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OTIUM Dans leur vie quotidienne, les Romains distinguent deux temps : le temps du travail, des affaires, des obligations politiques et sociales, appelé negotium, et, par opposition, loin des affaires et de la vie politique, le temps du loisir, où l’on prend du temps pour soi, appelé otium. Jusqu’à la fin des guerres puniques, cette conception de l’otium est étrangère aux Romains. Jusque là, le temps libre des citoyens est absorbé par la gestion, la protection et le maintien de la cité. Mais après sa victoire sur les Carthaginois, Rome a imposé sa puissance, les richesses affluent, les contacts avec les peuples conquis se multiplient et un élargissement culturel et intellectuel s’opère. Ce sont les Grecs qui apportent cette notion d’otium à Rome. La méfiance des Romains est d’autant plus grande que les Grecs véhiculent à leurs yeux l’image d’un peuple oisif, donc méprisable : les Romains se méfient du relâchement de l’effort. Cette notion d’otium pose donc d’abord problème : la vocation de tout Romain libre n’est-elle pas de se consacrer aux affaires publiques ? Le citoyen romain, au service de la res publica, peut ressentir l’otium, un temps accordé à soi-même, comme un temps volé à la communauté. Comment alors, peut-il occuper ce temps de loisir en restant fidèle aux codes moraux du mos majorum ? Selon les philosophies, l’otium est tour à tour critiqué ou souhaité : critiqué quand il est paresse, inaction, désoeuvrement; souhaité quand il devient un loisir culturel, une réflexion, une méditation. L'otium devient alors honestum; il représente la liberté intellectuelle, la pause nécessaire pour mieux réfléchir à l'avenir, aux affaires, et devient même un privilège indispensable pour exercer les activités du citoyen, participer au brassage des idées et contribuer à la vie de la cité. A chaque homme de choisir ce qu’il fait quand il est libéré de ses affaires quotidiennes et livré à lui-même : l’otium constitue un choix de vie. Vocabulaire - amphitheatrum, i, n. : l’amphithéâtre - circus, i, m. : le cirque - codex, icis, m. : la tablette à écrire, le livre, le registre - cursus, us, m. : la course - forum, i, n. : le forum - honestus, a, um : honorable, digne de considération, d’estime - liber, libri, m. : le livre, l’ouvrage, le traité - litterae, arum, f.pl. : la lettre, l’écrit - ludi, orum, m. : les jeux - mollitia, ae, f. : la faiblesse de caractère, la mollesse, la vie efféminée - negotium, ii, n. : l’occupation, le travail, l’affaire - otium, ii, n. : le loisir, le repos loin de la vie des affaires et de la vie politique - recitatio, onis, f. : la lecture - theatrum, i, n. : le théâtre - thermae, arum, f. : les thermes Dans son ouvrage intitulé les Tusculanes , Cicéron réfléchit à la façon de concilier au mieux otium et negotium. Il conclut que l’otium est essentiel à la réflexion intellectuelle s’il s’accompagne de dignitas. Ainsi Cicéron met-il à profit le temps de l’exil, après l’affaire Catilina pour s’adonner à un otium negotiosum et litteratum (littéraire) : il En ville, les Romains consacrent leur matinée aux activités civiques et leurs après-midi à un loisir commun à tous, sans distinction de classe sociale, les bains, ou thermae. Les thermes ont d’abord pour fonction d’assurer l’hygiène publique, et deviennent progressivement l’un des principaux lieux de délassement raffiné , en proposant à la fois soins du corps et plaisirs de l’esprit : sur les jardins des thermes s’ouvrent, bibliothèques, musées, salles de conférence. Le Forum est l’espace de la vie civique et du negotium par excellence puisqu’il est la scène de la vie politique : s’y tiennent les réunions, les assemblées du peuple et les tribunaux. Mais la place sert aussi à accueillir les badauds et les oisifs qui s’y promènent, y flânent, y bavardent; c’est aussi un espace dédié à l’otium. Dans le calendrier romain, certains jours sont fériés (feriae) pour célébrer les fêtes religieuses. C’est l’occasion pour le peuple romain de prendre du repos et de se réjouir en assistant à différents spectacles : courses de char dans les cirques, jeux scéniques donnés dans les théâtres, spectacles variés dans les amphithéâtres (chasses, combats de gladiature, naumachies). Dans l’histoire morale romaine, la culture de l’effort est importante. Dans les écrits de Caton l’Ancien, garant du mos majorum, l'industria, vertu active du laboureur, a une place centrale : il s’agit de l’art d'utiliser les moindres instants, et tout relâchement est une «rouille» qui ôte à l'âme son ressort. Complète les phrases avec des mots dérivés de negotium ou otium. - Après une discussion animée, il a mené à bien ses ______________________ . - Cette personne ne fait rien de ses journées; elle vit dans l’ ________________. - Ce marchand a fait de bonnes affaires. C’est un excellent _______________ . Traduis et explique cette expression : « in otio de negotiis cogitare ». Commente cette citation de Cicéron extraite de Pour Plancius, XXVII, 66.

OTIUM Dans leur vie quotidienne, les Romains distinguent deux temps : le temps du travail, des affaires, des obligations politiques et sociales, appelé

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OTIUMDans leur vie quotidienne, les Romains distinguent deux temps : le temps du travail, des affaires, des obligations politiques et sociales, appelé negotium, et, par opposition, loin des affaires et de la vie politique, le temps du loisir, où l’on prend du temps pour soi, appelé otium.

Jusqu’à la fin des guerres puniques, cette conception de l’otium est étrangère aux Romains. Jusque là, le temps libre des citoyens est absorbé par la gestion, la protection et le maintien de la cité. Mais après sa victoire sur les Carthaginois, Rome a imposé sa puissance, les richesses affluent, les contacts avec les peuples conquis se multiplient et un élargissement culturel et intellectuel s’opère. Ce sont les Grecs qui apportent cette notion d’otium à Rome. La méfiance des Romains est d’autant plus grande que les Grecs véhiculent à leurs yeux l’image d’un peuple oisif, donc méprisable : les Romains se méfient du relâchement de l’effort.

Cette notion d’otium pose donc d’abord problème : la vocation de tout Romain libre n’est-elle pas de se consacrer aux affaires publiques ? Le citoyen romain, au service de la res publica, peut ressentir l’otium, un temps accordé à soi-même, comme un temps volé à la communauté. Comment alors, peut-il occuper ce temps de loisir en restant fidèle aux codes moraux du mos majorum ?

Selon les philosophies, l’otium est tour à tour critiqué ou souhaité : critiqué quand il est paresse, inaction, désoeuvrement; souhaité quand il devient un loisir culturel, une réflexion, une méditation. L'otium devient alors honestum; il représente la liberté intellectuelle, la pause nécessaire pour mieux réfléchir à l'avenir, aux affaires, et devient même un privilège indispensable pour exercer les activités du citoyen, participer au brassage des idées et contribuer à la vie de la cité.

A chaque homme de choisir ce qu’il fait quand il est libéré de ses affaires quotidiennes et livré à lui-même : l’otium constitue un choix de vie.

Vocabulaire

- amphitheatrum, i, n. : l’amphithéâtre- circus, i, m. : le cirque- codex, icis, m. : la tablette à écrire, le livre, le registre- cursus, us, m. : la course- forum, i, n. : le forum- honestus, a, um : honorable, digne de considération, d’estime- liber, libri, m. : le livre, l’ouvrage, le traité- litterae, arum, f.pl. : la lettre, l’écrit- ludi, orum, m. : les jeux- mollitia, ae, f. : la faiblesse de caractère, la mollesse, la vie efféminée- negotium, ii, n. : l’occupation, le travail, l’affaire- otium, ii, n. : le loisir, le repos loin de la vie des affaires et de la vie politique- recitatio, onis, f. : la lecture- theatrum, i, n. : le théâtre- thermae, arum, f. : les thermes

Dans son ouvrage intitulé les Tusculanes, Cicéron réfléchit à la façon de concilier au mieux otium et negotium. Il conclut que l’otium est essentiel à la réflexion intellectuelle s’il s’accompagne de dignitas. Ainsi Cicéron met-il à profit le temps de l’exil, après l’affaire Catilina pour s’adonner à un otium negotiosum et litteratum (littéraire) : il consacre ce temps à l'écriture de traités. L’étude, la création littéraire ou philosophique font partie de l’otium.

En ville, les Romains consacrent leur matinée aux activités civiques et leurs après-midi à un loisir commun à tous, sans distinction de classe sociale, les bains, ou thermae. Les thermes ont d’abord pour fonction d’assurer l’hygiène publique, et deviennent progressivement l’un des principaux lieux de délassement raffiné , en proposant à la fois soins du corps et plaisirs de l’esprit : sur les jardins des thermes s’ouvrent, bibliothèques, musées, salles de conférence.

Le Forum est l’espace de la vie civique et du negotium par excellence puisqu’il est la scène de la vie politique : s’y tiennent les réunions, les assemblées du peuple et les tribunaux. Mais la place sert aussi à accueillir les badauds et les oisifs qui s’y promènent, y flânent, y bavardent; c’est aussi un espace dédié à l’otium.

Dans le calendrier romain, certains jours sont fériés (feriae) pour célébrer les fêtes religieuses. C’est l’occasion pour le peuple romain de prendre du repos et de se réjouir en assistant à différents spectacles : courses de char dans les cirques, jeux scéniques donnés dans les théâtres, spectacles variés dans les amphithéâtres (chasses, combats de gladiature, naumachies).

Dans l’histoire morale romaine, la culture de l’effort est importante. Dans les écrits de Caton l’Ancien, garant du mos majorum, l'industria, vertu active du laboureur, a une place centrale : il s’agit de l’art d'utiliser les moindres instants, et tout relâchement est une «rouille» qui ôte à l'âme son ressort.

Complète les phrases avec des mots dérivés de negotium ou otium.- Après une discussion animée, il a mené à bien ses ______________________ .- Cette personne ne fait rien de ses journées; elle vit dans l’ ________________.- Ce marchand a fait de bonnes affaires. C’est un excellent _______________ .

Traduis et explique cette expression : « in otio de negotiis cogitare ». Commente cette citation de Cicéron extraite de Pour Plancius, XXVII, 66.Ecquid ego dicam de occupatis meis temporibus, cui fuerit ne otium quidem umquam otiosum? Que dirai-je de mes occupations, moi qui, dans mon repos même, ne suis jamais resté oisif?