L’un plus égal que l’autre ? Les relations économiques entre l’Afrique du Sud et la Chine depuis 1994

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  • 7/30/2019 Lun plus gal que lautre ? Les relations conomiques entre lAfrique du Sud et la Chine depuis 1994

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    ______________________________________________________________________

    Lun plus gal que lautre ?Les relations conomiques

    entre lAfrique du Sud et la Chine depuis 1994__________________________________________________________________

    Vincent Darracq

    Juillet 2013

    .

    NNoottee ddee ll II ffrrii

    ProgrammeAfrique subsaharienne

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    LIfri est, en France, le principal centre indpendant de recherche,dinformation et de dbat sur les grandes questions internationales.

    Cr en 1979 par Thierry de Montbrial, lIfri est une association reconnuedutilit publique (loi de 1901).

    Il nest soumis aucune tutelle administrative, dfinit librement ses activits etpublie rgulirement ses travaux.

    LIfri associe, au travers de ses tudes et de ses dbats, dans une dmarcheinterdisciplinaire, dcideurs politiques et experts lchelle internationale.

    Avec son antenne de Bruxelles (Ifri-Bruxelles), lIfri simpose comme un desrares think tanksfranais se positionner au cur mme du dbat europen.

    Les opinions exprimes dans ce textenengagent que la responsabilit de lauteur.

    Le programme Afrique subsaharienne est soutenu par :

    ISBN : 978-2-36567-177-4 Ifri 2013 Tous droits rservs

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    Sommaire

    INTRODUCTION ................................................................................... 3

    DES RELATIONS ECONOMIQUES CROISSANTES ..................................... 5

    Au centre du rapprochement, le commerce ......................................... 5

    Lintensification des relations ................................................................ 7

    Une relation ingalitaire .......................................................................... 9ZUMA ET LA CHINE............................................................................ 13

    Une relation consolide ........................................................................ 13

    La diplomatie conomique de Zuma :vers le sud pour lintrt national ........................................................ 16

    LAccord de libre-change (Free Trade Ag reement- FTA) :mort et enterr ? .................................................................................... 20

    UNE RELATION JAMAIS REMISE EN QUESTION ? .................................. 25

    CONCLUSION .................................................................................... 29

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    Introduction

    La Chine est devenue en 2010 le principal partenaire conomique delAfrique du Sud, devant ses partenaires habituels tels quelAllemagne et les tats-Unis. Laugmentation des changescommerciaux entre les deux pays depuis une dizaine dannessinscrit dans la croissance exponentielle plus gnrale etabondamment documente1 des changes entre la Chine etlAfrique depuis le dbut des annes 2000. Mais du fait de sa

    puissance conomique qui, si elle est loin de rivaliser avec la Chine,est sans gale sur le continent, et de ses ambitions rgionales etmondiales, lAfrique du Sud est un cas part dans les relations que laChine entretient avec les pays africains. Le rapport entre la Chine etlAfrique du Sud ne se fait pas selon les mmes modalits quentre laChine et la plupart des autres tats africains. Dans plusieurs secteurstels que la construction, le secteur minier ou les tlcoms, lesentreprises sud-africaines, aux comptences techniques et lexprience bien tablies, sont mme de rivaliser avec lescomptiteurs chinois, non seulement en Afrique du Sud maisgalement sur le continent. De manire surprenante, lesinvestissements sud-africains en Chine sont, daprs toutes les

    estimations2, dun montant suprieur celui des investissementschinois en Afrique du Sud.

    Vincent Darracq est analyste Afrique chez International SOS et Control Risks.1 Chez les acteurs institutionnels, voir : World Bank, Building Bridges: ChinasGrowing Role as Infrastructure Financier for Africa, Washington, 2008.J.-Y. Wang, What Drives China Growing Role in Africa, IMF, Washington, 2007.A. Goldstein, N. Pinaud, H. Reisen, X. Chen, The Rise of China and India: Whats inIt for Africa?, OECD, Paris, 2006.DFID, Understanding Chinas Engagement with Africa & How the UK can buildRelationships with China in Africa, Londres, 2009.

    V. Niquet, Chinas African Strategy, Ministre des Affaires trangres franais, Paris,2007.Pour les travaux de think tanks, voir notamment: I. Campos, A. Vines, Angola andChina: a Pragmatic Partnership, Chatham House, Londres, 2008.CSIS, Chinas Expanding Role in Africa. Implications for the USA, Washington, 2007.P.-A. Braud, La Chine en Afrique : anatomie dune stratgie, EUISS, Paris, 2005.Pour les travaux universitaires, voir entre autres D. Brautigam, The Dragon's Gift: theReal Story of China in Africa, Oxford University Press, Oxford, 2009.I. Taylor, Chinas New Role in Africa, Lynne Rienner Publishers, Boulder, 2008.2 S. Naidu, South Africas relations with the Peoples Republic of China: mutualopportunities or hidden threats? , in HSRC, State of the nation 2005-2006, HSRCPress, Pretoria, 2006.

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    LAfrique du Sud, dont les entreprises minires, bancaires, detlphonie ou de construction sont parties la conqute de nouveauxmarchs, apparat la fois comme un partenaire et un comptiteur enAfrique pour la Chine. De plus, son poids conomique et son statutde puissance diplomatique rgionale lui permettent de ngocier avecla Chine, et dobtenir des concessions commerciales, suffisantes ounon, de la part de son partenaire. Dans cet article, nous montreronscomment, si une vision des relations internationales est partage parles deux pays, cest bien avant tout le commerce et lconomie quiont t au cur du rapprochement entre la Chine et lAfrique du Suddepuis la fin de lapartheid et larrive au pouvoir de lAfrican NationalCongress (ANC) en 1994. Nous verrons ensuite comment, depuislarrive au pouvoir du prsident Jacob Zuma en 2009, lAfrique duSud sest efforce de rorienter ses rapports conomiques avec laChine, pour les rendre plus avantageux et plus compatibles avec ledveloppement dune politique industrielle locale ambitieuse.

    S. Gelb, Foreign direct investments links between South Africa and China, TheEDGE Institute, Johannesburg, 2010.

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    Des relations conomiquescroissantes

    Au centre du rapprochement, le commerce

    Depuis la fin de lapartheid et larrive de lANC au pouvoir en 1994,

    les relations entre la Chine et lAfrique du Sud se sont fortementintensifies, avec les intrts commerciaux des deux pays commemoteur. LAfrique du Sud de lapartheid avait des relations officiellesavec Taiwan, autre tat ostracis par la communaut internationale,et non avec la Chine populaire3. Lorsque lANC arrive au pouvoir, lamajorit des observateurs sattend ce que le nouveaugouvernement rompe rapidement les relations avec Taiwan pournouer des relations avec une Chine populaire plus procheidologiquement et avec laquelle lANC avait renforc ses relationsdepuis le dbut des annes 19804. Cependant, le dilemme des deux Chine perturba pendant plusieurs annes les relations entrele gouvernement ANC et la Chine5. Alors que les changescommerciaux entre les deux pays augmentrent significativementaprs llection de 1994, le nouveau gouvernement persistainitialement dans la relation avec Taiwan le fait que Taiwan avaitabondamment financ la campagne lectorale de lANC ny tantsans doute pas tranger6. Ce nest finalement que le 1er janvier 1998que le gouvernement ANC, aprs avoir envisag plusieurscompromis (tels que la reconnaissance des deux Chine)

    3 La Chine considre publiquement que Taiwan fait partie de son territoire, et a

    toujours exclu davoir des relations officielles avec un pays reconnaissant Taiwan.Aujourdhui, seuls quatre pays africains, dont la plupart sont des diplomatiquement etconomiquement modestes, reconnaissent Taiwan : le Burkina-Faso, Sao Tome ePrincipe, la Gambie et le Swaziland.4 Dans la lutte anti-apartheid, la Chine populaire soutenait initialement le mouvementde libration rival de lANC, le Pan-Africanist Congress (PAC), alors que lANC taitsoutenu par lURSS.5Sur les oscillations diplomatiques de lAfrique du Sud entre Taiwan et la Chine, voirC. Alden & G. Shelton, Camarades, parias et hommes daffaires : mise enperspective des relations entre lAfrique du Sud et la Chine , Politique Africaine,n 76, dcembre 1999.6Ibid.

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    inflexiblement refuss par la Chine populaire, reconnat officiellementla Chine et rompt ainsi avec Taiwan7.

    Cest avant tout la dfense des intrts conomiques sud-africains qui a finalement convaincu le gouvernement ANC douvrir

    des relations officielles avec la Chine. En 1996-1997, les milieuxdaffaire sud-africains ont en tte lentre prochaine, en 2000, de laChine dans lOrganisation Mondiale du Commerce (OMC) ; ils saventquelle va ouvrir massivement aux investisseurs trangers limmensemarch chinois. En consquence, ils exercent une pression soutenuesur le gouvernement pour quil se rapproche de la Chine, en esprantque cela leur donnera une position plus favorable pour pntrer lenouveau march. Egalement, le fait quHong-Kong allait passer en1997 sous souverainet chinoise fut un argument conomique centraldans le changement de relation : Hong Kong tait lpoque lecinquime partenaire commercial de lAfrique du Sud et, de plus, lesinvestissements sud-africains dans lle auraient t privs de

    protection lgale en labsence de relations officielles avec la Chine8.A la suite de louverture de relations officielles, les deux pays

    se sont rapidement dots de dispositifs institutionnels leur permettantde formaliser leurs rapports et de discuter de manire rgulire deleur coopration, notamment conomique. A loccasion de sa visiteen Afrique du Sud en avril 2000, le prsident Jiang Zemin a signavec son homologue Thabo Mbeki la Dclaration de Pretoria. Parcette dernire tait cre une Commission binationale, conuecomme un ensemble de quatre comits thmatiques permettant auxdeux pays, au niveau interministriel, dchanger et de rflchir surles enjeux au centre de leur relation. Significativement, lun des

    comits tait ddi lconomie et au commerce9

    . La Commission serunit pour la premire fois en dcembre 2001 Pkin, mais cest saseconde dition, en juin 2004 Pretoria, qui marque une acclrationdans lagenda commercial entre les deux pays. Dans la dclarationfinale, lAfrique du Sud reconnat en effet officiellement la Chine lestatut d conomie de march . Ce geste, fait contre lavis destats-Unis, renforce la position internationale de la Chine dans lecadre de ses relations avec lOMC et les deux pays annoncentlouverture de pourparlers pour la signature dun accord bilatral delibre-change.

    7 S. Naidu, South Africas relations with the Peoples Republic of China: mutualopportunities or hidden threats? , in HSRC, State of the nation 2005-2006, HSRCPress, Pretoria, 2006.8 I. Taylor, China and Africa. Engagement and compromise, Routledge, 2006.9 Les trois autres tant les affaires trangres, les sciences et technologie et ladfense.

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    Lintensification des relations

    Les relations conomiques entre les deux pays se sontsingulirement acclres depuis lofficialisation des relationsdiplomatiques en 1998. Les changes commerciaux, qui avaient djsensiblement augment depuis la libralisation progressive du rgimede lapartheid et la fin de la mise au ban diplomatique de lAfrique duSud entre 1990 et 1994, ils ont augment de 225 % , ont connudepuis une croissance continue et considrable. Ils taient en effet,daprs les chiffres de ladministration sud-africaine, de 800 millionsde dollars en 1998, 11,2 milliards en 2007, 16 milliards en 2009, etenfin 22 milliards en 2012. Cette expansion que rien ne semblepouvoir arrter a fait de la Chine le partenaire commercial numro unde lAfrique du Sud depuis 2010, devant des partenaires plustraditionnels tels que lAllemagne et les tats-Unis. Si cetteimportance accrue est partiellement une consquence duralentissement depuis 2008 des changes de lAfrique du Sud avecles conomies occidentales touches par la crise, elle tmoigne ausside lintrt croissant des entreprises chinoises pour le march sud-africain et sa classe moyenne en expansion.

    Bien que les observateurs comme les ministres diffrent surles chiffres, les investissements directs rciproques ont galementsensiblement augment, lAfrique du Sud tant dsormais la premiredestination africaine pour les investissements chinois10. En 2011,lconomiste Stephen Gelb, dans une remarquable tude exhaustive

    des relations conomiques entre les deux pays11, dnombrait47 entreprises chinoises en Afrique du Sud. Le secteur le plus pristait le BTP : la construction et les infrastructures. Le secteur minierest galement, sans surprise, bien reprsent, avec la prsence demastodontes tels que Sinosteel, impliqu dans deux joint ventures le montant des investissements miniers chinois tait estim environ700 millions de dollars. Le secteur financier est galement vis parles investisseurs chinois, avec la prsence de cinq banques. Prendrepied dans le secteur bancaire sud-africain est vu par lestablissements chinois comme une porte dentre vers lAfriqueaustrale et centrale. Cest dans le secteur financier qua notammentt ralis le plus gros investissement chinois en Afrique :lacquisition en octobre 2007 par la Industrial and Commercial Bankof China (ICBC) de 20 % des parts de la Standard Bank, pour unmontant avoisinant 5,5 milliards de dollars12.

    10 S. Gelb, Foreign direct investments links between South Africa and China , TheEDGE Institute, Johannesburg, 2010.11Ibid.12 Cet investissement visait ouvrir ICBC les marchs africains, sur lesquels laStandard Bank tait trs bien implante, et permettre la banque de dvelopper

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    Lindustrie automobile chinoise a galement massivementinvesti en Afrique du Sud cinq firmes automobiles chinoises tellesque le constructeur de camions FAW ont tabli des usines dans lepays, produisant pour le march local mais aussi rgional (Afriqueaustrale). Des firmes dindustrie lgre se sont aussi implantes,notamment des entreprises textiles qui se sont installes autour deNewcastle, dans le KwaZulu-Natal, en profitant des rseaux et desquipements des entreprises textiles taiwanaises installes dans laprovince depuis les annes 1970-80.

    Cependant, les investissements chinois restent relativementmodestes, et bien en de des espoirs sud-africains. Il y a plusieursraisons cela. Tout dabord, contrairement la majorit des paysafricains, lAfrique du Sud dispose dun tissu industriel, notammentdans le secteur minier et dans la construction, mr et dvelopp, quioffre aux entreprises chinoises une concurrence locale inhabituelle.De plus, lenvironnement des affaires en Afrique du Sud est bien plus

    rgul quailleurs en Afrique (ou quen Chine), restreignant ainsi lalatitude daction de compagnies chinoises habitues plus delibralit et de laisser-faire, en Afrique centrale en particulier. Desentreprises chinoises, telles que la firme de construction COVEC, ontainsi trouv malais de se conformer aux exigences de la lgislationBlack Economic Empowerment (BEE), qui impose aux entreprises detravailler avec des partenaires et sous-traitants locaux dtenus pardes hommes daffaires noirs13. De mme, la main-duvre sud-africaine est fortement syndique, et protge par une lgislation dutravail relativement progressiste elle est gnralement plus chrequailleurs sur le continent. Enfin, tout indique que la criminalitgalopante en Afrique du Sud, et notamment dans les espacesurbains, a galement un effet dissuasif pour de nombreuses PMEchinoises.

    Une particularit de la relation conomique entre la Chine etlAfrique du Sud est le montant significatif des investissements sud -africains en Chine un cas unique dans les relations de la Chineavec ses partenaires africains. Ainsi, en 2011, 32 firmes sud-africaines taient prsentes en Chine. Le secteur minier est dunintrt particulier pour les entreprises sud-africaines huit sontprsentes, dont les gants Anglo Gold, Anglo-American et De Beers.Le secteur financier et des services a aussi prsent un attrait certainpour les tablissements bancaires et de services financiers sud-

    africains, qui sont au nombre de six et dont lassise financire etlexprience leur permettent de rivaliser sur le march chinois avecdes entreprises occidentales. Discovery, la plus grosse compagniedassurances sant sud-africaine, a ainsi acquis en aot 2010 20 %de la filiale sant de la compagnie dassurance chinoise Ping An

    son expertise dans des domaines banque dinvestissement, par exemple pourlesquels elle avait fait ses preuves.13 C. Burke, S. Naidu & A. Nepgen, Scoping study on Chinas relations with South

    Africa, Centre for Chinese Studies, University of Stellenbosch, janvier 2008.

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    Insurance. galement, des entreprises sud-africaines ont fait desperces dans le secteur de la production de biens de consommation.Le brasseur SAB Miller, par ses acquisitions et ses joint ventures, estainsi devenu le deuxime brasseur en Chine, o il possdedsormais plusieurs dizaines de brasseries14. Lexprience descompagnies sud-africaines en Afrique, o elles sont confrontes des terrains dinvestissements difficiles, explique au moinspartiellement pourquoi elles russissent simplanter avec succs enChine.

    Une relation ingalitaire

    Si les relations conomiques entre les deux pays sont en croissanceconstante depuis la fin de lapartheid, il apparat que certains

    secteurs conomiques sud-africains peuvent en souffrir. Lescompagnies de construction sud-africaines, gnralement habitues sentendre pour se partager les marchs dans un systme decollusion largement illicite15, se retrouvent ainsi face uneconcurrence nettement moins chre. Si elles rsistent bien en Afriquedu Sud mme, il nen est pas de mme dans la sous -rgion (Namibie,Zimbabwe, etc.), o elles perdent des marchs face leurscomptiteurs chinois.

    Surtout, les changes commerciaux entre les deux pays secaractrisent pour lAfrique du Sud par un dficit commercial marquet sans cesse croissant. Ce dficit atteint 2,7 milliards de dollars en

    2009, et 4 milliardsen 2012. De plus, le contenu des changes posequestion. Alors que lAfrique du Sud exporte principalement vers la

    Chine des matires premires, non-transformes et faible valeurajoute avant tout des minerais (platine, manganse, or, nickel,zirconium, granit, chrome, etc) ainsi que des produits agricoles , laChine exporte en premier lieu vers son partenaire des produitsmanufacturs et des biens de consommation, tirant le meilleur partide sa monnaie sous-value, de sa main duvre bon march et deson droit du travail trs souple. Ces produits taient initialementsimples, de faible qualit et sans grande valeur ajoute textile,prises lectriques, couverts de cuisine, chaussures mais la Chineexporte de plus en plus vers lAfrique du Sud des produits industriels

    plus labors, tels que des vhicules et de llectromnager16

    .Ce schma des changes cantonne lAfrique du Sud dans un

    rle dexportateur de matires premires faible valeur ajoute et,surtout, il met dans une position critique lindustrie locale, en

    14 S. Gelb, Foreign direct investments links between South Africa and China, op. cit.15 Competition watchdog targets construction firms , I-Net-Bridge, 1erfvrier 2011.16 Garth Shelton, South Africa and China: a strategic partnership? , in C. Alden,D. Large, R. Soares de Oliveira, China returns to Africa, a rising power and acontinent embrace, Columbia University Press, New York, 2008.

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    particulier lindustrie lgre, qui nest pas en mesure de lutter face des concurrents chinois bien meilleur march. Lindustrie textile,autrefois fleuron de lindustrie sud-africaine17, notamment dans laprovince du Western Cape, est emblmatique de ces effetspernicieux, et son dclin rapide tmoigne de leffet dvastateur de laconcurrence chinoise. A partir du dbut des annes 2000, laconjonction de larrive massive de produits textiles chinois sur lemarch sud-africain18 et le dmantlement progressif de lAccordMulti-fibres (achev en 2004)19 a affaibli lindustrie textile sud-africaine. Daprs les chiffres avancs par les syndicats, ce sont800 PME qui ont ferm en quelques annes, et quelques60 000 emplois ont t perdus20.

    Ce dclin drastique a alarm la Confederation of SouthAfrican Trade Unions (COSATU), la principale confdrationsyndicale sud-africaine, allie lANC, qui fait pression sur legouvernement pour limposition de quotas et de tarifs douaniers plus

    levs sur les produits manufacturs chinois. Surtout, il a irrit leprsident Mbeki, toujours sourcilleux sur les questions dedpendance de lAfrique, qui dclara en dcembre 2006 : La Chinene peut pas juste venir ici et prendre des matires premires, puissen aller et nous vendre des produits manufacturs 21.

    Sous pression du syndicat textile Southern African Clothingand Textile Workers Union (SATCWU), membre de COSATU, legouvernement sud-africain approche mi-2006 son homologue chinoispour la mise en place de restrictions sur les exportations de produitstextiles vers lAfrique du Sud. La Chine obtempre et accepte la misesur pied, partir de fin dcembre 2006 et pour deux ans, de quotas

    sur les imports de 31 types de produits textiles chinois en Afrique duSud22. Lobjectif tait de donner lindustrie textile sud-africaine letemps de se restructurer, de se doter de meilleurs quipements et demettre sur pied des programmes de formation, avant de se confronter nouveau la concurrence chinoise. Le gouvernement chinois aaccept la demande sud-africaine parce que cela lui permettait dedonner son partenaire un gage de bonne volont et parce que cegeste navait quun cot conomique extrmement limit pour son

    17 Lindustrie textile tait lpoque la sixime industrie sud -africaine, avec desventes quivalentes 190 milliards de dollars en 2004.18 Les produits textiles chinois constituent lpoque la quasi -totalit des importstextiles en Afrique du Sud.19 Laccord Multi-fibres plaait dimportantes restrictions sur les imports de textilechinois aux tats-Unis, et son expiration a mis en concurrence directe sur le marchamricain les entreprises sud-africaines et chinoises.20 C. Alden, China in Africa, Zed Books, Cape Town, 2007, p. 80.21 Mbeki warns Africa on relation with China , Mail & Guardian, 13 dcembre2006.22 COSATU souhaitait limposition de quotas pour lensemble des produitsmanufacturs chinois, une requte que le gouvernement sud-africain na pasrelaye.Entretien tlphonique avec un chercheur de COSATU, mars 2011.

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    conomie florissante et mondialise. Le gouvernement sud-africain achoisi cette option de quotas ngocis bilatralement plutt quunedmarche multilatrale devant lOMC (les tats-Unis, irrits par lespratiques commerciales de la Chine, lencourageaient choisir cettevoie), car louverture dune procdure lOMC aurait irrit la Chine etcar il aurait t galement difficile dy prouver que la Chine faisait dudumping23.

    Mais loccasion procure par limposition de quotastemporaires fut manque. Les imports chinois furent remplacs pardes imports en provenance dautres pays asiatiques tels que leVietnam et le Bengladesh, ou des imports de Chine passs par unpays-tiers, et lindustrie sud-africaine nentreprit pas les rformesncessaires pour amliorer sa comptitivit.A lexpiration des quotasfin 2008, le gouvernement sud-africain demanda la Chine leurprolongation, requte rejete car la Chine estima avoir faitsuffisamment de concessions24. Depuis fin 2008, les entreprises

    textiles sud-africaines ont continu pricliter et perdre des emplois.

    23 Entretien tlphonique avec un chercheur au Department of Trade and Industry(DTI), fvrier 2011.24 Entretien tlphonique avec un ancien cadre du DTI, janvier 2011.

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    Zuma et la Chine

    Une relation consolide

    Lorsque lex-vice-prsident de lANC Jacob Zuma prend la tte duparti en dcembre 2007 puis du pays en mai 2009, lissue dunelutte factionnelle violente avec Thabo Mbeki, les incertitudes sontnombreuses sur le tour que prendront les relations avec la Chinesous sa prsidence. Dune part, on sait peu de choses sur ce queseraient les fondements de la politique trangre de Zuma. Elu sur undiscours pro-pauvres et pro-redistribution et nayant jamais montrdintrt particulier pour les relations internationales, il est initialementperu comme un prsident essentiellement domestique ,focalisant son action sur des enjeux internes pressants tels que lesingalits socio-conomiques, le chmage et la criminalit, reboursdun Mbeki lambitieux agenda international25.

    De nombreux observateurs craignaient par ailleurs que lesrelations troites entre Zuma et COSATU qui navait pas mnag

    son soutien Zuma dans sa lutte contre Mbeki ninfluencentdfavorablement la politique sud-africaine envers la Chine et ne lepoussent vers un protectionnisme conomique plus ou moinsassum. COSATU stait en effet montr extrmement critique delimpact des importations chinoises sur lindustrie lgre locale.

    Mais ces peurs taient infondes, et les incertitudes ont tvite leves. Non seulement les relations conomiques Afrique duSud-Chine nont pas priclit sous Zuma, mais elles se sont mmeintensifies.

    Les deux pays ont mme renforc leur cooprationconomique, en se dotant de nouveaux mcanismes institutionnels ettextes-cadre. Du 23 au 26 aot 2010, le prsident Zuma,accompagn dune impressionnante dlgation gouvernementalecomptant une douzaine des ministres les plus importants26, et dune

    25 C. Landsberg, The foreign policy of the Zuma government: pu rsuing the nationalinterest? , South African Journal of International Affairs, 17 mars 2010.26 La dlgation comprenait la ministre des Affaires trangres Maite Nkoana-Mashabane, la ministre de lIntrieur Nkosazana Dlamini-Zuma, le ministre dans laprsidence Collins Chabane, le ministre du Commerce et de lIndustrie Rob Davies,le ministre du Dveloppement conomique Ebrahim Patel, le ministre des Transports

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    dlgation sans prcdent de 370 hommes daffaires sud-africains,sest rendu en visite officielle en Chine. A cette occasion, Zuma etson homologue chinois Hu Jintao ont sign la Dclaration de Pkin,qui tablit un Partenariat stratgique (CSP) entre les deux pays. CePartenariat stratgique renforce la collaboration institutionnelle entreles deux pays : entre autres choses, il approfondit le rle de laCommission binationale regroupant les deux pays et il instaure undialogue annuel stratgique au niveau ministriel. Le principal objetdu nouveau partenariat, comme de la visite de Zuma elle-mme, taitles relations commerciales et la coopration conomique. Lesquestions conomiques constituent lessentiel de la Dclaration dePkin, qui identifie comme axes majeurs de renforcement de lacoopration la structure du commerce entre les deux pays, laccsrciproque au march local, ainsi que lconomie verte, lnergie, latransformation des matires premires, les infrastructures etlagriculture. La visite de Zuma tait centre sur les changes

    commerciaux, et avait pour enjeu majeur de vendre auxinvestisseurs chinois lAfrique du Sud et ses avantages comparatifspar rapport la plupart des pays africains : des infrastructuressolides, un secteur priv dvelopp, la stabilit politique, deconsidrables ressources minires, des classes moyennes et unmarch local en expansion. Zuma a ainsi martel inlassablement cemessage aux grands patrons chinois et aux organisations patronaleslocales les derniers mots de son discours devant le China BusinessForum tant : Retenez bien, lAfrique du Sud est prte pour faire dubusiness !.

    Il y a plusieurs raisons linattendu enthousiasme de Zumapour la relation avec la Chine. Tout dabord, contrairement Mbeki,thoricien de la Renaissance africaine et sentinelle sourcilleusede lindpendance de lAfrique vis--vis des grands pouvoirs, Zumanest pas un idologue et ne partage pas linquitude de sonprdcesseur sur le caractre nocolonial des relations entrelAfrique du Sud et la Chine. Il est un pragmatique, qui voit danslapptit de la Chine pour les matires premires non le ferment dunerelation ingale et de dpendance, mais une opportunit pouracclrer la croissance conomique du pays27. Deuximement,COSATU se rvle plus ouverte que prvu lintensification des lienscommerciaux entre la Chine et lAfrique du Sud. Elle demeure biensr inquite des consquences possibles de ces liens plus troits

    pour le tissu industriel local, mais elle est galement capable den voirles effets positifs, notamment en ce qui concerne lemploi dans lesecteur minier. Ainsi, pendant la crise conomique de 2008, qui a vula demande en matires premires venant des pays occidentaux

    Sbu Nedebele, la ministre de lEnergie Dipuo Peters, la ministre des Ressourcesminires Susan Shabangu, la ministre de lEau et de lEnvironnement BuyelwaSonjica, le ministre de lEducation Blade Nzimande, le ministre du TourismeMarthinus van Schalkwylk et la ministre de lAgricu lture Tina Joemat-Pettersson.27 Entretien tlphonique avec un chercheur au Department of Trade and Industry,op. cit.

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    seffondrer, COSATU a pu observer que la demande chinoise sanscesse croissante de minerai de fer a permis au secteur minier sud-africain de compenser la chute de la demande des importateurstraditionnels, et dainsi viter de recourir des licenciementsmassifs28.

    Enfin, il ne faut pas oublier que lune des raisons de la pe rcecommerciale de la Chine en Afrique est que la Chine rebours despartenaires occidentaux qui, coup de mesures telles que la loiamricaine Dodd-Frank, demandent leurs partenaires africainstoujours plus de bonne gouvernance et de transparence dans lessecteurs extractifs saccommode fort bien du caractre rentier,corrompu et personnalis de nombre de rgimes africains, et mmesait en jouer pour scuriser laccs des ressources naturellesstratgiques29. A ce titre, lintronisation de ladministration Zuma asans doute t une bonne nouvelle pour la Chine. Sous Zuma, dontle rapport tortueux largent et aux affaires a t maintes fois expos

    dans la presse locale, les rapports entre la sphre politique et lebusiness se sont intensifis et sont devenus plus assums que sousMbeki qui, sil avait nombre de dfauts, ntait du moinsgnralement pas considr comme un affairiste. De nombreuxpoliticiens de premier plan, et notamment un certain nombre deministres, ont utilis (directement ou par lintermdiaire de leurfamille) le systme du Black Economic Empowerment (BEE) destin faire glisser une partie de lconomie, toujours domine parla communaut blanche, aux mains dentrepreneurs noirs pourdvelopper des intrts commerciaux significatifs et mnent de frontleur carrire politique et leurs affaires, se servant de lune pourrenforcer les autres. Ce phnomne existait dj bien videmmentsous Mbeki, mais sous Zuma, lexemple vient den haut : nombre deses proches au premier rang desquels son fils Duduzane, sonneveu Khulubuse et la famille dorigine indienne Gupta30 ont pu voirleurs compagnies obtenir depuis 2009 dimportants contrats publics,ce qui a aliment les accusations de npotisme et de conflitdintrts31. Le gouvernement chinois, par lintermdiaire de sesentreprises publiques ou parapubliques, a su exploiter lapptit de lafamille Zuma pour les affaires faciles et juteuses pour renforcer sesrelations avec ladministration prsidentielle. Duduzane Zuma et lesGupta, travers leur compagnie Magenbela Investments, seraientainsi un des partenaires locaux choisis par lentreprise publique

    28 Entretien tlphonique avec un chercheur de COSATU, op. cit.29 C. Clapham, Fitting China in , in C. Alden, D. Large, R. Soares de Oliveira,China returns to Africa, a rising power and a continent embrace , op. cit.30Les frres Gupta, des Indiens stant implants en Afrique du Sud dans les annes1990, ont une relation troite avec la famille Zuma, dont ils sont souponns dtrelun des argentiers. Voir Zuma and the Guptas , Sunday Times, 17 octobre 2010.31 Voir par exemple la controverse sur le partenariat entre Arcelor-Mittal et unconsortium men par les frres Gupta et le fils de Zuma, Duduzane, dans le cadre dela lgislation BEE. How Guptas beat ANC bigwigs to R9bn deal , Sunday Times,21 fvrier 2011.

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    chinoise China Railway Construction Corporation pour la ralisationdu gigantesque projet du gouvernement sud-africain demodernisation des infrastructures ferroviaires du pays, chiffr 550 milliards de rands (48 milliards deuros). Khulubuse Zuma nestpas en reste. En juillet 2010, il a conclu un contrat pour la livraison devoitures avec DongFeng Automobile Company (DFAC), uneentreprise publique chinoise. En 2010-11, sa compagnie minireAurora Empowerment Systems a entam des ngociations avecShandong Gold Group, une compagnie minire proprit dugouvernement de la province chinoise de Shandong, pour que celle-ci entre dans le capital dAurora hauteur de 65 % en injectant100 millions de dollars, une recapitalisation destine permettre Aurora de racheter les mines dor sud-africaines de Pamodzi ; lesngociations ont finalement chou, Shandong Gold Group ayant tpeu convaincu par le bilan controvers dAurora.

    La diplomatie conomique de Zuma :vers le sud pour lintrt national

    Lintrt renouvel du gouvernement Zuma pour la relation avec laChine doit aussi se comprendre en relation avec les nouvellesorientations donnes la diplomatie conomique de lAfrique duSud : le renforcement des liens avec les nouveaux pays mergents etune articulation plus troite entre diplomatie et intrts conomiques.

    De nouveaux partenaires

    Au sein de ladministration sud-africaine, et en particulier au ministredes Affaires trangres (DIRCO) et au ministre du Commerce et delIndustrie (DTI), il y a larrive au pouvoir de Zuma, un consensuspour admettre que le renforcement des relations conomiques et deschanges commerciaux avec les pays dits mergents, en particulierla Chine, lInde et le Brsil, est un enjeu central pour garantir lacroissance conomique du pays. Les changes commerciaux avecles partenaires traditionnels tels que lUE et les tats-Unis tantconsidres comme matures et peu susceptibles daugmentersensiblement, les diplomates et dcideurs sud-africains estiment quelAfrique du Sud doit absolument diversifier ses partenairesconomiques et trouver de nouvelles destinations pour ses

    exportations32. Les conomistes de tous bords ont bien mis au jourles changements majeurs qua connus lconomie mondiale dans ladernire dcennie. Ils ont dmontr comment se produit unglissement progressif du pouvoir conomique de louest vers lest etdu nord vers le sud, des puissances conomiques traditionnelles versles nouveaux gants mergents, symboliss par lacronyme BRIC(Brsil, Inde, Russie et Chine) forg par Goldman-Sachs en 2001.

    32 Entretien avec un chercheur au DTI, op. cit.

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    Les dcideurs sud-africains sous Zuma ont bien intgr ceci etconsidrent que, tout en conservant ses liens commerciaux avec sespartenaires plus anciens, cest vers ces conomies mergentes quelAfrique du Sud doit dsormais orienter prioritairement sa diplomatieconomique, car cest l que rsident les perspectives de cro issancemondiale et en consquent de nouveaux marchs.

    Ce mouvement de diversification des partenairesconomiques nest pas une ide nouvelle. Dj, en 1996, le DTI avaitdfini pour lAfrique du Sud une stratgie commerciale dite dupapillon , qui identifiait la Chine, lInde ainsi que lAmrique latinecomme partenaires commerciaux cibler. Mais la crise conomiquede 2008 a rendu cet impratif de diversification encore plus pressant.Les conomies occidentales dites dveloppes ont t trs affectespar la crise ce qui a eu des rpercussions ngatives directes surlconomie sud-africaine cause de la baisse de la demande et desprix des matires premires qui en a dcoul et nont toujours pas

    pleinement rcupr, alors que les conomies de pays mergentstelles que la Chine et lInde ont relativement bien tenu le choc etsont reparties de plus belle.

    En consquent, Zuma sest engag dans une vritableoffensive de charme envers les pays mergents. En 2010, il sestainsi rendu en visite officielle dans les quatre pays classs BRIC ainsiquau Mexique, accompagn de massives dlgationsdentrepreneurs33, pour explorer les opportunits de commerce etvanter les mrites de lAfrique du Sud aux investisseurs locaux.

    Les officiels sud-africains ont aussi utilis ces visites pourpresser leurs interlocuteurs daccepter lAfrique du Sud au sein durassemblement BRIC, ce mcanisme de coopration politique etconomique que la Chine, le Brsil, la Russie et lInde ont mis surpied en 2009 pour donner une existence formelle au groupedconomies mergentes identifies par Goldman-Sachs34. Avecsuccs : en dcembre 2010, la Chine, avec le soutien de la Russie, aofficiellement invit lAfrique du Sud rejoindre le groupe BRIC et, enavril 2011, lAfrique du Sud a particip au sommet de ce qui est doncdevenu les BRICS (BRIC+South Africa) Sanya (Chine). En mars2013, cest la conscration, lorsque lAfrique du Sud hberge lenouveau sommet BRICS. La taille de lconomie sud-africaine est

    33 De plus, le Vice-prsident Kgalema Motlanthe se rendait sest aussi rendu dans lemme temps en Turquie.34 La manifestation institutionnelle principale du groupe BRICS est un sommetannuel, dans lequel les dirigeants des pays-membres se runissent pour essayer deconsolider une alliance des pays dits mergents et arrter des positions communessur les principaux dossiers internationaux, notamment les grandes crises telles quela Syrie et les ngociations sur la refonte des institutions internationales. Le groupeBRICS, au-del de ses divergences internes et des intrts contradictoires bien relsde ses membres, se retrouve sur une idologie commune, un vague anti-imprialisme contre les puissances occidentales et leur mainmise suppose sur lesorganisations internationales.

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    bien loin de celle de ses nouveaux partenaires, mais larrive delAfrique du Sud au sein du club permet ce dernier de stendre lAfrique et dainsi pouvoir se poser comme le reprsentant lgitimede lensemble des pays mergents, qui veulent une refonte desinstitutions et des rgulations conomiques internationales accusesdtre trop favorables aux conomies occidentales. Pour lAfrique duSud, intgrer les BRICS est une opportunit de gagner en visibilitinternationale et de consolider son influence dans les arnesmultilatrales ; cela lui permet de monter des alliances fortes avecdes pays partageant son got pour le multilatralisme et son ambitionde rformer le systme conomique et politique mondial. Cela luipermet aussi, et ce nest pas ngliger, de nouer des liens politiquesplus troits avec ces pays mergents vers lesquels elle veutrorienter sa politique commerciale.

    Cependant, du ct sud-africain, il semblerait que lesconsquences de ladhsion au groupe BRICS naient pas t

    rellement rflchies, et que lempressement se voir reconnatre unstatut plus prestigieux ainsi que les gains symboliques immdiats quiy taient associs laient emport sur des considrations plusrationnelles. Si le groupe BRICS doit rester un forum pisodiquepermettant des pays partageant la mme vision sur les affairesinternationales de peser davantage dans les ngociationsmultilatrales sur des enjeux tels que la rforme du FMI ou duConseil de Scurit de lONU, cela sera sans consquences. Mais sides propositions pour renforcer lintgration conomique des BRICSentre eux arrivent sur la table, les officiels sud-africains devront yrflchir deux fois. En effet, les complmentarits entre lesconomies de ces pays, et en particulier les avantages comparatifsdont pourraient disposer lAfrique du Sud, sont loin de sauter auxyeux. Son secteur manufacturier ne peut rivaliser avec celui de laChine ou de lInde, et son secteur agricole aurait fort faire face laconcurrence brsilienne. Pour cette raison, lempressement delAfrique du Sud rejoindre le BRICS a t abondamment critiqunon seulement par des conomistes, mais galement par dessections de la coalition ANC, en particulier COSATU et la Ligue de lajeunesse de lANC (ANCYL)35.

    Lintrt nationalUn autre principe essentiel de la diplomatie post-Mbeki estlarticulation plus troite entre politique trangre et intrts

    commerciaux et conomiques. Zuma a dabord t lu sur un agendadomestique (lutte contre le chmage, rduction des ingalits,services publics), et les nouveaux officiels ont vite annonc que lapolitique trangre serait dsormais considre avant tout comme unoutil au service du dveloppement conomique du pays36. Cette

    35 SA rushed into joining BRICS: Shivambu , Sapa, 18 juin 2011.36 C. Landsberg, The foreign policy of the Zuma government: pursuing the nationalinterest? , op. cit.

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    position a galement t motive par le sentiment trs net chez lesdiplomates commes chez les patrons sud-africains que lAfrique duSud navait jamais t paye en retour pour tous ses efforts dediplomatie et de mdiation en Afrique, par des opportunits debusiness pour ses entreprises37. Le cas le plus souvent voqu taitcelui de la RDC o, aprs stre normment investis dans lamdiation destine mettre fin la deuxime guerre du Congo(1998-2003), les diplomates sud-africains ont vu les entreprisesminires ou de construction de pays tels que la Chine ou les tats-Unis rafler les plus belles opportunits dans la phase dereconstruction post-conflit.

    La faon dont ladministration Zuma gre ses relations avec laChine montre cette insistance promouvoir lintrt conomiquenational. Les officiels et ngociateurs sud-africains essaient sansrelche de rendre la relation plus bnfique conomiquement pourlAfrique du Sud, notamment en pressant avec ardeur leurs

    interlocuteurs chinois pour que les deux administrations travaillent deconcert rduire les dsquilibres commerciaux entre les deux pays,et notamment transformer la structure de leurs changes. LePartenariat stratgique de 2010 tmoigne de ces efforts. Avant lavisite de Zuma Pkin, les fonctionnaires du DTI sud-africains ontngoci pied pied avec leurs homologues chinois rcalcitrants pourfaire de la transformation de la structure des changes commerciaux cense soutenir la nouvelle politique industrielle sud-africaine unenjeu majeur du partenariat. En particulier, les ngociations furenttendues sur quelques formulations-cls du texte final, et les Sud-Africains ont fini par obtenir gain de cause. Sur leur insistance, ledocument mentionne en effet lengagement des deux pays amliorer la structure de leurs changes commerciaux, et nonpas le volume comme le souhaitaient les Chinois38. Dans cetteperspective, les Chinois sengagent galement dans laccord diversifier leurs importations venant dAfrique du Sud, et notamment importer davantage de produits manufacturs et transforms. LaChine sengage galement augmenter et diversifier sesinvestissements directs en Afrique du Sud, notamment enencouragent ses entreprises y investir dans des projets detransformation des minerais.

    Grce ces concessions chinoises, ladministration sud-africaine est gnralement optimiste en ce qui concerne lvolution

    des relations conomiques entre les deux pays. Elle a le sentimentque la Chine est prte entendre et prendre en considration lesinquitudes et les requtes de son partenaire39. Etant donn lecontrle de ltat chinois sur lconomie du pays, o la plupart desgrandes compagnies sont publiques ou parapubliques,

    37 Entretien avec un chercheur au DTI, op. cit.38Ibid.39 Entretien tlphonique avec un chercheur au DTI, avril 2011.

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    ladministration sud-africaine estime que le gouvernement chinois estdans une position qui lui permet dencourager, voire de forcer, lesentreprises du pays mettre en application les engagementscontenus dans le document du Partenariat stratgique, notammentceux dinvestir dans des secteurs cibls de lconomie sud-africaineou dimporter davantage de produits manufacturs sud-africains. Duct chinois, les concessions accordes lAfrique du Sudapparaissent comme des gestes de bonne volont destination dunimportant partenaire diplomatique que le gouvernement peut sepermettre de faire car elles nont pas dimplication srieuse pour lagigantesque conomie du pays.

    Mais loptimisme sud-africain vis--vis du CSP mrite dtrenuanc. Tout dabord, le choix de la transformation des mineraiscomme secteur prioritaire pour les investissements chinois peutparatre dconcertant. Les cadres du DTI avancent que ce secteur at identifi car il permet de crer de la valeur et sappuie sur un

    avantage comparatif de lAfrique du Sud, sa richesse minire. Latransformation des minerais est cependant une activit intense encapital, mais non en travail. Le fait quelle ait t leve au rang depriorit dans le CSP apparat donc en contradiction avec la lignegnrale de la politique industrielle sud-africaine, qui entenddvelopper avant tout les activits forte valeur travail qui pourrontcontribuer rsorber le chmage local endmique.

    Surtout, autant se mettre daccord sur de grands principes etde grands engagements que lon couche sur des dclarations trsofficielles apparat finalement ais, autant leur mise en uvre servle souvent techniquement problmatique et lacunaire. Le CSP ne

    contient aucune consigne, aucun dtail technique guidant la mise enuvre de ses engagements. Il est encore malais destimer ladtermination relle du gouvernement chinois faire pression sur sescompagnies publiques pour quelles prennent en compte le CSP, sacapacit relle le faire et ses moyens. En labsence de mcanismeset de benchmarks guidant la mise en place des principes prconisspar le CSP ainsi que lvaluation de ses rsultats, il apparat que lenouveau document de partenariat est sans doute appel rester uncatalogue de bonnes intentions sans consquence.

    LAccord de libre-change (Free TradeAgreement- FTA) : mort et enterr ?

    Lide dun accord de libre-change entre lAfrique du Sud et la Chinea t voque pour la premire fois par les deux pays en septembre2002 lorsque, lors de la visite officielle de Thabo Mbeki Pkin, lesofficiels chinois lui ont fait une proposition en ce sens 40. En juin 2004,

    40 Entretien tlphonique avec un ancien cadre du DTI, op. cit.

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    lors de la seconde rencontre de la Commission binationale Afrique duSud-Chine, lAfrique du Sud a annonc au nom de la SouthernAfrican Customs Union (SACU) lunion douanire rassemblantlAfrique du Sud, le Botswana, la Namibie, le Lesotho e t le Swaziland quelle tait dispose ouvrir des ngociations avec la Chine enperspective dun accord de libre-change entre la SACU et la Chine.Dans le communiqu final du sommet, les deux pays sengageaient lancer ces discussions le plus rapidement possible. Cependant, cesdiscussions nont ce jour pas abouti, et le projet daccord de libre -change semble dsormais enterr. Cet chec rsulte avant tout desrevirements de lAfrique du Sud, bass sur un calcul des effetsngatifs potentiels dun tel accord pour son conomie, ainsi que dunchangement de paradigme plus gnral sur sa politique commerciale.

    De fait, les ngociations nont mme jamais vraimentcommenc. Quand le projet de FTA a commenc tre voqu dansla priode 2002-4, lAfrique du Sud le voyait dun bon il. Dans la

    politique commerciale de lpoque, largement dfinie par leprogramme conomique Growth, Employment and Redistribution(Gear) adopt en 1996 et base sur la rduction des tarifs de douaneet une stratgie tourne vers lexportation, les accords de libre-change taient vus comme un outil essentiel pour permettre auxproduits sud-africains daccder de nouveaux marchs. De plus, lademande chinoise croissante en produits agricoles et alimentaires,lie lvolution des habitudes alimentaires dcoulant de lacroissance conomique41, semblait ouvrir lagriculture sud-africainede trs prometteuses perspectives. En consquence, aprs la visitede Mbeki en Chine en septembre 2002, le DTI avait mis sur pied unequipe charge de rflchir aux implications positives et ngativesquouvrirait un tel accord. Cette enqute tait un secret biengard au sein du DTI, car le gouvernement tait bien conscient desrserves mises par les syndicats et certaines sections desentrepreneurs locaux effrays par la perspective de la concurrenceaccrue des entreprises chinoises sur lapprofondissement desrelations commerciales avec la Chine42.

    Mais ds 2005, la perspective dun accord de libre-changeavec la Chine ntait dj plus populaire au sein du DTI. Les dgtscauss lindustrie textile locale par la concurrence chinoise,notamment dans la province du Western Cape, ont en effetrapidement amen les dcideurs du DTI sinterroger sur le bien-

    fond dun tel accord, dont on subodorait soudain quil pouvait treune menace pour le tissu industriel sud-africain, et notamment les

    41 La croissance conomique, avec notamment le dveloppement des classesmoyennes, a amen une volution des habitudes alimentaires, avec notamment uneplus grande consommation de produits carns. VoirTendances des consommateurset du march au dtail en Chine , Rapport danalyse de march, Agriculture etAgroalimentaire Canada, janvier 2013.42Ibid.

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    activits intensives en main-doeuvre43. De plus, ladoption dunaccord de libre-change naurait pas limin les nombreusesbarrires non-tarifaires (restrictions phytosanitaires, par exemple) quiempchent notamment les produits agricoles sud-africains daccderplus massivement au march chinois. En outre, le DTI, parce quiltait dj engag ce moment-l dans des discussions pour unaccord de libre-change avec les tats-Unis, navait pas rellementles capacits humaines et techniques pour mener une analyseapprofondie sur les tenants et les aboutissants dun accord similaireavec la Chine, ce qui a dautant plus ralenti le processus44.

    Surtout, la rticence conclure un accord de libre-changeavec la Chine sinscrivait dans une rorientation plus fondamentalede la politique conomique sud-africaine. Depuis le dbut des annes2000, certaines sections du gouvernement et des dcideursconomiques taient conscients que Gear navait pas remplilintgralit de sa mission. Si les rformes nolibrales avaient russi

    mettre lAfrique du Sud sur le chemin dune croissance conomiquesoutenue (de 6 % par an en moyenne entre 1996 et 2002), ellesavaient chou rduire de manire significative le chmage, lapauvret et les ingalits sociales. Notamment, la politique decommerce extrieur centre sur une rduction des tarifs douaniers ettourne vers lexportation avait mis lAfrique du Sud dans une positionintenable qui la voyait exporter des matires premires faible valeurajoute et importer des produits manufacturs.

    Sous un nouveau leadership, le DTI sest ainsiprogressivement converti la vision dun gouvernement plusinterventionniste dans lconomie et apte piloter une politique

    commerciale et industrielle volontariste. Ce changement deparadigme tait tout entier contenu dans un nouveau concept, celuid tat dveloppementaliste . A partir de 2004-5, la nouvellepriorit du DTI est ainsi devenue la mise en place dune politiqueindustrielle ambitieuse et proactive, destine acclrer ledveloppement dactivits forte valeur travail et la production deproduits haute valeur ajoute, pour la fois crer de lemploi etrduire la dpendance de lAfrique du Sud envers sa productionminire. Dans ce cadre, les nouveaux documents conomiquescentraux produits par le DTI, le National Industrial Policy Framework(NIPF) de 2007 et le South African Trade Policy and StrategyFramework(TPSF) de 2010 ont tabli trs clairement que la politique

    commerciale tait dsormais considre avant tout comme un outilau service de la politique industrielle, et que les politiques tarifairesavaient dsormais pour but premier de protger et soutenir lessecteurs industriels fort potentiel de croissance (transformation desminerais, services pour lexport). De plus, lAfrique du Sud a tdue par le cycle des ngociations de Doha sur la libralisation du

    43 Entretien tlphonique avec un conomiste la Prsidence, mars 2011.44 Entretien tlphonique avec un ancien cadre du DTI, op. cit.

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    commerce international lanc en 2001 par lOrganisation mondiale ducommerce (OMC), dans lequel elle a eu le sentiment dtre traiteinjustement : elle estime que les pays occidentaux ont exig destats mergents que ces derniers ouvrent leurs marchs de serviceset de biens de consommation tout en refusant douvrir de maniresignificative leurs propres marchs agricoles45. Le nouveau ministredu Commerce et de lIndustrie nomm aprs llection de Zuma en2009, Rob Davies, un conomiste membre du Parti CommunisteSud-Africain (SACP) qui fut prcdemment vice-ministre (2004-9),incarne ce changement de philosophie.

    En consquent, la plupart des officiels sud-africains neconsidre plus les accords de libre-change comme le mdiumprivilgi pour encadrer les relations commerciales de lAfrique duSud. Ds 2005, il tait trs clair au sein du DTI que, cause dunmanque de volont politique, les diffrentes discussions sur desaccords de libre-change en cours ce moment-l naboutiraient

    pas. Les ngociations avec les tats-Unis se sont ainsi achevessans succs en avril 2006, tandis que celles avec la Chine ont tdiscrtement enterres.

    Dsormais, ce sont les accords commerciaux prfrentiels(PTA)46 qui sont loption favorite de lAfrique du Sud pour encadrerces relations avec ses partenaires commerciaux, en particulier lespays mergents47. De tels accords sont par dfinition moinsambitieux. Mais les dcideurs sud-africains estiment maintenant que,sils sont ngocis et utiliss intelligemment, ils peuvent fournir uncadre favorable la croissance et la diversification de lconomiesud-africaine ainsi quun cadre juridique pour rgler les litiges

    commerciaux avec les partenaires. Ainsi, linstigation de lAfrique duSud, la SACU a en avril 2009 conclu un accord commercialprfrentiel avec le Mercosur, alors que des discussions similairessont en cours avec lInde. Le CSP conclu avec la Chine en aot 2010relve lui aussi clairement de ce genre daccord48.

    45 Entretien avec un conomiste la Prsidence, op. cit.46 Le DTI conoit les PTA comme des accords commerciaux dans lesquels lesrductions des tarifs douaniers sont moins importantes que dans un FTA, etconcernent certaines catgories de produits seulement.47 Entretien tlphonique avec un chercheur au DTI, op. cit.48 Entretien tlphonique avec un chercheur au DTI, op. cit.

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    Une relation jamais remiseen question ?

    Dans un certain nombre de pays africains, lintensification desrelations, notamment commerciales, avec la Chine est devenue unsujet controvers. Non seulement les syndicats, les entrepreneurs etles petits marchands se plaignent dune comptition dloyale desChinois ou du non-respect par ces derniers des lgislations localessociales et environnementales, mais les relations avec la Chine sontdevenues un enjeu de politique intrieure, mettant aux prises legouvernement et lopposition. Des leaders et des organisationspolitiques ont ainsi recouru au rpertoire du nationalisme conomiquecontre la Chine comme argument lectoral.

    Le meilleur exemple en est la Zambie. Depuis le milieu desannes 2000, aprs plusieurs srieux accidents du travail et incidentsdans des mines appartenant des compagnies chinoises, lessyndicats sont devenus extrmement critiques sur la prsence desChinois dans le pays, accuss de ne pas respecter le droit du travailet les normes de scurit. De plus, la prsence croissante de petitscommerants chinois dans les marchs de la capitale Lusaka, la

    plupart actifs dans le secteur informel et profitant de leurs rseaux enChine pour importer des produits manufacturs de faible qualit bascot, a aiguis le ressentiment des commerants locaux. Alors leaderde lopposition, Michael Sata a su tirer parti de ce mcontentementpopulaire grandissant en faisant de la relation avec la Chine un enjeuclivant du dbat politique. La critique des troites relationsconomiques noues par la Zambie avec la Chine est devenue un filrouge de son discours politique et sa ligne dattaque favorite contre legouvernement. Au grand chagrin des autorits chinoises, dontplusieurs sources rapportent quelles ont financ la campagne duprsident sortant Rupiah Banda, Sata a remport les lectionsprsidentielles en septembre 2011, notamment grce sa rhtoriqueanti-chinoise (quil avait cependant modre en comparaison avec leslections de 2006).

    Des phnomnes similaires ont eu lieu dans dautres paysafricains, quoiqu une chelle rduite. Au Zimbabwe, legouvernement du prsident Mugabe, la suite des sanctions prisescontre son rgime par les pays occidentaux partir de 2002, sestavec enthousiasme lanc dans ce quil appel sa politique LookEast, capitalisant sur les liens nous pendant la lutte contre lergime rhodsien blanc entre la ZANU-PF de Mugabe et la Chine. Legouvernement sest engag dans des accords miniers et de business

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    avec le gouvernement chinois loin dtre bnfiques long terme auZimbabwe, mais qui ont permis au rgime daccder des lignes decrdit dont il avait urgemment besoin. Par la suite, lopposant MorganTsvangirai a ainsi pu jouer contre le rgime Mugabe la carte dunationalisme conomique en accusant par exemple en 2006 legouvernement ZANU-PF d hypothquer le pays aux Chinois 49.Mais llvation de la relation avec la Chine au rang denjeu partisannest pas lapanage unique de lAfrique australe. Au Ghana, alors quele gouvernement du National Democratic Congress (NDC) ngociaitavec la Chine un accord de prt de 3 milliards de dollars, le principalparti dopposition National Patriotic Party (NPP) a commenc en 2011 accuser le NDC de se coucher devant la Chine, recyclant ainsila recette politique succs de Michael Sata50.

    En Afrique du Sud, de tels discours anti-chinois simplistesnont pas vraiment merg sur la scne politique. Seul le trscontrovers Julius Malema, alors prsident de la Ligue de la jeunesse

    de lANC (ANCYL), adepte des discours radicaux, a de manireponctuelle eu recours une rhtorique similaire pour sen prendre la prsence conomique chinoise en Afrique du Sud et lentre dupays dans le groupe BRICS, accusant plusieurs reprises la Chinede piller les ressources naturelles sud-africaines51. Mais cetterhtorique agressive na pas vraiment eu dcho dans la sphrepublique et na pas t relaye.

    Finalement, laspect des relations avec la Chine qui a cr leplus de controverses en Afrique du Sud, cest celui de la politique dugouvernement vis--vis du Dalai Lama, le chef spirituel du Tibet,rgion annexe par la Chine en 1951. En effet, deux reprises ces

    dernires annes, le gouvernement a refus daccorder un visa auDala Lama souhaitant se rendre en Afrique du Sud, entranant detrs vives critiques venant la fois de la sphre politique (et parfoismme de cadres de lANC et de la Triple-Alliance52) et de la socitcivile. En mars 2009, alors que le Dala Lama tait invit en Afriquedu Sud pour participer une confrence sur la Coupe du Monde defootball venir (2010), le gouvernement a justifi son refus enarguant que leader tibtain aurait fait de la confrence, initialementun vnement sur le sport, une tribune politique pour la cause duTibet, en particulier au vu du caractre symbolique de la date (mars2009 marquait le cinquantenaire des meutes de Lhassa, vnement

    49 R. Bates, Zimbabwes new colonialists , Weekly Standard, 25 mai 2005.50 A. Bodomo, Ghanas presidential election: asking the China question ,ThinkAfrica Press, 5 novembre 2012.H. Hall, Ghanas opposition look to Zambia for elections tactics , France 24,12 mai 2011.51 Take firm stand against China Malema , Sapa, 11 avril 2011.52 Les relations troites forges pendant le combat anti-Apartheid entre lANC et leParti Communiste sud-africain (SACP), puis avec COSATU se sont formalises en1990 en une alliance officielle entre les trois organisations : la Triple-Alliance. Cestune alliance dun type particulier, puisque lANC en est le vhicule lectoral unique :ni le SACP, ni a fortiori COSATU, ne participent aux lections.

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    central de la lutte du Tibet contre le gouvernement chinois). Cettedcision fut vertement critique non seulement par le principal partidopposition, la Democratic Alliance (la DA), par lhistorique militantanti-apartheid et prix Nobel de la paix 1984 Desmond Tutu, par laprestigieuse universit de Witwatersrand, par des organisationsinternationales de dfense des droits de lHomme comme HumanRights Watch, mais galement par la ministre ANC de la Sant,Barbara Hogan53 (qui fut limoge du gouvernement un an plus tard,payant sans doute le prix de son outrecuidance). Ces critiquesdnonaient invariablement le fait que le gouvernement sud-africaintait prt renoncer son idal maintes fois affirm de dfense desdroits de lHomme pour ne pas offenser son puissant partenairechinois.

    En octobre 2011, lhistoire se rpte. Invit au quatre-vingtime anniversaire de Desmond Tutu, le Dala Lama ne se voitpas accorder de visa. Cette dcision entrane la mme salve de

    critiques que deux ans plus tt (Tutu allant jusqu dclarer que legouvernement ANC tait pire que celui de lapartheid), COSATU sejoignant en plus au chorus. Le ministre des Affaires trangresaffirme tout dabord que les dlais constats pour traiter la dmarchedobtention dun visa du Dala Lama relvent dune procdurenormale. Mais un document interne du ministre fuitant dans lapresse raconte une autre histoire et met au jour les contradictions dugouvernement : cest bien pour ne pas mettre en pril ses relationscommerciales avec la Chine que le ministre a dlibrment bloqula procdure. Cela vaudra en novembre 2012 au ministre dtrecondamn par la Cour suprme dappel. Que lAfrique du Sud, paysaurol de sa longue histoire de lutte contre lapartheid, pour ladmocratie et les droits de lHomme, soit en quelque sorte prte vendre son me pour plaire au partenaire chinois ne passe pas bienauprs dune socit civile et dlites librales diagnostiquant dj unraidissement autoritaire du gouvernement et de lANC sous Zuma(monte en puissance de lappareil scurocrate au sein de ltat, loicontroverse sur la presse adopte en novembre 2011). Mais legouvernement de Zuma a suffisamment montr le peu de cas quilfait des critiques pour quon puisse imaginer quil maintiendra le capde sa politique envers la Chine.

    53 M. Rossouw, Hogan: Dead minister walking , Mail & Guardian, 27 mars 2009.

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    Conclusion

    Depuis son arrive au pouvoir, et plus encore depuis le dbut desannes 2000, le gouvernement de lANC a fait le choix dtermin dese tourner vers la Chine et de faire de la coopration conomiqueentre les deux pays un axe majeur de sa politique commerciale. Cestun choix la fois opportuniste et stratgique. Opportuniste, car ilsagit pour lAfrique du Sud de trouver de nouveaux partenaires aumoment o la demande en matires premires des pays occidentaux

    sessouffle. Stratgique, car il sinscrit dans un cadre idologique,celui de la coopration sud-sud et de la lutte contre limprialismeoccidental, chers lANC.

    Le gouvernement sud-africain a identifi les opportunitsprometteuses quoffre une telle relation, mais galement ses risques :la cration dun rapport ingal et de dpendance, lrosion de sontissu industriel, autant de sujets qui sont au cur des tractationspermanentes entre les deux pays. La relation avec la Chine,bnfique ou destructrice ? The jury is still out, mais de la capacit delAfrique du Sud grer ces risques dpendra la rponse.