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Musitelli L'invention de la diversité culturelle In: Annuaire français de droit international, volume 51, 2005. pp. 512-523. Citer ce document / Cite this document : Musitelli. L'invention de la diversité culturelle. In: Annuaire français de droit international, volume 51, 2005. pp. 512-523. doi : 10.3406/afdi.2005.3895 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_2005_num_51_1_3895

L'invention de la diversité culturelle · L'INVENTION DE LA DIVERSITE CULTURELLE Jean MUSITELLI La diversité culturelle, si elle est un fait ancien, est une idée neuve sur la scène

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Musitelli

L'invention de la diversité culturelleIn: Annuaire français de droit international, volume 51, 2005. pp. 512-523.

Citer ce document / Cite this document :

Musitelli. L'invention de la diversité culturelle. In: Annuaire français de droit international, volume 51, 2005. pp. 512-523.

doi : 10.3406/afdi.2005.3895

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_2005_num_51_1_3895

ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONAL LI - 2005 - CNRS Éditions, Paris

L'INVENTION DE LA DIVERSITE CULTURELLE

Jean MUSITELLI

La diversité culturelle, si elle est un fait ancien, est une idée neuve sur la scène internationale. Sa brève genèse tient en quelques dates clés. L'expression apparaît dans le vocabulaire officiel français à la fin de l'année 1998, lors de la signature par les ministres des affaires étrangères de la déclaration franco-mexicaine sur la diversité culturelle, le 12 novembre 1998, suivie de près par le communiqué conjoint des premiers ministres canadien et français sur « l'importance de la diversité culturelle dans une économie mondiale », publié à Ottawa le 17 décembre suivant. Jusqu'alors, c'était la notion d'exception culturelle qui prévalait, en France et en Europe, depuis l'achèvement du cycle d'Uruguay des négociations commerciales du GATT (1994), et celle d'exemption culturelle au Canada, depuis la signature, en 1992, de l'accord de libre échange nord-américain (ALENA). Sa première occurrence dans un texte multilatéral date de l'adoption par l'UNESCO, le 2 novembre 2001, de la déclaration universelle sur la diversité culturelle. Auparavant, cette organisation privilégiait le concept de « diversité créatrice » lequel a donné son titre, en 1996, à un rapport issu des travaux de la Commission mondiale de la culture et du développement présidée par l'ancien Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, Javier Perez de Cuellar 1. C'est le 3 septembre 2002 que le président de la République française a proposé, lors du sommet sur le développement durable de Johannesburg, que soit donnée force de loi internationale aux principes de la déclaration de 2001 et que l'UNESCO prépare une convention en ce sens. Ce texte, dont l'intitulé complet est « convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles », a été adopté par l'UNESCO lors de sa 33e Conférence générale le 20 octobre 2005, après deux années de négociation, par cent quarante-huit voix pour, deux contre (celles des États-Unis et d'Israël) et quatre abstentions. Il est peu d'exemples, dans l'histoire de la négociation multilatérale, qu'un délai aussi bref s'écoule entre l'expression d'un objectif politique et celui de sa formalisation dans le droit international.

Nul ne conteste que la France ait tenu un rôle central dans l'entreprise. Pourquoi les autorités françaises ont-elles pris l'initiative de lancer cette idée, comment en a-t-on défini le contenu, quel accueil a reçu cette proposition : telles sont les trois questions que le présent article se propose d'aborder.

(lf> Jean MUSITELLI, conseiller d'État, ancien ambassadeur auprès de l'UNESCO. L'auteur a été membre du groupe d'experts internationaux constitué par le directeur général de l'UNESCO pour préparer le projet de convention sur la diversité culturelle.

1. Javier PEREZ DE CUELLAR, (dir.), Notre diversité créatrice, Rapport de la Commission mondiale de la culture et du développement, Paris, Éditions UNESCO, 1995.

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I. - LES PRÉMISSES INTELLECTUELLES ET GÉOPOLITIQUES

A. L'impasse des stratégies défensives

À partir des années 1980, la pression pour la libéralisation du secteur et des échanges culturels ne cesse de s'accroître au détriment des politiques publiques dont les objectifs - promotion de la diversité et de la créativité, élargissement de l'accès aux œuvres - participent d'une certaine conception du bien public général, non réductible à la seule rentabilité financière ou commerciale. C'est la perspective de la reprise des négociations commerciales multilatérales sur la libéralisation des services culturels et audiovisuels, dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), prévue à Seattle en décembre 1999, qui est à l'origine du débat sur la diversité culturelle. Confrontés à cette échéance, les responsables français se posent la question de savoir comment donner un fondement juridique durable aux politiques culturelles, en tant qu'elles constituent la garantie d'une offre diversifiée face à l'ouverture des frontières, et comment parer au risque de démantèlement que la libéralisation totale des échanges fait peser sur ces politiques.

À cette question, ni l'exception culturelle, parade imaginée en 1993-94 à la fin des négociations du GATT pour dispenser les États de prendre les engagements de libéralisation de leurs services culturels et audiovisuels prévus par l'accord général sur le commerce des services (AGCS), ni les réflexions de l'UNESCO sur la notion de diversité créatrice n'apportaient alors de réponse pertinente.

1. La double limite de l'exception culturelle

Sur le plan pratique, l'exception culturelle n'avait pas empêché le déficit des échanges audiovisuels entre les États-Unis et l'Europe de se creuser au détriment de cette dernière, passant, au cours de la décennie 1990, de 2,1 à 8,1 milliards de dollars. Sur le plan juridique, la protection offerte s'avérait tout aussi illusoire puisque sa variante canadienne, l'exemption, n'avait pas évité au gouvernement d'Ottawa le désagrément d'une condamnation par un panel de l'OMC dans le litige l'opposant aux États-Unis sur les périodiques à tirage dédoublé. À quoi s'ajoutait la tentative de contourner l'exception par la négociation d'un accord multilatéral sur l'investissement (AMI) à l'OCDE. La notion était de surcroît mal comprise et peu mobilisatrice. D'une part, parce que, portant exclusivement sur le cinéma et l'audiovisuel, elle laissait à l'écart les pays dépourvus d'industries culturelles. D'autre part, parce que les pays émergents et en développement avaient l'impression qu'on les sommait d'arbitrer une querelle de riches mettant aux prises les industries culturelles du nord par États interposés pour la conquête du marché mondial.

Les limites de l'exception reflètent celles de politiques de soutien inscrites dans un espace national, alors que, dans ce qu'il faut bien appeler le marché mondialisé de la culture, les dispositifs nationaux, pour indispensables qu'ils demeurent, ne suffisent plus à freiner la course à la libéralisation des échanges culturels. La globalisation postule le démantèlement des régulations publiques. « Ce qui ne signifie aucunement l'absence de règles mais l'instauration d'un cadre juridique propice au déploiement de l'espace de la marchandise » 2. Dans un

2. Armand MATTELART, Diversité culturelle et mondialisation, Paris, La Découverte, 2005, p. 62.

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paysage caractérisé par la consolidation de la puissance de groupes économiques organisés en oligopoles, par les possibilités accrues de contournement des normes protectrices qu'autorise le déploiement des technologies numériques et du réseau internet et par la diffusion universelle d'un modèle de culture ou de divertissement conforme au dessein hégémonique des compagnies hollywoodiennes et à la propension américaine à fonder sa domination sur le soft power, les politiques nationales n'ont pas les moyens de traiter dans sa globalité l'enjeu de la diversité. La régulation n'a de chance de produire des effets que si elle est planétaire. Elle présume la conception d'outils de gouvernance mondiale et la constitution d'un rapport de forces mondial, ce que l'exception, conçue comme rempart du modèle culturel français ou européen face au défi commercial, ne permettait pas.

2. Les inhibitions de l'UNESCO

L'UNESCO n'offrait pas davantage de réponse satisfaisante. Elle avait bien consacré des réflexions à l'articulation entre culture et développement, en particulier avec les travaux de la commission Perez de Cuellar, instituée en 1993, qui ont débouché en 1998 sur la conférence de Stockholm sur les politiques culturelles et le développement. Mais, et c'est la limite de son action, elle s'en est longtemps tenue à la seule défense des cultures minoritaires et des peuples autochtones sans prendre ne compte les nouveaux défis surgis de la mondialisation 3. La question du pluralisme culturel y était étudiée au sein des sociétés plus qu'entre elles. Le lien entre l'économique et le culturel ignoré. Le rapport de la commission Perez de Cuellar s'ouvre sur cette citation de l'anthropologue Marshall Sahlins : « Du point de vue anthropologique, l'expression "relation entre la culture et l'économie" est dénuée de sens puisque l'économie fait partie de la culture d'un peuple ». L'UNESCO s'est ainsi trouvée évincée, dans les années 1980 et 1990, de la négociation sur le statut des biens et services culturels au profit d'organisations commerciales et économiques pourtant dépourvues de toute compétence culturelle. Privilégiant une approche de la culture fondée sur l'anthropologie et la sociologie, elle sous- estimait, au niveau du diagnostic, l'impact de la globalisation et de l'ouverture des marchés, et négligeait, au niveau des thérapies, d'y rechercher une réponse juridique par la construction d'instruments normatifs propres à la culture.

On a compris, depuis que la dynamique du droit international, loin d'agir comme un régulateur de la mondialisation, fonctionne comme son accélérateur. Le droit du commerce, porté par la politique de libéralisation, a connu une expansion rapide aux dépens des autres branches du droit. La norme commerciale tend, par son caractère transversal, à envahir des sphères d'activité jusqu'alors soustraites à sa juridiction. La culture y est d'autant plus vulnérable que c'est l'un des secteurs les moins innervés par le droit international, si l'on excepte les accords de propriété intellectuelle. En l'absence de normes de référence, le cadre qui s'impose par défaut est celui de l'OMC, laquelle tire sa force d'un pouvoir normatif fort combiné avec des mécanismes juridictionnels obligatoires. Il y avait donc urgence à sortir des régimes dérogatoires ou transitoires et à jeter les fondations d'un système pérenne de règles propres aux échanges culturels afin de rééquilibrer le rapport en faveur des principes et des valeurs de la culture et de contrebalancer le poids croissant des règles du commerce. Ce qui supposait de restaurer parallèlement la capacité transactionnelle de l'Unesco afin de peser de l'extérieur sur l'OMC.

3. Voy. L'UNESCO et la question de la diversité culturelle. Bilan et stratégies, 1946-2000, Paris, Éditions Unesco, 2000

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B. La diversité culturelle comme stratégie alternative

La prise de conscience des limites de l'exception culturelle a conduit en quelques années à un infléchissement sensible de la vision française, d'une posture essentiellement défensive (comment se prémunir contre l'imposition de règles commerciales au secteur culturel ?) à une approche volontariste (comment bâtir un cadre international favorisant une régulation équitable des échanges culturels ?). Cette nouvelle approche repose sur la combinaison active de trois principes.

Le premier principe prend la logique commerciale à rebours en situant la question sur le terrain culturel. C'est-à-dire en partant du postulat que les activités, biens et services culturels ne se réduisent pas à leur seule valeur marchande de produits de consommation, mais incorporent du sens, des symboles, des valeurs esthétiques qui ne se laissent pas quantifier. Affirmer la double nature de ces productions permet de les soustraire à la juridiction exclusive du droit commercial. Cet élargissement du point de vue ne signifie pas pour autant un abandon de l'exception puisque la mise en œuvre effective des stipulations de la convention suppose, de la part des parties contractantes, qu'elles ne se lient pas les mains en souscrivant des engagements de libéralisation dans un cadre multilatéral ou bilatéral. Mais, au-delà du simple droit de s'abstenir, ce qui est en jeu c'est le refus d'une mondialisation qui lamine les cultures du mondes et l'affirmation de la diversité culturelle comme un principe non moins légitime que la liberté du commerce.

Le second principe vise à mettre la diversité culturelle en perspective avec le développement. Il s'agit de réintégrer la dimension sociologique et anthropologique de la culture, délibérément ignorée par l'approche commerciale qui tient l'ouverture des marchés pour la réponse appropriée à l'asymétrie des échanges mondiaux. En mettant l'accent sur l'apport de la culture à un développement envisagé non seulement comme progrès matériel mais aussi comme épanouissement de la vie humaine sous ses formes multiples et dans sa totalité, l'intention est d'universaliser une question jusqu'alors perçue à travers le prisme des industries culturelles du nord et de reconnaître les besoins propres des pays en développement et des cultures de la tradition. Pas plus qu'il n'y a de diversité culturelle sans politiques publiques, il ne peut y en avoir sans une solidarité internationale agissante.

La troisième innovation consiste à relier l'enjeu de la diversité culturelle au débat sur la gouvernance mondiale L'idée sous-jacente est que la diversité culturelle constitue, au même titre que la protection de l'environnement, des droits à l'éducation ou des droits à la santé, un pilier de la régulation internationale, une contribution à la gestion collective et négociée des interdépendances et non un appendice de la politique commerciale. La mise en place d'institutions et de règles assurant un échange plus équilibré des biens et services culturels, une coopération internationale orientée vers les plus démunis, la création de marchés locaux et régionaux et l'accès plus large au marché global sont autant d'objectifs qui justifient et postulent une régulation mondiale.

Ainsi la diversité culturelle s'est-elle construite sur le dépassement et de l'exception culturelle, issue des négociations commerciales, et de la diversité créatrice, théorisée à l'UNESCO. Elle se présente comme le laboratoire d'une autre façon de penser la mondialisation, conçue non comme machine à produire de l'uniformité par l'imposition d'un modèle standardisé de préférences collectives, mais comme l'articulation dynamique d'une pluralité de régimes juridiques orientés vers la recherche d'un intérêt général supérieur. C'est l'ambition qui inspire la convention et en éclaire la portée.

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IL - LES PROPOSITIONS FRANÇAISES : UN INSTRUMENT, UN FORUM, UN CONTENU

Sur ces prémisses, la France a élaboré un faisceau de propositions relatives à la nature de l'instrument, au forum de négociation et au contenu du texte.

A. L'instrument : de la déclaration à la convention

La négociation de la convention proprement dite (2003-2005) est l'aboutissement d'un processus engagé à l'UNESCO dès 1999. La première phase, axée sur la définition des principes de la diversité culturelle, a conduit à l'adoption de la déclaration universelle de 2001. La seconde, consacrée à la mise en forme juridique de ces principes, à la convention de 2005.

C'est la France qui a préconisé une stratégie graduelle, en deux temps, alors que nos partenaires les plus proches, les Canadiens, qui réfléchissaient dès le début de 1999 à un « nouvel instrument international sur la diversité culturelle » (NIIDC)4, marquaient leur préférence pour négocier d'emblée un instrument contraignant. On estimait, côté français, qu'il était hasardeux de proposer un traité international sur la diversité culturelle sans une sensibilisation préalable des pays susceptibles d'y adhérer. C'est la leçon que l'on tirait, en particulier, du précédent de la déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l'homme, adoptée par l'UNESCO en 1997. Ce texte, dépourvu de force obligatoire, s'était avéré très utile pour focaliser l'attention, lancer un débat, poser des principes de référence sur la sédimentation desquels décliner ensuite un ou plusieurs instruments conventionnels. Dans une situation où il fallait à la fois inventer le concept et bâtir une coalition, une préparation soigneuse du terrain s'imposait. Le réalisme du scénario français prévalut et, grâce à une intense collaboration franco-canadienne, la période 1999-2003 fut mise à profit pour donner corps à une vaste alliance, élargie progressivement aux pays francophones puis aux membres du Réseau international pour les politiques culturelles (RIPC)5, et permettre aux représentants des milieux professionnels de se mobiliser, de créer des coalitions nationales et de prendre une part active à la préparation des textes.

L'élaboration de la convention a été grandement facilitée par l'existence de la déclaration de 2001, adoptée par consensus (en l'absence, il est vrai, des États- Unis qui n'avaient pas encore fait retour dans l'Organisation). On n'a pas assez relevé le caractère fondateur de ce texte, point d'aboutissement d'une première vague de réflexions et point de départ d'un nouveau processus normatif. Pour la première fois, en effet, la communauté internationale donne corps à la notion jusqu'alors passablement floue de diversité culturelle en s'accordant sur un corpus de principes articulés de façon cohérente. Elle y reconnaît solennellement la diversité comme un patrimoine commun de l'humanité. Ses liens avec les droits de l'homme et le développement y sont nettement affirmés, de même que la nécessité des politiques publiques face aux insuffisances du marché. Enfin, les auteurs de la déclaration, anticipant la suite, prennent soin d'introduire dans le

4. « Nouvelles stratégies pour la culture et le commerce. La culture canadienne dans le contexte de la mondialisation », Ottawa, Ministère canadien des affaires étrangères et du commerce international, mars 1999.

5. Créé en 1998 à l'initiative du Canada, il réunit annuellement les ministres de la culture d'une cinquantaine de pays.

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plan d'action qui lui est annexé une disposition invitant l'UNESCO à « avancer la réflexion concernant l'opportunité d'un instrument juridique international sur la diversité culturelle » 6.

L'étape suivante consista à s'assurer de la faisabilité juridique d'un instrument conventionnel. Parmi les travaux lancés à cette fin, il convient de mentionner l'étude réalisée par les professeurs Ivan Bernier et Hélène Ruiz Fabri à la demande du groupe de travail franco-québécois sur la diversité culturelle 7. Cette étude non seulement confirmait le besoin d'un instrument international contraignant face aux lacunes des instruments existants, mais elle avançait également des propositions quant à son contenu normatif et s'efforçait d'identifier des solutions juridiques garantissant une articulation satisfaisante avec le régime normatif de l'OMC, principale aspérité juridique de l'exercice. Les conclusions des deux universitaires rejoignaient celles de la direction des affaires juridiques du ministère des affaires étrangères qui estimait, à la même époque, que l'adoption d'un instrument international relatif à la protection de la diversité culturelle n'était pas, dans son principe, nécessairement inconciliable avec les prescriptions des accords négociés dans le cadre de l'OMC. Le 3 septembre 2002, lors du sommet mondial sur le développement durable de Johannesburg, le président de la République put ainsi, après avoir insisté sur la nécessité « d'encadrer la mon-dialisation par des lois », proposer officiellement « l'adoption par la communauté internationale d'une convention mondiale sur la diversité culturelle [qui] donnerait force de loi internationale aux principes de la Déclaration que vient d'adopter l'UNESCO ».

B. Le forum : de l'OMC à l'UNESCO

Le choix de l'Unesco comme forum de négociation sur la diversité culturelle ne s'est pas imposé comme une évidence. Il a été voulu par la France qui, à partir de 1998-99 y a vu la seule alternative possible à l'OMC. Ainsi, Catherine Traut- mann, ministre de la culture, déclarait-elle le 24 août 1999, que « l'OMC n'est une enceinte de négociation appropriée, ni pour la propriété intellectuelle qui relève de l'OMPI, ni pour la culture en général qui a vocation à être traitée dans le cadre de l'Unesco » 8. Cette position était cependant loin de faire l'unanimité, y compris chez nos partenaires canadiens ou dans les rangs des organisations professionnelles. À l'origine, Ottawa n'écartait pas la possibilité de débattre du projet d'instrument à l'OMC, au sein d'un groupe de travail culture-commerce. L'Unesco souffrait, aux yeux de beaucoup, d'un déficit de crédibilité. Elle n'était pas parvenue à tirer du rapport Perez de Cuellar et de la conférence de Stockholm de 1998 un modus operandi pour traiter concrètement l'impact de la mondialisation sur le marché et les pratiques culturelles. Les professionnels de la culture, pour leur part, redoutaient que la règle du consensus n'accouche de compromis sans vigueur. L'idée de tenir la conférence dans une enceinte ad hoc, spécialement réunie à cet effet et limitée aux États réellement désireux d'aboutir, a longtemps occupé les esprits. Elle avait la faveur du RIPC, animé par la ministre canadienne de la culture, qui se voyait constituer la matrice d'un tel forum.

6. « Lignes essentielles d'un Plan d'action pour la mise en œuvre de la Déclaration universelle de l'UNESCO sur la diversité culturelle », § l".

7. Ivan BERNIER/Hélène RUIZ FABRI, Évaluation de la faisabilité politique d'un instrument international sur la diversité culturelle, Québec, avril 2002.

8. Discours prononce devant l'université d'été de la communication, à Hourtin.

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Les autorités françaises ont plaidé avec constance pour que le processus soit hébergé à l'UNESCO, en mettant en exergue l'universalité de l'organisation (cent quatre-vingt-onze membres contre cent quarante-six à l'OMC), parachevée par le retour des États-Unis en 2003 ; sa compétence en matière d'élaboration de conventions internationales culturelles ; sa légitimité, enfin, en tant que seule organisation des Nations Unies en charge de la culture, ce qui répondait au surplus à l'objectif de renforcer la capacité de gouvernance des institutions spécialisées face à la montée en puissance de l'OMC. L'adoption de la déclaration de 2001 vint à point nommé rehausser le crédit de l'UNESCO. Dans le discours déjà mentionné de Johannesburg, le président Chirac, après avoir appelé de ses vœux une convention, indiquait qu' « il revient à l'Unesco d'en prendre la responsabilité. C'est ainsi que cette organisation prendra sa part à l'édification des lois qui doivent gouverner la mondialisation ». Lorsque la 32e Conférence générale décida, en octobre 2003, de lancer le processus de négociation de la convention, ce choix fut plébiscité au point que même la délégation américaine qui avait exprimé de fortes réserves sur l'opportunité d'un instrument juridique à l'UNESCO, en raison du risque de conflit avec d'autres organisations, finit par se rallier au consensus.

C. Le contenu : de la finalité commerciale à la finalité culturelle

Si la convention est le fruit d'une élaboration collective, accomplie dans des conditions de transparence et de dialogue unanimement reconnues, l'apport originel dont émanent son architecture et ses stipulations-clés est franco-canadien. Sont venus s'y adjoindre les contributions de la francophonie et du RIPC, porteuses de la sensibilité et des attentes propres au monde en développement. Toutes ces sources ont été examinées et décantées par le groupe d'experts indépendants désigné en décembre 2003 par le directeur général de l'UNESCO. Au terme de six mois de travaux, ce groupe lui a remis en juin 2004, un avant-projet de texte original qui, après que le directeur général l'eut endossé, a constitué la base de discussion sur laquelle s'est nouée la négociation intergouvernementale. Celle-ci s'est déroulée en trois sessions qui ont conduit, en treize mois, à l'adoption du texte final.

S'agissant de la position française, ses grandes orientations ont été arrêtées par le président de la République lors du discours-programme de Johannesburg de septembre 2002. Il indiquait alors que la convention « devrait évidemment concrétiser les droits et les devoirs des États en matière [de diversité culturelle] : affirmation du droit des États à soutenir la création par des politiques volontaristes et des actions appropriées ; [...] affirmation du caractère exceptionnel des biens culturels, qui ne sont pas des biens comme les autres et dont la spécificité doit être respectée ; [...] mise au point de mécanismes internationaux de coopération pour aider les pays à préserver leur patrimoine, matériel et immatériel, ainsi qu'à défendre leurs créations culturelles ».

Sur la base de ces orientations, un groupe de travail interministériel missionné par le ministre des affaires étrangères fut chargé de préparer un avant-projet de texte, remis en juin 2003, qui constitua la position de référence de la France pendant la négociation. Cinq objectifs majeurs y étaient définis : 1° l'inscription dans un texte normatif du principe de la spécificité des biens et services culturels, inhérente à leur double nature ; 2° la reconnaissance du droit des États à maintenir ou adopter les politiques de soutien et les mesures nécessaires à la promotion de la diversité culturelle ; 3° la mise en place d'un cadre de coopération et de solidarité internationale visant à accroître la capacité des pays en développement de créer et diffuser leurs propres expressions culturelles et à

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favoriser un rééquilibrage des échanges ; 4° une articulation sans subordination entre la convention et les accords internationaux existants ; 5° un dispositif de suivi et un mécanisme juridictionnel de règlement des conflits appropriés.

La réalisation de ces objectifs supposait que fussent résorbés plusieurs points d'achoppement. Il convenait notamment de circonscrire avec précision le périmètre du nouvel instrument et son champ d'application afin d'en exclure ce qui n'entrait pas dans la logique du texte, risquait d'en brouiller la perception ou d'en autoriser une utilisation à des fins non conformes à son objectif. Il fallait à la fois rompre avec l'approche commerciale en désignant comme objet les contenus et les expressions, indépendamment des supports, et éviter la dérive culturaliste, qui aurait abouti à une dilution de l'objet, en écartant les activités qui ne sont pas le résultat d'un processus créatif. Ainsi, certains pays préconisaient un champ plus large, fondé sur une définition extensive de la culture, incorporant les pratiques culturelles lato sensu, y compris celles liées à la religion, avec le risque que la convention ne soit invoquée pour justifier des usages « culturels » contraires aux droits de l'homme. De même, fut-il exclu d'ouvrir un débat sur les droits culturels.

Autre point délicat, celui relatif à la transposition en droit positif de principes sur lesquels tout le monde s'accordait aussi longtemps qu'ils demeuraient à l'état de pétitions. Il fallait déterminer le juste équilibre du système de droits et obligations qui constitue le cœur de la convention afin d'éviter le double écueil d'une approche purement incitative et d'un durcissement excessif du texte, préconisé par quelques pays du sud enclins à sanctionner l'inobservation des engagements souscrits. Il fallait enfin, nous y reviendrons, trouver le point d'articulation entre le nouveau texte et les instruments existants afin de désarmer les objections de ceux qui brandissaient le risque d'un conflit de normes et de juridictions pour s'opposer à tout instrument juridique en la matière.

La France s'est efforcée de prendre en compte très en amont objections et suggestions, afin d'offrir des solutions alternatives, de faire la part du souhaitable et du possible et de fixer avec netteté la frontière de ce qui était négociable et de ce qui ne l'était pas. Cette attitude, à la fois ouverte et cohérente, a concouru à orienter la négociation sur de bons rails et à structurer la discussion sur des bases claires.

III. - L'ÉVENTAIL DES POSITIONS ET L'ÉQUILIBRE DES SOLUTIONS

L'une des originalités du combat pour la diversité culturelle est de rassembler des représentants des pays industrialisés et des pays en développement dont les intérêts ne sont pas, au départ, naturellement convergents. Pour réunir une majorité aussi large que celle qui a adopté le texte, il a fallu convaincre les gouvernements les plus libéraux que le projet n'était pas un avatar du protectionnisme et les pays les moins avancés qu'il répondait à leurs besoins de développement culturel.

A. Les objections des partisans du libéralisme

Sur ce premier front, le débat passait au sein de l'Union européenne et entre les États-Unis et le reste du monde.

1. L'unité recomposée de l'Union européenne

En matière de politique culturelle, l'Europe donne parfois l'impression d'être guettée par la schizophrénie. D'un côté, l'Union a mis en place des instruments

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d'appui au modèle culturel et audiovisuel européen, de nature à la fois réglementaire (la directive Télévision sans frontières) et financière (le programme Média Plus) qui constituent de précieux outils de diversité culturelle. De l'autre, la politique de la concurrence remet régulièrement en cause les aides nationales, supposées provoquer des distorsions de concurrence bien que ces aides n'aient pas enrayé le déclin parfois spectaculaire des industries européennes de l'image face à la concurrence américaine. Ces incertitudes expliquent que les initiatives en faveur de la diversité culturelle à l'UNESCO aient été mal accueillies par les États membres les plus attachés au libre-échange (Royaume Uni, Pays-Bas, Danemark) et, dans un premier temps, avec un intérêt mesuré par les institutions communautaires. La France s'est activement employée à persuader ses partenaires et la Commission de l'importance de l'enjeu et, en fin de comptes, l'Union a joué un rôle déterminant dans la dernière phase de la négociation où les Vingt-cinq se sont exprimés d'une seule voix et avec force en faveur du projet.

2. L'opposition frontale des États-Unis

En revanche, le consensus n'a pu être atteint avec les Américains qui, trouvant le projet sur la table au moment de leur retour dans l'Organisation en octobre 2003, l'ont d'entrée furieusement combattu9. Toutes les précautions avaient pourtant été prises pour éviter le grief d'antiaméricanisme. Et nombre de pays, soucieux de ne pas heurter Washington de front, s'étaient prononcés un faveur d'un texte consensuel avant de s'aviser, au fil des interventions des représentants américains, que les conditions qu'ils mettaient à sa réalisation revenaient à vider le projet de toute substance.

Les États-Unis dénonçaient principalement la faculté reconnue aux États d'entraver la liberté du commerce afin de protéger leur industrie nationale, l'instauration d'un contrôle étatique sur la création ou encore la contradiction entre la reconnaissance de la diversité et l'universalité des droits de l'homme. Ces objections étaient d'autant moins pertinentes que les rédacteurs du projet y avaient répondu par avance. Ainsi, le droit reconnu aux États de soutenir leur culture nationale a-t-il toujours été conçu comme un droit encadré et finalisé. Encadré par une série de principes (d'ouverture, d'équilibre, de transparence) que les États se doivent d'observer lorsqu'ils le mettent en œuvre. Finalisé par l'obligation générale que les mesures prises répondent à l'objectif de promotion de la diversité culturelle et seulement à celui-ci. En récusant tout débat sérieux, les États-Unis n'ont convaincu personne de la pertinence d'arguments qui ont paru dictés par les intérêts immédiats de leurs industries culturelles. Même l'Australie qui partageait nombre de préventions américaines a finalement choisi de s'abstenir.

3. La crainte d'un conflit de normes et de juridictions

La question la plus vivement débattue a été celle de la clause d'articulation qui est devenue l'article 20 de la convention. Des États importants, le Japon au premier chef, tout en soutenant le principe d'un instrument contraignant, se sont inquiétés de son impact sur le cadre juridique existant, notamment les instruments de l'OMC, et du risque de créer une conflit de normes et une concurrence de juridictions. Sur ce point, la position française était, dès l'origine, guidée par

9. Voy. Jean MUSITELLI, « Les États-Unis et la Convention sur la diversité culturelle : histoire d'un rendez-vous manqué », à paraître dans Politique américaine, 2006.

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trois principes : assurer l'effectivité de la convention, favoriser des interprétations conciliatrices en cas d'apparition d'une contradiction et inciter les instituions intéressées à se concerter. D'où l'insistance pour que l'instrument comporte une clause d'articulation spécifique afin de garantir que, sans remettre en cause les droits et obligations découlant d'engagements antérieurs, la convention ne leur soit pas subordonnée. Dans un premier temps, la France avait proposé une disposition démarquant l'article 22 de la convention de 1992 sur la biodiversité. Lors de la réunion du groupe d'experts indépendants, en l'absence d'unanimité sur ce point délicat, deux variantes furent laissées à l'appréciation des experts gouvernementaux, la deuxième n'étant maintenue qu'à titre pédagogique, puisqu'elle revenait à subordonner purement et simplement la convention au droit existant.

Face à ces préoccupations, l'effort a consisté à expliquer que l'objectif poursuivi n'était pas d'aboutir à deux systèmes de droit étanches et opposés, celui du commerce sous l'enseigne de l'OMC et celui de la culture sous celle de l'UNESCO, mais de pousser à la complémentarité des règles et à la concertation des institutions. De concilier la norme d'ouverture commerciale avec celle du respect de la diversité culturelle. De faire en sorte que l'OMC prenne en compte comme légitimes des préoccupations non commerciales, comme elle commence à le faire en matière d'environnement 10, et que l'UNESCO ne s'enferme pas dans une approche culturaliste ignorante des mécanismes du marché.

B. L'adhésion du monde en développement

1. Un accueil spontanément favorable

Les pays en développement ont accueilli favorablement un projet qui répondait à leur attente. D'abord, parce que ces pays sont conscients que la construction d'outils culturels suppose des politiques publiques efficaces, ce qui n'est pas la règle pour les moins avancés parmi eux. Ensuite, parce que, si la culture y est perçue comme une source de création de richesse, une part substantielle des ressources artistiques est accaparée par les industries culturelles du nord. Ainsi la convention leur est-elle apparue comme le catalyseur d'actions concrètes de coopération culturelle, à la fois moyen de résister aux pressions qu'ils subissent à l'OMC ou bilatéralement pour ouvrir leur marché et levier pour orienter des ressources additionnelles vers le développement culturel. L'Organisation internationale de la francophonie et le RIPC ont joué un rôle clé de sensibilisation et de mobilisation. La première a fait adopter par ses ministres de la culture, en juin 2001, la déclaration de Cotonou sur la diversité culturelle qui anticipait celle de l'UNESCO. Le second a engagé une réflexion approfondie sur l'apport de la diversité culturelle au développement et les besoins des pays du sud sur ce chapitre.

Cette orientation favorable n'était pas exempte de clivages, selon la place occupée par les pays du sud sur le marché de la culture et la nature, offensive ou défensive, de leurs intérêts commerciaux. Les pays pourvus d'une industrie culturelle puissante voire exportatrice, comme l'Inde, qui diffuse sa production cinématographique en Asie et en Afrique australe, ou le Brésil, qui exporte ses teleno- velas à travers le monde, se défiaient de toute disposition de nature à brider leurs

10. Comme en témoignent les récentes déclarations du directeur général de l'OMC, Pascal Lamy, assurant le 10 mai 2006 devant la commission du développement durable qu' « une meilleure cohérence entre divers organes de droit international, en particulier entre les régimes commerciaux et environnementaux, favoriserait une amélioration de la gouvernance mondiale ».

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capacités exportatrices ou le développement de leur marché intérieur. Les pays dépourvus d'infrastructure culturelle insistaient sur la nécessité de préserver les chances d'une production en phase de démarrage. Le clivage traversait parfois les gouvernements, le ministre de la culture de tel pays défendant la diversité culturelle à l'UNESCO tandis que son collègue du commerce extérieur était tenté par des engagements de libéralisation à Genève. À cet égard, le débat sur la convention a eu pour effet indirect et vertueux d'amener de nombreux gouvernements à clarifier leurs priorités.

2. Un apport substantiel à la définition des objectifs

Les pays en développement ont été guidés par trois objectifs majeurs : affirmer la souveraineté culturelle des États, conférer un contenu concret aux mesures envisagées et rendre le plus contraignantes possible les obligations à la charge des pays riches. Plusieurs des stipulations de la convention se ressentent de cette approche.

Tel est le cas de la création d'un fonds international destiné à financer des actions en faveur de la diversité culturelle. Faute de consensus sur cette question, les experts indépendants avaient proposé de laisser le soin de la trancher au comité intergouvernemental, chargé du suivi de la convention. Les pays du sud (africains, centro-américains, maghrébins, notamment) en ont fait un test du principe de solidarité proclamé par la convention et la condition première de leur adhésion. Les pays riches étaient réticents à créer une nouvelle contribution obligatoire. Aux termes d'un compromis, il a été décidé que le fonds serait alimenté par des contributions volontaires. La façon dont les pays industrialisés s'acquitteront de cet engagement pèsera considérablement sur la mise en œuvre de l'instrument.

En second lieu, les pays en développement ont fortement nourri le volet relatif à la coopération pour le développement, en proposant un large éventail de modes de coopération au sein desquels chacun pourra puiser en fonction de sa situation propre. Les demandes les plus insistantes ont porté sur la formation des ressources humaines, l'échange de technologies et de savoir-faire, la mise en place de partenariats novateurs associant secteurs public et privé et organisations non gouvernementales, ainsi que l'octroi de traitements préférentiels de la part des pays développés destinés à faciliter l'accès à leur territoire des productions et des artistes du sud.

Enfin, les pays du sud ont souhaité que mention soit faite de l'importance des savoirs traditionnels, de l'expression propre des minorités et peuples autochtones et de la nécessité de les prendre en compte. La convention se garde toutefois de reconnaître des droits collectifs à des groupes ou communautés qui se définiraient par l'appartenance à une même culture. Il faut voir dans cette prudence le souci, exprimé par quelques États, de ne pas alimenter des tendances séparatistes sous couvert de droits culturels.

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Tel qu'il a été adopté, l'instrument est conforme à ce que souhaitaient en France les pouvoirs publics et les professionnels de la culture qui ont été associés à sa préparation. Il faut voir dans ce succès la résultante de deux facteurs, l'un politique, l'autre technique. D'une part, la France, dépassant la défense de ses intérêts spécifiques, a su se faire le porte-parole de valeurs communes et d'une

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conception largement partagée d'un bien public mondial. D'autre part, elle a fait œuvre d'imagination pour résoudre, à un niveau supérieur d'équilibre, des motifs de tension qui apparaissaient comme autant d'apories insolubles : équilibre entre intérêts nationaux et valeurs collectives ; équilibre entre principe de la liberté du commerce et respect de la diversité culturelle ; équilibre entre droits et obligations des parties, entre soutien à la culture nationale et ouverture aux autres cultures ; équilibre entre préservation des industries du nord et prise en compte des créateurs du sud. Il fallait capter une attente et y répondre en lui donnant une forme positive. La convention de 2005 n'assure pas à elle seule le règne de la diversité culturelle, son impact dépendra de la volonté des parties de lui conférer sa pleine efficacité juridique. Son adoption n'en marque pas moins le moment d'un renversement de tendance. L'heure n'est plus où le commerce dictait seul sa loi. La mondialisation est un peu moins unidimensionnelle. La reconnaissance de la diversité comme principe de droit positif change sensiblement la donne. C'est cet acquis qu'il faut désormais consolider et élargir.