6
Château Romanin Anne-Marie et Jean-Louis Charmolüe ont eu le coup de foudre pour ce lieu magique et historique situé aux pieds des Alpilles en Provence. Visite guidée d’une cathédrale troglodyte unique au monde. PAR ORIANNE NOUAILHAC PHOTOS FRANÇOIS POINCET UN GRAND RÊVE PROVENÇAL CET ARTICLE EST PARU DANS LE N°18 - AUTOMNE 2014 V IGNERON

Mise en page 1 - vigneron-mag.com · 80 Vigneron AUTOMNE 2014 AUTOMNE 2014 Vigneron 81 C e fut un véritable coup de foudre. Sans demi-mesure. ... ajouté un peu de roussanne, nous

  • Upload
    vudien

  • View
    216

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Château RomaninAnne-Marie et Jean-Louis Charmolüe ont eu le

coup de foudre pour ce lieu magique et historique situé aux pieds des Alpilles en Provence. Visite guidée d’une cathédrale troglodyte unique au monde.

PAR ORIANNE NOUAILHAC PHOTOS FRANÇOIS POINCET

UN GRAND RÊVE PROVENÇAL

CET ARTICLE EST PARU DANS

LE N°18 - AUTOMNE 2014VIGNERON

Vigneron AUTOMNE 201480 AUTOMNE 2014 Vigneron 81

Ce fut un véritable coup de foudre. Sans demi-mesure.Et aussi un sacré coup de mistral. “C’était un jour de no-vembre, ma femme et moi cherchions un domaine en Pro-vence depuis déjà quelque temps mais nous ne trouvions riend’exaltant, se souvient Jean-Louis Charmolüe. Ce jour-là, dans un violent vent glacé qui donnait au ciel une teinte

métallique, devant ce tableau à 360 degrés sur les vignes et les Al-pilles, on a compris qu’on était arrivés à bon port.”Ce ne sont pour-tant ni les ruines du château médiéval de l’ordre du Temple, nile magnétisme de la cave-cathédrale troglodyte, ni encore laforce d’attraction de cet ancien site druidique qui fut, de touttemps, un “haut lieu d’énergie” qui attachèrent Anne-Marie etJean-Louis Charmolüe à Romanin. L’ancien propriétaire deChâteau Montrose est bien trop cartésien pour se laisser ainsienvoûter et les seules énergies invisibles qui fascinent notrehomme sont celles qui procèdent à la fermentation et à la vini-fication du vin. Non, ce qui scella en réalité le destin de ce do-maine en tous points unique tient en deux mots : terroir et ter-roir. “Le lieu est superbe, naturellement, mais au-delà son potentielnous est apparu très vite, expliquent Anne-Marie et Jean-LouisCharmolüe. À la dégustation pourtant il nous a semblé qu’il nes’exprimait pas pleinement. Nous poussons aujourd’hui le curseurvers des vins plus onctueux et ronds. Nous voulons être le pomerol deProvence”, ajoutent-ils avec gourmandise et dans une bellecomplicité.

En découvrant pour la première fois Romanin, en ce mois denovembre 2006, Jean-Louis Charmolüe vient de céder auxfrères Bouygues le Château Montrose, second grand cru classéde Saint-Estèphe qui était dans sa famille depuis plus d’un siècle,et il n’a pas du tout l’intention de prendre une retraite paisibleloin des vignes et des chais. Arpentant à ses côtés l’étonnantcirque rocheux cerné d’amandiers et d’oliviers puis la cavecreusée dans la roche, Anne-Marie ressent elle aussi le désir derepousser les limites du temps, de s’offrir un nouveau chal-lenge, de souffler sur les braises pour maintenir le feu de la pas-sion. “Et puis cela m’a rappelé les grottes de Saint-Émilion dont jesuis originaire”, lâche-t-elle dans un sourire énigmatique dontelle a le secret.

C’est donc décidé : en cette année 2006, nos deux Bordelaispur jus prennent leurs nouveaux quartiers aux pieds du ver-sant nord des Alpilles. Là, dans ce vaste couloir exposé aux ca-prices du mistral, ils auront tout loisir d’en découvrir les spéci-ficités, les mystères, les fantaisies et les saisons. “Nous sommesici depuis huit ans, donnez-nous encore dix ans pour atteindre nosobjectifs”, précise le duo qui a insufflé depuis quelques mois denouvelles exigences et choisi deux hommes pour les mettre enpratique : Franck Breau, le directeur d’exploitation, et EduardoPincheira, chef de culture et maître de chai. Pour ce dernier, “il

« Nous sommes icidepuis huit ans,

donnez-nousencore dix anspour atteindre nos objectifs. »

C H Â T E A U R O M A N I N

Anne-Marieet Jean-LouisCharmolüe.

Vigneron AUTOMNE 201482 AUTOMNE 2014 Vigneron 83

ne manquait rien ici, si ce n’est la passion”. Elle avait bel et bienexisté pourtant, au commencement de Romanin, mais s’étaitenvolée en même temps que son créateur. La veuve de Jean-Pierre Peyraud ne se fit donc pas prier pour vendre ce qui avaitété la grande aventure de son mari et qu’elle gérait depuisquelques années bon an mal an. Banquier, ce dernier avait ac-quis dans le courant des années 1980 ce vaste domaine de250 hectares dont il avait confié les destinées viticoles à unhomme de goût, Jean-André Charial, le chef propriétaire del’Oustau de Baumanière, maison mythique des Baux accro-chée au Val d’Enfer. C’est lui qui donnera naissance à ChâteauRomanin, qui fera briller la légende du site, dispensera corps etchair aux vins, innovera aussi en instaurant dès sa première ré-colte une exigeante biodynamie.

C’était en 1990, un millésime marquant et la chance du dé-butant. “Vous savez bien ce que l’on dit, s’amuse Jean-André Cha-rial. Aux innocents les mains pleines !” L’innocent, en l’espèce,s’entoura de spécialistes : il appela ses amis à la rescousse pourl’aider à vinifier, au moins la première fois. Jean-Pierre Perrindispensera les conseils et Jacques Puisais enverra les renfortsen la personne d’Olga Raffault, qui quittera son domaine de laLoire pour la première fois, engagée volontaire sur le front decette nouvelle terre de vignerons en pleine ascension.

Comme tous les visiteurs, ils seront fascinés par l’âme deRomanin, les chuchotements du vent dans les replis de lapierre, les reliefs escarpés des Alpilles, les ruines du châ-

teau du xiiie siècle construit par Raymond de Gantelme,membre de l’ordre du Temple, sur les restes d’un ancien fortinde l’époque romaine ou encore par cette étonnante cave-cathédrale enterrée qui semble renouer, à l’époque contem-poraine, avec des croyances d’alors et où la géobiologie règneen maître. Car au début des années 1990, lorsqu’il fallutconstruire un chai pour Romanin, Jean-André Charial se re-mémora sa rencontre avec Serge Hennemann, un architecteun brin druide qui était venu examiner aux portes de l’Oustaude Baumanière le Val d’Enfer aux formes étranges sculptéespar l’érosion. “Avec mon imagination d’enfant, je pensais qu’il de-vait y avoir des souterrains et des galeries sous les ruines du châteauet je voulais lui demander où nous devions construire la cave. Aprèsun examen approfondi de tout le site, Serge Hennemann a ressentila présence d’un croisement géomagnétique et nous a indiqué le lieuoù il fallait l’installer.”

Chai d’architecte avant l’heure, la cave a été conçue en tenantcompte d’un certain nombre de paramètres, scientifiques ouplus ésotériques, de l’influence des solstices d’hiver et d’été auxmouvements de la lune, en passant par le fameux chiffre d’or.Serge Hennemann se serait ainsi inspiré d’anciennes mesures

C H Â T E A U R O M A N I N

L’architecte, un brin druide, avait ressentiici la présence d’uncroisementgéomagnétique…

Comme tout le reste dudomaine, la cave-cathédrale,avec ses 7 piliers et 7 foudres,est creusée dans la roche.

Au pied de l’escalier, l’étoile des Templiers.

Les 58 hectaresde vignes sontdisséminés dansun domaine de 250 hectares.

AUTOMNE 2014 Vigneron 87

du château médiéval de Romanin, des chiffres que l’on retrou-vait déjà chez les compagnons bâtisseurs du Moyen Âge et au-delà, des milliers d’années plus tôt, dans des lieux “sacrés”, des“coudées d’exactement 0,5236 mètre, comme celles de la pyramidede Khéops”.

Que cette résonance soit réelle ou non – certains y sont sen-sibles –, qu’elle impacte l’élevage du vin ou non – Jean-AndréCharial en est persuadé –, le lieu est malgré tout extrêmementprenant. invisible à l’œil de l’extérieur, la cave de Romanin,avec ses sept piliers et sept foudres, est enterrée dans la rocheet telle une cathédrale gothique dévoile ses colonnes, chapi-teaux et croisées d’ogives qui viennent s’insérer dans la mon-tagne. C’est le mariage du béton et de la pierre pour le meilleuret pour le vin. De la cave on accède à un escalier, placé sous lesigne de l’étoile des Templiers, qui grimpe en colimaçon versdeux autres niveaux jusqu’à un dôme végétalisé au sommet.On quitte alors la pierre pour retrouver l’air libre et une vue à360 degrés sur les Alpilles. C’est ce panorama époustouflantqui acheva de convaincre Anne-Marie et Jean-Louis Charmo-lüe, après qu’ils eurent parcouru, eux aussi, ce périple initia-tique dans le ventre de la montagne.

Aleurs pieds, voici les vignes, dans un dédale poétique etpourtant très bien ordonné. Les plus anciens ceps, des ca-bernets, ont aujourd’hui une soixantaine d’années mais

ici, de mémoire de vieilles souches, il y a toujours eu de la vigne.il faut dire qu’elle s’y plaît, surtout en un lieu précis : “Romaninfait 250 hectares dont 58 hectares de vignes, 5 hectares d’oliviers et2 hectares d’amandiers, nous précise Franck Breau. Plus on se rap-proche des Alpilles, plus nous sommes dans ce terroir de rouges quifait la personnalité de Romanin, des vins d’une salinité et d’une ten-sion notables. À cet endroit, le sol argilo-calcaire est enrichi par leséboulis des Alpilles qui emmagasinent la chaleur la journée et la resti-tuent la nuit lorsque la température chute violemment. Plus loin, ducôté du canal, vers des zones plus alluvionnées, nous pénétrons dansles parcelles qui constituent nos vins blancs et rosés.”

il y a encore quelques années, Romanin produisait 60 % derouge. Aujourd’hui, les proportions se modifient quelque peu(45 % de rouge, 40 % de rosé et 15 % de blanc) à la faveur no-tamment des conseils de l’œnologue bordelais Denis Dubour-dieu, un proche des Charmolüe venu prodiguer ses conseils.“Le blanc n’est plus un 100% rolle : depuis le millésime 2013 on y aajouté un peu de roussanne, nous indique Franck Breau. Et nousplantons actuellement de la clairette et du grenache blanc pour fairedes essais.” Un troisième cépage est en effet nécessaire en blancpour obtenir l’appellation Les Baux-de-Provence…

En rouge – historiquement la couleur de référence du stylede Romanin –, Le Mas, La Chapelle, Le Château et Le Cœur

Vigneron AUTOMNE 201486

C H Â T E A U R O M A N I N

« Nous ne sommes pas alchimistes,jusqu’au-boutistes,plutôt desbiodynamistesraisonnés etraisonnables. »

Franck Breau, le directeurd’exploitation.

Eduardo Pincheira,chef de culture et

maître de chai.

AUTOMNE 2014 Vigneron 89

se partagent les faveurs des amateurs. Le premier est un vin depays, le deuxième est un second vin, Le Château est la signa-ture du domaine, issu des parcelles situées au sud, sur lescontreforts des Alpilles et enfin Le Cœur est la quintessence,le meilleur d’un millésime, une production confidentielle de2 000 à 4 000 bouteilles par an. “Sur nos vins rouges, la trame estcomposée de mourvèdre et de syrah. Cabernet et grenache viennenten contrepoint en fonction des millésimes. Ainsi, en 2013, Le Châ-teau n’est composé que des deux premiers”, souligne Franck Breauavant d’ajouter : “Notre production totale à Romanin est de120 000 bouteilles, soit un rendement faible de l’ordre de 20 hecto-litres par hectare. Notre objectif est de doubler la production et lerendement.”

Un projet qui s’insère toutefois dans un cadre très strictdéfini par les Charmolüe avec une exigence de chaqueinstant, à la vigne comme au chai. “Ne disait-on pas de

Montrose que c’était le Versailles de Saint-Estèphe ?” argumenteFranck Breau. “C’est vous dire à quel point rien n’échappe à l’œilde M. et Mme Charmolüe !” renchérit Eduardo Pincheira.Pour ce Chilien ayant parcouru le monde pour venir se for-mer sous nos latitudes, en Allemagne d’abord, puis à Châ-teauneuf-du-Pape, à La Nerthe, Romanin a été une évidenceinstantanée. “Ce qui m’a passionné ici, c’est la biodynamie, s’en-thousiasme-t-il. Mais nous ne sommes aucunement alchimistes,jusqu’au-boutistes, plutôt des biodynamistes raisonnés et raison-nables. Sur 58 hectares, c’est déjà un challenge permanent. Sousl’influence de M. et Mme Charmolüe, nous avons identifié plusclairement les parcelles et les terroirs, replanté, amélioré le tri, misen place des vinifications parcellaires… Tout cela porte douce-ment ses fruits.”

La mission de Franck Breau, un ancien étudiant en médecinequi plongea dans le vin grâce à John Kolasa, l’artisan de Rauzan-Ségla et Canon, est à la fois spirituelle et temporelle. il estl’homme des mots et du marketing, celui qui est chargé de valo-riser le domaine et de penser son identité. Nouvelle bouteille,nouveau code couleur, armoiries des Charmolüe sur la cuvéeLe Cœur et blasons historiques des seigneurs templiers de Ro-manin sur les autres : rien n’est insignifiant aux yeux de cet an-cien lieutenant de LVMH et Rothschild France Distribution.De quoi intriguer au début quelques locaux, qui regardèrentd’un œil méfiant ces deux Bordelais et leurs ouailles, venus leurravir, sous leur nez, l’une des perles de l’appellation Les Baux-de-Provence. Pourtant, il ne s’agit nullement de faire du saint-es-tèphe sur les contreforts des Alpilles, mais bel et bien de révéler àlui-même un grand terroir du Sud, dans ce paysage prodigieux,en ce “Haut Lieu” apparemment choisi il y a plusieurs sièclespour un destin particulier. e (Bon à savoir, page 145)

Vigneron AUTOMNE 201488

C H Â T E A U R O M A N I N

Le sol argilo-calcaireest enrichi par les

éboulis des Alpillesqui emmagasinent lachaleur la journée etla restituent la nuit.