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Lindsey,Johanna LaVikingInsoumise

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Norvège, 873 après 7.-C.

Dirk Gerhardsen glissa de sa selle et se mit à ram-per vers la berge où se tenait la fille aux cheveux d'or. Kristen Haardrad lança un regard derrière elle comme si elle sentait une présence. Après une brève hésitation, elle noua la bride de son grand étalon à une branche au bord de l'eau. Le fjord Horten cou-lait impétueusement. Mais, à cet endroit, un amas de rochers brisait le courant, et l'eau était calme et lisse comme une nappe de soie. Dirk savait par expérience qu'elle était aussi délicieusement tiède et que la fille ne résisterait pas à la tentation de se baigner.

Il avait deviné où se rendait Kristen dès qu'il l'avait vue quitter la maison de son oncle Hugh. Quand ils étaient plus jeunes, beaucoup plus jeunes, ils avaient l'habitude de venir ici en bande. Kristen appartenait à une grande famille, elle avait trois frè-res, son oncle était le chef du village et elle comptait ses cousins par douzaines. Pour tous ces gaillards, elle était aussi précieuse que le soleil et la lune réunis.

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Et, jusqu'à récemment, il en allait de même pour Dirk. Mais elle avait changé, elle était devenue une femme. Et Dirk avait changé, lui aussi. Comme beau-coup d'autres, il avait voulu la séduire. Comme beau-coup d'autres, il lui avait offert son cœur : il l'avait demandée en mariage mais elle l'avait repoussé. Avec gentillesse. La déception n'en avait été que plus cruelle. Il l'avait vue grandir, il avait vu l'enfant mal-habile devenir une femme magnifique. Alors, Dirk Gerhardsen était devenu comme fou. Son désir s'était mué en idée fixe : Kristen serait sa femme, de gré ou de force.

Dirk retint son souffle quand elle commença à enlever sa robe. C'était ce qu'il avait espéré... Elle était à présent toute nue. Il pria Odin de lui venir en aide ! Quelle vision de rêve : les longues jambes fuse-lées, la douce courbe des hanches, le long dos droit sur lequel ruisselait l'épaisse natte de cheveux comme un torrent de lumière... Une natte qu'il avait enroulée autour de son poing quelques nuits plus tôt pour lui arracher un baiser qui lui avait enflammé les sens. Mais la gifle qu'il avait reçue juste après lui avait pratiquement décollé la tête. Kristen n'avait rien d'une fille frêle. En fait, elle était presque aussi grande que lui et il mesurait plus d'un mètre quatre-vingts. Au lieu de calmer Dirk, cette gifle avait décu-plé son désir.

Malheureusement, le frère aîné de Kristen, Selig, avait surgi au mauvais moment. Tous deux portaient maintenant les douloureuses traces de leur rencon-tre, et Dirk avait perdu un bon ami en Selig. Non parce qu'ils s'étaient battus — un Viking aime tou-jours se battre — mais en raison de ce qu'il avait

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voulu faire à Kristen. Et il ne pouvait nier qu'il l'aurait prise là, sur le sol de l'étable de son père. S'il avait réussi, il serait mort à présent. Garrick, le père de Kristen, l'aurait tué de ses propres mains.

Elle nageait. Dirk ne distinguait plus son corps mais cela n'apaisait en rien le feu qui coulait dans ses veines. La regarder glisser sur l'eau était une torture qu'il n'avait pas imaginée. Il s'était simplement dit qu'elle serait seule, loin de sa famille, et qu'il devait en profiter. Le bruit courait qu'elle allait bientôt épouser Sheldon, le fils aîné de Perrin, le meilleur ami de son père. Bien sûr, de tels bruits, on en enten-dait sans cesse. Kristen avait connu dix-neuf hivers et, depuis quatre ans, il n'y avait pas un homme valide au bord du fjord qui n'eût demandé sa main.

Elle flottait maintenant sur le dos, laissant émer-ger ses doigts de pied, la blancheur crémeuse de ses hanches, la pointe durcie de ses seins. Par Loki ! Elle le provoquait ! Dirk ne put en supporter davantage. Il arracha ses vêtements.

Kristen entendit le plongeon, tourna la tête et ne vit rien. Pas de vaguelettes sur l'eau, sauf autour d'elle. Elle nagea néanmoins vers la rive où gisaient sa robe et la seule arme dont elle disposait: une dague finement ciselée qu'elle portait plus comme un ornement que comme un moyen de défense.

Elle avait eu tort de venir ici toute seule, sans attendre un de ses frères. Mais ils étaient trop occu-pés à préparer le drakkar de son père qui ferait voile vers l'est la semaine suivante. Et la journée était si douce après un printemps glacé et un hiver excep-tionnellement rude...

Venir seule ici, enlever ses vêtements et se baigner

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nue : quelle folie ! Mais Kristen avait besoin d'éprou-ver une sensation de danger. Elle avait soif d'aven-ture !

Elle était encore dans l'eau et reprenait pied quand il se dressa devant elle, immense et ruisselant. En reconnaissant Dirk, Kristen eut une bouffée de rage. Il s'était montré odieux quelques nuits auparavant. Puissamment bâti, il avait le même âge que Selig: vingt et un ans. Kristen l'avait considéré comme un ami, elle aussi... jusqu'à cette nuit dans l'étable.

Il avait beaucoup changé depuis l'époque où ils chassaient et nageaient ensemble. Toujours aussi beau garçon avec ses cheveux d'un blond roux et ses yeux sombres, il n'était plus le Dirk qu'elle avait connu.

— Tu n'aurais pas dû venir ici, Kristen. Sa voix était sourde, menaçante. Il voulait visi-

blement davantage que le baiser arraché l'autre nuit.

Le spectacle des perles d'eau qui s'accrochaient à ses mèches dorées ou glissaient sur ses pommettes saillantes et sur son petit nez droit le captivait. Les yeux de Kristen aussi. Ces yeux agrandis par la colère, d'un bleu limpide et brillants comme la mer du large sous le soleil — la mer démontée.

— Laisse-moi passer, Dirk. — Non! — Ne sois pas idiot. Elle n'avait pas élevé la voix. C'était inutile tant sa

fureur était évidente. Mais Dirk était comme fou. Il la saisit brutalement par les épaules. — Ah ! Kristen... Tu es si belle que j'en perds la

tête...

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Un éclair passa sur la mer en furie. — Tu Pas vraiment perdue si tu crois que tu... Il la fit taire en lui écrasant la bouche de la sienne.

Il était déchaîné. Elle se mit à le haïr. Le contact de ce corps pressé contre le sien, de ce membre dressé entre eux, lui faisait horreur. Elle savait ce qui se passait entre un homme et une femme pendant les jeux de l'amour. Sa mère, Brenna, le lui avait expli-qué depuis longtemps. Et ce qui arrivait à cet instant n'avait rien à voir avec l'amour. Elle n'éprouvait que de la répulsion.

Elle maudissait Dirk, tout en se débattant. Elle admirait la force et le courage chez un homme, sauf si celui-ci les dirigeait contre elle. Elle se donnerait avec joie à l'homme de son choix. Or, elle n'avait pas choisi Dirk Gerhardsen et, s'il la violait, elle le tuerait.

Elle lui mordit cruellement les lèvres tout en lui griffant le torse, l'obligeant à la lâcher. Et elle con-tinua à le mordre sauvagement. Il aurait pu la frapper, mais dans ce cas, elle risquait de serrer les dents plus fort encore. Tout à coup, elle remonta la jambe.

Elle abandonna la lèvre de Dirk au moment où, d'un coup violent dans le ventre, elle le repous-sait dans des eaux plus profondes. Profitant de la chute de son agresseur pour regagner la rive, elle ramassa la dague et se retourna vers lui. Un regard à la lame pointue le dissuada de tenter un dernier geste.

— Tu es aussi sournoise qu'une fille de Loki ! marmonna-t-il en recrachant le sang qui lui remplis-sait la bouche.

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— Ne me compare pas à tes dieux, Dirk ! Ma mère m'a élevée en chrétienne.

— Peu m'importe ton dieu, rétorqua-t-il. Pose ce couteau, Kristen.

Elle secoua la tête. Elle avait retrouvé son calme maintenant qu'elle avait une arme en main, et il s'en rendait compte. Par Odin, elle était magnifique! Nue, son poignard à la main, avec l'eau qui perlait sur son corps somptueux, sur les seins lourds et fiers, le ventre plat et cette toison d'or qui couronnait les cuisses... Et elle le défiait d'avancer. A la façon dont elle tenait la dague, il était évident qu'elle savait parfaitement s'en servir.

— Je vois que ta mère ne t'a pas seulement appris à vénérer son dieu, fit-il amèrement. Ni ton père ni tes frères ne t'auraient enseigné à te servir d'une arme. Leur devoir est de te protéger, ils n'auraient pas accepté que tu t'en charges à leur place. Lady Brenna t'a montré ses ruses de Celte. Après toutes ces années passées parmi nous, elle devrait pourtant savoir que l'habileté des Celtes n'est rien comparée à la force d'un Viking. Que t'a-t-elle appris d'autre, Kristen ?

— Je connais le maniement de toutes les armes, sauf la hache..., cet instrument de brute qui ne requiert aucune adresse, répondit-elle avec fierté.

— C'est que tu n'as pas assez de force pour t'en servir ! Que dirait ton père, s'il savait ? Je suis prêt à parier qu'il vous donnerait le fouet, à ta mère et à toi !

— Tu comptes le lui dire, peut-être ? Il lui jeta un regard mauvais. Bien sûr, il ne parle-

rait pas au père de Kristen, car il devrait alors lui

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expliquer comment il avait découvert tout cela. Et, à quarante-six ans, Garrick Haardrad avait une tête de plus que lui et demeurait le guerrier le plus redouté sur les rives du fjord.

— Qu'est-ce qui te déplaît chez moi, Kristen ? Pourquoi ne veux-tu pas de moi ?

Surprise par cette question, elle comprit que Dirk était en proie à la plus totale confusion. Il se tenait là devant elle, nu comme un ver... Un spectacle qui ne la bouleversait pas vraiment. En effet, elle avait déjà vu des hommes nus quand avec Tyra, sa meil-leure amie, elles s'étaient glissées dans la salle de bains de son oncle et cachées derrière le vaste baquet où plusieurs de ses cousins se baignaient. Cela remontait à plus de dix ans maintenant, et il y avait une différence notable entre ses cousins et Dirk... Pour la première fois, elle avait sous les yeux l'instrument de plaisir d'un homme tendu comme un arc.

Elle lui fit une réponse sincère. — Tu ne me déplais pas, Dirk. Tu es très beau, ton

père est un riche fermier et tu es sérieux au travail. Une femme sera heureuse de t'avoir pour époux...

Elle omit de dire que Tyra était prête à vendre son âme à Loki pour lui et que c'était là une des raisons pour lesquelles elle le repoussait. Kristen avait juré de ne révéler à personne le secret de son amie.

— Mais tu n'es pas pour moi, Dirk, conclut-elle avec fermeté.

— Pourquoi ? — Mon cœur ne bat pas plus vite quand je te vois. Il la dévisagea avec incrédulité. — Quel rapport avec le mariage ?

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« Tous les rapports », se dit-elle. je ne veux pas t'épouser, Dirk. Je te l'ai déjà dit.

— Est-il vrai que tu vas choisir Sheldon ? Elle aurait pu utiliser cette excuse pour se débar-

rasser de lui, mais elle détestait mentir. — Sheldon est comme un frère pour moi. Mes

parents voudraient bien que nous nous unissions mais je repousserai sa demande.

Elle ne précisa pas que Sheldon en serait soulagé. Il la considérait comme une sœur, lui aussi, et la seule idée d'un possible mariage entre eux le mettait aussi mal à l'aise qu'elle.

— Il faudra bien que tu choisisses, Kristen. Il n'y a pas un homme le long de la rivière qui n'ait demandé ta main. Tu devrais être mariée depuis longtemps déjà.

Elle n'appréciait guère cette conversation car elle connaissait sa situation mieux que quiconque. Elle n'avait encore jamais rencontré l'homme idéal. Elle rêvait d'un amour aussi fort que celui qui unissait ses parents, et elle se rendait compte qu'elle devrait un jour ou l'autre accepter un destin moins glorieux. Depuis des années, elle essayait d'y échapper en refu-sant tous les prétendants qui se présentaient. Par amour pour elle, ses parents l'avaient laissé faire. Mais cela ne pourrait durer éternellement.

Que Dirk lui rappelât son sort de façon si pressante redoublait la colère de Kristen.

— Cela ne te concerne pas, Dirk. Tu peux être cer-tain que tu ne seras jamais celui que je choisirai. Trouve quelqu'un d'autre et cesse de m'importuner.

— Je pourrais te prendre de force, Kristen, et t'obliger à m'épouser... Tu as repoussé trop de pré-

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tendants, ton père ne pourra me refuser ta main. Bien des mariages se sont conclus ainsi dans le passé.

C'était une possibilité. Bien sûr, son père inflige-rait à Dirk une telle punition que celui-ci risquait d'en mourir. Mais s'il y survivait, elle n'aurait d'autre choix que de l'épouser car aucun autre homme ne voudrait d'une femme souillée.

Elle lui lança un regard meurtrier. — Si mon père ne te tue pas, alors je le ferai. Ne

commets pas cette folie, Dirk. Je ne te pardonnerais jamais une telle insulte.

— Mais tu seras ma femme. — Je te tuerai plutôt que d'être à toi ! — Ça m'étonnerait. Et puis, le risque en vaut la

peine. Il avait prononcé cette dernière phrase les yeux

fixés sur les seins de la jeune femme. Elle se raidit, regrettant d'avoir parlé avec lui. Elle aurait dû sau-ter sur Torden et s'enfuir plutôt que de l'affronter.

— Alors, essaie ! Que j'aie le plaisir de te tuer sur-le-champ! siffla-t-elle.

Elle leva son arme. Un reflet de soleil sur la lame éblouit Dirk une seconde. A la façon dont elle tenait la dague, il comprit qu'il n'avait aucune chance de l'atteindre sans se faire embrocher. Si seulement elle avait été moins grande, moins forte...

— Tu n'auras pas toujours ce jouet entre les mains, Kristen, gronda-t-il, furieux.

— Merci de me . prévenir. Tu es stupide. Désor-mais, je veillerai à ne plus jamais me retrouver seule avec toi.

— Alors, assure-toi que ta porte est bien verrouil-

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lée la nuit, quand tu dors... Un jour, d'une manière ou d'une autre, je t'aurai.

Elle ne daigna pas répondre à cette menace mais recula prudemment vers ses vêtements, en tas sur le sol, et les jeta sur son épaule. Sans quitter Dirk des yeux, elle s'empara des rênes de Torden et recula encore. Quand il y eut une dizaine de mètres entre eux, elle sauta en selle et lança l'étalon au galop.

Les malédictions de Dirk l'accompagnèrent mais elle n'y prit pas garde, se souciant seulement de se rhabiller sans ralentir l'allure de sa monture. Si on la voyait ainsi dévêtue, elle aurait des explications à fournir. Et si elle révélait la vérité à son père, celui-ci imposerait de sévères restrictions à sa liberté.

Or, elle tenait à sa liberté plus qu'à tout. Son père se faisait beaucoup trop de souci pour elle. Au con-traire de Brenna, qui savait que Kristen pouvait très bien se défendre toute seule. Elle avait elle-même enseigné le maniement des armes à sa fille, quand Garrick les quittait pour ses longs voyages d'été. Elle lui avait appris à être aussi habile que rusée, car si Kristen était plus forte que la plupart des femmes, elle ne possédait pas la puissance d'un homme. Et la ruse peut souvent pallier avec succès à la force brutale.

Fière de ses capacités, Kristen n'avait pourtant jamais eu à les exercer avant aujourd'hui. Une femme ne pouvait ouvertement arborer une arme à la manière des hommes, et elle n'en avait d'ailleurs pas envie car elle était tout aussi fière de sa féminité.

Kristen était aimée, choyée et protégée par sa famille. Outre Selig, elle avait deux autres frères de

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seize et quatorze ans, Eric et Torall, déjà presque aussi grands que leur formidable père. Ses nom-breux cousins étaient, eux aussi, prêts à se battre jusqu'à la mort pour elle à la moindre insulte. Non, elle ne risquait rien. Et jusqu'à aujourd'hui, elle n'avait jamais eu besoin de se battre comme sa mère au même âge qu'elle.

Si jamais elle partait avec Selig et ses amis, la semaine suivante, pour les marches de l'Est, elle oublierait Dirk... En tout cas, jusqu'à la fin de l'été. Et d'ici là, il aurait peut-être trouvé une femme et perdu tout intérêt pour elle.

Hélas, on lui avait refusé de faire partie de ce voyage. Elle était trop âgée à présent pour faire voile avec autant de jeunes hommes, même sur un bateau de son père commandé par Selig. Elle ne pourrait y aller que si Garrick décidait de partir, c'était aussi simple que cela. Elle avait eu beau évoquer, en plai-santant, la possibilité de séduire un prince mar-chand à Birka ou à Hedeby, et de ramener un riche époux à la maison, Garrick était resté de marbre. S'il ne pouvait veiller sur elle, par Odin ! elle resterait ici.

Cela faisait huit étés que Garrick ne prenait plus la mer, préférant passer cette douce période de l'année en compagnie de Brenna. Et il laissait son ami Perrin commander son navire ou bien, depuis qu'il en avait l'âge, Selig. Les parents de Kristen chevauchaient alors seuls vers le nord et ne reve-naient pas avant la fin de la saison chaude. Us chas-saient ensemble, ils exploraient et ils s'aimaient tandis que Kristen rêvait pour elle-même d'une relation semblable. Mais où trouver un homme tel que Garrick, si tendre envers ceux qu'il aimait

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mais si redoutable pour les autres ? Un homme qui ferait battre son cœur plus vite, comme cela arrivait à Brenna dès qu'elle posait les yeux sur Garrick ?

Kristen soupira. Au bord du fjord, un tel homme n'existait pas. Oh ! bien sûr, les hommes travailleurs ne manquaient pas mais la plupart étaient si rustres. Ces contrées nordiques fabriquaient des hommes durs au mal, solides et rudes. Si seulement elle pou-vait prendre la mer avec Selig... Et trouver celui que le destin lui réservait, peut-être un marchand et un marin comme son père... Un Danois. Ou un Suédois. Ou même un Norvégien du Sud. Ils se rendaient tous dans les foires des grandes cités de l'Est. Oui, il suffi-sait qu'elle le trouve.

Kristen attendait sa mère dans les cuisines. Selig prendrait la mer dans quelques heures — ailleurs, dans une autre partie du monde, on aurait dit à l'aube mais pas ici où le soleil ne se couchait que quelques heures par nuit.

L'équipage comprenait trente-quatre hommes, cousins, amis et frères, tous amoureux de la mer. Ils emportaient avec eux une cargaison de fourrures et d'articles de valeur fabriqués durant les longs mois d'hiver. La famille de Kristen avait rassemblé à elle seule plus de cinquante peaux, parmi lesquelles les dépouilles très recherchées de deux ours polaires, deux splendides fourrures blanches qui attein-

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draient des prix élevés dans l'Est. Kristen espérait encore faire partie du voyage. Selig ne voyait aucun inconvénient à l'emmener. Mais son père avait réi-téré à trois reprises son refus au cours de la dernière semaine. Elle n'avait donc plus qu'un dernier recours : sa mère.

Les serviteurs s'affairaient à préparer le repas, autour de Kristen. Chez les Vikings, c'était le plus souvent des étrangers capturés au cours de raids dans les pays du Sud et de l'Est. Mais ceux qui servaient la famille Haardrad avaient tous été achetés. Garrick n'avait, en effet, plus pris part à de tels coups de main depuis sa jeunesse et Selig, qui naviguait maintenant à sa place, n'en avait encore jamais eu l'occasion. C'était parfois un sujet de discorde entre les parents de Kristen, car sa mère avait autrefois été l'une de ces esclaves..., capturée par le père de Garrick et offerte à ce der-nier en l'an 851. Fière et obstinée, Brenna n'avait jamais accepté d'être l'esclave de Garrick. Et lors-qu'ils évoquaient cette époque, on comprenait que leurs premières rencontres avaient été doulou-reuses.

Kristen avait du mal à y croire. Bien sûr, ses parents se disputaient encore, à l'occasion. Dans ces moments-là, Garrick sautait sur son cheval et galo-pait vers le nord pour se calmer. Mais, à son retour, il s'enfermait avec Brenna dans leur chambre. Tous deux n'en sortaient qu'après de longues heures, ne se souvenant même plus des raisons de leur fâcherie, ce qui amusait considérablement le reste de la famille.

Fatiguée d'attendre, Kristen picorait des noix

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qu'Aileen ajoutait à la pâte qu'elle pétrissait. Pour l'amadouer, elle utilisait l'idiome gaélique de la cui-sinière. Au contact des serviteurs, qui venaient de contrées diverses, Kristen avait appris plusieurs lan-gues qu'elle parlait à la perfection.

— Laisse Aileen tranquille, chérie, sinon il n'y aura plus de noix pour le pain préféré de ton père.

Kristen avala la poignée qu'elle venait de subtili-ser avant de se tourner vers sa mère.

— Je ne t'attendais plus ! Qu'as-tu bien pu mur-murer à papa pour qu'il t'emporte comme ça dans ses bras ?

Brenna rougit joliment et, passant un bras autour de la taille de sa fille, l'entraîna dans la grande salle encore déserte. Les hommes achevaient en effet de charger le bateau.

— Pourquoi dis-tu des choses pareilles devant les serviteurs ?

— Ils ont bien vu comment il t'a... — Peu importe, la coupa Brenna en souriant.

D'ailleurs, je ne lui ai rien... murmuré. Kristen était déçue. Elle avait espéré entendre une

confession coquine de sa mère qui n'avait pas pour habitude de garder sa langue dans sa poche. Brenna éclata de rire.

— Je n'en ai pas eu besoin, chérie. Je lui ai simple-ment mordillé le cou. Tu comprends, il a un point très sensible...

— Tant que ça ? — Oui! — Alors, tu l'as provoqué ? Honte à toi, mère ! se

moqua Kristen. — Honte à moi ? Alors que je viens de passer une

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heure merveilleuse avec ton père au milieu de la journée ? Il ne pensait qu'à charger sa cargaison... Une femme doit savoir prendre des initiatives, quand son mari est si occupé.

— Et il ne t'en a pas voulu de l'empêcher de char-ger le bateau ?

— A ton avis ? Kristen sourit. Brenna ne ressemblait vraiment pas aux autres

mères. Avec sa chevelure noire comme la nuit et ses yeux gris de Celte, il semblait inconcevable qu'elle ait déjà quatre enfants adultes. A près de quarante ans, elle était une très belle femme.

Et si Kristen avait eu la chance d'hériter de ses traits, elle devait sa chevelure blonde et le bleu de ses yeux à son père. Elle pouvait cependant remercier Dieu de ne pas être aussi grande que son père et ses frères. Brenna avait souvent prié le Ciel pour que sa croissance s'arrête, même si ici, dans le Nord, sa haute taille était appréciée. En Norvège, la plupart des hommes et des femmes étaient aussi grands ou plus grands qu'elle.

— Tu ne m'attendais pas uniquement pour me poser des questions impertinentes à propos de ma vie amoureuse ? s'enquit Brenna.

Kristen s'absorba dans la contemplation de ses sandales.

— J'espérais que tu dirais quelques mots pour moi à père... Maintenant qu'il est de si bonne humeur, tu pourrais lui demander...

— Si tu peux partir avec ton frère ? acheva Brenna en secouant la tête. Pourquoi ce voyage est-il si important pour toi, Kristen ?

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Je veux trouver un mari. Voilà, elle avait enfin avoué ce qu'elle n'osait dire

à son père. — Et tu ne crois pas pouvoir en trouver un chez

nous ? Kristen chercha le doux regard de sa mère. — Il n'y a personne que j'aime ici, mère... pas

comme tu aimes père. — Pas un seul ? — Pas un seul. — Tu ne veux pas épouser Sheldon ? — Je l'aime, c'est vrai, mais comme un frère. — Alors, tu veux épouser un étranger ? — C'est bien ce que tu as fait, mère... — Ton père et moi, nous nous connaissions depuis

très longtemps quand nous nous sommes mariés. — Je crois que je saurai tout de suite si je suis

amoureuse ou non. Brenna soupira. — Je comprends. J'ai toujours voulu que tu saches

ce que j'ignorais à ton âge, quand j'ai rencontré ton père pour la première fois. Très bien, ma chérie, je parlerai à Garrick ce soir, mais ne compte pas trop sur moi. Je n'ai pas très envie de te voir partir, moi non plus.

— Mais, mère... — Laisse-moi finir. Si Selig revient à temps, je

pense que ton père acceptera de t'emmener dans le Sud chercher un mari.

— Et s'il ne revient pas avant la fin de l'été ? — Alors, tu partiras au printemps. Je ne suis pas

pressée de te perdre... Tu peux tout de même atten-dre quelques mois ?

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Kristen secoua la tête. Elle voulait partir tout de suite pour échapper à la menace que représentait Dirk. Mais comment en parler à sa mère ? Celle-ci aurait été capable d'aller aussitôt se battre avec lui.

— J'aurai vieilli d'un an, fit remarquer Kristen. Brenna sourit à sa fille. En vérité, Kristen ne se

rendait pas compte de l'attrait qu'elle exerçait sur les hommes.

— Ton âge ne compte pas, ma chérie, crois-moi. Ils se battront pour toi quand ils sauront que tu cher-ches un mari. Une année de plus ne fera aucune dif-férence.

La jeune fille n'insista pas. Elles s'assirent devant la porte d'entrée afin de profiter de la brise tiède et des rayons du soleil. La vaste demeure de pierre construite par l'arrière-grand-père de Kristen ne possédait aucune fenêtre afin d'être mieux protégée du vent en hiver.

— Que ferais-tu, mère, si tu voulais partir sur ce bateau ? demanda soudain Kristen.

Brenna éclata de rire. — Je me débrouillerais pour me cacher dans la

cargaison pendant un jour ou deux, jusqu'à ce que le bateau soit trop loin pour faire demi-tour.

Kristen ouvrit des yeux incrédules. — Tu es sérieuse ? — Non, ma chérie, je plaisante. Pourquoi vou-

drais-je quitter ton père ?

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L'idée était semée dans l'esprit de Kristen. Brenna l'avait lancée en plaisantant, mais toute plaisanterie exprime une vérité. Et Kristen savait Brenna assez téméraire pour tenter une aventure pareille. N'avait-elle pas accompli des choses plus folles encore ? Peu avant leur mariage, n'avait-elle pas traversé le fjord au cœur de l'hiver pour rejoindre Garrick après lui avoir été enlevée ?• Kristen avait de qui tenir. Garder sa liberté, échapper à Dirk et se plonger du même coup dans une aventure palpitante, voilà qui valait la peine d'être tenté.

Cette idée comportait quand même un inconvé-nient majeur. On lui avait interdit de partir et, à son retour, elle risquait de le payer très cher. Mais Kristen refusait d'y songer. Elle n'écouta pas non plus Tyra quand, informée de ses intentions, celle-ci tenta de l'en dissuader. Tyra était horrifiée par ce projet parce qu'elle avait perdu le goût du risque depuis qu'elle avait quitté l'enfance. Pas Kristen.

Les deux amies se trouvaient dans la chambre de Kristen au premier étage, loin du bruit de la fête qui battait son plein en bas. L'équipage dormirait dans le grand hall, ce soir. Et Tyra était venue avec ses parents faire ses adieux à son frère Thorolf qu'elle avait très peu vu ces derniers jours en raison des pré-paratifs. Kristen était heureuse de le savoir à bord car il était son ami. Elle avait même essayé de lui apprendre quelques-unes des langues étrangères qu'elle connaissait, mais il ne s'était pas montré un très bon élève. Thorolf serait sans doute le seul à bord qui prendrait son parti, lorsqu'elle révélerait sa présence sur le bateau.

Selig serait sûrement furieux, de même que ses

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trois cousins Olaf, Hakon et Ohthere. Mais, s'ils se trouvaient trop loin des terres pour faire demi-tour, elle en serait quitte pour une sévère réprimande. Aucun d'entre eux n'oserait la brutaliser, sachant qu'elle n'était pas femme à accepter les coups sans répondre.

— Pourquoi, Kristen ? demanda Tyra. Ta mère va pleurer. Ton père va...

Elle frissonna avant d'ajouter : — J'ai peur d'imaginer ce qu'il va faire... Kristen sourit à son amie. — Il ne fera rien tant que je ne serai pas reve-

nue. Et ma mère ne pleure jamais. Elle ne se fera aucun souci pour moi si tu veux bien lui dire où je suis. Bien sûr, elle s'en doutera déjà, mais sans en être certaine, et c'est pour cette raison que je te raconte tout.

— J'aurais préféré que tu choisisses quelqu'un d'autre. La colère de ton père sera terrible.

— Il ne fera rien contre toi, Tyra. Promets-moi de leur dire dès demain que je suis partie avec Selig. Avant qu'ils ne commencent à s'inquiéter.

— Je le ferai, Kristen, mais je ne comprends tou-jours pas pourquoi tu les défies. Tu n'as jamais voulu partir avec ton frère.

— Ce n'était pas l'envie qui m'en manquait ! Mais cette fois, c'est ma dernière chance de partir avec Selig. L'an prochain, mon père compte m'em-mener dans le Sud pour me trouver un mari... D'ici là, j'espère rencontrer l'homme de ma vie à Hedeby.

— Tu pars vraiment à la recherche d'un mari ? — Tu croyais que je plaisantais ?

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— Oui. Pourras-tu vivre loin d'ici, loin de tes parents ?

— Quel que soit l'homme que j'épouse, il faudra bien que je quitte ma maison.

— Avec Sheldon, tu resterais près de chez toi. — Je ne suis pas amoureuse de Sheldon... Je veux

connaître l'amour. Je veux vivre avec un homme que j'aime même si c'est de l'autre côté de la mer. Mon père possède trois grands drakkars. Lui et ma mère me rendront bien visite de temps en temps !

— Bien sûr, ils viendront mais... — Rien ne me fera changer d'avis. Ce sera mer-

veilleux, Tyra. Tu ne sais pas combien ces villes sont excitantes ! J'étais très jeune la dernière fois que j'y suis allée, et je ne m'intéressais alors qu'aux marchandises... Mais il vient là-bas des hommes du monde entier. Je suis sûre d'en trouver un que j'aimerai ! Je le ramènerai ici, et cela calmera mon père.

— Si tu le dis... — Maintenant, viens ! Descendons avant qu'ils

n'aient mangé tous les meilleurs morceaux. Lorsqu'elles entrèrent dans la salle, tous les yeux

se tournèrent vers l'agréable tableau qu'elles for-maient. Tyra, petite et délicate, arrivait à peine à l'épaule de Kristen, exceptionnellement belle dans sa robe de soie bleue qui moulait ses formes généreu-ses, et les bras nus ornés de bracelets d'or.

Ohthere, son cousin, la souleva du sol avant de l'embrasser.

— Ça me portera chance, petite ! Kristen rit avec lui. Il l'appelait « petite » sous pré-

texte qu'il avait dix ans de plus qu'elle.

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— Tu as besoin de chance pour aller faire du com-merce dans l'Est ? s'enquit-elle.

— Un Viking a toujours besoin de chance quand il prend la mer, répliqua-t-il avec un clin d'oeil.

Kristen secoua la tête. Ohthere avait déjà trop bu et la nuit commençait à peine. Demain, à l'aube, il allait souffrir en s'installant à sa rame. Elle aurait une pensé^pour lui tandis qu'elle serait confortable-ment installée au milieu des fourrures, dans la cale.

— Laisse-la, Ohthere, avant qu'elle ne meure de faim ! hurla quelqu'un.

Il obéit et Kristen se rendit à la table occupée par sa famille. Elle la contournait quand son père la prit par la taille au passage.

— Tu m'en veux beaucoup, Kris ? Il fronçait les sourcils, l'air soucieux. Brenna lui

avait parlé mais il avait une fois de plus refusé de laisser partir sa fille sans lui. Leurs regards d'un bleu pur se rencontrèrent. Un sourire étira les lèvres de Kristen.

— M'as-tu déjà vue en colère contre toi ? — Oui, très souvent. Chaque fois que je t'ai inter-

dit quelque chose. Elle gloussa. — Ça ne compte pas ! — Tu comprends pourquoi je ne peux te laisser

partir avec Selig ? demanda-t-il gentiment. — Oui, je comprends. Elle soupira avant d'ajouter. — Parfois, je préférerais être ton fils. Il renversa la tête en arrière pour rugir de rire. — Je ne vois pas- ce que ça a de si drôle. — Tu es vraiment comme ta mère, Kris ! Pendant

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la moitié de sa vie, elle a tenté de se faire passer pour un garçon. Je lui suis reconnaissant de m'avoir donné une fille... et aussi belle que toi.

— Alors tu me pardonnerais si je... si je faisais quelque chose que tu n'approuves pas ?

— Qu'est-ce que c'est que cette question ? Qu'as-tu fait?

— Rien. C'était encore la vérité. — Ça n'est qu'une hypothèse ? Eh bien, disons que

je te pardonnerais... peut-être, conclut-il mi-sévère, mi-amusé.

Elle l'embrassa. — Je t'aime, père. — Va te chercher quelque chose à manger avant

qu'il ne reste plus rien. Kristen prit place sur le banc entre sa mère et Selig

qui lui tendit aussitôt une coupe d'hydromel. — Je ne veux pas que tu boudes la veille de mon

départ, déclara ce dernier. Kristen sourit en le voyant remplir une assiette

à son intention. Il était d'une rare prévenance, ce soir.

— Tu me plains, Selig ? — Comme si tu pouvais accepter de te faire plain-

dre par qui que ce soit ! — Ne le fais pas. Et je ne bouderai pas non plus.

D'ailleurs, je te dirai au revoir ce soir. Ainsi, je n'aurai pas le chagrin de te voir partir sans moi, demain matin.

— Honte à toi, Kristen ! s'écria Brenna. Selig n'est pour rien dans cette décision et tu cherches à le cul-pabiliser !

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— Oh ! non... Et je sais bien que je ne lui manque-rai pas.

Selig préféra se tourner vers son voisin. Kristen soupira et Brenna se méprit sur la signification de ce soupir.

— Tu es si malheureuse que ça ? — J'aurais aimé voyager, connaître le monde

avant de me marier, répliqua Kristen avec sincérité. Tu as vécu des aventures avant ton mariage, n'est-ce pas ?

— Oui, et parfois dangereuses. — Mais un voyage de commerce n'a rien de dan-

gereux. Et père a dit que je te ressemblais beau-coup.

— J'ai entendu, acquiesça Brenna en souriant. Il n'a pas tort. J'ai tout tenté pour être le fils que mon père n'a jamais eu. Mais ton père a trois beaux gar-çons et une fille qui le ravit. Ne cherche pas à être dif-férente de ce que tu es, ma chérie.

— Je voudrais tant voyager... voir autre chose... — Crois-moi, tout arrive toujours quand on s'y

attend le moins. Et ce n'est pas toujours agréable. — Tu regrettes ce qui t'est arrivé ? — Je ne regrette plus d'avoir été amenée ici de

force mais, à l'époque, oui, j'ai maudit mon destin. Et puis, tu auras ton voyage vers le sud même si ton père ne le sait pas encore, confia Brenna à voix plus basse. Je lui dirai que tu ne désires pas épouser Sheldon. Il sera déçu, bien sûr, car Perrin et lui comptaient beaucoup sur ce mariage.

— Je suis désolée, mère. — C'est inutile, ma chérie. Nous voulons que tu

sois heureuse. Et si tu n'aimes pas Sheldon, on ne

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peut rien y changer. Nous te trouverons l'homme de tes rêves.

« Si je ne le trouve pas moi-même », pensa Kristen avant de se pencher pour embrasser sa mère comme elle avait embrassé son père. Elle espérait que ses parents comprendraient et lui pardonneraient.

— Je t'aime, mère.

C'était une toute petite tempête mais elle suffit à trahir la présence de Kristen. Dès que le navire com-mença à être ballotté par les vagues, son estomac ne la laissa plus en paix. Il en avait été de même la der-nière fois qu'elle avait pris la mer, mais elle l'avait oublié. Elle faisait vraiment un piètre marin.

Un des hommes entendit ses hoquets et ouvrit la trappe de la cale. Il jeta un simple regard sur le pas-sager clandestin avant de l'abandonner à son sort. Elle ne put voir de qui il s'agissait mais, à cet instant, elle ne s'en souciait pas tant le tangage était abo-minable.

Jusqu'à présent, elle avait eu une chance formi-dable. Elle s'était faufilée dans la cabine de ses frères pour emprunter quelques vêtements à Tho-rall. Elle avait aussi emporté des robes qu'elle porterait dès qu'ils seraient parvenus dans une ville. Se cacher dans le drakkar avait été encore plus aisé. L'homme de garde sur le pont, près de la cale, dormait profondément et Kristen avait pu se glis-ser derrière lui sans qu'il se doute de rien. En dépit

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de l'obscurité totale qui régnait dans la cale, elle y jouissait d'un réel confort grâce aux fourrures empilées.

Cela durait depuis deux jours et elle comptait attendre encore un jour pour se montrer. Elle avait emporté suffisamment de vivres pour tenir jusque-là. Mais, avec cette tempête, on ne tarderait plus à la découvrir.

Elle eut l'impression que deux jours entiers pas-saient avant que la trappe ne se rouvrît. La lumière du jour inonda la cale. Kristen se raidit, prête à se battre. Le calme était revenu mais elle était épuisée.

Ce fut Selig lui-même qui sauta dans la cale. Eblouie par la lumière, elle était incapable de le regarder.

— Tu te rends compte de ce que tu as fait, Kristen ?

— Je m'en rends compte, murmura-t-elle. — Mais non, espèce d'idiote ! Elle voulut mettre sa main sur ses yeux, mais ce

simple effort était encore trop pénible pour elle. Il se pencha vers elle, l'agrippant par les revers de

l'épaisse veste de fourrure qu'elle portait sur la tuni-que de cuir qui comprimait ses seins, il examina la culotte qui lui serrait les cuisses ainsi que les hautes bottes de peau, puis la large ceinture à grosse boucle ornée d'émeraudes.

— Où as-tu trouvé tout ça ? s'enquit-il. — Je les ai empruntées à Thorall. On a presque la

même taille et... — Silence, Kristen ! Tu sais à quoi tu ressembles ? — A un membre de l'équipage ? Il resta de marbre, ses yeux gris aussi menaçants

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que le ciel pendant la tempête qui venait de passer. — Tu n'as jamais rien fait d'aussi stupide ! Pour-

quoi es-tu là ? — Pour plusieurs raisons... Elle le distinguait clairement à présent, mais elle

évita son regard quand elle avoua : — D'abord, pour l'aventure. — Tu as osé provoquer la fureur de notre père...

pour l'aventure ? — Oui. Parce que je veux me marier, Selig, et

qu'aucun homme chez nous ne me plaît assez. J'espère en rencontrer beaucoup dans les villes.

— Père t'y aurait emmenée, fit-il remarquer froi-dement.

— Je sais. Mère m'a dit que nous aurions pu partir dès ton retour ou au printemps prochain.

— Mais tu n'as pas voulu attendre ! Tu as préféré défier...

— Attends, Selig ! Il y a encore une autre raison. Il y avait quelqu'un — inutile de me demander son nom — qui voulait me forcer à l'épouser en... en me violant.

— Dirk! — C'est toi qui le dis... je ne pouvais en parler à

personne, on m'aurait interdit de me promener ou de faire quoi que ce soit toute seule. Père se serait sans doute occupé de lui, mais il ne l'aurait pas tué puisqu'il ne m'a encore rien fait. Et puis, rien n'aurait dissuadé cet homme. J'aurais perdu toute liberté... J'ai pensé qu'il valait mieux que je dispa-raisse quelque temps... et si je me trouve un mari par la même occasion, eh bien, tant mieux pour tout le monde.

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— Par Odin ! jura Selig. Voilà bien un raisonne-ment de femme !

— Tu n'es pas juste, Selig ! Ce sont toutes ces rai-sons combinées qui m'ont décidée à partir.

— Tu veux me faire croire ça? Non, Kristen... Tu n'es partie que pour l'aventure. Tu sais très bien qu'il y a des moyens de s'occuper d'un homme comme lui.

— Père ne l'aurait pas tué pour de simples menaces.

— Mais moi, si. Elle l'examina avec curiosité. — Tu l'aurais tué uniquement parce qu'il me

désire ? Tu es prêt à tuer tous ceux qui me veulent pour femme ?

— Tous ceux qui voudraient te prendre contre ton gré.

Elle sourit. Elle reconnaissait bien là son frère. — Alors, il n'y a pas de problème. Personne ne me

protégera mieux que toi dans les villes. — Peut-être... mais tu n'y vas pas, rétorqua-t-il. Tu

rentres à la maison. — Oh ! non, Selig... Les hommes ne me pardonne-

ront jamais de leur avoir fait perdre autant de temps !

— Ils seront tous d'accord pour te ramener chez nous.

— Mais pourquoi ? Je peux venir avec vous, puis-que vous allez simplement faire un peu de troc...

Tout à coup, elle surprit le regard furieux de son frère. Elle écarquilla les yeux de surprise et de ravis-sement tandis qu'un soupçon naissait en elle.

— Vous allez faire un raid ? s'écria-t-elle.

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A cet instant, leur cousin Hakon apparut par l'ouverture de la trappe.

— Tu lui as dit, Selig ? Tu es complètement fou, gronda le géant blond.

— Fou toi-même, rétorqua Selig. C'est toi qui viens de le lui dire. Elle avait seulement posé la question.

Hakon sauta dans la cale. — Et maintenant, que vas-tu faire, Selig? La

ramener pour qu'elle raconte tout à ton père ? Selig roula des yeux menaçants. — Hakon, tu es vraiment une inépuisable source

d'informations. Nos ennemis seraient ravis de te mettre la main dessus.

— Qu'ai-je dit ? Sans daigner lui répondre, Selig se tourna vers sa

sœur qui arborait maintenant un large sourire. — Tu ne diras rien à père, n'est-ce pas ? Elle ne l'avait jamais vu aussi poli, — Qu'en penses-tu ? Pour toute réponse, il gémit mais préféra déchar-

ger sa colère sur Hakon. Son poing se détendit, expé-diant son cousin sur la pile de fourrures. Selig suivit son poing et se jeta sur Hakon qui, en bon Viking, ne l'attendait pas les bras croisés.

Kristen laissa le combat se poursuivre pendant quelques minutes avant d'élever suffisamment la voix pour couvrir leurs vociférations.

— Si vous croyez que je vais vous plaindre, vous vous trompez ! Vous pouvez vous réduire en bouillie, ça m'est égal !

Selig roula sur le côté et grommela: — Je devrais te jeter à la mer, Kristen. Je dirais

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aux parents que tu t'es noyée et je n'aurais pas à avouer que je t'ai emmenée avec moi pour un raid. Je crois qu'ils préféreraient apprendre que tu es morte.

Elle rampa jusqu'à lui pour déposer un baiser sur sa joue.

— Sois beau joueur, frère, et reconnais que tu as perdu. Dis-moi où nous allons.

— Ça, tu n'as pas besoin de le savoir. De toute manière, tu ne quitteras pas le bateau.

— Selig! Il l'ignora et se hissa hors de la cale. Elle se tourna

vers Hakon qui se relevait. — Tu me le dis ? — Tu veux qu'il m'étripe ? N'exagère pas, Kristen.

Ils faisaient voile vers le sud, bien plus loin que Kristen n'avait jamais rêvé d'aller. Elle savait que c'était le Sud car chaque nuit était plus longue que la précédente. Depuis plusieurs jours maintenant, ils longeaient une belle terre verdoyante sous le soleil d'été. Personne ne voulait lui dire de quel pays il s'agissait.

Kristen n'était pas tout à fait ignorante de la géographie de ces contrées. Elle avait beaucoup appris des nombreux serviteurs qui l'avaient entou-rée depuis sa plus tendre enfance. Ce territoire qu'ils suivaient pouvait être la grande île des Irlan-dais, un peuple de Celtes, ou même la plus grande île

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encore que se partageaient les Angles, les Saxons et les Gallois, le peuple dont sa propre mère était issue. Ce ne pouvait être la terre des Francs car elle aurait défilé sur sa gauche et non sur sa droite comme celle-ci.

Si c'était bien une de ces deux grandes îles, alors il y avait de bonnes raisons de croire qu'ils se prépa-raient à attaquer les Danois. Ceux-ci avaient décidé de conquérir ces contrées et, semblait-il, y étaient parvenus. Et s'ils attaquaient les Danois, le combat serait plus équilibré car les habitants de ces îles étaient, en général, bien trop faibles pour se battre efficacement.

Selig connaissait leur destination mais il ne vou-lait rien lui dire. Toujours furieux, il l'avait néan-moins autorisée à quitter la cale. Même Thorolf, le frère de Tyra, refusait de lui révéler leur objec-tif. Apparemment, ils avaient décidé que moins elle en saurait, moins elle en dirait à Garrick à leur retour.

Mais comment aurait-elle le courage de raconter tout cela à son père ? C'était un marchand qui avait fait fortune. Il ne pardonnerait jamais à son fils d'avoir risqué un de ses navires dans une telle expé-dition. Les membres du clan Haardrad n'avaient plus effectué de raids depuis l'époque du grand-père de Kristen. Mais, bien sûr, les jeunes rêvaient des richesses qu'ils pourraient amasser en une seule expédition, et tous ceux qui naviguaient avec Selig étaient des hommes jeunes. Le drakkar de Garrick était un magnifique outil pour une opération de ce genre.

Fait entièrement de chêne, il possédait un solide

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mât qui maintenait la grand-voile rouge aux bandes blanches. Toute en longueur, l'embarcation fendait les flots, grâce aux seize rangs de rames maniées par les solides Vikings. Une tête de dragon leur ouvrait la route.

Kristen n'était nullement déçue de ne pas aller dans les villes commerciales. L'excitation des hom-mes était commùnicative et elle aurait bientôt une belle histoire à raconter à ses enfants et à ses petits-enfants pendant les longues nuits d'hiver.

L'instant fatidique approchait, elle le sentait à la tension qui gagnait Selig et Ohthere qui scrutaient le rivage avec une attention de plus en plus soutenue.

Un beau matin, ils s'enfoncèrent dans l'embou-chure d'une large rivière. Chaque homme était à son poste de rame. Une sourde tension montait en Kris-ten. Elle avait l'impression d'aborder une terre vierge même si elle distinguait ici ou là quelques habitations isolées.

Tout à coup, ils jetèrent l'ancre et Selig vint vers elle. Elle espérait encore le convaincre de la laisser débarquer. Elle s'y était même préparée, enfouissant sa longue natte dans sa tunique de façon à ne pas être gênée dans ses mouvements et arborant le casque d'argent que, par moquerie, Ohthere lui avait lancé un peu plus tôt.

Elle avait dissimulé dans la cale la légère épée que sa mère lui avait offerte au cours de leur entraîne-ment secret. Si Selig ne lui donnait pas l'autorisation de l'accompagner, elle ne révélerait pas l'existence de cette arme si particulière car il lui faudrait alors répondre à trop de questions embarrassantes.

A la vue de sa tenue masculine, Selig se renfrogna.

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Il n'était pas question de la laisser venir avec eux. Selig était un très bel homme mais quand il faisait grise mine, il était terrifiant. Sauf aux yeux de sa sœur qui le connaissait bien.

— Je n'ai pas toujours été facile pour toi, Selig, mais...

— Pas un mot, Kristen. Je sais ce que tu as der-rière la tête mais, crois-moi, cette fois tu vas m'obéir. Tu resteras sur le bateau jusqu'à mon retour.

— Mais... — Il n'y a pas de mais ! — Oh ! très bien... Elle soupira avant de se forcer à sourire. Elle ne

voulait pas qu'ils se quittent sur des mots qu'ils regretteraient tous les deux.

— Que les dieux te viennent en aide... Quels que soient tes projets.

Il faillit éclater de rire. — C'est toi, une chrétienne, qui en appelle à mes

dieux ? — Je sais que mon dieu veillera sur toi de toute

façon, mais tu auras besoin aussi de toute l'aide que les dieux de notre père pourront t'apporter.

— Alors, prie pour moi, Kris. Son regard s'adoucit tandis qu'il la serrait dans ses

bras. Puis il désigna la cale du menton. Vaincue, Kristen y descendit.

Elle n'y resta pas longtemps. Dès que le dernier homme eut sauté par-dessus bord, elle se hissa à nou-veau sur le pont du navire, arrachant un sourire à Bjorn, l'un des deux hommes laissés sur le bateau. L'autre se contenta de grommeler un juron incom-préhensible mais ne lui intima pas l'ordre de retour-

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ner se cacher. Penchée par-dessus le bastingage, elle observa l'équipage qui gagnait la rive avant de dispa-raître dans une épaisse forêt.

Frustrée, elle se mit à faire les cent pas de long en large. Elle était condamnée à l'inaction. Le soleil était à son zénith. Jamais, en Norvège, elle n'avait connu une chaleur pareille. Combien de temps les hommes seraient-ils partis ? Par le Ciel, cette attente pouvait durer des jours.

— Par Thor ! Kristen fit volte-face et examina les arbres der-

rière lesquels ses amis avaient disparu. Ce fut alors qu'elle perçut les bruits que le garde, à ses côtés, avait entendus : le fer cognant le fer et le hurlement des hommes qui se battent.

— Ils doivent être nombreux s'ils ont préféré atta-quer plutôt que fuir comme des lapins. Descends, Kristen !

Bjorn hurla tout cela en se jetant par-dessus bord. Kristen lui obéit mais uniquement pour aller cher-cher son épée. Quand elle émergea à nouveau hors de la cale, elle vit que les deux hommes de garde sur le drakkar se ruaient à présent vers la forêt pour porter secours à leurs compagnons. Elle n'hésita pas une seconde et se lança à leur poursuite. Bjorn avait rai-son : seule une troupe puissante pouvait oser s'atta-quer à une telle bande de Vikings. Elle devait donc, elle aussi, leur prêter main-forte, si dérisoire que fût son aide.

Elle rattrapa les deux hommes au moment où ils atteignaient les premiers arbres. Ils se lancèrent en avant en hurlant et en faisant tournoyer leurs armes au-dessus de leurs têtes. Elle ne les suivit pas immé-

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diatement. Autour d'elle, c'était un véritable car-nage. Kristen n'avait jamais imaginé une horreur pareille. Elle vit son cousin Olaf gisant dans une mare de sang, le dos fendu par une hache... Selig ! Où était Selig ?

Elle détourna les yeux du sol jonché de cadavres pour observer le combat qui faisait rage. Elle voyait les agresseurs à présent et n'arrivait pas à en croire ses yeux. Ils étaient minuscules et pas si nombreux... Tout à coup, elle se rendit compte qu'ils n'étaient pas tous si petits. Il y en avait même un qui était plus grand qu'elle et il se battait avec... Selig! Dieu du Ciel, aidé par deux ou trois de ses sbires, il affrontait son frère.

Elle se jeta en avant mais un petit homme rondouil-lard apparut devant elle en poussant des cris aigus. Au lieu de se battre avec une èpée, il utilisait un long javelot. D'un geste vif, elle coupa cette arme en deux et leva son épée vers son adversaire qui s'enfuit sans demander son reste.

Elle fit aussitôt volte-face, cherchant frénétique-ment Selig. Quand elle le retrouva, elle se mit à hur-ler car il s'effondrait tandis que l'homme de haute taille extirpait son épée ensanglantée de son corps. Enragée, elle se mit à courir, le regard fixé sur l'homme qui avait abattu son frère.

Kristen frappa à l'aveuglette un assaillant qui avait surgi devant elle puis continua sa route. Elle arriva enfin devant le meurtrier de son frère et piqua de toutes ses forces avec son épée. Leurs regards se croisèrent au moment où la lame s'enfonçait dans les chairs de l'ennemi. Elle remarqua ses yeux bleus qui

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s'écarquillaient tandis qu'elle retirait son épée pour le frapper à nouveau. Ce fut la dernière chose qu'elle vit.

La chandelle éclairait faiblement la petite cham-bre. Contre un mur, au pied d'un lit étroit, se trouvait un grand coffre à linge. Le mur opposé était recou-vert d'une tapisserie représentant un champ par-semé de fleurs. Il y avait aussi un miroir d'étain poli au-dessus d'une étagère couverte d'objets variés: épingles à cheveux serties de pierres précieuses, pei-gnes en os et flacons colorés remplis de parfum.

Des voiles et des rubans pendaient aux quatre coins de la chambre. L'unique fenêtre était masquée par un rideau de soie. Tout ici était d'un luxe extrava-gant. Deux chaises à haut dossier entouraient une table ronde sur laquelle trônait un vase de cérami-que peinte contenant un bouquet de roses rouges fraîchement cueillies.

Les chaises disparaissaient sous les vêtements des deux occupants du lit. C'était la chambre de Corliss de Raedwood, une magnifique créature de vingt et un ans aux tresses d'or rouge et aux yeux noisette.

Corliss allait bientôt épouser l'homme allongé à ses côtés, Royce de Wyndhurst, l'un des nobles du roi Alfred. Quatre ans plus tôt, elle avait déjà voulu deve-nir sa femme mais il l'avait repoussée. Durant tout l'hiver, elle n'avait cessé de harceler son

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père, tant et si bien que celui-ci, qui ne savait rien lui refuser, avait à nouveau proposé sa fille au seigneur de Wyndhurst et cette fois, avec succès. Elle avait, en effet, attiré lord Royce dans sa chambre un cer-tain soir où il avait trop abusé de l'excellent vin de son père et, là, elle s'était offerte à lui sans vergogne.

Cela n'avait pas été un grand sacrifice pour Cor-liss qui avait déjà connu un autre homme. Un seul et unique autre amant mais, dès cette première fois, elle avait décidé que cet aspect des relations entre un homme et une femme ne l'intéressait pas. Elle s'attendait pourtant à être très souvent... mise à contribution après son mariage avec Royce, si elle en jugeait par son appétit pour les choses de l'amour.

Malgré son dégoût, Corliss n'en continuait pas moins à s'offrir consciencieusement à Royce chaque fois qu'il lui rendait visite, ce qui, heureusement, n'arrivait pas trop souvent. Elle avait peur, en le repoussant, qu'il n'en vienne à briser ses vœux. Après tout, il n'avait pas vraiment eu envie de pren-dre femme. A vingt-sept ans, il n'était guère pressé de s'établir. C'était du moins l'excuse qu'il donnait à tous ceux, et ils étaient nombreux, qui lui offraient la main de leur fille. Il avait déjà été fiancé, cinq ans auparavant, à une femme qu'il aimait mais elle avait été tuée trois jours avant leurs noces et il n'en avait plus jamais aimé une autre depuis.

Corliss était convaincue que Royce n'aimerait plus jamais. En tout cas, il ne l'aimait pas et ne faisait même pas semblant. Une alliance entre leurs deux familles n'avait aucune valeur aux yeux de Royce car

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l'amitié qui l'unissait au père de la jeune fille était profonde et n'avait pas besoin d'être étayée par un mariage. Elle avait la certitude qu'il se sentait obligé de l'épouser pour une seule et unique raison : il avait usé de son corps.

Royce de Wyndhurst était le parti le plus convoité, l'homme le plus désiré par toutes les jeunes ladies du comté, y compris les propres sœurs de Corliss. C'était d'ailleurs compréhensible. Ami personnel du roi, il était riche et, surtout, terriblement sédui-sant... malgré sa taille gigantesque. Ses yeux verts et sa crinière de cheveux bruns formaient une combi-naison irrésistible. Depuis qu'elle était officiel-lement sa fiancée, Corliss était enviée par toutes ces femmes. Et Corliss adorait être enviée. En fait, susciter la jalousie était son unique raison de vivre. Et ses sœurs étaient malades de jalousie. Aussi supportait-elle les interminables attentions de Royce au lit.

La première fois, cela avait été assez rapide. Mais par la suite, et particulièrement ce soir, il semblait décidé à faire durer ce qu'il croyait être du plaisir, il ne cessait de l'embrasser, de la toucher. Les bai-sers ne la dérangeaient pas trop mais ses caresses... Il la caressait partout et elle devait rester là, allon-gée, endurant cette humiliation. Elle se demandait s'il ne prolongeait pas ces attouchements intention-nellement, s'il ne s'était pas rendu compte qu'elle n'aimait pas cela. Mais comment l'aurait-il pu ? Elle n'avait jamais protesté ni montré la moindre réti-cence. Elle restait parfaitement immobile, le laissant faire ce qu'il voulait.

Il la contemplait maintenant avec une réelle

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perplexité. Elle l'entendit soupirer et se raidir. C'était le signe qu'il était enfin prêt à la prendre. On frappa à la porte à l'instant même où il s'allongeait sur elle.

— Milord ! Milord ! Venez vite ! Un de vos hommes est en bas. Il veut vous voir de toute urgence.

Royce quitta le lit et s'empara de ses vêtements. Il ne le montrait pas mais cette interruption le sou-lageait. Faire l'amour à Corliss était devenu une tâche pénible, frustrante, qu'il envisageait sans le moindre plaisir. D'ailleurs, il ne comprenait pas l'attitude de la jeune femme. Il ne la poursuivait pas de ses assiduités. Bien au contraire, c'était elle qui le traînait toujours dans sa chambre avec des mines de chatte en chaleur. Mais dès qu'ils se retrouvaient dans le lit, Corliss se montrait aussi passionnée qu'un glaçon. Il essayait pourtant par tous les moyens dont il disposait de lui faire apprécier leurs rencontres.

*Pour la plupart des hommes, la satisfaction d'une femme ne comptait guère. Ce n'était pas le cas de Royce qui tirait son propre plaisir de celui qu'il don-nait. En vérité, il préférait de beaucoup batifoler avec une serve qu'avec cette lady, si belle soit-elle, qui était sa future femme.

Après avoir noué sa ceinture sur la tunique de cuir qu'il portait à même la peau, il glissa un regard vers Corliss. A l'instant où il avait quitté le lit, elle avait tiré une couverture sur son corps nu. Elle lui refusait aussi la vue de sa splendide nudité. Il en éprouva une colère accrue mais il se raisonna. Après tout, Corliss était une dame de noble naissance dont la sensibilité demandait des égards.

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— Milord, comment pouvez-vous me quitter main-tenant ? demanda-t-elle d'une voix plaintive.

« Très facilement, ma chère », pensa-t-il. — Vous avez entendu votre servante m'appeler.

On me demande en bas. — Mais Royce, c'est si... On dirait que cela ne

compte pas pour vous... que vous n'avez pas envie de moi...

De grosses larmes jaillissaient de ses yeux main-tenant. Royce soupira. Pourquoi étaient-elles toutes ainsi, à pleurer à tout instant, à geindre sans rai-son, uniquement pour se faire plaindre ? Sa pro-pre mère avait été ainsi, sa tante et même sa cousine Darrelle qui vivait avec lui à présent... Elles fon-daient en larmes avec une facilité stupéfiante et l'homme qui était alors avec elles ne souhaitait plus qu'une chose: disparaître sous terre. Lui, en tout cas, préférait l'enfer plutôt que de sup-porter cela une vie durant de la part de son épouse. Mieux valait briser cette mauvaise habitude tout de suite.

— Arrêtez, Corliss. Je déteste les larmes. — Vous... vous ne voulez pas de moi !

plèurnicha-t-elle. — L'ai-je dit ? gronda-t-il. — Alors, restez. Je vous en prie, Royce ! — Vous voudriez que j'ignore mon devoir pour

vous apaiser, milady ? Il n'en est pas question. Et ne comptez pas sur moi pour vous dorloter.

Il quitta la chambre sans lui laisser le temps de le retenir davantage mais l'écho de ses sanglots l'accompagna jusque dans le hall. Cette scène l'avait mis d'une humeur massacrante que la vue du serf

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Seldon n'améliora en rien. Il n'aurait pas été envoyé ici sans un motif grave.

— Qu'y a-t-il ? aboya Royce. — Les Vikings, milord. Ils sont venus ce matin. — Quoi ! s'exclama Royce en soulevant le petit

homme par le revers de sa tunique. Ne te moque pas de moi. Les Danois sont au nord. Ils essaient de mater la rébellion en Northumbrie et ils se préparent à attaquer la Mercie.

— Ce n'étaient pas des Danois ! Royce le lâcha tandis qu'une sourde angoisse le

saisissait. Il connaissait bien les Danois qui avaient fait main basse sur deux royaumes du pays. Ils avaient déjà tenté de s'emparer du Wessex, le royaume d'Alfred, en l'an 871 qu'on nommait déjà l'Année des Batailles. Le jeune Alfred n'avait que vingt-deux ans quand il avait succédé sur le trône, ce printemps-là, à son frère Aethelred. A l'autom-ne, après neuf batailles contre les deux grandes armées vikings, il était parvenu à négocier un traité de paix.

C'était une paix à laquelle personne ne croyait, mais Alfred cherchait surtout à gagner du temps afin de permettre à son peuple de se regrouper et de mieux préparer ses défenses. Ses chevaliers, ses barons et tous ses nobles avaient mis à profit ces deux années pour lever des armées, entraîner des soldats et élever des fortifications. Royce était même allé plus loin en enrôlant quelques-uns de ses serfs les plus solides dans ses troupes. Il était prêt à se ruer à l'assaut des Danois qui avaient envahi la terre des Angles. Mais personne n'avait prévu d'affronter les Vikings venus de la mer, et ceux-là pouvaient

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prendre Wyndhurst par surprise et le réduire en cen-dres comme cela avait failli se produire cinq années plus tôt.

Le souvenir de ce dernier raid viking était une plaie ouverte dans le cœur de Royce. Les tourments qu'il avait alors endurés avaient alimenté une haine féroce. C'était avec joie qu'il avait tué de nombreux Danois au cours de l'été 871, car ces Danois avaient attaqué Wyndhurst en 868, avant d'aller saccager le monastère de Jurro; Au cours de cette attaque, Royce avait perdu son père, son frère aîné ainsi que sa mer-veilleuse Rhona. Elle avait été violée et tuée sous les yeux de son fiancé cloué au mur par deux javelots. Royce avait dû assister à son agonie, entendre ses hurlements de douleur et ses supplications tandis qu'elle l'appelait à son aide. Il aurait dû mourir, lui aussi. Ses blessures étaient telles que les Danois, cer-tains de sa mort prochaine, l'avaient abandonné sur place. Mais la haine l'avait gardé en vie. La haine et la soif de vengeance.

— Milord, vous m'avez entendu ? Ce sont des Nor-végiens...

Ceux-là n'appartenaient donc pas aux armées vikings. C'étaient de simples pirates venus pour tuer et semer la désolation.

— Que reste-t-il de Wyndhurst ? — Mais nous les avons vaincus ! s'exclama Seldon,

surpris. La moitié d'entre eux sont morts, les autres sont solidement enchaînés.

Royce souleva à nouveau l'homme de terre et le secoua violemment.

— Pourquoi ne me l'as-tu pas dit plus tôt, imbécile ?

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— Je pensais l'avoir fait, milord. Nous avons gagné.

— Comment ? Lord Alden avait ordonné à tous les hommes

de se rendre au champ de manœuvres. Mais mon cou-sin Arne se trouvait trop loin au sud sur la rivière et il n'a pas reçu l'ordre. C'est lui qui a vu le navire viking.

— Seulement un ? — Oui, milord. Arne a couru jusqu'à Wyndhurst et

là, il a trouvé lord Alden et tous ses hommes en train de s'entraîner. Ils étaient nombreux et tous en armes. C'est ce qui a décidé lord Alden à tendre une embuscade dans la forêt, près de la rivière. Les hom-mes se sont cachés dans les arbres et sont tombés sur les Vikings au moment où ils passaient. La plupart sont morts sans se rendre compte de ce qui leur arri-vait. La surprise a été totale et nous avons pu les vaincre.

Royce posa la pénible question : — Combien de morts chez nous ? — Seulement deux. — Des blessés ? — Dix-huit. — Dix-huit? — Les Vikings se sont défendus comme des

démons, milord... Ce sont des géants, protesta faible-ment Seldon.

Le visage de Royce se durcit. — Rentrons. Je veux m'occuper de ces pirates

assoiffés de sang. — Oh, milord... Lord Alden... — Ne me dis pas qu'il est mort ? gémit Royce.

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— Non, répondit vivement Seldon qui connaissait les liens très forts qui unissaient les deux cousins. Mais il est grièvement blessé au ventre.

— Ils vont me le payer ! Sans plus attendre, Royce quitta le hall des

Raedwood.

Le marteau de Thor lui écrasait la tête. Elle était au Walhalla, elle avait regagné le paradis de ses ancê-tres vikings. Kristen n'aurait jamais cru que le para-dis puisse être aussi douloureux.

Elle voulut se redresser trop rapidement. Le mar-teau de Thor frappa à nouveau et elle s'écroula avec un gémissement. Deux bras la retinrent. Un bruit de chaînes retentit et elle ouvrit les yeux. Thorolf l'exa-minait attentivement. Elle se retourna pour voir celui qui la tenait. C'était Ivarr, un ami de Selig.

Elle se redressa à nouveau, détaillant les alentours avec curiosité. Elle ne se trouvait pas au Walhalla, au séjour des guerriers morts valeureusement au com-bat. Elle était encore sur terre avec ses compagnons. Ils étaient dix-sept en tout. Beaucoup gisaient inconscients avec des plaies ouvertes et non soi-gnées. Tous étaient enchaînés ensemble les uns aux autres par les chevilles, autour d'un énorme poteau. Elle ne voyait pas Selig.

Son regard rencontra à nouveau celui de Thorolf. — Selig? Il secoua la tête. Le hurlement déchira la gorge de

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Kristen. Aussitôt Ivarr la réduisit au silence en lui plaquant une main sur la bouche.

— Ils n'ont pas encore vu que tu es une femme ! sif-fla Thorolf le visage collé au sien. Tu veux qu'ils te violent sous nos yeux ? Epargne-nous cela, Kristen. Ne te trahis pas par tes cris de femme.

Elle cligna des yeux pour montrer qu'elle avait compris et Thorolf hocha la tête vers Ivarr qui la libéra. Elle reprit son souffle mais la douleur était là, au fond de sa gorge, qui ne pouvait pas sortir. Et impossible de hurler pour chasser cette douleur qui enflait en elle. La boule de douleur grossit, grossit. Des gémissements incontrôlés lui échappèrent jusqu'à ce qu'un poing la frappe sous la mâchoire et qu'elle tombe dans les deux bras qui l'attendaient.

Quand Kristen se réveilla à nouveau, le soleil était sur le point de se coucher. Un gémissement se forma dans sa bouche mais elle le réprima et dévisagea Tho-rolf d'un air accusateur.

— Tu m'as frappée. Ce n'était pas une question. — Oui. — J'imagine que je devrais te remercier. — Tu devrais. — Bâtard! S'il avait pu rire sans attirer l'attention, il l'aurait

fait avec joie. Au début, ils avaient été laissés sans surveillance pendant quelques heures tandis que leurs ennemis s'occupaient de leurs propres blessés. A présent, deux hommes armés ne les quittaient pas des yeux.

— Nous aurons le temps de pleurer sa mort plus tard, Kristen, murmura Thorolf avec douceur.

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— Je sais. Elle frotta ses chevilles endolories par les chaînes.

Le casque d'argent emprunté à Ohthere avait dis-paru ainsi que sa ceinture et sa dague serties de pier-res précieuses. Même ses bottes fourrées lui avaient été enlevées.

— Ils ont pris tout ce qui a de la valeur ? s'enquit-elle.

— Oui. Ils t'auraient même pris ta veste si elle n'avait pas été en si mauvais état.

— Elle est pleine de sang, observa-t-elle en bais-sant les yeux.

Elle se souvint alors que ce sang avait giclé de la blessure de l'homme qu'elle avait tué quand elle avait retiré son épée de son ventre. D'une main dis-traite, elle tâta l'endroit où on l'avait frappée. Ses doigts trouvèrent une énorme bosse.

— Mes cheveux ! s'écria-t-elle tout à coup. La natte était encore enfoncée sous sa tunique

mais, au premier examen auquel elle serait soumise, elle serait aussitôt démasquée. Elle essaya de s'arra-cher les cheveux.

Thorolf l'arrêta. — Non, Kristen. Tu n'y arriveras pas... — Tu as un couteau peut-être ? Il grommela une réponse inaudible tout en l'exami-

nant. Sans ceinture, sa tunique pendait jusqu'à ses cuisses, dissimulant les courbes de ses hanches. Ses culottes bouffaient légèrement sous les lanières de cuir qui lui serraient les jambes et cachaient ses for-mes effilées. Ses mains et ses pieds, nus à présent, n'étaient pas petits mais pas aussi épais que ceux d'un homme. Un peu de boue suffirait, ainsi que sur

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ses bras trop minces. Dans l'ensemble, cet examen satisfaisait Thorolf.

— En dehors de ta chevelure, il n'y a guère que ta langue trop bien pendue qui puisse te trahir. Com-ment as-tu fait pour cacher tes seins ?

Kristen rougit violemment. — Tu ne devrais pas me demander ça. — Mais comment as-tu fait ? — Thorolf! — Baisse la voix ! Ne prononce pas un mot qu'ils

puissent entendre. Nous leur avons dit que tu es un muet, comme cela il n'y aura pas de problèmes.

— Et mes cheveux ? Il fronça les sourcils. Soudain, une idée lui vint.

Avec un sourire, il déchira le bas de sa tunique et fit signe à Ivarr de dissimuler Kristen à la vue des gar-des. Il prit sa longue natte pour l'enrouler autour de sa tête, la recouvrant du bout de tissu qu'il attacha solidement à la base de sa nuque, comme un bandage de fortune.

— Ce n'est pas là que je suis blessée. — Ta petite bosse ne m'intéresse pas, répliqua-t-il.

Attends une seconde. La touche finale. Et il se mit à presser la longue estafilade qui lui

zébrait le bras pour en recueillir le sang qu'il étala sur le pansement improvisé sur le crâne de Kristen.

— Thorolf! — Tais-toi ! Ta voix de femme va rendre tous mes

efforts inutiles. Qu'en penses-tu, Ivarr? Pas mal, hein ? Elle peut passer pour un garçon.

— En tout cas, avec sa mâchoire abîmée et sa grosse tête, on n'a pas envie de la regarder de trop près, se moqua celui-ci.

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— Merci beaucoup, grinça Kristen. Thorolf ignora ses sarcasmes. — Oui, c'est un peu épais mais comme ils ne cher-

chent pas une fille, ils se diront simplement que nous ne savons pas faire les pansements. Ça devrait mar-cher, surtout si tu restes toujours aussi sale. Fais attention qu'il ne tombe pas.

Elle lui lança un regard noir. — Bon, il est temps que tu me dises où nous

sommes. — Au royaume de Wessex. — Chez les Saxons ? — Oui. Elle ouvrit des yeux incrédules. — Tu veux dire qu'une bande de ces minuscules

Saxons vous a battus ? Ce fut au tour de Thorolf de rougir. — Ils sont tombés des arbres. La moitié d'entre

nous étaient déjà morts avant de se rendre compte que nous étions attaqués.

— Ils vous ont tendu une embuscade... — Oui, c'était le seul moyen pour eux de nous vain-

cre car ils n'étaient pas plus nombreux que nous. Et nous ne nous intéressions même pas à eux. Nous vou-lions aller plus loin, au...

Il s'arrêta. — Au... ? — Nulle part. — Thorolf! — Par le marteau de Thor ! Tu ne peux pas baisser

la voix ? Nous voulions piller un monastère. — Oh ! non... — Si. Selig ne voulait rien te dire car il savait que

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tu en souffrirais. Mais c'était notre dernière chance de grappiller quelques-unes des richesses de ce pays, Kristen. Les Danois l'occuperont bientôt tout entier. Nous ne voulions qu'une toute petite partie de ce qu'il y a à prendre ici. Il n'y aurait pas eu de morts. Le monastère de Jurro est réputé pour ses richesses.

— Comment le saviez-vous ? — La sœur de Flokki, celle qui a épousé un Danois,

est revenue à la maison l'an dernier. Elle savait pas mal de choses et elle nous a raconté comment ils n'avaient pas réussi à s'emparer de Jurro en 871, quand les armées d'Halfdan et du roi Guthorn ont attaqué le Wessex. Pour le moment, ils n'en veulent qu'au royaume de Mercie, même si ces idiots ont scrupuleusement payé chaque année leur impôt de guerre aux Vikings, croyant que cela suffirait pour les tenir à l'écart. Dès qu'ils auront occupé la Mercie, ils reviendront ici. Si ce n'est pas cette année, ce sera la suivante ou celle d'après. Ils prendront ce pays riche et fertile, ce ne sont pas ces petits Saxons qui les en empêcheront.

— Ils vous ont bien battus... — Ils ont eu de la chance. — Ils n'étaient pas tous aussi petits que cela, Tho-

rolf. Celui que j'ai tué était aussi grand que toi. — Oui, je l'ai vu quand ils ont ramené son corps

dans un chariot. Mais tu ne l'as pas tué, Kristen. Du moins, il n'est pas encore mort.

Une exclamation de colère échappa à Kristen. — Tu veux dire que je n'ai même pas pu venger

mon frère ? Il eut un geste pour la consoler. Mais il se figea, de

crainte que les gardes ne le remarquent.

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— Il mourra sûrement. Il saignait abondamment. J'ai vu qu'il avait le ventre ouvert quand ils l'ont emmené dans ce grand bâtiment.

Les images du carnage dans la forêt étaient péni-bles pour Kristen même si elle avait dû y prendre part. Comment aurait-elle pu se présenter devant les siens si elle n'avait essayé de tuer l'assassin de son frère ?

Elle se retourna pour regarder le bâtiment que Thorolf désignait. Un vaste manoir de deux étages construit en grande partie en bois et muni de fenê-tres pour laisser entrer le soleil. Nul doute que le vent d'hiver y pénétrait aussi. Il y avait d'autres cons-tructions plus petites tout autour et une palissade de bois, épaisse mais pas très haute, entourait le domaine.

— Oui, ils ne pourront résister bien longtemps, ajouta Thorolf.

— Mais ils se préparent. Regarde, on dirait qu'ils ont l'intention de bâtir un mur plus solide.

Elle désignait un amoncellement de lourds blocs de pierre entassés un peu plus loin.

— Oui, j'ai vu d'autres pierres plus loin, dit-il avec mépris. Les Danois seront ici avant que ce mur soit terminé.

Kristen haussa les épaules. Ceci ne les concernait pas. D'ici là, ils auraient fui cet endroit. Cela ne fai-sait pas le moindre doute.

Jetant un nouveau coup d'œil vers la demeure, elle fronça les sourcils.

— C'est grand... Le seigneur doit être quelqu'un d'important. Tu penses que c'est celui que j'ai blessé ?

— Non. Du peu que j'ai compris quand ils par-

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laient, le seigneur n'est pas ici. On a dû le prévenir... J'aurais dû être plus attentif quand tu cherchais à m'apprendre la langue de la vieille Alfreda.

— Oui, en effet, car tu es le seul qui puisse parler en notre nom. Je suis muette, ne l'oublie pas.

Il sourit. — Tu vas souffrir, n'est-ce pas ? Etre obligée de

tenir ta langue..., tu n'en as pas l'habitude !

Un téméraire osa s'avancer parmi eux pour plan-ter une torche au pied du poteau. Six gardes en armes se tenaient prêts à intervenir au cas où les Vikings s'en prendraient à lui. Kristen cacha un sou-rire quand l'homme passa près d'elle. Elle les avait entendus se disputer violemment : aucun d'entre eux ne voulait s'aventurer au milieu des prisonniers. Enchaînés, blessés et affamés, ils ne semblaient pourtant pas menaçants, mais les Saxons ne tenaient à courir aucun risque.

Le brave qui venait d'accomplir un si bel exploit s'en sortit sans mal. Il se mit à parler plus fort que tous les autres. A l'évidence, il entendait retirer toute la gloire qu'une telle prouesse méritait...

— Ce braillard ne cesse de te regarder, chuchota Kristen à Thorolf.

— C'est moi qui leur ai parlé, tout à l'heure. Ils pensaient que nous étions des Danois. Je les ai détrompés. Les Danois sont ici pour leur voler leurs terres. Nous n'en voulons qu'à leurs biens.

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— Et tu pensais que cela les inciterait à mieux nous traiter ?

— Il n'y avait pas de mal à le préciser, grommela-t-il.

— Ah non ? fit-elle, l'air sombre. Alors, tu ne com-prends vraiment pas grand-chose à ce qu'ils disent.

— Ces petits bâtards parlent trop vite. Je ne saisis que quelques mots... Que disent-ils ?

— Ils parlent d'un dénommé Royce. L'un d'entre eux prétend qu'il fera de nous des esclaves. Le brail-lard jure qu'il hait trop les Vikings pour les garder en vie. D'après lui, il va nous torturer et nous tuer.

Elle préféra passer sous silence la torture que le fameux Royce ne manquerait pas de leur infliger, au dire du fort en gueule que les autres appelaient Hun-frith. Il prendrait exemple sur ce que les Vikings avaient eux-mêmes fait subir au roi d'Anglia après sa capture. Attaché à un arbre et utilisé comme cible d'entraînement par les archers, couvert de flèches comme un hérisson de piquants, celui-ci avait été détaché et achevé. Un autre des gardes décrivait un supplice pire encore. Il était inutile de raconter tout cela à Thorolf. La torture restait la torture, quelle que soit sa forme. Et si ce Royce devait les tuer, il fal-lait s'évader immédiatement.

Kristen examina le grand poteau autour duquel ils étaient enchaînés. Il était haut comme trois hom-mes. Les chaînes qui les reliaient étaient assez lon-gues — ces Saxons étaient décidément stupides — pour leur permettre de se mouvoir avec une relative facilité.

— Trois ou quatre hommes pourraient escalader ce poteau et tous nous libérer, murmura-t-elle.

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— C'est pourquoi ils ont placé les blessés graves entre les hommes valides.

C'était Ivarr qui avait parlé. Elle se tourna vers lui et vit sa jambe ouverte par une large plaie qui lui interdisait de marcher. Quant à celui qui se trouvait derrière Thorolf, une tête de javelot était encore enfoncée dans son épaule.

— Je pourrais porter un homme sur mes épaules mais nous serions trop lents. Ils nous cribleraient de flèches avant que nous ayons atteint le sommet du poteau.

— Si on essayait d'arracher le poteau ? suggéra Kristen.

— Pour cela, il faudrait se lever. Ils s'en ren-draient compte immédiatement. On pourrait le pous-ser mais il tomberait trop lentement. Et même si nous réussissions à le déraciner, beaucoup d'entre nous seraient tués ou blessés trop gravement. Enchaînés comme nous le sommes, ils nous immobi-liseraient. Même si les Saxons ne sont pas malins, ils nous tueront de loin, l'un après l'autre, à coups de flèches.

Kristen gémit. — Alors, nous n'avons aucun espoir ? — Pas tant que nos blessures ne sont pas guéries

et que nous ne mettrons pas la main sur des armes, répliqua Ivarr.

— Tu verras, Kristen, ajouta Thorolf d'un ton iro-nique, ils vont sûrement nous demander de les entraîner à combattre les Danois...

— Et puis ils nous laisseront partir quand nous voudrons, c'est ça ?

— Pourquoi pas ?

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Elle eut une moue de mépris, mais la plaisanterie de Thorolf lui avait fait du bien. S'ils devaient périr, ils ne mourraient pas sous la torture, mais ensemble, en combattant, à la manière des Vikings.

Soudain, le portail de bois s'ouvrit pour laisser passer deux hommes à cheval.

Seul l'un d'entre eux valait la peine qu'on le regarde, et Kristen ne s'en priva pas. Quand il sauta de selle à quelques mètres d'elle, elle eut la surprise de constater qu'il était aussi grand que son père. Ce qui signifiait qu'il pouvait toiser de haut la plupart des Vikings. C'était un homme jeune et bâti à chaux et à sable, avec des épaules larges et un torse puis-sant. Sous sa tunique de cuir, on voyait la toison qui s'étalait sur sa poitrine. Les bras, laissés nus par la tunique sans manches, étaient ceux d'un guerrier, lourds de muscles saillants. A l'évidence, il n'y avait pas une once de graisse dans ce grand corps.

Son visage parfaitement dessiné était incroyable-ment beau, le nez droit, les lèvres ourlées avec un rien de cruauté et la mâchoire carrée. Sa chevelure d'un brun châtain retombait en vagues sur ses épau-les avec quelques boucles rebelles Sur son large front.

Mais c'étaient ses yeux qui retenaient d'abord l'attention : deux cristaux d'émeraude sombre et lui-sante. La haine et la fureur les faisaient briller tandis qu'il passait près des prisonniers. Kristen retint son souffle quand ce regard se posa un bref instant sur elle. L'homme gronda un ordre à l'un des gardes et se dirigea vers la demeure.

— Celui-là ne me plaît pas, remarqua Ivarr der-rière elle. Qu'a-t-il dit ?

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Tous les autres demandaient la même chose mais Kristen secoua la tête.

— Dis-leur, Thorolf. — Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris,

avoua-t-il. Kristen lui lança un regard noir. Les hommes

avaient le droit de savoir. Thorolf n'avait-il pas le courage de parler ? A moins qu'il n'ait pas cru ce qu'il avait entendu...

Elle se tourna vers Ivarr sans oser croiser son regard.

— Il a dit : Demain, tuez-les.

Le hall était plein d'hommes blessés ou mutilés. Royce décida qu'il parlerait à chacun d'eux, mais plus tard. Et il monta immédiatement dans la cham-bre de son cousin.

Alden était étendu sur le lit, recouvert jusqu'au cou par une épaisse couverture. Il était si pâle que Royce crut qu'il était déjà mort. L'ambiance de la pièce confirmait cette impression. Les femmes étaient en larmes. Deux servantes, qui profitaient parfois des bonnes grâces d'Alden, sanglotaient dans un coin. Meghan, l'unique sœur de Royce âgée de huit ans, était assise à une table et pleurait dans ses petits bras. Darrelle, la sœur d'Alden, était agenouil-lée près du lit, hurlant à la mort et inondant la cou-verture de ses pleurs.

Royce se tourna vers la seule femme qui ne se lamentait pas : Eartha, la guérisseuse.

— J'arrive trop tard ? Il est mort ? La vieille bonne femme repoussa une mèche de ses

cheveux sales et lui sourit.

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— Ne l'enterrez pas trop tôt, milord. Vous voulez l'achever avant son heure ?

Royce accueillit cette nouvelle avec un mélange de soulagement et de colère. Finalement, ce fut à celle-ci qu'il céda.

— Dehors! cria-t-il aux pleureuses. Gardez vos larmes. Pour le moment, il n'en a pas besoin !

Darrelle bondit sur ses pieds et lui fit face, le visage aussi rouge que les yeux.

— C'est mon frère ! s'exclama-t-elle, indignée par l'outrage fait à sa douleur.

— Quel bien lui faites-vous en pleurnichant ? Il lui faut du repos pour retrouver ses forces. Avec vos cris, il ne peut pas dormir. Il n'a pas besoin de te voir en larmes pour savoir que tu l'aimes, Darrelle.

Sa petite poitrine frémissait mais elle n'osait s'approcher de son immense cousin.

— Tu es sans cœur, Royce ! Je l'ai toujours dit. — Très bien. Tu ne t'étonneras donc pas si j'exige

que tu sortes de cette chambre ? Essaie de retrouver ton calme. Tu pourras revenir auprès d'Alden... à condition de rester tranquille.

Les deux servantes s'étaient déjà enfuies. Darrelle quitta la pièce. Eartha savait que l'ordre de quitter les lieux ne s'appliquait pas à elle, mais elle prit le parti de rassembler ses potions et de s'esquiver. Royce resta avec sa petite sœur qui le dévisageait avec crainte. Il se radoucit.

— Je ne suis pas en colère contre toi, mon cœur. Ne me regarde pas comme ça, dit-il gentiment en lui tendant la main. Pourquoi pleurais-tu ? Tu croyais qu'Alden allait mourir ?

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Meghan courut jusqu'à lui et enfouit son visage dans sa ceinture.

— Eartha a dit qu'il ne risquait pas de mourir. Alors, je priais pour lui. Et puis, Darrelle s'est mise à pleurer et...

— Et notre cousine est en train de te donner de mauvaises habitudes, mon cœur. Tu avais raison de prier. Alden a besoin de tes prières pour guérir. Mais crois-tu qu'il voudrait te voir en larmes alors que tu devrais être heureuse qu'il ait affronté nos plus féro-ces ennemis et survécu ?

Il souleva l'enfant dans ses bras et sécha ses larmes.

— Il est temps d'aller au lit, Meghan. Et continue à prier pour Alden. Va, maintenant.

Il l'embrassa une dernière fois avant de la reposer sur le sol.

A peine eut-elle franchi la porte que la voix d'Alden s'éleva :

— Merci, Royce. Je ne sais pas si j'aurais pu faire semblant de dormir encore longtemps. Mais chaque fois que j'ouvrais les yeux, Darrelle hurlait. Elle devait croire que je rendais mon dernier soupir.

Royce éclata de rire et tira une chaise près du lit. — Seldon m'a dit que tu avais été touché au ven-

tre. Je n'espérais plus te voir en vie et encore moins bavarder avec toi.

Alden voulut sourire mais cet effort lui arracha un rictus de douleur.

— Un peu plus bas et j'abandonnais mes entrailles dans cette forêt. Dieu ! Ça fait mal... Et quand je pense que c'est un joli garçon aux yeux de biche qui m'a embroché...

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— Décris-le-moi. S'il est parmi les prisonniers, je lui ferai regretter son geste avant de le tuer.

— Ce n'est qu'un gamin imberbe, Royce, qui n'aurait même pas dû être avec les autres.

— Si leurs enfants peuvent tuer, alors ils peuvent aussi mourir, répliqua Royce avec colère.

— Tu as donc l'intention de les tuer tous ? — Oui. — Pourquoi ? Les yeux de Royce étincelèrent. — Tu le sais. — Oui, mais pourquoi les tuer s'ils peuvent nous

être utiles ? Ils sont vaincus. Nous avons leur navire et Waite m'a dit qu'ils transportaient une riche car-gaison. Elle t'appartient à présent. Lyman ne cesse de se plaindre des serfs. D'après lui, ils sont incapa-bles de soulever les pierres romaines pour la muraille. Regarde combien de mois il leur a fallu pour en apporter quelques-unes dans la cour. Il rêve déjà de voir ces gaillards à la tâche. Admets-le, Royce : les Vikings pourraient bâtir ton mur en moi-tié moins de temps. Et puis, quelle ironie puisque ce mur servira à repousser leurs frères danois.

L'expression de Royce ne changea pas. — Je vois que Lyman et toi avez déjà fait vos

plans. — Il ne m'a pas laissé une seconde de répit pen-

dant tout le trajet de retour. Il est même monté dans le chariot avec moi alors que j'étais aux portes de la mort. Mais il a raison. Pourquoi les tuer alors que vivants, ils nous seraient plus utiles ?

— Tu es plus qu'un frère pour moi, Alden, et tu le sais. Comment peux-tu me demander ça ? Si jamais

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ils parviennent à se libérer, ils nous massacreront tous.

— On peut prendre des précautions pour s'assu-rer qu'ils ne s'échapperont pas. Je te demande seule-ment d'y penser, de réfléchir avant de les condamner.

La porte s'ouvrit alors et Darrelle apparut, les yeux secs mais emplis de rage. Tous trois avaient grandi ensemble. Alden avait un an de moins que Royce et Darrelle deux de moins que son frère. Ils étaient la seule famille que Royce possédât encore, avec Meghan, et il les aimait. Mais parfois il ne sup-portait pas les humeurs de sa cousine.

— Tu m'accuses de l'empêcher de dormir et tu l'obliges à parler de ces êtres répugnants !

Royce roula des yeux et se tourna vers Alden. — Je te laisse entre les mains de ta sœur ado-

rée. Il quitta la chambre sous le regard accablé de son

cousin.

Royce observa sa sœur qui traversait le hall en courant pour jeter un coup d'œil par la porte ouverte. Elle se retourna en fronçant les sourcils et repartit à toutes jambes vers l'escalier. Il l'appela avant qu'elle ne 1' atteigne. Elle s'immobilisa puis vint lentement vers la table où il prenait son petit déjeuner. Elle avait déjà mangé dans sa chambre avec sa servante, Udele.

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Toujours furieuse, Darrelle avait refusé de s'asseoir en compagnie de Royce, ce matin, mais elle surveillait la scène du coin de l'œil tout en soignant un blessé. Meghan hésitait à rejoindre son formida-ble frère.

S'il existait une chose qui broyait le cœur de Royce, c'était bien la crainte qu'il inspirait à sa jeune sœur. Il en était l'unique responsable. Au cours de l'année qui avait suivi le raid des Vikings et la dispa-rition de tant d'êtres chers, il s'était conduit de façon déplorable. Meghan, trop jeune pour comprendre les affres qu'il traversait, avait commencé à avoir peur de lui et de ses colères. Dès qu'il s'était aperçu de ce qui se passait, Royce lui avait manifesté la plus grande tendresse mais la peur de la petite fille n'avait jamais complètement disparu.

Meghan était une enfant timide que ces événe-ments avaient bouleversée. Des craintes de toute sorte s'étaient développées en elle. Et elle avait peur des étrangers, de l'obscurité, des voix trop fortes... Royce se le reprochait. Il savait qu'elle l'aimait. Dès qu'elle éprouvait le besoin de se sentir protégée, c'était derrière lui qu'elle venait aussitôt se cacher. Mais elle le redoutait aussi, comme si elle croyait à tout instant qu'il allait la punir.

— Tu as peur de sortir ? lui demanda-t-il genti-ment quand elle fut enfin près de lui, les yeux baissés.

— Non, je voulais voir les Vikings. Udele dit que ce sont tous des hommes très méchants. Mais ils sont blessés et ils ont surtout l'air malheureux.

Elle risqua un regard vers lui et se détendit en voyant qu'il lui souriait.

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— Tu crois que les hommes méchants ne peuvent pas être malheureux, eux aussi ?

— Ils n'ont pas l'air si méchants. Il y en a même un qui m'a souri... Et ils sont si jeunes, Royce. Des gens si jeunes peuvent-ils vraiment être méchants ? Est-ce qu'il ne faut pas vivre longtemps dans le péché pour être vraiment mauvais ?

— Ces hommes ne croient pas en Dieu. Leurs péchés ne peuvent être rachetés. C'est pour cela que leur âge ne compte pas.

— Udele dit qu'ils ont beaucoup de dieux et que c'est pour ça, aussi, qu'ils sont mauvais.

— Non, ce sont des païens qui offrent des sacrifi-ces à leurs dieux. As-tu peur d'eux ?

— Oui, admit-elle. Poussé par une impulsion, il lui demanda : — A ton avis, que dois-je faire d'eux, Meghan ? — Fais-les partir. — Ils pourraient revenir nous faire du mal. Je ne

peux pas le permettre. — Alors, rends-les chrétiens. Royce sourit devant une si simple solution. — Seul notre bon abbé peut faire cela, pas moi. — Alors, que vas-tu faire d'eux ? Udele dit que tu

vas les tuer. Meghan avait frémi en prononçant ces mots. — Udele parle trop, murmura Royce, l'air sévère. Meghan baissa à nouveau les yeux. — Je lui ai dit que tu ne le feras pas parce qu'ils

ne se battent plus et que tu ne tueras jamais un homme qui ne peut pas se défendre.

— Parfois, il est nécessaire de... Il s'interrompit en secouant la tête.

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— Peu importe, mon cœur. Et si nous leur faisions construire le mur ?

— Tu veux dire qu'ils travailleraient pour nous ? — Oh, je pense qu'ils accepteront cette offre si on

sait comment la leur présenter. — Ils n'auront pas le choix... — Les prisonniers ont rarement le choix. Et

n'oublie pas que s'ils avaient gagné, ils t'auraient ramenée dans leur pays pour faire de toi une esclave. On doit les traiter comme ils l'auraient fait pour nous.

Il se redressa. Cette discussion avec Meghan lui avait été utile : il venait de prendre sa décision.

— Encore un mot, ajouta-t-il à l'intention de la petite fille. Tant qu'ils seront là, ne t'en approche pas. Ils sont dangereux, même si tu n'en as pas l'impression. Tu dois me donner ta parole, Meghan.

Meghan hocha sa petite tête d'un air timide et regarda son frère quitter le hall. A peine eut-il dis-paru qu'elle se rua dans l'escalier pour annoncer à la vieille femme maussade qui lui servait de gouver-nante que les Vikings n'allaient pas mourir.

Le soleil brillait, haut dans le ciel, tandis que le sei-gneur de ces lieux traversait la cour vers les prison-niers. Comme les autres, Kristen avait attendu ce moment en ruminant ses regrets : elle ne reverrait plus ses parents, elle n'aurait pas de mari, ni d'enfants, elle ne jouirait plus de la lumière du jour, ni de la saveur de l'eau fraîche... Elle était bien déci-dée à mourir bravement, mais elle n'avait pas envie de mourir.

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Royce ignora les deux gardes qui s'avançaient vers lui. Le petit Saxon Hunfrith avait été relevé au milieu de laUuit, mais il était revenu au matin pour décrire aux Vikings les tortures qu'ils allaient subir. Il se précipita vers Thorolf à qui il flanqua un grand coup de pied.

— Debout! Milord Royce va te parler, Viking! annonça-t-il, l'air important.

Kristen pinça Thorolf pour l'inciter à se lever mais il ne broncha pas. Il était accroupi, prêt, comme tous ses compagnons, à se jeter sur les Saxons si ceux-ci tentaient de les séparer afin de les soumettre à la torture.

Le regard vert du seigneur saxon était sombre tandis qu'il se dirigeait vers les prisonniers. A la différence de la veille, son expression était indéchif-frable. Bien sûr, à la lueur du jour, leur état déplora-ble devenait évident et il devait sûrement penser qu'ils ne constituaient pas une menace sinon il ne se serait sûrement pas autant approché. Pourtant, Kristen avait l'impression qu'il les défiait.

« Ce Saxon n'a pas peur », se dit-elle, tandis que le regard vert glissait sur elle avant de la fixer. Elle baissa aussitôt la tête. Pourquoi, parmi tous les Vikings, s'attardait-il sur elle ? Avait-il deviné son déguisement ?

Elle ne releva les yeux que lorsqu'il parla, et son malaise ne fit alors que croître. Elle ne s'était pas rendu compte qu'enchaînée à Thorolf, elle était dans une position délicate. Elle se glissa derrière le large dos de son ami pour se mettre à l'abri de ce regard trop perçant.

Le Saxon dévisagea Thorolf.

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— On m'a dit que tu parles notre langue. — Un peu. — Qui est votre chef ? — Il est mort. — Le navire lui appartenait ? — A son père. — Ton nom ! — Thorolf Eiriksson. — Désigne-moi votre nouveau chef, Thorolf. Je

sais que vous l'avez déjà choisi. Au lieu de répondre immédiatement, Thorolf

demanda : — Parlez lentement. Royce fronça les sourcils, impatient. — Votre nouveau chef. Qui est-ce ? Thorolf cria dans sa langue maternelle : — Ohthere, lève-toi et fais-toi connaître au Saxon ! Kristen vit son cousin se dresser, l'air hésitant car

il n'avait rien compris de la discussion entre Thorolf et le chef des Saxons. Il se trouvait à l'opposé du cer-cle par rapport à elle mais il s'était débrouillé pour venir la voir au cours de la nuit, traînant trois hom-mes avec lui. Il avait perdu ses deux frères au cours du combat et, tout comme Kristen, il ne montrait pas sa peine. Etant le plus vieux parmi eux et le cousin de Selig, il était logiquement considéré comme leur nouveau chef.

— Son nom ? s'enquit Royce en détaillant Ohthere des pieds à la tête.

— Ohthere Haardrad, répondit Thorolf. — Très bien. Dis à Ohthere Haardrad qu'on m'a

convaincu de me montrer clément. Je ne peux pas vous relâcher mais je vous nourrirai si vous êtes

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prêts à me servir. Un mur de pierre doit être élevé autour de ce manoir. Si vous choisissez de ne pas tra-vailler, vous n'aurez rien à manger. C'est aussi sim-ple que ça.

Plutôt que de demander au Saxon de répéter cette longue tirade plus lentement, Thorolf dit en mon-trant ses camarades :

— Parler... entre nous. Royce hocha la tête. — C'est cela, concertez-vous. Thorolf demanda aux hommes de se regrouper. Ils

en profitèrent pour dissimuler Kristen au milieu d'eux.

— Par le poing de Thor! s'exclama Thorolf. Qu'est-ce qu'il a dit ?

Elle souriait. — Il ne va pas nous tuer. Il veut que nous construi-

sions un mur. — Non ! Je ne donnerai pas ma sueur à ce bâ-

tard ! — Alors, tu crèveras de faim, rétorqua Kristen. Il

a posé ses conditions. Nous travaillons et, en échange, il nous donne à manger.

— Comme des esclaves ! — Ne soyez pas idiots, siffla-t-elle. Cela nous per-

mettra de gagner du temps pour préparer notre évasion.

— Oui, et pour guérir, approuva Ohthere. Dis-lui que nous acceptons, Thorolf. Qu'il ne se doute pas que certains d'entre nous n'acceptent pas ses con-ditions.

Thorolf lui obéit puis demanda à Royce : — Les chaînes ?

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— Vous les gardez. Je ne suis pas assez idiot pour vous faire confiance.

Un lent sourire étira les lèvres de Thorolf qui hochait la tête. Le Saxon était sage, mais il ignorait encore de quoi étaient capables des Vikings en bonne santé, nourris et décidés.

Une vieille femme vint soigner leurs blessures. Elle était échevelée et sale. Sa robe informe, qu'elle portait sans ceinture, lui donnait l'air d'un sac ambu-lant. Elle se nommait Eartha et semblait n'avoir peur de rien. Elle déambulait sans la moindre crainte parmi ces gaillards et gardait une démarche bien assurée pour son grand âge.

A la voir, Kristen éprouvait un sèntiment mêlé d'amusement et de gêne. Eartha ne prenait pas de gants avec les Vikings : elle bousculait ces hommes auprès desquels elle semblait une naine, se moquant de leurs grognements ou de leurs jurons. Mais Kris-ten savait que, tôt ou tard, elle voudrait voir sa pré-tendue blessure à la tête... et qu'elle ne pourrait pas le lui permettre.

Il régnait une chaleur à laquelle Kristen et ses com-pagnons ne parvenaient pas à s'habituer. La plupart des hommes avaient considérablement allégé leurs tenues, déchirant leurs culottes et arrachant les manches de leurs chemises. Kristen ne pouvait en faire autant et cela l'irritait.

Eartha en termina avec Ivarr et, se tournant vers

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la jeune fille, elle lui demanda d'un geste de lui mon-trer où elle souffrait. Son bandage couvert de sang était suffisamment éloquent. Kristen se contenta de secouer la tête. Eartha voulut défaire le pansement. Kristen recula mais Eartha avança. Quand elle vou-lut à nouveau enlever le bandage, Kristen bondit sur ses pieds, dominant la petite femme de toute sa hau-teur en espérant que cela suffirait à la dissuader. Eartha était têtue. Kristen dut lui emprisonner fer-mement les poignets pour l'empêcher de lui toucher la tête. Elle sentit alors la pointe d'une épée contre son flanc.

Plusieurs autres Vikings se dressèrent à leur tour et le garde, venu aider Eartha, recula. Intimidé, il appela aussitôt à l'aide.

Kristen jura silencieusement en voyant la catas-trophe qu'elle avait déclenchée bien malgré, elle. Sept Saxons accouraient, l'épée à la main. Elle mau-dit Eartha et son obstination mais la lâcha. Thorolf se plaça entre la vieille femme et Kristen.

Heureusement, les Saxons s'arrêtèrent en consta-tant qu'Eartha n'était plus menacée.

— Qu'y a-t-il ? demanda Hunfrith. — Le jeune garçon ne veut pas que je le soigne,

expliqua la guérisseuse. Hunfrith se tourna vers Thorolf. — Guérir. Le laisser seul, dit celui-ci. Hunfrith grommela un juron avant de lancer un

regard noir à Eartha qui avait provoqué un tel cham-bardement pour si peu.

— S'il est capable de sauter comme il l'a fait, c'est qu'il n'a pas besoin de tes soins, vieille bonne femme.

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— Il faut changer son bandage, insista Eartha, il est plein de sang.

— Laisse-le, je te dis. Occupe-toi de ceux qui veu-lent être soignés. Oublie les autres.

Et, se tournant vers Thorolf, Hunfrith ajouta : — Préviens ton ami ! Il ne doit plus jamais porter

les mains sur elle. Il n'avait visiblement aucune envie de créer un

incident alors que tant de Vikings étaient prêts à prendre la défense du garçon. Eartha, quant à elle, se retira en grommelant que ce garçon se comportait un peu trop comme une fille... Un des Saxons com-menta cette réaction en affirmant que c'était sans doute pour cela que les Vikings l'avaient emmené avec eux.

Sous l'insulte, les joues de Kristen se colorèrent vivement. Thorolf le remarqua et haussa un sourcil interrogateur. Elle secoua la tête et rougit plus vio-lemment encore. Comme il était rare de voir Kristen embarrassée, il voulut savoir ce qui se passait. Elle le repoussa violemment et lui tourna le dos.

C'est alors que, jetant un regard vers la demeure, elle remarqua qu'un homme les observait depuis une fenêtre du premier étage. Son visage était dans l'ombre, mais elle éprouva un réel malaise en se ren-dant compte que les gardes n'étaient pas les seuls à les surveiller. Jusqu'à présent, quand elle se concer-tait avec Thorolf et les autres prisonniers, elle veil-lait à ne pas être remarquée par les Saxons qui étaient dans la cour. Dorénavant, ils devraient tous être plus prudents.

On les nourrit après le départ d'Eartha et on leur rendit leurs bottes. Ils ne pouvaient les mettre à

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cause des chaînes qui leur emprisonnaient les chevil-les. On remédia à cette situation dans l'après-midi : un forgeron vint les voir.

Il remplaça la longue chaîne qui les liait les uns aux autres par un nouveau dispositif. Chaque prison-nier fut muni d'une chaîne ridiculement courte reliant les chevilles et d'un anneau supplémentaire à l'autre pied, anneau dans lequel on glissa une chaîne moins longue que la précédente. Le cercle que les Vikings formaient autour du poteau fut ainsi con-sidérablement rétréci. Leur liberté de mouvement était encore restreinte. Cette chaîne serait sûrement retirée tous les matins quand ils iraient travailler, et remise le soir.

Kristen était écœurée par ces nouvelles disposi-tions. La chaîne qui leur entravait les chevilles ne leur permettrait pas de marcher normalement. Avant qu'ils ne s'y habituent, ils trébucheraient et tomberaient maintes fois. C'était une humiliation supplémentaire que leur infligeaient les Saxons.

Comme les autres, elle avait récupéré ses bottes, mais sans leurs garnitures de fourrure. Au moins empêchaient-elles un peu que les anneaux qui lui ser-raient les chevilles ne lui meurtrissent la peau. Ces anneaux étaient étroits — pour elle, on avait dû cher-cher des anneaux spéciaux beaucoup moins larges que pour les autres — et ils ne tarderaient pas à cre-ver le cuir de ses bottes.

Il plut abondamment cette nuit-là. Sous ce déluge, les prisonniers qui dormaient au milieu de la cour furent vite trempés. Pour Kristen, cette situation était encore plus pénible que pour ses compagnons car elle redoutait que cette eau ne lave son panse-

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ment. Finalement, Thorolf l'abrita sous ses propres bras. Pour ce faire, il dut se coucher partiellement sur elle. Le bandage resta sec mais ils ne dormirent pas.

Depuis sa fenêtre, Royce contemplait la scène. Il vit le garçon protester et tenter de repousser Tho-rolf, puis celui-ci claquer les fesses du gamin et lui crier quelque chose à l'oreille avant de l'entourer de ses bras et de l'installer sous lui. Après cela, ils ne bougèrent plus. Les gardes se serraient dans leur abri contre la pluie. Le reste de la cour, devenu une véritable mare de boue, était tranquille.

— Qui est celui qui a attaqué Eartha ? Royce baissa un regard absent vers Darrelle. Elle

l'avait rejoint après avoir rangé les pièces d'ivoire du jeu qu'ils venaient d'utiliser.

— Le Viking ne l'a pas attaquée. Il ne voulait pas qu'elle le soigne, c'est tout.

— Mais elle a dit... — J'ai tout vu, Darrelle. Cette vieille femme

exagère. — S'il lève la main sur moi, j'espère que tu ne le

prendras pas aussi légèrement, marmonna-t-elle. — Sûrement pas, répliqua-t-il en souriant. — Lequel est-ce ? — Tu ne peux pas le voir pour l'instant. — Alden a dit que c'est un jeune garçon qui l'a

blessé. Est-ce le même ? — Oui, c'est le plus jeune de tous. — Tu aurais dû le faire fouetter. Il a levé la main

sur Eartha. — Ils étaient tous prêts à se battre pour lui. Cela

n'aurait servi qu'à augmenter le nombre des blessés.

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— C'est vrai qu'ils ne pourront pas bâtir notre mur s'ils sont blessés... Le mur est plus important. Nous devons d'abord penser aux Danois.

— Je vois qu'Alden est parvenu à te convaincre qu'ils nous sont utiles ?

— Tu voulais tous les tuer, lui rappela-t-elle. Il a réfléchi, lui. Il a compris qu'ils nous seraient plus utiles vivants que morts.

— Tu ne vas pas veiller ton frère ? Indignée, Darrelle pinça les lèvres. — Tu pourrais aussi bien me dire de partir. — J'ai du savoir-vivre, répliqua-t-il en la poussant

doucement vers la porte.

Debout devant sa fenêtre, Royce observait les Vikings au travail. Il n'avait pas encore accepté leur présence à Wyndhurst et il était inquiet dès qu'il ne les avait plus sous les yeux. A la différence d'Alden et de Lyman, il n'était pas vraiment convaincu de l'utilité de ces prisonniers, pas plus que de celle du mur, d'ailleurs. Quand le moment serait venu, ils iraient combattre les Danois dans le Nord, près des frontières du royaume de Wessex. Ainsi, les Danois n'auraient-ils même pas l'occasion de pousser aussi loin au Sud et d'attaquer Wyndhurst.

Mais puisque le roi Alfred désirait que ses nobles fortifient leurs domaines, et comme ils disposaient de l'ample réserve de pierre des ruines romaines pas très loin, il n'avait pu s'opposer à la construction de cette muraille. En moins d'une semaine, les Vikings avaient déjà utilisé toutes les pierres que les serfs avaient mis des mois à transporter.

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— Meghan me dit que c'est devenu une nouvelle habitude pour toi, cousin.

Royce fit volte-face. Alden se tenait sur le seuil de la porte.

— Tu devrais être au lit, non ? Alden poussa un gémissement. — Tune vas pas t'y mettre, toi aussi. Je suis suffi-

samment dorloté par ma sœur et les autres. Royce sourit tandis que son cousin s'approchait

lentement de la fenêtre. — Je suis content que tu sois là, avoua-t-il. Tout

seul, je n'arrête pas de remâcher le passé. Je ne peux m'empêcher de penser qu'ils vont tenter quelque chose. Ils sont presque tous guéris, à présent. Ils sou-lèvent ces pierres comme si de rien n'était.

Alden se pencha par l'ouverture et siffla dou-cement.

— Alors, c'est vrai... Il faut déjà aller chercher d'autres pierres.

— Oui, admit Royce. A deux, ils soulèvent des blocs que cinq serfs n'arrivaient pas à manipuler. Et en une semaine, ils ont utilisé tout notre stock alors que les serfs n'ont même pas encore fini de cons-truire l'abri que je leur destine. Il faudra attendre encore plusieurs jours avant de pouvoir les enfermer la nuit. Et pendant ce temps, il faut toujours autant d'hommes pour les surveiller.

— Tu te fais trop de souci, Royce. Que veux-tu qu'ils fassent, enchaînés comme ils le sont ?

— Il suffit d'une bonne hache pour briser ces chaî-nes, cousin. Un seul d'entre eux pourrait tuer à mains nues deux de nos hommes avant qu'un troi-sième n'ait le temps de dégainer son épée. Et ces

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idiots continuent à rester trop près d'eux. Je les ai pourtant prévenus... Si les Vikings sont décidés à s'échapper, et je ne doute pas qu'ils le soient, ils ne tarderont pas à courir leur chance et nos pertes seront lourdes.

— Brûle leur navire et annonce-leur que la fuite par la mer est impossible, suggéra Alden.

— Je m'étonne que personne ne t'ait dit que c'était déjà fait.

— Tu as donc besoin d'un moyen de pression sur eux, répliqua Alden.

— Oui, mais lequel ? — Tu pourrais les séparer de leur chef. S'ils sont

persuadés que tu le tuerais au premier signe de révolte, cela devrait...

— Non, Alden. J'y ai déjà pensé mais ils disent que celui qui les a conduits ici est mort. C'est le navire de son père que j'ai fait brûler. Ils ont choisi un nouveau chef parmi eux, et ils en choisiront un autre si je le prends comme otage.

Alden fronça les sourcils d'un air pensif. — Ils prétendent qu'il est mort ? Et si ce n'était

pas vrai ? — Quoi ? s'exclama Royce. — S'il était là, parmi eux ? Pourquoi te le diraient-

ils au risque d'en faire une victime désignée ? — Par le Ciel, je n'y ai pas pensé... Royce réfléchit quelques secondes avant de

secouer la tête. — Non, reprit-il, je n'y crois pas. Le seul autour de

qui ils se rassemblent, c'est le garçon. Ils le protègent comme si c'était un bébé.

Au début, il avait cru que le gamin était le frère de

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Thorolf, ce qui aurait expliqué pourquoi celui-ci veil-lait sur lui avec tant d'abnégation. Mais dès qu'ils avaient commencé à bâtir la muraille, tous les autres s'étaient mis, eux aussi, à protéger le garçon, empê-chant les gardes de le brusquer, le soulageant des pierres les plus lourdes, le poussant vers les blocs les plus légers. Chaque fois qu'il tombait, deux d'entre eux au moins se précipitaient pour l'aider à se rele-ver. C'était pourtant le plus sale de la bande : il n'uti-lisait jamais l'eau qui était mise à leur disposition pour se laver.

— Et si c'était lui, leur chef? suggéra Alden en examinant le garçon en question, assis au pied du mur à demi dressé tandis que les dernières pierres étaient mises en place sous les ordres de Lyman.

— Tu as encore de la fièvre, cousin. Ce n'est qu'un gamin. Il n'a même pas de poil au menton. C'est vrai. Ils sont tous très jeunes mais celui-là est presque un enfant.

— Si c'est son père qui a fourni l'embarcation, ils sont bien obligés d'obéir à celui qu'il a choisi pour commander ?

Royce se rembrunit. Après tout, son propre roi était bien plus jeune que lui. Depuis l'âge de seize ans, Alfred assumait les plus hautes responsabili-tés... Ce gamin n'était même pas sorti de l'adoles-cence, il n'avait aucune expérience. Pourtant, c'était cet adolescent sans expérience qui avait blessé Alden, et ce dernier était un guerrier aussi aguerri que Royce. Et maintenant qu'il y pensait, tous les Vikings cessaient immédiatement toute activité dès que l'attention se portait sur le garçon, comme s'ils se tenaient prêts à bondir à son secours.

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— Il est grand temps que j'aie une nouvelle discus-sion avec Thorolf, annonça Royce.

— Lequel est-ce ? — Là, celui qui vient d'appeler le garçon. C'est le

seul qui comprenne plus ou moins notre langue. — Lyman en a fini avec eux pour aujourd'hui,

remarqua Alden. — Oui. Demain, il les amène aux ruines pour leur

faire rapporter des pierres. Ce qui signifie que je vais devoir affecter la moitié de mes hommes à leur sur-veillance.

Ils observèrent pendant quelques instants les gar-des qui rassemblaient les prisonniers pour les pous-ser autour du poteau. Royce allait quitter la pièce quand un cri d'Alden le retint.

— Je crois que nous avons un petit problème... Royce fit volte-face. Un des Vikings était tombé et

Hunfrith lui ordonnait de se relever à grands coups de pied. Il n'eut pas besoin de se demander de quel prisonnier il s'agissait car tout le groupe s'était figé. Thorolf cria quelque chose à Hunfrith. Le gamin en profita pour faucher le pied d'appui du Saxon. Celui-ci atterrit lourdement sur les fesses. Le garçon se redressa en se frottant les mains tandis que les Vikings rugissaient de rire en reprenant leur chemin.

— J'ai prévenu cet imbécile de les laisser tranquil-les, siffla Royce entre ses dents serrées. Il a eu de la chance qu'ils ne s'emparent pas de son arme quand il était à terre.

— Par tous les saints du ciel ! s'écria Alden. Il va attaquer le garçon !

Royce avait vu lui aussi Hunfrith lever son épée,

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et il était déjà dans l'escalier. Malheureusement, quand il arriva dans la cour, le mal était fait. Un des gardes avait appelé à l'aide et les archers encer-claient les prisonniers à bonne distance. Ohthere, gardé en joue par trois soldats, tenait Hunfrith dans une étreinte d'ours et semblait parfaitement capable de lui briser les os. Pour l'instant, du moins, le Viking ne forçait pas.

Thorolf parlait calmement à Ohthere. Du gar-çon, il n'y avait plus aucune trace jusqu'à ce que Royce le remarque finalement en train d'obser-ver la scène par-dessus l'épaule d'un de ses com-pagnons. Il avait été repoussé au centre de leur groupe.

— Dis-lui de relâcher mon homme, Thorolf, ou je devrai le tuer.

Royce prononça ces mots très lentement afin que le Viking comprenne. Il fixait Ohthere qui lui rendait son regard sans la moindre émotion.

— Dis-le-lui tout de suite, Thorolf. — J'ai dit, cousin Ohthere, pas attaquer, expliqua

Thorolf. Les yeux de Royce se tournèrent vers lui. — Il est le cousin du garçon ? — Oui. — Et toi, qui es-tu pour le garçon ? — Ami. — Le garçon est-il votre chef ? Cette question prit Thorolf de court. Il se tourna

vers ses amis pour la leur répéter. Quelques-uns écla-tèrent de rire, ce qui eut au moins pour effet d'apai-ser la tension. Ohthere gloussa lui aussi, et lâcha Hunfrith qui, tremblant, s'écroula à ses pieds. Royce

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le saisit par les revers de sa tunique et le projeta loin des Vikings.

L'épée d'Hunfrith gisait sur le sol entre Royce et Ohthere. Royce la ramassa aussi, laissant la pointe baissée vers le sol.

— Nous avons un problème, Thorolf, dit-il calme-ment. Je ne peux pas permettre que mes hommes soient attaqués.

— Hunfrith attaque. — Oui, je sais, concéda Royce. Je crois que sa

dignité était en jeu. — Fait tomber exprès... méritait coup, rétorqua

Thorolf avec colère. Royce eut besoin de quelques instants pour digé-

rer cette information. — S'il a vraiment fait tomber le garçon, il méritait

peut-être ce qui lui est arrivé. Mais le garçon devient une source d'ennui. Il n'en vaut pas la peine.

— Non. — Non ? Peut-être que si je le séparais de vous

autres et lui donnais des tâches plus faciles... — Non! Une lueur sombre passa dans les yeux verts de

Royce. — Appelle le garçon. Laissons-le décider. — Muet. — C'est ce qu'on m'a dit. Mais il te comprend,

n'est-ce pas ? Je t'ai souvent vu lui parler. Appelle-le, Thorolf.

Cette fois, le blond Thorolf fit semblant de ne pas avoir compris et se tut. Royce décida d'en profiter et de prendre les autres par surprise avant qu'il ne puisse les avertir. Il fit ce que personne n'avait osé

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avant lui : il s'engouffra au beau milieu des Vikings, écartant ceux qui se trouvaient sur son chemin. Et attrapant le garçon par l'épaule, il l'entraîna hors du groupe. Ohthere se précipita mais s'immobilisa quand la lame de l'épée de Royce se posa sur la gorge du garçon.

Royce fixait Thorolf droit dans les yeux. — Je crois que tu m'as menti à propos de celui-là,

Viking. Dis-moi qui il est ! Thorolf ne dit rien. Les gardes s'étaient avancés et

un long javelot l'empêchait d'approcher Royce. D'autres tenaient le groupe à distance.

— Tu veux que je te délie la langue ? Thorolf ne répondait toujours pas. Perdant

patience, Royce traîna le garçon vers le poteau qui se dressait au milieu de la cour. Empêtré dans ses chaî-nes, le gamin chuta lourdement. Royce le souleva par le col tout en aboyant des ordres à ses hommes. Arrivé au poteau, il y colla le visage du garçon, lui noua une corde, apportée par l'un des gardes, autour des poignets et l'attacha au poteau.

Reculant d'un pas, Royce se tourna vers Thorolf — toujours obstinément silencieux, une flamme meur-trière dans les yeux.

Royce se plaça devant le garçon de façon à le cacher à la vue de ses compagnons. Tirant sa dague de sa ceinture, il coupa l'épaisse veste de fourrure. La tunique de cuir qu'il attaqua ensuite était si ser-rée qu'il sut qu'il entamait le dos du gamin tandis qu'il la tranchait du haut en bas le long de la colonne vertébrale. Il n'entendit pas un murmure de protes-tation. Il écarta les pans de la tunique déchirée.

Une peau douce et blanche apparut, laissant Royce

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perplexe. Il n'y avait pas là de muscles épais capables d'endurer la morsure du fouet. Et il avait effective-ment entaillé les tendres chairs du garçon. Un mince trait écarlate courait des omoplates jusqu'aux reins. Il allait faire fouetter un enfant si... Thorolf ne lui disait pas la vérité.

Il s'écarta afin que tous puissent voir ce qu'il avait fait.

— Non ! cria Thorolf. Et repoussant le javelot, il se jeta sur Royce.

Ohthere arracha un javelot des mains d'un autre garde et l'utilisa pour assommer deux hommes, défiant ceux qui s'approchaient de le lui enlever tan-dis qu'il se glissait vers le poteau.

Royce cria pour attirer leur attention et ils se figè-rent en voyant sa dague pressée contre la peau blanche.

— La vérité, Thorolf. — Personne ! Un garçon ! Waite leva le fouet. Thorolf hurla. — Non! Il voulut ajouter quelque chose mais comme le gar-

çon secouait violemment la tête de droite à gauche, il se tut. Ceci fit enrager Royce. Même muet, ce gar-çon savait se faire obéir.

— Tu as eu tort, cracha Royce en contournant sa victime afin de la dévisager tout en surveillant du coin de l'œil le groupe de Vikings. C'est toi qui vas souffrir, pas lui. Tu ne peux pas parler mais lui me dira que c'est toi qui les commandes. C'est évident. Je veux me l'entendre dire.

Il n'attendait pas une réponse d'un muet pas plus

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qu'il ne pensait que le garçon comprenait ses paro-les. Il était furieux qu'ils l'obligent à commettre un tel acte. Et sa fureur grandit encore quand les yeux bleus du garçon se levèrent vers lui une fraction de seconde. « Que le diable l'emporte ! » jura Royce silencieusement. C'était là une réaction de femme. En fait, beaucoup de choses dans ce garçon faisaient penser à une femme. S'il n'avait su que c'était impos-sible, il lui aurait arraché cette tunique pour vérifier cette impression. Mais non, c'était impossible. Beau-coup d'adolescents possédaient une peau de velours et de longs cils soyeux jusqu'à ce qu'ils atteignent l'âge d'homme.

Royce adressa un signe du menton à Waite. La lan-gue de cuir zébra l'air et un murmure s'échappa des lèvres du garçon. On n'entendait aucun bruit dans la cour. Thorolf restait silencieux mais tous les mus-cles de son corps étaient visiblement tendus. Royce hocha à nouveau la tête.

Cette fois, le grand corps mince s'écrasa contre le poteau et fut rejeté en arrière. La tunique de cuir ouverte commença à glisser sur les épaules. Le gar-çon se pressa à nouveau contre le poteau pour la rete-nir mais pas avant qu'un morceau de tissu blanc ne s'échappe.

Royce ramassa le bout de tissu qui ressemblait à un bandage. Il ne vit aucune trace de sang. Il y avait un nœud à un bout tout près de l'endroit qu'il avait tranché en découpant la tunique. Deux ronds se des-sinaient sur le tissu comme s'il avait été utilisé pour...

— Non, c'est impossible ! Mais il vit ce visage baissé. Sa main jaillit et arra-

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cha la tunique. Royce en eut le souffle coupé puis il poussa un abominable juron. Son autre main enleva le bandage qui recouvrait la tête et il poussa un autre juron tandis qu'une longue natte de cheveux dorés se déroulait.

Un gémissement pitoyable s'éleva du rang des pri-sonniers mais elle ne proféra pas un son. Il n'y avait pas une larme dans ses yeux tandis qu'elle le fixait d'un regard étincelant. Quelle sorte de femme était-elle donc pour ne pas avoir peur du fouet ? Ne savait-elle pas qu'il n'aurait jamais fait fouetter une femme ?

Il trancha les liens qui lui entravaient les poignets et elle releva aussitôt sa tunique pour recouvrir sa poitrine. Dès qu'elle eut terminé, il la prit par la main et la traîna vers Thorolf pétrifié.

— Un garçon, hein ? Un garçon ! Et tu m'as laissé la fouetter ! Pour cacher quoi ? Qu'elle était une femme ? Pourquoi ? demanda Royce au comble de la fureur.

— Pour me protéger, répondit Kristen. Le regard de Royce vola jusqu'à elle, mais elle ne

broncha pas devant sa rage. — Et pas muette non plus ! Et elle comprend notre

langue, elle aussi ! Par le Ciel, tu vas me dire pour-quoi tu n'as pas ouvert la bouche pour t'éviter le fouet !

— Pour ne pas me faire violer par les Saxons, répondit-elle simplement.

Il éclata de rire. Un rire cruel. — Tu es trop grande pour mes hommes ! Tu n'as

rien qu'ils puissent désirer. Tu ne t'en étais pas rendu compte, barbare ?

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C'était la colère qui provoquait ces paroles mais elles faisaient mal quand même.

— Que vas-tu faire de moi, maintenant ? osa-t-elle demander.

Royce aurait préféré qu'elle n'ignorât pas ses insultes.

— Tu serviras dans la maison, dorénavant. Si tu te tiens correctement, tu n'auras rien à craindre. Dans le cas contraire... Tu me comprends ?

— Oui. — Alors, explique ça à tes amis. Kristen regarda Thorolf et Ohthere. — Il veut faire de moi une otage dans sa maison

afin d'avoir un moyen de pression sur vous. Il ne faut pas que cela change vos décisions. Vous devez me pro-mettre que si l'occasion se présente, vous vous enfui-rez. Si un seul d'entre vous parvient chez nous, alors il pourra avertir mon père qui viendra me chercher.

— Il te tuera si nous nous échappons. — Il est furieux d'avoir ordonné qu'on fouette une

femme. Il ne me tuera pas. Ohthere hocha sagement la tête. — Alors, nous irons chez les Danois du Nord si la

chance nous sourit. Un de leurs drakkars filera sûre-ment jusqu'en Norvège.

— Bien. Et j'essaierai de vous faire savoir com-ment je vais. Ne vous faites pas de souci pour moi.

— Assez ! aboya Royce en la poussant vers Waite. Amène-la à l'intérieur et que les femmes lui donnent un bain.

Tandis qu'elle s'éloignait, il fixa les marques rou-geâtres qui lui barraient le dos, le sang qui coulait. Il se retourna vers Thorolf.

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— Je sais qu'elle t'en a dit plus que ce que je lui avais ordonné. Je peux te. promettre ceci : si vous essayez de vous enfuir ou de blesser un de mes hom-mes, je ne la tuerai pas. Mais je lui ferai regretter de ne pas être morte. Et tu peux me croire, je ne fais jamais de menaces en l'air.

La demeure du Saxon étonna Kristen qui s'y sentit aussi dépaysée que peu à sa place. Le hall était plus vaste que celui de la maison de ses parents. Chez elle, ce hall était entièrement clos, ce qui donnait l'im-pression de vivre dans une immense caverne et l'hiver, il y régnait un tel froid que la famille préfé-rait se réunir dans la petite pièce où l'on faisait la cui-sine. Ici, rien de semblable — le hall était le cœur du manoir, l'endroit où toutes les activités étaient ras-semblées et où tous les habitants du domaine se retrouvaient. Au fond de la salle, un grand escalier montait à l'étage supérieur. Plusieurs portes s'ou-vraient ici ou là, et le plafond était très, très haut.

L'espace réservé à la cuisine n'était pas séparé du reste de la salle. Un immense foyer couvrait la moitié de la longueur du mur du fond à côté de l'escalier. Une autre cheminée de pierre, presque aussi grande, occupait le centre du mur de droite mais elle était inutilisée, ce qui était compréhensible tant la cha-leur était accablante.

Le sol était recouvert de lattes de bois et résonnait sous ses pas, ce qui semblait indiquer l'existence d'une cave. Un mince tapis carré — identique à ceux

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que Garrick avait rapportés d'Orient — recouvrait le parquet devant deux grandes baies vitrées, là où étaient disposés chaises et tabourets autour de métiers à broder et à tisser. Un coin apparemment réservé aux femmes, et trois d'entre elles y oeuvraient quand Kristen entra.

Les fenêtres et les portes ouvertes laissaient entrer le soleil et une brise tiède. En face du coin des fem-mes, mais à l'autre extrémité de la salle, se trouvait un gros tonneau de bière, des chaises, des bancs et des tables où étaient posés différents jeux. Il y avait aussi un établi couvert d'outils et une longue table encombrée d'armes, d'outils et de quelques bols de bois ayant beaucoup servi. Debout devant l'établi, un homme recouvrait la poignée d'un fouet de fines lanières de cuir. En le voyant, Kristen gri-maça: la douleur qui lui brûlait le dos se fit plus cuisante.

Les sept femmes présentes dans le hall s'étaient figées quand la Viking était entrée, conduite par Waite. Dans cette tenue d'homme à moitié déchirée, avec sa haute taille, Kristen avait l'impressionNd'être une sorte de monstre de foire. Elles portaient toutes des robes à manches longues qui traînaient jusqu'à terre alors qu'elle avait les bras et le dos nus. Elles étaient propres tandis qu'elle était couverte de sueur, de boue séchée et de sang.

Une femme, plus richement vêtue que les autres, quitta son siège et interpella Waite. Sa robe bleu ciel brodée de fils d'or révélait une taille très fine. Ses cheveux auburn étaient tirés en un impeccable chignon, et ses yeux étaient d'un bleu très clair, très brillant, comme ceux de l'homme que Kristen

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avait voulu tuer. Elle aurait pu être très jolie si elle n'avait eu l'air aussi pincé.

Kristen se dit qu'il s'agissait sans doute de la maîtresse des lieux. Cela ne la surprit guère. Le sei-gneur saxon avait une jolie femme. Elle aurait envié cette dame qui avait épousé un homme aussi sédui-sant, si ce même homme ne l'avait retenue pri-sonnière.

— Comme osez-vous amener cet homme ici ? demanda la femme à Waite en traversant la pièce vers eux.

— Milady, c'est une femme, et lord Royce a ordonné qu'on lui donne un bain.

— Une femme? s'étrangla-t-elle en examinant Kristen de la tête aux pieds. C'est impossible !

Waite montra la longue natte de la prisonnière. — Lord Royce l'a fait fouetter. C'est ce qui a révélé

la supercherie. Brutalement, il força Kristen à se retourner avant

d'ajouter : — Ce n'est pas le dos d'un homme. — Une peau blanche et une longue natte ne prou-

vent pas que c'est une femme. Waite gloussa. — Milord s'en est assuré d'une autre façon et vous

n'aurez bientôt plus aucun doute. Milord a demandé que ce soient les femmes qui lui donnent son bain.

La lady eut l'air écœuré. — Et qu'allons-nous faire d'elle après ce bain ? Waite haussa les épaules. — Mettez-la au travail où bon vous semble,

milady. Elle doit rester dans la maison. — A quoi Royce peut-il bien penser? gémit la

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femme. Garder une barbare dans notre propre maison !

— Je crois qu'il veut se servir d'elle comme... — Sans doute, déclara-t-elle avec mépris, comme

ces Vikings devaient se servir d'elle. — Peut-être ça aussi, admit Waite, placide. Mais il

veut surtout l'utiliser comme otage. Un soupir exaspéré accueillit cette information. — Très bien. Qu'on aille chercher la clé de ses

chaînes puisqu'elle doit être lavée. Mais qu'on l'emmène d'abord à la salle de bains et laissez deux hommes avec elle jusqu'à ce que j'aie expliqué à mes femmes leur nouvelle tâche. Elles n'aimeront pas cela plus que moi.

Waite appela deux hommes qui conduisirent Kris-ten dans une petite salle de bains située sous l'esca-lier. Une autre porte donnait à l'arrière sur la cour afin que l'on tire directement l'eau d'un puits. Le baquet en bois qui occupait le centre de la pièce était juste assez grand pour une personne. Les Saxons ne partageaient donc pas leur bain, constata Kristen.

Les deux hommes qui l'accompagnaient ne de-vaient pas être des soldats mais des serviteurs. Ils étaient de petite taille et l'observaient avec crainte comme s'ils savaient qu'ils auraient bien du mal à la retenir si l'envie lui prenait de partir.

Mais Kristen n'avait aucune envie de partir. Elle attendait ce bain avec une réelle impatience. Depuis son arrivée ici, elle n'avait cessé de se maculer de boue afin de dissimuler ses traits. Cela avait consti-tué un vrai test d'endurance. Elle aurait probable-ment supplié le Saxon de lui accorder ce bain s'il n'y avait pas pensé lui-même.

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On lui enleva ses chaînes, et elle s'assit sur un banc pour enlever ses bottes et inspecter l'état de ses che-villes. La peau était irritée mais pas écorchée. Elle guérirait vite si on la dispensait du port de ces anneaux de fer.

Tandis qu'elle démêlait sa natte, un certain nom-bre de jeunes garçons entreprirent de remplir le baquet d'eau froide. Ils ne semblaient nullement dis-posés à la réchauffer mais elle s'en moquait, habi-tuée qu'elle était à nager dans les eaux glacées du fjord.

Quand cinq femmes firent leur entrée dans la petite pièce, sans compter la lady qui resta sur le seuil, Kristen commença à éprouver de l'agacement et se dressa.

— Je peux très bien me laver toute seule, milady. — Et moi qui croyais que tu ne me comprenais

pas. — Je comprends parfaitement. Je dois me laver.

Je le ferai avec joie mais je n'ai pas besoin d'un public.

— Alors, tu n'as rien compris. Les ordres de Royce sont formels : les femmes doivent te laver, et il en sera ainsi.

Kristen n'était pas femme à prendre ombrage d'un détail aussi mineur. Elle haussa les épaules, accep-tant cette situation mais attendant que les hommes soient renvoyés. Ils ne le furent pas. Et les servantes se pressèrent autour d'elle pour la déshabiller. Elle les repoussa avec une telle détermination que deux d'entre elles tombèrent en piaillant.

— Ecoutez, milady... Je permettrai à vos femmes de me laver mais pas devant ces hommes.

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Kristen dut crier pour couvrir les braillements des femmes.

— Comment oses-tu ? Ce n'est pas à toi de me dire ce que tu permets ou non. Je ne te laisserai pas seule avec des femmes sans défense.

Kristen eut envie de rire. Elles étaient cinq, six en comptant la lady, et elles avaient peur d'une femme seule ! Après tout, pourquoi ne pas en profiter ?

Elle pointa un doigt vers les deux hommes qui rou-laient des yeux à l'idée de devoir la mater.

— Ce sont eux qui auront besoin de protection s'ils né partent pas.

De colère, la lady bafouilla des ordres incompré-hensibles. Kristen souleva le banc sur lequel elle s'était assise un peu plus tôt, et le lança sur les hommes.

Royce, qui pénétrait dans le hall, entendit des cris et des hurlements. Puis il vit un de ses serviteurs lit-téralement catapulté hors de la salle de bains. L'autre le suivit de près et vint s'écrouler sur son col-lègue. Quand Royce parvint à la porte de la pièce, l'ambiance s'était considérablement calmée même si Darrelle continuait à bredouiller des sons incohé-rents.

— Que se passe-t-il ici ? — Elle ne veut pas prendre son bain ! — Expliquez-lui pourquoi, milady, parvint à dire

Kristen. Elle était clouée au sol par quatre femmes. Elles

l'avaient saisie par-derrière juste après qu'elle eut expédié le deuxième homme hors de la pièce. Elles étaient parvenues à la faire tomber et s'étaient aussi-tôt couchées sur elle pour l'empêcher de se redres-

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ser. Kristen avait du mal à respirer avec deux fem-mes installées sur sa poitrine et sur son ventre.

— Bon sang, Darrelle ! s'emporta Royce. Je te con-fie une tâche simple et tu en fais un désastre !

— C'est elle qui a commencé ! protesta Darrelle. Elle ne voulait pas se laisser déshabiller. Elle vit avec une bande de barbares et elle fait la timide devant deux serfs.

— Mes ordres étaient que des femmes la baignent, je n'ai pas parlé d'hommes.

— Mais c'est une Viking, Royce! Tu n'espères quand même pas que nous allons rester seules avec elle.

— Dieu du Ciel, ce n'est qu'une femme ! — Elle ne ressemble pas à une femme. Elle n'agit

pas comme une femme. Elle a attaqué ces deux couards avec un banc, et tu veux nous laisser seules avec elle ?

— Lâchez-la ! ordonna-t-il aux servantes. Il souleva Kristen par le col pour la remettre sur

ses pieds. — Si tu me crées encore un problème, femme,

c'est moi qui m'occuperai de toi. Je t'assure que tu le regretteras.

— Je veux prendre ce bain ! J'en ai envie ! — Eh bien, prends-le, fit-il avant de se tourner

vers la plus vieille des femmes présentes. Eda, amène-la dans ma chambre quand vous aurez terminé.

— Royce ! protesta Darrelle. — Quoi? — Tu ne peux pas la... la... — J'ai simplement l'intention de lui poser quel-

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ques questions, Darrelle, et cela ne te regarde pas. Maintenant, va t'occuper de tes affaires. Elles n'ont pas besoin de toi pour lui frotter le dos.

Darrelle, les joues enflammées, quitta la pièce sans lui accorder un regard. Royce n'était pas d'humeur à lui courir après pour un problème aussi ridicule : un bain ! Un simple bain !

Alden l'attendait dans sa chambre. Il n'avait pas bougé et se tenait toujours devant la fenêtre.

— Tu as tout vu ? s'enquit Royce. — Oui, mais je n'ai rien entendu, répondit son cou-

sin avant de demander, curieux : Dis-moi, je ne me suis pas trompé ? J'ai bien vu un corps de femme quand tu lui as arraché sa tunique ?

— Ce gamin a deux jolis seins, en effet. Alden s'esclaffa devant la mine déconfite de Royce,

avant de retrouver son sérieux en comprenant les implications de cette découverte.

— J'étais déjà mortifié de m'être fait embrocher par un gamin, mais par une femme...

— Console-toi, elle vient d'expédier deux serfs hors de la salle de bains. Ce n'est pas une femme ordinaire.

— C'est vrai qu'elle est très grande pour une femme. En tout cas, elle s'est bien moquée de nous jusqu'à présent. Mais pourquoi diable ont-ils emmené une femme avec eux pour un raid ?

Alden haussa les épaules. — Il n'y a pas trente réponses à cette question.

Pour assouvir leurs besoins sur le bateau. Elle n'a pas immédiatement pris part au combat. J'imagine qu'ils ont dû la laisser à bord, et, quand elle les a vus en difficulté, elle a voulu les aider... Après tout, si

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tous les Vikings mouraient, elle restait seule ici. Je comprends mieux pourquoi elle s'est battue comme une furie.

— Oui. Elle était même prête à supporter le fouet plutôt que de révéler son sexe. Elle prétend qu'elle a voulu éviter de se faire violer par les Saxons...

Royce éclata d'un rire cynique avant de conclure : — Un homme est un homme. Pour une putain,

quelle différence entre un Viking et un Saxon ? — Ce doit être une forme de loyauté : elle répugne

à coucher avec les ennemis de sa race. — Peut-être. En tout cas, je comprends pourquoi

ils tenaient tant à ce que nous ne sachions pas qu'elle est une femme. Ils auraient bientôt été enfermés seuls avec elle, la nuit. Mais je me demande ce qu'ils peuvent trouver à une femme aussi gigantesque...

Le point de vue de Kristen sur son aventure — sur le désastre qu'elle continuait à nommer aventure — se modifia radicalement dès qu'elle franchit le seuil du manoir de Wyndhurst. Elle ne devait plus se sou-cier de tenir sa langue ou de cacher sa natte. A pré-sent, elle était confrontée au problème qu'elle avait voulu éviter : comment les Saxons allaient-ils traiter une femme viking ?

Le seigneur des lieux avait laissé entendre qu'elle n'offrait aucun intérêt pour ses hommes. Elle était trop grande, trop masculine. C'était son opinion et elle pouvait comprendre qu'un homme hésite à faire

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l'amour à une femme plus grande que lui, de peur de se sentir inférieur, moins dominateur. Tant mieux. Cela la mettait à l'abri des attentions des Saxons — tous de petite taille — qu'elle avait vus jusque-là. Tous, hormis celui qu'elle espérait tuer un jour, et le maître du domaine lui-même.

Kristen éprouvait des sentiments mêlés à l'égard de lord Royce. Elle l'avait peu vu au cours de cette première semaine de captivité. Quand il était venu jeter un coup d'œil aux prisonniers, elle avait sur-tout cherché à ne pas attirer son attention, évitant de croiser son regard. Mais elle ne pouvait oublier la première fois qu'elle l'avait vu, beau comme un jeune dieu, si droit et fier sur son destrier, n'hésitant pas à défier seize hommes solides et hostiles en traver-sant leur cercle d'une démarche méprisante.

Cet homme ne connaissait pas la peur. Aujourd'hui encore, lord Royce s'était glissé au milieu des Vikings pour leur arracher Kristen, et ceux-ci n'avait pu réagir en le voyant s'avancer parmi eux sans armes.

Kristen ne pouvait s'empêcher de l'admirer. Elle avait toujours aimé observer un beau corps d'homme et les muscles qui roulaient sous la peau pendant l'effort. Et Brenna lui avait appris à ne pas en avoir honte. Celle-ci s'était encore gentiment moquée d'elle, au cours de la fête du départ, alors qu'elle admirait deux de ses amis s'opposant au bras de fer. Oui, un corps solide et puissant était un régal pour les yeux. Et le seigneur saxon ne possédait pas seule-ment un beau corps, mais un visage aux traits magni-fiques.

Si Kristen était sincère, elle devait bien reconnaî-

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tre qu'elle le trouvait splendide. Mais elle n'avait aucune envie que la réciproque fût vraie. Il haïssait trop les Vikings, pour que faire l'amour avec lui soit une expérience agréable. Heureusement, il avait affirmé qu'elle ne présentait aucun intérêt à ses yeux. Aussi longtemps qu'il ne la désirerait pas, elle serait tranquille. Séparée des autres, elle avait tou-jours le même but: ne pas créer de problèmes jusqu'à ce que l'occasion de fuir se présente.

Les femmes l'avaient frottée avec une rage venge-resse comme si elles cherchaient à lui arracher la peau. Elle l'avait supporté justement pour ne pas provoquer de nouveau drame.

Les vêtements qu'on lui donna étaient ridicule-ment petits. Kristen était mince pour sa taille mais en comparaison des femmes de ce pays, elle était immense. Les manches de la robe blanche étaient trop étroites pour ses poignets, et une discussion s'engagea pour savoir ce qu'il fallait faire. Kristen résolut le problème en arrachant les manches à l'épaule. Ses propres robes d'été étaient sans man-ches et il faisait très chaud ici. Les femmes ne paru-rent pas apprécier son initiative mais elles se gardèrent bien de formuler la moindre objection.

La robe, censée lui cacher les pieds, s'arrêtait bien au-dessus des chevilles de Kristen. Mais heureuse-ment que sur elle, ce vêtement était informe car il n'en dissimulait que mieux les courbes de son corps.

On emporta ses bottes et on lui donna une paire de sandales mieux adaptées pour la vie à l'intérieur de la maison. Elles auraient été parfaites si on ne lui avait pas remis les anneaux de fer aux chevilles. Les chaussures ne montaient pas assez pour protéger la

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peau du contact du métal. Décidée à ne pas accepter cela sans lutter, elle protesta. La plus âgée, Eda, pré-féra sagement laisser une plus haute autorité déci-der et, emportant les anneaux et les chaînes, elle précéda Kristen et les deux autres femmes qui l'escortaient au premier étage.

Kristen était nerveuse à l'idée de revoir lord Royce. Elle ne pensait pas qu'il la trouverait à son goût dans ce ridicule déguisement, mais une infime possibilité existait, maintenant qu'elle était propre et coiffée.

Assis à une petite table, il aiguisait une longue épée à double tranchant quand Eda poussa Kristen dans la pièce. Sans expliquer pourquoi la prisonnière ne portait pas ses chaînes, elle se contenta de les poser sur la table avant de partir, laissant Kristen debout au milieu de la pièce.

C'était une chambre vaste et dépouillée. Il y avait là un lit très bas, un coffre, une petite table et quatre chaises. En face de la porte, entre les deux fenêtres, un autre coffre fermé par une serrure semblait ser-vir de banc. Une autre fenêtre à côté du lit donnait sur la cour. Il n'y avait aucune décoration sur les murs et pas de tapis sur le sol. Seul un des murs était couvert par un assortiment d'armes.

Elle ne l'avait pas encore regardé. Elle attendait qu'il lui adresse la parole. Mais elle avait déjà tout examiné dans la pièce — Kristen n'était pas femme à garder les yeux timidement baissés vers le sol —, et le silence s'éternisait.

Elle commença par ses bottes puis remonta lente-ment le long de son corps jusqu'à ce que leurs yeux se rencontrent. Elle éprouva un choc: il n'y avait

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aucune haine dans le regard de Royce. Seulement de la surprise.

— Qui es-tu ? demanda-t-il. La question semblait lui avoir été arrachée par sa

propre stupéfaction. A quoi pouvait-il donc penser ? — Que voulez-vous savoir ? Mon nom est Kristen,

cela vous suffit-il ? A la façon dont il se leva, elle comprit qu'il n'avait

pas entendu un seul mot. Il ne s'était pas encore remis de son étonnement mais celui-ci était mêlé à un autre sentiment qu'elle ne sut définir. Il s'arrêta à quelques centimètres seulement d'elle, leva la main et, de ses doigts, suivit les contours de ses lèvres sen-suelles.

— Tant de beauté si bien cachée, dit-il. Craintive, Kristen recula. — Vous avez dit que je suis trop grande pour vous. — C'était avant. Elle gémit intérieurement. Oui, c'était bien le désir

qui faisait briller les yeux verts du Saxon tandis qu'il la détaillait une nouvelle fois des pieds à la tête. Elle ne se faisait aucune illusion : elle n'était pas de taille à lutter contre lui. Il portait une tunique à manches longues aujourd'hui, et les puissants muscles dont elle gardait un souvenir si précis gonflaient l'étoffe de façon impressionnante. Il avait des mains capa-bles de la broyer. Et rien ne pourrait l'empêcher de faire d'elle ce qu'il voudrait car elle était son enne-mie et son esclave.

— Vous aurez du mal à me violer, je vous préviens, gronda-t-elle d'une voix sourde.

Il la fixa encore, le vert de ses yeux soudain assombri.

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— Te violer ? C'est une plaisanterie ! Tu crois que je vais m'abaisser à violer une putain viking ?

Kristen n'avait jamais subi une telle injure. Une réplique cinglante lui brûla les lèvres mais elle la retint au dernier moment. Elle comprenait pourquoi il était arrivé à cette conclusion. Comment expliquer autrement qu'elle navigue avec un équipage entière-ment composé d'hommes ?

Il était retourné s'asseoir et ne la regardait plus. Il semblait lutter contre sa propre colère. Elle se demanda fugitivement pourquoi il éprouvait une haine si farouche des Vikings.

— Auriez-vous autant de scrupules si j'étais une vierge viking ?

Elle devait savoir. — Avoir une vierge viking à ma merci ne serait

que justice. J'userais d'elle exactement comme vos amis usent des femmes saxonnes.

— C'est la première fois que nous abordons vos côtes.

— D'autres de chez vous sont déjà venus ! C'était donc cela. Des Vikings avaient razzié cet

endroit. Quel être cher avait-il perdu pour être aussi amer ? Il ne voulait pas toucher une putain parce que ses ennemis l'avaient déjà souillée, mais il était prêt à assouvir sa haine sur une vierge innocente unique-ment parce qu'elle était viking. Quelle ironie... Elle resterait intacte parce qu'il la prenait pour une putain.

De stupeur, elle faillit éclater de rire. Mais si c'était le seul moyen dont elle disposait pour se pro-téger... Comment une putain se serait-elle conduite ?

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— Vous vouliez me questionner ? lui rappela-t-elle.

Tout danger écarté, elle retrouvait son aplomb. — Oui. Que sais-tu des Danois ? — Ils apprécient votre pays, proposa-t-elle sans

pouvoir s'empêcher de sourire. — Tu trouves ça amusant ? demanda-t-il bruta-

lement. — Non, je suis désolée, fit-elle, contrite mais en

continuant à sourire. Je ne sais pas grand-chose d'eux. Nous venons d'un pays différent du leur. Les seuls Danois que j'aie connus étaient des marchands comme... comme beaucoup des gens de mon peuple.

Elle devait se montrer plus prudente. S'il appre-nait que son père était un marchand, il trouverait bizarre qu'elle soit obligée de vivre de ses charmes. Mieux valait le laisser penser qu'elle n'avait aucune famille.

Les pensées de Roycei avaient suivi le même cours. — Pourquoi une femme comme toi doit-elle se

vendre pour survivre ? — Quelle importance ? Il parut hésiter puis finit par hausser les épau-

les. Il garda le silence quelques instants, assis tan-dis qu'elle était debout devant lui à côté de trois chaises vides. Elle avait travaillé toute la matinée, subi le fouet, pris un bain qui avait été un véri-table supplice et maintenant, elle devait rester debout pour cet interrogatoire. Loki, le prince des démons, devait bien rire. Elle s'assit en tailleur sur le sol.

— Bon sang! femme, tu n'as donc aucune ma-nière ?

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— Moi ? Et vous, qui me laissez debout alors que vous êtes assis.

— Tu n'as peut-être pas encore compris que ton statut est inférieur à celui du plus misérable de mes serfs.

— Ainsi, ce misérable serf peut s'asseoir et moi pas ? C'est cela que vous voulez me faire compren-dre ? Je suis si vile que je ne puis espérer la plus minime des courtoisies ?

— Exactement. Qu'espérait-elle ? Qu'il présente des excuses à son

esclave ? Elle se redressa en riant. — Très bien, Saxon. Une Norvégienne est capable

d'endurer bien pire que cela. Cela eut le don d'irriter Royce davantage. Il bondit

sur ses pieds comme s'il allait se jeter sur elle. Mais, au dernier moment, il lui tourna le dos.

Il était en proie à un cruel dilemme. Dès l'instant où elle avait franchi la porte de sa chambre, il avait éprouvé une formidable attirance pour cette femme si fière. Pourtant, elle le dégoûtait. Il la haïssait, elle et tous ceux de sa race. Mais dès qu'il posait les yeux sur elle, il avait envie de la toucher. Et quand il l'avait fait, il avait senti une peau aussi douce que la soie.

Elle était trop belle pour être vraie et Royce s'en voulait de la désirer. Il s'en voulait surtout de lui avoir laissé entrevoir son désir. Il avait cherché à l'humilier, à la rabaisser, mais surtout pour se rap-peler à lui-même ce qu'elle était. Elle se vendait à n'importe qui. Elle avait sans nul doute couché avec tous les hommes du bateau. C'était une putain viking. Il n'existait pas de femmes d'une pire espèce.

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Mais elle ne le craignait pas et c'était là le pro-blème. Elle aurait dû trembler devant lui. Une autre aurait depuis longtemps fondu en larmes et demandé grâce. Mais celle-ci se montrait insolente et se riait de sa colère.

— Je devrais peut-être partir. Royce fit volte-face, les yeux brillant de fureur. — Tu ne quitteras pas cette maison, femme. — Je ne parlais que de cette chambre... Il semble

que vous ne supportiez pas ma présence. — Oui, tu peux partir... Après avoir remis ceci. Il ramassa les chaînes sur la table et les lui lança.

Par réflexe, elle les attrapa au vol. La chaîne s'enroula autour de son poignet et l'un des lourds anneaux de fer heurta son bras — elle grimaça. Entre ses mains, ces chaînes auraient pu constituer une arme redoutable, mais elle n'y pensa pas. Elle les contempla, l'air écœuré.

— Vous voulez que je les remette ? Il hocha sèchement la tête. — Oui. Ainsi, tu n'oublieras pas que tu n'es qu'une

esclave. Méprisante, elle le défia du regard. — Je ne me faisais aucune illusion mais vous

devrez me les mettre vous-même. Elle laissa tomber les chaînes par terre. — Tu n'as qu'à passer les anneaux, femme, fit-il,

se méprenant sur le sens de son refus. — Fais-le toi-même, Saxon. Les yeux de Royce n'étaient plus que des fentes,

tout à coup. Une telle témérité méritait un châtiment immédiat. Mais il se doutait qu'il faudrait plus qu'une simple bastonnade pour la briser.

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Il ramassa les chaînes, s'agenouilla lentement devant elle et lui passa les anneaux autour des chevil-les. Kristen ne broncha pas et le laissa faire, fixant l'épaisse crinière de cheveux châtains à quelques centimètres de ses mains. Quel dommage qu'ils aient été ennemis. Elle aurait aimé rencontrer cet homme dans d'autres circonstances.

Il leva les yeux, se méprit à nouveau sur ses pen-sées et regretta la cruauté d'un tel traitement.

— Où sont tes bottes ? — La vieille femme, Eda, a dit qu'elles ne conve-

naient pas pour travailler dans la maison. — Alors, tu devras mettre des chiffons sous le fer

pour éviter de t'écorcher. — Quelle différence, milord ? Ce n'est que ma

peau et je ne vaux même pas le plus misérable de tes serfs.

Il se redressa en fronçant les sourcils. — Je ne souhaite pas te maltraiter, Kristen. Qu'il se souvienne de son nom la surprit. Il n'avait

cessé de l'appeler « femme » depuis le début. Mais elle était de nouveau enchaînée.

— Oh ! ainsi, je mérite au moins les mêmes atten-tions qu'une de tes bêtes ?

Il entra dans son jeu. — Oui, tu seras traitée comme elles. Ni mieux ni

plus mal. Elle hocha la tête. De sa vie, elle ne s'était sentie

aussi humiliée mais elle aurait préféré mourir plutôt-que de le lui montrer. Elle se détourna, prête à partir. Il la retint par le bras. Malgré elle, elle remarqua la chaleur de sa main. Il ne la lâcha pas tant qu'elle ne le regarda pas de nouveau.

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— Je ne peux pas te laisser dormir dans le hall avec les autres serviteurs, il faudrait qu'un garde te surveille en permanence. Tu auras donc une cham-bre dans laquelle on t'enfermera. Ainsi, tu n'auras pas à...

Il s'interrompit avant de conclure : — Tu pourras dormir sans porter les chaînes. Je

donnerai les clés à Eda pour qu'elle te les enlève cha-que soir.

Kristen ne le remercia pas. Elle lui tourna le dos et quitta la chambre en mettant dans sa démarche titubante toute la fierté dont elle était capable.

Elle méritait tout cela. Elle le méritait pour avoir défié ses parents, pour s'être lancée sans réfléchir dans cette stupide et tragique aventure. Tout à coup, elle se sentait complètement perdue, solitaire/Selig aurait su quoi faire s'il avait été là. Il lui aurait donné de l'espoir avant qu'on ne la sépare des autres. Mais Selig était mort, ô Seigneur... Selig!

Elle s'abandonna à son chagrin pour la première fois dès que plus personne ne put la voir. Elle le fit calmement, pleurant sur place et sans bruit entre la chambre de Royce et l'escalier. Les larmes ruisselè-rent sur ses joues. C'était un luxe qu'elle ne se per-mettrait plus.

Quatre chariots quittaient la cour : deux d'entre eux remplis de prisonniers et le troisième d'hommes en armes, tandis que le dernier était vide. Ces cha-riots reviendraient plus tard, tous chargés des blocs

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de pierre arrachés aux ruines romaines. Si un caprice du destin n'avait pas incité le seigneur de ces lieux à croire qu'elle était leur chef, Kristen aurait été à présent avec ses amis.

Et elle aurait pu s'enfuir avec eux. Elle ne voyait que neuf gardes pour seize Vikings. C'était dérisoire. Et c'était le signe qu'ils attendaient tous : ils allaient donc tenter leur chance aujourd'hui. Quant à elle, elle resterait ici, abandonnée à son sort et à la ven-geance des Saxons.

Elle leur avait dit de ne pas se soucier d'elle, que le seigneur saxon ne la tuerait pas. Elle s'était effor-cée de les convaincre de penser d'abord à eux-mêmes et à leur propre salut car elle savait que s'ils ten-taient de la libérer, ils perdraient toutes leurs chan-ces de réussir leur évasion. Et maintenant, ils partaient sans elle.

Debout devant la cheminée du hall, Kristen eut un petit pincement au cœur en voyant par la fenêtre dis-paraître ses compagnons. Elle avait passé une nuit atroce sur une paillasse, dans une petite chambre. Le confort y était bien plus grand que dans la cour, mais elle s'y sentait plus malheureuse parce que solitaire. Le malheur est plus facile à supporter quand il est partagé.

Les tâches qu'on lui avait assignées n'étaient pas trop pénibles. Elle avait toujours accompli sa part de travail dans la maison, chez elle. En hiver, à l'époque des grands froids et des tempêtes, on ne demandait pas aux serviteurs de quitter leurs quartiers chauf-fés près des écuries. C'était alors Kristen et sa mère qui s'occupaient du ménage et de la cuisine. En fait, Kristen se montrait bien plus travailleuse que sa

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mère. Brenna n'avait jamais aimé le « travail de bonne femme », comme elle l'appelait, rappelant sans cesse qu'elle se considérait comme un garçon manqué et qu'on ne demandait pas aux garçons de s'acquitter de ces besognes. Mais Kristen ne parta-geait pas ces préjugés et elle accomplissait volon-tiers ce « travail de bonne femme ». Ce qu'elle ne supportait pas, ici, à Wyndhurst, c'étaient les ordres brefs que lui jetaient sans cesse les serviteurs.

— Est-ce que cela fait très mal ? Kristen se retourna. Une petite fille venait de

s'asseoir au bout de la longue table sur laquelle elle avait servi le petit déjeuner. C'était une belle enfant, avec un joli petit visage tout rose et propre et deux nattes aubum recourbées au-dessus de ses épaules. Comme elle fixait Kristen de ses grands yeux verts, celle-ci présuma que la question s'adressait à elle.

— Qu'est-ce qui fait mal ? — Tes pieds. Ils saignent. Kristen baissa les yeux. Du sang coulait de sa che-

ville gauche. Elle avait été stupide de refuser obstiné-ment de se protéger. C'était puéril et complètement ridicule de sa part. Elle ne l'avait fait que pour éveil-ler chez le seigneur saxon un hypothétique sentiment de culpabilité, et n'avait réussi qu'à se blesser davan-tage. Quant à lui, cela ne lui faisait apparemment ni chaud ni froid. Après tout, c'était lui qui avait ordonné qu'on l'enchaîne.

Elle regarda de nouveau la petite fille qui la con-templait toujours.

— Non, assura Kristen avec un sourire, ça ne fait pas mal.

— Vraiment ? Tu ne sens pas la douleur ?

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— Bien sur que si. Mais, pour être franche, j'ai tant d'autres problèmes en tête, que je ne fais guère attention à une petite douleur tout en bas.

Elle montrait ses pieds. La petite fille pouffa. — Ça ne fait pas un drôle d'effet d'être si grande ? — Non. — Mais tu es plus grande qu'un homme et... Le rire de Kristen l'interrompit. — En Norvège, la plupart des hommes sont plus

grands que moi. — Oh ! oui, les Vikings sont tous très grands. Kristen sourit. — Quel est ton nom, petite fille ? — Meghan. — Il fait si beau. Comment se fait-il que tu ne sois

pas dehors à chasser les papillons ou à cueillir des fleurs, ou bien à chercher des nids d'oiseau ? C'est ce que je faisais à ton âge. Ne serait-ce pas plus drôle que de rester assise dans ce hall ?

— Je ne quitte jamais Wyndhurst. — Pourquoi ? C'est dangereux ? L'enfant contempla ses mains posées sur la table

devant elle. — Ce n'est pas dangereux mais je n'aime pas sor-

tir seule. — Mais il y a d'autres enfants ici. — Ils ne jouent pas avec moi. Kristen fut émue par la tristesse avec laquelle

Meghan avait dit cela. Ce fut Eda, qui venait d'arri-ver, qui donna la réponse à la question qu'elle ne posa. pas.

— Les autres enfants ont peur de jouer avec la

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sœur de milord. D'ailleurs, toi non plus, tu ne devrais pas lui parler, lui siffla-t-elle à l'oreille.

Kristen adressa un regard glacial à la femme. — Jusqu'à ce qu'on me l'interdise, je parlerai à qui

je veux. — Vraiment, barbare ? rétorqua Eda. Alors, ne

t'étonne pas s'il te l'interdit tout de suite. Il n'a pas l'air très content.

Kristen n'eut pas le temps de se demander ce qu'elle voulait dire. Une poigne cruelle lui meurtrit l'épaule et l'obligea à se retourner pour faire face à un Saxon enragé.

Royce ne pensait pas à sa sœur car il n'avait même pas remarqué sa présence dans le hall. Quand il avait pénétré dans la vaste pièce, ses yeux avaient immé-diatement été attirés par la blonde chevelure devant la cheminée. Il n'avait pas revu Kristen depuis qu'elle avait quitté sa chambre, la veille. II avait pris son dîner dans la chambre d'Alden, évitant délibéré-ment le hall et la Viking.

Tandis qu'elle lui tournait le dos, il l'avait observée de la tête aux pieds. La vue du large filet de sang qui s'écoulait sous l'anneau de fer avait déclenché sa colère.

— Tu te trompes ! Ce n'est pas en t'infligeant de telles blessures que tu te feras retirer tes chaînes !

— Je n'y pensais même pas, répliqua-t-elle. — Alors, explique-toi ! Je t'ai ordonné de te proté-

ger avec des chiffons. — J'ai oublié de les demander, mentit-elle avant

d'ajouter d'un ton bravache : On m'a traînée ici avant le lever du soleil et mise au travail immédiatement. J'avoue que je dormais à moitié et que je ne pensais

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plus à ces chaînes qui font partie de ma chair main-tenant.

De furieux, il devint perplexe. A l'évidence, il se demandait s'il devait la croire ou non. Cette per-plexité réjouit Kristen qui s'esclaffa, accroissant du même coup le trouble du seigneur saxon.

— Ah ! milord, vous pensiez sans doute que je dési-rais éveiller votre sympathie ? Soyez assuré que je ne suis pas stupide au point de vous croire capable de tels sentiments.

Il rougit de colère puis devint livide. Elle crut qu'il allait la frapper. Elle venait de se moquer de lui et de l'insulter. Apparemment, il n'était guère habitué à ce genre de comportement de la part d'une femme.

Il se tourna vers Eda avec une expression terri-fiante.

— Occupe-toi de son pied tout de suite et veille à ce qu'elle n'oublie plus de se prémunir contre les blessures.

Après un dernier regard furieux à Kristen, il s'éloi-gna. Eda le suivit tout en grommelant qu'elle avait suffisamment de travail pour ne pas, en plus, dorlo-ter une barbare à moitié folle qui n'avait qu'une préoccupation : faire enrager son seigneur. Kristen sourit, ignorant la vieille femme. Au bout du compte, ce Saxon n'était pas si différent des autres hommes qu'elle connaissait.

— Comment oses-tu rire alors qu'il est si en colère contre toi ?

Kristen avait oublié Meghan. Elle se tourna vers elle et vit ses grands yeux verts emplis de stupéfac-tion et d'effroi.

— Il n'était pas si en colère que cela.

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— Tu n'avais vraiment pas peur, même un tout petit peu ?

— J'aurais dû ? — Moi, j'avais peur. Kristen fronça les sourcils. — Eda dit qu'il est ton frère. Tu n'as quand même

pas peur de ton frère ? — Non... enfin, quelquefois... — Il te bat ? Meghan parut surprise par cette question. — Oh ! non, il ne m'a jamais battue. — Alors, pourquoi as-tu peur de lui ? — Il pourrait me battre. Il est si grand et il a l'air

si méchant quand il est en colère ! Kristen rit avec gentillesse. — Ma pauvre petite, la plupart des hommes ont

l'air méchant quand ils sont en colère, mais cela ne veut pas dire qu'ils le soient vraiment. Et ton frère est grand, c'est vrai, mais mon père est bien plus grand encore — enfin, un petit peu plus, en f^it — et il a très mauvais caractère, lui aussi. Pourtant, il n'y a pas d'homme plus gentil, et per-sonne n'aime sa famille autant que lui. Mes frères ont un drôle de caractère, eux aussi, mais tu sais ce que je fais quand ils me disputent avec cet air méchant ?

— Quoi? — Je crie plus fort qu'eux. — Et ils sont plus grands que toi ? — Oui, même le plus jeune qui a à peine quatorze

ans m'a déjà dépassée. Et il va encore grandir. Et toi, tu n'as pas d'autre famille, à part ton frère ?

— J'avais un autre frère, mais je ne me souviens

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pas de lui. Il est mort avec mon père quand les autres Vikings sont venus, il y a cinq ans.

Kristen grimaça. Par le sang du Christ, le Saxon avait de bonnes raisons de les haïr, elle et les siens. Pas étonnant qu'il ait voulu tous les tuer. Elle ne comprenait pas pourquoi il avait changé d'avis...

— Je suis désolée, Meghan, dit-elle avec douceur. Ton peuple a beaucoup souffert à cause de nous.

— C'étaient des Danois, ces Vikings. — Cela ne fait pas une grande différence. Nous

aussi, nous sommes venus ici pour razzier et piller. Mais nous n'avions rien contre vous, si cela peut te consoler.

— Tu veux dire que tes amis n'auraient pas atta-qué Wyndhurst ?

— Non, ils avaient des vues sur un monastère, plus loin à l'intérieur des terres. Quelle ironie !

— Jûrro ? — Oui. — Mais il a été détruit par les Danois il y a cinq ans

et on ne l'a jamais reconstruit. — Ô Seigneur! gémit Kristen. Selig et tous les

autres sont morts pour rien... — Selig était ton ami ? demanda Meghan,

hésitante. — Mon ami. Oui, mon ami... et mon frère, répondit

Kristen d'une voix brisée. — Tu as perdu ton frère dans la forêt ? — Oui... oui... oui ! Le poing de Kristen s'abattit sur la table et comme

cela ne suffit pas à la soulager, elle la renversa carré-ment. Elle se dirigeait vers la sortie quand Eda la rattrapa.

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— Ne fais pas ça, barbare, la prévint-elle. Tu seras punie.

— Ça m'est égal ! — Pas sûr. J'ai entendu ce que tu as dit à la pe-

tite. Je ne voulais pas écouter mais j'ai entendu. Je suis désolée pour la perte que tu as subie, et je t'assure que jamais je n'aurais pensé pouvoir dire une chose pareille à un membre de ta race. Mais te faire du mal ne servira à rien, cela ne les fera pas revenir. Retourne là-bas et remets tout en ordre. Personne n'a besoin de savoir que c'est toi qui as fait ça.

Kristen s'immobilisa pour examiner la vieille femme. Finalement, elle hocha la tête et retourna vers la table. Elle soupira et constata l'étendue des dégâts. Meghan avait disparu et, fort heureusement, il n'y avait personne d'autre dans le hall.

— L'enfant ? Eda fit la moue. — Elle a eu peur quand tu es devenue violente.

Elle y réfléchira à deux fois avant de revenir te parler...

Deux semaines s'étaient écoulées depuis que Kris-ten avait été séparée de ses compagnons. Thorolf et les autres n'avaient apparemment pas eu l'occasion de s'enfuir car ils travaillaient toujours au mur d'enceinte. Elle avait été dans l'incapacité de leur parler ou même de se laisser voir par eux afin de leur

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montrer qu'elle se portait bien. Dès qu'elle s'appro-chait d'une fenêtre ou d'une porte, quelqu'un se trou-vait là pour la forcer à reculer. Elle était sous la constante surveillance des serviteurs et des gardes personnels de Royce.

Elle avait mis ce temps à profit pour en apprendre un peu plus au sujet des Saxons. On la traitait avec un curieux mélange de crainte et de mépris, à l'ex-ception notable d'Eda qui lui témoignait une sorte de respect bourru. Parfois, Kristen avait même l'impression que la vieille femme s'était prise d'af-fection pour elle. Eda constituait donc sa principale source d'informations.

Kristen en savait maintenant assez long sur Wyndhurst et sur son seigneur. Le manoir et ses domaines procuraient des moyens de subsistance suffisants à ses occupants. Ce qui était une nécessité, car la ville la plus proche était cependant fort éloi-gnée. Royce était un baron, un noble attaché au ser-vice de son roi, et son domaine était très étendu. Comme en Norvège, il existait ici des hommes libres qui cultivaient la terre ou bien travaillaient au manoir en échange d'un certain salaire. Ils pouvaient acheter de la terre mais devaient des impôts à la Cou-ronne et à l'Eglise et étaient soumis à des devoirs militaires. Royce entraînait les hommes de la région en vue de la guerre prochaine contre les Danois. Beaucoup d'entre eux avaient déjà rejoint sa garde personnelle. Il avait aussi enrôlé quelques-uns de ses serfs les plus solides : ces hommes-là n'étaient pas libres mais attachés à la terre sur laquelle ils étaient nés. Dans certains cas, ils avaient la possibilité d'acheter leur liberté. Bientôt, Royce disposerait

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d'une véritable petite armée qui grossirait les forces du roi Alfred, le moment venu.

De Royce lui-même, Kristen avait appris qu'il n'était pas marié et qu'il devait prendre femme au cours de l'année. Eda ignorait presque tout de sa pro-mise sinon qu'elle vivait loin au Nord — elle ne venait pratiquement jamais à Wyndhurst — qu'elle s'appe-lait Corliss, et qu'elle était, paraît-il, très belle. Eda en savait beaucoup plus sur la première fiancée de Royce, lady Rhona, et Kristen se surprit à éprouver de la compassion pour le Saxon quand elle sut ce qui s'était réellement passé au cours du raid des Vikings, cinq ans plus tôt. Il avait aimé Rhona profondément, mais personne ne connaissait ses sentiments à l'égard de Corliss.

La cousine de Royce, Darrelle, tenait la maison. C'était un personnage curieux, dont l'humeur variait du tout au tout d'une seconde à l'autre. Hautaine et condescendante, elle devenait suppliante et lar-moyante l'instant d'après. Kristen l'avait vue un jour fondre en larmes quand Royce, à bout de patience, l'avait vertement rabrouée. Il lui arrivait aussi de pleurer pour des détails aussi minimes que quelques fils mal placés sur une broderie.

Darrelle ignorait superbement Kristen, ce qui réjouissait cette dernière : dans la mesure où elles n'avaient aucun contact, il ne pouvait y avoir de pro-blèmes entre elles. Quant à Meghan, Kristen se reprochait de lui en avoir trop dit lors de leur pre-mière rencontre. Si Royce apprenait qu'elle avait perdu un frère lors du débarquement des Vikings dans la forêt, il pourrait réévaluer son opinion à son propos : une prostituée n'a pas de frère. Mais Meg-

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han n'avait, à l'évidence, pas parlé. Et Eda avait deviné juste: l'enfant n'avait plus osé approcher Kristen.

Royce l'ignorait lui aussi ou plutôt, il faisait sem-blant. Elle l'apercevait tous les jours car il ne pouvait éviter de traverser le hall, mais il se gardait bien de regarder dans sa direction. Pourtant, elle le surpre-nait parfois en train de l'observer.

Cette attitude amusait Kristen. Elle savait qu'il la méprisait pour ce qu'il croyait être son « métier » et aussi parce qu'elle était viking. Pourtant, il ne pou-vait s'empêcher d'être attiré par elle. C'était cette lutte contre lui-même, contre cette attirance qu'il éprouvait, qui était si réjouissante. Elle sentait son regard sur elle et dès qu'elle se tournait vers lui, il détournait les yeux.

Une fois, néanmoins, loin de se détourner, Royce l'avait fixée avec une telle intensité que l'homme qui venait lui faire son rapport avait dû répéter trois fois son nom avant d'obtenir son attention. Kristen avait éclaté de rire et les riches échos de sa voix avaient traversé le hall jusqu'à Royce. Il avait alors posé sa coupe de vin avec violence sur la table avant de quit-ter la pièce sous les regards médusés de ses hommes et celui, ravi, de Kristen.

Elle se remémorait souvent cette soirée. En fait, elle pensait beaucoup à Royce. Savoir qu'il la dési-rait lui procurait une sensation enivrante. Et, grâce en soit rendue à sa mère, elle en connaissait la raison.

Brenna lui avait dit un jour : — Tu reconnaîtras ton homme dès l'instant où tu

le rencontreras. C'est ce qui m'est arrivé et j'ai trop souffert de ne pas avoir su l'accepter. Ne sois pas

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comme moi, ma fille. Quand tu rencontreras un homme qui emplira tes sens de joie, qui te donnera une impression étrange et merveilleuse à sa simple vue, sache que c'est cet homme qui te rendra heu-reuse. C'est lui que tu devras aimer comme j'aime ton père.

Kristen avait été subjuguée par Royce dès le pre-mier instant. Poser les yeux sur lui était un réel plai-sir. Et quand il s'approchait d'elle, sa peau frémissait. Elle se sentait différente, plus vivante, plus consciente d'elle-même. Si elle avait retrouvé son sens de l'humour, c'était à sa présence qu'elle l'attribuait car elle n'avait envie de rire que quand il se trouvait près d'elle. Elle n'était pas idiote au point de croire qu'elle l'aimait car elle aurait quitté cet endroit dans la minute si elle l'avait pu. Mais elle savait qu'elle désirait Royce de Wyndhurst : elle vou-lait le toucher, sentir ses bras autour d'elle, le con-naître comme une femme connaît un homme. L'amour pouvait naître de tels sentiments et il surgi-rait certainement — si elle restait assez longtemps pour cela.

L'ironie du destin avait voulu qu'après avoir été un objet de désir pour tant d'hommes, Kristen fût atti-rée par le seul auquel elle ne pouvait se donner. Elle se sentait assez sûre d'elle pour penser qu'elle ferait l'amour avec lui à l'heure de son choix. Mais qu'arriverait-il ensuite? Aurait-il suffisamment le sens de l'honneur pour l'épouser ? Il était déjà fiancé. Elle était sa prisonnière et, en réalité, son esclave comme Eda le lui avait brutalement rappelé un jour, il haïssait son peuple. La passion seule pouvait-elle venir à bout de tout cela ?

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Les Vikings répugnaient à laisser la fatalité régler leur vie. Ils croyaient généralement que les dieux récompensaient ceux qui façonnaient la destinée avec leurs mains et avec leurs armes. Les Vikings n'appréciaient ni la patience ni la résignation. Ils luttaient pour obtenir ce qu'ils voulaient. Il n'y avait pas d'honneur dans la défaite.

Ces sentiments avaient été insufflés en Kristen dès son plus jeune âge, ils coulaient dans ses vei-nes même si elle avait choisi d'être chrétienne. En tant que chrétienne, elle savait que seul Dieu restait maître de son destin. Mais, en tant que fille de Viking, elle voulait faire de Royce de Wyndhurst son époux. Il lui faudrait donc le mériter, le gagner. Il lui faudrait vaincre la fatalité qui les avait oppo-sés. Il lui faudrait se battre afin d'obtenir ce qu'elle voulait et pour cela, utiliser toutes les armes dont elle disposait.

Il était tard. Deux des cinq femmes qui préparaient les repas et servaient à table étaient malades, lais-sant aux trois autres une tâche accrue et les obli-geant à veiller beaucoup plus tard qu'à l'ordinaire. Kristen faisait partie de ces trois-là et les deux autres semblaient persuadées que si l'une d'entre elles devait travailler plus que les autres, c'était bien la barbare.

Elle n'en avait cure. Royce était resté plus long-temps dans le hall ce soir-là, et elle était contente de le voir jouer aux dés avec ses hommes. En fait, elle passa d'abord plus de temps à l'observer qu'à travail-ler et Eda ne tarda pas à la réprimander. Elle

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retourna donc à sa besogne et ne le vit pas quitter la pièce.

Le hall était calme et sombre maintenant, à l'ex-ception des deux torches qui brûlaient dans le grand foyer. Les serviteurs avaient étalé leurs paillasses sur le sol et ils s'apprêtaient pour la nuit. Seules Eda et Kristen travaillaient encore, mettant tout en ordre pour le lendemain matin.

Kristen n'était pas fatiguée mais elle avait mal aux pieds d'être restée debout presque toute la journée. Il en allait de même chaque jour, depuis le moment où on venait la réveiller, avant l'aube, jusqu'à ce qu'on l'enferme dans sa chambre après le dernier repas du soir. Mais aujourd'hui, c'était différent.

Elle était en train de s'étirer quand elle entendit des pas. Quelqu'un traversait le hall. Par curiosité, elle leva les yeux. Son cœur se mit à battre plus vite quand elle vit Royce surgir de l'ombre.

Elle ne broncha pas. Il avait une expression dure, tendue, mais elle n'avait pas peur. Il s'immobilisa juste devant elle puis sa main jaillit. Il lui agrippa les cheveux dans le cou, la forçant à pencher la tête en arrière. Elle retint son souffle tandis qu'il la dévisa-geait avec colère.

— Pourquoi me provoques-tu ainsi ? gronda-t-il. — Moi, milord ? — Tu le fais exprès, l'accusa-t-il. Tu savais très

bien que j'étais dans l'entrée et que je te regardais. — Non, je pensais que vous vous étiez retiré. — Menteuse! Et il lui écrasa la bouche de la sienne. Kristen avait attendu ce moment. Elle voulait con-

naître le goût de ses lèvres, la texture de sa peau. Elle

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avait espéré cela sans imaginer qu'elle en serait tota-lement bouleversée. Rien n'aurait pu la préparer à une aussi violente explosion de désir. Elle n'avait jamais connu le désir jusqu'à ce jour.

Il l'embrassait avec une fureur brutale, martyri-sant toujours ses cheveux. Mais ce fut Kristen qui se serra contre lui pour sentir son corps plaqué au sien, pour connaître l'étendue de son désir. Et ce contact l'enflamma. Peu lui importait ce qu'il pensait d'elle. Il la haïssait sans doute car il l'embrassait malgré lui et il la méprisait sûrement. Elle jeta ses bras autour de son cou. Ses mains agrippèrent les muscles durs de ses épaules pour l'attirer davantage.

Elle l'entendit gémir puis elle eut l'impression qu'il cherchait à l'écraser contre lui. Son baiser se fit plus ardent encore et elle y répondit avec une passion démentielle. Elle voulait qu'il la prenne tout de suite, ici, dans le hall, sur la table, par terre... peu lui importait. Elle voulait qu'il lui fasse l'amour avant qu'il ne se rende compte de ce qu'il était en train de faire et qu'il ne la rejette.

Il la repoussa. Kristen éprouva une fugace et dou-loureuse sensation de tristesse quand ses lèvres l'abandonnèrent. Il la toisait, les yeux emplis de pas-sion et de rage. Elle lui rendit son regard sans faiblir.

Il l'écarta avec violence. — Chienne ! Tu n'as donc aucune pudeur ? Elle eut envie de rire. Il la blâmait comme si c'était

elle qui était allée le chercher. Comment pouvait-il être aveugle à ce point ? Comment pouvait-il refuser ce que leurs deux corps exigeaient ?

— La pudeur n'a rien à voir là-dedans, répondit-elle doucement. J'ai envie de toi.

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— De moi ou de n'importe quel autre homme ! — Non, de toi seulement. Elle sourit devant sa mimique incrédule. Délibéré-

ment, posément, elle ajouta, l'air provocant : —- Nous sommes faits pour être ensemble, Royce.

Tôt ou tard, il faudra que tu l'admettes. — Tu ne partageras jamais mes nuits, barbare,

affirma-t-il avec emphase. Elle haussa les épaules et émit un soupir exagéré-

ment long. — Très bien, milord, qu'il en soit fait selon votre

désir. — Ce n'est pas mon désir mais la vérité, insista-

t-il. Et tu ne devras plus déployer tes sortilèges de putain pour môi.

Kristen éclata de rire. — Quels sortilèges, milord ? Je ne suis coupable

que de vous regarder. Peut-être plus souvent que je ne devrais, mais il semble que je ne puisse m'en empêcher. Vous êtes, après tout, le plus bel homme ici.

Il avait du mal à retrouver son souffle. — Par le Ciel, est-ce que toutes les putains vikings

sont aussi audacieuses que toi ? Il l'avait traitée de putain une fois de trop. Elle ne

pouvait le nier car elle ne voulait pas qu'il la prenne de force, par vengeance, comme il le ferait sûrement s'il apprenait qu'elle était vierge. Mais ce mot dans sa bouche après ce qui venait de se passer entre eux la mit hors d'elle.

— Je ne connais pas de putain, je ne peux donc pas te répondre, rétorqua-t-elle. Quant à mon audace, j'appelle cela de l'honnêteté. Vous préféreriez sans

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cloute que je vous mente et dise que je vous déteste, que je vous méprise ?

— Comment pourrais-tu ne pas me haïr ? J'ai fait de toi une esclave. Non, je crois que tu me provoques délibérément, que tu espères te venger de moi en m'ensorcelant.

— Si c'est ce que tu crois, Saxon, alors tu ne pour-ras jamais accepter ce que je suis prête à te donner et cela me désole. Je hais ces chaînes que tu me forces à porter mais je ne te hais pas, toi. Quant à être une esclave, ce n'est pas nouveau dans ma famille, ajouta-t-elle sans s'expliquer davantage. Si j'étais convaincue de rester à jamais une esclave enchaî-née... alors, peut-être te haïrais-je...

— Tu espères encore t'échapper ? Elle le fixa droit dans les yeux. — J'en ai assez de te dire ce que j'espère. Te dire

la vérité ne sert à rien, tu ne comprends pas. Pense ce que tu veux.

Elle lui tourna le dos.

Le lendemain matin, Kristen était d'humeur maus-sade. Elle s'était montrée honnête avec le Saxon. Elle lui avait avoué ses sentiments à son égard et n'avait reçu en échange que son hypocrisie. Il avait envie d'elle, c'était évident, mais il refusait cette évidence. Il l'avait repoussée. Pire, il l'avait injuriée. Et comme si cela ne suffisait pas, Eda avait assisté à toute la scène et avait cru bon de la commenter :

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— Ne le provoque plus, barbare, avait-elle mar-monné avec colère. S'il te fait partager son lit, tu le regretteras car tu ne seras jamais rien de plus qu'une esclave pour lui.

Elle avait sans doute raison et c'était bien cela qui faisait enrager Kristen. Pouvait-elle sacrifier son innocence à un homme qui ne l'aimerait jamais ? Jusqu'ici, elle avait été convaincue de pouvoir se faire aimer de lui mais maintenant, elle avait des doutes. Et elle n'aimait pas cela. Ces doutes la dépri-maient et minaient sa confiance en elle-même et en l'avenir.

Comme tous les matins, elles nettoyaient les cham-bres à coucher et s'occupaient à présent de celle de Royce. La veille encore, Kristen éprouvait une réelle excitation en regardant le lit. Aujourd'hui, elle n'avait qu'une envie : mettre ces draps en pièces. Elle frappa l'oreiller avec une telle violence que quelques plumes s'envolèrent.

— D'un extrême à l'autre, remarqua Eda en secouant la tête. Ne pense plus à lui.

— Laisse-moi tranquille, la prévint Kristen. Tu as dit ce que tu avais à dire, hier soir.

— Apparemment, je ne me suis pas fait assez bien comprendre. Si tu cherches à lui faire du mal, à le blesser d'une manière ou d'une autre, tu ferais bien d'y renoncer.

— Le blesser? s'emporta Kristen. Si je blesse quelqu'un, femme, ce sera toi si tu n'arrêtes pas de me faire la morale.

Eda recula, craintive. Elle se montrait de plus en plus tolérante envers Kristen <\ui n'avait jamais fait preuve de la moindre hostilité à son égard. Elle com-

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mençait à apprécier cette grande fille simple, oubliant qu'elle appartenait à une race qui ne vivait que de pillages et de destructions. Sa négligence était telle qu'elle se retrouvait seule avec elle dans cette chambre. Et elle était soudain consciente, en obser-vant la grande Viking, que malgré ses chaînes, Kris-ten n'aurait aucun mal à se saisir d'elle pour la jeter par la fenêtre.

Eda recula vers la porte en marmonnant de plus en plus fort à mesure qu'elle s'éloignait de Kristen.

— Menacer une vieille femme, hein ? Et alors que j'ai empêché les autres d'abuser de toi ! Tu n'as qu'à finir seule. Et tu ferais bien de changer d'attitude, barbare, sinon je te fais enfermer pour le reste de la journée et tu seras privée de repas. Et ne traîne pas ou j'envoie quelqu'un pour te frictionner les côtes. On verra si tu arrives à jeter un homme par la fenêtre aussi facilement.

Cette dernière remarque sibylline laissa Kristen perplexe, mais elle ne s'y attarda pas. C'était la pre-mière fois qu'elle se retrouvait seule dans une pièce non surveillée. Et c'était la chambre de Royce... En un rien de temps, elle pouvait tout détruire, tout cas-ser. Personne n'était là pour l'en empêcher. Il la puni-rait sûrement mais elle accueillerait la douleur avec soulagement car, après, viendrait la haine. Elle avait besoin de le haïr, elle devait le haïr et, pour l'instant, elle n'y arrivait pas.

L'idée était tentante mais la possibilité de trouver une hache — la seule arme qui lui permettrait de se libérer — était plus tentante encore. Elle avait trop perdu de temps à penser au Saxon alors qu'elle aurait dû chercher des moyens de s'enfuir. Une

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hache briserait ses chaînes, défoncerait les volets de bois qui étaient, chaque nuit, fermés dans sa cham-bre. Avec la couverture et ses propres vêtements noués, elle pourrait confectionner une corde suffi-samment longue pour descendre par la fenêtre. Cette même hache pourrait libérer Thorolf et les autres. Si seulement elle en trouvait une, elle pourrait la cacher dans sa propre chambre avant de redescen-dre, et ce soir...

Il n'y avait pas une seule hache parmi la panoplie d'armes suspendues au mur. Kristen se dirigea vers le coffre situé au pied du lit de Royce. Prenant soin de ne rien y bouleverser, elle le fouilla mais n'y trouva que des vêtements. Elle se dirigea alors vers le petit coffre situé entre les deux fenêtres. Il était fermé par une grosse serrure en fonte.

Elle retourna au mur d'armes. Il y avait quelques épées anciennes, certaines richement incrustées d'argent et même une dans un fourreau d'or pur. Des javelots, un arc de chasse, une lourde masse et des douzaines de dagues de toute sorte... Elle envisagea de dérober un poignard mais y renonça: l'emplace-ment vide serait immédiatement remarqué. Néan-moins, elle pouvait forcer la serrure du coffre.

Elle s'empara de la plus petite dague et s'age-nouilla devant le coffre. La serrure ne ressemblait à aucune de celles qu'elle connaissait. En fait, elle n'y trouva pas de trou pour insérer une clé.

— Il n'est pas fermé, tu sais. Ce n'est qu'un orne-ment. Ce verrou ne sert à rien. Vas-y, soulève le cou-vercle et constate-le par toi-même. Mon cousin n'a pas besoin d'enfermer ses biens. Il sait que personne ne le volera ici.

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La voix lui était inconnue. Lentement, avec crainte, Kristen se retourna. Sa crainte disparut à l'instant où ses yeux se posèrent sur le visage de l'inconnu. Elle le connaissait. Elle connaissait ce regard d'un bleu très clair, cette silhouette... Elle n'oublierait jamais la vision de cet homme une épée à la main et Selig, devant lui, qui s'effondrait.

— Toi ! siffla-t-elle. Tu devrais être mort ! Il ne parut pas l'entendre. Il l'examinait de la tête

aux pieds avec stupeur. — Eh bien, la description que Royce m'a faite de

toi ne te rend pas justice. Kristen ne l'écoutait pas non plus. Elle aurait

voulu se jeter immédiatement sur lui mais, malgré sa rage, elle ne pouvait oublier les chaînes qui l'empê-chaient de bouger librement. Elle entama une lente manœuvre d'approche. La chaîne traînant sur le sol attira l'attention de l'homme. Il grimaça en voyant les bracelets de fer qui lui serraient les chevilles. Sa compassion évidente n'eut aucun effet sur Kristen. Elle continuait à avancer vers lui en cachant la dague qu'elle tenait fermement.

Elle parla pour le forcer à la regarder dans les yeux.

— Je te croyais mort. — Oh ! mais je me porte beaucoup mieux. Tu es

très... Elle frappa à la gorge. Ses réflexes n'étaient pas

aussi émoussés qu'elle le croyait, mais au lieu de l'atteindre à la carotide, la dague effleura la main de l'homme qui dévia la trajectoire de la lame. Une mince traînée de sang apparut sur la paume. Elle la vit tout en sautant de côté pour retrouver son équili-

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bre. Dans le même mouvement, elle frappa de nou-veau vers le cou.

Il lui saisit le bras de la main gauche. Mais elle avait mis tout son poids dans l'attaque et il ne parvint qu'à ralentir le coup. Du sang jaillit à nouveau.

L'homme était mince pour sa taille et loin d'être aussi puissant que Royce. Il n'était pas encore com-plètement rétabli, tandis que la soif de vengeance décuplait les forces de Kristen. Il ne pouvait la main-tenir uniquement avec sa main gauche. Elle sentit sa prise glisser et elle en profita pour piquer de nou-veau. Cette fois, la lame s'enfonça dans sa poitrine. Il se servit de ses deux mains pour maintenir le bras de Kristen et l'empêcher de lui lacérer les chairs. Il parvint à se libérer.

— Par le Christ, barbare, arrête ! — Pas avant que tu ne sois mort, chien de Saxon ! De sa main libre, elle lui tira les cheveux pour lui

faire perdre l'équilibre. Mais il s'était déjà tourné, emprisonnant le bras armé dans une clé doulou-reuse. Elle hurla de rage en sentant ses doigts s'ouvrir et laisser échapper la dague. Il commit alors l'erreur de la relâcher. Avant qu'il ne se soit retourné, elle l'avait frappé sur la nuque, utilisant ses deux mains nouées comme une masse.

Le coup l'expédia dans le couloir où il s'écrasa con-tre le mur opposé. La dague était tombée sur le sol à mi-distance entre eux. Kristen bondit, oubliant la chaîne, et elle perdit l'équilibre. Alden se jeta alors sur elle et ils s'effondrèrent ensemble dans la chambre.

Si Kristen avait été une frêle jeune femme, cette chute aurait signifié la fin du combat. Alden, lui, le

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croyait terminé. Il était sur elle, l'écrasant de tout son poids et lui emprisonnant les poignets au-dessus de la tête.

— Pourquoi ? demanda-t-il. Royce dit que tu n'as attaqué personne. Pourquoi moi ?

— Tu as tué Selig ! Je le vengerai ! Elle le fit rouler sur le côté tout en prononçant ces

mots. L'instant d'après, elle avait repris le dessus et lui saisissait le crâne à pleines mains. Elle eut le temps de l'écraser deux fois contre le sol avant que des bras puissants ne la soulèvent du sol.

Kristen se débattit jusqu'à ce que les bras se refer-ment en une étreinte d'ours menaçant de la broyer. Une voix lui gronda à l'oreille :

— Assez! Oh ! non... Pas lui ! Elle pouvait se battre contre

n'importe qui mais pas contre lui. Elle baissa les yeux vers l'homme qui se relevait

avec peine. Encore quelques secondes et elle l'aurait suffisamment étourdi pour avoir le temps d'aller chercher une arme sur le mur. Elle aurait enfin pu accomplir son devoir. Pourquoi avait-il fallu que le Saxon apparaisse à cet instant précis ?

— Au nom du Ciel, Alden, que faisais-tu ? s'enquit Royce.

— Moi ? répliqua son cousin en grimaçant. Regarde-moi ! Ai-je l'air de faire quoi que ce soit ?

— Non, et je veux savoir pourquoi. Si tu me dis qu'une femme t'a battu deux fois, je crois...

— N'exagère pas, Royce. Je suis aussi faible qu'un bébé et elle n'a rien d'une frêle adolescente. Essaie de lutter avec elle et on verra comment tu t'en sors.

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— Ce n'est qu'une femme, maugréa Royce avec mépris.

Et là-dessus, il repoussa négligemment Kristen. Son intention avait été de la projeter à travers la pièce, mais elle broncha à peine. Elle fit volte-face pour le défier du regard.

— Qu'une femme, hein ? fit Alden. Eh bien, cette femme sait drôlement bien se servir d'une arme. Tu peux me croire. De toute manière, tu n'as pas de souci à te faire. C'est après moi, et après moi seule-ment qu'elle en a.

— Pourquoi ? — Demande-le-lui. Royce se tourna vers Kristen. — Pourquoi ? répéta-t-il. Elle croisa les bras, refusant de répondre. Royce

n'avait jamais été d'une grande patience. Il se tourna vers Alden.

— Que t'a-t-elle dit ? — Que j'ai tué un dénommé Selig. Elle veut le

venger. — Un amant, sans doute. — Pas un amant ! cria Kristen. — Alors, qui était-ce ? — Tu ne le sauras jamais, Saxon. — Par le Ciel, tu vas me le dire ! s'emporta Royce

en l'empoignant brutalement. — Tu crois ça ? ricana-t-elle. Et comment vas-tu

me forcer à te le dire ? Tu vas me battre ? Me tortu-rer ? Vas-y ! Je ne te dirai que ce que j'aurai envie de te dire et rien de plus. Et tu ne m'entendras pas non plus te supplier, Saxon, alors tu peux aussi bien me tuer tout de suite et qu'on en finisse.

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— Descends dans le hall ! gronda Royce. Elle quitta la pièce d'une démarche rendue incer-

taine par les chaînes mais avec la fierté d'une reine. Royce continua à fixer la porte quelques secondes après son départ. Puis il se retourna vers Alden qui grimaçait toujours.

— Non, Royce, ne crie pas, s'il te plaît. J'entends déjà Darrelle quand elle verra tout ce sang.

— Alors, va te soigner tout seul et ne parle de cet incident à personne. Tu n'es pas sérieusement blessé, quand même ?

— Je commençais à me demander si tu t'en sou-ciais. Non, ce ne sont que quelques coupures... Mais, bon sang, elle a failli me trancher la gorge. Elle se bat comme un démon et elle s'est jetée sur moi sans prévenir.

— Va te soigner, Alden, fit Royce, l'air écœuré. — J'en ai bien l'intention. Inutile que ma chère

sœur voie ce gâchis. — Alden? — Oui? Il s'arrêta sur le seuil. — Ne t'approche pas d'elle. Alden sourit. — Ne crains rien. Je n'ai pas envie de me retrou-

ver une nouvelle fois aux prises avec cette tigresse.

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Royce attendait qu'Alden lance les dés à son tour. La chaleur était accablante. Ils avaient pris place autour d'une petite table devant une fenêtre ouverte dans le vain espoir de sentir un souffle d'air.

La plupart des gardes de Royce s'étaient assem-blés autour d'un grand tonneau de bière alors que l'après-midi n'était pas encore terminé. Ils avaient passé la matinée à s'entraîner durement au métier des armes mais la canicule les avait peu à peu rame-nés dans le hall. Aujourd'hui, on ne s'occupait que des tâches les plus nécessaires.

C'était la première fois depuis l'arrivée des Vikings qu'Alden s'aventurait dans le hall. Deux jours s'étaient écoulés depuis sa deuxième et morti-fiante rencontre avec Kristen. L'une des blessures qu'elle lui avait infligées était plus grave qu'il ne l'avait cru tout d'abord. Il avait perdu beaucoup de sang avant de se résoudre à appeler Eartha à son che-vet. Il avait dû rester de nouveau couché. Maigre con-solation : Eartha n'avait rien dit à Darrelle et il avait ainsi pu échapper aux jérémiades de sa sœur.

Quand Royce avait vu l'état de son cousin et la pro-fondeur de la plaie qui lui ouvrait la poitrine, il avait été furieux. Il avait immédiatement fait installer une nouvelle chaîne pour la prisonnière. Celle-ci, assez longue, avait été scellée dans le mur près de la chemi-née et s'enroulait autour de la première chaîne de Kristen qui était à présent retenue comme un chien à sa niche. Elle pouvait tout juste atteindre la grande table où elle accomplissait la plupart de ses besognes.

Sa colère envolée, Royce avait aussitôt regretté cette nouvelle humiliation. Il savait qu'elle détestait ces chaînes et il osait à peine la regarder. Il ne voulait

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pas la voir ainsi, il ne voulait pas voir la haine sur son visage.

En fait, Royce ne savait plus quoi faire de Kristen. Il était aux prises avec un dilemme entièrement nou-veau pour lui et dont il ne pouvait parler à personne. Malgré toute la confiance et la complicité qui les unissaient, il répugnait à avouer à son cousin le trou-ble que la barbare provoquait en lui.

Il ne cessait de penser à elle. Même dans son som-meil, il ne parvenait pas à lui échapper car elle avait envahi ses rêves. Elle ne ressemblait à aucune des femmes qu'il avait connues. Elle ne pleurait jamais, ne se plaignait pas. Pas une seule fois, elle n'avait paru avoir peur de lui. Elle haïssait ses chaînes mais n'avait rien fait pour qu'on les lui enlève. Elle ne l'avait jamais supplié. Elle n'attendait ni pitié, ni commisération. En fait, elle n'avait rien demandé — sinon lui.

Il avait failli en devenir fou. Il l'avait accusée de tenter de le séduire, de l'ensorceler. En vérité, il était comme envoûté depuis le jour où, débarrassée de la boue qui la camouflait, elle s'était révélée à lui dans toute sa splendeur.

Aucune autre femme n'avait suscité un tel désir en lui. Pas même Rhona qu'il avait profondément aimée. Un simple regard vers la Viking et son sang se mettait à bouillir.

Il voulait se convaincre qu'elle était une sorcière ou peut-être une prêtresse viking dotée de pouvoirs surnaturels par ses dieux. Voilà qui expliquerait comment il pouvait, en même temps, éprouver du dégoût et du désir pour elle. Elle suscitait en lui des émotions qu'il ne comprenait pas. Il était gêné de la

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voir souffrir, et il n'aimait pas qu'elle soit une putain alors que cela n'aurait dû avoir aucune importance pour lui. Il frisait la crise de nerfs en évoquant tous les hommes qui avaient abusé d'elle. Aussi essayait-il de ne pas y penser. Mais découvrir à présent que l'un de ces hommes comptait plus que les autres, qu'il comptait tellement qu'elle voulait venger sa mort, le mettait à l'agonie.

Il avait demandé à Thorolf qui était ce Selig. Mais le Viking avait fait semblant de ne pas comprendre. A l'évidence, il refuserait de lui apprendre quoi que ce soit et Royce n'avait pas insisté. Kristen avait rai-son : il ne saurait que ce qu'elle voudrait bien lui dire.

— Si tu ne veux plus jouer, Royce, tu n'as qu'à le dire.

— Quoi? — Joue! Royce lança les dés. — Je pensais, marmonna-t-il. — Tu penses beaucoup depuis quelque temps.

Bien sûr, c'est normal avec tout ce qui se passe. Et, comme si cela ne suffisait pas, voilà le roi qui décide de nous rendre visite. Tu sais quand il arrive ?

— Il viendra quand il viendra, grogna Royce. Ce n'est pas très important.

— Non ? Alors, qu'est-ce qui est important ? Les prisonniers, peut-être ?

— Hein? — Hein? répéta Alden en s'esclaffant. Allons,

Royce, pourquoi m'avoir caché qu'elle était aussi belle?

— Elle a déjà essayé de te tuer à deux reprises. Comment peux-tu rire ?

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— Elle a ses raisons, j'imagine... mais quoi qu'il en soit, qui peut haïr ou mépriser une femme aussi belle?

— Moi. — Toi ? Pourquoi ? Tu ne la tiens quand même pas

pour responsable des exactions commises par les Danois ? Elle n'est pas danoise.

— Tu oublies que ses compagnons sont venus ici pour piller et tuer. Heureusement que tu les as arrê-tés à temps.

Une petite voix les interrompit. — Ils ne venaient pas ici. Royce et Alden se tournèrent avec un bel ensemble

vers Meghan qui avait assisté à leur partie de dés. Ils ne s'étaient même pas rendu compte de sa présence. Royce fronça les sourcils mais il se radoucit dès qu'il vit sa sœur baisser craintivement les yeux.

— Pourquoi dis-tu cela, petite sœur ? Elle risqua un regard prudent vers lui puis

s'approcha après avoir constaté qu'il n'était pas en colère.

— C'est Kristen qui me l'a dit. Elle dit qu'ils vou-laient simplement voler des choses au monastère de Jurro.

— Quand lui as-tu parlé ? — Le lendemain du jour où on l'a amenée dans la

maison. — Elle ne t'a rien dit d'autre, Meghan ? — Oh ! si ! Elle m'a parlé de sa famille. Elle a dit

que son père est encore plus grand que toi et qu'il a un caractère épouvantable, lui aussi.

Elle s'arrêta en se rendant compte de l'énormité qu'elle venait de laisser échapper.

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— Je ne voulais pas... — Mais si, mais si, ma chérie. C'est exactement ce

que tu voulais dire : ton frère possède un sale carac-tère, la taquina gentiment Alden en la prenant sur ses genoux.

Royce lui sourit pour lui montrer qu'il n'était pas vexé.

— Continue, petite soeur. Que t'a-t-elle dit d'au-tre?

— Tu ne dévoiles pas de secrets, au moins, Meghan ?

— Alden ! gronda Royce. — Oh ! oh ! impatient, on dirait ? railla celui-ci. Meghan les surprit alors tous les deux. — Pourquoi l'as-tu fait enchaîner au mur, Royce ? — Parce qu'elle veut tuer notre cher Alden et

qu'il n'est pas encore suffisamment rétabli pour pou-voir se défendre. Ce n'est qu'une mesure de protec-tion.

Meghan dévisagea Alden avec des yeux ronds. — Pourquoi veut-elle te tuer ? — Oui, pourquoi ? gémit-il d'un ton moqueur. Je

suis un garçon si sympathique ! — Tu as dû mal comprendre, insista Meghan, elle

ne veut sûrement pas te tuer. — Si, ma chérie, elle le veut vraiment, affirma

Alden. D'après elle, j'ai tué quelqu'un qui s'appelle Selig et elle veut venger sa mort.

— Tu as tué Selig ? s'exclama Meghan. Oh ! Alden, pourquoi as-tu fait une chose pareille ? Elle doit te haïr très fort...

Royce se pencha par-dessus la table pour prendre sa petite sœur par le bras.

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— Sais-tu qui était ce Selig, Meghan ? demanda-t-il avec douceur.

— Oui, bien sûr, elle me Ta dit. Mais elle était bou-leversée. Je venais de lui apprendre que Jurro avait été détruit par les Danois. Elle a dit que Selig et les autres étaient morts pour rien. Elle m'a fait peur. Elle a frappé la table de toutes ses forces puis elle Ta renversée. Mais je crois que c'était à cause de la tris-tesse. Avant, elle était très gentille avec moi.

— Oui, elle sait se montrer très gentille quand ça l'arrange, maugréa Royce qui n'oubliait pas pour autant ce qu'il voulait savoir. Qui était Selig, Meghan ?

— Alden ne le lui a pas demandé ? — Meghan! Elle pâlit et répondit vivement. — C'était son frère, Royce. Elle a dit qu'il était son

frère. Malgré le choc que lui causait cette révélation,

Royce remarqua l'angoisse de sa petite sœur et se maudit d'avoir élevé la voix.

— Meghan, ma chérie, je ne suis pas en colère con-tre toi.

— C'est vrai ? Tu ne m'en veux pas de lui avoir parlé ?

— Non, la rassura-t-il. Et si tu allais voir les tré-sors que Darrelle a trouvés ? On a rapporté une par-tie de la cargaison du bateau viking. Elle m'a dit qu'il y avait de très beaux tissus pour faire de nouvelles robes pour elle et pour toi.

Meghan se précipita joyeusement à l'autre bout de la grande salle où plusieurs femmes étaient rassem-blées. Royce se renfonça dans son siège et jeta un

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coup d'œil à Alden. Son cousin n'était pas moins sur-pris que lui.

— Un frère ! s'exclama Royce. Que faisait son frère parmi ces hommes ? Comment pouvait-il sup-porter de la voir se vendre à ces barbares ?

— Et si nous nous étions trompés ? suggéra Alden. Et si elle n'était pas une putain ?

— Non, répliqua Royce, l'air sinistre. Elle a dit qu'elle en était une.

Alden haussa les épaules. — Ils ont peut-être une manière différente de voir

les choses. Que savons-nous d'eux? Peut-être que pour eux, il est normal qu'une femme se donne à plu-sieurs hommes. Qui peut dire si toutes leurs femmes ne sont pas des putains ?

Royce se souvint que Kristen lui avait affirmé ne pas connaître de putains. Mais il n'en souffla mot car Darrelle venait de les rejoindre.

— Royce, regarde ça ! s'exclama-t-elle, tout exci-tée, en lui montrant la robe qu'elle venait de trouver. As-tu déjà vu un velours aussi beau ? Il doit sûrement venir d'Orient.

Il jeta un vague coup d'oeil à la robe vert sombre qu'elle agitait sous ses yeux. Puis elle la tint devant elle. C'était une robe très luxueuse, sans manches et pourvue d'un immense décolleté en V gansé de pier-res précieuses. Une triple rangée de perles serrait la taille, et la boucle qui fermait cette ceinture était en or massif.

— Il y en a une autre, reprit Darrelle. Et les chaus-sures qui vont avec, et puis aussi des bracelets en or et un collier d'ambre. Vas-tu les donner à Corliss, Royce ? Elle en sera sûrement ravie. Elles sont si

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magnifiques ! Sinon, je serais bien contente de les garder. Bien sûr, il faudra retoucher les robes, leur ajouter des manches, mais il n'y aura pas de pro-blème car on pourra utiliser le tissu qu'on enlèvera en bas. Ces robes sont si longues ! C'est à croire que toutes ces Norvégiennes sont des géantes !

Royce loucha vers le bas de la robe qui traînait par terre, aux pieds de Darrelle.

— Fais-les porter dans ma chambre. — Tu ne veux pas que je les fasse retoucher ?

s'enquit Darrelle, déçue. — Non, pas pour l'instant. Et comme sa cousine les quittait, le regard de

Royce vola du côté de la cheminée, là où se trouvait Kristen. Elle dominait toutes les autres femmes autour d'elle d'une bonne tête et même davantage. Son corps superbe était toujours recouvert par les mêmes guenilles trop étroites et trop courtes pour elle.

— A quoi penses-tu, cousin ? s'enquit Alden qui avait suivi son regard.

— A ces robes. Je suis certain qu'elles appartien-nent à ma belle esclave, répliqua Royce sans quitter Kristen des yeux.

— Tu n'y penses pas ! railla Alden. Une femme ordinaire ne posséderait pas de si beaux vêtements. La reine Ealhswith elle-même n'a jamais porté un velours aussi somptueux. Rien que les perles valent une fortune.

Royce, toujours songeur, se tourna vers son cousin.

— Je sais que cela semble insensé, mais j'en aurai le cœur net avant cette nuit.

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— Comment ? Lui demander si ces robes lui appartiennent ne servira à rien. Elle répondra oui, que ce soit vrai ou non. Aucune femme ne peut résis-ter à de telles merveilles.

— C'est ce qu'on verra. La rage sourde avec laquelle il avait prononcé ces

mots n'augurait rien de bon. Alden éprouva un peu de pitié pour la Viking. Il n'osait imaginer les moyens que son cousin allait employer pour lui arracher la vérité.

La journée de travail était terminée et Kristen ne demandait plus qu'une chose : s'allonger enfin sur sa paillasse. La chaleur étouffante l'avait épuisée, d'autant qu'avec sa nouvelle chaîne, elle ne pouvait s'éloigner des flammes de la cheminée.

Elle eut envie d'embrasser Eda quand celle-ci vint enfin la libérer. La vieille servante la boudait tou-jours en raison de la violence verbale dont elle avait fait preuve à son égard. Kristen lui avait présenté ses excuses un peu plus tard, au cours de la même jour-née, mais cela n'avait pas suffi à l'apaiser. Et sa mau-vaise humeur s'ajoutait aux tourments de Kristen car sans Eda, la seule avec qui elle pouvait communi-quer, elle était plus solitaire que jamais.

Eda annonça sèchement à Kristen qu'elle devait prendre un bain. Malgré son état de fatigue, il ne vint pas à l'idée de la jeune Viking de protester. Ce n'était que son second bain depuis son arrivée ici. Darrelle

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se baignait souvent, tout comme Royce, mais pour les serviteurs, il en allait différemment. Habituée à la propreté, Kristen se contentait difficilement du petit récipient d'eau qu'on lui offrait chaque jour pour se débarbouiller.

L'idée de se laver la mit de bonne humeur. Elle n'aurait pas droit à un long bain car les autres domestiques attendaient leur tour pour utiliser la même eau. Elle était, toutefois, la première à passer dans la baignoire, ce qui faisait toute la différence. Aujourd'hui, l'eau était chaude et propre et seule Eda resta avec elle dans la salle de bains.

Tandis que Kristen se baignait et se lavait rapide-ment les cheveux, Eda rinça son unique tenue et lui fournit en échange un morceau de laine assez gros-sière pour passer la nuit tandis que ses affaires séchaient. C'était un grand rectangle de tissu gris dans lequel on avait simplement percé un trou pour y passer la tête. Avec un bout de corde autour de la taille en guise de ceinture, cela ressemblait vague-ment à une robe. Kristen se sentait nue dans cet accoutrement mais elle ne protesta pas car elle pen-sait aller directement se coucher.

Mais elle se trompait. Au premier étage, devant la porte de sa chambre, Eda la poussa en avant et l'engagea à continuer jusqu'au bout du couloir, vers celle du seigneur et maître des lieux. Contrariée, Kristen eut un mouvement de recul.

— Pourquoi ? demanda-t-elle tandis qu'Eda frap-pait à la porte.

La vieille servante haussa les épaules. — Je fais ce qu'on me dit de faire. On n'a pas

besoin de me donner de motifs.

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— Il veut me voir ? — Il m'a dit de t'amener ici. C'est ce que je fais. Eda ouvrit la porte et attendit que Kristen passe

devant elle. Kristen hésita à peine. Elle n'avait pas peur même si elle ne voyait pas pour quelle raison on la faisait venir ici de nuit. Si Royce avait voulu l'interroger, il aurait très bien pu le faire en bas, au cours de la journée.

Elle pénétra dans la chambre. Eda ne lui avait pas remis les fers. Comme la fois précédente où elle l'avait amenée ici après le bain, la servante les plaça sur la table de Royce avant de quitter la chambre en refermant soigneusement la porte derrière elle.

Il se tenait près d'une des fenêtres ouvertes, face à elle. Elle connaissait cette pièce, aussi ne prit-elle pas le temps de la détailler et préféra-t-elle fixer Royce droit dans les yeux, attendant une explication. Elle n'était que trop consciente de sa misérable tenue. Si la ceinture se relâchait, elle serait pratique-ment nue. Elle n'avait aucune envie de se retrouver en si simple appareil devant cet homme. Quelques jours auparavant, elle aurait envisagé avec plaisir une telle éventualité. A présent, elle n'était pas cer-taine de vouloir exacerber son désir. Elle avait tou-jours envie de lui. Mais elle commençait à se dire que ce ne serait peut-être pas une si bonne idée d'obtenir ce dont elle avait envie.

— On m'a signalé que les vêtements qu'on t'a don-nés ne te vont pas très bien.

C'était bien la dernière chose à laquelle elle s'attendait. Il s'inquiétait de ses vêtements...

— Vous venez de le remarquer ? Royce ne parut pas apprécier ses sarcasmes.

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— Il y a une robe sur mon lit. Essaie-la pour voir si elle te va.

— Maintenant ? — Oui. — Vous me laissez seule ou vous voulez regarder ? Les traits de Royce se durcirent de nouveau. Elle

maniait l'ironie avec beaucoup trop de facilité. Bien sûr, une femme pareille n'éprouvait aucune gêne à se mettre nue devant des hommes.

— Je n'ai aucune envie de te regarder enlever ta robe, femme. Je te tournerai le dos.

« Couard », se dit-elle. — Comme c'est noble de votre part, rétorqua-

t-elle. Elle se détourna pour aller chercher le vêtement

et, tout à coup, se pétrifia. Sa robe préférée était étalée sur le lit. Elle aurait reconnu entre mille ce velours vert et cette ceinture de perles. C'était la seule robe que sa mère, qui détestait coudre, lui eût jamais faite. Voilà pourquoi elle l'aimait tant. Brenna avait passé de longues heures, l'année der-nière, sur son ouvrage afin d'offrir un splendide cadeau à sa fille pour le solstice d'hiver.

— Qu'attends-tu? Kristen jeta un regard par-dessus son épaule.

Il ne lui tournait pas le dos. Bien au contraire, il n'avait cessé de l'observer. C'était un piège. Il se doutait que cette robe lui appartenait. Et au-cune prostituée au monde ne possédait une robe pareille.

— Qu'est-ce que ça veut dire ? demanda-t-elle. — Quoi donc ? Elle lui fit face.

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— Pourquoi désirez-vous me voir essayer une telle robe, milord ?

— Je t'ai déjà dit pourquoi. — Oui, vous voulez savoir si elle me va. Mais si elle

me va, me la donnerez-vous ? Je ne le pense pas. Alors, à quoi cela servirait-il ?

— Tu n'as pas à connaître mes raisons. — Dites cela à vos esclaves ! s'emporta-t-elle. Ils

sont nés esclaves. Vous oubliez qui je suis ! — Non ! cria-t-il à son tour. Et c'est bien pour

savoir qui tu es que je veux que tu mettes cette robe. Elle feignit la surprise mais elle était furieuse

d'avoir confirmé ses soupçons. — En quoi cela vous apprendra-t-il qui je suis ? — Elle est à toi, n'est-ce pas ? Elle avait envie de le maudire, mais elle se força à

sourire. — Vous croyez une telle bêtise ? Bientôt, vous

allez dire que je suis vierge. — Tu l'es ? — Voulez-vous vous en assurer vous-même, mi-

lord ? demanda-t-elle, provocante. De tout cœur, elle priait pour qu'il ne s'aperçoive

pas qu'elle bluffait. Une fois déjà, elle l'avait rendu furieux en se montrant délurée. Si elle pouvait à nou-veau le faire tomber dans le piège... En tout cas, il semblait au bord de la crise d'apoplexie.

— Allons, milord, reprit-elle, comment pouvez-vous imaginer qu'une fille comme moi possède une robe pareille ? C'est un vêtement de princesse.

— Ou bien celle qu'un riche protecteur offre à sa putain, rétorqua-t-il.

Elle lui offrit son plus beau sourire.

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— Tu me flattes, Saxon. Vraiment, tu me flattes, répliqua-t-elle avec insolence. Mais je t'assure que si j'avais eu un amant aussi prospère, je ne l'aurais jamais quitté pour m'embarquer à l'aventure.

— Bon, tu affirmes que cette robe n'est pas à toi. Très bien. Maintenant, fais-moi plaisir et mets-la quand même.

— Je ne la mettrai pas. — Pourquoi ? — Je ne veux pas sentir ce magnifique velours con-

tre ma peau pour remettre ensuite les guenilles dont vous avez eu la gentillesse de me pourvoir. Ce serait trop cruel.

Royce sourit. C'était la première fois qu'elle le voyait soupire et elle devait convenir que ce spectacle lui plaisait.

— Tu sais te servir des mots, barbare. Tu as tou-jours réponse à tout. Mais tu oublies que ce n'est pas toi qui décides. Tu n'as pas le choix. Tu dois faire ce qu'on t'ordonne de faire. Que cela te semble cruel ou non. Me suis-je bien fait comprendre ?

— Oui. — Alors, mets la robe. Il était vraiment décidé à la voir dans cette robe...

Et dès qu'elle l'aurait mise, il verrait qu'elle lui allait parfaitement, comme une seconde peau. Il saurait alors qu'elle lui appartenait. Il comprendrait qu'elle lui avait menti. S'il lui avait demandé si elle était vierge, c'était qu'il se doutait déjà qu'elle ne faisait pas le plus vieux métier du monde. Et il comptait bien en avoir la preuve avant qu'elle ne quitte cette chambre.

Il avait pourtant tort sur un point. Il existait une

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alternative. Elle pouvait mettre la robe et endurer sa cruauté et sa vengeance : il la violerait par principe, simplement parce qu'elle était vierge. Mais elle pou-vait aussi le séduire, l'inciter à lui faire l'amour avec passion parce qu'il la désirait sincèrement... autant qu'elle le désirait.

D'une façon ou d'une autre, elle savait que l'heure avait sonné: elle allait perdre son innocence cette nuit. Et le choix était simple. Elle ne pourrait pas supporter que sa première rencontre avec un homme soit un souvenir qu'elle maudirait toute sa vie. Royce était attiré par elle, même s'il ne voulait pas le recon-naître. Elle avait envie de lui. Cette nuit pouvait être très belle. Il ne fallait pas qu'il en soit autrement.

— Tu vas me faire attendre encore longtemps ? s'enquit-il.

— Toute la nuit, milord, répondit-elle d'une voix douce. Ne comptez pas sur moi pour mettre cette robe.

Il fut sur elle en trois pas furieux. — Tu oses me défier ! Elle leva vers lui de grands yeux innocents. — Et cela vous étonne, milord ? Nous autres, les

Vikings, sommes réputés pour notre bravoure. Vous-même m'avez qualifiée d'audacieuse. Et je le suis. Si vous voulez me voir dans cette robe, milord, il faudra me la mettre vous-même.

— Tu penses que je ne le ferai pas ? — Non, vous ne le ferez pas. C'était un défi qu'il était forcé de relever. D'un

geste brusque, il lui arracha sa ceinture avant de lui enlever sa tunique qu'il jeta à terre. Il évita de con-templer sa nudité. Pendant une longue minute, ses

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yeux restèrent rivés aux siens. Puis il lui tourna le dos pour aller prendre la robe sur le lit.

Mais quand il se retourna à nouveau vers elle, il ne put ignorer plus longtemps ce corps nu. S'il avait gardé les yeux fixés sur son visage, il serait sans doute parvenu à se contrôler. Mais là, c'était impos-sible. Il était figé sur place, subjugué.

Elle se tenait debout, fière et sans honte, sans cher-cher à lui dissimuler son corps. Et la splendeur qu'il avait sous les yeux était encore plus formidable que ce qu'il avait imaginé jusque-là. Sa beauté majes-tueuse lui coupait le souffle.

Il vint à elle. La robe de velours oubliée glissa entre ses doigts et tomba sur le sol. Ses mains se posèrent sur les joues de Kristen et il se pencha pour goûter le nectar de ses lèvres. D'abord, il ne fit que savourer lentement, presque timidement. Puis son baiser se fit plus exigeant, plus féroce.

En ces premiers instants de folie, il était bien inca-pable de remarquer si Kristen lui résistait. Elle ne résistait pas. Elle lui rendait son baiser dans un total abandon. Au fond d'elle-même, elle craignait qu'il ne s'arrête comme la première fois.

Crainte inutile. Royce n'était pas en état d'arrêter quoi que ce spit. Il l'ignorait mais il avait perdu son combat contre l'attirance qu'elle exerçait sur lui. Il ne se maîtrisait plus et, pour une fois, ne s'en souciait pas. Seule la passion le gouvernait, un tumulte amou-reux qui ne cesserait qu'après les avoir tous deux ravagés.

Kristen gémit quand sa bouche l'abandonna mais l'instant d'après, elle se sentait soulevée dans ses bras. Elle éprouva un vague sentiment de panique.

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Elle n'avait pas été portée ainsi depuis son enfance. Elle avait grandi trop vite pour que son père conti-nue longtemps à la porter dans son lit. Mais son poids ne parut guère gêner Royce.

Il la garda ainsi, solide et nullement pressé de se décharger de son précieux fardeau, pour mieux l'embrasser à nouveau. Les bras de Kristen s'envolè-rent autour de son cou et leurs lèvres se nouèrent farouchement tandis qu'il se dirigeait vers le lit.

Il la déposa très lentement afin de pouvoir conti-nuer à l'embrasser. Bientôt, ils furent allongés côte à côte. Cela ne suffisait pas à Kristen. Elle roula sur elle-même pour se serrer contre lui, pour sentir la moindre parcelle de son corps. Mais cela ne lui suffi-sait toujours pas. Les vêtements de Royce consti-tuaient un obstacle entre leurs peaux.

Il se rendait à peine compte de ce qu'elle faisait. Il ne cessait de l'embrasser. Tout à coup, il se sentit repoussé en arrière. Des doigts impatients saisirent sa boucle de ceinture et, grimpant sur lui, Kristen le chevaucha.

A travers un brouillard, il vit qu'elle lui arrachait sa tunique et il se souleva pour lui faciliter la tâche. Il n'eut pas le temps de s'étonner qu'une femme le déshabille. Il était fasciné par la vision qu'elle lui offrait, ainsi assise sur lui. Les seins parfaitement ronds de Kristen se lançaient en avant et ses mains obéirent, capturant deux monts de douceur.

Le son qu'elle laissa échapper lui fit lever les yeux vers son visage. Dans le bleu si profond de ses yeux, il vit couler une mer en fusion et eut envie de s'y noyer. Il était submergé par un océan brûlant. Elle ne baissa pas le regard tandis qu'elle s'acharnait sur

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sa culotte qu'elle fit glisser le long de ses cuisses avec une rapidité inattendue.

Elle fixa ce qu'elle venait de découvrir, l'instru-ment de sa puissance déjà tendu vers elle. Une telle impudeur le mettait à l'agonie. Kristen le contem-plait avec ce qui ressemblait à de la joie, puis ses doigts s'emparèrent de son membre.

C'était plus qu'il n'en pouvait supporter. Avec un gémissement rauque, il se redressa vivement, la sai-sit par les épaules et la cloua sur le lit. Il s'assit pour achever de se déshabiller. Kristen ne pouvait rester inactive. Elle se redressa, ses seins s'écrasèrent con-tre son dos, ses mains enlacèrent sa poitrine pour venir jouer avec ses mamelons.

Royce ne s'était jamais déshabillé aussi vite. A l'instant où il se débarrassait de ses derniers vête-ments, il fit volte-face et l'embrassa avec rage.

Il la repoussa et la força à rester allongée. La vue de son corps offert lui fit serrer les dents. Il entama une longue et méticuleuse exploration. Ses yeux sui-vaient ses mains afin de se rassasier de la moindre parcelle d'une peau plus douce que le velours.

Pour Royce, c'était un formidable délice. Pour Kristen, c'était bien mieux. Les sensations affluaient en elle, si merveilleuses, si nombreuses que chaque fois, elle pensait ne pas pouvoir en supporter davan-tage. Et chaque fois, elle se trompait. Il n'y avait pas délimité à ce bonheur. Elle brûlait. Son corps se tor-dait, se cambrait, se lançait contre les mains de Royce.

Les doigts glissèrent à l'intérieur de ses cuisses. Kristen crut devenir folle. Un fluide de plaisir se répandit en elle, la soulageant et la faisant hurler en

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même temps. Ce cri surprit Royce qui ne le compre-nait pas. Il s'arrêta. Il ne voulait en aucune façon lui faire mal. Pas maintenant.

Kristen regarda la grande main remonter douce-ment le long de son ventre, elle vit les doigts frôler son nombril puis elle leva les yeux vers lui. Il la con-templait. Il se pencha pour l'embrasser, cette fois très tendrement, comme pour lui dire que tout allait bien, qu'il ne voulait pas lui faire mal. Il la traitait avec sollicitude alors qu'il croyait avoir affaire à une putain. Elle en fut bouleversée. Un sentiment nou-veau prit naissance en elle.

Elle lui parla avec son corps. Ses mains volèrent jusqu'à lui, l'encourageant à se coucher sur elle. Elle écarta les jambes pour le recevoir. Elle savait ce qu'il allait faire mais elle ignorait ce qu'elle ressentirait. Elle voulait savoir et elle voulait le savoir main-tenant.

Royce n'eut pas besoin d'encouragements supplé-mentaires. Avec toutes les autres femmes qu'il avait connues, il devait veiller à ne pas leur faire mal, à ne pas les écraser. Il était tellement plus grand et plus lourd qu'elles... Mais cette femme-là possédait un corps qui épousait le sien à merveille. Il ne craignait pas de lui briser les os, elle le serrait contre elle comme si elle avait besoin de sentir tout son poids sur elle.

Il la pénétra. Tout doucement, s'émerveillant d'être capable de prolonger ce moment dont il avait tant rêvé. Il s'émerveilla aussi de la douceur et de la chaleur de ce merveilleux fourreau. Puis l'obstacle se présenta et tout son être se rebella en prenant conscience de sa signification.

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Kristen s'était préparée à ce moment de vérité. Les genoux levés, les pieds bien à plat sur le lit, elle ras-sembla ses forces. Elle n'allait pas le laisser arrêter maintenant. À l'instant où elie le sentit se raidir et prendre appui sur les coudes pour la regarder, elle agrippa ses fesses et se jeta de toutes ses forces con-tre lui.

Dans la position dans laquelle il se trouvait, Royce ne put l'empêcher de parvenir à ses fins. Il fut entiè-rement enveloppé avant même de s'être rendu compte de ce qui se passait. Mais il put apercevoir l'expression de sa partenaire, les yeux fermés, le visage crispé par la douleur. Il n'y eut pas de cri, seu-lement un petit hoquet.

Puis ses traits s'apaisèrent très vite et ses paupiè-res se soulevèrent. Elle le regarda. Il ne parvint pas à dominer sa colère.

— Et tu comptes aussi finir toute seule ? — Seulement si tu le veux. Il gémit devant une telle réponse avant d'éclater de

rire. Puis il se laissa tomber sur elle, la serrant dans ses bras et lui faisant l'amour comme si sa vie en dépendait. Le moment était mal choisi pour essayer de comprendre son comportement. Un incendie les consumait tous les deux.

Un souffle de vent, le premier de la journée, s'engouffra par la fenêtre ouverte. Les flammes des chandelles tremblèrent puis s'éteignirent toutes d'un coup.

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Royce se leva pour aller chercher de la lumière dans le hall et Kristen frissonna en se retrouvant seule dans le lit. La brise frôla sa peau moite. Elle était prête à dormir. Pas lui.

Elle se retourna de façon à pouvoir le regarder quitter la chambre. Un rayon de lune dispensait une lumière argentée. A quoi pensait-il mainte-nant et que ressentait-il ? Il ne devait pas être encore bien furieux car il l'avait longuement ser-rée dans ses bras après qu'ils avaient eu fini de refaire l'amour.

Ils avaient recommencé à s'aimer aussitôt après la première fois. Kristen était à peine revenue sur terre, émerveillée par cette première expérience, qu'un nouveau tourbillon de passion les emportait. Elle sourit. Elle comprenait à présent pourquoi ses parents passaient tant de temps dans leur chambre. Brenna avait bien essayé de lui expliquer à quoi cela ressemblait mais il n'existait pas de mots pour décrire une si incroyable béatitude.

Royce revint, protégeant de sa main ouverte la flamme d'une bougie. Il était tard. Il n'avait même pas pris la peine de s'habiller en quittant la pièce. Sa nudité ne le troublait nullement. Mais elle troublait Kristen. Elle n'était pas gênée mais simplement per-plexe en constatant que son propre désir se réveillait déjà.

Le corps de Royce était une sculpture parfaite, depuis les jambes puissantes jusqu'aux épaules incroyablement larges. Une toison de poils sombres s'étalait sur sa poitrine et venait mourir en un mince filet entre les deux colonnes de ses abdominaux. Il n'était pas mince comme son cousin mais athlétique.

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Kristen savait qu'elle ne se lasserait jamais de le con-templer.

Il ralluma les chandelles placées sur le mur, au-dessus du lit, puis s'assit à ses côtés. Il ne se recoucha pas immédiatement. Kristen le caressa, ses doigts jouant le long du dos jusqu'à la courbe des hanches. Quand il se retourna pour la dévisager avec une expression indéchiffrable, elle s'arrêta.

— Pourquoi t'arrêtes-tu ? — Je ne sais pas si tu as envie que je te touche ou

non, admit-elle avec franchise. Je viens d'une famille où l'on s'embrasse beaucoup. Nous avons l'habitude de montrer notre amour en nous touchant. Mais si tu n'y es pas habitué, tu vas me trouver impudique.

— Je te trouve déjà impudique, répliqua-t-il d'un ton léger en s'allongeant à ses côtés, une joue sur la main afin de pouvoir la contempler à son aise. Dieu m'en soit témoin, je n'ai jamais connu de femme comme toi. Tu es sans honte... libre. J'aimerais pou-voir t'aimer en retour, te rendre ce que tu me donnes.

Kristen ferma les yeux pour lui cacher le regret et la tristesse que ces mots lui causaient. Il n'avait pas besoin de lui répéter qu'il ne pouvait l'aimer. Il aurait pu se taire et lui laisser encore un peu d'espoir.

Mais sa fierté naturelle reprit le dessus. — Pourquoi parlez-vous d'amour ? A ce vouvoiement subit, il se raidit et serra les

dents. — Si j'ai bien compris, répliqua-t-il sèchement, tu

n'as pas dit que tu m'aimais, n'est-ce pas ? — Non, je ne l'ai pas dit. J'aime beaucoup votre

corps, milord, mais c'est tout.

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— Très bien. Pour une vierge, tu montres de belles dispositions. Tu pourrais faire une bonne putain.

Kristen en eut le souffle coupé. Comment osait-il ? — Traite-moi de putain encore une fois, Saxon, et

je t'arrache les yeux ! Cela le fit sourire. — Il est un peu tard pour protester. Tu t'es trop

vantée. — Non, je n'ai jamais dit que j'étais une putain.

C'est toi qui l'as affirmé. — Tu ne l'as jamais nié. — Tu sais très bien pourquoi. — Non, je ne le sais pas, rétorqua-t-il. Mais je suis

très curieux de l'apprendre. — Alors rappelle-toi ce que tu m'as dit dans cette

chambre. Tu as dit que tu me violerais si j'étais vierge. J'avais envie de toi, mais pas de cette manière.

Il lui souriait puis son sourire s'élargit et se trans-forma en fou rire.

— Bon sang, tu as pris au sérieux ce que je disais sous l'emprise de la colère ?

Kristen lui jeta un regard noir. — Es-tu en train de prétendre que tu ne m'aurais

pas violée même si tu avais su ? — Non, car, en vérité, si tu m'avais résisté ce soir,

je t'aurais prise de force. Tu aurais appelé cela un viol mais moi, je n'aurais fait que prendre ce qui m'appartenait de droit.

— Ce n'est pas de cela dont je parle, Saxon, répliqua-t-elle avec impatience. Je sais que tu crois avoir le droit de m'utiliser comme bon te semble et nous pourrons en discuter une autre fois. Ce que je...

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— Discuter de quoi ? — Laisse-moi terminer. M'aurais-tu, oui ou non,

prise de force dans l'unique but de te venger ? — Non, Kristen, pas comme ça, murmura-t-il avec

tendresse en effaçant du bout du doigt une ride sou-cieuse sur le front de la jeune femme. C'est ce que tu craignais ?

— Oui. — On dirait que nous nous sommes trompés l'un

et l'autre. Je te désirais mais je ne voulais pas te tou-cher car je pensais que tu étais une putain.

— Et une Viking, lui rappela-t-elle. — Oui, mais cela avait de moins en moins d'impor-

tance. J'étais écœuré en pensant à la façon dont tu te servais de ton corps.

Elle lui prit la main et la pressa contre sa joue. — Est-ce que je t'écœure encore maintenant que

tu sais comment je me sers de mon corps ? Il savait qu'elle se moquait gentiment de lui mais

il n'était guère habitué à ce genre de plaisanterie. Il se rallongea, s'éloignant volontairement d'elle.

— Qui es-tu, Kristen ? — Tu tiens à le savoir, n'est-ce pas ? — Cette robe t'appartient ? J'avais raison ? — Oui, elle est à moi, soupira-t-elle. — Je sais que tu n'as pas eu d'époux, cela signifie

donc que ta famille est riche. — Mon père l'est. Vas-tu lui demander une

rançon ? — Non, répondit-il en roulant sur le côté pour

mieux la voir. — Sage décision, milord, car il t'obligerait à

m'épouser.

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— Par le sang du Diable ! Que dis-tu là ? Epouser une Viking ?

— On dirait que c'est pour toi un sort pire que la mort.

— Pour moi, cela le serait ! — Pour cette insulte, Saxon, je veillerai à ce que

tu m'épouses ! — Tu es folle. — Tu crois ça ? Je suis aussi la fille de l'homme

qui te tuera quand il viendra me chercher ! Elle regretta ces mots dès qu'ils eurent franchi sa

bouche mais plus encore quand Royce se jeta sur elle avec fureur. Par le Ciel, ils ne cessaient de se déchirer avec des mots.

— Es-tu en train de me dire que d'autres Vikings vont venir ici ?

Il était glacial, tout à coup, et elle ne pouvait l'en blâmer. Il avait été de si joyeuse humeur jusque-là...

Elle décida de dire la vérité. — Non, Royce, c'est peu probable. Mon père

n'aurait jamais donné son autorisation à une telle expédition. Les hommes ne lui ont rien dit. C'est un marchand. Il croyait que son navire se rendait dans les villes de l'Est pour faire du troc. Il n'a aucun moyen de savoir que nous sommes venus ici.

— Alors pourquoi m'as-tu menacé ? Elle retint un sourire. — Tu devrais suivre tes propres conseils et ne

pas toujours croire ce que je dis quand je suis en colère.

Il grommela un vague juron avant de demander : — Tu dis que le bateau lui appartenait. C'était

donc ton frère Selig qui le commandait ?

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— Je ne t'ai pas dit qu'il était mon frère, fit-elle, suspicieuse. Comment le sais-tu ?

— Par Meghan. Mais pourquoi voulais-tu me le cacher ?

— Je me disais que tu aurais trouvé bizarre que je sois une putain sur un drakkar commandé par mon propre frère.

— Cela m'a paru bizarre mais je ne connais pas les mœurs de ton peuple... J'ignore si vous possédez un quelconque sens moral.

Kristen n'aurait su dire pourquoi cette remarque l'offensait.

— Nous possédons un sens moral tout à fait sem-blable au tien, Saxon.

Il restait perplexe. — Pourquoi étais-tu sur ce bateau ? — Pourquoi faut-il que tu poses tant de

questions ? — Je suis curieux, c'est tout. Tu cherches peut-

être encore à me cacher quelque chose ? Elle eut un reniflement de mépris. Elle lui avait

caché certaines choses jusque-là, parce qu'elle avait de bonnes raisons de le faire. Quant à lui, il était nor-mal qu'il se montre curieux, surtout maintenant. Mais fallait-il satisfaire sa curiosité ? Pourquoi le ferait-elle ? Pour qu'il en apprenne davantage sur son compte ? Pour qu'il dispose de nouveaux moyens de pression sur elle ? Il ne le méritait pas.

Mais elle ne voulait pas non plus qu'il se méfie. Que penserait-il s'il savait qu'elle s'était embarquée avec son frère pour trouver un mari ? Elle avait effective-ment rencontré un homme... Le seul qui ne l'épouse-rait jamais.

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— J'avais de nombreuses raisons d'être à bord mais elles n'ont aucune importance, répondit-elle calmement. Le fait est que je suis partie sans permis-sion. Je me suis cachée dans la cale pendant trois jours.

— Tu voulais prendre part à un raid ? s'enquit-il, incrédule.

— Ne sois pas ridicule. Je t'ai déjà dit que per-sonne ne savait que ce bateau venait ici. Et moi moins que les autres. Mon frère a piqué une crise de rage quand il m'a découverte à bord. Il m'au-rait bien ramenée chez nous s'il n'avait craint que je révèle à mon père ce que ses amis et lui comptaient faire.

— Bien sûr, tu as été bouleversée d'apprendre qu'ils allaient piller un monastère saxon ?

Il ricanait et cela la rendit furieuse. — Tu es chrétien et pour toi, le saccage d'un

monastère est une abomination. Mais ne t'attends pas à ce que des hommes aux croyances différentes considèrent cet endroit comme sacré. Ces hommes-là n'avaient jamais pris part à un raid jusque-là, à la dif-férence de leurs pères. Ils ont grandi en entendant sans cesse chanter leurs exploits, en rêvant des richesses qui les attendaient dans d'autres pays. Ils savaient que les Danois convoitent votre île, qu'ils en occupent déjà une bonne partie. Ils voulaient simple-ment une part du butin avant que les Danois ne s'emparent de tout.

— Et cela excuse les actes que ton frère avait l'intention de commettre ? Après tout, tuer ces chré-tiens avant les Danois n'était pas bien grave... Ils se seraient fait massacrer, de toute manière, alors

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quelle importance que ce soient des Norvégiens ou des Danois qui s'en chargent ?

Son amertume la toucha car elle avait éprouvé les mêmes sentiments en apprenant le but de leur voyage.

— Mon frère ne voulait rien me dire parce que..., peu importe... C'est Thorolf qui m'a appris tout ce que je viens de te dire et cela uniquement quand nous nous sommes retrouvés enchaînés dans ta cour, là en bas. Je ne les défends pas mais je les comprends.

— Vous aviez oublié une toute petite chose, fit-il remarquer, glacial. Nous autres, Saxons, n'abandon-nerons jamais ce qui nous appartient. Ni aux Danois... ni à quiconque.

— La moitié de mes amis sont morts pour l'avoir appris trop tard, répondit-elle tout aussi froidement.

— Ton frère est mort par sa propre faute, Kristen. — Et tu crois que cela va me consoler ? cria-t-elle. — Non, je suppose que non. Ils restèrent silencieux tous les deux. Kristen res-

sentit alors une étrange et dérangeante sensation : elle aurait voulu que Royce la réconforte. Mais elle savait que cela lui était impossible.

Elle se glissa jusqu'au bord du lit et s'assit. La main de Royce l'arrêta aussitôt.

— Que fais-tu ? demanda-t-il. Il n'était pas brutal mais simplement curieux. Elle regarda les doigts qui la retenaient, puis leva

les yeux vers lui. — Je retourne dans ma chambre. — Pourquoi? — J'en ai assez de répondre à vos questions,

milord, soupira-t-elle. Je suis fatiguée.

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— Alors, dors. — Vous voulez que je reste avec vous ? s'étonna-

t-elle. Il l'attira doucement contre lui. Kristen en était

abasourdie. — Il y a plein d'armes ici. Vous n'avez pas peur

que je vous tue dans votre sommeil ? — Le feras-tu ? — Non, mais je pourrais m'enfuir, dit-elle. Vous

n'avez pas verrouillé votre porte. — Si tu en avais vraiment l'intention, tu ne m'en

parlerais pas. Repose-toi, Kristen. Ne t'en fais pas, je n'ai pas perdu l'esprit. J'ai posté un garde dans le couloir.

Elle poussa une exclamation. — Tu savais depuis le début que j'allais passer la

nuit ici ? Sans s'en rendre compte, elle le tutoyait à

nouveau. — Non, mais j'avais envisagé toutes les possibili-

tés. Maintenant, calme-toi... si c'est bien dormir que tu veux.

Elle serra les lèvres, vexée. Mais sa mauvaise humeur ne dura pas. Il voulait qu'elle reste avec lui, il avait usé de son corps à satiété mais il tenait quand même à la garder auprès de lui. Cette constatation était très agréable... si agréable qu'elle s'endormit le sourire aux lèvres. Dans les bras de Royce.

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Kristen observait Royce endormi. C'était un luxe que de rester allongée là, à ses côtés, car elle aurait dû être debout depuis longtemps déjà. D'ordinaire, Eda la réveillait bien plus tôt. La vieille servante devait déjà être à l'ouvrage en bas. Et Kristen n'était pas naïve au point de croire que parce qu'elle avait partagé le lit du seigneur, elle serait dispensée de travail.

Elle soupira. Elle n'avait aucune envie de le quitter mais elle voulait aller chercher ses vêtements dans la salle de bains avant que trop de gens ne soient pré-sents dans le hall. Elle se glissa hors du lit et enfila le hideux morceau de laine grise. Puis, ramassant la robe de velours vert qui gisait toujours sur le sol, elle la caressa de la joue avant de la poser délicatement sur le coffre de Royce.

Il ne lui permettrait pas de porter ses propres robes. Ils avaient fait l'amour et recommenceraient sûrement mais pour lui, elle restait une esclave — une femme qui ne portait pas de robe de velours.

— Kristen? La main sur la porte, elle se retourna. Elle avait dû

le réveiller. Assis au bord du lit, nu, la chevelure ébouriffée, il bâillait.

Kristen ne put réprimer un tendre sourire. — Oui, milord ? — Tu serais partie sans me réveiller ? — Je pensais que vous n'aviez pas envie de vous

lever si tôt. — Viens ici. Elle hésita puis obéit. S'il avait envie de refaire

l'amour, elle n'y voyait aucune objection. Il n'existait pas de plus agréable façon de commencer la journée.

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Quand elle arriva devant lui, il lui prit les mains et les serra légèrement. Mais ce ne fut pas du désir qu'elle lut dans ses yeux.

— Où allais-tu ? — En bas, travailler. — Alors, tu oublies quelque chose. — Non, je... Elle se tut en comprenant à quoi il faisait allu-

sion. — Mets-les, Kristen. Elle essaya de se libérer mais il l'en empêcha en lui

serrant les mains comme dans un étau. Elle secoua la tête, hébétée.

— Tu veux que je porte ces chaînes après... Com-ment peux-tu être aussi cruel ?

— Je sais que tu ne les aimes pas et j'en suis désolé, répondit-il avec douceur. S'il existait un autre moyen de m'assurer que tu ne t'enfuiras pas, je l'utiliserais aussitôt. Mais il n'y en a pas. Trop d'esclaves se sont échappés pour rejoindre les armées danoises au Nord. Je sais que c'est ce que tu veux faire, pour retourner chez toi.

Elle l'entendait à peine. — Les autres le veulent, mais pas moi. — Une fois libre, tu pourrais les aider. — Si je te disais que je ne le ferai pas, que je ne

quitterai pas la maison ? — Tu ne peux espérer que je te croie. — Pourquoi pas ? s'exclama-t-elle avec colère. Tu

m'as bien crue quand j'ai dit que je ne te tuerais pas. Alors, pourquoi pas maintenant ?

— C'est exactement cela, fit-il d'un ton impatient. Si tu tentes quelque chose contre moi, je peux t'en

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empêcher, mais je ne veux pas courir le risque de te perdre.

— Tu ne prends pas ces précautions avec tes autres esclaves ?

— Ils sont nés esclaves, descendants de Bretons que nous avons vaincus depuis des siècles. Wyndhurst est leur foyer. Toi, tu as été capturée, tu as perdu ta liberté. Tu n'as aucune raison de vouloir rester ici.

Aucune raison ? Par le sang du Christ, était-il aveu-gle au point de ne pas voir qu'elle ne voulait pas le quitter ? Mais il se trompait s'il croyait qu'elle allait accepter son sort. Pas question d'être à nouveau enchaînée et de continuer à partager son lit.

— Très bien, milord, dit-elle, glaciale. Vous pou-vez me lâcher. Je porterai ces fers.

Il la lâcha mais fronça les sourcils en la voyant se diriger avec raideur vers la table et refermer les bra-celets de fer autour de ses chevilles.

— Tu peux t'éviter de porter l'autre chaîne, Kris-ten, si tu me promets de ne plus attaquer mon cousin.

S'attendait-il à des remerciements ? « Maudit soit-il, pensa-t-elle, il n'a pas idée du mal

qu'il me fait. » Se redressant de toute sa hauteur, elle déclara avec amertume :

— J'aurais promis de ne pas m'enfuir mais cela, je ne peux pas.

— Mon affection pour lui ne compte pas à tes yeux ? — J'aimais beaucoup mon frère. — Alors, tu porteras aussi l'autre chaîne jusqu'à

ce qu'Alden soit complètement guéri et en état de se défendre. Si tu n'étais pas aussi forte, cette précau-tion ne serait pas nécessaire.

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— Je ne regrette pas ma force. Elle m'est utile quand j'en ai besoin, répondit-elle. Est-ce tout, milord ?

— Oui, va-t'en. Elle le quitta sans un regard. La colère de Royce

monta rapidement. Au nom du Ciel, qu'attendait-elle de lui ? Qu'il lui fasse confiance ? Elle devait pour-tant comprendre que c'était impossible ! Il ne devait pas seulement penser à lui-même mais aussi à ceux dont il était responsable, à tous les habitants de Wyndhurst. Elle pouvait trop facilement venir en aide aux amis de son frère. Et ceux-ci libres, com-ment pourrait-elle empêcher le massacre qui s'ensui-vrait inévitablement ?

Garder en captivité un si grand nombre de Vikings posait un problème. Ils constituaient une véritable petite armée. Royce regrettait de ne pas les avoir tués comme il l'avait d'abord décidé. Il n'y aurait plus de problème à présent. Et il n'aurait pas non plus connu Kristen.

La pensée qu'elle aurait pu être tuée sur son ordre lui fit l'effet d'une douche glacée. « Son ressenti-ment ne durera pas, pensa-t-il. Elle est assez intel-ligente pour comprendre que, jusqu'à ce que je puisse lui faire confiance, ces précautions sont iné-vitables... »

La logique n'était d'aucun secours à Kristen. Seu-les les émotions la gouvernaient. Elle se sentait bles-sée et trahie. Ce jour-là, elle n'adressa la parole à personne. Elle rongeait son frein, perdue dans ses pensées, entretenant sa rancune et sa colère. Et elle

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était d'une humeur noire quand, le soir venu, Eda l'escorta au premier étage.

La vieille servante passa devant la chambre de la prisonnière pour se diriger vers celle de Royce, mais Kristen ne la suivit pas. Elle claqua la porte de sa chambre derrière elle. Quelques secondes plus tard, Eda faisait son apparition.

— Qu'est-ce que cela signifie ? Tu as bien vu que je continuais...

— Et alors ? fit Kristen, l'air mauvais, en s'allon-geant sur sa paillasse.

— Il m'a ordonné de t'amener à lui. — Et alors ? répéta-t-elle. Eda soupira. — Ne fais pas ta forte tête, Kristen. On ne peut le

contrarier. — C'est ce que tu crois. Et c'est ce qu'il croit, lui

aussi. Vous apprendrez tous les deux que c'est possi-ble. Tu n'as pas besoin de m'enlever mes chaînes, Eda. Ferme la porte et va-t'en.

Et elle se tourna vers le mur. Elle ne vit pas la vieille femme secouer la tête et elle n'entendit pas non plus le claquement du verrou. Ramenant les genoux vers sa poitrine, elle tira si violemment sur la chaîne que les fers lui arrachèrent la peau. Elle laissa échapper un cri avant de marteler sa couche de ses poings dans un dérisoire effort pour se libérer de sa frustration. Elle ne réussit qu'à se blesser davantage.

Elle était parfaitement immobile, les yeux tournés vers le mur, quand Royce fit son entrée quelques ins-tants plus tard. Il s'arrêta au bord de son lit de fortune.

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Il n'avait pas vu cette chambre depuis que des esclaves l'avaient préparée. Tout le mobilier en avait été enlevé à l'exception d'un matelas bourré de paille. C'était lugubre, il n'y avait même pas une chandelle.

— Pourquoi ne viens-tu pas avec moi, Kristen ? — Je suis fatiguée. — Et encore en colère ? Elle ne répondit pas. Royce s'agenouilla et lui tou-

cha l'épaule. — Assieds-toi que je t'enlève ces chaînes. Elle se retourna pour le regarder mais ne s'assit

pas. — Si tu les enlèves, tu ne me les remets plus.

Sinon, laisse-les-moi. — Ne sois pas aussi têtue, bon sang. Et accepte ce

qu'on t'offre. — Traite-moi comme un animal, si tu veux, mais

sois au moins cohérent. — Tu acceptais cet arrangement avant, remar-

qua-t-il. — C'était avant. — Je vois. Tu t'attendais à ce que tout change

parce que tu as couché avec moi, c'est ça ? Elle ne lui répondit pas, détournant les yeux, mais

il lui saisit le menton et la força à le regarder. — Réponds-moi, Kristen ! — Oui ! cria-t-elle, amère et blessée. Je ne t'aurais

pas traité avec une telle cruauté si les rôles avaient été inversés. Je ne comprends pas comment tu peux me faire cela.

— Je sais que tu comprends pourquoi il doit en être ainsi, Kristen. Ça ne te plaît pas mais à moi non plus.

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— Comment le saurais-je ? Tu es le maître ici. Ce qu'on me fait subir, on me l'impose sur ton ordre.

Il commençait à perdre patience. Il se leva en la fixant d'un air agacé.

— Très bien, je vais te dire quelles autres possibi-lités tu as puisque ces chaînes te répugnent. On peut t'enfermer — dans ma chambre, pourquoi pas ? — mais tu ne pourras en sortir. Je n'ai guère de temps à te consacrer au cours de la journée, tu seras donc seule la plupart du temps. Sauf la nuit. Préfères-tu cela ?

— Autant m'enfermer dans une cellule ! — Nous n'en avons pas ici. Je t'offre ma propre

chambre, plutôt que celle-ci. Je te donne le choix. — Il n'y a pas de choix, milord, répliqua-t-elle.

Seulement encore plus de privation. Vous parliez d'alternative... Offrez-m'en une que je puisse accep-ter.

— Il y a une autre chose que je pourrais faire pour te permettre de circuler librement à Wyndhurst: tuer tous tes amis.

— Comment ? Il la toisa. — Je ne pourrai te faire confiance que quand ils ne

seront plus ici. Tant qu'ils resteront, la menace existe pour les miens de se faire massacrer si, par malheur, les prisonniers s'échappent. Par tes pro-pres moyens, tu ne pourrais aller bien loin si tu t'enfuyais. Je te retrouverais sans mal.

— Tu plaisantes ? — Non. — Tu sais très bien que je ne peux payer un tel prix

pour ma liberté. Comment oses-tu seulement évo-

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quer cette monstruosité ? Pourrais-tu vraiment assassiner des hommes sans défense ?

— Ces hommes sont mes ennemis, Kristen. Ils me tueraient, s'ils en avaient l'occasion, et sans hésiter. Ce n'est pas moi qui les ai fait venir ici... et je ne vou-lais pas les garder non plus. C'est Alden qui m'a con-vaincu de ne pas les supprimer en disant qu'ils pouvaient nous être utiles.

— Alors, tue-moi aussi, Saxon ! Je suis avec eux ! — Oui, tu es mon ennemie, toi aussi, répliqua-t-il

calmement. Mais ça me plaît de t'avoir près de moi. Maintenant, montre-moi ces chaînes que je te les enlève pour la nuit. A moins que tu ne préfères les garder...

Elle le fixa droit dans les yeux en gardant ses pieds sous elle.

— J'ai envie de te faire l'amour, Kristen, murmura-t-il d'une voix heurtée. Je suppose que tu vas me repousser parce que tu es furieuse, mais je te le demande quand même... Veux-tu venir dans mon lit?

— Non, parvint-elle à répondre malgré la boule qui lui serrait soudain la gorge.

— Je pourrais insister. — Tu verras alors comment je me bats, Saxon. — J'espère que ta colère ne durera pas, femme,

dit-il, maussade, avant de quitter la pièce.

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— Qu'as-tu fait à mon cousin, femme, pour qu'il soit de si mauvaise humeur ?

Kristen accorda à pe;ne un regard à Alden. C'était la première fois qu'il venait la voir depuis qu'elle l'avait attaqué et il se tenait prudemment de l'autre côté de la table. Elle se serait volontiers passée de sa présence.

— Je ne suis pas responsable de ses humeurs. Alden sourit. — Non ? Pourtant, à voir comment il te dévore des

yeux, on jurerait du contraire. — Va-t'en, Saxon, rétorqua-t-elle en lui jetant un

regard noir. Toi et moi n'avons rien à nous dire. — Tu veux toujours me tuer ? — Si je le veux ? C'est mon devoir. Il soupira. — Dommage que nous ne puissions être amis.

J'aurais pu te donner quelques bons conseils à pro-pos de mon cousin... Il semble que tu ne te débrouil-les pas très bien avec lui.

— Je n'ai pas besoin de tes conseils ! s'exclama-t-elle. Et je n'ai pas à me débrouiller avec lui. Je ne veux rien avoir à faire avec lui !

— Si tu le dis... mais j'ai aussi vu comment toi, tu le regardes. Une vraie biche pleine d'amour...

— Maudit sois-tu! le coupa-t-elle avec fureur. C'est Loki qui t'a fait. Va-t'en avant que je ne te lance ce pain à la figure !

Alden s'éloigna. Kristen tortura avec colère la pâte à pain qu'elle pétrissait. Comment cet homme osait-ï? se moquer d'elle ? On aurait dit qu'il ne prenait pas au sérieux ses menaces de mort. Dans ce cas, il se trompait lourdement. Elle n'avait que faire de son

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aimable nature et peu lui importait que, grâce à son intervention, ses amis et elle aient eu la vie sauve. Il possédait aussi un charme espiègle et un sourire qui lui rappelaient son frère Eric, mais cela ne changait rien. Elle le tuerait... dès qu'elle en aurait l'occasion.

Elle rejeta avec colère sa longue natte dans son dos. C'était le plein été. La chaleur était accablante. En Norvège, elle serait à présent en train de nager avec Tyra ou bien de galoper sur le dos de Torden pour sentir le vent du Nord sur son visage. Elle ne serait certainement pas enchaînée à une cheminée où le feu brûlait toute la journée. Mais les regrets étaient inu-tiles, ils ne servaient qu'à alourdir sa peine.

Cela faisait un peu plus d'un mois que leur navire avait touché ce funeste rivage. Thorolf et les autres charriaient toujours d'énormes blocs de pierre pour le compte de ces Saxons. Il lui arrivait parfois de les apercevoir par les fenêtres ouvertes. Mais eux ne pouvaient la voir, recluse comme elle l'était au fond du hall.

Kristen savait qu'ils devaient s'inquiéter à son sujet, surtout Thorolf et Ohthere. Pourquoi n'avaient-ils pas encore fui? Etait-ce à cause d'elle qu'ils n'avaient pas mis leur plan à exécution ? Non, il était plus probable que Royce et ses maudites précautions rendissent toute évasion impossible.

Elle avait envisagé de demander à Royce la permis-sion d'aller les voir mais Alden avait raison. Depuis une semaine, depuis qu'elle refusait de partager sa couche, Royce était d'une humeur massacrante et, dans ces conditions, il était inconcevable de lui pré-senter la moindre requête. Même envers ses hom-mes, il se montrait dur et cassant. Les serviteurs et

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Meghan se gardaient bien de l'approcher ou d'attirer son attention d'une manière ou d'une autre. Etait-ce vraiment de la faute de Kristen ? Elle se le deman-dait...

Elle ne possédait sûrement pas une telle influence sur lui. Bien sûr, il venait chaque soir lui demander de passer la nuit avec lui et chaque soir, elle refusait. Cela devait commencer à se savoir. Alden n'était pas sourd — il avait sans doute entendu Royce vociférer devant sa chambre au cours des nuits précédentes.

Royce n'avait certainement pas parlé d'elle avec son cousin. Pourquoi l'aurait-il fait ? Elle n'était qu'une esclave dont il s'était entiché. Jamais il n'admettrait qu'une esclave l'avait séduit, surtout une Viking, la race qu'il haïssait le plus au monde.

Quant à Eda, elle n'ignorait rien de leur situation, mais elle était trop loyale envers Royce pour racon-ter quoi que ce soit à quiconque.

Kristen, quant à elle, était étonnée que Royce con-tinue à quémander ses faveurs malgré les refus répé-tés auxquels il se heurtait. Bien sûr, sa bonne grâce disparaissait et il devenait de plus en plus irritable. Mais il faisait tout de même preuve d'une patience incongrue. En fait, Kristen s'attendait plus ou moins à ce qu'il utilise la manière forte. Mais il ne le faisait pas. Et cela provoquait chez elle un étrange senti-ment de frustration.

Elle avait toujours envie de lui. Maintenant qu'elle avait enfin connu l'amour, elle ne l'en désirait que davantage. Seule sa fierté l'empêchait de le lui avouer.

Cette nuit-là, elle attendit avec anxiété sa visite. Il ne vint pas. Du coup, elle l'imagina en train de pren-

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dre son plaisir avec une autre et tenta de se convain-cre que cela lui était égal. Elle aurait été mieux dispo-sée le lendemain matin si elle avait su comment il avait passé la nuit.

Les heures qui suivirent lui parurent incroyable-ment longues. Elle était certaine que Royce ne vien-drait plus jamais, qu'il en avait fini avec elle. Ne pas le voir de la journée ne fit que renforcer cette impression.

Malgré cela, le soir venu, dans sa chambre, Kristen l'attendit encore après qu'Eda lui eut retiré ses chaî-nes. Elle resta assise sur sa paillasse à martyriser ses guenilles, espérant le voir entrer. Elle ne voulait pas que Royce l'abandonne, mais qu'il vienne et qu'il l'oblige à se donner à lui. Pourquoi ne le faisait-il pas ?

Après une longue attente, elle finit par se résigner et se déshabilla. Depuis une semaine, elle dormait tout habillée car Royce passait la voir chaque soir. C'était désormais inutile. Il ne viendrait pas.

Elle ne dormait pas quand la porte s'ouvrit. Une torche dans le couloir découpait la silhouette mas-sive de l'intrus. Immédiatement, des picotements parcoururent le corps de Kristen. Une joie folle l'envahit. Il était venu ! Il ne l'avait pas oubliée...

Il s'immobilisa au bord de la paillasse, le visage fermé, sans prononcer le moindre mot.

Elle brisa le silence. — Etes-vous prêt à m'enlever ces chaînes,

milord ? — Non. — Même si je jure sur la tête de ma mère que je ne

chercherai pas à fuir ?

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— Non, car pour ce que j'en sais, il est possible que tu détestes ta mère ou même qu'elle soit déjà morte.

Kristen réprima sa rage. Elle se redressa sur les coudes, laissant la couverture glisser et découvrir ses seins. Ce n'était pas très noble de sa part mais elle en avait assez de cette situation.

Elle mit suffisamment de colère dans sa voix pour lui laisser croire qu'elle ne s'était pas rendu compte de ce qu'elle faisait.

— Il se trouve que j'aime énormément ma mère et qu'elle est bien vivante. Elle doit être folle d'inquié-tude à mon sujet. Vous pensez sans doute qu'une femme n'a pas le sens de l'honneur ? Ou bien est-ce simplement parce que je suis une Viking ?

Malgré lui, ses yeux avaient glissé jusqu'à sa poi-trine frémissante. Il se ressaisit et la dévisagea.

— Des mots, rien que des mots. Les actes en disent plus long et les tiens ne plaident pas en ta faveur.

— Pourquoi ? Parce que je veux tuer votre cousin ? Ou parce que je ne réponds pas dès que vous sifflez ?

Du poing, il se frappa la paume de la main. Elle venait de marquer un point. Elle avait enfin réussi à provoquer une réaction de sa part, même si ce n'était pas exactement celle qu'elle aurait désirée.

— Par le Ciel! jura-t-il, excédé. Ton audace est inouïe ! Je vois que je perds mon temps. Tu refuses simplement de comprendre.

— Je comprends, Royce, répliqua-t-elle d'un ton raisonnable. Et j'étais prête à faire la moitié du chemin.

— C'est faux ! Tu veux que ce soit moi qui fasse tout le chemin.

— Non, je t'ai offert ma parole et c'est un grand

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prix que je paie car j'ai autant envie de rentrer chez moi que de rester ici.

— Comment te faire confiance ? Je te connais à peine. Et j'ai du mal à croire que tu aies réellement envie de rester ici où tu es privée de tout, où tu ne seras jamais qu'une esclave.

— Quelle perspicacité, Saxon, se moqua Kristen. Pour quelle raison, en effet, voudrais-je rester ici ? Sûrement pas pour toi, en tout cas.

— Moi ? s'étrangla-t-il. Tu veux me faire croire que tu tiens à moi alors que tu me repousses tous les soirs ? A moins que tu ne sois enfin décidée à m'accompagner, Kristen ?

— M'enlèveras-tu ces chaînes ? — Par tous les saints... Il ne termina pas et tourna les talons. Il quitta la

pièce sans un mot. Kristen avait envie de hurler. — Tu acceptes la défaite trop facilement, Saxon !

cria-t-elle, dépitée. La porte se rouvrit aussitôt. Elle tressaillit. — T'ai-je bien entendue, femme ? s'enquit Royce

d'une voix glaciale. Il laissa la porte ouverte et se dirigea lentement

vers elle. Kristen serra la couverture sur son cou. Elle hésita à se lever car elle se sentait trop vulnéra-ble, ainsi à ses pieds, mais elle ne voulait pas montrer le moindre signe de crainte. Elle le fixa droit dans les yeux.

— Que crois-tu avoir entendu ? Il ne broncha pas mais son impassibilité avait quel-

que chose de menaçant. — Un défi. Et quand on lance un défi, on doit être

capable d'en supporter les conséquences.

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— C'est-à-dire? Il se pencha et, d'un seul geste, lui arracha la cou-

verture des mains. Une fraction de seconde plus tard, il la chevauchait, lui tenant la tête à deux mains pour l'embrasser. A l'instant où leurs bouches allaient se toucher, Kristen se cabra si violemment qu'il roula sur le côté. Elle savait que seule la surprise lui avait permis de réussir ce coup-là, mais elle en tira immé-diatement profit en bondissant vers la porte. Une main la saisit par la cheville.

Kristen tomba, se retourna et, frappant Royce de son pied libre, réussit à se dégager. Mais il se redres-sait déjà et elle sut qu'elle n'aurait pas le temps d'atteindre la porte.

Elle se leva avec lui, reculant doucement, les bras repliés devant elle comme un lutteur, pour le tenir à distance. Il effectua un mouvement tournant pour l'obliger à s'éloigner de la porte. Dès qu'il eut bloqué sa seule issue, il s'immobilisa.

— Retourne sur ton lit, Kristen. C'était un ordre. Elle secoua farouchement la tête,

reculant encore jusqu'à ce que le mur l'arrête. La fuite n'était plus possible mais elle ne désirait pas vraiment s'enfuir. Il allait finalement lui imposer sa volonté et même si elle était bien décidée à ne pas le laisser vaincre facilement, elle désirait qij'il rem-porte cette victoire — ou du moins qu'il croie l'avoir remportée.

Son cœur s'affola quand elle le vit enlever sa cein-ture et arracher sa tunique. Il jeta ses vêtements avec colère. Il était vraiment furieux et là résidait le dan-ger. Il pouvait la blesser par mégarde. Sa force était si terrifiante qu'il était capable de la briser comme

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une noix entre ses bras. N'allait-il pas la battre pour la soumettre, comme le feraient la plupart des hom-mes ? Mais elle connaissait les risques en se lançant dans cette folle entreprise.

Il ne bougea pas tout de suite, mais il la contempla. La lumière de la torche dans le couloir n'éclairait que la moitié de son corps, laissant l'autre dans l'ombre. Si elle n'avait pas été nue elle aussi, il aurait sans doute fini par se calmer.

Kristen fit un pas de côté, évitant le coin de la pièce où elle aurait été irrémédiablement prise au piège. Elle s'aperçut trop tard que c'était ce qu'il voulait : la forcer à retourner vers le lit ; il manœuvrait habi-lement, l'empêchant de gagner la porte.

Elle choisit encore une fois la solution inattendue. Les mains jointes, elle frappa Royce comme elle avait frappé Alden. Le coup avait étourdi son cousin. Mais Royce ne lui tournait pas le dos et ce fut Kristen qui eut la surprise de se sentir saisie. Il ne chercha pas à arrêter son coup mais, au contraire, y ajouta sa propre force en se baissant. Irrésistiblement entraî-née, Kristen se sentit soulevée de terre. Il la chargea sur son dos.

Il n'avait que deux pas à faire pour atteindre la paillasse. Il l'y laissa tomber comme un vulgaire sac.

Le souffle coupé, Kristen en fut à moitié assom-mée. Royce ne lui laissa pas le temps de récupérer : il se plaça entre ses jambes et la pénétra avant qu'elle puisse tenter quoi que ce soit.

Elle poussa une exclamation outragée et tenta en vain de le repousser de ses deux mains.

— Abandonne, tigresse, lui gronda-t-il à l'oreille. Tu es vaincue.

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Elle se cabra pour le repousser, sans succès. En fait, cela ne servit qu'à le faire plonger plus profon-dément en elle. Elle cria à nouveau mais cette fois, à cause du plaisir qu'elle éprouvait de le sentir en elle. Il émit lui aussi un râle très semblable.

— Ah ! femme, je retire ce que j'ai dit, murmura-t-il, la voix rauque. Bats-toi autant que tu veux.

Kristen faillit rire devant cette supplique passion-née. Elle n'en eut pas le temps, car il posa la bouche sur la sienne en un fervent baiser. Elle lui offrit encore une faible résistance en essayant de se détourner mais finalement, elle déposa les armes, acceptant son baiser et le lui rendant.

Il n'était plus furieux et elle s'en réjouissait car elle n'aurait pas supporté la moindre brutalité de sa part. Elle joignit les mains derrière son cou pour mieux le serrer contre elle. Il commença alors un délicieux mouvement circulaire, soulevant les han-ches sans se retirer complètement pour fouiller de la façon la plus érotique l'entrée de sa caverne intime.

Kristen atteignit l'orgasme presque aussitôt. Il fut d'une violence inouïe. Elle se tordit, s'arcbouta, par-venant même à soulever Royce. Puis, il s'effondra sur elle de tout son poids, décuplant encore son plai-sir. Elle gémit. Son corps était parcouru de longs fré-missements incontrôlables, elle avait l'impression que son ventre avait fondu sous l'effet du merveil-leux liquide qui se répandait en elle.

Ce fut avec regret qu'elle revint à la réalité. Il était comme un poids mort sur elle mais cela ne la gênait pas. La tête tournée sur le côté, il respirait avec diffi-culté. Elle lui caressa rêveusement les cheveux, jouant avec ses boucles. Elle avait envie de rester

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ainsi jusqu'à la fin des temps. Jamais, elle n'avait connu une telle sensation de paix.

Que pouvait-il penser d'elle et de son comporte-ment si versatile ? Considérant la façon dont les hom-mes tiraient fierté de leurs prouesses sexuelles, il devait sans doute s'attribuer le mérite de sa capitula-tion... Kristen s'en moquait, tant qu'il ne devinait pas qu'elle l'avait manœuvré afin d'obtenir ce qu'elle désirait.

Elle jouait à présent avec les muscles de ses épau-les, sentant sous ses doigts la pulsation frénétique d'une veine. Il se redressa pour la contempler. Elle lui rendit son regard, essayant de deviner ses pen-sées, mais son expression restait totalement indéchif-frable. En fait, il l'examinait comme s'il cherchait lui aussi à deviner ses pensées. S'il avait su... Elle sourit.

— Tu n'es donc pas furieuse contre moi ? — Bien sûr que si.

Royce rit comme un gamin. — Tu souris toujours quand tu es furieuse ? — Pas toujours. Elle avait dit cela avec sérieux. Il hocha le menton.

Il ne s'habituait pas à la façon qu'elle avait de tou-jours plaisanter.

— Je suppose que je devrais te demander pardon, offrit-il.

— Oui, tu le devrais. Pas question pour lui de s'excuser. Elle l'avait

défié. Il n'aurait peut-être pas dû se comporter de la sorte mais elle avait fait plus que l'accepter — et elle avait pris sa part de plaisir...

Il voulut se redresser pour la libérer de son poids, mais leurs ventres se collèrent encore plus intime^

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ment. Il était toujours en elle et Kristen ferma les yeux, savourant cette sensation. L'observant, Royce retint son souffle.

— Bon sang, tu le fais exprès ? murmura-t-il d'une voix étranglée.

Elle ouvrit très vite les paupières. — Quoi? Elle ignorait sincèrement ce qu'elle avait fait, cette

fois. — Quand tu es comme ça... Tu as le même air que

quand nous... — Comment le sais-tu ? Tu m'observes ? — Oui. Cela intrigua Kristen. — Je n'y avais pas pensé. Je te regarderai, moi

aussi, la prochaine fois que je ferai l'amour. — Plonger dans des yeux comme les tiens à un

moment pareil, ça va me rendre fou, prédit-il. Un sourire étira les lèvres sensuelles de Kristen. — Ne vous faites aucun souci, milord. Je ne pense

pas que ce sera avec vous. — J'espère que tu plaisantes, femme, répliqua-t-il

en faisant mine de l'étrangler gentiment. Tu risques gros. Je ne te permets pas de prendre un autre amant. Tant que j'aurai envie de toi, tu me seras fidèle.

Elle haussa un sourcil moqueur. — Vraiment ? Il ne lui répondit pas mais la força à se lever avec

lui. Il ramassa leurs vêtements et se dirigea vers la porte. Kristen se sentit alors rougir en constatant que celle-ci était restée ouverte. N'importe qui aurait pu les voir faire l'amour.

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L'amour. Elle aimait ce mot. Il était son amant. Il y aurait des changements maintenant. Et il ne le regretterait pas. Elle lui prouverait son amour.

Dès qu'ils eurent franchi le seuil de la chambre de Royce, celui-ci se tourna vers elle et la souleva dans ses bras.

— Maintenant, tu vas payer pour m'avoir repous-sé si longtemps. Tu ne dormiras pas de la nuit.

— Est-ce un défi, milord ? ronronna Kristen. Elle espérait que c'était plutôt une promesse.

Le jour se levait à peine quand Royce fut réveillé par un de ses hommes. Une bagarre avait éclaté parmi les prisonniers. Ils avaient été ramenés à la raison mais Thorolf voulait lui parler.

Royce renvoya le garde. Si les troubles étaient ter-minés, il n'y avait pas urgence. Mais il ne pouvait pas non plus tergiverser. Il soupira en contemplant sa compagne. A la lumière rose de l'aube qui pénétrait dans la chambre, il voyait ses formes épanouies.

Kristen dormait. Les voix ne l'avaient nullement dérangée. Pas étonnant, se dit Royce. Il l'avait tenue éveillée pendant la majeure partie de la nuit... En fait, elle n'avait pas du tout eu envie de dormir. Il sourit en se remémorant leurs ébats, un peu surpris de ne pas être lui-même fatigué.

Elle était allongée sur le côté, les mains entre les jambes comme si elle avait froid. Une habitude acquise sans doute au cours des rudes hivers de Nor-

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vège. Sa chevelure s'étalait, en désordre, comme une mare d'or.

Il éprouvait une joie sourde et exaltante à la con-templer ainsi sans qu'elle le sache. Elle était la pre-mière femme qu'il pouvait observer dans son sommeil. Il quittait toujours Corliss après leurs tris-tes rencontres. Quant aux autres, aux amours passa-gères, il préférait ne pas s'endormir avec elles.

Pourquoi en allait-il différemment avec cette Viking ? Il se rendait compte qu'il aimait lui faire l'amour et aussi partager les moments qui suivaient avec elle. Pourquoi ? Pourquoi elle ? Il la méprisait toujours. Elle et ses semblables lui avaient infligé les pires tourments. C'était une femme mais elle avait reçu la même éducation que les hommes qui étaient venus ici pour tuer et spolier son peuple. Elle était une Viking, une païenne, une abomination pour tout vrai chrétien.

Il n'aurait pas dû céder aussi facilement à l'atti-rance qu'elle exerçait sur lui. La faiblesse dont il avait fait preuve le déconcertait, et plus encore main-tenant qu'elle avait affirmé une volonté plus indomp-table encore que la sienne. Elle avait toujours eu envie de lui. Ce qui s'était passé cette nuit le démon-trait. Pourtant, elle l'avait repoussé pendant une semaine entière et aurait sans doute continué s'il ne l'avait forcée.

Royce fit la grimace. Inutile de se fustiger. Le mal était fait. La posséder une fois n'avait pas suffi. Il avait toujours envie d'elle et plus que jamais. Même en cet instant, il la désirait. Il ne la réveillait pas parce qu'il savait qu'ils feraient à nouveau l'amour plus tard.

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Malgré tout, il ne résista pas à la tentation de la toucher une dernière fois avant de quitter le lit. Il glissa la main entre ses seins qui frissonnèrent à peine. Il en pressa un gentiment avec sa paume. Kris-ten sourit dans son sommeil. Et Royce sourit à son tour.

« La journée va être merveilleuse », décida-t-il en s'habillant. Même la perspective de problèmes avec les prisonniers n'ébranlait pas sa bonne humeur.

Il les trouva dans la cour, réunis devant la hutte construite à leur intention. Waite ne les avait pas emmenés travailler, attendant la visite de Royce. Celui-ci s'approcha de Thorolf et remarqua aussitôt son air préoccupé. D'un signe de tête, Royce lui ordonna d'entrer dans la hutte où ils pourraient dis-cuter sans être dérangés.

— On m'a dit que vous vous êtes battus entre vous, ce matin, Thorolf. Tu veux m'en parler ?

Thorolf eut un geste de la main comme pour ba-layer cet incident mineur.

— Oh! ça? Ça, rien. Bjarni fâcher Ohthere avec plaisanterie...

Il s'arrêta et reprit, très sérieux : — Mais souci... vrai souci : Kristen et toi, milord. Royce resta pensif, se demandant s'il apprendrait

jamais ce qui s'était passé entre les Vikings ce matin. — Dois-je comprendre que tu n'as pas aimé toi

non plus les plaisanteries de Bjarni ? — Trop longtemps Kristen nous quitter. J'ai

besoin parler à elle... s'il te plaît. Royce se raidit, sachant ce qu'il avait dû en coûter

à cet intrépide Viking pour prononcer ces trois der-niers mots. Cela éveillait en lui des soupçons. Il avait

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souvent vu cet homme protéger Kristen à l'époque où on la prenait encore pour un garçon. II prétendait n'être que son ami. Et s'il était plus que cela ?

— Depuis quand la connais-tu, Thorolf ? — Depuis toujours. Voisins chez nous. Quand

enfants, nager, courir, cheval, chasser ensemble. Ma soeur Tyra et Kristen, amies. Très amies.

— Ainsi, c'est l'amie de ta sœur et on dirait que tu te sens responsable d'elle. Pourquoi ?

Thorolf resta muet. — Est-ce parce que son frère est mort ? reprit

Royce. Ou est-elle pour toi plus qu'une amie ? — Parler moins vite, Saxon. Ou amener Kristen

parler pour toi. — C'est très malin de ta part, mais elle ne viendra

pas. Elle est parfaitement installée chez moi et il est inutile de lui rappeler votre triste sort. Elle ne te dira rien que je ne puisse te dire moi-même. Elle va bien et on ne la maltraite pas. Ne te fais pas de souci pour elle.

— Besoin entendre elle le dire. Royce secoua la tête. — Si c'est tout ce dont tu voulais me parler... Il se dirigea-vers la porte. — Saxon ! s'exclama Thorolf avec colère. Pas tou-

cher Kristen. Royce fit volte-face et le contempla avec incré-

dulité. — Tu oses me dire ce que je dois ou ne dois pas

faire ? — Oui. Il éclata de rire. — Quelle arrogance ! Tu ne l'as peut-être pas

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encore remarqué, mais tu n'es pas en position de me donner des ordres, Thorolf.

— Vas-tu épouser elle ? — Ah ! ça suffit, Viking ! s'impatienta Royce. C'est

une esclave, pas une invitée. Son sort dépend de toi et de tes camarades, comme je te l'ai déjà dit. Mais rassure-toi. Elle n'a pas été blessée, ni forcée à agir contre sa volonté.

— Alors, toi pas toucher encore ? Cette fois, Royce ne répondit pas. Thorolf en tira

ses propres conclusions et son tempérament de Viking fit le reste. Royce ne s'était pas attendu à cette attaque. Il n'avait pas prévu qu'un homme plus petit et moins fort que lui se risquerait à l'agresser. Tout à coup, il se retrouva au sol, la gorge serrée dans une étreinte mortelle. Il faillit être étranglé avant d'avoir eu le temps d'enfoncer sa dague de trois bons centi-mètres dans le ventre de Thorolf.

— Lâche-moi, vite, commanda Royce. Thorolf lui obéit et recula, une main sur son flanc

ensanglanté. Il était toujours furieux mais, à présent, pour une autre raison : il avait échoué dans sa tenta-tive. Royce était tout aussi exaspéré.

— Qu'espérais-tu en tentant un acte aussi stu-pide ? s'enquit-il.

— Après, toi plus toucher Kristen. — En me tuant ? Oui, je ne l'aurais plus touchée

mais tu n'aurais pas été là pour t'en vanter. — Pas tuer, insista Thorolf. Autres moyens pour

toi plus toucher Kristen. Jamais. Royce le contempla avec perplexité jusqu'à ce que

Thorolf mime ses intentions avec éloquence. — Oui, grogna Royce. Tu as raison. Je veillerai à

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l'avenir à ne pas rester à portée de tes mains. Je m'aime bien comme je suis, entier.

Il se redressa en secouant la tête. — Jeune idiot, poursuivit-il, je t'ai dit que Kristen

n'avait pas été forcée. Tu ne m'as pas cru ? La seule chose dont elle se plaint, c'est de devoir porter ses chaînes.

Thorolf lui jeta un regard incendiaire. — Toi mentir ! Beaucoup vouloir Kristen. Beau-

coup ! Elle refuser tous. — Vraiment? Alors, j'imagine que j'ai eu de la

chance, remarqua Royce sèchement. — Si toi dire vrai, Saxon, tu dois épouser. Royce soupira devant une telle absurdité. — J'ai déjà une fiancée, Thorolf, mais même sans

cela, je n'épouserais jamais une païenne, encore moins une Viking ou une esclave. Et Kristen est tout cela. De plus, elle m'appartient déjà. Donne-moi une seule bonne raison pour laquelle je l'épouserais.

— Bjarni pas tort. Kristen peut-être aimer toi. Alors, oui. Mais sans marier, pas aimer longtemps. Elle choisir toi, Saxon. Toi te conduire avec honneur ou perdre Kristen.

— Je ne peux pas perdre ce que je possède déjà, répliqua Royce.

Et, préférant ne pas fouiller davantage les tré-fonds de l'âme viking, il sortit de la hutte. Thorolf le suivit des yeux tandis qu'il traversait la cour. Ainsi, Bjarni avait raison... Il disait avoir observé Kristen quand elle était encore parmi eux et il prétendait n'avoir jamais vu de femme aussi amoureuse.

Kristen avait enfin fait son choix. Et c'était un mauvais choix. Solitaire et recluse, elle n'avait pas

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d'amis auprès d'elle pour le lui dire. Le Saxon ne l'honorerait jamais. C'était un homme puissant et elle une esclave. En homme libre qui possédait bon nombre d'esclaves lui-même, Thorolf comprenait le raisonnement du Saxon. Mais Kristen n'était pas née esclave. Et si elle décidait de se révolter, elle le ferait avec toute sa rage, avec toute sa détermination. Cela pouvait être extrêmement dangereux pour le Saxon et pour elle-même.

Thorolf se demanda pourquoi il avait pris la peine de prévenir le Saxon. En tant que chrétienne, elle répugnait à utiliser la violence. Mais elle était aussi une Viking et la fierté et l'audace des gens du Nord coulaient dans ses veines. « Si seulement, elle était moins téméraire ! » pensa Thorolf. Si elle se retour-nait contre son maître, elle risquait de le payer très cher.

Kristen s'étira langoureusement. Elle sourit au rouge-gorge perché sur le rebord de la fenêtre dont le chant joyeux l'avait éveillée. Il s'envola dès qu'elle se leva.

Elle était seule. Elle se demanda si la porte était verrouillée et alla le vérifier. Elle ne l'était pas. Elle sourit à nouveau. Oui, les changements avaient com-mencé. Royce allait enfin lui donner sa confiance. Elle devrait veiller à ne surtout pas le décevoir.

Ses vêtements gisaient toujours là où Royce les avait laissé tomber la veille. Elle s'habilla rapide-

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ment puis remit un peu d'ordre dans la chambre en fredonnant un chant celte que sa mère lui avait appris.

— Ainsi, tu connais d'autres langues que la nôtre ? Kristen jeta un regard vers le seuil. Elle accueillit

Eda avec un large sourire. — Oui, plusieurs. — Eh bien, arrange-toi pour que milord Royce ne

t'entende pas utiliser celle-là, car la plupart des Cel-tes sont nos ennemis.

— La plupart ? — Certains vivent paisiblement ici dans le Wessex

aux côtés des Saxons, tout comme ceux qui se trou-vent dans le Devon et même dans le Dorset. Mais les Celtes qui occupent les côtes à l'Ouest sont nos enne-mis... Ils se sont ligués avec les Danois.

— Et les Gallois qui vivent au Nord-Ouest? s'enquit Kristen en pensant à sa mère.

— Des ennemis, eux aussi, même s'ils sont trop loin d'ici pour nous causer du tort. La dernière fois que j'ai entendu parler d'eux c'était il y a bien des années quand ils ont attaqué la Mercie. Le roi Ethel-wulf, le père d'Alfred, s'est porté au secours des Mer-ciens. Il a conduit son armée vers le nord et vaincu les Gallois. Mais les autres, ceux de Cornouailles, continuent à lancer des raids contre nous. Il y a à peine deux jours, une bande de pillards a tenté de nous voler du bétail. Lord Royce a retrouvé les bêtes mais il a pourchassé les voleurs en vain pendant toute la nuit. Ils lui ont échappé. Alors, crois-moi, il n'aimera pas t'entendre utiliser cette langue.

Kristen souriait de plus en plus béatement, au point de se mettre à rire de façon incontrôlable.

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Voilà donc pourquoi Royce n'était pas venu la voir l'autre soir... Et dire qu'elle s'était imaginé qu'il pas-sait la nuit dans les bras d'une autre femme !

— Ta bonne humeur me surprend, grommela la vieille servante.

— Tu ne comprendrais pas, Eda. Mais je suis déso-lée que Royce n'ait pu rattraper ces voleurs. J'igno-rais que les Celtes étaient vos ennemis.

Eda haussa les épaules. — Bah ! Ce ne sont pas les seuls. Il y a même quel-

ques seigneurs saxons qui ne nous aiment guère et l'un d'entre eux en particulier. Rien ne ferait plus plaisir à lord Eldred que de voir milord Royce mort. Ils se détestent depuis qu'ils se sont rencontrés à la Cour.

— Sais-tu pourquoi ? — Oui. Lord Eldred est jaloux de l'amitié qui

unit le roi à lord Royce. Cette amitié a commencé avant qu'Alfred soit couronné. Ils chassaient et participaient aux joutes ensemble. La plupart des fils cadets demeurent à la Cour et milord y est resté jusqu'à la mort de son père et celle de son frère. A présent, il s'y rend rarement et unique-ment quand Alfred le demande. En raison de la menace que font peser les Danois sur le royaume, Alfred a prié milord et lord Eldred de mettre leur rancœur de côté.

— Sage décision. Royce a suffisamment de problè-mes avec les Danois pour ne pas, en plus, devoir pro-téger ses arrières.

— Qu'est-ce que cela peut te faire ? La plupart des seigneurs, quand ils meurent, accordent la liberté à leurs esclaves.

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— Je veux ma liberté, Eda, mais pas de cette manière, répliqua Kristen.

La vieille femme eut l'air mi-surprise, mi-satisfaite par cette réponse.

— Bon, viens maintenant. Milord a dit de te laisser dormir mais il n'a pas dit de te laisser folâtrer toute la journée. Tu as déjà manqué un repas.

Kristen sourit et se dirigea vers la porte. Eda con-templait les chaînes qui traînaient dans un coin de la pièce. Kristen surprit son regard.

— Laisse-les, Eda. Je ne les porte plus. — C'est ce qu'il t'a dit ? — Non, mais... Eda ramassa les chaînes. — Jusqu'à ce qu'on me dise le contraire, tu devras

les porter. — Non, je te dis qu'il ne veut plus. Tu n'as qu'à le

lui demander. — Es-tu devenue folle, Viking ? Je n'oserai jamais

l'importuner pour un détail aussi mineur. Kristen prit l'air menaçant. Eda leva la main en

signe d'apaisement. — Kristen, reprit-elle, ne me rends pas les choses

pénibles. S'il est prêt à te faire confiance désormais, il me le dira. Ne peux-tu attendre un peu ?

Non ! avait-elle envie de hurler — mais à quoi bon ? Dans quelques minutes — au pire dans quelques heu-res si Royce était déjà parti — elle le verrait et il cor-rigerait cet oubli. Elle pouvait bien attendre jusque-là même si cela ne lui plaisait guère.

Elle dut attendre beaucoup plus longtemps que prévu car il resta absent toute la journée. Eda apprit de la bouche de Udele, la gouvernante de Meghan,

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qu'il avait emmené l'enfant faire du cheval. Meghan revint en début d'après-midi, les joues roses et tout excitée. Mais Royce ne l'accompagnait pas. Eda remarqua qu'il était rare de le voir prendre sur son temps pour distraire sa sœur. Et à voir l'air enjoué de Meghan, celle-ci avait beaucoup apprécié leur promenade.

Si Kristen avait été surprise qu'il manifeste tant d'attention envers sa petite sœur, elle commençait aussi à s'impatienter. Son impatience se transforma bientôt en irritation, laquelle se mua en ressenti-ment. En fait, elle se retrouvait dans la même dispo-sition d'esprit que la semaine précédente quand il l'avait forcée à remettre ses fers. Se trompait-elle ? Pouvait-il se montrer si tendre au lit et n'éprouver aucun remords à la voir enchaînée ?

Royce fit son apparition dans le hall à la fin du dîner. Kristen l'examina avec avidité tandis qu'il tra-versait la salle à grandes enjambées. Quand leurs regards se croisèrent, il lui sourit et la colère de Kris-ten s'évanouit comme par enchantement. Dieu lui en était témoin, ce Saxon possédait un charme irré-sistible.

Darrelle réclama son attention et Kristen reprit sa besogne. Elle avait tort de s'angoisser. Il n'était pas méchant mais simplement distrait. Dès qu'il s'aper-cevrait qu'elle était encore enchaînée, il ferait amende honorable et viendrait la libérer.

Dès la fin du repas, alors que chacun se préparait pour la nuit, Royce vint la trouver. Il avait mangé à satiété, partagé quelques bières avec ses hommes et attendait qu'on ait fini de chauffer l'eau de son bain.

Il s'arrêta près d'elle et contempla l'énorme boule

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de pâte à pain qu'elle préparait pour le lendemain matin.

— Comment s'est passée ta journée, femme ? Il évitait de la regarder et elle en conclut qu'il était

gêné par la présence des autres. — Bien, milord. — Ta nuit sera bien meilleure. Il avait fait cette promesse d'une voix rauque qui

la fit frissonner. Puis, il se dirigea vers la salle de bains. Elle le contempla, incrédule. Il n'avait pas pu ne pas remarquer les chaînes qui lui serraient les chevilles. Il était impossible qu'il n'ait pas vu la lon-gue chaîne qui la reliait au mur: elle traînait par terre et les femmes se plaignaient car elles ne ces-saient de trébucher dessus.

Une rage folle s'empara d'elle. Elle en tremblait. Que Dieu crève ses yeux verts ! Partager son lit alors qu'il ne lui accordait pas sa confiance la rabaissait au rang d'une putain.

— Je te l'ai déjà dit, il est encore trop tôt pour lui. Il ne peut pas te faire déjà confiance. Attends ton heure.

Eda se tenait derrière elle. Kristen ne prit pas la peine de se retourner pour répondre. Les mains join-tes pour réprimer ses tremblements, elle parvint à contrôler ses émotions. Sa rage se mua en mépris.

— Si j'attends encore, j'aurai les chevilles en miet-tes et je l'aurai bien mérité pour avoir pactisé avec l'ennemi. Ces blessures seront ma pénitence.

— Ta pénitence ? Que le Ciel m'en soit témoin, tu parles comme une chrétienne. Tes prêtres offrent-ils eux aussi leur pénitence à vos dieux ?

Kristen préféra ne pas répondre.

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— Il n'y a plus de travail, Eda ? demanda-t-elle froidement.

— Non. Eda la débarrassa de la chaîne qui l'attachait au

mur. Elle retira aussi les bracelets afin de lui permet-tre de monter l'escalier plus facilement. Elle ne pou-vait s'empêcher d'éprouver de la compassion pour la Viking.

— Allons-y, dit-elle, sachant que Kristen la suivrait.

C'est ce qu'elle fit car, sans armes et sans un plan cohérent, il était inutile de tenter de s'enfuir. Mais, comme la semaine précédente, Kristen s'arrêta devant la porte de sa chambre tandis qu'Eda conti-nuait vers celle de Royce. En pénétrant dans sa cel-lule, Kristen se figea : la pièce avait été entièrement vidée.

Elle sentit Eda derrière elle. — Qu'est-ce que ça signifie ? — Milord ne m'a rien dit à propos de la chaîne,

Kristen, mais il a bien précisé que le seul lit dont tu disposes maintenant, c'est le sien.

Kristen éclata de rire. — Vraiment ? C'est ce qu'on va voir. Je préfère

encore dormir par terre ici que dans son lit. — Il va être furieux. — Et alors ? Eda la quitta pour aller informer Royce. Kristen

ne broncha pas. Puis elle entendit le verrou cla-quer. Elle avait vaguement espéré qu'Eda l'oublie-rait car, tandis que Royce prenait son bain en bas, elle aurait eu tout le temps de se glisser dans sa chambre pour y dérober une arme, même si l'usage

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qu'elle aurait pu en faire ne lui apparaissait pas encore clairement.

Elle s'assit dans le coin de la pièce le plus éloigné de la porte, et attendit.

Quand Royce arriva, Kristen n'avait toujours pas bougé. Les genoux rassemblés sous elle, elle était prête à bondir en cas de besoin. Il ne semblait pas furieux... pas encore. Mais il n'était pas ravi non plus.

Sortant de son bain, il portait une tunique blanche à manches longues, et une sorte de robe ouverte devant, bordée d'un large galon de soie verte et qui descendait jusqu'à ses pieds. Le vert et le blanc met-taient en valeur sa chevelure sombre et son teint bronzé.

Il était superbe mais elle n'en avait cure. Il conti-nuait à se moquer d'elle, et ce petit jeu avait assez duré.

— Eda m'a expliqué les raisons de ta présence ici. Je veux savoir pourquoi tu t'es crue dispensée de por-ter tes chaînes alors que je ne t'ai rien dit de tel.

La voix de Kristen s'éleva, calme et assurée. — C'est simple, Saxon. Tu sais pourquoi j'ai

refusé de partager ton lit pendant une semaine entière. Malgré cela, tu m'as prise avec toi, hier soir. J'ai été assez stupide pour croire que tu avais changé d'avis et que tu ne voulais plus m'imposer ces chaînes.

— C'est vrai, répliqua-t-il, tu as été stupide de

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croire une chose pareille. Je t'ai déjà expliqué pour-quoi tu dois rester enchaînée. Je t'ai aussi proposé d'autres choix.

Le calme de Kristen s'envola. — Je crache sur tes propositions ! Je porterai tes

maudites chaînes, mais je ne veux plus de toi. Je ne supporterai pas de te faire l'amour la nuit et d'être enchaînée le jour.

Il s'approcha d'elle. Craintive, elle se leva, mais il ne la toucha pas.

— Je te croyais plus forte... — Je ne suis pas sans courage, milord. Mon père

a été capturé et emprisonné dans sa jeunesse. Ma mère a dû endurer l'esclavage, elle aussi. Je suis ce que mes parents ont fait de moi et je ne serais pas digne d'eux si je ne pouvais supporter ma condition actuelle. Pour moi, il s'agit d'une punition méritée pour leur avoir désobéi et être partie avec mon frère. Je suis capable de le supporter, Royce. Mais il y a des limites à ce que je suis prête à subir sans me battre. Ne t'occupe plus de moi désormais, et je ne te cause-rai aucun problème.

— Je ne peux pas, déclara-t-il, sincère. Et toi non plus, tu ne le veux pas, Kristen.

— Je ne veux plus rien avoir à faire avec toi. Il serra les lèvres et des turbulences étranges appa-

rurent dans le vert de ses yeux. — Comment peux-tu dire une chose pareille après

hier soir ? — C'est ainsi. — Menteuse ! Tu as encore envie de moi, je te le

prouverai. Elle le regarda avec mépris.

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— L'obstination est mon plus grand défaut. Il me vient de ma mère. Un jour, elle a refusé de parler à mon père en raison d'une dispute. Elle ne lui a pas adressé la parole pendant un mois entier. Et pour-tant, ils s'aiment avec passion. J'ai peut-être encore envie de toi, Royce. Je suis attirée par toi et cela, je ne peux le changer. Mais je ne l'admettrai jamais et si tu me possèdes, ce sera contre ma volonté car, en m'enchaînant, tu me montres que je ne suis rien pour toi, que tu n'éprouves aucun sentiment à mon égard. J'ai besoin d'autre chose de l'homme auquel je me donne. Le désir seul ne suffit pas.

— Ainsi, tu nous refuses à tous deux ce plaisir ? Kristen ferma les yeux. Qu'avait-elle espéré ? Qu'il

lui dise qu'il tenait à elle ? qu'il éprouvait des senti-ments très forts pour elle ? Quelle folie...

Elle ouvrit les yeux. Il n'avait pas bougé. Mais, à présent, un muscle tressaillait sur sa joue. Il serrait les poings et ses yeux étaient deux fentes vertes. Il était enfin en colère. Tant mieux ! Voilà au moins quelque chose qu'ils avaient en commun.

— Réponds-moi, femme ! — Oui, milord. Je refuse ce plaisir. — Diablesse ! Tu as parlé. Maintenant, tu vas

m'écouter. Je te prendrai quand j'en aurai envie, que cela te plaise ou non. J'ai été clément jusqu'ici, mais j'ai eu tort et je ne commets jamais deux fois la même erreur. Tu as cru... j'ai voulu te laisser croire que tu avais le choix. C'est faux, Kristen, tu n'as pas le choix. Tu m'appartiens. Ta vie, ton corps, ton âme, tout m'appartient.

— Jamais ! Tu me possèdes, c'est vrai, car tu peux me tuer, me vendre, me violer ou faire de moi ce qu'il

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te plaira. Mais il n'en sera pas toujours ainsi. Si je suis vendue, si je m'échappe ou si je meurs, tu ne pos-séderas plus rien. Quant à t'appartenir ! Tu ferais mieux d'y réfléchir à deux fois. A moins que je ne le veuille, ce mot ne signifie rien. Pour t'appartenir, il faudrait que je t'aime vraiment. Il faudrait que je veuille ne jamais te quitter...

— Je ne te demande pas ton amour, déclara-t-il méchamment.

— Tant mieux ! rétorqua-t-elle sur le même ton. Parce que je ne te le donnerai pas. Tu parles de choix. Oui, que tu me possèdes dépend uniquement de toi. Que je sois prête à m'offrir à toi ne dépend que de moi. Et cela, je ne le veux pas, Saxon.

— Tu veux donc me résister ? — Oui. — Tu as déjà appris à tes dépens que cela ne sert

à rien. — Non, ce que j'ai appris, c'est qu'il est facile de

te manipuler en te défiant, admit-elle avant de pour-suivre, l'air railleur : Tu ne sais pas encore comment je peux me défendre. Hier soir, tu n'as rien fait que je ne voulais que tu fasses. Car j'avais envie de toi. Mais si tu tentes de me forcer maintenant, je me bat-trai pour de bon. Et je te jure que tu n'en tireras aucun plaisir.

Elle ne le vit pas bouger. D'un geste vif comme l'éclair, il s'était emparé de son bras et la traînait vers la porte. Elle le laissa faire jusqu'à ce qu'ils soient dans le couloir. Là, brusquement, elle se libéra. Elle l'entendit jurer tandis qu'elle fuyait. Il la plaqua violemment au sol avant qu'elle n'atteigne l'escalier. Il pesa sur elle de tout son poids.

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Elle attendit encore qu'une opportunité s'offre à elle. Dès qu'il se souleva un peu, elle lui expédia son coude dans les côtes et roula sur le côté. Elle tenta de le frapper à nouveau d'un coup de pied mais il sai-sit sa jambe au vol, la tordit d'un coup sec en arrière. Il lui prit la main et, l'instant d'après, il la mettait sur ses épaules.

Il eut quelques problèmes à se redresser tandis qu'elle se débattait violemment, mais il y parvint et se dirigea vers sa chambre. Kristen ne s'avouait nul-lement vaincue. Jetée en travers de ses épaules, elle empoigna ses cheveux longs et les tira si violemment en arrière qu'un homme moins puissant en aurait eu le cou brisé. Royce perdit l'équilibre et se cogna con-tre le mur.

Kristen cria en se sentant tomber. Elle atterrit sur les fesses. Mais elle ne lâcha pas les cheveux de Royce, le forçant à s'agenouiller près d'elle.

Avec un cri de rage, il lui fit lâcher prise en lui tor-dant le poignet derrière le dos. Elle crut qu'il lui bri-sait le bras. Il ne cherchait, en fait, qu'à l'obliger à se lever. Ce qu'elle fit vivement.

Il la maintenait devant lui, l'obligeant à avancer en lui imprimant de douloureuses torsions du bras. Il la conduisit ainsi jusqu'à sa chambre. Dès qu'ils en eurent franchi le seuil, il la poussa violemment.

Kristen trébucha, se redressa et fit volte-face. Cal-mement, il ferma la porte. Tout aussi calmement, il dépassa la jeune femme et lança la clé par la fenêtre ouverte.

Un frisson glacé parcourut Kristen. Il ne se jeta pas immédiatement sur elle. La pièce était bien éclai-rée et il semblait froidement déterminé. Il la jau-

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geait, mais il ne venait toujours pas. Il se dirigea vers le lit. Là, à l'aide de sa dague, il commença à décou-per de fines bandes de tissu dans la couverture.

Elle ne comprenait pas où il voulait en venir. Elle se disait qu'il était sûrement devenu fou car cette couverture était une véritable œuvre d'art, tissée dans une laine très fine et brodée de fils de couleurs différentes.

Après avoir découpé quatre longs morceaux, Royce s'arrêta. Il attacha l'un des morceaux à l'un des quatre montants du lit puis se dirigea vers le suivant.

Kristen se figea. Elle crut que son cœur s'arrêtait car elle ne voyait qu'une seule raison à un tel compor-tement.

Avec un hurlement de désespoir, elle courut jusqu'au mur couvert d'armes et décrocha une lourde épée. Il était fou !

— Repose-la, Kristen. Comment pouvait-il être aussi calme quand il avait

l'intention de la torturer ? Elle lui fit face. — Non! Tu devras me tuer! Je ne te laisserai

jamais me torturer ! Il secoua la tête avant d'achever sa besogne. Il atta-

cha le troisième bout de tissu, puis le quatrième. Il ne la regardait même pas, se concentrant sur ce qu'il faisait. Elle ne le quittait pas des yeux et vit un sou-rire cruel étirer ses lèvres. Cette vision lui rendit son sang-froid.

L'épée était lourde, beaucoup plus lourde que tou-tes celles avec lesquelles elle s'était entraînée. Tout à coup, elle se rendit compte qu'elle avait laissé pas-

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ser sa chance. Elle aurait dû en prendre une plus légère, et attaquer Royce plutôt que de rester là à le regarder sans rien faire.

Royce rengaina sa dague dans son fourreau. Les mains nues, il vint vers Kristen. Il disposait d'un ample choix d'armes dans la panoplie mais pour se servir, il devait d'abord l'écarter. Elle ne lui en laisse-rait pas l'occasion.

Gardant la pointe de l'épée assez bas, elle était prête à la relever brusquement pour piquer vers sa cible. Mais Royce s'arrêta à distance, de façon qu'elle soit obligée de bouger pour l'atteindre.

— Dis-moi, Kristen. Toutes les Norvégiennes sont-elles aussi bien entraînées au maniement des armes ?

— Non. — Mais je sais que toi, tu l'as été car tu as prouvé

à deux reprises ton habileté au détriment de mon cousin. C'est ton père qui t'a entraînée, je suppose ? Ou peut-être ton frère Selig ? Bien sûr, il n'était pas si fort que cela sinon...

Elle poussa un hurlement de rage et leva l'épée au-dessus de sa tête pour l'abattre violemment. Elle lui aurait tranché l'épaule s'il n'avait fait un bond sur le côté. Mais, au lieu de reculer, il s'était approché d'elle. Son poing frappa le poignet de Kristen avant qu'elle n'ait eu le temps de manœuvrer à nouveau son arme pesante.

L'épée tomba bruyamment sur le sol. Kristen se sentit retournée. Tout à coup, il se trouvait derrière elle et lui maintenait les deux bras dans une étreinte irrésistible. Elle avait beau se débattre de toutes ses forces, elle ne parvenait pas à se libérer.

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— Petite idiote. Personne ne t'a appris à ignorer les commentaires de ton adversaire ?

Pour toute réponse, elle lui envoya un coup de talon dans le tibia mais ses fines sandales ne lui infli-gèrent qu'une douleur minime. Il la jeta sur le lit avant de se laisser tomber sur elle, l'immobilisant sous son poids. Il attendit qu'elle libère une de ses mains pour s'en emparer. Kristen gémit sourdement lorsqu'il noua un morceau de tissu autour de son poignet.

Il avait lié le poignet gauche au montant droit. Elle se retourna mais son poing ne rencontra que le vide. Dédaignant la deuxième main, il s'occupa des jam-bes. Il lui fut facile d'en attacher une en immobili-sant l'autre sous son genou.

Kristen avait envie de pleurer mais la rage l'emportait encore.

— Après, tu feras bien de me tuer, Saxon, sinon je t'enverrai en enfer !

Royce ne prit même pas la peine de lui répondre. Il se leva et la contempla : elle avait les deux jambes écartées, les deux pieds solidement attachés aux montants du lit. Il s'approcha du dernier coin encore inutilisé.

Kristen ne le quittait pas des yeux, gardant son bras droit pressé contre elle. Quand il se pencha pour le saisir, son poing jaillit. Il ne fut pas assez vif et elle éprouva une immense satisfaction en voyant la lèvre de Royce éclater. Du sang perla. Il n'était plus aussi fier, à présent. Il s'empara de son bras libre d'un geste rageur et l'immobilisa dans un nœud doulou-reux. Puis il se redressa et essuya le sang sur sa bou-che du revers de la main.

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Il triomphait. Elle ferma les yeux. Cela avait été trop facile. Et maintenant, il allait la fouetter, ou la punir d'une manière ou d'une autre. Elle sentit un contact glacé contre sa peau. Il découpait sa tunique avec sa dague.

Kristen garda les yeux fermés. Elle ne crierait pas quand la douleur commencerait, elle ne pleurerait pas et elle ne le supplierait pas. Elle ne lui donnerait pas cette joie.

— Ouvre les yeux, Kristen. Elle refusa. Elle sentit le lit s'affaisser. Il venait de

s'asseoir à ses côtés. Finalement, comme il ne disait et ne faisait toujours rien, elle s'énerva et regarda. Son regard était plongé dans le sien. Puis, délibéré-ment, ses yeux quittèrent son visage pour caresser tout son corps. Une sensation de chaleur s'éveilla au plus profond d'elle-même.

Elle était totalement impuissante. Elle pouvait à peine plier les genoux. Ses bras n'étaient pas complètement étirés et elle était néanmoins sur-prise de constater que cette position n'était pas réellement inconfortable. Ses liens ne lui mordaient pas les chairs à moins qu'elle ne force dessus. C'était l'incapacité dans laquelle elle se trouvait de se défendre qui la rendait si misérable. Et aussi le fait de ne pas savoir comment il allait la tor-turer.

— Tu t'es trompée. Elle le dévisagea, perplexe. — Comment ça ? — Tu jurais que je n'aurais aucun plaisir si tu me

résistais. Je t'assure que c'est un réel plaisir de te voir comme ça.

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Dieu lui vienne en aide ! Cet homme allait prendre plaisir à l'humilier...

— Sors ton fouet et qu'on en finisse, Saxon ! Il sourit. — Ah ! oui, tu as parlé de torture. Tu fais bien de

me le rappeler. Il s'empara de sa longue natte et l'examina avec

une grande attention. — Tu ne vas quand même pas me fouetter avec

ça ? s'exclama-t-elle, incrédule. — Bonne idée, fit-il en souriant. Il lissa la natte dorée entre ses mains. — Peut-être comme... ça, ajouta-t-il. L'extrémité de la natte formait comme un pinceau

entre ses doigts et il s'en servit pour effleurer le bout d'un de ses seins. Le sang afflua dans le mamelon qui se dressa.

Kristen en eut la chair de poule. La réponse invo-lontaire de son corps ne passa pas inaperçue aux yeux de Royce dont le sourire s'élargit. Le pinceau frôla négligemment la vallée qui séparait les seins avant de brosser doucement l'autre mamelon.

Royce se doutait-il de ce qu'il était en train de lui infliger ? Jusqu'ici, Kristen avait eu peur. Cette peur se transformait à présent en excitation. Elle était à la merci d'un homme qui savait parfaitement com-ment la satisfaire. Elle n'avait pas envisagé une telle torture...

— Tu... tu ne vas pas me frapper ? — Pourquoi sembles-tu si surprise ? demanda-t-il

doucement en promenant son pinceau improvisé sur son ventre. J'aime trop ta peau, tu crois vraiment que je voudrais lui infliger des marques disgracieuses ?

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— Tu étais furieux... — Avec raison. Tu viens de faire de moi un men-

teur. J'ai juré à ton ami Thorolf, aujourd'hui même, que je n'ai pas eu à te forcer pour t'amener dans mon lit. Et tu viens de m'obliger à le faire.

— Tu lui as dit... Oh ! Royce haussa les épaules. — Il se faisait du souci pour toi et voulait s'assu-

rer que je n'usais pas de mes privilèges pour profiter de ta personne.

— Et maintenant ? — Oui, maintenant c'est vrai. Mais tu as admis toi-

même qu'hier soir, je n'ai rien pris que tu n'étais dis-posée à m'offrir.

— Fallait-il que tu dises cela à Thorolf ? — Tu aurais préféré qu'il se ronge d'inquiétude

pour toi ? — J'aurais préféré qu'il ne s'imagine pas que... — Que tu me trouves à ton goût ? — Que le diable t'emporte. Saxon ! Tu ne me plais

pas. Elle poussa alors un petit cri de surprise : il venait

de l'embrasser sur le ventre. — Non, arrête ! Du bout de la langue, il dessina les contours de son

nombril. — Tu résistes toujours, tigresse ? Mais comme tu

ne peux pas m'en empêcher, peut-être vas-tu me supplier ?

— Non! Il se redressa et ses mains s'étalèrent sur son

ventre pour entamer une lente ascension vers ses seins.

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— C'est bien ce que je pensais. Tu n'as pas vrai-ment envie que j'arrête.

Ses doigts s'enroulaient autour de ses seins. Elle s'entendit insister d'une voix défaillante.

— Non. Je... je ne supplierai ja... jamais. Il pinça les mamelons durcis avant de leur infliger

un plus tendre traitement. Il continua à provoquer alternativement douleur et plaisir sur cette zone par-ticulièrement sensible. Elle avait envie de hurler. C'était insupportable. Elle ne pouvait plus faire sem-blant de ne rien éprouver. Son cœur battait la cha-made, le sang affluait dans ses veines. Une chaleur merveilleuse se répandait en elle.

Royce était fasciné par le spectacle qu'elle lui offrait, avec ses yeux d'un bleu limpide comme deux fentes obliques et ses dents qui mordillaient sa lèvre inférieure. Il s'interdit de lui embrasser les lèvres de crainte qu'elle ne le morde. Mais ses mains quittè-rent enfin ses seins pour maintenir son visage tandis qu'il l'embrassait partout sauf sur la bouche.

A l'oreille, il l'implora : — Dis-moi que tu me veux, Kristen. — Ja... mais. Il se redressa pour l'examiner. Il n'avait jamais vu

de femme aussi proche de l'extase. Il secoua la tête en souriant. — Tu es têtue, ma douce tigresse, mais moi aussi...

Et je te promets que tu vas m'implorer. Il se leva et gagna l'extrémité du lit. Là, très lente-

ment, les yeux posés sur son corps offert, il com-mença à se déshabiller. Le regard de Royce sur elle procurait à Kristen les mêmes sensations que ses caresses.

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Elle ferma à nouveau les yeux et essaya de se cal-mer, en vain. L'idée de ce qui allait venir l'excitait trop.

Elle n'eut pas à attendre longtemps. Elle sentit les mains de Royce sur ses chevilles. Elle refusa de le regarder. Lentement, les mains remontèrent à l'inté-rieur de ses jambes — non, elle ne regarderait pas —, dépassèrent ses genoux, plus lentement encore, frô-lèrent ses cuisses, plus haut...

Il s'arrêta, hésita. Kristen retint son souffle, cer-taine que son cœur allait exploser. Puis les doigts changèrent de direction, enveloppèrent ses hanches avant de redescendre vers les genoux. Elle commen-çait à respirer plus librement quand ses maudits doigts entamèrent une nouvelle ascension.

Encore et encore, il recommença cette lanci-nante exploration, s'approchant chaque fois plus près de son intimité mais ne la touchant jamais, lui laissant croire qu'il allait enfin le faire, le lui fai-sant espérer. Elle était submergée de sensations déli-cieuses.

— Regarde-moi, Kristen. Elle secoua follement la tête. — Kristen. Elle rejeta le menton en arrière afin de ne pas le

voir accroupi entre ses jambes. Tout à coup, il glissa ses bras sous ses hanches et la souleva. Elle sentit ses joues frôler l'intérieur de ses cuisses.

— Et maintenant, as-tu envie de moi, Kristen ? Elle ne répondit pas. Il la souleva encore un peu et

elle sentit son souffle sur... Dieu lui vienne en aide... ô Seigneur !

Sa langue toucha le petit bouton rose qui contrô-

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lait sa passion et il n'en fallut pas davantage. Kristen explosa avec violence. Elle hurla le nom de Royce. Elle se cambra, exigeant le contact de sa langue. Elle l'aurait serré contre elle si elle avait pu. Mais il ne lui refusa pas ce qu'elle demandait. Un bonheur suprême la dévora.

Royce n'en avait pas fini avec elle. Elle n'eut pas le temps de retrouver ses esprits que, déjà, il entamait un nouvel assaut. Et elle n'avait plus la volonté de lui résister. Elle était trop heureuse, trop éberluée par ce qu'il venait de lui faire. Rien que d'y penser, elle en était à nouveau bouleversée.

Il était sur elle à présent. Ses lèvres traçaient des sillons brûlants sur sa peau. Mais il ne voulait pas la pénétrer, il refusait de s'abandonner tout de suite à sa propre rage.

Il se redressa. — Tu me veux, souffla-t-il contre ses lèvres. Dis-le. — Non. Il lui mordilla les lèvres. — Tu préfères que je te laisse maintenant ? Elle aurait l'impression de mourir s'il mettait

cette menace à exécution. Mais le pouvait-il ? Non, c'était impossible.

Elle resta silencieuse, les yeux emplis d'un mélange de fierté obstinée et de désir. Il gémit, acceptant la défaite. Mais ce n'était rien en compa-raison de ce qu'il éprouva quand il plongea en elle, la conduisant avec lui au sommet d'une nouvelle jouissance.

Kristen revint à la réalité pour découvrir que Royce lui enlevait ses liens. Quand il eut terminé, il la serra dans ses bras et se rallongea. Elle se nicha

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contre lui. Elle ne lui résisterait plus à présent, il s'en rendait compte et en profitait.

— Tu savais que je ne t'aurais pas quittée, murmura-t-il d'un ton accusateur.

— Oui, je le savais. Somnolente, Kristen sourit.

Le plus doux des baisers la réveilla. Elle soupira et s'étira sans ouvrir les yeux. Son rêve semblait trop vrai, elle était chez elle, en Norvège, et elle nageait dans les eaux du fjord. Mais ce baiser était bien agréable.

— Tu abandonnes le combat, tigresse ? Kristen sourit, sachant que Royce était assis à ses

côtés dans le lit. — Non, milord. — Voilà un nouveau défi que je suis prêt à relever. — Oh! Elle ouvrit les yeux et s'empara de l'oreiller pour

le lui lancer au visage. Il fuyait déjà vers la porte. — Non, Kristen... Tu as gLgné, j'abandonne. Il y a

beaucoup à faire ce matin et il est déjà tard. J'ai envoyé Eda chercher tes affaires et...

Il s'interrompit alors que la vieille servante faisait son apparition.

— Ah, bien, reprit-il. Tu n'as qu'à lui expliquer, Eda.

Il disparut. Kristen se redressa.

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— Que se passe-t-il ? Qu'y a-t-il de si urgent ? — Alfred arrive aujourd'hui, expliqua Eda. — Votre roi ? Eda hocha la tête. — Des cavaliers viennent de nous l'annoncer.

Nous n'avons que quelques heures pour tout préparer.

— Mais pourquoi vient-il ? — C'est un honneur pour nous. — Mais tu ignores la vraie raison de sa visite ? — Comment veux-tu que je la connaisse ? C'est son

habitude, depuis le traité de paix, de rendre visite à ses barons pour inspecter leurs défenses, voir s'ils sont prêts et leur rappeler leurs devoirs. Il encou-rage les hommes à s'entraîner plus durement et ils lui obéissent. C'est la troisième fois qu'il vient à Wyndhurst depuis l'Année des Batailles.

— Tu vois... Tu en savais plus que tu le croyais, la taquina Kristen.

— Il peut y avoir d'autres raisons... On dit qu'il aime rendre visite à ses amis pour oublier pendant quelques heures la menace des Danois et les mani-gances de la Cour. Et lord Royce a toujours été un de ses préférés.

— Comme c'est charmant, répliqua Kristen, sar-castique.

Au matin, quand il n'était pas avec elle pour assail-lir ses sens et ses pensées, elle retrouvait une cer-taine méfiance à l'égard de son « seigneur ».

— Alors, reprit-elle, qu'as-tu pour moi ? Encore des vêtements trop petits ?

— Non, ceux-ci ont été faits spécialement pour toi, ils devraient t'aller mieux.

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La robe qu'Eda lui montrait déçut Kristen, car elle était taillée dans le même tissu grossier que les har-des qu'elle portait jusque-là.

— C'est Royce qui l'a fait faire ? — Non, lady Darrelle, répondit Eda. Elle te trouve

indécente, elle dit que tu as les chevilles et les jambes nues et que c'est intolérable. Il semble que tu ne lais-ses pas indifférents certains hommes.

Kristen sourit, puis elle rit avec Eda. Mais sa bonne humeur s'évanouit dès qu'elle aperçut les chaînes que la vieille servante lui tendit lorsqu'elle eut mis la robe. Elle ne broncha pas et referma elle-même les bracelets sur ses chevilles. Résister à Royce n'avait servi à rien. Et il ne servirait à rien non plus de continuer à montrer sa répugnance. Si jamais un jour elle devait être débarrassée de ses chaînes, elle en serait ravie. En attendant, mieux valait les porter car elles nourrissaient la haine qui lui permettait de résister au seigneur saxon.

Le hall était presque désert quand les deux femmes y pénétrèrent. La plupart des femmes préparaient les chambres pour le roi et sa suite. Royce et ses hom-mes étaient partis à la chasse afin de constituer des réserves de viande. Les serfs, eux, travaillaient dehors, emmenant les chevaux aux pâturages afin de libérer de la place pour les montures des nouveaux arrivants. Certains roulaient d'énormes tonneaux de bière vers le manoir.

Les deux femmes qui s'échinaient devant la che-minée s'esquivèrent dès que Kristen et Eda firent leur apparition. Kristen en fut si éberluée qu'elle ne réagit même pas quand on lui posa son autre chaîne.

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— Elles n'espèrent quand même pas qu'à deux, nous allons préparer le repas pour tous les invités ?

Eda rit de bon cœur. — Elles reviendront avec les autres dès que

lady Darrelle en aura fini avec elles en haut. Les visites royales mettent toujours milady au bord de la crise de nerfs. Elle n'arrête pas de hurler et de se lamenter. En fait, elle empêche tout le monde de tra-vailler. Tout irait nettement mieux si elle restait au lit.

— Eda! — C'est la vérité, insista la vieille femme. Kristen dissimula un sourire tandis qu'elles s'atta-

quaient à leur tâche. Eda venait de révéler un nouvel aspect de sa personnalité: le sens de l'humour. Depuis qu'elle était arrivée dans ce pays, Kristen avait constaté que l'humour ne faisait guère partie des habitudes locales. Elle n'en appréciait Eda que davantage. Tout à coup, elle se rendait compte qu'elle éprouvait une réelle sympathie pour la«vieille servante. Avec sa rudesse, ses conseils intempestifs et son attention bourrue, elle rappelait à Kristen la vieille Alfreda qui était aussi autoritaire qu'une mère — une mère ordinaire, pas une mère comme Brenna — mais aussi une très bonne amie.

Eda retrouva vite son caractère grincheux. — C'est incroyable ! grogna-t-elle quelques secon-

des plus tard. Elles ne sont pas encore revenues ! Et c'est moi, une vieille femme, qui vais devoir servir ces trois-là, comme si je n'avais que ça à faire !

Kristen suivit son regard vers la porte que trois jeunes inconnus venaient de franchir.

— Ce sont les messagers du roi ?

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— Oui, et à en croire leur apparence, ce sont des nobles.

Les trois hommes riaient aux éclats. Ils enlevèrent leurs courtes pèlerines mais gardèrent leurs armes en se dirigeant tout droit vers le grand tonneau de bière au fond du hall. Eda essuya rapidement trois coupes pour les leur apporter. Quand elle revint, elle semblait encore plus préoccupée.

— Je pensais bien avoir reconnu ce joli cœur. C'est lord Eldred. Non, femme, ne regarde pas, prévint-elle sèchement. Il ne doit surtout pas te voir.

Peine perdue, Kristen avait déjà attiré l'attention des trois hommes. Le hall étant désert, ils avaient vaguement regardé les deux seules personnes pré-sentes. Et il était difficile d'ignorer Kristen une fois qu'on l'avait aperçue. Elle était trop différente — trop grande, trop sculpturale et certainement beau-coup trop fière pour faire une serve ordinaire.

Kristen garda les yeux baissés mais elle voulait savoir :

— Lequel est-ce ? — Le blond. Il a eu l'audace de précéder le roi. Je

me demande si milord Royce sait qu'il est ici. Non, c'est impossible. Jamais il ne tolérerait de le laisser seul chez lui. Suis-moi.

Perplexe, Kristen se laissa entraîner au bout de la table de façon à tourner le dos à la salle. Elle n'avait pas oublié ce que la vieille servante lui avait appris au sujet de lord Eldred. C'était l'ennemi de Royce. Pourquoi osait-il s'aventurer pratiquement seul chez son ennemi ? Pour montrer qu'il ne le craignait pas ? Ou bien comptait-il sur la prochaine arrivée du roi et sur sa protection ? Eda avait évoqué une trêve entre

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les deux hommes, mais que valait cette trêve s'ils se haïssaient profondément ?

Elle essaya de se représenter lord Eldred d'après la vision fugitive qu'elle avait eue de lui à son arrivée. Il devait être à peu près aussi grand qu'elle. Il n'était donc pas petit pour un Saxon, sauf si on le comparait à Royce.

Il était sans doute un peu plus âgé que son rival mais pas aussi puissamment bâti. Il semblait pour-tant en excellente condition. Et il possédait des traits extrêmement séduisants. Mais son charme la laissait indifférente car c'étaient les hommes solides comme Royce qui l'attiraient. Elle n'éprouvait à l'égard de celui-ci et de ses compagnons qu'une vague curiosité.

— Tu as perdu ton pari, Randwulf. Ce n'est pas un homme déguisé en femme, mais bien une femme.

Kristen laissa échapper une exclamation étranglée et fit volte-face. Ils étaient tous les trois juste der-rière elle. Elle ne les avait pas entendus approcher.

— C'est un pari que je suis content de perdre, répondit le brun Randwulf.

Il lança une pièce d'or à Eldred sans quitter Kris-ten des yeux. La pièce tomba sur le sol car Eldred était lui aussi fasciné par la jeune femme.

— Dis-nous, femme, pourquoi t'ont-ils enchaî-née ? s'enquit Eldred. Ton crime est-il si grave ? Es-tu vraiment si dangereuse ?

Ce n'était pas chose à dire devant Kristen. Elle sen-tit la colère monter en elle.

— Je le suis. — Ouh ! J'ai peur ! s'exclama l'un d'entre eux, et

tous les trois s'esclaffèrent. — Dis-nous la vérité, femme, insista Eldred.

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— Je suis norvégienne, répliqua-t-elle. Cela vous suffit-il ?

— Par le sang du Christ, une Viking ! s'exclama le troisième homme. Je comprends l'usage des chaînes maintenant.

— Dommage qu'elle ne soit pas danoise, se lamenta Randwulf. J'aurais su comment la traiter.

Eldred sourit. — Tu es un sot, Randwulf. Quelle importance ?

C'est une esclave, à présent. Il leva la main pour frôler la joue de Kristen. Ner-

veuse, elle détourna la tête. Ils l'avaient encerclée et la table derrière elle l'empêchait de fuir. De toute façon, elle ne serait pas allée loin avec la longue chaîne qui la retenait au mur.

— Passez votre chemin, milords, lança-t-elle. J'ai du travail.

Elle tenta un geste téméraire : elle leur tourna le dos en espérant que cela suffirait à les éloigner. Elle s'était trompée. Un corps dur se pressa contre le sien et deux mains lui saisirent les seins.

La réaction de Kristen fut immédiate. Elle n'eut qu'à se retourner pour se débarrasser de son agres-seur. C'était Randwulf et il tituba avec une expres-sion de stupéfaction presque comique.

— Tu as osé, femme ? balbutia-t-il en essayant de retrouver son équilibre. Tu as osé !

Kristen examina ses trois assaillants. Eldred sem-blait amusé mais pas les deux autres. Par le Ciel ! Si seulement elle avait eu une arme pour les tenir à dis-tance... Mais on ne lui permettait même pas de se ser-vir des petits couteaux de cuisine. Les autres femmes se chargeaient de découper tout ce qui devait l'être.

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— Je ne suis pas ici pour votre plaisir, milords, je suis une otage afin que les hommes avec qui je suis venue ne cherchent pas à s'enfuir. Royce n'apprécie-rait sûrement pas qu'on me fasse du mal.

Elle bluffait car elle ignorait quelle serait la réac-tion de Royce si ces hommes la violaient. Cela pou-vait très bien lui être complètement égal. Il pouvait même en être ravi car il tiendrait là une bonne excuse pour provoquer Eldred en duel.

Ce dernier l'avait écoutée avec un intérêt non dis-simulé.

— Royce ? Pas lord Royce ? Tiens, tiens... — Elle doit lui offrir ses faveurs, ricana Rand-

wulf. Et s'il peut l'avoir, alors nous aussi — Non ! s'écria Kristen qui ne quittait pas Eldred

des yeux. Es-tu prêt à courir un tel risque ? Il te tuera !

— Tu crois ça, femme? fit Eldred en souriant. Laisse-moi te détromper. Ton Royce ne fera rien du tout car Alfred n'aime pas que ses nobles se battent entre eux et Royce ne fait jamais rien qui déplaise à Alfred.

Tout en parlant, il s'était approché, imité par ses acolytes. Elle devait les surveiller tous les trois et Eldred en profita pour la prendre par surprise. Il lui saisit les mains et les lui maintint derrière le dos, la forçant à s'écraser contre lui. Il essaya de l'embras-ser mais elle se déroba. Il pensa remédier à cette situation en lui tenant les deux poignets avec une seule main. Ce fut son erreur.

Elle libéra immédiatement une de ses mains et, au lieu de le gifler comme toute autre femme l'aurait fait, elle le gratifia d'un coup de poing à la mâchoire

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qui le fit reculer, étourdi. Elle n'eut pas le temps d'en profiter car les deux autres lui sautèrent dessus et l'empoignèrent. Eldred était furieux. Un rictus affreux tordait ses traits.

— Tu vas me le payer, barbare, promit-il. J'aurai ta peau dès que j'en aurai fini avec toi !

— Assez! Ils se tournèrent tous pour voir Alden accourir,

Eda sur les talons. Kristen eut envie d'embrasser la vieille femme pour avoir amené quelqu'un... même lui.

— Ne te mêle pas de ça, Alden, prévint Eldred. Elle m'a frappé.

— Vraiment ? Eh bien, ça ne m'étonne pas, répli-qua Alden en contournant la table pour désigner de la pointe de son épée la chaîne qui l'attachait au mur. Pourquoi crois-tu qu'on l'ait enchaînée ?

Eldred se fit menaçant. — Je te préviens, Alden. Je suis décidé à l'avoir. — Oui, approuva Randwulf. Moi aussi ! — Vas-tu nous combattre tous les trois ? Eldred souriait. Alden feignit la surprise. — Moi ? Je n'en aurai pas besoin. Elle se

débrouille très bien toute seule. Tu vas voir. Il me semble équitable qu'elle soit autorisée à le faire.

Et il brisa l'attache de la chaîne d'un violent coup d'épée. Les trois hommes ne réagirent pas tout de suite. Ils surveillaient Alden qui se tenait à trois mètres d'eux, l'épée tirée. Randwulf fut le premier surpris. Kristen se libéra de sa poigne et ramassa la longue chaîne qui traînait par terre.

Le troisième homme ne put la lâcher assez vite. Kristen lui assena un coup de chaîne sur le crâne et

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le propulsa vers ses amis. Elle n'était plus encerclée et elle disposait d'une arme redoutable. Ils ne pou-vaient plus l'approcher sans risques.

Randwulf fut assez téméraire pour essayer. Il pen-sait pouvoir bloquer la chaîne avec son avant-bras puis la déséquilibrer en tirant dessus. Il ne fut pas assez vif. Ayant vu son bras levé, Kristen frappa au-dessous, sur la cage thoracique.

Sous la violence du coup, une côte se brisa avec un craquement sinistre. Le souffle coupé, Randwulf faillit s'évanouir et la douleur devint tellement insupportable qu'il s'effondra en hurlant.

Kristen n'éprouva pas le moindre remords. Elle était prête à recommencer. Eldred fut le premier à s'en rendre compte et il fit signe à l'autre homme de reculer. Mais nullement résigné, il se tourna vers Alden.

— Ne crie pas victoire trop vite. Le roi entendra parler de cette affaire. Il nous a envoyés ici...

— Pour maltraiter les esclaves de mon cousin, peut-être ? Non, je ne le pense pas. Et à ta place, Eldred, je me soucierais davantage de la réaction de Royce que de celle d'Alfred.

— Elle a blessé un homme. Elle doit payer. — Mon cousin paiera l'amende. Eldred ricana et sortit pour se calmer, laissant à

son compagnon le soin de s'occuper de Randwulf. Kristen resta sur ses gardes jusqu'à ce qu'ils aient

tous quitté le hall. Puis elle fit face à Alden. La chaîne pendait entre ses mains mais elle ne la lâchait pas. Il la fixa droit dans les yeux, devinant ses pensées.

— Tu le ferais ? demanda-t-il avec une étrange douceur. Alors que je viens de t'aider ?

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— Je n'ai pas demandé ton aide. — Mais elle t'était nécessaire. Elle finit par hocher la tête. — Très bien, pour cette fois... Elle laissa tomber la chaîne, montrant qu'elle ne

l'attaquerait pas. — Mais ce que tu as fait à mon frère, reprit-elle,

je ne pourrai jamais l'oublier. Alden soupira. — Je le sais et j'en suis désolé. Kristen lui tourna le dos.

Les femmes revinrent dans le hall, et aucune d'entre elles ne s'étonna de la relative liberté dont jouissait Kristen. Elles n'avaient, en fait, guère le temps de s'en préoccuper, trop prises par les prépa-ratifs du festin du soir. Kristen elle-même n'avait pas une seconde de répit. Après s'être enroulé la chaîne autour de la taille pour éviter qu'elle ne racle bruyamment le sol, elle s'était aussitôt remise au travail.

Moins d'une heure après, elle se retrouva à nou-veau dans la même situation. Tout à coup, elle sentit quelqu'un derrière elle et deux bras se refermèrent autour de sa taille. Un moment paniquée, elle retrouva vite son aplomb et sa détermination habi-tuels. Ils osaient à nouveau s'en prendre à elle. Et cette fois, devant Darrelle et tous les serviteurs.

— Tu vas bien ?

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Kristen eut l'impression de se liquéfier. Royce ! C'était Royce et sa voix trahissait une réelle inquié-tude. Cet homme qui lui infligeait le port des chaînes, qui, la veille encore, affirmait se moquer de ses senti-ments... Cet homme la serrait à présent dans ses bras à la vue de toutes et de tous. Elle n'y comprenait plus rien.

— Avez-vous perdu l'esprit, milord ? Elle se retourna pour voir s'il n'était pas pris de

boisson. Cela ne semblait pas être le cas. Il fronçait les sourcils, visiblement aussi perplexe qu'elle.

— Je te pose une question parfaitement sensée et tu me réponds comme à un demeuré. Non, je n'ai pas perdu l'esprit. Et toi ?

— Je commence à me le demander, répondit-elle à mi-voix, gênée. Tu viens me voir ici, à cette table, alors que tu ne l'as jamais fait. Te rends-tu compte que tout le monde nous regarde ?

Royce parcourut le hall du regard, croisant même un instant celui de Darrelle. Le désarroi évident de sa cousine ne le troubla pas le moins du monde. Il contempla à nouveau Kristen qu'il serrait toujours dans ses bras.

— J'en ai assez de faire semblant de t'ignorer pour éviter les commérages, dit-il avec simplicité. Si Eda n'avait pas été avec toi, tout à l'heure... Personne n'aurait osé agir comme elle l'a fait. Cette fois, ils sauront tous ce que tu représentes pour moi. Si je le pouvais, je t'imprimerais mon sceau. Si les nobles d'Alfred savaient lire, je te mettrais une pancarte autour du cou. Personne ne doit plus ignorer que tu bénéficies de ma protection. Et tant mieux si je dois le prouver l'épée à la main !

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Elle n'en croyait pas ses oreilles. — Pourquoi ? Je ne suis qu'une de tes esclaves... — Ne joue pas les timides, répliqua-t-il. Tu sais

très bien que tu comptes beaucoup pour moi. — Jusqu'à ce que tu te lasses de moi ? — Jusque-là, oui. S'ils avaient été seuls, elle n'aurait pas laissé pas-

ser cette réponse sans réagir, mais elle était trop consciente des regards posés sur eux. Elle ne pouvait se permettre de rabrouer vertement l'homme que l'on considérait comme le seigneur et maître de ces lieux.

— Je suis sûre que vous avez beaucoup à faire, milord, tout comme moi.

Elle maniait le vouvoiement et le tutoiement comme le chaud et le froid. Royce ne s'y trompa pas.

— Je jure que je ne te comprendrai jamais. N'importe quelle autre femme aurait couru dans mes bras en pleurant après une scène pareille. Toi, tu n'en parles même pas, tu m'accuses même d'être malade alors que je m'inquiète pour toi...

Kristen sourit et, malgré elle, ce sourire se trans-forma en rire.

— C'est donc pour ça ? Tu es inquiet à propos de ce qui est arrivé avec ces trois pantins ?

— Tu n'es même pas bouleversée. — Pourquoi le serais-je ? Je n'ai pas été blessée. Son attitude était si surprenante qu'il commença

à s'en irriter. Il s'était précipité pour la consoler, pour jurer de la venger et cela la laissait parfaite-ment indifférente. Il était prêt à embrocher Eldred et il l'aurait certainement fait si ce chien avait été présent au moment où Alden lui avait raconté ce qui

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s'était passé. Mais plus que sa rage, ce qui l'empor-tait c'était le souci qu'il s'était fait pour Kristen. Et elle s'en moquait...

— Tu ne réalises pas qu'un crime a été commis, déclara-t-il avec sévérité.

— Contre une esclave qui n'a aucun droit ? — Contre l'homme que tu as blessé. Elle se figea. Le bleu de ses yeux prit des reflets

glacés. — Quel crime ? Celui de me défendre ? Tu oses

appeler ça un crime ? — Pas moi. C'est la loi. Un esclave ne peut porter

d'arme, sauf si son maître le lui ordonne. Il ne peut attaquer personne et encore moins un noble. Agres-ser un noble est passible d'une très grosse amende pour un homme libre. Alors, pour un esclave...

—- Et c'est cela qui te chagrine ? Va-t-on me pendre parce que je me suis défendue ?

— Ne sois pas ridicule, femme. Je suis ton sei-gneur. C'est à moi qu'il appartient de payer cette amende et je le ferai volontiers. Je voulais simple-ment que tu te rendes compte que tout cela est très sérieux. Tu ne peux le prendre à la légère.

— Je ne te dirai pas merci, répliqua-t-elle. Que tu donnes de l'argent à ce porc ne me plaît pas. Dans mon pays, ces hommes seraient déjà morts pour avoir tenté de me faire une chose pareille.

— Tu ne peux pas espérer qu'il en aille de même ici, Kristen, répondit-il d'une voix plus douce. Cela ne me plaît pas non plus que cette ordure de Rand-wulf touche une récompense, et je veillerai à ce qu'il souffre un peu plus avant d'obtenir cet argent.

Tout à coup, Kristen prit conscience que Royce

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n'était nullement ennuyé de payer pour elle cette amende qui devait représenter une somme impor-tante. Il voulait surtout infliger à Randwulf une punition supplémentaire. Il voulait la venger... Elle ne connaissait personne, même parmi son propre peuple, qui soit prêt à venger un esclave. Par le sang du Christ ! Cet homme ne serait-il donc jamais cohé-rent ? Il la traitait comme la dernière des dernières et, l'instant d'après, la chérissait du plus tendre amour.

Kristen baissa les yeux, mal à l'aise. — J'apprécie ce que vous voulez faire, milord,

mais ce n'est pas nécessaire. Comme je l'ai déjà dit, je n'ai pas été...

Elle ne put terminer. Deux des plus jeunes serfs se ruaient dans le hall en hurlant que le roi était arrivé. Royce se tourna vers l'entrée du hall comme s'il oubliait subitement Kristen. Ce n'était pas le cas. Il se tourna vers Eda.

— Enlève-lui ces chaînes, Eda, dit-il avant de fixer Kristen. Nous devons conclure un marché, toi et moi, mais je n'ai pas le temps de t'en parler maintenant. Pour l'amour du Ciel, femme, tiens-toi bien !

Elle l'observa tandis qu'il se dirigeait rapidement vers l'entrée du hall. Elle vit lady Darrelle trottiner derrière lui et lui adresser la parole. Il la renvoya d'un geste impatient. Tous les serviteurs étaient massés aux fenêtres pour assister à l'arrivée du roi Alfred.

Kristen ne bougea pas. Elle ne broncha pas non plus quand les bracelets honnis lui furent ôtés ni quand Eda déroula la chaîne qu'elle avait gardée autour de la taille. Lentement, très lentement, un

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sourire éclatant illumina ses traits. Royce allait pas-ser un marché avec elle. Quel que puisse être ce mar-ché, il accepterait sa parole en échange. Il lui faisait enfin confiance. Une douce euphorie l'envahit. Elle avait envie de crier, de hurler sa joie, et elle l'aurait sans doute fait si Eda ne l'avait surveillée du coin de l'œil. La vieille femme avait eu raison depuis le début — il suffisait d'attendre son heure...

— Oui, je vois comme tu es contente, murmura Eda sans sourire. N'oublie pas ce qu'il a dit, femme. Ne fais rien qui l'oblige à te les remettre.

Elle jeta les chaînes dans un coin. Kristen acquiesça d'un air absent. Elle ne pensait

qu'à Royce et à ce que cette confiance nouvelle signi-fiait. L'espoir renaissait en elle. Elle ne s'était peut-être pas trompée en jetant son dévolu sur Royce de Wyndhurst. Il voyait toujours en elle une ennemie, mais Garrick et Brenna avaient eux aussi été des ennemis... Et cela ne les avait pas empêchés d'unir leurs vies.

Des étrangers commençaient à affluer dans le hall. Toute à sa joie, Kristen était prête à partager le senti-ment d'exaltation des Saxons qui accueillaient leur roi. Mais elle fut surprise par la jeunesse d'Alfred. Le roi des Saxons était bien plus jeune que Royce...

Elle crut d'abord qu elle se trompait. Ce tout jeune homme ne pouvait être celui qui avait mené les Saxons contre les terribles Danois, et qui était parvenu à leur arracher un traité de paix. Rien ne le distinguait des autres nobles qui se pres-saient autour de lui. Ils étaient tous aussi bien ha-billés, certains même mieux que lui. Et d'autres là-bas, des hommes plus âgés, à l'apparence bien

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plus redoutable, auraient très bien pu être roi à sa place.

Pourtant, le roi avait quelque chose de plus que les autres. Cette même autorité qu'elle avait perçue chez Royce dès le premier jour. C'était un homme rompu au commandement. Et tous les autres, des seigneurs habitués à être obéis, se montraient déférents envers lui.

En dehors de sa jeunesse et du pouvoir que sa sou-veraineté lui donnait, Alfred de Wessex n'était pas un homme remarquable. De grande taille pour un Saxon, il avait le teint pâle et des yeux bleus très vifs. Il n'avait pas l'apparence d'un guerrier. Kristen devait apprendre par la suite qu'il était en fait un savant aux manières raffinées. Elle devait aussi découvrir qu'en dépit de son allure effacée, il faisait preuve d'une énergie hors du commun. D'une redou-table efficacité dans la conduite des affaires du royaume, il possédait une volonté de fer et était fer-mement décidé à garder le Wessex sous domination saxonne.

A l'instar des membres de sa suite, le voyage l'avait fatigué. Il accepta avec reconnaissance le calice de vin que lady Darrelle lui tendait tout en se montrant attentif aux hommes que Royce lui présentait. De nombreux invités prenaient déjà place autour des tables dressées pour le festin. Kristen éprouva un sentiment de fierté en observant Royce.

Eda avait raison une fois de plus : Royce était aimé de son roi. Il n'y avait rien de formel, de protocolaire, entre eux. Ils se parlaient comme deux amis, d'égal à égal. Elle vit même d'autres hommes leur lancer des regards obliques tandis qu'Alfred éclatait de rire

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à une plaisanterie de Royce. Elle se demanda si celui-ci se doutait qu'il était envié par tous ces seigneurs.

Pour la plupart, les nobles qui accompagnaient Alfred étaient de la même génération que leur roi : des fils cadets qui venaient à la Cour en espérant gagner les faveurs du souverain. Il y avait aussi une demi-douzaine de ladies, des épouses et des filles accompagnant leurs seigneurs. La reine était absente.

Une de ces femmes éveilla la curiosité de Kristen, une très jolie dame aux cheveux de lin serrés dans un voile de perles. Elle était jeune, plantureuse, et por-tait une superbe robe tissée un peu trop voyante pour Kristen qui préférait la sienne, en velours vert. Et cette dame blonde dévorait des yeux le roi et Royce, partageant équitablement son attention entre les deux.

Kristen détourna le regard. N'ayant jamais connu la jalousie auparavant, elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Elle savait seulement qu'elle ne suppor-tait pas la vue de cette voluptueuse intrigante qui essayait d'attirer Royce dans ses filets. Maigre con-solation : Royce était si occupé avec son roi qu'il ne remarquait rien.

Le festin se poursuivit tout au long de l'après-midi, jusque tard dans la soirée. Des foyers supplémentai-res avaient été disposés partout dans Le hall pour rôtir les plus gros animaux : le daim que les hommes

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avaient rapporté de la chasse, un mouton et un jeune veau. D'autres plats étaient préparés dans la chemi-née et on servait aussi des légumes frais cueillis dans les jardins du domaine. D'énormes fromages furent montés de la cave. Les tartes et autres gâteaux étaient innombrables.

Kristen avait assisté à nombre de festins sembla-bles. En Norvège, ceux-ci avaient toujours lieu pen-dant les longues nuits d'hiver, et elle n'avait jamais fait la cuisine en plein milieu de l'été saxon.

Chez elle, en hiver, quand la chaleur devenait trop forte, on pouvait toujours ouvrir une porte pour laisser entrer un peu d'air. Ici, même avec toutes les fenêtres ouvertes, Kristen avait l'im-pression de cuire à petit feu, de mijoter avec les aliments.

La chaleur était encore plus accablante que les jours précédents et le hall était surpeuplé. Sa nou-velle robe, munie de manches longues, lui collait à la peau. Elle était trempée de sueur.

Elle avait beau être solide et en bonne santé, elle devait puiser dans ses dernières réserves. Les autres femmes s'offraient parfois quelques minutes de répit et sortaient respirer un peu. Elle ne le pouvait pas. Bien sûr, elle n'était plus enchaînée mais elle était constamment surveillée par Eda, par les autres femmes et même par quelques gardes de Royce. Bientôt, elle se rendit compte que ces hommes avaient été placés là dans cet unique but. Et elle qui s'était imaginé que Royce lui faisait totalement con-fiance...

Sans la chaleur, Kristen n'y aurait rien trouvé à redire. Mais, dans cette fournaise, elle avait bien du

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mal à accepter ces précautions. La nervosité était générale parmi les servantes, et les réprimandes et les gifles abondamment distribuées par les plus âgées. Même Eda frotta les oreilles d'une malheu-reuse qui avait eu la mauvaise idée de s'éventer quel-ques secondes devant elle.

Si les servantes s'épuisaient, les convives, eux, s'amusaient. Des danses eurent lieu au milieu de la pièce entre les tables. Kristen les observa avec inté-rêt, notant que les danses saxonnes ne différaient guère de celles de son pays. Des bardes racontèrent des histoires de dragons et de sorcières, de géants et d'elfes. Un troubadour avec une harpe chanta les prouesses de héros oubliés et d'autres, plus récents, comme le grand-père d'Alfred, le roi Egbert qui avait changé l'histoire de son pays en le libérant du joug des Merciens. Il avait vaincu à deux reprises les armées de Mercie.

« Combien de ces histoires sont-elles vraies ? » se demanda Kristen avant d'apprendre que ce fameux grand-père avait aussi défait les Gallois, les Celtes du Humber et les géants de Cornouailles. Tous se réga-laient de ces faits d'armes et le troubadour connut un franc succès.

La journée continua ainsi. Les nobles se dis-trayaient et se rassasiaient de nourriture et de bois-son tandis que les serviteurs œuvraient pour leur confort. A un moment, Kristen fut apostrophée par deux seigneurs qui désiraient de la bière. Eda l'avait déjà prévenue : elle ne devait pas servir à table. Et c'était aussi bien. Elle préférait nettement travailler à la cuisine plutôt que de servir des hommes et des femmes qu'elle méprisait pour la plupart. Elle

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ignora ces deux seigneurs jusqu'à ce qu'ils l'oublient et appellent une autre femme.

On ne la remarquait pas. Du moins, le croyait-elle. Elle ne se doutait pas qu'elle était devenue le princi-pal sujet de discussion pour tous les convives, y com-pris le roi. Les spéculations la concernant allaient bon train mais personne ne voulait s'abaisser à s'enquérir d'une esclave. Seul Alfred n'éprouva aucune gêne à demander à Royce de satisfaire sa curiosité.

Kristen n'aurait guère apprécié leur conversation si elle l'avait entendue. Elle n'aimait déjà pas du tout les multiples commentaires qu'elle saisissait ici et là à propos des Vikings capturés. Royce était loué pour ce haut fait d'armes et pour être parvenu à obliger ces « sauvages » à travailler pour lui. Ces « sauva-ges » — enfermés dans leurs quartiers en raison du festin — qui étaient ses amis et ses frères...

Ajoutées à la chaleur, ces remarques avaient mis Kristen à bout de nerfs. Elle était prête à exploser au moindre mot désobligeant, au moindre regard de tra-vers. Ce regard vint de Royce lui-même.

Au plus fort de la rumeur suscitée par les chants du troubadour, Kristen se dirigea délibérément vers une fenêtre pour respirer un peu. Ses gardes ne pou-vaient l'apercevoir car les autres femmes qui s'agi-taient autour de la table bloquaient leur champ de vision. Mais Royce la vit et elle surprit son regard courroucé. Il n'aimait pas la voir si près de la fenêtre. Qu'allait-il s'imaginer ? Qu'elle allait sauter dehors et tenter de s'échapper ? Elle n'avait donc même pas droit au plus infime répit ?

C'en était trop. Elle se dressa, furieuse. Sans

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jamais cesser de le fixer droit dans les yeux, elle déchira d'un geste volontairement lent les deux man-ches de sa robe et les jeta par la fenêtre. Elle éprouva immédiatement une sensation de fraîcheur bienfai-sante. Elle entendit aussi Royce éclater de rire.

Ce fut ce rire qui la dissuada d'accomplir un acte plus insensé. Il riait non pour se moquer d'elle mais parce qu'il appréciait l'humour de son geste. L'irrita-tion qu'elle avait ressentie jusque-là s'évanouit. Et elle sourit quand Eda la poussa pour l'éloigner de la fenêtre.

Une heure plus tard, la fête se calmait. On débar-rassait les tables et on commençait les préparatifs pour le repas du lendemain matin.

Kristen doutait pourtant de pouvoir gagner son lit avant plusieurs heures. Elle se trompait. Royce se leva et vint la trouver. Sans un mot, il lui prit la main et l'entraîna vers l'escalier.

Si elle n'avait été aussi épuisée, elle ne se serait certainement pas laissé faire aussi docilement. Elle savait exactement quel but il poursuivait. Il avait proclamé qu'il ferait savoir à toute la suite d'Alfred qu'elle bénéficiait de sa protection. Quel meilleur moyen pour cela que de montrer à tous qu'elle parta-geait son lit ? Personne n'était dupe. Il s'arrêta même au pied des marches pour l'embrasser brièvement.

Etrangement, Kristen n'était pas outrée par son comportement. Si elle avait été son épouse, ils se seraient retirés ainsi. En fait, elle devinait que Royce laissait à Alden le soin de divertir le roi et sa suite parce qu'il avait par-dessus tout envie d'être avec elle.

— C'est bien que tu ne m'aies pas résisté, Kristen.

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Il prononça ces mots en refermant la porte de sa chambre. A son expression, elle comprit qu'il la remerciait d'être entrée dans son jeu. Rompue, elle s'assit sur le lit.

— Je ne vous aurais pas résisté devant tout ce monde, milord.

Une ride perplexe creusa le front de Royce. — Tu ne te rends sans doute pas compte que... Elle l'interrompit d'un rire sans joie. — C'était plutôt impoli de votre part mais cela

avait le mérite d'être clair. On sait maintenant à qui j'appartiens.

— Cela te gêne ? — Je ne sais pas. Je suis peut-être trop épuisée

pour être vraiment furieuse. Et toi, cela te gêne-t-il ? Tu aurais peut-être préféré étaler ta force et me por-ter ici sur ton dos, hurlante et frétillante ?

— Je m'y attendais un peu, concéda-t-il. Elle secoua la tête d'un air faussement désolé. — Je ne pouvais te résister devant tous ces gens... — Et pourquoi donc ? Tu n'es pas aussi timide,

d'habitude ! — J'ai été entourée d'hommes toute ma vie et je

connais leur fierté. Si je t'avais affronté en public, tu ne me l'aurais jamais pardonné. D'autant que tu n'aurais peut-être pas eu le dessus. Ici, nous sommes seuls, c'est différent.

Il éclata de rire. — Je pense que tu cherchais aussi à t'épargner

une cuisante correction. Elle haussa les épaules avant de se laisser tomber

en arrière. Allongée, les yeux mi-clos, elle observa Royce. Il retint son souffle. L'invite était claire : elle

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était là, devant lui, détendue, offerte. Une boule de chaleur se forma au creux de ses reins mais il ne broncha pas de peur qu'elle ne le repousse. Il avait encore à l'esprit le souvenir de la nuit précédente.

Son hésitation provoqua chez elle un rire amer. — Je comprends, milord. — Et qu'est-ce que tu comprends ? s'enquit-il

d'une voix où l'irritation se mêlait au désir. Elle se redressa sur les coudes. Une autre femme

aurait tremblé devant lui. Kristen souriait. — Je suis en nage. Je comprends que tu ne me

trouves pas très attirante. L'air manqua à nouveau à Royce. — Pas attirante ? Il avait presque crié. — Oui, fit-elle, ignorant son agitation. J'aimerais

me laver mais cela implique que je redescende me montrer à tous ces gens. Ils comprendraient immé-diatement que le seigneur de Wyndhurst ne couche pas avec une esclave sale. Moi aussi, j'ai ma fierté.

II la contemplait avec stupéfaction. Puis il réagit enfin et vint sur le lit, tout près d'elle.

— Si tu as vraiment envie d'un bain, dit-il, il y a un pçtit lac tout près d'ici.

Une lueur brilla dans les yeux bleus de Kristen. — Tu serais prêt à m'y emmener ? — Oui. Il profita de son trouble pour lui dérober un bai-

ser. Une nouvelle fois, elle n'eut pas la réaction qu'il attendait.

— Oh, ce n'est pas juste ! marmonna-t-elle. Tu n'as pas le droit de me faire une offre aussi tentante alors que je suis incapable de bouger le petit doigt !

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— Dieux du ciel ! grommela-t-il en se redressant. Tu vas me rendre fou...

— Pourquoi ? Il la scruta attentivement et comprit soudain

qu'elle ne plaisantait pas. — Tu es vraiment si fatiguée ? Elle sourit faiblement. — J'ai bien peur que la chaleur de cette cheminée

ne m'ait enlevé mes forces. J'ai l'impression d'avoir cuit toute la journée. Le travail ne me dérange pas, mais la chaleur...

Elle retomba sur le lit en soupirant avant de pour-suivre avec lassitude :

— C'est tant mieux si tu n'as pas envie de moi maintenant. Je ne crois pas que nous y aurions pris beaucoup de plaisir, de toute manière.

Il faillit protester mais se ravisa. Quelques jours plus tôt, une remarque aussi effrontée de sa part l'aurait choqué. Il commençait sans doute à s'habi-tuer à son franc-parler, sinon à ses sautes d'humeur.

— Tu as toujours envie de te laver ? — Cela me plairait beaucoup mais je refuse de

descendre. J'espère que tu ne vas pas insister. Je suis à bout et une dispute...

Il l'interrompit d'un geste impatient. Elle était trop épuisée pour faire l'amour avec lui mais pas assez pour ne pas envisager une dispute. Et il avait envie d'elle, même épuisée, même en sueur.

Kristen ne le quittait pas des yeux. Et ce qu'elle vit lui plut. La fatigue l'empêchait peut-être de s'enflam-mer mais constater le désir de son partenaire lui fai-sait du bien, un bien immense.

— Je suis à toi si tu le désires, milord.

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Il se crispa devant une offre aussi crue. Puis ses traits s'adoucirent.

— Oui, j'en ai envie mais nous ferons ce que toi tu désires. Viens, tu vas pouvoir te laver.

Elle gémit tandis qu'il lui prenait la main pour l'aider à se lever.

— Royce, non. Je préfère dormir» Pour la première fois depuis qu'ils étaient entrés

dans la chambre, elle prononçait son nom. Un effet de la fatigue, sans doute. Il parut amusé. Il ne l'avait jamais vue ainsi. L'épuisement avait vaincu ses défenses.

— Il te suffit de rester debout quelques minutes, lui dit-il avec un sourire. Je m'occupe de tout.

— Debout? — Oui, ici. Il l'amena devant le seau d'eau placé sur sa table.

Un morceau de tissu, une éponge et du savon s'y trou-vaient aussi.

— Ce n'est pas normal, remarqua-t-elle, intriguée. Tu te laves en bas, d'habitude.

— La salle de bains est réservée à mes invités. Quand je reçois, on me monte toujours de l'eau ici. Tu n'es pas la seule à souffrir de la chaleur même si j'imagine que, pour toi, ce doit être encore pire...

— Tu imagines ? Crois-moi, tu ne peux pas imaginer...

— Notre climat est-il si pénible pour toi ? s'enquit-il en commençant à la déshabiller. Il ne t'a pas vrai-ment abattue jusqu'ici.

Il regretta aussitôt cette moquerie. Elle risquait de se vexer. Elle avait d'abord, besoin de repos. A sa grande surprise, elle eut une crise de fou rire. Il

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dut attendre qu'elle se calme pour l'entendre s'ex-pliquer :

— Tu sais, si tu n'avais pas ri quand j'ai déchiré les manches de ma robe, je crois bien que j'aurais fait une bêtise. J'étais à bout et prête à tout. Pourquoi as-tu trouvé cela aussi amusant ? A te voir, j'ai eu l'impression d'être une petite fille à qui on passe un caprice.

Il grommela une vague réponse. Elle était décidé-ment trop perspicace. Mais, en cet instant, elle n'avait plus rien d'une petite fille capricieuse. Il avait commis l'erreur de vouloir la laver lui-même. Elle était nue et visiblement toute disposée à se lais-ser faire. Les paupières closes, elle ne parlait plus. On aurait dit qu'elle dormait debout.

Il hésita trop longtemps, se rassasiant du spectacle qu'elle offrait.

— Tu n'es pas forcé de le faire, murmura-t-elle. Pour Royce, cela sonnait comme un défi. — Je sais. Il s'empara du savon, heureux qu'elle ne puisse

voir ses mains trembler. Il essaya de faire vite, de ne pas regarder les endroits où se posaient ses mains. Ce n'était pas facile. Et de toute manière, cela ne changeait rien : ce qu'il ne voyait pas, il le touchait.

Il avait été fou de se charger de cette tâche. Elle restait parfaitement immobile, docile, s'en remet-tant totalement à lui. Son épuisement était réel. Et il en était responsable. Il n'avait pas pensé une seule seconde à la charge de travail supplémentaire qui lui incomberait aujourd'hui. Ses serviteurs avaient l'habitude de ces festivités peu fréquentes, tout

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comme ils étaient accoutumés au climat du Wessex. Pour Kristen, tout cela était nouveau.

Il utilisa l'éponge pour la rincer, laissant l'eau cou-ler sur ses vêtements tombés à ses pieds. Elle prenait un tel plaisir à sentir l'eau fraîche ruisseler sur son corps qu'il prolongea cette opération pour son seul bonheur.

Finalement, il la sécha et l'enveloppa dans le tissu avant de la reconduire vers le lit. Il la coucha en évi-tant de trop la toucher, s'infligeant ainsi un véritable supplice.

Elle ronronna de contentement en se roulant dans les draps. Royce en avait la gorge nouée. Elle était si belle, si abandonnée...

— Tu pourras dormir aussi longtemps que tu le voudras demain matin, annonça-t-il d'une voix rauque.

— Tu me gâtes, milord. — Non, je suis simplement égoïste. Kristen souleva ses paupières lourdes. — Je ne comprends pas. Tu veux... — Dors. — Et toi ? Il lança un juron abominable avant de la quitter. Il

ramassa ses vêtements abandonnés sur le sol pour les donner à laver. Ensuite, il irait plonger dans le lac. Un bain froid lui ferait du bien. Il ne pensait pas pouvoir trouver le sommeil dans son lit cette nuit.

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Il devait l'attendre. Dès que Kristen apparut dans le hall, lord Eldred se leva. Elle se dirigea vers Eda du côté de la cheminée et accepta le bol de gruau que la vieille femme lui tendit. Lord Eldred traversait la salle. Impassible, Kristen s'assit au bout de la table, vers la fenêtre, et commença à manger.

Tout semblait être redevenu normal. Les servi-teurs travaillaient, quelques-uns des hommes de Royce traînaient ici et là. Rien ne sortait de l'ordi:

naire hormis les quelques femmes réunies autour de lady Darrelle : les invitées. Kristen saisit des bouts de conversation mentionnant une chasse et se dit que c'était là que se trouvaient le roi et sa suite. Ils étaient tous absents — tous sauf lord Eldred.

— Tu arrives tard à ton travail, esclave. Il s'était installé au bout de la longue table réser-

vée aux invités, à cinq ou six mètres à peine d'elle. Deux autres femmes se trouvaient à côté d'elle. Elles le regardèrent, pas Kristen.

Mais elle lui répondit. — En effet. Un long silence suivit, qu'il finît par rompre. — Je vois que ta punition a été suspendue. — On ne m'avait pas mis ces chaînes pour me

punir, répliqua-t-elle d'un ton égal tout en conti-nuant à manger.

— Oui, il paraît que tu représentes une menace. J'ai même failli le croire, hier matin. Mais si tu es libre de tes mouvements, c'est que tu n'es pas si dan-gereuse.

Elle haussa les épaules. — Lord Royce pense sans doute que d'autres que

moi, ici, font peser sur lui une menace plus réelle.

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— Quelle menace ? Maudite Viking, regarde-moi quand je te parle !

Elle leva lentement les yeux. Il était écarlate. Un hideux rictus déformait sa bouche. La colère lui fai-sait perdre tout son charme.

Comme s'il ne valait même pas la peine qu'elle s'intéresse à lui, Kristen l'ignora et reprit son repas. Elle ne se pressa pas pour répondre.

— Mais vous, milord. Votre conduite est mena-çante. Quant à moi, je suis libre à présent de me défendre par mes propres moyens. Et lord Royce sait que je suis parfaitement capable de me débrouiller seule.

Lord Eldred en avait les yeux qui lui sortaient de la tête. Jamais une femme ne l'avait traité de cette façon. En général, elles se pâmaient devant lui, elles l'adoraient et étaient prêtes à tout pour recevoir ses faveurs. Celle-ci le traitait comme un chien galeux, et elle n'était qu'une esclave... Il la tuerait. Elle avait de la chance qu'ils ne soient pas seuls.

— Royce t'a enchaînée, ricana-t-il, comme ces sau-vages, là, dehors, qui construisent son mur. Dis-moi, barbare, t'enchaîne-t-il aussi dans son lit ?

Les femmes présentes, qui ne perdaient pas un mot de la conversation, laissèrent échapper des exclama-tions étouffées. Mais Kristen resta de marbre.

Lord Eldred avait envie de l'étrangler. Il valait mieux mettre un terme à cette scène ridicule sinon les commérages iraient bon train. Des commérages semblables à ceux qu'il avait entendus ce matin et qui concernaient Royce : à en croire les mauvaises langues, celui-ci n'avait même pas attendu d'être seul avec son esclave pour la mener dans sa chambre.

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Il l'avait escortée à travers le hall à la vue de tous, signifiant ainsi sa préférence pour une esclave devant le roi.

Eldred aurait aimé assister à une scène aussi ahurissante. Mais il n'avait pas pris part au festin, répugnant à affronter Royce en présence d'Alfred. Alden avait clairement affirmé que Royce se ven-gerait. Et il était parfaitement capable de deman-der raison à Eldred devant toute la Cour. Chaque fois qu'un différend les opposait, Alfred donnait immanquablement raison à Royce. Eldred avait consenti trop de sacrifices afin de gagner les bonnes grâces du roi pour en perdre le bénéfice à cause d'une esclave.

Mais la colère l'aveuglait. Cette femme se moquait ouvertement de lui. Elle devait payer.

— Apporte-moi de la bière, esclave, ordonna-t-il. Une des autres femmes se leva. Il l'arrêta d'un

geste menaçant. — Non, je veux que la Viking s'en charge. Elle le regardait enfin. Mais la satisfaction

d'Eldred fut de courte durée. — Si c'est vraiment de la bière que vous désirez,

milord, il vaut mieux laisser Edrea aller la chercher. Sinon, vous devrez vous servir vous-même.

—- Tu refuses de m'obéir ? Kristen ne put s'empêcher de sourire. — Non, milord, répondit-elle avec calme. Mais

j'obéis aux ordres de lord Royce... quand l'envie m'en prend. En l'occurrence, il m'a interdit de servir les invités.

Elle était allée trop loin. En un éclair, il fut sur elle, agrippant l'étoffe de sa robe, prêt à la frapper de sa

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main libre. Elle ne lui en laissa pas le temps et le repoussa violemment.

Eldred voulut se jeter à nouveau sur elle. Une voix l'arrêta.

— Ne la touchez pas, milord. Il fit volte-face et jeta un regard meurtrier à Sel-

don, un des serfs de Royce. Un autre homme l'accom-pagnait et tous deux avaient la main posée sur la garde de leur épée.

— Non, personne ne s'interposera, cette fois ! gronda Eldred. Elle sera punie !

— Pas par vous. Les ordres de lord Royce sont clairs : personne ne doit toucher cette femme.

A la surprise de tous, cette dernière remarque déclencha la fureur de Kristen.

— Je n'ai pas besoin d'aide pour m'occuper de ce chien. Je l'aurais découpé en tranches avec ses pro-pres armes !

Avant qu'ils n'aient pu réagir, elle avait dérobé à Eldred la dague qu'il portait à la ceinture. Par pur mépris, elle jeta le poignard sur la table où il se ficha en vibrant. Humilié, Eldred ignora l'avertissement qu'on lui avait donné et la gifla à toute volée du revers de la main. Il n'eut pas affaire à une ingrate : les mains jointes, elle lui expédia un coup terrible à la mâchoire. Il perdit l'équilibre et s'effondra à moi-tié sur la table. Les hommes de Royce l'aidèrent à se redresser avant de l'immobiliser. Il continua à se débattre et à hurler comme un porc qu'on égorge.

Kristen entendit soudain les cris de Darrelle. Se retournant, elle la vit se ruer vers la porte du hall et se heurter à Royce. Kristen gémit. Comme si cela ne suffisait pas, il n'était pas seul: Alfred l'accompa-

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gnait. L'air féroce, Royce balaya Darrelle de son chemin.

Eldred sentit qu'un élément nouveau venait de sur-venir, il se tourna vers l'entrée et cessa de se débat-tre. Les deux serfs qui le retenaient le lâchèrent. Personne n'esquissa le moindre mouvement tandis que Royce et le roi traversaient la pièce.

Kristen resta impassible mais, sous ses dehors cal-mes, elle tremblait. Tout était de sa faute. Elle avait sciemment provoqué le seigneur. Elle avait voulu le mettre hors de lui et y était parvenue au-delà de toute espérance. Et maintenant, elle allait payer. Royce semblait prêt à lui faire subir un châtiment bien pire que les chaînes.

Eldred saisit immédiatement l'occasion de pren-dre sa revanche. Il s'avança vers Alfred avant que Royce n'ait prononcé le moindre mot.

— Milord, je demande réparation contre cette esclave. Par deux fois, elle a levé la main contre des seigneurs. Lord Randwulf doit garder le lit avec une côte cassée. C'est elle qui l'a frappé avec une chaîne. Elle a osé s'en prendre à moi et...

Seldon intervint alors et se tourna vers Royce. — Il a été prévenu, milord. Nous lui avons dit que

vous ne vouliez pas qu'il la touche. —- Est-ce vrai, Eldred ? demanda Alfred d'un ton

égal. — Elle m'avait provoqué ! — Peu m'importe, répliqua Alfred. Elle ne t'ap-

partient pas et ce n'est pas à toi de la châtier. De plus, tu as été prévenu. C'est faire bien peu de cas de l'hospitalité qui t'est offerte ici. Je veux que tu quittes cette maison sur-le-champ. Tu ne

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reparaîtras à la Cour que quand on te le deman-dera.

Eldred blêmit. Il ouvrit la bouche pour protester mais se ravisa, hocha la tête et se retira.

Les poings serrés, Royce le suivit des yeux jusqu'à ce qu'il ait disparu.

— Je n'aurais pas agi ainsi à votre place, milord, dit-il.

Alfred fut assez sage pour ne pas sourire. — Je sais. Tu aurais préféré lui enfoncer ton épée

dans le ventre. Mais sois patient, mon ami. Le Wessex a besoin de chaque homme en ce moment, même ceux de son espèce. Quand la paix sera enfin nôtre, tu pourras régler ta querelle avec lui.

Royce lança un regard à son roi, s'adoucit et acquiesça. Puis, il s'avança vers Kristen. Du bout des doigts, il toucha la marque rouge sur sa joue.

— Tu vas bien ? Soulagée, elle crut s'évanouir à ses pieds. La rage

meurtrière de Royce n'était donc pas dirigée contre elle... Aussitôt, n'ayant plus à craindre de représail-les, elle retrouva sa colère.

Elle pointa un doigt vengeur vers les deux hommes de Royce qui s'étaient portés à son secours.

— Je n'ai pas besoin de vos chiens de garde, milord.

— C'est ce que nous avons vu. Ils avaient vu ? Mal à l'aise, elle en oublia sa colère.

Bon, ils avaient vu. Mais ils n'avaient pu entendre les mots qu'Eldred et elle avaient échangés. Elle giissa un regard vers les deux serfs pour voir s'ils allaient tout raconter. Ils la contemplaient eux aussi. Et Sel-don lui souriait ! S'ils ne parlaient pas maintenant,

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ils pourraient le faire plus tard Ainsi, Royce appren-drait qu'elle avait provoqué Eldred, qu'elle l'avait même insulté.

— Je sais pourquoi vous avez cru bon de me faire surveiller par vos sbires, reprit-elle. Ce n'était pas pour me protéger car vous savez que je suis capable de me défendre seule. Ils remplacent mes chaînes, c'est ça ? Ils sont là pour veiller à ce que je ne m'enfuie pas. Est-ce ainsi que vous me faites con-fiance ?

Royce parut soucieux. Avec Alfred qui ne perdait pas un mot de leur conversation, sa marge de manœuvre était réduite.

— Tant que nous n'aurons pas passé notre mar-ché, Viking, tu n'as pas à contester mes décisions.

L'éclat de ses yeux d'émeraude était éloquent. Kristen avait oublié la présence d'Alfred. Elle glissa un regard vers le roi et découvrit qu'il semblait amusé par cette dispute entre maître et esclave. Par le Ciel ! Comment avait-elle pu être assez stupide pour défier Royce devant son roi ? Sans compter qu'elle avait effectivement oublié ce marché auquel il faisait à nouveau allusion.

Elle n'était pas orgueilleuse au point de ne pas admettre ses erreurs. Elle fit un sourire hésitant à Royce.

— Pardonnez-moi, milord. Ma langue me joue des tours parfois. Et je suis désolée d'être à l'origine de tels incidents. Lord Eldred voulait me provoquer et... je le voulais aussi. Nous sommes, tous les deux, par-venus à notre but mais je regrette que vous ayez dû assister à une scène aussi ridicule.

Royce en resta muet de stupeur. Elle avait pré-

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senté des excuses ! II n'arrivait pas à y croire. Le roi Alfred rejeta la tête en arrière et éclata de rire.

— Dieu m'en soit témoin, Royce. Une telle honnê-teté est terrifiante ! Et dire que j'ai failli être jaloux de toi ! Dieu m'en préserve, je n'aurais jamais pu l'amener à la Cour, elle est trop franche pour les intrigues et les flatteries.

— Elle n'est pas à prendre, milord. Ce fut au tour de Kristen d'être ébahie par tant

d'audace. Mais Alfred ne se sentit nullement offensé. En fait, il riait de plus belle.

— Je vois que sa franchise est contagieuse. Je ferais bien de la tenir éloignée de mes autres sei-gneurs sinon je peux faire mon deuil des compli-ments sur ma manière de chasser.

Royce rit. — Aujourd'hui, milord, ces compliments étaient

mérités. Vous avez vous-même abattu notre repas de ce soir.

Ils s'éloignèrent en bavardant gaiement, non sans que Royce ait lancé un dernier et curieux regard à Kristen. Une lueur qu'elle connaissait bien brillait dans ses yeux. On aurait dit qu'il était affamé... mais pas de nourriture.

Kristen fut envoyée à l'étage par Eda. Seule, sans l'escorte de la vieille servante ou de l'un des deux gar-des, elle se sentait dans d'excellentes dispositions. Elle alla tout droit dans la chambre de Royce.

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Il était toujours en bas. La nuit était déjà bien avan-cée, et la plupart de ses invités s'étaient retirés. Mais le roi buvait toujours et racontait des histoires qui valaient bien celles du troubadour. Il n'aurait pas été convenable que, ce soir encore, Royce se retire avant son suzerain.

Kristen ne l'ignorait pas et faisait preuve de patience. La veille, trop épuisée, elle avait oublié le marché dont ils avaient parlé, mais pas ce soir. Sa tâche avait été considérablement allégée aujour-d'hui, et elle avait été autorisée à se reposer comme les autres devant la fenêtre. Et, comble de soulage-ment, Eda l'avait même emmenée pendant plusieurs heures hors du hall surpeuplé pour remettre de l'ordre dans les chambres des invités.

Kristen savait qu'elle devait ce traitement de faveur à Royce. Si, hier, elle avait été trop fatiguée pour lui procurer le moindre plaisir, aujourd'hui, il n'en était pas de même. Elle comprenait à présent ce qu'il avait voulu dire en se traitant d'égoïste, et elle ne s'en formalisait pas. Elle attendait elle-même avec joie le plaisir d'une nouvelle nuit passée avec lui. Elle n'envisageait plus de lui résister. Il l'avait débarras-sée c}e ses chaînes et avait montré à plusieurs repri-ses qu'il tenait à elle.

Il s'améliorait. Un jour, il admettrait qu'il y avait entre eux davantage qu'une simple passion. Ce jour-là, il l'épouserait. Il libérerait aussi ses amis et elle pourrait envoyer un message à ses parents. Tout fini-rait bien par s'arranger. La route était peut-être diffi-cile mais elle menait au bonheur.

Kristen sourit en constatant que ce soir, deux énor-mes seaux d'eau avaient été apportés dans la cham-

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bre, ainsi que des linges supplémentaires et du savon en quantité. Elle en fit un usage rapide avant de se glisser toute nue sous le drap pour attendre son sei-gneur. Oui, il était son seigneur, à présent.

Royce la rejoignit un quart d'heure plus tard. Kris-ten aurait été amusée d'apprendre qu'il s'était mon-tré particulièrement distrait en bas. Alfred avait fini par avoir pitié de lui et s'était retiré prématurément afin de libérer son hôte. Elle fut, en tout cas, satis-faite de constater qu'elle ne s'était pas préparée en vain. Il était surpris et ravi de la trouver déjà dans son lit.

Elle était allongée sur le côté, le visage dans le creux de la main afin de mieux le voir. Par le Ciel, il était splendide !

Depuis l'arrivée de la Cour, Royce s'habillait de façon plus luxueuse qu'à l'ordinaire. Il portait une pèlerine fermée par une boucle sur son épaule droite comme tous les autres nobles. Elle était marron gan-sée de soie jaune safran. La même soie décorait sa tunique couleur sable, au cou et aux poignets. Ces tons chauds rendaient ses yeux d'émeraude plus sur-prenants encore. Il arborait aussi une large ceinture sertie d'ambre. Le manche de sa dague était incrusté de pierreries.

— Tu m'as présenté des excuses aujourd'hui, et je ne suis pas certain de les vouloir, déclara-t-il d'emblée.

Surprise par une telle entrée en matière, Kristen répliqua :

— Tu les as, milord. Fais-en ce que tu veux. — Alors, je te les rends. Il s'assit au bord du lit, un genou replié sous lui

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afin de lui faire face. Il approcha la main de la hanche de Kristen, hésita et la retira.

— Je connais Eldred depuis trop longtemps. Je sais qu'il a l'esprit retors.

— Je n'ai pas menti, répliqua-t-elle calmement. Je l'ai volontairement provoqué.

— Mais c'est lui qui est venu te trouver. Elle sourit. — Cela, je ne peux le nier. A nouveau, la main de Royce bougea et cette fois,

il la posa sur la hanche ronde de la jeune femme. — Je ne t'ai pas remerciée de ta discrétion devant

Alfred. — Si, tu l'as fait, répondit-elle d'une voix cares-

sante. Elle avait parfaitement saisi la signification de son

dernier sourire avant qu'il ne s'éloigne avec Alfred. Elle le connaissait mieux qu'il ne pensait et cela l'enchantait.

Il sourit et quitta le lit. Leur conversation ne dure-rait pas longtemps s'il restait là, si près d'elle, et il voulait conclure ce fameux marché. Ce n'était pas grand-chose. Et puisqu'elle aimait tant disposer de sa liberté de mouvements, il était certain qu'elle ne refuserait pas.

Il commença à enlever sa pèlerine mais ses doigts se figèrent sur la boucle en or tandis que Kristen s'asseyait au milieu du lit. Le drap glissa jusqu'à sa taille et elle ne fit rien pour le remonter. Elle l'atten-dait, si parfaitement à son aise dans cette tenue qu'elle ne se rendait pas compte du trouble qu'elle provoquait en lui. Il était fasciné. Ses yeux se rivè-rent sur les seins lourds et fiers.

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— Et ce marché, milord ? — Quoi? Quitter du regard ces merveilleux monts pour la

dévisager constitua un exploit dont il ne pensait pas être capable. A présent, il plongeait dans l'océan de ses yeux. Il se détourna, en nage. Ce pouvoir qu'elle possédait sur lui et sur son corps... Si jamais elle en prenait conscience... Dieu lui vienne en aide.

Il ravala sa salive et continua à lui tourner le dos pour achever de se dévêtir. Mieux valait conclure ce marché tout de suite, car s'ils tardaient trop, ils devraient encore le remettre à demain.

Il s'éclaircit la gorge. — Les problèmes que tu as eus hier soir, fit-il

d'une voix si rauque qu'il la reconnut à peine, ont montré que tu ne pouvais te défendre en étant enchaînée. Je regrette, d'ailleurs, que tu aies eu besoin de le faire.

Il jeta un regard par-dessus son épaule pour voir si elle l'écoutait. Elle ne s'était toujours pas recou-verte. Il alla jusqu'au seau pour s'asperger le visage d'eau fraîche.

— Ça ne me plaît pas de te savoir sans défense, Kristen. Bien sûr, je peux demander à mes hommes de te protéger comme je l'ai fait, mais ce n'est pas pareil. Je préfère savoir que tu es capable de t'en sor-tir toute seule quand je ne suis pas auprès de toi.

— Tu n'as pas besoin de m'expliquer les raisons pour lesquelles tu m'as retiré ces chaînes.

Sans la regarder, Royce savait qu'elle souriait. Il prit place sur une chaise pour enlever ses bottes et ses chausses.

— Très bien. Je veux ta parole que tu ne tenteras

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pas d'attaquer mon cousin tant qu'Alfred et sa Cour seront présents.

— C'est beaucoup me demander, répondit-elle avec calme.

— Pense à ce que cela signifierait si tu t'en prenais volontairement à Alden alors qu'Alfred est ici. C'est un homme bon mais tu as vu toi-même comment il est forcé d'épargner ses seigneurs. Selon la loi, j'étais en droit de provoquer Eldred en duel. Alfred savait par-faitement que c'était là mon plus cher désir. Pour-tant, il a renvoyé ce chien chez lui pour lui éviter ma colère. Il a besoin de tous pour vaincre les Danois. Il sera très dur envers quiconque tentera d'affaiblir son armée et de le priver d'un homme aussi valeu-reux qu'Alden.

— Je comprends. Mais pourquoi ne veux-tu ma parole que pendant le séjour du roi ?

Il répondit sans hésiter : — Quand le roi partira, les autres s'en iront avec

lui et tu n'auras plus rien à craindre. — Et alors ? — Tu ne courras plus aucun danger et nous pour-

rons recommencer comme ayant. Alors, tu promets ? Kristen resta un long moment immobile, contem-

plant le dos puissant de Royce avec stupeur. Puis elle se glissa hors du lit, emmenant le drap. Elle s'appro-cha de lui si furtivement qu'il ne l'entendit pas. Il n'eut pas le temps de réagir quand elle passa son bras autour de son cou.

— Oui, je te donne ma parole que je ne toucherai pas ton cher Alden, lui murmura-t-elle à l'oreille. Quant à toi...

Elle le serra de toutes ses forces. Il se débattit vio-

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lemment et elle dut lâcher prise. L'homme et la chaise s'écroulèrent. Il poussa un cri étouffé puis il jura, mais elle courait déjà vers la porte. Dans le cou-loir, elle se rendit compte qu'elle ne pouvait descen-dre dans le hall dans cette tenue. Et elle se précipita vers la porte la plus proche et l'ouvrit, avec la vague intention de se cacher.

Kristen s'immobilisa aussitôt. Une chandelle brû-lait encore près du lit et elle reconnut le roi du Wes-sex tandis qu'il se redressait, l'épée à la main. Ils furent aussi ahuris l'un que l'autre, mais il retrouva son sang-froid le premier. Il sourit à la vue de l'intruse. Ses longs cheveux blonds la recouvraient d'un voile d'or, tandis qu'elle tenait le drap — dans lequel elle n'avait pas eu le temps de s'enrouler—sur sa poitrine.

La surprise de Kristen dura une seconde de trop. Déjà, Royce sortait de sa chambre et elle ne pouvait quand même pas s'enfermer dans celle-ci. Elle n'avait plus d'issue. Aussi fit-elle brusquement volte-face pour affronter Royce, trop affolée pour songer qu'elle montrait son corps dénudé à Alfred. Le regard meurtrier, Royce fondait sur elle.

Sans un mot, il saisit la main qu'elle tendait devant elle pour le tenir à distance. Elle lâcha le drap pour le frapper de l'autre, mais il s'en empara aussi et lui serra violemment les deux poignets derrière le dos, la propulsant contre lui.

— Pardonnez-moi, milord, dit Royce à son roi. Alfred rit. — Ce n'est rien... On ne s'ennuie pas chez toi,

Royce. Les lèvres serrées, Royce hocha la tête, referma la

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porte et ramena Kristen dans sa chambre. Là, il resta immobile un instant, muet, incapable de trouver les mots qui convenaient et maîtrisant son envie de l'étrangler.

Puis, il la jeta sur le lit et s'assit carrément sur elle. Lui tenant fermement les mains, il demeura ainsi un long moment, essayant de se calmer tandis qu'elle se débattait violemment.

Finalement, épuisée, Kristen renonça au combat, mais ses yeux,étincelaient de rage.

— Je te hais ! déclara-t-elle. Ce fut un choc pour Royce. Elle avait prononcé ces

mots avec tant de hargne que quelque chose se noua en lui, dissipant quelque peu sa propre colère.

Il la regarda dans les yeux. — Pourquoi ? s'étonna-t-il. — Tu t'es moqué de moi ! Tu savais ce que je pen-

sais et tu en as profité ! — Je ne peux pas savoir ce qui se passe dans ta

tête, Kristen. — Menteur! Pour quelle autre raison serais-je

venue dans ta chambre sans protester? Tu m'as enlevé ces chaînes en m'avertissant que nous allions passer un marché, mais sans préciser que ce serait temporaire !

La bonne volonté de Kristen avait effectivement surpris Royce, mais il en avait été trop content pour s'interroger.

— Tu m'as mal compris, soupira-t-il. Comment pouvais-je savoir ce que tu pensais ? Je n'avais pas l'intention de t'enlever ces chaînes pour de bon. Si cela ne m'est pas venu à l'esprit, comment pouvais-je me douter que c'était ce que tu croyais ?

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— C'est vrai, je vois en toi des choses qui n'y sont pas, qui n'y seront jamais !

Son amertume le piqua au vif. — Que vois-tu ? Pour l'amour du Ciel, Kristen, que

veux-tu de moi ? — Je ne veux rien de toi. Je ne veux plus rien... sauf

que tu me laisses seule. Il secoua lentement la tête comme s'il regrettait de

ne pouvoir lui accorder cette faveur. — Je le ferais si je le pouvais. — Si tu le pouvais ? Ta volonté est-elle donc si fai-

ble, Saxon ? — Avec toi, oui. L'aveu était de taille mais Kristen était trop meur-

trie pour s'en réjouir. Il reprit la parole avec une étrange douceur. — Tu ne me hais pas, Kristen. Tu es furieuse con-

tre moi mais tu ne me hais pas. Admets-le. Il avait raison. Elle ne le haïssait toujours pas. Elle

en était incapable. Mais elle refusa de lui répondre. — Très bien. Si tu ne veux pas me le dire, montre-

le-moi, murmura-t-il en lui frôlant la bouche d'un baiser.

Elle le lui prouva amplement.

De nouveaux invités arrivèrent à Wyndhurst. Lord Averill venait présenter ses hommages au roi. Son fils unique, Wilburt, et ses trois filles l'accompa-gnaient.

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Ces nouveaux venus n'auraient guère attiré l'atten-tion de la jeune Viking si lady Corliss de Raedwood ne s'était trouvée parmi eux. Edrea, qui travaillait à coté de Kristen, lui chuchota le nom de la nouvelle venue. Mais n'importe qui se serait douté de son importance en voyant l'accueil que lui réservait Darrelle.

Ainsi, c'était donc là la fiancée de Royce... Kristen ne fut pas surprise de constater l'éclatante beauté de Corliss. Celle-ci était petite, délicate et gracieuse — tout ce que n'était pas Kristen. Et elle s'était imaginé pouvoir arracher Royce à cette rivale... Par le Ciel, elle était encore plus stupide qu'elle ne l'avait pensé jusqu'ici.

Une chose lui procura néanmoins un léger récon-fort: Royce n'était pas présent pour accueillir sa future femme. Elle n'aurait pas supporté de le voir déployer toute la tendresse et la galanterie dont il était capable. Il était déjà assez pénible de voir les attentions que Darrelle, les serviteurs et même Alden, arrivé un peu plus tard, lui témoignaient. Il était évident que s'ils la traitaient tous ainsi, c'était uniquement parce qu'elle allait devenir la maîtresse de Wyndhurst, supplantant Darrelle qui occupait cette position en tant que plus proche parente de Royce.

Il existait pourtant une personne dans la maison qui ne se souciait pas de gagner les faveurs de la dame : Meghan. Bien sûr, l'enfant ne pouvait com-prendre que cette femme serait bientôt entièrement responsable de son éducation. Mais Kristen eut chaud au cœur en voyant Meghan secouer la tête quand Corliss lui demanda d'approcher. La petite

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fille la gratifia même d'une grimace avant de se réfu-gier à l'autre bout du hall.

Darrelle ne remarqua rien. Quant à Corliss, elle serra les lèvres, l'air pincé, mais elle ne rappela pas Meghan. Et Kristen réprima une forte envie d'éclater de rire. Elle aurait été bien incapable de faire preuve d'une telle maîtrise de soi si elle avait aperçu Alden. Ayant surpris la mimique de Meghan, celui-ci faisait en effet de son mieux pour cacher son hilarité.

Quelques instants plus tard, Kristen sentit qu'on tirait sur sa robe. Elle baissa les yeux et vit Meghan qui s'était débrouillée pour traverser le hall à l'insu de tous et venir jusqu'à elle. L'enfant n'osait la regarder.

— Tu es toujours en colère contre moi ? Kristen fronça les sourcils, intriguée par cette

question. — Pourquoi le serais-je ? — J'ai répété à mon frère ce que tu m'as raconté...

et Alden a dit que je révélais des secrets, expliqua Meghan en levant enfin les yeux vers Kristen. Je ne savais pas, je te le promets.

— Et tu croyais que j'étais en colère ? — Oui. Je t'ai bien vue le lendemain. Tu n'étais

vraiment pas contente... Kristen sourit en se remémorant cette journée. — Je n'avais rien contre toi, mon cœur. Ce que tu

as dit à ton frère n'a rien changé. C'était un mensonge car les révélations de Meghan

avaient, au contraire, changé beaucoup de choses. C'était après avoir appris que Selig était son frère que Royce lui avait fait l'amour pour la première fois et cela, Kristen ne pouvait le regretter.

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L'enfant se renfrogna. — Alors, je t'ai évitée pour rien. Kristen émit un rire étouffé qui attira l'attention

d'Eda. — Que fais-tu ici, mon enfant ? demanda la vieille

servante à Meghan. — Je parle, rétorqua celle-ci. Eda lança un regard inquiet à Kristen. — N'oublie pas ton travail... — Je ne l'oublie pas. — Je peux t'aider ? s'enquit Meghan. A ces mots, Eda secoua la tête d'un air accablé et

s'éloigna. Kristen ne savait pas quoi dire à Meghan qui attendait toujours sa réponse. Elle jeta un coup d'oeil vers le groupe de femmes réunies à l'autre bout du hall.

— Tu ne devrais pas être ailleurs, Meghan ? demanda-t-elle.

A son tour, Meghan regarda les femmes avant de répondre avec entêtement :

— Je préfère être ici que là-bas. Kristen réprima un sourire. — Pourquoi n'aimes-tu pas lady Corliss ? Meghan la dévisagea d'un air étonné. — Comment le sais-tu ? — J'ai vu ta grimace. — Oh... La petite fille rougit, baissa la tête et se rongea un

ongle avant de se défendre. — Elle n'avait pas vraiment envie que je vienne

près d'elle. Elle dit des choses qu'elle ne pense pas. Elle est toute gentille maintenant mais elle n'était pas comme ça avant les fiançailles.

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— Je vois. — C'est vrai ? s'écria Meghan avec espoir. Tu ne

penses pas que j'ai tort de ne pas l'aimer ? — Tes sentiments t'appartiennent, ils ne peuvent

être commandés par personne. Mais puisque ton frère l'aime, tu devrais essayer de faire des efforts.

— J'ai essayé, admit Meghan avec une pointe de rancune. Mais, un jour, Royce m'a emmenée avec lui à Raedwood et elle m'a pincée. Alors, je suis partie et je les ai laissés tous les deux.

— Il n'a rien dit ? — Non, mais il ne l'a pas vue quand elle m'a fait ça. Kristen fronça les sourcils. — Tu aurais dû le lui dire. — Il n'aurait pas été content. Et Meghan n'osait pas mécontenter son frère.

Kristen soupira. Il fallait que cette enfant com-prenne que les colères de son frère n'avaient rien de bien terrible — en tout cas, pas pour elle. Il traitait Meghan avec la plus grande tendresse. Kristen avait vu comment il la portait dans sa chambre lorsqu'elle s'endormait dans le hall. Elle avait eu l'impression de revoir son propre père. Royce aimait sa petite sœur de tout son cœur et, malgré cela, elle avait encore peur de lui.

Kristen secoua la tête avec tristesse. Comme Meghan l'observait, elle s'inquiéta: — Tu veux que je parte ? — Quoi ? Oh ! non, mon cœur, pas du tout ! Mais

tu es sûre que tu ne te feras pas gronder si tu restes là?

— Il y a tellement d'invités que personne ne me remarque.

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— Alors, assieds-toi sur ce tabouret et je vais te montrer comment je fais le pain aux noix, celui que préfère mon père.

— Il aime les noix dans le pain ? — Bien sûr ! Kristen cligna de l'œil en fouillant dans une des

poches de sa robe. Elle en sortit une poignée de noix. — J'ai subtilisé celles-là à Eda avant qu'elle ne

puisse en farcir ses poulets. On va faire deux petits pains rien que pour nous. Tu veux ?

— Oh! oui, Kristen! s'exclama Meghan dont le petit visage s'illumina. Ce sera notre secret...

Meghan s'était trompée. Dès qu'il pénétra dans le hall, Royce la repéra. En fait, comme toujours, son regard cherchait Kristen et il remarqua tout de suite sa petite sœur assise près d'elle. Toutes deux pen-chées sur la table, elles riaient de bon cœur, insou-ciantes de tout ce qui les entourait.

Il s'immobilisa, heureux de voir sa sœur et sa femme si proches, et aussi un peu surpris. La plu-part de ses gens redoutaient Kristen. Il était étrange de constater que Meghan — qu'un rien effrayait — ne semblait pas la craindre le moins du monde. A l'évi-dence, elles s'appréciaient et il en éprouvait un réel plaisir.

Il s'apprêtait à les rejoindre quand Darrelle l'appela. Ce fut alors qu'il vit Corliss. Il se raidit. Comment avait-il pu l'oublier ? Lord Averill était venu jusqu'au champ d'exercices où Alfred avait pro-posé à ses seigneurs un petit concours d'adresse. Et chaque fois qu'Averill venait à Wyndhurst, ses filles

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raccompagnaient. Pourquoi en aurait-il été autre-ment aujourd'hui ?

Royce serra les dents et se dirigea vers sa fiancée.

Kristen observa Royce et Corliss toute la soirée, qu'ils passèrent assis côte à côte à la longue table. Elle était incapable de s'en empêcher, malgré la douleur qui lui serrait le cœur. Elle ne cessait de se répéter que cela n'avait aucune importance, que Royce ne lui appartenait pas, elle se sentait trahie — et complètement désarmée. Elle ne pouvait pas se battre, l'injurier, ni rien faire pour l'arracher à cette femme.

Elle avait mal. Jusque-là, Kristen avait eu ten-dance à se cacher la vérité, à ne pas accepter qu'elle n'était qu'une esclave, car elle croyait qu'au bout du compte tout s'arrangerait selon ses désirs. Elle était certaine d'épouser Royce un jour. Bien sûr, elle avait souvent perdu patience mais jamais l'espoir.

Quelle naïveté! Parce que son père était tombé amoureux d'une esclave et l'avait épousée, elle avait cru qu'il en irait de même pour elle. Pourtant, même en Norvège où sa famille jouissait d'une position aussi élevée que celle de Royce ici, sa mère avait dû être libérée de son joug d'esclave avant de pouvoir épouser Garrick. L'amour n'avait pu briser la loi con-cernant les esclaves. Et ici, dans le Wessex, il y avait tant de seigneurs, tant de lois ! Royce lui-même ne l'avait-il pas traitée de folle quand elle avait évoqué le mariage ?

En le voyant avec sa fiancée, Kristen ne pouvait s'empêcher de penser qu'il avait eu raison. Pas une

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seule fois elle n'avait considéré les choses selon le point de vue de Royce. Elle n'était qu'une esclave parmi tant d'autres. Elle avait réchauffé son lit mais bientôt, il aurait une femme. Royce l'appréciait, c'était vrai, mais tout autant qu'un de ses chevaux favoris.

— Tu rêvasses ? Kristen se tourna lentement vers Eda. — Hein ? Oui, oui, peut-être... Eda l'examina, sensible à la tristesse de sa voix. — Tu t'es fait des illusions. — Je sais. Eda secoua la tête. — Tu devrais remercier le Seigneur de ce que tu

as. Tu es vivante, alors qu'il aurait pu vous tuer, toi et ceux que tu appelles tes amis. II veille sur toi. Et il te protège même des autres hommes ! La moitié de ces femmes que tu vois là seront culbutées ce soir par ces beaux seigneurs qui ne leur demanderont même pas leur avis... mais pas toi.

— Inutile de toujours me rappeler la chance que j'ai.

— Tu es bien sarcastique ! Si ton sort ne te plaît pas, tu peux toujours essayer de te trouver un autre homme. J'ai des yeux et j'ai bien vu comment cer-tains de ces messieurs te regardent. Peut-être que si tu le lui demandes gentiment, lord Royce consentira à te vendre après son mariage.

— Bonne idée. — Non, Viking, je plaisantais. Si tu fais ça, nous

nous en mordrons tous les doigts ! Il sera enragé. — Que veux-tu dire, Eda ? — C'est simple. Il ne te vendra jamais. Tu n'es pas

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stupide, lui dit-elle avec impatience. Tu sais très bien l'influence que tu as sur lui.

— Quelle influence ? — Tu le fais exprès ? Rappelle-toi cette semaine

où rien ne lui plaisait, cette semaine où tu n'as pas voulu aller dans sa chambre... Comment appelles-tu cela ? Tout le monde ici savait que tu étais l'unique cause de sa mauvaise humeur. Et puis, comme par miracle, dès que tu as accepté de retourner le voir, il est redevenu gai comme un pinson.

Les joues enflammées, Kristen contemplait le sol devant elle.

— Et alors ? Il a envie de moi en ce moment, c'est tout. Ça ne durera pas.

— Cet homme aura toujours envie de toi, petite. Kristen sursauta devant ce qualificatif inhabituel

de la part d'une femme qui ne lui arrivait même pas à l'épaule. Mais Eda poursuivait :

— Je vois comment il te regarde, comment il te cherche dès qu'il a une seconde de libre. Et je pour-rais t'en dire bien plus encore si je voulais te con-vaincre. Mais je ne veux pas te remplir la tête de vaines espérances. Non, il ne te vendra jamais, il ne te laissera jamais à un autre. Mais il épousera sa lady.

Kristen se figea. — Alors, pourquoi me dire tout ça, vieille femme ? — Parce qu'il te gardera même après son mariage.

Parce que je n'aime pas te voir malheureuse. Parce qu'il faut que tu commences à accepter ton sort et que tu cesses de viser toujours plus haut. Si tu n'es pas heureuse, il ne sera pas heureux et cela nous affectera tous tant que nous sommes.

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— Assez, Eda. Je n'ai pas une telle influence sur lui. Si c'était vrai...

— Si c'était vrai, quoi ? Oui, je sais. Tu ne tiendras aucun compte de ce que je viens de te dire. Tu vises toujours trop haut, Viking.

— Ne comprends-tu pas que je ne puisse accepter mon sort, ni me résigner ? Ma mère a été réduite en esclavage autrefois, elle a été capturée exactement comme moi. Elle était la fille d'un grand seigneur dans le pays d'où elle venait et elle ne manquait pas de fierté. Elle n'a jamais accepté d'être une esclave, ni vis-à-vis de l'homme qui la possédait ni vis-à-vis d'elle-même. Je ne suis pas aussi entêtée. Je sais quelle est ma situation. Mais je reste la fille de ma mère. Je ne serai pas une esclave toute ma vie, Eda.

— Tu n'as pas le choix. Kristen contempla le hall. Seules quelques torches

restaient allumées. Perdue dans ses sombres pen-sées, elle ne s'était pas rendu compte que le repas était terminé et que presque tous les invités s'étaient retirés. Des lits de fortune s'étalaient un peu partout pour les gens du domaine et quelques hôtes moins fortunés que les autres. Elle n'avait pas vu partir Royce et sa future épouse.

— Elle reste pour la nuit ? demanda-t-elle à Eda. La vieille femme grommela, sachant bien de qui

elle voulait parler. — Oui. J'ai suffisamment usé ma salive pour une

sourde. Viens. Tu dors avec moi, ce soir. Kristen resta stoïque. — Elle couche avec lui... — Tu n'as donc pas de pudeur ! s'indigna Eda. Tu

sais qu'il n'y a que six chambres en haut. Les dames

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dorment avec lady Darrelle et Meghan. Lord Alden a abandonné sa chambre au roi et il est obligé de parta-ger une des deux autres avec les seigneurs qui y sont entassés.

— Alors, pourquoi... — Chut ! Milord n'en était pas vraiment ravi mais

avec lord Averill et son fils qui sont arrivés aujourd'hui, il ne pouvait plus garder sa chambre pour lui tout seul. Il n'y avait tout simplement plus de place ailleurs.

Kristen se représenta Royce partageant son lit avec son futur beau-père et son futur beau-frère. L'image était comique... enfin, presque.

Une unique torche brillait encore près de l'esca-lier. Quelques bruits sporadiques s'élevaient dans le hall : une quinte de toux, des grognements... Eda ron-flait doucement.

Elle avait conduit Kristen vers son coin réservé, un endroit convoité, près de la cheminée éteinte, car il y faisait frais en été et chaud en hiver. II. ne restait plus de paillasse pour Kristen car tou-tes étaient utilisées par les invités. Une mince cou-verture sur le sol dur lui servait de lit. L'inconfort de cette situation l'aida à rester éveillée. Pour rien au monde, elle ne se serait endormie cette nuit.

Elle se redressa doucement et observa le hall autour d'elle. Seules quelques femmes dormaient à

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proximité mais suffisamment loin pour qu'elle ne trouble pas leur sommeil. Eda venait enfin de s'endormir. Elle aurait préféré attendre un peu plus longtemps au cas où quelqu'un serait encore éveillé, mais elle ne pouvait plus se permettre de gaspiller un temps précieux.

Elle partait. La décision avait été facile à prendre car une si belle occasion ne se représenterait pas de sitôt. La veille, elle avait demandé à Royce si le roi resterait encore longtemps. Il avait été incapable de lui répondre. Alfred pouvait partir demain, dans une semaine ou dans un mois. Avec le départ du roi, Kris-ten retrouverait ses chaînes le jour, et la chambre de Royce la nuit. Une si belle occasion ne se représente-rait jamais... Elle devait tenter sa chance ce soir, dans ce hall surpeuplé.

Ici, les fenêtres étaient grandes ouvertes et Kristen n'avait qu'un bond à faire pour se retrouver dans la cour. L'aube était encore loin, ce qui lui donnait pas mal de temps avant qu'on ne découvre sa disparition.

Si la décision avait été facile à prendre, elle n'en provoquait pas moins chez Kristen un sentiment de désolation. Elle savait qu'il n'y avait aucun espoir pour elle ici, mais elle avait le cœur brisé à l'idée de ne plus jamais revoir Royce.

Elle lança un dernier regard à Eda plongée dans un profond sommeil. La vieille femme lui manquerait elle aussi, avec sa gentillesse bourrue. Et la petite Meghan qui l'attendrissait avec sa curiosité et son discret besoin d'affection.

Ces pensées n'empêchèrent pas Kristen de se glis-ser jusqu'à la fenêtre. Personne ne broncha quand elle l'enjamba. En proie à une tristesse infinie, elle

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hésita un long moment. Finalement, sa fierté lui donna la dernière impulsion.

Le clair de lune inondait la cour de lumière. Kris-ten se réfugia immédiatement dans l'ombre du mur. Autour d'elle, tout était calme, endormi. Elle longea le mur jusqu'à l'autre partie de la cour où se trou-vaient les écuries, l'entrepôt et la prison de fortune qui abritait son cousin et les autres.

Elle n'avait pas vu cet abri achevé, mais elle savait que c'était une sorte de hutte en pierre, étroite et sans fenêtres. Il devait être déplaisant d'y dormir, mais moins que de passer la nuit sous la pluie comme avant.

Elle aurait préféré qu'il pleuve. La nuit était trop claire, trop silencieuse. Le moindre de ses pas sem-blait résonner à des centaines de mètres à la ronde. Cela n'entama pas sa détermination. Personne n'était là pour la voir ou l'entendre. Elle avait le champ libre.

Elle dépassa les écuries. Ils auraient bien sûr besoin de chevaux mais pas de ceux-là. Les grandes portes étaient fermées et verrouillées la nuit, et nul doute qu'un homme montait la garde. Même sans garde, il n'était pas envisageable de faire sortir les chevaux. Le vacarme réveillerait tout le monde. Mais elle savait que les chevaux de Royce avaient été pour la plupart emmenés aux pâturages. Il leur suffisait maintenant de trouver ces pâturages.

En revanche, un problème auquel elle n'avait pas pensé l'attendait devant la prison. Un homme en gar-dait la porte. Elle se cacha au coin du bâtiment, le cœur battant. L'avait-il entendue ? Pendant de lon-gues secondes rien ne se passa et elle risqua un coup d'oeil.

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L'homme était toujours assis, adossé à la porte, la tête penchée en arrière. Elle poussa un soupir de sou-lagement. Il dormait. Elle n'avait pas imaginé une seule seconde trouver un garde ici, car la porte était verrouillée. A présent, elle devait l'éliminer. Avec un peu de chance, l'homme portait sur lui les clés de l'énorme serrure qui fermait la porte.

Kristen retourna derrière le bâtiment pour cher-cher une pierre assez grosse pour assommer le garde. Bien sûr, elle aurait pu lui subtiliser sa dague et profiter de son sommeil pour le tuer, mais cette solution lui répugnait. Malheureusement, il n'y avait pas de grosses pierres dans la cour et elle dut se ren-dre jusqu'au chantier de la muraille où les rocs étaient entassés. Là, il lui fallut encore un moment avant de trouver ce qu'elle cherchait. Elle revint alors vers la prison.

Son pouls s'accéléra tandis qu'elle s'approchait de la forme endormie. Si elle frappait trop fort... Dieu lui vienne en aide, elle ne voulait pas le tuer mais sim-plement l'étourdir.

La pierre s'abattit sur la tempe de l'homme et il glissa sur le côté. Il respirait. Cela suffit à soulager la conscience de Kristen pour l'instant. Elle le fouilla rapidement à la recherche d'une clé — en vain. Elle allait perdre encore du temps pour forcer la serrure. Au moins avait-elle maintenant une dague à sa dispo-sition.

Elle se précipita vers la porte et appela tout bas : — Ohthere, Thor... Une grande main se plaqua sur sa bouche, la rédui-

sant au silence, tandis qu'une autre s'emparait de son poignet droit.

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— Lâche ça. Tout de suite. Elle obéit, éprouvant un curieux mélange de peur

et de soulagement en reconnaissant cette voix. Il lui lâcha le poignet dès que la dague heurta le sol, et il la saisit à bras-le-corps. Il ne serrait pas trop fort mais elle savait qu'elle n'avait aucune chance de lui échapper.

Tout à coup, la voix étouffée de Thorolf retentit de l'autre côté de la porte. Il l'avait entendue, il devait penser qu'elle venait les libérer.

— Kristen ? Kristen, réponds ! Dis-moi que je ne rêve pas...

— Que dit-il ? lui murmura Royce à l'oreille. — Il sait que c'est moi... — Raconte-lui ce qui s'est passé. Que s'était-il passé au juste ? Comment avait-il su ?

Alors qu'elle touchait au but, elle venait d'être arrê-tée par le seul homme ici qu'elle ne pouvait combat-tre. Si ç'avait été n'importe qui d'autre...

— Thorolf, je suis désolée... J'ai failli réussir mais le chef saxon m'a arrêtée. Il est ici.

Il y eut un long silence derrière la porte. — Tu n'aurais pas dû venir nous aider, Kristen,

répliqua Thorolf. Tu aurais dû fuir puisque tu en avais l'occasion...

— Ça n'a plus d'importance maintenant. — Que va-t-il te faire ? Comment pouvait-elle le savoir? Elle se tourna

vers Royce. — Il veut savoir ce que tu vas me faire. — Que se serait-il passé si tu avais réussi à ouvrir

cette porte ? Il était d'un calme terrifiant. Par le Ciel ! Pourquoi

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ne hurlait-il pas ? Il la maintenait de telle façon qu'elle ne parvenait toujours pas à distinguer ses traits. Il devait être furieux.

— Si j'avais ouvert cette porte, nous aurions couru jusqu'à cette barrière, là-bas, et nous serions partis.

— Après le massacre ? — Vous plaisantez, milord. Il n'y a que seize hom-

mes là-dedans. Presque tous les chevaliers du roi dorment dans votre hall ainsi que vos propres gar-des. Vous avez une armée bien entraînée. Les Vikings sont braves, milord, mais pas stupides.

— Alors, dis-lui que tu n'as rien à craindre puis-que tu n'as fait que frapper un garde qui le méritait pour s'être endormi pendant son tour de veille.

Elle ne le crut pas. Il allait la punir. U y était forcé. On ne pouvait faire preuve de clémence envers une esclave qui avait tenté de s'échapper et qui avait voulu aider d'autres esclaves à s'enfuir. Mais elle préféra ne pas alarmer Thorolf.

Elle expliqua rapidement ce que lui avait dit Royce mais Thorolf fut aussi perplexe qu'elle.

— Il ne vous croit pas, milord. — Dis-lui que tu leur apporteras leur nourriture

demain matin, et qu'ils pourront apprendre de ta bouche le traitement que tu auras subi.

Un frisson lui parcourut le dos. Elle traduisit exac-tement ces paroles à Thorolf qui parut satisfait. De toute manière, Royce n'avait pas l'intention de lais-ser cette conversation se prolonger. Il entraîna Kris-ten, un bras autour de sa taille. Elle était terrifiée maintenant. La menace était claire : « Le traitement que tu auras subi »... Tout à coup, il s'immobilisa.

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Ils se trouvaient devant les écuries. Il la força à lui faire face. La tête rejetée en arrière, il examinait le ciel comme pour profiter de ce magnifique clair de lune. Il soupira.

— Je t'ai proposé l'autre nuit d'aller nous baigner au lac, déclara-t-il tranquillement. Tu veux y aller, ce soir ?

— Tu veux me noyer ? Il plongea le regard dans le sien, et sourit. — Tu ne crois pas ce que j'ai dit à Thorolf ? — J'ai essayé de fuir. Tu m'en as empêchée... mais

j'ai quand même essayé. Qu'est-ce que ta loi prévoit pour un tel crime ?

— Tu es une prisonnière, pas une Bretonne. Les lois sont plus floues en ce qui concerne les prison-niers. Mais aucune loi n'entre en ligne de compte ici, car personne ne sait ce que tu as fait... sauf moi.

— Et le garde. — Il croira qu'il a rêvé et qu'il s'est fait cette bosse

en tombant. Peut-être qu'il ne dormira plus pendant son service...

Elle ouvrit de grands yeux. — Tu es sincère ? Tu ne veux vraiment pas me

punir ? — Le loup se coupe la patte pour s'échapper du

piège. Il y parvient, mais à quel prix... Si tu t'étais enfuie avec les autres, je vous aurais retrouvés. Tes amis se seraient défendus et le sang aurait coulé. Cela aurait été un terrible châtiment pour toi. Mais tu as échoué. Je comprends le loup, je peux donc aussi comprendre ce qui t'a poussée. Tu veux ta liberté. Comment te punir pour cela ? Mais je ne peux pas non plus te laisser partir.

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— Tu le pourrais, affirma-t-elle. Les autres cons-truisent ton mur. Leur tâche est nécessaire à Wyndhurst. Mais ce que j'accomplis dans le hall n'a aucune importance. Tu n'as aucune raison de me gar-der ici.

— Tu m'es nécessaire, Kristen. A moi. La force de ces mots la réduisit au silence, mais

elle se méfiait encore. Il était peut-être sincère, mais ce n'était pas une raison pour le croire. Elle l'obsé-dait pour le moment, car il n'avait jamais connu de femme comme elle. Bientôt, cette obsession pren-drait fin et il n'aurait plus besoin d'elle. Sans doute dès qu'il aurait épousé cette jolie lady.

D'ici là, que Dieu l'aide, elle devrait lutter par tous les moyens pour garder une once de dignité.

Royce l'attira contre lui. Elle se raidit. — Tu as toujours des doutes ? — Non, mais m'emmener au lac après ce que j'ai

fait... c'est comme si tu me récompensais de t'avoir défié. Tu me troubles, Saxon.

Il rit et la serra plus fort. — Je suis content de te l'entendre dire. J'ai trop

longtemps été le seul troublé. C'est un plaisir que tu le sois à ton tour. Non, poursuivit-il tandis qu'elle s'efforçait de se libérer, je vais tenter de dissiper ton trouble... ce qui est plus que ce que tu as fait pour moi.

— Eh bien ? — J'ai simplement choisi d'oublier. Je suis des-

cendu dans le hall pour t'emmener au lac. Quand j'ai découvert que tu étais partie...

Il ne put lui dire ce qu'il avait ressenti à cet instant-là. Il ne voulait plus jamais éprouver un sentiment

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pareil. Il lui caressa la joue des lèvres avant de pour-suivre :

— Le sang n'a pas été versé, Kristen. Je sais devi-ner tes intentions et j'espère que tu es maintenant convaincue qu'il est inutile d'essayer de fuir.

— Tu savais ? murmura-t-elle. C'est pour cela qu'il y avait un garde...

— Je n'avais pas choisi le bon, avoua-t-il. Comprends-moi, je ne veux prendre aucun risque en ce qui te concerne.

Il ne la laisserait jamais partir. En tout cas, pas avant qu'il ne trouve son plaisir ailleurs.

— Quand vous mariez-vous, milord ? Elle l'avait surpris. Elle le sentit se crisper. — A quoi penses-tu, sorcière ? — Cela ne me concerne-t-il pas ? — Non. — Je suis curieuse, milord. — Je ne crois pas que ce soit de la simple curiosité.

Essaierais-tu, par hasard, de me mettre en colère ? Ce fut au tour de Kristen d'être surprise. — Pourquoi donc ? C'est une question assez

banale, milord, qui me concerne effectivement. Quand votre femme vivra ici, il y aura des change-ments. Ce sera elle qui partagera votre chambre, pas moi.

Si elle croyait l'apaiser, elle se trompait lour-dement.

— Et tu es pressée que cela arrive ? s'emporta-t-il. Eh bien, laisse-moi te décevoir car ce n'est pas pour tout de suite. Nous n'avons pas encore fixé la date du mariage.

Kristen répondit sans réfléchir, avec son cœur.

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— En vérité, je ne suis pas déçue. Cette fois, Royce parut se calmer. Il se mit à rire. — Votre hilarité est mal venue, s'insurgea Kristen

pour qui cette réaction était incompréhensible. Votre fiancée peut vous...

— Chut ! Ne parle plus d'elle... Je n'ai toujours pas envie de retourner dans ma chambre où Averill ron-fle comme trois sangliers. Alors, tu veux bien venir au lac avec moi ?

Ce n'était pas juste. Il n'avait pas le droit de la ten-ter ainsi... Mais comment se serait-elle privée d'un tel plaisir ?

Elle adopta un ton mesuré. — Je veux bien. La voix de Royce devint rauque. — Et tu me laisseras te faire l'amour ? — Tu n'avais pas parlé de conditions ! — Non ? Tant pis ! Je tente quand même ma

chance !

Toute à la joie de nager dans l'eau fraîche, elle était parfaitement détendue, en paix avec elle-même. A tel point qu'elle en oubliait la présence de Royce qui ne la quittait pas des yeux depuis la rive. Il avait avoué qu'il ne savait pas nager, et Kristen avait plongé seule. Elle avait l'impression d'être libre à nouveau et de retour chez elle, à la différence que l'eau était plus tiède ici. Et puis, chez elle, elle n'avait pas d'amant pour l'attendre sur la rive.

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Quand elle émergea enfin de l'eau, Royce ne lui laissa même pas le temps de se sécher. Il la prit dans ses bras et se mit en devoir d'essuyer des lèvres l'eau qui ruisselait sur sa bouche, ses joues, ses seins. Elle n'avait pas la force de lui refuser ce plaisir au clair de lune. Elle n'était même pas capable de simuler une résistance. Elle avait envie de lui, elle voulait lui rendre un peu du bonheur qu'il lui avait offert en l'amenant ici.

Il ne pouvait comprendre ce qu'il lui avait donné. Peut-être s'en rendit-il compte peu après. Jamais elle ne l'avait aimé avec une telle fougue, une telle pas-sion. S'il avait cru la connaître, il découvrit cette nuit-là qu'elle cachait des trésors d'amour insoup-çonnés. Il ne risquait pas d'oublier cet intermède au bord du lac.

A la différence de Kristen, il ne put trouver le som-meil. Elle s'en aperçut au petit matin en se réveillant. Il se tenait là, veillant sur elle comme sur une relique. A en juger par les cernes sombres sous ses yeux, il n'avait pas fermé l'œil.

Il la serrait contre lui. Elle avait dormi dans le nid douillet de ses bras. Ils ne s'étaient pas rhabillés.

Kristen se redressa et s'étira voluptueusement avant de se tourner vers Royce et de hocher la tête d'un air réprobateur.

— Vous auriez dû dormir, milord. — Et te laisser me voler mon cheval ? — Tu es injuste. Tu ne vas pas me reprocher ton

manque de sommeil ? Tu aurais très bien pu me ramener et me faire surveiller par tes hommes.

— Je croyais que tu n'aimais pas mes chiens de garde ?

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— Et qu'as-tu fait toute la nuit ? Il se redressa à son tour en souriant. — Il fallait que je veille sur toi. C'était une tâche

pénible dont je me suis fort bien acquitté. Non ? Elle éclata de rire. — Tu es impossible mais je te suis reconnaissante.

C'était bien plus confortable ici, sur l'herbe, que sur les dalles du hall.

— Tu veux dire que je suis confortable ? — Entre autres... Du bout de l'index, il suivit la ligne de son cou

avant de se perdre dans la vallée qui séparait ses seins.

— Dès ce soir, tu reviendras dans mon lit. — Et qu'est-ce qui te fait croire que j'en aie envie ?

demanda-t-elle, moqueuse. — Rien... Je le sais. Elle secoua la tête. — Ici, nous avons eu une trêve, mais dès que nous

serons rentrés... — Chut! De ses lèvres, il frôla celles de Kristen, il butina

son cou. Tout à coup, il la coucha en travers de ses cuisses. Surprise, elle poussa un petit cri aigu.

— Maintenant, admets-le. Tu aimes être dans mon lit.

Il était incorrigible, ce matin. Et elle était d'humeur tout aussi badine.

— Pour ça, oui ! Ton lit me plaît. Saxon. C'est un bon lit !

Elle ne laissait planer aucun doute : elle ne parlait que du lit. Il se remit à lui butiner la bouche, le visage.

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— Je ne te lâcherai pas... Il lui mordit la lèvre inférieure. — ... jusqu'à ce que tu admettes... Il lui lécha l'autre lèvre. — ... que tu as envie de moi, conclut-il. — Dans ce cas, milord... Elle noua les bras autour de son cou, mêlant ses

doigts aux boucles brunes. — ... nous sommes là pour un bon moment !

La matinée tirait à sa fin quand ils décidèrent de revenir au manoir. Kristen avait nagé une dernière fois avant de se rhabiller, mais Royce ne voulait pas qu'ils rentrent directement.

Il la fit monter en selle devant lui et la mena à tra-vers des forêts, des champs cultivés, des prairies couvertes de fleurs sauvages. Il lui montra ses terres, ses gens, leurs villages. Elle découvrit que ceux qui travaillaient au château ne représentaient qu'une infime minorité de ses sujets. Il y en avait beaucoup d'autres qui labouraient la terre, s'occupaient du bétail, chassaient dans les forêts. Et elle sentait la fierté de Royce tandis qu'il lui montrait tout cela.

Cette visite fut une promenade enchantée. La bonne humeur avec laquelle ils s'étaient réveillés se transformait en bonheur. Fatigués, bien des hommes devenaient irritables. Pas Royce. Il se montrait joyeux, taquin. Il buvait la moindre de ses paroles. Puis il lâchait les rênes de leur monture et elle les rat-trapait en catastrophe tandis qu'il s'agrippait à ses seins. Il ne tenait plus en place et profitait largement du fait qu'elle montait en amazone, sa robe se soule-

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vant très, très haut. Elle avait beau donner des cla-ques sur ses mains baladeuses, celles-ci n'en conti-nuaient pas moins à fouiller, à chercher... et à trouver. II la taquinait jusqu'à ce qu'elle demande grâce puis l'embrassait, la cajolait. Il ne pouvait tout simplement pas la laisser tranquille.

Et Kristen aimait cela. Elle se sentait libre, aimée. Ce fut à regret qu'elle retrouva le hall et la réalité. Elle retournerait bientôt à son travail. Et il irait sans doute tout droit se coucher puisque Alden avait con-duit le roi et sa suite à une partie de chasse. Ils les avaient d'ailleurs entendus dans la forêt mais Royce ne les avait pas rejoints.

Il l'aida à descendre de cheval mais ses mains s'attardèrent encore sur sa taille. Il semblait préoc-cupé à présent. Peut-être était-il déprimé par la fin de leur idylle ? Elle avait envie de le croire.

— Tu as les joues toutes roses. Kristen sourit faiblement. — Le grand air, dit-elle. — Peut-être. Mais tu as les yeux qui brillent aussi.

J'aimerais t'entendre dire que tu as aimé cette pro-menade.

On emmenait son cheval. Il y avait au moins trois hommes autour d'eux.

— Vraiment ? Et tu es prêt à me garder ici jusqu'à ce que je le dise ?

Il éclata de rire avant de la soulever dans ses bras pour l'embrasser goulûment. Il la reposa sur le sol et la gratifia d'une tape sur les fesses.

— Sorcière ! Je ne serai pas rustre au point de te garder dans les écuries. Mais, tout à l'heure...

— Des menaces ! Toujours des menaces ! s'écria-

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t-elle, taquine. Je suppose qu'il va me falloir l'ad-mettre. C'est vrai, cette promenade m'a beaucoup plu.

— Eh bien, puisque tu es d'humeur si conciliante, tu...

— Non, Saxon, je ne fais qu'une concession par jour.

Il ravala son rire, tentant vainement de paraître déçu.

— Tu n'as aucune pitié pour un pauvre hère, ô cruelle ! dit-il en la conduisant hors des écuries.

— Quelle louable insistance ! soupira-t-elle. Il rit de bon cœur. — J'abandonne... pour cette fois. Il laissa sa main sur l'épaule de Kristen tandis

qu'ils traversaient la cour. Ce fut d'une voix nette-ment plus hésitante qu'il reprit la parole.

— Ce ne sera pas très souvent mais, quand je le pourrai, tu viendras encore avec moi au lac ?

Stupéfaite, Kristen lui lança un regard en coin. Il lui donnait quelque chose à attendre, à espérer, qu'il s'en rende compte ou non. Et c'était énorme. C'était ce dont elle avait le plus besoin en ce moment.

— Cela me plairait beaucoup, milord. Mais pourrais-je avoir un cheval la prochaine fois ?

— Non. — Je sais monter. — C'est ce que Thorolf m'a dit. — Tu ne me fais toujours pas confiance... — Bien sûr que non. Il sourit avant de continuer : — Mais surtout, j'aime t'avoir sur la selle devant

moi...

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— Royce ! — Tu rougis ? Par le Ciel ! Elle rougit ! — Arrête, Saxon, ou je... Il ne sut jamais ce qu'elle comptait faire. Il suivit

son regard pour voir ce qui l'avait subitement pétri-fiée. Corliss se tenait à l'entrée du hall, une de ses sœurs sur les talons — l'air de vouloir se transfor-mer en statues de sel.

— Vous avez oublié qu'elle était là, milord, mur-mura Kristen.

Un regard à Kristen lui apprit qu'elle ne compatis-sait pas le moins du monde. Ses yeux brillaient de malice. Sorcière sans pitié, elle voulait le voir aux prises avec sa fiancée délaissée.

— Milady, dit Royce avec raideur en guise de salu-tation.

— Milord, répliqua Corliss, tout aussi froide. Elle ne s'écarta pas pour laisser le passage à Kris-

ten. En fait, elle l'examinait d'un air inquisiteur. — Qui est cette géante difforme ? Royce serra les mâchoires. Les muscles de son cou

roulèrent de façon alarmante. Cette réaction aurait stupéfié Kristen si elle l'avait vue, mais elle ne regar-dait pas Royce. Elle toisait Corliss dont le sommet du crâne ne lui arrivait pas au menton.

Sa taille n'avait jamais représenté une gêne pour Kristen. Elle ne fut donc pas blessée par cette insulte grossière. En fait, elle était plutôt amusée par l'évi-dente jalousie de Corliss.

Elle n'avait pas non plus pour habitude de mâcher ses mots. Aussi répondit-elle d'un ton placide :

— Si c'est de moi dont il est question, milady, je dois vous dire que là d'où je viens, on ne garde pas

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les bébés chétifs car ils ne pourraient survivre à notre rude climat.

— Barbare ! s'étrangla Corliss. — Oui, je comprends votre point de vue, répliqua

Kristen en la parcourant d'un regard éloquent de la tête aux pieds.

— Milord..., cria Corliss tandis que deux taches rouges apparaissaient sur ses joues.

Kristen ne la laissa pas continuer. — Pardonnez-moi, milady. Je vois à présent que

votre question ne concernait pas ma taille et que vous vous intéressiez uniquement à ma personne. Mais alors, lord Royce pourra simplement vous dire que j'ai été capturée et asservie. De moi, il ne sait que ce que je lui ai dit, c'est-à-dire pas grand-chose. N'est-ce pas, milord ?

Il gardait un air affable mais elle ne s'y trompa pas : il était furieux. Il la poussa dans le hall malgré Corliss et donna un ordre bref à un homme pour qu'on la remette au travail.

Elle avait donc outrepassé les limites qu'il lui avait fixées... Mais elle ne s'en souciait pas et le regard qu'elle lui adressa par-dessus son épaule tandis qu'on la conduisait vers la cheminée le lui signifiait clairement.

Royce eut toutes les peines du monde à attendre que Kristen eût disparu avant d'éclater de rire. Aus-sitôt, ses yeux tombèrent sur Corliss et il se ressaisit. Dans son irritation, il jura. Ce fut suffisant pour faire fuir la sœur de Corliss. Quant à celle-ci, elle tressail-lit et se détourna, outrée.

Il la retint par l'épaule. — Non, milady, vous allez vous expliquer.

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— Royce, vous me faites mal ! Il jura à nouveau tandis que de grosses larmes bril-

lantes apparaissaient dans les yeux de Corliss. Il la lâcha immédiatement. Elle était aussi frêle qu'une enfant. Il ne s'en était jamais rendu compte jusqu'à aujourd'hui. Mais après Kristen qui donnait autant qu'elle recevait, qui ne craignait pas de se mesurer avec lui et qu'il n'avait pas vue pleurer une seule fois, il ne supportait plus Corliss et ses sanglots.

— Séchez vos larmes, dit-il avec brusquerie. Je connais ma force et je sais que je ne vous ai pas fait mal. Pourquoi pleurez-vous ?

Ses pleurs cessèrent aussitôt mais elle affectait un air de martyre.

— Vous êtes grossier ! — Moi ? Et comment qualifiez-vous la petite

insulte dont vous avez gratifié la Viking ? — Quelle insulte ? se défendit-elle. Je n'ai fait que

dire la vérité. Sa taille la rend difforme. — Elle n'est pas aussi grande que moi, Corliss.

Que suis-je donc à vos yeux ? — Vous ? Mais vous êtes un homme ! Il est normal

que vous soyez grand. Ce qui est anormal, c'est qu'elle soit plus grande que la plupart des hommes.

— Pas la plupart des hommes, répliqua-t-il sèche-ment. La plupart des Saxons. Il y a seize Vikings là-bas, et ils sont tous plus grands qu'elle. Vous voulez les voir ?

— Vous plaisantez ! s'exclama-t-elle. — Oui, je plaisante, soupira-t-il. Excusez-moi,

Corliss. Je suis irritable quand je suis fatigué et je suis... très fatigué.

Elle ignora l'insinuation.

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— Que faisiez-vous avec elle, Royce ? Il serra les dents pour retenir un nouveau juron. — Vous n'êtes pas encore ma femme, mes affaires

ne vous concernent pas. — Et si j'étais votre femme ? — Vous auriez appris à ne pas poser de questions. Cette attitude n'offensa pas Corliss car c'était celle

de la grande majorité des hommes. Mais le ton lui déplut et les larmes gonflèrent à nouveau ses yeux. Royce, écœuré, l'abandonna.

Les prisonniers connurent un jeûne forcé ce jour-là. Ni Eda, chargée de préparer leur nourriture, ni Edrea, qui la leur apportait habituellement, ne cru-rent Kristen quand elle leur annonça qu'elle avait été autorisée à leur porter le repas. De plus, Eda était trop prudente pour ne pas attendre la confirmation de Royce.

Celui-ci ne descendit de sa chambre qu'en fin d'après-midi. Il s'y était enfermé après avoir quitté Corliss. Kristen avait observé leur conversation. Corliss avait pleuré et il était parti furieux. Aussitôt, les larmes de Corliss avaient disparu et son expres-sion avait trahi plus de dépit que de chagrin.

Kristen en avait été scandalisée. Sa fierté lui inter-disait de tels stratagèmes mais elle savait que certai-nes femmes n'hésitaient pas à recourir aux larmes pour atteindre leur but. Des femmes comme Dar-relle, par exemple. Ou comme Corliss. Kristen éprou-

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vait presque de la pitié pour Royce car la vie aux côtés d'une telle épouse ne serait jamais agréable.

A la différence de la veille, Kristen ne broyait plus d'idées noires. Le bonheur qu'elle avait éprouvé au cours de la matinée ne se dissipait pas et elle n'essaya pas de se demander pourquoi. Et puis, elle avait un nouveau travail à accomplir.

Eda avait goûté un des petits pains pétris pour Meghan. Elle l'avait trouvé si bon qu'elle avait pro-posé un marché. Elle fournirait les noix et Kristen ferait une demi-douzaine de pains pour les prison-niers ainsi qu'un nombre égal pour les invités de Royce. Une offre pareille ne se refusait pas, d'autant que Kristen bénéficiait de l'aide de Meghan.

Ainsi, la journée se déroula-t-elle plaisamment. Puis Eda ronchonna à propos de l'heure et de Royce qui ne descendait toujours pas. La soupe des prison-niers s'épaississait. Edrea avait maintenant d'autres tâches à accomplir avec les invités qui commen-çaient à revenir de la chasse, et elle ne pouvait plus s'occuper des Vikings. Quant à Kristen, elle n'igno-rait pas que Thorolf devait se ronger d'inquiétude.

Finalement, elle prit Eda à part. — Va le réveiller et demande-lui si je peux y aller.

De toute manière, il ne sera pas content d'avoir dormi si longtemps.

— Tu n'arrêtes pas de dire qu'il dort. Pourquoi dormirait-il durant la journée ?

Kristen haussa les épaules. — Peu importe, Eda. Vas-y. Il ne se mettra pas en

colère si tu le réveilles. Eda obéit et revint quelques minutes plus tard en

secouant la tête.

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— Il dormait, en effet, et il s'est mis à hurler en de-mandant pourquoi on ne l'avait pas tiré du lit plus tôt !

Kristen sourit. — Ça va, ça va, reprit Eda. Il a aussi donné son

accord pour que tu ailles porter leur repas aux pri-sonniers. Il doit être malade ! Tu peux y aller mais deux gardes t'accompagnent et Uland t'aidera.

Eda appela les hommes pour leur donner ses ins-tructions, Kristen ne protesta pas, tant elle se lan-guissait de voir Thorolf et les autres.

Ils étaient tous enfermés dans la hutte. Devant la porte ouverte, deux gardes jouaient paresseusement à planter leurs couteaux dans le sol. Ils accordèrent à peine un regard à Kristen et à sa petite escorte.

La raison de ce laxisme lui apparut clairement quand elle entendit le bruit des chaînes raclant le sol. Elle éprouva un pincement au cœur en se rendant compte qu'ils étaient toujours enchaînés. Mais, à l'instant où elle franchit le seuil, elle retrouva son sourire.

Ses yeux s'arrêtèrent tout d'abord sur son cousin. Elle posa son panier de pains et de fruits avant de se jeter dans les bras d'Ohthere éberlué. Des cris de sur-prise retentirent et elle comprit que Thorolf n'avait parlé à personne de sa petite escapade nocturne. Il avait dû craindre qu'elle ne vienne pas. Ohthere l'abandonna à l'enthousiasme général et, pendant quelques minutes, elle fut serrée, embrassée, à moi-tié étouffée par ses amis.

Uland, qui se tenait toujours sur le seuil, n'en croyait pas ses yeux. Edrea avait soutenu qu'au moins un des Vikings, celui qui venait toujours lui prendre son plateau des mains, ne pouvait être aussi

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sauvage que les autres car il avait un si joli sourire. Bavardage stupide d'une fille fascinée par un beau garçon, s'était dit Uland. Mais cette démonstration d'affection et de tendresse pour la géante blonde... cela les rendait presque humains, en tout cas, bien moins barbares qu'on le croyait. Tout à sa surprise, Uland abandonna son chaudron dans l'entrée et se précipita dans le hall pour raconter aux autres la scène à laquelle il venait d'assister.

Le dernier à accueillir Kristen fut Thorolf. En le voyant, elle perdit de son exubérance. Il était si solen-nel, si sérieux qu'elle se souvint soudain des révéla-tions que Royce lui avait faites. Une horrible timidité la submergea, elle qui se montrait toujours pleine d'audace.

Thorolf rougit car il voyait qu'elle perdait son sou-rire à cause de lui. Il avait été à l'agonie pendant toute la journée, chaque minute qui passait étant un nouveau supplice tant il était persuadé qu'elle avait subi un châtiment terrible. Il avait encore du mal à croire qu'elle se tenait là, devant lui. Il cherchait des traces de coups inexistantes alors qu'il aurait dû exprimer sa joie comme les autres.

Il lui souleva gentiment le menton. — Pardonne-moi, Kristen. Le Saxon t'a fouettée

une fois déjà et je pensais... — Qu'il le ferait à nouveau ? le coupa-t-elle avec

un petit sourire. C'est ce que je croyais moi aussi, mais il ne l'a pas fait.

— Cela veut-il dire qu'il ne le fera pas ? Elle repensa à la nuit dernière. Royce l'avait

emmenée nager. Il l'avait autorisée à voir ses amis. Et il lui avait fait l'amour sous les étoiles...

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Ce fut avec une totale assurance qu'elle répondit à la question de Thorolf.

— Non, il ne le fera pas. Alors, le Viking rugit de rire et la prit dans ses bras

pour une nouvelle étreinte d'ours. — Par les dents de Thor ! C'est bon à entendre ! — De quoi parlez-vous ? voulut savoir Ohthere. Lui et les autres les entouraient. Elle envisagea

brièvement de leur raconter une histoire quelconque mais elle était incapable de leur mentir. Toutefois, le récit de sa tentative de la veille ne fut pas simple. Elle dut passer sous silence un certain nombre d'élé-ments, notamment les raisons qui lui avaient valu d'échapper à une punition, et éviter les questions trop indiscrètes. Elle essaya de s'en sortir en leur racontant ce qu'elle avait appris à propos de Wyndhurst et du Wessex, ce qui n'était pas grand-chose mais infiniment plus que ce qu'ils savaient. Elle leur indiqua où ils pouvaient trouver des che-vaux ainsi que la position supposée de l'armée danoise, malheureusement en poste très loin au Nord. Elle leur parla aussi des Celtes hostiles aux Saxons et qui accepteraient peut-être d'aider les Vikings si ceux-ci décidaient de fuir vers l'ouest plu-tôt que vers le nord.

L'évasion était leur unique souci. Mais ils gro-gnaient à propos des précautions prises par les Saxons qui ne leur laissaient pratiquement aucune chance. Elle leur fit alors observer qu'ils semblaient tous guéris et en excellente condition. Bjarni rit et prouva sa force en la soulevant au-dessus de sa tête. Quand il la reposa au sol, elle lui lança un regard courroucé qui ne l'émut pas le moins du monde.

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— Au moins, vous êtes d'attaque pour partir, remarqua-t-elle.

— Oui, soulever toutes ces pierres ne nous a pas fait de mal, répliqua Odell. Quand je rentrerai chez moi, labourer mes champs sera un jeu d'enfant !

— Les murs de cette hutte ne peuvent nous rete-nir, Kristen, reprit Ohthere plus sérieusement. Mais il serait ridicule de les abattre sans disposer d'une hache pour briser ces chaînes.

— Je n'en ai pas vu une seule depuis que je suis là, fit-elle, pensive. On trouve toutes sortes d'armes dans le hall mais pas de hache. Il ne m'étonnerait pas qu'elles soient enfermées quelque part, Ohthere, car le Saxon est d'une rare prudence.

— Alors, il nous faut la clé de la porte et de ces chaînes.

— Est-ce que tu sais qui les a ? demanda-t-elle. — Le responsable du mur, un certain Lyman. Elle se souvenait de lui mais ne l'avait pas revu

depuis sa séparation d'avec ses amis. — Il ne vient pas dans le hall. Il ne doit pas habiter

le manoir. Cette nouvelle fut accueillie par un silence désolé.

Kristen partageait leur déception. Par le Ciel, ce n'était pas juste !

Ohthere gloussa dans sa barbe. — Allez, cousine, ne te tracasse pas trop. On trou-

vera bien un moyen. Ils s'habituent à nous. Un jour, tôt ou tard, quelqu'un fera une erreur et nous aurons notre chance.

— Ils s'habituent à moi aussi mais ils ne me font toujours pas confiance. C'est la première fois aujourd'hui qu'ils me laissent quitter le hall.

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— Il y a cette fille, Edrea, que Bjarni cajole. Crois-tu qu'on puisse la persuader de nous aider s'il arrive à gagner ses faveurs ?

Kristen ouvrit de grands yeux avant d'éclater de rire.

— Par le Ciel, vous pensez à tout ! Mais main-tenant que tu m'en parles, elle a paru un peu déçue de ne pas vous apporter votre nourriture aujour-d'hui.

Elle se tourna vers Bjarni. — Comment peux-tu séduire une femme, lui

demanda-t-elle, sans connaître sa langue ? Il sourit. — Thorolf m'apprend les mots dont j'ai besoin. — Ah, ces mots-là... Elle sourit à son tour. — A-t-elle la liberté d'aller et venir où bon lui sem-

ble ? s'enquit Ohthere. — Oui, pour ce que j'en sais. D'Edrea elle-même,

je ne pourrai pas vous en dire beaucoup car je la con-nais à peine. Je ne sais si elle acceptera de vous aider pour les beaux yeux de Bjarni. Les servantes ont tou-tes peur de moi et elles me parlent peu à l'exception d'une vieille femme, Eda, qui est d'une totale loyauté envers son seigneur. J'essaierai de parler à Edrea, malgré tout, pour voir si elle a effectivement un fai-ble pour Bjarni. Je peux au moins lui dire combien il est bon et fidèle.

Ce fut un éclat de rire général car la réputation de coureur de jupons du jeune Viking n'était plus à faire. Même Kristen avait subi ses assauts. De tous, il était effectivement le plus beau garçon. S'il y en avait un parmi eux qui pouvait ravir le cœur d'une

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jeune fille et lui faire trahir son peuple, c'était bien Bjarni.

Ils continuèrent à lui poser des questions, en parti-culier sur les seigneurs inconnus qui étaient venus les voir l'autre jour. Ils furent stupéfaits d'appren-dre que l'un d'entre eux était le roi de ces Saxons et qu'il résidait à Wyndhurst pour le moment. Elle dut le décrire des pieds à la tête car il ferait l'otage par-fait si jamais ils arrivaient à lui mettre la main des-sus. Avec Alfred de Wessex en leur pouvoir, ils pourraient exiger leur liberté et celle de Kristen.

Elle leur raconta tout ce qu'ils désiraient savoir mais elle doutait que son Saxon leur donne l'occa-sion de s'attaquer à son roi.

Finalement, elle annonça qu'ils feraient bien de manger avant que leur nourriture ne refroidisse davantage, déclenchant une nouvelle crise d'hilarité car leur soupe leur arrivait rarement chaude. Ils s'emparèrent de leurs misérables bols de bois. Seul Thorolf ne se servit pas. Il prit Kristen à l'écart et s'accroupit avec elle contre le mur.

Il ne la regardait pas mais contemplait la pièce. Ohthere n'avait pas cherché à savoir comment elle se portait car, à l'évidence, elle allait bien. Thorolf n'avait pas de telles prévenances.

Il alla droit au but. — C'est donc vrai ce que le seigneur saxon m'a

dit ? Il te plaît ? Royce était leur ennemi. Il les avait tous réduits en

esclavage. Elle savait ce que Thorolf pensait. Com-ment comprendrait-il alors qu'elle-même n'y parve-nait pas ?

— Quand je le regarde, je sens quelque chose de

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merveilleux en moi. Cela ne m'était jamais arrivé, Thorolf.

— Tu voudrais de lui pour époux ? Elle eut une mimique de dépit qu'il ne vit pas. — Je voudrais... mais pas lui. Il lui caressa gentiment le bout des doigts. — J'avais peur que tu ne t'en sois pas rendu

compte, que tu t'attendes à ce qu'il se comporte en homme d'honneur avec toi.

— Ce n'est pas parce que j'ai perdu ma... mon innocence que j'ai perdu l'esprit. Je sais exactement ce qui m'attend. Il m'aime bien à présent mais...

— A présent ? — Au début, il pensait que j'étais une putain. Non,

Thorolf... Cela devrait te faire rire. Moi, j'en ai ri. Et je n'ai rien dit. Dégoûté, il ne voulait pas me toucher. Mais, petit à petit, j'ai eu envie qu'il s'occupe un peu plus de moi... Bon, comme je l'ai déjà dit, pour le moment, il m'apprécie mais cela ne l'empêche pas de se méfier de moi dès qu'il ne m'a pas sous les yeux. Il éloigne les autres hommes de moi, il m'a même enlevé mes chaînes pendant le séjour de tous ces jeu-nes seigneurs ici, afin que je puisse me défendre toute seule au cas où l'un d'entre eux se ferait trop pressant.

— Et plus tard ? — Plus tard, je le perdrai. Il va se marier. Et

pourtant... Elle soupira. Thorolf lui serra les doigts pour lui

montrer qu'il compatissait. Il n'était pas hypocrite. Il n'allait pas lui dire qu'elle avait tort de désirer le Saxon. Si leurs positions étaient inversées, il aurait agi exactement comme elle, et pris son plaisir. Même

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avec une ennemie. Que Kristen soit une femme ne changeait rien à l'affaire : elle était la digne fille de Brenna. Brenna Hardraad était une brave qui savait se battre pour ce qu'elle voulait. Et qui n'avait jamais tenu aucun compte des préjugés concernant les femmes.

— Ne te tracasse pas, Kristen. — Je devrais le haïr. C'est vrai, j'avais de l'espoir,

admit-elle à regret. Mais plus maintenant que j'ai vu sa fiancée. Et pourtant, crois-moi, Thorolf, il m'a emmenée nager dans un lac juste après m'avoir sur-prise en train d'essayer de vous libérer. Pourquoi a-t-il fait une chose pareille ?

— Je suppose qu'il n'a pas pris son plaisir là-bas ? — Il aurait pu le prendre n'importe où. Il n'avait

pas besoin de m'emmener au lac. — Eh bien, c'est simple. Cet homme est fou de toi

et ça ne risque pas de changer de sitôt. — Fou de moi ? Non, c'est moi qui suis folle de lui.

Je sais que je devrais le haïr, je le voudrais... J'aime-rais qu'il se marie demain pour qu'il m'oublie enfin.

Thorolf semblait très amusé. — J'ai pitié de ton Saxon, Kristen, je t'assure.

Qu'il t'oublie ? Odin nous aide ! Si jamais tu te lasses de lui, espérons pour notre sauvegarde qu'il n'aura pas le cœur brisé !

Kristen considéra cet aspect de la question avec intérêt puis elle rit à l'idée de Royce au cœur brisé. C'était une idée ridicule, absurde, mais bien agréable et elle était reconnaissante à Thorolf de l'avoir exprimée.

Ce fut ainsi que Royce la découvrit quand il ar-riva sur le seuil de la pièce : tout contre le Viking,

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leurs mains mêlées et riant tous les deux. Sa pre-mière impulsion fut de réduire le jeune Viking en bouillie.

Le silence s'abattit sur la pièce et Kristen se retourna pour voir ce qui se passait.

— Je crois que je suis restée trop longtemps, gémit-elle à voix basse.

Thorolf la soutint de la main tandis qu'elle se redressait.

— Tu crois qu'il va oser entrer te chercher ? Cette question l'effraya. — Regarde-le. Il n'a pas envie de rire, je peux te

l'assurer. Tu veux qu'il me traîne hors d'ici ? — Je me demande ce qui arriverait s'il essayait. À cet instant, elle comprit où il voulait en venir. — Thorolf! — Nous pouvons nous occuper de lui, Kristen,

annonça-t-il calmement, les yeux rivés à ceux du Saxon. Comme otage, il sera aussi bien que son roi. Là-dedans, ils ne peuvent pas nous atteindre avec leurs flèches.

— Je le connais, Thorolf. Ecoute-moi bien. Son peuple et son devoir passent avant tout. Il est per-suadé qu'un massacre sera perpétré si vous vous libérez. Je ne suis pas parvenue à le convaincre du contraire. Il sera prêt à se sacrifier plutôt que de don-ner l'ordre de vous délivrer.

Thorolf avait son propre raisonnement. — Ses gardes ne l'écouteront pas si sa vie est

menacée. — Ça ne marchera pas ! — Ton cousin n'est pas d'accord. Regarde-le, Kris-

ten. Ohthere a tiré les mêmes conclusions que moi.

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Si ton Saxon est assez fou pour venir parmi nous te chercher, alors il mérite ce qui va lui arriver.

Il n'avait pas le droit ! Thorolf ne pouvait la forcer à choisir entre eux et Royce. Si elle courait hors de la hutte à présent, personne ne la retiendrait mais elle enlèverait ainsi à ses amis une chance — peut-être la dernière — de retrouver la liberté. Mais si elle restait... Royce risquait d'en mourir.

Thorolf devina ses pensées. Il lui lâcha la main, lui laissant l'entière responsabilité de son choix, mais il ajouta avec tendresse :

— Nous ne le tuerons pas, Kristen. Cela ne servi-rait à rien.

Cela n'avait plus d'importance maintenant. Le choix n'appartenait plus à Kristen car la patience de Royce avait atteint ses limites. Au lieu de fermer la porte et de la forcer à sortir par un autre moyen, son arrogance — sa maudite arrogance — le poussa en avant. On aurait dit qu'il traversait son hall au milieu de ses fidèles serviteurs. Il semblait détendu, parfai-tement à son aise au milieu de cette bande de Vikings.

Visiblement, Ohthere avait du "mal à se convaincre de ce qui se passait. Il avait attendu la réaction de Royce, mais maintenant qu'il accomplissait l'inima-ginable, Ohthere n'y croyait pas. Des doutes sembla-bles avaient saisi Thorolf qui semblait nettement moins confiant. De la main, il écarta légèrement Kristen afin de faire face à Royce. Elle sentit sa ner-vosité. Pourtant, il allait quand même tenter sa chance, essayer de terrasser Royce. Et elle ne pou-vait l'avertir car cela déclencherait immédiatement les hostilités.

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Les Vikings étaient des gens superstitieux. Ils ne posaient pas le pied sur un de leurs drakkars sans que des sacrifices multiples n'aient été offerts à leurs dieux. La bravoure de Royce, qui confinait à la folie pure, les confondait. Cet élément de surprise lui permit de traverser la pièce sans être arrêté. Il l'avait déjà fait une fois, entouré par ses gardes. Cette fois, il était seul, l'épée dans son fourreau, les mains nues...

Il s'arrêta devant Kristen et Thorolf. Ce dernier lâcha la main de la jeune femme. Elle s'attendait à ce que Royce la traîne au-dehors. Il était impassible mais elle savait qu'il était au bord de la crise de rage.

Elle-même n'en pouvait plus. Elle avait l'impres-sion de se liquéfier sur place à attendre qu'il se passe quelque chose.

La main de Royce se détendit mais ce fut Thorolf qu'il saisit. Avec une rapidité foudroyante, Royce se déplaça. L'instant d'après, il se tenait derrière Tho-rolf, le bras passé autour de sa gorge, l'autre main lui appuyant sur la tête et la maintenant penchée sui-vant un angle horrible. En moins d'une seconde, il pouvait lui briser le cou.

— Royce... Il la coupa sans même la regarder. — Tu es sans doute prête à partir maintenant. Thorolf émit un son étranglé. Elle le contempla

avec frayeur. Mais ce qu'elle vit lui donna des envies de meurtre d'un autre genre. Il s'étouffait de rire ! Dieu du ciel ! Il trouvait comique d'avoir été pris à son propre piège...

Elle tourna le dos aux deux hommes et s'adressa à Ohthere.

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— Tu le laisses partir ou tu veux qu'il tue Thorolf ? Thorolf trouve peut-être ça amusant mais le Saxon ne partage pas son sens de l'humour. Il va le tuer.

— C'est ce que je vois, répondit Ohthere d'un ton qui indiquait que, lui aussi, trouvait tout cela fort drôle. Le Saxon sortira et je ne pense pas qu'il aura besoin de notre aide. Par les dents de Thor, il est tou-jours plein de ressources, celui-là. Profitons-en pour nous distraire encore un peu et voyons ce qu'il va inventer. Va, mon enfant, sors d'ici. Je suis certain qu'il ne tardera pas à te rejoindre.

Il la serra très fort dans ses bras avant de la laisser partir. Ils savaient tous deux qu'ils risquaient de ne plus se revoir avant très longtemps. Puis il la poussa vers la porte et elle sortit tandis qu'ils lui faisaient leurs adieux bruyants.

Et plus tard, pendant qu'ils se raconteraient tout cela en riant comme des petits fous, elle affronterait Royce. Et cela ne serait pas drôle du tout.

— Tu crois qu'il me verra si je me cache sous la table ?

Eda jeta un regard à Kristen. — Qu'est-ce que c'est que cette question ? — Une question idiote, reconnut Kristen en se

laissant tomber sur un tabouret. Après de telles émotions, elle avait bien le droit

d'être sur les nerfs. Elle n'aimait pas être tenue pour responsable d'idées qu'elle n'avait pas eues.

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Ne sachant trop comment affronter cette situa-tion, elle préférait éviter la fureur de Royce. Et elle cherchait où se cacher en attendant qu'il se calme un peu.

Eda brisa le cours de ses pensées. — Tu es revenue seule ?k0ù est lord Royce ? Kristen balaya la question d'un geste de la main. — Il y a eu un petit problème avec les prisonniers.

Il a décidé de s'en occuper personnellement. Il ne va plus tarder.

En fait, il était déjà là, à l'autre bout de la salle, et même à cette distance, elle discernait la flamme qui dansait dans ses yeux. Il n'était apparemment pas encore décidé à s'occuper d'elle, en tout cas, car il se dirigea tout droit vers sa chaise.

Il allait donc recommencer à boire et à s'amuser comme si rien ne s'était passé. Comme s'il ne venait pas de risquer sa vie. Et pourquoi fallait-il que cela agace autant Kristen ?

— Vais-je encore dormir avec toi, Eda ? — Tu sais bien que non. Tu as vu lord Averill et sa

famille partir tout à l'heure. — Oui, mais je préférerais dormir avec toi. — Vraiment ? Alors qu'hier, tu te plaignais

d'avoir perdu ton grand lit si Confortable ! — Je ne me suis pas plainte ! — Qu'est-ce qui te met de si méchante humeur ? Cela ne méritait pas de réponse. — Pourquoi est-il venu me chercher, Eda ? Je ne

suis pas restée là-bas si longtemps... Eda haussa les épaules. — Il a vu Uland revenir tout excité. Le pauvre gar-

çon était étonné de l'accueil chaleureux que tes

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Vikings t'ont réservé. Il prétendait aussi qu'ils allaient finir par t'écraser les os à force de te serrer contre eux.

— Et c'est ça qui l'a décidé à venir me chercher ? — Non, il a continué à manger mais je l'ai bien

observé... Là, Eda gloussa d'un air entendu avant de pour-

suivre : — Il ne quittait pas la porte des yeux, attendant

ton retour. J'imagine qu'en fin de compte, il s'est dit que tu restais trop longtemps là-bas.

Et maintenant, il n'avait nulle envie d'étaler sa colère devant le roi. Mais Kristen ne se faisait pas d'illusions, il ne se montrerait pas aussi clément qu'hier.

Elle jeta un regard vers Royce mais ne put le voir car il était caché par Alden, assis à sa droite. Alfred se trouvait à sa gauche.

Edrea posa un plateau vide sur la table à côté de Kristen.

— Ils l'ont aimé, tu sais, ton pain, lui dit-elle. Milord a même demandé qui l'avait fait.

— Et tu le lui as dit ? — Non. J'ai eu peur que ces seigneurs ne le recra-

chent de crainte qu'il soit empoisonné. Les yeux bruns de la jeune fille brillaient. Elle

venait de faire une plaisanterie. Kristen avait du mal à y croire, sans compter qu'elle lui avait adressé la parole de son propre chef.

— Tu aurais pu le leur dire après qu'ils l'eurent avalé, remarqua Kristen. : Edrea rit de bon cœur.

— Uland a raison. Tu n'es pas si bizarre. Eda le dit

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aussi depuis le début, mais elle s'est mise à t'aimer... Et ça, c'est vraiment bizarre.

Kristen sourit malgré sa mauvaise humeur. — Oui, elle a un caractère infernal. Elle avait élevé la voix pour que la vieille servante

l'entende. Eda renifla d'un air méprisant et Edrea sourit de

plus belle. — On a du mal à la comprendre parfois. Dis-moi,

c'est vrai que les Vikings ne sont pas aussi méchants qu'on le raconte ?

— Il s'appelle Bjarni, dit Kristen. — Qui? — Celui à qui tu plais. La jeune fille ne savait comment cacher son plai-

sir. Son joli visage s'illumina. — Il te l'a dit ? Kristen n'était pas vraiment d'humeur à faire

l'apologie de Bjarni, mais parler avec Edrea lui fai-sait du bien.

— Il est malheureux car il ne peut pas te le dire lui-même. Il a demandé à Thorolf de lui apprendre les mots mais ne t'étonne pas si tu ne comprends rien à ce qu'il raconte car Thorolf ne connaît pas très bien votre langue.

Pendant l'heure qui suivit, Edrea ne cessa de lui poser des questions à propos du jeune Viking et Kris-ten lui dressa un portrait très flatteur qui allait sans doute la conduire à de cruelles désillusions car Bjarni était loin d'être le parangon de vertu qu'elle dépeignait. C'était un homme avec qui il faisait bon s'amuser mais qu'il ne fallait surtout pas prendre au sérieux. Mais si Edrea était prête à croire toutes les

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sornettes qu'il allait lui débiter afin qu'elle facilite leur évasion, c'était son problème.

La liberté de ses amis comptait plus que les senti-ments d'une petite Saxonne. Si Kristen pouvait atteindre Lyman et cette clé, elle s'en chargerait elle-même. Mais, dès ce soir, elle serait à nouveau enfer-mée dans la chambre du seigneur.

— Tu restes assise là à ne rien faire, grommela Eda dès qu'Edrea fut appelée pour remplir des cor-nes de bière. Tu ferais mieux d'aller te coucher tout de suite. Comme ça, tu te lèveras tôt demain matin. Lady Darrelle m'a elle-même demandé davantage de tes pains aux noix. Elle croit que c'est une recette que j'ai gardée secrète pendant toutes ces années.

— Et tu ne l'as pas détrompée... — Bien sûr que non. Et c'était quoi, ces messes

basses avec Edrea ? — Elle apprécie un des prisonniers. Eda haussa les sourcils. — J'espère que tu lui as dit qu'il ne pouvait rien

en sortir de bon ? — Et pourquoi pas ? Ce sont des hommes, tout

comme Royce. Il n'est pas cruel au point de refuser de leur amener des femmes. Sinon, ils seront frus-trés et il y aura des troubles. Il doit comprendre...

— Dieu nous aide ! s'écria Eda, ahurie. D'abord, tu leur apportes à manger. Et maintenant, tu veux leur amener des putains ! Va te coucher, espèce de folle, avant que l'idée ne te vienne qu'ils puissent se marier et s'installer ici.

— Maintenant que tu en parles... Kristen s'enfuit avant qu'Eda ne lui brise son pla-

teau sur la tête. Elle garda le sourire jusqu'à ce

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qu'elle atteigne l'étage. Là, la vue de la porte au fond du couloir refroidit son ardeur. Lentement, elle tra-versa le couloir et entra dans la chambre en se demandant si Royce tarderait longtemps avant de la rejoindre.

Elle attendit environ une demi-minute. Il avait dû quitter le hall juste derrière elle. Elle était debout au milieu de la chambre, ne sachant trop quoi faire, quand la porte s'ouvrit.

— Que s'est-il passé avec les prisonniers, Kristen ?

Elle se retourna, les yeux écarquillés : c'était Alden et non Royce. Il lui fallut un moment pour se remet-tre de sa surprise, puis elle glissa un, regard vers les armes suspendues au mur.

— Non, dit-il en devinant ses pensées. Ecoute ce que j'ai à te dire avant d'essayer de me trancher à nouveau la gorge. Je connais mon cousin. Quand il est en colère, il crie, il hurle, il cogne des têtes. Quand il est furieux, il est mortellement calme et Dieu vienne en aide au malheureux qui se trouve sur son chemin. Il est furieux en ce moment. Que s'est-il passé ?

— Pourquoi ne pas le lui demander ? — Le lui demander ? Alden frissonna et Kristen se demanda s'il simu-

lait la terreur. — Quand il est dans cet état, je n'ai pas même

envie de m'approcher de lui. — Et je ne veux pas m'approcher de toi, Saxon. Ne

crains rien, je ne t'attaquerai pas. J'ai donné ma parole à ton cousin qu'aussi longtemps que le roi sera ici, je ne te toucherai pas.

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— Tu veux dire que je peux t'approcher sans crainte ? . — A ta place, je m'en garderais bien. — Me diras-tu au moins ce qui s'est passé ? Peut-

être qu'alors, je trouverai un moyen de le calmer. Elle haussa les épaules, loin d'être aussi insou-

ciante qu'elle le laissait paraître. — Il s'est conduit comme un idiot sans cervelle. Il

s'est avancé en plein milieu des prisonniers pour me faire partir...

A mesure qu'elle parlait, sa voix s'élevait : — Thorolf me tenait mais au lieu de s'en aller bien

sagement — alors qu'il savait que je ne tarderais pas à le rejoindre — cet imbécile a préféré entrer et mar-cher au milieu d'eux. C'était ce qu'il pouvait faire de plus stupide, de plus arrogant... Et c'était exacte-ment ce qu'ils espéraient...

— Pourtant, il s'en est sorti. L'expression de Kristen reflétait son dégoût. — Là n'est pas la question. Il s'est débrouillé pour

avoir le dessus. Il aurait très bien pu se faire étrangler.

— Et c'est cela qui te déplaît ? Elle lui jeta un regard noir. — Je t'ai dit ce que tu voulais savoir. Maintenant,

laisse-moi. Il hocha la tête mais, avant de partir, il ajouta : — Un mot encore pour te prévenir. Ne lui répète

pas ce que tu viens de me dire. Je ne pense pas qu'il apprécierait d'être traité d'imbécile et d'idiot sans cervelle en ce moment.

Il ouvrit la porte... et Royce apparut. Alden adressa une prière silencieuse à son saint patron pour qu'il

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n'ait pas entendu leurs dernières paroles. Kristen comprit immédiatement qu'Alden avait raison. Royce semblait très calme, d'un calme terrifiant.

— Que fais-tu ici, cousin ? Alden choisit la plaisanterie. — J'aide la Viking à se préparer à l'assaut. Mais Royce n'avait pas envie de rire. — Ça devient une déplorable habitude chez toi. Tu

veux toujours l'aider ! Un de ces jours, tu finiras avec une épée dans le dos. Laisse-nous.

Tout ceci fut prononcé avec une extrême douceur mais Kristen ne s'y trompa pas. Elle lui tourna le dos dès que la porte se referma. Une seule fois, elle avait vu Royce dans cet état: la première nuit où elle l'avait aperçu dans la cour. Quand il avait annoncé froidement qu'il fallait tous les tuer. Elle savait qu'il n'allait pas la tuer, mais elle ignorait le sort qu'il lui réservait et cela suffisait à la terroriser.

— Je suis forcé de me demander maintenant si tu ne mens pas sans cesse.

Kristen se raidit. Au nom du Ciel, de quoi parlait-il ?

— J'imagine, milord, que vous avez une raison pour affirmer une chose pareille. Vous voulez me la donner ou bien dois-je la deviner ?

Elle ne s'était pas rendu compte qu'il s'était appro-ché. Elle poussa un cri étouffé quand il lui enfonça cruellement les doigts dans l'épaule. Il la força à se retourner. Elle lui fit face, déterminée à ne pas entrer dans son jeu — un jeu où il était le chat et elle, la souris.

— Dis ce que tu as à dire,, et qu'on en finisse! s'exclama-t-elle.

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— Il est plus qu'un ami pour toi, ce Thorolf. — Quoi ? fit-elle, incrédule. Tu dis cela parce qu'il

me tenait ? Et alors ? Je ne pensais pas que tu étais assez idiot pour tomber dans son piège.

— Qui a été idiot ? Elle ouvrit de grands yeux. — Tu savais ! Tu savais ce qu'il avait derrière la

tête et tu es quand même entré ? Tu es encore plus fou que je ne le pensais !

Il la secoua violemment. — Je suis surtout à bout. Est-ce que tu l'aimes ? Elle aussi était à bout et la colère lui donnait des

forces, elle parvint à repousser ses mains. — Encore une question qui n'a rien à voir avec

ce qui s'est passé ! Bien sûr que je l'aime. Il est comme un frère pour moi. Maintenant, c'est à toi de m'expliquer pourquoi tu t'es jeté dans la gueule du loup ! Thorolf a dit qu'ils ne voulaient pas te tuer mais tu ne pouvais pas le savoir. Il te suffisait de ren-trer dans le halV, Saxon, et je t'aurais rejoint de mon plein gré.

— Et ça, comment pouvais-je le savoir ? Elle se rendit compte qu'il criait à présent, ce qui

signifiait qu'il n'était plus furieux — s'il fallait en croire Alden. Qu'avait-elle bien pu dire pour l'apai-ser ? Mystère...

Elle se força à baisser la voix. — Tu l'aurais su si tu avais un peu de bon sens.

Hors de cette pièce, tu es le maître. Tu aurais pu m'obliger à sortir par bien d'autres moyens. D'ail-leurs, je n'avais pas l'intention de rester, admit-elle. Mais il y avait si longtemps que je ne les avais pas vus...

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— Ni touchés ! Et lui, tout particulièrement ! J'ai des yeux, femme. Tu étais sur ses genoux !

— Tu plaisantes ? J'étais accroupie à côté de lui. Il me tenait la main. Qu'as-tu donc imaginé ? Je t'ai déjà dit qu'on m'a appris à ne pas avoir peur de mon-trer mes sentiments. Il est normal pour moi de tou-cher quelqu'un que j'aime.

— Alors, touche-moi, Kristen. Ces mots la frappèrent comme la foudre. Soudain,

il était tremblant de désir et non de colère. Elle se mit à trembler comme lui. Et elle faillit céder, franchir le pas qui les aurait réunis. Elle dut puiser au tré-fonds d'elle-même la force de ne pas le faire. Sei-gneur, s'il avait dit cela différemment, si seulement il avait dit...

— Kristen ? — Non ! Je ne t'aime pas ! C'était comme si elle venait de se déchirer le corps. Alors, il fit ce geste qu'elle refusait d'accomplir. Il

la serra contre lui, corps contre corps. Et ses lèvres furent comme un baume contre la fièvre qui la brû-lait. Exigeant, violent même, il l'embrassa, tirant, arrachant la passion au plus profond d'elle-même.

Ses lèvres quittèrent la bouche de Kristen pour lui frôler l'oreille.

— Je m'incline, Kristen. Touche-moi non parce que tu m'aimes mais parce que j'ai besoin de toi. Touche-moi !

Ce fut ce dernier râle qui la décida. Comme s'il ago-nisait, comme s'il était sur le point de mourir. Elle ne pouvait résister à cet appel. Son corps avait déjà perdu la bataille. Elle lui prit le visage entre les mains, le forçant à la regarder — et le regard de

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Royce était plus enivrant que n'importe quelle caresse.

«Oui, mon Saxon, je vais te toucher jusqu'au coeur... » Elle ne le dit pas à haute voix mais il put lire dans ses yeux le désir, le besoin, l'amour. Elle l'embrassa, les paupières closes pour ne pas qu'il en voie trop. Puis leurs bouches se retrouvèrent et elle fit de son mieux pour lui donner ce qu'il demandait. Elle le rendit fou.

Six gros pains aux noix tout chauds furent placés dans un panier et portés au chariot dehors. Eda avait réveillé Kristen très tôt ce matin afin qu'elle les pré-pare pour le roi. Lui et sa suite partaient enfin.

Les serviteurs se réunirent à nouveau devant les fenêtres pour admirer les nobles chevauchant leurs belles montures. Le ciel était lourd de nuages mena-çants. Ils seraient sûrement trempés avant la fin de la matinée. Mais le mauvais temps ne retenait pas Alfred.

Cette fois, Kristen fut autorisée à regarder le départ. Elle vit le roi étreindre Royce. Elle les vit rire ensemble à une plaisanterie d'Alfred. Puis elle observa ce jeune roi des Saxons qui quittait Wynd-hurst.

Elle n'était pas triste de le voir partir, n'ayant guère apprécié l'émoi suscité par sa visite. Pourtant, elle savait que ce départ signifiait la fin du marché passé avec Royce.

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Elle revint lentement vers la cheminée, accompa-gnée par Eda.

— Royce ne t'a rien dit ce matin ? — Si. — Oh... — Si tu veux savoir pour les chaînes, tu n'as qu'à

me le demander. Non, c'est inutile. Il m'a donné ses ordres et tu les connais.

— Oui, je les connais. — Si ça peut te consoler, il n'en est pas plus heu-

reux que toi. — Ah? Eda haussa les sourcils devant une telle apathie. — Tu as passé un marché avec lui. Tu peux en pas-

ser un autre. Tu es intelligente. Utilise ce que tu as pour obtenir ce que tu veux.

La vieille servante était enfin parvenue à la pro-voquer.

— Ce n'est pas très loyal envers ton seigneur de le suggérer. Tu oublies qu'on ne peut pas me faire con-fiance. Je risque de m'enfuir en plein milieu de la journée.

— C'est ça, ne m'écoute pas. Tu ne m'écoutes jamais. Qui a besoin des conseils d'une vieille femme ? Après tout, je ne connais cet homme que depuis sa naissance. J'ai...

— Par le Seigneur! s'exclama Kristen. Si tu n'arrêtes pas de me tarabuster, je te...

— Le Seigneur ? s'enquit Royce derrière elle. De quel dieu parles-tu ?

Elle fit volte-face. — Que veux-tu, Saxon ? Pourquoi ne vas-tu pas

chasser ou t'entraîner ou visiter ton domaine ? Tu as

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sûrement quelque chose d'important à faire! Je déteste que tu m'espionnes !

Il savait ce qui la mettait hors d'elle. Il avait prévu qu'il ne lui serait pas facile d'accepter à nouveau les chaînes. C'était pour cette raison qu'il était venu la voir, pour essayer de régler ce problème sans heurts. Mais elle l'avait surpris en formulant une impréca-tion que seule une chrétienne aurait utilisée.

— Quel dieu sers-tu ? répéta-t-il. Elle serra les mâchoires, décidée à ne pas répon-

dre. Il la prit par le bras et la secoua jusqu'à ce que, de rage, elle le repousse violemment.

— Touche-moi encore une fois, Saxon, et je te jure que je te flanque mon poing dans la figure !

Il aurait dû s'emporter, lui aussi. Au lieu de cela, il éclata de rire.

— C'était une simple question, Kristen. Pourquoi t'emportes-tu ainsi ?

Son rire eut un effet magique. Elle retrouva son calme comme par miracle. Pourquoi gardait-elle encore ce secret ? Il n'y avait plus de raison main-tenant.

Kristen sourit de son propre mauvais caractère. Eda secoua la tête devant une telle versatilité. Royce était tout aussi désarçonné.

— Pardonnez-moi, milord, dit Kristen qui n'avait nullement l'air contrit. Je ne voulais pas me montrer insolente... Si je l'ai été, je vous en demande pardon.

— Ce qui ne signifie pas que tu ne le referas plus à l'avenir...

— C'est vrai. Une flamme dansait dans les yeux de Kristen. Royce sourit.

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— Es-tu disposée à répondre à ma question main-tenant ?

— Je vénère le Dieu de ma mère. — Alors, pourquoi ne pas lui donner un nom ? — Je viens de le faire, milord. Le Dieu de ma mère

est ton Dieu. Il sursauta. — Comment est-ce possible ? — Très facilement, milord. Les Vikings lancent

des raids contre beaucoup d'autres pays depuis très longtemps. Ces raids ont ramené des prisonniers chrétiens. Ma mère en était une. Le père de ma mère était aussi un chrétien. Mon père et mes frères, conclut-elle joyeusement, préfèrent ne courir aucun risque : ils adorent tous les dieux.

— Et toi ? — Je crois au seul vrai Dieu. Il fronça les sourcils et lui rappela sèchement : — Tu as défendu tes amis qui allaient mettre à sac

un monastère ! Elle lui rendit son regard. — Je ne les ai pas défendus. Je comprenais leurs

motifs, ce dont tu es incapable. Je t'ai déjà expliqué que mon frère m'a laissée dans l'ignorance de leur projet. Je ne t'en avais pas donné la raison mais cette raison était que je l'aurais combattu de toute mon âme pour lui faire changer de plan. Il ne m'a donc rien dit. Il est venu ici et il en est mort. Je sais, au fond de moi, que c'était la volonté de Dieu mais la moitié de mon sang est viking et ce sang crie vengeance. Les chrétiens saxons ne vengent-ils pas la mort de ceux qu'ils aiment ?

Il ne pouvait le nier. Malgré l'interdiction de

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l'Eglise, nombreux étaient ceux qui cherchaient à se venger et cela se terminait souvent par un bain de sang.

— Pourquoi ne m'as-tu jamais dit que tu étais chrétienne ?

— Quelle différence cela aurait-il fait ? Les autres esclaves sont chrétiens, et ils sont toujours esclaves.

— Cela fait pourtant une différence, Kristen. C'est un lien qui nous lie et qui me procure le levier dont j'avais besoin pour traiter avec toi.

Elle le scruta d'un air suspicieux. — Que veux-tu dire, Saxon ? — Je peux accepter ta parole si tu jures sur le nom

de Dieu. Jure que tu ne t'enfuiras jamais d'ici et tu bénéficieras de la même liberté que les autres ser-viteurs.

— Plus de chaînes ? demanda-t-elle, incrédule. — Non. — Alors, je jure... Elle se tut, consciente tout à coup de s'engager

sans réfléchir. — Kristen ? — Par le Ciel ! s'écria-t-elle. Laisse-moi un

moment. Jamais, avait-il dit. A jamais. Que se passerait-il

quand il n'aurait plus envie d'elle, quand il pren-drait cette épouse? Elle en viendrait à haïr cet endroit et aussi, sûrement, à le haïr, lui. Et pourtant, lui ayant donné sa parole, elle serait obligée de rester ici... à jamais, de continuer à servir dans ce hall... à jamais.

Elle affronta son regard. Que lui importait qu'elle croupisse ici toute sa vie ? Son sort devait quand

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même l'intéresser sinon il ne lui ferait pas une telle proposition.

— Très bien, milord, je jure sur notre Dieu que je n'essaierai pas de m'enfuir de Wyndhurst... tant que vous ne serez pas marié.

Les yeux d'émeraude se durcirent. Elle poursuivit : — Je suis désolée de le dire, mais je n'aime pas

votre fiancée. Je ne pense pas être capable de tolérer sa présence quand elle dirigera cette maison.

— Marché conclu ! — Tu es sérieux ? s'étonna-t-elle. Tu acceptes cette

condition ? — Oui. Cela signifie simplement que tu remettras

ces chaînes à ce moment-là. Elle serra les dents, vexée et triste. — Qu'il en soit donc ainsi. Mais c'est la seule pro-

messe que je vous fais. — Non, tu vas aussi promettre que tu n'aideras

pas tes amis à s'enfuir... Il lui posa un doigt sur les lèvres pour arrêter son

cri de colère. — ... jusqu'à mon mariage. — Marché conclu! rétorqua-t-elle avec amer-

tume. Mais je ne renierai pas ma vengeance. — Non, je sais que tu ne le feras pas, regretta-t-il.

Alden est rétabli maintenant, il peut se défendre. J'ai confiance en ses capacités. Tant que tu ne l'attaques pas dans son sommeil.

— Je veux une vengeance, pas un meurtre, répliqua-t-elle, méprisante.

— Très bien. Alors, il me reste à te prévenir d'une dernière chose. Si tu tues Alden, je devrai prendre ta vie en échange.

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Royce revint dans le hall tard dans l'après-midi, après un entraînement exténuant de ses hommes qui avaient trop paressé ces cinq derniers jours. On avait fait le ménage, rangé les tables et nettoyé la salle. Et Darrelle se tenait à nouveau dans le coin réservé aux broderies et au tissage. Darrelle, qui avait à peine adressé la parole à Royce depuis que sa liaison avec Kristen était devenue une évidence.

Elle exprimait sa désapprobation par des boude-ries qui, en temps normal, n'auraient pas le moins du monde ému Royce. Mais celui-ci se prit à la comparer à Kristen qui ne boudait jamais, qui ne gardait pas sa rancœur mais au contraire l'exprimait à très haute et intelligible voix. Etrangement, ce franc-parler était loin d'être aussi irritant que les sempi-ternels regards de reproche de Darrelle. Celle-ci avait-elle besoin d'un mari, malgré son désir avoué de rester célibataire ?

— Tu ne sais pas si l'un de nos invités a eu le bon-heur de plaire à ta sœur ? demanda-t-il à Alden.

Ils étaient assis à la table de jeu, engagés dans une partie d'échecs. Alden, dont c'était le tour de jouer, écouta à peine la question.

— Non, je n'en sais rien. — Tu es sûr ? Alden abandonna ses pièces et considéra son cou-

sin d'un air débonnaire. — Tu as vraiment d'étranges préoccupations, ces

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derniers temps. Maintenant que tu en parles, il me semble que l'arrivée de Wilburt lui a fait plaisir.

— Le frère de Corliss ? s'étonna Royce. Tu crois qu'elle aimerait l'épouser ?

Alden laissa échapper un petit sifflement. — Est-ce qu'elle sait ce que tu es en train de

mijoter ? — Comment pourrait-elle le savoir puisqu'elle ne

m'adresse plus la parole ? — Oui, elle te boude un peu, ces temps-ci. Tu ne

vas quand même pas la marier pour cela ? — Je préférerais qu'un autre s'occupe de ses états

d'âme. Tu ne crois pas qu'il est temps pour elle de trouver un époux ?

— Si, en effet, mais il ne faut pas y compter. Elle s'y opposera... tant que tu ne te seras pas marié.

— Comment ça ? — Allons, cousin. Pourquoi crois-tu qu'elle a

refusé tous les prétendants que tu lui as présentés ces dernières années ? Elle a peur que, sans une femme pour tenir cette maison, le chaos s'installe ici. Et elle n'a sûrement pas tort.

— Si tu connaissais ses raisons, en bon frère tu aurais dû m'en faire part.

Alden parut scandalisé. — Tu veux qu'elle me fasse la tête pendant quinze

ans ? Tu plaisantes, cousin, pour rien au monde je ne t'aurais révélé son secret. D'ailleurs, puisqu'on parle mariage, quand comptes-tu célébrer le tien ?

— Quand j'en aurai le temps, répliqua sèchement Royce. Et pour le moment, il n'en est pas question.

Alden secoua la tête. — Si tu ne veux pas l'épouser...

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— Je n'ai jamais voulu l'épouser. Simplement, cela semblait raisonnable. Enfin, si on veut...

— Tu n'as qu'à rompre. — Facile à dire. Alden était hilare. — La vie était vraiment beaucoup plus simple

avant l'arrivée d'une certaine Viking... Cette remarque lui valut un regard noir de Royce,

qui le fit rire de plus belle. L'attention des deux hommes fut alors attirée par

deux soldats de Royce qui entraient, escortant un étranger. A son allure et à ses vêtements, on aurait dit un Celte. Il était très grand. Ce qui le rendait d'autant plus intéressant après les problèmes récents qu'ils avaient connus avec les Celtes de Cor-nouaill'es.

Il fut conduit devant Royce. L'un des soldats expli-qua que l'homme avait été arrêté à l'ouest du domaine de Wyndhurst. On avait battu les environs pour vérifier qu'il voyageait bien seul comme il le soutenait et on n'avait trouvé trace de personne d'autre. Il montait un vieux bourrin agonisant et ne possédait rien d'autre que les vêtements qu'il portait ainsi qu'une épée rouillée à la garde ornée d'anciens motifs celtes.

Impassible, Royce écouta ce rapport en exami-nant attentivement l'inconnu. Il n'avait jamais vu d'homme aussi beau malgré son apparence dépe-naillée. Ses cheveux noirs étaient attachés dans le dos par un lien de cuir. Il n'était pas mieux vêtu que le plus pauvre des serfs avec sa longue tuni-que retenue à la taille par une corde et ses sandales pleines de trous. Pourtant, il n'y avait rien de sou-

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mis dans son attitude. De son regard gris sombre, il soutint celui de Royce sans agressivité et sans crainte. C'était le regard d'un homme qui se considé-rait comme son égal. I a curiosité de Royce en fut piquée.

— Qui es-tu ? — Je ne comprends pas. Royce serra les mâchoires. L'homme s'était

exprimé dans sa langue celte. La plupart des Celtes de l'Ouest connaissait le saxon à la différence de ceux de Cornouailles qui, pourtant, les attaquaient souvent.

Il répéta sa question dans la langue de l'étranger. — Je m'appelle Gaelan. — De Cornouailles ? — Du Devon. — Tu es un homme libre ? — Oui. Royce fronça les sourcils. Il n'était pas très

bavard, cet homme libre du Devon. — Comment savoir si ce que tu me dis est vrai ? — Pourquoi mentirais-je ? — Pourquoi, en effet ? grogna Royce. Tu es bien

loin de chez toi. Qu'est-ce qui t'amène sur mes terres ?

— Je cherche à servir un seigneur qui combattra les Danois. L'ai-je trouvé ?

Alden rit de la surprise de Royce. — Voilà bien la dernière chose à laquelle tu

t'attendais, hein, cousin ? Royce lui lança un regard réprobateur avant de

scruter le Celte. — Il y a beaucoup de seigneurs ici, dans le Devon,

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qui sont prêts à se battre contre les Danois. Pourquoi es-tu venu aussi loin à l'est ?

— Je n'en ai pas rencontré un seul qui y soit vrai-ment décidé. Je veux être certain de combattre.

— Pourquoi ? — Les Danois ont occupé une partie de mon pays

et ils continuent à lancer des raids par la mer. J'habi-tais un petit village de pêcheurs sur la côte. Il a été détruit dans un raid viking. J'ai perdu ma femme, mes deux fils, ma famille et mes amis. Personne n'a survécu.

— Sauf toi. Pourquoi ? — Je chassais à l'intérieur des terres. Je suis

revenu au moment où leur bateau repartait. C'était une histoire que Gaelan avait répétée

maintes et maintes fois tout au long de sa quête. Elle lui était bien utile auprès de ces seigneurs saxons et ces deux-là semblaient plus troublés que les autres. Avait-il enfin trouvé ce qu'il cher-chait ?

— Quand était-ce ? demanda Royce. — Au début de l'été. — Pourquoi dis-tu que ce sont des Danois qui ont

attaqué ton village ? — Quel autre fléau s'est abattu sur notre pays ? Royce et Alden échangèrent un regard. Les poings

de Royce s'étaient soudain crispés. La question resta sans réponse.

Alden s'adressa à Gaelan. — Si les Danois se tournent à nouveau contre le

Wessex, ils nous trouveront sur leur chemin. Tu as la volonté de te battre, mais sais-tu le faire ?

— Je peux m'entraîner.

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— Et si mon cousin offre de t'entraîner, comment comptes-tu le servir en retour ?

— Je lui servirai personnellement de garde du corps... à cause de ma taille.

— Même si tu savais te battre, intervint Royce, regarde-moi. Ai-je l'air de quelqu'un qui a besoin de protection ?

Une lueur amusée apparut dans les yeux gris de Gaelan.

— Les autres seigneurs que j'ai rencontrés n'étaient pas aussi bien bâtis que vous, milord. Je suis disposé à vous servir de la façon qui vous plaira.

Alden s'adressa à Royce dans leur propre langue. — Eh bien, cousin ? Un homme supplémentaire

est toujours utile, surtout un homme aussi fort. — Je n'aime pas ça, répondit Royce. — Tu crains qu'en apprenant l'existence de nos

prisonniers, il ne veuille mettre un terme à sa quête et tenter de se venger ?

— Entre autres. — Ils sont bien gardés. Il ne pourra s'en

approcher. — Kristen n'est pas si bien gardée, fit brièvement

Royce. Alden le fixa, étonné. — Bien sûr, maintenant qu'elle est libre de par-

courir Wyndhurst, elle n'est pas gardée du tout. Tu pourrais l'obliger à ne pas quitter le hall et ordonner à ce gaillard de ne pas pénétrer ici...

— J'ai donné ma parole à Kristen. Je ne peux pas la reprendre.

— Je plaisantais, Royce. Je ne pense pas qu'il s'en

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prendra à elle. Il veut le sang des Vikings, pas celui d'une femme. Si tu as des doutes, mets-le à l'épreuve. Mais ne le rejette pas sur de simples présomptions. Pense que tu poursuis le même but que lui et que tu n'as pas touché un seul cheveu de cette chère Kristen.

Royce serra les lèvres. C'était vrai. Il fit face au Celte qui n'avait toujours pas bronché, faisant preuve d'une patience exemplaire.

— Nous aussi, nous avons subi un raid de Vikings cet été, annonça-t-il en le surveillant attentivement. Nous avons eu plus de chance que ceux de ton village car nous les avons défaits.

— Vous les avez tous tués ? Même Alden haussa un sourcil devant une telle

rage. — Je doute que ce soit les mêmes qui aient attaqué

ton village, annonça-t-il. Les nôtres étaient des Nor-végiens à la recherche de trésors. Ils n'auraient pas attaqué un pauvre village de pêcheurs.

— Mais vous les avez tous tués ? — Pas tous. Ceux que nous avons capturés sont

prisonniers ici. Ils travaillent à renforcer nos défenses.

— Ils sont tous sous ma protection, ajouta Royce qui n'avait pas du tout apprécié la façon dont l'homme s'était détendu à la mention des pri-sonniers.

Gaelan comprit la menace. — Si vous avez réduit ces Vikings en esclavage, ce

n'est que justice. Ils ne pilleront plus. J'en veux à ceux qui sont encore libres de tuer, là-bas au Nord.

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Le bateau qui a attaqué mon village faisait voile vers le nord.

— Si je t'accepte parmi nous, Gaelan du Devon, travailleras-tu à construire une muraille avec mes prisonniers ?

L'homme se raidit. — Je ne prendrai pas ma vengeance sur eux,

milord, mais ne me demandez pas de travailler parmi eux.

— Je te le demande. C'est le seul travail que je puis offrir en ce moment à un homme comme toi. Tu disais être prêt à faire tout ce qu'on te demanderait.

— C'est ce que j'ai dit... Il y eut un long silence puis il ajouta : — Qu'il en soit ainsi. — Tu pourras résister à la tentation ? insista

Royce. — J'ai dit que je ne désire pas le sang d'esclaves. — Alors, sois le bienvenu. Tu commenceras à tra-

vailler demain matin. L'après-midi, tu t'entraîneras avec mes hommes. Seldon, veille à ce qu'il soit bien installé.

Alden se pencha vers Royce tandis que Seldon con-duisait l'étranger vers le tonneau de bière.

— Tu lui fais confiance ? Royce haussa les sourcils. — Tu me demandes ça après avoir pris sa

défense ? Oui, j'ai confiance, dit-il avant d'ajouter, l'air sombre : Mais pas au point de ne pas le faire sur-veiller jusqu'à ce que j'aie vraiment confiance...

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Tard dans l'après-midi, après avoir, avec Eda, remis de l'ordre dans les chambres, Kristen revint dans le hall. Elle se demandait toujours comment elle pourrait assouvir sa vengeance contre Alden sans y perdre la vie. Elle avait dressé mentalement une liste des blessures qu'elle pourrait lui infliger afin de le mutiler à vie, espérant ainsi qu'il sombre-rait dans une dépression et se suiciderait. Mais cela suffisait-il ? Comment un homme aussi joyeux et insouciant réagirait-il devant une infirmité ?

Elle n'envisageait pas d'abandonner et de laisser Alden survivre. Bien au contraire. Plus elle y réflé-chissait, plus ce problème apparemment insoluble la rongeait. Elle ne cessait de penser à son frère. Et cela renforçait sa résolution.

Ce fut sans doute parce que Selig était plus que jamais présent à son esprit qu'elle réagit aussi vio-lemment à la vue de l'étranger dans le hall. Il était assis, lui tournant le dos. Malgré cela, elle blêmit. Le souffle coupé, elle en perdit l'usage de ses jambes et même la vue pendant la seconde où elle crut que son frère était revenu d'entre les morts.

Eda, qui marchait derrière elle, la heurta. Le choc ramena Kristen à la vie.

— Bon sang, vieille femme ! s'écria-t-elle. Regarde où tu mets les pieds !

— Moi ? s'exclama Eda, ahurie. Moi ? Mais qui s'est arrêtée comme si elle avait vu le diable en per-sonne ? Hein, je te le demande ?

Kristen se contenta de hausser les épaules avant de regagner son coin. Là, son regard fut à nouveau irrésistiblement attiré par l'inconnu. C'était ces maudits cheveux plus noirs que la nuit. Et ces épau-

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les si larges, ce dos exactement pareil à celui sur lequel elle grimpait lorsqu'elle était plus jeune. Pas étonnant qu'elle ait cru qu'il s'agissait de Selig. Cet homme était son exacte réplique.

Elle n'avait plus qu'un désir : voir son visage. Mais, pas une seule fois il ne se retourna. Il buvait de la bière avec Seldon et Hunfrith. Des rires retentis-saient parfois. Ils étaient trop loin pour qu'elle entende leur discussion.

Quand Royce revint dans le hall, l'agitation de Kristen se dissipa. Il possédait cet étrange pouvoir sur elle. Pourtant, elle n'oubliait pas sa menace de mort. A Alden qui l'accompagnait, elle jeta un regard assassin qui le fit s'esclaffer. Trois secondes plus tard, ellè contemplait à nouveau l'étranger. Qui était-il ?

— Il s'appelle Gaelan. — Quoi? Kristen se retourna. Edrea lui souriait. — Gaelan, répéta-t-elle. C'est un Celte du Devon.

J'ai vu que tu ne le quittais pas des yeux, toi non plus. — Moi non plus ? — Regarde autour de toi. Même lady Darrelle le

dévore du regard. — Pourquoi ? — Pourquoi ? Tu plaisantes, Kristen. Il a un visage

d'ange... — Je me demandais seulement qui il était et ce

qu'il venait faire ici, répliqua Kristen. Je croyais qu'on en avait fini avec les réceptions.

— Milord l'a engagé. Il va travailler au mur avec les autres.

— Oui, il a la carrure pour cela.

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— Oh ! oui, soupira Edrea. — Je croyais que Bjarni te plaisait ? Edrea rougit. — C'est vrai. Mais le Celte est si... Oh ! j'aurai tou-

jours le même problème. Il ne parle pas notre langue et moi, je ne sais pas un mot de la sienne...

Eda les réprimanda. — Edrea, dépêche-toi d'aller aider Aethel à mettre

la table ! Vous bavardez et le travail ne se fait pas. Et toi, Kristen, finis d'éplucher ces petits pois !

Kristen retint la vieille servante par la manche. — Eda, tu as vu le Celte ? — Difficile de ne pas lé voir. Il est si grand. — Mais je croyais que seuls les Celtes de Cor-

nouailles étaient aussi grands, et tu disais qu'ils sont vos ennemis.

— C'est vrai, mais celui-là n'est pas de Cornouail-les. Et puis, il y a toujours des exceptions. Regarde lord Royce, il est très grand pour un Saxon et pour-tant, c'est un vrai Saxon.

— Si tu le dis. Eda la scruta avec sévérité. — Si cet homme t'intéresse, tu ferais bien de ne

pas trop le montrer. Milord risque de le prendre très mal.

— Royce ne me... Kristen se tut, un mauvais sourire aux lèvres. Elle

avait failli dire : « Royce ne me possède pas ! » Mais il la possédait bel et bien. De toute façon, le Celte ne l'intéressait pas — pas comme Eda le croyait. Elle voulait simplement voir son visage.

— Tu as raison, Eda. — Bien. Et maintenant, les petits pois.

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Mais dès qu'Eda lui eut tourné le dos, Kristen plaça délibérément le lourd chaudron contenant ces fameux petits pois épluchés au bord de la table où il tint en équilibre précaire pendant une demi-seconde. Quand il s'écrasa sur le sol, envoyant une nuée de minuscules billes vertes dans toutes les directions, Kristen ne contemplait pas le désastre qu'elle venait de provoquer mais fixait le Celte.

Il ne fut pas le seul à se retourner devant un tel vacarme. Kristen ne vit que lui.

— Bon sang ! s'exclama Eda derrière elle. Qu'est-ce qui t'arrive aujourd'hui ?

Kristen ne l'entendit pas. Elle avait le regard plongé dans des yeux gris qu'elle avait cru ne jamais revoir. Un son étranglé s'échappa de sa gorge. Son cœur battait la chamade. Ce n'était pas possible... Puissant Seigneur ! Selig ! Selig vivant !

Elle quitta son tabouret pour se précipiter vers lui. Il se dressa lui aussi. Au même moment, ils retrouvè-rent ensemble leur bon sens et se figèrent.

Kristen fit volte-face, agrippant la table de toutes ses forces pour s'obliger à ne pas bouger. Vivant ! Elle ferma les yeux, respira profondément pour s'empêcher de hurler, de rire, de pleurer.

Elle ne pouvait se jeter dans ses bras. Que Dieu l'aide, elle ne devait pas aller vers lui. Il se serait retrouvé aussitôt enchaîné avec les autres. Pourtant, la joie déferlait en elle, elle avait l'impression de se noyer.

Elle finit par remarquer Eda qui l'observait d'un air ahuri. Cédant à une folle impulsion, elle prit la vieille femme dans ses bras et se mit à la faire tour-noyer en riant aux éclats de ses hurlements apeurés.

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Elle avait au moins une bonne excuse pour rire Oh' Dieu soit loué ' Son frère était vivant '

— Tu es folle, barbare ! Repose-moi * Kristen était radieuse — Je suis en train de te demander pardon'

s'exclama-t-elle Pour tous les bons conseils que tu m'as donnés et que je n'ai pas suivis Tu es une sage, Eda, je m'en rends compte à présent Oh 1 Eda, je t'aime '

Elle la fit voler encore une fois avant de la déposer sur le sol Commença alors la pire séance de répri-mandes et d'injures qu'elle ait jamais subie Mais Kristen souriait tout en ramassant les petits pois sans oser regarder de l'autre côté du hall

Selig souriait lui aussi Sa quête était enfin ter-minée Il avait retrouvé Kristen Elle était en pleine forme et suffisamment lucide pour ne pas se ruer sur lui II connaissait bien son exubérance Plus d'une fois, elle l'avait proprement mis à terre en se jetant dans ses bras au retour d'un long voyage Elle faisait preuve d'une surprenante maîtrise

| d'elle-même Mais ce sang-froid constituait aussi § un avertissement et il en était parfaitement cons-? cient II ne devait pas montrer qu'il la connaissait,

en aucune manière Tout au long de ces semaines, il avait cru qu'elle était morte et il la retrouvait enfin, vivante1

— Bizarre, non ? Qu'en penses-tu, Royce ? voulut savoir Alden

Ils avaient tous deux été témoins du comporte-ment étrange de Kristen

— Que veux-tu que je te dise ? Je commence à avoir l'habitude C'est une femme bizarre

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— Oui, c'est vraiment bizarre qu'elle trouve si amusant de renverser des petits pois...

Royce éclata de rire. A quelques mètres de là, Selig se raidit en voyant les lords observer Kristen.

Il se tourna vers Seldon. — Que disent-ils ? — Ils parlent de la sorcière viking. — C'est une prisonnière, elle aussi ? — Oui... Enfin, disons plutôt qu'elle est l'esclave

personnelle de lord Royce, si tu vois ce que je veux dire.

Selig ferma les yeux. Sous la table, il serra les deux poings. Jusqu'à présent, il avait eu peur pour la vie de Kristen. Pas une seule fois, il n'avait imaginé le sort que pouvaient lui réserver ces Saxons.

Il rouvrit lentement les yeux. Sa décision était prise. Il tuerait ce seigneur saxon.

Kristen se jeta au cou de Royce. Il venait à peine de franchir le seuil de sa chambre. Déjà, elle jouait avec ses cheveux, l'accablait de baisers. Une telle débauche de sentiments laissa Royce per-plexe.

— Alden m'a dit que tu étais vraiment bizarre avec lui, aujourd'hui. Tu as commencé par lui lancer des regards de vipère et, à peine deux heures après, tu lui souriais.

— Oui, milord, j'essayais de me débarrasser de ma haine et je crois bien y être parvenue. Ne sois pas

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aussi surpris... J'ai pris ta menace au sérieux. Est-ce si bizarre ?

— De ta part, oui. — Eh bien, tu verras. Du bout de l'index, elle frôlait les contours de son

oreille. Ses yeux étaient doux, telle une invite muette, mais son esprit était ailleurs. Elle se dit que si elle ne montrait pas un minimum de curiosité à l'égard du nouveau venu, il trouverait aussi cela bizarre.

— J'ai remarqué l'étranger, fit-elle avec insou-ciance. Tu aimes donc tant avoir des invités ?

Cette question eut l'effet exactement contraire à celui qu'elle recherchait. Royce haussa un sourcil soupçonneux.

— Tu n'as pas montré une once d'intérêt à l'égard du roi du Wessex, ni pour un seul de ses seigneurs et voilà que tu t'intéresses à ce Celte. Pourquoi ?

— Ce n'est que de la curiosité, milord. Toutes les femmes ne parlent que de lui.

— Qu'elles parlent, rétorqua-t-il. Quant à toi, évite-le. Il déteste les Vikings autant que moi.

Le moment était venu de changer de sujet, et il venait de lui en donner l'occasion. L'index de Kristen s'aventura lentement sur la mâchoire de Royce avant de lui caresser la lèvre inférieure.

— Vraiment, Saxon ? murmura-t-elle d'une voix rauque. Tu détestes vraiment tous les Vikings ?

En guise de réponse, il la serra dans une étreinte à étouffer un ours. Soudain, Kristen n'eut plus d'autre considération en tête. Mais le bonheur d'avoir retrouvé son frère l'imprégnait toujours. Cette nuit-là, elle se donna à Royce avec une passion nouvelle.

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Elle se montra joyeuse et séductrice, timide et agressive, tour à tour tentatrice, virginale ou sauvage. Elle fut tout pour lui, jusqu'à ce que, comblé, il soit incapable de s'émerveiller davan-tage de ses métamorphoses. Jamais elle n'avait ri ainsi avec lui. Jamais elle n'avait éveillé ainsi son désir. Il la prit et la reprit encore et encore, se découvrant à son tour des possibilités insoupçon-nées. Elle ne cessait de murmurer qu'elle le vou-lait encore et il ne pouvait lui résister. Quand il s'endormit enfin, exténué, vidé, ce fut du sommeil des morts.

Kristen dormit aussi. Mais son sommeil fut plus léger comme si elle attendait quelque chose. Elle se réveilla tôt, longtemps avant l'aube.

Elle savoura quelques instants le plaisir d'être enveloppée dans les bras de Royce. Puis elle se libéra prudemment et se leva. Elle s'habilla sans bruit dans l'obscurité.

Son intuition lui disait que Selig devait l'attendre quelque part. C'était exact. Elle le trouva au pied de l'escalier. Il l'avait attendue toute la nuit, assis au bas des marches, ne s'assoupissant jamais très long-temps. Le glissement feutré des pas de sa sœur venait de l'alerter et il l'attendait debout. Ils se jetè-rent dans les bras l'un de l'autre.

Ils restèrent ainsi longuement enlacés, sans rien dire. Puis Kristen toucha son visage aimé. Il faisait sombre. Toutes les torches étaient éteintes et elle le distinguait à peine.

— Je t'ai cru mort, Selig. Il sentit des larmes dans sa voix. — Je te croyais morte...

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Il lui caressa les cheveux et la serra à nouveau con-tre lui avant d'ajouter :

— Les hommes ne pleurent pas. — Je sais. Elle renifla, pensant qu'il s'adressait à elle jusqu'à

ce qu'elle sente une larme couler sur sa joue. Elle sourit et se hissa sur la pointe des pieds pour l'embrasser.

— Viens. Il vaut mieux ne pas rester ici. Elle le prit par la main et le conduisit vers la porte

au fond du hall. Comme les fenêtres, elle n'était pas fermée. Selig hésita, s'attendant à trouver une senti-nelle en poste.

Kristen ne s'y trompa pas. — Je ne pense pas qu'il y ait des gardes. Je suis

déjà sortie une fois la nuit, et il n'y avait personne dans la cour. Mais ces Saxons ne sont pas impru-dents. Je pense qu'il y a des patrouilles à l'extérieur des murs.

— Alors, nous nous en occuperons dès que nous les trouverons. Viens, Kristen, partons.

Elle le tira violemment en arrière. — Je ne peux pas partir, Selig. — Tu ne peux pas ? — J'ai donné ma parole que je ne m'enfuirais pas. — Par Odin ! Pourquoi ? Elle tressaillit. — Pour ne pas être à nouveau enchaînée. Il y eut un court silence. — A nouveau ? — J'étais enchaînée comme les autres depuis

notre capture. J'ai... — Qui reste-t-il, Kristen ? l'interrompit-il.

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Elle lui donna les noms de tous les survivants puis se tut afin de lui laisser le temps de penser aux morts. Une brise légère soufflait. Les insectes de la nuit lan-çaient leurs grincements incessants. Elle savait qu'il souffrait mais cette souffrance était moins pénible car il les avait tous crus morts.

Enfin, il dit : — Continue. — On m'a enlevé mes chaînes il y a quelques jours,

quand le roi des Saxons et sa suite sont venus ici. J'ai été agressée par trois seigneurs et Royce m a libérée afin que je puisse me défendre en cas de besoin. Mais ils sont partis ce matin... non, hier matin et j'ai dû donner ma parole pour ne pas être à nouveau enchaînée.

— Tu t'es toi-même condamnée à ne jamais partir d'ici ? s'insurgea-t-il.

— Non, c'est un compromis. Quand Royce se mariera, je serai délivrée de ma parole.

— Quand cela arrivera-t-il ? — Bientôt. Il parut se détendre. Il ne lui broyait plus le bras.

Encouragée, elle demanda : — Et toi ? Raconte-moi. Comment as-tu fait pour

t'en sortir ? Je t'ai vu blessé. — Tu as vu ? — Chut ! Pas si fort... Bien sûr que je t'ai vu. Je

n'allais pas rester sur le bateau après avoir entendu qu'on se battait dans la forêt. Je suis venue vous aider.

— Toi ? Nous aider ? Elle préféra ignorer ce sarcasme.

C'est vrai. Je n'ai pas été d'un grand secours,

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mais j'ai au moins réussi à vaincre celui qui t'a blessé.

— Ce n'est pas vrai ! — Selig! — Par Odin ! Tu aurais pu te faire tuer... — Je ne l'ai pas été. Et lui non plus. Il n'a été

que blessé. Il a guéri depuis et il m'a rendu un fier service alors que j'avais à nouveau tenté de le tuer. Je suis contente de ne plus être obligée de m'en prendre à lui. Maintenant, je t'écoute. La dernière fois que je t'ai vu, tu gisais sur le sol, baignant dans ton sang...

— C'était une mauvaise blessure. Je suis revenu à moi au moment où le chariot emmenant ceux qui avaient été capturés partait. Ils m'ont laissé avec les morts, croyant que je l'étais. Je ne savais pas s'ils allaient revenir pour ensevelir les corps, alors je me suis débrouillé pour m'éloigner de ce carnage. Je voulais rester caché dans la forêt quelques heures puis vous suivre pour voir où ils vous avaient emme-nés. Mais ma blessure était mauvaise. J'ai à nouveau perdu conscience. Je ne me suis réveillé qu'à la nuit, faible au point d'être incapable de me lever. Je ne sais pas combien de temps je suis resté ainsi. Cette maudite blessure s'infectait. J'ai eu la fièvre, j'ai déliré. Je ne me rappelle plus très bien. Je sais qu'à un moment, j'ai réussi à me lever. Je suis parti à la recherche des Saxons.

— Dans ton état ? Il lui sourit. — Il fallait que je vous retrouve, toi et les autres,

avant qu'il ne soit trop tard. — Trop tard ?

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— Je ne pensais pas qu'ils vous laisseraient la vie sauve. Je croyais qu'ils vous emmenaient vers leur chef afin qu'il dispose de vous.

— Il a bien failli nous tuer, admit doucement Kris-ten. Cet endroit, Wyndhurst, a déjà subi un raid des Vikings, et ils ont tué presque toute sa famille. Depuis, il les hait.

— Pas étonnant qu'il m'ait engagé... Je lui ai raconté qu'il m'était arrivé la même chose. Il a dû avoir pitié de moi.

— Comment as-tu pu lui raconter une histoire pareille ? lui demanda-t-elle sèchement. Par le Ciel ! Il te mettra en pièces s'il apprend la vérité. Et quand je pense que j'ai eu peur qu'il t'enchaîne et t'enferme avec les autres !

Il eut un sourire insouciant. — Il ne le saura jamais. Ohthere et les autres ne

sont pas fous, ils ne me trahiront pas. — S'ils ne s'évanouissent pas de terreur en te

voyant comme cela a failli m'arriver. Ils te croient mort.

— Tu as vite repris le dessus. Il riait. Exaspérée, Kristen lui flanqua un coup de poing. — Achève ton histoire ! — Tu as perdu ton sens de l'humour, Kris. Cela lui valut un nouveau coup plus douloureux. — Très bien, reprit-il. J'ai erré. Je suis incapable

de te dire combien de temps. Je ne sais pas non plus si je suis resté longtemps évanoui la dernière fois que je suis tombé. Je me suis réveillé dans la hutte d'une vieille femme celte. Elle et sa fille m'avaient trouvé en revenant du marché d'une ville nommée Wim-

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borne, à une journée de cheval de l'endroit où j'étais inconscient.

— Où était-ce ? Il haussa les épaules. — Je ne sais pas. Loki s'est bien amusé à mes

dépens. Tu ne peux imaginer les tours et les détours que j'ai faits durant mon délire... Je suis resté chez la vieille femme plus de deux semaines. Elle se méfiait de moi à cause de mes vêtements et parce que, dans mes accès de fièvre, je parlais norvégien. Mais comme je parlais aussi la langue de notre mère, qui était aussi la sienne, elle m'a soigné. Elle m'a même amené un marchand qui a échangé ma cein-ture et mes bracelets en or contre ces vêtements que tu vois et un vieux canasson. Elle m'a aussi indiqué la rivière la plus proche.

— Et alors ? — Alors, je croyais que cette rivière était celle qui

coule dans la forêt, près d'ici. Je me trompais. Elle est à l'ouest, si loin d'ici que j'ai bien cru arriver au bout du monde. Le problème, c'était que j'ignorais dans quelle direction j'avais erré. Je n'avais aucun moyen de savoir vers où aller. Comme la vieille m'avait envoyé vers l'ouest, j'en ai conclu que j'avais erré vers l'est. Je suis donc parti vers l'ouest et j'ai perdu beaucoup de temps.

— Et c'est quand tu as trouvé cette rivière que tu as su que tu te trompais de direction ?

— Oui. Mais même là, je ne savais pas la distance que j'avais parcourue, ni où toi et les autres aviez été emmenés. J'ai donc dû m'arrêter dans chacune des places fortes que je rencontrais. Chaque fois, je racontais la même histoire au seigneur de l'endroit

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et, chaque fois, je m'en suis bien tiré. Mais je repar-tais dès que j'avais l'assurance qu'ils n'avaient pas vu de Vikings ces dernières semaines. Je ne savais pas en arrivant ici que j'avais enfin trouvé ce que je cherchais, jusqu'à ce que le seigneur me dise qu'ils avaient été attaqués cet été.

— Ta blessure est complètement guérie ? — Oui, je ne la sens même plus. — Tu as eu de la chance. Si tu avais dit que tu

venais de Cornouailles plutôt que du Devon, tu n'aurais pas reçu un accueil très chaleureux ici.

— J'ai appris l'hostilité qui règne entre Saxons et Celtes de Cornouailles à ma première halte. J'ai failli finir dans les douves mais tu sais comme je suis doué avec les mots.

— Oui, je sais. Oh ! Selig, je suis si heureuse à pré-sent que tu...

Il lui posa un doigt sur les lèvres. — Rends-moi aussi heureux, Kris. Dis-moi que tu

n'as souffert d'aucun mauvais traitement de la part de ces Saxons.

— Non, ils ne m'ont pas maltraitée. Mais je me suis offerte à lord Royce.

Il commença à gronder et elle dut lui poser à son tour un doigt sur les lèvres.

— Ne dis rien qui me fera regretter de te parler avec franchise, Selig. Je crois que j'aime le Saxon. Je suis certaine d'avoir envie de lui. J'ai eu envie de lui dès la... Enfin, peut-être pas dès la première fois que je l'ai vu. Mais j'ai été fascinée par lui dès la nuit où il a traversé la cour où nous étions enchaînés. Il nous contemplait avec un tel dégoût ! Il a donné l'ordre qu'on soit tous tués. Mais il a changé d'avis et le len-

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demain, il est venu nous dire que nous allions travail-ler à édifier son mur.

— Tous ? Il t'a forcée à accomplir une telle besogne ?

Elle rit. — Oui. Thorolf et les autres m'avaient déguisée en

garçon. Ça a marché pendant une semaine entière. Mais les hommes n'ont pas su s'y prendre. Ils m'ont trahie involontairement. Ils n'arrêtaient pas de m'aider et c'est ce qui a attiré son attention. Le Saxon a cru qu'ils me protégeaient parce que j'étais leur chef. En fin de compte, il a découvert que j'étais une femme. Dès lors, j'ai été séparée des autres et j'ai dû rester dans le hall du manoir.

— Et dans le lit du Saxon ? Elle le frappa violemment au ventre. Le souffle

coupé, il se plia en deux. — Par le marteau de Thor, Kristen! Fais

attention ! — Tu n'as qu'à surveiller tes paroles, l'avertit-elle

avec colère. Je suis une femme adulte. Je n'ai pas à répondre de mes actes devant toi. Et je ne suis pas allée tout droit dans son lit.

Elle n'allait pas lui dire tout ce qu'elle avait confié à Thorolf. Ce fut avec une totale sérénité qu'elle ajouta :

— En fait, c'est lui qui m'a résisté. — Quoi? Sa stupéfaction la fit sourire. — C'est la vérité. Je savais qu'il avait envie de moi

mais il ne voulait pas céder. Aucun homme ne m'avait résisté avant.

— Ça, tu n'as pas besoin de me le dire. Tu sais com-

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bien de crânes j'ai dû défoncer parce que ces gail-lards n'avaient aucune envie de te... résister ?

Elle ne put s'empêcher de rire. — Eh bien, le Saxon a lutté contre son attirance

pour moi. Et plus ça allait, plus j'avais envie de lui. Je l'ai délibérément provoqué, Selig.

C'était difficile à admettre devant son propre frère mais elle ne voulait pas qu'il s'en prenne à Royce alors que c'était elle qui avait commencé.

— Il y a deux semaines, j'ai enfin triomphé. Il m'a emmenée dans sa chambre. Depuis, j'y dors toutes les nuits. J'en sors à peine maintenant.

— Tu l'aimes vraiment ? — Je le crois. Je n'approuve pas tout ce qu'il fait.

Souvent, il m'a rendue furieuse. Mais je ne pourrais jamais le haïr, même s'il m'enchaînait, alors que je déteste ces chaînes plus que tout.

— Et lui, quels sont ses sentiments à ton égard ? — Je ne sais pas. Il me protège. Il a même montré

à plusieurs reprises qu'il tenait à moi. Et c'est beau-coup pour lui. Il ne m'a rien fait quand j'ai tenté de m'échapper. Et je sais qu'il n'aime pas m'enchaîner. C'est difficile, conclut-elle.

— Est-ce qu'il a toujours envie de toi ? — Oui, cela n'a pas changé. — Alors? — Il va quand même en épouser une autre. — Oui, tu m'en as déjà parlé, fit-il avant d'explo-

ser : Par Odin ! Il t'épousera. Elle secoua la tête. —- Je suis son esclave, Selig. Mets-toi à sa place.

Pourquoi m'épouserait-il alors qu'il me possède déjà ?

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— Père pourrait le lui dire, grommela-t-il. — Oui, il le pourrait mais il n'est pas ici. — Alors, je m'en chargerai. — Non, Selig, tu ne feras rien. Royce ne doit pas

savoir que tu es mon frère, quoi qu'il en coûte. — Que vas-tu faire, Kris ? Elle se durcit. — Je vais profiter du temps qu'il me reste à passer

avec lui. Et quand il se mariera, je partirai. — Comme ça ? Même si tu l'aimes encore ? — Que faire d'autre ? Au moins, maintenant, tu es

ici pour m'aider à m'enfuir, le moment venu. Mais si tu peux aider les autres d'ici là, fais-le. Tu pourras toujours revenir me chercher.

— Qu'il en soit donc ainsi. Elle lui prit le visage entre ses mains et l'embrassa. — Merci, Selig, merci de me comprendre. — Comme tu as dit, fit-il avec tendresse, tu n'as

pas à me rendre compte de tes actes. Mais qu'Odin te vienne en aide le jour où tu devras expliquer tout cela à père. Viens, nous sommes ici depuis trop longtemps.

Le ciel était clair à présent, beaucoup trop clair. — Oui. Elle fit un pas vers la porte mais s'arrêta une nou-

velle fois pour lui prendre la main. — Je ne pourrai pas t'adresser la parole avant un

bon moment. Ne t'étonne pas si je fais semblant de t'ignorer dans le hall. Il m'a déjà prévenue : il ne veut pas que jeVapproche.

— Il doit s'imaginer que je vais te trancher la gorge si j'apprends que tu es une Viking assoiffée de sang.

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— Quelles que soient ses raisons, sa colère est ter-rible. Prends garde à toi, mon frère.

Ils redoublèrent de prudence en regagnant le hall. C'était inutile. Royce s'y trouvait déjà, réveillant ses hommes à coups de pied. Il se figea dès qu'il vit Kris-ten. Puis il aperçut Selig et une lueur meurtrière passa dans son regard.

— On prenait l'air dehors, murmura-t-elle précipi-tamment à l'intention de Selig tandis que Royce venait vers eux. Nous nous sommes rencontrés en rentrant.

— Il va le croire ? — Il faudra bien. Mais Royce ne leur posa pas la moindre question.

Il attrapa Kristen par le poignet et la propulsa vers l'escalier en jetant à Selig:

— Toi, ne bouge pas ! Kristen essaya de se libérer mais il ne céda pas.

Elle trébucha et s'affala sur les marches. Il ne s'arrêta pas, continuant à la traîner comme un vul-gaire sac.

— Maudit sois-tu, Saxon ! Tu as intérêt à avoir une bonne raison pour me traîner comme ça !

Il ne répondit pas. Il la jeta dans sa chambre et referma la porte derrière elle. Stupéfaite, ele resta là à contempler la porte fermée.

Dans le hall, Royce ordonna d'un geste à Selig de le suivre. Il le conduisit dehors et referma la porte derrière eux. Puis, se retournant, il lui flanqua un coup de poing qui l'envoya à quatre pattes dans la poussière.

Royce s'avança, le dominant de toute sa hauteur. — Je ne t'interdirai pas le hall, Gaelan, mais je

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t'interdis de t'approcher de cette femme. Elle est à moi et je n'aime pas qu'on touche à ce qui m'appar-tient. Je ne te le répéterai pas.

Là-dessus, Royce retourna dans le hall, laissant la porte ouverte derrière lui. Selig aurait pu se jeter sur lui mais il ne le fit pas. Il resta assis sur le sol, se mas-sant la mâchoire. Un sourire naquit lentement sur ses lèvres puis il éclata de rire.

En haut, depuis la fenêtre qui dominait la cour, Kristen n'avait rien perdu de la scène. Ses mains grif-faient le bord de la fenêtre jusqu'à ce qu'elle entende ce rire. Elle pivota en secouant la tête. Il y avait des moments où le comportement des hommes l'écœu-rait.

Un miroir à main vola vers le visage de Royce quand il pénétra dans la chambre. Un plateau en argent le suivit de près. Il repéra Kristen qui, debout devant son propre coffre ouvert, y cherchait des pro-jectiles pour le bombarder.

— Tu ne dois pas être si furieuse, sinon, tu utilise-rais les armes.

— Ne me tente pas, Saxon ! Elle avait été enfermée toute la journée, sans rien

manger ni adresser la parole à quiconque. Et elle avait depuis longtemps perdu son calme.

— Pourquoi m'as-tu enfermée ? demanda-t-elle. — En me réveillant ce matin, je me suis aperçu

que tu étais partie. Je suis descendu, tu n'étais

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pas dans le hall. J'ai cru que tu avais manqué à ta parole.

— Tu m'as enfermée parce que tu as cru ça ? Tu sais que je n'ai pas manqué à ma parole et que je ne le ferai pas ! Alors, pourquoi ?

— Ce que tu faisais avec le Celte, c'est différent, répliqua-t-il durement.

— Vraiment ? Et qu'ai-je fait avec lui ? — C'est ce que je veux savoir, Kristen. — Tu ferais mieux de le lui demander car je suis

trop en colère pour te dire quoi que ce soit ! En quatre enjambées furieuses, il la rejoignit. Elle

leva les poings et se mit en garde, le défiant d'appro-cher. Il s'arrêta et lui lança un regard furibond.

— Dis-moi que cet homme ne t'intéresse pas. — Que le diable t'emporte ! — Dis-le! — Il ne m'intéresse pas. — Alors, que faisais-tu dehors avec lui ? Kristen baissa sa garde et ouvrit des yeux ronds.

Incrédule, elle demanda : — Es-tu jaloux, Saxon ? Est-ce pour cette raison

que tu l'as frappé ? Il jeta un coup d'oeil vers la fenêtre, comprenant

comment elle avait assisté à la scène. Mais elle n'avait pu entendre ce qu'il lui avait dit.

— Je suis possessif, Kristen. Aucun autre homme ne te touchera tant que tu seras à moi.

— Quand tu te marieras, je partirai d'ici. Je ne serai plus à toi.

Il la saisit et la secoua violemment. — Tu ne me quitteras pas, sorcière, jamais ! Main-

tenant, dis-moi ce que tu faisais avec le Celte.

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Jusqu'à présent, elle ne s'était jamais rendu compte qu'il était jaloux. Jaloux... Cela lui semblait parfaitement incongru.

— Je n'ai rien fait, Royce. Je ne pouvais pas dor-mir et je suis sortie pour regarder le soleil se lever. Quand j'ai vu que je n'étais pas seule dans la cour, je suis rentrée. L'homme m'a suivie. Il m'a dit quelques mots à la porte mais je ne l'ai pas compris. J'ignore ce qu'il faisait dehors. Tu devras le lui demander. J'imagine qu'il voulait lui aussi respirer l'air frais, comme moi.

— Je ne veux plus que tu sortes la nuit, Kristen. — Tu ne me l'as pas interdit. — Je le fais maintenant. — La prochaine fois que je ne trouverai pas le

sommeil, j'irai faire les cent pas dans le hall et je réveillerai tout le monde.

Il sourit enfin. — Tu n'auras qu'à me réveiller et je te trouverai

bien quelque chose à faire. Elle avait une réplique cinglante sur le bout de la

langue quand on frappa un coup timide à la porte. Meghan apparut après que son frère eut lancé l'ordre d'entrer.

— Alden te fait dire que la colère engendre la vio-lence, et la violence le malheur. Qu'est-ce que ça veut dire, Royce ?

Kristen éclata de rire devant la mine ébahie de Royce.

— Il est intelligent, ce cousin, milord. Pensait-il que vous alliez me battre ou peut-être que j'allais vous assommer ?

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Elle rit de plus belle quand il lui jeta un regard furieux.

— Et il envoie votre sœur..., reprit-elle. Oui, il est très intelligent. Entre, ma chérie. Ton cousin Alden nous a joué un tour à sa façon mais tu es quand même la bienvenue.

Meghan se glissa très vite aux côtés de Kristen. — Je croyais que Royce était en colère, chuchota-

t-elle. — Et tu es quand même montée nous livrer ce

message ? Il t'a fallu beaucoup de courage. Voyant Meghan alarmée par le silence inquiétant

de Royce, Kristen ajouta : — Calme-toi, Meghan. Tous les hommes sont

ainsi. Ça ne veut rien dire. — Kristen..., commença-t-il d'un ton menaçant. — Chut ! rétorqua-t-elle. Je donne à ta sœur une

leçon qui lui sera profitable. Tu vois, mon cœur, tu ne dois pas avoir peur des hommes quand ils sont en colère. Après tout, ils sont simplement un peu plus grands que toi.

Meghan roula des yeux effarés en examinant son frère des pieds à la tête. Kristen se mit à rire.

— Oui, il y a quelques exceptions. Mais prends ton frère, par exemple. Il était furieux et moi aussi. Il a crié et moi aussi. Maintenant, nous nous sentons beaucoup mieux tous les deux.

— Mais il est toujours en colère... Meghan se cachait le visage dans la jupe de

Kristen. — Il fait sa mauvaise tête, c'est tout. Bien sûr, il

existe de réelles colères et il vaut mieux alors ne pas rester dans les parages. Bientôt, tu sauras faire la

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différence. Mais ton frère... l'as-tu jamais vu faire du mal à une femme ?

— Il t'a fait fouetter. — Il ne savait pas encore que j'étais une femme. — Il t'a enchaînée et tu as saigné. Kristen soupira. — Ne t'ai-je pas dit que ce n'était qu'une égra-

tignure ? Que je ne sentais rien ? Et ce n'était pas sa faute, mon cœur. Il m'avait demandé de me bander les chevilles. C'est moi qui ai oublié de le faire.

— Alors, non, concéda Meghan. Il n'a jamais fait de mal à une femme.

— Parce que c'est un homme bon et gentil sous ses airs bourrus. Et s'il n'a jamais fait de mal à une femme, tu peux être certaine qu'il ne fera pas de mal à une enfant. Et encore moins à sa propre sœur. Toi, mon cœur, tu pourrais même lui faire ça...

Kristen s'approcha de Royce et lui flanqua un bon coup de pied dans la jambe.

— Et il ne te fera rien, conclut-elle. Royce ne broncha pas parce que Meghan avait

commencé à sourire. Il effaça toute émotion de son visage tandis que sa petite sœur le dévisageait avec anxiété.

— Tu ne ferais vraiment rien, Royce ? Il lui sourit. — Non, ma chérie, jamais je ne te ferai du mal. Elle se précipita pour coller son petit visage à sa

ceinture. Puis elle fit de même avec Kristen. — Merci, Kristen, dit-elle avant de sortir en

courant.

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— Je te remercie aussi, déclara Royce lorsqu'il fut seul avec Kristen. Je n'ai jamais pu lui faire comprendre qu'elle ne devait pas avoir peu r de moi...

Le lendemain matin, Royce proposa à Kristen de faire une promenade à cheval. Comment refuser alors qu'il lui offrait de disposer de sa propre mon-ture, et qu'il suggérait une course à travers la campagne ?

Elle perdit la course mais en tira un réel plaisir. Le souvenir de Torden galopant fièrement à travers champs et forêts lui revint en mémoire. Le cheval qu'elle montait n'était pas aussi bon mais la présence de Royce compensait largement cet inconvénient.

En fin de matinée, ils s'arrêtèrent au bord d'un étang pour permettre aux chevaux de se désaltérer. L'endroit était merveilleux, la verdure et le ciel bleu se reflétaient dans l'eau limpide. Royce s'assit à l'ombre d'un grand chêne. Adossé au tronc, il fit signe à Kristen de le rejoindre. Elle prit place à ses pieds, mordillant un brin d'herbe.

Royce soupira. Elle n'avait cessé de s'offrir à lui tout au long de la nuit et voilà qu'elle semblait à nou-veau faire la forte tête.

— Je vous remercie pour la promenade, milord. — Thorolf avait raison. Tu es une bonne cavalière. — Il y a des tas de choses que je sais faire. Thorolf

ne les connaît pas toutes. — Quoi, par exemple ?

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Elle allongea les jambes et roula sur le côté pour prendre appui sur un coude. Quelques mèches rebel-les s'échappaient de sa natte et bouclaient sur sa nuque.

— Eh bien, Thorolf ignore que je sais me servir d'une arme. Aucun d'eux ne le sait. Toi, oui.

— J'aurais préféré ne pas le découvrir. Kristen sourit. — J'ai gardé ce secret jusqu'à ce que je sois obli-

gée de me défendre. — Qui t'a appris ? Ce n'est quand même pas ton

père ? — Non, dit-elle, c'est ma mère. — Ta... Il éclata d'un rire tonitruant. — Riez tant que vous voudrez, milord, fit-elle de

bonne grâce, c'est la vérité. — Oh ! je n'en doute pas, répondit-il, hilare. Et que

t'a-t-elle appris d'autre, ta guerrière de mère ? Ce fut au tour de Kristen de rire. Elle revoyait sa

mère, si belle, si délicate. Une guerrière ? Par le Ciel ! Personne ne ressemblait moins à une guerrière.

— Ma mère n'aime peut-être pas coudre et cuisi-ner mais elle n'a rien d'une guerrière, milord. Et elle m'a enseigné une autre excellente chose. Elle m'a appris à ne jamais avoir honte de désirer un homme.

Royce se figea aussitôt. Elle aurait très bien pu le caresser partout. Ses mots avaient le même effet sur lui.

— Et tu n'as pas de honte ? — Non. — Et tu as envie de moi, Kristen ? — Non.

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Il la défia du regard. — Tu l'as déjà admis une fois. Pourquoi ne veux-tu

pas l'admettre maintenant ? — Je t'ai déjà dit qu'il ne fallait pas trop y

compter. — Tu m'as dit cela au milieu d'une dispute. Tu es

libre à présent. — Tu me gardes enchaînée par ma parole, ce qui

revient exactement au même. Tu aurais simplement pu me demander de rester. Tu as préféré marchan-der ma confiance.

— Au nom du Ciel ! Tu ne vas quand même pas me dire que tu serais restée uniquement parce que je te l'aurais demandé ?

— Tu ne le sauras jamais, à présent, Royce... — Kristen... Il voulut se redresser mais la flèche qui pénétra

dans son épaule le renvoya contre le tronc de l'arbre. Elle le traversa de part en part et se ficha dans le bois. Il essaya de se dégager. Comprenant que c'était impossible, il se souvint de l'attaque des Danois... Il revit Rhona hurlant de douleur, son incapacité à lui venir en aide parce qu'il était cloué au mur.

Son sang se glaça. Kristen bondissait déjà sur ses pieds.

— Prends mon cheval et va-t'en ! Vite ! ordonna-t-il.

Mais elle s'accroupit devant lui tandis qu'une nou-velle flèche vibrait à quelques centimètres au-dessus de leurs têtes. D'un geste sec, elle brisa l'empennage.

— Je vais te libérer mais tu dois m'aider, lui demanda-t-elle.

— Kristen, va-t'en. Je t'en prie. Tu dois t'enfuir.

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— Pousse! Elle tira si fort qu'il n'eut pas à fournir le moindre

effort. Il s'effondra à genoux. Le sang gicla. Elle se mordit la lèvre en se disant qu'elle n'aurait jamais la force de le porter. Mais il se leva tout seul. Pas encore trop affaibli, il était furieux contre elle.

— Si tu ne montes pas sur ce cheval, femme, je... — Pars avec moi. Il était déjà trop tard. Des hommes armés surgis-

saient des fourrés. Kristen en compta cinq mais il y en avait sûrement plus.

— Derrière moi, Kristen, ordonna Royce en tirant son épée.

— Tu n'as quand même pas l'intention de tous les affronter ? Pas avec ta blessure ?

— Ils ne t'auront pas. Pas tant que je vivrai. — Comme c'est touchant ! La voix s'était élevée derrière eux. Lord Eldred

contourna le chêne sous lequel ils s'étaient abrités. Deux autres soldats l'accompagnaient.

— Mais je l'aurai, reprit-il, plus ricanant que jamais. Et toi avec.

Eldred la saisit. Elle se libéra une première fois. Mais ses deux sbires ne lui laissèrent aucune chance. Une épée se posa sur sa gorge. Elle s'immobilisa.

— Et maintenant, ton épée, Royce, ordonna Eldred. Tu sais ce qu'il lui arrivera si tu résistes.

L'épée tomba sur le sol. Eldred donna des ordres brefs. Kristen tressaillit quand on lui attacha les mains. Impuissante, elle vit qu'on faisait de même avec Royce.

Eldred triomphait. — Je dois te remercier d'être venu te jeter tout

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droit dans mes bras, Royce, et de l'avoir amenée. Quel plaisir inespéré, alors que je m'apprêtais à pas-ser de longues heures dans tes forêts à t'attendre. Voilà que je fais d'une pierre deux coups !

Ils galopèrent vers le nord pendant le reste de la journée jusqu'à ce qu'ils atteignent un manoir, plus petit que Wyndhurst mais bien fortifié.

Royce fut capable de descendre de selle tout seul mais ses jambes étaient bien moins solides à présent. Kristen se mordit les lèvres pour ne pas crier en voyant l'étendue de la tache de sang sur la tunique.

Royce voulut intervenir. — Ton père... — Ne vous sera d'aucune aide, le coupa Eldred. Il

est parti supplier Alfred de me laisser revenir à la Cour. Mon père n'aime pas que je sois chez lui, tu comprends. Il prétend que j'ai une mauvaise influence sur ses esclaves.

Amer, il se retourna vers ses hommes avec colère. — Emmenez-le au cachot et enchaînez-le au mur ! — Sa blessure..., commença Kristen, mais Eldred

ne lui laissa pas le temps de conclure. — Saignera, voilà tout. Et toi aussi, tu saigneras

quand j'en aurai fini avec toi. Royce commença à se débattre en entendant cela

mais l'un des hommes l'assomma avec le pommeau de son épée. Il fut traîné jusqu'à son lieu de réclu-sion. Puis ce fut au tour de Kristen. La pointe d'une épée l'obligea à pénétrer dans le hall du manoir.

C'était une pièce mal tenue, avec des murs en bois et des dalles d'une saleté repoussante. Les serviteurs qu'elle aperçut, apeurés, n'osèrent pas lever les yeux vers elle et son escorte.

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On l'enferma dans une minuscule cellule sans fenê-tre. La porte close, il y régnait une totale obscurité. Le bruit d'une lourde barre de fer qui retombait lui apprit qu'elle était prisonnière. Elle entendit aussi un éclat de rire.

Elle avait vu un lit avant que la porte ne soit refer-mée. Elle s'y laissa tomber. Elle ne devait pas se lais-ser aller. Elle avait déjà connu une situation pareille : la capture, l'ignorance du sort qui lui serait réservé... Mais cette fois, elle avait une petite idée de ce qui l'attendait.

Un frisson la secoua. Eldred ! Il haïssait Royce. Il voulait lui faire du mal, le faire souffrir, peut-être même... ô mon Dieu, pourquoi l'aurait-il amené ici sinon pour le tuer, de préférence lentement ?

A travers la porte, Kristen entendait lord Eldred dans le hall. II mangeait, il buvait, il célébrait son triomphe. Mais tant qu'elle pouvait l'entendre, c'était bon signe. Cela signifiait qu'il n'avait pas encore touché à Royce. Ivre de haine, Eldred ne man-querait pas d'infliger lui-même la torture à son pri-sonnier.

Ces considérations la calmèrent. Elle devait s'organiser, se préparer. Il lui faudrait sortir de cette pièce à l'instant où la porte s'ouvrirait. Puis aller jusqu'au cachot où elle avait vu qu'on entraînait Royce, le libérer, trouver leurs chevaux... Dieu lui

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vienne en aide, comment allait-elle faire avec autant de gardes ?

Elle fouilla la cellule à tâtons, maudissant l'obscu-rité. Il n'y avait rien ici qui puisse servir d'arme. Elle s'y attendait mais avait préféré s'en assurer.

Elle devait donc s'en remettre à elle-même et à son habileté. Eldred ne serait sûrement pas facile à duper mais, avec de la chance, il aurait un peu trop bu... Et s'il avait l'imprudence de venir seul...

Finalement, il apparut, effectivement seul. S'il avait bu, il ne semblait pas ivre. Pas ivre du tout. Il portait une chandelle qu'il installa dans un sup-port après avoir refermé la porte. Kristen put alors vérifier qu'à l'exception du lit, la pièce était entiè-rement vide. Mais elle ne s'absorba pas dans la contemplation de la chambre, n'osant quitter Eldred des yeux.

Il souriait, se délectant à l'avance du traitement qu'il lui réservait. Son épée pendait toujours à sa ceinture mais il portait aussi une sorte de petit fouet fait de fines lanières de cuir.

— Qu'avez-vous fait à Royce ? — Je ne me suis pas encore occupé de lui,

répondit-il, insouciant. J'ai décidé de m'amuser un peu avec toi, d'abord. Comme ça, je pourrai tout lui raconter... Alden semble penser que Royce a un pen-chant pour toi. Nous verrons bien.

— Vous vous trompez! Il est fiancé avec une autre.

— Et alors ? Cela n'a rien à voir avec la femelle avec qui il couche.

Kristen tressaillit sous l'insulte. — Pourquoi le haïssez-vous ainsi ?

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— Il est trop parfait. Il ne fait jamais rien de mal... du moins Alfred le croit-il...

Elle le contempla avec mépris. — Vous êtes jaloux ! Vous agissez ainsi parce que

vous êtes jaloux comme une femmelette. — Tais-toi ! Tu ne sais pas de quoi tu parles ! — Peut-être. Mais je sais que vous ne vous en sorti-

rez pas comme ça. Trop de gens nous ont vus arriver ici.

Il éclata de rire. — Mes gens n'oseraient jamais témoigner contre

moi. A la différence de toi, garce, ils savent qu'ils n'ont que le droit de se taire.

— Ce sont les serviteurs de votre père. Il appren-dra ce qui se passe.

Elle avait voulu le provoquer. C'était réussi. Il bon-dit et la gifla violemment. Elle encaissa le coup sans broncher. Cela surprit Eldred. Il avait l'habitude de voir les femmes s'effondrer sous ses coups et se met-tre à gémir. Mais cette femme-là était aussi grande que lui, et elle ne tremblait pas. Du sang coulait au coin de sa bouche mais ses yeux étincelaient de fureur.

Eldred recula, énervé. Cette prudence devant une simple femme l'irrita aussitôt, et il brandit son fouet. Bientôt, elle le supplierait.

Il mit toute sa force dans le premier coup. Elle tenta de l'éviter mais les lanières lui mordirent cruel-lement l'avant-bras et le dos. Elle laissa échapper une exclamation de surprise plus que de douleur. Avec un sourire mauvais, Eldred reprit son élan. Ce fut à cet instant qu'elle se jeta sur lui.

Le souffle coupé, il s'effondra sous son poids. Et il

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agrippa le fouet à deux mains, certain qu'elle voulait le lui arracher. Ce fut son erreur. Elle se releva d'un bond, l'épée de son agresseur à la main. Il sentit la pointe de la lame sur son cou.

— Bougez un cil, milord, et je vous l'enfonce en travers de la gorge.

Cet avertissement était d'autant plus menaçant qu'elle l'avait prononcé d'une voix très calme.

— D'ailleurs, reprit-elle, je me demande si je ne vais pas vous tuer uniquement pour le plaisir.

Ce fut le dernier mot qu'Eldred entendit. Elle lui cogna violemment la tempe avec le pommeau de l'épée.

Kristen trancha rapidement ses liens en veillant à les attaquer près du nœud afin de pouvoir les réutili-ser sur Eldred. En un clin d'œil, elle eut terminé. Elle le retourna et lui attacha les mains dans le dos. Il avait été stupide de ne pas lui nouer les mains dans le dos... Mais la plus grande erreur d'Eldred avait été de croire qu'elle se laisserait fouetter sans réagir.

Il n'était pas mort. « Dommage », pensa-t-elle. Elle découpa des bandes de tissu dans sa tunique afin de lui attacher les pieds et de le bâillonner. Elle ne ces-sait de se dire qu'elle devait le tuer tant qu'elle en avait l'occasion, mais elle ne pouvait se résoudre à assassiner un homme désarmé.

Elle tendit l'oreille, à l'écoute de ce qui se passait dans le hall. Eldred sortit de son évanouissement et elle l'assomma à nouveau. Elle aurait pu s'accorder le plaisir de continuer ainsi toute la nuit, mais elle quitta la petite pièce dès que le silence régna.

Une torche unique brillait dans le hall. Les servi-teurs dormaient tous sur leurs paillasses alignées le

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long de l'un des murs. Kristen se dirigea tout droit vers la porte en retenant son souffle. Elle avait l'impression que son cœur faisait un tel vacarme qu'il allait réveiller tout le monde. Mais personne ne broncha. En revanche, un garde était posté à l'exté-rieur, devant la porte. C'était l'un des hommes qui avaient pris part à leur capture et en la voyant, il fut aussi abasourdi qu'elle. Elle avait trop l'habitude de Wyndhurst où l'on ne postait jamais de sentinelle dans la cour. Eldred avait donc eu quelques craintes...

L'homme fut encore plus surpris de voir l'épée qu'elle tenait à la main. Il voulut dégainer la sienne. Mal lui en prit. Elle l'embrocha avant qu'il en ait eu le temps.

Il n'y avait plus une seconde à perdre à présent. Elle courut jusqu'au cachot, un petit local isolé au milieu de la cour. Il y avait un autre garde qui s'éveilla et voulut se lever. Elle le renvoya au pays des songes par la grâce du pommeau de l'épée. Puis, elle le fouilla rapidement, trouva les clés et ouvrit la porte.

Royce était bien enchaîné au mur, les bras en croix supportant tout le poids de son corps. Il avait perdu beaucoup de sang. Une petite flaque sombre brillait à ses pieds. Sa tête pendait sur son torse. Elle n'était pas certaine qu'il soit encore vivant.

Elle lui souleva le visage et lui frappa doucement la joue, puis un peu plus fort et encore plus fort jusqu'à ce qu'il réagisse. Le soulagement la submer-gea quand il grogna.

— Comment? Ce fut sa seule question.

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— J'ai blessé un homme, peut-être même l'ai-je tué. Ta loi saxonne me punira-t-elle ?

Elle s'acharnait sur la serrure qui verrouillait les chaînes. Royce secouait la tête.

— Et c'est tout ce qui t'inquiète ? — Je ne sais rien de vos lois, répliqua-t-elle. Je sais

simplement que quand j'ai voulu me défendre, on m'a dit que j'avais tort. Ai-je tort, à présent, de vou-loir fuir cet endroit par tous les moyens ?

Royce se mit à rire mais la douleur transforma ce rire en une sorte de hoquet.

— Non, tu as fait bien plus que je n'en espérais. — Bien, dit-elle en ouvrant le dernier bracelet qui

le retenait. Maintenant, partons. Aussitôt libéré, il tomba à genoux. Il était faible,

très faible. Kristen arracha la moitié de sa robe pour le bander sommairement. Elle n'avait pas le temps de soigner la blessure mais il ne fallait pas qu'il perde trop de sang à cheval — s'il était capable de monter à cheval...

Il leur fallut un certain temps pour gagner les écu-ries. Kristen était forte mais pas au point de pouvoir porter un homme de la corpulence de Royce. Elle dut l'abandonner un court instant pour s'occuper du garde endormi.

Quand elle reyint, Royce gisait sur le sol. Elle eut envie de pleurer mais le gifla à nouveau pour qu'il reprenne conscience. Elle le força à se lever en le sou-tenant, le suppliant de rassembler ses dernières forces.

Après plusieurs essais pénibles, il parvint avec son aide à se hisser sur son cheval. Elle prit ses rênes et conduisit leurs deux montures à travers la cour

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déserte. La seule issue était un haut portail de bois massif barré d'une longue poutre. Il y avait une petite plate-forme à mi-hauteur, sur le côté, avec un garde en surveillance. Pour l'instant, il dormait, adossé au mur. Kristen emprunta l'échelle avec pré-caution et veilla à ce qu'il reste endormi. Puis elle s'occupa de la poutre.

Elle était lourde. Trop lourde pour qu'elle puisse la tenir à bout de bras. Elle dut la lâcher. La poutre tomba sur le sol avec un bruit semblable à un coup de tonnerre.

Kristen se retourna, s'attendant à voir surgir une légion d'hommes en armes. Elle se figea quand elle vit effectivement un homme, un serf, sortir des écu-ries. Il bâilla et les contempla d'un air indifférent. Un autre homme sortit d'un bâtiment et les observa tout aussi placidement.

Elle respira mieux en comprenant qu'ils n'avaient nullement l'intention de s'interposer, ni même de donner l'alarme. Les affaires de leur seigneur ne les concernaient pas. Une chance pour Royce et elle que lord Eldred fasse si peu de cas de ses ser-viteurs.

Kristen ouvrit le portail, attrapa la bride du cheval de Royce et sauta en selle. Ils disparurent dans la nuit.

Kristen était épuisée et morte d'inquiétude. Royce n'avait plus de forces. Elle avait refait son bandage mais cela ne servait à rien. Il avait perdu beaucoup

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trop de sang. A peine conscient, il était écroulé sur l'encolure de sa monture.

Même la vue des murs de Wyndhurst ne lui apporta pas le moindre réconfort. L'aube blan-chissait le ciel. On les avait vus approcher. La porte était ouverte et des hommes se précipitaient à leur rencontre. Un autre groupe de soldats patrouil-lant à cheval dans la forêt galopait vers eux. Bien-tôt, Royce serait soigné, mais Kristen craignait que ce ne soit trop tard. Il était aux portes de la mort.

Elle cria quand il tomba de sa selle. Bondissant à ses côtés, elle lui souleva le visage. Il gardait les yeux ouverts mais il semblait perdu.

— J'ai... dû m'endormir... Seigneur ! il ne savait même pas ce qu'il disait. Le

cœur déchiré de le voir si faible, si vulnérable, elle en oubliait de retenir ses larmes.

— Calme-toi, Royce. Calme-toi. Ils arrivent, ils vont t'aider.

Le regard de Royce fouilla le sien. — Vas-tu enfin admettre que tu tiens à moi,

Kristen ? Par le Ciel ! Comment pouvait-il songer à cela dans

un instant pareil ? Il était en train de mourir. — Kristen? — Oui, je tiens à toi. Je te le jure. — Tu m'aimes... un peu ? Elle n'hésita pas. — Oui, ça aussi. Il réussit à lever une main pour la prendre par le

cou. Il l'attira contre lui. Ses lèvres étaient brûlantes et sèches et si faibles... au début. Tout à coup, Kristen

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se rendit compte qu'il mettait trop de force dans ce simple baiser, trop de passion.

Elle se libéra et le scruta avec attention. Il souriait. — Tu n'es pas mourant ! — Non. C'est ce que tu croyais ? — Oh! Elle eut envie de le frapper. Et quand il se mit à

rire, elle lui tourna le dos.

C'était une blessure grave qui avait affaibli Royce, mais il ne resta couché que quatre jours. Et une semaine plus tard, il accomplissait à nouveau toutes ses tâches. Après une quinzaine de jours, la blessure ne lui arrachait plus qu'une grimace occasionnelle.

Il n'avait pu s'occuper d'Eldred comme il l'aurait souhaité. Ayant été informé de sa perfidie, Alfred l'avait mandé et Eldred, paniqué, s'était enfui vers le nord pour chercher refuge auprès des Danois. Son cadavre avait été renvoyé à son père.

Royce dut aussi accepter la mauvaise humeur de Kristen qui n'avait pas apprécié le petit tour qu'il lui avait joué au cours de leur fuite. Dans son état, elle aurait pu l'abandonner n'importe où. Au lieu de cela, elle l'avait ramené à bon port et pour lui, c'était, bien sûr, plus important que tout le reste. La colère de Kristen ne dura d'ailleurs pas. Elle se montra atten-tionnée et joueuse tandis qu'il recouvrait ses forces. Elle ne quitta pas son chevet, veillant à le distraire, à lui faire oublier ses maux, au point qu'il regretta de ne pas être plus gravement blessé afin de bénéfi-cier un peu plus de sa présence.

Ce fut avec le déclin de l'été que l'humeur de Kris-

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ten changea. Elle devint mélancolique. Royce ne ces-sait de l'interroger, mais elle ne voulait pas avouer ce qui la tracassait. Il l'emmenait nager, se promener à cheval. Elle souriait, elle riait avec lui, mais il voyait la tristesse dans son regard dès qu'elle croyait qu'il ne l'observait pas.

Il la soulagea de la moitié de ses tâches dans le hall. Cela ne la rendit pas plus heureuse. Il les redoubla, sans plus de résultat. Il lui proposa même de porter ses propres habits — elle refusa. En fait, elle parut plus malheureuse encore après avoir vu la belle robe de velours vert.

Royce ne savait plus à quel saint se vouer. Mais le jour où Kristen lui demanda quand il comptait se marier, il eut peur de connaître enfin la réponse à ses interrogations. Elle voulait toujours le quitter. Voilà pourquoi elle était si triste. Elle comptait les jours qui la séparaient de sa libération. Mais il n'était pas question qu'il la laisse partir. Il n'avait donc plus qu'une chose à faire.

Royce aurait été stupéfait d'apprendre la véritable raison du trouble de Kristen. C'était l'époque où elle aurait dû rentrer chez elle en compagnie de Selig et des autres. Tout au long de leur absence, ses parents avaient dû se faire un peu de souci pour elle et son frère, mais ils étaient certains de les revoir bientôt. A présent, une réelle angoisse allait les saisir. Cha-que jour, ils devaient guetter l'arrivée du navire avec une inquiétude croissante. Comment pouvait-elle savourer son bonheur ici tout en sachant ce qu'endu-raient son père et sa mère ?

Elle avait pu parler une nouvelle fois avec Selig. Elle l'avait supplié de partir, de retourner chez eux

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d'une manière ou d'une autre. Il avait refusé. Pas uni-quement parce qu'il ne pouvait la quitter mais parce qu'il était certain que Garrick le taillerait en pièces s'il rentrait sans sa sœur.

Royce tentait par tous les moyens de lui rendre sa bonne humeur. Elle ne l'en aimait que davantage. Mais il lui était impossible d'avouer les raisons de son trouble car la seule façon qu'il avait de la soula-ger était de la laisser partir. Et elle craignait qu'il n'en soit capable. Elle était maudite, d'une façon ou d'une autre. Quitter Royce maintenant la détruirait. Pourtant, elle se languissait de ses parents, et ne ces-sait de penser à eux.

Pour la première fois de tout l'été, Royce quitta Wyndhurst. Il resta absent deux jours. Personne ne sut où il était mais quand il revint, il avertit Darrelle qu'elle allait se marier. Sa pauvre cousine éclata en sanglots car il refusa de lui donner le nom de l'homme qu'il avait choisi pour elle, se contentant d'assurer qu'elle approuverait sûrement son choix.

Pour une fois, Kristen trouva que Darrelle avait raison de pleurer. Elle-même n'aurait sûrement pas supporté qu'on la traite ainsi.

Cette nuit-là, elle s'en ouvrit carrément à Royce. — Ce n'est pas juste, tu sais, de ne pas dire à ta

cousine qui tu lui as choisi pour époux. Il prit l'air moqueur. — Tu ne connais pas Darrelle. Elle sait qu'elle

peut me faire confiance. Elle est simplement impa-tiente. Le serais-tu autant qu'elle si je t'annonçais que je te réserve une surprise à toi aussi ?

— Une surprise dont tu n'as pas l'intention de me parler pour le moment ?

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Un sourire fut sa seule réponse. — Je crois que je peux attendre si tu me dis quand

tu me la révéleras. — Quand l'heure viendra. Kristen trouva le sommeil avec beaucoup plus de

facilité cette nuit-là. Royce avait, au moins, atteint un but avec ses cachotteries : il l'avait distraite de ses inquiétudes.

C'était une méchante piqûre, assez douloureuse pour réveiller Royce. De la main, il voulut chasser l'insecte. Ses doigts heurtèrent le métal froid. La pointe de la dague s'enfonça un peu plus dans son cou.

Il ne rêvait pas. Kristen était blottie contre lui. Il sentait son bras posé sur sa poitrine. De l'autre côté, la pointe de douleur était trop réelle. Dans l'obscu-rité qui régnait dans la chambre, il ne pouvait voir son assaillant. L'homme s'était glissé sans bruit près de lui et en voulait visiblement à sa vie. Nul à Wyndhurst n'aurait agi de la sorte. Royce en tira donc la conclusion qui s'imposait: les Vikings s'étaient échappés. Et s'ils avaient pu venir jusque dans sa chambre, ils avaient certainement tué tous les autres en bas.

Kristen avait juré qu'il n'y aurait pas de mas-sacre, qu'ils partiraient simplement si l'occasion leur en était offerte. Etaient-ils venus la cher-cher? Il ne les laisserait pas faire. Ils devraient

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le tuer d'abord. Il se rendit compte que cela leur serait facile.

— Peux-tu comprendre ce que je dis ? Les muscles de son torse se crispèrent. L'homme

avait chuchoté d'une façon parfaitement audible... et compréhensible. Il n'avait pas utilisé la lan-gue viking mais un dialecte celte. Gaelan ? Non, la voix n'était pas assez grave. Les Vikings ne s'étaient donc pas échappés. C'était un nouveau raid des Celtes...

— Réponds, Saxon ! — Oui, je te comprends. — Bien. La pression de la dague sur son cou se relâcha un

bref instant, juste le temps pour la lame de se poser en travers de son cou de façon à lui trancher la jugu-laire au moindre geste. Il ne pouvait esquisser le moindre mouvement. Il devait rester allongé là à attendre la suite des événements. Une telle impuis-sance le mit en rage.

— Que veux-tu ? siffla-t-il. — Du calme, Saxon. Ils sont encore en train de se

battre. Moi, je veux des réponses. Je préfère juger en connaissance de cause.

Royce fronça les sourcils. Il n'y comprenait rien. Il n'entendait rien qui ressemblait au bruit du combat. En fait, dans l'obscurité, il ne percevait que leur res-piration. La maison était calme, comme à l'ordinaire au milieu de la nuit. Tout le monde dormait. A moins qu'ils ne soient tous morts.

— Qui... La lame pesa un peu plus fort, le réduisant au

silence. Une goutte de sang perla sur son cou. Kristen

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s'étira à ses côtés. Il écarta son bras avec précaution pour ne pas la réveiller.

— Je poserai les questions, Saxon. Si tu tiens à la vie, tu me répondras avec franchise.

Cela devenait insensé. Que savait-il donc de si important pour un Celte ?

La voix de Royce s'éleva, très calme. — Je te dirai tout ce que tu veux savoir, si tu lais-

ses partir la femme. — La laisser partir ? Apparemment, le Celte était surpris. Mais cette sur-

prise n'était rien en comparaison de la stupéfaction* qu'éprouva Royce quand la voix s'éleva à nouveau.

— C'est avec ma fille que tu dors. Ton Eglise saxonne t'en a-t-elle donné le droit ?

Royce ferma les yeux. Il n'en croyait pas ses oreil-les. C'était impossible. Le père de Kristen n'était pas celte.

La voix reprit, impatiente : — Eh bien, tu n'as pas besoin de réfléchir pour

répondre à cette question, Saxon. En as-tu le droit, oui ou non ?

— Non. — Alors, ma fille te l'a-t-elle permis ? Royce eut envie de rire. Cela était trop incroyable. — Je pense que tu fais erreur. Cette fille avec qui

je dors n'est pas une Celte. La lame se fit plus pressante. — Je n'ai pas une seconde à perdre. Tu ferais

mieux de ne pas gâcher bêtement mon temps. Kris-ten est ma fille et je sais très bien qui tu es.

Le chuchotement avait disparu. La femme parlait d'une voix claire mais assourdie... Une femme !

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— Tu es sa mère... ? demanda Royce, incrédule. — Par le Ciel, pour qui me prenais-tu ? — Pas pour une femme, en tout cas... Il avait réveillé Kristen. — Royce, que se... — Du calme, ma chérie, ou cette lame que je tiens

va lui ouvrir la gorge. — Mère ? ô Seigneur ! est-ce vraiment toi ? Com-

ment... — Calme-toi, Kristen ! Elle va me saigner comme

un goret, intervint Royce précipitamment tandis qu'elle se redressait d'un bond, secouant le lit.

La coupure sur sa gorge s'élargissait. — Te saigner ? Oh ! non, mère, ne lui fais pas de

mal ! — Ne pas lui faire de mal après tout ce qu'il t'a

fait ? Ohthere nous a tout raconté. Il t'a fouettée ! La lame quitta le cou de Royce tandis que Brenna,

exaspérée, levait les bras au ciel. Royce voulut se redresser. Kristen le repoussa

d'une bourrade. Il retomba sur le dos. — C'était une erreur, dit-elle. Thorolf ne vous a

rien dit ? — Il n'en a pas eu le temps. Ton oncle Hugh l'a

assommé dès qu'il a commencé à prendre la défense du Saxon. Je crois qu'il dort encore.

— Oncle Hugh est ici aussi ? Royce saisit Kristen par le bras et se redressa. — Tu m'as menti, déclara-t-il froidement. Tu m'as

affirmé ne pas comprendre Gaelan et voilà que tu partes sa langue avec ta mère.

— Bien sûr. C'est elle qui nous l'a enseignée à tous les deux. Gaelan est mon frère.

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— Selig ? — Oui. — Alors, tu m'as menti à propos de sa mort ! — Non. Je le croyais vraiment mort. Il lui a fallu

plusieurs semaines pour guérir de ses blessures et me retrouver. Mais je ne pouvais pas te dire qui il était. Tu l'aurais enchaîné avec les autres.

Il se souvenait maintenant de son étrange compor-tement le jour où Gaelan — ou plutôt Selig — était arrivé. Il se pencha vers Kristen pour lui caresser tendrement les cheveux et frôler ses lèvres.

— Je suis désolé, dit-il simplement. — Charmant ! fit observer Brenna. Si vous en avez

fini avec votre petite scène de ménage, il y a des pro-blèmes plus importants à régler. Ton père veut la peau de ton Saxon, Kristen.

— Non! — Ce n'est pas aussi simple, répliqua Brenna. J'ai

pu me glisser jusqu'ici parce que Garrick, Hugh et ton frère n'arrêtent pas de se disputer... Pas pour savoir s'il faut le tuer mais pour décider qui aura le plaisir de s'en charger.

— Pas Selig, insista Kristen. Il sait ce que j'éprouve.

— Peut-être. Mais quand il a appris qu'il t'avait fouettée...

— Encore ! s'impatienta Kristen. Ce n'était rien du tout. Deux petits coups. Et il croyait que j'étais un garçon à ce moment-là. Dès qu'il s'est aperçu que j'étais une femme, il a arrêté.

— Tu aurais dû l'expliquer à Selig au lieu de lais-ser Ohthere le lui apprendre. Ce gros idiot n'a pas compris la moitié de ce qu'il a vu ici.

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— Je n'en ai jamais tenu rigueur à Royce. Pour-quoi s'en mêlent-ils ! Thorolf le sait. Ah ! maudits soient oncle Hugh et son sale caractère !

— Ils sont tous furieux, ma chérie. Comment en serait-il autrement... ? Ils viennent d'apprendre que tu es réduite en esclavage et forcée de partager le lit de ton maître...

— Selig ! Je le tuerai ! s'emporta Kristen. Il sait que personne ne m'a forcée ! Pourquoi ne vous a-t-il rien dit ? x

Brenna rit de la véhémence de sa fille. — Il était peut-être trop furieux pour se souvenir

d'un détail pareil. Non, calme-toi. Je plaisante. En fait, je suis heureuse d'apprendre que tu as pris ce que tu désirais. Calme-toi. Ta colère ne résoudra rien.

Royce intervint alors. — Dois-je comprendre que vous avez libéré mes

prisonniers ? — Oui, répondit Brenna. C'était le plus facile. Ta

cour n'est pas très bien gardée, Saxon. — Et la patrouille dans la forêt ? — Capturée. — Vous les avez tués ? — Oui, quelques-uns. Impossible de faire autre-

ment. Ta sentinelle à la porte aussi. L'unique raison pour laquelle nous avons préféré nous retirer hors de tes murs sans investir ta demeure, c'est que tu tenais Kristen. Tu as l'avantage tant qu'elle reste avec toi. Mais ne te fais pas d'illusions, Saxon. Nous ne partirons pas.

— Je m'appelle Royce, répliqua-t-il sèchement. — Et moi, Brenna. Et puisque nous en sommes à

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nous appeler par notre prénom, laisse-moi te dire ceci : j'aurais pu te tuer dans ton sommeil et emme-ner ma fille loin d'ici.

— Tes hommes veulent ma peau. Pourquoi m'as-tu épargné ?

— J'ai songé à te tuer. — Mère ! protesta Kristen. — C'est vrai, ma chérie. Dieu m'en est témoin, je

voulais les voir morts, lui et les siens. J'ai enfin com-pris, après toutes ces années, ce qu'avait éprouvé ton grand-père et pourquoi il avait voulu se venger con-tre mon peuple des traitements infligés à ton père. Je suis venue ici pour me venger, exactement comme Anselm quand il m'a capturée.

— Mais comment avez-vous su où nous trouver ? — La femme d'Ivarr. Tu la connais, c'est une

pleurnicheuse. Ivarr lui avait révélé leur plan.. Elle a attendu quelques semaines avant de venir voir Gar-rick et de tout lui avouer. En trouvant le monastère de Jurro en ruine, nous avons cru que les hommes avaient réussi leur raid et que vous étiez déjà de retour. Nous retournions aux bateaux...

— Aux bateaux ? intervint Royce. Il y en a plu-sieurs ?

— Trois, répondit Brenna. Si tu pensais à nous combattre, tu ferais bien d'y réfléchir à deux fois. Nous sommes venus en nombre et armés. Nous avons une centaine d'hommes.

Kristen trouva la main de Royce. — Tu ne te battrais pas contre mon père, n'est-ce

pas ? Il grommela une réponse incompréhensible. Pour

une fois, Brenna sembla tomber d'accord avec lui.

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— Il n'aura peut-être pas le choix, Kristen. — Non, il n'y aura pas de combat ! La jeune femme boTKiit hors du lit, emportant le

drap avec elle. — Mère, je... Oh ! j'en ai assez de cette obscurité !

Je veux te voir. Attends,, ne bouge pas. Elle se glissa hors de la chambre pour aller cher-

cher une torche. Royce en profita pour trouver ses vêtements ét les enfiler calmement.

— Tu as dit pourquoi tu voulais me tuer, Brenna. Pourquoi ne l'as-tu pas fait ?

— Parce que j'ai été capturée et réduite en escla-vage, moi aussi, et que j'en suis venue à aimer l'homme à qui on m'avait donnée. Garrick est mon mari. Il est venu ici non en tant que Viking mais en tant que père. Et c'est le père que tu vas affronter.

— Je pourrais te faire prisonnière maintenant, annonça-t-il en ceignant son épée. J'aurais deux ota-ges au lieu d'une.

Un rire paisible s'éleva. — A ta place, je n'essaierais pas. Il ne dit rien. Une lueur orangée éclaira le couloir.

Quelques secondes plus tard, Kristen faisait son apparition, une torche à la main, le drap noué autour d'elle.

— Oh ! mère, pose ça, la gronda Kristen en fixant sa torche dans un support mural. Il ne va pas t'attaquer.

Royce avait les yeux fixés sur une arbalète pointée droit sur son cœur. Il se mit à rire. Il avait commis l'erreur de sous-estimer cette femme. Il aurait eu une belle surprise s'il avait cherché à profiter de l'obscu-rité pour la désarmer...

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Kristen lui lança un regard noir en voyant sa main posée sur la garde de son épée. Il lui sourit en levant les deux mains devant lui en signe de reddition. Puis il contempla les retrouvailles de la mère et de la fille. Kristen se jeta dans les bras de sa mère qu'elle domi-nait pourtant d'une bonne tête.

Stupéfait, Royce secouait la tête. Comment cette femme pouvait-elle être la mère de Kristen ? Elle était si petite, si délicate... Un costume de velours noir moulait parfaitement sa mince silhouette. Ses cheveux noirs comme la nuit tombaient librement sur ses épaules, uniquement retenus par un petit lacet de cuir. Ses yeux gris contemplaient sa fille. Selig avait hérité de la chevelure et du regard de Brenna. Kristen avait les traits de sa mère, une mère qui ne semblait pas assez âgée pour avoir une telle fille. Par le Ciel ! Cette femme était d'une beauté exceptionnelle.

— Tu ne nous as pas expliqué comment vous nous avez trouvés, demandait Kristen.

— C'est Perrin. Il patrouillait dans les environs quand il a repéré cet endroit aujourd'hui. Il a vu Ohthere et les autres porter des pierres. Nous avons attendu la nuit pour agir.

— Oh ! mère, si tu savais comme je suis heureuse de te voir! J'étais si malheureuse, ces derniers temps. Je savais que vous deviez nous attendre et que, plus l'hiver approchait, plus vous deviez vous faire du souci.

— Alors, c'est pour ça que tu étais si déprimée ? s'étonna Royce.

Kristen se tourna vers lui. —- Oui. Je suis désolée de ne t'avoir rien dit, Royce,

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mais cela n'aurait servi à rien. Tu n'aurais rien pu faire.

— Je pensais... peu importe, fit-il sèchement. La prochaine fois, tu me laisseras juger moi-même si je peux changer quelque chose ou non.

— Il n'y a plus une minute à perdre, mes enfants, reprit Brenna. Je dois savoir une chose : épouseras-tu ma fille, Royce ?

— Mère! s'écria Kristen. Tu ne peux pas lui demander ça !

— Je le dois, insista Brenna. Il faut calmer ton père, à moins qu'il ne soit déjà trop tard...

— Je ne veux pas d'un mariage imposé, se cabra Kristen. Et il a une fiancée. Il ne peut pas m'épouser.

Brenna se tourna vers Royce. Il lui sourit. — Les fiançailles dont elle parle ont été rompues. — Comment ? s'écria Kristen. Mais quand ? — Je me suis absenté deux jours, tu t'en souviens ?

Eh bien, je suis allé à Raedwood parler au père de Corliss. Il n'a pas été trop déçu d'apprendre que je ne voulais plus de sa fille, quand j'ai proposé que Dar-relle épouse son fils, Wilburt.

— C'était cela, ta surprise ? — Non. La surprise, c'était que je veux t'épouser.

Mais je n'étais pas certain que tu acceptes. J'ai dû ruser pour te faire admettre que tu m'aimais et, depuis, tu ne me l'as jamais répété.

— Tu as vraiment l'intention de m'épouser, moi ? — Oui. Elle se jeta dans ses bras. — Oh ! Royce ! Ils s'effondrèrent ensemble sur le lit. Brenna inter-

rompit leur baiser.

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— Alors, tu aimes réellement ma fille ? Kristen roula sur elle-même. — Mère ! Par le Ciel ! Jusqu'à présent, il ne me l'a

jamais avoué et tu voudrais qu'il me le dise pour la première fois, contraint et forcé ? Tu crois qu'il...

— Du calme, mon cœur. Je n'ai pas le temps de m'occuper de tes blessures d'amour-propre. Ce n'est pas de ma faute s'il ne t'a encore jamais dit qu'il t'aimait. Mais je veux l'entendre de sa bouche.

Royce se plia volontiers à cette demande. — Je l'aime. — Cela ne signifie rien. On t'oblige à le dire, grom-

mela Kristen. Il lui prit le menton, la forçant gentiment à le

regarder dans les yeux. — Tu crois vraiment qu'on pourrait me forcer à

dire une chose pareille ? Je t'aime, Kristen. Derrière eux, Brenna rit. — Ton père a eu du mal à l'admettre, lui aussi. Kristen souriait. Elle n'entendit pas sa mère. Mais

Royce ne pouvait ignorer la présence de Brenna. — Et maintenant ? demanda-t-il. — Maintenant que j'ai mes réponses, je vais partir

aussi doucement que je suis arrivée. Et j'espère bien parvenir à les convaincre...

— Brenna! Royce vit les deux femmes se pétrifier au son de

cette voix de stentor qui retentissait dans la cour. Lui-même en eut la chair de poule.

— Dieu nous aide ! J'aurais dû savoir qu'il se ren-drait compte de mon absence.

— Brenna ! Réponds ! hurla à nouveau Garrick. — Ton père ? s'enquit Royce.

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— Oui. — Et il parle le celte, lui aussi ? — Je t'ai dit que... Brenna les interrompit brutalement. — Tu ferais bien de descendre, Royce. Garrick a

sûrement réveillé tes hommes. Veille à ce qu'ils ne sortent pas en armes sinon ils seront taillés en pièces.

Et sans attendre de voir s'il lui obéissait, elle se rua à la fenêtre.

— Par le Ciel, Viking, je suis ici ! Tout va bien et Kristen est avec moi. Non ! Ne rentre pas, Garrick. J'arrive !

Kristen s'était glissée à la fenêtre auprès de sa mère à l'instant où Royce avait quitté la chambre. Des torches innombrables illuminaient la cour. Elle voyait là plus d'une centaine de Vikings casqués, armés d'épées et de haches, tous visiblement prêts à en découdre. Elle pria le Ciel que Royce ait le bon sens de ne pas ordonner à ses hommes de se battre. Ils n'avaient pas une chance.

— Non! Non, Thorolf, ce n'est pas possible! Laisse-moi lui parler.

C'était le matin, mais le hall était encore calme. Des femmes pleuraient silencieusement et priaient. Les hommes aiguisaient solennellement leurs armes.

Brenna était retournée auprès de Garrick qui ne

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lui avait pas permis de revenir. Thorolf avait été envoyé à sa place pour dicter les conditions des Vikings. Ceux-ci s'étaient à nouveau retirés à l'exté-rieur des murs. Kristen était restée aux côtés de Royce pendant le reste de la nuit. Ils attendaient une attaque, un ultimatum mais certainement pas ce que Thorolf annonçait.

Elle se tenait aux côtés de Royce sur le seuil de la porte. Thorolf était arrivé sans armes aux premières lueurs de l'aube. Sa mâchoire avait doublé de volume, témoignage de l'affection que lui portait l'oncle Hugh, le Jarl, le chef des Vikings. Il s'était adressé à Kristen, lui laissant le soin de traduire ses paroles à Royce. Elle ne l'avait pas encore fait.

— Tu peux venir le voir avec moi, disait Thorolf. Mais si tu quittes cette maison, ton Saxon perd sa monnaie d'échange. Je ne pense pas que tu désires cela.

— Alors, amène-le-moi. Thorolf secoua la tête. — Il ne viendra pas. Il ne fait aucune confiance

aux Saxons. — Tu es bien venu ! — Oui, fit-il avec un sourire. Mais je sais que tu

empêcheras ton homme de me trancher la gorge. A la différence de ton père, je connais le pouvoir que tu as sur lui.

— J'ai peut-être une influence sur lui pour des problèmes mineurs, rétorqua-t-elle, mais certaine-ment pas quand la vie de ses gens est en danger.

Thorolf jeta un regard vers le seigneur saxon qui restait là, absolument impassible. Il ne semblait même pas pressé d'apprendre ce qu'ils se disaient.

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— Tu le lui dis ? demanda-t-il. Si tu veux que je m'en charge, il est possible qu'il ne comprenne pas tout.

— Thorolf, je t'en prie ! Cela ne peut pas arriver. Je les aime tous les deux. Il n'y aura aucun vainqueur pour moi !

— Je ne pense pas que cela ait été pris en ligne de compte. Seize d'entre nous ont été réduits en escla-vage, forcés de travailler pour ces Saxons. Tous ne réclament pas vengeance, loin de là. Certains d'entre nous aimeraient même vivre et s'installer dans ce pays en tant qu'hommes libres. Mais tous ceux qui ne veulent pas se venger ont des pères et des frères ici qui le veulent à leur place.

— C'est injuste ! s'écria-t-elle. C'est le risque qu'ils ont pris en venant piller ce pays !

— Ils ne voient pas les choses ainsi. — Par le Ciel ! Ma mère n'a-t-elle donc pas parlé à

mon père ? — Oh ! si ! ils ont parlé... Disons plutôt qu'ils se

sont disputés pendant des heures. C'est après leur discussion que la décision a été prise.

— Ma mère l'approuve-t-elle ? — Pas plus que toi. Mais on ne lui a pas laissé le

choix. En tant que Jarl, ton oncle commande. Il a approuvé cette solution. Et ton père a été choisi à l'unanimité. Il est le plus fort d'entre nous et on pense généralement que c'est lui qui éprouve le plus d'animosité à l'égard de ton Saxon, en raison de ce qui t'est arrivé. Maintenant, dis-le-lui, Kristen. Le temps presse.

Livide, elle se tourna vers Royce. Que Dieu lui vien-ne en aide ! Aujourd'hui, sa vie perdrait tout son sens.

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Elle parla d'une voix méconnaissable. — Vous êtes défié, milord. Ils ont choisi leur

champion et il sera le seul que vous aurez à affronter. Si vous le battez, ils partiront.

Royce lui offrit son plus beau sourire. Elle eut l'impression qu'il lui piétinait le coeur.

— Je n'aurais pu espérer mieux, Kristen. Pour-quoi fais-tu cette tête ? As-tu peur que je ne puisse gagner ?

— Cela peut arriver... — Très bien. Que se passera-t-il si je suis vaincu ? — Alden pourra toujours m'utiliser comme otage.

C'est mon oncle Hugh qui commande. Il pense que tu ne me tuerais pas, mais il n'est pas certain qu'un autre Saxon agirait comme toi. Hugh ne veut pas risquer ma vie. Ils partiront si on me rend à eux. Ton peuple sera sauf, d'une manière ou d'une autre.

— Ils n'en ont qu'après moi ? — Oui. Un Viking préfère mourir au combat plu-

tôt que d'être réduit en esclavage. Il n'y a pas d'hon-neur à être captif. Tu les as forcés à accomplir ce qui, pour eux, est la besogne la plus immonde.

— Et pourtant, ils accepteront le verdict des armes si je gagne ?

— Le combat est leur vie, Royce. Ils se battent pour le sport ou pour la plus infime insulte, peu leur importe. Des hommes meurent à nos festins pour ce qui était au départ une simple discussion. Les amis affrontent les amis... C'est le défi qui compte pour eux. Mais le vainqueur est toujours considéré comme le meilleur des hommes. Ils t'ont envoyé leur meilleur champion. Ils ne pensent pas que tu puisses

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le vaincre, mais si cela arrive, tu auras prouvé ta force et gagné leur respect.

Il la força à le regarder. — Et pourtant cela te déchire le cœur. Tu veux

que je refuse ce défi ? Elle gémit. — Tu ne peux pas. Ma mère a dû leur dire que tu

ne me feras jamais le moindre mal. Mon oncle en est persuadé. Ils attaqueront ta demeure si tu ne com-bats pas, Royce. Tu n'as pas le choix si tu veux sauver tes gens.

— Ils pourraient attaquer tout de suite et ils préfè-rent me défier... C'est équitable, Kristen. Ne te tra-casse pas. Je ne peux pas perdre.

Elle sanglota et s'enfuit vers l'escalier. Royce la suivit des yeux jusqu'à ce qu'elle ait disparu puis il se tourna vers Thorolf.

— Que lui as-tu dit pour qu'elle soit dans un tel état?

A essayer de suivre leur conversation, Thorolf en avait mal à la tête. Il avait abandonné après avoir acquis la certitude que le Saxon savait qu'il était défié. Ne comprenait-il pas pourquoi elle était aussi bouleversée ?

Thorolf haussa les épaules. — Garrick furieux contre Selig... perdre bateau...

amener Kristen... Royce continua à froncer les sourcils. Se pouvait-il

qu'elle se fasse autant de souci pour son frère ? Peut-être bien après tout, et si s'ajoutait à cela l'inquié-tude quant à l'issue du combat...

— Quand votre homme va-t-il venir ? — Tout de suite.

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— Portera-t-il une armure ? — Oui. Thorolf parti, Royce envoya un homme chercher

son armure pendant qu'il expliquait à Alden ce qui allait se passer et lui donnait des instructions au cas où il serait vaincu. Peu de temps après, il portait cas-que et cotte de mailles, et Alden aiguisait son épée quand un appel retentit dans la cour.

Royce sortit, son épée dans une main, son bouclier dans l'autre. Les Vikings avaient tous franchi l'enceinte et s'étaient alignés contre le mur, leurs boucliers et leurs épées au sol en signe de non-intervention. Voyant cela, les hommes de Royce sor-tirent à leur tour du manoir et il donna l'ordre qu'eux aussi déposent leurs armes. Il aperçut la mère de Kristen agrippée au bras d'un homme puissant, au torse comme un tonneau. Le père de Kristen ?

Royce n'eut guère le loisir de considérer cette question. Son opposant était déjà prêt, à quelques mètres à peine. Il était formidable, très grand — peut-être même un peu plus que lui — les jambes écartées, des jambes musculeuses garnies d'épaisses bandes de cuir. C'était son seul vêtement si l'on exceptait le casque conique muni d'un long protège-nez qui dissimulait la plus grande partie de son visage. Le torse était massif et noueux, sculpté de muscles solides qui roulaient sous la peau jusqu'au ventre plat. Les bras semblaient capables d'arracher un arbre et ses racines. Des bracelets d'or s'enrou-laient autour des avant-bras et se terminaient par deux têtes de serpent. Son immense bouclier était recouvert de cuir avec une pointe d'une bonne dizaine de centimètres en son centre. Et son épée à

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double tranchant était une des plus belles armes que Royce eut jamais vues. La garde était richement décorée d'argent et d'or.

Royce vit tout cela d'un seul coup d'oeil. L'homme était torse nu. Cette attitude témoignait d'un mépris qu'il ne pouvait ignorer. Il appela Alden pour l'aider à enlever sa cotte de mailles.

— Tu es devenu fou ? demanda celui-ci. — Non, il sera avantagé si je suis alourdi... Je ne

pense pas que ce combat sera vite terminé, cousin. Je ne veux pas lui donner le moindre avantage.

Un cri, comme une sorte d'encouragement, s'éleva des rangs vikings quand Royce se dévêtit. Son adver-saire attendit patiemment. Alden lui rendit épée et bouclier, et Royce marcha sur l'homme qu'il devait tuer. Soudain, il se figea en voyant les yeux couleur de mer qui le guettaient sous le casque. Il jura vio-lemment et recula. Il jura à nouveau et jeta son épée sur le sol entre eux deux.

Garrick baissa sa propre épée. — Par Thor ! Elle ne te l'avait pas dit, hein ? — Je ne peux pas me battre contre toi, gronda

Royce avec colère. Elle en mourrait ! — Est-ce la seule raison pour laquelle tu ne veux

pas combattre ? L'insulte était évidente. On le traitait de lâche.

Royce faillit se jeter sur son épée. Mais le visage décomposé de Kristen lui apparut et il serra les poings pour résister à son impulsion.

— Envoie-moi quelqu'un d'autre, n'importe qui ! dit-il, les mâchoires crispées. Envoie cet ours qui se tient près de ta femme.

— Non, mon frère n'est pas en condition d'affron-

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ter un homme de ta taille et de ton âge, même s'il ne voudrait pas l'admettre. Ce sera moi ou personne. Ma fille a-t-elle aussi négligé de te dire ce qui arrivera si tu refuses de te battre contre moi ?

— Elle me l'a dit ! — Alors, ramasse ton épée, Saxon. Tu sais que tu

n'as pas le choix. — Es-tu sûr de ne pas être, toi aussi, trop vieux,

Viking ? ricana Royce. Je m'entraîne tous les jours en vue de pulvériser tes semblables, les Danois. D'ail-leurs, à ce que je sais, tu n'es qu'un simple marchand.

— Oh ! oh ! se moqua Garrick. Voilà qui est fait ! J'ai été bel et bien défié. Tu as une seconde avant que je ne te taille en pièces, petit.

Royce plonga vers son épée, s'en empara et roula sur le sol. Ladite seconde s'était à peine écoulée que le premier coup s'abattait sur son bouclier. Un autre suivit alors qu'il n'avait pas encore pu se redresser.

Brenna avait raison. Le père de Kristen voulait sa peau. Il attaquait sans relâche, profitant de son avan-tage initial, ne laissant à Royce aucune occasion de lui répondre. Coup après coup, il le fit reculer à tra-vers la cour. Royce n'avait rencontré une telle féro-cité chez aucun des Danois qu'il avait affrontés. Mais il combattait un père enragé, pas seulement un Viking. Il était en train de payer chacune des nuits qu'il avait passées avec Kristen.

A la fenêtre de la chambre de Royce, celle-ci était figée telle une statue. Elle observait le combat. C'était une torture qu'elle devait s'infliger. Une demi-douzaine de fois déjà, elle avait cru que son cœur s'arrêtait de battre quand il semblait que Royce ne pourrait jamais lever son bouclier à temps,

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et quand la lame de Garrick tranchait le vide à quel-ques centimètres de la tête du Saxon.

Tout à coup, Royce fit un curieux pas de côté. Gar-rick, emporté par son élan, ne put s'arrêter à temps et effectua un pas en trop. Cela laissa le temps à Royce d'attaquer à son tour.

Ils se tenaient à présent face à face, tels deux tours, se rendant coup pour coup. Les lèvres de Kristen sai-gnaient tant elle les mordait pour ne pas hurler. Combien de temps pourraient-ils lutter ainsi ? Com-bien de temps avant que...

Royce dut mettre un genou à terre sous la violence d'un nouveau coup. Garrick tenta de frapper de côté, mais Royce détendit une jambe et Garrick se retrouva à terre à son tour. Royce fut plus prompt à se lever. Il avait l'ouverture et piqua. Au lieu de plon-ger son épée dans le ventre de son adversaire, il la planta dans le sol et rejeta son casque.

— C'est terminé pour moi ! cria-t-il. J'aurais pu te tuer et tu le sais !

Garrick se dressa lentement. Il plaça la pointe de son épée sur la poitrine de Royce et la tint là pendant un moment d'agonie. Puis, à son tour, il la planta dans le sol. Il se débarrassa de son casque, lui aussi. Une nuée de cheveux dorés flotta autour de lui.

— Oui, nous serions tous les deux fous de conti-nuer car je ne pourrais pas te tuer moi non plus. Mais je n'ai pas autant de remords concernant ceci.

Son poing cueillit Royce sous la mâchoire, l'expé-diant à terre une nouvelle fois. Roulant rapidement sur lui-même, il se redressa au moment où Garrick fonçait sur lui. Il lui enfonça gaillardement l'épaule

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dans le ventre. Le combat faisait toujours rage mais les poings avaient remplacé les épées.

A l'étage, Kristen pleura de soulagement. Dans la cour, Brenna se détourna pour dissimuler ses lar-mes. Les deux femmes souriaient à présent, certai-nes que leurs hommes survivraient. Les Vikings ne se souciaient guère que le combat ait pris un tour nouveau. Ils continuaient à encourager leur cham-pion tout comme les Saxons, de l'autre côté de la cour.

Quand ce fut terminé, bien longtemps après, Royce était incapable de se relever. Garrick, encore à genoux, fut acclamé tel un vainqueur avant de s'effondrer, évanoui, sur son adversaire. Un étrange silence régna alors dans la cour. La possibilité que les deux champions survivent n'avait pas été envisagée.

Kristen ne laissa à personne le temps de s'appesan-tir là-dessus. Elle courut jusqu'aux combattants inconscients et donna l'ordre de les transporter dans le hall. Comme aucun Saxon ne faisait mine de bou-ger, elle lança un regard étincelant à Alden.

— Ne me fais pas regretter de t'avoir pardonné, Saxon. Dis à tes hommes d'obéir !

Il le fit. Kristen s'empara aussitôt d'une des deux épées abandonnées par les deux combattants et se tourna vers son oncle et les autres qui approchaient. Elle fit face à Hugh, l'épée brandie.

— C'est terminé, oncle Hugh, cria-t-elle avec colère. Je vais épouser le Saxon maintenant, et mal-heur à celui qui voudra m'en empêcher. Il s'est battu pour avoir le droit de demander la paix. Donne-la-lui.

Hugh rejeta sa grosse tête en arrière et éclata d'un

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rire rugissant. Il flanqua une claque dans le dos de Brenna.

— Telle mère, telle fille ! Odin nous vienne en aide si c'est là la nouvelle race de femmes qui déferle sur nos plages !

Brenna lança un regard sévère à son beau-frère. — Tu es un âne, Hugh ! Comment aurait-elle sur-

vécu ici si je ne lui avais appris à se débrouiller toute seule ? Donne-lui la réponse qu'elle attend, Hugh.

Il sourit à sa nièce. — Oui, ton homme s'est bien battu. Il peut avoir

sa paix. — Et vous partirez tous ? — Pas avant que tu ne sois convenablement

mariée.

Royce souffrait un peu moins aujourd'hui. Après trois jours, il allait mieux mais il ne s'était jamais senti aussi mal en point. Par moments, il avait cru que tous ses os étaient brisés. En fait, certains l'étaient et Kristen lui avait solidement bandé le torse afin de maintenir ses côtes cassées.

De son lit, il savait pourtant tout ce qui se passait chez lui. A tout instant, on lui rendait visite. Ses gens pour voir comment il se portait, les amis de Kristen pour découvrir l'homme qui allait épouser leur belle fleur de Norvège.

Darrelle fut la plus assidue. La présence d'un si grand nombre de Vikings dans le hall la mettait au

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bord de l'hystérie. Alden trouvait tout cela fort réjouissant. Quant à Meghan, cette étonnante enfant, ces curieux visiteurs ne l'effrayaient pas le moins du monde. Elle était même venue lui dire, tout excitée, que l'oncle de Kristen, l'immense Hugh, lui avait pro-mis de lui faire visiter un drakkar. La façon dont la petite fille avait changé était une vraie merveille — grâce en soit rendue à Kristen. Et la barbare aussi avait beaucoup changé...

Royce se demandait parfois si le destin n'avait pas voulu corriger l'injustice qu'il lui avait infligée. Il avait perdu son premier amour au cours d'un raid viking, et c'était un autre raid viking qui lui avait envoyé Kristen. Elle avait rempli, ô combien, le vide de sa vie. Il ne pensait à Rhona que très rarement. Dans son esprit flottait toujours la vision de ce regard couleur de mer et de cette chevelure dorée — Kristen l'aimait. Après tout ce qu'il lui avait fait subir, elle l'aimait. Cela ne cesserait jamais de le stu-péfier.

Le seul qui n'était pas venu le voir était le père de Kristen. Brenna lui avait révélé, avec un petit sou-rire, que Garrick ne pouvait pas encore se lever. Cette confession avait fait le bonheur de Royce car il souhaitait ardemment que l'homme souffre autant que lui-même. Il avait l'impression que tout son corps avait été écrabouillé entre le marteau et l'enclume. Il voulait bien revoir ce terrible Viking mais pas avant le Jour du Jugement Dernier.

Il n'eut pas à attendre jusque-là. Trois jours plus tard, Kristen se précipita dans la chambre pour lui annoncer l'arrivée de son père. Royce enfouit son visage sous son oreiller qu'elle lui arracha en sou-

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riant. L'immense silhouette de Garrick Haardrad apparaissait sur le seuil.

Royce connaissait les capacités de ce superbe corps mais c'était la première fois qu'il avait la possi-bilité d'examiner l'homme.

Il avait du mal à admettre qu'il s'était fait copieu-sement rosser par un homme de près de vingt ans son aîné. Et qui plus est, un marchand ! Un homme qui aurait dû être amolli par une vie facile. Royce con-naissait sa force. Un homme de l'âge de Garrick aurait dû garder le lit pendant plus d'une semaine après la correction qu'il lui avait infligée.

Pourtant, il se tenait là, droit et fier. Seuls quel-ques signes témoignaient encore de leur affronte-ment : une lèvre gonflée, un bleu sur une joue et une étrange rougeur autour d'un œil. Royce aurait aimé voir cet œil deux jours plus tôt quand il devait être bien enflé et bien noir. Bon sang ! ce Viking récupé-rait plus vite que lui...

Garrick portait une tunique sans manches et une culotte de cuir qui lui moulait les jambes. La tenue était simple mais richement décorée. Ses vêtements étaient brodés de fils d'or, une boucle en or de la taille d'un poing fermait sa ceinture, des joyaux étin-celaient sur ses doigts et il portait aussi bracelets et médaillon en or.

Consterné, Royce découvrit que cet homme l'inti-midait non par sa richesse ou sa force, mais par son existence même. Garrick était le père de Kristen. Un mot de lui et Royce la perdait.

Les festivités du mariage avaient commencé, mal-gré l'absence des principaux intéressés. En fait, elles avaient débuté dès la fin du combat, Hugh Haardrad

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ayant déclaré qu'ils devaient faire voile vers leur patrie avant l'hiver. Ils n'avaient pas le temps d'at-tendre la guérison de Royce. Les réjouissances avaient donc été ouvertes. Pour les Vikings, cette fête se devait d'être longue et mémorable afin que Kris-ten n'oublie jamais le jour de son mariage. C'était du moins ce qu'avait proclamé Hugh.

Pour Royce, cela signifiait que le mariage avait été définitivement accepté. Et pourtant, en contemplant le père de Kristen, il comprit que ce n'était pas le cas. Il lui fallait encore obtenir le consentement de Gar-rick et, pour l'heure, celui-ci ne donnait pas l'impres-sion de vouloir le lui donner.

Mais Kristen souriait. C'était un signe encoura-geant. Apparemment, elle ne trouvait rien d'anormal dans l'attitude glaciale de son père. Royce se dit qu'il avait tort de s'inquiéter. Après tout, il ne connaissait pas Garrick.

Brenna apparut derrière son mari. Elle le força gentiment à pénétrer dans la chambre avant de faire le tour du lit pour s'asseoir aux côtés de sa fille. Elle n'arborait pas une mine franchement réjouie en exa-minant Royce d'un œil critique.

— Je comprends, Royce, dit-elle avec une franche désapprobation, que tu apprécies les bons soins de ma fille, mais il ne faut pas abuser. Si mon mari est capable de se lever, il doit en être de même pour toi. Je veux voir ma fille mariée aujourd'hui.

Les yeux d'émeraude volèrent vers le Viking pour voir s'il ne contestait pas cette dernière affirmation. Il ne le fit pas. Royce se détendit quelque peu.

Il parvint à se redresser sans grimacer. — Ne voyez là que de la courtoisie, madame. Je ne

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voulais pas forcer votre mari à sortir de son lit pour assister au mariage avant qu'il n'en soit capable.

— Royce ! s'étrangla Kristen. Brenna sourit mais son mari intervint avant

qu'elle puisse répliquer. Garrick riait aux éclats. — Tiens donc. Saxon ! Si j'avais su que c'était ton

unique excuse, je n'aurais pas laissé ma femme me dorloter si longtemps.

Ce fut au tour de Brenna de s'offusquer tandis que Kristen riait.

— Quels menteurs, ces deux-là. Qu'allons-nous faire d'eux, mère ?

— Je ne sais pas ce que tu vas faire avec le tien, rétorqua Brenna, mais si ton père ne tient pas mieux sa langue, il va se retrouver au lit !

— Nous venons de le quitter, ma chère, répliqua Garrick avec un sourire de loup. Mais si vous désirez que nous y retournions...

Kristen vit sa mère rougir. — Père, s'il te plaît... Royce ne sait pas que tu plai-

santes. Tu vas le choquer. — Si c'est le cas, fit-il, glacial, je devrais lui

demander de me pardonner de l'avoir si bien rossé. Mais on m'a affirmé que tu as partagé son lit tout l'été.

Si Royce n'avait pas été choqué jusque-là, il l'était, à présent. Kristen était écarlate et lui-même avait les joues brûlantes. La bonne humeur de Garrick avait disparu aussi vite qu'elle était arrivée. En une frac-tion de seconde, il avait retrouvé tout son sérieux. Royce savait à présent de qui Kristen tenait ses subi-tes sautes d'humeur.

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— Vous avez tenté de me tuer pour cela, lui rappela-t-il froidement. Si vous le voulez encore...

— Ne sois pas stupide, l'interrompit Garrick. Jamais je ne t'aurais tué. Je connaissais les senti-ments de notre fille à ton égard.

— Et tu n'en as rien dit à Thorolf ? s'écria Kristen. Garrick secoua la tête. — Non, Kristen, il fallait que cela se passe ainsi

pour que tout le monde soit satisfait. Il méritait cette correction.

Brenna soupira. — Ton père oublie sa propre jeunesse, ma chérie.

Mais dès qu'il s'agit de toi, il est déraisonnable... Elle se leva pour venir aux côtés de son mari tout

en continuant à s'adresser à sa fille. — Ce n'est pas tant que tu aies fait l'amour avec

lui, déclara-t-elle, mais vous n'étiez pas mariés. Cela nous chagrinait tous les deux et nous allons donc enfin régler ce problème.

Royce avait toujours besoin d'entendre cela con-firmé par le père de Kristen.

— Nous avons donc votre bénédiction ? Brenna f lanqua un coup de poing dans les côtes de

Garrick qui semblait ne pas vouloir répondre. — Oui! s'exclama-t-il. Royce s'esclaffa en voyant la mimique de douleur

de Garrick. Mal lui en prit, car il grimaça à son tour. Hilare, Garrick ne put s'empêcher de dire :

— Au moins, je n'aurai pas à faire mes preuves, ce soir.

Royce lui lança un regard noir qui le fit rire de plus belle. Sa femme le gratifia d'un nouveau coup de poing avant de reprendre la parole.

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— Ses cousins ont tout préparé. J'emmène cet ours mal léché en bas pendant que tu aides Royce à se préparer, Kristen.

Puis elle poussa Garrick hors de la chambre. Kristen ferma la porte derrière eux avant de se

tourner vers Royce, avec un sourire hésitant. — Il faut un peu de temps pour s'habituer à eux,

assura-t-elle. Il vit qu'elle faisait de son mieux pour ne pas écla-

ter de rire. Depuis que ses parents étaient apparus, elle pétillait de joie. Entourée de sa famille et de ses amis, elle ne pouvait être plus heureuse et il ne dési-rait nullement lui gâcher son plaisir en se plaignant de l'attitude de son père.

— Ils te manqueront, quand ils seront partis ? demanda-t-il.

Elle vint à lui, se coula dans le lit et l'enlaça ten-drement.

— Oui, mais père m'a promis de venir nous voir. Ce n'est pas un si long voyage, surtout en été.

— Tu crois qu'ils viendront tous les ans ? — Oh ! oui, sûrement. Il dissimula sa déception en se cachant le vi-

sage entre ses seins. Là, il oublia complètement Garrick.

Il la serra contre lui, se noyant dans son décolleté. Elle portait sa belle robe verte. Il n'avait plus jamais été fait mention de son statut précédent. Elle avait abandonné ses guenilles d'esclave aussi facilement qu'elle les avait endossées. Il avait compris alors que jamais, dans sa tête, elle ne s'était considérée comme une esclave.

Le velours vert sombre de sa robe donnait des

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reflets turquoise à ses yeux. Une vague d'amour et de tendresse le submergea.

— Ils ont attendu près d'une semaine pour ce mariage, murmura-t-il en la couvrant de mille petits baisers. Nous pouvons bien les faire attendre encore un peu ?

— Vous plaisantez, milord... A SQn tour, elle l'embrassa sensuellement. — Vous ne pensez tout de même pas à... Il l'attirait plus près encore. — Non, je n'y pense pas, sorcière. Mais tu pour-

rais me faire changer d'avis. Leurs bouches s'unirent. — Oui, milord, je le pourrais...