Mulhouse, Montbéliard, Metz

c 120 barsc 80 restaurantsc 60 salons de coiffure

c 40 cabinets médicaux et dentaires

Si vous souhaitez vous aussi devenir un lieu de diffusion pour Poly, n’hésitez pas à nous en faire la demande.Contact : [email protected]

www.poly.fr – prochaine parution le 2 mai

(de 2 à 5 exemplaires de lecture)

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64 Poly 157 Avril 13

Eugène est né l’année de la Soca Dance, le 22 avril 1990, dans une ville portuaire de la côte Armoricaine. À 18 ans, il prend le TGV pour la capitale où il reste deux ans pour graver des gommes à l’École Estienne, avant de re-prendre le train pour Strasbourg. Il rentre à l’École des Arts décoratifs et termine sa sco-

larité l’année du Gangnam style. En 2013, à l’issue du quarantième festival d’Angoulême, il est premier lauréat du Prix Jeunes Talents – qui récompense des auteurs n’ayant encore jamais publié professionnellement – avec son Life on Mars.

www.eugeneriousse.com

eugène riousseL'ILLUSTRATEUR

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Musée des Beaux-Arts de Mulhouse 28 mars - 26 mai 2013 tous les jours (sauf mardis et jours fériés) de 13h à 18h30

Entrée libre

Aujourd’hui pour demainproposition n°2

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Le Miroir et le Marteau  Mercredi 10 avril à 19 h

avec Guigou Chenevier, Gilles Laval, Franck Testut,

Emmanuel Gilot et les élèves de la Maison des Arts

Concert

www.lingolsheim.fr - Maison des Arts - 8 rue du Château - Lingolsheim

Réservations : 03 88 78 88 82 ou [email protected]

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66 Poly 157 Avril 13

Avec le festival FACTO, La Méridienne de Lunéville explore depuis deux ans des écritures scéniques hors des sentiers battus, à la croisée des disciplines. Voilà un laboratoire bouillonnant de créativité qui décrit le monde d’une façon inédite autant qu’insolite.

Par Dorothée Lachmann Photo de Bushido, Histoires cachées

À Lunéville, à La Méridienne, du 8 au 20 avril

03 83 76 48 60www.lameridienne-luneville.fr

ovnis

Scène conventionnée pour les écritures scéniques croisées depuis 2011, La Méridienne consacre un temps fort à

ces ovnis artistiques qui fleurissent de toutes parts, sans toujours trouver leur place dans les programmations traditionnelles. Témoin du « renouvellement des écritures scé-niques » et reflet de « l’actualité de la création contemporaine », le festival FACTO réunit des spectacles hybrides, où les disciplines s’entremêlent pour inventer un langage neuf. « Depuis une vingtaine d’années, on assiste au développement de ces formes, qui partent plus souvent d’un travail en plateau que d’un texte. Le nouveau cirque en a été le petit labo-ratoire, passant d’une succession de numéros à une vraie dramaturgie. Aujourd’hui, cette démarche a envahi tous les arts de la scène. Bien souvent, on ne sait plus où sont les fron-tières », expose Florence Faivre, directrice de La Méridienne et programmatrice du festival qui rajoute : « Cette évolution est évidem-ment liée au développement des possibilités techniques, autour de la vidéo, de la spatia-lisation du son, etc. Elle s’explique aussi par la formation plurielle des artistes, qui créent une nouvelle façon de raconter le monde. »La deuxième édition de FACTO s’articule

autour de deux thématiques. La première, Corps en tension, s’intéresse au corps et à sa place dans l’espace social, avec notamment une création de la compagnie TR’espace, inti-tulée Arbeit (mardi 9 avril). Jongleur, Roman Müller tente d’appliquer l’évolution historique du travail à son art : faire appel à une machine pour faire tourner son diabolo, transmettre l’impulsion en ligne, délocaliser certaines parties du mouvement… Sa chaîne de pro-duction circassienne invite autant à l’hilarité qu’à une réflexion sur le rapport du corps au travail à l’heure de la mécanisation. La seconde thématique du festival, Confidences urbaines, propose de découvrir « la poésie qui se cache dans les rues de la ville ». Avec Histoires cachées (vendredi 19 et samedi 20 avril), du Begat Theater, le spectateur déam-bule, casque sur les oreilles, en suivant un objet qui passe de main en main, reflétant les pensées des personnages et permettant de se faufiler dans leur tête. Un voyage intérieur étonnant où la fiction infiltre la réalité. « La notion de “spectacle de rue” est en train de muter complètement et c’est passionnant », s’enthousiasme Florence Faivre. Ce n’est pas le public qui dira le contraire, en découvrant les pépites que réserve le festival FACTO.

Page 67: POLY n°157 – Avril 2013

La méridienneSCÈne COnVenTiOnnée de LUnéViLLe

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EXPOSITION À LA MAISON DE LA RÉGION

DU 5 AU 27 avril 2013

Mon énergieTomi Ungerer

L’exposition inédite Tomi Ungerer intitulée “MonÉnergie” présente des oeuvres encore jamaisdévoilées. ÉS y propose un de ses fonds dedessins inédits. La rétrospective revient sur 15 ansde collaboration entre l’artiste et l’entreprise.

Très inspiré par la thématique de l’énergie engénéral et de l’électricité en particulier, TomiUngerer nous livre avec beaucoup de mouvementet d’humanisme des dessins empreints de talentet d’originalité qui illustrent sa vision de l’usagede l’électricité dans notre quotidien.

1 place adrien Zeller •StraSbourg DU LUNDI AU VENDREDI DE 9H À 18H ENTRÉE LIBRE

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68 Poly 157 Avril 13

Un cliché argentique jauni nous plonge dans un intérieur désuet mais charmant. Accueillant, même, avec ses coussins moel-leux, et chaleureux grâce à son mur en boi-serie recouvert de tableaux de volatiles. Cette photo de famille noir & blanc (14,1x16,9 cm) semble tout droit sortie d’un coffre poussié-reux dégoté au fond du grenier. Volontaire-ment imprimée sur du vieux papier photo, elle semble avoir traversé les âges. Elle est pourtant issue d’une série récente de Benoît

Linder, entamée en 2008, et prise à l’intérieur de la maison de ses parents dans le quartier strasbourgeois du Neudorf. Pour le photo-graphe, ces habitations plutôt humbles, mais dotées de vastes jardins-potagers, témoignent d’un mode de vie aujourd’hui disparu, à mi-chemin entre espace urbain et monde agricole. Émouvante trace d’un temps révolu, l’inven-taire réalisé par Benoît (complice régulier de Poly), dans et autour de la demeure parentale, est amené à se poursuivre…

Par Emmanuel Dosda

À Strasbourg, au Continuum, 19A rue de Molsheim, du 30 mars au 27 avril

03 88 24 19 04 www.continuum-sxb.com

www.benoit-linder-photographe.com

UN REGARD la maison de mes parents de benoît linder

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Poly 157 Avril 13 69

Avec l’installation chorégraphique Corpus Sanum, la compagnie marseillaise La Méta-Carpe transforme la petite salle du TJP en sana-torium. Michaël Cros évoque ses étranges pensionnaires.

Par Emmanuel DosdaPhoto de LMC

À Strasbourg, au TJP, du 6 au 14 avril (installation Corpus Sanum ouverte au public du 8 au 12 avril)

03 88 35 70 10www.tjp-strasbourg.com

Exposition de bb végétaux, “acteurs” de Corpus Sanum, dans les serres du Jardin bota-nique de Strasbourg

http://jardin-botanique.unistra.fr

www.lametacarpe.com

l’armée des sombres

De spectacle en spectacle, nous croisons des « humains organiques ou synthé-tiques, des corps chauds ou froids »

ainsi qu’un « peuple étrange ». L’univers de Michaël Cros est traversé de créatures sans visage, entièrement couvertes d’une combi-naison noire moulante, à la manière du per-sonnage séquestré dans La Piel que habito d’Almodóvar. Les “corps sombres” hantent le travail du chorégraphe et plasticien depuis 2007, au moment de Solo sombre où il était dans cette tenue intégrale, accompagné d’une marionnette, enfermé dans une cage. Les bases de son travail sont posées. Qui est vivant, qui est objet ? Qui manipule, qui est manipulé ? « Qu’est-ce qui est humain et qu’est-ce qui est monstrueux ? J’avais envie de continuer à questionner la frontière de l’humanité. » Il monte alors Zoo “Chaleurhu-maine”, revisitant les zoos humains de la fin du XIXe, et La Famille Sombre, reprenant les codes des freak-shows lors desquels des êtres victimes de malformations, des “monstres de foire”, étaient exhibés. « Je suis intéressé par l’inquiétante étrangeté présente chez les “corps sombres”. À la fois familiers et inquié-tants, ils permettent la confusion entre le vivant et l’objet, ils perturbent la perception. Ces corps deviennent anonymes, ils sont très

expressifs, graphiques. Le spectateur va les scruter différemment. »Cette communauté obscure dérive… Avec Corpus Sanum, les individus ambigus et cau-chemardesques de Michaël Cros « sortent de la cage », transposés dans l’univers du soin, s’inspirant de La Montagne magique de Thomas Mann qui décrit un sanatorium, un établissement médical hors du temps et du monde, « point de rencontre entre l’hôpital et le grand hôtel », entre les tuberculeux et les mondanités… Au cours d’une déambulation d’une heure et demie, le spectateur est convié à faire un certain nombre d’expériences de plus en plus longues. Il parcourt le laboratoire, le solarium et les chambres, croise le person-nel soignant ou les pensionnaires en mou-vement. Ici, les “corps sombres” sont autant d’émanations du passé, des souvenirs du centre de traitements dont la visite se termine par « une expérience festive et collective dans le grand salon : un thé dansant ». Corpus Sanum se nourrit de l’histoire du lieu d’accueil. Cet « objet artistique ouvert » vient s’ancrer dans la région grâce à une base documentaire constituée de témoignages effectués à l’ancien sanatorium de Schirmeck ou exhumés à l’Hôpital universitaire de Stras-bourg…

THÉÂTRE / PERFORMANCE

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70 Poly 157 Avril 13

Du retour en 2012 dans son Congo natal, vingt-trois ans après son départ pour l’Europe, Alain Mabanckou tire Lumières de Pointe-Noire. Un carnet de voyage autobiographique, confrontation intime d’un émigré avec les siens, ode dénuée de cynisme à une Afrique mystique.

Par Thomas FlagelPhoto d’Hermance Triay

Retrouvez notre entretien avec Alain Mabanckou sur www.poly.fr

au bord du ruisseau des origines

Le poète et essayiste dont les romans pré-cédents donnaient corps aux frasques des hommes l’entourant dans sa jeu-

nesse (Verre Cassé, 2005) et aux séducteurs sapés (Black Bazar, 2009) signe un récit tou-chant, s’ouvrant sur une faille : celle d’un fils qui, longtemps, mentit sur le sort de sa mère, refusant sa disparition en 1995. Incapable de se rendre à ses obsèques, comme à ceux de son père adoptif, dix ans plus tard. Partir, c’est cheminer avec des fantômes cachés au fond de soi pour partenaires. Dans Lumières de Pointe-Noire s’égrènent les souvenirs d’en-fance au Congo, dans le village de Louboulou puis, dans la rue du même nom à Pointe-Noire où il retrouve « le château de [s]a mère », une cabane en bois bouffée par les termites. La confrontation avec le présent se teinte des couleurs du passé, des traditions et coutumes du pays. Décalage de vie, trajectoires modi-fiant l’être au plus profond de lui-même si ce n’étaient les traces laissées par le rituel initia-tique de Tonton Mompéro lui faisant rencon-trer son double animal – un faon – en pleine

brousse… Alain Mabanckou se retrouve dans les mots d’un autre Congolais, Jean-Baptiste Tati-Loutard* :

« Je traîne à la queue d’une tribu perdueComme un animal des savanes hantéPar le rythme d’un autre troupeau…Il prend alors envie de se mettre au bord du tempsD’errer par les veines obscures de la terreOù cheminent, dans l’apaisement de mille souffrances vécues,Des pauvres que la mort a couverts d’oubli… »

Nous retrouvons avec lui les figures mas-culines de ses romans : le grand frère Yaya Gaston, héros de Demain j’aurai vingt ans, devenu alcoolique, Grand Poupy, le cousin dragueur à la coupe afro très blaxploita-tion ou encore tonton Matété respectant les rites anciens en recueillant son urine pour la mettre en brousse, là où son double animal le reconnaitra. Entre les flopées de neveux, nièces et autres membres de la famille plus ou moins intéressés l’assaillant de demandes de cadeaux ou d’argent, l’écrivain témoigne des batailles entre prostituées zaïroises et ponténégrines du Quartier des trois-cents, refusant le sexe sans préservatif, mais aussi du rôle de la France et de l’Angola dans la guerre civile ayant déchiré le pays. « Cette femme se faisant appeler Madame Claude justifie son statut de prostituée par une his-toire, comme l’escroc s’inventant un rôle de victime dans la guerre civile congolaise pour que je lui paye son repas. Ils créent de nou-velles mythologies contemporaines », confie-t-il. « Elles sont arrivées avec les films du Cinéma Rex, aujourd’hui remplacé par une église évangéliste et, donc, par de nouvelles mythologies ! » La vie suit son court, pleine de choses surprenantes.

LITTÉRATURE

* L’Envers du soleil, Éditions L’Har-mattan, 1970

Lumières de Pointe-Noire, Seuil (19,50 €)www.seuil.com

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12èm

e éd

ition

Intervenants : Nicolas CHAIGNOT, Philippe CHOULET, Daniel EPHRITIKHINE, Thierry HOQUET, Michael VERHOEVEN, Patrick VIGNOLES et Carole WIDMAIER

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72 Poly 157 Avril 13

le beau daboAu début du printemps, la forêt du pays de Dabo resplendit d’un vert profond : une randonnée nous emporte, à la frontière de l'Alsace et de la Lorraine, entre nobles conifères et concrétions rocheuses.

PROMENADE

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Poly 157 Avril 13 73

Dans l’imaginaire collectif, le Dabo est trop souvent réduit à un rocher à la silhouette caractéristique surmonté

de la chapelle Saint-Léon (voir page 75) : il s’agit cependant également d’une commune mosellane d’un peu plus de 2 500 âmes nichée au cœur d’une mer de résineux où, comme l’affirme la sagesse populaire, l’air est plus pur qu’ailleurs. Tout droit sorti de La France de Raymond Depardon avec sa martiale statue de Jeanne d’Arc, son PMU au surprenant aquarium et aux joueurs de Rapido ou encore son tailleur sur cristal et verre1, l’endroit est également le point de départ de multiples randonnées2. Celle que nous avons choisie est une charmante boucle, idéale pour une promenade de printemps permettant de se dérouiller les guibolles après un des hivers les moins lumineux de l’histoire.

Dingues du poudingueNous quittons paresseusement le village, croi-sant plusieurs calvaires du XIXe siècle – dont un bizarrement peint en bleu lagon – et ex-plorant une typologie complexe (et presque complète) de l’habitat pavillonnaire des années 1950 à aujourd’hui. Laissant derrière nous bitume et béton, il est temps d’emprun-ter le Circuit du dieu Baldur (dont le balisage est un cercle bleu) ainsi nommé pour rappeler qu’on vénérait ici cette divinité de la lumière à l’époque celtique. L’atmosphère est en effet propice à la rêverie païenne avec d’immenses concrétions minérales comme le Rocher des

corbeaux (qui culmine à 531 mètres d’alti-tude). Vaste surplomb de 25 mètres de haut, il est constitué de poudingue, ce conglomérat de grès et de galets blancs dedans incrustés, dont l’appellation résulte d’une francisation du très britannique pudding dans les années 1750. L’aspect de la roche rappelle la spé-cialité d’outre-Manche où un liant compact emprisonne fruits confits ou raisins secs. Du sommet, lieu idéal pour une halte au milieu de la bruyère et des pins difformes, la vue est à couper le souffle et le regard se perd dans un océan vert sombre. On pourrait presque croire que Guillaume Apollinaire composa ici son célèbre poème Les Sapins3 : « Des rangées de blancs chérubins / Remplacent l’hiver les sapins / Et balancent leurs ailes / L’été ce sont de grands rabbins / Ou bien de vieilles demoiselles. » La marche se poursuit, déliée et souple, sur un chemin des plus carros-sables, au dénivelé mollasson, en direction du hameau du Grand Ballerstein (dont le nom dériverait de Baldur, encore lui) : en le quit-tant, accompagnés des jappements mi-gro-gnons, mi-joyeux d’un micro-chien échevelé et errant, nous suivons un sentier longeant un des plus impressionnants abris sous roche du massif vosgien surnommé grotte de… Baldur.

Pain et sapinsC’est sur le Heidenschlossefels (ou rochers des païens), magnifique falaise de grès forti-fiée, vraisemblablement au Moyen-Âge, que nous pique-niquons frugalement avec un

Par Hervé LévyPhotos de Stéphane Louis pour Poly

1 www.cristaldedabo.com2 On en trouve une belle sélection sur le site de l’Office de Tourisme du Pays de Dabo – www.ot-dabo.fr3 Dans Alcools, Œuvres poétiques complètes, Bibliothèque de la Pléiade, n°121, 1956 www.la-pleiade.fr

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74 Poly 157 Avril 13

Le Grand Ballerstein

HorenzmattMaison Forestière

Schaeferhof

Rocher des Corbeaux

NORD

DDabo

Strasbourg50 km

Nancy100 km

point de vue cinq étoiles. Un peu de charcu-terie, du Comté vieux, un pain moelleux – on ne dira jamais assez l’importance d’une ba-guette de qualité en ces circonstances –, une salade de navets et du Champagne Chanoine (millésime 2007). Qui a oublié le paquet de Granola ? Une courte sieste, le corps léché par un soleil qui pointe enfin ses rayons, et nous voilà repartis en direction de Schaefe-rhof (avec sa mignonette Grotte de Lourdes), une des composantes de la commune de Dabo qui regroupe également Hellert, La Hoube et quelques hameaux. Le retour se fait, de vallon rieur en maisons isolées, au cœur du pays cher à Erckmann-Chatrian, pseudonyme célèbre derrière lequel se cachent deux écrivains, Émile Erckmann (1822-1899) et Alexandre Chatrian (1826-1890) dont l’ouvrage le plus fameux, écrit à quatre mains, est L’Ami Fritz. C’est eux qui résumèrent avec le plus de fulgu-rance l’esprit des gens du pays au XIXe siècle : « Des bûcherons, des laboureurs, des êtres rudes et bons tout de même, aimant leurs femmes et leurs enfants, honorant la vieillesse de leurs parents, les aidant et leur fermant les yeux dans l’espoir d’une vie meilleure. » Aujourd’hui, les résidences secondaires ont pris le pouvoir et la structure de l’habitat s’en est trouvé amplement modifié nous amenant à nous poser l’éternelle et insoluble question qui rythmera la fin de la randonnée : était-ce mieux avant ?

Départ DaboTemps estimé 4 h Dénivelé 250 m

Le Dabo

PROMENADE

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Poly 157 Avril 13 75

PROMENADE

 on the rockL’emblème de Dabo est un rocher solitaire que nous apercevons, de loin en loin, au fil de la promenade, une vigie de grès veillant sur la contrée surmontée d’une chapelle dédiée à Saint-Léon qui fut le seul pape alsacien. Visite.

Le rocher se détache sur l’horizon. Altier et esseulé, comme un piton oublié qui s’est formé il y a plus de 200 millions d’années et a résisté à l’érosion. Depuis

son sommet, le regard se perd dans le lointain à 360°. Après avoir gravi près de 80 marches (entrée payante, 2 € pour les grands, 50 cts pour les petits), le visiteur débouche sur une esplanade battue par les vents où est posée une chapelle néo-romane de la fin du XIXe siècle dédiée à Saint-Léon. Canonisé en 1807, il s’agit en fait de Léon IX, alias Brunon d’Éguisheim dont le lieu de naissance est disputé : ce fils d’Hugues IV, comte d’Éguisheim et d’Heilwige, fille du Comte de Dags-bourg, naquit-il le 21 juin 1002 dans le château de cette der-nière, alors perché sur ce rocher du comté de Dabo (rattaché au Duché d’Alsace) qui sera rasé sous Louis XIV ou alors dans la localité haut-rhinoise d’Éguisheim ? Les historiens en débattent encore…

Évêque de Toul en 1026, il devient pape le 12 février 1049. Face à un clergé aux mœurs dissolues, souvent plus avide d’espèces sonnantes et trébuchantes que de salut spirituel,

Léon IX cherche à rétablir la discipline au sein de l’Église et se fait l’initiateur de la réforme grégorienne. Mais annon-cer la “bonne nouvelle” dans la ville sainte est une chose, répandre la réforme ecclésiastique dans toute la Chrétienté en est une autre. C’est pourquoi le nouveau Pape se livrera à de multiples voyages. Dans ce cadre, il viendra trois fois sur sa terre natale. Dès novembre 1049, il consacre l’abbatiale d’Andlau puis prend sous sa protection l’abbaye des moniales de Wolffenheim à Sainte-Croix-en-Plaine ainsi que celles d’Ottmarsheim ou d’Oelenberg. Il fonde aussi de nombreuses églises comme Saint-Pierre-le-Jeune à Strasbourg.

Sous le rocher, de naïfs panneaux peints évoquent les proches sommets : le Geisfels (616 mètres) est représenté par une chèvre, le Schneeberg (961 mètres) est un géant coiffé de neige, tandis que le Grosmann (987 mètres) entre-tient une parenté goguenarde avec un homme politique strasbourgeois, amateur de culture. Le voyage s’achève par un petit tour au restaurant désuet et charmant de l’endroit pour une tarte aux myrtilles.

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Dans la capitale européenne, une des adresses les plus exci-tantes a longtemps également été une des plus discrètes : distingué par une étoile au Guide Michelin il y a quelques semaines, Le Gavroche et sa cuisine du marché pleine de fraîcheur sont désormais sous le feu des projecteurs.

un titi strasbourgeois

GASTRONOMIE

Depuis des années, Le Gavroche était un secret gastronomique bien gardé et l’adresse s’échangeait entre initiés,

créant un intense bouche à oreille. Il y a peu, le Michelin a jeté une lumière crue sur l’éta-blissement fondé en 1991, lui décernant une première étoile méritée, mais « rien ne va changer » affirme son chef Benoît Fuchs. Son credo ? L’alliance réussie d’un des plus chaleu-reux accueils de la région, d’une salle / écrin au décor minimaliste et élégant pouvant ac-cueillir une vingtaine de personnes et d’une « cuisine de saison placée sous le signe de la fraîcheur » dont la figure tutélaire serait « celle d’Alain Ducasse » première période, lorsqu’il envoyait le Louis XV sur orbite. Grand collectionneur de livres de cuisine, où son imagination vagabonde, le chef est passé par les meilleures maisons, du Buerehiesel, à l’époque où Antoine Westermann en faisait une référence indépassable, au Cerf de Michel Husser1, via le Kong Hans Kælder (Copen-hague), alors tenu par l’Alsacien Daniel Letz. En famille, avec son épouse Nathalie dont le sourire illumine la salle et son fils Alexis avec

qui il œuvre en cuisine, Benoît Fuchs imagine une cuisine de “retour du marché” où l’habi-leté le dispute à l’invention dans de délicats puzzles de saveurs à l’esthétique parfaite ma-gnifiant les produits de saison. Pensons à un majestueux Dos de skreï2 rôti au four, cannel-loni poireau-pommes de terre, à un Agneau, sucettes panées au pain d’épices, mousseline de cocos rouges, herbes fraîches ou encore à un Cocktail de Saint-Jacques arrosé d’un bouillon de poule au gingembre, cœur de laitue et céleri branche. Les fromages sont élégamment présentés, comme des timbres dans un album, et les desserts forment un feu d’artifices final d’une douce légèreté avec, par exemple, une Soupe d’agrumes parfumée à l’eau de rose, sorbet menthe. Et l’on sort du restaurant, durablement charmés par ce Gavroche frondeur et joyeux, en fredonnant la gouailleuse chanson d’Yves Montand qui s’applique bien à ce gamin d’Strasbourg : « C’est tout un poème / Dans aucun pays / Il n’y a le même / Car c’est un titi / Petit gars dégourdi / Que l’on aime. »

Par Hervé LévyPhoto de Stéphane Louis pour Poly

Le Gavroche se trouve 4 rue Klein à Strasbourg. Ouvert du lundi au vendredi.Menus de 32 € (au déjeuner uniquement) à 62 €

03 88 36 82 89 www.restaurant-gavroche.com

1 Voir Poly n°1552 Un cabillaud arctique

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GASTRONOMIE

VU À LA TÉLÉJusqu’au 28 avril, Top Chef s’invite dans une quarantaine d’éta-blissements Châteaux & Hôtels Collection (au Crocodile de Stras-bourg, à l’Hôtel du Parc d’Obernai et chez Philippe Bohrer à Rouf-fach) qui proposeront des menus composés de recettes imaginées par six candidats de l’émission de M6. L’art de Jean Imbert, Norbert Tarayre ou encore Florent Ladeyn et Naoëlle D’Hainaut dans vos assiettes ? C’est désormais possible… www.chateauxhotels.com

MADE IN JAPANDécor épuré, presque zen : le vaisseau amiral de Laurent Peugeot est amarré au milieu des vignes de Pernand-Vergelesses, à quelques enca-blures de Beaune. Le Charlemagne ressemble à un fil tendu entre la Bourgogne et le Japon avec des plats comme le Foie gras de canard, et thon rouge cru façon oshi, sushi tout vert d’algues, écume soja. Le mariage était audacieux. Il est réussi… www.lecharlemagne.fr

Peu de mouvements en Lorraine dans l’édition 2013 du Guide Michelin, si ce n’est la première étoile attribuée aux Jardins de Sophie à Xonrupt-Lon-gemer, récompensant le travail du chef Hervé Cune. Une excitante plongée, au milieu d’un océan de sapins, dans les délices du terroir avec notamment une subtile variation autour du brochet dans une Véritable quenelle gratinée, risotto carnaroli à la chair de tourteau, fin velouté de celui-ci. www.hotel-lesjardinsdesophie.com

ÉTOILE DES NEIGES

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LA HACHE RELOADEDÀ Strasbourg, depuis 1257, La Hache sert à boire et à manger : record battu ! Cette année, l’enseigne fait peau neuve : un nouveau look très gra-phique tout en contrastes entre contemporanéité et tradition, de nouveaux horaires (ouvert uniquement en soirée, mais sept jours sur sept, jusqu’à minuit) et une nouvelle carte avec une cuisine de bistrot. À tester : des plats canailles comme d’exquis Rognons de veau à la moutarde de Dijon. www.la-hache.com

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Dessinée par l’architecte japonais Kengo Kuma, La Cité des Arts réunit sous un même toit “pixelisé” le Frac Franche-Comté et le Conservatoire à rayonnement régional de Besançon (CRR). Un bâtiment fluide et d’une grande douceur.

doubs au regard

La friche portuaire située à l’entrée de Besançon se métamorphose en pôle culturel, le long des berges du Doubs,

au pied de la citadelle Vauban. Ce nouvel équipement dialoguant avec l’environnement abrite le Fonds régional d’art contemporain et le Conservatoire, unis par l’architecture poétique de Kengo Kuma*. Le Japonais est notamment responsable de l’élégante Great (Bamboo) Wall House près de Pékin, construction de tiges de bambous jouant sur les effets d’ombres et de lumière, à la fois traditionnelle et actuelle, se fondant dans la nature.

Les 11 000 m2 de la Cité des Arts sont en har-monie totale avec le contexte où ils s’inscri-vent. Témoin de l’activité industrielle du site, un bâtiment en briques, datant des années 1930, a été conservé, abritant la principale salle d’exposition du Frac de 500 m2. L’ins-titution se déploie sur trois niveaux, comp-tant une seconde salle d’expo de 100 m2, des espaces liés à la médiation culturelle ou encore de réserves de 400 m2. Le Frac et le CRR, aisément identifiables bien que siamois (la trame de la façade du premier est hori-zontale, celle du second, verticale), sont reliés

par le Passage des Arts, au rez-de-chaussée, autour duquel se situent des lieux “mutua-lisés” : centre de ressources documentaires, café, boutique et foyers d’accueil du public. Sur trois niveaux, le Conservatoire comprend 80 salles d’enseignement ou encore un audi-torium de 290 places. De beaux volumes, très divers, mais ingénieusement coordonnés. Un habile mariage de matières.

Composée de pixels – panneaux photovol-taïques, de végétation, d’aluminium et de verre –, la majestueuse toiture de 5 600 m² vient se poser délicatement et “couler” sur les deux entités, évoquant la rivière à proximité. Reprenant le motif en damier présent dans les étoffes du Pays du soleil levant, la façade est elle aussi rythmée par une alternance de surfaces rectangulaires : bois, aluminium gris et verre. La musicalité apportée par la suc-cession d’éléments opaques et transparents, comme des touches de piano, et le rapport au temps (axe principal de réflexion du Frac Franche-Comté) matérialisé par la lumière changeante diffusée via les pixels de Kengo Kuma en fonction des heures, créent une par-faite adéquation entre contenant et contenu.

Par Emmanuel Dosda Photos de David Cesbron

Inauguration de la Cité des Arts, 12 Avenue Arthur Gaulard à besançon, vendredi 5 avrilJournées portes ouvertes au public, les 6 et 7 avril

www.besancon.frwww.citedesartsetdelaculture.fr

* La Cité des Arts, projet soutenu par le Grand Besançon, la Région Franche-Comté et la Ville de Besan-çon, est la première commande publique française de Kengo Kuma www.kkaa.co.jp

Maison européenne de l’architecture – Rhin supérieurEuropäisches Architekturhaus – Oberrhein

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ARCHITECTURE

Le Frac s’apprête à quitter le centre historique pour s’installer dans un lieu flambant neuf. C’était une nécessité ?C’était vital ! Depuis 2005, nous n’avons pas de lieu d’exposition ou d’accueil du public. Installés au préalable au musée des Beaux-arts de Dole, nous sommes allés à Besançon pour travailler sur cette phase préparatoire… qui a pris plus de temps que prévu car le projet architectural est devenu davantage ambitieux. Avec le nouveau bâtiment, nous allons dis-poser d’espaces d’exposition, de réserves, de lieux dédiés à la pédagogie… Bien sûr, nous ne nous sédentarisons pas pour autant et nous ne perdons pas de vue notre mission de diffusion en région.

Est-ce un défi de proposer des exposi-tions dans une enveloppe architectu-rale aussi forte que celle de La Cité des Arts ? La salle à l’étage, très haut white cube de 500 m2 pouvant accueillir des œuvres monumen-tales, est un cadre d’exposition “classique”. Mais les espaces interstitiels, bas de plafond, et la salle du bas, sorte de nef de cathédrale

de 100 m2, sont plus atypiques. Nous allons expérimenter ces lieux très marqués et inviter des artistes à y faire des installations in situ.

La Cité des Arts vous permettra de mu-tualiser des espaces. Y aura-t-il d’autres liens entre le Frac et le Conservatoire ?Le Frac constitue actuellement une collec-tion qui interroge la question du temps, de l’expérience de la durée… présente dans la musique. Nos dernières acquisitions prennent en considération cette dimension : les dessins du compositeur Tom Johnson, la vidéo sonore de Manon de Boer, etc. Nous créons des pas-serelles avec le Conservatoire, en montant par exemple des projets avec des enseignants et des élèves. Nous allons mêler nos publics autour de propositions communes, à la croisée des disciplines.

Trois questionsà Sylvie zavatta, directrice du Frac Franche-Comté

Expositions inauguralesDes mondes possibles, du 6 avril au 25 août & test pattern [nº4], installation de l’artiste et musicien japonais Ryoji Ikeda, du 6 avril au 15 septembre

03 81 87 87 00www.frac-franche-comte.fr

Installation de Ryoji Ikeda© James Ewing

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DESIGN

Épaulés par l’association de réinsertion Libre Objet, les élèves de L’Institut Supérieur des Arts Appliqués (LISAA*) ont décidé de révéler la Poésie du quotidien durant un workshop. Présentation de quelques réalisations.

la vie mode d’emploi

Les élèves strasbourgeois de LISAA, sont allés toquer chez leurs voisins de Libre Objet, association accueillant des per-

sonnes en insertion réalisant des objets conçus par des artistes, pour leur proposer un projet pédagogique avec cet objectif noble : créer des pièces de design inutiles… ou presque. Pour la beauté du geste, le charme des idées, afin de poétiser le quotidien et donner tout son éclat au banal. Durant le mois de février, treize groupes de quatre à six étudiants en BTS de-sign graphique et design d’espace (première et

deuxième année) ont participé à un workshop sur la Poésie du quotidien, en compagnie de personnels encadrants de l’asso. Des ate-liers – laboratoires d’échanges misant sur la transversalité et l’inventivité – sont sortis des prototypes astucieux et ludiques, résultant d’imaginaires sans bornes, mais aussi d’une démarche analytique sérieuse. Certaines des propositions seront éditées, en séries limitées, par Libre Objet.

Par Emmanuel Dosda

LISAA, 1A rue Thiergarten à Strasbourg

03 88 22 44 22 – www.lisaa.com

Point de vente Libre Objet,19 rue Thiergarten à Strasbourg 03 88 32 81 55

www.libreobjet.com

* École formant des étudiants dans les domaines du graphisme, de l’édition, de la pub, de l’archi d’intérieur, du paysage et de l’agencement

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Idées à germerIl s’agit d’un carnet de notes où ont été glissées des graines. Une fois le cahier rempli de com-mentaires et de réflexions, les auteurs de ce véritable objet d’art invitent leur propriétaire à le planter dans la terre et à l’arroser. Les plantes vont alors littéralement traverser le carton et pousser. Les projets qui y sont ren-fermés vont voir le jour. Notre coup de cœur !

La ville jauneVoici un concept très “développe-ment durable“. Que faire en effet des annuaires téléphoniques, devenus obsolètes à l’ère d’Internet et ne connaissant pas de protocole de récu-pération ? Les élèves de LISAA leur donnent une seconde vie en y creu-sant, d’un coup de scie, un labyrinthe qui les transforme en jeu. Reste à placer une bille qui traversera ce par-cours, au milieu des innombrables villes, rues et adresses…

Lueur d’espoirEncore une idée écolo. Un projet réalisable en partenariat avec l’asso Envie (Emmaüs) consistant à faire des bou-quets d’ampoules usagées non recyclables, et d’y joindre une ampoule basse consomma-tion. Celle-ci viendra scintiller au milieu de toutes ces étoiles mortes. Un peu de poésie dans un monde de chutes…

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Jean Gab’1tonton flingueur

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Vous avez eu beaucoup de surnoms. Pourquoi avoir signé votre autobiographie du dernier en liste, Jean Gab’1, votre blaze de rappeur. J’ai été appelé L’emmerdeur, P’tit Charles, La pince… J’ai pris Jean Gab’1 car c’est celui qui correspond le mieux à ma gouaille.

Vous vous exprimez, dans vos chansons et votre livre, avec un argot franchouillard du siècle dernier. D’où vient cette tchatche à la Audiard. Je suis né en 1967 et autour de moi, tout le monde parlait de cette manière. Je n’ai pas attendu les films de Delon pour jacter comme ça. J’ai tété la rue et poussé avec ce langage d’Indien !

À 19 ans, même « gaulé comme un Mikado », vous n’étiez jamais le dernier lorsqu’il était question de dis-tribuer des « escalopes sur les museaux ». Je n’avais pas peur de me battre car je faisais de la boxe et ça change beaucoup de choses. Je me prenais des droites et des gauches toute la journée, alors une de plus ou une de moins…

Dans le monde où vous évoluiez, il était indispensable de ne pas être le dernier à frapper. Il faut être constam-ment prêt à dégainer. Je suis toujours sur la défensive et de nature très nerveuse. Je ne suis à l’aise que lorsque j’ai un pétard, c’est tout. Quand je dis pétard, ça n’est pas un calibre, hein !

Vous écrivez que « la plupart des mecs qui font du rap hardcore n’ont jamais mis un coup de tapette à une mouche. » Faut-il être la dernière des canailles pour être crédible dans le hip-hop. Ce qui m’énerve, ce sont tous ces gus qui se prennent pour ce qu’ils ne sont pas, uniquement parce qu’ils ont vu Scarface !

De tous les gens que vous côtoyiez dans les années 1990 (NTM, Doc Gynéco…), pourquoi êtes-vous le dernier à avoir rappé. J’étais un gangster. Eux, ils n’avaient que ça à foutre. De toute façon, à l’époque, je n’écoutais pas de rap français, il n’y avait que les Américains. NTM et le reste, ça ne rentrait même pas dans mes esgourdes.

Dernière fois que vous avez « pleuré comme un chirur-gien qui aurait merdé son évasion fiscale ». Il y a quatre mois, pour mes chicots : rage de dents !

Après Chacun cherche son chat ou La Haine, dernier rôle au ciné.Seuls Two d’Éric et Ramzy, film sorti en 2007… Ça m’emmerde de ne pas plus tourner car le cinoche est la seule chose que je veux faire. Le rap, c’est un accident.

S’il y avait une vie après la mort, vous souhaiteriez revenir sous la même forme. C’est votre dernière volonté. Exactement, aucun regret… sauf que mon père ait descendu ma mère.

Dernier livre.Sur la tombe de ma mère, édité par Don Quichotte (16,90 €)www.donquichotte-editions.com

Par Emmanuel DosdaPhoto de Benoît Linder pour Poly

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Sol leWitt collectionneur.un artiSte et SeS artiSteS

18.04 > 18.08.13Sol leWitt.

deSSinS muraux de 1968 à 2007

juSqu’au 29.07.13

expositions2013

centrepompidou-metz.fr© Shigeru Ban Architects Europe et Jean de Gastines Architectes, avec Philip Gumuchdjian pour la conception du projet lauréat du concours / Metz Métropole / Centre Pompidou-Metz / Photo Roland Halbe.

vueS d’en haut17.05 > 07.10.13

Beat Generation / allen GinSBerG 31.05 > 09.09.13

hanS richter :rencontreS

28.09.13 > Février 2014 PaParazzi !PhotoGraPheS, StarS et artiSteS

09.10.13 > mars 2014

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