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PLANIFICATION ET POLITIQUES LINGUISTIQUES DANS CERTAINS PAYS SÉLECTIONNÉS D’AFRIQUE DE L’OUEST Rakissouiligri Mathieu OUEDRAOGO Maitre-Assistant à l’Université de Ouagadougou Chevalier des Palmes académiques du Burkina Faso Addis Abeba 2000 UNESCO institut international pour le Renforcement des Capacités en Afrique (IIRCA)

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PLANIFICATION ET POLITIQUES LINGUISTIQUES DANS

CERTAINS PAYS SÉLECTIONNÉS D’AFRIQUE DE L’OUEST

Rakissouiligri Mathieu OUEDRAOGO

Maitre-Assistant à l’Université de Ouagadougou

Chevalier des Palmes académiques du Burkina Faso

Addis Abeba 2000

UNESCO

institut international pour le Renforcement des Capacités en Afrique (IIRCA) ’

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Conception et impression: Mulualem Seyoum Publié en 2001 Par l’lnstihtt International de L’UNESCOpoW

le Renforcement des Capacités en Afrique E..? 2305

Addis Rbéba,Elbiopie,Afrique Tél. (251) -1-557587189 Fax : (251) -I-557585

E-mail : inJô@unesco-iicba.or

Site web : bnp://www..unesco-iicbo.org

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Tables des matières

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Introduction ________________________________________---------------------------------- 1

CHAPITRE I

MÉTHODOLOGIE, DÉFINITIONS ET CADRE-----------------------------3

1.1 Sélection des pays dont les politiques linguistiques sont étudiées dans la présente monographie _______________________________ 3

1.2 Documentation et consultations ________________________________________---- 3

1.3 La question des langues africaines : définitions -----------------------8

1.4 La question de la planification et des politiques linguistiques en Afrique : définitions ______________________________________ 13

1.5 Le cadre des politiques linguistiques dans la région de l’Afrique de l’ouest ________________________________________--------- - ____ - _____ 15

CHAPITRE I I

OBSTACLES ET CONTRAINTES À LA PROMOTION DES LANGUES AFRICAINES ________________________________________---------------- 22

I 1.1 Obstacles et contraintes d’ordre historique ---------------------------23

I 1.2 Osbtacles et contraintes d’ordre politique -----------------------------25

I 1.3 Obstacles et contraintes d’ordre économique ------------------------34

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I 1.4 Obstacles et contraintes d’ordre socio-culturel ---------------------- 38

I 1.5 Obstacles et contraintes d’ordre pédagogique ----------------------- 46

CHAPITRE I I I

PLANIFICATION ET POLITIQUES LINGUISTIQUES EN AFRIQUE DE L’OUEST :L’ÉTAT DE LA QUESTION---------------- 48

CHAPITRE IV

STRATÉGIES DE PROMOTION DES LANGUES AFRICAINES SANS EXCLURE L’ANGLAIS ET LE FRANÇAIS ---------------------57

IV. 1 Politique linguistique et contexte politico-administratif et judiciaire _________; ________ -- _______________________ - ________________________ 57

IV. 2 Politique linguistique et contexte économique -----------------------64

IV. 3 Politique linguistique et contexte socio-culturel --------------------- 72

IV..4 Politique linguistique et contexte intellectuel et éducatif ____ -- ________________________ - ______________________________ - ________ 75

CHAPITRE V _________ - ._._____________________________________------- - ____________ 79

CONCLUSION ___________.___________________ --__- _________________________________ 79

BIBLIOGRAPHIE ________________________________________------- - __________________ 80

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Préface

La présente monographie, réalisée par Mathieu R. Ouedraogo, de l’Université de Ouagadougou (Burkina Faso), fait avancer la réflexion sur la question de l’utilisation des langues au service du développpement. L’auteur estime que les langues africaines, parlées par la majorité de la population, ont un rôle d’une importance cruciale à jouer dans le développement, notamment dans les domaines de la santé, de l’agriculture, de la gouvernante, du com- merce, de la maîtrise de la démographie, de l’amélioration de l’environnement et de l’éradication de la pauvreté. En effet, le développement requiert la pleine participation de la population et ne peut être imposé par le sommet, Or, sans la compréhension et la maîtrise des connaissances et des aptitudes nécessaires, la population ne peut pas activement participer à son propre développement.

L’auteur examine également la prévalence des langues transfrontalières susceptibles de promouvoir le commerce régional et la croissance économique. Une approche pragmatique quant à l’utilisation des langues pour promouvoir la croissance économique et les autres indicateurs de développement pourrait bien s’avérer bénéfique aux communautés économiques régionales dans la réalisation de leurs objectifs.

Selon M. R. Ouedraogo, il existe une situation de laisser-faire con- sistant à s’accomoder de l’essor des langues africaines dans les secteurs informels de l’éducation et de l’économie. Cette situation a entraîné le développement de nombreux aspects des langues africaines à des fins tant éducatives qu’économiques.

L’auteur se dit toutefois convaincu qu’à moins que les gouvernements n’oeuvrent à la promotion de l’utilisation des langues africaines plus activement qu’ils ne l’ont fait jusqu’à présent, il sera difficile, voire impossible de faire

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participer l’ensemble de la population au processus du développement. Etant donné que la langue incarne les connaissances et la culture de tout un peuple, celui-ci ne peut globalement progresser sans les connaissances et I’apppui culturel nécessaires à ses programmes de développement.

Fay Chung Directrice de l’Institut International de I’UNESCO pour le Renforcement des Capacités en Afrique (1 I R C A ) 31 juillet 2000

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Introduction

INTRODUCTION

Gnamba (1981; 235240) fait observer que le développement de tout peuple va de pair avec celui de sa langue. L’impérialisme économique et l’impérialisme linguistique apparaissent ainsi comme deux facettes du même problème. Chaque puissance économique veut bien évidemment promouvoir sa langue en tant que véhicule naturel et normal de sa pensée, de ses valeurs culturelles et de ses idéologies dont elle peut souhaiter, voire imposer l’adoption par d’autres peuples.

Les valeurs culturelles et sociales et les idéologies d’un pays ou d’un peuple sont transmises, de génération en génération, par l’intermédiaire de la langue. Souvent, la langue apparaît non seulement comme le ciment de l’unité nationale, mais aussi comme le creuset où le peuple se fonde en une nation. La langue est également une des forces motrices qui conduisent l’ensemble de la nation vers le progrès et le développement.

II convient, par ailleurs, de faire observer que le développement global va de pair avec le développement linguistique. Les nations les plus dévelop- pées sont celles dont les langues ont renforcé la capacité à prendre en compte les détails et le dynamisme nécessaires pour promouvoir le développement. Si nous reconnaissons qu’il existe une certaine corrélation entre la culture, l’idéologie, l’éducation, le développement global et la langue, alors nous devons admettre qu’il reste beaucoup à faire dans le domaine de la promotion, de l’éducation et des langues en Afrique. L’impression générale qui se dégage de l’analyse des différentes initiatives de promotion des langues africaines depuis les années 60 est que les acquis dans ce domaine restent en-deçà des attentes. Etant donné que la plupart des observateurs estiment que l’identité culturelle de chaque peuple est une valeur inestimable B préserver et à pro- mouvoir, il y a lieu de s’étonner de l’absence de progrès dans les politiques de promotion des langués africaines. Dans la présente monographie, nous allons examiner certains des obstacles et contraintes pouvant entraver la réalisation des objectifs fixés par I’UNESCO et tous les Etats membres dans le domaine du développement des langues et de l’éducation en Afrique. Après avoir

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PlaniJication et politiques linguistiques danscertains pays selectionnes d’afrique de I’ouest

identifié les principaux obstacles et contraintes dans le contexte des pays sélectionnés en Afrique de l’Ouest, nous examinerons les politiques et stratégies pouvant permettre de les surmonter. A cet égard, l’objectif visé est d’explorer les autres mesures, politiques et programmes susceptibles de contribuer substantiellement à la réalisation des objectifs de I’UNESCO dans les domaines de la culture, de la langue et de l’éducation dans la région de l’Afrique de l’Ouest

Des recommandations visant à faciliter la mise en œuvre des stratégies linguistiques dans les pays sélectionnés seront formulées en guise de conclusion.

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Methodologie, definitions et cadre

CHAPITRE I

MÉTHODOLOGIE, DÉFINITIONS ET CADRE

1 .l Sélection des pays dont les oolitiques linauistiaues sont étudiées dans la orésente monographie

La présente étude couvre les pays suivants, sélectionnés au sein de la sous-région de l’Afrique de l’Ouest : Bénin, Burkina Faso, Côte d’lvoire, Ghana, Guinée, Mali, Niger, Nigéria, Sénégal et Togo. Les politiques linguistiques de ces pays seront examinées dans le cadre de l’objectif de l’intégration économique et politique. Ceux de ces pays qui sont francophones, sont membres des mêmes organisations éducatives et culturelles ‘. La question que l’on pourrait se poser est de savoir s’il existe des politiques concertées de promotion des langues africaines. Cette question est particulièrement pertinente pour les langues que l’on pourrait qualifier de transnationales, parce qu’elles sont parlées dans plusieurs pays. Les pays africains ci-dessus ont-ils des politiques concertées dans le domaine des langues et de l’éducation ?

1.2 Documentation et consultations

Compte tenu des contraintes susmentionnées, la documentation est basée sur la consultation de documents dans les centres de ressources, et d’experts des institutions d’éducation et des universités (voir le tableau 1 pour la liste des experts)

Cette approche a sérieusement limité la collecte des données dans chaque pays concerné. Toutefois, étant donné que l’étude couvre des pays constituant des entités politiques et économiques régionales et partageant le même héritage colonial, les données ne varient pas beaucoup d’un pays à l’autre. Les pays francophones d’Afrique de l’Ouest sélectionnés sont membres des mêmes organisations ou institutions du système de la Francophonie. Ils ont des politiques linguistiques pratiquement identiques. Les deux pays anglophones concernés, le Ghana et le Nigéria, ont également

1. voir à ce sujd le tableau 1.

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Planification et politiques linguistiques danscertains pays selectionnes d’ajii’que de l’ouest

pratiquement les memes politiques linguistiques. Compte tenu de ces faits, nous examinerons essentiellement les tendances régionales, et nous nous réfèrerons aux politiques de pays déterminés pour établir des comparaisons ou pour faire ressortir les différences pouvant exister d’un pays à l’autre. Nous nous intéresserons également aux effets de la politique d’intégration économique et politique régionale dans les domaines de l’éducation et des langues dans la sous-région (UMEOA, CEDEAO, OHADA, Conseil de l’Entente, CILS& LIPTAKO-Gurma, etc).

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Methodologie,

definitions et cadre

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Planijication et politiques

linguistiques danscertains pays selectionnes d’afrique de l’ouest

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Methodologie,

dejînitions et cadre

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Planification et politiques linguistiques danscertains pays selectionnes d’afrique de l’ouest

1.3 La question des lanoues africaines : définitions

a) Lanoues indiaènes : ” indigène “, en français, est un adjectif péjoratif et plutôt choquant quand il qualifie une langue. En conséquence, les linguistes n’utilisent pas l’expression ” langues indigènes ” pour parler des langues africaines. Dans la plupart des pays comme le Burkina Faso, le Mali, le Bénin, le Togo, la Côte d’lvoire, la Guinée, etc, on préfère utiliser ’ langues nationales ” ou ” langues africaines “. L’expression ” langue nationale “, dans ce cas, n’a pas le sens de ” langue officielle “, c’est-à-dire la langue utilisée à l’échelle nationale dans l’administration et les transactions commerciales. La ” langue officielle ” est en effet celle qui est utilisée a l’échelle nationale pour l’éducation, l’administration et le commerce. L’expression ” langues indigènes ” n’étant pas généralement acceptée, nous utiliserons, dans la plupart des cas, celle de ” langues africaines “.

b) Langues transfrontalières

Tel que l’indique le tableau 3, de nombreuses langues africaines sont utilisées comme langues de communication dans plusieurs pays. A cet égard, il y a lieu de citer les exemples ci-après :

Hausa (hawsa) : Nigéria, Bénin, Burkina Faso, Ghana, Mali, Niger ;

Fulbe, fulfulde (peulh) : Burkina Faso, Côte d’lvoire, Guinée, Mali, Niger, Nigéria, Sénégal, Gambie, Cameroun ;

Yoruba : Bénin, Niger, Nigéria ;

Bambara / jula : Burkina Faso, Côte d’lvoire, Mali ;

Senoufo : Burkina Faso, Côte d’lvoire, Mali ;

Ewe : Bénin, Ghana, Togo ;

Gurmancéma : Bénin, Burkina Faso, Niger ;

Dagara : Burkina Faso, Côte d’lvoire, Ghana.

Toutefois, aucune de ces langues n’a jamais été considérée comme une langue internationale ou une ” langue de grande communication * (LGC).

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Methodologie. dejînitions et cadre

Dans la présente étude, nous considérons ces langues comme des 11 langues transfrontalières “. Les expressions w langues internationales “, n langues mondiales n ou M langues de grande communication ” sont apparemment des concepts de prestige qui ne s’appliquent jamais aux langues africaines. Ces expressions sont devenues pratiquement spécifiques et ont tendance à signifier, dans le contexte ouest-africain, l’anglais et le français exclusivement.

Les langues transfrontalières sont des langues parlées par des populations dont la zone géographique a été divisée par plusieurs frontières. Le fait que ces langues sont utilisées dans plusieurs pays ne leur confère pourtant pas un statut particulier. La planification et les politiques linguistiques, en termes d’ ” activités délibérées conçues systématiquement pour organiser et développer les ressources linguistiques de la communauté sur une période déterminée “, ne font pas l’objet d’une coordination (Das Gupta, 1973 : 157).

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Plan(jication et politiques linguistiques danscertains pays

selectionnes d’ajÏrique de l’ouest

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Methodologie.

dejitrrtiorrs CI cadre

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Planification et politiques linguistiques danscertains pays selectionnes d’afrique de l’ouest

c) Langues majoritaires

Dans un pays donné, nous appelons W langue majoritaire “, une langue parlée par une grande partie de la population pour qui elle est la langue maternelle ou la première langue. C’est le cas du mooré au Burkina Faso ; du hausa, du yoruba et de I’ibo au Nigéria ; de I’akan au Ghana ; du wolof au Sénégal. Ces langues sont parlées par des groupes ethniques importants.

d) Langues minoritaires

Les langues minoritaires sont parlées par des groupes ethniques minoritaires dans un pays donné. Chacun des pays sélectionnés compte au moins cinquante (50) langues minoritaires parlées par dix mille à plusieurs centaines de milliers d’habitants. Les personnes parlant ces langues minoritaires ne sont généralement pas prêtes à abandonner celles-ci pour adopter une langue majoritaire ou une langue véhiculaire en vue de la promotion d’une langue africaine de grande communication. Elles refusent ainsi de mourir cuturellement.

e) Langues de zone

L’expression ” langues de zone ” se refère aux langues sélectionnées pour faire l’objet d’une promotion dans une zone géographique donnée. A titre d’exemple, au Burkina Faso, il existe trois zones linguistiques : le mooré au centre, le jula à l’ouest , au nord-ouest et au sud-ouest, et le fulfuldé dans la zone sahélienne. La décision de répartir le pays en trois zones linguistiques a été prise en 1979, à la suite de l’introduction, à titre expérimental par le gouvernement, de la langue maternelle des enfants dans le système éducatif au niveau du primaire. Toutefois, cette mesure a fait l’objet de nombreuses critiques, car pour de nombreux parents et enseignants, le mooré, le jula et le fulfuldé n’étaient pas des langues maternelles pour tous les enfants résidant dans ces différentes zones linguistiques. A Ouagadougou, par l’exemple, les parents qui étaient en mesure de le faire ont retiré leurs enfants des établisse- ments ou expérience était tentée.

f) Langues intercommunautaires

Les langues intercommunautaires sont des langues utilisées par des populations pour communiquer à travers un ou plusieurs pays, sans qu’elles soient, pour elles, des langues maternelles. C’est le cas du bambara /jula au Mali, en Côte d’lvoire et au Burkina Faso ; du wolof au Sénégal et en Gambie ; de I’akan/twi au Ghana, en Côte d’lvoire et au Togo ; du hausa au Nigéria et au Bénin ; du songhay au Mali, au Niger, en Algérie, en Libye, en Mauritanie, etc.

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Methodologie. de/îttitiotts et cadre

1.4 c en Afriaue de l’Ouest : définitions

Compte tenu du multilinguisme prévalant dans tous les pays de la région de l’Afrique de l’ouest, quand on parle de planification et de politiques linguistiques, ce qui vient immédiatement à l’esprit est probablement l’ensemble des stratégies visant à résoudre les nombreux problèmes liés ou créés par le contexte du multilinguisme. En conséquence, la planification linguistique devrait être centrée sur la recherche de solutions à ces problèmes, c’est-à-dire, pour reprendre les mots de Rubin et Jernudd (197 1 b : xvi), sur ” la formulation et l’évaluation de solutions de rechange aux problèmes linguistiques en vue de prendre la meilleure décision (ou la décision optimale ou encore la plus efficace) à ce sujet “.

L’expression ” planification linguistique ” est définie différemment par divers spécialistes, en fonction du contexte. Toutefois, ces différentes définitions se réfèrent essentiellement à deux types d’activités :

a) une activité purement linguistique (planification du corpus) ; b) une activité purement linguistique et/ou administrative

(planification du statut de la langue).

Toutefois, la réalité est plus complexe. Très souvent, la planification linguistique couvre à la fois les activités linguistiques et les activités politico-administratives proposées pour résoudre les problèmes de langue ou de communication. II existe de nombreuses publications à ce sujet, d’où nous avons sélectionné les définitions suivantes comme étant les plus importantes et les plus adaptées à notre étude :

1 .La planification linauistiaue en tant au’activité Durement linauistiaue

1 a. Pour Gorman (1973 : 79), l’expression ” planification linguistique ” signifie : ” les mesures prises pour sélectionner, codifier et, dans certains cas, élaborer les normes orthographiques, grammaticales, lexicales ou sémantiques d’une langue, et pour diffuser le corpus convenu “.

1 b. Selon Haugen (1969 : 701) la planification linguistique ” couvre le travail de normalisation des académies et des comités linguistiques, toutes les formes de ce qu’on appelle généralement la culture linguistique, et toutes les proposItIons relatives a la reforme ou à l’uniformisation des langues “.

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Planification et politiques linguistiques danscertains pays selectionnes d’afrique de l’ouest

2. La olanification linauistiaue en tant au’activité oolitiaue ou administrative

2a. Jernudd et Das Gupta (1971 : 211) définissent la planification linguistique comme une ” activité politique et administrative visant à résoudre les problèmes linguistiques dans la société “.

2b. Pour Fishman (1974b : 79) l’expression ” planification linguistique ” se réfère à la ” recherche organisée de solutions aux problèmes linguistiques, principalement au niveau national “.

3.La olanification linauistiaue en tant au’activité couvrant à la fois des asoects linauistiaues et oolitico-administratifs

3a. Karam (1994 : 105) définit la planification linguistique comme une “activité visant à résoudre des problèmes linguistiques, généralement à l’échelle nationale, et axée soit sur la forme, soit sur l’utilisation de la langue, soit sur les deux “.

3b. Selon Weinstein (1980 : 55) la planification linguistique peut être définie comme ” une initiative gouvernementale officielle, délibérée, durable et à long terme, visant à changer le statut ou les fonctions d’une langue dans la société, afin de résoudre des problèmes de communication “.

3c. Tauli (1974 : 56) définit la planification linguistique comme ” I’ac!ivité systématique de normalisation et d’amélioration des langues existantes, ou de création de nouvelles langues régionales, nationales ou internationales communes “.

4. La oolitiaue linauistiaue en tant au’ensemble de décisions ou de mesures politioues visant à orienter la olanification linauistiaue ou à mettre en œuvre les orooositions faites par les planificateurs

Prator, cité par Markee (1986 : 8) définit la politique linguistique comme ” un processus de prise de décisions dans le domaine de l’enseignement et de l’utilisation des langues, et la formulation judicieuse de ces décisions par les autorités compétentes, pour l’orientation des autres parties intéressées “.

Dans la présente étude, la politique linguistique couvre toutes les décisions et mesures d’orientation prises par les autorités compétentes et concernant l’importance ou le statut d’une langue par rapport à d’autres langues (politique de promotion), l’attribution de fonctions ou rôles donnés aux langues (langue d’instruction, langue officielle, langue régionale, langue nationale, langue de grande communication , etc), avec un accent particulier sur les attitudes et pratiques dans le domaine de l’éducation et du développement linguistique et global durable.

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1.5 Le cadre de s

Alfa Ibrahim Sow (1977 : 12) définit la politique linguistique comme une activité visant à anticiper et à choisir entre plusieurs options. A cet égard, il faut une vision claire et une bonne compréhension des objectifs à atteindre et des problèmes à résoudre. La politique linguistique consiste à déterminer, avec précision, la méthodologie et les moyens et ressources à utiliser. Pour le succès de la mise en œuvre de la politique linguistique, il est nécessaire d’adopter des mesures institutionnelles et législations appropriées et de prendre toutes les autres mesures propices à cette fin. Pour Easton (1968) la planification et la prise des décisions supposent le pouvoir ou la capacité à assurer le contrôle de l’élaboration et de la mise en œuvre des décisions officielles concernant la distribution des biens améliorés dans une situation d’offre limitée. Toutefois, comme le fait remarquer à juste titre Cooper (1989 : 88). il y a deux principales approches à l’analyse des décisions : l’approche prescriptive (ou normative) et l’approche descriptive. Dans la planification linguistique et le processus d’élaboration des politiques et de prise de déci- sions, il y a l’intervention des trois principales catégories d’ acteurs ci-après :

Individu : très souvent, en particulier en Afrique de l’ouest, la planification linguistique est assurée, dans une large mesure, par des individus se situant en dehors du cadre des institutions formelles en ce qui concerne la planification du corpus (linguistes, chercheurs, enseignants).

Organisations ou institutions formelles : les décisions concernant la planification Ilngulstlque et les aspects éducatifs sont souvent influencées ou prises par les organisations ou Institutions formelles, les églises et les confessions religieuses telles que l’islam, les établissements scolaires, les associations professionnelles, les maisons d’édition et les Imprimeurs. Ces décisions portent à la fois sur la planification du statut et la planification du corpus des langues.

Gouvernement : de nombreuses décisions sur le statut, l’utilisation et l’usage des langues sont prises à l’initiative des gouvernements. Elles sont élaborées par les institutions gouvernementales et mises en œuvre par les autorités politiques et administratives appropriées.

Dans notre analyse de la situation et des politiques linguistiques dans la région de !‘Afrique de l’Ouest, nous allons naturellement mettre l’accent surtout sur les politiques gouvernementales, ce qui nous amènera, comme !e font observer Dye et Robey (1983 : 3), à ” chercher à savoir ce que font les gouvernements, les motivations qui les animent et les résultats obtenus “.

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Planification et politiques linguistiques danscertains pays selectionnes d’afrique de l’ouest

Toutefois, une analyse équilibrée et pertinente devrait aussi porter sur ce que font également les individus, les groupes de pression, les organisations et les institutions formelles, les motivations qui les animent et les résultats de leurs initiatives en ce qui concerne la situation linguistique en Afrique de l’Ouest. La planification et les politiques linguistiques dans les pays sélectionnés sont principalement l’œuvre de ce que Ellsworth et Stahnke (1976) appellent les élites officielles, les milieux influents et les autorités. Par élites officielles, il faut entendre les responsables officiellement chargés de l’élaboration des politiques ou de la prise des décisions (présidents, gouverneurs, hauts commissaires, sénateurs, membres du parlement, responsables exécutifs, chefs d’établissement scolaire, enseignants, etc). Les milieux influents comprennent tous les secteurs privilégiés de la société, ceux qui ont la majeure partie de ce qui est disponible. Dans la région de l’Afrique de l’ouest, les privilégiés sont les élites lettrées qui occupent les postes les plus élevés de la hiérarchie administrative et militaire, les quelques nationaux et expatriés riches qui dominent les secteurs économiques. Pour ce qui est des autorités, Ellsworth et Stahnke les présentent comme des élites officielles et des milieux influents, effectivement chargés de prendre les décisions. En Afrique de l’ouest, les élites officielles et les personnes influentes sont en fait une minorité de l’élite qui détient les rênes de l’administration dans les différents Etats. Dans le domaine des politiques et de la prise des décisions linguistiques, comme dans toute autre branche de l’activité humaine, c’est cette minorité de l’élite qui est chargée des cinq principaux types de politique gouvernementale identifiés par Leichter (1975, 1979).

1 .Politiaue de distribution : les politiques de distribution concernent les mesures de répartition de biens et services tels que la santé, le bien-être, les avantages de l’éducation, les subventions etc.

Compte tenu de l’importance et de l’impact de la répartition des ressources (financières, humaines, matérielles, etc) et des politiques en matière d’éducation sur les décisions concernant les politiques linguistiques, les politiques de distribution influencent considérablement les politiques linguistiques en Afrique de l’ouest.

2.Politique de taxation : les politiques de taxation sont celles qui prévoient le paiement et la collecte de taxes, en tant que bases de la richesse d’un Etat. Les politiques de taxation sont donc très susceptibles d’influencer les politiques de distribution et, partant, les politiques linguistiques dans chacun des pays sélectionnés. 3. Politiaue à caractère symbolique : les politiques revêtant un caractère

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Methodologie, definitions et cadre

symbolique concernent les décisions sur le statut et la reconnaissance des acquis. II ressort clairement des publications sur cette question que le problème majeur dans le domaine linguistique en Afrique est celui du statut des langues africaines. Les politiques linguistiques, en Afrique de l’ouest. revêtent, dans une très large mesure, un caractère symbolique en ce sens qu’elles portent sur l’attribution de roles et de fonctions aux diverses langues parlées dans les pays concernés.

4. Politiaue de normalisation : les politiques de normalisation sont des politiques et décisions visant à assurer le contrôle de certains aspects du comportement humain. L’utilisation et l’usage des langues ne pouvant être dissociés du comportement humain, l’on peut affirmer que les politiques linguistiques ont essentiellement un caractère normatif, que la planification porte sur le corpus ou sur le statut.

5. Politiaue administrative : les politiques administratives régissent la conduite (organisation et administration) des affaires de I’Etat.

Que l’on adopte l’approche de fond ou l’approche de procédure de Frohock (1979) à la prise des décisions, une même question se pose : qu’est-ce qui amène les décideurs à prendre une décision ? Les élites officielles et les membres des milieux influents, chargés d’élaborer des politiques et de prendre des décisions, sont naturellement amenés à agir de manière à maintenir ou à augmenter leurs propres privilèges et à éviter que leurs pouvoirs ou moyens de contrôle ne soient menacés dans l’immédiat ou à long terme. Les élites officielles et les membres des milieux influents de la région de l’Afrique de l’Ouest peuvent-ils résister à ce penchant naturel en adoptant des politiques linguistiques contraires à leurs propres intérêts ? Cela semble peu probable quand on connaît les motivations habituelles des décideurs : ” Rien n’a de la valeur en politique à moins de contribuer au maintien d’un groupe plus fort au pouvoir, ou encore au ralliement ou à la défaite de l’adversaire ” (Hudson, 1978 : 12).

Etant donné la nature du processus de prise des décisions dans le domaine des politiques linguistiques en Afrique, ces décisions sont essentiellement de deux ordres :

v les décisions d’urgence ;

d les décisions de routine.

Compte tenu de la lutte pour le pouvoir et le contrôle dans les pays en émergence, les décisions les plus spectaculaires sont les décisions d’urgence ou les décisions prises sous une certaine pression, les décideurs hésitant à

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PlaniJication et politiques linguistiques danscertains pays selectionnes d’afrique de l’ouest

envisager ou à adopter des options préjudiciables à leurs propres intérêts. En dehors des intérêts conflictuels des différentes classes, d’autres facteurs affectent et influencent le processus de prise des décisions et l’élaboration des politiques linguistiques en Afrique. La façon même de définir les problèmes influence certainement la politique ou la décision que le décideur peut préconiser ou prendre. II est établi que dans la région de l’Afrique de l’Ouest, tout le monde reconnaît que ” quelque chose ne va pas “, même s’il est difficile d’affirmer que tout le monde est d’accord sur ce qui ne va pas. Pourtant, aucune politique ou décision non fondée sur une base pertinente ne peut proposer de solution pertinente.

Parmi les autres facteurs ayant une influence déterminante sur les politiques linguistiques et la prise des décisions dans ce domaine dans la région de l’Afrique de l’Ouest, il y a lieu de citer les facteurs suivants :

1. Facteurs conjoncturels : les circonstances et conditions ponctuelles susceptibles d’avoir un impact immédiat sur les politiques et la prise des décisions. A cet égard, on peut citer de nombreux exemples :

a) Guerres et émeutes : les émeutes de Soweto ont joué un rôle décisif dans l’interruption de la politique linguistique que le régime de l’apartheid voulait imposer aux noirs. Les différentes guerres avec les Touareg et les diverses mesures proposées pour mettre un terme à ces guerres expliquent, dans une large mesure, le statut actuel du tamasheq au Mali et au Niger.

b) Cycles économiques : les pays de l’Afrique de l’ouest, dont les économies sont largement dominées par des structures et systèmes économiques européens, sont fortement perturbés par toute crise ou récession ou inflation survenant en Europe. La récente dévaluation du franc CFA a eu de graves conséquences sur la plupart des économies des pays de l’Afrique de l’ouest. La fluctuation des cours des matières premières, ajoutée à la hausse vertigineuse des prix des produits et équipements importés, a aussi eu de graves conséquences sur les économies fragiles des pays africains. II est évident que la situation économique prévalant dans un pays donné affecte les décisions dans le domaine de l’éducation dans le pays en question.

c) Chanaements technoloaiaues : les mécanismes mis .en place pour s’adapter aux changements dans le domaine technologique et à l’évolution rapide de la science et de la technologie, et pour acquérir et utiliser les connaissances et les technologies nécessaires pour résoudre les problèmes posés, influencent aussi fortement les politiques linguistiques et la prise des décisions dans ce domaine, dans le cadre du développement de l’éducation.

2. Facteurs structurels : des facteurs moins ponctuels ou relativement

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Methodolog’e, defnitions et cadre

permanents ou inchangés (c’est-à-dire ” non accidentels “) peuvent également influencer le processus de prise des décisions dans le domaine des politiques linguistiques. Parmi de tels facteurs structurels, il y a lieu de citer les suivants :

a) Types de réaime : régime militaire ou civil ; régime socaliste ou non socialiste ; systéme multipartite ou sans concurrence politique, etc.

Les décisions révolutionnaires prises en Ethiopie et en Somalie sur le statut de I’amharique et du somali s’expliquent, dans une large mesure, par la nature des régimes en place dans ces deux pays. II convient également de noter que la promotion des langues africaines a joué un rôle central dans les politiques éducatives et culturelles des gouvernements socialistes de la Guinée du temps de Sékou Tour& du Mali, du Burkina Faso du temps de la revolution. Le statut du swahili est aussi imputable, dans une large mesure, au régime socialiste de Julius Nyerere.

b) Systéme de gouvernement : l’adoption du systéme parlementaire ou presidentiel, du systéme democratique ou dictatorial, influence également les politiques et la prise des decisions dans le domaine du statut, de l’utilisation et de l’usage des langues.

3. murs culturels : les attitudes et les valeurs des groupes au sein de la communauté ou de l’ensemble de la communauté, sur la base desquelles les langues sont acceptées ou rejetées. En raison de leur attachement à leurs valeurs culturelles, les personnes parlant des langues minoritaires au Burkina Faso, au Mali, en Côte d’lvoire, au Ghana, au Togo, au Bénin et au Sénégal ne sont pas prêtes à renoncer à leurs langues pour adopter une langue majoritaire ou langue véhiculaire. A titre d’exemple, au Mali, il n’est pas rare de voir les personnes parlant le songhay ou le dogon éteindre leurs récepteurs de radio ou leurs téléviseurs pour protester contre le monopole apparent du bambara dans les médias ’ . Les valeurs politiques ou la culture politique, par exemple les normes concernant ce que le gouvernement peut ou doit faire, sont certainement des facteurs culturels qui peuvent influencer les politiques linguistiques et la prise des décisions dans ce domaine en Afrique de l’ouest.

II est tout à fait évident que l’utilisation de l’anglais et du français (respec- tivement dans les pays anglophones et francophones) dans l’administration et la politique limite serieusement la participation des populations à la vie publique et à la prise des décisions. C’est la raison pour laquelle les politiques

2 Sefon des infonnations fournies paf Lamtne Traof6, enseignent d’anthropologie 9 I’tJniversiM du Mali, d Bamako. Cette attitude est qualit%a de “mpti identitatre” par tes ethnofogues, d’apr& Lamine Tao&

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Planification et politiques linguistiques danscertains pays selectionnes d’afrique de l’ouest

linguistiques et la prise des décisions dans ce domaine dans les pays africains ne peuvent être comparées aux pratiques similaires dans des pays comme le Canada ou la Belgique. L’idéologie politique (marxiste, fasciste, démocratique) est un autre facteur culturel qui peut être déterminant dans la planification et les politiques linguistiques. L’Union soviétique marxiste a imposé le russe à tous les peuples de l’Union des Républiques socialistes soviétiques. Le gouvernement socialiste de Julius Nyerere a rendu l’utilisation du swahili obligatoire partout en Tanzanie.

4. Facteurs d’ordre écoloaiaue : les évenements, les structures, les organisations ou les cultures se trouvant en dehors du système, mais influençant ou imposant les politiques et les décisions au sein du système. Avec le phénomène de la mondialisation, les pays de la région de l’Afrique de l’Ouest ne peuvent pas ne pas tenir compte de ce qui se passe ailleurs dans le monde.

C’est un truisme de dire que les politiques gouvernementales sont considérablement influencées ou déterminées par l’environnement politique international. En effet, tous les pays sélectionnés sont liés par des accords et engagements internationaux. Très souvent, les politiques et décisions sont prises sous des pressions de nature diverse et sont suivies par des institutions spécialisées telles que la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et différentes autres institutions du système des Nations Unies (UNESCO, UNICEF, PNUD, etc). Par ailleurs, en plus d’être membres d’organisations continentales, les pays concernés appartiennent également à d’autres’ organisations internationales chargées de coordonner les politiques sectorielles (voir le tableau 4). II est indéniable que les programmes d’ajustement structurel, (PAS), mis en oeuvre dans tous les pays sélectionnés, influencent considérablement les politiques de développement dans ces pays.

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Methodologie.

definitions et cadre

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Planijication et politiques linguistiques danscertains pays selectionnes d’afrique de l’ouest

CHAPITRE I I

OBSTACLES ET CONTRAINTES À LA PROMOTION DES LANGUES AFRICAINES

Depuis les années 60 jusqu’à l’heure actuelle, des efforts ont été déployés aux niveaux national et international pour assurer la promotion des langues africaines. Des institutions internationales comme I’UNESCO se sont constamment employées à encourager les nouveaux Etats africains en émergence de développer et de renforcer leurs richesses culturelles, leurs systèmes éducatifs et leurs langues nationales. Des organisations non gouvernementales comme la Société internationale de Linguistique (SIL), I’Eglise catholique romaine et les églises protestantes ont accompli un travail fort remarquable dans le domaine de la recherche et de la production linguistiques sur les langues africaines. Dans presque tous les pays africains, les départements de linguistique et de langues des universités et centres de recherche ont mené d’importants travaux de recherche scientifique et collecté des données très utiles sur les langues africaines. Les chercheurs et les enseignants ont, pour leur part, largement fait la preuve de leur disposition et de leur capacité à mettre au point des matériels pour l’enseignement et l’apprentissage des langues africaines. Les études menées au sein de cer- taines communautés ont montré que les gens restent attachés à leur identité culturelle et souhaitent qu’une plus grande valeur et une plus grande attention soient accordées à leurs langues. Dans leurs prises de position régulières, les dirigeants politiques et les décideurs professent leur foi et leur engagement à la promotion des valeurs culturelles et des langues africaines. Malheureusement, quand on examine les réalisations concrètes dans le domaine de la promotion des valeurs culturelles et des langues africaines, on doit reconnaître qu’il reste encore beaucoup à faire. En dépit de la bonne volonté et des bonnes intentions apparentes manifestées en faveur de la promotion des langues africaines, il existe encore de nombreux obstacles et contraintes qui limitent ou contiennent le remarquable élan en faveur de la promotion des langues afrcaines. Nous pouvons classer les obstacles et contraintes limitant I’efflcaclté des politiques linguistiques en Afrique en cinq catégories comme suit

l 1.1 Obstacles et contraintes d’ordre historique , I 1.2 Obstacles et contraintes d’ordre politique ; I 1.3 Obstacles et contraintes d’ordre économique ; I 1.4 Obstacles et contralntes d’ordre socio-culturel ; I 1.5 Obstacles et contraintes d’ordre pédagogique.

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Obstacles ct contraitltes a la promotion des langues A/iwair~cs

I 1.1 Obstacles et contraintes d’ordre historiaue

Parmi les principales contraintes à la promotion des langues en Afrique, Bamgbose (1991 :69) cite l’héritage colonial qu’il présente comme ” la situation d’héritage, c’est-à-dire la manière dont l’expérience coloniale continue d’influencer et de conditionner les problèmes et les pratiques bien après la colonisation. Par exemple, lorsque les pays africains élaborent des politiques dans le domaine de l’éducation, ils ont en fait tendance à maintenir la logique des politiques du passé, comme l’illustrent parfaitement la sélection même des langues, les rôles qui leur sont assignés, le niveau retenu pour l’introduction de ces langues et la difficulté à changer les langues ainsi introduites “. Tout comme pour les frontières politiques héritées de la colonisation, les dirigeants politiques et les décideurs africains ont pour politique linguistique de maintenir les langues existantes telles quelles, de peur de créer de nouveaux problèmes en cherchant à en modifier le statut, le rôle et la place. La conséquence évidente de cette situation est que la langue d’éducation, à travers le continent, est encore celle de l’ancien colon. Dans le cas de la région de l’Afrique de l’Ouest, les langues d’éducation sont les suivantes :

a) le français dans toutes les anciennes colonies françaises et belges ; b) l’anglais dans toutes les anciennes colonies britanniques ; c) le portugais dans toutes les anciennes colonies portugaises.

Certaines langues africaines sont certes utilisées comme langues d’éducation en Afrique, mais il n’en demeure pas moins que les politiques et décisions concernant l’utilisation ou la non-utilisation des langues africaines dans le système éducatif sont influencées, dans une large mesure, par l’héritage colonial. En effet, les pratiques coloniales sont encore très courantes dans la plupart des systèmes éducatifs.

L’éducation dans la langue maternelle n’est toujours pas assurée dans les anciennes colonies françaises de la région de l’Afrique de l’Ouest sélec- tionnées : Bénin, Burkina Faso, Côte d’lvoire, Mali, Niger, Guinée, Sénégal et Togo. La politique de non-utilisation des langues africaines dans le secteur formel de l’éducation s’explique, en grande partie, par l’héritage de la politique française en matière d’éducation pendant la période coloniale, qui encourageait ou plutôt imposait l’utilisation du français, tout en décourageant, voire en interdisant l’utilisation des langues africaines à l’école.

Par contre, l’éducation dans la langue maternelle est beaucoup plus développée au Ghana et au Nigéria, deux anciennes colonies britanniques. La pratique manifeste de l’utilisation des langues locales dans le secteur formel de l’éducation, au Ghana et au Nlgéria, est conforme aux politiques coloniales

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Planification et politiques linguistiques danscertains pays selectionnes d’afrique de l’ouest

britanniques dans le domaine de l’éducation et des langues. Ces politiques favorisaient et encourageaient l’utilisation des langues locales dans l’éducation.

A l’heure actuelle, la situation dans ce domaine se présente comme suit dans la région de l’Afrique de l’Ouest :

a) utilisation timide des langues africaines en tant que langues d’instruction pour l’alphabétisation de base, les premières années du primaire et I’aphabétisation des adultes ; b) utilisation expérimentale des langues africaines en tant que disciplines enseignées dans les dernières années du primaire et les premières années du secondaire dans des pays comme le Mali, le Ghana, le Nigéria etta Guinée, ce dernier pays ayant abandonné les politiques de l’ère Sékou Touré dans le domaine de l’éducation et des langues ; c) utilisation dominante ou exclusive de la langue de l’ancienne puissance coloniale à partir des dernières années du primaire jusqu’aux niveaux les plus élevés du système éducatif (l’anglais ou le français) ; d) utilisation courante des langues africaines pour les programmes du secteur informel de l’éducation.

La conclusion évidente que l’on peut tirer à cet égard est que le statut, le rôle et la place des langues européennes (l’anglais et le français) et des langues africaines sont restés les mêmes depuis la période coloniale : ” quelque trente ans après l’accession de la plupart des pays africains à l’indépendance, la difficulté à abandonner les modèles historiques établis témoigne de la persistance de l’héritage colonial ” (Bamgbose, 1991 : 70). Le fait est que les pratiques en matière d’éducation dans les anciennes colonies françaises sont étroitement liées aux politiques françaises dans le domaine de l’éducation et des langues. En plus des accords bilatéraux liant les systèmes éducatifs des pays africains francophones aux pratiques et au système éducatifs français, tous les pays utilisant le français comme langue d’instruction intègrent les pratiques proposées ou recommandées par des institutions telles que la Francophonie, la Conférence des Ministres de YEducation des Etats d’expression française (CONFEMEN), etc.

Des expériences ont certes été menées ici et là pour préparer le terrain en vue d’une utilisation significative des langues africaines dans l’éducation3 , mais il n’en reste pas moins vrai que les pratiques dominantes ne s’écartent véritablement pas de la tradition coloniale. En fait, certaines initiatives et décisions politiques récentes semblent plutôt contribuer au renforcement de la

3 Nfhfema (1999) dans “La scoiansal~or~ blbngue langue nalnnale-français comme formule

alternative wable de I’education de base au Burkfna Faso”, présente une telle ~nft~alwe de

sfrat@g!es narrabves. tentee dans le contexte ouest-afrrcain

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tradition et des pratiques coloniales, notamment en Guinée où les politiques dans le domaine de l’éducation et des langues ont complétement changé depuis la chute du régime de Sékou Touré.

Bamgbose (1991 : 71) résume la situation en ces termes : ” L’effet global des contraintes d’ordre historique est de faire des pays africains des prisonniers de leur passé. Les pratiques établies sont tellement généralisées qu’il est devenu pratiquement impossible de les abandonner. S’il est attribué à la langue de grande communication le role supplémentaire de langue de la science et de la technologie, les contraintes d’ordre historique sont renforcées par l’argument selon lequel la langue à utiliser au niveau du supérieur et pour la science et la technologie pourrait bien être introduite dans le processus éducatif dès le stade initial “.

l 1. 2 Obstacles et contraintes d’ordre oolitiaue

Les fonctions et rôles assignés aux langues varient et évoluent avec le temps, en fonction de la situation politique des peuples ou communautés utilisant ces langues comme leurs langues nationales soit librement, soit à la suite d’une décision imposée par I’admlnistration ou une puissance politique. Parmi les exemples historiques typiques de changement dans le statut, les fonctions et le rôle des langues, II y a lieu de citer le remplacement du grec par le latin pendant la domination romaine en Europe occidentale et méditer- ranéenne, puis le remplacement du latin par des langues européennes à des fins administratives et éducatives. C’est également un fait historique que l’arabe a été adopté ou imposé au Moyen-Orient et en Afrique du Nord à la suite de la conquête des territoires de cette région par des armées islamiques.

Dans l’Afrique moderne, des décisions d’ordre politique ont été prises pour assigner de nouveaux rôles et fonctions à certaines langues, changeant ainsi radicalement le statut des langues concernées. A cet égard, il y a lieu de citer les cas de l’arabe en Mauritanie, du kiswahili en Tanzanie, de I’amharique en Ethiopie, du somali en Somalie, etc. Dans la planification et l’élaboration des politiques linguistiques, l’attribution de nouveaux rôles et fonctions aux langues est déterminée, dans une large mesure, par la lutte pour le pouvoir et l’hégémonie. Stewart (1968), cité par Cooper (1989 : 99 à 121), propose une liste de dix fonctions généralement associées aux situations de multilinguisme, comme dans le contexte de l’Afrique de l’Ouest : langue offl- cielle, provinciale, de grande communication, internationale, de la capitale. de groupe, d’instruction, en tant que matière d’enseignement, littéraire et réligieuse.

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Planijication et pohlques linguistiques danscertains pays selectionnes d’afrique de l’ouest

1. Lanaue officielle : tous les pays d’Afrique de l’Ouest sont multilingues, mais ils n’utilisent qu’une langue à des fins politiques et éducatives. La langue officielle est déterminée dans la constitution de chacun de ces pays. Cooper (1989 :lOO) distingue deux types de langue officielle : ” la langue utilisée par le gouvernement dans ses activités quotidiennes, d’une part, et la langue utilisée par le gouvernement à des fins symboliques, c’est-à-dire en tant que symbole de I’Etat, d’autre part. La langue officielle peut ainsi remplir l’une ou l’autre des trois fonctions suivantes : fonctions statutaires, fonctions de langue de travail et fonctions symboliques. Elle peut même remplir toutes les trois fonctions “. Dans les pays de l’Afrique de l’ouest, les langues officielles (l’anglais et le français) remplissent effectivement les trois fonctions (langue statutaire, langue de travail, langue symbolique). Dans les pays où l’anglais est la langue officielle (Ghana et Nigéria), cette langue est utilisée par les gouvernements à la fois dans leurs activités quotidiennes, à des fins éducatives et culturelles, et à titre de symbole. Le Ghana et le Nigéria sont donc considérés comme des pays anglophones. L’utilisation de l’anglais y est exigée par la législation en vigueur, pour toutes les transactions officielles.

Dans le même ordre d’idées, dans les pays comme le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’lvoire, la Guinée, le Mali, le Sénégal et le Togo, c’est le français qui est la langue officielle statutaire, de travail et de symbole de I’Etat. Dans ces pays, considérés comme des pays francophones, la législation en vigueur exige l’utilisation du français dans l’administration, l’éducation et toute transaction ou question officielle. Bien que résultant d’une décision d’ordre politique, l’utilisation de l’anglais et du français en Afrique de l’Ouest comme langues statutaires, de travail et symboliques s’explique, dans une large mesure, par l’héritage colonial mentionné plus haut (Bamgbose, 1991). Ces langues font partie de l’héritage colonial que n’ont pas pu écarter des générations de dirigeants africains.

2. Lanaue orovinciale : une langue peut avoir un statut provincial ou régional, mais dans ce cas, ” la fonction officielle ne couvre pas une échelle nationale, mais se limite plutôt à une zone géographique plus restreinte ” (Cooper, 1989 : 103). Le français au Québec, l’anglais au Cameroun occidental et le français en Wallonie, en Belgique, sont des exemples typiques à cet égard. En Afrique de l’ouest, certaines langues sont prédominantes dans de vastes régions, sans réellement jouer le rôle de ” langue régionale officielle “. A cet égard, il y a lieu de citer les cas du hausa dans la partie Nord du Nigéria, de I’igbo à l’Est. et du yoruba à l’Ouest de ce même pays, ainsi que du mooré dans la région centrale du Burkina Faso. Les dirigeants africains sont très réticents à l’alignement des frontières en fonction des divisions linguistiques.

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C’est une constante de la politique africaine depuis la fin de la colonisation et le début des indépendances. La même réticence est observée au sujet de l’utilisation des langues africaines dans le secteur formel de l’éducation.

3. Langue de arande communication : les langues qui peuvent être utilisées comme moyen de communication à travers les frontières linguistrques au sein d’une même nation sont considérées comme jouant un rôle de grande communication. A cet égard, il y a lieu de citer les cas du bambaraijula au Mali, en Côte d’lvoire et au Burkina Faso ; du hausa au Niger et au Nrgéria ; de I’akan-twi au Ghana ; du wolof au Sénégal et en Gambie. Même SI ces langues sont utilisées à d’importantes fins de communication, elles ne bénéficient pas néanmoins d’un statut officiel. Elles facilitent certes l’intégra- tion horizontale, en tant que langues véhiculaires, mais tant qu’elles n’auront pas un statut de langue officielle ou provinciale/régionale utilisée dans l’administration et l’éducation, leur valeur sur le plan de leur statut social et de leur prestige reste très négligeable. Toutefois, ces langues peuvent devenir rapidement des langues d’intégration verticale au cas où elles sont utilisées comme langues d’instruction. En dehors du Nigéria et du Ghana, les autres pays d’Afrique de l’Ouest sont à la traîne dans l’utilisation de leurs langues de grande communication dans le secteur formel de l’éducation. En ce qui concerne la planification du corpus (Cooper, 1989 ; 122-156), tout a été mis en œuvre pour rendre possible l’utilisation de ces langues comme langues d’instruction. Les capacités pour former les ressources humaines et produire les matériels didactiques et d’apprentissage nécessaires à la mise en œuvre des programmes d’enseignement dans ces langues, sont disponibles. Des langues comme le wolof et le bambaraijula n’ont besoin que d’un petit coup de pouce politique pour jouer le rôle de langues d’intégration verticale. II convient de noter un point : les dirigeants politiques et les politiciens aiment bien utiliser ces langues pour la mobilisation horizontale au cours des campagnes politiques. Toutefois, la question se pose de savoir si les dirigeants africains n’ont pas tout simplement peur de la mobilisation verticale massive qui résulterait de l’alphabétisation de masse dans ces langues de grande communication. Plus les populations sont éduquées, plus elles s’expriment et font connaître leurs vues, plus leurs demandes deviennent pressantes, et plus elles demanderont à leurs dirigeants de rendre compte. Une telle éventualité présente beaucoup de dangers, à long terme, pour la sécurité et la stabilité de I’élrte minoritaire qui se taille la plus grande part de tout dans ces

pays. Le statu quo favorise la stabilisation ou le stabilisme, en ce sens que ceux qui peuvent avoir accès à une éducation de qualité et compétitive seront filtrés sur le tamis de la langue utilisée comme langue d’instruction dans le secteur formel de l’éducation, dans la formation et l’enseignement supérieurs,

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t’lanification et politiques linguistiques danscertains pa~:~ selectlonnes d’afrique de l’ouest

et dans la science et la technologie. Aucune révolution notable n’est probable dans ce domaine dans l’immédiat, car les masses continueront soit d’ignorer leurs droits, soit de se montrer incapables de faire respecter ces droits pour longtemps encore, à cause de leur analphabétisme. Pire encore, même leur alphabétisation dans une langue africaine ne leur donnera pas le droit de s’exprimer et de se faire entendre par leurs dirigeants (Sanou, 1986, 1990).

4. Lanaue internationale : la fonction internationale se réfère aux langues de grande communication au niveau international, comme l’anglais et le français. Dans le contexte de l’Afrique de l’ouest, I’angais et le français jouent un rôle politique trés important. Sur le plan interne, ces langues sont cruciales pour le pouvoir politique, le prestige social, la puissance économique. Sur le plan de l’éducation, elles ouvrent la porte à l’acquisition des connaissances, à la science et à la technologie. Ce sont naturellement les langues utilisées pour la communication avec le monde extérieur dans tout domaine de développement. Les populations rurales les considèrent surtout comme des langues permettant de s’assurer le contrôle du pouvoir (Sanou, 1990, citant Lanteri, 1982) :

” Les paysans que nous avons rencontrés pendant notre séjour dans la région de Solenzo ne rêvent plus d’un système éducatif qui fournisse à leurs villages des fonctionnaires et des diplômés des universités. A cet égard, ils ne se font plus du tout d’illusion, même s’ils estiment qu’ils peuvent encore, avec un peu de chance, avoir un ou deux bureaucrates ou diplômés. Non! La première chose qu’ils veulent maintenant, c’est de connaître le français, comme ils le disent. En d’autres termes, le plus important pour eux, c’est d’acquérir l’arme de base pour l’auto-défense dans un monde dominé par des dirigeants parlant tous le français et les réduisant ainsi au silence. Leur souhait d’apprendre la langue française, à n’en point douter, témoigne de leur volonté de revendiquer leur droit de s’exprimer et de se faire entendre, qui leur a été nié pendant longtemps “. II serait difficile de trouver un meilleur plaidoyer en faveur de l’utilisation de la langue française à l’école comme langue d’instruction.

Compte tenu de tous ces constats, les langues émergentes sont sus- ceptibles de renforcer leur statut de langues de communication provinciales, régionales, nationales, voire transfrontaliéres, mais il est peu probable qu’elles remplacent le français et l’anglais comme langues officielles et langues d’instruction, du moins dans un avenir proche. A moins d’un changement radical, les dirigeants politiques actuels ne voudront sans doute pas prendre une telle décision politique suicidaire qui détruirait leurs carrières politiques.

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5. Lanaue de la caoitale : la fonction de langue de la capitale se réfère à la sit- uation où une langue de grande communication est la langue de communica- tion dans la capitale et ses environs, comme le mooré à Ouagadougou. Etant donné que très souvent, le pouvoir politique, le prestige social et les principales activités économiques sont concentrés dans la capitale, la principale langue de communication dans la capitale et ses environs peut jouir d’un statut particulier. Toutefois, en Afrique de l’ouest, où les langues officielles sont soit le français, soit l’anglais, une fonction ou un rôle particulier n’est pas assigné à la langue parlée dans la capitale, au-delà de son utilisation par les politiciens pour la mobilisation des masses.

6. Lanaue de arouoe : cette fonction se réfère à l’utilisation de la langue comme médium normal de communication entre les membres d’un même groupe culturel ou ethnique. Dans le contexte de l’Afrique de l’Ouest où les entités que les Européens appellent souvent ” tribus ” sont qualifiées, à juste titre, de ” nations ” par Sow (1977 : 12-I 3), la langue de groupe a un statut de ” langue nationale “, avec un rôle et une fonction très symboliques : ” L’Etat africain est multinational et les communautés ethniques qui le composent, avec leurs langues, leurs cultures, leurs territoires, leur histoire, leurs tech- nologies spécifiques, leurs économies.. sont des nations au même titre que les Kurdes, les Tchèques, les Ukrainiens, les Géorgiens, les Basques, les Slovènes, les Albanais, etc... et non des tribus, comme les ethnologues de l’époque coloniale voudraient nous faire croire ‘14 La question qui se pose est de savoir si des goupes comme les Hausa, les Yoruba, les Ibo, les Akan, les Mossi, les Fulani, les Wolof, les Baoule, les Bambara, etc, qui ont leur propre identité culturelle et leur propre histoire, peuvent continuer à être con- sidérés comme des tribus, alors que des groupes similaires, dans d’autres contextes comme en Europe de l’Est ou dans I’ex-Union soviétique et dans I’ex-Yougoslavie, sont considérés comme des ” nationalités “. En niant à un groupe sa base et en l’appelant ” tribu “, au lieu de ” nation “, on nie également toute base à sa langue, à sa culture et à son histoire qui deviennent ” tribales “. Ainsi, ce qui est multilingue ou multinational devient ” multi-tribal “. Compte tenu de la connotation négative attachée à tout ce qui est ” tribal ” en Afrique, II ne serait pas surprenant que des Africains aspirant à devenir des citoyens d’une ” nation ” moderne, rejettent tout ce qui a trait à la tribu dans leur esprit, à commencer par les langues nationales véhiculant des valeurs ” tribales “. L’anglais et le français étant considérés comme des symboles de modernité, pourquoi contester leur statut de langues officielles des ” Etats modernes ” ?

4 Traductmn d’une traductron (NDT)

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Planification et politiques linguistiques danscertains pays selectionnes d’afrique de l’ouest

Sow (1977 : 13) soutient qu’il est nécessaire et urgent de ” décoloniser la terminologie linguistique et sociologique utilisée pour les nationalités africaines, car en Afrique, comme partout ailleurs, il y a des groupes majoritaires et des groupes minoritaires et, partant, des langues majoritaires et des langues minoritaires.

Selon Sow (1977) Bamgbose (1991) Cooper (1989) et Obanya (1999) la garantie de l’identité et de la dignité et la promotion des langues et des valeurs culturelles de ces communautés nationales ne présentent aucun danger, ni aucune menace à l’unité et à la stabilité politique des nouveaux Etats-nations, comme certains auteurs ont voulu nous le faire croire dans le passé. Une telle politique linguistique n’entrave pas I’apprentisssage de langues internationales ou de grande communication comme l’anglais et le français. En fait, les expériences entreprises au Burkina Faso, au Mali et au Sénégal ont montré que les enfants apprennent mieux et plus rapidement le français quand ils maîtrisent déjà leur langue maternelle (Nikiema, 1999). L’invocation de la situation de multilinguisme pour retarder l’utilisation des langues africaines dans l’éducation, sous le fallacieux prétexte que seul le français ou l’anglais peut garantir l’unité nationale et la stabilité politique, est très contestée. Toutefois, le multilinguisme et l’intégration nationale demeurent des questions chaudement débattues en Afrique : le multilinguisme est-il un obstacle à l’intégration nationale ? L’émergence d’un nouvel Etat-nation est-elle liée à l’existence d’une langue commune ? Schwarz (1965:39), cité par Bamgbose (1991) soutient que le multilinguissme entrave l’intégration nationale : ” Les différences entre les langues indigènes divisent les popula- tions, perpétuent les rivalités ethniques, affaiblissent les allégeances nationales et augmentent les risques d’un sentiment séparatiste “. Pour Alexandre (1972 : 88) les langues locales contribuent au développement de cultures tribales qui ne favorisent pas l’intégration nationale : ” Chaque langue locale est, en outre, intrinsèquement liée à une culture tribale. Ainsi, l’utilisation d’une langue locale renforce l’attachement à une tribu, ce qui est contraire au sentiment national qui ne se développe que légèrement “.

Des arguments de ce genre sont encore couramment avancés et soutenus, mais ils sont contestables au regard de notre acceptation du concept d’intégration nationale. Alexandre (1968 : 119-I 27) définit I’intégra- tion nationale comme le ” processus de création ou de renforcement, au sein d’un même pays, d’un sentiment collectif d’aooartenance commune ‘, nonobstant les différences au niveau des individus et des sous-groupes “. Si l’accent est donc à mettre sur le sentiment d’appartenance commune, sur

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l’unicité et non sur les particularités et les spécificités, les différences linguistiques et culturelles, la langue ne devrait pas être le seul symbole à prendre en considération. En fait, le sentiment d’aDDartenance commune est favorisé par de nombreux symboles comme le drapeau national, l’hymne national, la fête nationale, l’équipe nationale olympique ou de football, etc. Toutefois, de nombreux auteurs soutiennent encore que l’intégration nationale ne peut être réalisée sans une langue commune. C’est le cas d’lsayev (1977 : 192) qui affirme que : ” La langue est la caractéristique la plus évidente et la plus importante d’une nation. Il ne peut y avoir de nation sans une base linguistique commune “. Mais la faiblesse d’un tel argument est évidente dans le contexte africain où aucun pays ne peut prétendre avoir une ” base linquistiaue commune “. L’anglais et le français, langues de travail des bureaucrates et des élites du sommet, ne peuvent pas être considérés comme des bases linguistiques communes pour le reste de la population qui ne parle que des langues africaines. Dans le cas de groupes ethniques comme les Senoufo (Burkina Faso, Côte d’lvoire, Mali), les Dagara (Burkina Faso, Côte d’lvoire, Ghana), les Hausa (Nigéria, Côte d’lvoire), leurs bases linguistiques communes respectives sont plutôt le senoufo, le dagara, le hausa, le yoruba et I’akan-twi, et non le français ou l’anglais. Le fait que ces groupes soient de nationalités burkinabé, ivoirienne, malienne, ghanéenne, nigériane, etc, selon qu’ils se trouvent de tel côté ou de tel autre de la frontière, ne se décide pas sur une base linguistique, mais plutôt sur une base politique. Ces populations sont qualifiées d’anglophones ou de francophones, même si elles ne savent pas lire ou écrire l’anglais ou le français.

S’il est difficile de réaliser l’intégration nationale, la langue n’est pas le seul facteur à blâmer, comme l’affirme Fishman (1988a : 45) : ” Ce n’est pas la langue qui divise, mais l’attitude de ceux qui la parlent et les sentiments et symboles attachées à la langue “.

La division est une option idéologique, au même titre que l’unification. L’intégration nationale est souvent impossible à réaliser à cause de plusieurs facteurs qui sont essentiellement d’ordre idéologique, économique ou politique, mais pas politique :

. Exoloitation de I’ethnicité par les élites pour obtenir des avantages politiques et économiques ;

. Difficulté à oartaaer les maiares ressources disoonibles entre les bureaucrates, ce qui entraîne inévitablement une concurrence rude et des rivalités pour obtenir des emplois, des postes, des avantages, en d’autres termes, un ” difficile partage du gâteau ” ;

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Planificatron et politiques linguistiques danscertains pays selectionnes d’ajïrique de l’ouest

. Déveloopement inégal entre les provinces ou les régions habitées par différents groupes ethniques ;

. Inaérence extérieure motivée par des considérations nationalistes, idéologiques, religieuses ou économiques ;

. Stratéaie d’auto-défense ou de survie ou ” repli identitaire ” qu’on observe souvent chez les locuteurs des langues minoritaires vis-à-vis des langues majoritaires ou des langues véhiculaires au Mali, en Guinée, au Sénégal ou au Burkina Faso.

Le développement des langues majoritaires ou langues véhiculaires est perçu par les locuteurs des langues minoritaires comme une autre forme d’impérialisme linguistique et culturel. Pour cette raison, ils ne seront jamais favorables à une politique linguistique visant à promouvoir le développement et l’importance des langues majoritaires dans les secteurs de l’éducation et de la politique, préfèrant plutôt maintenir le statu quo. Diagne (1986 : 113-133) signale de telles attitudes en Guinée, au Sénégal, au Kenya, au Nigéria, etc.

7 Lanaue d’instruction :Cette fonction se réfère à la langue en tant que médi- um pour dispenser des enseignements dans le primaire, le secondaire et le supérieur. La décision d’utiliser, d’autoriser ou d’encourager l’utilisation d’une langue comme médium d’instruction à un niveau donné est essentiellement une décision d’ordre polique. De même, l’opposition à un système éducatif bilingue ou à l’utilisation des langues africaines dans le secteur formel de l’éducation dans les pays d’Afrique de l’Ouest s’explique, dans une large mesure, par des considérations d’ordre politique.

8. Lanaue en tant aue matière d’enseianement :la langue est une matière enseignée aux niveaux primaire, secondaire et supérieur. S’il existe une hostilité ouverte contre l’utilisation des langues majoritaires ou des langues véhiculaires comme langues d’instruction, une plus grande flexibilité est observée en ce qui concerne l’introduction des langues africaines en tant que matières d’enseignement dans le secteur formel de l’éducation. Toutefois, dans le contexte de l’Afrique de l’Ouest, les langues africaines ne sont pas enseignées à grande échelle, en tant que matières. Quelques explications ont été avancées à ce sujet par Cooper (1989 :114-115) : ” Alors qu’il est très peu probable que des pressions d’ordre politique soient exercées pour ou contre l’enseignement d’une langue en tant que matière, par rapport à son utilisation en tant que médium d’instruction, les décideurs du domaine de l’éducation sont sensibles aux demandes des parents et des étudiants concernant les langues

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Obstacles et contraintes a la promotion des langues Africaines

à enseigner en tant que matière. De toute évidence, l’importance de l’anglais dans le domaine du commerce explique la forte demande pour l’enseignement de cette langue. En conséquence, l’anglais est la langue étrangère généralement enseignée à l’école dans les pays non anglophones. ” Pour sa part, Sanou(1990), citant Lantei (1982) fait état d’une ferme opinion des parents, dans la région de Solenzo, au Burkina Faso : n La première chose qu’ils veulent maintenant c’est de savoir parler le français. Le plus important pour eux, c’est d’acquérir l’arme de base pour l’auto-défense dans un monde dominé par des dirigeants parlant tous le français et les réduisant ainsi au silence. Leur souhait d’apprendre la langue française, à n’en point douter, témoigne de leur volonté de revendiquer leur droit de s’exprimer et de se faire entendre”. II est évident que la valeur ajoutée de la langue à enseigner conditionne les attitudes et sentiments des parents et étudiants au sujet de cette langue, et finalement leur décision d’accepter ou de rejeter la langue en question comme matière d’enseignement.

9. Lanoue littéraire : la langue littéraire est la langue utilisée à des fins littéraires ou académiques. La promotion des langues africaines à des fins littéraires ou culturelles, comme dans le cas vécu au Burkina Faso, par le biais du FESPACO et de la Semaine nationale de la culture, avec d’importants prix décernés pour des productions littéraires et culturelles de qualité dans les langues nationales, est une initiative essentiellement politique qui peut servir à promouvoir une plus grande prise de conscience au niveau national. Toutefois, il y a quelques facteurs limitatifs à cet égard, car seuls les langues qui comptent, parmi leurs locuteurs, des intellectuels et des artistes engagés, béneficient d’une telle promotion, ce qui peut renforcer les sentiments de frustation parmi les locuteurs des autres langues.

10. Lanaue reliaieuse :la langue religieuse est la langue utilisée principalement dans le cadre du rituel d’une religion donnée. Le christianisme , en particulier le catholicisme romain, a oeuvré à la promotion du latin et du grec dans les établissements confessionnels tels que les séminaires. De nos jours, l’arabe prend de plus en plus d’importance dans des pays comme le Sénégal, le Mali, le Niger, le Nigéria et même le Burkina Faso, à la suite d’une percée de l’islam dans ces pays. Des groupes de pression à caractère religieux créent des écoles enseignant l’arabe comme principale matière au Sénégal, au Mali, au Burkina Faso, au Niger, au Nigéria, etc. étant donné que ces groupes de pression exercent une très grande influence sur une proportion importante de la population que les hommes politiques et les décideurs ne sauraient ignorer. L’arabe émergera probablement comme troisième langue de grande communication, aux côtés de l’anglais et du

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français. Cette tendance est encouragée par les pays arabophones et les organisations internationales comme l’Organisation de la conférence islamique, la Banque islamique de développement, l’Organisation islamique pour l’éducation, la science et la culture, etc.

Du point de vue politique. les perspectives ne sont pas brillantes pour le développement des langues africaines. Le statu quo garantit un équ!libre et une stabilité précaires que les décideurs ont peur de compromettre par une politique linguistique ou une décision qui pourrait s’avérer mal inspirée à caus? des conséquences politiques désastreuses de sa mise en oeuvre.

La planification linguistique et la prise des décisions dans ce domaine, dans la mesure où elles sont assimilées à une répartition des rcles et des fonctions, ne peuvent être dissociées de la lutte des élites pour maintenir ou étendre leur pouvoir. La planification linguistique joue donc un rôle régulateur très important sur le plan politique et social. Dans la plupart des pays africarns, la stabilité politique est si précaire que l’on élabore les politiques dans les domaines de l’éducation et des langues avec la même prudence que quand on marche sur des oeufs. Depuis la période de l’indépendance dans les années 60, la plupart des conflits et des guerres civiles ont pour causes profondes des problèmes associés à la langue, à I’ethnicité et au partage du pouvoir politique et des ressources économiques.

II.3 Obstacles et contraintes d’ordre économroue

La prise des décisions a peu d’effet si les politiques et stratégies adoptées ne peuvent pas être mises en oeuvre pour une raison ou une autre. En ce qui conserne l’élaboration des polrtiques et la prise des décisions dans le domaine de l’éducation et des langues, des considérations d’ordre économique déterminent, en fin de compte, les politiques et décisions qui peuvent oui ou non être mises en oeuvre. Dans les pays d’Afrique de l’ouest, le système éducatif demeure, dans une large mesure, l’affaire de I’Etat, et est fortement centralisé, surtout dans les pays dits francophones. La conséquence est que le développement de l’éducation et des langues est, avant tout, une question de budget. Dans un contexte de sous-développement et de pauvreté extrême ou plusieurs secteurs prioritaires sont en concurrence pour obtenir chacun une allocation budgétaire substantielle, les responsables de I’éduca- tton doivent travailler en utilisant l’enveloppe budgétarre qui leur a été allouée, quel qu’en soit le montant. La conséquence est qu’une politique pertinente de développement de l’éducation ou d’une langue dont la mise en oeuvre nécessite des ressources budgétaires substantielles, peut rester un projet mort-né. Les aspects suivants sont en effet nécessaires pour mettre en oeuvre une pc’itrque linguistique:

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a) Formation et mise en valeur des ressources humaines

La mise en valeur de ressources humaines viables nécessite toujours un investissement substantiel parce qu’il faudra notamment former des linguistiques, des chercheurs, des spécialistes de l’éducation et des langues, des enseignants de langue, des formateurs d’enseignants, etc. Dans certains cas, il faudra former des traducteurs et interprètes, des rédacteurs, des professionnels des médias, etc. Des ressources financières importantes doivent être mobilisées pour les salaires de ces personnels.

b) Création, renforcement et éauioement de nouvelles institutions

Afin de former des ressources humaines qualifiées et de produire les matériels nécessaires pour l’expérimentation, l’évaluation et la mise en oeuvre de nouvelles politiques, des institutions comme des départements de linguistique, des centres de langue, des centres ou départements d’élabora- tion des programmes d’enseignement, etc, doivent être créés ou renforcés et équipés de matériels appropriés, ce qui nécessite une augmentation tant du budget d’équipement que du budget de fonctionnement des ministères chargés du développement de l’éducation et des langues. Si les mesures de réduction du budget sont prises, les politiques ou projets linguistiques ou les stratégies de mise en oeuvre doivent être révisées ou simplement bandonnées.

c) Production des matériels

Compte tenu de la situation de multilinguisme en Afrique, toute politique linguistique prévoyant la production de matériels dans beaucoup de langues nécessitera l’allocation de fonds substantiels. La production des matériels pour une même langue en des millions d’exemplaires présente plus d’avantages et s’avére morns coûteuse que leur production en petites quantités pour plusieurs langues. II est donc plus économique de produire des matériels pour les langues véhIculaIres ou transfrontalières ayant des millions de locuteurs. Par ailleurs, les coûts de production peuvent, dans ce cas, être partagés par plusieurs pays concernés, sans compter que sur le plan commercial, le marché visé est plus large OBANYA (1999b:495) présente un tableau estimatif du nombre des locuteurs de certaines langues transfrontaliéres, qui pourrait être judicieusement exploité par les spécialistes de l’élaboration et les producteurs des matériels didactiques et d’apprentissage.

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Même si le coût de la formation des spécialistes et des enseignants des langues, et celui de la production des matériels didactiques/d’apprentissage dans plusieurs langues/langues maternelles ou langues communautaires comme les langues véhiculaires peuvent paraître, de prime abord, prohibitifs, en particulier au regard des maigres ressources budgétaires allouées au secteur de l’éducation dans la plupart des pays d’Afrique de l’ouest, Obanya (1999a: 26-87) soutient qu’en premier lieu, les enseignants doivent être formés dans le domaine de la créativité ou être en mesure d’exploiter les matériels se trouvant au sein de la société, évitant ainsi le recours exclusif ou excessif aux matériels imprimés comme les ouvragesen second lieu, dans l’examen des questions relatives a l’éducation, l’accent devrait être mis non pas sur les dépenses, mais plutôt sur l’investissement: “L’accent excessif mis sur les “dépenses” ne tient pas dûment compte.du caractére durable des résultats de l’éducation”. Le troisième argument de l’auteur est que la coopération inter- africaine devrait être renforcée pour faciliter la mise en oeuvre des politiques linguistiques visant à promouvoir les langues africaines en vue de leur utilisa- tion dans l’éducation et la vie sociale. “Une telle approche est possible en Afrique où il ya un bon nombre de langues partagées.” L’expertise peut être partagées à travers les fontiéres nationales, en utilisant les mécanismes des institutions sous-régionales existantes”. Compte tenu du nombre d’organisa- tions d’intégration régionale(voir le tableau 1 à la page 5, et le tableau 4 à la page 21) dont sont membres les pays de l’Afrique de l’Ouest, on peut affirmer que l’intégration régionale est un objectif économique et politique fondamental pour ces pays. L’éducation peut être un instrument efficace permettant de créer des conditions propices à une telle intégration. Selon Obanya (1999a:28), “les langues africaines locales peuvent être un instrument clé de promotion de la coopération régionale”. Obanya est convaincu que l’avenir de l’Afrique réside dans la préservation et le développement de ses langues: “Les langues africaines sont l’esprit de la personnalité du continent. Cette personnalité doit être préservée et développée. Elle doit évoluer en tant que base de l’ouverture de l’Afrique au monde global de nos rêves”.

d) Diffusion des matériels

Même si l’on réussit à résoudre les problèmes liés à la production des matériels didactiques/d’apprentissage, il subsiste d’autres difficultés à surmonter. Ces difficultés portent sur le transport et la distribution de ces matériels dans les délais impartis et dans des conditions satisfaisantes. Cela nécessite souvent des moyens logistiques qui peuvent ne pas être disponibles. Par ailleurs, les conditions de stockage peuvent ne pas être adéquates, ce qui peut entraîner la détérioration des matériels drdactiquesid’apprentissage,

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Planification et politiques linguislrques danscerrarns pu-vs selectionnes d’afrique de l’ouest

les rendant inutilisables aux fins pédagogiques voulues.

e) Svstémes d’évaluation

Tout changement notable dans le systéme éducatif entraîne des modifi- cations dans les instruments et procédures d’évaluation. Le processus d’évaluation peut nécessiter des ressources additionnelles qui ne sont pas disponibles. Une telle situation, au cas où elle se présente, peut constituer un grand obstacle à la mise en oeuvre des politiques, projets et programmes dans le domaine de l’éducation et des langues.

f) Pression des institutions monétaires internationales

Tous les pays de la région de l’Afrique de l’Ouest sont soumis aux dures conditions économiques des programmes d’ajustement structure1 (PAS), qui demandent la réduction considérable des dépenses publiques par la limitation de nouveaux recrutements et les coupes budgétaires massives. La conséquence est que tout projet ou programme d’éducation déjà discuté et approuvé, peut être abandonné, à la suite de l’adoption du PAS. En d’autres termes, les politiques dans le domaine de l’éducation et des langues, qui ne sont pas incorporées dans les buts et objectifs du PAS, peuvent ne pas bénéficier d’un financement, ce qui veut dire qu’elles ne seront jamais mises en oeuvre.

La plupart des spécialistes de l’éducation et des langues intervenant dans la planification et la prise des décisions dans ces domaines sont pleinement conscients des difficultés économiques que connaissent les pays africains. Aussi se sentent-ils souvent obligés de recommander uniquement les politiques et mesures que les décideurs peuvent mettre en oeuvre dans le contexte économique actuel, caractérisé par la rareté des ressources.

II. 4. Obstacles et contraintes d’ordre socio-culturel

La langue constitue, sans aucun doute, un instrument clé d’intégration socio-culturel entretenant, chez les ressortissants d’un Etat, le sentiment d’appartenance commune à cet Etat, et chez les membres d’un groupe ethnique, le sentiment d’être des membres authentiques de ce groupe. Dans un contexte multilingue comme celui de l’Afrique, le revers de la médaille est que le sentiment d’unicité et d’appartenance commune peut renforcer la spécificité ou la particularité des groupes ethniques en mettant l’accent sur les différences linguistiques ou culturelles. Dans la région de l’Afrique de l’ouest, la question de la langue est trés complexe, et les planificateurs et les décideurs de ce domaine doivent surmonter de nombreux obstacles d’ordre socio-cul- turel, pour réussir dans leur travail. Au nombre des principaux obstacles et contraintes socio-culturels qui méritent une attention soutenue il ya lieu de citer

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les suivants:l’intégration verticale, l’illusion d’une nation; une langue;le paradoxe existentiel ou le dilemne entre sauver la langue et tuer l’enfant.

1. Intéaration verticale

Pour éviter de développer des particularités linguistiques et culturels susceptibles d’entraver l’unité nationale, les planificateurs et les décideurs, dans le domaine des langues, peuvent opter pour une stratégie d’intégration verticale, c’est- à -dire l’intégration entre les élites et un groupe ethnique, d’une part, et les autres groupes ethniques, d’autre part. A l’heure actuelle, l’intégration verticale semble être la stratégie dominante en Afrique de l’ouest. A titre d’exemple, dans les pays francophones, les élites des différents groupes ethniques savent lire et écrire le français. Dans les pays anglophones également, les élites utilisent l’anglais comme langue de travail commune. Cette politique est un vestige de la période de la colonisation ou s’inscrit dans le cadre des pratiques héritées de cette période (voir la section II. 1 : obsta- cles et contraintes d’ordre historique). L’intégration verticale présente les avantages suivants:

a) facilitation de la conduite des affaires publiques ;

b) limitation de la participation à une élite restreinte par l’exclusion des masses ne maîtrisant pas la langue de l’administration.

Toutefois, une telle situation présente des risques et dangers sociaux potentiels, personne ne sachant pendant combien de temps les masses supporteront que leurs intérêts fondamentaux soient bafoués. II est donc nécessaire de combler l’écart entre les élites et les masses pour éviter l’explosion sociale. Dans ce contexte, l’intégration doit être axée sur I’éduca- tion et I’aphabétisation des masses dans les langues de grande communica- tion. Si cela ne peut être fait, une plus grande attention devrait alors être accordée aux langues locales en tant que moyen efficace d’éradication de l’analphabétisme. En tant que symbole national, la langue doit être accessible et Jcceptable pour les différentes composantes du pays, autrement elle ne pourra pas promouvoir le sentiment d’appartenance commune et d’unicité qui est nécessaire, pour l’édification de la nation. Toutefois, la politique d’intégra- tion verticale qui perpétue le système de gouvernante excluant toute partici- pation significative de la majorité, ne peut pas développer le sentiment d’appartenance commune. Les lois, constitutions, chartes, etc, n’auront plus de sens, ni de force obligatoire si elles continuent d’être élaborées dans des langues inaccessibles à la majorité des populations qu’elles régissent.

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PlaniJication et politiques linguistiques danscertains pays selectionnes d’afrique de l’ouest

Une solution appropriée ne peut être trouvée à l’urgent problème du développement durable des ressources humaines si l’immense majorité de la population est tenue à l’écart, tant que la politique linguistique n’aura pas radicalement changé. En outre, la question globale de la démocratie, de l’équité et de la justice ne peut être examinée de manière effective et efficace en l’absence d’une politique linguistique susceptible de réduire considérable- ment le taux actuel d’analphabétisme. Comment peut-on mettre en place un mode de vote au scrutin secret, honnête et exact dans un environnement d’analphabétisme quasi général ?

Les regroupements et les allégeances politiques sont davantage basés sur des considérations ethniques et régionales, plutôt que sur des systèmes ou programmes politiques. Les hommes politiques profitent de cette situation pour négocier des postes au sommet et exacerbent à cette fin les différences et disparités ethniques et régionales, détruisant ainsi le sentiment d’appartenance à une nation multilingue, tout en entretenant l’hostilité entre les locuteurs des différentes langues. Quand ils s’aperçoivent que le difficile problème de partage des rares ressources nationales disponibles n’a pas été examiné en leur faveur, ils exhortent leurs partisants à revendiquer leur part des richesses nationales qui leur aurait été volée pour des motifs ethniques. De tels processus, au cas où un terme n’y est pas mis à temps, conduisent inévitablement à des rivalités politiques, à des conflits et à des guerres civiles qui ne favorisent pas une intégration nationale pacifique. II est évident que lorsque les rivalités et les conflits politiques sont suscités par des différences linguistiques et culturelles dans pays, promouvoir les langues locales, dans un tel contexte, pourrait paraître comme mettre de I’huile sur le feu des conflits ethniques. La langue européenne, qu’il s’agisse de l’anglais ou du français apparaît comme “neutre” et donc acceptable pour toutes les parties concernées. En Afrique de l’ouest, la plupart des hommes politiques fondent leur pouvoir sur l’exploitation des différences régionales, culturelles, ethniques et linguistiques. II semble donc que ce n’est pas la multiplicité des langues qui rend la question des langues difficile a résoudre en Afrique, mais plutôt le grand nombre d’hommes politiques farouchement opposés les uns aux autres, qui exploitent la situation de multilinguisme à des fins presonnelles et égoistes, en divisant les pays en autant de “fiefs” politques qu’il y a de zones linguistiques et socio-cultuelles, se créant ainsi un électorat sûr et loyal. Au même moment, les intéressés entourent leur personnalité de tout un mythe qui les auréolera aussi longtemps que les électeurs ne sortiront pas de l’ignorance grâce à des programmes d’éducation et d’alphabétisation. Comme l’affirme à juste titre Kedrebeogo (1997: 10) l’éducation et la communication de masse aboutissent à l’éclairage massif de l’opinion. Quand on se réfère à la position

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Obstacles et contraintes a la promotion des langues Africaines

officielle sur les langues et les cultures africaines, telle que reflétée dans la Charte culturelle de I’OUA et le Plan d’action de I’OUA pour l’Afrique adoptés en 1986, ainsi qu’au plaidoyer ferme et pertinent mené par la communauté des spécialistes de l’éducation et des langues en faveur de l’utilisation des langues locales dans le secteur de l’éducation, et quand on observe, au mêm moment , ce qui est fait en ce qui concerne les politiques dans le domaine des langues et de l’éducation, on a raison de se demander, avec Kabou (1991) “Et si l’Afrique refusait le développement ? ” L’utilisation des langues locales est reconnue comme la politique la plus réaliste pour promouvoir l’alphabétisation et l’éducation des masses, développer durablement le capital humain et renforcer les capacités en vue du développement global de l’Afrique. Bien que la voie vers le développement semble bien tracée, les dirigeants et les décideurs africains peuvent cependant refuser de la suivre.

La politique d’intégration verticale ne permet pas aux populations africaines authentiques de contribuer à la culture universelle. Le sentiment de compréhension et d’appartenance à un groupe donné est l’un des besoins fondamentaux de l’être humain; quelle compréhension les populations africaines illetrées ont-elles de ce monde moderne ? Appartiennent-elles réellement à ce monde du troisième millénaire ? Les conséquences de l’intégration sont la marginalisation et l’exclusion inacceptable de millions d’Africains des affaires mondiales.

2. Illusion d’une nation. une lanaue

Très souvent, on entend dire et on lit que le développement d’une nation ne peut pas se réaliser en dehors du développement de l’identité et de la culture nationales, ou encore que l’intégration ou l’unité nationale est impossi- ble sans unité culturelle ou linguistique. L’argument souvent avancé à cet égard est que les pays puissants en Europe, en Asie et en Amérique, tout en forgeant leur unification politique, développaient également une idéologie unificatrice axée sur une seule et même langue. Isayev (1977:192), cité par Bamgbose (1991) résume cet argument en ces termes: “La langue est la caractéristique la plus évidente et la plus importante d’une nation. II ne saurait y avoir de nation sans une base linguistique commune”. Compte tenu maintenant de l’argument développé par Sow (1977) à savoir que tous les pays africains sont composés de plusieurs nations ayant chacune une langue et une identité culturelle spécifiques, la politique “d’une nation, une langue” ne peut pas s’appliquer aux pays africains. II est établi que des langues africaines sont parlées par des millions de personnes à l’intérieur et hors des frontières des pays. C’est le cas du swahili en Afrique de l’est; du hausa, du fulfuldé, du

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Planification et politiques linguistiques danscertains pays selectionnes d’ajïrique de l’ouest

bambara/jula, de I’akan-twi, du mooré, du wolof etc., en Afrique de l’Ouest. Toutefois, à l’exception du swahili en Tanzanie, aucune autre langue africaine n’ a été introduite dans l’éducation, l’administration et les transactions officielles à la suite d’une décision politique majeure. Les langues africaines sont plutôt utilisées pour la communication horizontale. Toutefois, toute tentative officielle de les imposer comme langue d’intégration horizontale ou verticale est susceptible de se heurter aux réticences des locuteurs des langues minoritaires qui peuvent interpréter une telle initiative comme une menace à leur existence culturelle. Ceux qui souhaitent que les Etats modernes jouent un rôle plus actif dans la promotion des langues africaines se plaignent souvent de ce qu’ils appellent “le manque de décision au sommet” ou l’inertie officielle. Ce manque apparent de décision ou cette inertie peut s’expliquer par le fait qu’un certain nombre de facteurs socio-culturels ont rendu la stabilité politique et sociale si précaire dans la plupart des pays africains que c’est le désir de maintenir le statu quo qui prévaut, pour éviter de faire face aux conséquences imprévisibles de la rupture de l’équilibre linguistique actuel. Toutefois, quand on tient compte du dynamisme de certaines langues africaines comme le wolof (au Sénegal et en Gambie), le bambaraljula (au Mali, en Côte d’lvoire, au Burkina Faso), I’akan-twi (au Ghana, en Côte d’lvoire), le mooré (au Burkina Faso), le fufulde(dans toute la région de l’Afrique de l’ouest), le hausa(au Niger , au Nigéria, au Mali, au Bénin), le yoruba et I’igbo(au Nigéria), toutes langues qui sont utilisées par des millions de personnes pour la communication et les affaires, on peut être tenté de dire que ce que l’on attend des décideurs, c’est d’identifier le meilleur moyen d’ac- compagner cette tendance naturelle à utiliser des langues majoritaires ou langues africaines de grande communication, tout d’abord en s’assurant que les matériels didactiques/d’apprentissage pour ces langues sont disponibles; ensuite, en proposant, mais sans imposer, l’inclusion de ces langues dans les programmes d’enseignement en tant qu’options; enfin, en céant des conditions propices à la fourniture d’une assistance administative dans ces langues (conseils juridiques, bureaux linguistiques spéciaux, etc)

La politique de “français seulement” (Kedrebeogo, 1997) dans le systéme éducatif a eu comme conséquence, la marginalisation continue de la majorité de la population dans les affaires publiques. Mais quand on observe ce qui se passe dans le domaine du commerce en Afrique de l’Ouest, on constate que la réalité criarde est que la plupart des opérateurs économiques ne sont pas des diplômés des universités. Au Burkina Faso, nous pouvons citer les cas d’hommes d’affaires comme Oumarou Kanazoe, Barro Djanguinaba, Nana Boureima, Compaore Appolinaire, Amadé Bangrin, et bien d’autres millionnaires ayant réussi par leurs propres moyens, qui continuent de

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Obstacles el contraintes a la promotion des langues Ajïricaines

communiquer essentiellement en mooré ou en jula. Dans des pays comme le Mali, le Togo, le Bénin et le Sénégal, la plupart des commerçants utilisent des langues africaines pour communiquer avec leurs clients:bambara/jula, ewe-fon, hausa, wolof, etc. Ces millionnaires ayant réussi par leurs propres moyens et sans diplôme montrent qu’il n’est pas nécessaire d’être bureaucrate pour gagner décemment sa vie ou pour monter et gérer une entreprise. Même si de tels cas sont trop peu nombreux pour être suffisamment représentatifs, ils montrent, au moins, qu’il est possible de réussir en dehors du cadre du “français seulement”. II s’agit là d’un argument de plus en faveur de la promotion de I’enseignement/apprentissage des langues africaines, en même temps que la promotion du développement économique. Par-dessus tout, ces hommes d’affaires administrent la preuve que l’Afrique n’a pas besoin de la politique d’une nation, une langue pour se développer.

Par ailleurs, comme le laisse entendre Bamgbose (1991:16): “I’Etat- nation à langue unique est un concept du 1 Sème siécle, qui n’a plus guère de pertinence aujourd’hui “. Pour Kelman (1971:94), cité par Bamgbose (1991) l’argument fondé sur le principe une nation, une langue est difficile à défendre et ne devrait donc pas être avancé pour bloquer les réformes dans le domaine des langues et de l’éducation: “II va sans dire qu’une langue commune n’est pas une condition indispensable d’un Etat unifié, et qu’un ou plusieurs groupes linguistiques majeurs peuvent coexister avec des conflicts négligeables entre eux”.

3. Paradoxe existentiel ou dilemne entre sauver la lanaue et tuer l’enfant

Quand on commence à examiner la question de la langue et de la culture en Afrique, plusieurs forces ou courants existentiels conflictuels se dégagent. Pour les partisans de l’utilisation du français ou de l’anglais dans tout le système éducatif, les jeunes d’Afrique doivent se tourner vers l’avenir, au lieu d’essayer de contempler leur passé. L‘avenir , pour eux, c’est la science et la technologie. Le moment est venu et la stratégie pertinente de survie est d’acquérir des connaissances, tant il est vrai que les connaissances, c’est le pouvoir. Sans les connaissances, la science et la technologie, les générations africaines futures ne seront pas suffisamment compétitives dans un monde caractérisé par la globalisation et l’excellence. Pour leur part, les partisans des langues et de la culture africaines soutiennent que la plus grave menace, pour les générations africaines émergentes, c’est la perte de l’identité culturelle. Ils affirment que même si les jeunes Africains maîtrisent parfaitement l’anglais et le français, ils ne deviendront jamais des Européens. Maintenant, dans le processus d’acquisition de l’anglais ou du français, s’ils abandonnent leurs langues et culture africaines, ils encourent le risque de

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Planification et politiques linguistiques ahscertains pays selectionnes d’afrique de l’ouest

progresser sans s’enraciner ni dans les valeurs européennes, ni dans les valeurs africaines. Ils soutiennent que même si un tronc d’arbre est submergé pendant longtemps dans l’eau, il ne deviendra jamais un crocodile. II est donc essentiel d’éviter l’aliénation et la perte de l’identité culturelle. Cette situation rappelle le dilemne souvent mentionné dans les villages à propos d’une certaine nourriture: si vous en mangez, votre père meurt; si vous n’en mangez pas, c’est votre mère qui meurt, que faire alors ? La politique linguistique appliquée généralement dans le système éducatif en Afrique, en particulier dans les pays dits francophones, exclut pratiquement l’utilisation des langues africaines dans le secteur formel de l’éducation (Kedrebeogo, 1997). En plus de l’argument qu’il ne serait pas rentable de les utiliser dans le système éducatif, on avance qu’étant donné que les connaissances, la science et la technologie sont dispensés en anglais et en français, les enfants les maîtrisent plus rapidement et mieux quand elles leur sont enseignées, dès le départ, en anglais et en français, pour ne pas perdre du temps. “Si vous voulez prendre la tête, prenez la tête en anglais”(Williams, 1986514, cité par Bamgbose, 1991:3-20). Bien qu’il soit un ferme partisan des politiques linguistiques visant la promotion de l’utilisation des langues africaines dans le secteur formel de l’éducation, Bamgbose(l9915) reconnaît cependant que les langues des anciens colons sont susceptibles d’améliorer davantage encore leurs place et rôle privilégiés dans les systèmes éducatifs africains: “Un Etat moderne exige une main-d’oeuvre hautement qualifiée, une technologie et des contacts de haut niveau avec le monde extérieur, pour fonctionner de manière appropriée. La complexité des exigences impose des contraintes sur les politiques linguistiques des nations africaines. Quel que soit le statut que celles-ci accor- dent à leurs propres langues, elles auront toujours besoin d’une grande langue mondiale pour avoir accès à l’enseignement supérieur, à la science et à la technologie; cette langue mondiale leur servira d’ouverture au monde extérieur”. Cela veut dire que pour éviter la stagnation et l’isolement, a un moment où les autres nations progressent très rapidement dans le contexte de la mondialisation, les nations africaines n’ont pas d’autre choix que d’adopter un système éducatif moderne, pertinent et compétitif. En d’autres termes, si l’on veut que le petit Africain survive demain dans le monde de la science et de la technologie, et reste compétitif par rapport aux petits Européens, Asiatiques ou Américains, on doit lui permettre d’avoir accès aux mêmes sources des connaissances, de la science et de la technologie.

Toutefois, la reconnaissance de la nécessité des langues de grande communication, comme l’anglais et le français, ne signifie pas nécessairement que les Africains doivent continuer à projeter une image et à adopter des attitudes négatives et destructrices. II faudrait plutôt adopter une attitude

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Obstacles et contraintes a la promotion des langues Africaines

créatrice de destruction-construction vis-a-vis des langues africaines. En effet, le dilemme entre sauver la langue et tuer l’enfant, est un faux dilemme. Comme le soutient Fay Chung (1996:241-244) les pays de l’Asie du Sud-Est ont réussi a sauver à la fois la langue et I’enfant:ils ont modernisé leurs systèmes éducatifs sans renoncer ni à leurs cultures, ni à leurs langues. Ils ont adopté des politiques d’éducation favorisant I’enseignementIapprentissage de la science, des mathématiques et des technologies de l’occident, tout en préservant leurs valeurs culturelles. Passant en revue la situation de I’éduca- tion en Afrique, Fay Chung fait ressortir les principales différences avec ce qu’elle a observé en Asie du Sud-Est:

Premièrement, les pays africains ne semblent pas avoir une vision claire du type d’éducation qu’ils souhaitent dispenser.

Deuxièmement, ils ont des réticences à rompre avec les pratiques en cours dans le domaine de l’éducation pendant la période coloniale, en particulier l’interdiction des langues africaines à l’école.

Troisièmement, les Africains n’ont pas décidé d’écarter les valeurs culturelles européennes; au contraire, ces valeurs sont adoptées, alors que les valeurs culturelles africaines sont rejetées.

Quatrièmement, alors que les Africains embrassent de nouvelles religions ven- ues d’Europe, ils abandonnent leurs propres croyances et pratiques religieuses qu’ils considèrent comme rétrogrades, superstititieuses, archaiques, mag- iques, etc. Tout est rejeté comme contraire à la civilisation et à la modernité.

Cinauièmement, les Africains éduqués ont renforcé la vision négative que les Européens avaient de l’Afrique et des Africains. Ils continuent à projecter une image négative et destructrice de l’Afrique et des Africains.

L’attitude négative et destructrice a influencé les politiques linguistiques dans le domaine de l’éducation, empêchant les langues africaines de créer et de lancer de nouveaux mots et terminologies en fonction de l’évolution de la science et de la technologie. II est encore possible de sauver la langue et de sauver l’enfant, à la condition d’avoir la volonté de travailler sur les langues africaines pour qu’elles puissent couvrir les concepts et terminologies de la science et de la technologie modernes. Après tout, les nouveaux concepts et termes n’ont pas toujours existé dans les langues européennes. La plupart d’entre eux ont été créés en fonction des besoins.

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Plun~jîcation et politiques linguistiques danscertains pays .wi~~rottrre.s d’ct-/nque de l’ouest

II. 5 Obstacles et contraintes d’ordre oédagogiaue

Les obstacles et contraintes d’ordre pédagogique aux projets et programmes de développement des langues ont principalement trait au contexte de multilinguisme et à la situation héritée de la période coloniale. Les travaux de recherche les plus récents sur la question, tels que ceux de Fay Chung (1991, 1994) Obanya (1999) Nikiema (1999) semblent plutôt catégoriques sur la poursuite des mauvaises pratiques de la période coloniale: l’incapacité à abandonner le système et le cadre de la période coloniale pour innover, en tenant compte des réalités du contexte des langues africaines et de l’urgente nécessité de l’éducation des masses en vue de la mise en valeur massive des ressources humaines, constitue la principale pierre d’achoppe- ment dans le développement de l’Afrique. En retenant le français et l’anglais comme les seules langues officielles et d’instruction dans le secteur formel de l’éducation, et en confinant, au même moment, les langues africaines aux programmes d’éducation et d’alphabétisation informelles et périphériques, considérés comme de moindre importance et sans grande valeur ajoutée, les anciennes colonies ont préféré maintenir le statu quo, plutôt que de prendre l’initiative courageuse d’abandonner le cadre ou le système éducatif auparavant mis en place, qui n’était pas à leur avantage.

Kedrebeogo (1997) soutient que la francophonie est un mécanisme français de plus pour amener les décideurs africains à perpétuer l’héritage colonial dans les systèmes éducatifs africains. L’utilisation exclusive du français dans le système éducatif formel est le premier obstacle au développe- ment de l’éducation et au développement global dans les pays dits francoph- ones. L’utilisation du français exclut la majorité de la population de la participation effective et consciente aux décisions politiques et économiques dans le pays.

Thompson (1969:361), cité par Kedrebeogo( 1997) démontre que l’argument en faveur de l’utilisation d’une langue européenne dans l’éducation afin de promouvoir l’intégration nationale est une énorme illusion. A son avis, il n’est même pas certain qu’une langue européenne puisse devenir un instrument efficace d’édification et de développement d’une nation en Afrique, car les langues européennes resteront des langues étrangères pour la majorité des Africains. En conséquence, l’imposition de ces langues d’instruction dans les écoles africaines est synonyme de perpétuation du clivage horizontal entre les populations africaines et, partant, de blocage de l’émergence d’une vraie nation.

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Obstacles et contraintes a la promotion des langues Africaines

Au niveau visible, les obstacles et contraintes à l’utilisation des langues africaines sont associes a des problémes pédagogiques comme les matériels des programmes d’enseignement, la formation des enseignants, le temps alloué, etc. Mais comme on le dit souvent, vouloir c’est pouvoir. Les potentialités pour développer les ressources humaines et matérielles nécessaires pour mettre en oeuvre les programmes portant sur ou incluant les langues africaines existent, mais elles ne sont pas exploitées. En ce qui concerne la place et le rôle de l’anglais et du français dans le développement de Iéducation en Afrique, aux côtés des langues africaines, il n’est pas nécessaire d’élaborer et de mettre en oeuvre une approche controversée d’exclusion, opposée à l’approche d’inclusion. Les expériences au Burkina Faso, au Mali et au Sénégal ont montré que I’aphabétisation dans la langue maternelle, au stade initial, peut favoriser l’apprentissage du français aux stades ultérieurs de l’éducation (Nikiema, 1999). Les langues africaines sont enseignées dans le primaire au Ghana et au Nigeria, avant que l’anglais ne soit introduit par la suite, sans que les systèmes de ces pays présentent des problèmes particuliers, du fait de l’utilisation des langues africaines. On peut donc conclure que le débat réel devrait porter sur l’adoption d’une politique linguistique susceptible de promouvoir une interaction et un enrichissement mutuel entre les langues africaines et les langues héritées de la colonisation, afin de promouvoir le développement de l’éducation en tenant compte de l’urgente nécessité de développer massivement la main-d’oeuvre, de mettre au point et d’adopter des normes acceptables pour le reste de la communauté internationale, afin de maintenir la compétitivité à l’échelle mondiale.

La question cruciale demeure celle de l’égalité d’accès et de chance dans le domaine de l’éducation et la mobilité sociale ascendante. Compte tenu du retard intellectuel de l’Afrique, il faut s’attendre à ce que l’éducation renforce rapidement les capacités intellectuelles et les compétences. Mais pour atteindre ces objectifs, il est nécessaire d’utiliser toutes les ressources linguistiques et culturelles disponibles en vue du développement harmonieux d’un système éducatif acceptable et également bénéfique pour tous.

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PlaniJication et politiques linguistiques danscertains pays selectionnes d’afrique de /‘ouest

CHAPITRE III

PLANIFICATION ET POLITIQUES LINGUISTIQUES EN AFRIQUE DE L’OUEST: ÉTAT DE LA QUESTION

La vie quotidienne des Africains, dans les zones rurales, a peut-être évolué au même rythme que leurs langues maternelles. Toutefois, au niveau national, le développement, les conditions de vie décentes, le prestige, etc sont étroitement associés à l’éducation et à la scolarisation en français ou en anglais, au point que les jeunes Africains ont dû apprendre ces langues non seulement pour vivre dans des conditions décentes, mais aussi pour avoir accès aux centres de prise des décisions. Quelque quarante ans après l’indépendance obtenue des anciennes puissances coloniales, la situation a-t-elle sensiblement changé dans le domaine de l’éducation et des langues en Afrique? En d’autres termes, existe-t-il des projets et programmes de développement associés aux langues africaines ? Les Africains peuvent-ils, dans la vie quotidienne, se passer de l’utilisation des langues des anciennes puissances coloniales ? Quels rôles et fonctions les langues africaines jouent-elles dans les systèmes éducatifs ?

Dans le contexte de multilinguisme en Afrique de l’Ouest, il est difficile de dissocier les politiques linguistiques des politiques d’éducation. Très souvent, la question récurrente que se posent les planificateurs de l’éducation et les décideurs dans le domaine des langues porte invariablement sur la détermination du lien entre l’enseignement des diverses langues parlées dans un pays donné et les niveaux où ces langues sont enseignées. Compte tenu de la “situation d’héritage” léguée par la colonisation qui continue de dominer les politiques et les pratiques dans le domaine de l’éducation en Afrique, les principales caractéristiques des politiques linguistiques sont les suivantes:fuite des responsabilités, manque de précision, arbitraire, fluctuation, déclaration sans mécanisme de mise en oeuvre (Bamgbose, 1991:111).

Fuite des resoonsabilités: la fuite des responsabilités est une stratégie consistant à retarder la prise des décisions sur les politiques dans le domaine des langues et de l’éducation. La fuite des responsabilités, en tant que politique, peut se justifier par le sentiment que les questions relatives aux langues peuvent attendre. Une autre raison pourrait être le fait que, compte tenu du caractère extrêment sensible de la question de la langue, en particulier en ce qui concerne le développement de l’éducation dans un contexte politique incertain, les gouvernements africains préfèrent maintenir le statu quo qui, comme indiqué plus haut, est un vestige des politques coloniales

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Planification et politiques linguistiques en Afrique de l’ouest: etat de la question

dans le domaine de l’éducation et des langues. Avec la politique de fuite des responsabilités, des changements majeurs interviennent à la suite des initiatives privées ou non officielles prises par les chercheurs, les militants des langues, les organisations non gouvernementales, les églises, etc.

.Manaue de orécision: le manque de précision dans la formulation est , en fait, synonyme de fuite des responsabilités. Compte tenu des différents obstacles et contraintes à surmonter, les gouvernements africains peuvent être tentés d’élaborer les politiques linguistiques de manière à ne pas donner d’indi- cation daire sur la façon et le moment de les mettre en oeuvre. En d’autres termes, la fuite des responsabilités et le manque de précision reviennent à préconiser le maintien du statu quo.

Arbitraire: Selon Bamgbose (991 :113), l’arbitraire “intervient lorsqu’une décision politique est prise sans enquête préalable sur la possibilité de la met- tre en oeuvre ou sans solliciter l’avis des experts compétents sur la question”. L’arbiraire concerne les politiques décidées au sommet, quel qu’en soit le motif, et à mettre en oeuvre tout simplement parce que c’est un acte du prince, du président, du gouvernement, du parti au pouvoir, etc. Un bon exemple cité par Bamgbose (1991:114) à cet égard, est celui de la décision, prise par le Conseil suprême de la révolution en Somalie, de faire du somali la seule langue nationale et le médium d’instruction dans toutes les écoles primaires, avec effet immédiat. Des mesures ont également été prises par la suite pour mettre rapidement en oeuvre cette décision, notamment la mise en valeur des ressources humaines, la production et la distribution des matériels didac- tiquesld’apprentissage, la production d’outils d’évaluation, etc.

Fluctuation: la fluctution des politiques dans le domaine de l’éducation et des langues s’explique souvent par l’interaction de divers facteurs, notamment l’instabilité politique (qui conduit à des changements dans les politiques du gouvernement ou du parti), l’évolution de la recherche et de la science (qui aboutit à l’avènement de nouvelles idées et d’innovations dans l’éducation), l’influence de l’environnement international (coopération bilatérale, institutions monétaires internationales, etc).

Csans c’est probablement la caractéristique la plus courante des politiques linguistiques en Afrique de l’Ouest. Les hommes politiques et militants des partis sont souvent prêts à faire des déclarations politiques, en sachant bien qu’elles ne peuvent pas être mises en oeuvre. Prenant le cas du Nigéria, Bamgbose (1991 :Il 7) illustre, en ces termes, ce qu’il entend par déclaration politique sans mécanisme de mise en oeuvre: “Une politique peut être élaborée et adoptée, avec des clauses

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PlaniJicahon et politiques linguistiques danscertains pays selectionnes d’ajhyue dc l’ouest

permettant des dérobades pour justifier la non-mise en œuvre d’une telle poli- tique. Une politique peut être élaborée et adoptée, sans indication des procédures de mise en œuvre, la conséquence étant donné que ladite politique reste uniquement sur le papier”.

La politique linguistique officielle du Nigéria est énoncée comme suit aux articles 51 et 91 de la constitution nigériane de 1979:

“Les travaux de l’assemblée nationale sont conduits en anglais, ainsi qu’en hausa, en ibo et en yoruba si des dispositions appropriées sont prises à cet effet” (article 51).

“Toute assemblée d’un Etat peut, en plus de l’anglais, conduire ses travaux dans une ou plusieurs langues parlées dans cet Etat si I’Etat en décide ainsi par résolution”(article 91).

Dans ces textes, les clauses permettant des dérobades sont les suivantes: “si des dispositions appropriées sont prises à cet effet”, et “si l’assemblée en décide ainsi par résolution”. De telles clauses se retrouvent dans les constitutions et les lois d’orientation de l’éducation de la plupart des pays africains. Au Burkina Faso, le décret N” 289 bis, du 13 août 1965, portant réorganisation de l’enseignement primaire, laisse la porte légèrement entrouverte en son article 6 qui stipule que: “Cet enseignement (du premier degré) est obligatoirement dispensé en langue française et éventuellement en d’autres langues fixées par décret” (7). Pour sa part, la loi d’orientation de l’éducation (N” 13/96/ADP), adoptée le 9 mai 1996, qui est la toute dernière en la matière, stipule en son article 4, chapitre 1, que les langues d’instruction sont le français et les langues nationales, que d’autres langues peuvent être utilisées comme médium d’instruction ou matière d’enseignement et que les détails de l’organisation pratique de l’enseignement des langues seront précisés par un décret pris en Conseil des Ministres. En absence d’indications claires sur la date et la façon dont les nouvelles politiques linguistiques doivent être mises en œuvre, la conclusion à tirer est que les anciennes politiques et pratiques dans le domaine de l’éducation vont se poursuivre.

Bien que Nikiema (1999) estime que des progrés ont été réalisés par rapport à la situation qui prévalait et au statut accordé aux langues africaines avant l’indépendance, l’étude de Noss sur l’évolution des politiques linguistiques en Afrique de l’Ouest (1971:25) conclut qu’il n’y a guère eu de progrès. Noss définit trois types de politiques:

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1. Politiaue linauistiaue officielle: elle se rapporte à la reconnaissance officielle de certaines langues par le gouvernement, à certaines fins.

2. Politique linauistiaue dans l’éducation: elle se rapporte à la reconnaissance de certaines langues par les autorités chargées de l’éducation, en tant que langues d’instruction et matières d’enseignement, aux différents niveaux de l’enseignement.

3. Politiaue linauistiaue aénérale: elle se rapporte à la reconnaissance officieuse ou à la tolérance de certaines langues utilisées pour la communica- tion de masse, les transactions et les contacts avec les étrangers.

Politique linguistique officielle: En dehors de la Somalie, de la Tanzanie et de la Guinée, où des décisions spectaculaires ont été prises sur le statut du somali, du swahili et des langues locales guinéennes, la politique linguistique officielle en Afrique subsaharienne ne varie pas considérablement.

Dans les nouvelles constitutions élaborées, il est indiqué qu’en plus de l’anglais ou du français, d’autres langues peuvent être utilisées dans les domaines de l’éducation, des affaires et de l’administration. Toutefois, la décision finale pratique pouvant’faire des langues africaines des langues internationales, offi- cielles, régionales ou provinciales n’a jamais été prise à cause des clauses de sauvegarde demandant aux gouvernements de ne prendre une telle décision que lorsqu’ils la jugent socialement et politiquement opportune.

Comme le montre le chapitre II, divers obstacles et contraintes historiques, politiques, économiques, socio-culturels et pédagogiques conditionnent plus au moins le choix des gouvernements africains en ce qui concerne les change- ments importants dans le statut, les rôles et les fonctions des langues. On peut donc affirmer que la politique linguistique officielle n’a pas beaucoup changé par rapport aux ‘pratiques héritées de la colonisation. Pour certaines considérations politiques et sociales, le statu quo semble préférable en dépit des vives protestations des chercheurs, des planificateurs, des linguistes et des militants isolés des langues, qui considèrent l’inertie politique ou le manque de vision au sommet comme une aberration intolérable retardant le développement global de l’Afrique (Kedrebeogo, 1997:17).

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Planijication et politiques linguistiques danscertains pays selectionnes d’afrique de l’ouest

Politique linguistique dans l’éducation Du point de vue juridique, les langues africaines ont été reconnues

comme des langues pouvant être utilisées comme médias d’instruction et matières d’enseignement, au même titre que l’anglais et le français (Bamgbose, 1991; Nikiema, 1999).Toutefois, compte tenu des obstacles et contraintes à surmonter, les langues africaines ne sont pas utilisées dans le cadre formel de l’éducation dans les pays francophones qui préfèrent enfourcher le cheval de la francophonie (Kedrebeogo, 1997). Mais comme Bamgbose (1991) et Nikiema (1999) le font remarquer, les langues africaines ont fait une percée significative dans le secteur informel de l’éducation. En effet, des centres d’éducation communautaires sont actuellement crées dans les zones rurales, et même dans les zones urbaines, et ces centres dispensent l’éducation et l’instruction dans les langues parlées par les communautés concernées. De tels centres existent au Burkina Faso, au Mali, au Sénégal, en Côte d’lvoire, etc. Nikiema (1999) fait part de deux innovations intéressantes au Burkina Faso: l’utilisation des langues africaines au cours des deux ou trois premières années d’éducation formelle dans des “écoles satellites”, c’est-à-dire des écoles de la périphérie. Mais les élèves de ces écoles doivent poursuivre leurs études en français dans des “écoles classiques”. La deuxième innovation, qui est plutôt une initiative privée, autorisée et suivie par la tutelle, concerne l’utilisation des langues africaines pour l’alphabétisation au stade initial, suivie de l’exploitation des aptitudes acquises à ce stade pour faciliter l’apprentissage du français. Les résultats obtenus jusqu’à présent semblent très concluants. Tout d’abord, le constat est que les élèves concernés apprennent le français plus rapidement et mieux que ceux qui commencent leur scolarisation directement en français. Ensuite, ils acquiérent d’autres aptitudes qui leur permettent de réduire de deux ans le temps nécessaire pour achever le cycle primaire. Plus intéressant encore, ces élèves réussissent très bien dans le secondaire. L’expérience a commencé avec le mooré et se poursuit maintenant avec le jula, le fulfulde et le gulmancema. Même s’il n’y a pas encore de décision officielle concernant la généralisation de l’utilisation des langues africaines dans l’éducation de base, l’attitude de laisser-faire et le suivi discret, mais très intéressé de ce qui se passe dans les écoles expérimentales, sur le plan éducatif et pédagogique, peuvent être considérés comme une autorisation implicite, car du point de vue juridique, on dit souvent que ce qui n’est pas interdit est autorisé. Par ailleurs, il ressort des discussions informelles avec les chercheurs au Burkina Faso, au Mali, au Sénégal et au Togo, qu’il ne faut pas s’attendre à une décision spectaculaire des pouvoirs publics, pour le moment. Toutefois, les chercheurs sont tous confiants que les initiatives privées en cours et les besoins exprimés par les populations africaines aboutiront probablement

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Planification et politiques linguistiques en Afrique de l’ouest: etat de la question

à des changements majeurs. Une légère “déscolarisation” est même observée dans certaines régions du Mali, du Burkina Faso et du Sénégal où les parents, déçus par les résultats du système éducatif formel caractérisé par le déracine- ment , les difficultés de l’intégration sociale, la perte des valeurs morales cardinales, etc, sont de plus en plus réticents à envoyer leurs enfants à l’école. Ils préfèrent plutôt un système capable d’assurer l’alphabétisation et I’éduca- tion, tout en intégrant les valeurs culturelles et morales des communautés pour que les élèves qui quittent l’école n’éprouvent pas des problèmes quant à leur réintégration dans la société. Une tendance légère, mais décisive en faveur des écoles coraniques est ObSeNéf? au Sénégal, au Mali, au Burkina Faso et au Niger.

Le processus de décentralisation en cours dans la plupart des pays africains aura probablement une incidence sur les politiques d’éducation. En conséquence, les politiques sur l’utilisation des langues dans le système éducatif pourraient évoluer de manière à assigner un rôle important aux langues africaines dans le système éducatif.

1. Politiaue linauistique aénérale: S’agissant de la reconnaissance officieuse ou de la tolérance des langues utilisées pour la communication de masse, la politique et les affaires, on peut dire que certaines langues africaines sont largement utilisées dans les médias de communication privés et publics, et ont également la préférence des hommes politiques pour la mobilisation des masses. Au Burkina Faso, pendant la période de la révolution, les responsables gouvernementaux devaient s’adresser aux populations dans les langues que ces populations pouvaient comprendre, plutôt qu’en français. De fait, feu le président Thomas Sankara avait l’habitude de s’adresser aux ambassadeurs en mooré lorsqu’il décidait de recevoir leurs lettres de créance dans les villages, plutôt qu’à Ouagadougou (Nikiema, 1999).

Sur le plan politique, le fait d’accorder officiellement la préférence à certaines langues africaines sélectionnées peut avoir un effet contraire au but recherché. Une telle politique peut susciter des protestations et un rejet de la part des locuteurs des langues non retenues, en particulier leurs élites occupant des postes de responsabilités dans la hiérarchie administrative. Mais le fait est que dans la plupart des pays de l’Afrique de l’Ouest, il y a un certain nombre de langues qui sont utilisées pour la communication trans-ethnique. II s’agit généralement de langues majoritaires que des groupes ethniques minoritaires peuvent utiliser pour la communication et les transactions quotidiennes. Mais au sein de leurs familles, les locuteurs des langues minoritaires préfèrent parler leurs propres langues avec leurs enfants pour assurer la survie de leurs langues et cultures. Le tableau suivant montre la répartition des langues trans-ethniques:

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Plani/ication CI polifiques litt~~ti.vtiqrws CII Afrique de I’ouesr: e/al de la questiorr

La chose la plus intéressante à noter est que ces langues sont librement utilisées naturellement par des millions de personnes, appartenant à des groupes ethniques différents, pour leurs activités et leurs transactions commerciales quotidiennes. Du point de vue stratégique, en ce qui concerne la politique linguistique, l’éducation et le développement, la situation de ces langues mérite une plus grande attention. Le wolof est parlé au Sénégal par plus de 80% de la population, tandis qu’environ 60% des Ghanéens utilisent I’akan-twi pour leurs communications quotidiennes Le mooré, le jula / bambara sont également parlés par une grande proportion de la population au Burkina Faso et au Mali. Si l’on considère maintenant le développement des stations de radio et même des stations de télévision privées qui ont l’obligation de consacrer 40 à 60%de leurs programmes aux langues africaines (et aux cultures africaines, tel que l’exige généralement la réglementation des conseils de l’audiovisuel dans la sous-région), c’est la promotion des langues africaines de grande communication qui est davantage susceptible d’être assurée. En outre, ces langues sont largement utilisées dans les centres d’éducation des villages et/ou des communautés. Ces langues diffèrent également des autres langues transfrontaliéres parlées uniquement par des personnes appartenant à un même groupe ethnique, y compris à travers tout le continent, comme le fulfuldé (également appelé fulani, fulbe, pulaar/peulh). En dehors du fulfuldé, les autres langues de ce genre restent des langues minoritaires dont la portée est limitée en dépit de leur statut de langues transfrontaliéres (voir le tableau pour des exemples).

D’une maniére générale, il convient de reconnaître que la politique linguistique générale en Afrique de l’Ouest est essentiellement dominée par la tolérance et le laisser-faire, de la part des gouvernements, ce qui signifie que c’est le dynamisme propre des locuteurs de chaque langue qui assure sa promotion et son développement par des activités culturelles et éducatives, la production de matériels didactiques/ d’apprentissage et le lancement de projets et programmes audacieux et novateurs dans le domaine des langues et de l’éducation.

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Planification

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Strategies de promotion des lhgues Africaines, sans excluslon de l’anglais et du/rancais

CHAPITRE IV

STRATÉGIES DE PROMOTION DES LANGUES AFRICAINES, SANS EXCLUSION DE L’ANGLAIS ET DU FRANÇAIS

Selon Mackey (1984) cité par Bamgbose (1991 : 74) ; w la langue est comme la monnaie : plus fort est son pouvoir d’achat, plus grande est sa valeur “. La logique de cette affirmation est que toute politique linguistique dans la région de l’Afrique de l’Ouest, pour réussir, doit non seulement assurer la promotion des langues africaines, mais également leur donner une plus grande valeur marchande dans des secteurs cruciaux comme la vie publique et les transactions officielles (administration, politique et économie). En d’autres termes, les politiques linguistiques et les politiques, projets et programmes de développement devraient être intégrés. Dans le cas contraire, quelles que soient les déclarations officielles en faveur de la promotion des langues africaines, celles-ci auront toujours un statut marginal et les millions de personnes qui ne communiquent que dans ces langues resteront marginal- isées dans l’organisation et la conduite de la vie publique et des affaires de I’Etat. Nous pensons que toute stratégie viable de promotion des langues africaines devrait, entre autres, prévoir l’intégration de la planification et des politiques linguistiques dans les projets de développement considérés comme cruciaux dans les pays concernés :

1. Politique linguistique et développement politique, administratif et judiciaire. 2. Politique linguistique et développement agricole, industriel et commercial. 3. Politique linguistique et développement socio-culturel et éducatif. 4. Politique linguistique et intellectuelle, et développement éducatif.

IV.1 Politiaue linauistiaue et déveloooement oolitiaue. administratif et judiciaire

II est généralement admis que ” nul n’est censé ignorer la loi “. Mais comment connaître la loi si elle est élaborée dans une langue qu’on ne peut pas lire ou si cette loi n’est pas traduite dans une langue accessible ? Dans le contexte afncain, nous ne pouvons pas dire que la loi est juste ou même qu’elle a un sens, car la langue dans laquelle elle est formulée n’est pas accessible à la majorité de la population (Bamgbose,l991).

Les procédures judiciaires dans des pays tels que le Burkina Faso, le Bénin, la Côte d’lvoire, le Mali, le Niger, le Sénégal, la Guinée et le Togo, s’inspirent, dans une large mesure, des lois et procédures françaises. Le système juridique, les lois commerciales, le code de procédure pénale, etc. enseignés dans les écoles ou les facultés de droit dans ces pays, sont

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Planijîcation et politiques linguistiques danscertains pays selectionnes d’afrique de l’ouest

pratiquement exactement les mêmes que ceux qui sont enseignés en France. De même, les procédures en vigueur au Ghana et au Nigéria sont celles qui ont été heritées de la colonisation britannique. Compte tenu de cette situation, les projets et programmes de développement politico-administratif et judiciaire devraient inclure les politiques et stratégies suivantes :

1 .Genéralisation de l’utilisation de documents bilingues

Etant donné que tous les actes et procédures administratifs et judiciaires sont rédigés soit en anglais, soit en français, selon que le pays concerné est une ancienne colonie britannique ou une ancienne colonie française, la première mesure à prendre pour rendre ces actes accessibles à tous, serait de traduire les actes exécutoires, les déclarations des droits, les chartes et les constitutions en vigueur, etc , dans les langues dominantes dans un premier temps, l’objectif ultime étant de rendre tous ces instruments accessibles aux locuteurs et aux lecteurs de toutes les langues africaines dans le pays con- cerné. Dans les pays où il existe des langues dominantes, on peut avoir un tableau se présentant comme suit :

Tableau 8 : Utilisation possible de documents bilingues en fonction des langues dominantes

I Pays Langues

Même dans les pays où il n’y a pas clairement de langue dominante, comme au Bénin, en Côte d’lvoire et au Togo, il y a des langues utilisées par

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une grande partie de la population. Dans ces cas, nous pouvons avoir un tableau se présentant comme suit :

Tableau 9 : Utilisation possible de documents bilingues en fonction des langues couramment parlées

Tous les pays concernés sont membres d’organisations sous-régionales préconisant des politiques d’intégration et d’harmonisation dans plusieurs secteurs du développement : des législations et réglementations commerciales et des politiques douanières communes sont par exemple mises en œuvre au sein de I’UMEOA (dont sont membres le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’lvoire, la Guinée, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo).

Compte tenu de cette situation et de la volonté de faciliter la libre circulation des personnes et des biens au sein de I’UMEOA. en plus des langues dominantes, toutes les langues transfrontaliéres, même si elles sont parlées par des minorités, devraient être utilisées pour la diffusion des lois, chartes et règlements en vigueur dans les pays de la région. Nous pouvons ainsi avoir un autre tableau sur la base de l’utilisation et de la promotion des langues transfrontalières dans la sous-région. Un avantage évident de I’utilisa- tion des langues transfrontalières est que le coût de production des documents bilingues peut être partagé par plusieurs pays concernés.

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Planijication et politiques

linguistiques danscertains pays selectionnes d’afrique de l’ouest

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Strategies de prottrotion des langues Africaines, sans exclusion de l’anglais et du francais

Au Ghana et au Nigéria, les langues dominantes identifiées sont I’akan- twi et I’ewe pour le Ghana, et le hausa, le yoruba et I’igbo pour le Nigéria.

Le tableau suivant illustre la situation qui peut être envisagée dans un premier temps :

Tableau 11 : Combinaison des langues dominantes d’Afrique de l’Ouest avec l’anglais

Pays

Ghana

Nigeria

Anglais-akan-twi

Anglais-hausa

Langues

Anglais-ewe

Anglais-yoruba Anglais-igbo

Compte tenu des efforts déployés par les dirigeants politiques des pays membres de l’Union monétaire et économique ouest africaine (UMEOA) et de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), on peut et on devrait particulièrement essayer de mettre toutes les législations de base et chartes et tous les règlements à la disposition de toutes’les populations actives sous forme d’éditions bilingues en anglais ou français et dans l’une ou l’autre des principales langues africaines de la région.

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Tableau 12

Documents r bilingues

Pays

Bénin

Burkina Faso

Côte d’lvoire

Ghana

Guinée

Mali

Niger

Nigéria

Sénégal

Togo

Planljîcalion et politiques linguistiques danscertains pays selectionnes d’afrique de l’ouest

Combinaison de l’anglais ou du français et des langues transfrontalières de l’Afrique de l’Ouest

Anglais- Français- akan-twi akan-twi -T-

Français- Français- Français- Français- /

De la même manière, tous les documents et actes administratifs comme les actes de naissance, les actes de mariage, les actes de décès, etc, doivent également être bilingues. L’Africain alphabétisé dans les langues africaines saura ainsi que ces langues sont également utiles si elles sont utilisées au même titre que le français et l’anglais pour des transactions importantes et l’enregistrement des événements importants.

Mais pour que de telles politiques puissent être mises en œuvre, il y a un certain nombre de mesures préalables à prendre.

1. Formation des ressources humaines

1 .a. La formation dans les écoles professionnelles doit inclure des programmes d’enseignement des langues pertinentes pour rendre les stagiaires bilingues, en choisissant l’une des options suivantes :

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Strafegies de protno~ion des langues Africaines, sans exclusion de l’anglais CI du /ramais

v Anglais-français ;

I/ Anglais-langue africaine sélectionnée ;

/ Français-langue africaine sélectionnée.

1.b. Les textes fondamentaux existants doivent être traduits dans les principales langues africaines, premier pas vers la production d’éditions bilingues. II faut bien commencer par une langue, car travailler sur toutes les langues à la fois peut nécessiter des ressources qui ne sont pas actuellement disponibles.

1.~. II faut exiger de tout candidat à un poste dans la fonction publique et l’administration de savoir lire et écrire non seulement le français ou l’anglais, mais aussi au moins une des principales langues africaines (notamment les postes dans l’administration publique, la justice, les douanes, la police, la gendarmerie, etc).

1 .d. II faut exiger des candidats à des postes électifs d’être capables de lire et d’écrire au moins une langue africaine, en plus de leur langue européenne d’ éducation et de formation.

2. Allocation oolitiaues viables

2.a. La formation dans le cadre de programmes bilingues a un coût. Elle nécessite des enseignants de langue qualifiés et la production de matériels d’enseignement et d’apprentissage pertinents dans les langues concernées. Tout ceci requiert une nouvelle réflexion, une restructuration et une réorganisation des programmes d’enseignement, de la gestion, de l’orientation ou de la structure des établissements et facultés où sont formés les administrateurs, les magistrats, les juristes, les douaniers, les inspecteurs et les commissaires de police. La question qui se pose est donc celle de savoir si les décideurs de la sous-région sont prêts pour de tels changements radicaux.

2.b. Des instruments juridiques doivent être adoptés aux niveaux national et sous-régional pour demander que les Etats membres exigent que les candidats à des postes au sein de I’admrnistration sachent lire et écrire une des langues spécifiées dans ces instruments.

2.~. Les organisations sous-régionales telles que I’UMEOA. la CEDEAO, le CILSS. LIPTAKO GOURMA, etc, doivent être invitées à financer les programmes et projets relatifs aux langues, susceptibles de contribuer à la réalisation des objectifs sectoriels de ces organisations, en subventionnant la production des matériels d’apprentissage dans les langues africaines ou des

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Planification et politiques linguistiques danscertains pays selectionnes d’afrique de l’ouest

éditions bilingues, en assurant la coordination et l’harmonisation des productions dans les langues transfrontalières, etc.

3. Mesures administratives d’appui

Pour amener les locuteurs des langues africaines à comprendre qu’ils peuvent utiliser ces langues pour leurs transactions, au même titre que le français ou l’anglais, des mesures administratives doivent être prises pour que les instruments régissant la vie en société soient disponibles dans ces langues:

d constitutions, chartes nationales et déclarations des droits ;

I/ registres des actes de naissance, de mariage, de décès, etc ;

I/ code de procédure pénale ;

ti lois électorales ;

d lois pénales ;

/ principales chartes régionales et internationales ;

/ documents de voyage ;

/ passeports et cartes d’identité.

Une bonne politique linguistique, au niveau sous-régional, peut entraîner la réduction du coût de production de ces instruments et des autres documents requis au sein de I’UMEOAou de la CEDEAO, car ce coût peut être partagé par les Etats membres, et le financement nécessaire peut être obtenu auprès des institutions ou organisations intéressées.

IV.2 Politiaue linCIUiStiCIUe et déVelOPDement éCOnOmioUe

Les différentes évaluations faites par I’UNESCO et les chercheurs indépendants, depuis les années 70 jusqu’à présent, ont permis d’établir le constat suivant :

a) Dans la région africaine, l’analphabétisme des masses va de pair avec la pauvreté de ces masses. En conséquence, toute politique visant à combattre l’analphabétisme doit prévoir des stratégies de réduction de la pauvreté et d’amélioration des conditions de vie et de la qualité de la vie.

b) Les politiques linguistiques réalistes et les campagnes d’alphabétisation qui permettent d’obtenir des résultats significatifs sont celles qui sont intégrées aux projets et programmes de développement.

c) Le concept de développement a une acception élargie couvrant tous les aspects du développement humain et du développement de la société, et pas

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Strategies de promotion des langues Africaines, sans exclusion de l’anglais et du francais

seulement la croissance économique mesurée en termes quantifiables, comme le soutiennent les économétriciens.

d) Les notions de démocratie, de justice et d’équité n’ont guère de sens dans un contexte où la majorité de la population est exclue de la vie publique, de la prise des décisions et de la gestion des affaires publiques, parce qu’elle est incapable de lire et d’écrire les langues dans lesquelles sont conduites les transactions officielles.

e) L’utilisation exclusive des langues des anciens colons dans l’éducation et les transactions est une stratégie qui garantit et préserve infailliblement les intérêts politiques et économiques de la minorité alphabétisée dans ces langues, au détriment de la majorité qui se retrouve exclue des mécanismes de production et de partage des biens et services dans les Etats-nations d’Afrique. Une telle situation ne peut pas favoriser l’avènement de systèmes véritablement démocratiques en Afrique, ni permettre de surmonter les obstacles au développement.

f) Une politique d’éducation basée sur une stratégie recommandant l’utilisation exclusive du français ou de l’anglais dans l’éducation a peu de chance de promouvoir une alphabétisation à grande échelle ou même significative, en particulier chez les millions d’adultes illettrés. La meilleur manière de les alphabétiser est d’utiliser, à cette fin, les langues qu’ils parlent déjà, les langues africaines. Les politiques et pratiques actuelles ne peuvent pas aboutir à un développement spectaculaire du secteur de l’éducation en Afrique.

g) Des changements positifs significatifs de comportement ont été signalés dans les domaines de l’agriculture, de la santé, de la salubrité et de la protection de l’environnement, de la nutrition, de la planification familiale, etc... à la suite de campagnes réussies d’alphabétisation (Bamgbose, 1991 : 41). Mais pour que ces campagnes atteignent les masses, elles doivent être conduites dans les langues africaines.

h) Les mass médias (la radio et la télévision) restent de puissants canaux de diffusion des politiques destinées à la population analphabète. Les campagnes d’alphabétisation utilisant de manière stratégique les mass médias réussissent plus que les autres types de campagne. Les meilleurs véhicules pour ces campagnes restent les langues africaines.

i) Les campagnes d’alphabétisation visant les adultes sont généralement acceptées par les personnes ciblées si leurs objectifs portent, entre autres, sur I’acqulsltion d’aptitudes devant leur permettre d’améliorer leurs conditions générales de vie. Compte tenu de ce fait, il est plus souhaitable d’établir un lien entre la planification et les politiques linguistiques et les stratégies de mise en

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Planification et politiques linguistiques danscertains pays selectionnes d’afrique de l’ouest

œuvre de ces politiques, d’un côté, et les politiques et stratégies globales de développement de la sous-région ou des pays spécifiquement concernés, de l’autre. Pour réussir, les politiques linguistiques doivent être intégrées dans les projets et programmes de développement sectoriels. Les options stratégiques, à cet égard, pourraient être les suivantes :

1. Intéaration des oolitiaues linauistiaues et des cameaanes d’alphabétisation dans les oroiets et stratéaies de développement rural visant à réduire la pauvreté dans les zones rurales et à améliorer les conditions de vie et à relever le niveau de vie

Les politiques d’éducation et d’alphabétisation visant à favoriser la promotion du développement dans les zones rurales devraient également viser l’acquisition d’aptitudes productives dans les divers aspects de la vie socio-économique, notamment la capacité à planifier, à communiquer, à obtenir des informations, à participer aux activités de la société ; en d’autres termes, la capacité et la compétence en tant qu’acteur productif dans les secteurs suivants du développement :

a) Aariculture : les programmes relatifs aux langues, dans le cadre des projets d’alphabétisation des adultes, doivent comprendre des informations pertinentes sur l’utilisation efficace et sûre des engrais et des pesticides, des informations pratiques sur les variétés (pour les cultures) ou les races (pour le bétail) à haut rendement, les saisons appropriées pour la mise en terre des semences, les techniques d’irrigation, les techniques de préservation et d’enrichissement des terres arables et de protection de l’environnement. Même au niveau des ménages, il faut des aptitudes en matière de gestion. Les programmes sur les langues et les campagnes d’alphabétisation devraient inclure un volet sur la formation à la gestion des ressources agricoles. C’est dire que les spécialistes de l’agriculture et les économistes chargés de l’élaboration des stratégies devant assurer une production alimentaire durable dans la région de l’Afrique de l’Ouest (SADAOC par exemple)‘, peuvent mieux réussir en travaillant en équipe avec les planificateurs, les décideurs et les responsables de l’élaboration des programmes sur les langues. Les populations voudront apprendre à lire et à écrire les langues africaines uniquement si l’alphabétisation dans ces langues leur permet d’avoir accès aux connaissances et au savoir-faire qu’elles peuvent utiliser pour améliorer leurs conditions de vie et relever leur niveau de vie.

7 Sécurité akmenlarre durable en Afdque de /‘Ouest centrale : Burkina Faso. C&e d’ivoire, Ghana, Mal~, Togo.

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b) Elevaae et industries animales : les stratégies de mise en oeuvre des programmes sur les langues et les stratégies d’enseignement et d’apprentissage des langues africaines devraient naturellement inclure l’acquisition d’aptitudes dans l’exécution des activités de l’important secteur économique de l’élevage et des industries animales. Les objectifs des projets d’alphabétisation devraient inclure la communication et la diffusion d’information pertinentes sur la production animale, le commerce et l’industrie des produits d’origine animale. Dans des pays tels que le Burkina Faso, le Mali et le Niger, l’élevage représente un secteur vital de l’économie. Si un programme de langue est élaboré en tant qu’ensemble comportant, entre autres, des volets sur l’acquisition d’aptitudes pratiques visant à faire des membres des groupes cibles de meilleurs producteurs et de meilleurs gestionnaires de leurs propres ressources, il est susceptible de les intéresser La participation à un tel programme de langue peut être très élevée parce que le programme tient compte des principales préoccupations des populations ciblées.

c) Pêche : la pêche est un secteur actif de l’économie des pays de I’UMEOA et de la CEDEAO (y compris dans les pays sans littoral comme le Burkina Faso, le Mali et le Niger, compte tenu de l’existence de cours d’eau et de barrages dans ces pays). Les populations dont les principales activités sont axées sur la pêche, peuvent être attirées par les programmes de langue ou les campagnes d’alphabétisation des adultes tenant compte de la pêche et des industries de la pêche : techniques de pêche dans les étangs piscicoles, les fleuves, les eaux de retenue des barrages, les lacs naturels et artificiels ; techniques de conservation, de traitement et de commercialisation du poisson, etc. Une telle situation offre une occasion en or aux responsables des ministères chargés de l’environnement, de l’approvisionnement en eau, de la nutrition, de la sécurité alimentaire et du commerce, d’utiliser les programmes d’enseignement des langues pour réaliser leurs objectifs. Au Sénégal, les pêcheurs ont proposé que les programmes d’enseignement élaborés pour ieurs enfants couvrent les techniques de pêche, la navigation, ia conservation du poisson, la comptabilité et la commercialisation. L’alphabétisation en soi ne semble pas être une bonne stratégie pour l’enseignement / l’apprentissage des langues, en particulier lorsque les adultes sont les cibles visées.

d) Santé et hvaiène la coopcratlon harmonieuse et efficace entre les responsables chargés de l’éducation à la santé et des politiques linguistiques est de nature a aboutir à des programmes de langue utilisant avec succès divers canaux et médias, notamment les médias de masse, pour fournir et diffuser des informations sur les soins de santé, la nutrition, la vaccination, les

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Planification et politiques linguistiques danscertains pays selectionnes d’afrique de l’ouest

mesures préventives, la salubrité, les premiers secours, les soins familiaux, la planification familiale, les soins prénatals et infantiles, les soins maternels, etc. Le bon état de santé de la population est une condition préalable d’une économie florissante. Une politique linguistique judicieuse, en harmonie avec les programmes et projets de développement, peut permettre d’atteindre ces nobles objectifs.

e) Attitudes dans le domaine du commerce et de la aestion : les décideurs dans le domaine des langues et les acteurs du développement (gouvernemen- taux et non gouvernementaux) qui s’efforcent d’organiser les populations rurales en unités, associations ou groupes productifs, se rendent maintenant compte que les projets les plus réussis sont ceux qui ont adopté une approche ou une méthodologie intégrée pour mettre à disposition les connaissances pertinentes, en tant que de besoin. Ainsi, les programmes sur les langues peuvent viser à promouvoir des attitudes favorables au développement, des capacités à adopter de nouvelles pratiques et de nouveaux modes de comportement, des habitudes de travail innovatrices. Les stratégies d’enseignement et d’apprentissage des langues devraient être un partie intégrante des politiques de développement et de modernisation en faveur des zones rurales. Pour réussir, les programmes portant sur les langues et les campagnes d’alphabétisation devraient tenir compte des principales aspirations des populations ciblées :

v comment assurer la gestion efficace des unités productives ;

v comment élaborer et exécuter les projets locaux ;

V comment créer et gérer les coopératives, etc.

Au Burkina Faso, deux organisations non gouvernementales, I’INADES- Formation à Ouagadougou, et la CESAO ’ à Bobo-Dioulasso, sont très actives pour créer un climat propice au développement national, par la diffusion des connaissances pertinentes partout où ces connaissances sont requises. Nous pensons que les planificateurs et les décideurs dans le domaine des langues devraient collaborer avec de telles organisations pour intégrer leurs programmes de langue dans les projets de développement en faveur des zones rurales, où il faut une alphabétisation fonctionnelle, pour que les campagnes d’alphabétisation soient efficaces. Les populations productives doivent être convaincues que l’alphabétisation dans les langues africaines leur permet d’acquérir de nouvelles aptitudes et compétences susceptibles de les rendre de plus en plus compétitives.

8 CESAO

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Sfrategies de promotion des langues Ajkicaines. sans exclusron de I’anglàrs et du,/rarrcai.r

2. Intéaration des oolitiaues linauistiaues aux proiets industriels :

Citant une source de I’UNESCO. Bamgbose (1991 : 41) signale que plusieurs pays africains ont délibérément intégré leurs programmes et campagnes d’alphabétisation dans les projets de développement rural et de développement agricole et industriel. II s’agit de pays comme le Gabon, le Niger, le Burkina Faso, le Ghana, le Mali, le Nigéria, le Kenya et la Zambie. Lorsque la main d’œuvre passe d’une situation d’analphabétisme à une situation d’alphabétisation :

a) les mesures de prudence et de sécurité sont mieux appliquées et respectées ;

b) les pratiques innovatrices, y compris l’utilisation des nouvelles technologies, se répandent plus facilement et sont mises en œuvre ;

c) la réglementation et les principes de gestion sont mieux compris ; d) la productivité augmente et la qualité des biens produits s’améliore

considérablement.

Tous ces faits explicites et implicites peuvent nous amener à recommander que tous les administrateurs ou bailleurs des projets industriels importants intègrent dans leurs politiques de mise en œuvre, des programmes judicieux sur les langues pour alphabétiser toutes les populations concernées. De cette manière, toutes les compétences nécessaires pour rendre les projets Industriels viables et garantir leur succès, seront disponibles et accessibles à la main d’œuvre qui en a besoin.

3. Intéqratron des nollticues linquistiques dans les oroiets de dèveloooement du secteur Informel

II est généralement admis que plus de 60% des adultes actifs et productifs vivant dans les zones urbaines et semi-urbaines dans la région de l’Afrique de l’Ouest se livrent à des activités économiques dans le secteur Informel Leur contnbutlon à la production de la richesse dans les ménages et au niveau national est loin d’être négligeable. En arrêtant les politiques de développement Irnguistlque et de développement global, en particulier celles visant les adultes dans les villes et les zones semi-urbaines, les décideurs doivent tenir compte des Intérêts et des aspirations des acteurs économiques du secteur informel. L’alphabétisation de ces acteurs peut :

a) les aider à améliorer la qualité de leurs produits, les rendant ainsi plus compétitifs ;

b) faciliter l’adoption des nouvelles technologies pouvant leur permettre d’augmenter leur production, tout en maintenant, voire en améliorant la qualité de cette production ;

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Planijication et politiques linguistiques danscertains pays selectionnes d’afrique de l’ouest

c) faciliter la transformation des petits ateliers familiaux en petites unités industrielles pouvant devenir de véritables P.M.E. (petites et moyennes entreprises), ;

d) faciliter l’acquisition rapide des aptitudes nécessaires en vue d’une gestion plus efficace de leurs affaires ;

e) faciliter l’acquisition des techniques commerciales nécessaires pour mener leurs transactions au-delà de la zone habituelle.

Au Burkina Faso, par exemple, et la même situation devrait prévaloir dans les autres pays d’Afrique de l’ouest, les campagnes d’alphabétisation ne prévoyant pas l’acquisition des aptitudes voulues par les acteurs économiques du secteur informel, n’attirent pas les populations. Les personnes trés occupées les considèrent même comme une distraction ou une perte de temps.

4. Intéaration des politiques linauistiques dans les oroiets de déveloooement commercial

Compte tenu du fait que le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’ivoire, le Ghana, le Mali, le Niger, le Nigéria, le Sénégal et le Togo sont membres des mêmes organisations d’intégration économique, systèmes bancaires et groupes d’assurance, l’intégration des programmes de langue et des campagnes d ‘alphabétisation dans ces organisations d’intégration peut avoir les effets suivants ;

a) meilleure compréhension des objectifs économiques et politiques de ces organisations sous-régionales ;

b) promotion d’attitudes plus réceptives pour les politiques élaborées par ces organisations ;

c) plus grande disponibilité de toutes les informations pertinentes sur l’utilité de ces organisations pour les commerçants et les marchands qui utilisent les systèmes bancaires en place au sein de l’espace économique de I’UMEOA ou de la CEDEAO.

Les décideurs et les agences de financement de ces organisations régionales devraient examiner la possibilité de créer des opportunités d’investissement dans les programmes d’éducation et de langue susceptibles de renforcer l’efficacité des mesures politiques et économiques planifiées dans les Etats membres. Leur assistance ou contribution pourrait porter sur la mise en valeur des ressources humaines, le financement de programmes expérimentaux spécifiques sur les langues ou de campagnes d’alphabétisation, le financement de la production de matériels didactiques ou d’apprentissage, l’octroi de subventions ou le financement des initiatives privées ou des institutions non gouvernementales participant à l’élaboration des politiques et

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programmes dans le domaine des langues, pour que les connaissances pertinentes soient disponibles pour les populations des pays membres.

5. Intéaration des oolitiaues linauistiaues dans les oroiets de déveloooement sanitaire

Planification familiale

Les politiques et programmes de développement sanitaire ne peuvent pas être mis en œuvre avec succès s’ils n’atteignent pas les populations ciblées dans les langues qu’il faut et à travers les médias et les canaux qu’il faut. Dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest, les campagnes de santé utilisent les médias de masse et les matériels écrits ou imprimés pour atteindre les populations ciblées. Les tendances récentes dans l’orientation politique et économique en Afrique de l’Ouest montrent que la santé et l’éducation sont considérées comme des secteurs hautement prioritaires : une population en bonne santé et éduquée est un atout inestimable dans tout projet ou programme de développement. La plupart des pays de la région ont décidé de consacrer plus de 20% de leurs budgets respectifs au développement des secteurs sociaux. Le développement sanitaire et I’éduca- tion à la santé sont intimement liés. Nous pensons que les décideurs dans le domaine du développement sanitaire et des langues et les responsables des programmes dans ce domaine devraient coopérer et élaborer des campagnes Intégrant les objectifs et les aspirations en matière de santé dans les programmes d’alphabétisation. Les campagnes d’alphabétisation incorporant des programmes d’éducation à la santé peuvent permettre d’atteindre deux objectifs : la réduction de l’analphabétisme et la mise à disposition d’informa- tions sanitaires pertinentes auxquelles les populations ciblées peuvent avoir accès :

a) II a été observé que les malades alphabétisés respectent les ordonnances des médecins parce qu’ils peuvent les lire ;

b) II a été observé dans les hôpitaux et les autres formations sanitaires que les personnes alphabétisées se conforment davantage à la réglementation et aux autres instructions concernant les soins, la propreté et l’assainissement,

c) Les mesures préventives, la protection maternelle et infantile, la vaccination, etc sont plus facilement enseignées aux personnes alphabétisées qu’à celles qui sont analphabètes. En outre, les personnes sachant utiliser les matériels sur l’hygiène corporel, la salubrité de l’environnement et l’assainissement accueillent plus favorablement ces programmes que les personnes analphabétes ;

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Planfjcation et politiques ling~c~strqucs ~UII.S~I~~~~IIIS ,>a\3 selectionnes d’afîique de l’ouest

d) L’utilisation de matériels imprimés, y compris des photos, des dessins, des diagrammes et des cartes, etc, est rarement efficace chez les personnes complètement analphabètes, car très souvent, ces personnes ne savent même pas comment bien tenir ces matériels, sans parler de l’interprétation correcte de ce qu’elles voient.

Les populations étant préoccupées par leur santé, leurs conditions de vie, leur protection et leur sécurité, tout programme portant sur les langues ou sur l’alphabétisation et incluant des volets relatifs à ces préoccupations devrait être bien accueilli par les populations ciblées.

IV.3 Politiaue linauistiaue et déveloooement socio-culturel

La langue et la culture sont si intimement liées qu’il est difficile d’examiner l’une sans examiner l’autre. Autant il est difficile d’élaborer des politiques culturelles sans prendre en considération des aspects linguistiques, autant il est inimaginable d’élaborer des politiques et programmes linguistiques sans tenir compte de leur fondement culturel.

II est établi que la langue, la culture et l’éducation sont intimement liées, et il est évident que les politiques linguistiques ne peuvent pas être mises en oeuvre avec succès en dehors du cadre des politiques, projets et programmes de développement dans le domaine de la culture et de l’éducation dans un pays donné. C’est donc dire que les planificateurs et les décideurs dans le domaine des langues doivent harmoniser et adapter les politiques, projets et programmes dans ce domaine à ceux des ministères chargés de la culture pour les raisons suivantes :

a) L’alphabétisation favorise et facilite la transmission de l’héritage culturel, permettant ainsi d’éviter le fatalisme apparent qui veut qu’en Afrique, lorsqu’un homme âgé ou une femme âgée meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. Si la science, les connaissances et le savoir-faire de la vieille génération sont préservés dans des ouvrages et sur d’autres supports, ils ne disparaîtront pas en même temps que les personnes qui les détiennent. Au Burkina Faso, par exemple, l’institution de la ” Semaine nationale de la culture, avec des prix décernés pour les chefs-d’oeuvre artistiques et littéraires, a permis de promouvoir la production artistique et littéraire dans les langues africaines. II a été observé que la musique et les chansons traditionnelles et modernes dans les langues africaines étaient de nouveau en vogue, intéressaient le public, tant les jeunes que les moins jeunes, en ville comme à la campagne ! Cet engouement renforce notre conviction que les politiques de développement culturel et les politiques de développement des langues doivent être animées par la même force motrice.

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Strategies de promotion des langues Africaines, sans exclusion de l’anglais et du francars

b) La production littéraire dans les langues africaines telles que le mooré, le jula, le fulfuldé, le dagara, le bobo, etc, a insufflé une nouvelle dynamique avec l’avènement d’une nouvelle catégorie de lecteurs s’intéressant aux productions artistiques et littéraires réalisées dans les langues africaines. Les personnes nouvellement alphabétisées dans les langues africaines peuvent maintenant lire des poèmes, des romans, des piéces de théâtre, des nouvelles, des contes, des dissertations, etc dans ces langues. S’il ne s’agit pas d’une nouveauté dans les pays comme le Nigéria ou le Ghana, où des auteurs connus publient des œuvres dans des langues locales comme le yoruba, le hausa, I’igbo, I’akan, etc, la reconnaissance officielle des productions littéraires réalisées dans les langues africaines constitue par contre une révolution dans les anciennes colonies françaises. Les mesures les plus importantes et les plus osées de valorisation des langues africaines par l’art, la musique et la littérature ont été prises en Guinée, au Mali et au Burkina Faso par des régimes considérés comme révolutionnaires. II faut espérer que ces mesures ne seront pas annulées.

c) La traduction des œuvres littéraires dans les langues africaines peut être une bonne stratégie de promotion des langues africaines. La traduction des œuvres littéraires étrangères dans les langues africaines est une pratique bien établie au Nigéria uniquement. Si la Bible et les autres œuvres religieuses ont été traduites fidèlement dans les langues africaines, les productions artistiques et littéraires étrangères, avec un peu de bonne volonté et une formation appropriée, peuvent également être traduites dans les langues africaines.

d) Les programmes culturels dans les langues africaines à la radio et à la télévision, par exemple les programmes de musique, les débats, les pièces de théâtre, les jeux, etc, sont très populaires tant en ville que dans les campagnes. Ils constituent un moyen efficace de promotion du statut des langues africaines. Même dans le contexte de la mondialisation, les populations restent attachées à tout symbole ou initiative de valorisation de leur identité culturelle.

Les ministères chargés de la communication et de la culture et les ministères chargés de l’éducation doivent collaborer pour mettre au point une approche harmonisée à la prise des décisions et à la mise en œuvre des politiques dans le domaine linguistique afin de promouvoir les langues africaines en tant que médias et véhicules des cultures africaines. L’idéologie d’authenticité autrefois en vogue dans I’ex-Zaïre, au Bénin et en Guinée semble avoir disparu. Pourquoi ? Tout d’abord, parce que cette idéologie était diffusée dans une langue étrangère, ensuite parce qu’elle n’a pas été appuyée par des matériels écrits dans les langues africaines.

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Planification et politiques linguistiques danscertains pays selectionnes d’afrique de l’ouest

La question des langues dans la région de l’Afrique de l’Ouest doit être traitée comme l’affaire de tous les ministéres chargés du développement humain. Mais comme il est établi que la langue et la culture sont intimement liées, une façon de développer la dynamique en faveur de la promotion des langues africaines est d’intégrer les politiques linguistiques dans les politiques, projets et programmes de développement des ministères chargés de la communication et de la culture, dont les principaux objectifs sont la sauvegarde, le maintien, le renforcement et la promotion de l’identité culturelle de chaque peuple. La stratégie consistant à amener les populations à découvrir les productions et les œuvres artistiques et littéraires dans une langue donnée peut également amener ces populations à aimer la langue en question. Quand on aime une langue, on en est fier et on veut l’apprendre. Les élites chargées de l’élaboration des politiques linguistiques et de la prise des décisions dans ces domaines sont réticentes à généraliser l’apprentissage des langues africaines, sous le prétexte que la majorité de la population s’intéresse davantage aux langues de grande communication comme le français et l’anglais, plutôt qu’aux langues locales. Cet intérêt pour les langues de grande communication ne signifie pas nécessairement le rejet ou le mépris de sd propre langue. Si l’amour pour sa propre culture et sa propre langue ne se décrète pas ou ne s’impose pas par la loi, il peut au moins être favorisé. La langue est comme la monnaie : plus fort est son pouvoir d’achat, plus grande est sa valeur. Les politiques et stratégies réussies dans le domaine des langues africaines sont donc celles qui en augmentent la valeur marchande. Dans le domaine du développement des arts et de la culture, les langues africaines peuvent permettre de réaliser beaucoup plus de choses que ne le pensent la plupart des décideurs. La langue et les arts sont d’importants atouts culturels pour chaque peuple. En conséquence, les politiques de développe- ment culturel et les politiques de promotion des langues ne peuvent pas être dissociées. Dans le contexte du développement global, une approche et une méthodologie intégrées sont conseillées. La question des langues ne peut pas être examinée de manière isolée dans le contexte de l’Afrique de 1’01 &est où le développement des langues et de l’éducation joue un rôle clé dans la promo- tion d’un développement global durable (Kédrébéogo, 1997). S’il y a un bel exemple d’attitudes et de pratiques culturelles à recommander, c’est celui donné par Fay Chung (1996) dans le Rapport de Delors (1996 : 41) au sujet des peuples de l’Asie du Sud-Est : ” Non sans arrogance, ils affirmèrent la supériorité de leur langue, de leur littérature, de leur culture et de leur religion, qu’ils préservérent jalousement. Dans le même temps, avec une humilité tout aussi déterminée, ils entreprirent d’imiter la science et la technologie, et même, plus tard, de les surpasser “.

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Strategies de promotion des langues Africaines, sans exclusion de l’anglais et du francais

IV.4 Politiaue linguistique et développement intellectuel et éducatif

D’éminents chercheurs dans le domaine de l’éducation et de l’économie ont indiqué qu’il y avait un lien étroit entre l’éducation et le développement. Le développement économique durable ne peut guère se concevoir sans le développement du capital humain. En outre, la mise en valeur des ressources humaines est de plus en plus considérée comme un facteur clé dans les efforts pour surmonter les principaux obstacles à la croissance économique en Afrique, compte tenu des considérations suivantes :

a) L’éducation est un facteur essentiel de l’augmentation de la productivité, condition cruciale pour relever le niveau de vie et améliorer les conditions de vie.

b) L’éducation permet l’accès aux ressources productives et aux activités et à l’emploi rémunérés. Elle a un impact direct sur la productivité de la main d’oeuvre, les revenus tirés de l’auto-emploi et de l’emploi dans le secteur informel, et surtout sur la probabilité d’un emploi dans le secteur formel.

c) L’éducation est un facteur essentiel du renforcement des capacités. d) L’éducation est un facteur essentiel de la diffusion des nouvelles

technologies et de la gestion des innovations. e) Les changements sociaux ne sauraient intervenir en Afrique sans

l’éducation des masses. f) Mais pour que les masses soient éduquées en Afrique, les décideurs dans

le domaine de l’éducation doivent identifier les voies et moyens de faire des langues africaines les médias de l’éducation , au moins au niveau de I ‘éducation de base.

g) Les stratégies de développement de l’éducation en Afrique n’ont pas sensiblement changé depuis la période coloniale, en particulier pour ce qui est de l’utilisation des langues africaines dans le système éducatif.

h) Le développement de l’éducation a un grand impact sur le développement des systèmes démocratiques en Afrique. Toutefois, la majorité de la population est écartée de la scène et ne sera jamais en mesure de participer de manière significative à la gestion véritablement démocratique des affaires publiques et étatiques, à moins que la question des langues ne soit correctement traitée dans les systèmes éducatifs en Afrique.

il Le taux actuel d’analphabétisme dans la région de l’Afrique de l’Ouest est inacceptable, car il est l’un des plus élevés dans le monde. Etant donné que les politiques linguistiques et les campagnes d’alphabétisation n’ont pas encore réussi à éliminer ou à réduire de manière significative l’analphabétisme, de nouvelles stratégies doivent être explorées et mises en œuvre sans tarder, autrement la plupart des pays africains se

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Plarrijication et politiques lirrgiristrqfres darmertnirrs paJ,s selectrorrncs d’afrique de l’ouest

retrouveront non seulement à la traîne, mais aussi à l’écart du développement et du progrès dans le monde.

j) II est établi que pour que les programmes d’éducation et d’alphabétisation des adultes dans le secteur non formel ou informel en Afrique atteignent un grand nombre de personnes tant dans les villes que dans les campagnes, ils doivent se faire dans les langues parlées par les populations ciblées.

Compte tenu de l’importance du développement de l’éducation en tant que facteur essentiel du développement global de tout pays, et compte tenu également du rôle des politiques linguistiques dans le développement de l’éducation en Afrique, les planificateurs et les décideurs n’ont pas d’autres choix que d’explorer d’autres voies et moyens permettant de promouvoir les langues africaines, car il est clair que toute politique contribuant à la promotion des langues africaines, contribue également au développement de l’éducation et est propice au développement global du continent.

Les chercheurs et les spécialistes des langues ont établi que l’apprentissage et l’acquisition des connaissances par un enfant sont plus faciles dans la langue parlée par l’enfant plutôt que dans une langue étrangère. La conférence organisée par I’UNESCO à Téhéran en 1965 a vivement recommandé qu’au stade initial, l’éducation des enfants se fasse dans leurs langues maternelles.

Officiellement, les dirigeants politiques et les décideurs marquent leur accord et affirment leur attachement au principe de l’utilisation extensive des langues maternelles ou des premières langues des enfants dans l’éducation. Toutefois, la réalité observable en Afrique est différente, en particulier dans la région de l’Afrique de l’ouest, où la situation semble pratiquement inchangée depuis la période coloniale : dans la quasi-totalité du système éducatif, y compris l’éducation de base des enfants, on continue d’utiliser le français ou l’anglais dans les anciennes colonies françaises ou britanniques, respective- ment. II est vrai que les dirigeants africains déclarent qu’il est nécessaire d’utiliser les langues africaines dans l’éducation de base, mais ils se montrent, au même moment, incapables de mettre en œuvre des politiques à cette fin. On peut donc conclure, à juste titre, que la question de l’utilisation des langues africaines dans l’éducation ne peut pas être résolue, sur le plan politique, par une loi ou un décret uniquement. En outre, on peut dire que de nombreuses politiques linguistiques n’ont pas été mises en œuvre avec succès à cause de facteurs et de considérations d’ordre politique. Une politique linguistique politiquement très motivée peut être facilement vouée à l’échec pour des motifs politiques. Si les hommes politiques et les décideurs n’ont pas réussi, pendant tout ce temps, à trouver des solutions aux problèmes linguistiques, c’est parce

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Sfrategies de pronro~rotr des larlgtws Africaines, sans exclusron de l’anglais et dufrancars

que de telles solutions ne dépendent pas uniquement d’eux. II ne s’agit pas simplement d’adopter des lois et de les mettre en application. Après le constat que les mesures institutionnelles, bien que nécessaires, ne suffisent pas pour faciliter la mise en œuvre des politiques linguistiques en Afrique, il convient d’examiner les options stratégiques possibles pour l’intégration des politiques linguistiques dans les politiques, projets et programmes de développement intellectuel et éducatif.

Compte tenu de la situation complexe de multilinguisme et du caractère sensible de la question des langues et de l’éducation, nous pensons que l’approche appropriée devrait être une évolution et non une révolution. Au cours de la période révolutionnaire de l’ère de Sékou Touré, les langues locales ont fait l’objet d’une promotion en Guinée. Mais à la suite du renversement du régime révolutionnaire, sa politique d’éducation a été également abolie. De même, du temps du Conseil national de la Révolution au Burkina Faso, des décisions audacieuses ont été prises pour promouvoir les langues africaines, mais comme elles s’inscrivaient dans le cadre global d’une idéologie, ces déci- sions ont été annulées dès la chute du régime révolutionnaire. Quand les politiques dans le domaine de l’éducation et des langues sont imposées de manière autoritaire, elles survivent rarement au régime autoritaire qui les a imposées dans le système éducatif et dans les pratiques.

Par ailleurs, une approche privilégiant l’incitation par rapport à la force est susceptible d’être acceptée par les élites minoritaires dont l’avis est partagé par leurs communautés ethniques et linguistiques.

Sur le plan du développement intellectuel et éducatif, personne ne veut réellement être à la traîne. L’intégration verticale internationale, c’est-à-dire le sentiment d’appartenance à la communauté mondiale, est donc nécessaire. L’appartenance à la communauté mondiale suppose la capacité de jouer un rôle actif dans le processus de mondialisation des activités humaines, de communication et de développement des connaissances, de la science et de la technologie (Delors. 1996).

Les élites formelles, les milieux influents en ce qui concerne les politiques dans le domaine de l’éducation et des langues, et les décideurs de ce domaine se préoccupent considérablement du maintien et de l’extension de leurs priviléges et estiment que la seule manière d’éviter de rester à la traîne est d’intensifier l’enseignement de l’anglais ou du français, car pour eux, l’acquisition de la science et de la technologie est étroitement liée à l’apprentissage de l’anglais ou du français : ” Remplacer le français comme

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langue officielle et langue d’enseignement n’est ni souhaitable ni possible si du moins nous ne voulons pas être en retard au rendez-vous de l’an 2000 w 9

Les politiques d’éducation étant influencées par des considérations politiques, économiques, socio-culturelles et ethniques, les décisions visant à modifier le statut des langues pour pouvoir les utiliser en tant que médias ou matières d’enseignement doivent être mises en œuvre de manière harmonieuse et sur une base volontaire.

9 Exposé des motifs du décret N” 71-566 du 27 mai 7971, de la République du Sénégal.

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CHAPITRE V

CONCLUSION

Les questions relatives à l’éducation et aux langues sont très complexes en Afrique à cause de la situation de multi-ethnicité et de multilinguisme qui prévaut sur le continent. II n’est donc pas facile, pour les décideurs, de se prononcer sur la planification et les politiques linguistiques. En effet, même lorsque les spécialistes des langues et de l’éducation réussissent à produire des informations pertinentes sur la situation des langues et de I ‘éducation en Afrique, divers obstacles et contraintes d’ordre politique, historique, économique, socio-culturel et ethnique doivent être surmontés avant que des politiques et stratégies tout à fait judicieuses sur le papier ne puissent effectivement être mises en œuvre. Toutefois, il est urgent et nécessaire d’élaborer et de mettre en oeuvre, dans le domaine de l’éducation et des langues, des politiques tenant compte de la globalisation de l’économie mondiale, du lien indissociable entre les nouvelles technologies de l’information et de la communication, et du processus d’acquisition et de diffusion des connaissances. En outre, il faudrait accorder une attention particulière à la situation complexe dans laquelle se trouvent la majorité des Africains, totalement analphabètes et écartés du progrès et de la modernité dans le monde, incapables de comprendre les langues officielles et les langues d’instruction actuellement utilisées. La présente monographie, après avoir passé en revue la question, recommande de nouvelles options stratégiques susceptibles de changer les politiques et pratiques héritées de la période coloniale dans le domaine de l’éducation et des langues, sans remettre en cause la paix et la stabilité politiques et sociales fragiles prévalant dans la sous-région.

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PlaniJication et politiques linguistiques danscertains pays selectionnes d’afrique de l’ouest

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