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Revue française de psychanalyse (Paris)

Pichon Lacan

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Edouard Pichon Compte rendu et discussion d'un article de Lacan sur la famille Revue française de psychanalyse 1939, XI, 1, p. 107-135.

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  • Revue franaise depsychanalyse (Paris)

  • Socit psychanalytique de Paris. Revue franaise de psychanalyse (Paris). 1927.

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  • La Famille devant M. LacanPar Edouard PICHON

    i

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    Voil M. Jacques-Marie Lacan lu membre titulaire de la

    Socit psychanalytique de Paris certes, il devient ainsi quelquechose mais, heureusement pour lui, il n'avait pas attendu nos

    suffrages pour tre quelqu'un. C'est en effet juste titre queM. Lacan passe pour un des esprits les plus brillants de la jeune

    gnration psychiatrique franaise.C'est pourquoi il serait de l'intrt de tous les psycho-

    pathologistes qu'il se dgaget d'une certaine cuirasse o son

    esprit se chartre cuirasse faite la fois d'un jargon de secte et

    d'une prciosit personnelle. Ses ouvrages en sont dpars.Ce n'est pas que je rprouve tout modelage conscient de soi

    par soi le recherch peut tre exquis, et les esprits distingusavoir raison de ne point se prostituer aux gots du vulgairemais, dans le cas particulier, il ne me semble pas que M. Lacan

    ait choisi pour son esprit, que toute sa formation tant hrditaire

    que familiale et sociale fait franais, une parure qui lui con-

    vienne. Un de ses ans, qui a t quelque peu son matre et quiest rest son ami, ai, je crois, le droit de le lui dire, et peut-tre,si je suis cout, M. Lacan, qui est encore tout tlorissant de bel

    ge, pourra-t-il bientt donner ce qu'on attend de lui.

    2

    Les rflexions qu'on vient de lire me sont inspires par la

    lecture attentive de l'article sur la famille que M. Jacques Lacan

    vient de publier dans l'Encyclopdie franaise, mise en chantier

    par M. Anatole de Monzie. Chacun sa petite performance

  • EDOUARD PICHON

    M. Lacan a lu Hegel et Charles Marx mais nous, nous avons lu

    M. Lacan. Et lire M. Lacan, pour un Franais, c'est comme on dit

    familirement, du sport Je crois qu'on peut oser le lui dire, car

    il sait crire, et bien crire beaucoup de passages de ses ouvragesnous en convainquent. Les difficults dont son style est cuirass

    sont donc des blindages dont il se carapace secondairement, pourne se montrer que sous l'aspect prmdit de chevalier de telles ou

    telles confrries.

    Tous les professeurs d'anglais apprennent nos enfants se

    mfir des tratrises de la similitude apparente de tels mots anglaisavec des termes de notre langue. M. Lacan aurait d se souvenir

    que l'allemand demandait des prcautions de mme ordre. Comme

    il lui a plu de ne pas se le rappeler, il crit souvent avec des mots

    franais, en n'y entendant, c'est le cas de le dire, que le haut-

    allemand.

    Depuis longtemps, la langue franaise distingue entre la civi-

    lisation, fait collectif, et la culture, fait personnel. M. Lacan oublie

    cette distinction sans cesse, il dit culture pour civilisation, et

    cela nuit, en plusieurs passages, trs nettement la clart du sens.

    L'on pouvait esprer pourtant que les grosses blagues qu'on fai-

    sait en France pendant la Guerre de Quatre Ans sur la coul-

    tour allemande auraient eu au moins pour rsultat de faire

    pntrer dans des milieux assez tendus la discrimination entre

    culture et civilisation. Ce n'est servir ni la vritable culture, ni la

    civilisation propre notre peuple que d'en adultrer ainsi la

    conception.De mme, M. Lacan germanise dans l'emploi qu'il fait du mot

    dialectique. Les auteurs franais les plus classiques se sont servis

    de ce mot pour exprimer l'ensemble des ressources que les argu-

    mentateurs tirent d'une logique habilement, voire trop habilement,

    manie. Aussi bien Sixsx-rtx-] a-t-il ce sens ds Platon. Honnte

    Franais, qui savez tout cela, abordez un texte de M. Lacan, ce

    texte vous restera lettre close vous lirez avec ahurissement que

    le masochisme primaire est un moment dialectique C'est que

    dialectique, dans Lacan, a un sens purement allemand, dont il

    faut aller chercher la clef dans Hegel et dans Marx. L'Encyclo-

    pdie est certes bien inutile, si elle prsuppose que ses lecteurs

    sont dj initis l'hglianisme et au marxisme au point d'en

    avoir assimil, sans la transposition d'ailleurs ncessaire, le voca-

    bulaire tranger,

  • LA FAMILLE DEVANT M. LACAN

    Il y a plus encore, et plus indfendable. Tous ceux qui ont

    rflchi, ne ft-ce qu'un instant, la question de la formation

    mentale de l'enfant, savent quel problme ardu c'est que de dis-

    tinguer les lments psychiques biologiquement transmis d'avec

    ceux qui rsultent des paroles et des exemples fournis par les

    ducateurs. A Vhrdit s'oppose ainsi la tradition le problmeest clairement pos. Mais n'oublions pas que le terme tradition

    est proscrit ne savez-vous pas qu'il sent son ractionnaire et son

    bourgeois ? Aussi, parat-il, un M. Conn a-t-il cr, pour exprimer,entre les gnrations, la continuit psychique dont la causalit

    est d'ordre mental le terme d'hrdit sociale. Fallait-il faire un

    sort cette sottise ? M. Lacan l'a cru. Il ne rapporte peut-tre ce

    terme qu'avec une certaine ironie, mais alors bien secrte Certes

    il reconnat que ce terme est assez impropre en son ambigut

    (tu parles !), mais il ne le monte pas moins en pingle. Or, en

    vrit, ce M. Conn fait comme nos politiciens, qui ont rsolu le

    problme des sergents de ville, des monts-de-pit, des asiles de

    fous, etc. en les appelant respectivement des gardiens de la paix,des tablissements de crdit municipal et des hpitaux psychia-

    triques.D'autres fois, la bizarrerie vocabulaire ne parat pas avoir

    d'autre but que d'tonner. Pour melting-pot, par exemple, bien des

    lecteurs franais ignorent ce que cela veut dire. Pour ma part, ce

    n'est qu'en recourant un dictionnaire anglais que je l'ai appris.M. Lacan croit-il srieusement que ce terme lui tait indispen-

    sable pour dire que Vienne-en-Autrichc, entre 186D et 1914, tait

    le lieu de rencontre et de compntration des murs les plusdiverses ?

    Le recours un mot impropre est un des effets qu'aime

    M. Lacan mais une improprit n'est jamais sans nuire la"

    porte mme des ides de son auteur. Le franais, langue dlicate,

    ayant, dj demander, rclamer, exiger, etc. rserve depuis long-

    temps postuler, dans la disance philosophique, une exigence

    d'ordre logique telle affirmation, dit-on, postule qu'on ait admis

    telle prmisse. C'est pourquoi j'ai relu trois fois la phrase sui-

    vante les conditions de milieu que postule le dveloppement

  • EDOUARD PICHON

    ment des jeunes exige certaines conditions de milieu. Mais alors

    qui le condamnait employer postuler , que le dsir de recou-

    rir un terme inattendu, qui droutt et patt un instant le

    lecteur ?

    De mme, dire que M. Freud a imagin le complexe d'dipe,c'est laisser entendre qu'on ne croit pas i l'exactitude de cette

    sienne conception or, il semble bien que M. Lacan ait voulu dire

    que le matre de la psychanalyse avait dcouvert l'existence de ce

    complexe.

    Pourquoi drouter les gens en employant les bons vieux mots

    hors de leur sens ? Et pourquoi refuser de se servir des termes

    ordinaires quand on a prcisment exprimer l'ide qu'ils vhi-

    culent ? Civilisation, tradition, exiger, taient la disposition de

    M. Lacan comme des autres Franais. Le nologisme n'est lgitime

    que pour introduire dans un idiome donn une ide nouvelle et

    il doit alors ne pas prter l'quivoque.

    Reproches de pure forme, dira-t-on ? Ce serait tre bien

    mauvais psychologue. L'usage que l'on fait du- langage est rv-

    lateur d'attitudes mentales profondes. Ne pas appeler la tradi-

    tion par son nom, au moment mme o l'on en reconnat l'impor-

    tance, c'est un reste affectif de scotomisation. Parler de moment

    dialectique en franais, pour dire que le masochisme est un

    compromis qui rsout tant mal que bien une antinomie conflic-

    tuelle, c'est se guinder dans une attitude d'cole qui fasse ructer

    les Quirites. J'ructe en effet M. Lacan sera content.

    II

    1

    La pense de M. Lacan marche, je viens de le dire, dans une

    colonne de nues sombres, mais gravides, dont par dchirement

    nat et jaillit et l une tincelle de lumire. Dpouillons-la,mettons-la belle nue, cette pense la robe d'orage elle en vaut

    la peine. Car l'essentiel de la doctrine de M. Lacan est vrai. Il a

    raison et archi-raison de montrer combien il est vain de construire

    des thories biologiques de la libido, de la famille, de la nvrose,

    etc. alors que l'on n'a, pour soutenir de telles doctrines, aucun

  • LA FAMiLLE DEVANT M. LACAN

    commencement de preuve dans les faits. J'ai trop souvent, moi

    aussi, dnonc cette vicieuse et tendancieuse extrapolation pourne pas applaudir de toute ma force M. Lacan quand il en fait

    comprendre la vanit. Biologiquement, explique-t-il, il n'y a pasde famille, il n'y a que la parent la structure des familles

    humaines est strictement civilisationnelle, comme le montre,

    remarque judicieusement notre auteur, le rle que l'adoption a

    pu jouer dans certains types de familles humaines. Plus encore

    (lue d'hrdit, la famille est un agent de tradition. Voil les vri-

    ts indniables que M. Lacan a le mrite de proclamer dans l'intro-

    duction son travail. Cette introduction se termine sur une vue

    historique cavalire de l'volution relle de la famille Drkheim

    y est nomm, mais Fustel de Coulanges flotte en une prsence

    efficiente quoi que l'on pense du caractre peut-tre dcevant de

    tout expos historique aussi violemment ramass, on ne peut

    qu'approuver hautement M. Lacan d'affirmer qu'il est plus dsi-

    reux d'clairer l'tude de nos murs par les institutions positi- vement connues de la famille ancienne que par l'hypothse d'une

    famille lmentaire qu'on ne saisit nulle part. La critique de

    M. Lacan, videmment dirige ici contre certains dveloppements

    particulirement aventureux du freudisme, se trouve rejoindre non l

    seulement la mienne, mais encore celle de M. Dalbiez. Je crois

    que la question est juge. M. Lacan y reviendra cependant, nous

    le verrons. Ce prambule se clt par la premire apercevance du

    rle que jouera, dans l'volution de la famille, une institution

    d'importance capitale, celle mme que l'on sait tre selon moi le

    fondement essentiel de toute notre civilisation le mariage. Il en

    sera reparl plus loin.

    2

    A cette introduction succde un premier chapitre, intitul,

    Le complexe, facteur concret de la psychologie familiale. Comme

    le fait trs judicieusement remarquer M. Lacan, la recherche con-

    crte des efficiences psychologiques de l'ordre familial n'objec- tive jamais des .instincts, mais toujours des complexes.

    Des instincts, d'ailleurs, y en a-t-il chez l'homme ? L'espce j humaine , nous disait l'auteur dans son introduction, se carac- j trise. par une conomie paradoxale des instincts, qui s'y

  • EDOUARD PICHON

    i montrent essentiellement susceptibles de conversion et d'inver-

    x sion et n'ont plus d'effet isolable que de faon sporadique. Je

    vais plus loin si la virtualit monotone qui pousse tel animal

    refaire son nid exactement de mme forme, au moyen de mat-

    riaux des mmes sortes, sans changement possible, s'appelle un

    instinct, y a-t-il vraiment un grand avantage scientifique donner

    le mme nom d'instinct la rserve d'nergie libidinale qui,comme notre prtendu instinct sexuel , est prcisment sujette animer, suivant les hommes, des dsirs et des ralisations

    d'ordre si divers ? Non, selon moi, il n'y a l aucun avantageet c'est un des mrites de l'cole psychanalytique franaise qued'avoir habitu les psychanalystes et les psychologues penser

    pulsions, nergie libidinale, affects, aimance, beaucoup plutt

    qu'instincts. J

    Le complexe , selon M. Lacan, lie sous une forme fixe

    un ensemble de ractions. il reproduit une certaine ralit de

    l'ambiance. Son activit rpte dans le vcu la ralit ainsi fixe, chaque fois que se produisent certaines expriences qui exige-& raient une objectivation suprieure de cette ralit ce quiveut dire que, selon notre auteur, le complexe ne reprsente passeulement une tape de l'affectivit, mais une tape de la con-

    naissance. Les complexes jouent un rle d'organisateurs, et moti-

    vent comme tels, non seulement des justifications passionnelles, mais d'objectivables ralisations. Une pareille vue est une

    adhsion la loi d'apptition (1) aussi bien M. Lacan s'est-il, ,`simplement laiss instruire comme moi par l'observation des

    patients, et notre commune tendance mettre en vidence les

    stimulations affectives dans la gense de la connaissance n'est-elle

    que le dveloppement naturel du plus prcieux des germes

    engendrs par le gnie de M. Freud.

    Mais dans sa conception largie du complexe, M. Lacan,

    il l'avoue, s'est vu amen donner place aux phno-mnes conscients de structure semblable; Tels les sentiments.

    J'aurais, la vrit, prfr que M. Lacan, tout en

    soutenant la mme doctrine, rservt, aux fins de clart, le nom

    de complexes aux constellations affectives en tat de conscience

    virtuelle (i.e. inconscientes ). Les termes d'affects, de senti-

    (1) Ed. Pichon, Le dveloppement psychique de l'enfant et de l'adolescent, 32, p. 34.

  • LA FAMILLE DEVANT M. LACAN

    8

    ments, et bien d'autres, auraient suffi aux besoins de la descrip-tion de l'affectivit dans l'tat de conscience effective.

    Loin, d'ailleurs, que, pour M. Lacan, la notion de complexeait besoin de s'appuyer sur celle d'instinct, comme l'avait cru

    M. Freud, c'est au contraire peut-tre celle d'instinct qui pourraittre claire par celle de complexe voil une voie originale, que\notre docteur nouveau indique nettement il reste la frayer.

    M. Lacan ne passe d'ailleurs pas l'tude spciale des com-

    plexes sans avoir dfini l'imago reprsentation inconsciente .

    3

    Le premier complexe, qui joue un rle capital dans l'volu-

    tion humaine, c'est celui du sevrage. Ce complexe, affirme haute-

    ment M. Lacan, n'est pas du tout le simple reflet psychique du fait

    biologique de d'ablactation. Prtendre l'y rduire, c'est ngliger un caractre essentiel de l'instinct sa rgulation physiologique,

    manifeste dans le fait que l'instinct maternel cesse d'agir chez

    a l'animal quand la fin du nourrissage est accomplie. Chez

    l'homme au contraire, nous dit notre brillant auteur, c'est par une

    rgulation d'ordre civilisationnel que le sevrage est conditionn.

    On svre plus ou moins tt, on svre par tels ou tels procds,suivant les peuples et les milieux et le sevrage est bien souvent

    un traumatisme psychique, dont les effets individuels. rvlent

    leurs causes la psychanalyse. On ne saurait mieux dire.

    Traumatisant ou non , ajoute M. Lacan, le sevrage laisse

    dans le psychisme humain la trace permanente de la relation

    biologique qu'il interrompt. Et il faut bien avouer que cette

    phrase-l aurait aussi bien pu tre crite par M. Laforgue, qu'onne se serait vrai dire tonn gure de voir cit en cette affaire,

    si M. Lacan avait cet gard la plume plus gnreuse. Ce queM. Laforgue, par contre, n'aurait pas dit, c'est que la crise psy-

    chique du sevrage ft la premire sans doute dont la solution

    ait une structure dialectique. Entendez, si je ne me trompe

    pas, la premire o l'esprit rsolve, par une conciliation ing-

    nieuse, un antagonisme premire vue intolrable une tension N; vitale se rsout en intention mentale. La conciliation hg- .

    lienne, vrai dire, n'est encore ici que bien rudimentaire, puisque,de l'aveu de M. Lacan, il y a acceptation ou refus, sans d'ailleurs

  • EDOUARD PICHON

    que cette alternative puisse tre conue comme un choix, faute

    qu'il y ait un moi constitu pour en extrioriser les deux possibi-lits comme contradictoires. Ici, j'ose dire M. Lacan qu'il apportedes ngations auxquelles les faits ne l'autorisent point une des

    plus grandes leons de l'exprience vcue des activits investiga-

    toires, c'est que, si les faits qu'on rassemble permettent souvent

    d'affirmer, presque jamais ils ne permettent de nier. Pas de moi

    constitu ? Pour se permettre lgitimement une pareille ngation,en y infusant un sens rel, il faudrait serrer de beaucoup plus

    prs que ne le fait M. Lacan les problmes du je, du me et du

    moi, de la personne et de la personnalit.La lactation ne joue de rle dans le dveloppement intellec-

    tuel, indique M. Lacan, qu'au moment o elle a cess cela par

    l'imago du sein maternel, qu'elle laisse prcisment subsister

    comme tendant tre rtablie dans sa vigueur fonctionnelle. Cette

    imago est bien spciale, car la fusion orale regrette n'tait ni un

    aio-*rotisme ni un narcissisme stade buccal anrotique, ai-je

    dit pour ma part M. Laforgue avait dit stade de la mre-

    nourriture .

    Mais il y a plus. M. Lacan croit avoir des raisons biologiquesde penser que l'homme est essentiellement un animal naissance

    prmature, pour qui la vie extra-utrine est d'abord un perp-tuel malaise, vu l'organisation posturale et quilibratoire de typeintra-utrin qu'il conserve plusieurs mois.. Consquemment,l'auteur pense que l'ablactation ne prend sa grande valeur qu'ence qu'elle donne son expression psychique. l'imago plus obs-

    cure d'un sevrage plus ancien. celui qui la naissance spare l'enfant de la matrice.

    Ajoutons que M. Lacan pense que l'amour des mres pour

    leurs rejetons sature, par renversement psychique, l'apptence de

    l'imago du sein maternel. D'autre part, il vient soutenir que les

    faits l'ont amen considrer comme normale chez l'tre humain

    une certaine apptence de la mort il ne la rapporte pas un ins-

    tinct de mort, conception freudienne dont son psychopompe psy-

    chanalytique M. Rodolphe Lwenstein a fait une si pertinente

    critique (1), mais bien un complexe tmoignant de l'insuffisance

    congnitale o se trouve le psychisme humain dans ses fonctions

    vitales.

    (1) Rodolphe Lwenstein. L'origine. du masochisme et la thorie des pul-sions Revue franaise de psychanalyse, t. X, N 2, p. 298 et pp. 318-319.

  • LA FAMILLE DEVANT M. LACAN

    Ce qui reviendrait un abandon de lutte devant des difficul-

    ts la fascination fcondatrice de M. Lacan fait surgir l une

    bien jolie Aphrodite des mers de M. Pierre Janet Pour ma part,

    je me demande s'il y a un grand avantage intellectuel parler de

    complexe de mort, d'apptence de mort, etc. sans prciser quelcontenu psychologique rel rpond ce terme de mort .

    4

    Le complexe de l'intrusion reprsente l'exprience que ra-

    lise le sujet primitif, le plus souvent quand il voit un ou plu- sieurs de ses semblables participer avec lui la relation domes-

    lique, autrement dit, lorsqu'il se connat des frres. La

    jalousie infantile est connue depuis longtemps, mais le point critique rvl par les recherches psychanalytiques est, nous

    dit M. Lacan, que la jalousie, dans son fonds, reprsente non

    pas une rivalit vitale, mais une identification mentale. < Pour comprendre le moins dfectueusement possible ce queM. Lacan entend par l, rappelons quelques faits sur lesquels il

    met lui-mme l'accent, et que voici

    Ds la priode de lactation, l'enfant manifeste un intrt sp-cial pour le visage humain j'y ai insist M. Lacan le souligneaussi. D'autre part, dans les rapports entre deux enfants quise donnent en spectacle l'un l'autre, qui travaillent l'un

    sduire l'autre, qui se dominent et s'asservissent l'un l'autre, il

    y a toujours une participation bipolaire , constitutive de la

    situation elle-mme quel est le spectateur ? quel est le sduc-

    teur ? quel est le plus asservi ? Voil, remarque M. Lacan, des

    questions qu'on peut se poser mme si l'un des enfants dploiematriellement toute l'activit, l'autre talant une passivit en

    apparence complte.Ces faits conduisent penser que chacun des partenaires joue

    mentalement, outre son propre rle, celui de l'autre aussi il

    s'identifie en pense cet autre, ou du moins, l'imago de cet

    autre. C'est en ce sens que M. Lacan fait de l'identification (enten-

    dez mentale) un lment essentiel de la jalousie infantile, et

    mme des jalousies ultrieures, la paranoaque surtout.

    L'identification prdipienne, dont il s'agit ici, M. Lacan

    l'intgre dans sa notion gnrale de la structure narcissique du

  • EDOUARD PICHOtf

    moi, au stade qu'il appelle stade du miroir, lequel rpond au dclin du sevrage . Aprs l'ge de six mois, les enfants se

    mettent reconnatre leur propre image dans les glaces. Pour

    M. Lacan, c'est un phnomne d'importance capitale, duquel il

    importe que les psychologues comprennent la signification pr-

    gnante. La porte d'une pareille reconnaissance est tout autre,.

    croit-il, qu'elle n'tait chez le chimpanz l'homme n'a pas cette

    adaptation immdiate au milieu qui dfinit le monde de l'ani-

    mal par sa connaturalit l'homme n'est pas connaturel au

    milieu chez lui, la perception acquiert de l'indpendance par rap-j

    port au systme pulsionnel, elle devient illuminative et bientt!se constitue le sentiment de comprhension sous sa forme inef-j

    fable. |Au stade du miroir, l'image spculaire sert l'enfant de signal'

    de son unit corporelle et mentale. Elle triomphe de ces fantasmes

    de dmembrement et de dislocation dont ceux de castration

    ne sont qu'une image mise en valeur par un complexe parti- culier .

    Mais l'unit du moi ainsi constitu (1) est essentiellement

    narcissique. Le monde [entendez mental] propre cette phase est. un monde narcissique. II ne contient pas d'autrui.

    Car, selon M. Lacan, la perception de l'activit d'autrui ne suffit

    pas. rompre l'isolement affectif du sujet. Le sujet subit

    la suggestion motionnelle de l'activit d'autrui, mais il ne se

    distingue pas d'elle la tendance trangre ralise seulement ce

    que M. Lacan appelle une intrusion narcissique .

    Cette phase du dveloppement mental est trs importanteselon l'auteur, car c'est elle qui donne leur bien connue ambiva-

    lence aux passions de voir et d'tre vu, au sado-masochisme, etc.

    Voil une doctrine psychologique solide, cohrente, appuye

    par des faits. Tous les psychologues auront dsormais, me semble-

    t-il, en tenir compte.

    5

    Mais M. Lacan a voulu lui donner une assiette biologique et

    cette seconde doctrine a beaucoup moins de solidit la naissance

    (1) Je laisse M. LACAN la responsabilit de ce terme de moi, qui sembleen contradiction avec l'emploi qu'il en fait dans la suite. Une comparaisonavec les stades de personnalit admis par M. Pierre JANET serait intressante,mais exigerait une tude approfondie. E.P.

  • LA FAMILLE DEVANT M. LACAN

    humaine aurait selon lui, nous nous le rappelons, un caractre

    prmatur absolument (point un peu difficile comprendre) 1

    c'est de l que driveraient l'absence d'adaptation bestiale (1) au

    milieu et la libration de la perception par rapport aux pulsions.De pareilles thories sont bien hasardeuses soutenir, devant

    l'extrme varit des faits biologiques. Les oursons, les kangou-routeaux, les serineaux, etc. ont-ils, du fait de leur infriorit

    morphologique et sensori-motrice natale, sur les cobayeaux ou les

    poussins un sort intellectuel beaucoup plus lev ? Il ne le semble

    pas. Il importe donc de limiter les comparaisons des domaines

    trs dfinis.

    Mais, tout prendre, ce thme de la connexion entre le dve-

    loppement de l'intelligence humaine et le caractre particulier du

    dveloppement biologique de l'enfant se rattache tout un cou-

    rant d'ides dont il n'est pas inutile de rappeler les principauxmandres pour bien situer la pense de M. Lacan.

    C'est une vue qui tait d'actualit dans les toutes premiresannes du XX" sicle, que de souligner que, du point de vue bio-

    logique, l'homme l;>U un animal d'un autre ge, une sorte de

    survivant, auquel le jeu naturel des dfenses biologiques pure-ment bestiales n'aurait pas permis, vu sa nudit et son inermit,

    d'arriver jusqu' notre temps, qui, selon Ren Quinton, est, biolo-

    giquement, celui des oiseaux. C'est par un mode original d'volu-

    tion que l'homme s'est maintenu, a pullul, a dvelopp sa civili-

    sation l'intelligence, disait ds cette poque M. Bergson, c'est

    la facult de se crer des organes l'extrieur.

    Dans ces dix dernires annes, M. Emile Devaux, s'inspirantdes travaux de De Beer, a affirm la connexion chez l'homme entre

    la lenteur de dveloppement du corps et la hauteur du niveau

    intellectuel atteint par l'esprit. En vrit , crit-il (2), nous

    sommes des ralentis de dveloppement et des ralentis de crois-

    sance, c'est l tout le secret de l'nigme humaine . Et, pour le

    prouver, il nous compare aux anthropodes, sans oser dcider

    nettement toutefois si c'est eux qui subissent un dsaiguillage

    dans leur ontognse, ou nous qui bnficions d'une notnie

    par o nous soient conservs des caractres ftaux. Il reste qu'ilnous faut, comme l'a indiqu M. Jean Rostand, vingt fois plus de

    (1) J'emploie ce terme de bestial parce qu'il s'applique tous les ani-maux, sauf l'homme, ce qui semble correspondre l'ide de M. LACAN. E.P.

    (2) Emile DEVAUX Le problme de notre origine Revue gnrale dessciences, 28 Fvrier 1936 tirage part, p. 16,

  • EDOUARD PICHON

    temps qu'aux grands singes pour nos tapes dentaires et ossifica- )toires, et que nous faisons, relativement eux, figure de retards

    gnitaux, ce qui rend normale notre espce une macrosclie

    relativequi, leur aune, serait eunuchode. Notre encphale, dans

    ce mode de dveloppement, conserve entre le cerveau antrieur et Ile reste de l'encphale un quilibre qui chez les singes est trs tt

    dtruit au dsavantage du premier. De l, selon M. Devaux, notre

    intelligence..Cette conception fort intressante est toutefois marque au

    sceau d'un matrialisme volutionniste postul a priori par la

    docilit de l'auteur aux dogmes qui lui ont t enseigns lors de

    sa scolarit.

    On se sentira beaucoup plus prs des ides de M. Lacan chez

    un esprit beaucoup plus ancien, mais beaucoup plus libre Buffon.1 Un jeune animal , nous dit-il (1) (et par ce terme d'animal '

    il dsigne ici les mammifres), tant par l'incitation que par l'exemple, apprend en quelques semaines d'ge, faire tout ce

    que ses pre et mre font il faut des annes l'enfant, parce qu'en naissant il est sans comparaison beaucoup moins avanc,

    1 moins fort et moins form que ne le sont les petits animaux. 1

    Mais il y a, nous dit Buffon, deux ducations (2), celle pure-ment individuelle, qui est la seule qu'exercent et subissent les

    btes celle de l'espce, qui n'appartient qu' l'homme (3).

    Or, ds qu'elle commence se former, l'ducation de l'enfant

    n'est plus une ducation purement individuelle. c'est une

    institution laquelle l'espce entire a part, et dont le produit fait la base et le lien de la socit (4) et c'est parce quel'enfant est beaucoup plus lent que les petits des animaux les plusvoisins recevoir l'ducation individuelle, que par cette raison

    mme, il devient susceptible de celle de l'espce (5).

    Ainsi, non seulement Buffon affirme dj la connexion quecontracte la hauteur du niveau spirituel de l'homme avec la dbi-

    lit de l'enfant sa naissance, mais encore il indique nettement,

    par le terme d'institution, le caractre essentiellement psycholo-

    gique et social, bien plutt que biologique, de l'ducation fami-

    (1) Buffon, Nomenclature des singes Histoire Naturelle , (Imprime-rie Royale) Quadrupdes, t. 7, p. 34.

    (2) Ibid., p. 34.(3) Ibid., p. 34.(4) Ibid, p. 38.(5) Ibid, p. 35.

  • LA FAMILLE DEVANT M. LACAN

    liale. Il m'a sembl que ces vues mritaient d'tre rappeles pro-

    pos de celles de M. Lacan.

    6

    Ce buisson battu, revenons fidlement suivre la marche de

    notre guide. Pour lui, quant la jalousie de l'enfant l'gard de

    son frre, l'image du frre non sevr n'attire une agression sp- ciale que parce qu'elle rpte dans le sujet l'imago de la situa-

    . tion maternelle et avec elle le dsir de la mort . Voil qui me

    parat tout fait contestable.

    Cherchons pntrer, avec M. Lacan, le monde mental nar-

    cissique ne contenant pas d'autrui, c'est--dire n'ayant pas encore

    labor les conceptions qu'en psychanalyse on appelle objectales.La jalousie pose, selon cet auteur, une alternative o, comme il le

    dit en son style hermtique et inexact, se joue le sort de la ralit . Comme si la ralit tait appendue en entier aux

    attitudes mentales de M. le bb considr Entendez une alternative o se joue le sort des conceptions que cet enfant

    c pourra se faire de la ralit. S'il reste dans l'identification

    narcissique, il va s'accrocher au refus du rel et la destruc-

    tion [entendez la scotomisation] de l'autre . Mais s'il recon-

    nat une existence indpendante l'objet, voil la notion d'un fautrui solidement assise, voil un progrs important de la con- jnaissance. La socialisation [de l'objet] par la sympathie jalouse

    (

    < fonde sa permanence et sa substantialit.

    Fort bien, mais alors M. Lacan avait tort, au dbut de son

    dveloppement, de prtendre que la jalousie tait essentiellement

    une identification, puisque prcisment elle ne joue son rle fcon-

    dateur de la connaissance que quand elle est dment accepteor en ce sens, elle ne comporte plus pour l'objet d'intrusion nar-

    cissique, mais au contraire, la reconnaissance de sa ralit auto-

    nome. Certes, cette reconnaissance implique une apprciation de

    similitude avec le sujet comme je l'ai dit ailleurs (1),. l'esprithumain ne peut pas concevoir de substantialit autrement que parce moyen. Mais cette opration mentale est l'inverse d'une

    introspection ou d'une intrusion identificatives.

    (1) Ed. PICHON La logique vivante de l'esprit enseigne par le langage Journal de psychologie , XXXI1' anne, N 9-10, 15 novembre, 15 dcembre1934, p. 692.

  • EDOUARD PICHON

    D'autre part, une chose m'inquite je me demande si, en

    matire de stade sado-masochique du dveloppement, M. Lacan

    ne dcrit pas tout uniment les mmes faits que M. Codet,

    M. Laforgue et moi-mme, en changeant seulement les mots ce

    stade, disions-nous au moyen d'un terme propos par M. Codet,

    comporte un traitement captatif de l'objet, traitement par lequelil ne lui est pas reconnu d'indpendance vritable, mais o, au

    contraire, il est comme ingr, digr, dtruit. Le mme terme,

    frappant, de destruction d'autrui (1). si vocateur de la pensede M. Laforgue, vient sous la plume de M. Lacan dcrivant l'intru-

    sion narcissique. Ds lors, ce qu'il appelle identification narcis-

    sique est peut-tre tout bonnement ce que, moins ambitieusement,

    nous appelons avec M. Codet captation. Notre nomenclature a,

    selon moi, l'avantage de ne pas donner de nouvelles limites au

    domaine smantique du terme narcissisme, dj compris si diff-

    remment par les diffrents psychanalystes elle me permet aussi, moi personnellement, d'viter le terme si mal choisi d'identifi-cation pour dsigner les faits que vise M. Lacan.

    III

    1

    Le complexe d'dipe a certes t, nous dit M. Lacan, celui

    qui a permis M. Freud l'laboration de l'ide gnrale de com-

    plexe. Mais en fait il n'intervient que relativement tard dans le

    dveloppement psychique de chaque tre humain.

    J'ai moi-mme insist (2) sur le rle extrmement importantd'une liquidation correcte du complexe d'dipe dans la constitu-

    tion de la mentalit de l'homme civilis suivant le mode de l'Occi-

    dent Europen M. Lacan confirme ces vues et de plus il semble

    penser que dans la phylognie, conue suivant la loi de Serres

    (1) Pourquoi M. LACAN dit-il l'autrui , au lieu d' autrui ?7C'est inutile et c'est ambigu, puisqu'en franais classique, l'autrui si-.gnifie encore le bien d'autrui . Ne serait-ce pas qu'il faut bien germani-ser ? Nous devons dj beaucoup de reconnaissance Mj LACAN de ne pas af-fubler tous les infinitifs d'un le inutile et anti-franais, comme le font beau-coup de messieurs allognes ou xnomancs le se promener leur est un a-te plus agrable que le rester-chez-soi--ne-rien-faire . E.P.

    (2) Ed, Pichon, A l'aise dans la ivilisation, I, 14*13.

  • LA FAMILLE DEVANT M. LACAN

    comme au moins grossirement parallle l'ontognie, le complexe

    d'dipe ne caractrise point le passage du singe l'homme, mais

    le passage, beaucoup plus haut situ, du sauvage l'homme civi-

    lis tel que nous le concevons. Si, sur ce point, j'ai bien saisi la

    pense de M. Lacan, il y a l une trs importante nouveaut dans

    l'interprtation des faits. v.

    M. Freud, avec son mythe du meurtre du Pre , voit dans

    l'dipodisme la forme spcifique de la famille humaine

    M. Lacan ne souscrit pas cette vue. Il dfinit le complexe d'dipe

    par la pulsion attractive vers le parent de sexe oppos, qui en est

    la base , et par la frustration subie par cette pulsion, laquellefrustration est le noeud du complexe. L'enfant, nanmoins,

    entrevoit les relations amoureuses de ses parents par ce double

    procs, le parent de mme sexe apparat l'enfant la fois

    comme l'agent de l'interdiction sexuelle et l'exemple de sa trans-

    gression . La rsolution de la crise dipienne entrane la for-

    mation de deux instances permanentes celle qui refoule s'ap- pelle le surmoi celle qui sublime l'idal du moi. On voit

    ainsi reparatre sous la plume de notre nouvel auteur la mme

    dualit qui avait inspir M. Charles Odier les notions de suraet de surmoi, et moi-mme celles de coaclorium et de suasorium.

    Le mode de description des faits adopt par M. Lacan met,

    il est vrai, plus nettement l'accent sur le fait que l'homme le plusnormal est incapable de faire tous ses rfrnements sous forme

    de rpression il y a toujours en lui un notable contingent de

    refoulements le coactorium n'est donc pas pathologique en soi,

    mais seulement quand il s'hypertrophie. Il y a l , ajoute judicieusement M. Lacan, un ordre de

    dtermination positive qui rend compte d'une foule d'anomalies

    du comportement humain et, du mme coup, rend caduques, pour ces troubles, les rfrences l'ordre organique qui, encore

    que de pur principe ou simplement mythiques, tiennent lieu de

    mthodes exprimentale toute une tradition mdicale:

    On ne peut pas mieux dire, mme quand, mdecin soi-mme,on se rserve, comme M. Lacan et moi, la libert mdicale souve-

    raine d'user comme on l'entendra des mdicaments, nervins ou

    autres, chez tels malades que l'on voudra, et au moment o on le

    jugera bon.

  • EDOUARD PICHON

    2

    Il est acquis que le complexe d'dipe existe, et que son rle

    est capital dans notre dveloppement psychique. L'agressivit qu'ilcre vis--vis du parent rival et la crainte d'une agression en

    retour, sont le fondement de ce que la doctrine freudienne a

    appel le complexe de castration.

    Avec leur souci doctrinal de traduire toujours les faits affec-

    tifs en langage d'anatomie topographique, M. Freud et ses cauda-

    taires orthodoxes ont fait reposer tout cet difice de raction

    l'dipodisme sur le fantasme d'tre chtr en punition d'un

    inceste mtrogamique. Et ils n'ont pas hsit en infrer tout le

    roman prhistorique d'une horde patriarcale encore peinehumaine, avec un drame de meurtre du pre par les fils, suivi

    d'une conscration posthume de sa puissance sur les femmes

    par les meurtriers prisonniers d'une insoluble rivalit vne-

    ment primordial d'o, avec le tabou de la mre, serait sortie

    toute tradition morale et culturelle. Roman qu'on veut biolo-

    gique et sociologique la fois.

    Sans reprendre ici tous les excellents arguments qui se sont

    levs en France contre cette conception, voyons ce qu'y rpondM. Lacan lui-mme. D'abord, il la trouve foncirement vicieuse

    en saine logique, puisque l'on y attribue un groupe biologique la possibilit, qu'il s'agit justement de fonder, de la reconnais-

    sance d'une loi . Voulant bien passer outre, il discute nan-

    moins sur le fond.

    Sur le plan biologique, il objecte avec justesse que ce quenous savons des grands singes anthropodes s'accorde mal avec

    les vues de M. Freud.

    Sur le plan sociologique,'M. Lacan allgue que presque par-tout on a retrouv les traces du matriarcat sous le patriarcat. Ici

    il convient, la vrit, d'tre prudent.

    D'abord, il faut s'entendre sur la notion de matriarcat. Ce

    qui la constitue, c'est la transmission des droits par la lignematernelle. Mais, comme le fait remarquer Glotz (1), ce droit

    n'implique aucune position dominante de la femme, aucune gyn-cocratie. Le matriarche, comme l'indique d'ailleurs trs bien

    (1) G. Olotz. la Civilisation Eqenne, L, II, ch. 1er, p. 170,

  • LA FAMILLE DEVANT M. LACAN

    M. Lacan, est un homme, oncle ou cousin du ct maternel de

    ceux auxquels il commande.

    D'autre part, dans les socits dont la ntre procde, le

    matriarcat n'a pu tre retrouv qu', l'tat de dbris. La civilisa-

    tion crtoise prhellnique adorait une Desse-Mre, mais nous

    n'avons pas la preuve qu'elle se soit conserve matriarcale jusqu'I

    la grande poque minoenne (1700 ?-1400 ?). Glotz admet au con-

    traire comme vraisemblable (1) que les Egens avaient djeffectu, avant l'arrive des Hellnes, l'volution familiale menant

    du yivo la famille restreinte.

    En tout cas les Hellnes, quand ils arrivrent, durent infuser

    une nouvelle vigueur au patriarcat, car ils taient Indo-

    Europens (comme les Italiotes et les Celtes). Je rappelle ici queles Indo-Europens (appels quelquefois, par abus, Aryens, du

    nom de leur branche asiatique) ne se dfinissent que linguistique-ment sur la forme de leur crne, la couleur de leurs yeux et

    de leurs cheveux et l'emplacement de leur habitat, on ne sait

    jusqu'ici rien de positif. Mais par les faits linguistiques, nous

    savons de faon presque certaine que ce peuple tait organis

    patriarcalement. Notamment, pour les linguistes historiciens,l'absence d'un adjectif ^Tpto -mrttrius (le grec a ivr^puot;)le latin inaterniis) au regard de ^xrpio -patrius ressortit probable-ment l'organisation patriarcale de la famille indo-europenne. De

    mme le sens et la rpartition des termes indiquant les belles-

    parents (2).

    .Mais de plus les migrateurs indo-europens paraissent bien

    avoir apport avec eux une sexualisation psychologique particu-lirement forte, dont notre sexualisation occidentale est la conti-

    nuation directe.

    Si d'autre part nous considrons l'anciennet du patriarcatchez les Juifs, gnrateurs du Christ, nous voyons que dans aucune

    de nos racines civilisationnelles l'on ne retrouve le matriarcat

    comme positivement attest en l'tat prsent des recherches his-

    toriques. On en suppose simplement l'existence trs ancienne,

    d'aprs certains indices pars.Ces prcisions ne vont d'ailleurs nullement contre l'opinion

    de M. Lacan, en tant qu'il pense que l'avnement du complexe

    (1) G. GLOTZ, ibid, p. 153.(2) Voir notamment ERNOUT et MEILLET, Dictionnaire tymologique de

    la langue latine. S.V. PATER p. 705, et aussi S.V. levir (8ar,p), Qhos (yilu>if\JANITHICES (lVXTSpEi;), SQCER,

    SOCRUS (Ixuptff, tup).

  • EDOUARD PICHON

    d'dipe n'a pas d marquer le passage de l'tat matriarcal au

    patriarcat, mais bien plutt, au sein mme du patriarcat, le pas-

    sage du stade de la grande famille gentilice, aghatique, svre,

    celui de la petite famille gainocentrique, dont le principal ressort

    affectif est la tendresse.

    3

    Quel est, dans cette conception, le rle prcis du complexe

    d'dipe ?11 est double sur la maturation de la sexualit, l'action de

    l'dipodisme est directe sur l'apprhension de la ralit (1),

    elle est indirecte. Il y a entre ces deux rles du complexe, dit

    M. Lacan, une marge angulaire que comblent la rpression des

    pulsions libidinales rprouves et la sublimation d'icelles (2).

    Sur la question de la maturation sexuelle dipienne, on ne

    nous offre gure 3e gerbes nouvelles engranger. On fait allusion

    aux travaux de M. Laforgue sur la mre-nourriture, mais sans en

    prononcer le nom. On prsente, en quelques courtes lignes, une

    thorie fort discutable de la diffrence des sexes respectifs quant leur maturation sexuelle, mais on ne la dveloppe pas assez pourdonner base une discussion utile.

    L'auteur passe ensuite au rle du complexe d'dipe, dans la

    constitution de la notion d'objet. La perte d'objet (Objektver-

    lust) des auteurs de langue allemande est avant tout une abolition

    affective. En effet, ces qualits si diverses du vcu, la psycha- nalyse les explique par les variations de la quantit d'nergie vitale que le dsir investit dans l'objet. [Cette] formule. rpond pour les psychanalystes une donne de leur pratique ils

    K comptent avec cet investissement dans les trans ferts opratoires de leurs cures c'est sur les ressources qu'il offre qu'ils doivent

    fonder l'indication du traitement. D'accord. Ni M. Laforgue,ni M. Codet ni moi certes n'y contredirons.

    Mais voil ensuite le plus dplaisant des passages de M. Lacan,

    car il y lance des attaques sarcastiques contre des gens qu'il ne

    daigne pas nommer c'est indigne de lui. Il vient dire L'atti-

    tude instaure par la tendance gnitale cristalliserait selon son

    (1) M. LACAN dit fcheusement constitution de la ralit . E.P.(2) M. LACAN appelle bien peu lairement cette sublimation sublima-

    tion de la ralit . E.P.

  • LA FAMILLE DEVANT M. LACAN

    type normal le rapport vital la ralit. On caractrise cette

    attitude par les termes de don et de sacrifice, termes grandioses mais dont le sens reste ambigu et hsite entre la dfense et le

    renoncement. Par eux une conception audacieuse retrouve le

    . confort secret d'un thme moralisant dans le passage de la

    captivit l'oblativit, on confond plaisir l'preuve vitale et l'preuve morale. Quel est cet on ? La premire phrase vise

    M. Laforgue; puis, par un glissement savant, l'auteur amne son

    lecteur une dernire phrase qui semble bien dirige contre moi.

    L'ironie, sur la question du sacrifice et du renoncement, est facile,

    car elle touche une des plus profondes antinomies de l'me

    humaine. Que l'amour le plus dsintress comporte un bnfice

    hdonique pour l'aimeur lui-mme, personne ne le nie. Et sans

    doute M. Jacques-Marie Lacan paierait-il comme moi un plein

    panier de guignes au philosophe ou au thologien qui nous expli-

    querait l'insondable mystre de ce qu'est l'Amour pur, intgral,avec abngation complte de soi. Mais cette interrogation non

    rsolue n'efface nullement le fait qu'il n'y ait pas, pratiquement,

    d'quivalence psychologique entre la rage de possession directe-

    ment jouisseuse et le dvouement facteur du bien d'autrui. L'iro-

    nie de M. Lacan ne ruine donc point la psychogense anago-

    gique (1) que j'ai esquisse. Je ne demande la morale aucun

    confort secret je moralise ouvertement c'est avec intention,

    et aprs mre rflexion, que je me refuse distinguer l'preuvevitale de l'preuve morale.

    4

    Selon M. Lacan, beaucoup de processus que l'on a imputs

    l'action du complexe d'dipe lui sont antrieurs. Beaucoup des

    lments du complexe dnomm de castration ressortissent, pense-

    t-il, ces fantasmes de morcellement qui ne se rapportent

    aucun corps rel, mais un mannequin htroclite, une pou- pe baroque, un trophe de membres o il faut reconnatre

    l'objet narcissique au sens o M. Lacan entend ce terme.

    D'autre part, le surmoi le plus archaque est prdipien, il

    est d'origine maternelle. C'est pourquoi, dit notre auteur, la

    (1) Le texte de M. LACAN porte analogique, que j'interprte comme unefaute d'impression. E.P.

  • EDOUARD PICHON

    rigueur avec laquelle le surmoi inhibe les fonctions du sujet tend s'tablir en raison inverse des svrits relles de l'du-

    cation . Mais cette prtendue loi clinique a-t-elle la valeur

    absolue qui lui est attribue en ce passage ? J'en doute et les

    affirmations de M. Lacan s'en trouvent, pour moi, affaiblies

    d'autant.

    L'identification dipienne vritable diffre grandement, nous

    dit M. Lacan, de l'identification narcissique plus haut dfinie. Le

    fait capital, connu de tous les psychanalystes mais que, selon

    M. Lacan on ne souligne pourtant pas assez c'est que l'objet de l'identification n'est pas l'objet du dsir, mais celui qui s'y oppose dans le triangle oedipien. Ainsi, tandis que l' identi-

    fication narcissique tait mimtique , l'oedipienne est

    propitiatoire . Le sujet arrive ainsi concevoir un objetd'aimance indpendant de lui, et non plus quivalent lui, comme

    dans l'identification narcissique de M. Lacan. M. Laforgue,M. Godet et moi disions l'objet d'aimance est conu oblativement,

    comme ayant son existence propre, et non pas captativement,comme incorporable par le sujet. N'tait-ce pas apercevoir les

    mmes processus psychologiques ?Il est vrai que M. Lacan prend texte de ces constatations

    observationnelles pour brosser un vaste tableau de l'volution psy-

    chologique de l'homme la conscience exprime l'angoisse primor-

    diale, l'quivalence le conflit narcissique, l'exemple le complexe

    d'dipe.Et de dire ensuite que c'est l'imago de son pre qui donne

    la fonction de sublimation du garon la forme la plusminente et qui polarise ainsi la forme la plus haute de l'idal

    du moi. Rien l que de classique en psychanalyse.Plus tonnant, et infiniment plus discutable est l'opinion de

    M. Lacan sur la fille, pour qui l'image maternelle aurait tendance

    dchoir, et qui elle aussi cultiverait comme idal de soi l'image

    paternelle, d'o l'idal virginal. Dossier renvoy Mme Marie

    Bonaparte.

    5

    D'ailleurs, les effets psychiques de Fdipodisme tiennent

    surtout, observe M. Lacan, notre tat social, o le pre incarne

  • LA FAMILLE DEVANT M. LACAN

    la fois la rpression et la sublimation. Il n'en est pas toujoursainsi, dit-il. Dans les socits matriarcales, le matriarche a l'auto-

    rit rpressive, et le pre, qui n'est qu'un gendre, joue vis--vis

    de son fils, selon M. Malinowski, un rle de patronage plus familier, de matre en techniques et de tuteur de l'audace aux

    entreprises. Mais la sublimation, ainsi spare de la rpression,est crase par elle. Voil une vue trs intressante.

    La fcondit des systmes patriarcaux tiendrait donc, selon

    M. Lacan, l'union de ces deux fonctions, cependant antagonistes,dans la personne d'un mme homme. Et cette ide fructifie dans

    sa pense au point de prendre une importance capitale quant

    l'volution des socits humaines. Le passage de l'autorit du pre,c'est--dire l'identification (au sens rel du terme) entre l'agent

    rpresseur et le provocateur des sublimations, introduit dans la

    rpression un idal de promesse. A l'avnement de l'autorit

    paternelle rpond un temprament de la primitive rpression sociale . La morale devient ouverte, au sens bergsonien du mot.

    Cette thse parat excellente en son fond, mais l encore il

    faut peut-tre retarder le plein effet de la bivalence paternelle

    jusqu' l'avnement du gamocentrisme, car dans l'organisation

    gentilice, seuls certains privilgis se trouvent avoir pour pre le

    patriarche pour tous les fils de branches cadettes, les deux fonc-

    tions envisages restent incarnes dans deux hommes diffrents

    M. Lacan l'aurait-il oubli ?

    La rduction de la famille au type gamocentrique est ancienne

    d'ailleurs dans les civilisations d'o la ntre est issue. A Rome,

    l'histoire ne nous montre qu'une organisation gentilice dj alt-

    re et glissant vers le gamocentrisme. La famille gamocentriquetait en germe ds le dbut du patriarcat, car l'tablissement de

    la filiation par les mles appelait le mariage, qui s'est dvelopp Rome sous plusieurs formes. La famille gamocentrique a reusa conscration du christianisme, mais c'est prcisment cause

    de l'minente dignit que cette religion a confre au mariage un certain point de vue, le christianisme apparat comme la con-

    qute de la confarration pour tous.

    En effet, comme je l'ai proclam hautement et comme

    M. Lacan le clame aussi, c'est bien le mariage qui est le pivot de Atoute l'organisation psycho-sociale de la civilisation occidentale:

    le mariage, avec le libre choix, avec l'exaltation apothotique quele christianisme apporte aux exigences de la personne .

  • EDOUARD PICHON

    Toutefois appeler con jugal ce dernier tat de la famille,

    comme M. Lacan le 'fait aprs Drkheim, c'est trs insuffisant,

    car, socialement, les conjoints ne sont que les outils de l'institu-

    tion et les enfants le but. C'est pourquoi je dis gamocentrique.D'autre part, je comprends mal le terme de paternalisme ,

    introduit sans dfinition par M. Lacan. Appliqu au patriarcat

    gentilice, il n'apporte rien appliqu au patriarcat gamocentrique,il a l'air de mettre l'accent sur la prpondrance du pre, alors quecette prpondrance s'y solde surtout par des charges.

    M. Lacan, en somme, indique trs bien le rle de la famille

    gamocentrique dans la formation de l'homme d'aujourd'hui.

    L'idal-du-moi, que la tradition fait passer de pre en fils, permetla constitution de familles d'hommes minents quand rien ne

    vient gner le fonctionnement optimum du systme. Mais il semble

    M. Lacan que l'image paternelle a tendance subir un certain

    dclin dans l'me des nouvelles gnrations et que, mme, peut- tre est-ce cette crise qu'il faut rapporter l'apparition de la

    psychanalyse elle-mme . Pour justifier cette opinion, M. Lacan

    allgue que chez les Yankees il y aurait croissance trs sen-

    sible. des. exigences matrimoniales . Le sens de cette phrase

    m'chappe absolment.

    IV

    Dans un dernier chapitre enfin, M. Lacan tudie les complexes

    familiaux en pathologie.Pour ce faire, il commence par demander trs judicieusement

    que la disance scientifique rserve le terme de familial ce

    qui dpend de la famille en tant que nud de relations sociales,

    et partant renonce qualifier, comme on le fait couramment, de

    familiales certaines maladies hrditaires.

    1

    Il n'y a pas s'tonner que les psychose aient un thme

    familial, car le tout du psychisme est intress par la lsion ou

    le dficit de quelque lment de ses appareils et de ses fonc-

    tions. Les objets du dlire, notamment, ne font souvent que

  • LA FAMILLE DEVANT M. LACAN

    9

    rpondre des formes archaques de la notion d'objet. Un certain

    conformisme, maintenu quelquefois longtemps par le sujet vis--

    vis d'autrui et de lui-mme, arrive s'effondrer et laisser voir

    l'archasme rel des relations psychiques du sujet au monde ext-

    rieur.

    Ces vues de M. Lacan sont intressantes rapprocher de celles

    que M. Laforgue et < moi avons mises ds 1926 sur l'approfondisse^ment progressif des schizonoas et leur possible versement final

    dans la pleine psychose.M. Lacan toutefois, en bon psychiatre classique qu'il est rest,

    maintient nette la distinction entre nvroses et psychoses. La psy-chose, pour lui, a un theme familial, mais non pas une originefamiliale. Il faut, chez elle, quelque ressort organique pour. la subduction mentale o le sujet s'initie au dlire et mme,M. Lacan se congratule d'avoir indiqu que c'est dans quelque tare biologique (1) de la libido qu'il fallait chercher la cause

    de cette stagnation de la sublimation o il voit l'essence

    de la psychose . L'auteur nous semble retomber nettement ici

    dans ce biologisme gratuit qu'il reproche par ailleurs aux freu-

    diens de la stricte observance. La distinction entre psychoses et

    nvroses serait bien malade si vraiment elle ne pouvait tre main-

    tenue qu'au prix d'un aussi aventureux appareil doctrinal.

    2

    Dans les nvroses, les complexes familiaux ont une fonction

    causale. M. Lacan l'admet avec tous les psychanalystes.Il rappelle que M. Freud, dans ses premires tudes, avait

    conu le symptme nvrotique comme reprsentant simplement

    l'expression du refoul, mais que l'exprience lui a enseignensuite deux faits capitaux qu'une rsistance est oppose par, le sujet l'lucidation du symptme, et qu'un transfert affectif, qui a l'analyste pour objet, est la force qui, dans la cure, vient

    prvaloir .De la premire tape de la pense freudienne, il reste pour-

    tant, dit M. Lacan, que le symptme est une forme de division

    de la personnalit . Dans les travaux les plus rcents. de

    (1) C'est moi qui souligne. E.P.

  • EDOUARD PICHON

    M. Freud, il n'est plus prt au symptme une claire fonction

    d'expression de l'inconscient , mais beaucoup plutt une

    plus obscure fonction de dfense contre l'angoisse et la divi-

    sion de la personnalit rsulte ds lors, indique M. Lacan, de ce

    que le sujet fait sa part ce danger en s'interdisant tel accs

    la ralit, sous une forme symbolique ou sublime. C'est dire

    quel rle tendu M. Lacan reconnat la scotomisation, bien qu'ilne mentionne pas les luttes que M. Laforgue a menes pour faire

    reconnatre ds 1926 M. Freud l'intrt de ce processus, intrt

    qu' cette poque le matre de Vienne ne concevait pas encore

    pleinement.M. Lacan, si je l'ai bien compris, tend d'ailleurs la notion et

    l'active. L'interdiction scotomisatrice influe, fait-il justement

    remarquer, sur la structure mme des conceptions que le nvros

    se fait de la ralit son difice de reprsentation du rel devient

    ds lors inaccessible aux retouches, d'o l'chec. d'une concep- tion morale des nvroses . Cette dernire infrence est abu-

    sive la clinique y contredit. D'une part, en effet, l'inconscient-

    n'est jamais, pour l'investigation psychanalytique, que du cons-

    'l'cient virtuel d'autre part, l'aspect sinistre de mcanisation abs

    lue que donnent sur beaucoup de points les grands schizonoaquesn'est que secondaire la clinique en suit les progrs les premiresscotomisations, o les sujets ont failli user de libert, n'ont t

    qu'un doigt dans l'engrenage o le bras a ensuite t tout entier

    broy (1).

    3

    Quoi qu'on veuille penser de cette discussion doctrinale, il

    faut proclamer avec M. Lacan que c'est l'organisation dipienne

    et ses troubles, c'est--dire en dernire analyse, l'institution

    familiale gamocentrique, que sont lies la plupart des nvroses

    que nous observons.

    M. Lacan essaie d'assigner chacune des nvroses de trans-

    fert sa place psychologique prcise dans la zoophabie, l'animal

    reprsente la mre gestatrice, le pre menaant, les puns intrus

    dans l'hystrie, il y a refoulement mutilatif des satisfactions gni-

    tales dans la nvrose obsessionnelle, il y a dplacement de

    l'affect dans la reprsentation.

    (1) Ed. PICHON. De Freud Dalbiez. p. 17.