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GBPress- Gregorian Biblical Press
LOUIS XIV ET LES PAPES AUX PRISES AVEC LE JANSÉNISMEAuthor(s): PIERRE BLETSource: Archivum Historiae Pontificiae, Vol. 31 (1993), pp. 109-192Published by: GBPress- Gregorian Biblical PressStable URL: http://www.jstor.org/stable/23564981 .
Accessed: 04/06/2014 14:05
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PIERRE BLET S.I.
LOUIS XIV ET LES PAPES AUX PRISES AVEC LE JANSÉNISME
Sommaire. — Il s'agit dans cet article de préciser les mesures qui furent prises par le gouver nement royal pour imposer, malgré la résistance de quelques évêques, l'exécution des sentences
prononcées contre les cinq propositions de Jansen d'Ypres par Innocent X et Alexandre VII: réu nions de prélats de 1653, 1654 et 1655, convoquées par le cardinal ministre Mazarin, renvoi de la
question janséniste aux assemblées générales du Clergé de 1655-1657 et de 1660-1661 par le mê me Mazarin, arrêts du Conseil et lettres patentes donnés par Louis XIV pour appuyer les décisions de ces assemblées et pour faire enregistrer au Parlement de Paris les bulles d'Alexandre VII. Un
prochain article étudiera comment fut conclue la «paix de l'Eglise» (1668-1669)
Summary. — This article aims to speli out the measures which were taken by the royal government to impose, despite the résistance of some bishops, the carrying out of the judgments pronounced by Innocent X and Alexander VII against the live propositions of Jansen of Ypres: the
meetings of prelates (in 1653, 1654 and 1655) called by the Cardinal-minister Mazarin; the referrai
by the same Mazarin of the Jansenist question to the general assemblies of the Clergy (in 1655-57 and in 1660-61); the decrees of Council and lettere patent issued by Louis XIV to back up the décisions of these assemblies and to have the Parliament record the bulls of Pope Alexander. A
subséquent article will examine how the "peace of the Church" was concluded (1668-69) '.
1. Les cinq propositions de Jansénius
Le XVIe siècle, que les romantiques se sont plu à dépeindre comme le siè cle de la joie de vivre, au sortir des ténèbres du Moyen Age, fut autant, et
1 Abréviations employées dans les citations:
ASV = Archivio Segreto Vaticano. Blet = Pierre Blet, Le clergé de France et la monarchie. Etude sur les as
semblées générales du clergé de 1615 à 1666, Rome 1959, 2 vol. Brevi = ASV, Brevi. Bullarium Romanum = Bullarum, diplomatum et privilegiorum ... Taurinensis editio, vol.
XV-XVII, Augustae Taurinorum 1868-1869.
Epistolae ad Principes = ASV, Epistolae ad Principes. Lettere di Principi = ASV, Lettere di Principi. Lettere di Vescovi = ASV, Lettere di Vescovi. M. C., I = Mémoires du clergé, ou Recueil des actes, titres et mémoires concer
nât les affaires du clergé de France, I (de la foi catholique), Paris 1768.
M. D., Rome = Paris, Archives du Ministère des Affaires Etrangères, Mémoires et do
cuments, Rome. Nunz. Francia = ASV, Nunziatura di Francia. Oeuvres de M. Arnaud = Oeuvres de Messire Antoine Arnaud docteur de la Maison et Société
de Sorbonne, Paris & Lausanne 1779, 45 voli. Pastor = Ludwig von Pastor, Geschichte der Papste seit dem Ausgang des
Mittelalters, XIV/1, Freiburg im Breisgau 1929.
Rapin (I, II ou III) = Mémoires du P. René Rapin sur l'Eglise et la Société, édit. par Léon
Aubineau, Paris 1865, 3 vol. Rome = Paris, Archives du Ministère des Affaires Etrangères, Correspondance
politique, Rome.
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110 PIERRE BLET S.I.
peut-être plus que d'autres époques, pénétré du sens tragique de l'existen
ce2. La violence avec laquelle se heurtèrent les deux réformes, la catholique
et la protestante, reflète l'acuité avec laquelle certains esprits s'étaient posé le
problème du salut. Le destin éternel de l'homme est-il suspendu à ses actes, bons ou mauvais, ou bien dépend-il de la seule décision souveraine du Créa
teur, qui prédestine les uns au bonheur et les autres à la perdition? La réfor me protestante, particulièrement avec Calvin, avait adopté le second parti en faisant sien le concept de prédestination dans toute sa rigueur. Du côté catho
lique les réactions les plus décidées vinrent de la jeune Compagnie de Jésus, dont les théologiens, fidèles à la consigne de leur fondateur, Ignace de Loyo la3, eurent à coeur de souligner la part de la liberté humaine dans l'oeuvre
du salut. Il suffit de rappeler les noms de Lessius, Suarez et particulièrement Molina. Les traités de théologie s'entrecroisèrent. A Louvain Michel Baius in sista sur la toute puissance de la grâce, au point de se faire condamner par le
pape dominicain Pie V, dont la sentence fut confirmée par une bulle de Gré
goire XIII4. Au début du XVIIe siècle les jésuites affrontèrent les dominicains, animés
par Banez, dans la fameuse controverse de auxiliis, terminée par le décret du
pape Paul V, confirmé par Urbain VIII, qui imposaient le silence en une ques tion insoluble.
Un théologien de Louvain, Cornélius Jansen, ne se sentit pas découra
gé pour autant, et consacra tout le temps, que lui laissèrent de loisirs ses tâ
ches universitaires, à pénétrer la pensée de saint Augustin, qu'il estimait dé tenir la doctrine orthodoxe en la matière. Il mourut à la tâche le 6 mai
1638, mais en chargeant ses exécuteurs testamentaires de publier une oeu
vre, qu'il considérait comme achevée. En vain l'internonce des Flandres
rappela à l'université de Louvain les décrets de Paul V et d'Urbain VIII in terdisant de disputer de la grâce et du libre arbitre: l'oeuvre du défunt évê
que d'Ypres, Cornélius Jansen, parut à Louvain en 1640. Le titre de son
in-folio de quelque 1300 pages, Augustinus, disait assez sa prétention de
présenter la doctrine de l'évêque d'Hippone sur la grâce, pour l'opposer
aux docteurs modernes.
Ellies Du Pin, un docteur passablement hostile aux jésuites, a résumé de
façon assez heureuse la doctrine de l'évêque d'Ypres:
2 Paulette Gabaudan, "La Renaissance et ses masques": Bulletin de la Société française d'histoire des idées et d'histoire religieuse 9 (1992) 3-24.
3 Exercitia Spiritualia S. P. Ignatii Loyolae, Regulae ad sentiendum cum Ecclesia n°17: «Item non debemus loqui tam copiose insistendo tantopere gratiae ut generetur venenum quo tollatur libertas. Itaque de fide et grafia potest sermo haberi quantum fieri potest cum auxilio divino ad majorem laudem Divinae suae Majestatis; sed non ita neque fis modis maxime in nostris temporibus tam periculosis ut opera et liberum arbitrium capiant detrimentum aliquod vel pro nihilo habeantur».
4 Bulle de Pie V Ex omnibus afflictionibus du 1 octobre 1567 et bulle de Grégoire XIII Provisionis nostrae du 29 janvier 1580.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 111
«Le fondement de sa doctrine est qu'il y a deux sortes de grâces: dans l'état
d'innocence, l'homme était entièrement libre et la grâce qu'il avait était soumise
à sa liberté; depuis le péché d'Adam, il est tombé dans une malheureuse nécessi
té de pécher et toutes ses actions faites sans grâce sont autant de péchés; il a be
soin pour faire le bien d'une grâce qui le fasse agir infailliblement et invincible
ment; cette grâce n'est pas donnée à tous et ainsi tous les hommes n'ont pas tou
jours tous les secours nécessaires pour observer les commandements de Dieu.
Tous les hommes étant devenus coupables par le péché du premier homme, ils
ne méritent plus que la damnation et Dieu ne commettrait aucune injustice s'il
les laissait tous périr, en punition du péché originel; la prédestination n'est qu'un décret purement gratuit par lequel il a destiné de toute éternité d'en retirer quel
ques uns et de leur donner des grâces pour les faire persévérer dans le bien jus
qu'à la fin de leur vie; la réprobation au contraire est la justice que Dieu fait en
les laissant dans cette masse (des condamnés)»5.
La parution de YAugustinus à Louvain en septembre 1640 déchaîna la controverse. Les jésuites dans leurs collèges firent défendre des thèses oppo sées à la doctrine de Jansénius. L'internonce de Bruxelles Stravius et le nonce
de Cologne, Fabio Chigi, en référèrent à Rome. L'ouvrage fut d'abord interdit
par décret du Saint Office du 1 avril 1641 sur le seul fondement d'avoir contre venu aux interdictions de Paul V et d'Urbain VIII. Comme ce décret demeurait
inopérant, VAugustinus fut condamné comme renouvelant les doctrines censu
rées de Baïus. La sentence était cette fois promulguée dans la bulle In eminen
ti datée du 6 mars 1642 «pridie nonas martii MDCXLI» et publiée en juin 16436.
En France Cornélius Jansen avait rencontré un compagnon d'études par
tageant son rêve de retour à l'antique Eglise, Jean Duvergier de Hauranne, ab
bé de Saint-Cyran. Jansen entendait faire refleurir l'ancienne doctrine des Pè
res, contre les nouveaux scolastiques. Saint Cyran voulait plutôt restaurer l'an
tique discipline des premiers siècles et l'autorité épiscopale menacée à son gré par les privilèges des réguliers et la centralisation romaine. Il faut noter que
Cornélius Jansen avait écrit un violent pamphlet, Mars Gallicus, contre la poli
tique d'alliance avec les hérétiques du roi Louis XIII et de son cardi
nal-ministre. La nomination à l'évêché d'Ypres aurait été la récompense du roi
d'Espagne. De son côté, Saint Cyran avait excité les méfiances de Richelieu et
en avait éprouvé les rigueurs, si bien qu'il n'avait pris connaissance de
VAugustinus que dans sa prison de Vincennes, d'où il n'était sorti qu'après la
mort du cardinal, pour mourir lui-même peu après, le 11 octobre 1643. L'évê
que d'Ypres et ses amis n'avaient donc rien pour attirer les faveurs du pouvoir dans le royaume de France, et le Souverain Pontife pouvait y trouver tous les
appuis souhaitables à l'avantage de la bulle In eminenti. Mais lorsqu'elle fut
apportée en France, Richelieu venait de mourir, le 4 décembre 1642, suivi dans
5 J. Carreyre, "Jansénisme", dans Dictionnaire de théologie catholique, VIII/I, col.
318-529, citation de du Pin, col. 478-479. Pour la biographie de Jansénius: Jean Orcibal, Jansé
nius d'Ypres 1585-1638, Paris 1989. 6 Bullarium Romanum XV, p. 92-102.
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112 PIERRE BLET S.I.
le tombeau par son maître le roi Louis XIII, le 14 mai 1643: les disciples du dé funt évêque d'Ypres n'avaient guère à redouter pour l'heure les interventions
du pouvoir royal, encore mal assuré entre les mains de la régente Anne d'Au
triche et du nouveau cardinal ministre, Mazarin. Dans une relation sur le jan sénisme, composé en 1721 sur la base des documents officiels, un commis du ministères des affaires étrangères, Le Dran, ne signale à cet égard qu'une let tre du Roi de décembre 1643 enjoignant à la Sorbonne d'enregistrer la bulle In eminenti. Le Roi, c'est-à-dire Anne d'Autriche et Mazarin, fut obéi: le 15 jan vier 1644 la faculté de théologie enregistra la bulle en interdisant aux bache liers de soutenir les propositions condamnées par Pie V, par Grégoire XIII et
par Urbain VIII7. Héritage de Richelieu, fidèlement recueilli par le nouveau cardinal ministre, conviction personnelle de Mazarin, ancien élève des jésuites au Collège Romain, ou décision de la reine régente, qui manifestera bientôt une aversion tenace des sectateurs de Jansénius? En tout cas le Pape dans sa
lutte contre l'hérésie janséniste avait pour allié le roi de France dès le début du
règne de Louis XIV. Les théologiens, docteurs de Sorbonne et autres, ne se privèrent pas
pour autant d'échanger thèses, prédications, opuscules, en attendant les
in-folios pour et contre Jansénius et son Augustinus. Au-delà de la tombe,
l'abbé de Saint Cyran exerça une influence décisive sur ce qu'on appellera bientôt le parti janséniste, car il avait gagné à sa cause un jeune disciple, bien tôt docteur de Sorbonne, Antoine Arnauld. Aux premières attaques dirigées
contre Jansénius et son oeuvre par l'officiai de Paris, Isaac Habert, par le P.
Jacques Sirmond, jésuite et dernier confesseur de Louis XIII et d'autres, il
opposa une première, puis une seconde Apologie pour Jansénius8. Ensuite
la polémique dériva sur le terrain pastoral avec le livre d'Arnauld, De la fré quente communion9.
La Sorbonne ne pouvait ignorer les polémiques pour et contre
YAugustinus et les interdictions qu'elle avait prononcées contre Jansénius en
janvier 1644 ne furent guère observées. Aussi en l'assemblée de la faculté du 1
juillet 1649, la prima mensis, le syndic Nicolas Cornet se plaignit que les opi nions nouvelles se glissaient dans les thèses des bacheliers. Pour y obvier, il
présentait sept thèses sur lesquelles il demandait à la faculté de se prononcer.
7 M. D., Rome 17, f. 138v-139v. 8 "Première apologie pour Monsieur Jansénius, évêque d'Ypres, et pour la doctrine de S. Au
gustin expliquée dans son livre intitulé Augustinus, contre trois sermons de M. Habert, théologal de Paris, prononcés dans Notre Dame le premier et dernier dimanche de l'Avent 1642 et le diman che de la Septuagésime 1643", dans Oeuvres de M. Arnaud, XVI, p. 39-323; "Seconde apologie pour Monsieur Jansénius, évêque d'Ypres, et pour la doctrine de S. Augustin expliquée dans son livre intitulé Augustinus contre la réponse que M. Habert, théologal de Paris, a faite à la Première
Apologie etc., qu'il a intitulée «La défense de la foi de l'Eglise»", dans Oeuvres de M. Arnaud, XVII, p. 1-637.
9 "De la fréquente communion où les sentiments des Pères, des Papes et des conciles touchant
l'usage des sacrements de pénitence et d'Eucharistie sont fidèlement exposés pour servir d'adresse aux personnes qui pensent sérieusement à se convertir à Dieu, et aux pasteurs et confesseurs zélés
pour le bien des âmes", dans Oeuvres de M. Arnaud, XXVII, p. 71-673.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 113
Les cinq premières sont déjà les fameuses cinq propositions10, plus deux au tres qui ne seront pas retenues dans la suite du débat: 6° Dans l'Eglise ancien
ne la pénitence sacramentelle secrète ne suffisait pas pour absoudre les péchés
cachés; 7° L'attrition naturelle suffit pour le sacrement de pénitence11. Dans sa dépêche du 16 juillet 1649 le nonce Nicolò di Bagno signalait que
«quelques bonnes personnes de la Sorbonne avaient fait mettre en délibération des opinions nouvelles qui sont controversées». Tous n'approuvaient pas cette
initiative, parce que quelle que fût la décision de la faculté elle susciterait des
controverses, qui étaient d'ailleurs déjà commencées12.
Effectivement Antoine Arnauld ne fit pas attendre ses Considérations sur
l'entreprise faite par M. Cornet, syndic de la faculté en l'assemblée du 1 juil let 1649. Il reprochait au syndic d'avoir «formé de sa tête des propositions tel les qu'il lui a plu», et de vouloir ruiner l'autorité de saint Augustin13. Cepen dant des commissaires avaient été nommés pour présenter un rapport dans la
prochaine séance du 2 août. Mais au dire du P. Rapin, cette réunion se tint dans le désordre. Le docteur de Saint-Amour produisit un acte d'appel comme d'abus contre l'initiative du syndic; puis une querelle de préséance s'éleva pour la présidence entre le doyen et le chancelier de la faculté, en sorte qu'il ne fut rien décidé14. D'après le nonce le conflit de préséance occupa toute la séance et
fut porté au Parlement, si bien que Bagno croyait qu'il ne serait plus parlé du
premier projet sur les sept propositions15. S'agissait-il d'une manoeuvre des amis de Jansénius pour éluder une discussion de fond? Selon Le Dran les doc teurs sympathisants de Jansénius, soupçonnant que le projet de Cornet visait
les doctrines de l'Augustinus, en appelèrent comme d'abus au Parlement le 20
août, et d'après le P. Rapin, ils auraient remis leur appel entre les mains du conseiller Broussel. Le président Molé aurait fermé la bouche à Broussel et fait
suspendre la discussion pour quatre mois afin de chercher une conciliation. Mais pendant ce répit les commissaires de la Sorbonne rédigèrent un projet de
censure, dont les copies circulèrent dans Paris. Le syndic et les commissaires fu
rent convoqués au Parlement, où ils déclarèrent que c'était contre leur gré que
ce projet avait vu le jour. Leur désaveu fut inséré dans un arrêt du 5 octobre,
«faisant défense d'agiter les matières en question jusqu'à ce qu'il en eût été au trement ordonné par la cour». Dès cette première intervention du Parlement
de Paris, on voit déjà s'y manifester un parti favorable aux sectateurs de Jansé
nius d'Ypres16.
10 Cf. infra p. 115-116. 11 Carreyre (article cité n. 5), col. 474 et 479-494. 12 Nunz. Francia 98, f. 156, Bagno à Pamfili, 16. VII. 49. 13 Oeuvres de M. Arnaud, XIX, p. 1-45. 14
Rapin I, 285. 15 Nunz. Francia 98, f. 181, Bagno à Pamfili, 6. VIII. 49, dee. le 26. 16 M. D., Rome 17, f. 160-161, et Rapin I, 285-286. Les registres du Parlement de ces années
ont été supprimés par ordre de Louis XIV, et les épaves de minutes conservées ne fournissent pas
davantage de détails sur l'affaire.
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La faculté de théologie dut se soumettre. Mais ce que le Parlement avait interdit aux docteurs allait être repris par les évêques, qui décidèrent de se tourner vers le Pape. Il est assez significatif de relever que Le Dran, dont les
sympathies semblent pencher vers les jansénistes, introduit sa relation de la
pétition des évêques au Pape en faisant observer que Richelieu
«s'était trouvé à Rome à la suite du cardinal du Perron et y avait été consacré
évêque de Luçon. Il y avait embrassé cette doctrine des jésuites et durant son mi
nistère il accorda sa protection aux jésuites et aux ecclésiastiques qui paraissaient attachés à leur doctrine, ce premier ministre observant même scrupuleusement
[de ne promouvoir] aux évêchés et autres dignités ecclésiastiques que ceux qu'il
croyait être dans les mêmes sentiments sur les objets de la grâce et de la prédesti nation» l7.
Autrement dit ce recours à Rome des évêques français s'explique par la
politique du cardinal ministre dans le recrutement de l'épiscopat. A quoi il faut
joindre l'influence de Vincent de Paul, membre du conseil de conscience depuis les débuts de la régence et qui intervint pendant un temps sur le choix des évê
ques 18.
Les origines du recours épiscopal à Rome ne sont pas documentées avec
tous les détails désirables. On aurait songé à profiter de l'assemblée du clergé de 1650 pour faire souscrire aux députés le recours à Rome, puis on aurait re
noncé à faire intervenir l'assemblée comme telle, en provoquant un débat pu
blic. Une lettre aurait été préparée par le P. Dinet, jésuite, sur un plan dû à Isaac Habert, l'un des premiers prédicateurs à avoir attaqué Jansénius, et le même P. Dinet, ainsi que Vincent de Paul auraient déployé un grand zèle pour
recueillir des signatures épiscopales19.
L'initiative des adversaires de Jansénius n'avait pas échappé à ses parti sans, qui tâchèrent de prendre les devants: le 22 février les évêques de Châ
lons, Comminges, Agen et Orléans vinrent trouver le nonce pour lui dire que
quelques uns de leurs confrères écrivaient au Pape en lui demandant une décla
ration contre les oeuvres d'Arnauld et de Saint-Cyran: ils voulaient avertir le
Saint Siège que ces prélats agisaient de leur propre chef et sans l'accord de l'as
semblée du clergé20. Le 10 mars suivant l'archevêque d'Embrun fit une dé marche dans le même sens. Mais comme à cette date Bagno avait déjà en main la minute de la lettre avec la signature des prélats les plus dévoués au Saint
Siège, il ne fit pas grand cas des opposants21. Moins de deux mois plus tard, avec son courrier du 30 avril, le nonce en
voyait à la secrétairerie d'Etat une lettre signée d'une soixantaine d'évêques, qui demandaient au Pape une décision sur la doctrine de Jansénius. On espé
17 M.D., Rome 17, f. 109v-110. 18 Pierre Blet, "Vincent de Paul et l'épiscopat de France", dans Vincent de Paul. Colloque de
Paris 1981, p. 81-114. "
Rapin I, 365-371. 20 Nunz. Diverse 65, f. 119v-120, Bagno à Pamfili, 24. II. 51. 21
Ibid., f. 139, Bagno à secrétairerie, 10. III. 51.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 115
rait, écrivait Bagno, que beaucoup d'autres évêques se joindraient â la péti tion, et de fait une vingtaine d'autres durent le faire, car on parlera dans la sui
te des quatre-vingts évêques qui avaient signé la requête et les auteurs jansé nistes ne contestent pas ce chiffre22. Le nonce disait aussi que par le même or dinaire la Reine écrivait aux cardinaux d'Esté et Barberini pour les prier d'in sister auprès du Pape en faveur de la requête des évêques23.
Le P. Rapin fournit de la lettre une traduction française, qui sans être ri goureusement littérale, lui est parfaitement fidèle:
Très Saint Père, C'est la coutume ordinaire de l'Eglise de consulter le Saint Siège dans les af
faires de conséquence à la religion, et la foi que nous avons reçue des apôtres exi
ge que la pratique de cette coutume soit toujours inviolablement observée. Ainsi suivant une règle si justement établie nous avons jugé à propos d'écrire à Votre Sainteté d'une affaire qui nous a paru très importante à la religion pour savoir son sentiment. Il y a environ dix ans qu'à notre grand déplaisir le trouble s'est
répandu dans tout le royaume de France à l'occasion de la doctrine de l'évêque d'Ypres et d'un livre qui a été imprimé après sa mort. Le saint concile de Trente, les décrets des papes Pie V et Grégoire XIII contre la doctrine de Baïus, la bulle d'Urbain VIII contre la doctrine de Jansénius avaient suffisamment pourvu aux désordres que ce livre causait partout, par la confirmation de cette censure que Votre Sainteté avait donnée par une nouvelle condamnation qu'Elle en a faite. Mais parce que cette censure ne tombe sur aucune proposition en particulier, cela a donné lieu aux explications artificieuses et aux défaites des sectateurs de cette doctrine. Ce qui nous fait espérer que Votre Sainteté, pour remédier à ce désor
dre, voudra bien expliquer plus distinctement les sentiments du Saint Siège sur cette doctrine. Ainsi nous La supplions avec toute l'instance possible qu'Elle nous déclare ce qu'il en faut penser, particulièrement sur les propositions les plus dan
gereuses et les plus contestées et qu'Elle prononce nettement son jugement sur chacune en particulier. Voici les propositions dont il s'agit principalement:
1° Quelques commandements de Dieu sont impossibles aux hommes justes, lors même qu'ils veulent et qu'ils s'efforcent selon le pouvoir qu'ils ont dans l'état où ils se trouvent et la grâce qui doit les rendre possibles leur manque. 2° Dans l'é tat de la nature corrompue on ne résiste jamais à la grâce intérieure. 3° Pour mériter et pour démériter dans l'état de la nature corrompue, il n'est pas requis en l'homme une liberté qui l'exempte de la nécessité de vouloir ou d'agir: mais il suffit d'une liberté qui le dégage de la contrainte. 4° Les semi-pélagiens admet taient la nécessité de la grâce intérieure prévenante pour toutes les bonnes oeu
vres, même pour le commencement de la foi et ils étaient hérétiques en ce qu'ils voulaient que cette grâce fût telle que la volonté humaine pût lui résister ou lui obéir. 5° C'est parler en semi-pélagien de dire que Jésus Christ est mort ou qu'il a répandu son sang pour tous les hommes sans en excepter un seul. Votre Sain teté a vu par expérience la soumission qu'on a eue dans tout le royaume pour la
censure qu'Elle a faite du livre des deux chefs: la tempête a cessé à sa voix com
22 M. D., Rome 17, f. 179. Dans la relation de Le Dran, en marge au texte qui relate l'expédi tion de la lettre signée «de soixante dix évêques», on lit: «On voit dans l'histoire du jansénisme par le P. Gerberon p. 393 les noms des 70 évêques qui signèrent d'abord cette lettre pour le premier envoi à Rome. Dans la suite d'autres évêques en signèrent un duplicata ou envoyèrent pouvoir et commission de signer la lettre pour eux. De sorte qu'on l'a depuis regardée comme ayant été si
gnée par 85 évêques». 23 Nunz. Diverse 65, f. 192, ou Nunz. Francia 102, f. 138, Bagno à secrétairerie, 28 ou
30. IV. 51.
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116 PIERRE BLET S.I.
me à la voix du Seigneur, à laquelle la mer et les vents ont obéi. De sorte que nous implorons la même voix, à laquelle l'évêque d'Ypres s'est déjà soumis par avance en mourant, afin que Votre Sainteté, en calmant le trouble et en dissipant le nuage qui s'est jeté dans les esprits rende à l'Eglise sa splendeur et sa tranquil lité. Dans l'espérance d'un secours si nécessaire nous prions Dieu qu'il La comble
de ses grâces et qu'après une longue vie il Lui donne une heureuse éternité24.
Les historiens du jansénisme ont longuement relaté l'accueil fait par Inno
cent X à la requête des évêques de France, les objections qui lui furent soumi
ses, la commission qu'il forma, les docteurs envoyés par chacun des deux par
tis, amis et adversaires de Jansénius, et finalement la décision du Souverain Pontife condamnant les cinq propositions dans sa bulle Cum occasione du 31 mai 16532S.
Le Pape expliquait «qu'à l'occasion de l'impression du livre intitulé Augus tinus de Cornélius Jansénius, évêque d'Ypres», des controverses s'étaient éle
vées et qu'on lui avait soumis cinq propositions sur lesquelles on demandait sa décision. Après mûr examen, il prononçait sa sentence. Le document pontifical reprenait les cinq propositions et chacune était l'objet d'une ou plusieurs quali fications théologiques:
La première proposition, sur les commandements impossibles à observer
par les justes, quand il leur manque la grâce, était déclarée téméraire, impie, blasphématoire, frappée d'anathème et hérétique; la seconde, que dans l'état
actuel on ne résiste pas à la grâce, et la troisième, qu'il suffit pour mériter ou démériter d'être exempt de contrainte, étaient hérétiques, la quatrième, pré
tendant qu'il était hérétique de dire que l'on pouvait résister à la grâce, était déclarée fausse et hérétique, et la cinquième, qui qualifiait de pélagienne l'af
firmation que le Christ était mort pour tous les hommes, était condamnée
comme fausse, téméraire, scandaleuse, impie, blasphématoire, injurieuse pour
la bonté divine et hérétique26.
Jusqu'alors le pouvoir royal semble n'être intervenu que discrètement. Le
24 mai 1652, note seulement Le Dran, étaient arrivés à Rome les docteurs an
ti-jansénistes avec des lettres du Roi et de la Reine pour le bailly de Valençay, l'ambassadeur de Sa Majesté27. Le 9 septembre suivant l'ambassadeur avait
écrit à Brienne, le secrétaire d'Etat pour les affaires étrangères:
«Le Roi et la Reine m'ayant recommandé de presser le Pape de terminer le différend de la grâce et de recommander la personne du sieur Hallier et des doc teurs qui le secondent contre ceux que l'on nomme jansénistes, j'ai exécuté les ordres de Leurs Majestés et en ai parlé à Sa Sainteté et à quelques cardinaux de la congrégation députée pour cette affaire, et puis quasi assurer qu'on en verra bientôt la fin, parce que Sa Sainteté s'y échauffe et sans vouloir entrer en des
24 Rapin I, 370-371. Copie du texte latin dans Nunz. Francia 102, f. 136-137.
25 Pour l'histoire de la condamnation des cinq propositions à Rome voir l'article cité de Carreyre (note 3) et Pastor XIV/1, 190-207.
26 M.C., I, 227-232; Bullarium RomanumXV, p. 720-721.
27 M.D., Rome 17, f. 190.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 117
grandes questions vagues comme ont été celles qui ont été agitées sous Clément huitième et Paul cinquième, s'arrêtant seulement aux cinq propositions présen tées par lesdits jansénistes, qui veut qu'elles soient diligemment examinées et ré solues. Autant que j'en puis juger je crois que ce ne sera pas à l'avantage de ceux
qui en sont les auteurs»28.
Il avait pourtant fallu attendre encore huit mois. La bulle Cum occasione, publiée à Rome le 9 juin, fut envoyée toute imprimée au nonce Bagno, accom
pagnée d'un bref pour le Roi et d'un autre pour le clergé de France:
«Avec ce courrier, écrivait au nonce le cardinal patron en date du 9 juin, vous recevrez les exemplaires de la bulle qu'après une longue et mûre considération Sa Sainteté a publiée sur les cinq propositions de la doctrine de Jansénius, pour que vous puissiez la communiquer aux évêques de ce royaume. Vous avez encore
deux plis avec deux brefs du Souverain Pontife au Roi et au clergé de France, dont vous verrez la teneur dans les copies et avec un exemplaire de la bulle dans
chacun des plis. Votre tâche sera de remettre l'un et l'autre comme il conviendra, Sa Béatitude étant persuadée que l'assistance divine qui l'a poussée à prendre cette décision voudra encore disposer les esprits des princes catholiques, des pas teurs et des fidèles à s'y conformer complètement comme ils le doivent»29.
En même temps qu'au roi de France la bulle était envoyée à l'Empereur,
aux rois d'Espagne, de Pologne, au duc de Bavière, aux trois archevêques Elec
teurs et aux princes du Rhin et à l'archiduc Léopold, gouverneur des Pays-Bas pour le roi d'Espagne30.
Dans le bref à Louis XIV, Innocent X se bornait à dire au Roi qu'il lui adressait la bulle qu'il venait de publier, ne doutant pas qu'elle ne fut «très
agréable à votre piété, attendu principalement que vous nous avez fait instance
par votre ambassadeur pour obtenir la décision de ce Saint Siège»31. Il était seu
lement sous-entendu que l'on comptait sur le gouvernement royal pour assurer
en cas de besoin l'obéissance au Saint Siège. Cela le nonce pourrait le préciser. Le 3 juillet après le déjeûner l'archevêque d'Athènes fut reçu en audience,
d'abord par le cardinal Mazarin. Le nonce demanda au premier ministre d'in
terdire à toute sorte de personnes et spécialement aux Parlements et aux uni
versités, de faire opposition à la bulle. Mazarin loua le zèle du Pape au service de la foi, promit qu'il ne manquerait pas d'apporter son concours à l'exécution
de la bulle et dit à Bagno que Sa Majesté l'attendait. Au jeune Louis XIV, le nonce répéta ce qu'il venait de demander à Mazarin et le Roi, «aussitôt après
avoir reçu aimablement le bref à lui adressé et un exemplaire imprimé de la
bulle, déclara qu'il assisterait de son autorité les intérêts de Notre Seigneur et
du Saint Siège».
28 Rome 121, f. 173rv, L'ambassadeur attribue les cinq propositions aux jansénistes: cela
montre évidemment qu'il n'est pas parfaitement informé de la matière, mais aussi que les doc teurs jansénistes ne songeaient pas alors à défendre YAugustinus en disant qu'il ne contenait pas les cinq propositions.
29 Nunz. Francia 279, f. 213rv, Pamfili à Bagno, 9. VI. 53. 30
Epistolae ad Principes 58, f. 116-117. 31 Ibid., f. 117rv.
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118 PIERRE BLET S.I.
Après le Roi, le nonce Bagno rencontra la Reine mère. Anne d'Autriche fit à l'archevêque d'Athènes un long discours et lui déclara qu'elle avait beaucoup désiré cette bulle. Bagno la pria «de faire par l'autorité du Roi que certains du
Parlement, qui sont jansénistes, comme de la Sorbonne et du collège de Navar
re et d'autres collèges, s'abstiennent de parler contre la décision des cinq points, et [ajouta qu'il avait] entendu dire qu'il se tenait des réunions sur cette affaire pour former quelque opposition à la bulle»32.
Il semble que la cour n'entendait pas s'en tenir à de bonnes paroles: dès le
4 juillet une Déclaration du Roi était expédiée pour enjoindre aux évêques du
royaume de recevoir et exécuter la bulle du Pape dans leurs diocèses:
LOUIS par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à nos amés et féaux conseillers en nos conseils, les sieurs archevêques et évêques de nos royau mes, pays et terres de notre obéissance, salut. Notre Saint Père le Pape ayant par sa bulle, de laquelle copie est ci-attachée sous le contrescel de notre chancellerie, décidé cinq propositions diversement enseignées et après avoir invoqué le Saint
Esprit et pris avis de plusieurs cardinaux, prélats et autres grands et savants per sonnages, décerné ce qui en doit être cru: à quoi il s'était d'autant plus volontiers
disposé, qu'il avait souventes fois été requis de notre part de le faire afin de pré venir les divers maux qui en pouvaient naître si le remède était plus longtemps différé. Et le sieur Bagny, archevêque d'Athènes, nonce de Sa Sainteté près de notre personne nous ayant requis de sa part en nous présentant son bref du 31 mai d'employer notre autorité pour la publication et l'exécution de ladite bulle dans l'étendue des Etats que la divine bonté nous a soumis, Nous, qui à l'imita tion des rois nos prédécesseurs nous glorifions bien davantage du titre de roi très chrétien et fils aîné de notre mère saint Eglise que de ceux qui sont communs aux autres princes et monarques, ayant vu qu'en ladite bulle 0 n'y a rien de contraire aux libertés de l'Eglise gallicane et droits de notre couronne, et désirant en ce rencontre donner une marque assurée de notre piété envers Dieu et de notre re connaissance de tant de grâces desquelles nous lui sommes redevable et de notre dévotion envers Notre Saint Père le Pape: Nous voulons et entendons que ladite bulle soit reçue par tout notre royaume et pour effet vous exhortons et admones tons que vous ayez à la faire publier et exécuter suivant sa forme et teneur en toute l'étendue des archevêchés et évêchés de notredit royaume, pays et terres de notre obéissance. Mandons en outre, ordonnons et très expressément enjoignons à tous nos officiers et sujets qu'il appartiendra et qui seront par vous ou vos pro moteurs requis, de tenir la main à l'exécution des présentes, de vous aider et as sister sans attendre autre commandement de notre part, que celui contenu en cesdites présentes. CAR tel est notre plaisir. Donné à Paris le quatrième jour de
juillet de l'an de grâce mil six cent cinquante trois et de notre règne l'onzième.
[Signé] LOUIS, [et plus bas] de Loménie33.
Le nonce dut attendre jusqu'au 8 juillet pour présenter le bref adressé aux
évêques, pour laisser à l'éditeur du clergé, Cramoisy, le temps de faire impri mer les 150 exemplaires de la bulle, que «selon l'usage je devais remettre aux agents [du clergé] afin qu'ils en envoient un exemplaire à chacun des archevê
août.
32 Nunz. Francia 106, f. 137-138, Bagno à secrétairerie, 4. VII. 53, copie au Saint Office le 23
33 Rome 122, f. 199; édit. M.C., I, col. 233-236.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 119
ques et évêques de ce royaume». Le chancelier en vait profité pour faire impri mer le bref au Roi et la Déclaration de Sa Majesté34.
Les mal intentionnés, ajoutait Bagno, prétendaient qu'il aurait dû remet tre la bulle aux agents du clergé avant de la présenter au Roi, que le Roi ne de
vait pas employer dans sa Déclaration les mots de «exhortons et enjoignons
aux évêques nos conseillers», de publier la bulle. D'autres souhgnent que par
cette Déclaration le monarque se met en possession de recevoir les bulles et
donc éventuellement de les refuser. Puis des évêques qui n'ont pas demandé la
bulle disent que la requête devait être faite au nom du clergé et après examen
des propositions. Les auteurs de ces critiques, concluait le nonce, sont des gens
qui regrettent les bonnes dispositions du Roi ainsi que sa Déclaration, parce qu'ils avaient l'intention de mettre des obstacles à l'exécution de la bulle; ainsi le bref à Louis XIV avait été très opportun, car sans le Roi «on aurait rencontré
beaucoup de difficultés avec le Parlement et avec beaucoup d'autres personnes
puissantes favorables à l'opinion contraire, quelques évêques étant même aus
si d'accord avec elle». Bagno ayant enfin remis aux agents du clergé le bref
adressé aux évêques, Mazarin avait décidé que la réunion de prélats dans la
quelle on ouvrirait le document pontifical se tiendrait en sa présence35. La première réunion des évêques qui se trouvaient pour lors à Paris ou
aux environs se tint au Louvre le 11 juillet, dans les appartements et sous la
présidence du cardinal Mazarin. Les prélats étaient au nombre d'une trentai
ne. En dépit de la modestie de son évêché de Consérans, Pierre de Marca allait
tenir dans ces réunions un rôle de premier plan. C'était, au dire du P. Rapin, le
plus habile homme du royaume. Il était d'une ancienne noblese de Béarn et l'auteur du livre fameux de la concorde de l'Empire et du sacerdoce. «La pro
fonde connaissance qu'il acquit des affaires de l'Eglise par la lecture des anciens canons et des Pères, jointe à une grande étude de l'histoire ecclésiastique et de la théologie le rendit l'oracle de son siècle dans la matière de la religion»36.
Dans la première séance du Louvre, on lut la bulle du Pape, le bref qu'il
adressait au clergé de France et les lettres patentes de Sa Majesté. Tel ou tel re
marqua que
«ces lettres du Roi n'auraient pas dû précéder la délibération des évêques, mais
on considéra que l'intention du monarque était seulement de déclarer que la
constitution apostolique n'avait rien de contraire aux lois du royaume et d'en
protéger l'exécution que l'on confiait aux évêques, Sa Majesté laissant entière
ment aux prélats la réception solennelle de ladite constitution, qui devait être fai
te par l'autorité ecclésiastique»37.
Mazarin dit que la bulle ayant été donnée à la prière du Roi et à celle des
évêques, il fallait lui obéir, Sa Majesté le voulant ainsi, et il fallait aussi remer
34 Nunz. Francia 106, f. 139, Bagno à Pamfili, 11. VII. 53. 35 Nunz. Francia 106, f. 140-142v, même dépêche du 11. VII. 53. 36
Rapin II, 205. 37
M.D., Rome 17, f.210rv.
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120 PIERRE BLET S I.
cier le Pape. Pierre de Marca fut chargé de préparer la lettre de remerciement
au Pape et l'évêque de Grasse la circulaire aux évêques absents, «pour accom
pagner le bref et un exemplaire de la bulle souscrit du nonce». Dans la séance du mercredi 16 juillet, on donna lecture de la lettre au Pa
pe; on en enleva quelques mots au nom des libertés de l'Eglise gallicane. Cer
tains, soulignait Bagno, auraient fait plus de bruit sans l'autorité du cardinal
Mazarin, et si Marca n'avait su défendre efficacement ce qu'il avait fait à l'a
vantage de l'autorité du souverain Pontife, soutenu qu'il fut par la majorité de ses collègues. Tout fut conclu par la signature que Mazarin apposa à la minute
de la lettre au Pape38.
C'est vraisemblablement dans cette réunion que fut débattue la question
de l'enregistrement de la bulle en Parlement, à moins qu'elle ne l'ait été entre
Mazarin et Marca. Au dire de Le Dran, le cardinal ministre aurait pensé à des lettres patentes aux Parlements «pour assurer l'uniformité entre les évêques
dans la publication de la bulle»39. Un mémoire conservé dans la correspondance de Rome semble envisager
cette possibilité et examine les précautions à prendre dans la rédaction de ces
lettres patentes. L'auteur du mémoire, probablement Marca, fait pressentir les
résistances auxquelles se heurteront le Roi et le Pape dans leur lutte contre le
jansénisme.
«Pour éviter de tomber dans quelque faute considérable en dressant les let
tres de Déclaration pour le Parlement afin qu'il enregistre la constitution du Pa
pe, il faut considérer en peu de mots ce que les puissances ecclésiastique et sé
culière contribuent pour la décision et l'exécution des articles de foi».
Le premier principe est qu'il appartient à l'Eglise seulement, à l'exclusion des puissances séculières, de décider des matières de foi. Les princes n'y peu vent délibérer ni conclure, mais «ils peuvent et doivent seulement fortifier par
leur autorité les évêques en l'exécution. C'est un principe affirmé par les an
ciens Pères, par les conciles généraux, par les empereurs de Constantin à Justi
nien, par les rois chrétiens de France, d'Espagne et de Germanie».
Ayant ainsi délimité le rôle du pouvoir temporel dans le domaine de la
foi, le mémoire examine la ou les manières dont l'Eglise tranche des contro verses doctrinales. L'un des moyens de décider ces différends c'est celui «d'un concile universel des évêques députés par les provinces sous la prési dence du Pape, qui est la pratique de l'ancienne Eglise lorsque la convoca tion du concile était facile, la plus grande partie des évêques qui le compo saient étant établis dans l'Empire, au lieu qu'ils sont maintenant divisés en divers Etats».
L'autre moyen de décider est un décret du Pape, porté après examen de la
matière et consultation des experts. Jean Gerson et l'ancienne Sorbonne
Nunz. Francia 106, f. 147-148, Bagno à Pamfili, 18. VII. 53. M.D., Rome 17, f. 24.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 121
«accordent que le Pape a le pouvoir de juger les controverses de foi sans qu'ils l'o
bligent à la nécessité d'attendre un concile national, dont il confirme ensuite la déci sion par son autorité supérieure. Ils disent que son jugement est souverain et qu'il doit être exécuté dans la rigueur de toutes les peines contre les rebelles qui opinent contre la décision. Cependant ces théologiens ne regardent pas le jugement du Pa
pe comme infaillible tant qu'il n'a pas été confirmé par un concile général. Cette
opinion, qui refuse au Pape l'infaillibilité en matière de foi n'est pas la plus com
mune; néanmoins elle n'est pas tenue pour hérétique, même à Rome».
Il en résulte pour le cas présent que la bulle Cum occasione a été donnée
selon les maximes de France. A quoi il faut ajouter, continuait le mémoire, ré
pondant manifestement aux critiques relatées par le nonce, que la prétention
de faire tenir un concile national en France avant que le Pape puisse prononcer
est une opinion fausse, sans aucun fondement dans l'usage de l'antiquité, les
exemples que l'on allègue ne pouvant servir à l'établir s'ils sont entendus dans
leur vrai sens». Il est vrai que les évêques réunis en concile provincial peuvent
juger de l'hérésie, mais il ne s'ensuit pas que le Pape ne puisse en décider avant que le concile provincial se soit prononcé40.
Le mémoire discute ensuite les conditions nécessaires pour rendre obliga toire la sentence pontificale. A Rome on tient que la publication qui se fait dans la Ville même des constitutions apostoliques suffit à les rendre obligatoires par toute la Chrétienté. En vertu des libertés de l'Eglise gallicane «les bulles des
Papes décernées sur quelque matière que ce soit n'obligent en France qu'après
la publication sur les lieux». Et quand il s'agit de matières purement spirituel les, cette publication doit être faite par les évêques et non point par l'autorité séculière. Les évêques en effet «tiennent immédiatement de Jésus Christ leur
puissance, quoique subordonnée à celle du Pape et ils composent avec lui le ré
gime aristocratique de l'Eglise, comme avoue le cardinal Bellarmin, lorsqu'il remarque la différence qu'il y a entre les gouverneurs des provinces, qui n'ont
point d'autre autorité que celle que le Roi leur communique, et les évêques,
qu'il dit tenir leur autorité de Dieu, quoique le ministère du Pape intervienne
pour le leur confirmer». Ce qui à vrai dire était une présentation assez approxi mative de l'ecclésiologie de Bellarmin qui, tout en affirmant l'institution divine de l'épiscopat, enseigne que c'est le Pape qui communique aux évêques leur ju
ridiction de droit divin.
Après cet exposé des principes, le mémoire en tire les conséquences prati
ques sur la manière de publier la Cum occasione. Cette bulle ordonne aux
évêques d'en assurer l'exécution dans leurs diocèses, sans parler de la publica tion; c'est une omission contraire aux libertés de l'Eglise gallicane. Elle a été
réparée par la lettre du Roi, qui exhorte les évêques à la faire publier et exé cuter. Et dans leur lettre au Pape les évêques lui écrivent qu'ils feront publier et exécuter sa constitution dans leurs diocèses.
S'il importait de prendre ces précautions du côté de Rome, plus encore fal
lait-il se garder du côté des Parlements. Aussi rappelait-on que ce n'était pas à
Rome 123, f. 172, Mémoire sur la publication de la condamnation des cinq propositions.
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122 PIERRE BLET S I.
l'autorité royale qu'il appartenait de publier la constitution, «laquelle étant fai
te sur matière de foi, la publication n'en peut être faite valablement que par l'autorité épiscopale». Il fallait donc bien préciser ce qui en pareille matière re levait des Parlements:
«L'exécution directe contre les accusés est de la juridiction ecclésiastique... Le
Parlement ne peut se mêler de cette exécution que pour fortifier la juridiction ecclé
siastique, soit en rejetant les appels comme d'abus, sur l'incompétence que les ac
cusés laïcs ou ecclésiastiques exempts pourraient prétendre contre les évêques, soit
en ordonnant la peine de confiscation, de bannissement ou de mort contre ceux qui seraient condamnés comme hérétiques par les évêques et remis au bras séculier».
Mais le mémoire excluait la saisie du temporel des évêques désobéissants par sentence du Parlement: il se promettait de trouver un procédé «plus canonique»41.
Ainsi dès 1653 l'auteur du mémoire envisageait les obstacles que rencon treraient en France les sentences pontificales prononcées contre le jansénisme,
contestation de certains évêques, usurpation des Parlements sur la juridiction ecclésiastique, et il demeurait incertain sur les moyens de les surmonter, en
particulier quand ils viendraient des évêques. Finalement on renonça à faire enregistrer la bulle d'Innocent X. Le Dran
a dû avoir en main un billet de Mazarin du 3 janvier 1654, qui indique «au su
jet des lettres patentes en forme de déclaration, que le prélat qui y avait tra
vaillé n'était pas d'avis qu'on se servît de la voie du Parlement, d'autant que cette compagnie avait déjà trop d'autorité sans lui en attribuer davantage, par ticulièrement en une affaire de cette nature»42.
La bulle du Pape fut donc envoyée aux évêques du royaume avec la cir
culaire préparée par l'évêque de Grasse et signée par tous les prélats de l'as
semblée de juillet 1653. On y expliquait aux évêques qui ne s'étaient pas trou vés à la réunion du Louvre que certaines propositions avaient été envoyées au
Pape par «plusieurs» de leurs confrères. Ces derniers n'avaient pas jugé, vu les
circonstances, «en devoir faire eux-mêmes le premier jugement comme il leur
appartenait par l'essence de leur dignité et selon les formes canoniques». La
circulaire relatait brièvement la réunion du Louvre et déclarait que les prélats
qui y avaient participé, ayant reçu la sentence du Pape, avaient «cru avec rai
son avoir prononcé avec lui la condamnation des propositions qu'il a condam nées». Ils communiquaient aussi à leurs confrères la lettre qu'ils envoyaient au
Pape, en les invitant à écrire pareillement à Sa Sainteté43. C'était Marca qui avait préparé la réponse au bref qu'Innocent X avait
adressé au clergé de France. De même que l'hérésie de Pélage avait été condamnée par le pape Innocent I, l'erreur toute opposée de Jansénius avait été portée au tribunal d'Innocent X par les évêques de France, qui savaient
«que les jugements rendus par les papes pour affermir la règle de la foi... sur la consultation des évêques sont animés de l'autorité souveraine que Dieu leur
41 Rome 123, f. 173. 42
M.D., Rome 17, f. 244v. 43
M.C., I, col. 241-244.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 123
a donnée sur toute l'Eglise». C'était pourquoi les trente signataires de la lettre
promettaient au Pape de faire observer sa constitution dans leurs diocèses44.
Aux assurances des évêques, le Roi ajoutait les siennes. En une lettre ex
pédiée sous la date du 22 juillet de La Fère, car il était aux armées, Louis XIV
promettait au Pape l'appui de son autorité:
Très Saint Père, La lettre qui est écrite à Votre Sainteté par les prélats de no
tre royaume qui se sont trouvés en notre cour lorsque la bulle par laquelle Votre
Sainteté décide cinq propositions importantes y a été apportée lui fera voir claire
ment que quand nous l'avions conviée de donner le repos aux consciences de plu
sieurs, c'était autant du consentement du clergé de ce royaume très chrétien que de
notre propre mouvement que nous lui faisions cette instance. Votre Sainteté de
meurera assurée par la lettre desdits prélats de la publication de sa bulle, et par cel
le-ci (cette lettre), que nous n'avons pas moins de zèle pour l'Eglise ni de respect
pour sa personne que nos prédécesseurs en ont eu pour le Saint Siège, que nous
tiendrons la main que ses décrets soient suivis, gardés, exécutés par toute sorte de
personnes, comme nous l'avons ordonné par nos lettres patentes en date du qua trième jour du courant. Dieu, à la gloire duquel vous l'avez si saintement décidé, en sera votre récompense et exauçant nos voeux conservera longuement et heu
reusement Votre Sainteté au régime de notre mère sainte Eglise. Fait à La Fère, ce 22 juillet 1653.
Votre dévot fils le roi de France et de Navarre
[Signé] LOUIS, [et plus bas] de Loménie45.
Sans tarder la Reine voulut tenir les promesses du Roi son fils. A la fin de
juillet le nouvel évêque de Rennes et docteur de Sorbonne, La Mothe Houdan
court, vint prêter son serment de fidélité entre les mains de la Reine, Louis XIV se trouvant aux armées: le prélat fut chargé de porter la bulle du Pape à la
faculté de théologie, dont il était docteur et il exécuta sa commission le 1 août.
Il aurait déclaré aux docteurs assemblés pour la prima mensis
«que Sa Majesté ayant demandé au Pape la résolution du Saint Siège sur les pro
positions extraites du livre de Jansénius et l'ayant reçue depuis peu des mains du
nonce, il voulait que cette bulle fût reçue en Sorbonne et que le roi voulait la fai
re enregistrer dans tous les Parlements du royaume; et après que l'assemblée du
clergé l'avait reçue avec applaudissement sans aucune opposition, il désirait
qu'elle fût reçue de la même manière, défendant à tous docteurs et bacheliers de
soutenir ou d'enseigner jamais cette doctrine qui venait d'être condamnée».
Le P. Rapin assure que ce discours fut reçu de tous, les opposants s'étant
retirés. L'évêque précisa que Sa Majesté voulait que la bulle fût transcrite sur
les registres de la faculté. L'un des docteurs fit observer que ce n'était pas l'u
sage, mais qu'il fallait le faire puisque le Roi le voulait. Un autre aurait répli
qué en se moquant: «Quoi, n'avons nous pas du moins une liberté exempte de
la contrainte, telle que l'enseigne M. d'Ypres?» Les ordres du Roi furent exé
cutés et la faculté de théologie se soumit aux définitions du Pape46.
44 M.C., I, col. 237.
45 Nunz. Francia 107, f. 323, Louis XTV à Innocent Χ, 22. VII. 53. (Copie; l'original fut en
voyé au Saint Office le 21 août). 46
Rapin II, p. 134-135.
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124 PIERRE BLET S.I.
2. La contestation episcopale
La plupart des évêques du royaume, y compris ceux qui n'avaient pas si
gné la requête de la décision romaine, se soumirent à la double autorité du Pa
pe et du Roi: cent onze évêques, dira un peu plus tard le nonce à la Reine, pu
blièrent la bulle dans leurs diocèses, purement et simplement. Il se rencontra
pourtant quelques exceptions, dont la plus notable fut celle de Henri de Gon drin de Pardaillan, archevêque de Sens, primat des Gaules et de Germanie. Henri de Gondrin, destiné à jouer un rôle important dans cette première phase du jansénisme, était parent et fut fait coadjuteur d'Octave de Bellegarde, ar
chevêque de Sens, par Urbain VIII. Ce furent, prétend le P. Rapin, les jésuites qui le poussèrent, parce qu'il avait fait ses études à La Flèche. Son oncle aurait dit: «Les bons pères ne le connaissent pas, mais ils le connaîtront un jour» '.
Quoiqu'il en soit, l'archevêque de Sens fit imprimer la bulle Cum occasione dans son original latin et l'accompagna d'une lettre pastorale, naturellement en
français, qui disait à peu près le contraire. Il expliquait que la doctrine de saint
Augustin sur la grâce était la doctrine de l'Eglise, qu'elle avait reçu en ces der niers temps un nouveau lustre, sous-entendu par la publication de l'Augustinus,
mais que certains particuliers avaient fabriqué cinq propositions, qui pouvaient avoir un sens hérétique et qu'ils les avaient attribuées à l'évêque d'Ypres.
Tout en publiant la sentence pontificale, l'archevêque ne pouvait s'empê cher de rappeler que selon l'ordre commun, le jugement du Pape doit être pré cédé du jugement des évêques du royaume, «à qui il appartient de droit par es sence de leur dignité et selon les formes canoniques d'en faire un premier juge ment dans un concile». Dans le cas présent, la nature de l'affaire eût requis une
première sentence, portée «par les successeurs des Apôtres et les Pères de l'E
glise gallicane, étant établis par l'autorité du Saint Esprit juges naturels et légi times en première instance des causes majeures et des questions de foi»2.
Les évêques d'Angers, de Comminges et de Beauvais donnèrent des man
dements de la même veine, en sorte que quatre mois après la publication de la
bulle Cum occasione le Pape et le Roi se trouvaient affrontés à la contestation
de plusieurs évêques du royaume.
Le 12 septembre le nonce Bagno informa la secrétairerie d'Etat romaine de la pastorale de l'évêque d'Angers3, et le 17 octobre il envoyait celle de l'archevê
que de Sens. Et déjà il se plaignait de la tiédeur de la cour de France, qui tolérait les conciliabules tenus à Port Royal4. Quinze jours plus tard le nonce se lamen tait que «le Conseil de Sa Majesté occupé à d'autres affaires, bien qu'informé par beaucoup de gens et par moi-même par l'intermédiaire du sieur Brienne et d'autres, ne persévère pas dans la ferveur qu'il avait déclarée au début»5.
1 Rapin I, 48-50. Sur Gondrin, voir: Georges Dubois, Henri de Pardaillan de Gondrin, ar
chevêque de Sens (1646-1674), Alençon 1901. 2
Paris, Bibl. Nat., Ms. Baluze 122, f. 5-11. 3 Nunz■ Francia 106, f. 199, Bagno à Pamfìli, 12. IX. 53. 4
Ibid., f. 213, Bagno à Pamfìli, 17. X. 53. 5 Nunz■ Francia 107, f. 409, Bagno à secrétairerie, 31.X. 53.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 125
Dans son courrier de la semaine suivante le nonce référait qu'il avait eu
recours à quelques amis, entre autres à Vincent de Paul, pour faire compren
dre à l'archevêque de Sens et à l'évêque d'Angers l'impropriété des termes de leurs pastorales. Du Conseil du Roi il n'attendait que de bonnes paroles. Aussi
suggérait-il au Pape de donner une commission à trois ou quatre évêques pour
engager le procès des prélats désobéissants, tout en demandant au Roi l'assis
tance nécessaire contre les interventions des Parlements6.
Cette dépêche n'était pas encore arrivée à Rome que sous la date du 17 no
vembre la secrétairerie d'Etat communiquait à Bagno les sentiments du Pape et
de ses conseillers sur la conduite de l'archevêque de Sens. Ce prélat, «qui se fait
primat des Gaules et de Germanie» et qui devrait donner l'exemple, maintient
ses subordonnés sinon dans l'erreur condamnée, au moins dans l'hésitation sur
ce qu'ils doivent croire. Sa lettre est remplie «de mensonges, d'opinions erronées
et préjudiciables à l'autorité du Pape». Elle est d'autant plus détestable qu'elle se
couvre du prétexte de l'obéissance à la bulle pour exciter dans le peuple les schi
smes et les dissensions et leur rendre odieux le nom du Pontife Romain, «com
me s'il n'avait pas procédé de façon correcte en cette résolution si sainte et si ca
nonique». Le Pape entendait ne pas laisser cet attentat impuni et Bagno devait
s'infonner sur la meilleure voie à suivre pour mortifier le prélat7. Au reçu des dépêches de Rome, Bagno parla au chancelier des mande
ments de l'archevêque de Sens et des évêques d'Angers et de Beauvais8, et le
16 décembre il aborda la question avec Louis XIV. Mais le monarque parut en
nuyé et ne montra pas son zèle d'antan contre l'erreur. Pour Mazarin, estimait
Bagno, il serait heureux de voir mortifier l'archevêque de Sens, mais il aimait
les évêques d'Angers et de Beauvais9. Cependant sur les perspectives d'inter
vention contre Gondrin et ses confrères, le nonce Bagno semble s'être rensei
gné à bonne source, car il exposait la question telle qu'elle demeurera posée au
Saint Siège comme au gouvernement royal jusqu'à la fin du règne:
«J'entends dire que ledit archevêque, prévoyant le ressentiment que Sa Sain
teté serait prête à manifester, fait étudier les privilèges de l'Eglise gallicane, les
décrets de l'assemblée du clergé et en particulier de la dernière, à l'occasion des
évêques d'Albi et de Léon en Bretagne, qui furent jugés par d'autres évêques
délégués par Notre Seigneur [le Pape], car on trouve dans ce décret l'instance
adressée à Sa Sainteté d'observer les anciens canons, dans l'intention de faire re
cours et de se révolter, conformément à son cerveau inquiet, afin de se soustraire
à l'obéissance qu'il doit au Saint Siège; et quand tout cela ne serait pas réprimé
par l'autorité du Roi, ce pourrait faire craindre de nouveaux troubles, les autres
évêques se joignant à lui en croyant y trouver leur avantage, suivis des jansénis
tes. Je supplie donc Votre Eminence que ce que me commandera Sa Sainteté soit
fondé plutôt sur les dispositions desdits canons que sur le concordat, dont les évê
ques se plaignent toujours, afin d'enlever à ceux qui ne voudraient pas obéir
comme ils le devraient l'occasion de chicaner»l0.
Nunz. Francia 106, f. 228-229, Bagno à Pamfili, 7. XI. 53.
Nunz- Francia 279, f. 247v-249, Pamfili à Bagno, 17. XI. 53.
Nunz. Francia 106, f. 255, Bagno à Pamfili, 12. XII. 53.
Nunz. Francia 106, f. 270, Bagno à secrétairerie, 19. XII. 53. 1 ... perché intendo che il d° arcivescovo, prevedendo il rissentimento che S. S.tà sià per mos
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126 PIERRE BLET S.I.
Mais à l'arrivée de cette dépêche, Innocent X avait déjà pris sa décision. En date du 22 décembre le cardinal Chigi informait Bagno qu'il allait recevoir un bref adressé à quatre prélats, choisis d'ailleurs sur une liste envoyée par le
nonce des évêques les plus dévots à Rome, l'archevêque d'Arles, les évêques
du Puy, de Consérans et de Macon, pour les habiliter à entamer une procédure
contre l'archevêque de Sens.
Dans le bref Nuper pervertit, le Pape disait qu'il avait eu connaissance d'une lettre pastorale destinée à accompagner sa bulle contre les cinq
propositions, lettre signée de «l'archevêque de Sens, primat des Gaules et de
Germanie», et dans laquelle se trouvaient des choses «scandaleuses,
téméraires, schismatiques et sentant l'hérésie». En conséquence il chargeait l'archevêque d'Arles, et les évêques du Puy, de Consérans et de Macon, ou
deux d'entre eux, agissant comme délégués du Pape, d'informer pour savoir si
la lettre en question était bien de l'archevêque de Sens et publiée par son ordre. Ils établiraient un acte authentique du résultat de leur enquête et
l'enverraient au Pape pour lui permettre de prendre les décisions requises u.
Le document fut envoyé au nonce avec mission de le remettre à ses desti
nataires avec les explications opportunes. A cette fin la secrétairerie d'Etat en
voyait aussi au nonce l'objet du délit, c'est-à-dire la pastorale de Gondrin, et y joignait une copie de la procédure qu'avait conduite le cardinal de Tournon contre le cardinal de Châtillon, convaincu d'hérésie. Bagno préviendrait la cour de France, ne serait-ce que par politese et pour plus de sûreté12.
Le bref Nuper pervertit dut arriver au nonce en France à la mi-janvier 1654. L'archevêque d'Athènes s'empressa de retourner voir Leurs Majestés et
les avisa de la commission dont Sa Sainteté chargeait quatre prélats du royau me pour informer sur la pastorale de l'archevêque de Sens, et il rappela au Roi
et à sa mère les intentions qu'ils avaient manifestées quand il leur avait présen té la bulle Cum occasione. Le jeune Roi répondit au nonce qu'il pouvait être
certain qu'il n'avait pas changé. A la Reine, Bagno répéta le même discours,
ajoutant qu'il était étrange, après que quatre-vingts évêques eussent demandé
trare, fa studiare li privilegi della Chiesa gallicana, li decreti dell'assemblea del clero et in particolar dell'ultima in occasione dei vescovi di Albi et di Leon in Bertagna, che furono giudicati da altri ves covi deputati da N. S., apparendo in detto decreto l'istanza fatta à S. S.tà dell'osservanza de cano ni antichi con pensiero di far ricorso e rivolte, conforme all'inquietudine del suo cervello per sot trarsi dalla dovuta obbedienza alla Santa Sede, il che quando non fusse ribbaduto con l'autorità del Re, si potrebbe temere che potesse accender nuova turbulenza per l'aderenza delli altri vescovi, che credessero risultarne il loro vantaggio, sequitati da jansenisti. Supplico V. Em.za che quello che S. S.tà commandera sia più tosto fundato sopra disposizioni di detti canoni che nel concordato del quale li vescovi sempre si dolgono, per levar l'occasione anco a quelli che non volessero obbedire come dovrebbero, di cavillare (Nunz. Francia 106, f. 272rv, Bagno à secrétairerie, 19. XII. 53).
11 Brevi 1122, f. 263: «S. V. committit tribus (sic) episcopis Franciae ut ipsi vel saltem duo ex ipsis capiant omni meliori et opportuniori qui eis videbitur modo, informationem super epistola edita et vulgata per archiepiscopum senonensem seu ejus jussu in actu publicationis constitutionis S. V. qua ipse quinque propositiones in occasione libri cui titulus Augustinus Cornelii Jansenii damnavit atque informationem huc in scripturam authenticam redigant (edit. Bullarium Roma num XV, p. 745-746).
12 Nunz. Francia 279, f. 261-262, Chigi à Bagno, 22. XII. 53.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 127
la déclaration du Pape, que cent onze l'eussent reçue, d'en voir quatre agir au
trement. Anne d'Autriche répondit qu'elle ne s'étonnait pas moins et elle pro
mit aussi le concours de l'autorité royale. Un confident de Mazarin, l'évêque de Frejus, Ondedei, vint assurer ensuite Bagno que le cardinal ministre favori serait l'exécution du bref13.
L'archevêque de Sens n'était pas isolé dans sa résistance à la constitution
du Pape. Les amis de Jansénius déclaraient bien qu'ils se soumettaient à la dé finition d'Innocent X et qu'ils condamnaient avec lui les cinq propositions, mais ils affirmaient que ces cinq propositions ne se trouvaient pas dans
l'Augustinus, ou du moins pas dans le sens condamné. Jansénius n'enseignait
selon eux que la pure doctrine de saint Augustin, à laquelle Innocent X
lui-même déclarait ne pas vouloir porter atteinte. Antoine Arnauld expliqua dans une Relation abrégée sur les cinq propositions... affirmant que les cinq propositions condamnées avaient été fabriquées par Nicolas Cornet, qu'elles ne se trouvaient pas chez Jansénius et que personne ne les soutenait ni ne les
avait jamais soutenues dans le sens hérétique qu'elles pouvaient avoir. Bien
que ce traité n'ait paru que plus tard, le P. Annat répondit à ses affirmations
qui couraient dans les opuscules par les Cavilli Jansenistarum pour démontrer la présence des cinq propositions chez Jansénius. Arnauld riposta en trois opus cules pour affirmer que seule la première proposition se trouvait dans
l'Augustinus, mais non pas dans le sens condamné et que les quatre autres ne
s'y trouvaient ni littéralement, ni en substance.
Devant l'agitation des théologiens, qui gagnait aussi le public, les minis tres du Roi durent se rendre compte que l'exécution du bref donné contre l'ar
chevêque de Sens ne serait pas si aisée. Et d'autre part Gondrin ne manifestait
pas dans sa résistance la fermeté qu'eussent souhaitée Arnauld et Port Royal.
Des amis du clergé et de la cour lui représentèrent, explique le P. Rapin, «à
quelles terribles extrémités il s'exposait s'il ne révoquait son mandement et ne contentait le Pape. Le Roi le voulait absolument, la Reine lui fit dire qu'on ne
le souffrirait jamais en cour s'il n'obéissait, le ministre [Mazarin] le menaçait de son côté pour lui faire faire son devoir». Gondrin s'adressa aux évêques qui
se trouvaient à Paris, en particulier à l'archevêque de Rouen et à l'évêque de
Montauban et les pria de s'assembler pour lui trouver le moyen de contenter le
Pape. Mazarin aurait songé à le faire venir en présence du Roi devant quelques
prélats et les agents du clergé, et Marca estimait qu'il fallait tenir cette réunion
au plus tôt14.
C'est ainsi qu'au début de février 1654 l'évêque de Montauban vint de la
part de Mazarin avertir Bagno que l'archevêque de Sens avait demandé à être
entendu dans une réunion des évêques qui se trouvaient à Paris, que les pré lats les mieux intentionnés pour la bulle du Pape craignant qu'une assemblée
de ce genre n'allât prendre le parti des contestataires, s'étaient employés à per
Nunz. Francia 280, f. 443, Bagno à Chigi, 23.1.54.
Rapin II, 187. Rome 126, f. 27, Marca à Mazarin, 2. II. 54.
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128 PIERRE BLET S.I.
suader l'archevêque de Sens de son erreur, et ce dernier aurait fini par pro
mettre de suivre leurs avis. Si bien qu'on était en train de préparer une lettre
de l'archevêque au Pape. Et l'évêque de Montauban insistait que cette voie de la conciliation était bien préférable à celle des commissaires, car elle évitait de «se trouver affronté à beaucoup de contradictions, qui se préparaient contre
l'exécution du bref de commission»15.
Bagno sut ensuite qu'une réunion d'évêques s'était tenue le 10 février pour
discuter de la soumission de l'archevêque de Sens, mais ce dernier paraissait vouloir tirer les choses en longueurs, si bien que le nonce insistait pour que l'on
procédât à l'exécution de la commission. Seulement des quatre commissaires
nommés par le bref du 22 décembre, l'évêque de Consérans, Pierre de Marca,
était le seul à se trouver dans la capitale; le nonce avait écrit aux autres, mais à
la date du 13 février il attendait leur réponse16. La semaine suivante, le nonce
avait des nouvelles de l'évêque du Puy et de celui de Macon: le premier promet
tait de venir après Pâques, le second remerciait Sa Sainteté de l'honneur qu'elle lui faisait, mais ne disait rien de ses intentions. Un de ses amis prétendait qu'il viendrait s'il était certain que le Roi ne s'opposerait pas à l'exécution du bref. De
l'archevêque d'Arles, toujours pas de réponse. D'autre part, Marca avait assuré
Bagno que dans l'assemblée des évêques réunis à Paris, on discuterait d'une dé claration qui serait utile pour l'exécution de la bulle17.
A Rome on s'en tenait à la ligne fixée par le bref de décembre: si les pre miers commissaires désignés étaient réticents, d'autres seraient nommés. Et
sous la date du 16 mars 1654 un nouveau bref fut expédié au nonce en France,
reprenant les termes du bref Nuper pervenit et ajoutant quatre nouveaux
noms à ceux des premiers évêques choisis, ceux des évêques de Meaux, Ren
nes, Saint Malo et Glandève18. Si les premiers commissaires nommés étaient
indisponibles, Bagno se servirait du second bref19.
Tandis que la cour de Rome urgeait l'exécution du bref de commission, on
recherchait en France un compromis compatible avec l'autorité du Pape et
l'honneur de l'archevêque de Sens. Là se trouve l'origine de l'assemblée de
prélats de mars 1654. Cette assemblée, souvent présentée dans l'histoire du
jansénisme comme suscitée par la polémique des théologiens et des pamphlé taires autour de la distinction du droit et du fait, devait offrir à Gondrin une
porte de sortie hors de la situation où le plaçait sa rébellion contre la bulle Cum occasione. Le 6 mars l'archevêque rappelait à Mazarin sa promesse de
l'y aider. Les prélats que le cardinal ministre consultait en ces affaires, les ar
chevêques de Rouen et de Toulouse et l'évêque de Montauban, étaient d'ac
cord pour une réunion des évêques présents à Paris, et il semble que Gondrin l'avait lui-même demandée, mais, écrivait-il à Mazarin, «à condition que cette assemblée ne paraisse avoir aucune raison avec mon affaire». Et il concluait:
15 Nunz■ Francia 280, f. 499, Bagno à Chigi, 6. II. 54. " Nunz. Francia 280, f. 457v, Bagno à Chigi, 13. II. 54. 17 Nunz. Francia 280, f. 457v, Bagno à Chigi, 20. II. 54. 18 Brevi 1123, f.277. " Nunz. Francia 279, f. 279v-280, et Nunz. Diverse 77, f. 171v, Bagno à Chigi, 16. III. 54.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 129
«Je consens de faire avec ceux de Messieurs mes confrères que Votre Emi nence voudra choisir, avec lesquels je me sentirai toujours très honoré de traiter de quelle matière que ce soit, mais j'offre même de conférer avec le P. Annat et tous autres docteurs particuliers qui croiront être assez instruits de l'opinion de
laquelle ils sont persuadés pour le défendre devant Votre Eminence et tous les
prélats qui sont présentement à Paris. Et si je suis aussi ignorant que quelques uns le publient, ils auront le plaisir d'abattre ma vanité devant la plus illustre
compagnie ecclésiastique du royaume»20.
Cette lettre de Gondrin était du 6 mars. Dès le lendemain les archevê
ques de Rouen et de Toulouse et Tévêque de Montauban adressaient à Maza
rin une lettre commune pour le presser de réunir l'assemblée dont il était
question depuis plus d'un mois: «Votre Eminence est très humblement sup pliée de la part de Messieurs de Rouen, de Toulouse et de Montauban de considérer qu'il est de la dernière importance de ne plus différer le temps de l'assemblée». C'était à leur avis l'unique moyen de terminer l'affaire «en pro nonçant sur les trois sens qui ont été donné par les jansénistes des cinq pro positions». Comme l'archevêque de Sens faisait difficulté de signer la lettre
qu'avait préparée pour lui l'évêque de Montauban, il ne restait que l'assem blée «qui puisse réduire son esprit et celui du parti janséniste». Mazarin était
supplié de fixer la réunion au lundi suivant, 9 mars21. Le cardinal ministre écouta la requête et fit savoir qu'il entendait présider la réunion, si bien que le lundi 9 mars les évêques présents à Paris se retrouvèrent au Louvre dans
les appartements de Son Eminence.
Le cardinal ministre, et pour l'occasion président, évoqua la polémique des théologiens et fit remarquer qu'il existait aussi des différends entre les évê
ques, en sorte qu'il semblait bien désirable de rétablir l'unité. L'archevêque de Sens dit que si l'on voulait examiner sa pastorale, il protestait que l'on ne pou vait procéder par les voies juridiques, vu le défaut de pouvoir, mais qu'il était
disposé à suivre l'avis de ses collègues. Mazarin répondit que «l'affaire princi
pale était celle de rechercher les moyens de l'uniformité en l'exécution de la
constitution». Que s'il était nécessaire d'examiner en particulier la lettre de M. de Sens, les commissaires le pourraient faire sans procéder à un jugement de cette lettre. Il fut en effet formé une commission, avec les archevêques de
Tours, d'Embrun, de Rouen et de Toulouse et les évêques d'Autun, de Mon
tauban, de Rennes et de Chartres22.
Cette commission se réunit dès le lendemain chez l'archevêque de Tours et elle tint huit séances jusqu'au 17 mars. Tel commissaire, Tévêque d'Autun,
20 Rome 126, f. 100, Gondrin à Mazarin, 6. III. 54. Gondrin a été si bien exaucé que les histo riens s'y sont trompés et parlent de l'assemblée de mars 1654 sans mentionner le cas de l'archevê
que de Sens. 21 Rome 126, f. 102, archevêques de Rouen et de Toulouse et évêque de Montauban à Maza
rin, 7. III. 54. 22 Rome 126 f. 103-116, Mémoire envoyé à S. E. [Mazarin] par M. de Marca, archevêque de
Toulouse, édité par P. Jansen, Le cardinal Mazarin et le mouvement Janséniste français, 1653
1659, Paris 1967, appendice VII, p. 210-223.
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130 PIERRE BLET S.I.
voulait condamner les propositions, sans nommer Jansénius. Mais «par ce
moyen on rendait inutile et ridicule la constitution qui ne déciderait rien, ne se rait qu'un jeu d'esprit et un foudre jeté en l'air». C'est pourquoi on rejeta la
proposition «qui voulait la paix au prix de la vérité et la satisfaction de trois ou
quatre mille personnes qu'il y a en France de cette opinion pour offenser tout
le royaume et toute la Chrétienté»23.
Le 19 mars Marca informait le nonce que plusieurs réunions avaient été te
nues pour induire l'archevêque de Sens à corriger sa pastorale, que différentes minutes de lettre au Pape avaient été rédigées, mais on n'était pas encore parve
nu à obtenir de Gondrin un texte satisfaisant24. Le 24 mars les commissaires
conférèrent avec Mazarin, que la maladie retenait au lit25, et l'assemblée pléniè
re se retrouva au Louvre le 26 mars avec 5 archevêques et 29 évêques. L'arche
vêque d'Embrun présenta le rapport des commissaires. Pour la bulle, il était clair que le Pape avait entendu condamner la doctrine du livre. Ils avaient aussi examiné VAugustinus et ils concluaient que les cinq propositions se trouvaient
bien dans le livre de Jansénius, au moins en substance: «elles contiennent en peu
de paroles la doctrine que Jansénius enseigne fort amplement en plusieurs li vres». L'archevêque d'Embrun fit encore la lecture de quelques passages de
VAugustinus pour vérifier que chacune des cinq propositions y était enseignée26. Le cardinal ministre ne se limitait pas à présider. L'archevêque de Sens et
l'évêque de Comminges ayant protesté contre les conclusions de la commis
sion, Mazarin «remontra que l'on n'avait jamais douté avant la décision du Pa
pe que les cinq propositions ne continssent l'abrégé de la doctrine de Jansé
nius, que cela n'avait point été révoqué en doute, ni par les Flamands, où cet
auteur avait vécu, ni par les Français, qui avaient envoyé cinq docteurs à Rome
pour soutenir cette doctrine comme véritable et enseignée par Jansénius. Que
l'on s'était avisé de mettre en doute depuis la condamnation ce qui avait été te
nu pour constant [pour évident] auparavant, afin d'éluder par ce moyen les
décisions faites par le Pape». On déclarerait donc que les cinq propositions étaient dans Jansénius, que c'était le vrai moyen de maintenir la paix dans l'E
glise, «qui ne peut être établie si l'on se départ des sentiments du Pape et des
évêques de toute la Chrétienté, pour s'accommoder au désir de vingt hommes
qu'il y a dans Paris qui veulent gouverner les esprits de tout le monde». Il fal lait donc espérer qu'après la délibération de l'assemblée, ils obéiraient sincère ment à la constitution de Sa Sainteté sans exciter de divisions dans l'Eglise. «Que s'ils avaient cette pensée, l'autorité du Pape était assez forte pour les ran
ger dans le devoir, étant assistée de la puissance du Roi, qui avait promis de te nir la main à l'exécution, et qu'en son particulier il se joindrait avec Messieurs les prélats pour supplier Sa Majesté à ce que l'on châtiât ceux qui n'obéiraient
point à la constitution du Pape»27.
23 Rome 126 f. 103v-105, Jansen, p. 212-213. 24 Nunz. Francia 280, f. 466v, Bagno à Chigi, 20. III. 54. 25 Rome 126, f. 106; Jansen, p.213. 26 Rome 126, f. 107v; Jansen, p. 214-215. 27 Rome 126, f. Ili; Jansen, p.218-219.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 131
L'assemblée fut remise au surlendemain matin à huit heures. Ce 28 mars
l'archevêque de Sens parla encore une heure et demie pour dire que les cinq
propositions n'étaient pas dans Jansénius, et en concluait qu'il fallait condam ner les cinq propositions sans rien spécifier, comme l'avait proposé l'un des
commissaires, l'évêque d'Autun. En outre Gondrin «demandait acte à Mes sieurs les Agents qu'il se remettait au jugement de Sa Sainteté touchant l'expli cation de sa constitution et qu'il condamnerait ce qu'elle déclarerait avoir condamné touchant le sens des cinq propositions. Les archevêques d'Embrun,
de Rouen et de Toulouse répliquèrent à l'archevêque de Sens, dont l'évêque
de Valence soutenait l'avis28.
A une heure de l'après-midi, la discussion fut interrompue par «un festin
magnifique» que Mazarin avait fait préparer dans une salle voisine. «M. de Montauban dit que c'était le banquet pour le retour de l'Enfant prodigue. M. de Consérans dit que c'était le festin des funérailles de Jansénius». Le travail fut repris ensuite. Les évêques de Montauban, de Rennes, de Chartres, ap
puyèrent à leur tour les conclusions du rapporteur. Les évêques de Comminges
et de Beauvais y firent encore opposition, voulant s'en tenir à la condamnation des cinq propositions, sans déterminer si elles étaient de Jansénius, l'évêque de
Beauvais disant «qu'il ne s'était point amusé à rechercher si les opinions dispu tées étaient de Jansénius». Mais la majorité se rangea à l'avis de la commis sion. Si bien qu'en sa qualité de président, Mazarin conclut
«suivant l'avis commun, c'est à savoir que l'on déclarerait que la constitution
avait condamné les cinq propositions comme étant de Jansénius et au sens de
Jansénius, ajoutant que tous les prélats souscriraient à cette détermination, com
me il les en priait, et qu'il fallait se promettre que tous ceux que l'on prétend être
jansénistes obéiraient à la constitution suivant le sens qui était expliqué à pré
sent, d'autant plus qu'ils étaient assurés que le Roi ne souffrirait pas que l'on
méprisât l'autorité de Sa Sainteté et du Saint Siège; et qu'au reste pour obliger
[rendre service à] Mrs. les Prélats qui semblaient s'être éloignés de leur devoir
dans les mandements, il serait à propos de certifier Sa Sainteté du respect qu'ils avaient pour ses ordres»29.
Pierre de Marca, que le Pape venait de transférer de l'évêché de Consé
rans à l'archevêché de Toulouse30, fut chargé de préparer la lettre au Pape, et
l'évêque de Chartres, et ancien confesseur de Richelieu, Jacques Lescot, la cir
culaire pour les évêques. L'archevêque de Sens et les évêques de Comminges
et de Beauvais signèrent avec les autres les deux lettres de l'assemblée, mais ils
réclamèrent un acte déclarant que bien qu'ils fussent d'un sentiment parti
culier, ils se soumettaient à la constitution d'Innocent X31.
A Rome l'archevêque de Sens n'était pas oublié. Le 23 avril le Saint Office
censurait son mandement32. Cependant la secrétairerie d'Etat reçut des nou
28 Rome 126, f. 112rv; Jansen, p. 219-221. » Rome 126, f. 114v-l 15; Jansen, p. 122. 30 ASV, Acta Camerarii 19, f. 246v-247, au 23 mars 1654. 31 Rome 126, f. 115; Jansen, p. 222. 32 Index librorum prohibitorum, Vatican 1948, p. 271.
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132 PIERRE BLET S.I.
velles assez confuses des réunions du Louvre: un courrier arrivé de France au
début d'avril avait répandu la nouvelle que le clergé s'était rangé «à la totale obéissance au Saint Siège», et que le cardinal de Retz, détenu à Vincennes de
puis décembre, avait été libéré33. A Paris le nonce Bagno, fidèle aux instructions de Rome, attendait l'évêque
du Puy pour le charger avec Marca, d'ouvrir l'enquête sur le mandement de
Gondrin. Mais Marca l'avertissait que lorsqu'on en viendrait à l'exécution du
bref, l'archevêque de Sens en appellerait sans doute au Parlement et que le
Conseil du Roi ne s'y opposerait pas pour ne pas rompre avec les magistrats. Et
en annonçant aussi à la secrétairerie d'Etat que la lettre de l'assemblée du Lou
vre pour Sa Sainteté lui serait remise par l'évêque de Lodève, le nonce mettait
en garde contre «la signature artificieuse faite par l'archevêque de Sens» et contre la lettre particulière que le même prélat adressait à Sa Sainteté34.
Un mois plus tard le nonce Bagno répétait qu'il était prêt à faire exécuter les ordres du Pape et le bref de commission pour informer contre l'archevêque
de Sens, dès qu'un second commissaire, l'évêque du Puy, serait arrivé: «Si Sa Sainteté le veut, je présenterai le second bref que Votre Eminence m'a envoyé
sur le même sujet pour d'autres évêques, malgré le danger des appels comme
d'abus qui peuvent être interjetés au Parlement et d'autres recours des évê
ques désobéissants, contre lesquels la cour ne procède pas avec la vigueur
qu'elle avait fait espérer au début, même si les ministres veulent faire croire le contraire... les jansénistes persistent dans leur erreur quasiment sans aucune
crainte»35.
Tandis que les commissaires nommés dans le bref Nuper pervertit se fai
saient toujours attendre à Paris, l'évêque de Lodève était à Rome avec la lettre
de la dernière assemblée au Pape et il la remettait à Innocent X dans son au
dience du 25 mai36. Dans leur lettre datée du 28 mars les prélats réunis autour
de Mazarin expliquaient à Innocent X les difficultés qu'avait rencontrées sa constitution Cum occasione, les interprétations captieuses qui en avaient été
données et comment ils avaient travaillé à les éluder:
«Nous étant assemblés en cette ville de Paris avons jugé et déclaré par notre lettre circulaire qui est jointe à celle-ci, que les cinq propositions et sont de Jansé nius et que Votre Sainteté les a condamnées en termes exprès et très clairs au sens de Jansénius. Et certes comme cet auteur introduisait par une entreprise pri vée une nouvelle doctrine sous prétexte de l'ancienne, il a été nécessaire que le
Siège Apostolique portant son jugement la rejetât par la tradition ancienne et pu blique de toute l'Eglise»37.
Dans la circulaire adressée aux évêques du royaume sous la même date,
les mêmes prélats avaient communiqué à leurs confrères demeurés dans les
Nunz. Francia 279, f. 286v-287, Chigi à Bagno, 30. IV. 54. Nunz. Francia 280, f. 480v-481v, Bagno à Chigi, 10. IV. 54. Nunz. Francia 280, f. 489; Bagno à Chigi, 18. V. 54. Rome 125, f. 186, Bosquet à Mazarin, 25. V. 54. M. C., I, col. 247.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 133
provinces comment ils s'étaient réunis et avaient chargé une commission de
préparer un rapport «de ce qu'ils auraient remarqué» en examinant la bulle
du Pape et le livre de Jansénius. Ils en avaient conclu que les cinq proposi tions étaient effectivement dans l'Augustinus et que le Pape les avait condamnées au sens de cet auteur, et leur assemblée avait approuvé le rap
port des commissaires38.
En remettant à Innocent X la lettre de ses confrères, l'évêque de Lodève
crut devoir les excuser d'avoir pris sur soi d'interpréter le document pontifical. Le Pape eut tôt fait de le rassurer: sa constitution supposait bien que les cinq propositions fussent dans YAugustinus:
«Une petite phrase de la constitution le déclare, "n'entendant pas par cette déclaration sur les cinq susdites propositions approuver en aucune façon les au
tres opinions contenues dans le livre précité de Cornélius Jansénius"... dunque non approbando le altre opinioni contenute nel libro de Jansenio abbiamo inteso che le condennate erano nel istesso libro, par conséquent en n'approuvant pas les autres opinions contenues dans le livre de Jansénius, nous avons voulu dire que les opinions condamnées se trouvaient dans le livre»39.
L'évêque de Lodève demanda alors au Pape de publier dans un bref l'approba tion qu'il donnait de vive voix aux actes de la dernière assemblée et Innocent X le promit aussitôt40.
La démarche que l'évêque de Lodève avait entreprise par commission de
l'assemblée du Louvre ne l'empêchait pas de s'employer à réconcilier avec le
Pape l'archevêque de Sens et les évêques de Beauvais et de Comminges. Seule ment ces derniers ne lui facilitaient pas la tâche. Le 2 juin Bosquet remit au Pa
pe des lettres des trois prélats, qui prétendaient «se justifier et faire voir que leurs lettres pastorales avaient été interprétées contre leur intention, qui n'a ja
mais été de blesser l'autorité du Saint Siège». De toute façon, protestaient-ils, «quelque chose qu'ils aient écrit, ils le soumettaient avec leur personne et leur
doctrine à l'autorité et au jugement de Votre Sainteté»41. Or, continuait Bos
quet en sa dépêche au cardinal ministre, il avait été bien surpris d'apprendre que le lendemain même du jour où il avait remis au Pape ces lettres de soumis
sion, un expéditionnaire en cour de Rome, le sieur Bouvier, avait communiqué
de leur part de nouvelles lettres «par lesquelles ils détruisent tout ce qu'ils avaient écrit par celles que j'avais rendues». Dans ces conditions Bosquet ne
pouvait plus rien faire pour eux42. Et pourtant une nouvelle volte-face des contestataires faisait entrevoir à
Bosquet la possibilité de regagner en leur faveur le pardon d'Innocent X. Tan
dis qu'il demeurait dans l'expectative du bref promis pour confirmer les déci
sions de l'assemblée, Bosquet écrivait à Brienne le 31 août qu'il attendait l'au
38 M.C., I, col. 255. 39 Rome 125, f. 187rv, Bosquet à Mazarin, 25. V. 54. 40 Ibid., f. 199v. 41 Rome 125, f. 218v-219, Bosquet à Mazarin, 8. VI. 54. 43 Rome 125, f. 220, même lettre.
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134 PIERRE BLET S.I.
dience du Pape dans le cours de la semaine, croyant qu'Innocent X lui remet trait le document, il ajoutait: «Possible même qu'après la soumission que MM. de Sens et de Comminges ont faite par une dernière lettre qu'ils ont écrite à Sa Sainteté depuis quelques jours, elle oubliera ce qu'ils ont fait ci-devant. Ainsi l'union entre tout le clergé de France et Sa Sainteté sera entièrement consoli
dée» 43.
Une maladie du Pape vint prolonger l'attente. L'évêque de Lodève eut sa dernière audience du Pontife le 13 septembre. Innocent X était encore au lit, assis sur son séant, mais encore blême et enrhumé. Bosquet lui remit les let tres de l'archevêque de Sens et de l'évêque de Comminges. Innocent X deman da si c'était de bon coeur qu'ils avaient écrit ce qu'ils disaient de leur soumis sion au Saint Siège, ce dont Bosquet ne manqua pas de l'assurer44.
Quinze jours plus tard, sous la date du 29 septembre fut enfin expédié le bref attendu, et dans les premiers jours d'octobre l'évêque de Lodève prenait le chemin du retour45. Mais tandis que Bosquet portait en France le précieux
document, les secrétaires du Pape préparaient un nouveau bref de commission
et de nouvelles instructions pour le nonce. Innocent X tenait compte d'une part
des difficultés de rassembler les commissaires pour engager la procédure contre les contestataires, et d'autre part des promesses de soumission que l'ar
chevêque de Sens et l'évêque de Comminges lui avaient fait parvenir par les mains de Bosquet.
Daté du 26 octobre un bref de commission, identique à celui du 22 décem bre 1653, était adressé aux premiers juges délégués, auxquels étaient adjoints l'évêque de Rennes, déjà nommé dans le bref du 16 mars précèdent, et les évê
ques d'Amiens, de Soissons, et son coadjuteur. Pierre de Marca, désigné dans
les brefs précédents comme évêque de Consérans, y était nommé cette fois
comme archevêque de Toulouse. En outre le Pape donnait l'ordre d'informer
contre les évêques de Comminges et de Beauvais de la même façon que contre
l'archevêque de Sens46.
D'autre part comme les trois prélats avaient adressé au Pape des lettres
dans lesquelles ils protestaient de leur disposition à faire tout ce que Sa Sainte té ordonnerait, le nonce avait ordre de leur dire que s'ils voulaient sincèrement tenir leurs promesses, le Pape se contenterait que chacun d'eux publiât dans
son diocèse la constitution Cum occasione, «sans glose, interprétation, réserve, mais simplement dans les termes de la bulle elle-même, où apparaît clairement la pensée du Saint Père, reconnue aussi par cent onze archevêques et évêques de France et dans l'assemblée de Messeigneurs les Evêques rassemblés à Paris». Qu'ils écrivent aussi une lettre, dont la minute aurait été vue par le
Pape, pour révoquer tout ce qu'ils avaient publié au préjudice de l'autorité
pontificale dans leurs mandements condamnés par le Saint Office. A ces condi
43 Rome 125, f. 369, Bosquet à Brienne, 31. Vili. 54. 44 Rome 125, f. 412, Bosquet à Mazarin, 14. IX. 54. 45 Nunz. Francia 279, f. 298, Chigi à Bagno, 5.X. 54. 46 Brevi 1123, f. 280-282.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 135
tions le Pape sera satisfait. Autrement le nonce devait donner suite au bref de
commission, «de la façon la plus prudente et la plus efficace que réclame la gra vité du cas»47.
Tandis que ces instructions partaient à l'adresse du nonce Bagno, François
Bosquet rentrait en France avec la réponse d'Innocent X à la dernière assem
blée. Par son bref Ex litteris en date du 29 septembre, le Pape approuvait les conclusions de l'assemblée des prélats réunis en mars autour de Mazarin. Il y louait le zèle qu'apportaient les évêques de France à exécuter sa constitution
du 31 mai 1653, «par laquelle nous avons condamné dans les cinq propositions la doctrine de Cornélius Jansénius contenue dans le livre intitulé Augusîinus». Il les exhortait à appuyer l'exécution de sa constitution comme des décrets du Saint Office, relatifs à cette matière48.
Mais François Bosquet s'arrêta aux Etats de Languedoc et lorsque les par
ticipants de l'assemblée du mois de mars lui demandèrent la lettre du Pape, il
répondit qu'il la remettrait à l'assemblée générale du clergé, qui devait se réu nir au printemps. De fait, le bref était adressé: «A nos chers fils et aux vénéra bles frères les cardinaux, archevêques et évêques du clergé de France réunis en
assemblée générale»49. Puis dans l'intervalle la secrétairerie d'Etat s'était aper çue que l'assemblée de mars n'était pas une «assemblée générale du clergé de
France», et avait renvoyé à Bagno un nouvel exemplaire du bref avec l'adresse
aux «évêques réunis à Paris»50; le nonce en accusa réception le 1 janvier51.
Mais Bosquet aurait secrètement fait parvenir son exemplaire à Mazarin. A la suite de quoi le cardinal ministre réunit une quinzaine de prélats qui se trou
vaient à Paris. L'assemblée se tint le 15 janvier, mais les documents nous man
quent à son sujet. Le Dran dit simplement que le bref du Pape suffisait pour
obliger les jansénistes à souscrire la définition du Pape52. Le nonce écrit que Mazarin avait voulu que se tînt devant lui l'assemblée des évêques convoqués
pour ouvrir le bref, «comme il fut fait et il fut décidé de faire que l'autorité du Roi fût largement employée pour assurer l'exécution de ladite déclaration».
Seulement sur la fin de la réunion l'archevêque de Rouen aurait protesté
contre les ordinations conférées à Paris par Tévêque de Coutances au mépris de la juridiction du cardinal de Retz. A quoi Mazarin aurait vivement répliqué que le nonce n'avait pas protesté lorsque les arrêts du Parlement avaient mis
sa tête à prix53. En sorte que sur l'heure rien ne fut fait, d'autant que la nou
velle de la mort du Pape survint sur ces entrefaites.
Innocent X était mort le 7 janvier et le conclave qui suivit dura jusqu'au 7
avril. Le cardinal Fabio Chigi, qui fut enfin élu à cette date, prit le nom d'A
lexandre VII. C'était l'ancien secrétaire d'Etat du pape défunt, l'ancien nonce à
" Nunz■ Francia 279, f. 300-301, Chigi à Bagno, 26. X. 54. 48 M.C., I, 261-264. 49 Nunz. Francia 281, f. 55v, Bagno à Chigi, 4. XI. 54. 50 Nunz. Francia 279, f. 303, Chigi à Bagno, 14. XII. 54. 51 Nunz. Francia 281, f.63, Bagno à Chigi, 1.1.55. 52 M.D., Rome 17, f. 369rv. 53 Nunz. Francia 281, f. 70, ou Bibl. Vat., Chigi C III, f. 176, Bagno à Chigi, 29.1.55.
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136 PIERRE BLET S.I.
Cologne, qui avait essayé en vain de s'opposer à la publication de VAugustinus et aux polémiques qui en étaient immédiatement résultées: on pouvait at
tendre qu'il n'oublierait pas l'affaire janséniste. Et effectivement dès la pre mière audience qu'il accorda à Hugues de Lionne, qui gérait pour lors les affaires du Roi à Rome en l'absence d'un ambassadeur, le nouveau pape parla
de Mazarin; puis «il tomba de là sur le fait des jansénistes, écrit Lionne à
Brienne, où il avoua que Son Eminence avait fait merveille et il le priait de continuer»54.
Cette déclaration du Pape Chigi fut-elle le motif qui décida Mazarin à re
prendre ce que la réunion de janvier semble avoir laissé en suspens? En tout
cas le 10 mai tous les archevêques et évêques présents à Paris se retrouvèrent
au Louvre dans les appartements du cardinal ministre et «d'un commun accord
ils résolurent d'observer exactement le dernier bref du feu Pape Innocent X
aux prélats de France pour l'entière extirpation de la fausse doctrine de Jansé nius»55. Dans cette réunion on revint sur la question de savoir s'il convenait de
demander l'enregistrement de la bulle d'Innocent X. Mazarin expliqua que dans la réunion précédente on avait résolu de demander au Roi de faire enre
gistrer la condamnation des cinq propositions. Mais quand on avait sondé les
magistrats, ceux-ci avaient objecté que l'on n'avait que des copies de la bulle et non l'original sous plomb, que le document ne portait pas la clause de Consilio
fratrum nostrorum et que bien qu'ils demeurent d'accord de l'autorité du Pa
pe en la déclaration des choses de la foi et que même ils n'estiment pas que le
registre des constitutions données par le Saint Siège en cette matière soit néces saire, toutefois en cas qu'on le demande, il ne peut être fait si l'on n'a une bul le revêtue de toutes les formes suivant le droit et coutume de France». Dans ces
conditions, Mazarin considéra que le refus d'enregistrement de la bulle ferait
mauvais effet, les gens croyant que la constitution n'obligeait pas si elle était refusée par le Parlement. D'autre part la seule raison de demander l'enregis trement était de couper court aux appels comme d'abus: mais même sans en
registrement, les magistrats sont tenus de prêter main forte aux évêques dans
la défense de la foi. Que si au lieu de cela ils voulaient y faire obstacle, «il ne se rait pas difficile de faire réparer l'attentat... en recourant à l'autorité du Roi, en qui réside la puissance souveraine et la source de la juridiction séculière, dont celle des magistrats n'est qu'émanée et participée».
Il fut conclu de ne pas demander de Déclaration du Roi à fins d'enregistre ment, mais seulement des lettres patentes, que les agents du clergé enverraient
dans les provinces avec la copie des brefs et une circulaire «portant que toutes les communautés tant séculières que régulières, recteurs des universités, prê tres, clercs et tous autres étant sous la charge des évêques recevront et souscri
ront ladite constitution et brefs». Contre ceux qui seront tombés dans les er reurs condamnées, les évêques procéderont par les voies canoniques, et si les
54 Rome 129, f. 321, Lionne à Brienne, 19. IV. 55. 55 Nunz. Francia 109, f. 162v-163, Bagno à secrétairerie, 14. V. 55.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 137
juges venaient à y mettre des empêchements, le Roi sera prié de casser leurs
arrêts56.
Effectivement une circulaire fut adressée aux évêques du royaume pour
leur communiquer le bref du 29 septembre 1654, joint à la bulle Cum occasio ne et à tous les actes relatifs à la condamnation des cinq propositions. Les pré lats étaient exhortés à faire recevoir et souscrire par leur clergé la constitution
du 31 mai 1653 et le bref du 29 septembre 165457. Des lettres du Roi venaient
apporter aux décisions des évêques l'appui de l'autorité séculière. Louis XIV
rappelait ses lettres du 4 juillet 1653, enjoignant obéissance à la bulle d'Inno cent X. Il évoquait ensuite les résistances qu'avait rencontrées ladite bulle, la réunion des prélats de l'année précédente et la confirmation que le feu pape avait donnée à leurs délibérations dans son bref du 29 septembre précédent. Ce bref, que le monarque envoyait sous le contre-sceau de sa chancellerie,
avait satisfait à toutes les difficultés: il ne restait «que de rendre l'obéissance due à ce qui lui a plu d'ordonner, et n'y ayant en icelui rien de contraire aux li bertés de l'Eglise gallicane et aux droits de notre couronne, nous voulons et en
tendons qu'il soit reçu partout, qu'il soit publié et exécuté en toute l'étendue
de notre royaume, pays et terres de notre obéissance, et que les livres, lettres
et écrits qui ont été composés pour la défense des opinions condamnées de meurent supprimés, nonobstant les permissions et privilèges que les auteurs
pourraient en avoir obtenus»58. Cependant les lettres du Roi ne faisaient pas
mention de la signature du bref, dont il était question dans la circulaire des
évêques, et elles n'étaient pas adressées aux Parlements pour faire enregistrer
les documents pontificaux. A Rome Hugues de Lionne ne manqua pas de vanter auprès du pape
Chigi ce que le cardinal ministre venait encore de faire à l'avantage de l'or thodoxie: il lui parla de la réunion du 10 mai et lui laissa la copie de ce que Son Eminence avait dit aux prélats assemblés, comme de la circulaire aux
évêques absents. Lionne ajouta que Mazarin avait auguré de l'exaltation du
cardinal Chigi la ruine de la nouvelle doctrine. Alexandre VII répondit «qu'il avait dessein de pousser l'affaire de l'archevêque de Sens et de M. de Com
minges et d'un autre qu'il ne put pas nommer». Lionne se permit de remar
quer que la dernière assemblée avait justement obligé les prélats contestatai
res à se rétracter et à écrire au Pape. Alexandre VII répondit «que cette lettre
n'était pas écrite aux termes dont il pût se contenter et de plus qu'on savait
qu'au même temps il avait fait une protestation contraire... Il ajouta qu'il
ava^t entendu dire que cet archevêque de Sens était un esprit turbulent». Sur
quoi Lionne s'empressa de rappeler qu'on devait en dire autant du cardinal
de Retz59.
56 Lettere di Vescovi 31, f. 166-168 et ibid. 38, f. 187, Bosquet au cardinal Chigi, 21. V. 55. 5' Lettere di Vescovi 36, f. 162-164, copie de la circulaire communiquée à Rome. Edit. M. C.,
I, col. 265-268. 58 M.C., I, col. 264. 59 Rome 129, f. 468, Lionne à Mazarin, ll.V. 55.
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138 PIERRE BLET S.I.
Alexandre VII n'avait pas attendu cette audience accordée à Hugues de
Lionne pour reprendre la question janséniste au point où son prédéceseur l'a
vait laissée, avec le cas toujours pendant de l'archevêque de Sens et des évê
ques de Comminges et de Beauvais. Moins de deux mois après son élection, le
nouveau pape confirmait la commission confiée par Innocent X à sept évêques
pour enquêter sur les pastorales de Gondrin, de Choiseul et de Choart de Bu
zenval. Un bref daté du 31 mai 1655 déléguait les archevêques d'Arles et de
Toulouse et les évêques du Puy, de Macon, de Rennes, d'Amiens, de Soissons et de son coadjuteur pour informer sur les lettres pastorales précédemment in
criminées 60.
Des instructions en date du 24 mai étaient expédiées au nonce Bagno, maintenu à son poste par le nouveau pontife. Etant donné que Ton attendait
toujours une réponse de Gondrin et de ses émules, le Pape voulait qu'ils fus
sent avisés en forme extrajudiciaire que si d'ici quelques semaines ils n'avaient
pas fait la rétractation libre et sincère que Ton attendait d'eux, il serait procédé à l'information sur leurs mandements, en vertu du bref de commission que le
pape Alexandre VII venait de renouveler: «Si donc après la susdite admoni
tion, écrivait la secrétairerie d'Etat au nonce, lesdits prélats ne donnent pas la satisfaction qu'ils doivent, faites en sorte que ledit bref soit exécuté de la meil
leure façon, telle que vous le suggérera votre prudence et votre efficacité habi
tuelle»61.
Le courrier suivant de Rome vint apporter au nonce de nouvelles préci
sions. Le bref du 31 mai devait être exécuté, mais en tenant compte des ins tructions du 26 octobre précédent. Si les prélats contumaces se décidaient à pu blier purement et simplement la bulle d'Innocent X et à donner une rétracta
tion des écrits qu'ils avaient publiés contre le Pape, Sa Sainteté s'en contente rait62.
Justement les instructions de la secrétairerie d'Etat croisèrent une lettre de
Tévêque de Lodève, qui assurait que l'archevêque de Sens et l'évêque de Com
minges étaient disposés à se rétracter en la manière que voudrait Sa Sainteté.
Bosquet leur avait transmis les conditions d'une réconciliation avec le Saint Siè
ge: publier la constitution d'Innocent X sans rien y ajouter et rétracter leurs
mandements; ils s'étaient déclarés tout prêts à corriger au premier signe du
[futur] pape (la déclaration était du temps du conclave) tout ce qui dans leurs écrits avait pu blesser l'honneur du Saint Siège63. Alexandre VII se prit à envi
sager la prompte conclusion de l'affaire et Bagno fut chargé de s'informer au
près de François Bosquet de ce qu'il avait conclu avec les intéressés64. Il appa raît que Bosquet donna directement à Rome de nouvelles assurances en faveur
des deux accusés, car le 9 août Rospigliosi invitait Bagno à transmettre les ac
60 Brevi 1359, f. 98-99. 61 Nunz■ Francia 279, f. 318-319, Chigi à Bagno, 24. V. 55. 62 Nunz. Francia 279, f. 320, Rospigliosi à Bagno, 31. V. 55. 63 Lettere di Vescovi 38, f. 186v, Bosquet à la secrétairerie d'Etat, 21. V. 55. 64 Nunz. Francia 279, f. 322v-323, Rospigliosi à Bagno, 14. VI. 55.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 139
tes authentiques de soumission promis par l'évêque de Lodève65. Or Bosquet
venait d'expédier les deux actes de l'archevêque de Sens, le nouveau mande
ment et la formule de rétractation66. Et dix jours plus tard, le 17 juillet. Bos
quet écrivait encore à Rome pour dire que l'on touchait au terme de l'affaire67.
Alexandre VII se déclara satisfait de la formule imprimée, mais non
point de la minute manuscrite. Afin d'éviter de nouveaux équivoques et des
longueurs inutiles, la secrétairerie d'Etat rédigea une formule à porter à la
signature de Gondrin et de Choiseul et l'expédia au nonce avec un pli du 21
septembre:
Moi N... par la grâce de Dieu et du Siège Apostolique évêque de N... toutes
et chacune des choses contenues dans mes lettres pastorales éditées et publiées le... 1653 à l'occasion de la constitution du pape Innocent X d'heureuse mémoire
par laquelle est condamnée la doctrine de l'Augustinus de Cornélius Jansénius en
cinq propositions, et qui sont opposées à l'autorité et à la juridiction du Souve
rain Pontife et du Siège Apostolique et à la condamnation de la susdite doctrine
ou y sont contraires en quelque manière et qui sont offensantes et injurieuses à
l'égard de la même constitution et à tout ce qui se trouve énoncé expressément ou tacitement dans les mêmes lettres, je les révoque entièrement et je les déteste
et je les tiens pour non écrites ni publiées, mais pour révoquées et détestées. Ain
si que Dieu me vienne en aide et ses saints Evangiles68.
Seulement la cour de France se trouvait pour le moment aux prises avec
un autre archevêque, le cardinal de Retz, archevêque de Paris, que Louis XIV
voulait absolument écarter de la capitale69. En outre cette année 1655 rame
nait à Paris l'assemblée générale du clergé de France, à laquelle il appartenait de renouveler le contrat des décimes ordinaires et de voter un don gratuit. Plu
tôt que d'engager contre Gondrin un procès canonique, les ministres du Roi
souhaitaient le voir écrire au Pape cette lettre de soumission, à laquelle il se
prétendait tout disposé. Les ministres du Pape, eux, s'inquiétaient de voir les
ménagements dont usait le gouvernement royal vis-à-vis de l'archevêque de
Sens. Le bruit parvint jusqu'à Rome que Gondrin serait le président de la pro chaine assemblée du clergé: n'allait-il pas en profiter pour ouvrir les voies à un
concile national, que son mandement disait nécessaire pour trancher en pre
mière instance les questions de foi? Bagno reçut pour instruction de s'efforcer
d'empêcher la réunion de l'assemblée du clergé ou du moins d'écarter Gondrin de la présidence70. Bagno, qui commençait à être bien au courant des affaires
de France, répondit qu'il était hors de question de s'opposer à l'assemblée or
dinaire du clergé, mais il rassura le secrétaire d'Etat en expliquant que l'on n'y traitait que ce qui convenait aux ministres et que les élections des députés étaient soigneusement surveillées. Quant au concile national, il n'y avait pas
65 Nunz. Francia 279, f. 343, Rospigliosi à Bagno, 9. III. 55. 66 Lettere di Vescovi 38, f. 329, 7. Vili. 55; la lettre de Bosquet est seule conservée au moins
à cette cote. 67 Lettere di Vescovi 38, f. 359, Bosquet à secrétairerie, 17. VIII. 55. 68 Nunz. Francia 279, f. 356, Rospigliosi à Bagno, 21. IX. 55. 69 Voir Simone Bertière, La vie du cardinal de Retz, Paris 1990, p. 375 et suivantes. 70 Bibl. Vat., Chigi C III 75, f. 327v-328, Rospigliosi à Bagno, 26. IV. 55.
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140 PIERRE BLET S.I.
lieu de l'appréhender, tant à cause du nombre de prélats bien intentionnés
pour le Saint Siège, que vu l'attitude des ministres, qui ne permettaient même
pas les conciles provinciaux71.
L'assemblée générale du clergé de 1655 se réunit en octobre. L'archevê
que de Sens fut bien porté à la présidence, mais en compagnie de deux autres
archevêques et de trois évêques. La question du jour était la situation de l'ar chevêché de Paris, qui se répercutait sur la réunion et sur l'activité de l'assem blée. Dans le même temps, la Sorbonne entamait la discussion du cas d'An
toins Arnauld et de sa Seconde lettre à un duc et pair72.
Dans cet ouvrage, que le docteur Arnauld venait de publier (car cette «let tre» est un ouvrage de 250 pages), le porte parole du parti janséniste dévelop pait sa distinction du droit et du fait. Pour illustrer sa doctrine de la grâce, il donne l'exemple d'un juste auquel la grâce a manqué, et il prend le cas de la
chute de saint Pierre: pour lui, l'apôtre a péché parce que la grâce lui a man
qué73. Quant au fait il prétend que la doctrine des cinq propositions condam née par Innocent X n'est pas celle de Jansénius et que personne ne la soutient.
Ainsi prétendait-il se soumettre à la constitution d'Innocent X sans renoncer à défendre l'Augustinus.
Mais la Sorbonne ne l'entendit pas de cette oreille. Le syndic Denis Guyart dénonça la seconde lettre à la faculté le 4 novembre 1655 et celle-ci conclut à
procéder à l'examen de l'ouvrage. Arnauld se porta appelant comme d'abus,
mais un arrêt du Conseil du 12 novembre ordonna de passer outre. Les séan
ces furent houleuses, au point que le chancelier Séguier vint en personne pour
y maintenir l'ordre. Les deux propositions d'Arnauld sur le fait puis sur le droit furent censurées respectivement le 14 et le 29 janvier, et il fut arrêté que
s'il ne se soumettait pas, il serait exclu de la faculté74.
Tandis qu'à Paris on suivait les débats de la Sorbonne, et on lisait les Let tres provinciales, qui avaient cherché en vain à faire obstacle au vote de la fa
culté, à Rome on ne perdait pas de vue l'archevêque de Sens et ses émules, car
le temps passait sans apporter la satisfaction attendue. L'évêque de Lodève
avait présenté à Gondrin la formule préparée par la secrétairerie d'Etat, mais
l'archevêque la trouva trop dure et il se plaignit d'être bien mal traité après les satisfactions qu'il avait offertes. Dans une lettre du 1 décembre 1655, François Bosquet prenait la défense de son confrère et il priait le cardinal secrétaire d'E tat d'intervenir en faveur d'un «homme insigne par sa noblesse et son génie et d'un archevêque qui jouit d'un grand renom parmi les Français et qui recher che la grâce du Siège Apostolique»75. Mais Alexandre VII ne fléchissait pas. A la fin de l'année, Bagno fut approuvé d'avoir refusé une autre formule d'ac cord que celle qui avait été envoyée de Rome76. Et comme Gondrin et Choiseul
71 Nunz. Francia 281, f. 94, Bagno à Rospigliosi. 72 Oeuvres de M. Arnaud XIX, p. 335-560. 73 Ibid., p. 527-535. 74
"Jansénisme", dans Dictionnaire de théologie catholique, VIII/1, col. 502-503. 75 Lettere di Vescovi 38, f. 536, Bosquet à Rospigliosi, l.XII. 55. 76 Nunz. Francia 279, f. 381, Rospigliosi à Bagno, 27. XII. 55.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 14!
continuaient à se dérober, le nonce reçut l'ordre de «réitérer avec toute l'effica
cité possible des instances auprès de Sa Majesté et de ses ministres contre les
sectateurs de Jansénius»77.
Le 26 février 1656 le nonce Bagno fut reçu par le premier ministre et lui
parla selon ses instructions contre les sectateurs de Jansénius. Mazarin répli qua aussitôt qu'il y avait longtemps qu'il attendait une intervention de sa part à ce sujet. Bagno rétorqua qu'il y avait longtemps qu'il se plaignait aux minis tres de la liberté laissée aux réunions tenues à Port Royal et de la licence avec
laquelle étaient imprimés des livres contre la déclaration du Pape reçue par le
clergé de France, excepté par l'archevêque de Sens et deux autres évêques. On
avait même imprimé les paroles hérétiques prononcées par les sectateurs d'Ar nauld en Sorbonne et par le procureur général du Roi. Il importait de châtier ceux qui tenaient des conventicules, sans quoi l'audace des jansénistes ne ferait
que croître. Mazarin répondit «que le Roi pensait aux moyens d'y pourvoir de
façon à ne pas nuire par ailleurs à Sa Majesté dans les circonstances présentes
et que lui-même avait fait une grande réprimande au procureur général et
qu'il pensait priver de sa chaire l'un des principaux soutiens d'Arnauld et
peut-être à faire emprisonner Arnauld quand on saurait où il s'était retiré».
Bagno passa au cas de l'archevêque de Sens et de ses deux collègues:
«Je lui [à Mazarin] dis ensuite, écrit le nonce, qu'après l'avoir prié au temps du souverain pontife défunt et de Sa Sainteté de favoriser l'exécution des brefs adressés aux évêques délégués pour vérifier les lettres téméraires imprimées de
l'archevêque de Sens et des évêques de Comminges et de Beauvais, je n'avais
reçu aucune réponse favorable. Et je le priais de le faire à l'avenir si les trois pré lats susdits ne faisaient pas promptement ce qu'ils devaient et s'ils ne faisaient
pas imprimer leurs rétractations de façon à satisfaire le Souverain Pontife, vu
que leurs lettres imprimées étaient plutôt hérétiques que mal dites et téméraires
et que les accords faits en leur nom par l'intermédiaire de M. l'Evêque de Lodè
ve, maintenant pourvu de Montpellier, n'ont pas été jugés suffisants à Rome».
Mazarin répondit qu'il interrogerait Bosquet pour savoir ce qu'il avait obtenu et qu'ensuite «on y pourvoirait selon ce qui convenait». Bagno se plaignit de la fa veur que la cour semblait marquer à Gondrin: il était président de l'assemblée du
clergé et on lui donnait de bonnes abbayes. Le cardinal ministre répondit «que l'archevêque de Sens s'est montré bon serviteur du Roi et que le bon gouverne
ment requiert que l'on tienne compte des personnes dont on peut se servir»78.
Lorsque Bagno entretenait ainsi Mazarin le 26 février 1656, l'assemblée
générale du clergé de France siégeait depuis quelque quatre mois aux Grands
Augustins de Paris et elle n'avait pas encore mis à l'ordre du jour l'affaire des
cinq propositions de Jansénius. La situation du diocèse de Paris lui avait donné assez à faire, en plus de ses travaux de contrôle et d'administration financiè re79. C'est seulement le 24 mars 1656 que la compagnie entendit l'ex-évêque
Nunz. Francia 279, f. 398v, Rospigliosi à Bagno, 24.1.56. Nunz. Francia 281, f. 233v-235, Bagno à Rospigliosi, 3. III. 56. Blet II, p. 120-174.
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142 PIERRE BLET S.I.
de Lodève, aujourd'hui évêque de Montpellier, raconter sa mission à Rome, les audiences que lui avait accordées Innocent X et les déclarations du Souve rain Pontife relatives à la condamnation des cinq propositions et aux décisions de l'assemblée des prélats de mars 1654. Bosquet communiqua aux députés du clergé comment Sa Sainteté lui avait dit dans une première entrevue
«qu'elle était obligée aux évêques de France, qu'elle les portait écrits dans son
coeur», parce qu'ils avaient été les premiers à reconnaître l'autorité du Saint
Siège dans l'affaire de Jansénius et lui avaient déféré la décision. Quand les
évêques réunis au Louvre en 1654 avaient expliqué le sens de la bulle Cum oc casione et avaient écrit au Pape pour lui rendre compte de leur avis, le bruit
avait couru qu'ils avaient dépassé la pensée du Pape. Au contraire Innocent X avait déclaré à Bosquet: «Cette lettre est la plus grande joie que nous ayons reçue dans notre pontificat». Si bien qu'au moment de quitter Rome Π avait
reçu le bref qui approuvait l'explication que les prélats avaient donnée de la bulle Cum occasione.
Cette relation détaillée de la mission romaine de François Bosquet fut in sérée au procès-verbal, ce qui augurait plutôt mal pour les amis de Jansénius. Pourtant sur le moment l'affaire en resta là. C'est deux mois plus tard que les
cinq propositions revinrent à l'ordre du jour de l'assemblée du clergé de Fran
ce, et cela sur une intervention de Mazarin lui-même.
Le 24 mai le cardinal ministre se rendit aux Grands Augustins et y prit la
place de président, qui lui était toujours réservée. Il évoqua l'audience qu'il avait accordée à Bagno le 26 février précédent. Il y avait trois mois, expli qua-t-il, que le nonce du Pape lui avait demandé que l'on informât pour sa voir si les lettres pastorales publiées sous le nom de l'archevêque de Sens et
des évêques de Comminges et de Beauvais étaient bien de ces prélats. Or les
dits prélats avaient reconnu être les auteurs de ces lettres. Il n'y avait donc
pas lieu d'enquêter davantage, d'autant que tous les trois s'étaient déclarés
disposés à donner satisfaction à Sa Sainteté et à lui écrire une lettre de sou
mission. Mazarin concluait innocemment qu'il avait cru l'affaire terminée.
Sur tout cela néanmoins, Sa Majesté demandait l'avis de l'assemblée. Et le
cardinal ministre se retira, laissant les députés du clergé de France mettre l'affaire en délibération80.
La compagnie délibéra effectivement huit jours plus tard, le 31 mai. Le
clergé de France se retrouvait devant la question de la procédure à engager contre les évêques. Comme de coutume en ces questions délicates le pro
cès-verbal est très discret sur les détails de la discussion. C'est le nonce qui par le d'une séance dans laquelle se manifesta une grande diversité d'avis, certains disant que le concile de Trente n'étant pas reçu en France, le Pape devait y ob server les anciens canons81. Du moins la conclusion est parfaitement claire. Il
fut résolu
80 Blet II, p. 198-199. 81 Nunz. Francia 281, f. 269rv, Bagno à Rospigliosi, 2. VI. 56.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 143
«de remercier le Roi de l'honneur qu'il fait à la compagnie de vouloir prendre son avis sur une matière si importante à l'épiscopat et de supplier Sa Majesté d'écrire au Pape conformément à ce qu'il lui a plu de faire dire à M. le Nonce par M. de Brienne82 et de prier Sa Sainteté d'agréer les soumissions et les satisfac tions que Messeigneurs l'Archevêque de Sens et les Evêques de Comminges et de Beauvais lui ont déjà faites et de s'en contenter. Si Sa Sainteté n'était pas satisfai
te, elle était priée d'indiquer les points qui lui paraissaient défectueux dans les lettres en question. Enfin que si nonobstant Elle voulait procéder contre mesdits
seigneurs les prélats, supplie Sa Majesté de ne permettre pas qu'on prenne des voies qui puissent préjudicier aux droits du royaume et aux libertés de l'Eglise gallicane».
Et l'assemblée, non contente de coucher ces conclusions dans son procès
verbal, en envoya à Mazarin un extrait accompagné d'une lettre explicative:
«Nous avons considéré qu'en cette rencontre l'intérêt de nos confrères était celui de l'épiscopat, et qu'il n'y avait rien de si dangereux que de laisser introdui re une façon nouvelle de procéder contre les évêques de France, qui les puisse rendre coupables sans accusation et les faire condamner sans aucune forme de ju gement».
Le Roi reçut lui aussi un extrait du procès-verbal et une lettre particulière. Louis XIV était prié d'intervenir auprès d'Alexandre VII pour lui faire agréer les satisfactions offertes par les prélats accusés. Si malgré tout le Pape voulait leur faire leur procès, le Roi était supplié «de ne permettre pas que l'on prenne des voies qui puissent préjudicier aux droits du royaume et aux libertés de
l'Eglise gallicane». Et l'on rappelait au monarque son titre de protecteur de
l'Eglise de France:
«Votre Majesté est l'évêque du dehors, comme se nommait Constantin, et le
protecteur des libertés de l'Eglise gallicane, qui ne sont autre chose que l'ancien
droit, plus religieusement observé en France que dans les autres pays du monde
chrétien. Ce nom est plus glorieux pour Votre Majesté que celui de Germanique, de Parthique et d'Indiqué dont se flattait la vanité des anciens empereurs et nous
sommes assurés qu'Elle ne souffrira pas qu'on le lui ravisse»83.
Comme le prévoyait le nonce Bagno dans sa dépêche du 19 décembre
1653, la majorité des évêques venait au secours des jansénistes, non par atta
chement aux doctrines de Jansénius, mais par un certain épiscopalisme, qu'ils
appelaient «libertés de l'Eglise gallicane». Le légat Francesco Barberini l'avait
déjà discerné dans les déclarations de l'assemblée du clergé de 162584, et il en travera tout au long du siècle les efforts conjugués du Pape et du Roi contre le
jansénisme. Pierre de Marca, dont le De concordia faisait la part assez belle au pou
voir royal et aux anciens canons, notait que la délibération de l'assemblée du
82 Ou bien le nonce s'est abstenu de référer à Rome cette commission de Brienne, ou bien nous avons là une lacune dans les documents: on ne peut que deviner ce qu'a dit Brienne à Bagno, d'après les déclarations de l'assemblée.
83 Blet II, p. 201. 84 Blet I, p. 307.
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144 PIERRE BLET S.I.
clergé «choquait les droits du Pape». Que signifiait cet appel aux anciens ca
nons, qui sont ceux du code de Denys le Petit? Il n'y aurait plus alors ni date
rie, ni expédition de bulles, ni religieux privilégiés. Les libertés de l'Eglise galli cane ne consistaient pas dans l'usage des seuls canons de Denys, mais aussi
dans les canons postérieurs des conciles de Lyon et de Latran et même des dé
crétâtes, du moment qu'elles avaient été reçues par l'usage du royaume. Dans
1e cas du procès des évêques, en appeler aux canons de Sardique serait priver
tes papes de leur juridiction actuelle, car ces canons prévoyaient bien qu'un évêque déposé pouvait en appeler au Pape, mais si l'évêque était condamné à une peine inférieure à la déposition, l'appel serait exclu et le Pape dans l'im
possibilité d'intervenir. La Pragmatique Sanction reconnaissait la juridiction du
Pape dans tes causes majeures et donc dans tes procès des évêques et dans tes décisions de foi85.
Le vote des députés du clergé de France du 31 mai procura aux amis de Jansénius un délai de trois mois. Mais Gondrin en vint à perdre la faveur de la cour. «Il semble, lui écrivait Mazarin, que vous preniez à tâche de faire tout ce
que vous croyez qui puisse 1e plus déplaire ici [à la cour]». Le 30 août tes évê
ques de Rennes et de Rodez se présentèrent à l'assemblée du clergé, munis
d'une lettre du Roi: ils avaient mission «d'exhorter la compagnie de consom mer l'affaire du jansénisme». Sa Majesté engageait 1e clergé à prendre tes me sures utiles pour faire recevoir et exécuter par tout 1e royaume la constitution
Cum occasione, le bref du 29 septembre 1654 et tes décisions des prélats réu nis au Louvre dans tes trois assemblées de 1653, 1654 et 1655. A cet effet 1e Roi offrait à la grande assemblée du clergé «toute l'assistance et la protection qu'elle pouvait espérer».
Les prélats et autres ecclésiastiques réunis depuis 1e mois d'octobre précé dent aux Grands Augustins, au moins ceux qui étaient dans 1e secret des affai
res, ne furent pas pris à l'improviste, et une commission était au travail depuis
longtemps, sous la présidence de l'archevêque de Toulouse, Pierre de Marca,
avec la participation des évêques de Chartres et de Montauban, Jacques Lescot
et Pierre de Bertier, pour préparer un rapport sur la question janséniste. Si
bien que la compagnie put répondre sans tarder aux désirs du Roi. Le surlen demain, 1er septembre, la grande assemblée, à laquelle avaient été convoqués en sus des députés élus par tes provinces tes prélats présents dans la capitale, entendit 1e rapport de Pierre de Marca sur la controverse relative à la publica tion de YAugustinus et la condamnation des cinq propositions. Jacques Lescot avait beaucoup travaillé à ce rapport, mais il venait de mourir, et Pierre de Bertier avait laissé la parole à son archevêque.
Pierre de Marca retraça tes phases de la controverse, 1e recours porté au
Pape par un grand nombre d'évêques pour demander une décision doctrinale
sur tes cinq propositions, la réponse d'Innocent X dans la bulle Cum occasio ne, tes difficultés que l'on avait opposées à la bulle, la réunion des quarante
Paris, Bibl. Nat., Ms. Baluze 122, f. 130sq.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 145
évêques au Louvre en mars 1654 et leur lettre au Pape, à laquelle Innocent X
avait répondu dans son bref du 29 septembre et les prélats de nouveau réunis
au Louvre au début de 1655 pour en prendre connaisance. Mais comme ce bref
était adressé au clergé de France, l'assemblée générale «devait travailler à ter miner cette affaire avec l'autorité qu'elle avait, plus grande que celle des as semblées particulières, puisqu'elle possédait la plus noble partie des anciens conciles nationaux».
La compétence de l'assemblée du clergé en la matière n'était pas évidente: les questions doctrinales relevaient des conciles et jamais les assemblées du
clergé de France, réunies en principe pour voter les contrats de décimes ordi
naires et extraordinaires, ne s'étaient considérées comme telles. Même dans
les questions de discipline ecclésiastique, elles se bornaient à donner des avis, dont les évêques pouvaient tenir compte leur gré. Aussi Marca débuta en dé
ployant toute son érudition pour démontrer d'abord que si l'assemblée ne
pouvait prétendre à l'autorité d'un concile oecuménique, elle possédait néan moins «plus de force et d'autorité que n'avaient les trois assemblées précéden tes», et se trouvait en droit d'assumer les fonctions d'un concile national. Il
évoqua les conciles des Gaules au temps des Mérovingiens, puis à l'époque de leur splendeur sous les Carolingiens, enfin au moment de leur déclin à partir de Yves de Chartres. Aujourd'hui l'Eglise gallicane traite ses affaires, même
spirituelles, dans les assemblées du clergé: les évêques qui y siègent sont élus dans les assemblées provinciales, «suivant l'ordre prescrit par les conciles d'A
frique», et les députés du second ordre opinent dans les affaires spirituelles en vertu de la procuration des évêques absents:
«De la sorte, concluait Marca, que l'on peut assurer que toute l'autorité de
l'Eglise gallicane en ce qui regarde la doctrine et les règlements de la discipline ec
clésiastique, réside en cette assemblée générale, qui est en cela un concile natio
nal, comme les autres assemblées représentaient les synodes, plus grands que les
provinciaux, mais moindre en autorité que les nationaux pléniers et complets».
L'archevêque de Toulouse soulignait en outre qu'en lui adressant son bref
du 29 septembre Innocent X l'avait autorisée à traiter cette affaire et à se char
ger de l'exécution des constitutions apostoliques: «De sorte que cette assem
blée peut procéder en cette affaire générale qui regarde la foi et l'exécution de la constitution du Pape avec l'autorité d'un vrai concile national. Et comme le
concile africain de Télepte reçut les décrets du Pape Siricius et en composa une
partie de ses canons, cette assemblée pourra travailler à la réception du bref du
pape Innocent X et prendre les ordres nécessaires pour l'affermissement des vérités déclarées»86.
Estimant avoir résolu la question de compétence, Pierre de Marca aborda le fond du débat avec la bulle Cum occasione, et le bref du 29 septembre 1654. Comme il l'avait fait devant les prélats réunis au Louvre en mars 1654, il réaffirma que les cinq propositions se trouvaient dans le livre de Jansénius et
Blet II, p. 203-208.
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146 PIERRE BLET S.I.
avaient été condamnées dans le sens de l'auteur. C'est alors qu'intervinrent
d'autres commissaires avec des pièces que leur avaient remises les agents du
clergé: c'était les actes signés de l'archevêque de Sens et de l'évêque de Com
minges, déclarant d'une part que la doctrine de saint Augustin n'était pas condamnée, que d'autre part ils n'avaient souscrit avec leurs collègues le pro
cès-verbal de réception du bref du 29 septembre que pour ne pas rompre l'uni
té, protestant néanmoins qu'ils ne manqueraient pas à ce qu'ils devaient à Sa
Sainteté. La lecture de ces pièces ambiguës déchaîna une tempête. L'évêque de
Rennes cria à l'archevêque de Sens, qui siégeait parmi les présidents, que la lecture de ces actes suffisait pour les condamner comme hérétiques, lui et l'évê
que de Comminges. La séance fut suspendue. Des réunions privées eurent
lieu, sur lesquelles nous n'avons pas de documents, et sur quoi les renseigne
ments sont contradictoires.
Mais la conclusion est certaine. Dans la séance plénière du lendemain, l'ar
chevêque de Sens prononça une rétractation formelle des actes qui avaient
scandalisé la veille et adhéra sans restriction à la constitution d'Innocent X, tel le qu'elle avait été expliquée en mars 1654 par l'assemblée du Louvre, dont le
Pape avait approuvé la décision. D'ailleurs dans une lettre du mois de juin pré cédent, les trois prélats contestataires avaient présenté au Pape des assurances
de leur soumission:
«Nous attestons le Dieu immortel n'avoir jamais voulu manquer au respect qui est dû à votre autorité suprême et que nous avons reçu tous les décrets apos toliques avec le respect qui leur convient et qui se doit de la part d'évêques très attachés au Saint Siège et que nous les recevrons à l'avenir... Nous prions Votre Béatitude par tout ce qu'il y a de saint de ne pas douter que si quelque chose nous est échappé qui lui aura été désagréable, cela nous est arrivé non seulement
par distraction, mais même contre notre volonté, id nobis non solum incautis sed etiam invitis excidisse non dubitet»87.
Devant l'assemblée, l'archevêque ne semble pas avoir fait état de cette let
tre, mais il déclara «qu'il se départissait des actes de déclaration qui avaient été lus le jour précédent.
«Incontinent, porte le procès-verbal de l'assemblée, la lecture ayant été fai te du projet que Messieurs les Commissaires avaient arrêté, Mgr de Sens a dit conformément à icelui qu'il se soumet sincèrement à la constitution de Notre Saint Père le Pape Innocent X selon son véritable sens expliqué par l'assemblée de Messeigneurs les Prélats du 28 mars 1654 et confirmé par le bref de Sa Sain teté du 29 septembre de la même année, non seulement pour ne point s'éloi
gner du respect qu'il doit à ladit assemblée et de l'union et de la paix qui doit être inviolable dans l'Eglise, mais aussi à cause qu'il s'y croit véritablement
obligé en conscience. Et d'autant que Mgrs de l'assemblée ont jugé que les dé clarations ci-dessus énoncées sont contraires à ce sentiment, il les a révo
quées» 88.
87 Lettere di Vescovi 36, f. 289, les trois évêques au Pape, copie, l'original ayant été remise à Albizzi le 28 septembre 1656.
88 Blet II, p. 209-210.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 147
Que Gondrin se soit ainsi réllement dédit, la réaction des jansénistes le montre assez. Le mémorialiste du parti, Godefroy Hermant, n'a pas hésité à
stigmatiser la conduite du prélat, qui avait paru leur plus ferme appui:
«Il est étrange qu'un homme aussi éclairé et aussi généreux que M. de Sens
était estimé l'être dans le monde, se laissât abattre par cette menace et que ne
considérant que la disposition présente de la cour et du clergé, il oubliât tout ce
qu'il avait fait, dit, écrit par le passé... Cependant comme si toutes ses anciennes
idées eussent été effacées en un instant, il couvrit ce changement si honteux du
spécieux nom de la paix et dit que plutôt que de faire un schisme, il révoquerait même par écrit les actes dont l'assemblée se plaignait»89.
L'opposition avait capitulé: Marca pouvait aller de l'avant et proposer les
moyens d'imposer l'exécution des constitutions apostoliques. Bien que le pro cès-verbal n'en laisse rien paraître, la discussion dût être encore très vive. Se
lon un journal officieux de l'assemblée, certains soutenaient la constitution, mais tenaient aux principes de l'Eglise gallicane. L'évêque de Montauban au
rait déclaré «que les évêques de France n'étaient pas assez fols de croire que le
Pape fût infaillible dans ces faits». Au contraire l'évêque de Rennes, La Mothe
Houdancourt, aurait défendu les positions les plus extrêmes des canonistes ro
mains. En conclusion le vote des provinces consacra la victoire des décisions ro
maines: «Il a été résolu que l'assemblée reçoit avec respect le bref du Pape du 29 sep
tembre 1654, qui lui est adressé, et déclare, conformément à icelui et à l'interpré tation faite par l'assemblée de 1654 confirmée par ledit bref, que dans les cinq
propositions la doctrine de Jansénius contenue dans son livre intitulé Augustinus et qui néanmoins n'est pas celle de saint Augustin, est condamnée par la constitu
tion de Sa Sainteté du 31 mai 1653».
La grande assemblée générale confirmait donc les décisions et les déclara
tions des trois réunions de prélats de juillet 1653, mars 1654 et janvier et mai
1655. Et aux décisions doctrinales elle joignait une série de mesures pratiques.
Tout d'abord on reconnaissait la prohibition des livres condamnés. Puis, en dépit des arguments de l'archevêque de Toulouse pour assimiler l'assem
blée à un concile national, la compagnie se bornait à exclure de ses séances les
prélats qui ne feraient pas exécuter la constitution. Elle déclarait aussi que l'ac
te de soumission présenté par l'archevêque de Sens était suffisant et elle ex
hortait l'évêque de Comminges à en fournir un semblable. Elle décida encore
que la relation des commissaires serait insérée au procès-verbal, avec tous les
actes relatifs aux cinq propositions, bulle et brefs du Pape, lettres patentes du
Roi, lettres et circulaires des assemblées. Et la présente assemblée écrirait enco
re une lettre au Pape, une lettre au Roi et une circulaire à tous les évêques du
royaume pour les informer de ses résolutions90.
89 Godefroy Hermant, Mémoires III, Paris 1906, p. 128.
90 Blet II, p. 211-212 (d'après le procès-verbal de l'assemblée au 2 septembre).
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148 PIERRE BLET S.I.
Le lundi 4 septembre les ecclésiastiques qui avaient participé aux séances du vendredi et du samedi précédent, députés du premier et du second ordre, et autres évêques se trouvant à Paris, rejoignirent le couvent des Grands Au
gustine et les actes prévus, texte du procès-verbal, lettres au Pape, au Roi et
aux évêques du royaume, furent signés par sept archevêques, trente évêques et trente trois députés du second ordre. La procédure de ces signatures fut jus tifiée par l'exemple du primat de Carthage, Aurelius, qui avait fait souscrire à tous ses suffragante la condamnation des Pélagiens, prononcée par les conciles
africains et confirmée par les papes Innocent I et Zozyme.
La lettre au Pape expliquait que l'assemblée avait reçu la condamnation
pontificale des cinq propositions avec la même ardeur que les conciles africains avaient accueilli les décrets romains contre Pélage. Les novateurs prétendaient en vain se couvrir du nom de saint Augustin, mais le clergé de France avait pris toutes les mesures qui étaient en son pouvoir afin d'assurer leur plein effet aux décisions du pontife romain. Et la lettre concluait avec saint Augustin: Fi nita est causa rescriptis apostolicis, utinam finiatur et error91.
La lettre au Roi soulignait davantage le rôle de l'assemblée générale. Après les décisions pontificales et les réunions du Louvre,
«il ne restait plus rien à désirer... si ce n'est qu'une assemblée générale du clergé de France, en laquelle tous les prélats de votre royaume se trouvent en effet, ou
y sont représentés par les procurations des absents, qui leur donne le pouvoir de traiter en leur nom des matières spirituelles, acceptât ce qui avait été résolu dans les assemblées précédentes et que, comme dans l'ancien usage de l'Eglise, les na tions autorisaient ce que les provinces avaient ordonné, l'assemblée des quinze métropoles de vos Etats donnât une force nouvelle à ce qui avait été auparavant établi par un moindre nombre d'évêques».
Après quoi, il appartenait au Roi, à l'exemple des anciens empereurs chré
tiens et des rois ses prédécesseurs, de mettre son pouvoir au service de la foi
orthodoxe et d'«employer toute sa puissance lorsque les évêques lui en deman
deraient l'usage pour conserver ce qu'ils ont établi». Et l'assemblée de 1656 ré
pétait à Louis XIV les exhortations d'un concile à l'un de ces empereurs:
«Favorisez, Sire, les catholiques selon votre devoir et selon la coutume de vos pères, donnez liberté à la défense de la foi, estimez vous heureux que celle
[l'Eglise] qui ne craint point les forces humaines et qui n'en a aucun besoin, vous demande les vôtres; soyez persuadé que lorsque nous traitons les affaires de l'E
glise, nous faisons celles de votre Etat et de votre conservation, afin que vous mé ritiez de jouir en paix de vos provinces. Protégez l'Eglise contre ses ennemis et défendez-la avec vos deux mains, si vous voulez que la dextre de Jésus Christ, de
laquelle vient toute bénédiction, défende votre empire et bénisse votre person
Néanmoins c'était aux évêques qu'il appartenait de faire exécuter la constitution et d'imposer la soumission aux décisions doctrinales du Pape. Ils y
M. C., I, col. 269-273.
M.C., I, col. 279-284.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 149
étaient invités par une circulaire de l'assemblée, qui leur proposait en outre un
moyen pratique d'imposer cette soumission. Pour faciliter l'exécution de la
constitution Cum occasione et la rendre uniforme dans tous les diocèses, disait la circulaire, l'assemblée avait «jugé à propos de dresser le formulaire ci-joint qu'elle vous envoie aussi, afin qu'il vous plaise de vous en servir». Le texte était le suivant:
«Je me soumets sincèrement à la constitution de Notre Saint Père le Pape In
nocent X du 31 mai 1653 selon son véritable sens expliqué par l'assemblée de
Messeigneurs les Prélats de France du 28 mars 1654 et confirmé depuis par le
bref de Sa Sainteté du 29 septembre de la même année. Je reconnais que je suis
obligé en conscience d'obéir à cette constitution et je condamne de coeur et de
bouche la doctrine des cinq propositions de Cornélius Jansen contenue dans son
livre intitulé Augustinus que le Pape et les évêques ont condamnées, laquelle doc
trine n'est point celle de saint Augustin, que Jansénius a mal expliquée, contre le
vrai sens de ce saint docteur»93.
C'est ainsi que le formulaire anti-janséniste, destiné à soulever tant de po lémiques, fut introduit dans les actes du clergé de France. L'assemblée ne pré
tendait pas l'imposer: il appartenait aux évêques de s'en servir à leur gré, cha
cun dans son diocèse et d'en rendre la signature obligatoire à leur clergé. La grande assemblée générale du clergé de France avait donc pris une po
sition résolument anti-janséniste sur le plan de la doctrine de la grâce et du li
bre arbitre. Mais sur le plan de la discipline et du droit, intimement lié à la doc trine sur l'Eglise, elle avait déclaré suffisante la satisfaction de Gondrin et elle avait proclamé que le jugement des évêques ne dépendait pas de la seule juri diction du Pape, mais requérait la procédure des anciens canons. C'était donc déclarer que le Pape était tenu par les décisions des anciens conciles, comme le
proclamera expressément dans ses quatre articles l'assemblée du clergé de
1682.
3. Première bulle d'Alexandre VII
Aux décisions de l'assemblée du clergé, les amis de Jansénius et de Port
Royal répondirent par une nouvelle vague de pamphlets. En dépit de toute l'é
rudition de l'archevêque de Toulouse, Arnauld et ses sectateurs ne manquaient
pas d'arguments pour contester aux résolutions de la grande assemblée la for
ce des canons d'un concile. Cette prétention de l'assemblée de s'ériger en conci
le national laissait perplexes le nonce Bagno et le cardinal secrétaire d'Etat
eux-mêmes. Le cardinal Rospigliosi trouvait dans l'extrait de procès-verbal ex
pédié par le nonce «des propositions qui ne convenaient pas et qui avaient be
soin de correction» '. Alexandre VII vit bientôt que les mesures prises par les seuls évêques de
France contre le jansénisme ne terminaient pas la cause et il prêta l'oreille à
M.C., I, col. 288-290; formulaire, col. 290.
Nunz. Francia 111 A, f. 6, Rospigliosi à Bagno, 5. III. 57.
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150 PIERRE BLET S.I.
ceux qui demandaient une nouvelle intervention de l'autorité pontificale. Le doc teur Hallier se plaignait qu'il manquait d'arguments pour confondre ceux qui ré
pandaient le bruit que le nouveau pape avait approuvé la lettre d'Arnauld à un
duc et pair et qu'il était lui-même arnaldien et janséniste; Hallier suppliait donc le cardinal secrétaire d'Etat d'avertir le Pape du très grave péril que comportait son
silence2. Ces appels furent pris en considération et le 27 juillet le secrétaire d'Etat écrivait au nonce Bagno que depuis longtemps Sa Sainteté pensait à publier une bulle pour confirmer celle de son prédécesseur sur les cinq propositions et une mi
nute avait déjà été rédigée. On priait maintenant le nonce de dire son avis sur la
question de savoir si le moment lui semblait propice pour la publier ou s'il lui pa raissait plus opportun de différer3. Et le secrétaire d'Etat revenait sur sa question
dans son courrier du 7 août. Des gens très zélés avaient suggéré au Pape ce projet
d'une nouvelle constitution dès le début de son pontificat. Avaient-ils bien réfléchi aux circonstances et aux nécessités de l'heure? Bagno devait donc considérer si le
moment était venu de publier cette bulle ou s'il valait mieux attendre une occasion
plus favorable. Etait-il expédient d'envoyer la bulle à l'assemblée du clergé, qui se trouvait encore réunie ou était-il préférable d'attendre sa séparation? ".
Le nonce Bagno répondit à ces questions dans sa dépêche du 22 septem bre suivant, par un exposé général de la situation religieuse et politique, créée
par l'existence du mouvement janséniste.
«Leur nombre [des jansénistes] est grand et il s'est formé de ces gens une es
pèce de république. Ils sont bien pourvus en argent et de tout ce dont ils ont be
soin, et ils sont unis avec le corps des calvinistes et des autres hérétiques qui, sous
quelque nom que ce soit, se sont séparés des catholiques. Il est manifeste que ces
gens ne sont pas affectionnés ni fidèles au service du Roi et beaucoup de minis tres de Sa Majesté le savent et le disent».
Mais ces ministres ajoutent qu'en ce temps de guerre, ce n'est pas le mo
ment de recourir aux mesures de rigueur. Ce en quoi ils ont tort, déclare Ba
gno, car avec le crédit dont ils jouissent auprès des plus puissants ministres, les
jansénistes se maintiennent et s'accroissent. Le nonce a beau se plaindre des
réunions qui se tiennent à Port Royal et en dépit des promesses que lui a faites
Mazarin lui-même, l'autorité n'intervient pas. Tout ce qu'on a vu, c'est la dé claration des évêques réunis autour de Mazarin au début de 1655, que les cinq propositions condamnées se trouvent dans l'oeuvre de Jansénius, déclaration
reprise par la présente assemblée générale.
«Ce que j'ai dit être superflu, commente Bagno, car lorsque les évêques, à
l'exception de trois, ont reçu la constitution et ordonné qu'elle fût obéie dans leurs diocèses et que le Roi a commandé à ses officiers de les assister de son auto rité pour la faire obéir, il ne reste plus qu'à se faire obéir en châtiant les contreve
nants, au moins en les dénonçant comme hérétiques. Il est certain que si l'on n'en arrive à l'exécution des peines de par l'autorité du Roi, cette secte continue ra à s'accroître et leurs conventicules se maintiendront à Port Royal et ailleurs».
2 Lettere di Vescovi 36, f. 230, Hallier à Rospigliosi, 2. V. 56. 3 Nunz. Francia 279, f. 467-468, Rospigliosi à Bagno, 27. VII. 56. 4 Nunz. Francia 279, f. 471v-472, Rospigliosi à Bagno, 7. VII. 56.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 151
Puis Bagno en arrivait à la question de l'opportunité d'une nouvelle constitution. Il savait que le docteur H allier la réclamait.
«Mais, disait-il, je voudrais que si on la fait, elle servît à quelque chose, non seulement dans l'esprit et l'âme de ceux qui la désirent, mais qu'elle fût généra lement observée, ce qui, je crois n'arrivera pas, à moins d'être sûrement appuyée par l'autorité du Roi et du clergé. C'est pourquoi il est digne de la souveraine
prudence de Sa Sainteté de différer jusqu'à ce que le coup puisse être utile»5.
Puis le nonce en revenait au bref de commission. L'archevêque de Sens et les évêques de Comminges et de Beauvais avaient obtenu de la cour que les ar
chevêques et évêques délégués par Innocent X et par le Souverain Pontife ac
tuel ne procèdent pas à la vérification de leurs mandements, sous prétexte que Gondrin avait écrit à Sa Sainteté en reconnaissant sa lettre comme sienne et
que les autres avaient parlé dans le même sens. En vain Bagno avait-il fait re
marquer à Brienne qu'une lettre missive n'avait pas la valeur d'un acte juridi que. Puis l'archevêque de Sens avait demandé en quoi sa pastorale était défec tueuse: Bagno lui avait répondu qu'il devait s'en informer à Rome. Autrement
dit, on multipliait les prétextes pour retarder la rétractation. Et le nonce
concluait qu'il avait fait et ferait en toute occasion des remontrances en vue
d'assurer l'observation de la bulle publiée contre les cinq propositions et pour qu'il ne fût pas interdit aux commissaires délégués de procéder à leur enquête, «mais de l'un et de l'autre point votre souveraine prudence jugera ce que l'on
peut espérer»6.
Les décisions de l'assemblée du 1 septembre ont pu encourager Alexandre VII à passer outre à l'avis du nonce Bagno. La bulle Ad sacram Pétri sedem fut expédiée sous la date du 16 octobre, dix-sept des calendes de novembre, et
publiée à Rome le 7 novembre7. Bien que ce qui avait été décidé par les constitutions apostoliques n'eût
pas besoin d'être confirmé, disait le Souverain Pontife, «à cause toutefois que
des perturbateurs du repos public ne craignent pas de les révoquer en doute, ni
même de les affaiblir et de les énerver par des interprétations captieuses», il avait jugé bon «d'y appliquer le remède de l'autorité apostolique». Son prédé cesseur avait condamné cinq propositions par sa bulle Cum occasione. Et
Alexandre VII reproduisait intégralement la bulle de son prédécesseur dans sa
propre bulle. Puis il continuait en expliquant que quelques fils d'iniquité soute naient que ces propositions ne se trouvaient pas dans Jansénius, mais qu'elles avaient été forgées à plaisir. Le Pape, qui avait pris part comme cardinal à l'examen des cinq propositions, entendait dissiper les doutes qui pourraient subsister:
«Par le devoir de notre charge pastorale et après mûre délibération, Nous
confirmons, approuvons et renouvelons par ces présentes la constitution, déclara
tion et définition du pape Innocent X, notre prédécesseur, ci-dessus rapportée,
Nunz■ Francia 281, f. 306, Bagno à Rospigliosi, 22. IX. 56.
Ibid., f. 307.
M.C., I, col. 311-312.
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152 PIERRE BLET S.I.
déclarons et définissons que ces cinq propositions ont été tirées du livre du même
Cornélius Jansénius, évêque d'Ypres, intitulé Augustinus et qu'elles ont été
condamnées dans le sens auquel cet auteur les a expliquées, et comme telles nous
les condamnons derechef, leur appliquant la même censure dont chacune d'elles
en particulier a été notée et frappée dans cette même déclaration et définition».
En conséquence le Pape défendait sous peine d'excommunication ipso fac to la lecture de Y Augustinus et des livres jansénistes, enjoignait aux évêques et aux juges ecclésiastiques de faire observer sa définition et de réprimer les re belles en réclamant au besoin le secours du bras séculier8.
C'était le moment où, après bien des instances de Mazarin et du nonce
lui-même, Nicolò di Bagno était remplacé en France par Coelio Piccolomini, dé claré en un premier temps nonce extraordinaire pour la paix dans le consistoire
du 16 octobre9. La bulle fut donc remise à Piccolomini, qui ne fit son entrée offi cielle à Paris que le 2 février 1657. Partageant la méfiance de ses prédécesseurs vis-à-vis des assemblées du clergé de France, il crut d'abord préférable d'atten dre la fin de la session pour communiquer la nouvelle constitution. Puis mieux informé des dispositions de l'assemblée, il en entretint Mazarin le 8 mars et il re mit un original et une copie du document pontifical à l'archevêque de Narbonne, le plus ancien président de l'assemblée. Le 14 mars cet archevêque, Claude de
Rébé, informa la compagnie, laquelle chargea l'archevêque de Toulouse et l'évê
que de Montauban de préparer une relation pour le samedi suivant.
A la date prévue, 17 mars, en une séance à laquelle furent invités tous les
évêques présents à Paris, Pierre de Marca présenta son rapport et lecture fut
donnée de la bulle Ad sacram. Après avoir entendu la lecture de la bulle et le rapport de l'archevêque de Toulouse, l'assemblée adopta les conclusions de la
commission:
1° Que l'assemblée reçoit avec respect et soumission la constitution du 16
octobre et en ordonne la publication et l'exécution dans tous les diocèses.
2° L'assemblée décide qu'il sera procédé suivant la rigueur des constitutions
apostoliques à l'exécution du bref d'Innocent X et de la bulle d'Alexandre VII.
3° Qu'un formulaire de la souscription prescrite par la délibération du 1
septembre 1656 sera joint à la bulle et les prélats invités à le faire signer dans leurs diocèses dans le délai d'un mois.
4° Pour garder l'uniformité les évêques se serviraient du texte suivant:
Je me soumets sincèrement à la constitution du pape Innocent X du 31 mai 1653 selon son véritable sens qui a été déterminé par la constitution de Notre Saint Père le Pape Alexandre VII du 16 octobre 1656. Je reconnais que je suis
obligé en conscience d'obéir à ces constitutions et je condamne de coeur et de bouche la doctrine des cinq propositions de Cornélius Jansénius contenue dans son livre Augustinus que ces deux papes et les évêques ont condamnée, laquelle doctrine n'est point celle de saint Augustin, que Jansénius a mal expliquée contre le vrai sens de ce docteur.
M.C., I, col. 301-310. Hum. Francia 279, f. 498, Rospigliosi à Bagno, 16. X. 56.
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LOUIS xrv, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 153
5° Sa Majesté sera suppliée d'accorder une Déclaration adressée aux Par
lements pour leur interdire de recevoir aucun appel comme d'abus touchant
l'exécution des constitutions.
6° Copie de la présente délibération sera remise au nonce et des remerci
ments lui seront adressés pour le zèle qu'il a déployé en cette affaire. Une nouvelle circulaire fut rédigée pour les diocèses. Elle débutait par une
déclaration de principe, destinée à ceux qui, refusant au Pape l'infaillibilité per sonnelle, mettraient en doute la portée de sa bulle: le consentement que l'Eglise
universelle donnait à la définition apostolique rendait la sentence irréformable:
«La vérité de la foi que contient la constitution d'Innocent X décernée pour la condamnation de Jansénius a été manifestée avec éclat par la publication que tous les évêques non seulement de France, mais encore de toute la Chrétienté en
ont ordonnée dans leurs diocèses et par la soumission de tous les fidèles à l'auto
rité de la chaire de Pierre; en sorte que le consentement universel de l'Eglise s'est
réuni avec la pierre apostolique qui ne peut être surmontée par les portes de l'en
fer ni ne peut être ébranlée par le petit nombre de réfractaires, qui doivent céder
au sentiment général du corps suivant la règle du concile de Nicée».
Après quoi ceux qui nieraient encore la présence des cinq propositions dans Jansénius seraient tenus pour fauteurs d'hérésie et passibles des peines
réservées aux hérétiques10.
Il avait été plusieurs fois question de faire enregistrer la bulle Cum occa sione. Cette fois le nonce Piccolomini en présentant ses brefs de créance dans son audience du 26 mars avait émis l'idée de faire enregistrer la nouvelle bulle
pour couper court aux appels comme d'abus, comme l'assemblée l'avait sou
haité huit jours plus tôt11. Puis dans une audience que lui accorda la Reine mè re le 11 avril, Anne d'Autriche lui promit que la bulle serait enregistrée. Le
nonce avait alors demandé que ce fût fait avant le départ du Roi aux armées12.
Le projet avait aussitôt reçu l'approbation d'Alexandre VII, qui voyait dans le
zèle que montrait la Reine en cette affaire une raison d'espérer «la totale extir
pation de cette secte pernicieuse»13.
Mais quand il fut question au Parlement de Paris d'enregistrer la bulle Ad
sacram, les magistrats les plus jeunes de la chambre des Enquêtes, de Blanc
mesnil et Dutronché, précise le docteur Joysel, prétendirent que l'enregistre
ment requérait l'assemblée de toutes les chambres. Et ils auraient voulu chan
ger certaines formules des lettres royales. En vain le président de Nesmond ré
pondait que l'assemblée de toutes les chambres n'était pas nécessaire14. Les
nouvelles anonymes de la nonciature confirment que cette agitation venait des
magistrats les plus jeunes, qui auraient été excités par les jansénistes15. Néan
10 Blet Π, p. 216-219. 11 Nunz. Francia 110A, f. 201v, Piccolomini à Rospigliosi, 30. III. 57. 12 Nunz■ Francia 110A, f. 235, Piccolomini à Rospigliosi, 13. IV. 57. 13 Nunz. Francia 311, f. 86, Rospigliosi à Piccolomini, 14. V. 57. 14 Lettere di Vescovi 36, f. 363v, docteur Joysel à Rospigliosi, 10. V. 57 & Nunz. Francia
110A, f. 285, Piccolomini à Rospigliosi, 11. V. 57. 15 Nunz. Francia 110A, f. 296v.
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154 PIERRE BLET S.I.
moins le Roi donna ses lettres patentes pour enjoindre l'enregistrement et par tit pour l'armée. Piccolomini insista auprès des ministres pour qu'on attendît le retour du monarque avant de pousser l'affaire. Brienne, Séguier et le pro cureur général l'assurèrent que l'on ne porterait la constitution du Pape au
Parlement que si l'on était assuré que tout se passerait à l'honneur du Saint
Siège. Il faut croire que les ministres ne se sentaient pas en mesure de donner
cette assurance et sur l'heure la chose en resta là16.
Le mois de novembre ramena Louis XIV dans sa capitale. Finalement des lettres patentes furent expédiées sous la date du 18 décembre pour être por
tées au Parlement et enregistrées avec la constitution du Pape en présence du
Roi. La teneur des lettres royaux était la suivante:
Louis par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre. A nos amés et féaux
conseillers les gens tenant notre cour de Parlement de Paris, salut. Notre Saint
Père le Pape Alexandre septième nous ayant fait présenter par le sieur Piccolomi
ni, archevêque de Césarée son nonce la bulle qui contient sa constitution et déci
sion sur les propositions de Jansénius condamnées par le pape Innocent dixième
d'heureuse mémoire, nous l'avons reçue avec le respect dû au Saint Siège et
après l'avoir fait examiner en notre Conseil et qu'il ne s'est rien trouvé en icelle
non plus que dans la première bulle d'Innocent dixième qui soit contraire aux li
bertés de l'Eglise gallicane ni aux droits de notre couronne, et que les officiers de
l'Inquisition n'y sont nommés que pour exercer leur juridiction hors du royaume dans les lieux où ils sont établis et qu'il n'est attribué aux archevêques et évêques de notre royaume aucune nouvelle juridiction, outre celle qu'ils y ont. A ces cau
ses, de l'avis de notre Conseil et de notre science certaine, pleine puissance et au
torité royale nous vous mandons et ordonnons par ces présentes signées de notre main que vous ayez à faire publier et enregistrer ladite bulle de notre Saint Père
le Pape Alexandre septième ci-attachée sous le contre scel de notre chancellerie, où est insérée celle d'Innocent dixième et le contenu en icelle faire garder et ob
server en ce qui dépendra de notre dite cour. Car tel est notre plaisir. Donné à Paris le dix-huitième jour de décembre l'an de grâce 1657 et de notre règne le
quinzième17.
Le 19 décembre 1657 Louis XIV se rendit en son Parlement de Paris et le
registre du Conseil secret décrit minutieusement une partie de la procédure, même s'il est plutôt discret sur les harangues qui furent prononcées. Sous le ti
tre de la journée: «Le Roi Louis quatorzième du nom séant en son lit de justi ce», le registre énumère d'abord les principaux personnages présents, les prin ces du sang, le duc d'Anjou, le prince de Conti, le cardinal Mazarin, les ducs
d'Epernon, de Montbazon, de Sully, de Lesdiguières et de Saint Simon; puis venaient les maréchaux de France, ensuite les évêques Fouquet, coadjuteur de
Narbonne et un autre Fouquet, évêque d'Agde. Et naturellement le chancelier
Séguier en sa robe de velour violet doublée de satin cramoisi. A la suite sié
geaient les présidents, de Nesmond, de Longueil, Potier, de Mesme, Le Coi
gneux, de Bailleul, Molé, les deux avocats du Roi, Talon et Bignon, et le pro cureur général Fouquet.
Nunz. Francia 110A, f.285, Rccolomini à Rospigliosi, 11.V.57. Paris, Arch. Nat., XIA 8391, f. 27.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 155
«Ce jour-là la cour, toutes chambres assemblées en robes et chaperons
écarlates, messieurs les présidents revêtus de leurs manteaux et tenant leurs
mortiers, attendant la venue du Roi suivant son mandement du dix-huit de ce
mois pour tenir son lit de justice, les capitaines des gardes saisis des huis du Parlement». Sur les dix heures une députation s'est rendue vers le Roi et l'a conduit à son lit de justice. «Ensuite ledit seigneur Roi a dit: "Mon chancelier vous dira ma volonté"». Sur quoi Séguier a pris la parole, mais le registre n'a
pas inséré le discours. «Après le Roi a commandé par la bouche de M. le Chan celier que les huis fussent ouverts et au greffier en chef de faire la lecture tant de la bulle du Pape Alexandre sept que de la déclaration du Roi sur icelle, des
quelles la teneur ensuit»18.
La lecture terminée,
«M. le Chancelier étant levé retourna vers la personne dudit seigneur Roi, qui avait fait approcher M. le duc d'Anjou, Monsieur le Cardinal et Monsieur le Prin
ce de Conti et déclaré sa volonté, serait redescendu prendre l'avis de Messieurs
les Présidents, après avoir remonté pris l'avis des ducs, pairs et maréchaux de
France ci-dessus nommés et descendu prendre l'avis de Mesieurs les Conseillers
d'Etat, Messieurs des Requêtes, conseillers de ladite cour, serait derechef retour
né à la personne dudit seigneur Roi pour lui faire entendre l'avis de la compagnie et après avoir fait la révérence à Sa Majesté, s'étant remis à sa place, a prononcé:
"Le Roi étant en son lit de justice a ordonné et ordonne que sur ses lettres
en forme de déclaration sera mis qu'elles ont été lues, publiées et registrées en
semble ladite bulle, ouï ce requérant le procureur général du Roi pour être exé
cutées selon leur forme et teneur et copies collationnées envoyées aux bailliages et sénéchaussées de ce ressort pour y être pareillement lues, publiées et regis trées à la diligence des substituts du procureur général du Roi qui seront tenus
certifier la cour avoir ce fait au mois"» ".
Le surlendemain le nonce Piccolomini relatait au cardinal secrétaire d'Etat comment l'enregistrement de la constitution apostolique, prévu au printemps
et retardé à cause du tumulte (rumore) qui s'était produit au Parlement le jour
même ou le Roi partait pour les armées, avait été effectué l'avant-veille en
grande solennité. Les discours du chancelier et du président de Nesmond
avaient parfaitement exprimé «le respect que Sa Majesté a toujours montré en
vers Sa Sainteté et le Saint Siège et le zèle qu'il a d'éteindre le jansénisme». Il en allait autrement du discours de l'avocat général, dont certains se plai
gnaient, même si d'autres le défendaient. Cependant Piccolomini avait deman
dé audience, pour remercier le Roi «pour une action aussi pieuse et dont on es
père qu'elle peut être très profitable à notre sainte religion», mais il avait aussi
fait entendre ses plaintes contre l'avocat général. Mazarin avait alors averti Ta
lon de ne faire ni imprimer ni enregistrer son discours20.
18 Ibid., f. 22-24. 19 Ibid., f. 27v-28. 20 Nunz. Francia 110A, f. 817, Piccolomini à Rospigliosi, 21. XII. 57.
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156 PIERRE BLET S.I.
Les démarches du nonce ne furent pas vaines, puisque le Roi commanda à
son avocat général de rendre compte de son discours: Talon assura qu'il n'a
vait pas dit ce qu'on lui prêtait ou l'avait dit d'une autre manière et Louis XIV
promit d'en écrire lui-même au Pape21. A Rome on fut informé dès la fin de janvier de l'enregistrement de la bulle
au Parlement de Paris, mais on entendit aussi parler de la harangue de l'avo cat général. Le 28 janvier, le cardinal Albizzi envoyait à Mazarin ses plus chau des félicitations et lui exprimait «la joie que j'ai ressentie pour la digne résolu tion prise par Sa Majesté et par Votre Eminence et avec ce Parlement de faire
exécuter dans toute la France la bulle de Notre Seigneur [le Pape] contre la doctrine de Jansénius»22. Lorsque à la même date le cardinal Antonio Barberi
ni, le plus jeune des neveux d'Urbain VIII, demeuré attaché aux intérêts fran
çais, fut reçu en audience par Alexandre VII, il évoqua le lit de justice avec
l'enregistrement de la dernière constitution contre le jansénisme. Le Pape en
exprima une «vive satisfaction», mais il questionna aussi le cardinal sur la ha
rangue de Talon. Antonio Barberini promit de s'informer23. Moins d'un mois plus tard, le 25 février le cardinal Antonio avait en main
le courrier de Brienne avec la lettre du Roi, et il profita d'un consistoire pour demander une audience du Pape24. Dans son audience du 2 mars le cardinal
put présenter à Alexandre VII les expbcations de Talon et la lettre de Louis XIV:
«Très Saint Père, Le désir que j'ai de conserver par mes actions le titre très
auguste de Roi très chrétien que mes prédécesseurs m'ont acquis m'oblige de
prendre un soin très exact d'employer mon autorité pour la conservation de la
pureté des dogmes de la foi et de l'intégrité de la religion catholique. C'est ce qui m'a porté ci-devant à faire instance envers le Saint Siège pour avoir sa décision sur quelques points de Jansénius qui commençaient à diviser les esprits dans mon royaume, de laquelle [décision] Votre Sainteté a déterminé le vrai sens que cette nouvelle secte voulait éluder par des fausses interprétations. Et d'autant
que le Sieur Piccolomini, archevêque de Césarée, votre nonce, m'a requis de pro téger l'exécution de ces deux constitutions, j'ai estimé que je devais les faire pu blier et enregistrer dans mon Parlement de Paris en ma présence, comme j'ai fait tenant mon lit de justice avec toute la solennité qui se pratique pour les affaires de la plus grande importance, étant accompagné de mon frère le duc d'Anjou, et de mes cousins le Prince de Conti et le cardinal Mazarin, les ducs, pairs et maré chaux de France avec tout le corps des officiers de ma cour de Parlement. Ce n'est pas que j'aie prétendu donner quelque force à la substance de ces décisions
qui regardent la foi. J'ai désiré seulement que tous mes sujets reconnussent le
respect que je porte aux constitutions du Saint Siège et l'affection que j'ai d'étein dre dans mon royaume le feu de la division que cette hérésie tâche d'y allumer. Voulant qu'outre le soin que les évêques prendront de leur côté en ce qui regarde l'instruction des dévoyés et leur juridiction ecclésiastique contre les rebelles, mes officiers emploient en ce qui dépendra d'eux toute l'autorité que je leur ai dépo sée, comme M. le Chancelier fît entendre de ma part à la compagnie avec beau
21 Nunz- Francia 114, f. 87, Piccolomini à Rospigliosi, 18.1.58. 22 Rome 134, f. 273, Albizzi à Mazarin, 28.1.58. 23 Rome 134, f. 265, Antonio Barberini à Mazarin, 28.1. 58. 24 Rome 134, f. 327, Antonio Barberini à Mazarin, 25. II. 58.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 157
coup de gravité et d'éloquence. Je suis persuadé qu'ils feront paraître en la suite de cette affaire leur piété envers la religion et leur fidélité à l'exécution de mes ordres: en quoi mon procureur et mes avocats généraux qui ont en main la pour suite pour la vengeance publique s'acquitteront de leur devoir. L'un d'eux a re
quis avec la fermeté et la rigueur qu'il doit à sa charge la publication et l'exé cution de ces constitutions contre les complices de cette nouvelle secte, dont il a découvert les artifices et rejetté les prétextes qu'ils cherchent pour les rendre in
valides et sans effets. Mais d'autant que le Nonce de Votre Sainteté m'a fait
plaintes de certains discours qu'on lui avait rapporté que mon avocat général avait avancé contraires à l'autorité du Saint Siège et aux vérités catholiques, je lui
ai ordonné d'en rendre compte à mon Cousin le Cardinal Mazarin, dont l'affec tion qu'il a pour la dignité du Saint Siège et pour la satisfaction de Votre Sainteté seconde mes intentions. J'ai envoyé les réponses de cet officier à mon Cousin le cardinal Antoine Baberin, afin qu'il en donne connaissance à Votre Sainteté, dont Elle apprendra l'inclination très sincère que j'ai de lui faire voir ma révérence fi liale envers sa personne et le Saint Siège Apostolique»25.
Alexandre VII ne voulut pas donner sur le champ une réponse définitive, mais Antonio avait l'impression que dans l'ensemble il demeurait satisfait26. De fait quelques jours plus tard le Pape répondait à Louis XIV. Il disait d'a bord sa joie que Sa Majesté eût fait enregistrer solennellement en son Parle ment les constitutions apostoliques, et eût ensuite assuré que par là il ne pré tendait rien d'autre que d'en assurer l'exécution27.
Le 26 mars le nonce s'en fut remercier Leurs Majestés de leur intervention contre le jansénisme. Le Roi, écrit Piccolomini, en fut très content, «mais plus encore la Reine qui m'assura que l'on continuerait une action aussi avantageu
se à la religion»28. Et le dimanche suivant, le cardinal ministre reçut à son tour
de la bouche du nonce les remerciements du Pape29.
Néanmoins le Saint Office se plaignait du discours de Talon, même après les éclaircissements qu'avait donnés le cardinal Antonio. On reprochait à l'avo
cat du Roi les affirmations suivantes: 1° Que la grandeur de la ville de Rome avait été la raison pour laquelle Jésus Christ y avait établi le primat de son
Eglise. 2° Il avait reconnu des défauts dans la constitution du Pape en décla rant que les Français devaient s'y soumettre parce que le Roi avait décidé d'en
protéger l'exécution. 3° Il avait attribué aux souverains la qualité d'inspec
teurs de la foi. 4° Il avait comparé l'onction royale à l'onction sacerdotale30.
Le Saint Office avait également passé au crible la déclaration du Roi et lui re
prochait d'avoir dit qu'il avait fait examiner les constitutions apostoliques: quand il s'agissait des matières de foi, les catholiques, quels qu'ils fussent, n'a
vaient pas à examiner mais à obéir. La clause sur les libertés gallicanes, les
droits de la couronne et les officiers de l'Inquisition semblait vouloir dire que
25 Nunz. Francia 112, f. 59, Louis XIV à Alexandre VII, [février 1658]. 26 Rome 134, f. 344, Antonio Barberini à Mazarin, 5. III. 58. 27
Epistolae ad Principes 63, f. 65v-66, Alexandre VII à Louis XIV, 18. III. 58. 28 Nunz. Francia 112, f. 177, Piccolomini à Rospigliosi, 29.111.58. 29 Nunz. Francia 112, f. 198, Piccolomini à Chigi, 5. IV. 58. 30 Nunz. Francia 114, f. 16, le Saint Office à Piccolomini, 18. III. 58.
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158 PIERRE BLET S.I.
sans ces conditions le Roi n'aurait pas accepté la bulle. Enfin en soulignant que la bulle n'attribuait aucune juridiction nouvelle aux évêques, il semblait exclure
que le Pape pût leur communiquer la faculté d'agir dans le royaume en vertu
d'une délégation pontificale31. Le nonce Piccolomini se chargea de répondre à ces difficultés, sans préciser
à qui il s'était adressé pour obtenir les éclaircissements nécessaires. Touchant la Déclaration du Roi, l'examen de la bulle auquel le Roi disait avoir fait procé der ne concernait pas la foi, mais d'éventuelles matières politiques, et l'allusion à la juridiction des évêques signifiait seulement que le Pape n'avait pas voulu introduire l'Inquisition dans le royaume32. Piccolomini s'étendit plus longue ment sur les explications que Talon avait fournies de son réquisitoire. Que le Christ eût établi à Rome le primat de son Eglise à cause de la grandeur politi que de cette ville était une idée empruntée à saint Léon, premier sermon pour la fête des apôtres Pierre et Paul. 2° Les défauts de la bulle dont il était ques tion étaient ceux que lui attribuaient les sectaires. 3° Le mot d'«inspecteurs» employé pour les souverains n'était peut-être pas très heureux, mais on ne
pensait pas que dans la circonstance il dût préjudicier à l'autorité apostolique. Enfin, concluait le nonce, comme il eût été bien difficile de faire corriger le dis cours de la manière que l'on souhaitait à Rome, le mieux était de ne pas le pu blier33. Il semble qu'à Rome on se soit contenté de ces explications, d'autant
plus que le Pape et ses ministres restaient préoccupés par la question toujours
pendante des prélats récalcitrants.
Au lendemain de la réception de la bulle d'Alexandre VII par l'assemblée
générale du clergé de France, à la fin de mars 1657 Piccolomini était revenu sur le cas de l'archevêque de Sens. Interrogé à cet égard, Mazarin avait répondu
que si l'archevêque ne faisait pas ce que voulait le Pape, Sa Majesté l'enverrait
à la Bastille. Puis le fils du comte de Brienne était venu dire au nonce que son
père avait ordre du Roi de dire à Gondrin qu'il devait donner au Pape la satis faction que lui indiquerait Piccolomini; autrement le bref de commission serait exécuté. Seulement Piccolomini notait que Brienne était parent de Gondrin et
il demeurait sceptique sur l'effet de ces promesses34.
Pourtant l'archevêque de Sens n'était pas tranquille et il demanda une en
trevue au nonce. Ce dernier lui fit répondre qu'il devait d'abord rendre au Pa
pe la révérence qu'il devait. Cependant des négociations étaient entamées par des amis de l'archevêque pour lui faire accepter la formule de rétractation en
voyée de Rome35. Mais ces négociations n'aboutissaient pas, et Mazarin et Brienne assuraient le nonce que Sa Majesté, voyant l'obstination du prélat, prêterait l'assistance de son autorité pour faire exécuter le bref de commission.
31 Nunz. Francia 114, f. 17, le Saint Office à Piccolomini, 18. III. 58. 32 Nunz. Francia 114, f. 141, Piccolomini à Rospigliosi, 19. IV. 58; copie au Saint Office le
20 mai. 33 Nunz. Francia 114, f. 143-144, Piccolomini à Rospigliosi, 19. IV. 58 et Nunz. Francia 112,
f. 13, «Mémoire pour M. le Cardinal Antonio». 34 Nunz. Francia 110A, f. 191, Piccolomini à Rospigliosi, 28. III. 57. 35 Nunz. Francia 111A, f. 124rv, Piccolomini à Rospigliosi, 27. IV. 57.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 159
Pourtant Piccolomini demeurait sans illusions: «J'ai conduit l'affaire jusqu'à ce point, écrivait-il, pour voir si la crainte n'aurait pas porté l'archevêque à faire son devoir. Mais je ne me résous pas à présenter le bref, prévoyant, comme il est motu proprio, les grandes oppositions qu'il rencontrera au Parlement, où
l'évêque de Beauvais en particulier aura beaucoup d'appuis». Piccolomini sa vait bien qu'il était possible de remédier à l'opposition du Parlement par les arrêts du Conseil du Roi, mais l'expérience lui montrait que la cour oubliait vi te ses promesses quand les choses n'allaient pas à sa façon. Aussi se deman
dait-il s'il convenait d'aventurer l'autorité du Pape: au moins ne voulait-il pas s'engager sans en référer à ses supérieurs36.
La prudence de la secrétairerie d'Etat fut à la mesure de celle du nonce, et elle répondit le 2 juillet:
«Notre Seigneur [le Pape] considérera mûrement ce à quoi vous faites allu sion dans votre dépêche chiffrée du 1 juin relative à l'exécution du bref donné
contre l'archevêque de Sens, et en attendant vous pourrez vous gouverner en cet te matière avec votre prudence habituelle et vous informer discrètement si l'on
peut y arriver [à l'exécution du bref de commission] sans risquer de s'engager et de s'exposer à de plus grands désagréments»37.
D'autant plus que les assurances que Gondrin adressait à Rome, si ambi
guës fussent-elles, ne laissaient pas d'y faire une impression favorable. Pou vait-on rester insensible aux déclarations du primat des Gaules et de Germa
nie, qui proclamait le Pape placé au-dessus de tout ce qui est mortel, inférieur au Christ seul, et qui assurait: «Très Saint Père, j'ai toujours reconnu votre su
prême et universelle autorité par dessus tout, j'en fais profession et mainte nant encore je la reconnais et la professe». Que si quelque chose à l'encontre
était sorti de sa plume, cela était complètement étranger à son esprit, «j'en at
teste le Dieu immortel»38.
Néanmoins les brefs de commissions demeuraient suspendus sur la tête
de Gondrin et de ses deux émules, les évêques de Comminges et de Beauvais. En novembre Piccolomini rejetait un accommodement proposé par le chance
lier, car il commençait à concevoir quelqu'espoir d'arriver à l'exécution de la
commission. Il continuait donc à y insister «en proposant des moyens pour être
d'abord assuré contre tous les empêchements qui pourront venir du côté du
Parlement»39. En quoi le nonce correspondait bien aux intentions que l'on
avait à Rome, car le Saint Office n'oubliait pas les trois contestataires. Le 19 août 1658, le cardinal Spada, le secrétaire de la Congrégation, écrivait à Picco lomini que ses collègues, les cardinaux du Saint Office, étaient d'avis de re
prendre le procès de l'archevêque de Sens: que le nonce renseigne sur les diffi
cultés qui pourraient surgir, et indique s'il convenait de changer les prélats pré
36 Ν un ζ. Francia 11 ΙΑ, f. 164, ftccolomini à Rospigliosi, 1. VI. 57, 37 Nunz. Francia 111 A, f. 19v, Rospigliosi à Piccolomini, 2. VII. 57. 38 ASV, Miscellanea I 34, f. 722, Gondrin à Alexandre VII, «1657 vel 1658» 39 Nunz■ Francia 111 A, f. 239, Piccolomini à Rospigliosi, 30. XI. 57.
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160 PIERRE BLET S.I.
cédemment délégués pour entamer la procédure40. Et le 3 décembre suivant le
Saint Office envoyait de nouvelles instructions à Piccolomini, car Alexandre VII voulait donner suite au procès contre l'archevêque de Sens. Si on ne trouvait
pas en France de prélats disposés à exécuter le bref de commission, on ferait à
Rome ce qu'ils ne veulent pas faire en France. Que le nonce cependant vérifie
par des témoignages sûrs la publication du mandement de Gondrin et qu'il les envoie à Rome pour être examinés41. Au mois d'avril 1659 une lettre du non
ce, qui envoyait une attestation sur la pastorale de Gondrin42, croisa une ins
truction de Rospigliosi enjoignant à Piccolomini de continuer à prendre des in formations sur les lettres pastorales incriminées43.
Puis l'attention se reporta sur l'évêque de Beauvais. L'évêque de Laon, Cé sar d'Estrées, était intervenu en sa faveur auprès du nonce: l'évêque de Beau
vais avait publié la nouvelle constitution Ad sacram, dans laquelle était reportée la Cum occasione: il publierait encore une lettre pastorale qui révoquerait impli citement les propositions malsonnantes contenues dans sa pastorale précédente.
A vrai dire l'évêque de Laon doutait qu'il acceptât la formule de rétractation pré parée à Rome, mais on espérait qu'il en donnerait une équivalente; déjà il avait remis une lettre pleine de respect pour le Pape, en omettant toutefois de men
tionner son mandement. A ces propositions d'accommodement, le nonce répon
dait que les formules en devaient être d'abord agréées à Rome. La position de Piccolomini fut entièrement approuvée de ses supérieurs44. Durant les mois
suivants la question janséniste passa au second plan des préoccupations de la
cour de France, car le cardinal premier ministre à la fin de juin, puis le Roi et la Reine sa mère à la fin du juillet avaient quitté la capitale en direction de la fron tière espagnole pour y conclure la paix avec Philippe IV et le mariage de Louis
XIV avec l'Infante. Le nonce Piccolomini lui aussi les avait suivis, et quitté Paris le 13 août, pour n'y rentrer que onze mois plus tard le 7 juillet 166045.
A la fin de l'année l'agent romain de l'évêque de Laon remit directement à la secrétairerie d'Etat une minute de la lettre que l'évêque de Beauvais était
disposé à écrire, avec une minute de la réponse qu'il espérait. La secrétairerie
d'Etat décida de modifier un peu ses formules, pour ne pas lui laisser toute l'i nitiative, mais elle était assez satisfaite et espérait que son exemple entraîne rait l'archevêque de Sens et l'évêque de Comminges46.
Cependant les adversaires des jansénistes suggéraient de nouvelles mesu res. Le docteur Morel préconisait des retouches au formulaire et un nouveau bref. Le P. Annat suggérait un ajoute anti-janséniste à la profession de foi que
40 Nunz. Francia 114, f. 25, Spada à Hccolomini, 19. Vili. 57. 41 Nunz. Francia 114, f. 41v-42, Saint Office à Piccolomini, 3. XII. 58. 42 Nunz. Francia 115, f. 244, Piccolomini à Rospigliosi, 18. IV. 59. 43 Nunz. Francia 116, f. 12v, Rospigliosi à Piccolomini, 28. IV. 59. 44 Nunz. Francia 116, f. 215, Piccolomini à Rospigliosi, 12. VII. 59, et Nunz. Francia 116,
f. 20v, Rospigliosi à Piccolomini, 18. Vili. 59. 45 Nunz. Francia 115, f. 495, Piccolomini à Chigi, 13. Vili. 59, et Nunz.. Francia 117, f. 358,
Piccolomini à Chigi, 9. VII. 60. 46 Nunz. Francia 116, f. 25-26, Rospigliosi à Piccolomini, 17. XI. 59.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 161
les évêques nommés avaient à faire devant le nonce47. A Rome on hésitait de
vant ces nouveautés. L'obéissance des évêques ne semblait pas si assurée et ces
mesures, qui ne semblaient pas urgentes, ne risquaient-elles pas de réveiller une querelle qui paraissait s'apaiser? De toute façon tant que la cour se trou
vait hors de Paris, à la suite des négociations du traité des Pyrénées sur la Bi
dassoa, et du mariage du Roi, il fallait, estimait-on à Rome, se maintenir sur la réserve. Que le nonce se renseigne d'abord sur les jansénistes, sur la controver
se déclanchée par l'Apologie des casuistes, sur les dispositions des trois prélats contestataires et sur les évêques qui allaient se réunir dans la prochaine assem
blée du clergé de France48.
Le cas de l'archevêque de Sens n'en demeurait pas moins à l'ordre du
jour. Un abbé Hilarion avait écrit à l'agent du prince de Condé qu'il avait eu des conférences avec l'archevêque, son parent, et que ce dernier avait manifes
té le plus grand regret de n'être pas dans les bonnes grâces de Sa Sainteté, lais sant entendre qu'il était disposé à lui donner satisfaction. Et le Saint Office, qui envoyait ces informations au nonce, invitait ce dernier à rendre compte des dé marches que Gondrin pourrait faire auprès de lui49. Et quinze jours plus tard le Saint Office rappelait à Piccolomini que si Gondrin s'adressait à lui, il fau drait le persuader de fournir la déclaration qu'on lui a déjà demandée; s'il re
fuse, que le nonce lui propose comme de lui-même un texte conforme à celui
qu'on lui envoyait avec la présente dépêche: cette formule avait été préparée en utilisant les lettres de l'archevêque et sa déclaration à l'assemblée du cler
gé50. Mais Piccolomini ne s'attendait pas à voir l'archevêque s'adresser à lui,
qui avait toujours évité de le rencontrer pour ne pas discuter de son mande
ment; cependant à toutes fins utiles, il demandait à ses supérieurs une minute
plus précise de la formule à exiger de Gondrin51. Sur quoi de Rome on insis tait: l'archevêque ne devait pas avoir de difficultés à accepter la formule qu'on venait d'envoyer au nonce, et qui était aussi claire que possible52.
Cependant le 26 août Louis XTV avait était rentré solennellement dans sa
capitale accompagné de la reine son épouse, Marie Thérèse. Les voeux de la
Reine mère, Anne d'Autriche, étaient comblés, de voir sa nièce aux côtés de son fils. Le nonce ne tarda pas à reparaître à la cour, et il s'étendit sur la néces
sité de disperser les assemblées qui se faisaient à Port Royal, «le séminaire où se maintient l'hérésie». Mazarin lui dit avoir pensé à incarcérer Arnauld, ce qui serait bien juste, commentait Piccolomini, et fort avantageux à la religion, com
me le fut l'arrestation de l'abbé de Saint-Cyran. Pour le moment il ne jugea
pas opportun de reparler de l'archevêque de Sens, car la cour se montrait pru
47 Ν uni. Francia 117, f. 178, Pìccolomini à Rospigliosi, l.IV. 60. 48 Nunz. Francia 117, f. 178, Pìccolomini à Rospigliosi, l.IV.60. 49 Nunz. Francia 118, f. 14v-15, Saint Office à Pìccolomini, 24. V. 60. 50 Nunz. Francia 118, f. 15, Saint Office à Pìccolomini, 7. VI. 60. La formule dont parle la
dépêche ne se trouve pas conservée avec elle. 51 Nunz. Francia 118, f. 136, Pìccolomini à Rospigliosi, 9. VII. 60. 52 Nunz. Francia 118, f. 27v, Saint Office à Pìccolomini, 9. Vili. 60.
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162 PIERRE BLET S.I.
dente en cette affaire, non pas tant à cause des trois contestataires, mais plutôt
en considération «de tous les autres (prélats) qui, pour autant que j'ai pu sa
voir, n'ont jamais montré beaucoup de propension audit procès». Pourtant
plusieurs évêques désireraient que le Pape adressât un bref à l'assemblée du
clergé pour l'exhorter à intervenir en la matière53.
En effet pendant toutes ces discussions, l'assemblée générale du clergé s'é
tait réunie à Pontoise au début de juin, puis le Roi l'avait autorisée le 23 septem bre à revenir siéger aux Grands Augustins, le lieu traditionnel de ses séances54. Le nonce avait rencontré vers cette date le président de l'assemblée, François de
Harlay, archevêque de Rouen, qui pensait aux moyens d'imposer la signature
du formulaire et d'interdire les conventicules, comme ceux de Port Royal55.
Le Saint Office approuva vivement l'idée de disperser les gens réunis à Port Royal, et comme la Reine mère suggérait une visite apostolique de l'ab
baye, le nonce fut chargé de renseigner sur la personne capable de remplir une
telle mission56. Au début du mois suivant le Saint Office expédia à Piccolomini de nouvel
les instructions. Il fallait louer la piété de ceux qui, comme la reine Anne d'Au
triche, le cardinal Mazarin et les prélats poussaient à la destruction de ce nid de
jansénisme qu'était Port Royal, et il pouvait faire espérer une visite canonique de l'abbaye. Mais il était nécessaire que la cour prêtât une vigoureuse assistan ce. Quant à l'incarcération d'Arnauld, le nonce ne la demanderait pas, mais à
Rome on n'en éprouverait aucun déplaisir. Enfin Piccolomini était encouragé à continuer ses instances pour faire aboutir les brefs de commission57. Piccolomi ni répondit en assurant qu'il ne manquait pas une occasion de renouveler ses
instances pour que l'on engageât le procès de l'archevêque de Sens et de ses
deux émules, qu'il avait aussi parlé de l'évêque de Beauvais avec des prélats de
l'assemblée du clergé: on prétendait que ses parents insistaient auprès de lui
pour l'amener à résipiscence et que le premier président du Parlement de Paris
serait intervenu dans le même sens58.
Cependant au lendemain de la paix des Pyrénées et du mariage du Roi, le cardinal Mazarin n'oubliait pas l'affaire janséniste et comme en 1656 il voulait recourir aux députés du clergé, réunis maintenant à Paris, pour résoudre la
question que continuait à poser la querelle de YAugustinus. Il aurait eu l'inten tion de revenir prendre sa place de président dans les assises qui se tenaient aux Grands Augustins et d'y ouvrir le débat. Mais les semaines et les mois pas sèrent et sur la fin de l'année il fut atteint de la maladie dont il sentit bientôt la
gravité. Alors dans la matinée du 13 décembre un agent du clergé invita les
présidents de l'assemblée à se rendre au Louvre le jour même sur les onze
53 Nunz. Francia 118, f. 164-165, Piccolomini à Rospigliosi, 10. IX. 60. 54 Blet II, p. 259. 55 Nunz. Francia 118, f. 187v, Piccolomini à Rospigliosi, 24. IX. 60. 56 Nunz. Francia 118, f.40, Saint Office à Piccolomini, 1.XI.60. 57 Nunz. Francia 118, f. 44v-45, Saint Office à Piccolomini, 6. XII. 60. 58 Nunz. Francia 118, f. 270rv, Piccolomini à Rospigliosi, 31. XII. 60.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 163
heures dans l'appartement de Son Eminence, et Sa Majesté s'y trouverait pour «leur faire savoir sa volonté sin- quelqu'affaire qui regardait son service». L'ar
chevêque de Rouen et les évêques d'Autun et de Viviers n'avaient qu'à passer le Pont Neuf pour être au Louvre et ils furent introduits dans la chambre de Mazarin. Le cardinal était au lit et le Roi debout à ses côtés.
Louis XIV parla le premier: il les avait mandés pour leur faire savoir sa volonté d'extirper le jansénisme de son royaume. Sa conscience l'obligeait à se soumettre aux décisions de l'Eglise, son honneur l'engageait à en procurer
l'exécution, qu'il avait garantie par ses lettres patentes, et la sécurité de ses
Etats était menacée par la division entretenue dans les esprits par la nouvelle doctrine. Il engageait donc les présidents de l'assemblée du clergé à convoquer avec les députés des provinces tous les évêques présents à Paris pour achever la
signature du formulaire préparé par la dernière assemblée et chercher les au tres moyens les plus propres pour en finir avec la secte.
Mazarin parla ensuite:
«Sa Majesté avait différé jusqu'ici de se servir de son autorité et d'user d'au cune rigueur dans la pensée qu'il avilit d'amollir les coeurs les plus rebelles par
l'usage de la clémence; mais voyant aujourd'hui que sa patience les irritait et ne servait qu'à les rendre plus opiniâtres, il a cru de son devoir d'y apporter la der nière main par la voie de la sévérité».
C'était sur quoi Sa Majesté voulait prendre les avis des évêques. Le cardi nal parla longtemps et avec une telle chaleur que son mal s'en trouvera empiré
les jours suivants. Louis XIV l'interrompit plusieurs fois en asurant «qu'il em
ploierait toute sa puissance royale pour maintenir les délibérations de l'assem blée et que personne ne lui résisterait qu'il n'encourût son indignation et ne ressentît les effets de son autorité»59.
Le 17 décembre l'archevêque président communiqua à l'assemblée les détails de cette audience, et pour rechercher comment répondre aux intentions de Sa Ma
jesté une commission fut aussitôt constituée. Une fois encore Pierre de Marca, ar
chevêque de Toulouse, Pierre de Berthier, évêque de Montauban, Henri de La
Mothe-Houdancourt, évêque de Rennes y figuraient au premier rang.
On discuta de savoir s'il convenait de modifier le texte du formulaire de la dernière assemblée, qui comportait une clause inconnue aux documents ponti
ficaux sur la doctrine de Jansénius, «qui n'est pas celle de saint Augustin». Mais la recherche d'une nouvelle formule ouvrait la porte à des discussions intermi nables et les commissaires résolurent de s'en tenir au formulaire de 1656. Pic colomini conseilla à Rome de s'en contenter, même s'il ne semblait pas par fait60. La question la plus délicate était celle de la compétence de l'assemblée. Mazarin avait désiré un bref du Pape pour lui conférer toute l'autorité néces saire 61. Mais le Saint Office ne fut pas de cet avis, ne voulant pas donner à Tas
59 Blet II, p. 300-302. 60 Nunz. Francia 118, f. 263, Piccolomini à Rospigliosi, 31. XII. 60. 61 Nunz. Francia 118, f. 203, Piccolomini à Rospigliosi, 15. X. 60.
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164 PIERRE BLET S.I.
semblée des motifs de se considérer comme un concile national62. Pourtant
quand il s'agirait d'obliger les évêques à signer et faire signer le formulaire, quelle serait l'autorité compétente?
Le 10 janvier 1661 Pierre de Marca présenta son rapport à l'assemblée du
clergé de France, grossie des évêques présents dans la capitale. Il rappela que
la dernière assemblée avait prescrit la signature du formulaire. A cette signatu
re on opposait trois objections: que le Pape n'était pas infaillible, que si on le reconnaissait pour tel, il pourrait émettre des prétentions sur le temporel du
Roi, que l'assemblée n'avait pas de pouvoir doctrinal. A quoi Marca répondait que les jugements du Pape en la matière ayant été acceptés par le clergé ils étaient irréformables, et que pour le temporel du Roi il était à couvert puisque les bulles étaient toujours vérifiées en Parlement. Sur le point essentiel de l'au torité de l'assemblée en matière de doctrine, l'archevêque de Toulouse expli qua que chaque évêque en particulier avait le pouvoir de juger de la foi; les
évêques réunis en assemblées l'avaient donc également. Le Roi autorisait ces assemblées régulières et le Pape lui adressait des brefs comme à un corps constitué. Les députés de ces assemblées s'y rendaient munis des procurations
de leurs commettants, qui leur donnaient le pouvoir de traiter des affaires tem
porelles et spirituelles, si bien que les députés représentaient tous les évêques du royaume. Enfin l'Eglise avait l'habitude de recevoir les décisions des réu nions d'évêques comme celles d'un concile.
Puis Pierre de Marca montra que dans la discussion sur Jansénius la dis tinction du droit et du fait était insoutenable, le fait étant si intimement lié à la doctrine qu'on ne pouvait l'en séparer. Il conclut à faire signer le formulaire
par tous les évêques et tous les ecclésiastiques du second ordre: les prélats né
gligents à imposer la signature à leur clergé seraient jugés par le métropolitain et par le primat. Le lendemain l'évêque de Rennes tint toute la séance pour dé
montrer que même si le Pape n'était pas infaillible, on ne pouvait plus remet tre en cause sa sentence après l'acceptation du clergé. Le 15 janvier un autre
commissaire, l'évêque de Montpellier, appuya l'archevêque de Toulouse; mais
l'évêque d'Amiens insista sur les inconvénients du formulaire et préconisa les
voies de la douceur. La plupart des orateurs appuyèrent Marca, mais une mi
norité, dont César d'Estrées, évêque de Laon, auraient contesté ses conclu
sions, en affirmant que ni le Roi, ni le Pape, ni les provinces ne donnaient à la
présente assemblée le pouvoir d'imposer le formulaire: jamais les assemblées du clergé n'avaient été considérées comme des conciles nationaux.
Le 25 janvier le président reprit la parole pour conclure. Il s'appliqua à
prouver contre César d'Estrées, en invoquant Petrus Aurelius, alias Saint-Cy ran, le pouvoir des assemblées sur les évêques, puis il rendit la parole à Marca
pour exposer le dispositif pratique conçu par les commissaires pour assurer l'exécution des constitutions apostoliques.
Nunz. Francia 118, f. 45v-46, Saint OfSce au nonce, 6. XII. 60.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 165
Le plan comprenait quinze articles. Le premier article énonçait le principe «que tous les ecclésiastiques du royaume souscriront à la formule de la profes
sion de foi qui a été délibérée et dressée le 17 mars 1657 par la dernière as semblée du clergé pour l'exécution sincère et uniforme des constitutions des
papes Innocent X et Alexandre VII, qui ont condamné cette hérésie». Le texte du formulaire de 1657 était rappelé à l'article suivant. Les articles 3 et 4 défi nissaient la portée de ce formulaire, fondé sur les constitutions apostoliques, qui condamnaient comme hérétiques les cinq propositions tirées de Jansénius et dans le sens de cet auteur. Suivaient une série de normes pratiques pour la
signature. L'exécution du présent règlement était confié aux évêques, qui de vaient exiger la profession de foi de tous les ecclésiastiques de leurs diocèses, y compris des chapitres et des religieux même exempts, des universités et de leurs maîtres, car les matières de foi n'admettaient aucune exemption. Contre
les clercs exempts et non exempts qui se montreraient réfractaires, les prélats
procéderaient par toutes les voies régulières, y compris les peines canoniques. Les auteurs coupables d'avoir soutenu la doctrine janséniste seraient tenus de
se rétracter. Cependant les pasteurs exhorteraient leurs ouailles à éviter les
querelles et les qualifications injurieuses de jansénistes et semi-pélagiens 63.
Le Pape serait informé de ces décisions par une lettre qui serait remise au
nonce. Il fallait aussi prévoir les résistances: aussi on faisait appel au Roi, pro tecteur de l'Eglise. Sa Majesté était suppliée de mettre son autorité au service
de la foi, et en pratique: 1° d'interdire aux parlements de recevoir en cette ma
tière des appels comme d'abus; 2° de disperser les maisons et écoles établies
sans autorisation épiscopale, où l'on enseignait la doctrine condamnée; 3° de
n'expédier aucun brevet de nomination à un bénéfice avant que le titulaire
n'eût souscrit le formulaire; 4° d'empêcher l'impression des livres jansénistes ou de les supprimer.
Restait le cas particulièrement épineux des évêques qui refuseraient de se
plier aux résolutions du clergé de France. Bien que l'orthodoxie fût en jeu, peu des évêques présents en ces jours aux Grands Augustine étaient disposés à sa
crifier les libertés de l'Eglise gallicane et les anciens canons. D'autre part mal
gré ses prétentions à décider en matière de foi, l'assemblée n'osait s'adjuger les pouvoirs de fulminer des anathèmes. Aussi contre les prélats qui seraient
réfractaires à ses décrets les commissaires proposaient seulement qu'ils fussent
exclus des assemblées du clergé, en ajoutant «de plus il sera pourvu en ces cas
suivant les constitutions canoniques et les décrets des conciles». Encore la dis
cussion de cet article, le XI, fut-elle très âpre. Certains députés voulaient spéci fier «les constitutions canoniques telles qu'elles ont été déclarées par l'assem
blée de l'année 1650». Et après une longue discussion, le vendredi 28 janvier dans la séance de l'après-midi, cette formulation emporta la majorité de huit
provinces contre sept. C'était un défi à l'autorité du Pape et du Roi. Marca pro testa qu'une telle conclusion rendait inutile tout ce qui avait été fait jusqu'alors
Blet ii, p. 303-305.
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166 PIERRE BLET S.I.
contre le jansénisme. Le président, François de Harlay, remit le point en délibéra
tion, provoquant un tel tumulte qu'il fit mine de se retirer pour rompre la séance.
L'évêque de Viviers, l'un des deux évêques présidents, menaça de prendre la pré sidence et de continuer sans lui. Harlay parvint à regagner des voix, mais la nuit survint et l'on dût remettre la décision au lendemain. C'est le samedi 29 que l'on
parvint à conclure «que les évêques seront jugés par les voies canoniques et selon
les décrets des saints conciles». On se gardait de préciser s'il s'agissait des décrets du concile de Sardique, qui confiait au synode provincial les procès des évêques, ou du concile de Trente, qui les attribuait au Pape. La discussion des derniers arti cles fut renvoyée au mardi, à cause du service célébré le lundi pour le duc d'Or
léans. Cette discussion des quatre derniers articles sur la rétractation imposée aux
auteurs de livres jansénistes, le recours à l'autorité du Roi, la lettre à remettre au nonce à l'intention du Pape et l'exhortation à éviter les qualificatifs de janséniste et de semi-pélagien ne semble pas avoir soulevé de difficulté particulière, en sorte
que tout fut conclu dans la journée du mardi 1 février64.
Les quinze articles furent relus et signés le 2 février par 5 archevêques, 40
évêques et 18 députés du second ordre65.
On signa quinze jours plus tard une circulaire destinée aux évêques du royau
me, à qui on expliquait qu'il avait été nécessaire de «faire voir que ce que Dieu avait défini par deux grands papes a été reçu par le consentement unanime de
tous les évêques, qui sont les docteurs naturels de la religion et les appuis légiti mes de la foi». Tous avaient condamné cette mauvaise doctrine par la bouche des
papes, car «un parle pour tous, parce que l'unité est en tous, dont le centre est éta
bli en l'Eglise romaine»66. Une longue lettre fut également adressée au Pape pour l'informer des mesures prises par l'assemblée contre les sectateurs de Jansénius67.
La lettre aux évêques insinuait que les actes du clergé de France donnaient une va
leur irréformable aux décisions des papes. La lettre à Alexandre VII présentait
plutôt les résolutions de l'assemblée comme des moyens pratiques de faire obser
ver les ordres souverains de l'autorité apostolique: «Ralliant aujourd'hui nos for
ces et reprenant un nouveau courage nous avons résolu d'exécuter votre constitu
tion et celle de votre prédécesseur et de purger par ce moyen l'Eglise de cette pes te». Et que si des résistances se manifestaient, alors «Que Votre Sainteté emploie une charité plus sévère et foudroyez du haut de vos montagnes une science qui prétend s'élever au-dessus de la crainte de Dieu». Le clergé de France jouissait en cette affaire de l'assistance du Roi, animé d'un esprit non seulement royal, mais sacerdotal, ainsi que de l'appui de la Reine sa mère, et pouvait ainsi se promettre la victoire contre cette nouvelle hérésie68.
64 Blet II, 307. On trouve aussi un extrait du procès verbal des séances consacrées à ces dis cussions depuis le 13 décembre jusqu'au 1 février, dans M. C., I, col. 314-323, suivi du texte des quinze articles, col. 323-327.
65 M. C., I, col. 327-329, signatures des députés du clergé et des évêques présents. 66 Ibid., col. 331-334, signée le 15 février.
67 Ibid., col. 333-344, signée le 20 février.
68 Ibid., col. 340 et 341-344. Nous avons suivi de plus près le texte latin, que la traduction
française donnée en face.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 167
Louis XIV avait promis tout son appui aux décisions du clergé: il tint paro le. En date du 13 avril 1661 un arrêt du Conseil d'Etat expédié en commande ment imposait de par l'autorité royale les décisions prises par l'assemblée du
clergé dans sa séance du 1 février précédent:
Vu par le Roi étant en son Conseil la délibération du premier février de l'as
semblée générale du clergé qui se tient maintenant en cette ville par sa permis sion, par laquelle après avoir considéré suivant l'intention de Sa Majesté les
moyens les plus prompts pour éteindre la secte du jansénisme, elle avait arrêté
que le formulaire de la profession de foi dressé par la dernière assemblée généra le du clergé du 17 mai 1657 pour l'exécution sincère et uniforme des constitu
tions et décisions de foi faites par les papes Innocent X et Alexandre VII contre la
doctrine de Jansénius en la matière des cinq propositions sera souscrite par tous
les archevêques et évêques du royaume et selon leurs ordres en chaque diocèse
par tous les ecclésiastiques séculiers et réguliers, chapitres, communautés, mo
nastères de religieux et religieuses, encore que ces corps prétendissent être
exempts et même de nul diocèse, ce qui serait aussi observé à l'égard de ceux qui seraient à l'avenir promus aux ordres sacrés ou pourvus de bénéfices et que dans
les deux mois lesdits prélats enverraient aux agents du clergé leurs lettres pour certifier l'exécution dedites prescriptions. [L'arrêt détaille encore les autres réso
lutions de l'assemblée].
LE ROI ETANT EN SON CONSEIL reconnaissant qu'il n'est pas moins obli
gé à procurer et maintenir la paix et l'union de l'Eglise que celle de l'Etat, et bien
informé de la nécessité qu'il y a d'employer la puissance souveraine que Dieu lui
a commise pour réprimer l'ambition et l'opiniâtreté de ceux qui cherchent à se si
gnaler par de nouvelles doctrines... a ordonné et ordonne que le contenu en la
délibération de l'assemblée du clergé du premier février contre la doctrine de
Jansénius et de ses sectateurs sera observé et exécuté selon sa forme et teneur
sous peine contre les contrevenants d'encourir son indignation et les autres pei nes ordonnées contre les hérétiques. [Toutes les conférences réunies pour défen
dre et enseigner la doctrine condamnée étaient interdites, les brevets de provi sion aux bénéfices ecclésiastiques ne seraient délivrés qu'après la signature du
formulaire et le débit et vente des livres jansénistes interdit], à peine d'être châ
tiés selon la rigueur des ordonnances 69.
En outre de l'arrêt de son Conseil, le Roi envoya une lettre à chacun des
évêques pour l'exhorter à se conformer à la délibération de l'assemblée et à faire signer le formulaire par tous les ecclésiastiques de son diocèse:
«Je suis d'autant plus obligé à vous faire savoir mes intentions sur ce sujet
que par l'arrêt de mon Conseil donné en ma présence, dont la copie ci-jointe, je me suis engagé à la protection de cette exécution de ladite délibération pour la
conservation de la vraie foi contre la doctrine des cinq propositions condamnées
au sens que Jansénius les a enseignées»70.
La nouvelle des mesures prises par le clergé de France et par le Roi très
chrétien contre les sectateurs de Jansénius fut bien reçue à Rome: «Notre coeur
paternel, écrivit Alexandre VII à Louis XIV, est rempli d'une immense joie
69 Paris, Archives Nationales, E 1713, f. 51-54; edit. M. C., I, col. 345-348. La minute porte la
signature du chancelier Séguier et de Fouquet. 70 M. C., I, col. 347-348.
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168 PIERRE BLET S I.
chaque fois que nous entendons dire quelle insigne piété et sollicitude apporte Votre Majesté à promouvoir l'exécution des constitutions apostoliques contre
les jansénistes»71. Aux prélats et ecclésiastiques de l'assemblée, le Pape expri mait également la satisfaction que lui procurait leur zèle à conserver la pureté
de la doctrine et «à faire disparaître de vos diocèses la pernicieuse zizanie des nouveautés». Ce zèle n'empêchait pas Alexandre VII de conclure en les exhor
tant à extirper radicalement le jansénisme72.
Les promeses de Louis XIV d'employer son pouvoir contre les novateurs
n'étaient pas de simples menaces. Dès le 7 avril, M. de Bernières et M. Tay nier, docteur de Sorbonne, avaient reçu une lettre de cachet avec ordre de se
retirer de Paris. Un certain Baudelot, s'étant avisé de dédier ses thèses à la mémoire de Saint-Cyran paya ce défi de deux mois à la Bastille et à la fin du mois les pensionnaires de Port Royal furent dispersés, défense fut faite à la
supérieure du monastère de recevoir des novices et le supérieur Singlin fut
remplacé73.
Ces preuves de la décision du monarque ont-elles aidé l'archevêque de Sens à réfléchir sur sa position? Sous la date du 20 juin 1661, il publiait enfin un mandement parfaitement conforme aux définitions du Pape et aux résolu
tions de l'assemblée. Il déclarait qu'Alexandre VII, ayant par sa bulle de 1656 déterminé que les propositions étaient condamnées au sens que Jansénius les a
enseignées et expliquées dans son livre, il était nécessaire qu'il employât son ministère pour lui faire rendre par tous ses diocésains l'obéissance qui est due en conscience et de droit divin aux deux bulles et décisions de foi décernées contre les cinq propositions par l'autorité du Saint Siège. Aussi ordonnait-il
que sans s'arrêter à sa lettre pastorale de 1653, la bulle d'Alexandre VII serait
publiée dans tout le diocèse, et il faisait défense de rien enseigner ni dire en pu blic ou en particulier qui fût contraire à ce qui était déterminé par les deux constitutions: il défendait même de rien croire d'opposé à ce que contenait la bulle, «ce qu'on ne pouvait faire qu'en condamnant les cinq propositions dans
le sens du livre de Jansénius»74.
Enfin dans une lettre de même date il disait au Pape le déplaisir qu'il éprouvait de sa conduite passée et professait l'obéissance qui était due de droit divin aux constitutions apostoliques, même avant leur acceptation par un conci le. C'est sans doute cette lettre qu'il remit lui-même au nonce le 21 juin. Les nouvelles de la nonciature expliquent en effet que le Roi vient de faire à Fon tainebleau son jubilé, qu'il n'avait pas voulu recevoir de l'archevêque de Sens, archevêque du heu, «avant que ce dernier ne se fût arrangé avec le nonce et
n'eût rétracté sa lettre pastorale publiée à l'occasion de la bulle d'Innocent X contre les jansénistes, ce qui s'est fait lundi dernier lorsqu'il a remis entre les
71 Epistolae ad Principes 64, f. 179rv, 16. V. 61.
72 Epistolae ad Principes 64, f. 178v-179, 16.V.61.
73 Blet Π, p. 310. 74
Dubois, Henri de Pardaillan, (cité supra, p. 124 η. 1 ) p. 181.
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LOUIS XIV, LES papes ET LE jansénisme 169
mains du nonce un acte contraire sous sa signature et son sceau»75. Alexandre
VII lui répondit dans un bref du 1 août, en lui exprimant son entière satisfac tion 76. Ainsi le primat des Gaules et de Germanie, le prélat qui le premier avait contesté la censure des cinq propositions de Jansénius, professait ouvertement
sa soumission aux décisions romaines.
4. Le formulaire d'Alexandre VII
Dans les quinze articles de l'assemblée du clergé, un point ne laissait pas de faire difficulté: c'était l'injonction adressée aux évêques de signer et faire si
gner le formulaire. Quelle autorité les prélats de l'assemblée avaient-ils sur leurs confrères? Antoine Arnauld se sentait en droit d'écrire aux évêques réu nis en 1660 aux Grands Augustins:
«Qui donc est celui des évêques de France qui n'ait, Messeigneurs, sujet de
vous dire: je ne manque point à mon devoir en n'observant pas vos ordres, si je ne vous dois rien, et je ne vous dois rien, puisque vous n'avez nulle autorité ni
juridiction sur moi, comme vous êtes obligés de le reconnaître. Il n'y a point de loi qui m'oblige ni de signer le formulaire, ni de le faire signer dans mon diocèse,
puisque n'étant ni mes supérieurs ni mes juges, tout ce qu'il vous a plu d'ordon
ner dans votre assemblée ne me tient point lieu de loi»
Cependant la première résistance aux décrets de l'assemblée vint d'où on l'attendait le moins. Au moment où les députés du clergé de France allaient
quitter la capitale, les grands vicaires de l'archevêché de Paris, qui gouver naient le diocèse au nom du cardinal de Retz, publièrent en date du 19 juin un mandement pour la signature du formulaire. La lettre des vicaires généraux
du cardinal archevêque de Paris était un défi aux décisions de l'assemblée. Ils
évoquaient la constitution d'Innocent X, qui condamnait la doctrine des cinq propositions, puis la bulle d'Alexandre VII, qui avait touché une autre ques tion, à savoir si ces propositions se trouvaient chez Jansénius et si elles étaient
condamnées dans le sens de cet auteur. Les grands vicaires expliquaient que
pour terminer ces contestations l'assemblée du clergé avait prescrit la signature
d'un formulaire: ils ordonnaient donc cette signature, en précisant «qu'à l'é
gard même des faits décidés par lesdites constitutions et contenus audit formu
laire, tous demeurent dans le silence entier et sincère qui est dû auxdites
75 Nunz■ Francia 119, f. 277, avvisi de la nonciature, Moret, le 24 juin. Le nonce confirme ces nouvelles impersonnelles dans une lettre au cardinal Chigi, répétant que le Roi n'a pas voulu rece voir le jubilé publié par l'archevêque de Sens, «avant d'avoir été informé que Mons. l'archevêque de Sens m'avait remis entre les mains l'acte de la soumission qu'il devait à Sa Saintété», Nunz· Francia 119, f. 279, Piccolomini à Chigi, 24. VI. 61.
76 Epistolae ad Principes 64, f. 193v-194. La lettre de Gondrin n'est connue que par cette ré
ponse d'Alexandre VII, qui lui écrit: «Agnoscis et expressis verbis contestaris obsequium et oboe dientiam quam constitutionibus hujusmodi ab Apostolica Sede, etiam absque praecedenti episco porum in concilio judicio, emanatis, jure divino deberi, confirmas».
1 Lettre circulaire envoyée à Messieurs les Prélats, dans Oeuvres de M. Arnaud, XXI,
p. 239.
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170 PIERRE BLET S.I.
constitutions»2. On ne pouvait dire plus clairement qu'il était licite à un chacun de penser ce qu'il voulait de la définition d'Alexandre VII sur l'origine des cinq propositions et sur le sens de Jansénius: il suffisait de ne pas affirmer tout haut le contraire de ce que disait la bulle du Pape.
L'assemblée, qui touchait à sa fin, estima le mandement «fait par attentat contre lesdites constitutions et délibérations de l'assemblée»; elle résolut de de mander au Roi de casser le mandement par arrêt de son Conseil et d'écrire au
Pape pour requérir l'intervention de son autorité.
La décision du Roi ne se fit pas attendre: un arrêt du Conseil d'Etat du 9
juillet prononça que le mandement des grands vicaires «demeurera révoqué et
comme non fait»3. A Rome on ne tarda pas davantage. Deux brefs datés du 1
août furent expédiés au nonce. L'un était adressé aux grands vicaires de Paris.
Le Pape leur reprochait sévèrement d'avoir exposé de façon mensongère la
bulle d'Innocent X sans tenir compte de sa propre constitution Ad sacram et il
leur enjoignait de révoquer leur mandement dès le reçu du bref, s'ils ne vou laient pas éprouver l'indignation du Siège Apostolique4. L'autre bref, expédié motu proprio ac certa scientia nostra donnait commission au nonce et à l'ar
chevêque de Toulouse de procéder contre les deux coupables en vertu de l'au
torité apostolique non seulement sur le fait du mandement, mais en tout ce
qui constituerait une violation des constitutions apostoliques. Les deux com missaires avaient le pouvoir d'annuler le mandement, de déposer les deux vi caires de leur charge, de les déclarer atteints par les censures prévues par les
constitutions et d'en arriver s'il en était besoin à choisir un vicaire apostolique pour le gouvernement du diocèse5.
Les brefs du Pape croisèrent deux lettres qui lui étaient adressées par le
Roi et par la Reine Mère. Dans la première en date du 21 juillet, Anne d'Autri che écrivait à Alexandre VII:
«Très Saint Père, L'obligation que les rois et reines ont à veiller aux choses
qui regardent la religion, et le zèle que j'ai en mon particulier contre le jansénis me pour en arrêter le cours dans ce royaume me portent à prier Votre Sainteté
d'envoyer promptement le remède aux maux que causent le mandement des
grands vicaires de Paris qui a troublé l'ordre qu'apportait le Roi Monsieur mon Fils à purger de cette secte la ville capitale de ses Etats suivant les instances qui lui en ont été faites de la part de Votre Sainteté. Comme les évêques de France ont donné avis au Roi que ce mandement était injurieux au respect et à l'obéis sance que tous les chrétiens doivent aux bulles des Saints Pères et directement contraire à leurs constitutions le Roi a arrêté ce mal et l'exécution dudit mande ment en attendant le bien et le remède spécifique qui doit partir de la source
2 Oeuvres de M. Arnaud XXII, 607-609. La rédaction du mandement est attribué à Arnauld, d'où son édition dans les oeuvres complètes.
3 Paris, Archives Nationales. Ad + 356 (33), Arresi du Conseil d'Estat portant que le mande
ment de Mrs les Grands vicaires de l'Archevesché de Paris du huitième du mois de juin dernier pour la soubscription du formulaire de profession de Foy contre la doctrine de Jansénius de meurera révoqué et comme non fait.
4 Epistolae ad Principes 64, f. 194, Alexandre VII aux grands vicaires de Paris, Contes et Ho
dencq, 1. VIII. 61. Contes était aussi doyen de Notre-Dame et Hodencq curé de Saint-Séverin. 5
Brevil363, f. 205-210.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 171
dont sont sortis les oracles de la religion sur cette matière. J'attends donc avec
impatience le jugement du Saint Siège contre ledit mandement, le Roi ayant pris résolution de seconder et faire exécuter ponctuellement tous les brefs et ordres
que Votre Sainteté envoyera pour régler et éteindre ces différends que la pré
somption de deux particuliers grands vicaires a osé réveiller et renouveler au pré
judice du calme et repos que l'on commençait à goûter par la proscription de cet
te doctrine pour laquelle j'ai autant de haine que d'amour pour la foi et de désir
de témoigner en toute chose à Votre Sainteté que je suis
Votre dévote fille
ANNE
A Fontainebleau, le 21 juillet 1661»6.
Sous une date postérieure de trois jours Louis XIV demandait de façon encore plus expresse une intervention de l'autorité pontificale:
Très Saint Père, Le soin que nous avions pris de maintenir la pureté de la foi
contre les nouvelles opinions condamnées par le Saint Siège en tenant la main à
ce que tous les ecclésiastiques signassent le formulaire dressé par l'assemblée du
clergé de France pour l'exécution sincère des constitutions apostoliques nous fai
sait espérer un heureux succès du dessein que nous avons d'abolir la secte du jan sénisme. Mais le mandement que les vicaires généraux de l'archevêché de Paris
ont fait publier dans les paroisses de la ville et du diocèse pour faire signer ce for
mulaire pourrait en retarder l'effet, ainsi que nous en avons été informés par les
archevêques et évêques de l'assemblée du clergé et les autres qui se trouvent en
notre cour, s'il n'y était pourvu par l'autorité de Votre Sainteté, d'autant qu'ils nous ont représenté que ce mandement est conçu aux mêmes termes d'une dis
tinction du fait et du droit dont les jansénistes se servent pour rendre inutiles les
décisions de foi contre la doctrine de Jansénius contenues dans ces constitutions.
C'est un grand mal qui a besoin d'un prompt et puissant remède, lequel dépen dant du jugement de Votre Sainteté, nous l'assurons que de notre part nous tien
drons la main à l'exécution des choses qu'elle ordonnera sur ce sujet. Et nous re
mettant au surplus à ce que notre très cher et bien aimé cousin le cardinal Antoi
ne Barberin lui fera savoir plus particulièrement de l'état de cette affaire, il ne
nous reste qu'à prier la bonté divine de vous conserver, Très Saint Père, longues et heureuses années au bien et régime de son Eglise. Ecrit à Fontainebleau le XXIIII de juillet 1661
Votre dévot fils le roi de France et de Navarre
[Signé] LOUIS, [et plus bas] de Loménie7.
Le courrier qui emportait les lettres du Roi et de la Reine Mère avait aussi
une dépêche destinée à Aubeville, chargé pour l'heure des affaires de France à
Rome, afin de lui bien expliquer le sens de la démarche du monarque auprès
du Souverain Pontife:
«Le Roi, écrivait Hugues de Lionne, dépêche ce courrier exprès pour aller
chercher auprès du Pape le remède au mal qu'a causé ici le mandement des
grands vicaires de l'archevêché de Paris sur le formulaire de souscription contre
la doctrine des jansénistes. Il est certain que si lesdits vicaires, qui ont déjà été
suivis par l'Evêque d'Angers et le pourraient être encore de plusieurs autres,
n'eussent point malicieusement remué une question tout à fait inutile, cette secte
6 Lettere di Principi 84, f. 167rv, Anne d'Autriche à Alexandre VII, 21. VII. 61. ' Lettere di Principi 84, f. 171v-172, Louis XIV à Alexandre VII, 24. VII. 1661.
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172 PIERRE BLET S.I.
était par terre par les soins et la vigueur qu'y avait apportés Sa Majesté et nous
savons à n'en point douter que ses principaux arcboutants et Arnauld même son
geaient ou à signer ou à se retirer en des pays perdus où l'on n'aurait plus ouï
parler d'eux. Si le Pape veut envoyer les brefs que l'on a projetés de deçà il re
mettra toutes choses au même bon état qu'elles étaient: s'il ne le veut pas, le Roi
n'aura que faire de s'en mettre en peine davantage, car c'est plutôt l'affaire du
Saint Siège que la sienne. Il faut seulement prendre garde de delà que l'on n'y
prenne point de voie qui ne soit conforme et compatible aux lois du royaume et
surtout que l'on ne veuille pas se servir de cette occasion pour donner quelqu'a
vantage indirect à M. le Cardinal de Retz, ce que Sa Majesté ne permettrait
pas»8.
Une dizaine de jours plus tard le même secrétaire d'Etat aux affaires
étrangères revenait sur la question. Le Roi, écrivait-il encore à Auberville, avait
envoyé le courrier Héron pour chercher le remède «au mal et aux derniers ef
forts que fait la secte des jansénistes pour empêcher d'être entièrement abat tue». Des mémoires en ont été communiqués au cardinal Antoine, et il est
d'autant plus important d'intervenir que «à l'instigation du cardinal de Retz les curés de Paris ont fait une déclaration en faveur du mandement des grands vi
caires, disant que ce mandement, bien loin de scandaliser l'Eglise, comme l'a vaient écrit les évêques, il avait au contraire édifié tous les fidèles, comme contenant le meilleur moyen de les réunir tous et d'établir la paix dans l'Egli se» 9. Et apprenant que les grands vicaires avaient écrit au Pape pour réclamer
un procès en forme, Lionne renvoya de nouvelles instructions à Aubevilles. Les
deux vicaires généraux avaient écrit à Alexandre VII pour le prier d'avoir connaissance des actes qui seraient à leur charge et de n'être pas condamnés
sans avoir été entendus. Prétentions tout à fait injustifiées: ils avaient déjà mis
dans leur lettre à Sa Sainteté tout ce qu'ils avaient à lui dire, ils avaient été en tendus à la cour, lorsque Sa Majesté les y avait appelés et le procès-verbal dres
sé par Le Tellier en a été envoyé au Pape avec tout ce qu'ils ont pu et voulu di
re pour leur défense.
«Sa Majesté donc s'attend, comme je viens de dire, que Sa Sainteté ne s'ar rêtera point sur cette lecture, mais décidera promptement, comme la qualité du mal le requiert, puisque ce parti n'est encore appuyé que d'un ou de deux évê
ques et de quelques curés appointés ou gagnés par caballe, qui ne pourront résis
ter à une déclaration bien nette de Sa Sainteté, appuyée pour son exécution des
ordres de Sa Majesté, au lieu que si Sa Sainteté hésite tant soit peu à résoudre ou à s'expliquer, il est bien à craindre qu'ils n'en prennent une nouvelle audace,
qu'il sera plus malaisé après de pouvoir réprimer, parce que la pelotte infaillible ment grossira, et je dois même vous dire qu'en ce cas là, qu'on vît réduire l'affai re à Rome à un procès ordinaire, comme d'ailleurs les vicaires ont eu l'insolence
d'attaquer l'assemblée du clergé sur son petit nombre dont elle était composée, quoiqu'ils fussent plus de quarante cinq, Sa Majesté, dis-je, se trouverait obligée d'assembler un concile national pour chercher le remède à ce mal, qu'on n'aurait
pas voulu nous envoyer de Rome» l0.
Rome 143, f. 263, Lionne à Aubeville, 26. VII. 61. Rome 143, f. 266, Lionne à Aubeville, 6. Vili. 61.
1 Rome 143, f. 271-272, Lionne à Aubeville, 20. Vili. 61.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 173
Il semble que les insistances de Lionne étaient assez superflues et que l'a
gent de la cour de France n'eut pas beaucoup de mal à convaincre Alexandre
VII et ses conseillers de répondre favorablement à la requête de Louis XIV. Car au reçu des lettres de Louis XIV et de la Reine sa mère, expédiées par courrier exprès, Alexandre VII avait fait préparer trois brefs datés du 1 août. Au cardinal de Retz, le Pape enjoignait de révoquer ses deux vicaires généraux dans un délai d'un mois à compter de la réception de sa lettre; et un duplicata fut encore envoyé au cardinal archevêque trois mois plus tard11. A Louis XIV, le Pape témoignait d'abord sa joie de ce qu'il faisait contre le jansénisme, com me en témoignait encore sa lettre du 24 juillet. Néanmoins il l'engageait à «re doubler tous les jours encore davantage son effort si pieux et si nécessaire pour extirper complètement les pernicieuses zizanies du jansénisme»12. Enfin dans le troisième bref Alexandre VII écrivait à la Reine Mère qu'il se félicitait de sa lettre du 21 juillet dernier, et que le nonce lui expliquerait ce que lui-même avait fait13.
Dans ces conditions la commission confiée au nonce Piccolomini et à l'ar
chevêque de Toulouse s'annonçait sous des auspices favorables. Un Conseil fut tenu en présence du Chancelier, de Le Tellier, Villeroy et Brienne et tous furent d'accord pour que le Roi donnât des lettres patentes en vue de l'exé
cution du bref. On renonçait cette fois au principe que le nonce du Pape ne devait pas exercer de juridiction dans le royaume. Le nonce Piccolomini et
l'archevêque de Toulouse, Marca, se voyaient conférés tout pouvoir pour
exécuter le bref et ramener à leur devoir les deux vicaires généraux ou les
châtier en cas de rébellion. S'adressant «A nos très chers et bien aimés les sieurs Piccolomini, archevê
que de Césarée, nonce apostolique près de nous, et de Marca, archevêque de
Toulouse, ministre de notre Etat», le Roi constatait que le Saint Père leur avait adressé un bref de délégation leur donnant tout pouvoir de faire leur procès aux deux vicaires généraux et même de les déposer de leur charge, avec faculté
d'établir s'il était besoin un vicaire apostolique pour l'administration spirituelle du diocèse. Et le Roi concluait:
«A ces causes après avoir fait voir en notre Conseil ledit bref de commission
et ayant mis en considération qu'il ne pouvait être remédié à ces grands maux de
schisme et d'hérésie dont lesdits grands vicaires sont accusés d'être les fauteurs
manifestes que par des remèdes puissants et extraordinaires, nous avons jugé
qu'il fallait appuyer de notre autorité l'exécution de votre commission et pour cet
effet nous ordonnons auxdits de Conte et de Hodencq vicaires généraux de vous
reconnaître pour commissaires apostoliques et obéir à tout ce qui sera par vous
ordonné en exécution de votre commission, nonobstant opposition, appellation
quelconque, récusation, prise à parti, appels comme d'abus, dont si aucuns inter
11 Epistolae ad Principes 64, f. 197, Alexandre VII à Retz, 1. Vili. 61; un double dut être ex
pédié dès le début d'août, et un second double le 7 novembre. Le registre des brefs porte en effet
dans la marge gauche «fuit datum duplicatum» et dans la marge droite «fuit datum aliud duplica tum die 7 novembris».
12 Epistolae ad Principes 64, f. 197v, Alexandre VII à Louis XIV, 1. VIII. 61.
13 Epistolae ad Principes 64, f. 198, Alexandre VII à Anne d'Autriche, 1. VIII. 61.
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174 PIERRE BLET S.I.
viennent nous réservons la connaissance à notre personne, attendu la matière
dont il s'agit, et icelle interdisons à nos cours de Parlement. Voulant et entendant
qu'au cas que lesdits vicaires soient déposés par vous de leur charge vous procé diez à l'établissement d'autres vicaires suivant les intentions de Notre Saint Père le Pape qui nous sont connues, en gardant les formes reçues et pratiquées en no tre royaume. Enjoignons à tous juges et autres nos officiers et sujets de vous donner secours et assistance pour l'exécution de votre commission, lorsqu'en se ront requis par vous. Car tel est notre plaisir...» H.
Le doyen de Notre Dame et le curé de Saint Séverin ne se sentirent pas en
mesure de braver l'autorité du Pape appuyée par la puissance du Roi. Le doyen de Notre Dame craignait, au dire de Godefroy Hermant, de compromettre da
vantage la position du cardinal de Retz, et le curé de Saint Séverin appréhendait une lettre de cachet l'expédiant à Perpignan: au terme d'une longue entrevue
avec le nonce, ils promirent la rétractation de leur mandement. Et effectivement
en un nouveau mandement du 31 octobre, ils ordonnaient de «souscrire sincère
ment et de coeur le formulaire prescrit par l'assemblée du clergé»15. Il y eut encore du bruit autour de la signature des moniales de Port Royal.
Néanmoins à la fin de l'année le nonce Piccolomini écrivait: «On continue dans cette ville [de Paris] à souscrire les deux constitutions apostoliques contre les erreurs de Jansénius, conformément au nouveau mandement de ces vicaires
généraux, qui ont rétracté celui du 8 juin, sans rencontrer jusqu'à présent d'autre opposition»16.
L'accord du Pape et du Roi était venu à bout sans difficulté de la contesta tion des vicaires généraux de Paris. La résistance de plusieurs évêques allait poser bien d'autres problèmes. Quelques prélats allaient s'engager sur les tra ces des grands vicaires du cardinal de Retz. D'abord les évêques d'Alet, d'An gers et de Châlons-sur-Marne écrivirent au Roi pour protester contre les réso
lutions de l'assemblée du clergé. Pavillon d'Alet déclarait qu'il était contre sa conscience de signer et de faire signer le formulaire et que le Roi lui-même «fai sait contre sa conscience de se servir de son pouvoir pour pousser cette affaire».
A ses collègues, qui avaient été députés de l'assemblée, il écrivait
«qu'il ne pouvait en conscience accepter le formulaire ni obéir à leurs ordres pour la signature parce que, outre qu'ils n'avaient pas ce pouvoir d'obliger les autres à
cela, ils faisaient injure à la dignité épiscopale, la privant de sa liberté et de l'usa
ge des deux clefs de la science et de la puissance que les apôtres ont héritées des
apôtres, dont ils sont les successeurs, comme d'une prérogative essentielle à leur ministère...». L'évêqued'Angers écrivit au Roi «qu'on ne pouvait en conscience
signer le formulaire, parce que rien n'était plus capable de troubler la paix, que pour lui-même il ne connaisait aucun janséniste, que les propositions fussent dans Jansénius et condamnées dans son sens, ce ne pouvait être qu'une question de fait, et qu'un fait qui n'est point immédiatement révélé de Dieu ne peut être un article de foi»17.
14 Nunz. Francia 120, f. 523-522 (sic), Commission pour l'exécution du bref, copie. 15 Blet II, 314. 16 Nunz. Francia 119, f. 507, Piccolomini à Chigi, 9. XII. 61. 17
Rapinili, p. 131.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 175
Les évêques de Châlons, de Vence et de Comminges étaient également
connus comme liés au parti janséniste et réfractaires au formulaire. Or le maré
chal du Plessis-Praslin de Choiseul, gouverneur du duc d'Orléans, frère de l'évê
que de Comminges, Gilbert de Choiseul, songea que l'archevêché de Toulouse, devenu vacant par la nomination à Paris de Pierre de Marca, «n'était pas au-dessous des mérites de son frère». Mais lorsque le duc d'Orléans en fit la sol licitation à Louis XIV et à la Reine Mère, ils se récrièrent que l'évêque de Com
minges était janséniste, réfractaire au formulaire et qu'il ne pouvait être ques tion de lui pour la métropole de Toulouse. Sur quoi le maréchal écrivit à son frè re en lui faisant «de grandes plaintes sur sa conduite, d'un air assez aigre» et lui disant que par son attachement au parti il gâtait les affaires de sa famille.
L'évêque de Comminges, qui avait de l'esprit, écrit toujours le P. Rapin, fut sensible aux reproches de son frère et il se rendit à Toulouse pour chercher
par le moyen des jésuites un moyen d'accommodement. Un de ses amis, prési dent au Parlement de cette ville, était aussi lié avec le P. Ferrier, «grand théolo
gien et ami du P. Annat», confesseur du Roi. Ainsi commencèrent à Toulouse
au cours de l'été 1662 des conférences entre l'évêque, le jésuite, le président au
Parlement et un autre magistrat, «intelligent en ces matières». Le point central de la discussion était la condamnation des cinq propositions dans le sens de Jansénius. Gilbert de Choiseul aurait fini par en convenir et il se flatta d'y ame ner les chefs du parti. L'attentat de la garde corse contre l'ambassadeur du Roi
à Rome et la rupture diplomatique qui en résulta entre Alexandre VII et Louis XIV n'interrompit pas le dialogue. En fin d'année l'évêque de Comminges et
le P. Ferrier se rendirent à Paris et le Roi autorisa Antoine Arnauld et Barcos, second abbé de Saint-Cyran, d'y venir demeurer tout le mois de janvier. Une
série de conférences eurent heu, réunissant le prélat et le jésuite et deux «jansé
nistes de second ordre», Arnauld et Barcos estimant au dessous de leur dignité
de se mesurer avec un jésuite peu connu18. Du 25 janvier au 18 février 1663,
cinq séances furent tenues. Dès le 23 janvier, les jansénistes avaient publié leur
avis sur les cinq propositions, ce qui sonnait comme un défi. Néanmoins Choi
seul leur fit accepter comme médiateurs trois évêques, lui-même, Péréfixe,
alors évêque de Rodez et César d'Estrées, évêque de Laon. Les trois prélats ré
digèrent cinq articles opposés aux cinq propositions. Arnauld refusa de souscri
re une promesse de soumission au Saint Siège. Les conférences, écrit le P. An
nat, ne servirent qu'à «faire connaître à ceux qui n'en étaient pas assez persua
dés, l'opiniâtreté de la secte»19. Pourtant les délégués d'Arnauld finirent par si
gner une lettre au Pape protestant de leur soumission et lui promettant d'ac
complir ce qu'il lui plairait d'ordonner: «Ils disputèrent d'abord cette clause, écrit Rapin, ... mais ils franchirent le pas dans le dessein de ne point tenir au
Pape ce qu'ils promettaient et cependant sauver leur honneur dans le pu
blic» 20. Choiseul en prit l'occasion d'écrire au Pape sous la date du 7 juin, en
18 Rapiti III, p. 216-217.
" Pastor XIV/1, p.463n. 20
Rapiti III, p. 229.
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176 PIERRE BLET S.I.
exaltant l'obéissance des jansénistes. Mais sa lettre fut reçue plutôt froidement à Rome21, et Alexandre VII y répondit en un bref du 29 juillet adressé aux
évêques de France.
Le Pape rappelait le souci de son prédéceseur et le sien pour déraciner l'hérésie de Jansénius et se rejouissait d'apprendre par les lettres qu'il recevait de France que ne cessait de croître le nombre de ceux qui se soumettaient aux
constitutions apostoliques, tandisque que diminuait le groupe de ceux qui se détournaient de la vérité par de vaines interprétations; aussi espérait-il que tous se retrouveraient bientôt unis dans une seule foi et une seule charité.
Pour y parvenir les évêques étaient invités à recourir s'il le fallait à l'aide du roi très chrétien, dont le zèle en cette affaire avait brillé d'une manière admirable. Et ils étaient exhortés à procurer que tous se soumissent aux constitutions
apostoliques et rejetassent sincèrement et dans le sens de l'auteur les cinq pro
positions contenues dans le livre de Jansénius. A cette fin et pour briser l'obsti nation des derniers réfractaires, le Pape mettait sa confiance dans la piété du roi très chrétien22.
A la suite de ce bref, Louis XIV chargea Choiseul de préparer une décla ration qui fut signée par les deux délégués d'Arnauld: qu'à l'égard de la doc trine des cinq propositions condamnées, il les condamnaient aussi et n'a vaient pas d'autre sentiment que les auteurs des cinq articles envoyés au Pa
pe. Qu'à l'égard des décisions de fait, que les cinq propositions avaient été extraites du livre de Jansénius et condamnés dans le sens de cet auteur, ils
déclaraient qu'ils «avaient pour ces définitions tout le respect, toute la défé rence et toute la soumission que l'Eglise exigeait des fidèles en de pareilles occasions et en ces matières, reconnaissant qu'il n'appartenait pas à des théo
logiens particuliers de s'élever contre les décisions du Saint Siège et de les combattre ou d'y résister»23.
Cette déclaration fut présentée le 2 octobre à quinze évêques réunis au
Louvre, qui déclarèrent qu'elle était «captieuse et conçue en termes pleins d'ar
tifices, cachant sous l'apparence d'une obéissance en parole l'hérésie du
jansénisme». Les quinze évêques conclurent à prier le Roi d'imposer la sous cription du formulaire des deux assemblées générales précédentes: l'un des
moyens serait de convertir l'Arrêt du Conseil du 13 avril 1661 en Déclaration, qui serait enregistrée au Grand Conseil24.
L'évêque de Comminges écrivit au Roi qu'il n'était pas d'accord avec ces conclusions et plusieurs autres évêques auraient refusé de signer et de faire si gner le formulaire, «soutenant qu'il n'appartenait pas à ces sortes d'assem
blées de rien ordonner à des évêques, qui ne tiennent que de Dieu l'autorité qu'ils avaient pour l'exercice de leur ministère»25. Bref la négociation de Gii
21 Pastor, p. 464-465.
22 ASV, Miscellanea I 35, f. 43rv.
23 M.D., Rome 17, f. 221-34 (Le Dran). 24 M. D., Rome 17, f. 34-35, et Godefroy Hermant, Mémoires VI, Paris 1910, p. 524. 25
M.D., Rome 17, f.35v-36.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 177
bert de Choiseul et du P. Ferrier n'avait pas abouti. Et la mésentente qui ré
gnait alors entre le Pape et le Roi à la suite des incidents de Rome pouvait faire
espérer aux amis de Jansénius des jours tranquilles. Mais le 12 février 1664 le traité de Pise rétablissait la concorde entre la
cour de Rome et la cour de France. Et tandisque le cardinal légat Chigi faisait route vers la France, pour porter à Louis XIV les satisfactions réclamées, le
monarque exauçait, et au-delà, les voeux de l'assemblée de prélats du mois
d'octobre passé, et se rendait en son Parlement de Paris pour y faire enregis
trer en lit de justice des lettres patentes en forme d'Edit portant une série de mesures contre les réfractaires au formulaire.
Sous la date du 29 avril 1664 le registre du Conseil secret du Parlement
rapporte la cérémonie: «Le Roi Louis quatorze du nom séant en son lit de justi ce» u. Après l'énumération des princes, ducs et pairs, maréchaux, présidents
de la cour qui assistaient à la séance, le registre rapporte les paroles rituelles
prononcées par le monarque: «M. le Chancelier vous fera savoir ma volonté».
A vrai dire la séance n'était pas consacrée exclusivement à l'affaire janséniste. Le registre dans lequel sont transcrites les ordonnances enregistrées, présente
celles de ce jour dans l'ordre suivant:
1° (f. 42-44) «Edit portant suppression de tous les officiers créés dans les
maîtrises particulières et générales depuis le 1 janvier 1635 ensemble de la juri diction des fruries et verderies».
2° (f. 44-45) «Edit portant suppression des offices quadriennaux créés par l'Edit du mois d'août 1645 et celui de décembre 1652 à l'exception des receveurs
et contrôleurs des consignations et commissaires aux saisies réelles et suppres sion de deux offices où il y en avait quatre».
3° (f. 46-51) «Déclaration du Roi contre la doctrine enseignée dans le livre de
Jansénius évêque d'Ypres».
4° (f. 51-60) «Edit du Roi portant suppression de plusieurs offices de conseil
lers secrétaires du Roi, Maison et couronne de France et autres officiers de la
chancellerie et règlement pour la grande chancellerie et les petites chancelleries
du royaume, ensemble la réduction des notaires, tabellions, procureurs, huissiers
et sergents à un nombre préfixé dans les villes, bourgs et paroisses»27.
En revanche dans le registre du conseil secret, après mention du discours
du chancelier, dont rien n'est transcrit, il est porté que le greffier en chef a fait
lecture de «quatre lettres patentes en forme d'Edit:
«Les premières données à Paris au mois d'avril 1664, signées LOUIS et plus
bas, par le Roi, de Guenégaud, et scellées sur lacs de soie du grand sceau de cire
verte, par lesquelles pour les causes y contenues il avait statué et ordonné que les
bulles de nos Saints Pères les Papes Innocent dix et Alexandre sept registrées en
cette cour fussent publiées en tout le royaume pour être exécutées, gardées et ob
servées inviolablement selon leur forme et teneur, faisant très expresse inhibition
et défense à toutes personnes de quelque rang et condition qu'elles fussent de
contrevenir aux dites bulles à peine d'être traités comme rebelles, désobéissantes
26 Paris, Archives Nationales, X1A, 8394, f. 112-114.
27 Paris, Archives Nationales, X1A 8664, f. 42-60v. En conclusion: «A Paris en Parlement le
Roi y séant».
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178 PIERRE BLET S.I.
à ses commandements et perturbateurs du repos public... En outre enjoint et or
donne à tous ecclésiastiques séculiers et réguliers de signer le formulaire attaché
sous le contrescel desdites lettres patentes qui leur serait présenté par les archevê
ques et évêques dans les diocèses desquels ils auraient fait leur demeure pendant les trois dernières années ou dans les diocèses desquels les bénéfices dont ils se
raient pourvus se trouveraient situés, et nonobstant toute exemption, privilège et
loi auxquelles il aurait [été] en tant que besoin (serait) dérogé par lesdites lettres
pour ce regard, comme étant ce qui regarde la foi et la détermination des ques tions doctrinales particulièrement réservé à la personne et au caractère des évê
ques».
Le résumé du registre continuait à expliquer qu'en cas de refus de signer le formulaire, il serait procédé par les évêques et leurs officiaux contre les récal citrants et leurs bénéfices deviendraient vacants et impétrables. Il était obliga toire de signer le formulaire pour obtenir les bénéfices qui étaient à la nomina tion du Roi, des évêques et des patrons laïcs, comme pour être admis aux gra
des dans les universités. Les sous-diacres devaient signer un mois après leur
promotion. Il était en outre interdit de vendre, débiter et retenir YAugustinus aussi bien que tous les ouvrages qui défendaient sa doctrine et les auteurs qui
auraient écrit en faveur du même Augustinus devaient se rétracter par la si
gnature du formulaire28.
La Déclaration elle-même expliquait dans son préambule que
«ceux qui sont attachés à ces opinions ont tiré avantage de ce que la souscription d'un formulaire arrêté par les délibérations des archevêques et évêques de notre
royaume en l'année 1656 n'aurait pas été exécutée dans tous les diocèses et que ceux qui l'avaient voulu mettre en pratique en avaient été empêchés par des ap pellations comme d'abus sous prétexte que dans notre Déclaration enregistrée en notre cour de Parlement de Paris il n'était fait mention de la souscription d'aucun formulaire» 29.
Cette Déclaration dûment enregistrée au Parlement empêcherait les ecclé
siastiques auxquels leurs évêques enjoindraient la signature d'être reçus appe lants comme d'abus en ce Parlement. Seulement une fois encore le point faible
de la Déclaration royale demeurait la question de l'obéissance des évêques,
que le Roi évitait de mentionner: ni l'évêque qui ne signait pas, ni le clerc au
quel son évêque n'enjoignait pas la signature ne se trouvait menacé; seulement
à faute d'avoir signé il ne pourrait obtenir de nouveaux bénéfices.
Quelques évêques en profitèrent pour omettre de signer et faire signer le formulaire. L'évêque Pavillon d'Alet alla plus loin. Dans une lettre du 25 août 1664 il reprocha au Roi de combattre une hérésie imaginaire et de mettre la main à l'encensoir en décrétant des peines contre ceux qui refusaient de se plier aux décisions d'une assemblée dépourvue d'autorité doctrinale. La lettre fut imprimée et répandue dans le royaume. Louis XIV en fut vivement irrité et il envoya le pamphlet au Parlement de Paris. Le 12 décembre 1664 l'avocat gé
28 Paris, Archives Nationales, X1A 8394, f. 113v-114v. 29
Paris, Archives Nationales, X1A 8664, f. 46-51; edit.: M.C., I, col. 356-364.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 179
néral Denis Talon requit contre la lettre de l'évêque d'Alet. Son long discours constitue une mise au point de ce qu'a fait Louis XIV dans la querelle janséniste et comme une interprétation authentique de ses actes, au moins telle que pou vait la concevoir un magistrat du Parlement: aussi vaut-il la peine de s'y arrêter.
Denis Talon commence par souligner la modération dont le monarque a
fait preuve dans la répression des «nouvelles opinions». Bien que dès le com mencement on en pût prévoir les conséquences, «le Roi a eu cette religieuse re
tenue et ce respect pour l'Eglise d'attendre et le sentiment du Saint Siège, qui n'a prononcé qu'après la question pleinement agitée, et le suffrage des évê
ques de France». Or malgré les condamnations sans équivoque prononcées
dans les constitutions d'Innocent X et d'Alexandre VII, on a trouvé le moyen de réveiller la dispute. Les bulles des deux papes, qui ont si nettement condamné les cinq propositions portées à Rome comme extraites du livre de Jansénius sont hors de conteste. Il est de notoriété publique que lorsqu'on a soutenu ces cinq propositions, elles ont été principalement appuyées sur l'auto rité du nom et de l'érudition de cet auteur. Néanmoins on a prétendu que la soumission à la décision doctrinale ne préjudiciait pas de la question du fait. «Qu'ainsi l'on pouvait soutenir que ces mêmes propositions, tant de fois soute nues et tant de fois défendues sous les étendards de Jansénius, avaient comme
par un art magique disparu de ses écrits».
On aurait bien pu, déclare sans ambage l'avocat du Roi, obliger tous les
particuliers, sans exception de personne, à souscrire les deux bulles, «surtout
après qu'elles ont été reçues et publiées dans tous les diocèses, autorisées par le suffrage et l'approbation expresse ou tacite de tous les prélats de France,
sans qu'un seul les ait ouvertement rejetées». Mais le Roi a préféré les voies de
la persuasion plutôt que de la contrainte. Dans ce but il a tant de fois convoqué les évêques, il a encore désiré des assemblées en Sorbonne et pour fermer la
bouche aux disciples de Jansénius, «il a par une première Déclaration voulu ap prouver les deux constitutions, afin de leur donner par le concours de la puis
sance ecclésiastique et séculière le dernier caractère d'une autorité légitime». Il a encore refusé les prélatures à ceux que l'on pouvait soupçonner de cette hé
résie naissante, il a fermé les écoles et les séminaires où cette mauvaise doctri
ne était enseignée. Ces précautions n'ont pas suffi à empêcher le progrès d'un
mal si dangereux et Sa Majesté a été informée par les évêques qu'il restait
beaucoup de personnes à persister dans leur première opinion. Les mêmes
évêques ont cherché à y remédier par le moyen d'un formulaire et «il a été ju gé nécessaire d'obliger, suivant la coutume ancienne des conciles, tous ceux qui ont part au ministère de l'Eglise, de signer ce qui ne peut plus être mis en dis
pute sans quelque sorte de rébellion». Et pour renforcer cette obligation, le Roi a donné sa Déclaration enregistrée le 29 avril dernier. Denis Talon reconnaît
que l'on a évité de rien imposer aux évêques: «Pour ôter tout sujet de plainte, il [le Roi] a résolu de donner des bornes à
sa Déclaration et de n'y pas comprendre les évêques, faisant réflexion d'un côté
que les assemblées du clergé dans lesquelles le formulaire avait été composé n'a
vaient ni le nom ni l'autorité de conciles, considérant d'ailleurs que de prévoir l'é
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180 PIERRE BLET S.I.
garement de quelques prélats de la voie commune était sinistrement augurer de
leur conduite, que de prononcer par avance des peines sur soupçons d'une déso
béissance incertaine, et menacer de saisir de leur temporel et d'autres châtiments
rigoureux sans assurance de trouver des rebelles était faire tort à leur dignité». Enfin on a pensé que si des prélats ne se laissaient persuader ni par l'exemple des plus soumis, ni par le souci de l'unité de l'Eglise, ni par «tous les autres mo
tifs de charité et de prudence... il valait encore mieux, toutes choses balancées et
mûrement observées, tolérer quelque temps ce désordre, que de s'engager par des procédures précipitées en des inconvénients plus fâcheux».
Après cet exposé à la fois général et précis de la Déclaration du 29 avril, l'avocat général en arrivait au cas particulier de l'évêque d'Alet:
«Que si la Déclaration n'oblige pas précisément les évêques de faire souscrire
le formulaire, il ne s'ensuit pas qu'elle leur permette de le censurer. S'ils ont la
liberté de ne s'en pas servir, ils ne l'ont pas de semer des écrits scandaleux pour le décrier».
Denis Talon se croit obligé de rendre témoignage à la conduite exemplaire et au zèle pastoral de l'évêque d'Alet.
«Mais avec tout le respect qui est dû tant à sa dignité qu'à son mérite, nous ne
pouvons tomber d'accord que cette grande opinion qu'il a conçue de la majesté de son sacerdoce puisse être un fondement légitime pour taxer, ainsi qu'il fait
par sa lettre, et la conduite de la plupart des évêques du royaume, et la Déclara
tion du Roi et l'arrêt de vérification du parlement comme une entreprise [usur
pation] sur la religion et comme une profanation du sanctuaire exécutée par des
mains sacrilèges».
Pavillon reproche au Roi de combattre une hérésie imaginaire: selon lui
l'hérésie janséniste est une chimère. Mais après que les cinq propositions ont été condamnées, après que la question de savoir si Jansénius en était bien l'au
teur a été tranchée par une seconde bulle, après que la même dispute a été
portée à la Sorbonne, et de nouveau examinée par une commission d'évêques,
«de quel front certains particuliers en petit nombre osent-ils prétendre de faire
prévaloir leurs caprices aux jugements de tant de corps célèbres... Mais de quelle grâce surnaturelle sont-ils pourvus? Qui leur donne ce privilège que leurs yeux soient seuls plus clairvoyants que tous les autres? N'y a-t-il pas au contraire sujet de croire qu'ils ont des tayes qui obscurcissent leur vue ou qu'ils sont tombés dans cet aveuglement volontaire dont parle le prophète?»
Enfin Pavillon prétend que le Roi a passé les limites de son pouvoir en
obligeant les ecclésiastiques de son royaume à signer ce formulaire. Selon le
prélat, les prédécesseurs de Louis XIV ont suivi et appuyé les décisions des
conciles, mais ne les ont jamais prévenues. Ce reproche fournissait à Talon une occasion bienvenue à de longues considérations sur le rôle du prince dans
l'Eglise: «L'on pourrait bien examiner en cette occasion quelle place l'onction sacrée
donne dans le sanctuaire à nos rois, quelle part dans l'administration des choses
saintes, et quelle dans le soin de celles qui ne regardent que le dehors et la dicipli ne extérieure de la religion?»
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 181
Et l'avocat général en appelle lui aussi à l'antiquité:
«Si les princes n'avaient conservé dans les premiers siècles aucune juridiction sur les questions de foi, d'où vient qu'ils convoquaient des conciles? D'où vient
qu'ils y présidaient et opinaient? D'où vient qu'ils confirmaient les jugements sy nodaux et qu'ils les exécutaient?... Ne sont-ce pas autant de marques certaines de juridiction et de pouvoir?»
Si Dieu a manifesté sa colère contre le roi de Judas qui avait sacrifié sans attendre le Grand Prêtre, sa vengeance fut encore plus sévère contre ceux qui négligèrent le soin du temple et souffrirent que l'on sacrifiât sur les hauteurs, «symbole de la superbe, compagne inséparable des opinions particulières. Il
[le Roi] use donc sans usurpation de son pouvoir quand il empêche le pro grès des schismes qui naissent dans l'Eglise». Léon le Grand remerciait l'em
pereur Théodose le Jeune de veiller sur l'Eglise pour en écarter le schisme et l'hérésie. «Belles paroles, commentait Talon, dans lesquelles il ne reconnaît
pas seulement l'éminence de son autorité quant à la discipline et au règle ment des moeurs, mais encore quant aux dogmes de la foi et à l'extirpation des hérésies».
Talon recherchait ensuite dans l'histoire de l'empire romain d'Orient, au
près des Théodose, Marcien, Zénon, Héraclius, une série d'exemples d'inter ventions impériales dans les controverses doctrinales, interventions dont beau
coup avaient été des usurpations du pouvoir temporel dans les affaires ecclé
siastiques et spirituelles, comme celles de Zénon et d'Héraclius, qui avaient voulu imposer des formules de foi. Le rôle même de Charlemagne dans la que relle des images et dans d'autres controverses religieuses n'était pas à l'abri de
tout reproche. Cette partie du réquisitoire de l'avocat général fera bientôt l'ob
jet d'une véhémente protestation de l'assemblée du clergé de 1665, sans qu'il soit bien aisé de discerner si la protestation était inspirée par des amis de l'évê
que d'Alet ou par des prélats soucieux de ne pas laisser le Parlement empiéter
sur l'autorité doctrinale de l'Eglise30. Après avoir réfuté la lettre de Pavillon, l'avocat du Roi devait donner ses
conclusions. Le Roi, dans sa clémence, aurait volontiers laissé cette lettre «à la
poussière de son cabinet». Mais elle a été répandue à un grand nombre d'exem
plaires et même imprimée. Ce libelle et beaucoup d'autres semblables endur cissent les coeurs «qui ont la présomption de croire que c'est à eux seuls que
Dieu a réservé l'ouverture de la profondeur de ses conseils et la révélation des vérités éternelles». En outre l'évêque d'Alet s'est laissé emporter à publier une ordonnance pour frapper d'excommunication les ecclésiastiques de son diocèse
qui signeraient le formulaire. Denis Talon n'entendait pas intervenir contre cette ordonnance: la connaissance en appartenait au Parlement de Toulouse,
qui a le diocèse d'Alet dans son ressort. Mais cela montre que ce n'est pas par hasard que la lettre de Pavillon a été publiée, et cette publication en provoque la condamnation. Et comme si l'évêque d'Alet avait craint que l'on doutât qu'il
Blet II, p. 326-337.
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182 PIERRE BLET S.I.
était l'auteur de cet écrit, il le cite lui-même dans une ordonnance publiée dans son diocèse, en sorte que l'on ne saurait en mettre en doute l'authenticté.
Le Roi, qui aurait pu faire éclater son indignation et se rendre justice à
lui-même, la demande à son Parlement. Et bien que l'excès auquel s'est porté ce prélat «semble ne pouvoir être puni avec assez de sévérité, le respect néan moins du caractère et de la dignité épiscopale inclinant notre esprit du côté de
l'indulgence, nous empêche de faire aucune réquisition contre sa personne».
L'avocat du Roi se limitait à requérir contre le libelle et à demander la suppres sion des exemplaires existants et la prohibition rigoureuse à toutes personnes de rien écrire contre la Déclaration du 29 avril dernier.
Faisant droit au réquisitoire de l'avocat du Roi, la cour de Parlement
«a ordonné et ordonne que ladite lettre dudit évêque d'Alet, ensemble les co
pies imprimées et non imprimées, seront et demeureront supprimées. Et qu'à la
requête du procureur général du Roi, il sera informé contre ceux qui ont impri mé et fait imprimer lesdites copies, pour l'information faite, rapportée et com
muniquée audit procureur général, être ordonné ce qu'il appartiendra. Fait inhi
bitions et défenses à toute personne, de quelque qualité et condition qu'ils puis sent être, de rien écrire sous quelque titre et prétexte que ce soit contre la Décla
ration du Roi du vingt neuf avril dernier, et contre le formulaire attaché sous le
contrescel, à peine d'être traités comme pertubateurs du repos public et procédé contre eux extraordinairement. Fait en Parlement le 12. jour de décembre 1664» 31.
De l'aveu donc de l'avocat du Roi, les délibérations des assemblées, même renforcées par la Déclaration du Roi, ne suffisaient pas à résoudre toutes les
difficultés qu'opposaient quelques prélats au formulaire anti-janséniste. Aussi bien, avant l'intervention de Talon contre la lettre de Pavillon, on avait émis de
plusieurs côtés l'idée de recourir à l'autorité du Pape et de demander à Alexan dre VII une confirmation du formulaire des évêques. Le confesseur du Roi, le P. Annat, y insistait depuis longtemps32. Au début de septembre 1664 l'évêque
d'Evreux en avait parlé au nonce à la veille de partir pour Rome:
«Il me parla longuement des jansénistes, écrit Roberti, le successeur de Pico lomini à la nonciature de France, et me dit en confidence qu'il pensait supplier Sa Sainteté au nom des évêques de France de vouloir envoyer de Rome un formu laire à faire signer par tout le clergé, parce que cinq ou six évêques n'ont pas vou lu signer le formulaire fait par l'assembée pour diverses raisons».
Roberti demanda à l'évêque si au cas où le Pape se décidait à envoyer ce
formulaire, Sa Majesté l'assisterait de son autorité pour le faire signer par tout le monde et si les cinq ou six évêques qui refusaient le formulaire de l'assem blée signeraient celui du Pape. L'évêque d'Evreux répondit qu'en cette affaire les dispositions du Roi étaient telles qu'on ne pouvait rien désirer de plus, et
31 Paris, Arch. Nat., X1A 8394, f. 11-28, 12 décembre 1664. La harangue de Denis Talon a été
imprimée sous le titre: «Arrest de la cour de Parlement portant suppression de la lettre escritte au Roy par Monsieur l'Evesque d'Alect».
32 Pastor XIV/1, p. 467.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 183
que pour les évêques qui avaient refusé le formulaire de l'assemblée, il espé rait qu'ils souscriraient celui du Pape33.
Pourtant l'initiative vint de la cour de France. Deux mois après la conver sation du nonce avec l'évêque d'Evreux, Louis XIV communiquait sa décision au duc de Créqui, qui avait repris son poste à Rome après le traité de Pise. Dans un courrier du 14 novembre, le Roi enjoignait à son ambassadeur de
prier Alexandre VII d'apporter au formulaire du clergé de France le renfort de l'autorité apostolique. La dépêche de Lionne, qui accompagnait celle du Roi
précisait à l'usage du duc de Créqui que le P. Annat avait assuré Sa Majesté que le Pape était tout disposé à faire ce que le Roi demandait34.
Et dans le courrier de la semaine suivante, Louis XIV répétait et expli quait les ordres qu'il avait donnés huit jours plus tôt. Les évêques et les ecclé
siastiques qui refusent de signer le formulaire objectent que les constitutions
apostoliques publiées contre le jansénisme n'ordonnent explicitement la si
gnature d'aucun formulaire. Les évêques récalcitrants ajoutent que ce formu
laire a été établi par leurs confrères, qui n'ont aucune autorité pour le leur
imposer. C'est pourquoi le Roi se tournait vers le Pape et le priait «d'ôter ce
mauvais prétexte à tous ceux qui s'en prévalent artificieusement pour ne se
conformer pas à la véritable intelligence des deux constitutions du feu pape Innocent X et de Sa Sainteté». Le Saint Père pouvait procéder en cela de
deux manières, soit en expédiant un acte qui approuvât explicitement le for
mulaire de l'assemblée, soit en dressant et imposant lui-même un nouveau
formulaire35.
Dans la première quinzaine de décembre, le duc de Créqui présenta à
Alexandre VII la requête de Louis XIV, et comme l'avait prédit le P. Annat, la
réponse ne se fit pas attendre. Le 16 décembre l'abbé Rospigliosi vint de la
part du cardinal Chigi dire à l'ambassadeur que deux ou trois congrégations avaient été tenues au sujet du formulaire et que le Roi recevrait toute satisfac
tion sur ce sujet36. Et effectivement sous cette date du 16 décembre, Alexandre
VII faisait expédier trois brefs, un pour le Roi, un second adressé au nonce et
aux archevêques de Paris et d'Auch, et un troisième accompagné d'un formu
laire, à l'adresse des archevêques et évêques de France37.
Dans le premier bref, adressé à Louis XIV, Alexandre VII louait la piété et
le zèle du monarque pour l'exécution des lettres apostoliques. Il avait fait de
mander par son ambassadeur de mettre la dernière main à l'affaire janséniste en donnant un formulaire: le Pape accédait à sa demande en envoyant une let
tre aux évêques de France, comptant que le Roi apporterait l'appui de sa puis sance pour l'achèvement de cette affaire38.
33 Nunz. Francia 129A, f. 17, Roberti à Chigi, 5. IX. 64. 34 Rome 166, f. 174, Lionne à Créqui, 14. XI. 64. 35 Rome 162, f. 143, Louis XIV à Créqui, 21. XI. 64. 36 M.D., Rome 24, f.258. 37
Epistolae ad Principes 65, f. 21 lv-213v. 38
Epist. ad Principes 65, f. 211v-212.
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184 PIERRE BLET S.I.
Un second bref accordait au nonce et aux archevêques de Paris, et d'Auch l'autorité de fixer un terme pour la signature du formulaire et de recevoir le documente authentique de ces signatures afin de les transmettre39.
Le troisième bref était adressé aux évêques de France. Il commençait aus
si par louer leur zèle dans la lutte contre le jansénisme, qui, semblable à un
serpent dont on écrase la tête, se défend par toute sorte de contorsions. Pour
achever ce combat, disait le Pape, le Roi lui avait demandé un formulaire: accé dant a cette requête, il adressait avec cette lettre aux évêques de France un for
mulaire de foi avec ordre de le signer et faire signer dans leurs diocèses par tous les ecclésiastiques, tant séculiers que réguliers, même aux moniales, aux
docteurs, licenciés, maîtres des collèges et universités. En outre s'il arrivait que quelqu'un refusât la signature, s'agissant d'un évêque, il serait, sans autre dé
claration, interdit de l'entrée de son église. Les ecclésiastiques des ordres infé rieurs tombaient sous le coup de l'excommunication latae sententiae et de la
privation de tous les bénéfices, dignités, et faveurs ecclésiastiques. Suivait le
formulaire, substantiellement identique à celui de l'assemblée:
«Je soussigné N. me soumets à la constitution apostolique d'Innocent X don née le 31. jour de mai de l'an 1653 & à celle d'Alexandre VII, son successeur, donnée le 16 d'octobre 1656, rejette et condamne sincèrement les cinq proposi tions extraites du livre de Cornélius Jansénius, intitulé Augustinus, dans le pro pre sens du même auteur, comme le Siège Apostolique les a condamnées par les mêmes constitutions. Je le jure ainsi. Ainsi Dieu me soit en aide & ses saints
Evangiles»40.
Dans son audience du 9 janvier, l'ambassadeur de Louis XIV remercia Alexandre VII de l'expédition du formulaire41. Seulement à la même date,
Lionne lui écrivait pour l'informer que le nonce avait bien reçu deux (sic) brefs, l'un pour le Roi et l'autre avec le formulaire pour les évêques, mais
qu'on ne pouvait pas s'en accommoder, «car ce n'est qu'une lettre de Sa Sain
teté au clergé et il nous faut une bulle avec du plomb, autrement nous ne pour rions aux occasions faire agir les Parlements, qui ne reconnaissent que le
plomb avec l'attache du Roi»42.
Aussi quinze jours plus tard, le ministre adressait à l'ambassadeur de nou velles instructions: il devait prier le Pape le donner dans une bulle sous plomb les ordres expédiés avec le dernier bref. Et Lionne expliquait qu'au reçu du bref accompagné du formulaire, Sa Majesté l'avait donné à examiner à l'arche
vêque de Paris et au P. Annat, et après quinze jours de négociations des minis
39 Ibid., f. 212rv.
40 Epist. ad Principes 65, f. 212v-213v. Le texte latin était le suivant: «Ego N... constitutioni
Apostolicae Innocentii X datae die 31 maii 1653 et constitutioni Alexandri VII datae 6 octobris 1656 Summorum Pontifìcum me subjicio et quinque propositiones ex Jansenii libro cui nomen Au gustinus excerptas et in sensu ab eodem auctore intento prout per dictas constitutiones Sedes Apostolica damnavit sincero animo rejicio et damno ac ita juro. Sic me Deus adjuvet et haec sancta Dei Evangelia».
41 Rome 167, f. 72, Créqui à Louis XIV, 13.1.65. 42 Rome 167, f. 58, Lionne à Créqui, 9.1. 65.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 185
très avec le nonce, on avait remis au nonce un mémoire, «par lequel Sa Majes
té témoigne désirer que Sa Sainteté ait agréable de résoudre de faire toutes
choses autrement qu'elles n'étaient portées par ledit bref». Et Lionne de résu
mer les trois points de la requête:
«Sur le premier point qu'il faut une bulle avec du plomb et non pas un bref,
qu'on n'enregistre pas dans les Parlements. Sur le second point que nous avons voulu éviter d'autoriser (?) que le nonce eût aucun emploi en France, d'où l'on
puisse inférer qu'il puisse avoir quelque juridiction, mais on s'est bien gardé de
lui faire comprendre que c'ait été notre motif, et par la même raison vous ne
vous en expliquerez point de delà, s'il vous plaît. Et sur le troisième, on a appré hendé que les évêques, même les plus portés contre le jansénisme, ne se joignis sent aux autres dans un intérêt qui leur est commun, pour soutenir que le Pape n'a pas pu ordonner une peine contre leur confrère ipso facto et sans forme ni fi
gure de procès. Voilà tout ce que je puis vous dire sur cette matière et n'en sais
pas davantage»43.
Le mémoire remis au nonce et dont une copie accompagnait la dépêche de
Lionne, expliquait en détail la nouvelle requête du Roi:
Le formulaire que Notre Saint Père le Pape a eu agréable de faire insérer au
bref que Sa Sainteté avait écrit aux archevêques et évêques du royaume a été vu
de Sa Majesté avec grande satisfaction comme contenant, et en effet il contient
implicitement et suffisamment toute la substance de celui qui avait été fait en
l'assemblée générale du clergé de France le 17 mars 1657, et Sa Majesté promet à Sa Sainteté d'employer fortement son autorité autant qu'il sera besoin pour
obliger tous ses sujets ecclésiastiques à souscrire ledit formulaire. Mais pour faire
qu'il soit reçu et observé dans son royaume sans contredit et ôter tout prétexte ou occasion de cavillation aux novateurs, il serait à désirer trois choses: La pre mière que Sa Sainteté eût agréable de faire rédiger le contenu audit bref en for
me de constitution sous plomb pour être après enregistrée par l'autorité de Sa
Majesté dans tous les Parlements du royaume afin que dans les incidences qui
pourront arriver, ils soient obligés de donner tous leurs jugements en conformité
de ladite constitution et bulle apostolique ainsi enregistrée. La seconde que Sa Sainteté par la même constitution prescrive un temps
dans lequel les archevêques et évêques devront souscrire ledit formulaire comme
de trois mois à compter du jour de la notification d'icelle aux archevêques et évê
ques sans que ceux-ci se puissent plaindre que l'on ait commis au-dessus d'eux
leurs confrères, auxquels ils soient obligés de répondre. La troisième, comme par ledit bref il est porté que les archevêques et évê
ques qui refuseraient de signer ledit formulaire demeureraient interdits de l'en
trée de l'église sans autre déclaration, et que lesdits archevêques et évêques et
même ceux qui souscriront pourraient se formaliser que l'on ait établi contre les
refusants une peine sans connaissance et sans aucune forme ou figure de procès, Sa Majesté souhaiterait qu'il plût à Sa Sainteté d'ôter de sa constitution cette pei ne particulière et dire seulement en général qu'il sera procédé contre les archevê
ques et évêques qui ne signeront pas pendant le temps prescrit suivant les consti
tutions canoniques et les saints décrets des conciles».
43 Rome 167, f. 129rv, Lionne à Créqui, 25.1.65.
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186 PIERRE BLET S.I.
Enfin quant au bref de commission qu'avait aussi prévu le Pape pour en
gager le procès contre les récalcitrants, le Roi estimait préférable de le remettre à plus tard44.
Le duc de Créqui reçut les nouveaux ordres du Louvre au début de fé
vrier. Il envoya aussitôt l'abbé de Bourlemont porter au cardinal Chigi le mé moire que lui avait expédié Lionne et que d'ailleurs le cardinal secrétaire d'E tat avait dû recevoir de son côté avec les dépêches du nonce. Il semble que la cour de Rome ne trouva pas de difficulté à satisfaire aux désirs du Roi, car on se mit aussitôt à préparer la bulle pour y joindre le formulaire de la manière souhaitée par le Roi et on changea la menace de l'interdit de l'entrée de l'église en celle des peines portées par les canons. Le Pape l'accompagna d'un bref au
Roi, dans lequel il louait le zèle de Louis XIV pour la religion. Le secrétaire du cardinal Chigi apporta le tout au duc de Créqui le 18 février dans un paquet destiné au nonce en lui disant «que le Roi y trouverait toute sorte d'éclaircisse ments et de satisfaction au sujet du formulaire»45. L'ambassadeur se hâta
d'expédier le courrier le lendemain 19 février46. Huit jours plus tard, le duc de
Créqui fut reçu à l'audience du Pape et remercia Sa Sainteté «de ce qu'il avait fait expédier si promptement l'affaire du formulaire». Alexandre VII répondit que le nonce allait recevoir le document tel que le Roi l'avait souhaité47.
Effectivement Louis XIV pouvait être satisfait de la rapidité avec laquelle le Pape avait exaucé ses désirs comme des documents que le nonce Roberti
était chargé de lui remettre, la bulle Regiminis apostolici, accompagnée d'un bref de présentation. Dans la bulle datée du 15 février 1665, Alexandre VII
rappelait son souci d'extirper l'hérésie janséniste, qui s'était répandue en Fran ce et dont les sectateurs trouvaient toujours de nouveaux détours, en dépit du
soin des évêques et du Roi très chrétien pour en venir à bout. Le même Roi
très chrétien lui avait représenté par son ambassadeur que le moyen d'en finir
serait que le Pape imposât un formulaire que tous les ecclésiastiques seraient
obligés de signer. Il avait estimé devoir accéder à des voeux aussi pieux, et par les présentes il prescrivait strictement à tous les ecclésiastiques, même aux ar
chevêques et aux évêques et à tous ceux qui appartenaient au clergé, et même
aux moniales, aux docteurs, licenciés, recteurs et maîtres des collèges, de sous
crire la formule qui accompagnait la présente constitution, et cela dans les trois mois à compter de la publication ou notification. Contre les réfractaires, le Pa
pe voulait qu'il fût procédé sans rémission; il enjoignait
«expressément à tous les archevêques et évêques, comme aussi à tous les autres ecclésiastiques tant réguliers que séculiers, même aux religieuses, aux
docteurs et licenciés et à tous autres principaux de collèges, maîtres et régents, de souscrire la formule que nous avons jointe ici, voulant qu'ils le fassent tous
44 Rome 167, f. 131, «Mémoire envoyé à M. le Duc de Créqui touchant le formulaire», 25.1.65.
45 M.D., Rome 24, f. 263-264. 46 Rome 166, f. 260, Créqui à Lionne, 6. III. 65. 47 Rome 168, f. 18v, Créqui à Louis XIV, 3. III. 65.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 187
dans l'espace de trois mois après la publication et signification des présentes. A faute de quoi nous voulons qu'on procède sans rémission suivant les constitu tions canoniques et les décrets des conciles, contre ceux qui n'auront pas obéi».
Suivait le formulaire tel qu'il avait été joint au bref du 16 décembre
précédent48.
Puis par son bref du 18 février, Alexandre VII recommandait à Louis XIV l'exécution de sa nouvelle bulle; il louait d'abord le zèle déployé par le monar
que pour faire exécuter les constitutions apostoliques données contre les jansé
nistes: «Tu as procuré et favorisé l'exécution des lettres apostoliques publiées sur cette controverse avec un zèle tel que le Siège Apostolique n'aurait pu en
espérer ou en exiger davantage de la part de notre très cher fils dans le Christ le Roi très chrétien». Comme le monarque lui avait fait demander d'envoyer un formulaire à signer par tous les évêques et autres ecclésiastiques, il avait ac cédé à une demande aussi juste et il avait fait expédier des lettres apostoliques accompagnées du formulaire «tenant pour certain que s'il en est besoin, tu prê
teras ton bras royal, même au-delà de nos exhortations, pour terminer cette
affaire»49.
Dès le 6 mars le Roi informait son agent à Rome que le nonce avait reçu «tout ce que j'ai désiré du Pape sur l'affaire du formulaire». Et il concluait:
«Vous direz cependent à Sa Sainteté que je travaillerai aussitôt après (avoir
reçu le nonce) à examiner de quelle meilleure manière je pourrai me servir des
armes qu'elle m'a envoyées dans sa bulle pour achever d'abattre le jansénisme et
vous l'assurerez que je n'omettrai rien de tout ce qui sera en mon pouvoir pour faire exécuter par tous mes sujets la teneur de ladite bulle»50.
Louis XIV avait réclamé une constitution sous forme de bulle afin de la faire enregistre dans ses Parlements. Des lettres patentes en forme d'Edit fu
rent préparées et datées du mois d'avril 166551. Le Roi y récapitulait les ef
forts qu'il avait déployés pour apaiser les troubles excités par la querelle jansé niste, les évêques rassemblés, la bulle Ad sacram enregistrée en Parlement, le
formulaire préparé par l'assemblée du clergé et imposé par les évêques, une
nouvelle déclaration enregistrée au Parlement. Ces efforts n'avaient pas été
vains, estimait Louis XIV, car «il n'y a plus présentement qu'un bien petit nombre de gens, qui par un aveuglement affecté et par des subtilités étudiées résistent aux définitions reçues par le consentement unanime de l'Eglise». Et
bien que la distinction du fait et du droit, en quoi consiste la principale défense
des contestataires, eût été assez réfutée par les brefs d'Innocent X et d'Alexan
dre VII, par l'autorité des assemblées du clergé qui on dressé et imposé le for
mulaire, le Roi a pensé que le meilleur moyen de mettre fin à la querelle était
48 M.C., I, 365-368, texte latin et traduction française de la bulle. Texte du formulaire, cf.
supra note 40. 49
Epistolae ad Principes 65, f. 231rv. 50 Rome 166, f. 260, Louis XIV à Créqui, 6. III. 65. 51 Dans l'Edit, le plus solennel des actes royaux, la date porte seulement le mois et Tannée,
sans préciser de jour.
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188 PIERRE BLET S I.
de consulter encore une fois le chef de l'Eglise, «afin que joignant son autorité à celle des archevêques et évêques, ce concours des puissances les oblige à se
soumettre et à souscrire ce qui avait été si solennellement décidé». Ainsi le Roi a fait demander à Sa Sainteté par son ambassadeur en cour de Rome qu'il lui
plût d'ordonner la signature d'un formulaire, et Alexandre VII a répondu par sa bulle du 15 février dernier. Sa Majesté ayant fait examiner en son Conseil la bulle pontificale et ayant reconnu qu'elle ne contenait rien de contraire aux li bertés de l'Eglise gallicane, ni aux droits de la couronne, ni même au formulai re des évêques, en ordonnait la publication:
«Nous, de l'avis de notre Conseil et de notre certaine science, pleine puissan ce et autorité royale nous avons par ces présentes signées de notre main dit, sta tué et ordonné, disons, statuons et ordonnons, voulons et nous plaît, que ladite constitution de Notre Saint Père dudit jour 15 février 1665 ci-attachée sous le
contrescel de notre chancellerie, soit reçue et publiée en tout notre royaume, pays, terres et seigneuries de notre obéissance pour y être gardée et observée in violablement selon sa forme et teneur».
En conséquence, le monarque enjoignait aux archevêques et évêques de si
gner eux-mêmes et de faire signer le formulaire dans leurs diocèses, sans user
d'aucune distinction, interprétation ou restriction, «déclarant que ceux qui se
serviront dans leurs signatures des distinctions, interprétations ou restrictions susdites auront encouru les peines portées par ladite constitution et par les pré
sentes». Tous les ecclésiastiques exempts et non exempts devraient avoir signé dans les trois mois et les évêques auraient à procéder contre les récalcitrants
suivant les formes canoniques et nonobstant les appels comme d'abus. Pour les
résistants opiniâtres, la peine était la privation des bénéfices:
«Voulons en outre que faute d'avoir par les ecclésiastiques souscrit ledit for mulaire dans ledit temps de trois mois, les bénéfices, dignités, personnals, offices séculiers ou réguliers, même les claustraux et amovibles et généra)ment toutes les sortes de bénéfices dont ils seront pourvus et auxquels ils prétendront droit, demeurent vacants et impétrables de plein droit sans qu'il soit besoin d'aucune sentence ni déclaration judiciaire, et sans qu'ils puissent être rétablis dans leurs dits offices et bénéfices, encore qu'ils voulussent postérieurement signer ledit for mulaire et pour cette fin ordonnons que ceux qui auront été pourvus en leurs lieux et places dédits bénéfices, soit par le collateur ordinaire, soit en cour de Ro
me, y soient maintenus. Ordonnons aux collateurs ordinaires d'y pourvoir incon tinent après ledit temps de trois mois».
Il s'agissait là des bénéficiers qui auraient résisté à l'injonction de leur évê
que d'avoir à signer. Pour l'évêque lui-même qui refuserait encore de signer ou de faire signer «nous voulons et ordonnons, déclarait le monarque, qu'il y soit contraint par saisie du revenu temporel de son archevêché ou évêché et
qu'il soit procédé à l'encontre de lui par les voies canoniques, suivant ce qui est
porté par ladite constitution». Les autres bénéfices dont il serait pourvu se raient vacants et impétrables de plein droit comme ceux des autres ecclésiasti
ques.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 189
Enfin les sous-diacres avaient à signer le formulaire dans le mois qui sui vait leur promotion, et tous les clercs qui aspiraient à un bénéfice, à un degré
académique, à un office de recteur ou maître dans les universités, devraient souscrire le formulaire. Et personne ne pourrait être pourvu d'un bénéfice
sans la permission du lieutenant général du bailliage, auquel il revenait de vé rifier si le postulant avait bien signé le formulaire.
Quant à VAugustinus, qui avait donné lieu à ces contestations, le Roi en interdisait la vente, le débit et même de le garder sans la permission de l'évê
que. Et défense était faite également «d'écrire ou composer, imprimer, vendre ou débiter directement ou indirectement,... aucuns ouvrages, lettres ou écrits
tendant à favoriser, soutenir ou renouveler en quelque manière que ce soit» la
doctrine de Jansénius52.
Le Roi avait demandé au Pape une bulle sous plomb pour la faire enregis trer dans ses Parlements. Le 28 avril le Parlement de Paris recevait des mains d'un conseiller du Roi la lettre de cachet par laquelle Sa Majesté disait sa réso lution «d'aller en notre Parlement mercredi prochain 29 du présent mois pour y tenir notre lit de justice»53. Et c'est effectivement sous la date du 29 avril 1665 qu'est donné le procès-verbal d'enregistrement de la Déclaration impri mée dans les Mémoires du Clergé:
«Ce jour toutes les chambres assemblées le Roi ayant commandé par la bou
che de M. le Chancelier que les huis fussent ouverts a ordonné au greffier en chef
la lecture des lettres patentes du Seigneur Roi en forme d'Edit données à Paris
au mois d'avril 1665, signées LOUIS, et plus bas Guénégaud, et scellées sur lacs
de soie verte et rouge du grand sceau de cire verte, par lesquelles et pour les cau
ses y contenues il avait dit, statué et ordonné, voulait et lui plaisait que la consti
tution de Notre Saint Père le Pape du 15 février 1665 attachée sous le contrescel
desdites lettres fût reçue et publiée en tout le royaume, pays, terres et seigneu ries de son obéisance pour y être gardée et observée inviolablement selon sa for
me et teneur, exhortant à cette fin et néanmoins enjoignant aux archevêques et
évêques du royaume de signer et faire signer incessamment par tous les ecclésias
tiques de leurs diocèses teint séculiers que réguliers ledit formulaire purement et
simplement aux termes auxquels il était conçu dans lesdites constitutions sans
user d'aucunes distinctions, interprétations ou restrictions qui déroge directe
ment ou indirectement aux constitutions des papes Innocent X et Alexandre VII
par lesquelles les cinq propositions extraites du livre de Jansénius ont été
condamnées d'hérésie au sens de l'auteur»54.
A ce procès-verbal officiel, le Journal d'Olivier Lefebvre d'Ormesson ajou te quelques détails. Le chancelier fit entendre les raisons de la présence du Roi
en son Paiement et fit remarquer que c'était la troisième fois qu'il y venait
«pour arrêter les entreprises des jansénistes, et continua les traitant d'héréti
ques, novateurs, opiniâtres et finit par un compliment au Roi sur son zèle pour maintenir la religion et la pureté de la foi et sur la félicité de son règne». Le
52 M.C., I, col. 369-377. 53 Paris, Archives Nationales, X1A 8394, f. llOv. 54 M.C., I, col. 377-380.
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190 PIERRE BLET S.I.
premier président répondit que le Roi ne fait rien de si grand que lorsqu'il tra vaille pour la gloire de Dieu, parla du déplaisir que les enfants d'une même mère se fussent entrebatus avec tant d'opiniâtreté, que la bulle du Pape était devenue légitime parce qu'elle était nécessaire, que le Parlement saurait, sous l'autorité de Sa Majesté, en empêcher les conséquences et conserver les droits
et libertés de l'Eglise gallicane. Le discours aurait plu à tout le monde et le Roi en aurait paru content.
L'avocat général, qui avait à requérir l'enregistrement, aurait eu moins de succès. Il s'étendit sur les grandes actions du Roi en paix et en guerre, «et 0 se
promena sur beaucoup de matières éloignées, enfin il revint aux affaires des
jansénistes, les traita d'hérétiques, parla en même temps contre les entreprises
de la cour de Rome, contre les privilèges des religieux, contre les voeux qui se font avant 25 ans, passa encore à la réforme de tous les ordres, à l'abondance
et à la félicité dont la France jouissait, l'utilité du commerce. Enfin après un
long discours il finit par un compliment au Roi et conclut.
«Chacun (conclut à son tour Lefebvre d'Ormesson), parut être fort mal satis fait de ce discours, plusieurs murmurant contre et l'on fît paraître de l'impatience qu'il finît, enfin il scandalisa toute l'assemblée n'ayant rien dit du sujet, beau
coup de choses éloignées et offensantes contre le Pape et tous les ordres du
Quoiqu'il en fût, l'avocat du Roi avait requis comme il le devait, «que sur le repli des lettres il sera mis qu'elles ont été lues, publiées et registrées, ouï et ce requérant le procureur général du Roi, pour être exécutées selon leur forme
et teneur, et que copies collationnées en seront envoyées aux sièges des baillia
ges et sénéchaussées du ressort pour y être pareillement lues, publiées et regis
trées; et enjoint aux substituts du procureur général du Roi d'en certifier la
cour au mois». Puis selon le cérémonial, le chancelier est monté et a reçu la vo
lonté du Roi, pris l'avis de M. le duc d'Orléans, du duc d'Enghien, des ducs et pairs ecclésiastiques et laïques; descendu dans le parquet a pris celui des prési dents, des conseillers d'honneur, maîtres des requêtes et conseillers de la
Grand'Chambre, présidents et conseillers des enquêtes et requêtes. Après le
quel avis reçu et étant remonté vers le Roi, il lui a fait la révérence et aussitôt remis en sa place et couvert, a prononcé:
«Le Roi séant en son lit de justice a ordonné et ordonne que sur le repli des lettres il sera mis: lues, publiées et registrées, oui' et ce requétant le procureur gé néral, pour être exécutées selon leur forme et teneur et que copies collationnées en seront envoyées aux sièges des bailliages et sénéchaussées du ressort pour y être pareillement lues, publiées et enjoint aux substituts du procureur général du Roi d'y tenir la main et certifier la cour en mois. Fait en Parlement le 29 avril 1665. [Signé] Robert, [et au dessous] collationné, Phelypeaux.
55 Olivier Lefebvre d'Ormesson, Journal li, Paris 1861, p. 350-352.
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LOUIS XIV, LES PAPES ET LE JANSÉNISME 191
Tels sont les actes publiés dans les Mémoires du Clergé, qui concluent: «La bulle susdite de N.S.P. le Pape Alexandre VII étant soutenue et fortifiée de la déclaration du Roi a été reçue et acceptée de tous les archevêques et évêques de ce royaume, et par leur autorité dans leurs diocèses»56. Pourtant ni la bulle
du Pape, ni la Déclaration du Roi ne se trouvent dans le registre du Parlement à la date indiquée du 29 avril. Le registre du Conseil secret passe du 28 au 30 avril. Et le registre des enregistrements ne renferme pas plus la constitution d'Alexandre VII que les lettres patentes de Louis XIV57. Une explication s'en trouve dans la collection des minutes. L'étiquette de la liasse des minutes du mois d'avril 1665 porte: «Conseil secret, avril 1665. Manque le lit de justice du 29 avril 1665, que Me Claude Robert n'a pas donné, non plus que le bulle du
Pape, formulaire et déclaration du Roi qui y furent vérifiés»58. Resterait à ex
pliquer comment ce Claude Robert a pu conserver par devers soi les pièces
d'un lit de justice. Cette lacune du registre n'empêchait pas Denis Talon d'évoquer huit jours
plus tard, le mercredi 6 mai, la bulle du Pape avec les lettres patentes du Roi, comme d'actes dûment enregistrés et que Sa Majesté était venue apporter en
sa cour de Parlement.
Ce mercredi 6 mai l'avocat du Roi a représenté à la Grand'Chambre «que l'archevêque de Tarse, nonce du Pape auprès du Roi, avait de son autorité pri
vée et sans permission du magistrat et juge ordinaire fait imprimer la bulle du
Pape «sans la Déclaration du Roi que ledit seigneur Roi avait apportée au Par lement le vingt neuf avril dernier pour la publication de ladite bulle». Talon re
prochait encore à Roberti de s'être qualifié de «nonce auprès du Roi très chré tien et des royaumes de France»: c'était là à ses yeux «une entreprise contre
l'autorité du Roi et une nouveauté contraire à l'ancien ordre et aux lois du
royaume». Faisant droit à la requête de l'avocat du Roi, la cour prononça la
suppression des exemplaires imprimés de la bulle, l'interdiction de publier des bulles sans déclaration du Roi vérifiée en Parlement et ordonna l'emprisonne
ment de l'imprimeur59. Six jours plus tard encore, un conseiller dénonçait un
placard de la même bulle, imprimé par les soins du nonce et envoyé aux arche
vêques, avec prière de la distribuer à leurs suffragante. Sur cet avis, la chambre
renouvela ses interdictions du 6 mai60.
Ces lacunes et ces interventions du Parlement de Paris autour de la bulle
Regiminis apostolici posent tout de même quelques questions: s'agit-il uni
quement de formalités, des fonctions du nonce en France, telles que les conçoi vent les magistrats, de la communication des actes pontificaux dans le royau me, ou bien de la substance de la bulle imposant le formulaire? Dans le dernier
56 M.C., I, col. 377-380. 57
Paris, Archives Nationales, X1A 8394, f. 110-112, Conseil secret, aux 28 et 30 avril; X1A
8664, registre des enregistrements. 58
Paris, Archives Nationales, X1B 8865. 5'
Pétris, Archives Nationales, X1A 8394, f. 121, 6.V.65. 60
Ibid., f. 157-158. 23. VI. 65.
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192 PIERRE BLET S.I.
cas on se trouve renvoyé aux intentions et aux dispositions des gens du Parle
ment de Paris dans l'affaire janséniste: déjà lors de la condamnation des cinq propositions, le nonce Nicolò di Bagno réclamait l'appui du Roi et de la Reine contre les gens du Parlement, favorables à Jansénius.
Du côté du gouvernement royal, les intentions étaient claires: le surlende main du lit de justice, Lionne écrivait à l'abbé de Bourlemont, qui gérait alors l'ambassade de France à Rome, pour lui annonçait l'enregistrement, «qui don
nera comme nous l'espérons le dernier coup à la destruction du jansénisme»61.
Restait à voir dans quelle mesure ces espoirs seraient réalisés et si l'action
conjuguée du Pape et du Roi saurait venir à bout de l'alliance tacite conclue en tre les amis de Jansénius et de Port Royal, les princes ou princesses favorables
au mouvement, les parlementaires, qui regrettaient le temps où ils préten
daient poser à la puissance souveraine du monarque les bornes non seulement
des lois fondamentales de l'Etat, mais aussi de leurs propres arrêts, et les évê
ques, qui entendaient bien maintenir en face de la plenitudo potestatis du Pon tife romain les canons des anciens conciles reçus dans le royaume.
\A suivre]
Rome 169, f. 10. Lionne à Bourlemont, 1. V. 65.
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