60
N°55 MARS 2016 - REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF - 6 EUROS DOSSIER P. 34 LE GRAND ENTRETIEN UN PRINTEMPS POUR LA RÉPUBLIQUE Pierre Dharréville REPRÉSENTATIONS SEXUÉES ET PRODUCTIONS CULTURELLES POUR LA JEUNESSE Sylvie Cromer LA PERFECTIBILITÉ HUMAINE, DES LUMIÈRES AU TRANSHUMANISME Nicolas Le Dévédec P. 42 MOUVEMENT RÉEL P. 40 FÉMINISME Parti communiste français LOGEMENT LE DROIT AU BIEN - êTRE

Logement, Le droit au bien-être

Embed Size (px)

Citation preview

N°55 MARS 2016 - REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF - 6 EUROS

dossier

P. 34 LE GRAND ENTRETIEN

UN PRINTEMPS POUR LARÉPUBLIQUEPierre Dharréville

REPRÉSENTATIONSSEXUÉES ET PRODUCTIONS CULTURELLES POUR LA JEUNESSESylvie Cromer

LA PERFECTIBILITÉHUMAINE, DES LUMIÈRESAU TRANSHUMANISME Nicolas Le Dévédec

P. 42 MOUVEMENT RÉEL P. 40 FÉMINISME

Parti communiste français

LogementLe droit au bien-être

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:13 Page1

SOM

MAI

RE

La Revue du projet - Tél. : 01 40 40 12 34 - Directeur de publication : Patrice BessacDirecteur :Guillaume Roubaud-Quashie • Rédacteurs en chef : Clément Garcia, Léo Purguette, Jean Quétier, Gérard Streiff • Secrétariatde rédaction : Noëlle Mansoux • Comité de rédaction : Caroline Bardot, Stève Bessac, Hélène Bidard, Victor Blanc, Vincent Bordas,Mickaël Bouali, Davy Castel, Étienne Chosson, Maxime Cochard, Séverine Charret, Quentin Corzani, Pierre Crépel, Camille Ducrot,Alexandre Fleuret, Florian Gulli, Nadhia Kacel, Corinne Luxembourg, Stéphanie Loncle, Igor Martinache, Michaël Orand, MarineRoussillon, Stanley Smith, Alain Vermeersch • Direction artistique et illustrations : Frédo Coyère • Mise en page : Sébastien Thomassey

Édité par l’association Paul-Langevin (6, avenue Mathurin-Moreau 75 167 Paris Cedex 19)Imprimerie : Public Imprim (12, rue Pierre-Timbaud BP 553 69 637 Vénissieux Cedex)

Dépôt légal :mars 2016 - N°55 - ISSN 2265-4585 - N° de commission paritaire : 1019 G 91533.

La rédaction en chef de ce numéro a été assurée par Jean Quétier

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

2

3 ÉditoJean Quétier de l’engagement collectif

4 PoÉsiEsVictor Blanc Rouben Melik

5 REgaRdThomas hirschhorn Pixel-Collage

6 u28 LE dossiERLogEMEnt, LE dRoit aU biEn-êtRESéverine Charret, Corinne Luxembourg Logement, sortir de l'urgence,construire pour l'émancipation humaineStéphane Peu Faire du logement une grande cause nationaleIan Brossat dans les métropoles, agir contre le mal-logement et laspéculation immobilièreMarie Rothhahn Le droit au logement opposableCécile Dumas Le droit au logement pour tous en zone touristique ?Jean-Philippe Gasparotto Casser les logiques de marchandisation• Pour un service public du logement et de l’habitatMichèle Picard Le logement en banlieue populaireMichelle Bardot, Lucette Tisserand et Sylvain Girolt Logement social etrénovation urbaine : paroles d’habitantsMonique Pinçon-Charlot, Michel Pinçon L’entre-soi des beaux quartierssous haute protectionMathieu Bauhain Rendre accessible le logement étudiantEddie Jacquemart « tous propriétaires », une tromperie ?Patrice Leclerc Le logement social, réponse à l’urgenceCéline Brodovitch Un marché immobilier de la misèreMakan Rafatdjou Le logement évolutif entre utopies et réalitésMona Chollet s’adapter, mais jusqu’où ?Soraya Baït L’intérieur standardAmar Bellal Rénovation énergétique des logements

29 LECtRiCEs/LECtEURsPatrice Busque La mondialisation (globalisation) est-elle unphénomène naturel ou même divin ?

30 La Revue du projet dans la préparation du 37e congrès

32u33 La FRanCE En CoMMUnÀ la recherche de nouvelles perspectives dans l’ariègede vraies solutions pour les éleveurs, 3 questions à Xavier Compain

34u37 tRaVaiL dE sECtEURsLE gRand EntREtiEnPierre Dharréville Un printemps pour la République PUbLiCations dEs sECtEURs

Véronique Sandoval Un revenu universel ?

38 CoMbat d’idÉEsGérard Streiff Les Français et la politique. Une profonde insatisfactiondémocratique

40 FÉMINISMESylvie Cromer Représentations sexuées et productions culturellespour la jeunesse

42 MOUVEMENT RÉELNicolas Le Dévédec La perfectibilité humaine, des Lumières autranshumanisme

44 histoiREMarc Belissa, Yannick Bosc Les âges du mythe Robespierre

46 PRodUCtion dE tERRitoiREsGérald Billard Les nouvelles prisons françaises

48 sCiEnCEsThierry Argant L'« archéozoologue », un archéologue (presque)comme les autres

50 sondagEsGérard Streiff La perception de la diversité

51 statistiqUEsMickaël Orand Une insertion professionnelle plus difficile pour lesjeunes sortant du supérieur

52u55 CRitiqUEs• LiRE : Vincent Blouet Mais où sont passés les indo-Européens ?• Alexis Cukier, Pierre Khalfa Europe, l’expérience grecque. Le débatstratégique• Yvon Quiniou L’Art et la vie• Commission pour la vérité sur la dette publique grecque La vérité sur ladette grecque• Édouard Louis Histoire de la violence

56 dans LE tExtEFlorian Gulli, Jean Quétier La détermination en dernière instance

58 bULLEtin d’abonnEMEnt

59 oRganigRaMME

semaine de la pensée marxisteL'Union des étudiants communistes organise depuis 2011 une « Semaine de la Pensée Marxiste » àlaquelle est associée, depuis deux ans, La Revue du projet.elle aura lieu cette année du 28 mars au 2 avril, avec pour thème Le Progrès.Des débats sont prévus dans une cinquantaine d'établissements. Une rencontre de la pensée marxiste avec Pierre Laurent et Jean-Pierre Kahane, mathématicienet académicien, conclura l'événement le 5 avril. Elle se déroulera à Sciences-po Paris sur le thème : « Vers le progrès humain ».Le programme complet est consultable sur le site de l'UEC www.etudiants-communistes.org,dans la rubrique « Vie étudiante ».

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:13 Page2

ÉDITO

De l’engagement collectif

Le verdict inique prononcé contre

les syndicalistes de goodyear,condamnés à neuf mois de pri-son ferme pour avoir défendu

leur emploi, a provoqué la sidération.L’acharnement d’un appareil judiciairemis au service du patronat contrasteavec l’indulgence relative dont ont béné-ficié les jérôme Cahuzac et autresthomas thévenoud. aux yeux du pro-cureur de la République, retenir pendantquelques heures les cadres d’une entre-prise préparant des licenciements mas-sifs, serait-ce moins pardonnable quede pratiquer la fraude fiscale ou de souf-frir de « phobie administrative » ? Posonsla question de manière frontale : cettecondamnation n’est-elle qu’une drama-tique exception, un abus sordide maisrésiduel dans une société où les mili-tants syndicaux pourraient – grossomodo – exercer leur activité normale-ment ? Car heureusement, en France,on ne met pas encore tous les syndica-listes en prison. Faut-il en conclure quel’indispensable et urgente relaxe desgoodyear marquerait le retour à ce quel’on nomme parfois un « dialogue socialapaisé » ?

il y a des raisons d’en douter et de consi-dérer que la condamnation desgoodyear n’est pour ainsi dire que la par-tie émergée de l’iceberg. il convientd’abord de rappeler que la répressionantisyndicale touche, sous des formesdiverses, tantôt ouvertes, tantôt larvées,le syndicalisme dans son ensemble. Àce titre, la lutte des goodyear est bel etbien l’affaire de tous. il faut ensuite pren-dre acte du fait que nous assistons à unestratégie concertée du gouvernementdit « socialiste » et de la droite visant àfragiliser et à briser systématiquementtoutes les structures de l’engagementcollectif. ne sous-estimons pas la cohé-rence de la politique que nous subis-

sons : l’objectif poursuivi par nos diri-geants néolibéraux à la botte du patro-nat est d’atomiser la société et de ren-dre impossible toute alternativeprogressiste. Les différentes dérégula-tions mises en place par le ministre del’Économie vont clairement dans ce sens.En dénonçant les garanties dont béné-ficieraient les salariés et en versant deslarmes sur le sort des employeurs,Emmanuel Macron ne se prête pas seu-lement à une provocation supplémen-taire. il dévoile par la même occasion unprojet de société où le salariat tel quenous le connaissons, avec ses droits pro-tégés par le code du travail et ses luttespermises par la conscience d’intérêtscommuns, laisserait la place à un essaimd’auto-entrepreneurs précaires qu’ontente de nous faire passer pour despatrons. La situation des pilotes d’avionde la compagnie Ryanair est sympto-matique : le sénateur communiste Éricbocquet avait mis en évidence le faitque nombre d’entre eux ne sont pas àproprement parler salariés de l’entre-prise. ils sont à la tête d’une société deservices employée par une société d’in-térim, elle-même employée par Ryanair.Les pilotes doivent également financereux-mêmes leur formation initiale, payerpour travailler en somme… Le rêve du« tous entrepreneurs ! » vanté par leMEdEF est à ce prix. « L’ubérisation » del’économie, dont on parle de plus en plus,est bel et bien à l’ordre du jour : com-ment saurons-nous y répondre ?

nous sommes confrontés à l’alternativesuivante : ou bien nous serons à mêmede renforcer et de reconstruire les orga-nisations collectives qui donnent à voirque la solidarité n’est pas un vain mot –et à ce titre, le Parti communiste fran-çais a un rôle à jouer qui est considéra-ble – ou bien la division de la sociétégagnera du terrain. Et c’est bien d’une

alternative qu’il s’agit : le repli individua-liste n’a rien d’inexorable. dans son der-nier livre intitulé Le Bourg et l’Atelier –Sociologie du combat syndical, julianMischi cherche à montrer comment lesstructures collectives de revendicationet de lutte peuvent malgré tout permet-tre aux classes populaires de construiredes cadres de mobilisation progressistes.s’appuyant sur une enquête menéeauprès des militants du syndicat Cgtde l’atelier snCF de Rivey-les-bordes –nom fictif d’une commune bien réellesituée dans une zone rurale de l’Est dela France, à distance des grandes métro-poles – le sociologue entend montrerque les habitants des zones périphé-riques, et notamment les ouvriers, qui yoccupent une place centrale, ne sontpas condamnés au repli identitaire et auvote Front national. Contrairement auxschémas simplificateurs véhiculés pardes publicistes en vogue comme le géo-graphe Christophe guilluy ou encore parles adeptes de la notion « d’insécuritéculturelle », les classes populaires nesont pas toutes obsédées par la ques-tion de l’immigration et elles disposentpar ailleurs d’outils permettant de por-ter haut et fort des solutions collectives.si ces outils sont menacés, ils n’ont paspour autant disparu et notre rôle est deles développer, de les renforcer, de lesfédérer. n’est-ce pas là une des tâchesurgentes et centrales des communistesd’aujourd’hui ?

JEAN QUÉTIERrédacteur en chef

de La Revue du projet

3

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:13 Page3

MÉTÉORE 17Je descendrai pour voir encore à Bir HakeimS’il en sera toujours de moi pareil Vel’d’Hiv’Aux soirs passés de ces grands soirs de requiemCarillonnés soufflant au corps de ces quels riv

ages de la Baltique où se pointa l’auroreDans les canons pointés sur les palais d’hiverÀ l’entour de la terre où fut le météoreDix-sept à tout jamais pour orchestrer l’ouver

ture de l’opéra de notre joie. AinsiDe quel poème ancien s’agira-t-il de moiPour le cristalliser dans ce poème-ciPar les formations en creux de la mémoi

re historique ? Accrochez-vous bien mes camarades.Il en fallut du cœur pour se mettre à l’ouvrage et de la déraison dans le langage aux gradesMesuré. Murmuré. Cassé. Crevé. Quel vra

quier affréter pour transporter ce siècle à l’autre où sera l’autre espace à l’homme interstellaire un rafraîchissement dans la clarté de l’eauSi pure à s’y noyer, quel cheval s’attelai

t à quel fourgon de guerre à l’accent d’une lettreAu vers suivant jeté pour que la liaisonDu cœur à la raison demeure à se remettreEn la bonne santé d’une belle saison

Dans la promiscuité terrestre où l’universSe met en rang sur le trottoir des révolutions. C’est le couloir qu’il faudra de traversTraverser jusqu’à la station de la lu

tte. Ici le mot se coupe et manque la finaleOù le mur assemblait un chant à son devoirDans le discours changé d’une aube en diagonaleQui me fera descendre à Bir Hakeim. Pour voir. »

POÉS

IES

4

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

L e temps des Cerises réimprime une anthologie despoèmes de Rouben Melik, En pays partagé. L’occasionde découvrir ou de redécouvrir un poète qui savait mieux

qu’un autre que la poésie est affaire de travail. Rouben Melik(1921-2007) est un poète français d’origine arménienne. durantses études, il suit les cours de bachelard, Valéry, et surtoutjacques decour, qui lui font découvrir la poésie moderne. ildécouvre Paul Éluard et les surréalistes. Mais ces années deformation sont bien vite interrompues par la guerre. Melik,influencé par decour, adhère au PCF clandestin en 1942 et s’en-gage dans la Résistance, à la préfecture – où il dérobe des docu-ments pour les sauver de l’occupant –, autour du « groupeManouchian », et aussi comme intellectuel où, au côté d’Éluard,aragon, Char et d’autres, il participe comme jeune poète à lapoésie de la Résistance.

L’art de Melik est tout entier traversé d’une passion : l’alexandrin.Le poète en connaît toutes les coutures, le patron classiquecomme les moulures modernes. Ce vers –incarnation de la poé-sie française s’il en est – aura été pour lui terrain d’expériencesverbales. Melik tire leçon des avancées prosodiques de son siè-cle – sur la rime, avec apollinaire et aragon –, mais surtout surle vers. L’alexandrin coûte que coûte. quand son vers arrive àdouze syllabes, il passe au suivant. Même s’il est au milieu d’unmot. Là encore, on trouve ici où là des exemples de ce procédédans la poésie française. Chez aragon, par exemple, dans LaGrande Gaîté, où quand on lui demande pourquoi il va si sou-vent à la ligne, il répond que c’est pour « une raison indigne d’êtrecou / chée par écrit ». Mais il s’agissait là d’une provocation, d’unart poétique négatif, antipoétique, où la coupe sape et délégi-timise le vers. on peut penser aussi à jean Ristat, son cadet, quipopularisera une pratique de la coupe similaire. Mais là encore,la pratique de Melik diffère. Chez Ristat, la coupe, la décapita-tion, est une pratique de déconstruction qui arrache du vers unélément sonore pour créer des vocables nouveaux avec par-fois des effets de sens – détricotage, retricotage... Chez Melik lacoupe n’est pas essentiellement sonore. Certes, elle décuplele répertoire de rimes possibles. Mais elle ne sert pas à créer dessons neufs. dans « Météore 17 », on peut voir comme, parfois,la coupe n’a pour seul effet sonore que de lancer le vers suivantsur une consonne (rajouter une attaque), plutôt que par unevoyelle : « attelai / t à quel fourgon... ». Mais alors quoi ? dans lespoèmes de Ruben Melik, la coupe aurait plutôt pour but de relierles vers entre eux, forcer l’enjambement en jouant de la diffé-rence verbale et syllabique (dans notre exemple le – t appar-tient verbalement à attelait, mais si l’on décomposait les syl-labes, n’était la fin du vers, il appartiendrait à la syllabe suivante/ta/) : c’est un art de la broderie, de la tapisserie. La patience dutisserand qui veille à la continuité du chant.

on sait grâce à hugo puis aragon que ces petits jeux formelsne sont pas toujours vains. Les grands poètes font marcher depair les jeux du vers et la course de l’histoire. j’en veux donnerun exemple précis. il y a parfois des accrocs dans la tapisseriequi laissent rêveur. Ce « Météore 17 » qui aura traversé le xxe

siècle, c’est évidemment la révolution russe d’octobre 1917.avec dans son sillage tous les espoirs, les camaraderies, lesdouleurs et les tragédies. Le poète mélancolique salue cemétéore qui a porté l’aurore. Mais observez les deux dernièresstrophes, le passage de l’une à l’autre plus précisément.« traverser jusqu’à la station de la lu // tte. ici le mot se coupeet manque la finale ». Cette coupe sur le mot même de la luttem’émeut. La brusquerie. La déportation d’une strophe à l’au-tre. il y a dans cette coupe l’histoire de toutes les révolutions

avortées du siècle passé. Et le temps passe, la tapisserie conti-nue. Mais ces trois lettres détachées – tte sont des fantômes.Elles n’ont pas d’existence physique dans le vers – tout justeune dentale appuyée en début de vers. Elles ne comptent pourrien dans le décompte syllabique de l’alexandrin : elles ne man-quent pas au vers dont elles sont issues, et n’ajoutent rien auvers qui les accueille. déracinées. Comme beaucoup le furentdans le siècle des défaites ; comme beaucoup le sont aujourd’huidans celui des reculades. il faudra bien, comme le poète nousy invite, « de travers traverser le couloir », recoller les deux mor-ceaux de la lutte. Mais ce constat amer, effrayant : « manquela finale », à travers ces trois lettres arrachées, c’est bien la luttefinale qui a manqué à tous ces gladiateurs de l’espoir. brisés,déchus. Et pourtant qu’avons-nous d’autre à faire que de chan-ter : « l’internationale sera le genre humain »...

VICTOR BLANC

Rouben Melik

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:13 Page4

REGARD

La REVUEdU PRojEt

FÉVRiER 2016

5

C onnu pour ses œuvres participatives et ses monumentsaux penseurs critiques tel que gramsci, bataille et

spinoza, thomas hirschhorn propose dans une expositionparisienne une autre forme plus visuelle de son travail.Consacrée à l’utilisation du floutage et du pixellisage dans lesimages des mass media, son exposition Pixel-Collage tentede remettre en question et de problématiser cette habitude :

« La pixellisation ou le floutage ont pris le rôle de l’authenti-cité.[...] La pixellisation ou le floutage sont justifiés pour “pro-téger le spectateur”, pour protéger quelque chose dans l’imageelle-même, ou pour “protéger” une information censée appa-raître dans l’image. je n’accepte rien de “protecteur” et jepense que personne aujourd’hui ne peut accepter une quel-conque autorité de la protection. »

thomas Hirschhorn Pixel-Collage galerie Chantal Crousel

Pixel-collage

NAÏM RHIMI

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:13 Page5

6

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

Le logement, enjeu fondamental de la dignité humaine, est rede-venu cette urgence, qu’il y a quarante ans, on pouvait penserréglée. instrument de la mise en œuvre de la ségrégation ou aucontraire de justice sociale, le logement, est au cœur desréflexions d’un projet communiste.

Logement, Le droit au bien-êtreD

OSS

IER

PRÉSENTATION

sortir de l’urgence, construirepour l’émancipation humaine

modernité, sont devenus les symbolesdu « malaise des banlieues », les mar-queurs dans le paysage d’un « apar-theid territorial et social » (ManuelValls) dans une France où le rêve seraitd’être propriétaire d’un pavillon indi-viduel. Ces grands ensembles sontd’ailleurs les premières cibles des opé-rations de rénovation urbaine.Entre-temps, que s’est-il passé ? À par-tir du milieu des années 1970, la dés-industrialisation a privé d’emploi unepartie des habitants entraînant unepaupérisation des quartiers populaireset le désengagement financier de l’Étata laissé place au marché, la seulecontrainte étant la loi SRU (Solidaritéet renouvellement urbains) qui « impo-sait » aux communes de disposer de20 % de logements sociaux, suivie plusrécemment par la loi ALUR (Accès aulogement et urbanisme rénové) fai-sant passer ce taux à 25 %. On sait avecquels résultats ! Quant aux communesengagées dans la démarche solidairede construire du logement pour tous,elles ont peu à peu été privées desmoyens d’agir par les baisses des dota-tions de l’État aux collectivités territo-riales.

Alors que le nombre de sans-logis, demal-logés n’a jamais été aussi grand(3,8 millions de personnes selon le 21e

rapport de la Fondation abbé Pierre),que des bidonvilles se reformentnotamment pour « accueillir » lesmigrants, que l’endettement desménages désireux d’acquérir leurlogement explose, révélant des iné-galités croissantes, la question dudroit à un logement décent redevientune urgence.Et ce n’est pas la loi « Égalité Citoyen -neté » que le gouvernement prévoitde présenter avant le printemps quidevrait y répondre. Le texte, qui envi-sage « des moyens supplémentairespour imposer des programmes delogements sociaux dans les com-munes carencées » et plus de libertéaux bailleurs sociaux pour fixer lesloyers, fait du logement un moyend’action « en faveur de l’égalité et desvaleurs de la République » au côté del’école, de la langue française, de lalutte contre les discriminations, de laréserve citoyenne et du service civique(site Internet du Commissariat géné-ral à l’égalité des territoires).Le logement n’y est envisagé que sous

PAR SÉVERINE CHARRETET CORINNE LUXEMBOURG*

l y a soixante ans, au sortir de laSeconde Guerre mondiale, laFrance traversait la plus gravecrise du logement de son his-toire. Aux destructions (500 000immeubles détruits et près de

2 millions endommagés) s’ajoutaientl’arrivée des générations du baby-boom mais également l’afflux vers lesvilles de nombreux travailleurs issusdes campagnes ou de l’immigration.Pour répondre à ces nouveauxbesoins en logements, l’État s’enga-gea massivement. Tandis que l’aug-mentation des salaires permettait àdes ménages plus nombreux d’inves-tir dans un logement, la constructiondes grands ensembles se traduisit parla disparition des bidonvilles instal-lés en périphérie des grandes villes etl’amélioration du confort des loge-ments pour les classes populaires.Aujourd’hui ces mêmes grandsensembles, synonymes dans lesannées 1960-1970 de progrès et de

I

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:13 Page6

7

DO

SSIE

R >

LOG

EMEN

T, L

E D

ROIT

AU

BIE

N-Ê

TRE

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

l’angle de la mixité sociale : cruelle etcynique défaite idéologique, lorsquel’on sait que ce vocable doit justifierde la baisse de financement du loge-ment social dans des quartiers qui en« auraient trop », rarement pour queles ghettos de riches s’ouvrent auxclasses populaires ! Or ceux qui usentet abusent de « mixité sociale », sontles mêmes qui façonnent la politique

de la ville en termes de « crise »,« d’écheveau de pathologies », de« handicaps sociaux » ou autre « dys-fonctionnements urbains ». Les motsont leur importance ; lorsque ceuxqui concernent les quartiers popu-laires parlent de « retour au droit com-mun », de « réinsertion dans les ter-ritoires de la République », de« rétablissement de l’égalité », et s’ins-crivent clairement dans les champslexicaux de la maladie ou de la délin-quance, la perspective du logementcomme vecteur d’émancipations’obscurcit nettement !

Logement et quaLité urbaineIl y a moins de dix ans à peine, les dis-cours politiques, d’où qu’ils venaient,s’attachaient au « droit à la ville », per-vertissant la substance révolution-naire et émancipatrice des travauxd’Henri Lefebvre. Comme si le « droità la ville » n’était que la possibilitéd’entrer en ville et non pas le droit dedécider et d’œuvrer à une transfor-mation pour plus de justice sociale et

spatiale. Suivant le même rapport deforce symbolique qui fait adopter auxdominés le vocabulaire des domi-nants, il s’agit de vider de leur sub-version les mots forgés par les domi-nés. Le droit à la ville s’adresse d’abordaux marges, aux subalternes, aux péri-phéries. Il implique l’accès aux débatspolitiques, à la centralité et à la diffé-rence.

Ce que le logement porte alors c’estce potentiel émancipateur. D’une partparce qu’il doit accueillir, protéger, ilest cette coquille indispensable et, ce,quels qu’en soient la forme, le lieu,l’environnement, la sédentarité ou lamobilité ; d’autre part, parce qu’il doitlaisser libre cours à l’inventionhumaine dans ses façons de l’appro-prier, de l’occuper, de s’y occuper, dele faire évoluer au fur et à mesure dela formation et de la re-formation dufoyer. Il s’agit de garder à l’esprit cecontenu subversif de ce qui fait la ville.Sur fond de contexte libéral capita-liste, la réponse à la revendication dudroit au logement s’est traduite parune perte de qualités urbaines, sansplace pour des espaces urbainsouverts susceptibles d’être le lieud’une éducation populaire et com-mune à la ville.

Dans un dossier précédent de LaRevue du projet Anne Querrien écri-vait ceci :« On ne peut parler du logementpopulaire – qui devrait être bon mar-

ché, modifiable, aimable – qu’en s’in-téressant également à son environ-nement, aux transports qui le lient àl’ensemble des lieux de travail ou deloisir alentour et à la multiplicité desespaces publics ou privés fréquenta-bles. Le renouveau du logementpopulaire exige qu’il ne soit pas relé-gué, et que de nouvelles mesuressoient prises pour lui dégager desemprises urbaines bon marché ougratuites. Une réflexion collective,politique, syndicale et associative,devrait mettre en commun les droitset les devoirs associés à la propriétéet à la location aujourd’hui pour défi-nir un statut de propriété sociale tem-poraire, ajustable aux besoins de lavie, modifiable par ceux qui ont desprojets d’installation longue, banali-sée pour ceux qui préfèrent la mobi-lité. La propriété ne devrait plus êtreopposée à la location ; le droit d’usaged’un logement devrait être achetécontractuellement pour un tempsindéterminé et transmis selon desrègles qui en assurent un entretiennormal. Un logement populaire nedoit être ni un bien spéculatif ni unespace répétitif et pédagogique, maisdoit donner à chacun la liberté d’or-ganiser sa vie hors travail à sa manière.La richesse des aménagements inté-rieurs dont sont capables les habi-tants des quartiers populaires est miseen valeur dans le livre Le renouvelle-ment urbain. Le logement populaireà venir sera toujours plus divers, plusapte à accueillir les trajectoiressociales les plus variées ». n

« sur fond de contexte libéral capitaliste,la réponse à la revendication du

droit au logement s’est traduite parune perte de qualités urbaines »

*Séverine Charret et CorinneLuxembourg sont responsables de larubrique Production de territoires deLa Revue du projet. Elles ont coor-donné ce dossier.

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:13 Page7

8

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

DO

SSIE

Rvous de la production. Mais pour cela,un virage à 180 degrés de la politiquedu logement menée par l’actuel gou-vernement est indispensable. Le loge-ment doit être déclaré grande causenationale et des mesures fortes doi-vent être prises dès maintenant.

Premièrement, les aides à la pierredoivent être réinscrites telles quellesdans le budget de l’État, et leur mon-tant de 2012 doublé comme cela figu-rait dans le programme du candidatHollande.

Deuxièmement, il faut incontesta-blement s’appuyer sur l’épargnepopulaire (Livret A). La Caisse desdépôts et consignations (CDC) doit,dès à présent, offrir des conditionsfinancières plus avantageuses auxorganismes HLM en allongeant parexemple, la durée des prêts et leurbonification.

Troisièmement, il faut lever immé-diatement tous les blocages perma-nents de l’administration pour queles projets existants sur le foncierdécoté de l’État soient plus rapide-ment lancés.

Quatrièmement, l’accumulation denormes contraignantes est égalementun frein considérable à la construc-tion de logements, leur simplification

est donc nécessaire. L’Ordre nationaldes architectes foisonne de bonnesidées sur le sujet.

Il s’agit donc de quatre mesuresconcrètes visant à amorcer rapide-ment la relance de la production delogements qui peuvent être prisessans délai.

La politique du logement a besoind’une relance efficace de la produc-

tion par l’initiative publique. Il esttemps que le gouvernement prenneréellement la mesure de la crise quenous traversons. Les erreurs du passédoivent être corrigées. Le marché nepeut en aucun cas être l’alpha etl’oméga de notre politique du loge-ment car agir ainsi c’est ouvrir la porteà toutes les dérives spéculativesqu’autorise notre économie financia-risée, bancarisée. Aujourd’hui, on voitbien que le dérèglement du marchéimmobilier conduit à un accroisse-ment constant du coût du logementqui pénalise en premier lieu lescouches populaires et participe del’accroissement des inégalités. Le der-nier rapport de la Fondation AbbéPierre est intraitable : le logement yapparaît comme « un facteur majeurdans l’approfondissement des inéga-lités, au cœur du processus de décro-chage des couches populaires. »

Le Logement n’est Pas une marCHandisequeLConque !Le gouvernement s’entête à s’orien-ter vers des solutions libérales alorsqu’elles ont toujours produit descatastrophes, comme en Espagne, enGrèce ou au Portugal. Le logementn’est pas une marchandise quel-conque ! À l’instar de la santé ou del’éducation, il s’agit à la fois d’un droitet d’un bien de première nécessité.Les politiques fiscales, financières etl’engagement de la nation doivent entirer toutes les conséquences. Les bri-colages du gouvernement ces der-nières années sont un non-sensabsolu. Ils sont socialement injusteset économiquement contre-produc-tifs pour la croissance et l’emploi. Iln’y a qu’à observer les résultats : laproduction est catastrophique, lenombre de personnes frappées deplein fouet par la crise du logementne cesse d’augmenter – le dernier rap-port de la Fondation Abbé Pierre estparticulièrement édifiant à ce sujet,avec près 15 millions de personnestouchées –, les conséquences socialeset économiques sont dramatiquespour les personnes concernées etpour le pays. À en croire les dernièresdéclarations du Président de laFédération du bâtiment, JacquesChanut, le secteur devrait enregistrer

PAR STÉPHANE PEU*

d epuis plusieurs années, lacrise du logement frappe deplein fouet toute l’Europe. En

France, la pénurie de logements avoi-sine le million, dont 500 000 en Île-de-France. La part du logement dansle budget des ménages n’a fait qu’aug-menter avec la crise : 27 % aujourd’huicontre 18 % en 2000, jusqu’à 40 % enzones tendues comme l’Île-de-France. Dans les métropoles, la spé-culation immobilière s’accentue, avecdes conséquences insupportablespour les plus modestes : loyers horsde prix, augmentation des impayéset des expulsions, marchands de som-meil qui gèrent des logements insa-lubres et surpeuplés, etc.

François Hollande, alors candidat àl’élection présidentielle, s’était engagéà faire du logement une priorité deson quinquennat. Presque quatre ansplus tard, son gouvernement est alléde renoncement en renoncement surce droit pourtant fondamental pourtout individu. Jamais il n’atteindra sonobjectif de construire 500 000 loge-ments – dont 150 000 logementssociaux – par an. Ce chiffre n’est pour-tant pas dû au hasard et s’il avait étéatteint, il aurait dû permettre d’ap-porter une réponse concrète et effi-

cace à la pénurie de logements quifrappe durement notre pays depuis1945. Tous les acteurs du logement yont cru, et aujourd’hui la désillusionest immense. Chaque année qui passeest plus catastrophique que la précé-dente en matière de production.

des soLutions existent Les organismes HLM, garants d’unlogement généraliste et bon marché,sont mobilisés pour être au rendez-

Faire du Logement une grande Cause nationaLeÉlargir la mobilisation autour du logement pour empêcher l’approfondis-sement des inégalités.

« Un facteur majeur dansl’approfondissement des inégalités,

au cœur du processus de décrochage des couches populaires. »

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:13 Page8

DO

SSIE

R >

LOG

EMEN

T, L

E D

ROIT

AU

BIE

N-Ê

TRE

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

9

cette année une perte historique de45 000 emplois. Malheureusement, lesecteur du bâtiment et du logementpaye cash la politique d’austérité etle ralentissement de l’activité écono-mique. Et ce, alors même que l’offrereste très inférieure à la demande.La relance économique du pays doitpourtant passer par le monde HLM,grand pourvoyeur d’emplois nondélocalisables, et donc moteur de lacroissance retrouvée. Plus de 70 % desFrançais ont droit aux HLM et 81 %souhaitent qu’on développe cet habi-tat populaire. Qu’attendons-nouspour créer un véritable service publicdu logement social ?

Ce gouvernement qui a supprimé lesaides à la pierre du budget de l’État,qui n’a de cesse de vouloir raboter lesAPL mais qui maintient en revancheles produits de défiscalisation, est ungouvernement aux inspirations pure-ment libérales qui engendre davan-tage de spéculation, favorise la renteimmobilière et la multipropriété audétriment de l’accès au logement duplus grand nombre.Il faut que les choses changent et pourcela la bataille sur le logement doitêtre menée urgemment. Si elle ras-semble largement au-delà de nosrangs politiques, aujourd’hui les luttessont trop sectorisées. Pourtant les

libéraux sont déterminés sur ces ques-tions. Nous devons donc réfléchir etsurtout agir rapidement afin d’élar-gir la mobilisation sur le logement. Ily a un enjeu énorme à faire conver-ger les luttes sur ces questions. Le Particommuniste français doit être moteurde cette union. n

*Stéphane Peu est président dePlaine Commune Habitat. Il estresponsable du secteur Logement duConseil national du PCF.

Vers 30 % de LogementssoCiaux à ParisÀ Paris, 20 % des logements étaientsociaux en 2014. La loi Solidarité etrenouvellement urbain (SRU), donton a fêté l’an passé le quinzième anni-versaire, nous prescrit de passer à25 % d’ici 2025. Notre ambition estd’atteindre 30 % à l’horizon 2030. Cesobjectifs élevés nécessitent un inves-tissement public massif. À rebours duclimat d’austérité, et notammentgrâce à l’action du groupe charnièrePCF/Front de Gauche, Paris a choiside mettre en œuvre un plan derelance de 10 milliards d’euros sur sixans. Un tiers de ces investissementssera dédié au logement : 3 milliards

d’euros, c’est le plus gros budget dela Ville. C’est une réponse à l’urgencesociale. C’est aussi un soutien à l’ac-tivité économique (chaque logementconstruit crée en moyenne 1,7 emploiselon la Fédération française du bâti-ment).Ce choix politique fort se heurte àdeux types d’opposition : le manquede moyens organisé par l’État et larésistance au rééquilibrage entre l’Estet l’Ouest. En effet, d’un côté l’Étatpersiste à diminuer les « aides à lapierre » (en 2015, à elle seule, la Villede Paris investit davantage que l’Étatau niveau national pour le logementsocial). Seuls 250 millions d’euros yseront consacrés en 2016, loin des

PAR IAN BROSSAT*

F aciliter l’accès au logementpour tous est le pivot de toutepolitique progressiste de l’ha-

bitat. C’est la mise en application du« droit à la ville » théorisé par le socio-logue Henri Lefebvre. Un droit quidoit aussi être, pour les classes popu-laires, celui de changer la ville selonla volonté et les besoins du plus grandnombre, et non selon les intérêts dela minorité privilégiée, comme l’éta-blit le géographe David Harvey. D’oùl’importance pour la puissancepublique de s’imposer face auxlogiques de marché.

dans Les métroPoLes, agir Contre Le maL-Logement et La sPéCuLation immobiLièredepuis l’exode rural de la fin du xixe siècle, les besoins en matière de loge-ment s’accroissent dans les grandes aires urbaines. inflation des loyers, sur-occupation, habitat insalubre, marchands de sommeil  : en regard de cesphénomènes connus du mal-logement d’autres se développent, comme lavacance de milliers de mètres carrés de logements et de bureaux, la spécu-lation immobilière qui accroît la rareté de l’offre ou la « gentrification » desquartiers populaires. Entre pénurie endémique et enjeux de rentabilitéconsidérable, le marché du logement a fait de longue date la démonstrationde son inefficacité dans les métropoles. Face au laisser-faire, la mobilisationpolitique et l’action publique donnent des résultats.

s

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:13 Page9

*Ian Brossat est maire adjoint (PCF)de Paris, chargé du logement et del’hébergement d’urgence.

besoins constatés et du doublementpromis par François Hollande durantsa campagne. De l’autre côté, élus dedroite et riverains organisent une véri-table résistance à l’implantation delogements sociaux dans les « beauxquartiers », ces arrondissements lour-dement déficitaires de l’Ouest. Ainsi,le XVIe, arrondissement le plus vastede Paris et le deuxième le moinsdense, demeure l’un des moins dotésen logements sociaux (3,7 %).Le rééquilibrage territorial est l’enjeud’une véritable lutte de classe : lemaire de cet arrondissement, alimen-tant les associations de riverains, aainsi bloqué pendant 10 ans la créa-tion de 176 logements sociaux. Dèsnotre arrivée en responsabilité, nousy avons conventionné plus de 1 300logements libres, afin que ces loge-ments deviennent de véritables HLM.Nous avons également pu y lancerplusieurs chantiers depuis le débutde la mandature, notamment à tra-vers l’optimisation de parcelles exis-tantes, mais aussi par la transforma-tion d’immeubles de rapport ou debureaux en immeubles de logementssociaux…

enrayer L’irrationaLité du marCHéInvestisseurs, promoteurs et mar-chands de biens ont fait de Paris leurterrain de jeu depuis des décennies,participant à la spirale inflationnistequi modifie la structure sociologiquedes quartiers populaires. Face à cesacteurs dominants, la puissancepublique doit s’imposer. C’est la rai-son pour laquelle, en s’inspirant despratiques des municipalités à direc-tion communiste de la petite cein-ture, nous avons mis en place unecharte anti-spéculative visant à bri-ser les surenchères foncières. Elle fixepour chaque terrain à construire lemontant de la charge foncière atten-due, l’acheteur s’engageant sur lesprix finaux les plus bas (dans le res-pect de la qualité).

La plupart du temps, les outils derégulation des élus progressistesconsistent à abaisser la sur-rentabi-lité des opérations spéculatives. Ainsi,le Plan local d’urbanisme (PLU) per-met de grever des centaines d’immeu-bles de réserves, obligeant leurs (gros)propriétaires à créer du logementsocial s’ils souhaitent vendre leurbien. Les « ventes à la découpe », cesopérations de spéculation immobi-lière menées tambour battant ces der-nières années, se sont vues stoppéespar notre opposition systématique.La Ville utilise notamment l’outil dela préemption pour permettre,

chaque fois que c’est possible, lemaintien dans leurs logements delocataires qui en auraient été chas-sés. Enfin, enjeu de taille en cette ère

« d’uberisation », le grignotage dessurfaces de logement par la locationmeublée touristique de courte durée

appelle une réaction de la municipa-lité. Barcelone ou New York, villesgérées par la gauche, ont mis en placede fortes limites à la toute-puissancedes plateformes qui monnaient leursservices aux utilisateurs tout en défis-calisant via les paradis fiscaux. Lespopulations acceptent de moins enmoins le mitage des immeubles dû àla rentabilité plus forte de la locationde courte durée, qui rapporte près detrois fois plus que la location tradi-tionnelle.Ainsi, dans une grande métropolecomme Paris, l’encadrement desloyers ne peut être que le premier acted’un plan plus vaste de démarchan-disation du logement. Pour consoli-der le droit à la ville, les communistessont appelés à inventer. n

Porté de longue date par de nombreuses organisations, le droit au logement oppo-sable a été consacré par la loi du 5 mars 2007, instituant une obligation de résul-tat à la charge de l’état.depuis le 1er janvier 2008, six catégories de ménages peuvent donc déposer unrecours auprès de commissions départementales de médiation, qui sont char-gées de déterminer si les requérants sont prioritaires pour accéder à un loge-ment ou à un hébergement. s’ils le sont, ils doivent se le voir proposer dans undélai prévu par la loi ; à défaut, un recours contentieux peut être engagé devantle tribunal administratif contre l’état pour le condamner à reloger et à verser uneastreinte au Fonds national pour l’accompagnement vers et dans le logement.Fin 2014, on dénombrait 560 000 recours logement et hébergement déposésdepuis 2008, dont une grande majorité de recours logement. Ce chiffre est cepen-dant fortement en deçà du nombre de ménages éligibles, et la mise en œuvre dece droit a régressé sur certains territoires.Le taux de reconnaissance du caractère prioritaire a constamment diminué depuis2008 (32 % actuellement) mais le nombre de ménages restant à reloger ne cessede croître, pour atteindre plus de 59 000 (majoritairement en Île-de-France eten PaCa). Parallèlement, la circulaire du 26 octobre 2012, qui enjoint aux préfetsde reloger les ménages prioritaires daLo avant qu’ils ne soient expulsés, est demoins en moins appliquée.Face à ces dysfonctionnements dans l’application du daLo, il est nécessaire dese donner les moyens de sa mise en œuvre en engageant une série de mesures,visant d’une part à faciliter le relogement des ménages en mobilisant tous lesréservataires de logements sociaux mais également le parc privé, d’autre part enrenforçant le rôle, les moyens et les responsabilités des préfets. il faut aussi faci-liter l’accès au daLo en développant l’information et l’accompagnement desménages dans la mise en œuvre de ce droit.un plan national d’action décliné en une instruction du 6 février 2015 visant à« remédier à l’effectivité partielle du droit au logement opposable dans les zonestendues » aurait dû œuvrer dans ce sens, mais force est de constater, près d’unan plus tard, que cela reste cruellement insuffisant.

LE dRoit aU LogEMEntoPPosabLE

Marie Rothhahn est chargée de mission Accès aux droitsà la Fondation Abbé-Pierre.

« Élus de droite etriverains organisent

une véritablerésistance à

l’implantation delogements sociaux

dans les “beauxquartiers”. »

10

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

DO

SSIE

R s

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:13 Page10

DO

SSIE

R >

LOG

EMEN

T, L

E D

ROIT

AU

BIE

N-Ê

TRE

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

11

tées aux évolutions de la demande.En effet, pourquoi ne pas avoir choisiune activité d’hébergement des tou-ristes essentiellement en hôtellerieou en pension de famille ? L’industrietouristique amplifie la spéculationfoncière et les conflits d’usage.

absenCe de PoLitique FonCière et soumissionaux inVestisseurs PriVésSur la Côte d’Azur, ces difficultés sontamplifiées par un manque de volontéévident de la part des responsablespolitiques en place de mettre enœuvre une vraie politique foncière etun encore plus grand manque devolonté de construire des logementsà prix décents et l’incroyable sou-

plesse des responsables politiqueslocaux face aux investisseurs privés.Nous arrivons à un paradoxe où lapréfecture annonce qu’il manque aumoins 80 000 logements sociaux dansle seul département des Alpes-Maritimes, un nombre presque équi-valent à celui des logements vacantset de résidences secondaires ou occa-sionnelles.D’après un recensement de 2007,dans les trois plus grandes villes dudépartement (Nice, Antibes etCannes), le nombre de résidencessecondaires ou occasionnelles s’élèveà environ 71 000 et le nombre de loge-ments vides est de 34 100. On marchevraiment sur la tête !Les habitants permanents des zonestouristiques sont donc extrêmementpénalisés par cette frénésie acheteusequi dope la spéculation immobilière,qui organise la rareté des logements,la rareté du foncier et oblige les habi-tants actifs à s’éloigner considérable-ment de leur lieu de travail.

des soLutions PoLitiquesSans mésestimer l’intérêt de ces rési-dences secondaires pour l’économiedu BTP et parfois la valorisation dupatrimoine ancien, il faut trouver dessolutions politiques qui changent lemode de développement de l’urba-nisation dans ces zones touristiques.Ces solutions ne peuvent pas seule-ment être fiscales. La taxe sur les loge-ments vacants ou la majoration de lataxe d’habitation sur les résidencessecondaires sont utiles aux com-munes puisqu’elles représentent desrecettes supplémentaires, mais ellesne permettent pas de remettre dansle parcours d’accès au logement denouveaux biens.Sans ouvrir « les volets clos », le droitau logement pour tous ne sera qu’unslogan dans les zones comme la Côted’Azur. Il est important de mettre finà tous les dispositifs de défiscalisa-tion concernant l’hébergement tou-ristique neuf. Pourquoi ne pas inclureles résidences secondaires dans le cal-cul imposé aux communes assujet-ties à la loi SRU pour la constructionde logements sociaux ? Pourquoi nepas limiter le taux de résidencessecondaires dans les documents d’ur-banisme comme les PLU ?Les permis de construire devraientpouvoir être différenciés selon le typed’habitat (permanent ou secondaire).Pourquoi ne pas utiliser les droits depréemption des communes pourreprendre les logements vides ? Il estaussi indispensable d’obliger les ter-ritoires à appliquer des politiques fon-cières de long terme et avec de vraisobjectifs d’aménagement du terri-toire permettant de répondre auxbesoins de la population et pas seu-lement à la spéculation immobilière.Les choix politiques sont à réorienterpour que l’économie du tourisme soitcompatible avec la vie quotidiennedans les zones touristiques.n

PAR CÉCILE DUMAS*

un déVeLoPPement inContrôLé Entre 1951 et 1989, le taux de « départen vacances » des Français passe de31 % (soit 10 millions de Français) à60,7 % (soit 33 millions de Français).C’est à cette période que vient le tempsde l’industrialisation du tourisme.Plusieurs facteurs favorisent l’explo-sion des consommations touristiques :la prospérité économique, la réduc-tion du temps de travail, l’accès à lavoiture individuelle et l’apprentissagede la mobilité. C’est à la fin des années1960 que se généralisent les grandesmigrations estivales et la volonté de

l’économie française de capter ce fluxde consommateurs. Cela a pour consé-quence, par exemple, le début d’undéveloppement incontrôlé et sans pla-nification sur la Côte d’Azur.Quelques années plus tard, onretrouve la Côte d’Azur et en généralles grandes zones touristiques parmiles endroits critiques pour le droit aulogement pour tous. En effet, il est dif-ficile de rendre compatibles loge-ments pour saisonniers, résidencessecondaires et logements permanentsà prix décent.Le tourisme sur la Côte d’Azur s’estdéveloppé et continue de se dévelop-per sur un modèle de construction etde vente de résidences secondaires.Ce modèle n’était évidemment pas leseul possible et s’avère maintenantun lourd handicap pour ces zonestouristiques car dévoreur de foncier.Il ouvre aussi une concurrence tota-lement déloyale entre le logement desactifs et ces fameuses résidencessecondaires sous-utilisées et inadap-

Le droit au Logement Pour tous en zone touristique ?dans les zones touristiques où la demande de logements sociaux équivautau nombre de logements vacants et de résidences occasionnelles, on nepourra satisfaire le droit au logement sans l’application de politiques, notam-ment foncières, conciliant tourisme et vie quotidienne des habitants.

« il est difficile de rendre compatibleslogements pour saisonniers,

résidences secondaires et logements permanents à prix décent. »

*Cécile Dumas est secrétairedépartementale du PCF des Alpes-Maritimes. Elle est conseillèremunicipale d’Antibes.

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:13 Page11

12

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

DO

SSIE

RPAR JEAN-PHILIPPE GASPAROTTO*

t andis que la crise du logementdure et perdure dans le paysdepuis maintenant près de 30

ans, marquée par ses 3,5 millions demal logés, ses 150 000 sans logis dont30 000 enfants, ses 1,7 million dedemandeurs de logements HLM et lahausse continue de ses expulsionslocatives (140 000 en 2014), on peutlégitimement se demander où en sontles engagements du candidat FrançoisHollande en 2012 : 500 000 nouveauxlogements dont 150 000 logementssociaux par an…

des engagements non tenusEn 2014, le solde net de logementssociaux n’a augmenté que de 60 000unités (89 300 logements sociauxlivrés) et seuls 300 000 nouveaux loge-ments ont été construits ! Les chiffresdevraient être un peu meilleurs en2015 puisque l’on prévoit la livraisonde 100 000 logements sociaux nou-veaux soit plus de 30 % du total desconstructions (65 000 logementssociaux neufs ont été livrés de janvierà août 2015).Toutefois, il serait faux de prétendreque la France manque globalement delogements : on compte 31 millions delogements, dont 2 millions d’entre euxsont vacants, sans parler des millionsde mètres carrés de bureaux vides. Enrevanche, on manque de logementséconomiquement, socialement et géo-graphiquement accessibles. Autrementdit, les logements existants sont globa-lement trop chers (en location commeen accession) par rapport au niveau derevenu des ménages (plus de 60 % desménages ont des revenus inférieurs auplafond HLM tandis que le parc socialne loge que 17 % de la population) oumal situés et inadaptés aux caractéris-tiques démographiques de la demande(pénurie en zones tendues ; inadapta-tion à la répartition de la croissancedémographique et au vieillissement ;décohabitation…). Cette situation,quasi unique en Europe par saconstance, exige une politiquepublique du logement forte et direc-tive, appuyée sur une mobilisationimportante de financements publics,qui contraigne, sinon casse, les logiquesde financiarisation et de marchandi-sation qui sont à l’œuvre depuis des

Casser Les Logiques de marCHandisationseule une politique publique forte et directive permettra un juste finance-ment du logement social.

Prix de revient et plan de financement constatés en 2014 par la Caisse des dépôtspour la production de logements sociaux (données par logements produits)

PLUS PLAI PLS(prêt locatif à usage social) (prêt locatif aidé d’intégration) (prêt locatif social)

Loyers 6,20  euros/m2 5,50  euros/m2 8,20  euros/m2Prix de revient 142 000  euros 140 000 euros 147 000 eurosPrêts CDC 70 % 69 % 76 %Autres prêts (1 %…) 6 % 6 % 7 %Fonds propres 11 % 10 % 10 %Subventions pub. 13 % 15 % 7 %

Répartition de l’effort public annuel à destination du logement en 2014

Dépense globale de 46 milliards d’euros (soit 2 % du PIB) dont  :• 17 milliards d’euros d’aides aux locataires (dont APL)• 3,5 milliards d’euros de subventions à l’investissement neuf et gros travaux• 2,7 milliards d’euros de bonification de prêts (CDC, PEL et PTZ)• 14,5 milliards d’allégements fiscaux (travaux et investissement locatif type PINEL)

Répartition des charges de bailleurs sociaux (ESH et OPH) en 2013 pour 100 euros de loyers  :

Risques locatifs (impayés, vacances…)  : 1,9Charges d’exploitations  : 48,6

Annuités financières (prêts CDC et autres)  : 40,6Marges, produits financiers et divers  : 7,4

années dans le champ de l’immobilier(y compris dans le parc locatif social).Ce sont fondamentalement ceslogiques qui par leur ressort spécula-tif expliquent, tous métiers confondus,la hausse insupportable du coût dulogement depuis plus de 30 ans.

des mesures à mettre Véri-tabLement en œuVreSi l’on considère que, dans ce domaine,les inflexions politiques et budgétairesmettent entre 3 et 5 ans à se traduiredans la réalité, les annonces faites parFrançois Hollande lors du derniercongrès HLM en septembre dernier,pour autant qu’elles soient réalisées,paraissent bien timides. Revenons surles trois types de mesures proposées :

« L’engagement d’une politique depréemption des terrains par l’État dansles communes ne respectant pas l’obli-gation d’avoir 25 % de logementssociaux (lois SRU [solidarité et renou-vellement urbain] et ALUR [pour l’ac-cès au logement et un urbanismerénové]) ». Cela est positif tout commela décote intégrale sur le foncier publicen cas de construction de logementssociaux et très sociaux. Cette questionest capitale si l’on considère d’une partqu’en zone tendue le prix du foncier

représente plus de 40 % du prix d’uneopération et que d’autre part, certainsmaires de communes généralementriches ont annulé dès leur élection en2014 des programmes de constructionde logements sociaux. Toutefois à ce

jour, seuls 60 terrains publics seraientconcernés sur 400 disponibles. Par ail-leurs, on ne peut que constater la per-sistance d’une certaine contradictionentre ces orientations salutaires et lespratiques de gestion du secteur publiclorsqu’il est propriétaire foncier ouimmobilier ; il continue de rechercher

« Les logementsexistants sont

globalement tropchers (en locationcomme en acces-

sion) par rapport auniveau de revenu

des ménages. »

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:13 Page12

DO

SSIE

R >

LOG

EMEN

T, L

E D

ROIT

AU

BIE

N-Ê

TRE

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

13

*Jean-Philippe Gasparotto est secré-taire de l’Union des syndicats CGTdu groupe Caisse des dépôts.

le rendement maximal lors de ces opé-rations de cession et alimente ainsi ladérive spéculative.

Le retour de L’aide à La Pierre à Hauteur de500 miLLions d’eurosIl s’agit bien sûr d’une subventionpublique essentielle dans le finance-ment des logements sociaux commel’illustre le tableau à la page précé-dente. Alors que jusque dans lesannées 1970, l’aide à la pierre repré-sentait jusqu’à 60 % du financementdu logement social, cette subventionétait tombée dans les faits ces dernières

années en dessous de 300 millionsd’euros, contraignant les organismesHLM à augmenter la part de leur auto-financement pour construire, biensouvent en vendant une partie de leurparc et/ou en alourdissant le poids desloyers.Toutefois, cette annonce encore insuf-fisante par rapport aux besoins relèvevisiblement d’un tour de « passe-passe » budgétaire car la moitié de cetteaide sera apportée par un fonds demutualisation alimenté par les orga-nismes HLM eux-mêmes. Paral -lèlement, le gouvernement continuede favoriser de coûteux dispositifs de

défiscalisation à l’utilité contestable :l’accumulation des dispositifsPinel/Duflot/Scellier/Borloo etc.représente un coût cumulé annuel deprès de 20 milliards d’euros !La baisse de la commission de la rému-nération des banques collectrices deslivrets A et LDD de 0,4 à 0,3 % de l’en-cours d’épargne. Cette mesure va dansle bon sens si l’on considère que depuisplus de 120 ans, l’épargne populaire(livret A, LDD, LEP) centralisée par laCaisse des dépôts contribue au finan-cement du logement social à hauteurde plus de 70 % (cf. tableau précédent).Toutefois, elle ne permettra pas de

compenser les effets cumulés de la finde la centralisation intégrale des fondsdu livret A à la Caisse des dépôts depuis2008 (-100 milliards d’euros) et la dimi-nution de l’encours d’épargne popu-laire depuis 2 ans (-17 milliards d’eu-ros) aggravée par la baisse du tauxd’intérêt à 0,75 % en août dernier. Cetteévolution est extrêmement inquiétantepour l’avenir du financement du loge-ment social.En effet, avec un encours global actuelde prêts dépassant les 150 milliardsd’euros (200 milliards d’ici 3 ans) pouratteindre les objectifs de constructionde 150 000 logements sociaux par an

alors que le montant de l’épargne cen-tralisée à la CDC ne cesse de diminuerdepuis 2 ans, il est probable que lesseuils prudentiels de liquidité et de sol-vabilité des fonds d’épargne centrali-sés à la CDC seront bientôt franchis,interdisant alors tout flux de prêt sup-plémentaire et donc toute construc-tion nouvelle (sans parler du finance-ment des autres besoins liés aulogement social : réhabilitation, tran-sition énergétique…).C’est pourquoi, il semble capital eturgent, d’une part, de rendre plusattractif le livret A en portant son tauxd’intérêt à 1,5 % au moins, en doublanteffectivement le plafond du livretcomme l’avait promis FrançoisHollande en le portant à 30 600 eurosd’autre part, et enfin en revenant à unecentralisation intégrale des fonds dulivret A à la CDC (contre 60 %aujourd’hui).L’effet financier de ces différentesmesures sur les taux de prêt pourraitêtre parfaitement compensé par uneaffectation, sous forme de bonifica-tions de prêts, du prélèvementqu’opère annuellement l’État (800 mil-lions d’euros en 2014) sur les fondsd’épargne au titre de la rémunérationde sa garantie, qui au demeurant n’ajamais été déclenchée en près de 200ans d’existence de l’épargne popu-laire. n

« Rendre plus attractif le livret a en portantson taux d’intérêt à 1,5 % au moins, en dou-

blant le plafond du livret. »

en 2001, dans les pages de l’Humanité, un débat s’ouvrait surla gratuité du logement, porté par des communistes (bernardbirsinger, alors maire PCF de bobigny, niamoye diarra, Jean-Claude mairal, Fabienne Pourre), un philosophe (Jean-Louissagot-duvauroux) et une militante associative au sein del’aPeis (malika zediri). Partant du constat que la loi du marché faisait du droit au loge-ment « une supercherie politicienne », ils y défendaient lacréation d’un grand service public du logement autour de qua-tre principes :1. L’instauration d’une sécurité sociale du logement en garan-

tissant « un accès gratuit au logement au-dessous d’un mini-mum de revenus » ;

2. un service public du logement qui ne soit pas moins favo-rable à ses usagers que l’accession à la propriété grâce à lamise en place d’un « compte d’accès à l’usufruit » permet-tant à l’usager cotisant d’habiter gratuitement son loge-ment lorsque les sommes versées à ce compte atteignentle coût du logement ;

3. La responsabilité « financière et morale » des usagers pourl’entretien des biens, par le paiement de charges « à unniveau supportable par tous » et dans le « même souci del’intérêt commun » ;

4. un service public qui soit « un contrepoids à la gestion spé-culative du foncier et de l’immobilier » en rendant au loge-ment son usage normal – habiter – et en interdisant la venteet la location.

en faisant du logement un droit pour tous, sans exclure ceuxqui ont un revenu trop bas ou trop haut, en confiant la gestionaux usagers, à égalité, quelles que soient leurs ressources, enle retirant de l’emprise des marchés capitalistes, ils défen-daient « une forme novatrice et moderne de propriété res-pectant jusqu’au bout l’usage privé du logement et protégeantnéanmoins ce que l’habitat et la vie en ville nécessitent dechoix collectifs. » mais aussi « un nouvel outil pour peser ensem-ble dans les rapports de forces en faveur d’une vie urbainehumanisée et solidaire ».

utopie diront certains. « Pas plus que l’école laïque, publique,gratuite et obligatoire, pas plus que la sécurité sociale, pasplus que les congés payés... » répondait bernard birsinger.évidents hier, malmenés aujourd’hui, ces conquis sociaux sontle résultat de combats pour arracher au profit des biens essen-tiels, comme la santé ou l’éducation. il s’agit bien d’un choix de société, en faveur d’une logique des« besoins et des droits » contre la logique marchande.

PoUR Un sERViCE PUbLiC dU LogEMEnt Et dE L’habitat

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:13 Page13

ble il a un cachet qu’il faut conserver,on ne doit pas le démolir pour fairedes immeubles n’importe comment.Comme on ne peut pas faire acted’autoritarisme, empêcher les ventes,il faut trouver d’autres moyens, parexemple limiter la taille des immeu-bles possibles pour que les promo-teurs regardent à deux fois avant deprocéder à des opérations qui déna-tureraient le paysage. Il faudrait aussivarier les projets, les constructeursnous proposent toujours un peu lamême chose, on devrait s’inspirerd’initiatives innovantes (par exemple

venues des pays nordiques), avec del’imagination pour les parties com-munes, les fonctionnalités, etc.En plus, on doit pouvoir rester danssa ville, dans son quartier même,quand la vie évolue (agrandissementou diminution de la famille, vieillis-sement, changement de travail ou demoyens). Or, souvent, les normes oula politique nationale du logementforcent les gens à s’en aller ailleursdans de tels cas. Dans le cadre de larénovation urbaine, l’État considèrequ’après une démolition, on ne doitpas reconstruire du logement social,sous couvert de « mixité ». Un exem-ple : nous allons prochainementdétruire une barre dans le quartierMonmousseau. Les locataires concer-nés doivent pouvoir être relogés dansleur quartier.Il faut un développement équilibré :du locatif (social ou libre), de l’acces-sion à la propriété (également socialeou libre). Nous avons 53 % de loge-ment social de tous types, ce n’est pasexagéré, si l’on considère qu’au niveaunational, 70 % de la population seraitéligible au logement social et qu’il ya beaucoup de demandes insatis-faites. Si l’État ne diminuait pas lescrédits aux bailleurs sociaux, on pour-rait avoir de la vraie mixité (comme

dans les années 1970), le problèmeprincipal, c’est qu’aujourd’hui on tendà n’admettre que les plus pauvres enlogement social.

Les communes gardent-elles des pou-voirs en matière de logement, ou lesnouvelles métropoles leur ont-ellestout pris ?Juridiquement, pour le moment, lescommunes n’ont pas trop perdu deleurs prérogatives, mais elles sontdépendantes de la métropole pour lefinancement du logement social.Celle-ci va orienter des financements

vers des villes qui n’ont pas leurs 25 %.Ainsi, même si nous avons un bonprojet avec du logement social, elleessaiera de l’empêcher. Mais le pou-voir qui entrave, c’est aussi celui del’État : la baisse du 1 % logement à0,45 %, la baisse de l’aide à la pierre,sans compter toute la politiquesociale, donc les conditions de vie desgens, ont beaucoup plus d’effet surl’accroissement des difficultés de noscommunes.

nous arrivons en mars, fin de la trêvehivernale. La ville de Vénissieux prend,depuis 1990, des arrêtés pour inter-dire les expulsions, saisies et coupuresd’énergie. Le tribunal administratif lescasse aussitôt. alors est-ce purementsymbolique ?Les seuls combats perdus d’avancesont ceux qu’on ne mène pas. Il y aune évolution : pour la première fois,l’an dernier, les tribunaux ont reconnuque ces arrêtés n’étaient pas sans lienavec le pouvoir de police du maire.Certes, il reste du chemin à faire pourque ces mesures ne soient pas cas-sées, car le maire n’a pas tous les pou-voirs de police, il faut prouver que cesexpulsions troublent l’ordre public,que le risque est avéré, que nos arrê-tés ont un vrai rôle préventif à cet

ENTRETIEN AVEC MICHÈLE PICARD*

en quoi la question du logementdans une banlieue populaire est-elle spécifique ? tout le monde,

à gauche et à droite, parle de « mixité »,y met-on toujours le même contenu ?est-ce un mot creux ?Attention à ne pas considérer « la »banlieue en bloc. Il faut éviter la situa-tion de la région parisienne, où lespauvres sont envoyés en 3e ou 4e cou-ronne. Ici, à Vénissieux, nous sommesdans la 1re couronne. Depuis l’arrivéedu tram en 2009, il y a une attracti-vité retrouvée ; une densification estinévitable, en particulier le long de laligne du T4. Les promoteurs viennentplus facilement, les nouveaux habi-tants aussi. Le logement social estquand même ici moins cher qu’àLyon, bien qu’il ait augmenté. On nevient pas à Vénissieux uniquementpar dépit, ce peut être un vrai choix.Il ne s’agit pas d’une ville nouvelle,elle a une histoire, y compris des ves-tiges gallo-romains, aussi une histoireindustrielle et populaire. Nous visonsune ville complète, pas un dortoir : lamixité sur un quartier, c’est aussi dutravail, des loisirs, de la culture, dusport, des commerces, des servicespublics, c’est s’occuper du plus jeuneau plus âgé. Les habitats de notre citéne sont pas classés monuments his-toriques, mais ils ont une âme, des

spécificités. Par exemple, le quartierCharréard, formé de petites maisonsindividuelles d’ouvriers de Renaultvéhicules industriels, n’a pas deconstructions remarquables, prisesune par une, mais dans son ensem-

Le Logement en banLieue PoPuLaire« habiter le centre-ville, c’est agréable mais inabordable ; la banlieue, on peuts’y loger pas trop cher, mais c’est loin, pas très confortable, terne, sans vienocturne, et il y a des voyous. » Ces clichés correspondent-ils à la réalité ?

« La mixité sur un quartier, c’est aussi dutravail, des loisirs, de la culture, du sport,

des commerces, des services publics, c’ests’occuper du plus jeune au plus âgé. »

« Le problèmeprincipal, c’est

qu’aujourd’hui ontend à n’admettre

que les plus pauvres en

logement social. »

DO

SSIE

R

14

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:13 Page14

DO

SSIE

R >

LOG

EMEN

T, L

E D

ROIT

AU

BIE

N-Ê

TRE

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

15

s

égard. C’est pourquoi, cette année, jevais centrer mon argumentation surle juridique. Je mets chaque annéel’accent sur un aspect différent, parexemple l’enfance ou les personnesâgées. Certes, je donne toujours des

chiffres (les enfants sans toit, les mortsdans la rue, les conséquences socialeset humaines), mais ce n’est pas seu-lement une campagne idéologique.J’insiste aussi sur la contradictionentre la Constitution et la réalité.

À Vénissieux, le nombre d’expulsionsbaisse, car il y a beaucoup de travailsocial entre l’assignation au tribunalet l’expulsion programmée. Mais lenombre d’endettés augmente, ainsique les recours accordés à la force

publique. D’ailleurs, en plus desexpulsions formelles, il y a des expul-sions de fait : lorsqu’une famille endifficulté reçoit six ou sept fois la visitede l’huissier, si elle a une solution derechange, même très précaire, elle

rend souvent les clés d’elle-même.Nous montrons que l’expulsion nerègle rien, d’ailleurs la part de la detteà l’huissier est souvent plus grandeque la dette elle-même. Les villes quiprennent des arrêtés anti-expulsionssont traînées devant le tribunal admi-nistratif, mais pas celles qui ne res-pectent pas les 25 % de logementssociaux, ni les autorités qui n’appli-quent pas la loi dite DALO (pas d’ex-pulsion sans relogement). La naturede classe de ces incohérences appa-rentes peut être démasquée et celanous permettra concrètement demarquer des points.

en conclusion ?Une ville, c’est un tout. Le problèmedu logement, c’est aussi la sécurité,la culture, la dignité, il ne faut pas leregarder de façon isolée et purementtechnique. n

« Les villes qui prennent des arrêtés anti-expulsions sont traînées devant

le tribunal administratif, mais pas celles qui ne respectent pas les 25 %

de logements sociaux, ni les autorités qui n’appliquent pas la loi dite daLo »

*Michèle Picard est maire (PCF) deVénissieux (Métropole de Lyon).

Propos recueillis par Pierre Crépel

réputation donc bien avant que lescités du Neuhof accueillent toutes lesmisères de la ville et les immigrés.L’association AGATE est issue duCollectif des associations qui s’estconstitué au moment de l’opérationHVS (Habitat et vie sociale). Elle estnée de la volonté des associations, deleurs membres et des habitants d’im-poser la concertation aux décideurs.AGATE (Association de gestion des ate-liers du Neuhof) est une associationd’habitants pluridisciplinaire et trans-disciplinaire qui inscrit son action danstous les domaines de la vie. Si loge-ment et cadre de vie sont au cœur deses préoccupations et de ses actions,elle s’est aussi donné d’autres missionscomme défendre l’école, faire vivre unlieu de parole et de débats et travail-ler sur la mémoire du quartier et deshabitants. Elle a pour vocation d’êtreau service des habitants : elle est leur

porte-voix, son but étant de contribuerà rendre les habitants acteurs du quar-tier et donc de leur vie.

qu’est-ce qui a motivé votre engage-ment et investissement dans l’asso-ciation ? Vous considérez-vous commemilitant ou bénévole ?sylvain girolt : Je ne connaissais pasAGATE mais son journal que j’atten-dais avec impatience et dont j’ai inté-gré le Comité de rédaction. À la suited’une campagne de pétition menéecontre les incendies et les squats descaves de ma rue, j’ai intégré l’AGATEet été amené à prendre des responsa-bilités au sein de l’association pour enprendre la présidence à 29 ans. « Alors,t’es devenu le Président d’ATTAC ! » m’adit mon père ce jour-là. Je suis béné-vole et militant. Je ne crois pas qu’onpuisse être bénévole sans être militant,c’est ainsi que je le conçois en tout cas.

MICHELLE BARDOT, LUCETTE TISSERANDET SYLVAIN GIROLT*

à une zone de prés, champs,petits bois avec ses îlots d’ha-bitations en tôle et de petits

immeubles HLM, ont succédé deshabitations PSR (programme socialde relogement) à bas coûts, puis partranches, des immeubles HLM. Cescités ont poussé dans les années 1960de part et d’autre d’une route traver-sant un lieu dénommé Neuhof village.Cette partie du Neuhof, a toujours eumauvaise presse, en raison initiale-ment de la présence d’une popula-tion, relogée hors de la ville avantguerre, jugée dangereuse parce queprécaire, et ensuite dans les années1960, après l’arrivée d’autres couchespopulaires sous couvert de destruc-tion puis rénovation des « poches depauvreté » du centre-ville. Mauvaise

Logement soCiaL et rénoVation urbaine :ParoLes d’Habitantshabitants du neuhof, au sud de strasbourg, ils ont vécu sa mutation, sestransformations.

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:13 Page15

*Propos de Lucette Tisserand,Sylvain Girolt recueillis par MichelleBardot, tous trois membres de l’asso-ciation d’habitants AGATE(Association de gestion des habitantsdu Neuhof).

Lucette tisserand :Mon engagementest lié à mon attachement au quar-tier et aux valeurs de justice socialeet de solidarité transmises par mesparents dont mon père mineur a payéle prix. Je suis salariée militante.

quelle représentation les habitantsont-ils de leur quartier ?sylvain girolt :Leur quartier est perçucomme multiculturel. Les habitantssouffrent du chômage et de mau-vaises conditions de vie avec desimmeubles aux parties communesinfectes et aux entrées indignes. C’esten 1990, que beaucoup « d’anciens »

ont quitté le quartier à cause de sadégradation, due au laisser-aller dubailleur social, au défaut d’entretiendu patrimoine, au manque de suividu locataire et aux non-réponses auxlocataires en détresse. On a démolides immeubles composés de grandslogements appréciés au départ etqu’on a laissé se dégrader.Lucette tisserand :C’est ambivalent.Il y a un attachement très fort au quar-tier et en même temps du découra-gement et du dégoût quant au cadrede vie et aux rapports difficiles avecle bailleur qui n’entend pas les souf-frances. Les anciens, ceux qui sontrestés, ont la nostalgie du début, del’avant. Subsiste le côté villageois : onse parle, on est solidaire dans la peine.Et s’il y a de la colère contre les inci-vilités, il reste qu’on sait pointer lesresponsabilités des décideurs, desbailleurs. En colère, dégoûtés, décou-ragés mais attachés au quartier :« C’est notre vie » dit-on dans le quar-tier et on est fier d’en être issu : on serevendique du Neuhof côté cités etceux qui l’ont quitté, le gardent dansleur cœur et leur tête.

au regard des ambitions affichées suc-cessivement par HVs, gPV (grand pro-jet de la ville : désenclavement, voletéducatif, formation), anru 1, anru 2(rénovation urbaine, démolition/reconstruction, cadre de vie et bien-être), les résultats ont-ils été à la hau-teur des objectifs affichés ? La vie deshabitants a-t-elle changé ? quel bilanau point de vue de la mixité ?

sylvain girolt :Le bilan est mitigé. Parexemple, quand on parle de démoli-tions/reconstructions, qui peut accé-der vraiment aux nouveaux loge-ments alors que les loyers sont chersmalgré l’APL ? Aujourd’hui, il y a tou-jours des endroits délaissés dans legrand quartier du Neuhof. Alors quevers les années 1970, il y avait unemixité sociale et que toutes lescouches sociales étaient représentées,il n’y en a plus. En cause, la concen-tration des bas revenus, une mauvaisepolitique d’attribution du logementtant au niveau de CUS Habitat que dela Préfecture. On loge « les cas déses-

pérés » chez nous, et des personnes,comme les gens du voyage sédenta-risés, qui ne s’adaptent pas à l’habi-tat vertical.Lucette tisserand : Il n’y a pas eu deréponse fine aux problèmes. Celareste un quartier de relégation sociale.La rénovation urbaine, après démo-litions/reconstructions (un bon tiersdu quartier) a morcelé le quartier quia perdu son unité et a été découpé enmini-quartiers, en îlots indépendantsvoire « ethniques » sans espacespublics de rencontres. Les nouvellesconstructions diffèrent d’un endroità l’autre et sont le reflet d’un manquede réflexion globale et cohérente etd’une vision d’ensemble. Si HVS aamené le chauffage central et l’eauchaude dans les PSR et si le GPV a dés-enclavé le quartier, perdure la reven-dication des locataires, qui en avaientfait un préalable à la concertation lorsde HVS, de l’entretien régulier, dusuivi des travaux et des réparationsimmédiates. Est considérée, parexemple comme « une belle entrée »,une entrée propre, aux boîtes aux let-tres entières. « Quand c’est beau, onl’entretient », a dit une locataire.

quelle politique devrait être menée auniveau national et local pour un vraichangement dans nos cités ?sylvain girolt : Je crois qu’il faut unvéritable plan Marshall, qu’on soit àl’écoute des habitants, avec une réellevolonté politique de changer leschoses de fond en comble. Pas de sau-poudrage mais un vrai travail de fond.

Aborder toutes les questions, le chô-mage en premier, des jeunes et desvieux ; la réussite scolaire, etc.Lucette tisserand : Les responsablesdu logement, politiques et bailleurs,de l’État et des communes devraientavoir le souci du patrimoine public,de sa qualité, de son entretien. Il fau-drait mettre en place une autre ges-tion de l’habitat social, d’ensemble etau quotidien, et organiser la partici-pation réelle des locataires aux déci-sions.

qu’est-ce qu’un logement social ? quedevrait-il être ? quelle politique dulogement faudrait-il mener ?sylvain girolt : Un logement socialdevrait être décent, spacieux avec unloyer que je puisse payer, qui soit bienentretenu, dans une entrée propre,avec un vrai suivi du bailleur. La sur-face des nouveaux logements CUSs’est à nouveau réduite. Hormis « lapièce à vivre » (les chambres « c’estpour dormir » !) et une terrasse, toutest petit. En 1970, le logement fami-lial a été vécu par ma famille commeun vrai changement avec cinq pièces,une salle de bains, de l’espace, de lalumière. Puis notre environnements’est dégradé. L’État a le devoir d’in-tervenir, il n’y a pas assez d’aide pourle logement social. Les nouveaux loge-ments du quartier sont chers, petitset je pense que les organismes HLMdoivent être aidés par l’État pour ren-dre service aux plus fragiles. Je ne peuxcomprendre pourquoi l’APL a étédiminuée.Lucette tisserand  : Un logementsocial devrait être de qualité, spacieux,à prix abordable avec des parties com-munes agréables et des caves, grenieret local à vélo qui font défaut dans lesnouvelles constructions où l’écono-mie d’espace devient la règle.Actuellement, le logement social estconnoté, il a une mauvaise image« dedans et dehors ». Pour les habi-tants du quartier et ceux de l’exté-rieur, il est associé à la mauvaise qua-lité et aux quartiers de relégation.Mais le logement social, quand il estimplanté dans des quartiers prochesdu ou au centre-ville, construit avecdes matériaux de qualité et bien suivipar le bailleur perd sa mauvaiseimage. n

« subsiste le côté villageois : on se parle,on est solidaire dans la peine.

on se revendique du neuhof côté cités et ceux qui l’ont quitté, le gardent

dans leur cœur et leur tête. »

16

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

DO

SSIE

R s

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:13 Page16

DO

SSIE

R >

LOG

EMEN

T, L

E D

ROIT

AU

BIE

N-Ê

TRE

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

17

s

*Monique Pinçon-Charlot et MichelPinçon sont sociologues. Ils sontdirecteurs de recherches honoraireau CNRS.

les arrondissements et communes debanlieue populaire. La bourgeoisielaisse donc aux autres la xénophobiepeu flatteuse portée par le Frontnational. Les pourcentages accordésà la dynastie familiale des Le Penoscillent entre 4 et 5 %, largement endessous donc des moyennes dépar-tementales, régionales et nationales.

sus à La Loi sru !Les arrondissements parisiens et lescommunes de la banlieue ouest,emblématiques de la grande bour-geoisie fortunée, sont fort dépourvusen logements sociaux. La mixitésociale et la solidarité avec les dému-nis et les migrants, c’est pour lesautres !En 2002, après 20 ans de magistère deNicolas Sarkozy sur la ville de Neuilly-sur-Seine, le taux de logementssociaux s’élevait à 2,33 % des rési-dences principales. Ses successeursallaient avoir du travail, puisque la loiSolidarité et renouvellement urbainexige pour ce type de communes aumoins 20 %. Mais une loi élaborée parun ministre communiste, Jean-Claude Gayssot, n’a pas vocation àêtre respectée par ceux qui considè-rent que le pouvoir législatif doit êtreau seul service de la transformationde leurs intérêts particuliers en inté-rêt général. En 2015 Neuilly-sur-Seineest au top du palmarès des grandesvilles hors-la-loi avec seulement 5,2 %de logements sociaux. Ce qui est toutde même légèrement mieux que le 7e

arrondissement avec 1,3 %, le 8e avec2,7 % et le 16e avec 3,7 % de logementssociaux alors que l’ensemble de lacapitale atteint les 18 % de logementssociaux.Les arguments pour rejeter l’autre, ledissemblable, sont toujours tech-niques : absence de réserves foncièresou préservation du patrimoine. Dèsqu’un permis de construire concernede l’habitat social des associations secréent et se mobilisent. Leurs avocats

multiplient les recours auprès des ins-titutions compétentes. Mais il y a éga-lement d’autres modalités pourcontourner le rejet de la mixité sociale.Nous avons montré dans une enquêtemenée en collaboration avec unejournaliste du Monde, Pascale Kremer,qu’une des manières à Neuilly decontourner la loi consistait à choisirdes gens de « bonne compagnie »pour habiter les quelques logementssociaux.Dans les beaux quartiers, l’espoir devoir la loi scélérate abrogée a été déçupuisque l’une des premières mesuresdu pouvoir socialiste en 2012 a étéd’augmenter de 20 à 25 % le tauxminimum de logements sociaux et, àdéfaut, de multiplier par 5 les péna-lités. Les lois et le droit n’ont rien denaturel, ils reflètent l’état du rapportde force entre les classes sociales. Leplus souvent ce sont les dominés quicontestent les lois des dominants. Cesderniers, dans leur refus de la solida-rité sociale, ont dû, exceptionnelle-ment, se mobiliser pour contester uneloi élaborée par un ministre commu-niste.Cette mobilisation des puissants etdes nantis pour se préserver les plusbeaux espaces à leur seul profit mon-tre à quel point il leur est importantde s’approprier le monopole de l’écri-ture des lois en refusant par exempled’abolir le cumul des mandats et decomptabiliser les votes blancs dansles suffrages exprimés. Mais même« hors-la-loi », les petits arrangementsavec leurs amis de classe, comme lespréfets, leur permettent d’échapperaux sanctions judiciaires. La mixitésociale ne restera donc qu’un vœupieux si l’on ne rétablit pas les prin-cipes de la légitimité politique.n

PAR MONIQUE PINÇON-CHARLOTET MICHEL PINÇON*

L e pouvoir économique et socialest aussi un pouvoir sur l’es-pace. Ceux qui concentrent

toutes les formes de richesse dispo-sent des moyens financiers qui leurpermettraient de résider où bon leursemble. Mais ils choisissent demanière systématique de se joindreà leurs semblables dans des espacesqui ont été créés par eux et pour eux,et dont ils détiennent le monopole.L’entre-soi résidentiel favorise lesréseaux de solidarité et d’échangesde sorte que l’on est plus riche aucontact des plus riches, le pouvoir etles richesses de chacun rejaillissantsur tous les autres. Le contact quoti-dien entre gens de la « Haute » per-met les amitiés et les amours de façonsuffisamment endogamique pourassurer la reproduction des privilègesde génération en génération, au seindes grandes familles fortunées.

une Communauté idéoLogiqueLes résultats électoraux sont un indi-cateur de la conscience de classe. Lescourants politiques les plus favora-bles à la défense des intérêts desmembres de la grande bourgeoisie sedonnent alors à voir d’une manièreéclatante. Au deuxième tour des élec-tions régionales de 2015 la droiteconservatrice affichait à Neuilly-sur-Seine un score de république bana-nière avec 83,34 % pour la liste LR-UDI et MODEM alors que la moyennedu département des Hauts-de-Seinen’était, pour cette liste, que de 39,64 %.Les beaux quartiers parisiens confir-ment le même choix avec 78,11 %dans le 16e arrondissement et 72,67 %dans le 7e.

L’homogénéité idéologique des beauxquartiers s’oppose à l’éparpillementsur l’échiquier politique constaté dans

L’entre-soi des beaux quartierssous Haute ProteCtion

Les classes sociales tendent à occuper des quartiers différents, à l’imagedes distances et des oppositions qui les définissent socialement. Enrégion parisienne l’espace urbain est suffisamment contrasté pour qu’ilpermette, de Passy à la goutte d’or, de neuilly à saint-denis, de parcourirles rues comme on irait des industriels aux manœuvres, des inspecteursdes Finances aux femmes de ménage.

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:13 Page17

Sauf que le salariat étudiant consti-tue la première cause d’échec dansnos études, avec entre autres, un étu-diant sur deux qui échoue en pre-mière année. Il est donc là le lien decause à effet : alors que les besoins enformation sont de plus en plus fortsdans le pays, que ce soit au niveau del’enseignement, des nouvelles indus-tries, de l’informatique, pour ne citerque ces domaines, la question dulogement étudiant bloque la réussitede toute une partie de la jeunesse, etdonc le progrès économique et scien-tifique du pays.

quid de La quaLité du Logement ?Au-delà de la cherté du loyer, c’est laqualité du parc étudiant qui posequestion. Un étudiant sur trois auraitdu mal à se chauffer et un sur cinqfait face à des problèmes d’humidité.Il est donc légitime de s’interroger :Comment être apte à se concentrersur un devoir quand le bruit et l’hu-midité nous empêchent d’être enforme ? Comment se rendre facile-ment à la Bibliothèque universitairequand le logement le moins cherqu’on ait pu trouver est à plus d’uneheure de transport du campus ? Etbien au-delà du parc privé, la ques-tion de la qualité est aussi la préoc-cupation première de beaucoupd’étudiants en cités-U publiques.Combien de cités-U sans accès àInternet ? Combien de coupures d’eauet de courant dans des résidences oùles réseaux n’ont pas été rénovésdepuis plusieurs dizaines d’années ?

La vétusté des logements CROUS(Centre régional des œuvres univer-sitaires et scolaires) ne tombe pas duciel. Elle est la conséquence de l’inac-tivité permanente de la puissancepublique. Il faut savoir que le parc aessentiellement été construit dans lesannées 1960. Alors que 60 % desdemandes étaient satisfaites àl’époque, ce n’est plus le cas que de15 % d’entre elles aujourd’hui. Riend’étonnant quand, en 50 ans, le nom-bre d’étudiants en France est passéde 200 000 à 2,3 millions et que dansle même temps, le nombre de loge-ments CROUS n’a que très peu aug-menté, stagnant à 165 000 chambresaujourd’hui.

2 axes Pour réVoLutionner Le système aCtueL du Logement étudiant• un statut social pour garantir

le droit au logement.Dans l’optique de la réussite de tous,la bataille du logement étudiant doitêtre en France une priorité. Déjà en1947, le Plan Langevin-Wallon l’évo-quait avec une actualité tout à faitsidérante : « La gratuité inscrite dansles textes serait un leurre si on la limi-tait à la suppression des frais d’étudessans s’inquiéter des conditions et desmoyens de vie des élèves et des étu-diants ». Pour permettre cette gratuitéréelle, nous proposons la mise enplace d’un statut social pour tous lesétudiants, incluant un droit au loge-ment. Et ce, pour forcer l’État àrenouer avec les politiques deconstruction et de rénovation, afin dene pas laisser ce droit caduc. Ce sta-tut social doit ainsi s’accompagnerd’un Plan d’urgence pour le logementétudiant, ce qui soulagera au passagele pouvoir d’achat de centaines demilliers de parents.

• La nationalisation du logement étudiant

La seconde urgence, c’est de redon-ner un nouveau souffle aux œuvresuniversitaires. Ceci, d’abord en natio-nalisant l’ensemble des résidencesprivées et en rattachant leur gestionau CROUS. Cela permettra de qua-drupler le nombre de logementsdépendant du parc public étudiant etd’arracher un pan entier de l’écono-mie des mains du capital. Il s’agit làaussi de renforcer les espaces de déci-sions des étudiants et des salariés etd’apporter une nouvelle pierre auxfondements d’autogestion démocra-tique du parc CROUS assurée par lesétudiants et les agents.Dans les résidences, dans les campus,nous proposons de révolutionner lesystème actuel de logement étudiant.Faire de cette question une priorité,c’est supprimer le premier des fraisd’inscription qu’est le loyer, c’estmener la bataille de la réussite de touset du progrès du pays. n

PAR MATTHIEU BAUHAIN*

i ls sont nombreux les libéraux ànous faire la leçon, à nous, lesétudiants de France qui sommes

si chanceux de ne pas connaître lessommets abyssaux des frais d’ins-cription moyens des universitésoutre-Manche (12 000 € en moyenne)ou outre-Atlantique (16 000 €). Effec -ti vement, si l’on compare strictosensu ces sommes avec les quelquescentaines d’euros qu’implique l’ins-cription dans une université fran-çaise, on ne peut que se féliciter dela bien meilleure accessibilité appa-rente de notre système d’enseigne-ment supérieur. Mais il y a un hic :seuls 7 % des enfants d’ouvriers et13 % des enfants d’employés y accè-dent aujourd’hui, alors même qu’ilsreprésentent la majeure partie de lapopulation. Si l’argument de lareproduction sociale et des barrièressociologiques est tout à fait juste, ilexiste bien un obstacle financier réelà la démocratisation de l’enseigne-ment supérieur. Parce qu’en France,le premier des frais d’inscription,c’est d’abord le loyer. Celui-ci consti-tue notre première source dedépense (60 % du budget mensueld’un étudiant). Par ailleurs, selonl’Observatoire de la vie étudiante, cesont 60 % de nos camarades d’am-phis qui déclarent ne pas pouvoirfaire face à leurs dépenses men-suelles et 20 % qui ont des retardsréguliers de loyers. Ces difficultés,on les doit aux spéculateurs quisavent bien que nos logements peu-vent être une source de revenus. Onremerciera au passage BFM Businessd’avoir publié il y a quelques moisun article de conseils aux proprié-taires dont le titre était évocateur :« Louer une chambre à un étudiant,ça rapporte gros ».

La Première Cause d’éCHeCdans nos études ?Il faut garder à l’esprit que la situa-tion du logement étudiant représenteégalement un obstacle à la réussitede tous. Pour faire face à leursdépenses, celle du loyer en tête, lesétudiants sont environ 50 % à se sala-rier pendant la semaine de cours et73 % à le faire durant l’année civile(prenant en compte les jobs d’été).

rendre aCCessibLe Le Logement étudiantil faut en finir avec le premier des frais d’inscriptions que constitue le loge-ment pour les étudiants, obstacle à la réussite de tous.

18

DO

SSIE

R

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

*Matthieu Bauhain est secrétairenational de l’Union des étudiantscommunistes.

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:13 Page18

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

19

DO

SSIE

R >

LOG

EMEN

T, L

E D

ROIT

AU

BIE

N-Ê

TRE

de l’après-guerre grâce à la construc-tion massive de logements sociaux.Aucun gouvernement n’est depuisrevenu sur cette orientation. C’estdonc bien à la fin des années 1970 qu’il

faut faire remonter la préférence don-née à l’accession individuelle à la pro-priété. C’est d’ailleurs à partir de cemoment que la mixité sociale qui exis-tait alors dans les HLM a commencéà décliner.

Les aides fiscales qui se succèdent etse ressemblent à chaque nouveauministre du Logement ne sont que leprolongement de cette logique. Ellescoûtent en effet très cher à l’État. Le

dernier dispositif en date, le « Pinel »,coûte 1,8 milliard d’euros par an, leprêt à taux zéro plus de 600 millionsd’euros par an. En comparaison, en2014, les aides de l’État pour laconstruction de logements sociaux (les

ENTRETIEN AVEC EDDIE JACQUEMART*

La politique du « tous proprié -taires » s’est traduite par des aidesfiscales ou des dispositifs, plus média-tiques, comme les maisons à 100 000euros. Peut-on aujourd’hui dresser unbilan du nombre de ménages, notam-ment parmi les plus modestes, qui enont bénéficié et du coût pour l’état ?La promotion de l’idéologie du « touspropriétaires » est plus ancienne que2002. En 1976, Valéry Giscard d’Estaingconfiait à son gouvernement la mis-sion de « donner la préférence à l’ac-cession à la propriété et au logementindividuel ». Le virage est pris dès l’an-née suivante avec la réforme deRaymond Barre qui remet le puissantmécanisme d’aides publiques à laconstruction qui avait permis de sur-monter la terrible crise du logement

« tous ProPriétaires », une tromPerie ?Les gouvernements de droite, depuis 2002, se sont fait les défenseursdu « tous propriétaires ». Un état des lieux.

« En 2014, les aides de l’État pour laconstruction de logements sociaux (aides

à la pierre) s’élevaient à peine à plus de100 millions d’euros – soit 18 fois moins

que le crédit d’impôt Pinel ! »

s

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page19

*Eddie Jacquemart est présidentnational de la CNL (Confédérationnationale du logement).

Entretien réalisé par SéverineCharret.

aides à la pierre) s’élevaient à peine àplus de 100 millions d’euros – soit 18fois moins que le crédit d’impôt Pinel !Quant à savoir à qui profite tout cetargent, si l’on en croit le dernier rap-port de la fondation Abbé Pierre, c’estla prime aux plus riches. On y apprendque l’accession à la propriété a baisséentre 2001 et 2006 pour les ménagesdont les revenus sont inférieurs à 3SMIC (-16 %) et qu’elle a augmentémoins pour ceux dont les revenus sesituent entre 3 et 5 SMIC (+25 %) quepour ceux dont les revenus sont supé-rieurs à 5 SMIC (+59 %).

si ce n’est aux plus modestes, à qui ontréellement bénéficié les aides de l’état ?ont-elles favorisé la spéculation fon-cière et immobilière ?Toutes ces aides profitent en premierlieu aux promoteurs immobiliers etaux banques dont l’activité est enquelque sorte subventionnée partoutes ces aides, puis aux proprié-taires bailleurs et enfin à des loca-taires des classes moyennes voiresupérieures.Par exemple. Un étudiant, enfantd’ouvriers qui, parce que les revenusde ses parents le situent légèrementau-dessus des plafonds ou simple-ment parce que l’offre de logementsétudiants est dans notre pays ridicule,ne peut pas bénéficier d’un logementCROUS. Il doit donc louer un appar-tement sur le marché privé, proba-blement très cher et petit, s’il est dansune grande ville sûrement une cham-bre chez l’habitant. Prenons mainte-nant le cas d’un étudiant dont lesparents sont cadres supérieurs. Sesparents peuvent acheter un apparte-ment, le louer à leur enfant étudiant– qui touchera l’APL – et bénéficier dela réduction d’impôt Pinel qui peutaller jusqu’à 63 000 euros. L’étudiantse retrouve donc dans un apparte-ment dont le loyer est plafonné, quisera dans son héritage et ses parentspayent moins d’impôts grâce à cela !On voit bien que cette logique ne per-met pas de faire progresser la justiceet le droit au logement mais aggraveplutôt les inégalités.

si l’accès à la propriété est un rêve pourbeaucoup, quelles sont les difficultésauxquelles sont confrontés certainspropriétaires ou copropriétaires ?Étant donné la flambée des prix del’immobilier, dont de nombreux spé-cialistes s’accordent pour dire qu’elleest alimentée par tous les dispositifsfiscaux soutenant l’accession à lapropriété, il faut emprunter de plusen plus d’argent pour acheter unbien. Pour cette raison, on a vu ladurée de remboursement augmen-

ter : de 15 ans, on est passé à 20 ou25 ans. Être propriétaire dans ce casne veut rien dire de plus que d’êtrelocataire de sa banque ! De plus, sil’on n’est pas vigilant sur la qualitédu bien que l’on achète, et de nom-breux professionnels du secteur n’yincitent pas, on peut vite se retrou-ver à devoir faire de coûteux travaux

d’entretien et en définitive à ne pasréussir à revendre son bien, ou alorsà perte. Lors des crises immobilièresmajeures qu’ont connues les États-Unis, l’Irlande ou l’Espagne lescitoyens qui se sont fait expulser parleur banque de leur maison parcequ’ils ne pouvaient plus rembourser,se sont bien rendu compte quiétaient les véritables propriétaires :pas eux mais les banques auprès des-quelles ils étaient endettés.

En France nous connaissons un autrephénomène inquiétant : celui descopropriétés dégradées. C’est le résul-tat de cette politique entêtée du « touspropriétaires ». Certaines grandescopropriétés sont composées decopropriétaires assez modestes quine peuvent pas assumer les travauxpourtant indispensables dans desrésidences construites il y a 40 ans etsouvent de mauvaise qualité. Cescopropriétés sont alors entraînéesdans un cercle vicieux qui dégradeconsidérablement les conditions devie des habitants.après la crise immobilière dans despays comme l’espagne, le « tous pro-priétaires » est-il définitivement unmythe ? quelle est la position de votreorganisation ?En 2011, l’International Union ofTenants, à laquelle la CNL est adhé-rente, avait sorti un numéro spécialde son magazine Global Tenantsauquel nous avions participé : « les 10bonnes raisons d’être locataires ».C’est vrai que dans les pays latins, aucontraire des pays du nord del’Europe, il y a culturellement une ten-dance à la propriété individuelleimmobilière – la France est dans unesituation intermédiaire. Cela dit, enEspagne, ils sont en train d’en reve-

nir car la folie immobilière des années2000 les a conduits dans l’abîme avecplusieurs centaines de milliers d’ex-pulsions depuis le début de la crise.L’idéologie du « tous propriétaires »est une bêtise. Il ne faut pas opposerlocation et accession à la propriété.Être locataire, c’est une façonmoderne d’habiter, à condition

d’avoir un loyer abordable : elle offreplus de souplesse, de liberté, de mobi-lité. Aujourd’hui ces caractéristiquessont utilisées pour précariser les gens,leur faire peur de perdre leur loge-ment d’où la popularité de l’acces-sion à la propriété – qui donne l’illu-sion d’une sécurité. Nous sommespersuadés à la CNL qu’il faut progres-ser vers la construction d’un secteurlocatif fort, indépendant des intérêtsprivés lucratifs et donc publics, danslequel les locataires sont protégés parleurs droits et par la gestion démo-cratique de leur habitat. Le logementsocial devrait être l’avant-garde de cemodèle. C’est pourquoi nous reven-diquons une place plus grande pourles élus de locataires aux conseilsd’administration des organismes, lerespect du droit au maintien dans leslieux et la vocation universelle dulogement social – ce qui suppose deremettre en question le surloyer.Quant à l’accession à la propriété, quipeut coexister avec un secteur locatifpublic, elle doit absolument changerde modèle. La société doit se prému-nir contre la spéculation immobilièreet les accédants doivent gagner desdroits, être mieux accompagnés dansleur projet. Des expériences d’habi-tat coopératif ou participatif dévelop-pent ce modèle.Dans tous les cas, la clef c’est de fairereculer le marché pour enfin garan-tir le droit au logement et faire pro-gresser la démocratie dans l’habitat.n

« toutes ces aides profitent en premierlieu aux promoteurs immobiliers et auxbanques dont l’activité est en quelque

sorte subventionnée (...), puis aux proprié-taires bailleurs et enfin à des locataires des

classes moyennes voire supérieures. »

20

DO

SSIE

R

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

s

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page20

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

21

DO

SSIE

R >

LOG

EMEN

T, L

E D

ROIT

AU

BIE

N-Ê

TRE

son habitat est dénigré, stigmatisé. Laconfusion est bien entretenue entregrande barre et grande cité « difficileà vivre » et HLM, Habitation à loyermodéré. Les lois Boutin, les finance-ments privilégiant l’aide à la personne

et non l’aide à la pierre participent dela guerre idéologique autant que de lamodification de la réalité des peuple-ments des HLM.

des Pressions inadmissibLes Contre Le Logement soCiaLC’est donc sans honte que le Premierministre « socialiste » veut interdire laconstruction de logements sociauxdans les quartiers qui en ont plus de50 %. Il est en convergence totale avecle « Républicain » Patrick Devedjianqui refuse de subventionner le loge-ment social à Gennevilliers avec lemême raisonnement. Ils sont à peineplus souples que Valérie Pécresse à latête de la région qui met le plafond à30 %. 50 % ou 30 % comme plafond,alors que 89 % des habitants de laRégion Île-de-France sont éligibles,

de par leurs revenus au logementsocial. Ils sont employés, ouvriers,enfants de cadre, jeunes couples… Ilssont la majorité de la société française.C’est sur la base de telles conceptionsqu’en 20 ans, le nombre de logementssociaux dans les Hauts-de-Seine a

reculé, le peu de villes de droite quisont au-dessus des 25 % de la loi SRUprennent cela comme un plafond etnon un plancher ! Il y a pourtant desterrains puisqu’ils construisent deslogements de standing.

Le cynisme du gouvernement et dela droite départementale est total surcette question du logement. S’ilsinterdisent à la ville de Gennevilliersde continuer de construire du loge-ment social pour, disent-ils, « ne pasaggraver la situation sociale de laville », ils n’hésitent jamais à imposerà notre ville le règlement des situa-tions d’urgence.Ainsi, lors de l’évacuation du bidon-ville de la Petite ceinture parisiennequi s’est faite brutalement et « sanssolution de relogement viable », j’aipu constater que le gouvernement arelogé 19 familles à Gennevilliers,d’autres à Stains et aux Ulis.

Donc d’un côté, il utilise ce mauvaisargument de lutte contre la pauvretéen empêchant la construction delogements sociaux dans les villes quidisposent d’un nombre normal delogements sociaux et de l’autre,quand il s’agit de reloger en urgenceles personnes en difficulté sociale,il les impose toujours dans lesmêmes villes.Rappelons que c’est aussi àGennevilliers qu’il a installé 42 per-sonnes, demandeurs d’asile, quisquattaient devant une mairied’arrondis sement de Paris. Que c’està Gennevilliers que l’État a imposéplus de 40 % des places de foyer dudépartement des Hauts-de-Seine etqu’ADOMA, qui les gère, transformeleur destination, à la demande del’État, en logement d’urgence. C’est

PAR PATRICE LECLERC*

L a ville de Gennevilliers s’estconstruite par et autour dulogement social. C’est la

richesse de notre ville, notre orgueilque d’avoir ainsi, équipe municipaleaprès équipe municipale, de WaldeckL’Huillier à aujourd’hui, essayé derépondre au droit au logement pourtous, un droit auquel nous ajoutonsune exigence de qualité.Nous sommes comme un îlot d’ex-ception dans ce Grand Paris, et sur-tout dans ce bain d’idéologie domi-nante, de pensée unique qui fait croireque le logement social est synonymede problèmes, de cas sociaux. Nousavons perdu une bataille idéologiqueparce que nous avons repris les motsde l’adversaire : « mixité sociale ».Nous avons participé à faire croireque le logement social est synonymede difficultés sociales et non les dif-ficultés sociales responsables des dif-ficultés des personnes.Les spéculateurs immobiliers, les libé-raux qui préfèrent un peuple endettéà un peuple combatif, ont gagné cettebataille des mots.Résultat : personne ne construit suf-fisamment de HLM, les loyers flam-bent dans le privé, les délais d’attentes’allongent pour avoir un logement,les riches refusent les constructionsdans leur ville, accentuant ainsi leurtendance à vivre entre eux.Les salariés, celles et ceux qui n’ont

que leur salaire, leur pension deretraite, ou leur indemnité de chô-mage pour vivre, sont chassés de lapetite couronne parisienne, ils doi-vent s’expatrier de plus en plus loin.Le sentiment d’humiliation, le ressen-timent, ne peuvent que grandir quand

Le Logement soCiaL, réPonse à L’urgenCeLa situation est catastrophique et elle va continuer de s’aggraver en matièrede droit au logement. Le logement social, habitation à loyer modéré, doitredevenir le logement pour toutes et tous les salariés (au travail ou hors tra-vail), l’outil du droit au logement. La pénurie organisée ne doit pas nous fairereculer sur cet objectif. bien au contraire !

« Les spéculateurs immobiliers, les libéraux qui préfèrent un peuple endetté

à un peuple combatif, ont gagné cette bataille des mots. »

« Les mal-logés, celles et ceux qui sontexploités par les marchands de sommeil,

avec souvent des risques sanitaires, ont besoin de logements sociaux en

nombre suffisant. »

s

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page21

22

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

DO

SSIE

R

que les politiques incitatives à la réha-bilitation mais également les procé-dures administratives d’insalubrité –même si ces dernières se sont amé-liorées à partir des années 2000 – n’ontpas atteint les immeubles les plus gra-vement touchés par le délabrement(majoritairement des copropriétés oudes hôtels meublés).

des ProPriétaires VoyousLa précarité et le chômage croissants,l’exclusion de pans entiers de lasociété, l’insuffisance de logementstrès sociaux ont permis le développe-

ment d’un marché immobilier de lamisère. Des investisseurs, soucieuxde profits immédiats, sans aucunevision patrimoniale, achètent deslogements à bas prix pour les louer

fort cher à des ménages exclus de l’ac-cès au logement, social ou privé. Cespropriétaires voyous, qui souvent nepayent ni les charges ni les travaux del’immeuble, prennent ainsi en otageleurs locataires et aussi les autrescopropriétaires qui, au mieux, quit-tent les lieux, au pire, subissent cartrop modestes pour partir.Il est désormais reconnu que ce sontles plus pauvres qui vivent dans cesimmeubles. Au-delà des problèmesde bâti, le mal-logement génère uncoût social dramatique. Du point devue sanitaire, touchant essentielle-ment les enfants : maladies broncho-pulmonaires, saturnisme infantile,affections diverses dues à la verminequi prolifère dans les logements, sanscompter les maladies psychiatriquesliées aux conditions d’habitat. Dupoint de vue de la scolarité : l’exiguïtédes lieux ne permet pas un travail sco-laire de qualité. Du point de vue plusgénéral de l’insertion professionnelleet sociale : l’énergie déployée par lesménages pour survivre dans leurslogements sordides est telle qu’ellesubmerge leur capacité à surmonterleurs autres problèmes, renforçantl’exclusion et les difficultés sociales.

PAR CÉLINE BRODOVITCH*

L e « mal-logement » prospère surl’exclusion et la pauvreté, essen-tiellement dans certains cen-

tres anciens souvent délaissés parleurs habitants d’origine, mais égale-ment en zone rurale et dans descopropriétés récentes en déshérence.

Ces situations sont d’autant plus pro-blématiques qu’elles perdurent mal-gré des décennies de politiquesurbaines et de programmes visant à

l’amélioration des conditions de loge-ment. Le décalage est d’autant plusgrand qu’une part croissante de lapopulation dispose d’un habitatconfortable. Force est de constater

un marCHé immobiLier de La misèreil subsiste encore 400 000 logements indignes présentant un danger pourla santé ou la sécurité de leurs habitants, 600  000 logements sansconfort, 20 % de logements surpeuplés à Paris et en proche couronne. Leslogements insalubres et indignes sont un fléau que l’on ne devrait plus ren-contrer dans notre pays.

« Le “mal-logement” prospère sur l’exclusion et la pauvreté, essentiellement

dans certains centres anciens souventdélaissés par leurs habitants d’origine. »

aussi à Gennevilliers que l’État donnel’agrément à la Croix rouge pour réa-liser plus de 800 domiciliations paran. C’est aussi dans les hôtels deGennevilliers que le 115 de Paris logede nombreuses familles.

Construire des struCtures d’aCCueiLdans toutes Les ViLLesPlutôt que d’empêcher notre ville deconstruire des logements pour répon-dre aux besoins des habitants, le gou-vernement devrait avoir le couraged’imposer des constructions de loge-ments sociaux dans toutes les villesqui n’en ont pas assez. Il devrait tra-vailler à des solutions durables pourles personnes mal logées.

Il faut construire des structures d’ac-cueil pour les situations d’urgencedans toutes les villes. Mais de nom-breuses urgences ne sont desurgences que parce que la pénurie delogements sociaux est bien entrete-nue ! Les femmes battues n’ont passeulement besoin d’une place enfoyer, mais rapidement d’un logementdigne pour vivre éloignées de ceuxqui les martyrisent. Les mal-logés,celles et ceux qui sont exploités parles marchands de sommeil, avec sou-vent des risques sanitaires, ont besoinde logements sociaux en nombre suf-fisant pour que l’attente soit moinslongue en même temps qu’on éra-dique le logement insalubre. Lesjeunes couples ne seraient pas

contraints de se saigner avec des rem-boursements d’emprunt élevés, ajou-tés aux charges, si le logement socialétait moins cher et en nombre et qua-lité suffisants pour répondre à leurbesoin évolutif avec l’agrandissementde leur famille.Il faut reprendre le combat pour leHLM, Habitation à loyer modéré, pourtoutes et tous. Un lieu de qualité pourque le monde du travail et de la créa-tion vive dans sa diversité etconstruise ensemble. C’est un terrainde lutte d’une grande actualité quiparticiperait à rassembler le peuple.n

*Patrice Leclerc est maire (PCF)de Gennevilliers.

s

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page22

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

23

DO

SSIE

R >

LOG

EMEN

T, L

E D

ROIT

AU

BIE

N-Ê

TRE

Pour compléter ce dossier vous pouvez consulter des numérosde La Revue du projet ayant déjà traité du logement.

*Céline Brodovitch est ex-directricede la Société de requalification desquartiers anciens (SOREQA).

L’État a pris conscience que la luttecontre l’insalubrité ne pouvait serésoudre par de seules mesures inci-tatives. La loi de mobilisation pour lelogement et la lutte contre l’exclusionde mars 2009 a ouvert le champ d’in-tervention de l’agence nationale pourla rénovation urbaine (ANRU) à larequalification des quartiers anciens.L’ANRU participe à la prise en chargedu déficit des opérations, mais la misede fonds est loin d’être à la hauteurdes enjeux. Ce sont donc les collecti-vités locales, dotées d’une fortevolonté politique, qui portent ces pro-jets de façon significative. Il ne s’agitpas d’intervenir uniquement sur le

foncier, mais de porter également lepoids des relogements, principale-ment en logements sociaux, l’accom-pagnement social long et complexedes ménages, et de favoriser la reva-lorisation des quartiers par un véri-table projet urbain (équipementspublics, requalification des espacespublics, des commerces etc.). Pours’engager sur le long terme dans cesopérations de résorption de l’habitatindigne et ne pas les traiter partielle-ment, les collectivités ont besoin

d’une pérennité des dispositifs opé-rationnels nationaux et d’un renfor-cement des participations financières.

Il est également nécessaire de pro-duire plus de logements très sociauxet de structures offrant un héberge-ment pérenne à ces ménages « horsnormes » issus des logementsindignes. Espérons que le Nouveauprogramme national de renouvelle-ment urbain saura en tenir compte.

Lutter Contre des Pratiques déLiCtueusesIl est anormal que la puissancepublique se voit obligée, par urgencesociale, d’exproprier avec des indem-nisations confortables des proprié-taires mafieux qui s’enrichissent del’accroissement du parc insalubre.Même si la loi permet de réduire lesindemnités estimées par FranceDomaine en cas d’insalubrité, ces esti-mations restent, dans un contexte demarché tendu, très élevées, et main-tiennent une forte plus-value. C’est àtous niveaux qu’il faut lutter contreces pratiques délictueuses :• en étendant la saisie conservatoireprévue pour les loyers impayés auxcharges et travaux de copropriétéimpayés ;

• en réduisant les délais de procédurede recouvrement et de vente forcéedes biens immobiliers dans lescopropriétés ;

• en instaurant une obligation de pro-duire au service de la taxe foncièreun diagnostic technique des loge-ments, éventuellement sur des sec-

teurs ciblés, avec liste des travaux àexécuter et contrôle par des orga-nismes certifiés. La non-réalisationdes travaux sous un certain délaipourrait donner lieu à une amendefiscale ;

• en annexant à la demande d’auto-risation de location, prévue dans laloi ALUR, ce diagnostic techniqueet en donnant les moyens aux com-munes de mettre en place ces auto-risations et leur contrôle ;

• en augmentant les dotations des ser-vices concernés pour réaliser les tra-vaux d’office suite à un arrêté d’in-salubrité non suivi d’effet et pourmettre en pratique les astreintesfinancières prévues par la loi ALUR ;

• en appliquant de façon ferme lessanctions pénales prévues pour ledélit « d’hébergement portantatteinte à la dignité humaine » et enformant les juges à entendre la voixdes locataires fragilisés qui ontmoins de moyens pour se défendreque leurs propriétaires.

La vraie solution à l’insalubrité restela production d’une offre de loge-ments pour les ménages les plus fra-gilisés. En attendant, il faut un appuifort aux projets des collectivités dansces quartiers dégradés et faire cesserpar tous moyens de droit les pratiquesdes marchands de sommeil.n

« au-delà des pro-blèmes de bâti, le

mal-logementgénère un coût

social dramatique. »

N° 21 : Habiter la ville,novembre 2012

N° 29 : Commun(ism)eet municipales, septembre 2013

N°32 : Les territoires de l'égalité, décembre 2013

N°33 : Dessine-moi une ville humaine, janvier 2014

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page23

24

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

DO

SSIE

R• la question patrimoniale : nousvivons le choix de la démolitioncomme une politique au détrimentd’une grande politique volontaristeet novatrice de rénovation qui, par-delà l’adaptation aux différentesnormes contemporaines, permet-trait des transformations lourdes deslogements anciens, et tout particu-lièrement ceux des ensembles d’ha-bitat collectif du XXe siècle, afin deles préserver comme une réponsedurable aux besoins d’aujourd’huiet de demain.

• la question qualitative : nous vivonsune standardisation intensive del’offre nouvelle due aux effets conju-gués :- d’une hypertrophie normative etune prégnance de modesconstructifs rigides,

- d’une domination du marchéréduisant le logement à un produitd’investissement spéculatif moinsconsidéré pour son habitabilitéque pour sa capacité à générer dela plus-value,

- une quasi-marginalisation de l’of-fre sociale, présentée comme uneréponse provisoire dans un par-cours résidentiel devant aboutirinéluctablement à l’accession,alors même qu’elle constituait unesource sans équivalent à la foisd’innovations durables et d’expé-rimentations nouvelles.

enJeux soCiaux de L’arCHi-teCtureDans un tel contexte, la probléma-tique du logement évolutif interrogeplus fondamentalement les enjeuxsociaux, sociétaux et anthropolo-giques de l’architecture au diapasonde l’habiter concret des individus.Pendant les siècles où l’architecturesavante ne se souciait guère de laquestion de l’habitat pour tous, lagrande masse des constructionsrépondait peu ou prou à des modesde vie sinon immuables, du moinstrès stables, et s’avère encoreaujourd’hui d’une adaptabilité éton-nante !Depuis la rupture incarnée par leMouvement moderne, y compris enfaisant du logement une dimensionessentielle de la réflexion et de la pro-duction architecturales, la question

du logement modulable et évolutiffait régulièrement l’objet d’une atten-tion particulière sans jamais s’impo-ser comme une thématique structu-rante et pérenne. Plus encore, lagrande masse des logements produitsau XXe siècle s’avère le plus souventtrès difficile à transformer !La résurgence de cette problématiqueaujourd’hui est un symptôme contra-dictoire ô combien révélateur :- signe d’une époque où prédomineune accélération des bouleverse-ments de nos modes d’activité, devie, d’habiter, de sociabilité et de ter-ritorialité qui sape toute stabilité auprofit de fluctuations surdétermi-nées tant par les enjeux économico-financiers que par l’atomisation desliens sociaux et collectifs et l’homo-généisation des rapports sociauxdans un monde globalisé semblantéchapper à toute maîtrise,

- signe de véritables disjonctions entrenos désirs, aspirations, besoins etexigences en matière d’habiter etune production de logement prisedans la spirale infernale d’uneréduction continue aussi bien dessurfaces habitables que du champdes possibles conceptuels.

Dans ce contexte, même si le loge-ment modulable et évolutif ne peutconstituer une panacée, il peut êtreune source extrêmement fertile d’in-novations et de progrès, pour peu qu’iltende à s’affranchir des surdétermi-nations soulignées et oblige l’ensem-ble des acteurs du logement à desbougers significatifs.Encore conviendrait-il de demanderaussi : sur quelles modulabilités etévolutivités ? Mises en œuvre par quiet dans quelles conditions d’accessi-bilité ? Imaginées par qui et selonquels critères ? À partir de quelles don-nées abstraites ou demandesconcrètes ? n

PAR MAKAN RAFATDJOU*

L’ émergence du logement évo-lutif est-elle une réponse pos-sible à la crise du logement ? Si

cette dernière est le résultat decarences quantitatives et qualitatives,elle comporte aussi une dimensionde plus en plus importante de mal-logement, c’est-à-dire de l’inadéqua-tion croissante entre l’offre du loge-ment et les évolutions des modes devie et d’habiter tout au long de la viede chacun : mise en couple, nais-sances, autonomisation dès l’adoles-cence, décohabitation ou au contrairecohabitation prolongée des jeunesadultes, séparations et recomposi-tions familiales, vieillissement etdépendance, solitudes et sous-loca-tions, etc. constituent autant demoments, conditions et possibilitésdifférents qui, aujourd’hui, imposentpresque toujours de changer de loge-ment !

Le CHoix du Logement, un CHoix ContraintCe qui, comme choix assumé,confronte chacun à la difficulté detrouver un nouveau logement finan-cièrement acceptable, qualitative-ment adéquat et géographiquementaccessible et, comme choix contraint,est soit source de déchirement, voirede relégation et ségrégation s’il fautpartir, soit source de souffrances etde mal-vivre si justement on ne peutpartir !Cette situation conduit à une séried’observations de registres différentset complémentaires :• la question quantitative : si nous nevivons pas une situation de pénuriede logement au regard de la faiblecroissance démographique, lacarence résultant de la baisse delogements neufs empêche de fait lerenouvellement « naturel » du parcancien parfois obsolète et impossi-ble à adapter aux impératifs écolo-giques, aux normes de sécurité et debien-être, et aux évolutions desmodes de vies contemporains. Cemanque de logements neufs estd’autant plus cruellement ressentiqu’il frappe le plus souvent lesmêmes couches de la population.

Le Logement éVoLutiFentre utoPies et réaLitésFace à la crise du logement, le logement modulable et évolutif peut consti-tuer une source extrêmement fertile d’innovations et de progrès.

*Makan Rafatdjou est architecte.

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page24

DO

SSIE

R >

LOG

EMEN

T, L

E D

ROIT

AU

BIE

N-Ê

TRE

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

25

bois de cinquante-sept mètres carrésque l’architecte français Jean Prouvéavait conçue à la demande de l’abbéPierre en 1956, mais dont le proto-type ne fut jamais homologué.Car il ne s’en faut pas de beaucouppour que le carrosse du petit espace« malin » redevienne la citrouille dumal-logement. En janvier 2013, alorsqu’il était encore maire de New York,Michael Bloomberg avait annoncé laconstruction d’un complexe demicro-appartements – entre vingt-trois et trente-quatre mètres carrés –destinés à accueillir des couples oudes familles monoparentales. Le pro-jet retenu, livrable à l’automne 2015,devait réduire autant que possible lesentiment d’oppression grâce à degrandes fenêtres, des balcons et desespaces communs : terrasse, buan-derie, salle de gym… Des experts ontcependant alerté sur les illusions etles dangers d’une telle réponse aumanque de logements abordables.L’un d’eux, spécialiste du design enlien avec la santé humaine, jugeaitcette configuration « fantastique »pour des jeunes gens dans la ving-taine, mais conseillait vivement de

l’oublier pour toutes les autres caté-gories de population. Il invitait à ima-giner la claustrophobie des résidentslorsqu’ils n’auraient le choix, le soir,qu’entre leur unité d’habitationexiguë et des espaces communs enva-his de voisins. De telles situations,prévenait-il, augmentaient les risquesde violences domestiques et d’addic-tions – à Hong Kong, la courbe descomportements abusifs à l’égard deproches s’est envolée en même tempsque celle de la population. De plus,s’ils peuvent être amusants les pre-miers temps, les lits et tables escamo-tables impliquent des tâches quoti-diennes supplémentaires qui, à lalongue, deviennent pesantes ; lesoccupants négligent alors de lesreplier et se retrouvent dans un envi-ronnement encore plus impraticable.Les enfants souffrent de troubles dela concentration, ce qui les pénalisedans leur scolarité. Enfin, le fait de nepas pouvoir recevoir des amis nuit àla vie sociale et affective des locataires.Un professeur de psychologieremarque que les petits espaces n’en-visagent le logement que sous sonaspect pratique, alors qu’il doit aussi

PAR MONA CHOLLET*

e n dressant leur liste des com-posantes de l’habitation idéale,l’architecte Christopher

Alexander et ses collègues ont bientenu compte du besoin de se retran-cher, de se pelotonner : on trouvedans leur livre des entrées intitulées« Alcôves » ou « Endroit secret » […].Mais leurs petits espaces s’inscriventdans le cadre de la maison ; ilsne constituent pas la maison. Celaparaît sage. Il faut se méfier de lafatigue, de l’usure, des frustrationsqu’ils font naître à la longue. On peuten avoir assez de devoir rentrer la têteentre les épaules pour éviter de secogner au plafond en allant se cou-cher sur sa mezzanine mansardée, oude devoir garder les coudes collés aucorps en prenant sa douche. Quandon vit à deux ou plus, on peut avoirparfois envie de fermer une porte etde s’isoler une heure – et pas aux toi-lettes, si possible. […] Et s’il s’agit deloger les familles sans abri, on pourrapréférer la « Maison des jours meil-leurs », construction préfabriquée en

s’adaPter, mais Jusqu’où ?on vante parfois les mérites des petits espaces bien agencés, considéréscomme une réponse à la crise du logement. Un discours qui cache souventla réalité du mal-logement.

s

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page25

26

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

DO

SSIE

R remplir d’autres fonctions. Nous yrevoilà…Pouvoir inviter ses amis, oui. Pouvoirdonner des dîners, des fêtes ; pouvoirpousser les meubles pour danser – oumême, soyons fous, ne pas pousserles meubles pour danser. Pouvoirhéberger quelqu’un sans sacrifier l’in-timité et le confort de tous. Disposer,dans une pièce au moins, d’un espacedégagé où l’on puisse étaler un tapisde gym, s’allonger, s’étirer, déplier sesbras et ses jambes, sans heurter lesmeubles […]Parce qu’ils ont conscience de cesenjeux, formulés par leurs aînés aprèsmai 1968, certains architectes fran-çais dénoncent aujourd’hui une« diminution progressive des surfaceshabitables des logements neufs duparc HLM ». Et cela, soulignent-ils,alors que l’on observe une augmen-tation du temps passé à domicile, « dufait de la diminution du temps de tra-vail, du chômage, et de l’accroisse-ment des dépenses d’équipementdomestique (télévision plasma grandécran, home vidéo, ordinateur,console de jeux, etc.) ». En outre, sil’enfant, devenu adulte, reste trop

longtemps tributaire du soutien et dulogement familiaux – ce qui, par lestemps qui courent, n’est pas à exclure–, sa chambre de neuf mètres carrésrisque de se transformer en « vérita-ble cellule de pénitent ».À Paris, 193 000 logements, soit 14 %du parc immobilier, « correspondentà des résidences secondaires, loge-ments occasionnels ou biensvacants ». L’Europe compte onze mil-lions de logements vides, soit deuxfois plus que de sans-abri. La criseaméricaine des subprimes a été pro-voquée en 2007-2008 par l’irrespon-sabilité des banques, elle-même per-mise par la dérégulation de la financeet par la promotion de l’accès à la pro-priété immobilière comme solutionuniverselle. Les adeptes du smallliving occupent donc exactement laplace qu’un ordre social inique leurassigne. Ils se contorsionnent pourentrer dans le placard qu’on veut bienleur laisser et prétendent réaliser par-là leurs désirs les plus profonds. […]Célébrer les mille et une ressourceset l’inventivité de ceux qui s’arran-gent le moins mal possible avec leursconditions d’existence ; les persua-

der qu’ils ne sont pas les dindons dela farce, mais les pionniers d’un modede vie plus écologique et plus convi-vial ; vanter la redécouverte des plai-sirs simples : un procédé classique.En 2009, après l’éclatement de la crisefinancière, les magazines françaisavaient multiplié les articles annon-çant « le temps des consomalins » (LeNouvel Observateur) ou proposant le« guide des nouvelles combines » (LePoint). […] Confronté à la crise éco-nomique la plus grave depuis celle de1929, contraint d’éponger les dégâtscausés par l’avidité et l’irresponsabi-lité des banques, le citoyen ordinairese retrouvait dans une panade sansnom. Qu’importe : les médias l’invi-taient unanimement à voir le bon côtédes choses, à biner son potager, às’adonner aux joies du covoiturage, àpratiquer le « yoga du rire » et à« modifier son monde mental » – àdéfaut de modifier le monde réel.n

*Mona Chollet est journaliste.Extraits de Mona Chollet, Chez soi :une odyssée de l’espace domestique,Zones, 2015, publiés avec l’aimableautorisation de l’auteur.

s

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page26

DO

SSIE

R >

LOG

EMEN

T, L

E D

ROIT

AU

BIE

N-Ê

TRE

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

27

tés pas moins de 342 magasins. Sesdesignersdessinent et prototypent desobjets proposés dans un catalogueunique pour tous les habitants de laterre tous territoires confondus, tirésà 211 millions d’exemplaires et pro-posé en 29 langues.

Pour répondre à la question centrale :« comment bien vivre dans moinsd’espace ? », cette multinationale dumeuble opte pour une mécaniquemarketing extrêmement efficace dis-tinguant à grands traits les types de

consommateurs mondiaux, résuméspar une équation à quatre inconnues :vieux pays, jeunes économies, ville etcampagne. Toujours en alerte et à l’af-fût des singularités locales pour enri-chir son catalogue, elle propose desimages d’intérieurs au goût soigné etdécontracté, dérangés « mais pastrop » et peuplés d’enfants turbulents« juste ce qu’il faut » !Ce catalogue/album décrit en défini-tive une manière type de vivre à tra-vers un standard hissé au rang d’unesorte de norme mondiale. Dans un contexte de pression immo-bilière qui réduit les surfaces habita-bles à une simple addition de mètrescarrés répondant à des standardsréglementés et normés, le meuble doitrendre service et ne doit plus encom-brer. Et pour répondre au mot d’or-dre généralisé « Optimiser l’espace »,il doit proposer des rangements adap-tés et des solutions malignes etmobiles.Ainsi, pour répondre à l’évolution denos manières de vivre dans nos appar-tements de plus en plus petits, lesmeubles Ikéa sont de plus en plusingénieux. L’enseigne suédoise adéveloppé toute une panoplie derecettes pour veiller à ce que lesclients achètent chez eux plus qu’ilsn’en avaient l’intention. Ce champion

des prix toutes catégories au seind’une offre large, est une machinebien rodée sur un circuit fermé alter-nant mobilier et décoration décon-tractée, colorée, chic et pas cher alter-nant des showrooms avec des surfacestotalement dédiées aux petits achatsdéco favorisant l’impulsion.Au commencement, on trouve cesgrands sacs jaune et bleu que nouscroiserons partout sur notre trajetdans le magasin conçu comme unlabyrinthe en boucle fermée de rêvesà bas prix dans une esthétique mini-maliste, que nous pouvons acheteren kit et monter nous-mêmes.

Le meubLe en Kit Le développement du meuble en kitest lié directement à l’industrie despanneaux de particules utilisés dansle meuble à la fin des années 1970. Lemeuble en kit consomme, essentiel-lement, des panneaux de particulescomposés de copeaux ou de parti-cules de bois encollées avec desrésines, le tout agrémenté d’un revê-tement en papier décoratif imprégnéde résine mélamine et collés à chaud.Moins chère, cette matière premièrea remplacé le bois massif. Ces déchets

de bois qui sont inutilisables enmenuiserie sont ainsi transformés etenvahissent nos intérieurs chargés deleurs formaldéhydes, un produittoxique et dangereux pour la santé.Le kit passe de plates-formes enplates-formes avant d’atterrir dansnos intérieurs. On se garde bien derévéler aux consommateurs que cesproduits qui meublent les chambres

PAR SORAYA BAÏT*

sur un fond de distinction et deconformité, le meuble a changéde statut dans les années 1970.

Il est passé du rang d’objet patrimo-nial à celui d’objet de désir, d’objetconsommable, rejoignant ainsi lesséries de produits de consommationcourante à la diffusion planétaire etrépondant aux impératifs de renou-vellement accéléré de la mode. Onentre ainsi dans la logique du désir –

au sens social – qui implique le regardet la reconnaissance des autres. Maisau travers d’une production indus-trielle ce désir de reconnaissance etde distinction produit des êtres stan-dardisés dans un système qui, commenous le rappelle Jean Baudrillard « […]ne joue jamais sur les différencesréelles (singulières, irréductibles)entre des personnes […] Il élimine lecontenu propre, l’être propre de cha-cun (forcément différent) pour y subs-tituer la forme différentielle, indus-trialisable et commercialisable dessignes distinctifs ». Le meuble n’aurapas échappé à cette logique. Onhabille son intérieur comme on s’ha-bille et le meuble doit désormais être« beau », utile, accessible et facilementremplaçable !

des CataLogues/aLbumLes grands distributeurs tels que Ikéa,Fly, But, Conforama, l’ont bien com-pris. Ils connaissent les habitudesdomestiques de leurs millions declients et partagent une approchemarketing qui classe et recense lesconsommateurs selon des profils bienprécis.En 1963, l’enseigne Ikéa s’aventurehors de ses frontières suédoises et semondialise en s’installant dans unequarantaine de pays où sont implan-

L’intérieur standardnotre monde, régi par la mode où chacun se couvre de signes distinctifs quifinissent par être ceux de tout le monde, est saturé de produits en tout genreoù la marchandise est parvenue à l’occupation totale de notre vie sociale.

« Le meuble est passé du rang d’objetpatrimonial à celui d’objet de désir,

d’objet consommable, le meubledoit désormais être “beau”, utile,

accessible et facilement remplaçable ! »

« on se garde biende révéler aux

consommateursque ces produitsqui meublent leschambres de nos

enfants sontpourtant interditsdans les écoles ! »

s

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page27

avec 25 % des émissions de Co2 et 43 % de la dépense éner-gétique actuelle en France, le secteur du bâtiment est incon-tournable pour atteindre les objectifs du facteur 4 à savoirdiviser par 4 les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050.du côté des logements neufs, le problème est en partie réglé,puisque tous les logements doivent satisfaire à la norme bbC(bâtiment basse consommation) à partir de janvier 2013, c’est-à-dire une consommation maximale d’environ 50 kWh/m2/an.mais les logements neufs construits chaque année, ne repré-sentent que 1 % par an du parc de logements total : l’essentielde la consommation énergétique se fait et continuera à sefaire dans l’existant, qui doit donc être la cible principale.rénover les 23 millions de logements les plus énergivores ennorme bbC serait extrêmement coûteux. C’est ce qui ressortde la plupart des expériences de rénovation sur le terrain. ilfaut donc rénover mais intelligemment, en utilisant au mieuxles ressources […].si ce sont les émissions de gaz à effet de serre qu’on veut vrai-ment réduire alors il faut privilégier en plus de la rénovationde l’enveloppe avec des matériaux isolants performants, leremplacement des vieilles chaudières très peu performantespar des systèmes de production de chaleur moderne et éco-logique, émettant peu de Co2 (chauffe-eau solaire, pompesà chaleurs (PaC) couplées à de la géothermie basse tempé-rature, réseaux de chaleurs fonctionnant au bois ou à l’inci-nération de déchets, traditionnelles chaudières à bois à fortrendement). […] nous disposons d’une panoplie de solutionstechnologiques pour faire face aux situations diverses quipeuvent se présenter dans les constructions : maison indivi-duelle disposant d’un terrain, habitat collectif très concentréen milieu urbain avec peu de place et une surface de toiturelimitée, proximité de source géothermique accessibles, géo-graphie à fort ensoleillement, réseau de chaleur disponibleou tout autre projet réalisable…il faudrait produire tous ces équipements à plusieurs millionsd’exemplaires, il s’agit donc de construire une vraie filière de

la production de chaleur renouvelable qui est inexistante enFrance. C’est un vrai gisement d’emploi au lieu d’importer tousces produits d’allemagne ou du Japon. […]aujourd’hui seules quelques dizaines de milliers de rénova-tions par an se font de façon vraiment efficace, certainementà cause du prix prohibitif et difficilement amortissable dansle temps. on est donc loin de l’objectif des 500 000 logementsrénovés par an. à ce rythme les objectifs du grenelle de l’en-vironnement seront réalisés dans trois siècles !Pour encourager ces rénovations, il faudrait, en fonction desrevenus de chacun, distribuer sous forme de subventions oude prêt à bas taux des aides pour inciter les propriétaires àrénover leur logement. rien à voir avec le crédit impôt ou autredispositifs et aides diverses favorisant les effets d’aubainechez les marchands de systèmes de chauffages qui en ont pro-fité pour augmenter les prix, avec de nombreuses malfaçons[...ou ciblant] des propriétaires déjà aisés qui paient des impôtset qui ont les reins assez solides pour contracter un prêt. […]il y a le cas également des logements collectifs privés : com-ment faire en sorte que les travaux ne se soient pas imposésà des copropriétaires démunis et qui se trouveront dans l’obli-gation de céder leur logement ? […]10 à 15 milliards d’euros par an sont nécessaires pour finan-cer un tel plan, sur la base de 500 000 logements rénovés paran, avec un coût de 20-25 000 euros par appartement per-mettant de passer de 300 kWh à 100 kWh/m2/an, performancequi reste raisonnable et techniquement faisable. L’ampleurdu financement donne d’autant plus de pertinence à notreproposition de pôle public financier, qui orienterait la créa-tion monétaire pour cette grande cause nationale (et non pourla spéculation !). […]

RÉnoVation ÉnERgÉtiqUE dEs LogEMEntsinvestir dans l’efficacité énergétique des bâtiments est intéressant pour l’environne-ment, pour l’emploi et pour la balance commerciale, en allégeant la facture énergétiquede la France.

Amar Bellal est est rédacteur en chef de Progressistes.Extraits de Progressistes, n°1, juin-juillet-août 2013.

28

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

DO

SSIE

R de nos enfants sont pourtant inter-dits dans les écoles !Comme tous les grands distributeurs,Ikéa anticipe sur notre comportementde consommateur par un agence-ment efficace où tous les produitssont habilement disposés de façon ànous faire croire que nous avons réa-lisé notre choix de manière indépen-dante. Pour attirer et libérer l’espritdes clients lors du processus d’achat,cet agencement spatial est assorti deservices : un restaurant (scandinave),une garderie d’enfants et un serviceaprès-vente très efficace.Comme tout produit de consomma-tion de masse, le meuble s’est aussidoté de tous les dispositifs capteursde consommateurs : le crédit et lapublicité usant de tous les supports.Et pour éviter toute fuite possible, des

applications digitales se sont multi-pliées pour détailler le profil du clientet lui offrir un choix de produits adhoc qui s’affiche sur tous ses écrans !

Nos intérieurs modernes sont peu-plés d’objets standards libérés de leurspoids symboliques. Nous sommespassés en quelques décennies de« l’être » à « l’avoir » puis nous avonsglissé de « l’avoir » au « paraître ». Nousexigeons de nos meubles qu’ils soientfonctionnels, pas très chers et peuencombrants dans un univers éman-cipé des conventions de bienséanceréservés aux intérieurs traditionnelsoù les objets sont possédés et trans-mis avec leurs mémoires.Nous pourrions questionner le statutde ces meubles dans le temps, leurcycle de fabrication, d’usure et de

renouvellement, leur stockage…Dansnotre présent chargé d’impératifs éco-logiques et d’urgence d’action, le stan-dard répondant au slogan everydaylow price (des prix bas tous les jours)a un autre prix invisible et élevé dontpersonne ne nous parle et qu’aucunenotice ne signale.

Aujourd’hui se bricolent de nouvellesfaçons de construire son intérieurracontant les mille possibilités d’ap-propriation et de détournementqu’offre le monde des objets où cer-tains tentent de se réinventer…n

*Soraya Baït est architecte. Elle estdoctorante à l’université de Tours.

s

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page28

«L’extrême gauche croit que la mondialisation estune option, alors qu’elle est une réalité à laquelle ilfaut s’adapter du mieux possible  » écrit arnaud

Leparmentier dans Le Monde du 28 janvier 2016. d’autres par-lent de la dictature des marchés financiers. Cette formulelaisse penser que les marchés financiers ont pris le pouvoirpar eux-mêmes et pose donc la question de la manière adé-quate permettant de mettre à bas cette dictature.

En réalité, la mondialisation financiarisée n’est ni un phéno-mène naturel ni prise de pouvoir, mais résulte d’une succes-sion de mesures politiques visant à libérer les marchés decapitaux. d’abord par la titrisation des dettes publiques puispar la fin de la régulation des mouvements de capitaux, maquil-lés par deux idiomes. d’abord celui de « liberté », comme siles capitaux étaient in fine comparables à des êtres, ensuitecelui de naturel (parce que ces réformes ont été imposéesles années 1980 dans tous les pays) alors que ces choix sontéminemment politiques.

À cela s’est ajoutée la globalisation (l’étage supérieur, idéo-logique) qui veut que l’on donne aux marchés le pouvoir pourlui-même : pouvoir de s’organiser, pourvoir de se réguler. danscette optique cela serait l’économie, et non la politique quifaçonnerait les événements humains et parce que les mar-chés seraient plus aptes à gérer les pays que les politiques.Ceux-ci doivent donc, dans cette optique, être mis à leur ser-vice. bien loin de combattre son « ennemie », la politique dehollande et Valls et plus encore de Macron (faisant suite auxexpériences de schrœder et blair) vise à plier enfin la Franceà cette nouvelle bible (car c’est bien la main invisible qui agitet qui auto-régule les marchés et la main invisible, c’est lavolonté de dieu). donc il faut s’y adapter « s’adapter à la mon-dialisation », car cela mènera au Paradis sur terre, voici le scé-nario à l’eau de rose décrit par john saul dans The collapseof globalism and the reinvention of the World [L’effondrementde la mondialisation et la réinvention du monde] :

« Ces marchés libéreront des vagues d’échanges. Et cesvagues, à leur tour, produiront une vaste marée de croissanceéconomique. À son tour, cette onde de marée élèvera le niveaude tous les bateaux, y compris ceux des pauvres, que ce soiten occident ou dans les pays en voie de développement. Laprospérité qui en résultera permettra aux individus qui sontfoulés au pied de passer de la dictature à la démocratie. biensûr, ces démocraties ne jouiront pas du pouvoir absolu desanciens États nations. nous verrons donc se racornir le natio-nalisme, le racisme et la violence politique irresponsable.sur le front économique, la taille des nouveaux marchés exi-gera des entreprises toujours plus grandes. Et la taille de cesdernières les élèvera au-dessus des risques de faillite. Ce seraune autre source de stabilité internationale. Ces multinatio-nales seront tout près de détenir le leadership de la civilisa-tion par les marchés. Elles deviendront presque des États vir-tuels. Et leur domination envahissante les rendra insensiblesaux préjugés politiques locaux.tout cela créera les conditions d’une saine gouvernance, etnous verrons émerger des gouvernements libérés de l’endet-tement. Le marché ne tolère pas moins. Ces comptes publicsstables à leur tour, stabiliseront nos sociétés.bref, libérés des chaînes de l’entêtement des hommes, nouspourrons vaquer à nos intérêts individuels pour tendre versune vie de prospérité et de bonheur général. Les cycles del’histoire auront été brisés. L’histoire sera bel et bien morte. »Clap de fin.En réalité la globalisation financiarisée ne fonctionne pas, çaaccroît les inégalités sociales comme jamais, ça détruit l'en-vironnement, ça déstabilise en permanence  l'économie despays surtout les plus pauvres, le divin marché est un leurre…et pourtant on continue dans la même direction, car cetteidéologie de la globalisation est puissante et comme le dittrès bien l’économiste américain joseph stiglitz « une idéo-logie fournit une lentille à travers laquelle voir le monde, unensemble de croyances auxquelles on adhère si fort qu’il n’estpresque pas besoin de confirmation empirique ».L’idéologie de la globalisation rappelle le marxisme-léninisme,idéologie qui a fini par tuer l’idéal communiste en Union sovié-tique et dans les pays de l’Est, qui tout en affirmant le contrairea fini par nier la réalité. Le parallèle est saisissant.on en est au même point en Europe où l’idéologie dominantede l’Union européenne est l’instrument de la mondialisationfinanciarisée. dès qu’un écueil devient visible, la contradic-tion de la doxa est niée : in fine, les problèmes sont dus au faitque l’on n’a pas poussé assez loin les logiques de celle-ci.ainsi en est, par exemple, du chômage. Point question d’in-terroger la responsabilité du système capitaliste, de l’austé-rité ou des logiques financières en cours dans l’ensemble desentreprises. non le chômage serait dû à l’inadaptation destravailleurs, à leur tropisme à l’assistanat. Pourtant aujourd’huirien n’est plus flagrant que le gâchis engendré par le mode deproduction capitaliste : incapable d’assurer un débouché àtoute la force de travail, d’un point de vue aussi bien quanti-tatif que qualitatif pour répondre aux nombreuxbesoins sociaux non satisfaits (logement, transports publics,qualité de l’alimentation, accès a la culture pour tous, etc.). n

Patrice Busque

La mondialisation (globalisation) est-elleun phénomène naturel ou même divin ?

« Point questiond’interroger la

responsabilité du systèmecapitaliste, de l’austérité ou

des logiques financières en cours dans l’ensemble

des entreprises. non le chômage serait dû

à l’inadaptation destravailleurs, à leur tropisme

à l’assistanat. »

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

29

LEC

TRIC

ES &

LEC

TEU

RS

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page29

37eC

ON

GRÈ

S

30

La REVUEdU PRojEt

FÉVRiER 2016

CinqUantE dossiERs pour un 37e congrès constructifLEs qUatRE gRands thèMEs PRoPosÉs PaR LE ConsEiL nationaL sont : 1. Une société sans chômage, 2. Une société du bien-vivre et du bien-commun, 3. La refondation démocratique de la République, une France d’égalité, ouverte et respectée, 4. La Paix et sécurité pour la France, en Europe et dans le monde...Pour enrichir vos propositions et préparer collectivement le 37e congrès vous avez à votre dispositionen ligne plus de cinquante dossiers apportant des informations, des idées, des propositions, des éclai-rages... Vous pouvez les consulter sur http://projet.pcf.fr/ ou commander (à un prix militant) les numé-ros papier qui correspondent aux thèmes dont vous souhaitez débattre en vue du congrès.n’hésitez pas à contacter l’équipe de la revue ([email protected]) pour préparer vos réunions, débats...

pRépAREz LE ConGRèS, SouTEnEz LA REvuE !

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page30

o N°1 : LA SÉCURITÉ • octobre 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°2 : LES SERVICES PUBLICS • novembre 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°3 : Quelle ÉCOLE pour aujourd’hui et pour demain • décembre 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°4 : Comment changer dans LA MONDIALISATION • janvier 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°5 : LA GAUCHE DE L’AVENIR ? 80 thèses pour remettre la gauche sur le bon pied • février 2011 . . . X ...... ex. o N°HS : Rencontre nationale pour un PROJET POPULAIRE ET PARTAGÉ • mars 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex.o N°6 : ÉCOLOCOMMUNISTE, sans complexe • mars 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°7 : EUTHANASIE : a-t-on le droit de mourir ? • avril 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°8 : PROJET SOCIALISTE : une analyse critique pour avancer à gauche • mai 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°9 : LE MULTICULTURALISME, un cauchemar ? • juin 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°10 : CLASSE OUVRIÈRE : le fantôme de la gauche • septembre 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°11 : Place au PEUPLE • octobre/novembre 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°12 : DÉMONDIALISATION • décembre 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°13 : Lumières sur L’ÉNERGIE • janvier 2012 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°14 : CRISES : construction et subversions • février 2012 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°15 : Politiques du GENRE • mars 2012 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°16 : LE VOTE UTILE ? le vote utile ! • avril 2012 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°17 : MIGRATIONS au-delà des fantasmes • mai 2012 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°18 : SPORT$, l’humain d’abord • juin 2012 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°19 : Le polar imagine 2013 • septembre 2012 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°20 : ART ET CULTURE, les sentiers de l’émancipation • octobre 2012 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°21 : Habiter LA VILLE • novembre 2012 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°22 : NOUVEAUX ADHÉRENTS Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? Faut-il les garder ? • décembre 2012 . X ...... ex. o N°23 : Vive LE PROGRÈS • janvier 2013 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°24 : LES MOTS PIÈGÉS • février 2013 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°25 : Bien NOURRIR LA PLANÈTE • mars 2013 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°26 : À la conquête d’une nouvelle CONSCIENCE DE CLASSE • avril 2013 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°27 : NATIONALISATIONS : l’intérêt général • mai 2013 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°28 : LA RETRAITE : une bataille capitale • juin 2013 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°29 : COMMUN(ism)E et municipales • septembre 2013 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°30/31 : Vive LA RÉPUBLIQUE • octobre/novembre 2013 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°32 : LES TERRITOIRES de l’égalité • décembre 2013 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°HS : Refonder l’EUROPE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .X ...... ex. o N°33 : Dessine-moi une VILLE HUMAINE • janvier 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°34 : PEUR • février 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°35 : Pour en finir avec LA DROITISATION • mars 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°36 : Sous les pavés, L’EUROPE • avril 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°37 : Enseignement supérieur et recherche SAVOIRS où aller ? • mai 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°38 : LE CORPS • juin 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°39 : La fabrique de L’ASSISTANAT • septembre 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°40 : FAB-LAB du bidouillage informatique à l’invention sociale • octobre 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°41 : LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE • novembre 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°42 : COMMUNISME de nouvelle génération • décembre 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°43 : LIBERTÉ ! • janvier 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°44 : MÉDIA Besoin d’oxygène • février 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°45 : FÉMINISME au cœur des luttes révolutionnaires • mars 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°46 : NATION, une voie vers l’émancipation • avril 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°47 : MUSULMANS : dépasser les idées reçues • mai 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°HS : Convention nationale du PCF sur l’INDUSTRIE • juin 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .X ...... ex. o N°48 : LES MOTS GLISSANTS • juin 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°49 : Non ! Il n’y a pas de GUERRE DES CIVILISATIONS • septembre 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°50 : 4 essais sur LA GAUCHE • octobre 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°51 : CLIMAT, le temps des choix politiques • novembre 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°52 : LAÏCITÉ, outil d’émancipation • décembre 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°53 : ÉDUCATION, état d’urgence • janvier 2016 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°54 : POLITIQUE EXTÉRIEURE DE LA FRANCE : de la guerre à la paix • février 2016 . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex.

TOTAL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ......... ex. = .............. €

La REVUEdU PRojEt

FÉVRiER 2016

31

Commandez les numéros que vous souhaitez à un prix spécial 37e congrès

à Revue du projet - association Paul Langevin 6 av. Mathurin-Moreau 75167 Paris Cedex 19 chèque à l’ordre de « La Revue du projet »

Prix spécial 37e congrès : 6€ : 1 no – 10€ : 2 nos – 20€ : 5 nos – 30€ : 10 nos (port compris). au delà, le prix aunuméro reste de 3 €. Certains numéros sont épuisés, mais vous pouvez les télécharger sur le site du PCF.

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page31

LA F

RAN

CE

EN C

OM

MU

N

32

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

La France en commun,texte-invitation àécrire un projetd’émancipationhumaine pour lexxie siècle va êtreprécisé, complété,retravaillé dans laperspective duprochain congrès duPCF. à vos stylos ! à vosclaviers ! Le débat estouvert ! il est possibled’y contribuer sur :contribuer.projet.pcf.fr

La Revue du projets’efforcerad’accompagner leprocessus en rendantcompte des initiativesprises autour de cetexte et descontributions qu’ilsuscite au sein desforces sociales. Pournous permettre deremplir au mieux cetobjectif, faites-nousconnaître les débats etréflexions qui émanentdu terrain à :[email protected]

à la recherche de nouvellesperspectives À sabarat dans l’ariège, voilà une vingtaine d’an-nées que les communistes ouvrent annuellementun « espace citoyen » d’échanges politiques. au-delà des adhérents du PCF, le rendez-vous« sabarautomne », tel qu’ils l’appellent, réunit lesprogressistes des vallées de l’arize et de la Lèzepour plusieurs débats. Parmi eux, l’atelier « quepeut-on faire aujourd’hui » auquel guillaumeroubaud-quashie, directeur de La Revue du pro-jet, participe est l’occasion d’évoquer le texte LaFrance en commun et sa triple ambition : projet,programme, mesures d’urgence.

a n’a pas été le débat le plussimple, les gens sont pessi-mistes, beaucoup sont aigris,constatent tout ce qui ne vapas sans trouver d’issue, onmilite dans un départementoù c’est très socialiste et donctrès engourdi », résume josée

Fouque, secrétaire de section à l’indé-niable franc-parler. « Mais guillaume abien relevé le gant », sourit-elle. au cœurdes échanges : l’importance de redéfi-nir un projet communiste de notre tempspour redonner de la lisibilité, de la cohé-rence et de la visibilité aux batailles mili-tantes. « je pense qu’on a tout intérêt àle faire, il faut qu’on fasse savoir ce qu’onveut, ce qu’on propose, après on peut

s’allier à d’autres, largement », estimejosée souque qui rapporte les interro-gations de plusieurs participants sur lacampagne des régionales menées enMidi-Pyrénées-Languedoc-Roussillonen alliance avec EELV. « il y a une enviequ’on retrouve nos couleurs, pas pourse faire plaisir mais pour poser les vraiesquestions et apporter les solutions surles salaires, les retraites, les servicespublics » ajoute-t-elle, considérant quec’est en affrontant le Front national, pro-jet de société contre projet de société,qu’on pourra le faire reculer. La secré-taire de section alerte sur « les chosesaffolantes que l’on entend chez les per-sonnes âgées en zone rurale, sur lesétrangers notamment ». dans le débaton considère qu’il est plus urgent de dés-amorcer les « bombes à retardementque sont le chômage et la misère » quede faire campagne en « tentant de secalquer » sur des constructions poli-tiques existant dans d’autres pays euro-péens. Pour plusieurs participants, il faut

Ç«PAR LÉO PURGUETTE*

aRiègE

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page32

XXXXX

LA F

RAN

CE

EN C

OM

MU

N

« des élus qui fassent plus de politiquequand ils sont en responsabilité », maisun autre pointe les difficultés rencon-trées par un PCF « qui perd des élusquand la gauche gagne et qui perd aussides élus quand la gauche perd ».Et pourtant à l’échelle locale des exem-ples permettent d’espérer : « je pense àun copain, le maire de Pailhes, YvonLassalles, qui pratique beaucoup ladémocratie participative dans son petitvillage, qui est agriculteur, qui travaillesur l’écologie », indique josée souque.Côté intervenant, guillaume Roubaud-quashie, confirme que, comme ailleursen France, il ressent en ariège « le désar-roi et l’abattement, créés par l’austéritéet le manque de perspective ». Pour lui,La France en commun est un outil deriposte idéologique, une affirmation del’idée « qu’il est possible de faire autre-ment  ». La question posée dans lemarasme actuel est selon lui « commentest-ce qu’on avance  ?  » guillaumeRoubaud-quashie croit à la vertu desbatailles locales à condition qu’ellessoient « pensées et mises en œuvre »dans une cohérence, celle du projet com-muniste. « alors que notre peuple estpartiellement désespéré à force de sevoir expliquer que plus rien n’est possi-ble, emporter des victoires locales c’estfaire la démonstration concrète, dans lavie, du contraire », insiste-t-il. Pour cetteraison, il appelle à se saisir de la dernièrepartie du texte qui liste des mesures d’ur-gence proposées par le PCF. « il ne fautpas forcément les prendre comme telles,elles ont une caractéristique commune :elles sont perçues comme positives etcrédibles par une large majorité », argu-mente le directeur de La Revue du pro-jet. « Cela appelle des campagnes largesqui font converger les différentes batailleslocales au plan national pour mobiliserun nombre important de personnes etles gagner », affirme-t-il convaincu quemalgré « la terreur suscitée par daech,la montée du Fn qui est une réalité quis’ancre et qui est utilisée de manière mal-saine par une partie de nos gouvernantsà travers la scandaleuse mesure de ladéchéance de la nationalité, le pays nevire pas majoritairement fasciste ». dansla période, guillaume Roubaud-quashieestime que les communistes ont la res-ponsabilité d’être à l’initiative et de mul-tiplier les mobilisations populairescomme autant de « portes d’entrée »vers une perspective de transformationsociale à laquelle la première partie dela France en commun donne du sens. n

TROIS QUESTIONS À xaVier ComPain*

DE VRAIES SOLUTIONSPOUR LES ÉLEVEURS

LA F

RAN

CE

EN C

OM

MU

N

Comment le texte La France en commun, traite-t-il de l’agriculture et laruralité ?Les éleveurs français mobilisés expriment leurs colères et inquiétudes.Un vaste plan social qui n’en porte pas le nom guette les producteurs deporcs bretons et plus globalement l’élevage français. Le diagnostic estconnu, démantèlement des outils de régulation, libéralisation des mar-chés, dumping social, concentration de l’agriculture au profit des géantsde l’agroalimentaire et de la grande distribution. Faute d’affronter lesujet de prix agricoles rémunérateurs, comme celui des travailleurs déta-chés en Europe, les mesures gouvernementales de l’été dernier n’aurontété qu’incantatoires !C’est donc vers un autre chemin, celui du progrès humain, de l’appro-priation sociale, des biens communs qu’il faut faire route à gauche etavec courage. Face aux défis est posée l’émergence d’un nouveau modede développement social et écologique. L’enjeu alimentaire interpellenos civilisations.Notre combat est celui d’en finir avec la faim. À tous niveaux, monde,Europe, France, les politiques agricoles et alimentaires doivent planifierla production, se réapproprier la régulation des marchés et accompa-gner la transition écologique de l’agriculture

quelles mesures d’urgence concrètes propose-t-il sur lesquelles construiredes batailles locales ?À travers une série de chantiers prioritaires, nous tentons de dire ce qu’ilnous semble essentiel de porter, de confronter, et devrait s’engager enaction de gouvernement de gauche. En ce sens, nous voulons recons-truire une production nationale qui réponde aux besoins. Nous propo-sons la création de fonds de soutien de l’agriculture paysanne, aux filièresalimentaires relocalisées, à l’installation de jeunes paysans, à la transi-tion écologique du modèle de production agricole.Ces mesures sont pour nombre d’entre elles au cœur des propositions,programmes, mandatures des candidats et des élus du PCF. Il est indis-pensable de vulgariser les expériences de relocalisation menées actuel-lement, de développer les ventes paysans/consommateurs aux prix justes,montrer comment nous sommes éco-communistes en partant de l’ali-mentation et du projet agricole que nous proposons.

Comment mettre en débat ce texte dans les zones rurales ? quelle formeadopter pour en débattre ? quelle porte d’entrée ?Ce texte La France du commun, ces mesures d’urgence si nous avions laresponsabilité d’un gouvernement de gauche, font écho dans l’actua-lité. En effet, la proposition de loi déposée en septembre dernier par nosparlementaires est à disposition pour apporter de vraies solutions auxéleveurs. Nous proposons de légiférer sur la réduction des marges et pra-tiques abusives dans la grande distribution.Les prix agricoles doivent faire l’objet de négociations annuelles et plu-ralistes à travers des conférences sur les prix. L’indication d’origine desproduits agricoles et de la mer, transformés ou non, doit être appliquée.Crise porcine, grippe aviaire, foires agricoles, initiatives du PCF au Salonde l’Agriculture, débats en fédérations, formations militantes… sontautant de portes d’entrées multipliables pour en déployer l’appropria-tion la plus large, comme l’activité militante.

*Xavier Compain est membre du Comité du projet. Il anime le secteur Agriculture, pêche et forêt du Conseil national du PCF. La REVUE

dU PRojEtMaRs 2016

33

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page33

TRAV

AIL

DE

SEC

TEU

RS

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

34

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR QUENTIN CORZANI

Le grand entretien

un printempspour la républiqueLe 8 et le 10 février 2016 les députés votaient respectivement les projets derévision constitutionnelle concernant l’inscription de l’état d’urgence dans laConstitution de la République et la déchéance de la nationalité. Le projet répu-blicain qui irrigue notre mode de vivre-ensemble depuis la Révolution françaiseest directement mis en cause. dans ce contexte nous revenons sur un desquatre grands axes de préparation du congrès : « La refondation démocratiquede la République », avec Pierre dharréville, membre de l’exécutif national, res-ponsable de la commission République, démocratie, institutions. 

Pourquoi faire de la répu -blique un axe de travailimportant en cette pério dede préparation ducongrès ? notre système

politique est-il en danger ?La question démocratique n’est pas unequestion secondaire, ce n’est pas un luxe,elle est intimement liée à la questionsociale. si le pouvoir réel n’était pas acca-paré par quelques-uns, nous n’en serionssans doute pas à ce stade de la régres-sion sociale.La République est désormais au cœurd’un affrontement politique extrême-ment vif dans notre pays : elle traverseune crise profonde parce qu’elle ne par-vient plus à rassembler notre peupleautour d’un projet commun. sa pro-messe semble presque abandonnée etla défiance envers la politique vient frap-per les institutions elles-mêmes. or,depuis plusieurs années, on assiste àune tentative de redéfinir la Républiqueau rabais. Lorsque l’UMP est devenueLes Républicains, nicolas sarkozy ethenri guaino se sont échinés à accuserla gauche d’avoir trahi la République etils en ont livré une vision pour le moinssingulière. au fond, sans surprise, troismots-clés pouvaient résumer les traitsde caractère de la République façonsarkozy : autorité, mérite, assimilation.

Cette conception porte indéniablementla marque de l’influence des idées d’ex-trême droite. il s’agissait donc de repren-dre l’offensive politique en essayant d’in-carner une perspective profondémentréactionnaire. il y a toujours eu un débat

autour de cette idée. Pour schématiser,dès la Révolution française, les ardeursrépublicaines ont été refrénées par ceuxqui ne voulaient pas donner trop de pou-voir au peuple et conserver les avantagesde la propriété. L’idée selon laquelle laRépublique doit incarner l’ordre est extrê-mement répandue. En réalité, elle doitsurtout incarner le droit, contre la force.nous voyons bien, si l’on se réfère à lacondamnation, sur demande du procu-reur de la République, des huit salariésde goodyear, qu’il y a matière à discu-

ter sur l’esprit républicain. que laRépublique ait comme mission d’assu-rer la protection des citoyennes etcitoyens, c’est une chose, mais qu’elleprotège les intérêts de grands capita-listes, c’en est une autre. il faut souligner

qu’à peu près au même moment, unagent des forces de l’ordre ayant abattuun jeune voleur qui prenait la fuite a étérelaxé. La justice est au cœur d’enjeuxde société majeurs. Une conceptionsécuritaire de la République essaye des’imposer, et les débats autour de l’étatd’urgence en sont le témoignage.

Justement, que penser de la révisionconstitutionnelle portée par FrançoisHollande ?trois jours après les effroyables atten-

« que la République ait comme missiond’assurer la protection des citoyennes

et citoyens, c’est une chose, mais qu’elle protège les intérêts

de grands capitalistes, c’en est une autre. »

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page34

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

35

s

ses promoteurs. La gauche doit menerla bataille des idées, elle n’a rien à gagnerà s’y dérober.

qu’entendons-nous par république ?La République est le bien commun denotre peuple, elle porte son projet, quise définit par les valeurs de liberté, d’éga-lité et de fraternité. La République est la

forme institutionnelle qui a succédé à lamonarchie et triomphé de l’empire. Pournous, elle ne saurait être que laïque etdémocratique. Mais la promesse de laRépublique mérite un nouvel élan, et saversion cinq est à bout de souffle. noussommes donc favorables à un change-ment de Constitution. il y a besoin d’unnouvel acte fondateur pour rompre avecle présidentialisme forcené des institu-tions actuelles et instaurer un régime desouveraineté populaire favorisant la plus

large participation citoyenne. Le champde la République s’est tellement réduitces dernières années qu’il devient urgentd’amorcer un processus de reconquêtede pouvoirs pour notre peuple, en parti-culier face aux forces de la finance. Laquestion démocratique est un enjeu declasse plus que jamais d’actualité. Ce tra-vail de reconquête populaire est décisif.

nous avons pu sentir, après les attentatsde janvier 2015, que la dégradation durapport à la République était sévère, parcequ’elle semble aux yeux de beaucoupavoir abandonné sa promesse d’éman-cipation. si l’on faisait l’état des lieux popu-laire de la liberté, de l’égalité et de la fra-ternité, on verrait combien l’on est loindu compte. Ces dernières décennies, àla montée du chômage, à la faiblesse dupouvoir d’achat et à la précarité se sontajoutées des logiques de stigmatisation

TRAV

AIL

DE

SEC

TEU

RS

tats du 13 novembre, le président de laRépublique a annoncé une révision de laConstitution. Franchement, c’est la piredes choses que de vouloir réécrire notretexte fondamental sous le coup de l’émo-tion et sans recul sur les événements. onne peut que s’interroger sur les motiva-tions réelles qui ont conduit à cette ini-tiative. La révision constitutionnelle com-prend deux aspects. Le premier consisteà constitutionnaliser l’état d’urgencecomme l’un des instruments mis à la dis-position de l’exécutif pour faire face dessituations d’exception. Pour nous, celan’était pas nécessaire et relève d’unevolonté d’en banaliser le recours. il ne fautpas sous-estimer que cette banalisationest déjà à l’œuvre dans la réforme pénalequi intègre des dispositions d’exceptiondurcissant encore l’esprit de la loi. quantau deuxième volet, qui a tant fait coulerd’encre, il vise à introduire la déchéancede nationalité dans la Constitution. Placerle débat et la réponse de la Républiquesur ce terrain est grave. Cela vient alimen-ter encore les mécanismes de l’affron-tement identitaire. Le terrorisme n’estpas une question de nationalité. Cetterévision constitutionnelle s’inscrit dansl’air du temps, marqué par l’influence desidées d’extrême droite sur les idées domi-nantes. C’est une opération politiciennequi est en train de se retourner contre

« Cette révision constitutionnelle s’inscrit dans l’air du temps,

marqué par l’influence des idées d’extrêmedroite sur les idées dominantes. »

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page35

TRAV

AIL

DE

SEC

TEU

RS

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

36

et de division qui ont fait d’intenses dégâts.La République doit les combattre et s’at-tacher à unir et rassembler notre peupleen mettant en échec les tentatives defracturation multiples.

Comment imaginez-vous cette nou-velle Constitution ?il faut une sixième République, c’est uncombat de longue date pour le Parti com-muniste français. Réunir le Parlementpour changer la Constitution aurait pus’avérer être une bonne idée, mais la pro-position de François hollande est com-plètement à contresens. il eût fallu réen-clencher un mouvement populaire pourfaire face aux enjeux de la période, plu-tôt que de vouloir insuffler encore unpeu d’esprit de caserne. Le salut ne vien-dra pas de là. nous avons des idées surles grandes lignes de nouvelles institu-tions pour la République. il s’agit de sedoter d’institutions qui promeuvent réel-lement la souveraineté populaire. nousvoyons bien, à chaque élection, que lacrise de confiance s’approfondit et quela politique n’est plus perçue comme unmoyen utile à vivre et à décider ensem-ble. bien sûr, il faut repenser l’équilibredes pouvoirs, mais cela suppose pluslargement de s’attaquer à la philosophiemême de nos institutions et poser unnouvel acte fondateur. Cela suppose une

vraie démarche de construction popu-laire et démocratique. Face au néolibé-ralisme, et aux oligarques, la Républiquedoit donner à notre peuple les moyensde réagir. La République devra nous aiderà repenser notre relation au monde dansune cité-monde en pleine mutation. Larévolution numérique nous offre égale-

ment de nouvelles pistes de développe-ment pour la démocratie et elle pointede nouveaux enjeux : va-t-elle se fairepour l’émancipation humaine ou pouraccroître la domination capitaliste ? nousvoyons bien que la tentation de la sur-veillance généralisée essaye par tous lesmoyens de s’imposer, il faut lui opposerun tout autre récit. il convient d’inven-ter de nouvelles formes institutionnelles,de nouvelles formes de propriété sociale,de nouvelles formes de services publics.il y a une idée-force qui peut nous per-

mettre de recréer une perspective répu-blicaine émancipatrice de notre temps :celle des biens communs. ils peuventêtre au cœur d’un processus de recon-quête multiforme qui permettra l’émer-gence de nouvelles dynamiques poli-tiques et sociales. Ce mouvement autourd’une Res communa peut venir donner

un souffle inédit à la Res publica. LaRépublique ne doit pas être faite poursoumettre le peuple à l’autorité dequelques-uns, pour gouverner le peu-ple. Elle doit être faite pour établir plei-nement la souveraineté partagéed’hommes et de femmes libres et égaux,égales. n

s

L’ instauration d’un revenu de base, distribuéde manière inconditionnelle à chaquecitoyen, est mise chaque jour un peu plus

dans le débat public pour pallier les ravages d’un chô-mage de masse et la précarisation généralisée desemplois et pour faire obstacle à la division, entretenuepar la droite, entre les « privilégiés » (tous ceux quidétiennent un emploi stable) et les « assistés »(tousceux qui, faute de revenus d’activité suffisants, doi-vent faire appel à l’aide de la collectivité nationale).Toutefois, les objectifs fixés à ce revenu universel dif-fèrent. Pour les ultralibéraux, remplaçant toutes lesprestations sociales versées, il permettrait de mettrefin au « monopole qu’exerce la sécurité sociale », deréduire le rôle de l’État dans la protection sociale et defaciliter l’émergence de nouvelles compagnies d’assu-rances.

Pour les partisans de la « société du care », il seraitchargé de mettre fin à la grande pauvreté et d’éviterl’incitation à ne pas reprendre un emploi que repré-senterait un revenu de remplacement comme le RSA,dont le montant diminue progressivement lors duretour à l’emploi. Pour les animateurs des fab-labs, leshackers et les adeptes du dépassement du salariat parla révolution numérique, la défense d’un revenu uni-versel de base a un tout autre objectif : permettre autravailleur de ne pas avoir à accepter n’importe quelemploi pour survivre et rémunérer l’indispensabledéveloppement des connaissances dont la création,par nature collective, fait aujourd’hui l’objet d’uneappropriation exclusive par certains grands groupes.Créer les conditions d’un libre choix de son apport à lasociété correspond à notre projet d’émancipation parle travail. Encore faut-il que l’instauration d’un revenu

PUBLICATION DES SECTEURS

un reVenu uniVerseL ?

« il y a une idée-force qui peut nouspermettre de recréer une perspectiverépublicaine émancipatrice de notretemps : celle des biens communs. »

À paraître : Un printemps pour la République, Éditions de l’Atelier -Éditions des fédérés, mars 2016.

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page36

La REVUEdU PRojEt

FÉVRiER 2016

37

universel ne remette pas en cause la nécessairevalorisation des compétencesacquises et celle d’un apportutile à la société, et que la révo-lution fiscale nécessaire pourassurer un montant suffisant àchacun soit acceptée. Aujourd’hui,la priorité est donc à la lutte pourune sécurisation des parcours pro-fessionnels de toutes les personnes,en emploi ou non, salariées ou « indé-pendantes ». n

Véronique sandoVaLsecteur travail.

Le n°30 de La revue du projet, toujours d’actualité.à télécharger sur http://projet.pcf.fr/

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page37

Régulièrement, en fin d’année,

depuis 2009, 2000 per-sonnes sont sondées (avecles mêmes batteries de ques-tions) et les résultats del’étude sont publiés à la mi-

janvier. avec les réserves d’usage, ce tra-vail est un outil utile pour apprécier l’opi-nion.

au fil des années, la dégradation de laconfiance politique a été constante. Etle « baromètre 2016 » indique que lesattentats de 2015, pourtant suivis demobilisations civiques, n’ont pas enrayéce processus de dégradation. s’il y a eu une brève réaction collective,on a vite retrouvé la défiance des Françaisà l’égard de la politique et de ses repré-sentants « comme une forme de nor-malité, un retour au temps ordinaire »dit l’enquête.Martial Foucault, directeur du CEViPoF,rappelle que les trois premiers qualifi-catifs évoqués par les sondés sont « lalassitude » (31%), « la morosité » (29%),« la méfiance » (28%) ; « la sérénité »(18%) vient en quatrième position ; lapeur (n’) est (qu’) à 10%, en septièmeposition.Ce qui ne manque pas d’étonner, c’est

Les Français et la politiqueune profonde insatisfactiondémocratiquePour la septième année consécutive, le Centre de recherches politiquesde sciences-Po (CEViPoF) publie une grande enquête, avec l’institutopinionWay, sur l’état d’esprit politique des Français. Ce que les polito-logues appellent, dans leur jargon, « la vague 7 ».

qu’on retrouve dans ce classement,grosso modo, les chiffres de décembre2014, comme si les drames des douzederniers mois n’avaient pas changé fon-damentalement le cours des choses etl’état des consciences. « il faut comprendre cette lassitude, ditMartial Foucault, comme l’expressiond’une vraie fatigue, l’impossibilité chezceux qui mentionnent ce qualificatif dese projeter dans un avenir meilleur. »Le baromètre ne parle pas de climatanxiogène généralisé ni d’exaspérationmais d’une forme de découragement.

Ce sont chez les personnes les plus fra-gilisées par la situation de l’emploi quel’expression de « lassitude » est la plusforte : 36% chez les chômeurs, 37% chezles salariés ayant un emploi partiel ou enintérim. L’étude fait état de « société résiliente »,un concept qui désigne la capacité d’unsystème à absorber des changementsou des chocs sans entraîner de trans-formations radicales. Elle distingue rési-

PAR GÉRARD STREIFF

CO

MBA

T D

’IDÉE

S

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

38

lience sociale et résilience politique. Larésilience sociale concerne les rapportsinterpersonnels, liens familiaux, amicaux,de voisinage. Ces liens, depuis 2009,depuis que l’enquête existe, demeurenttrès forts, inchangés.93% des sondés ont confiance dans lafamille, 93% dans l’entourage, 76% dansles voisins. seuls 28% pensent qu’on n’est« jamais assez prudents dans ses rap-ports avec l’autre.  » Une confiancesociale forte, donc, et les attentats nesemblent pas avoir changé les choses.il demeure aussi une forte résilience poli-

tique, c’est à dire une confiance inchan-gée dans les institutions politiques localesen même temps qu’une défiance per-sistante à l’égard des institutions natio-nales et des organisations politiques.Les sondés se disent confiants (58%)envers les institutions municipales,départementales et régionales et seuls37% le sont vis à vis des structures natio-nales : assemblée nationale, sénat, exé-cutif.

« Une confiance inchangée dans lesinstitutions politiques locales en même

temps qu’une défiance persistante àl’égard des institutions nationales et des

organisations politiques. »

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page38

on retrouve à l’œuvre, écrit MartialFoucault, « une confiance vers la Franced’en bas opposée à une défiance de laFrance d’en haut. Le clivage entre liensde proximité et distance vis-à-vis desélites reste solide et imperméable auxattentats. »

exigenCe de démoCratiedireCtesi le CEViPoF pointe cette forte stabi-lité des Français à leur environnementsocial et politique, «  qui produit duconservatisme », il s’interroge aussi surce qu’il appelle des « aspirations antidé-mocratiques ».

Certes, les Français confirment leur atta-chement au régime démocratique (pour90%, le système démocratique est unebonne façon de gouverner la France).En même temps, 44% trouvent que lesystème marche mal ; pour 69%, il a dumal à prendre des décisions.Les demandes en matière de démocra-tie sont contradictoires.ainsi, depuis 2014, un nombre croissantde sondés (de 12 à 17%) serait favorableà ce que l’armée dirige le pays, ou à lavenue d’un homme fort (47%) qui n’au-rait pas à se soucier du parlement ni desélections, ou encore à un gouvernement« d’experts » (59%). Mais on remarqueaussi – et cet aspect est souvent passésous silence par les média – unedemande très forte de démocratiedirecte. 60% des sondés sont d’accord pour quece soient « les citoyens et non un gou-vernement qui décident de ce qui leursemble le meilleur pour le pays ».Et 77% sont d’accord avec l’opinion selon

Français à la politique », évoquant « unsegment très important de démocratesinsatisfaits ».67% des sondés jugent que la démocra-tie ne fonctionne pas très bien ou pasbien du tout.88% d’entre eux estiment qu’on ne sepréoccupe pas de leur avis.81% éprouvent « des sentiments néga-tifs » (déception, dégoût, détestation,haine) envers les élus et 76% les jugent« plutôt corrompus ». n

CO

MBA

T D

’IDÉE

S

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

39

laquelle les référendums sont « un bonmoyen de décider sur les questionsimportantes ».Pour bruno Cautrès, chercheur CnRsau CEViPoF et co-responsable de l’en-quête, « il y a le sentiment qu’on est dansdes problèmes dont personne n’arriveà sortir. il faut que quelque chose sepasse. »Le même parle d’une « transformationprofonde mais négative du rapport des

Forte CaPaCité à s’inVestirgrâce aux données des vagues 5 et 6 du baromètre nous avions proposéune typologie en quatre classes du rapport des Français vis-à-vis de ladémocratie. nous avons répliqué cette analyse pour les données de lavague 7 en utilisant exactement les mêmes variables. L’augmentation dunombre de « démocrates insatisfaits » que nous avions constatée en vague6 s’est stabilisée mais à un niveau qui reste élevé. La description des qua-tre groupes dans leur rapport à la démocratie est tout à fait cohérenteavec les résultats des vagues 5 et 6 : on constate dans notre dernière vague,7% de « non démocrates », 14.5 % de « démocrates autoritaires », 22.5% de« démocrates satisfaits », 56% de « démocrates insatisfaits ». Le pourcen-tage élevé  « démocrates insatisfaits » confirme qu’un large segment dela population française exprime un rapport à la démocratie à deux niveaux :attaché au principe de la démocratie, mais critique et insatisfait vis-à-visde son fonctionnement. et cette insatisfaction est comme indexée à ladéfiance vis-à-vis de la classe politique ou des partis politiques. Les don-nées de la vague 7 du baromètre traduisent le potentiel démocratique desattentes des Français mais aussi le caractère impérieux de réformes sus-ceptibles de répondre à ces attentes en matière de qualité de notre démo-cratie. avec plus de la moitié de nos répondants inscrits dans un rapportcritique et insatisfait vis-à-vis de la démocratie, une forme de cote d’alerteest atteinte encore une fois. bien entendu, les données de la vague 7 mani-festent, comme celles de la vague 5 ou 6, que cette insatisfaction n’est paségalement répartie dans tous les segments sociologiques et politiques del’électorat français.Les tendances constatées en matière d’opinions vis-à-vis de la démocra-tie en France se confirment dans la vague 7 du baromètre de la confiance.un an après Charlie et quelques semaines après les attentats du 13 novem-bre dernier, ces tendances sont toujours bien présentes. si les Françaisconservent sans doute une forte capacité à s’investir et se mobiliser pourdéfendre de grandes causes, dans le même temps ils sont fondamenta-lement déçus et désillusionnés, voire méfiants et défiants vis-à-vis desmodalités de fonctionnement de la démocratie et des acteurs de la démo-cratie que sont les partis et les dirigeants politiques. nous sommesaujourd’hui revenus vers une forme d’insatisfaction démocratique enFrance à la fois latente, assez générale et fortement résiliente. en dépit dusursaut démocratique observé pendant les attentats, les Français ne sem-blent pas prêts à laisser de côté leurs attentes et leurs insatisfactions.

bruno Cautrès, CEVIPOF, Baromètre 2016

« Les attentats de 2015, pourtant

suivis demobilisations

civiques, n’ont pasenrayé ceprocessus

de dégradation. »

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page39

il est un combat remis sanscesse sur le métier, c’estbien celui contre les sté-réotypes. En effet cesimages toutes faites etfigées, bien commodes

pour appréhender la complexité dumonde et orienter l’action, ont, en trans-mettant des représentations sociales,discriminantes et hiérarchisantes, deseffets négatifs appliquées à un groupede personnes, et constituent une injus-tice. Concernant les stéréotypes sexistes,et pour n’évoquer que les plus récentsdocuments, a-t-on vu publier par la délé-gation aux droits des femmes et à l’éga-lité des chances entre les hommes etles femmes du sénat, un rapport sur lethème Lutter contre les stéréotypessexistes dans les manuels scolaires : fairede l’école un creuset de l’égalité (2014)et par le haut conseil à l’égalité entre lesfemmes et les hommes un Guide pra-tique pour une communication publiquesans stéréotype de sexe (2015). Faudrait-il s’étonner de cette attention, et de cesrécurrentes dénonciations ? sans doutepas, dans un monde multimédiatique,saturé de communication. Mais il y a às’interroger sur la prise en considérationdes recherches menées sur le sujet parles politiques publiques et leur effica-cité. il convient aussi de redire que lalutte contre les stéréotypes ne fondepas, à elle seule, une politique d’égalitéentre les sexes.Pour ma part, avec d’autres chercheures(voir encadré), c’est à la fin des années1990, que je me suis posé la question desreprésentations du masculin et du fémi-nin véhiculées auprès des enfants, renou-velant les interrogations des années 1970sur les stéréotypes de sexe. dans cesproductions culturelles, qui de surcroît

représentations sexuéeset productions culturelles pour la jeunesse

ont l’ambition de transmettre culture etcitoyenneté, qu’est-il donné à voir de l’or-dre social sexué  ? L’originalité de ladémarche a été de s’adosser auxconcepts de genre et de représentation,ainsi que de mettre en œuvre uneméthode quantitative, pour recueillir lesinformations dans les textes et les imagessans sélection a priori. (Analyser les repré-sentations du masculin et du féminin dansles manuels scolaires, Carole brugeilles,sylvie Cromer, Paris, CEPEd, 2005)

Les quatre PiVots sur LesqueLs rePosentLes rePrésentationsalors quoi de nouveau ou de différent,depuis les années 1970, depuis que lesétudes des quatre coins du monde surles manuels et les livres de jeunesse ontdémontré d’une part la minorationnumérique des personnages féminins

et une valorisation du masculin, d’autrepart l’existence de stéréotypes de sexe ?La synthèse des résultats, comparantles personnages dotés de différentescaractéristiques constituant leur sexesocial (attributs, activités, rôles, rela-tions, etc.), révèle des rapports imagi-naires inégalitaires entre les hommes etles femmes, les filles et les garçons. Cesystème de genre symbolique reposesur quatre pivots. on trouvera plus dedétails dans « genre et littérature de jeu-nesse en France : éléments pour unesynthèse » de sylvie Cromer, nordiquesn° 21, dossier Filles intrépides et garçonstendres : genre et culture enfantine, 2010.

1- des Personnages de sexe masCuLin PrédominantsLes productions culturelles envisagéesgénèrent une très nombreuse popula-

PAR SYLVIE CROMER*

Prendre conscience de représentations sexuées tronquées est une étapenécessaire mais non suffisante vers l’égalité des sexes.FÉ

MIN

ISM

E

40

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

UNE VAGUE DE RECHERCHESDEPUIS LA FIN DES ANNÉES 1990depuis la fin des années 1990, avec une équipe àgéométrie variable, dont le « noyau dur » est composé de deuxdémographes, Carole brugeilles de Paris-ouest-nanterre-Ladéfense et isabelle Cromer, et d’une sociologue (moi-même),ont été étudiés :1. les nouveautés d’albums illustrés de fiction de 1994 pour les 0-9

ans (« attention album ») : 537 albums ;2. la liste  2002 de littérature de jeunesse des programmes de

l’Éducation nationale (« Masculin/Féminin dans la liste de littéra-ture jeunesse de l’Éducation nationale 2002  »)  : 128 œuvresmajoritairement contemporaines pour les 8-11 ans ;

3. la presse jeunesse d’éveil entre  2000 et  2004 (étude CnaF)  :505 revues et 398 suppléments parents.

4. les présentations de spectacles pour le jeune public de 2006-2007 : 990 notices de spectacles.

5. ainsi que les collections de manuels scolaires de l’enseignementprimaire dans plusieurs pays d’afrique et en France.

S’

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page40

tion de personnages. Le sexe et l’âge sontles deux catégorisations sociales pri-mordiales. quelle que soit la production,les personnages masculins sont toujoursbeaucoup plus nombreux. au mieux lesféminins atteignent 40 % de la popula-tion des personnages. La parité n’estjamais atteinte, a fortiori l’inversion dedominance sexuée n’est jamais obser-vée, alors que le lectorat ou le public sontmixtes.

2- des Personnages de sexe Féminin PartiCuLarisésLes personnages féminins quant à euxsont physiquement matérialisés, appa-raissant non comme l’un des sexes pos-sibles, mais comme un cas particulierde l’humanité. En effet, il n’existe aucunattribut masculin propre récurrent : parexemple la barbe ou la moustache ou lacasquette n’existent que de manière trèsdiscontinue. En revanche, pour repré-senter du féminin, on ajoute au mascu-lin de manière très systématique desd’attributs spécifiques : traits corporels(les seins, la grossesse), éléments decoiffure (cheveux longs, nœuds dans lescheveux), ornements (bijoux) ou vête-ments ( jupe ou robe). ainsi, physique-ment, les féminins constituent une sous-catégorie du masculin qui apparaîtcomme le parangon de l’humain. ainsiquand on montre aux enfants un ourssans marque physique c’est un mascu-lin : l’ajout d’un tablier le fait devenir mas-sivement féminin, malgré les griffes, lescrocs, le geste menaçant.

3- un CLiVage entre Les sexes à L’âge aduLte,aVeC une exPansionsoCiaLe du masCuLinLes enfants ne sont pas discriminés selonleur sexe : filles et garçons sont dotésdes mêmes qualités et objets, se livrentaux mêmes actions, fréquentent lesmêmes lieux… Les filles – cependant plusrares – ont même des portraits plus« exemplaires ». ainsi, dans les albumsillustrés de 1994, comme dans la liste delittérature de 2002, elles sont plusdouées intellectuellement que les gar-çons. on constate pourtant quelquesécarts et l’esquisse d’une ligne de par-tage sexuée plus traditionnelle, fluc-tuante au gré des productions. ainsi,dans les deux corpus cités, les filles cir-culent plus dans les lieux privés, les gar-çons dans les lieux publics.Chez les adultes, le clivage entre les sexess’accentue. Chaque sexe a une sphèrepréférentielle d’intervention, conformeà la tradition – privée pour les femmes,publique pour les hommes – sans pour-tant entraîner (comme il y a trente ans)une bipolarisation et exclusion sexuée.

Mais les hommes investissent davan-tage la sphère privée que les femmes lasphère publique. L’éloignement desfemmes du champ professionnel et leurprésence uniquement dans les secteursqui leur sont traditionnellement dévo-lus, l’éducation, le soin, le service, sontparticulièrement saisissants, sans com-mune mesure avec la réalité. Le mascu-lin en colonisant les territoires dits fémi-nins, sans que l’inverse se produise,« englobe » en quelque sorte l’autre sexe.

4- L’aPPrentissage masCuLin du PouVoirPrendre en compte les relations des per-sonnages permet de mesurer l’impor-tance du personnage et sa place, c’est-à-dire son prestige social et son pouvoir.Prenons l’exemple des 1 686 relationsentre personnages de sexe et d’âge iden-tifiés dans les histoires de la presse maga-zine. Elles sont à près de 70 % intergé-nérationnelles et mixtes. Pourtant ellessont loin d’être égalitaires ! Le garçonaccumule près de 80 % des échanges :

il bénéficie tout à la fois de l’attentiondes adultes, de la confrontation avec sespairs d’âge et de sexe, des interactionsde groupes. En un mot, il confisque lamixité d’âge et de sexe à son profit. Leshommes interagissent avec les garçonset leurs pairs. hommes et garçons ontle privilège de connaître l’entre soi mas-culin, ce que ne connaissent pas les fémi-nins. Les filles sont avant dans les groupesde camarades ou de la famille et n’ontguère accès aux adultes. Les femmessont vouées aux enfants.

Les Personnagesde sexe Féminin Laissésdans L’ombreEn définitive, les personnages de sexemasculin, par leur nombre et leurs carac-téristiques, apparaissent, en cumulantles expériences et en monopolisant desressources, comme les acteurs majeurset essentiels de la société, laissant dansl’ombre les personnages de sexe fémi-nin. il ne s’agit pas seulement de persis-tance de stéréotypes de sexe, valorisantle masculin, dénigrant le féminin. Mais

ces productions culturelles institution-nalisent ou mettent en avant, ou pro-meuvent, un sujet masculin comme neu-tre et universel. Les femmes constituentalors une minorité, empêchée de repré-senter l’universel. La neutralisation dumasculin versus le peu de visibilité desfemmes escamote les rapports sociauxde sexe. notons aussi que le plus sou-vent les autres rapports sociaux de classeou d’origine sont gommés. non seule-ment les discriminations ne sont pas ren-dues visibles, mais d’autres relationsentre les sexes ne sont pas pensées. Parle biais de telles représentations socio-sexuées biaisées, l’ordre des sexes réeln’est pas mis en question

quels enseignements tirer de cesrecherches  sur les représentationssexuées dans les productions culturellespour la jeunesse ? il nous manque desreprésentations pour former les futurscitoyens et citoyennes d’une sociétéégalitaire : une diversité de modèleshumains, dépassant la binarité

homme/femme et l’hétéronormativité,une diversité des images de la famille etde la parenté, une diversité des modesde relations solidaires, en prenant lecontre-pied d’une société de consom-mation. dans le cadre éducatif, prendreconscience des représentations tron-quées, largement en deçà de la réalité,exercer le regard et proposer de nou-velles représentations stimulantes pourl’imagination est une première étapenécessaire, car les représentations légi-timent, étayent les inégalités, tout par-ticulièrement dans les productions vali-dées par les institutions, comme lesmanuels scolaires ou la littérature de jeu-nesse. il reste aux générations adultes àcontinuer à s’employer à lutter concrè-tement contre les inégalités pour pro-duire des conditions de vie égalitairesentre les femmes et les hommes. n

« dans le cadre éducatif, prendreconscience des représentations tronquées,

largement en deçà de la réalité, exercer le regard et proposer de nouvelles

représentations stimulantes pour l’imagination est une première

étape nécessaire. »

FÉM

INIS

ME

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

41

*Sylvie Cromer est sociologue. Elle est maître de conférences àl’université Lille-2.

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page41

MO

UVE

MEN

T RÉ

ELLe communisme n’est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler.

nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel. Les conditions de ce mouvement résul-tent des prémisses actuellement existantes. » Karl Marx, Friedrich Engels - L’Idéologie allemande.

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

42

quels sont les grands moments idéo-logiques qui ont marqué le devenir del’idée de perfectibilité depuis l’époquedes Lumières ?des Lumières à nos jours, l’histoire de lanotion de perfectibilité est l’histoire d’unrenversement. La notion de perfectibilitédésigne au xViiie siècle une conceptionde l’être humain qui valorise son autono-mie et sa capacité à agir réflexivement surlui-même et sur le monde. si, de bacon àCondorcet en passant par Cabanis, elle

renvoie à une ambition de maîtrise scien-tifique et technique de la nature – naturehumaine comprise – l’idée de perfectibi-lité y demeure néanmoins encastrée dansle projet plus général d’améliorer nosconditions de vie sociales. telle que for-gée par Rousseau en 1755, la notion deperfectibilité vise une amélioration del’être humain dans, par et pour la société,

La perfectibilité humaine,des Lumières au transhumanisme

au cœur de l’idéal démocratique moderneet des principaux combats sociaux et poli-tiques en faveur d’une société plus justeet plus décente.Une première rupture intervient au tour-nant du xixe siècle. L’ombre de la terreurnourrit un pessimisme moral et politiquequi favorise l’épanouissement d’uneconception scientiste de la perfectibilitéhumaine dont l’œuvre d’auguste Comteest emblématique. L’heure est à la célé-bration du productivisme industriel et dela maîtrise technique de la nature. Ceculte du progrès traverse toute la pen-sée de Marx, ambivalente sur la questionde la perfectibilité humaine. Cette dérive

de la notion humaniste de la perfectibi-lité aboutira à la fin du xixe siècle aux pers-pectives antihumanistes que sont parexcellence le darwinisme social et l’eu-génisme. La perfectibilité se réduira ici àun pur projet biologique et médical visantl’amélioration de la nation par la sélec-tion des individus les plus aptes et l’éli-mination des plus faibles.

Une seconde rupture s’opère à l’issue dela seconde guerre mondiale. Le trauma-tisme collectif consécutif au totalitarismeconduit paradoxalement à une survalo-risation de la rationalité technoscienti-fique, jugée plus rassurante que l’actionpolitique. dans un renversement com-plet de la conception humaniste et poli-tique de la perfectibilité issue desLumières, l’idée qui prévaut désormaisest celle d’améliorer, non plus la société,mais l’être humain et la vie en elle-même.La pensée cybernétique et les idéaux ducyborg sont au cœur de cette concep-tion posthumaniste de la perfectibilité quisous-tend notre société contemporaine,que j’appelle la « société de l’améliora-tion ».

qu’est-ce que le transhumanisme à cet égard ?Le transhumanisme est un mouvementscientifique et politique contemporainqui milite en faveur d’une améliorationradicale de l’être humain et de ses per-formances physiques, intellectuelles etémotionnelles grâce aux innovations tech-noscientifiques et biomédicales. Fédérantprès de six mille membres regroupésautour de l’association Humanity+, le mou-vement ne cesse de gagner en notoriété.L’objectif ultime du mouvement est deprolonger indéfiniment l’espérance de vieen vue d’accéder à une forme d’immor-talité terrestre. Mettre à mort la mort, selon

« Le transhumanisme est clairement du côté de l’adaptation et

de la conformation à l’ordre établi. »

Liée à l'origine à la perspective d'un progrès social d'ensemble, l'idée de per-fectibilité a profondément changé de sens avec ce que l'on appelle le trans-humanisme. il s'agit désormais de tendre à une amélioration biologique del'être humain dont les implications sont dangereuses.

ENTRETIEN AVECNICOLAS LE DÉVÉDEC*

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page42

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

43

MO

UVE

MEN

T RÉ

EL

l’expression de Laurent alexandre, est eneffet l’horizon ultime de la société trans-humaniste de l’amélioration.il est intéressant de noter que le transhu-manisme s’appuie à cet égard sur ce quej’appelle une « anthropologie de la défi-cience ». tout ce qui relève du corps etde la vie y est en effet systématiquementdéprécié. Le vieillissement est dans cetesprit appréhendé comme une maladiedont il faudrait guérir et le corps associéà une marque d’infirmité qu’il s’agirait decorriger techniquement. À travers toutceci, l’ambition du transhumanisme estfinalement de « libérer » l’être humain detout ancrage biologique en vue d’accé-der à un nouveau stade de l’évolution.C’est cette ambition que cristallisent lesnotions de « posthumain » et de « pos-thumanité » qui désignent un au-delà del’humain, une forme d’humanité jugéesupérieure entièrement revue et corrigéepar les technosciences.

Comment s’inscrit-il dans cette his-toire de notre modernité politique ?Le transhumanisme marque à mon sensle renversement complet de la concep-tion humaniste et politique de la perfec-tibilité humaine héritée des Lumières. ilne s’agit en effet ici plus du tout de chan-ger politiquement le monde mais de chan-ger techniquement l’être humain. il nes’agit plus d’améliorer la société mais deperfectionner la vie en soi. C’est une pers-pective résolument adaptative avec toutce que cela implique de désinvestisse-ment politique. « se révolter ou s’adap-ter, il n’y a guère d’autre choix dans la vie »,disait gustave Le bon. Le transhumanismeest clairement du côté de l’adaptation etde la conformation à l’ordre établi. En l’oc-currence, l’idéal de l’homme augmentéest l’idéal d’un homme parfaitementadapté à la société néolibérale contem-poraine et ses valeurs centrales de per-formance, de croissance, de productivitéet de compétitivité illimitées.La seule perfectibilité dont il est questiondans le transhumanisme est en effet cellede l’individu et de ses performances.jamais n’est-il question à proprementparler de progrès social, de liberté poli-tique ou de justice sociale. s’il en est ques-tion, comme c’est le cas dans les multi-ples débats bioéthiques anglo-saxons surle sujet ou dans la branche qui se veut plus« sociale » et « progressiste » du mouve-ment, c’est uniquement dans une pers-pective utilitariste et gestionnaire. ainsis’inquiète-t-on de l’autonomie et duconsentement des individus, de l’égalitéd’accès aux technologies d’améliorationou encore de la santé et de la sécurité deconsommateurs. Mais la seule liberté dontil est ici question est encore et toujourscelle de l’individu, jamais celle, politique,de la collectivité. de la même façon, laseule égalité dont il est question est celle

de l’accès aux technologies d’améliora-tion sociale. jamais le lien entre la prioritédonnée au développement de ces tech-nologies d’amélioration et les répercus-sions qu’elle implique sur les inégalitéssociales en général n’est évoqué.

qui sont les acteurs de ce mouvement ?Les transhumanistes et ceux qui gravi-tent autour sans y être officiellement affi-liés ne sont pas des penseurs ou des ingé-nieurs marginaux. Le transhumanisme,c’est une nébuleuse d’acteurs constituéeaussi bien d’ingénieurs, de philosophes,d’entrepreneurs et d’hommes politiquesqui occupent, pour nombre d’entre eux,d’importantes positions. Le cofondateurde l’association transhumaniste mondiale(Humanity+), le philosophe suédois nick

bostrom est ainsi diplômé de la Londonschool of Economics, enseignant àl’Université d’oxford et directeur du thinktank influent Future of humanity institute.L’une des figures de proue du mouve-ment, l’ingénieur et futurologue RayKurzweil est quant à lui membre du conseild’administration du Massachusettsinstitute of technology, conseiller de l’ar-mée américaine sur les questions liéesaux innovations scientifiques et tech-niques, et travaille depuis 2012 pour legéant économique google. La firmegoogle apparaît d’ailleurs actuellementcomme l’un des plus puissants fers delance des idéaux transhumanistes. Lesfondateurs du géant de l’internet, LarryPage et serguei brin, sont des transhuma-nistes convaincus et multiplient les inves-tissements dans le domaine des sciencesde la vie. qu’il soit question du séquen-çage adn avec la filiale 23andMe ou de lalutte contre le vieillissement et la mortentreprise par la firme Calico, googleconstitue aujourd’hui un acteur centraldu transhumanisme. Enfin, mentionnonsque le transhumanisme compte depuis2014, aux États-Unis, un parti politiqueofficiel, le Parti transhumaniste, présidépar l’écrivain et philosophe Zoltan istvan,en lice pour les élections présidentiellesaméricaines de 2016.

Pourquoi faut-il s’en méfier ?Ce sont les implications sociales, poli-tiques et écologiques du transhumanismequi sont à mon sens le plus à redouter. Lasociété de l’amélioration actuelle s’illu-

sionne en effet sur les fins et les moyensd’une réelle émancipation humaine. s’ilest encore trop tôt pour saisir toute la por-tée des transformations en cours, on peutnéanmoins d’ores et déjà en entrevoir lespremières retombées sociales. ainsi, der-rière le fantasme d’un enfant parfait, il y al’instauration d’un nouvel eugénisme,lequel, pour libéral et consenti qu’il soit,encourage comme hier l’instrumentali-sation de la vie humaine et l’intolérancecroissante à l’égard du handicap. derrièrel’humain maître de ses émotions grâce àla pharmacologie, il y a l’humain complexéet souffrant, de plus en plus médicalisé,développant de nouvelles formes dedépendances et d’addictions. derrière laquête d’une vie sans fin, il y a le jeunismeet la stigmatisation croissante de la vieil-

lesse. derrière la volonté d’améliorer bio-médicalement l’humain et la vie elle-même, il y a finalement la marchandisationbioéconomique des corps qui se maté-rialise chaque jour un peu plus.La seule avancée à mettre au compte dela société de l’amélioration semble ainsiêtre celle du marché et du capitalisme,qui a trouvé dans le surhomme replié surlui-même la matière première de sa repro-duction et de sa régénération. L’idéal d’unhomme augmenté s’inscrit de fait de plain-pied dans l’idéologie politique néolibéralecontemporaine tout comme il légitimeentièrement le modèle d’exploitation bio-capitaliste du monde vivant (marché ducorps, des organes, des cellules, des gènes,etc.). En exigeant de chaque individu qu’ilsoit toujours plus performant et deviennel’entrepreneur toujours plus solitaire etrésigné de lui-même, le transhumanismerepousse continuellement la possibilitéd’une vie authentiquement humaine,laquelle suppose d’être partagée plusqu’augmentée. C’est le progrès social ainsique l’appartenance de l’humain au mondevivant qu’il nous faut en définitive plus quejamais défendre et penser à nouveau fraisà l’ère de l’exploitation capitaliste illimitéede la vie. n

« derrière la volonté d’améliorerbiomédicalement l’humain et la vie elle-

même, il y a finalement la marchandisationbioéconomique des corps qui se

matérialise chaque jour un peu plus. »

*Nicolas Le Dévédec est politiste. Ilest docteur en sciences politiquesdes universités Rennes-1 etMontréal.

Entretien réalisé par Fabien Ferri.

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page43

HIS

TOIR

E

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

44

« L’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais ellejustifie l’invincible espoir. » jean jaurès

C’ est évidemment l’identi-fication de Robespierreavec la Révolution fran-çaise, et surtout avec lapériode que l’on aappelé la «  terreur  »

après sa mort, qui explique cette per-sistance. C’est parce que la Révolutionfrançaise et son héritage sont encoredes éléments du débat politique enFrance que la figure de Robespierreoccupe toujours une place centraledans les représentations historiques.

un rePoussoir utiLe tout part de ce nous avons appelé la« matrice thermidorienne » qui – tout enréemployant des éléments antérieurspuisés dans la critique royaliste et giron-dine du personnage – construit dans l’an-née et demie qui suit le 9 thermidor unelégende noire de Robespierre pour jus-tifier la réorientation politique qui s’en-suit et qui vise à édifier un régime despropriétaires. dans la période dite ther-midorienne s’agrègent les éléments d’unmythe qui fait de Robespierre un mons-tre, un repoussoir utile pour disqualifierla période de la République démocra-tique et sociale et l’an ii sous l’imageenglobante de la « terreur ». avec biendes transformations aux xixe et xxe siè-cles, c’est ce mythe qui fait encore flo-rès aujourd’hui dans l’espace public.« Robespierre n’a pas d’aventure amou-

Les âges du mytherobespierre Robespierre n’a jamais cessé depuis deux siècles d’être une figure histo-rique clivante, non seulement entre la droite et la gauche françaises, maisaussi au sein de ces familles politiques, et parmi les historiens, écrivains etcitoyens qui se sont intéressés au personnage. Pourquoi cette persistance— et même cette accentuation du clivage — plus de deux siècles après sonexécution ?

reuse, […] vit dans la théorie, […] se méfiede la foule et du peuple, […] est imma-ture, […] guidé par un idéal de pureté néo-romaine, […] les têtes tombent, tombent,[…] des flots de sang débordent des cani-veaux. » L’auteur de cette litanie pour-rait être un thermidorien, un historienanti-révolutionnaire du xixe siècle ou unplumitif de l’action française. il s’agit enfait du journaliste Franck Ferrand, le 17 mai2011, dans l’émission « au cœur de l’his-toire » qu’il anime sur Europe 1. depuisle 9 thermidor, le discours défavorableà Robespierre est ainsi demeuré d’uneremarquable stabilité, comme la polari-sation des passions que le révolution-naire alimente.

des « momentsrobesPierre »En deux siècles, sur une toile de fondhostile dominante, quatre phases dis-tinguent des « moments Robespierre »au cours desquels on constate le retourd’un discours positif sur l’incorruptible

dans l’espace public. Le premier suit laRévolution de 1830 et accompagne lastructuration politique du républica-nisme et du socialisme. on assiste alorsà la construction d’une légende doréepour faire pièce au flot des calomnies

thermidoriennes. sauver Robespierre,c’est sauver la possibilité d’une répu-blique. avec la Révolution de 1848 etsous l’influence de Michelet, de quinet,puis d’aulard qui occupe la premièrechaire d’histoire de la Révolution fran-çaise à la sorbonne, les républicains seséparent de Robespierre et lui substi-tuent d’autres figures tutélaires, en par-ticulier celle de danton. Parmi les cou-rants socialistes, les blanquistesdéveloppent un même discours négatifcontre le « Robespierre-prêtre » préten-dument responsable de l’exécution deshébertistes, censés êtres les vrais pro-moteurs d’une révolution populaire, lesmarxistes figeant pour leur partRobespierre dans la « révolution bour-geoise » alors que l’heure est à la « révo-lution prolétarienne ». après l’avoir ainsiabandonné pendant la seconde moitiédu xixe siècle, la gauche, principal sou-tien de l’incorruptible, le retrouve de nou-veau dans les années 1930. Lesrecherches d’albert Mathiez et la créa-

tion de la société des études robespier-ristes en 1907, dont il est le maître d’œu-vre, ont contribué à changer la donne.Le deuxième moment Robespierre com-mence. Le Front populaire associant lesdrapeaux rouge et bleu-blanc-rouge,

« après l’avoir abandonné pendant la seconde moitié du xixe siècle,

la gauche, principal soutien del’incorruptible, le retrouve de nouveau

dans les années 1930.

PAR MARC BELISSAET YANNICK BOSC*

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page44

HIS

TOIR

E

*Marc Belissa est historien. Il estmaître de conférences à l’universitéParis Ouest Nanterre- La Défense.

Yannick Bosc est historien. Il estmaître de conférences à l’universitéde Rouen.

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

45

l’incorruptible est mobilisé lorsque laRépublique est en péril face à la crise età la montée de l’extrême-droite. il devientl’un des héros de la culture communisteet le jouet de la guerre froide après 1945,être pour ou contre Robespierre reve-nant à soutenir ou combattre l’URss destaline. Les années qui précèdent et sui-vent Mai 1968 marquent une autre étapeau cours de laquelle le personnage senormalise. Les énarques qui baptisentla promotion de 1970 du nom deRobespierre n’ont certainement pas lesentiment d’avoir choisi un psychopathe.Robespierre divise toujours politique-ment mais il tend à échapper aux cari-catures les plus grossières. dans lesannées 1980, la vague antitotalitaire lesréactive et met un terme à ce troisièmemoment Robespierre en condamnantle révolutionnaire au nom des droits del’homme dont il est pourtant la figureemblématique pour ses contemporains.il devient désormais banal de l’assimileraux Khmers rouges voire à hitler.

depuis 2011, l’espace public bruisse dunom de l’incorruptible, donnant le senti-ment d’être face à l’ouverture d’un qua-trième moment Robespierre. Les élec-tions présidentielles de 2012 ont enparticulier été marquées par la revendi-cation affichée de la figure de Robespierrepar jean-Luc Mélenchon, candidat duFront de gauche. Comme à d’autresmoments de l’histoire, Robespierre sortainsi du passé pour être directement pro-jeté sur la scène politique contemporainedont il devient presque un interlocuteur.À la veille du premier tour le 12 avril 2012,Franz-olivier giesbert, directeur de l’heb-domadaire Le point, pronostique lui aussi– mais pour le pire – le retour de l’incor -ruptible en dénonçant «  les mauvaisgermes qui pourrissent l’ambiance dansun pays où ont toujours proliféré l’envie,cette passion eunuque, le ressentimentsocial et la haine de soi. au secours,Robespierre revient ! »jean-François Copé, alors président del’UMP, multiplie les allusions à Robespierreprésenté comme un épouvantail (la poli-tique fiscale du gouvernement ayraultconsisterait à revenir « aux temps deRobespierre ») et mis au même niveaud’indignité que des collaborateurs fusil-lés à la Libération : « Faire l’éloge deRobespierre, cela n’a rien à envier à ceque faisait jean-Marie Le Pen avecbrasillach ». L’affaire Cahuzac (avril 2013)donne une nouvelle occasion aux chro-niqueurs et aux politiques d’agiter lespectre de Robespierre. au lendemainde la démission du ministre qui n’a pasencore avoué, guillaume Peltier, alors

vice-président de l’UMP, stigmatise « lapression médiatique des petitsRobespierre de la justice que sont M.Plenel et ce site d’informations d’ex-trême-gauche Médiapart ».L’affaire Cahuzac engendre des mesuresd’urgence prises par le pouvoir qui visentà la « moralisation » du monde politiqueet à la « transparence ». anna Cabana (Lepoint, bFM-tV) réagit à la publication dupatrimoine des ministres et vitupère : « onn’entend qu’eux, ces jours-ci, les grandsmoralisateurs, les chantres de l’épuration,les nouveaux Robespierre, voire les néo-Khmers rouges. » depuis la publicationde notre livre Robespierre, la fabricationd’un mythe, d’autres épisodes se sontajoutés : à la fin de 2013 la prétendue

« reconstitution faciale » de Robespierreà partir d’un faux masque mortuaire a faitla une des journaux télévisés au granddam des historiens universitaires qui ontdémonté le faux, en 2014 la parution dujeu vidéo Assassin’s Creed dans lequelRobespierre est présenté comme unmonstre illuminé suscite la protestationde jean-Luc Mélenchon, notamment. Àl’été 2015 encore Michel onfray publiedans Le point une série de chroniquesreprenant les lieux communs de l’histo-riographie girondine des années 1820-1850, faisant de Robespierre un aigriassoiffé de pouvoir face aux héroïnes« girondines », égéries et combattantesde la liberté et de la vie contre desMontagnards mus par une idéologie éga-litaire mortifère. n’en doutons pas, d’au-tres épisodes suivront…on constate que la crise économiqueprofonde que nous traversons, associéeà la défiance vis-à-vis du fonctionne-ment des institutions et à la montée del’extrême droite, semble comme dansles années 1930 réactiver la figure del’incorruptible. En contrepoint on assisteau concours en détestation deRobespierre promu par l’histoire-spec-tacle, l’une des manifestations média-tiques de la progression des idées réac-tionnaires. Ceux qui les combattentvoient souvent dans l’incorruptible unrepère et parfois une ressource. Les prin-

cipes incarnés par le conventionnelparaissent redevenir un recours possi-ble, alors que les idéologies tradition-nelles de la gauche se sont effondrées.En dépit de sa sympathie pour ce quereprésente Robespierre, le socialismepuis le communisme l’ont enfermé –avec la Révolution française – dans laconstruction déterministe de la révolu-tion bourgeoise. Cette tradition critiquedu capitalisme, hégémonique au xxe siè-cle, a pour cette raison systématique-ment minoré ou occulté la modernitéd’autres conceptions critiques portéespar la seconde moitié du xViiie siècle.Celle dont Robespierre est l’un des porte-parole dénonce l’économie politiquetyrannique – l’idéologie naissante du

marché selon les catégories du xViiie siè-cle – en se fondant sur le principe du droitnaturel à l’existence. Robespierre l’a enpartage avec des philosophes commeMably, mais également avec le mouve-ment populaire. tous, au nom du pro-grès, ont été qualifiés de passéistes, ouau mieux d’utopistes, et donc disquali-fiés pour penser les contradictions etaujourd’hui les impasses de nos socié-tés organisées sur le productivisme.affirmer que les biens qui permettentde vivre constituent une propriété socialecommune qui ne peut être abandonnéeà la violence du marché est-il de nos jourssi archaïque ? Robespierre, et au-delàla Révolution française, engage à réexa-miner les idées politiques républicaineset la tradition des droits de l’hommedont nous sommes censés être les héri-tiers mais dont nous avons perdu unegrande partie du sens et dès lors les ver-tus subversives qu’elles possédaient àl’origine. n

« Robespierre, et au-delà la Révolutionfrançaise, engage à réexaminer les idées

politiques républicaines et la tradition desdroits de l’homme dont nous sommes

censés être les héritiers. »

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page45

PRO

DU

CTI

ON

DE

TERR

ITO

IRES

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

46

Avec 77 291 personnesécrouées au 1er janvier2015, pour 57 841 placesde détention, il y a enFrance, 19 450 détenusde plus que la capacité

totale des prisons. depuis 50 ans, lapopulation carcérale a ainsi doublé enFrance imposant une pression fortesur un parc pénitentiaire insuffisant etvétuste. depuis 2002, la France s’estde nouveau lancée dans un vastechantier de construction de nouveauxétablissements pénitentiaires afin decréer 13 200 nouvelles places dedétention. Répondant aux Règles péni-tentiaires européennes, ces nouveauxétablissements publics ont étéconstruits dans une optique d’amélio-ration des conditions de travail despersonnels, de vie et d’hygiène despersonnes incarcérées. outre lesquestions posées par la constructionet la gestion déléguées à des presta-taires privés, ce programme immobi-lier récent soulève des enjeux locauximportants en matière d’insertion ter-ritoriale de ces nouveaux établisse-ments.

Le Poids du PartenariatPubLiC-PriVé sur L’exodeurbain des nouVeLLesPrisonsavec les contrats aot-Loa (autorisationd’occupation temporaire – Loyer avecoption d’achat), l’administration péniten-tiaire met à disposition d’un prestataireprivé un terrain, par convention de bail.Les normes fixées par l’agence publique

Regard sur l’acceptabilité sociétale des établissements pénitentiaires.

pour l’immobilier de la justice (aPij), jus-tifiées en grande partie par des obliga-tions de sécurité, imposent aux entre-prises privées de lourdes contraintes surla conception des établissements. Lessites d’implantation présentent tous engénéral une emprise au sol compriseentre 10 et 13 hectares. outre la questionde la disponibilité foncière et de la confor-mité du site (zone non inondable, non-surmontée de haut bâtiment, située àmoins de 30 minutes d’un hôpital et d’untribunal pour une maison d’arrêt), le choixdu terrain va nécessairement peser surle coût global du projet, un élément clédans l’équilibre d’une programmation

immobilière basée sur les principes d’uneaot-Loa. dans ces conditions, la migra-tion des nouveaux établissements péni-tentiaires du centre des villes vers descommunes de banlieue, voire périur-baines, peut en partie s’expliquer parcette recherche de disponibilité de ter-rains abordables dans certaines grandesagglomérations sous forte pression,notamment résidentielle.La construction de nouveaux établisse-ments pénitentiaires à la périphérie desvilles est bien antérieure au programme« 13 200 », la taille des prisons neuvespesant sur la migration inévitable de lafonction carcérale en dehors des cen-tres-villes (Milhaud, Séparer et punir. Lesprisons françaises : mise à distance etpunition par l’espace, 2009). Certains

nouveaux établissements pénitentiairesse situent ainsi dans des communes debanlieue contiguës à la ville-centre maisselon une logique urbanistique, plutôtpositive, de renouvellement urbain. Celle-ci se matérialise par le comblement d’une« dent creuse » dans le cas de Vezin(anciens abattoirs) et de celui deCarquefou (réappropriation d’une frichemilitaire). Le cas de nancy-Maxéville sortde ce schéma type « dent creuse ». Eneffet, le centre pénitentiaire nancéienrelève d’une démarche de type « projeturbain » dans le cadre d’une vaste opé-ration de rénovation urbaine soutenuepar l’anRU (ZaC du Plateau de La haye).

À l’inverse, situé à 23 km du centre dePoitiers et à 2 km du bourg, le centre péni-tentiaire de Vivonne semble posé aumilieu des champs. dans une moindremesure, cet éloignement périphériquede la prison est également observabledans le cas de la nouvelle maison d’arrêtdu Mans-les Croisettes, installée sur uneancienne parcelle agricole, dans une com-mune de banlieue (Coulaines), en rup-ture avec le tissu urbain continu. si nousconsidérons, tout comme le sociologuePhilippe Combessie (prisons des villes etdes campagnes. études d’écologiesociale, 1996), que « la volonté de miseà l’écart des prisons, de relégations spa-tiales suppose un rejet des établisse-ments pénitentiaires », la relégation engrande périphérie représenterait un sym-

PAR GÉRALD BILLARD*

Les nouvelles prisonsfrançaises

« Ce programme immobilier récentsoulève des enjeux locaux importants en

matière d’insertion territoriale de cesnouveaux établissements. »

Les territoires sont des produits sociaux et le processus de production se poursuit. du global au local les rapportsde l’Homme à son milieu sont déterminants pour l’organisation de l’espace, murs, frontières, coopération, habi-ter, rapports de domination, urbanité... La compréhension des dynamiques socio-spatiales participe de la consti-tution d’un savoir populaire émancipateur.

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page46

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

47

bole fort du malaise sociétal entourantla question des lieux d’emprisonnement.

L’aCCessibiLité desnouVeaux étabLissementsen questionEn opérant un transfert centre-ville versdes sites périphériques, la fonction car-cérale s’est éloignée des points deconvergence multimodaux que repré-sentait le centre-ville (gare snCF, jonc-tion des lignes de transport en commun).au regard des exigences primaires affi-chées par l’aPij sur les notions d’acces-sibilité aux tribunaux, hôpitaux et caser-nement de forces de l’ordre, le cahierdes charges est évidemment respectépour les cas étudiés. néanmoins, encomparant les anciennes et les nouvellesprisons en matière de desserte, tant auniveau des transports en commun quede l’usage de l’automobile, il est incon-testable que l’accessibilité des nouveauxsites pose question. L’analyse fine del’accessibilité des nouvelles prisons mon-tre nettement que les temps de trajetont augmenté dès lors que les transportsen commun sont utilisés : il faut désor-mais au moins une vingtaine de minutespour venir depuis le centre-ville ou lagare snCF. Ce décentrage de la fonctioncarcérale a également des consé-quences pour les familles des détenusou pour certains d’entre eux en régimede semi-liberté, car il s’avère difficile entransport en commun de pouvoir accé-der aux nouvelles prisons en moins de40 minutes en agglomération et en moinsd’une heure depuis un lieu hors-agglo-mération. À l’opposé, l’implantation en

périphérie, souvent à proximité de voiesrapides, a incontestablement amélioréles temps de desserte des établisse-ments en véhicule personnel. Le nom-bre de places de stationnement ayantfortement augmenté aux abords desnouveaux établissements, l’usage de lavoiture reste le moyen de locomotion leplus efficient, notamment pour le per-sonnel pénitentiaire peu habitué auxtransports en commun pour des ques-tions d’horaires de travail ou encore de« sécurité personnelle ». Cette localisa-tion soulève une problématique fortequant à la capacité des familles à userde leur droit de visite et ainsi maintenirle lien social avec les détenus. Plusencore, la difficile accessibilité relativedes nouvelles prisons via les transportsen commun peut être un frein au régimede semi-liberté dont certains détenuspourraient bénéficier.

Les nouVeLLes PrisonsPriVées, une mise à Lamarge sPatiaLe etsoCiétaLe inéVitabLe ?il est délicat pour l’État d’envisager l’im-plantation d’un nouvel établissementpénitentiaire sur une commune sansl’adhésion de l’équipe municipale, àcharge pour elle ensuite de convaincreles habitants du bien-fondé de ladémarche. Un élément apparaît fonda-mental dans cette acceptabilité politiqueet sociétale des nouvelles prisons : loindes yeux au quotidien, de par leur encla-vement ou leur éloignement, les établis-sements pénitentiaires de dernière géné-ration ne dérangent au final que quelques

riverains (nuisances sonores, éclairagestrop puissants, dévalorisation immobi-lière). tant par leur accessibilité marquéepar de fortes contraintes modales, pla-çant de facto l’automobile comme seulmoyen pratique et rapide d’accéder auxétablissements, que par leur insertionspatiale en territoire sous-urbanisé,l’image d’une relégation ressort forte-ment de l’aménagement des sites deVivonne et du Mans-les Croisettes. Lescas de nancy-Maxéville, nantes-Carquefou, Rennes-Vezin-le-Coquetoffrent une vision plus contrastée, voirepernicieuse, de cette notion de mise àl’écart. En matière d’insertion urbaine,les trois sites choisis présentent ainsi laparticularité d’être pleinement intégrésau tissu de ville préexistant. néanmoins,le foncier mobilisé pour la constructionpourrait être qualifié de peu valorisable,voire valorisant. À Carquefou, que faired’un ancien champ de manœuvre et detir pollué, entouré sur environ trois-quartsde son pourtour par une zone d’activi-tés ? À Maxéville, comment imaginer ledéploiement d’une zone résidentielle dehaut standing, coincée entre la forteconcentration de logements sociaux, lecamp des gens du voyage et l’autoroutea33 ? À Vezin-le-Coquet, quelle valori-sation foncière donner à un espace d’an-ciens abattoirs, enclavé visuellement etphysiquement entre une voie de cheminde fer et des bâtiments commerciaux,sans accès direct au centre-bourg ?Certes, cette marginalité sociospatialeest quasiment inévitable : elle prend sasource dans une politique d’implanta-tion répondant à une approche multi-critère (prix du foncier, taille du site…),un cahier des charges précis (accessi-bilité, hauteur du bâti environnant) et àdes contraintes d’exploitations com-plexes vis-à-vis du voisinage (éclairagenocturne, bruit, prévention des parloirssauvages…). Plus encore que lesanciennes prisons de centre-ville, mieuxintégrées morphologiquement au tissubâti, les nouveaux établissements péni-tentiaires constituent des isolats urbains ;cet isolement se matérialise dès le péri-mètre proche par la présence d’un gla-cis et se poursuit souvent par une rup-ture nette avec des espaces porteursd’une plus forte urbanité. si ces nou-velles prisons ont globalement permisd’améliorer les conditions, notammentsanitaires, de la détention, elles n’en res-tent pas moins porteuses de certainesfrustrations morphologiques et fonc-tionnelles. n

*Gérald Billard est géographe. Il estprofesseur d’aménagement et d’ur-banisme à l’université du Mans.

PRO

DU

CTI

ON

DE

TERR

ITO

IRES

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page47

SCIE

NC

ES

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

48

La culture scientifique est un enjeu de société. L’appropriation citoyenne de celle-ci participe de la construc-tion du projet communiste. Chaque mois un article éclaire une question scientifique et technique. et nous pen-sons avec rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » et conscience sans science n’estsouvent qu’une impasse.

qu’est-ce donc qu’un « archéozoo-logue » ? y en a-t-il beaucoup ? est-cedavantage de l’archéologie que de lazoologie ?L’archéozoologue fait partie des spécia-listes qui étudient les « mobiliers » (céra-miques, faune, métal, monnaie) issus desfouilles archéologiques pour élaborer unehistoire des relations hommes-animauxsur la base de l’étude des ossements etdes coquilles. Les effectifs sont difficilesà évaluer. au niveau national, toutes insti-tutions confondues, on doit difficilementatteindre 100 professionnels, sans comp-ter tous les étudiants qui entament desétudes dans ce domaine. La formation desarchéozoologues est aujourd’hui pour l’es-sentiel intégrée dans les cursus archéolo-giques, mais dans les années 1950-1960,les premières générations comptaientbeaucoup de vétérinaires et de paléon-tologues. dans la mesure où nous traitonsdes relations hommes-animaux, la dimen-sion anthropologique est essentielle, l’as-pect biologique étant souvent limité à soncôté pratique. L’idéal serait d’avoir une for-mation mixte, mais cela n’est guère envi-sageable dans le système académique oùles deux sciences ne sont pas dans lemême champ disciplinaire.

L’« archéozoologue », un archéologue (presque)comme les autres

qu’est-ce que la discipline nous apprendsur les animaux actuels ?La recherche archéozoologique analysenotamment les processus de domestica-tion, qui accompagnent la néolithisationdes cultures au Proche-orient, ou dansd’autres régions du monde. La domesti-cation nécessite un certain nombre d’ac-tions fondamentales que l’homme doitsatisfaire pour que les animaux qu’il détientsurvivent à la fois en tant qu’individus et

en tant qu’espèces. Ces exigences sontprincipalement la protection, l’alimenta-tion, la maîtrise de la reproduction, et aussila familiarisation avec l’homme. Cette prisede contrôle sur le vivant constituerait laprincipale motivation de la domesticationet l’analyse des ossements permet d’enapprocher les contours.À partir de là, l’archéozoologue tente desuivre l’évolution parallèle de l’homme etde son cheptel, en observant commentle premier gère le second et comment cedernier s’adapte, ou est adapté, par deschangements de conformation, par exem-

ple. Les analyses d’adn fossile, dont l’étudeprend de plus en plus d’ampleur dans notrechamp de recherche, permettent de tra-cer la circulation des troupeaux domes-tiques au travers des continents, avec leshommes en migration permanente. La dis-cipline montre également commentl’homme exerce une pression trop impor-tante sur les effectifs de faune sauvage,avec par exemple la surpêche qui engen-dre une diminution de la taille des spéci-

mens capturés au fil du temps. noussommes également en mesure de déter-miner depuis quand des espèces ditesinvasives sont installées, comment ellesont modifié les écosystèmes des îles parexemple. Et toutes ces observations surl’histoire des animaux et des hommes nouspermettent de mieux appréhender lesconséquences possibles des politiquesactuelles et de proposer des scénariospour l’avenir. bâtir cette histoire des ani-maux, chère à Robert delort, est égale-ment très instructif pour l’histoire des men-talités humaines.

Comment les relations entre hommes et animaux ont-elles évolué à tra-vers les âges ? nous avons posé cette question à un chercheur associé àl’unité « archéologie et archéométrie » de l’université de Lyon, travaillantaujourd’hui dans une entreprise… privée.

ENTRETIEN AVEC THIERRY ARGANT*

« L’archéozoologue tente de suivrel’évolution parallèle de l’homme et de son

cheptel, en observant comment le premiergère le second et comment ce dernier

s’adapte, ou est adapté, »

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page48

SCIE

NC

ES

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

49

Cette profession est-elle publique ouprivée et quelles sont les revendica-tions des gens du métier ? y a-t-il desmenaces, notamment par coupure decrédits ?Les archéozoologues dépendent de dif-férentes institutions, tant publiques queprivées. Le plus fort contingent appartienttoutefois, me semble-t-il, au domaine del’archéologie préventive. Ce secteur estdominé par l’institut national de larecherche archéologique (inRaP), établis-sement public national à caractère admi-nistratif (EPa) de recherche, placé sous ladouble tutelle des ministères chargés dela Culture et de la Recherche. depuis 2003,

le législateur de droite a ouvert ce « mar-ché » au secteur privé, engendrant la créa-tion de sociétés commerciales sous dif-férentes formes, parfois coopératives,parfois basées sur une association, le plussouvent de forme capitalistique, maisessentiellement portées par des archéo-logues. après une dizaine d’années dedéveloppement, on observe une structu-ration de ce secteur autour d’une grossesociété à stature nationale et quelquesopérateurs plus centrés sur une région,plus un nombre important de services decollectivités. avec la diminution des bud-gets publics, ces derniers ont toutefoistendance à être réduits voir supprimés.L’inRaP possède le quasi-monopole dudiagnostic archéologique et réalise éga-lement à peu près la moitié des fouilles desauvetage.seuls les plus gros opérateurs peuvent sepermettre d’employer des spécialistes engénéral, dont des archéozoologues àtemps plein. Les autres sous-traitent leursétudes, soit à ces grosses structures, soitfont appel à des archéozoologues en Cddou installés en autoentrepreneurs. biensûr, ces derniers sont les plus précaires,et la réduction des crédits d’analyse lestouche en premier lieu. Lorsqu’ils obtien-nent des ensembles de faune à étudier, ils

disposent a contrario d’une plus grandelatitude pour approfondir leur étude ; pen-dant ce temps, les salariés doivent faire deleur mieux avec un nombre de jours deplus en plus contraint, au fur et à mesureque la concurrence oblige les entreprisesà limiter les budgets consacrés à l’analysedu mobilier recueilli sur le terrain. Cettetendance actuelle de baisse des créditsest largement due, c’est bien le comble, àla politique commerciale très agressive del’opérateur public, qui vise ainsi à obtenirce que la structure n’a pas pu avoir par laloi, c’est-à-dire la disparition du secteurprivé par la mise en faillite de ces entre-prises. si sur le principe, il était évident dès2003, qu’ouvrir l’archéologie à la concur-rence était une aberration, les pratiquesactuelles de l’inRaP, qui s’appuie sur le bud-get de l’État pour arriver à ses fins, est lourdede conséquences pour toute la disciplineet en premier lieu pour les salariés du privé.En effet, l’établissement public en l’étatactuel – et on ne voit pas trop comment ilpourrait se développer davantage avecdes finances publiques en berne – nepourra pas absorber tous les chercheursqui œuvrent dans ces sociétés privées etla disparition de ces dernières créerait uneperte de compétences très importante.Ces personnels sont très inquiets et dépi-tés d’être traités comme des pestiférés,ils ressentent encore plus cruellement l’ani-mosité des syndicats de la Culture à leurencontre, alors qu’ils pourraient s’atten-dre à être considérés comme des cama-rades de lutte. au-delà des archéologuesdu secteur privé, cette politique de concur-rence exacerbée touche aussi ceux dusecteur public qui en subissent égalementde plein fouet les conséquences sur leursconditions de travail.

en d’autres termes, il y a des divergencesd’appréciations sur les relationspublic/privé en archéologie au seinmême des syndicats et mouvementsprogressistes. mais revenons plus pré-cisément aux archéozoologues, com-ment sont-ils organisés ?au vu de notre nombre, il n’y a pas d’or-ganisation viable à l’échelle nationale etnous sommes essentiellement actifs ausein d’une structure internationale, l’inter -national Council �for archaeo zoology(iCaZ), qui réunit des archéozoologuesdu monde entier, et qui se trouve actuel-lement dominée par la recherche anglo-saxonne. on se retrouve, sinon, dans desstructures scientifiques avec les autresarchéologues (car l’interdisciplinarité faitpartie intégrante de notre travail), ou dansdes groupes de travail méthodologiquesou thématiques, tant au sein de chaquestructure qu’entre collègues de diffé-rentes institutions.

*Thierry Argant est archéozoologue.Il est responsable d’opérationsarchéologiques chez Éveha en régionRhône-Alpes.

Propos recueillis par Pierre Crépel.

Les revendications des archéozoologuesrejoignent ainsi celles de tous les autreschercheurs, notamment des scienceshumaines, qui voient de plus en plus lesefforts de recherche fondamentale limi-tés et soumis à des objectifs de rentabi-lité immédiate totalement aberrants. Ence qui concerne le domaine de « l’histoire »,la diminution des capacités de la recherches’accompagne malheureusement et natu-rellement d’une montée en puissance desobscurantismes et révisionnismes de tousbords. Une politique publique efficace,notamment pour redonner du sens à l’exis-tence des nouvelles générations, devraitau contraire insister sur une « culture »vivante donnant la parole à l’humanité dechacun, laquelle se construit entre autressur une mémoire individuelle et collectiveque les archéologues sont les premiers àabonder, en instruisant l’histoire des indi-vidus par l’analyse des indices matérielsqu’ils ont laissés.

on entend souvent dire que les fouillesse font dans l’urgence avant des grandstravaux, est-ce vraiment le cas ?on aborde là l’organisation de la recherchearchéologique. Celle-ci est régie par deslois liées à l’aménagement du territoire etau patrimoine. Chaque projet d’aména-gement, sauf exception, est soumis à undiagnostic archéologique prescrit par lesservices de l’État, via les services régio-naux de l’archéologie dépendant desdRaC, tout comme il est soumis à des éva-luations de son effet sur l’environnement,la biodiversité, la sécurité, etc. si des ves-tiges sont décelés lors de ces sondagespréalables menés par l’inRaP ou les ser-vices territoriaux compétents, l’État sus-pend la réalisation de la construction à lafouille préventive des vestiges, de façon àpréserver l’information historique avantsa destruction. L’archéologie préventive,créée dans les années 1980, s’est petit àpetit imposée dans les années 1990 pouraboutir en 2001 à la création de l’inRaP,qui disposait alors du monopole de ce sec-teur. Les fouilles sont désormais totale-ment intégrées dans le calendrier des pro-jets de btP et n’entravent en rien leurréalisation. Le coût est supporté par l’amé-nageur, d’où les pressions exercées pourl’ouverture à la concurrence en 2003, sansse soucier de l’importance de l’archéolo-gie pour la compréhension de notre his-toire, ce que vingt ans d’activité ont pour-tant largement démontré. n

« L’archéologiepréventive, crééedans les années

1980, s’est petit àpetit imposée dans

les années 1990pour aboutir en

2001 à la créationde l’inRaP. »

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page49

PAR GÉRARD STREIFFSO

ND

AGE

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

50

enfants de l’immigrationL’inEd et l’insEE proposent une enquête fleuve intituléeTrajectoires et origines, (teo), qui rassemble des donnéescollectées entre 2008 et 2009 auprès de 22 000 personnes.Une somme de 600 pages qui présente l’immigrationrécente et leurs enfants. (au passage, notons que l’enquêteestime que les Français ayant une double nationalité seraient3,3 millions, soit 5 % de la population métropolitaine âgéede 18 à 50 ans).

En majorité, et malgré les difficultés rencontrées, les immi-grés et leurs enfants affirment se sentir français et « chez eux »en France. L’étude note que « si défaut d’intégration il y a, ilest à rechercher du côté d’une société qui peine à accepter

les minorités et à dépasser les stéréotypes qui fondent lesdiscriminations et le racisme dont ils sont l’objet ».

L’étude pointe les problèmes rencontrés en matière d’édu-cation et d’emploi et surtout, elle souligne que ces difficul-tés seraient plus importantes pour leurs enfants, soit laseconde génération issue de l’immigration. « La société fran-çaise n’est pas au diapason de sa diversité, note un respon-sable de l’inEd. s’il y a un capital scolaire et social plus élevépour les descendants d’immigrés que pour les immigrés, ilsrencontrent plus de pénalités sur le marché du travail. Lestaux de chômage des descendants d’immigrés sont supé-rieurs à celui des immigrés ». n

93 %des enfants d’immigrés

se sentent français

50 % des immigrés originaires d’afrique

pensent qu’on ne les perçoit pas comme français

44 % des enfants de deux parents immigrés

disent avoir été confrontés au moins une fois à une situation de discrimination

20 % des enfants des minorités « visibles »

n’ont pas le brevet des collèges

85 % des musulmans de 17 à 25 ans

disent que la religion joue un rôle important dans leur vie contre 22 % du même groupe d’âge de catholiques.

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page50

PAR MICHAËL ORAND

STAT

ISTI

QU

ES

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

51

L’insertion professionnelle, qui correspond à la transition entrele système éducatif et le marché du travail, est une périodecruciale de la vie professionnelle. Ces quelques années peu-vent en effet conditionner l’ensemble d’une carrière, et peu-vent être un témoin d’une conjoncture à venir en matière dechômage et de qualité de l’emploi.En 2013, le taux de chômage des jeunes qui avaient terminéleurs études supérieures trois ans auparavant (la « généra-tion 2010 ») est de 13 %.Ce chiffre est à relativiser en partie enraison de la part importante dejeunes ayant finalement retardé leurinsertion professionnelle et reprisleurs études : ils sont près d’un quart(22 %) à se trouver dans cette situa-tion. Plus le niveau d’étude atteintest élevé, plus le taux de chômageet la probabilité d’avoir repris sesétudes sont faibles. ainsi, les jeunessortis du supérieur sans aucundiplôme (ayant donc en généralabandonné en première oudeuxième année post-bac) sont42 % à avoir repris leurs études, etle taux de chômage parmi ceux quisont effectivement entrés sur lemarché du travail est de 23,1 %. Lestitulaires d’un diplôme de niveaubac +4 ou +5, en revanche, n’ont repris leurs études que dans10 % des cas, et leur taux de chômage n’est que de 10,2 %.La part des jeunes sortant des études supérieures ayant trouvéun emploi à durée indéterminée après trois ans de vie activeest de 73 %, ce qui est sensiblement inférieur à l’ensembledes salariés. Un plus haut diplôme se traduit là aussi par unemeilleure situation, à l’exception notable des doctorants, dont

seuls 69 % ont un emploi à durée indéterminée. Cela peuts’expliquer par la nature précaire des contrats de recherchenotamment. Enfin, 11 % des jeunes sortis des études supé-rieures en 2010 ont, trois ans après la fin de leurs études, unemploi à temps partiel. Cette part est inférieure à celle obser-vée sur l’ensemble des salariés. Les jeunes sortis du supérieursans diplôme sont ceux pour lesquels cette part est la plusimportante (22 %).La comparaison de la génération 2010 avec la génération 2004

montre une dégradation globale dela situation, quel que soit le niveaude diplôme atteint. Le taux de chô-mage après trois ans de vie activen’était ainsi que de 8,7 % pour lagénération 2004, contre 13 % pourla génération 2010. Les jeunes sor-tis du supérieur en 2010 ont plussouvent repris leurs études queleurs aînés, ce qui peut être uneréponse à des difficultés pour trou-ver un emploi. Cette dégradationde l’accès à l’emploi se retrouvepour tous les niveaux de diplôme,à l’exception des titulaires d’un doc-torat, pour lesquels le taux de chô-mage après trois ans de vie activea légèrement diminué, passant de

7,0 % à 5,8 %. La qualité des emplois obtenus s’est égalementlégèrement dégradée, notamment pour les jeunes sortis sansdiplôme du supérieur, avec une part moindre d’emplois àdurée indéterminée, et une part plus importante de tempspartiel. Enfin, le salaire médian des jeunes sortant du systèmeéducatif est globalement stable, en tenant compte de l’infla-tion. n

une insertion professionnelleplus difficile pour les jeunessortant du supérieur

« La part des jeunessortant des études

supérieures ayant trouvéun emploi à durée

indéterminée après troisans de vie active est

de 73 %, ce qui estsensiblement inférieur à

l’ensemble des salariés. »

source : Cereq, enquêtes génération.

L’insertion professionnelle des jeunes diplômés des générations 2004 et 2010

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page51

avec plus de 8 000 exemplaires vendus en un an, le Mais où sont pas-sés les Indo-Européens ? de jean-Paul demoule, somme de 750 pagesagrémentées de plus de 1  000 références bibliographiques, est enpasse de devenir un best-seller de la littérature scientifique.

LIRE

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

52

PAR VINCENT BLOUET*

Lire, rendre compte et critiquer, pour dialoguer avec les penseurs d’hier et d’aujourd’hui, faireconnaître leurs idées et construire, dans la confrontation avec d’autres, les analyses et le projet descommunistes.

mais où sont passésles indo-européens ?

En juin 2015, l’académie française lui a décernéle prix « Eugène Colas » du livre d’histoire etde sociologie et, en décembre dernier, il areçu le prestigieux prix « Roger Caillois » del’essai. Dans le même temps, la rubrique« Indo-Européens » de Wikipédia a été com-

plétée d’un paragraphe précisant que « cet essai estcontredit par la plupart des études récentes portant surle génome des Européens » et que « ces hypothèsesmarginales sont rejetées depuis des années par les lin-guistes ». Éléments de la civilisation européenne, revuede la « Nouvelle Droite », considère quant à elle quel’auteur est « désormais élevé au rang de négationnisteen chef des études indo-euro-péennes ».Beaucoup d’honneur donc etbeaucoup d’indignité, pourl’ancien président de l’Institutnational de recherches archéo-logiques préventives, profes-seur de protohistoire euro-péenne à Paris 1 et membre del’Institut universitaire deFrance. Mais pourquoi unouvrage qui vise à dresser l’état de la connaissance surun sujet a priori réservé à des spécialistes, peut-ilaujourd’hui susciter engouements et controverses ? C’estévidemment parce que depuis son assimilation par l’idéo-logie nazie le concept d’indo-arianisme sent le soufre.Mais c’est aussi, parce que Jean-Paul Demoule s’attacheà détruire, de façon méthodique et systématique, ce qu’ilnous présente comme le mythe fondateur de l’Europedes temps modernes et donc celui de l’Occident.Pour aborder le sujet, qui de prime abord pourrait paraî-tre austère, il est nécessaire de poser quelques repères.Dans le Petit Robert, à la rubrique indo-européen, ontrouve un adjectif : « se dit des langues d’Europe et d’Asie

qui ont une origine commune ». Dans le Larousse, leterme est signalé comme un substantif : « l’indo-euro-péen est la langue commune dont sont issues les languesdites indo-européennes ». Dans le Wiki-Dictionnaire,c’est aussi un substantif qui est retenu mais avec un autrecontenu : « Indo-Européen est le nom donné à un peu-ple dont est issu partiellement un ensemble de peuplesd’Eurasie ». Toute la problématique de Jean-Paul Demoulese retrouve dans ces trois définitions. Comment, à par-tir de ressemblances initialement constatées entre lesanskrit, le grec et le latin, en est-on arrivé à supputerune langue primitive commune à la majeure partie despeuples d’Eurasie, puis à l’affirmation de l’existence d’unpeuple unique à l’origine de tous ceux (ou presque) quicohabitent aujourd’hui sur le continent.Ainsi, Mais où sont passés les Indo-Européens ? constitue

d’abord une enquête historio-graphique passionnante sur lafabrique d’une discipline.Construit comme une sympho-nie, rythmé par la chronologiecomme tout travail d’archéo-logue qui se respecte, l’ouvragenous raconte une épopéescientifique. L’ouverture, quicommence à la Renaissance, etle premier mouvement, qui

nous mène à la fin du XIXe siècle, décrivent dans le détaille cheminement des fondateurs des sciences humaineset sociales, mais aussi des chercheurs en sciences natu-relles, dans l’écriture du roman de l’identité indo-euro-péenne. Le second mouvement, qui débute à la veille dela première guerre mondiale et s’achève à la fin de laseconde, montre comment, sous l’empire des idéologiesnationalistes puis du nazisme, des élucubrations scien-tifiques participent de la monstruosité. Le troisième mou-vement et le final nous interrogent sur le pourquoi duretour, dans le deuxième quart du XXe siècle et avec encoreplus d’acuité aujourd’hui, d’un modèle scientifiqueconstruit sur des chimères.

« depuis son assimilationpar l’idéologie nazie le

concept d’indo-arianismesent le soufre. »

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page52

LIRE

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

53

Dès les premiers chapitres, le vertige saisit le lecteur qui,de citations en citations, voit les théories du racismescientifique s’échafauder sous ses yeux. Les linguistesgermaniques sont à la pointe de la recherche car c’est lalangue qui sert de ciment dans la construction lente etdifficile de la nation allemande. Les historiens françaiset anglais développent quant à eux les thèses diffusion-nistes et expansionnistes qui viennent justifier la colo-nisation, source de progrès. Les anthropologues s’atta-quent, par la biométrie, à la classification et à lahiérarchisation des races humaines. À partir du langageprimitif reconstitué et des études comparatives de mytho-logie, on parvient à décrire le mode de vie et les croyancesde ces lointains ancêtres. Au final,il se dégage un modèle domi-nant, postulant l’existence d’unpeuple primitif, parti à cheval àla conquête de l’Eurasie et ayantimposé sa culture et sa langue àla majeure partie du continent.Ces bases étant posées, il ne resteplus qu’à localiser, dans le tempset dans l’espace, le berceau d’ori-gine. Cette tâche est confiée auxarchéologues qui, comme leurscollègues des autres sciences,participent aux constructionsidéologiques de leur temps. C’estainsi, qu’en fonction du pays et de l’époque, les Indo-Européens seront placés à la fin de la dernière glacia-tion, au début du néolithique ou pendant l’âge du bronze,leur territoire premier étant successivement retrouvé enInde, dans le nord de l’Europe, dans les plaines de Russie,en Anatolie…Depuis les années 1970, le développement des méthodesde datation absolue ainsi que la généralisation de l’ar-chéologie préventive, ont profondément renouvelé larecherche. Fondées sur des séries statistiques solides, lapréhistoire et la protohistoire de l’ancienne Europe sontdésormais, dans les grandes lignes mais aussi dans lesnombreux détails, parfaitement cernées. L’ouvrage exposede façon didactique la succession des cultures identi-fiées en Europe par les archéologues ainsi que leursmodes de formation, de développement et d’extinction.Jusqu’à l’émergence des États, au début des périodes his-toriques, cette succession est le plus souvent le résultatd’évolutions locales auxquelles se surimposent deséchanges entre groupes culturels. Si des mouvements de

population peuvent parfois être reconnus, il n’existe pasdans les données de traces de la grande invasion indo-européenne déferlant sur le continent décrite par la théo-rie. À l’instar de ce qui est envisagé pour les culturesarchéologiques, il est donc probable que les convergencesobservées entre les différentes langues indo-européennesrésultent d’échanges et de métissage.Pour Jean-Paul Demoule, la création du mythe indo-européen répond d’abord aux besoins exprimés parl’Europe chrétienne de se forger une histoire propre,distincte de celle des juifs décrite par la bible. Le modèlehistorique une fois inventé allait connaître des déclinai-sons multiples et, dans sa dérive la plus monstrueuse,

contribuer à produire le troi-sième Reich. Sans sombrer dansces extrêmes, la justificationracio-culturelle de la domina-tion d’un peuple sur les autresa diffusé largement. On a oubliéaujourd’hui que le colonelDriant, héros emblématique deVerdun et député de l’Actionfrançaise, fut aussi auteur d’unlivre à succès à destination de lajeunesse intitulé L’invasionnoire, dans lequel il préconisaitla destruction par les gaz desenvahisseurs musulmans… Le

succès des « Indo-Européens », ne s’arrêta d’ailleurs pasaux seuls idéologues de l’extrême droite. Considéréscomme des vérités scientifiques établies, la thèse d’uneculture première et le modèle diffusionniste furent aussi,pendant tout le XXe siècle, repris et déclinés par desscientifiques et des intellectuels progressistes.Aujourd’hui, ces thèses renaissent une nouvelle fois deleurs cendres, à l’occasion du développement des étudespaléogénétiques qui ordonnent le génome humain avecles mêmes outils que ceux utilisés pour le classementarborescent des langues. Certains chercheurs réinven-tent ainsi les races humaines, dont le concept avait étééradiqué par les généticiens dans les années 1970, etréactivent la quête éternelle du peuple primitif. Sur ceterrain Mais où sont passés les Indo-Européens ? consti-tue aussi une arme pour combattre la résurgence desidéologies identitaires. n

*Vincent Blouet est archéologue (DRAC Lorraine).

« il n’existe pas dans lesdonnées de traces

de la grande invasionindo-européenne

déferlant sur le continentdécrite par la théorie. »

imag

e ex

trai

te d

e Yo

u tu

be : M

aiso

n de

l'his

toire

de

Fran

ce

jean-Paul demoule

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page53

CRI

TIQ

UES

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

54

L’Art et la vieLe Temps des Cerises, 2015

YVON QUINIOU

PAR STÉPHANIE LONCLE

Quelle est la valeur de l’émotionesthétique, du sentiment du beau ?Pour celui qui l’éprouve, il est très

cruel d’y renoncer. Pris en flagrant délit de sentimenta-lisme, le matérialiste doit attendre silencieusement quel’émotion lui passe pour que sa raison commence à éla-borer sur les enjeux sociologiques, économiques, poli-tiques et philosophiques qui y sont associés. Après lalecture de ce nouveau livre d’Yvon Quiniou, il fera l’éco-nomie de ces réflexes, autant de mécanismes de défensecontre la reconnaissance de notre incapacité actuelle àcomprendre de façon satisfaisante l’émotion esthétique.Voilà en effet le parcours quasi thérapeutique que nouspropose Quiniou à travers son essai et le récit qui l’ac-compagne : accepter l’existence de l’émotion esthé-tique, en prendre la mesure (elle est durable, puissante,bien spécifique) et en tirer toutes les conséquences, enphilosophe, jusqu’à reconnaître que l’ensemble desoutils et des valeurs qui ont permis jusqu’ici à l’huma-nité de penser sa condition échouent à rendre comptedu pourquoi et du comment du beau.Yvon Quiniou refait patiemment le trajet théorique del’esthétique depuis la philosophie kantienne jusqu’à lapsychanalyse freudienne, en passant par la penséenietzschéenne, difficile à situer au carrefour des sciencesde l’homme. Excellant toujours dans l’art de la pédago-gie, il insiste sur la façon dont les écrits de Kant font unremarquable portrait de l’émotion esthétique accrédi-tant pour toujours le caractère incontournable de sonexistence autonome. Dans le même temps, il ne manquede rappeler les impasses idéalistes du philosophe desLumières allemandes qui l’empêchent d’expliquer defaçon convaincante les causes et le fonctionnement del’émotion esthétique « dans la vie ». C’est alors queNietzsche, puis Freud viennent étayer l’idée ô combienplus pertinente, plus proche de l’expérience et plusféconde théoriquement de rattacher le beau à la vie,avec le risque cependant de perdre de vue la spécificitéde l’émotion esthétique. Au terme de ce parcours, lessciences sociales (à travers l’exemple type de Bourdieu)sont enfin convoquées à l’orée de la conclusion, maissans grande conviction. Et en effet, on comprend vite,après le chapitre consacré à Freud, que les sciencessociales ne sont guère en mesure d'apporter uneréponse aux questions soulevées par Yvon Quiniou.En effet, ce voyage philosophique se conclut paradoxale-ment sur un échec dont Quiniou souhaite que le lecteurprenne bien la mesure : en l’état actuel de la réflexionphilosophique, nul ne saurait comprendre le fonction-nement de l’émotion esthétique sans avoir recours à lanotion, encore bien peu claire, d’illusion. Le sentimentdu beau vient chez chacun faire écran entre soi et lamort, lui fait éprouver l’illusion d’une suspension dutemps. À partir de là, tout reste à penser. On imagine quecertains auteurs viendront nourrir cette réflexion : LouisMarin peut-être pour envisager la question de l’illusiondu point de vue du pouvoir de la représentation, JacquesLacan et ses disciplines aussi, qui ne sont pas loin deconsidérer que l’expression d’un sentiment du beau faitsigne vers un trou non dialectisable dans la conscience,équivalent ou presque aux phénomènes élémentaireschez les patients psychotiques.

Europe, l’expérience grecque.Le débat stratégique

Éditions du Croquant, 2015

ALEXIS CUKIER,PIERRE KHALFA (DIR.)

PAR VICTOR LABY

Depuis l’arrivée de Syriza aupouvoir en Grèce, les forces degauche européennes ont partoutdébattu de la stratégie qui devaitêtre adoptée par Tsipras face auxgouvernements conservateurs

coalisés. Les divergences qui existaient alors au sein dela gauche radicale européenne, par exemple sur laquestion de la sortie de l’euro ou sur l’échelle (natio-nale ou européenne) à laquelle il convient de mener lalutte contre l’austérité, se sont creusées après la signa-ture forcée d’un troisième mémorandum par le chef dugouvernement grec.Ce petit livre des éditions du Croquant constitue uneparfaite synthèse de ces discussions. On passera rapide-ment sur l’intervention d’Alexis Cukier, qui voit enTsipras en chantre de l’austérité à la solde de l’euro-groupe et fait du PCF un parti pour lequel « il n’y auraitpas d’alternative au néolibéralisme ».Il en va autrement de l’article de Frédéric Boccara.Celui-ci mérite une attention particulière. Pour l’éco-nomiste, « le devoir d’une gauche digne de ce nom n’estpas de prétendre soutenir Tsipras en vantant son ima-ginaire ralliement à l’austérité [...], mais de le soutenirvraiment en élargissant le front de lutte européencontre l’austérité, et en le faisant porter pour des finan-cements allant de la création d’emplois et de richesses,aux services publics, ainsi que pour la restructurationde la dette. »Étienne Balibar et ses confrères philosophes ne disentpas autre chose. Il s’agit pour eux d’intensifier le combatà l’échelle du continent pour qu’enfin émerge uneEurope solidaire. C’est elle qui donnera un nouveaupoint d’appui à l’extraordinaire puissance démocratiquequi s’est manifestée en Grèce il y a quelques mois avec lavictoire du OXI (non). Car, comme le rappelle justementBalibar, ce qui a placé Syriza dans la situation où elle setrouve aujourd’hui, c’est dans une grande mesure l’in-suffisance d’un rapport de forces européen favorable.Quant à un éventuel retour aux monnaies nationales, lesavis sont là aussi partagés.D’un côté, Alexis Cukier et Cedric Durand reprennentune structure argumentative apparemment radicale…Sortir de l'euro et essayer de reprendre le flambeau desluttes nationales en s’insérant dans les combats interna-tionalistes sans relais européens.De l’autre, Pierre Khalfa, coprésident de la fondationCopernic, met en évidence le coût que représenteraitpour le peuple grec un retour à la drachme. Pour luicomme pour Frederic Boccara, ce sont les forces domi-nantes qui balisent le débat. La seule alternative serait« restez dans l’euro sans rien changer ou sortez-en ».Catherine Savary (membre fondateur d’Espaces Marx)reprend la même rhétorique et rappelle « qu’aucunemonnaie au monde n’a nulle part empêché une diversitéde politiques possibles, voire de changements de sys-tème », n’en déplaise à ceux qui semblent avoir oubliéque bien avant l’adhésion à l’euro, les libéraux impo-saient déjà dans toute l’Europe des cures d’austérité. n

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page54

débat de l’annulation en affirmant qu’il existe un cadrejuridique permettant cette répudiation.Dans un contexte où l’abondance d’informations équi-vaut à de la désinformation, ce livre clair et court ne peutêtre que recommandé. n

Histoire de la violenceÉditions du Seuil, 2016

ÉDOUARD LOUIS

PAR JEAN-MICHEL GALANO

Nietzsche, l’un des auteurs favo-ris d’Édouard Louis, écrit dans leGai Savoir que ce n’est pas à laconnaissance d’être un moyende la vie, mais à la vie de devenirun moyen de la connaissance. Ilsemble que l’auteur se soit

appliqué à pratiquer ce conseil. Confronté à une terribleexpérience des limites (un viol réalisé sous la menaced’une arme) il a cherché à en tirer une manière d’ensei-gnement. Il s’agissait pour lui non seulement de le pen-ser, mais aussi de le dire, d’en parler, de confronter lecaractère irréductiblement subjectif de la violence subieà l’intersubjectivité, au regard des autres, à ce qui leur estpossible de comprendre. Entre ces deux pôles, le langage. Le langage est ici unmedium tout aussi nécessaire qu’insuffisant, et de cepoint de vue le livre d’Edouard Louis est moins le récit dece qui lui est arrivé que la mise en confrontation de dif-férents récits sur l’événement, y compris les siens, avecau bout le constat d’un relatif échec. Au moins l’expé-rience traumatisante se trouve-t-elle en partie réinté-grée dans la trame d’une histoire personnelle, qu’elle adéchirée en partie et réactivée aussi en un autre sens,tant la douleur est, pour l’auteur de Pour en finir avecEddy Bellegueule, une affaire personnelle.C’est pourquoi l’on ne s’étonnera pas du titre : certes, ilne s’agit pas d’une histoire au sens que nous donnonshabituellement à ce mot. Il ne saurait y avoir histoire quedes formes de la violence. L’objet d’Edouard Louis, qui àaucun moment ne consent à prononcer le mot « mal »,c’est l’inadéquation en quelque sorte structurelle entrela violence elle-même et les représentations qu’on s’enfait. D’où une « histoire » au sens des histoires caractéris-tiques du savoir médiéval, évoquées par Foucault dansLes Mots et les Choses, qui mêlent tout, le vrai et le faux,le constat et le fantasme, l’observation sèche et le men-songe qui aide à survivre. Au plus fort du vécu inouï, lelangage et les représentations sont là. L’instantané estpresque (presque !) immédiatement réintroduit dansl’épaisseur d’un langage qui le fixe et le perd à la fois. D’où, surtout, le volume donné à la retranscription. Biensûr, Édouard ne se reconnaît pas, ne peut pas se recon-naître, dans les comptes rendus des policiers ou desmédecins, pas plus que dans les conseils avisés de sesamis, où l’essentiel lui semble se perdre. D’où enfin cequi est le plus original dans ce livre : une grande partiede l’histoire est supposée être la retranscription du récitque fait sa sœur Clara à son mari du récit que lui,Édouard, lui en a fait. Et ce quasi monologue de Clara,avec ses longueurs, ses digressions, son accent picard, àlaquelle Édouard ajoute quelques rares commentairesen italiques, semble à son tour épuiser le sujet sans véri-tablement l’atteindre. Et ce demi-échec (ou demi-réus-site) du langage, qui sert davantage à vivre qu’à connaî-tre, constitue en définitive l’objet véritable du livre. n

CRI

TIQ

UES

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

55

Yvon Quiniou livre ici une belle démonstration, trèsclaire, qui a le mérite de faire place nette pour uneappréhension philosophique matérialiste du beau quireste à faire. Il circonscrit un trou noir de la sciencehumaine. Travail doublement salutaire : d’une part, derappeler face aux relativistes et aux illuminés que laconnaissance humaine existe et balise avec toute larigueur de la science de nombreux pans de l’existencehumaine, et d’autre part de réaffirmer qu’il reste desparadigmes entiers à découvrir face aux nouveaux posi-tivistes, qui croient, grisés par la multiplication des pro-blématiques et des « objets » des sciences humaines (dela sociologie en particulier), que l’ambition encyclopé-diste était atteinte. n

La vérité sur la dette grecqueÉditions Les liens qui libèrent, 2015

COMMISSION POUR LA VÉRITÉSUR LA DETTE PUBLIQUEGRECQUE

PAR HASNI ALEM

Après avoir été au centre desattentions dans la première moi-tié de 2015, la Grèce est passée ausecond plan à cause des événe-ments tragiques récents. Cet

ouvrage permet d’éclairer la situation de la Grèce et par-ticulièrement sur son endettement, source des ten-sions. Ce livre est la retranscription d’un rapport de lacommission du parlement hellénique pour « la véritésur la dette grecque ». Malgré la non-coopération deplusieurs institutions, comme la banque centralegrecque, ces parlementaires purent avec l’aide d’expertsinternationaux faire le bilan catastrophique des poli-tiques menées en Grèce depuis les années1980. Ils enconcluent que la dette grecque est illégitime, illégale,odieuse et insoutenable.La dette est illégitime car elle est contraire à l’intérêtgénéral, elle est illégale puisque les procédures légalesen vigueur en Grèce n’ont pas été respectées, elle estodieuse parce qu’elle a été contractée en violation desprincipes démocratiques et enfin cette dette est insoute-nable car elle ne peut pas être remboursée sans mettreen péril la capacité de l’État grec à assurer les droits fon-damentaux de sa population.Pour comprendre la situation grecque, la commissionrevient sur l’origine de la dette grecque en montrant queson accroissement depuis les années 1980 est lié avanttout aux fuites illicites de capitaux, aux dépenses mili-taires phénoménales, à des taux d’intérêt élevés, et nonà une trop grande dépense publique. Après cet aperçuhistorique les parlementaires montrent que l’accord de« sauvetage » de 2010 visait avant tout à sauver lesbanques françaises et allemandes ayant prêté à l’Étatgrec. Ainsi les prêts octroyés étaient directement captéspar les institutions financières et ne profitaient pas aupeuple grec. À ces prêts s’ajoutèrent des conditionnalitésqui orientèrent ce programme dans une optique néoli-bérale ; conditionnalités qui de plus eurent des effetscontre-productifs en aggravant la crise. Ensuite la com-mission insiste sur la violation des droits humains fon-damentaux et du droit par ces mémorandums puisqu’ilsne furent décrétés dans aucun cadre juridique valable etqu’ils contenaient des articles contrevenant aux droitshumains fondamentaux. Enfin la commission ouvre le

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page55

DAN

S LE

TEX

TE

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

56

Le projet communiste de demain ne saurait se passer des élaborations théoriques que marx et d’autres avec luinous ont transmises. sans dogme mais de manière constructive, La Revue du projet propose des éclairages contem-porains sur ces textes en en présentant l’histoire et l’actualité.

La détermination en dernière instance

PAR FLORIAN GULLI ET JEAN QUÉTIER

Le FaCteur éConomiquen’est Pas « Le seuLdéterminant ».Dès L’Idéologie allemande, Marx etEngels avaient tenté de formuler unethéorie qui puisse rendre intelligibleles grandes évolutions historiques(transition du féodalisme au capita-lisme, Révolution française, etc.).Engels a nommé cette théorie « laconception matérialiste de l’histoire ».

La lettre à Joseph Bloch du 21 sep-tembre 1890 est l’occasion pourEngels de revenir sur une lectureréductrice, mais très répandue parmiceux qui commençaient déjà à se dire« marxistes », de la thèse qu’il avaitcommencé à développer avec Marx.Selon cette lecture simplificatrice,l’histoire s’expliquerait entièrementet seulement par l’économie. Le seulfacteur déterminant serait « la pro-duction et la reproduction de la vieréelle ». La clef d’une époque serait àchercher uniquement de ce côté. Pour

Engels, la conception matérialiste del’histoire ainsi conçue devient une« phrase vide, abstraite, absurde »,sorte de formule mécanique prête àêtre appliquée à toute époque, à toutévénement, se substituant aisémentà l’analyse patiente et précise dechaque situation. D’où le non-sensdont elle est porteuse : elle prétendexpliquer l’histoire, mais en considé-rant comme superflue l’investigationhistorique.À la fin de la lettre, Engels dit être par-tiellement responsable, avec Marx,

D’après la conception matérialiste de l’his-

toire, le facteur déterminant dans l’histoire

est, en dernière instance, la production et la

reproduction de la vie réelle. Ni Marx, ni moi

n’avons jamais affirmé davantage. Si, ensuite,

quelqu’un torture cette proposition pour lui

faire dire que le facteur économique est le

seul déterminant, il la transforme en une

phrase vide, abstraite, absurde. La situation

économique est la base, mais les divers élé-

ments de la superstructure – les formes poli-

tiques de la lutte de classes et ses résultats, –

les Constitutions établies une fois la bataille

gagnée par la classe victorieuse, etc., – les

formes juridiques, et même les reflets de

toutes ces luttes réelles dans le cerveau des

participants, théories politiques, juridiques,

philosophiques, conceptions religieuses et

leur développement ultérieur en systèmes

dogmatiques, exercent également leur action

sur le cours des luttes historiques et, dans

beaucoup de cas, en déterminent de façon

prépondérante la forme. Il y a action et réac-

tion de tous ces facteurs au sein desquels le

mouvement économique finit par se frayer

son chemin comme une nécessité à travers la

foule infinie de hasards (c’est-à-dire de

choses et d’événements dont la liaison intime

entre eux est si lointaine ou si difficile à

démontrer que nous pouvons la considérer

comme inexistante et la négliger). Sinon,

l’application de la théorie à n’importe quelle

période historique serait, ma foi, plus facile

que la résolution d’une simple équation du

premier degré.

Friedrich Engels, Lettre à Joseph Bloch

du 21 septembre 1890,in Études philosophiques,

Éditions sociales, Paris, 1961, p. 154.

Le marxisme est-il un réductionnisme ? L’histoire est-elle déterminée de bout en boutpar l’économie, de telle sorte qu’il serait possible de renoncer à tout autre facteur expli-catif et de déduire tout le cours des événements des rapports de production  ? PourEngels, la réponse est non.

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page56

DAN

S LE

TEX

TE

La REVUEdU PRojEt

MaRs 2016

57

de cette simplification. En effet,lorsqu’ils commencèrent à élaborerleur conception de l’histoire, les expli-cations disponibles étaient largementidéalistes. L’histoire d’une époqueétait celle des grands hommes et dela mise en œuvre de leurs idées. Il étaitrare qu’on accorde aux facteurs éco-nomiques un réel poids. L’âpreté dela lutte théorique a conduit, commesouvent, à durcir les oppositions, àrenoncer à toute nuance. C’est ce quiexplique par exemple ce raccourci sai-sissant de Marx dans Misère de la phi-losophie : « Le moulin à bras vous don-nera la société avec le suzerain ; lemoulin à vapeur, la société avec lecapitaliste industriel »(1). Dans cette lettre, il s’agit pour Engelsde redonner à la conception matéria-liste de l’histoire toute sa complexité.En réalité, on ne peut expliquer uneévolution historique sans faire réfé-rence à une multitude de facteurs. Laproduction n’est que l’un d’entre eux.Parmi ces facteurs, il faut compteraussi : « les formes politiques de lalutte de classes et ses résultats, – lesConstitutions établies une fois labataille gagnée par la classe victo-rieuse, etc., – les formes juridiques, etmême les reflets de toutes ces luttesréelles dans le cerveau des partici-pants, théories politiques, juridiques,philosophiques, conceptions reli-gieuses et leur développement ulté-rieur en systèmes dogmatiques ».Ainsi, loin de tout réduire à l’écono-mie, Engels affirme le caractère déter-minant de la politique, du droit etmême des idées (religieuses et philo-sophiques notamment). Impossibleen d’autres termes d’expliquer uneépoque sans prendre en compte sesélaborations idéologiques, impossi-ble de parler de la féodalité sans par-ler des conceptions religieuses deshommes.Néanmoins, reconnaître la pluralitédes causes est une chose, affirmerqu’elles ont toute un poids égal en estune autre, qui ressemble à une affir-mation non justifiée. Pour Engels, cer-tains facteurs sont plus déterminantsque d’autres. Il utilise une image, cellede l’édifice, pour illustrer ces diffé-rences d’efficacité. La « base » de l’édi-fice est « la situation économique ».Sur cette base s’édifie une « super-structure », elle-même composée de

chaient à reproduire à contretempsla Révolution de 1789. En faisant cela,ils n’étaient pas poussés par leurs inté-rêts matériels, ils étaient bien plutôtaveuglés par des représentations poli-tiques inadéquates au nouveaucontexte social qu’était celui de laFrance du milieu du XIXe siècle.Loin d’un schéma simplificateur quine verrait dans le déroulement del’histoire que la manifestation de lanécessité des lois de la productionéconomique, Engels propose aucontraire une conception originaledu hasard. Le hasard ne signifie paspour lui l’absence de cause, mais bienplutôt un enchevêtrement de causessi complexe qu’il est particulièrementardu d’en rendre raison. Un peu plusloin dans cette même lettre à JosephBloch, il comparera cet entrelacs defacteurs causaux à un « groupe infinide parallélogrammes de forces ».Engels en appelle finalement à éviterdeux écueils : celui qui consiste àappliquer mécaniquement sur lecours des événements un schémaéconomique simpliste et celui qui,face à la complexité des facteurs enprésence, consiste à renoncer à ten-ter d’expliquer l’histoire. n

(1) - Karl Marx, Misère de la philoso-phie, Éditions sociales, Paris, 1972,p.119.

(2) - Nous renvoyons au texte ana-lysé dans le N° 42 de La Revue duProjet.

Notes de La Revue du projet

plusieurs niveaux : la politique, ledroit, la théorie. Plus on s’élève dansl’édifice, moins les facteurs ont depouvoir causal. La « base », « la situa-tion économique », si elle n’est doncpas le seul facteur explicatif, estcependant le niveau qui a le plus depoids, celui qui détermine « en der-nière instance » tout l’édifice.

Les diFFiCuLtés de L’anaLyse HistoriqueLe texte d’Engels est donc un appel àreconnaître les difficultés propres àtoute analyse historique. L’objectif dela conception matérialiste de l’his-toire n’est pas de délivrer des solu-tions toutes faites qui dispenseraientd’une étude approfondie des situa-tions historiques. Il serait erroné des’en tenir à des énoncés généraux,comme celui que l’on trouve en têtedu premier chapitre du Manifeste duParti communiste, et d’après lequel« l’histoire de toute société jusqu’ànos jours est l’histoire de luttes desclasses ». La phrase est juste, mais ellene permet pas de comprendre cequ’Engels appelle ici la « forme » desluttes historiques. Une révolte d’es-claves dans l’Antiquité et une grèved’ouvriers au XIXesiècle sont deuxmanifestations de lutte des classesmais elles ont peu à voir l’une avecl’autre.En effet, en ce qui concerne la formeque peuvent prendre ces luttes, Engelsva même jusqu’à dire que souvent,c’est ce qu’on appelle l’idéologie quijoue un rôle prépondérant. Marxl’avait déjà montré dans Le 18Brumaire de Louis Bonaparte (2)lorsqu’il analysait la manière dont lesacteurs de la révolution de 1848 cher-

LEs dERnièREs RÉFLExionsd’EngELs sUR L’histoiRELa correspondance qu’engels rédige durant les dernières années desa vie est particulièrement riche sur le plan philosophique. seséchanges de lettres avec les militants de la social-démocratie alle-mande des années 1890-1895 lui permettront de préciser certainsaspects de sa théorie de l’histoire et notamment le rôle que jouel’idéologie. engels espérait ainsi rectifier certaines fausses interpré-tations des textes de marx qui pouvaient avoir cours au sein du sPd.

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page57

LA REVUE DU PROJET

BULLETIN D ’ABONNEMENT

Nom & prénom .........................................................................................................................................................

Adresse .....................................................................................................................................................................

Code postal ............................................Ville ............................................................................................................

Adresse électronique ................................................Mobile(*) .................................................................................

(*) informations utilisées uniquement dans le cadre de l’abonnement

BULLETIN D’ABONNEMENT ANNUELo Je règle par chèque bancaire ou postal (France uniquement) à l’ordre de «La Revue du Projet»

o Standard : 56 € o Chômeurs/étudiants : 40 € o Souscription : 72 €SERVICE ABONNEMENT - i-Abo/La Revue du projet - 11, rue Gustave-Madiot - 91070 BONDOUFLE

Tél. : 01 60 86 03 31 - Fax : 01 55 04 94 01 - Mail : [email protected]À envoyer à l’adresse ci-dessus.

RÈGLEMENT PAR CHÈQUE BANCAIRE OU POSTAL (À L’ORDRE DE LA REVUE DU PROJET. REMPLIR BULLETIN CI-DESSOUS).

RÈGLEMENT PAR PRÉLÈVEMENT AUTOMATIQUE (REMPLIR FORMULAIRE CI-DESSOUS).

Durée 1 an/10 numéros

Date :........................................ Signature :

Les informations contenues dans le présent mandat, qui doit être complété, sont destinées à n´être utilisées par le créancier que pour la gestion de sarelation avec son client. Elles pourront donner lieu à l´exercice, par ce dernier, de ses droits d´oppositions, d´accès et de rectification tels que prévus auxarticles 38 et suivants de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l´informatique, aux fichiers et aux libertés.

NOM, PRÉNOM ET ADRESSE DU DÉBITEUR

Nom : .......................................................................................................................................................................................Prénom :...................................................................................................................................................................................Adresse : .................................................................................................................................................................................CP : ......................................... Ville :................................................................................Pays :............................................

DÉSIGNATION DU COMPTE À DÉBITER

BIC-Code internationald´identification de votre banque

IBAN-Numéro d´identification international du compte bancaire

CRÉANCIER : ASSOCIATION PAUL-LANGEVIN - ICS : FR23ZZZ530622 - Adresse : 6, avenue Mathurin-Moreau, 75167 Paris cedex 19

À retourner à : SERVICE ABONNEMENT - i-Abo/La Revue du projet - 11, rue Gustave-Madiot - 91070 BONDOUFLE

Fait à : ......................................................................Le : ...........................................................................

Signature :

BULLETIN D’ABONNEMENT PAR PRÉLÈVEMENT AUTOMATIQUE (4 fois/an)

MANDAT DE PRÉLÈVEMENT SEPA ASSOCIATION PAUL-LANGEVINRéférence unique du mandat (réservé à l’administration)

En signant ce formulaire vous autorisez l’ASSOCIATION PAUL LANGEVIN à envoyer des instructions à votre banque pour débiter votrecompte, et votre banque à débiter votre compte conformément aux instructions de l’ASSOCIATION PAUL LANGEVIN. Vous bénéficiez dudroit d´être remboursé par votre banque selon les conditions décrites dans la convention que vous avez passée avec elle. Une demandede remboursement doit être présentée dans les 8 semaines suivant la date de débit de votre compte pour un prélèvement autorisé.

o Standard : 56 € o Chômeurs/étudiants : 40 € o Souscription : 72 €

récurrent/répétitifTYPE DE PAIEMENT Vous pouvez à tout moment vous désabonner en appelant au 01 60 86 03 31.

L’ÉQ

UIPE DE LA REVUE

COMITÉ DU PROJET

COMITÉ DE PILOTAGE

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page58

Guillaume [email protected]

Pierre LaurentSecrétaire national du PCF Responsable national du projet

Isabelle De Almeida Responsable nationale adjointe du projet

Marc Brynhole Olivier Dartigolles Jean-Luc Gibelin Isabelle Lorand Alain Obadia Véronique Sandoval

AGRICULTURE, PÊCHE, FORÊT

Xavier Compain [email protected]

CULTURE

Alain Hayot [email protected]

LUTTE CONTRE LE RACISME

Fabienne Haloui [email protected]

DROITS DES FEMMES ET FÉMINISME

Laurence Cohen [email protected]

ÉCOLOGIE

Hervé Bramy [email protected]

ÉCONOMIE ET FINANCES

Yves Dimicoli [email protected]

ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE

Sylvie Mayer [email protected]

ÉDUCATION

Marine [email protected]

ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR -RECHERCHE

Anne [email protected]

JEUNESSE

Isabelle De Almeida [email protected]

PRODUCTION, INDUSTRIE ET SERVICES

Alain [email protected]

TRAVAIL, EMPLOI

Véronique Sandoval [email protected]

Pierre Dharré[email protected]

RÉPUBLIQUE, DÉMOCRATIE ET INSTITUTIONS

Patrick Le [email protected]

PROJET EUROPÉEN

Frédéric [email protected]

Amar [email protected]

Isabelle Lorand [email protected]

VILLE, RURALITÉ, AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

SPORT

Nicolas Bonnet [email protected]

SANTÉ, PROTECTION SOCIALE

Jean-Luc Gibelin [email protected]

Patrice [email protected] Michel Laurent

Lieu d’études sur le mouvement des idées et des [email protected]

L’ÉQ

UIPE DE LA REVUE

Hélène BidardRédactrice en chef

adjointe

Guillaume Roubaud-Quashie

Directeur

Igor MartinacheRédacteur en chef

adjoint

Clément GarciaRédacteur en chef

Frédo CoyèreMise en page et graphisme

Caroline BardotRédactrice en chef

adjointe

Noëlle MansouxSecrétaire de rédaction

Vincent BordasRelecture

Benjamin SozziVidéo

Sébastien ThomasseyMise en page

Maxime CochardCritiques

Nadhia KacelFéminisme

Bradley Smith Mouvement réel

Alain VermeerschRevue des média

Corinne LuxembourgProduction de territoires

Séverine Charret Production de territoires

Étienne ChossonRegard

Séphanie LoncleCollaboratrice

Quentin CorzaniTravail

de secteurs

Alexandre FleuretVidéo

Lectrices & lecteurs

Victor BlancPoésies

Marine RoussillonCritiques

Mickaël BoualiHistoire

Camille DucrotLire

Florian GulliDans le texte

MichaëlOrand

Statistiques

Léo PurguetteRédacteur en chef

COMITÉ DU PROJET

COMITÉ DE PILOTAGE

DU PROJET

Pierre CrépelSciences

Jean QuétierRédacteur en chef

Davy CastelRédacteur en chef

adjoint

Gérard StreiffRédacteur en chefCombat d’idées Sondages

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page59

Parti communiste français

PROCHAINS NUMÉROSAvril : sommes-nous (anti-)productivistes ?Mai : méditerranéeJuin : Le bonheur

RdP-55_V9_RDP 25/02/2016 15:14 Page60