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29 RUE DE CHATEAUDUN 75308 PARIS CEDEX 9 - 01 75 55 10 00 02/08 MARS 11 Hebdomadaire Paris OJD : 440469 Surface approx. (cm²) : 4713 N° de page : 76 Page 1/13 DECOUVERTE3 9462537200505/GBV/OTO/2 Eléments de recherche : EDITIONS DE LA DECOUVERTE : maison d'édition, toutes citations SOCIETE Comment manger sain D e son village percheron perdu en rase cam- pagne, la romancière Joëlle Guillais observe depuis trois décennies les ravages de I agriculture intensive sur les paysages et les hommes Des bo- vms devenus molosses par la seule grâce de cures d'hormones, des hectares fer- tiles mues en champs de pierres, des ruisseaux imbibés d'azote. Joëlle les a racontes à longueur de pages, j usqu'à ce que les paysans du coin lui tombent dessus. Un matin, c'est un tracteur qui menace de la renverser. Un autre jour, une etable pestilentielle qu'on décide de coller, sans prévenir, contre le mur de sa maison On ne remet pas impu- nément en cause une révolution en- tamée il y a plus d'un siècle. C'est pourtant ce qu'une autre voix discordante vient de faire, preuves à l'appui cette fois La journaliste indé- pendante Marie Monique Robin, connue pour avoir démonté la belle mécanique du fabricant d'OGM Mon santo, a enquêté deux ans dans les cou lisses de l'agrobusmess. De Paris à Washington en passant par Bruxelles, Parme et le Kerala, en Inde, l'opmiâ- tre enquêtnce a percé les secrets, jalousement gardés, des agriculteurs, régulateurs, industriels et chercheurs fascines par les miracles de leurs potions chimiques. Pesticides, engrais, colorants alimentaires, conservateurs Les produits répandus dans les champs, les étables et les plats cuisinés sont-ils Au procès de l'agriculture intensive, les preuves d'un danger pour la santé s'accumulent, jusqu'à ébranler les habitudes alimentaires. L'enquête choc de la journaliste Marie-Monique Robin, dont L'Express publie des extraits, vient enfoncer le clou. JULIE JOLV, AVEC ANNABEL BENHAIEM ET LAURIE ZENON toxiques ? Comment sont-ils évalues ? Les experts sont ils honnêtes ' A toutes ces questions cruciales, Robin, la fille d'agriculteurs devenue lauréate du prix Albert Londres, apporte en- fin des réponses Accablantes Elles seront rendues publiques, le 16 mars, dans un documentaire diffusé sur Arte ; puis le 24, dans un ouvrage de 450 pages Notre poison quotidien (Ed La Découverte). L'Express en a obtenu la primeur, et livre en exclu sivité plusieurs extraits de cette en- quête événement (voirpage 80) Car ce travail de forçat confirme, en fin, les intuitions sourdes auxquelles personne n'osait croire. Ces dernières années, des médecins ont établi un lien entre l'explosion des cancers et les dérives agroalimentaires Les au tontes sanitaires ont interdit, au compte-gouttes, la vente de produits longtemps présentés comme inoffen- sifs. En 2004 déjà, L'Express, dans un reportage prémonitoire, avait ren- contre des agriculteurs malades des pesticides Depuis, des toxicologues ont retrouvé des traces d'engrais et de désherbants jusque dans le sang des

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SOCIETE

Commentmanger sainDe son village percheron

perdu en rase cam-pagne, la romancièreJoëlle Guillais observedepuis trois décennies

les ravages de I agriculture intensivesur les paysages et les hommes Des bo-vms devenus molosses par la seule grâcede cures d'hormones, des hectares fer-tiles mues en champs de pierres, desruisseaux imbibés d'azote. Joëlle lesa racontes à longueur de pages, j usqu'àce que les paysans du coin lui tombentdessus. Un matin, c'est un tracteur quimenace de la renverser. Un autre jour,une etable pestilentielle qu'on décidede coller, sans prévenir, contre le murde sa maison On ne remet pas impu-nément en cause une révolution en-tamée il y a plus d'un siècle.

C'est pourtant ce qu'une autre voixdiscordante vient de faire, preuves àl'appui cette fois La journaliste indé-pendante Marie Monique Robin,connue pour avoir démonté la bellemécanique du fabricant d'OGM Monsanto, a enquêté deux ans dans les coulisses de l'agrobusmess. De Paris àWashington en passant par Bruxelles,Parme et le Kerala, en Inde, l'opmiâ-tre enquêtnce a percé les secrets,jalousement gardés, des agriculteurs,régulateurs, industriels et chercheursfascines par les miracles de leurspotions chimiques. Pesticides, engrais,colorants alimentaires, conservateursLes produits répandus dans les champs,les étables et les plats cuisinés sont-ils

Au procès del'agriculture intensive,

les preuves d'undanger pour la santé

s'accumulent,jusqu'à ébranler

les habitudesalimentaires.

L'enquête chocde la journaliste

Marie-Monique Robin,dont L'Express

publie des extraits,vient enfoncer le clou.

JULIE JOLV,AVEC ANNABEL BENHAIEM

ET LAURIE ZENON

toxiques ? Comment sont-ils évalues ?Les experts sont ils honnêtes ' Atoutes ces questions cruciales, Robin,la fille d'agriculteurs devenue lauréatedu prix Albert Londres, apporte en-fin des réponses Accablantes Ellesseront rendues publiques, le 16 mars,dans un documentaire diffusé surArte ; puis le 24, dans un ouvrage de450 pages Notre poison quotidien(Ed La Découverte). L'Express en aobtenu la primeur, et livre en exclusivité plusieurs extraits de cette en-quête événement (voirpage 80)

Car ce travail de forçat confirme, enfin, les intuitions sourdes auxquellespersonne n'osait croire. Ces dernièresannées, des médecins ont établi unlien entre l'explosion des cancers etles dérives agroalimentaires Les autontes sanitaires ont interdit, aucompte-gouttes, la vente de produitslongtemps présentés comme inoffen-sifs. En 2004 déjà, L'Express, dans unreportage prémonitoire, avait ren-contre des agriculteurs malades despesticides Depuis, des toxicologuesont retrouvé des traces d'engrais et dedésherbants jusque dans le sang des

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BIO Près de 200 000 consommateurs s'approvisionnent désormais dansune Amap (association pour le maintien de l'agriculture paysanne).

>» enfants... Le porte-parole de l'Uniondes industries de la protection desplantes, puissant lobby du secteur, as-sure, lui, que ces « substances sont ac-tuellement utilisées à doses infimes ».

Mais l'on découvre, sidéré, que laFrance est encore le premier consom-mateur européen de ces produits « phy-tosanitaires » - l'appellation rassurantepromue par l'industrie. Elle est même

le pays « qui a demandé le plus dedérogations exceptionnelles pour im-porter des pesticides interdits l'annéedernière : plus de 300 ! » s'étrangleMarie-Monique Robin (voir l'interviewci-contre). La même journaliste se sou-vient, dans les années 1960, de ces jeunespaysans ravis de troquer leur statut de« bouseux » pour celui d'« exploitantsagricoles », quand d'autres tombaient

subitement malades après avoir inhaléces substances censées booster leurs« rendements » (voir le reportage page 84).Il faudra toutefois attendre les scan-dales de la dioxine et de la vache follepour voir naître les premières autori-tés de régulation sanitaire en Europe :lagence française de sécurité sanitairedes aliments (Afssa), en 1999 ; l'Auto-rité européenne de sécurité des ali-ments (Efsa), en 2002. Mieux vaut tard.

Haro sur les tomateszéro défaut

Car, depuis un moment déjà, les mili-tants écolo ne sont plus les seuls à vou-loir changer de crémerie. Chercheurs,paysans, vétérinaires, gastronomes, lesFrançais sont de plus en plus nombreuxà refuser l'agriculture de masse et sestomates zéro défaut, quasi affranchiesdes saisons et des aléas climatiques,mais trop parfaites pour être hon-nêtes... En 2010, plus d'un Européensur deux ne faisait plus confiance auxagriculteurs. Un divorce qui en annonced'autres, tant les mauvaises nouvelless'accumulent. Autour du bisphénol A,par exemple, cette molécule distilléedans les emballages plastiques, inter-dite dans les biberons européens de-puis le 1er mars. Ou de l'aspartame,l'édulcorant chéri des fabricants de so-das lighL, dont les dangers viennentd'être écartés par les autorités sani-taires européennes - contredisant plu-sieurs études récentes.

Sans en attendre davantage, une nou-velle résistance citoyenne s'organise,un peu partout en France. Le nombrede producteurs écolo augmente : ilssont plus de 16 000 aujourd'hui, 6 000de plus qu'il y a trente ans. Les consom-mateurs suivent, chaque année plusnombreux à voter bio. Perdus dans lajungle des labels (voirpage 88), près de200 000 ont même choisi de s'approvi-sionner directement à la source, dansune association pour le maintien del'agriculture paysanne (Amap). Rienqu'en Ile-de-France, ce modeste réseaumilitant croule sous les demandes- plusieurs milliers de clients poten-tiels sont sur liste d'attente. Ceux-làsont prêts à cuisiner des poireaux ter-reux tout l'hiver, plutôt que d'avaler lesmêmes salades industrielles. •Les photos sont issues d'un travail photographiquesur les adhérents d'une Amap

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MARIE-MnMiniICDnmM

« LE DÉBAT SCIENTIFIQUEESTTRONQUÉ»

*„.,> L'industrie empoisonne-t-elle sciemmentnos assiettes ?On sait depuis le début de la révolution industrielle, au xix8 siècle,que les produits chimiques sont toxiques. Mais, dans l'euphoriede l'après-guerre, on a estimé qu'il fallait accepter le coûtsanitaire et environnemental du progrès. Ensuite, les politiquesont laissé l'industrie faire. Il a fallu attendre les scandalesde la vache folle et de la dioxine pour voir le mouvements'inverser à l'échelle mondiale, Enfin, si l'on veut...> Vous n'y croyez pas ?Mon enquête montre que les fabricants minimisent largementles effets de leurs molécules, les cachent parfois, et font toutce qu'ils peuvent pour limiter les contraintes réglementaires.Si leurs découvertes sont protégées par un brevet, personnene peut accéder à leurs données cliniques, en dehors desagences sanitaires. Le débat scientifique est tronqué.> Comment expliquer la faillite des contrôles publics ?Le pouvoir politique n'agit qu'après avoir compté les morts.Comme pour l'amiante et le Mediator, il intervient trop tard.Les experts des autorités de régulation ne sont pas néces-sairement vendus à l'industrie, mais l'idéologie du progrèsest telle que personne n'échappe à son emprise. Songezaussi au poids de l'agro-industrie... En 2010, la France est lepays qui a demandé le plus de dérogations exceptionnellespour l'utilisation de pesticides interdits • plus de 300 !> L'avenir peut-il s'envisager sans produitschimiques ?Non, il n'est pas question de revenir àl'âge de pierre Simplement, les poisonschimiques n'ont rien à faire dans notreassiette. Le bisphénol A contenu dansle plastique des voitures n'est pas trèsinquiétant, personne ne lèche lesportières... En revanche, dans les biberons,les emballages alimentaires, ils fontcourir un risque parfaitement inutile I

• PROPOS RECUEILLIS PAR J. J.

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Des poisonsdans l'assietteParce qu'elle a grandi dans une ferme des Deux-

Sèvres, au milieu des tracteurs et des bidons d'm-secticides, Mane-Momque Robin a voulu savoir.Lever un doute affreux. La journaliste indépen-dante venait de publier Le Monde selon Monsanto,

une enquête inédite sur l'emprise du géant mondial desOGM, également fabricant de pesticides. Elle s'est demandé,tout à coup, si le maniement régulier de ces poisons pouvaitexpliquer la maladie de Parkmson de son jeune cousin Fran-çois, ou encore le cancer du foie qui emporta Maurice, asso-cié de son père. Deux années d'investigation méticuleuse sontvenues confirmer ses pires inquiétudes. Les exploitants sontbel et bien victimes des produits qu'ils répandent. Mais ilsne sont pas les seuls : les simples citoyens mettent aussi leursanté en danger en mangeant fruits, légumes, céréales et

viande issus de l'agriculture dite « moderne ». Poussant sonraisonnement, Marie-Monique Robin s'est intéressée à d'au-tres « miracles » de la chimie, aujourd'hui largement pôle

miques : l'aspartame, répandu dans les plats et les sodasallégés, et le bisphénol A, contenu notamment dans les bi-berons en plastique. Et son verdict est sans appel. La jour-naliste dénonce, là encore, la passivité des autorités de ré-gulation face à la toute-puissance de l'industrie chimique.Notre poison quotidien est une démonstration minutieuse,ardue parfois, mais implacable, dont L'Express publie les ex-traits en exclusivité. • ESTELLE SAGET

LE SCANDALE DE L'ASPARTAMEInstallé dans le magnifique château renaissance de Benti-vogho, à une trentaine de kilomètres de Bologne, l'InstitutRamazzim définit ses programmes de recherche en colla-boration avec le Collège Ramazzim, qui compte cent qua-tre-vingts scientifiques issus de trente-deux pays [...]. De-

puis sa création, le centre de cancérologieenvironnementale a testé quelque deux centspolluants chimiques, comme le benzène, le chlo-rure de vinyle, le formaldéhyde et de nombreuxpesticides. Ses études ont souvent contribué àune baisse des normes d'exposition en vigueur,car leurs résultats sont inattaquables [...].

Les deux études de l'Institut Ramazzim surl'aspartame [ont pourtant été rejetées] parl'Efsa (I) et la FDA (2) et, dans la foulée, partoutes les agences réglementaires nationales[...]. Et je dois dire que j'ai beau tourner les ar-guments de ces autorités dans tous les sens, ilsne parviennent pas à me convaincre. . Publiéeen 2006, la première étude portait sur I 800 rats,qui ont ingéré des doses journalières d'aspar-tame comprises entre 20 mg/kg et 100 mg/kg,depuis l'âge de huit semaines jusqu'à leur mortnaturelle. Résultat : une augmentation signifi-

cative, corrélée à la dose, des lymphomes, leucémies et tu-meurs rénales chez les femelles, et des schwannomes(tumeurs des nerfs crâniens) chez les mâles. « Si nous

« L aspartame est une boîte de Pandore : si elle s'ouvre, c'est toutle système qui risque d'exploser. »

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ALARMANT Dans /Votre poison quotidien, la journaliste Marie-Monique Robin dénonce la passivitédes autorités de régulation face a la toute-puissance de l'industrie chimique.

avions tronqué l'expérience en l'arrêtant à deux ans [commele font les industriels], nous n'aurions sans doute pas pumontrer le potentiel cancérigène de l'aspartame », écri-vent les auteurs dans leur publication [..].

En 2007,1 équipe du docteur Soffntti a publié une secondeétude, encore plus inquiétante que la première. Cette foisci, 400 rates en gestation ont été exposées à des doses journalières d'aspartame de 20 mg/kg et de 100 mg/kg et leursdescendants ont été suivis jusqu'à leur mort. « Nous avonsconstaté que quand l'exposition commence pendant la viefœtale, le risque d'av oir les rumeurs observées lors de la pre-mière étude augmente de manière très significative, a com-menté Morando Soffntti. S'y ajoute l'apparition de tumeursmammaires chez les descendantes femelles Nous estimonsque ces résultats devraient conduire les agences réglemen-taires à agir au plus vite, car les femmes enceintes et les enfants sont les plus grands consommateurs d'aspartame »

Tout indique que, par-delà les enjeux économiques, l'as-partame est devenu une forteresse inexpugnable, ainsi quele souligne Erik Millstone [universitaire britannique spé-cialiste des politiques de santé publique], l'indéfectiblepoil a gratter des agences réglementaires • « Si elles admettent qu'elles ont fait une erreur, cela entraînera uneperte de confiance [..] Il y a des gens qui risquent de direpeut-être n'avez-vous pas fait une seule, mais plusieurs er-reurs , et peut-être que tout le processus est défectueux 'L'aspartame est une boîte de Pandore • si elle s'ouvre, c'esttout le système qui risque d'exploser. »

L'AVEUGLEMENT SUR LE BISPHÉNOL A« Comment expliquez-vous que IMssa (3), l'agence fran-

çaise, ou l'tfsa, lAutonté européenne, ou encore la FDA,s'accrochent à la DJA [dose journalière acceptable] de0,05 mg/kg, alors que des centaines d'études sur le bis-phénol A montrent des effets a des doses bien inférieures ? »La question a fait sourire Linda Birnbaum, la directrice duNational Institute of Environmental Health Sciences (NIEHS)qui m'a reçue, le 26 octobre 2009, dans son bureau, ornédu drapeau étoile, du Research Triangle Park (Caroline duNord) [ ] « Pourquoi ' a t-elle répété, en cherchant visi-blement ses mots. Parce que ces agences n'ont pas exa-miné les nouvelles données, c'est le problème [..] Au coursdes dernières années, une quantité énorme de données aété publiée dans la littérature scientifique qui montre quele bisphenol A produit des effets sur les organismes en dé-veloppement à des niveaux d'exposition extrêmement basJe pense que le fait d'ignorer ces nouvelles données nerelève pas d'une attitude scientifique .. »

La franchise de Lmda Birnbaum m'a carrément sidérée,car je ne m'attendais pas à ce que la directrice du plusgrand organisme de recherche publique des Etats-Unislance un tel pave dans la mare des agences réglemen-taires, même si elle a une réputation de scientifique rigoureuse et intransigeante sur l'éthique professionnelle[. [ .En 2007, cette toxicologue renommée a signé avectrente-sept autres scientifiques une « déclaration deconsensus » sur le bisphenol A, qui fut soutenue par

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PÉRIL Pour la journaliste, les citoyens mettent leur santé en danger en ingérant des produits issus de l'agriculturedite « moderne ». Ici, des écologistes dans une mise en scène des pratiques de l'industrie avicole.

>» le NIEHS. « L'étendue des effets nocifs observés surdes animaux de laboratoire exposés à de faibles doses debisphénol A pendant la vie fœtale et adulte constitue unecause d'inquiétude, en raison des effets similaires po-tentiels qui pourraient affecter les humains», écrivent-ils dans leur conclusion. [...]

Un an plus tard, Linda Birnbaum était associée à la ré-daction d'un volumineux rapport sur le bisphénol A pu-blié par le très officiel National Toxicology Program [NTP].Dans ses conclusions, le NTP admettait, avec la prudencede rigueur, une « certaine préoccupation pour les effetsneurologiques et comportementaux sur les fœtus, nour-rissons et enfants aux niveaux d'exposition courants, ainsique pour les effets sur la prostate, la glande mammaire etl'âge de la puberté chez les sujets féminins ».

Le ton était certes très mesuré, mais le gouvernement ca-nadien ne s'y est pas trompé : peu de temps après la pu-blication du rapport préliminaire du NTP, il annonçait lasuspension immédiate de la vente de biberons contenantdu bisphénol A [...].

« Quel est l'enjeu du bisphénol A ? ai-je finalement

demandé à André Cicolella [toxicologue, porte-parole del'association Réseau environnement santé].

- Si le bisphénol A est devenu une substance embléma-tique, c'est parce qu'il incarne la nécessité d'un change-ment de paradigme pour l'évaluation des produitschimiques, m'a-t-il expliqué. La réglementation actuellerepose sur des concepts des années 1970, complètementinopérants pour des substances comme les perturbateursendocriniens [...]. On a formé des générations de toxico-logues avec l'idée que "c'est la dose qui fait le poison" ; oron s'aperçoit aujourd'hui que, pour de nombreuses subs-tances, c'est la période - et, parfois même, la journée - quifait le poison. La formation des testicules se fait par exem-ple le quarante-troisième jour de la grossesse : ce jour-là,il vaut mieux que la femme enceinte évite d'avoir une ex-position à des molécules qui ont un impact testiculaire... »

LES SECRETS BIEN GARDÉSDES FABRICANTS DE PESTICIDES« J'ai pu examiner la liste des études que vous a fourniesDow AgroSciences, le fabricant du chlorpyriphos-méthyl

« La réglementation actuelle repose sur des concepts des années 1970,complètement inopérants. »

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[un insecticide utilisé pour les fruits]. C'est très intéres-sant, car elles sont toutes "non publiées" et couvertes parla "protection des données". Est-ce toujours le cas ? » Maquestion a fait sourciller le professeur Angelo Moretto,un neurotoxicologue italien qui présidait le JMPR (4) lorsde la session de septembre 2009. Toutes ces études sontcitées avec la mention « unpublished », alors qu'un para-graphe introductif souligne que « le fabricant a demandéla protection des données » [...]. Après avoir longuementexaminé le document, Angelo Moretto finit par lâcher :« Oui, c'est fort possible... Les études fournies par l'in-dustrie au JMPR ou aux autorités nationales sont des don-nées protégées par une clause de confidentialité. Mais sivous consultez les documents produits par le JMPR aprèsles sessions d'évaluation ou par les autorités nationales,vous trouverez de larges résumés de ces données...

- Des résumés, mais pas les données brutes ?- Non, pas les données brutes, car elles appartiennent

au fabricant... Vous devez donc faire confiance à la ving-taine d'experts du JMPR, qui sont venus du monde entieret ont été choisis pour leur expertise, pour l'analyse et l'in-terprétation correcte des données...

- Et il n'y a aucune raison de ne pas vous faire confiance ?-J'espère bien que non ! » a conclu le président du JMPR,

avec un sourire forcé [...].J'ai également abordé cette délicate question avec An-

gelika Tritscher, la secrétaire du JMPR et du Jecfa (5), qui

joue à ce titre un rôle central dans l'organisation du pro-cessus d'évaluation [...].

« Franchement, je ne vois pas vraiment ce que le publicpourrait faire de toutes ces données : ce sont des milliersde pages..., m'a-t-elle répondu.

-Je ne parle pas du public au sens large, mais, par exem-ple, d'une organisation de consommateurs ou environ-nementale qui voudrait vérifier les données toxicologiquesd'un pesticide. Pourquoi celles-ci sont-elles couvertes parle secret commercial ?

- C'est à cause de la protection des droits de propriétéintellectuelle... Ce sont des problèmes légaux. Les donnéessont privées et appartiennent à l'entreprise qui les trans-met. Nous n'avons pas le droit de les communiquer à unetierce partie...

- Le fait que les données sont protégées alimente le doutequant à leur validité et sape la confiance qui est basée surla transparence...

- Bien sûr ! Je comprends tout à fait votre remarque, car ona l'impression que nous avons quelque chose à cacher », a re-connu Angelika Tritscher, avec une surprenante franchise. •

Copyright Arte éditions/La Découverte

(1) Efsa Autorité européenne de sécurité des aliments(2) FDA agence américaine chargée de la sécurité des aliments et des médicaments.13) Afssa l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, rebaptiséeAnses en 2010(4) JMPR comité d'experts sur les résidus de pesticides institué par l'Organisationmondiale delà santé et l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation (PAO )(5) Jecfa. comité équivalent du précédent pour les additifs alimentaires

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Malades du progrèsLes produits chimiques utilisés dans l'agriculture peuvent causer

de graves pathologies, parfois mortelles. Aujourd'hui,des paysans se battent pour briser le tabou. Témoignages.

DELPHINE SAUBABER - PHOTOS : JEAN-LUC BERTINI POUR L'EXPRESS

DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE

Parler, pour la première fois,de ce corps qui s'érode ets'épuise. Du lourd soupçon.De ce métier qui le tue, de-puis des années, à bas bruit.

Frédéric Ferrand, 40 ans, s'est décidé àsauter le pas. « Parce qu'il faut briserl'omerta. Parce qu'un paysan, ça necause pas », murmure-t-il, ce soir de fé-vrier, le teint hâve, flottant dans son pullblanc, dans la cuisine de la vieille mai-son de pierre charentaise, entouré deses parents, Jacky et Marie-Rosé.

Ce jour d'avril 2010, quand l'urologue,dans son cabinet d'Angoulême, lui ademandé : « Vous faites quoi, comme

métier ? », Frédéric a répondu, sans ypenser : « Viticulteur. » La vigne. Sapassion, son « sang », comme il dit,l'héritage de sa famille, sur ces terresde cognac bénies des dieux. « Encoreun », a lâché le médecin, d'un air las.Encore un quoi ? Un cancer de la ves-sie. Niveau Ï4, le plus élevé, métastasé.Un an, bientôt. Un an depuis qu'il s'est

réveillé un matin en « pissant le sang »et Frédéric n'arrive toujours pas à ycroire. Six chimiothérapies, des mursblancs à l'infini, et, à l'âge où l'on bouffela vie, lui qui doit lutter chaque jourun peu plus. « L'été dernier, à l'institutBergonié, à Bordeaux, j'ai croisé unedizaine de viticulteurs qui avaient la

même maladie que moi... Mais eux n'enparlent pas. » Comment y croire, seu-lement ? Ils se sont tués au travail, etmaintenant c'est le travail qui les tue !Et ce sont ces maudits pesticides, tantvantés hier, qui leur auraient inoculé lepoison ? « On avait tous confiance dansces produits ! » dit Frédéric, les yeuxécarquillés comme au premier jour desa vie. Pendant des années, il en a ma-nipulé des bidons, des mixtures, poursoigner ses plants de vigne, à mainsnues, sans masque. Sans savoir. « Surles étiquettes, il n'y avait rien de mar-qué, même pas qu'on devait mettre desgants ! » Le marchand de produits fai-sait son tour annuel. 11 arrivait avec sa

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camelote et délivrait son ordonnance,pas gratuite, assortie d'un planning,avec l'air sentencieux d'un professeurde la Sorbonne. Contre le mildiou, duPolyram ; contre l'oïdium, du Greman ;contre les acariens, du Mageos... « IIfaut tout traiter », il disait. Et Frédéricallongeait. A grands frais. Il aurait toutfait, pour sa vigne. Se casser le dos dansles vendanges, se lever avant le soleil,oui, tout plutôt que ces parasites quidévoraient les feuilles de son enfance.Aujourd'hui, dans la grande maison

de pierre, Jacky Ferrand, un moustachuà l'air bonhomme, est convaincu quec'est un dérivé du benzènequi a empoisonné son fils.Il croise et décroise les bras,de rage, de culpabilité, cepère, élevé comme tantd'autres paysans, dans leculte des engrais chimiquesqui allaient révolutionnerl'agriculture et le mondeaprès la Seconde Guerremondiale, aider à produirede la nourriture en abon-dance et bon marché. « Ona été formatés, abreuvés deproduits phytosanitaires,s'embrase-t-il. Depuis lelycée agricole, on m'a dit :"Les engrais font pousser !" »Fini, le malheureux sulfatede cuivre pour braver le mil-diou. « La chimie de syn-thèse, c'était miraculeux ! Ony croyait dur comme fer.Alors il faut bien l'admettre, on estcoresponsables de ce qui se passe... »

Et son fils Frédéric, qui croyait en avoirfini avec les blouses blanches. A l'âge de4 ans, il avait déjà eu une leucémie. « Maisil était guéri ! », martèle Jacky. A ses cô-tés, Marie-Rosé se mord les lèvres. Avecson mari, elle est allée rechercher lesfactures de tous les produits qu'ils ontpulvérisés depuis 1991, pour demanderà la Mutualité sociale agricole (MSA)une reconnaissance de maladie profes-sionnelle pour Frédéric. A les empilerles uns sur les autres, ils pourraient enfaire une pyramide aztèque.

Il y a deux mois, Jacky a aussi empoi-gné son téléphone pour appeler PaulFrançois. Paul François, c'est un autregrand brûlé de cette agriculture inten-sive qui devait rendre le travail moins

pénible. Un autre ancien croisé de lachimie triomphante, qui, le 19 mars, àRuffec (Charente), 3 500 habitants, fon-dera, avec quelques-uns, des médecinset des juristes, une association dedéfense des victimes des pesticides.Le début d'une longue bataille.

Sa vie à lui a basculé au bord d'unecuve. A midi, ce 27 avril 2004, Paul Fran-çois, l'exploitant céréalier, s'approchedu récipient, histoire de vérifier que lacuve de son pulvérisateur a bien étérincée par le nettoyage automatique.Erreur. Des résidus de Lasso - un dés-herbant de Monsanto retiré du marché

COMBAT Frédéric Ferrand, 40 ans, viticulteur à Gondevilleest atteint d'un cancer métastasé de la vessie.

français en 2007 -, et notamment dernonochlorobenzène, chauffés par lesoleil, se sont transformés en gaz. Sen-sation brutale d'échauffement. Brouil-lard. Il bredouille à sa femme : « J'ai faitune mauvaise manip, je suis bon pourune colique. » La suite, ce sera quatrejours à cracher du sang. Les urgencescontactent le Centre antipoison de Bor-deaux, qui juge inutile de faire des pré-lèvements sanguins. En juin, Paul Fran-çois remonte sur son tracteur... Pours'écrouler quelques mois plus tard, unsoir de novembre 2004. Des mois d'hos-pitalisation, trimbalé d'examen en exa-men. On le dit en dépression, épilep-tique, perclus de troubles neurologiques.Il a même droit à un test psychiatrique.« J'en pouvais plus de ne pas savoir. »On finit par lui trouver des traces de

rnonochlorobenzène métabolisé dansle sang... Et tout juste si on ne le sus-pecte pas de se shooter au désherbant,entre deux comas.

Sa rémission, Paul François la devra àun médecin, qui lui prescrit le mêmetraitement que celui reçu par le prési-dent ukrainien loutchenko, au visagegrêlé par la dioxine. Et il se remet, peuà peu. Mais à 47 ans, lui qui gère encoreses 240 hectares de terres a dû diminuerde moitié son activité, assailli de grandscoups de pompe, de contractures. Il aquand même trouvé l'énergie de s'at-taquer, en 2007, à la firme géante Mon-

santo - sa plainte est tou-jours en attente au tribunalde Lyon - et de batailleravec la MSA pour qu'on lereconnaisse, lui aussi, enmaladie professionnelle.Soupir : « C'est pas sim-ple... » Mais il n'est pas dugenre à larmoyer, Paul. « IIy en a d'autres qui sontmorts », coupe-t-il. Commeson ami Yannick Chenet,qui s'était associé avec luiet quelques autres à un pre-mier SOS, « l'appel de Ruf-fec », il y a un an. Lui est dé-cédé le 15 janvier. A 45 ans.A peine un mois et demi

plus tard, sa jeune veuve,Caroline Chenet, est venuede Charente-Maritime voir

les Ferrand, dans leur mai-son de Gondeville. Pour

s'obliger à raconter le calvaire de sonmari, aider à « libérer la parole » et adhé-rer à l'association, elle aussi. Des yeuxcernés de fatigue, un visage auréolé defrisures blondes. Elle s'est assise en boutde table, face à Frédéric. Ils font connais-sance par un long regard. « On se com-prend... », articule le viticulteur.

C'est au hasard d'une prise de sang,en 2002, que Yannick Chenet apprendqu'il a une leucémie myéloïde aiguë detype 4. Yannick, un gars charpenté quine vit que de grand air, en chambre sté-rile ? Le coup de massue. Caroline sejette sur Internet Compulse des dizainesde sites, de monographies scientifiques.Pour s'en persuader : c'est le benzène.Durant huit ans, elle va tenir à bout debras, avec son mari malade, les 260 hec-tares d'exploitation et les 180 vaches.

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SOLIDARITE Marie-Rosé (à g.) et Jacky Ferrand (à dr), viticulteurs, entourent leur fils Frédéric, atteint d'un cancer,et Caroline Chenet, veuve d'un agriculteur décédé le 15 janvier d'une leucémie myéloide aiguë.

>» Elle voit les bonnes âmes se rallierà eux, et tous les autres s'éloigner, surla pointe des pieds. La maladie, « liéeaux produits », les exile d'un mondepaysan qui se tait, pendant que Yannickrefuse d'admettre qu'il en crève. Il nepeut pas. « C'était impensable, souffleCaroline, en cachant ses larmes dansses mains. Il ne s'était jamais protégépour faire les traitements... » Son seulréconfort, à Yannick, c'est d'aller chu-choter, dans le calme du petit matin, àl'oreille de sa Lurette, sa vache préférée,de prendre sa voiture pour aller voircomme le ciel est bleu, de contemplerses deux filles qui grandissent. Jusqu'àce qu'on lui reconnaisse la maladie pro-fessionnelle, en 2006. Il se rend à l'évi-dence. D lui reste quatre ans à vivre, qua-tre ans durant lesquels il ne guérirajamais du remords de ne pas avoir su.

Avant qu'on reconnaisse le mal quirongeait son mari, il restait à CarolineChenet, à chaque fin de mois, 700 eu-ros pour faire vivre la famille. Ensuite,l'administration leur a octroyé royale-ment 750 euros mensuels, soit la moi-tié de la paie du salarié qui l'aide, main-tenant quelle est seule.

Elle le harcèle, pour qu'il mette desgants, un masque et la « camisole deforce », sourit-elle. Elle a réduit de moi-tié la quantité des produits utilisés,

balancé tous les désherbants. Surtout,elle va reconvertir toute l'exploitationau bio. « C'était en projet, avec Yan-nick », dit-elle, en lissant nerveusementla nappe. Elle s'y emploiera avec un au-tre agriculteur qui a déjà fait sa révo-lution. Mais d'abord, il faut remettre àflot la trésorerie, car les bons sentimentsne vont pas payer le matériel à acheter.« On perdra en rende-ment et il faudra tenir. »Mais elle s'accrochera.Pour Yannick. Pour toutle monde. Ce qui tenail-lait le plus son mari, à lafin, c'était d'imaginerqu'il avait peut-êtrerendu des gens malades,des consommateurs. Unjour, elle l'a vu s'effon-drer, en pleurs : «J'espère que je n'ai tuépersonne... »

Dans la cuisine, on n'entend plus quele feu de bois qui crépite faiblement.Jacky, Caroline et les autres ne peuventpas en dire beaucoup plus. Que vaut laparole d'une poignée de paysans face àla puissance des grands groupes agro-alimentaires ? « Et puis, c'est très com-pliqué, pour nous avec la vigne, depasser au bio, murmure Jacky. Il fautplusieurs saisons... » En attendant, iln'asperge plus ses salades de pesticides.

"ON PENSEQUE C'EST LESPESTICIDES, MAISPAPA NE VEUTRIEN ENTENDRE"

A Ruffec, Paul François, lui, a toujoursdroit à des mots aimables : « Arrête. Tunous fais de la mauvaise publicité. »Mais il ne se passe plus quarante-huit heures sans un appel au secours,affirme-t-il. D'une épouse, d'un parentdésemparé. Comme ces enfants d'unhomme rongé par une leucémie : « Onpense que c'est les pesticides, mais papa

ne veut rien entendre.Il dit : "Ce métier m'anourri, vous a payé vosétudes. Si je suis malade,c'était le prix à payer..." »Paul François hausse lesépaules : «J'ai aussi ren-contré deux ou trois fa-milles qui ont reçu lavisite d'intermédiaires :"II vaut mieux un com-

promis qu'un mauvais procès..." »Ce matin de février, justement, un

marchand de produits est passé voirFrédéric Ferrand. Il lui a proposé despotions moins toxiques. Et un sca-phandre digne d'un cosmonaute. Quicoûte une forlune. Mais Frédéric n'a pasl'intention de s'habiller dans ses vignescomme pour aller sur la Lune. « Si pournous, c'est trop tard, il faut parler pourles autres, les générations à venir »,conclut-il, dans un doux sourire quiressemble à une délivrance. • D. s.

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Dans la jungledes labelsII faut lire avec attentionles étiquettes apposées surles produits dits sains. L'Expressa déjoué quelques pièges.

Difficile de se repérer dans la pléthore de labelsen tous genres... Certains ne se préoccupentque des conditions de production, d'autres ci-

blent uniquement des qualités gustatives, d'autres en-fin ne signifient rien du tout ! Pis • selon une étude del'Agence européenne pour la sécurité des aliments,qui sera publiée en juin prochain, 80 % des allégations« santé » inscrites sur les emballages n'ont, en réalité,aucune validité scientifique. Quant aux grandes marquesde distribution, qui se sont lancées dans ce créneausi rentable, elles ont chacune leurs propres exigences.Vérifiez donc systématiquement si l'un des labelsmentionnés ci-dessous figure également sur le produit.

• VINCENT OLIVIER ET L AU RIE ZENON

LES LABELS BIO

Créé en 1985, c'est le label officiel du bio français,certifié par l'un des six organismes agréés (Ecocert,Qualité France, Ulase, Aclave, Agrocert, SGS-ICS)C.itiinlit la présence d'au moins 95 % d'ingré-dients issus de l'agriculture biologique Le pro-duit est sans OGM à 99,1 % (le 0 9 % restant est admis en cas decontamination fortuite) L'utilisation des produits chimiquesde synthèse est interdite Pour les animaux, acces au plein air etrecours limité au vétérinaire et aux médicamentsNe garantit pas l'absence d'engrais ou de traitements chimiques,qui peuvent être utilises pour la conservation, en quantité limitéeet selon des normes défîmes

...et Label bîo européenCréé en juillet 2000, il est l'équivalent du label AB français Depuis le 1er juillet Z010, ilest aussi obligatoire pour tous les produitsvendus en Europe souhaitant bénéficier del'appellation « issu de l'agriculture biologique »

Lance par une fédération de consommateurs et deprofessionnels en 1964, il est certifie par l'ensem-ble de ses membres Exigeant, mais peu répanduGditiniit une conversion totale de l'exploitationau « bio » (sans pesticides, sans OGM ni engraischimiques de synthèse).Ne garantit pas l'absence de fertilisants

NATURESPROGRES

Bio cohérenceLabel privé, créé en 2010 à l'initiative de grandsacteurs de l'agriculture biologique (Fédération na-tionale d'agriculture biologique, magasins Biocoopet Biomonde, les Eleveurs bio de France, etc ), ilest certifie par les organismes agréesGarantît le pourcentage de 100 % d'ingrédients bio dans les pro-duits transformes (contre 95 % pour AB) et l'interdiction totaledes traces d'OGM La moitié au moins de l'alimentation des ani-maux provient de la ferme, 80 % pour les herbivoresNP gâtant il p,is les autodiagnostics effectues par les agriculteurset les éleveurs, non contrôlés par les organismes agréés

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LES FAUXLABELSVoici quelques expressionsqui ne veulent rien dire, et encoremoins que le produit est meilleur,sur le plan nutritionnel ou sanitaire.-100 % naturel-Riches en fibres-Elu produit de l'année-Sans cholestérol- Pauvre en matières grasses- Bon pour la santé- Sans arôme artificiel-Comme à la maison- Testé et apprécié

par les consommateurs- Participe à la vitalité physique

et intellectuelle-Aide à atteindre

les recommandationsjournalières en hydratation

EMBALLAGESDans les rayons

alimentaires,la profusion

d'étiquettes estparfois source de

confusion pourle consommateur.

LES LABELS QUALITE

Label officiel de qualité su-périeure depuis 1965, certifiépar un organisme agréé parun arrêté interministériel.Gafanliî une qualité « supé-rieure » à son équivalent sur le marché. A toutesles étapes de la production et de l'élaboration, destests de goût, d'odeur, de couleur, d'aspect, de consis-tance sont obligatoires.NP garantit p.^ le respect de certains critères envi-ronnementaux, ni l'absence d'OGM.

âOCL'appellation d'origine contrô-lée existe depuis 1935. Elle dé-pend de l'avis de la Commis-sion nationale des labels et descertifications de produits agri-coles et alimentaires.Garantît l'origine du produit, son pays, sa région ouson terroir (exemples : fromage de Roquefort, olivesdeNyons...)Ne garantit pas : l'absence de produits chimiqueset d'OGM.

IBPL'indication géographiqueprotégée, qui date de 1992,est moins stricte que l'AOC.tj,»Miitit le lieu précis de pro-venance du produit et descaractéristiques gustatives.Ne i ' . ï i . ïrtt i î p.i\ la non-utili-sation de traitements chimiques.

et aussi...STB Le sigle pour « spécialité traditionnellegarantie », logo européen indiquantun mode de production « traditionnel »,garantit le mode de fabrication,mais ni le lieu ni les produitsde traitement utilisés.i II garantit la provenance du produit,avec un cahier des charges précisantles techniques et le lieu de fabrication, ainsique la provenance des matières premières.Dénomination délivrée par le préfet de régionaprès consultation de la Commissionrégionale des produits agricoles de qualité.