12
LES VOYAGEURS MODERNES DANS LA CYRÉNAÏQUE, ET LE SILPHIUM DES ANCIENS Author(s): Antonin Macé Source: Revue Archéologique, 14e Année, No. 1 (AVRIL A SEPTEMBRE 1857), pp. 227-237 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41744490 . Accessed: 22/05/2014 18:29 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue Archéologique. http://www.jstor.org This content downloaded from 91.229.248.50 on Thu, 22 May 2014 18:29:21 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

LES VOYAGEURS MODERNES DANS LA CYRÉNAÏQUE, ET LE SILPHIUM DES ANCIENS

Embed Size (px)

Citation preview

LES VOYAGEURS MODERNES DANS LA CYRÉNAÏQUE, ET LE SILPHIUM DES ANCIENSAuthor(s): Antonin MacéSource: Revue Archéologique, 14e Année, No. 1 (AVRIL A SEPTEMBRE 1857), pp. 227-237Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/41744490 .

Accessed: 22/05/2014 18:29

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

.JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range ofcontent in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new formsof scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

.

Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to RevueArchéologique.

http://www.jstor.org

This content downloaded from 91.229.248.50 on Thu, 22 May 2014 18:29:21 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

LES

VOYAGEURS MODERNES

DANS LA CYRÉNAÏQUE,

ET LE SILPHIUM DES ANCIENS.

DEUXIÈME ARTICLE (1).

III.

La disparition de cette plante , dès l'époque de Pline, qui n'a pu en donner qu'une description insuffisante, rend très-difficile la réponse à la dernière question que je me suis posée. Aussi a-t-on fait, dans les temps modernes, toute espèce d'hypothèses et de con- jectures pour déterminer quelle est la plante que les anciens dési- gnaient sous le nom de silphium . Néanmoins, tous les savants, érudits, philologues, naturalistes, qui se sont occupés de cette ques- tion, sont ďaccord sur un point, c'est qu'il n'y a rien de commun entre la plante que les anciens appelaient silphium et celle que Linné a désignée sous ce nom» Celle-ci, originaire de l'Amérique du Nord, cultivée comme plante d'ornement dans quelques jardins de nos pays , appartient à la dix -neuvième classe de Linné, à la syngénésie , à la grande famille que Jussieu et de Candolle désignent sous le nom de composées ou de synanthérées. Or la description de Théophraste et de Pline, quelque incomplète qu'elle soit, surtout les nombreuses médailles sur lesquelles le silphium est représenté, quoiqu'elles soient également insuffisantes pour nous faire con- naître l'espèce et le genre de cette plante, nous apprennent au moins ceci, c'est que le silphium était, non pas une composée, mais une ombellifère. Je ne connais qu'un seul écrivain qui ne partage pascette opinion; je veux parler de Reynier qui, au commence-

(1) Voyez le commencement de ce Mémoire, p. 143.

This content downloaded from 91.229.248.50 on Thu, 22 May 2014 18:29:21 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

228 REVOE ARCHÉOLOGIQUE. ment de ce siècle, a publié plusieurs ouvrages sur l'économie poli- tique des principaux peuples de l'antiquité. Dans son ouvrage, du reste très-remarquable et très -curieux, sur l'économie politique des Carthaginois (1), Reynier refuse d'admettre que le silphium soit une ombellifère, parce que, dit-il, au témoignage de Théophraste et de Pline, les bestiaux étaient très- avides des feuilles et des tiges du silphium , tandis qu'ils n'ont pas de goût pour les ombellifères; raison très - malheureuse assurément, puisque les ombellifères tiennent une place considérable dans toutes nos prairies , aussi bien dans celles des vallées et des plaines que dans les pâturages des hautes montagnes, et qu'elles forment, avec les graminées et les légumineuses,, la plus grande partie des foins et des fourrages. Que les bestiaux ne mangent pas, lors de leur complet développe- ment, les tiges de beaucoup d'ombellifères, les heracleum , les laser - pitium , les ferula , angelica et autres, c'est tout simple, attendu la dureté et la grosseur qu'atteignent les liges de beaucoup de ces plantes. Mais ils les mangent desséchées, et ils en mangent surtout les tiges naissantes et les feuilles, à toutes les époques de leur dé- veloppement. Aussi la Maison rustique du XIX9 siècle recom- mande-t-elle la culture de beaucoup d'ombellifères dans les prai- ries artificielles, la caronte, les chœrophyllum, le üoucage (pimpinella magna), etc. L'argument de Reynier ne supporte donc pas l'examen . Il y a plus : Reynier, après avoir déclaré que le silphium des anciens ne peut pas être une ombellifère, présume que c'est le galbanum , substance gommo-résineuse qui servait dans les cérémonies reli- gieuses des Juifs, qui a, encore aujourd'hui, divers usages médi- caux, et qui nous vient de Syrie et de Perse. Or le galbanum est exlraitdu bubon galbanum, arbrisseau qui appartient précisément à la famille des ombellifères. Reynier se trouve donc, malgré lui, sans le savoir, d'accord avec tous les écrivains qui se sont occupés de la question, et, quoi qu'il en dise, il rapporte le silphium à la grande famille des ombellifères. C'est que, en effet, les rapprochements et les comparaisons de Pline ne peuvent laisser à cet égard aucun doute; c'est que, enfin, les feuilles du silphium , représentées sur les médailles, sont évidemment des feuilles d'ombellifères

Mais quelle est cette ombellifère? Là se présentent les difficultés, les divergences et les conjectures. Un assez grand nombre des savants qui. depuis la renaissance des lettres, se sont occupés de ces questions, soit d'une manière spéciale , soit en donnant des

(1) 180?, in-8% p. 490.

This content downloaded from 91.229.248.50 on Thu, 22 May 2014 18:29:21 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

LE SILPHIUM DES ANCIENS. 229

éditions d'Aristophane, de Pline, de Théophraste, de Dioscoride et des autres écrivains anciens qui parlent du silphium , ont présumé que le suc ou la gomme, si célèbre dans l'antiquité comme condi- ment et surtout comme remède, n'est autre chose que Y assa fœtida. Telle est notamment l'opinion de Bodée dans son savant commen- taire sur Théophraste (1). Gaspard Bauhin (2) est un peu moins affirmatif. Il se contente de dire : Interpretům aliqui asam reddunt , forte voce ex laser corrupta . Heeren dit de même simplement : « On prend d'ordinaire le silphium des anciens îpour Fassa fœtida (3). » Bauhin, déjà cité, dans une autre partie de son curieux ouvrage où il traite des gommes (4), revient aussi un peu sur sa tendance à adopter l'explication des interprètes, et il distingue, au moins, comme pro- venant du laserpitium , deux espèces de gomme : l'une douce et odorante, qui est le benjoin des pharmacies; l'autre, Y assa, ou mieux, Yasa , dont le nom provient par altération du mot laser , qui est fétide, et qui est la plante désignée sous le nom ďalthit par Avicenne et les autres écrivains arabes. M. Naudet, dans les notes de son excellente traduction de Plaute ; M. Artaud, dans celles de sa traduction d'Aristophane; M. Littré, dans celles de sa traduction de Pline, ne sont pas très affirmatifs, quoique l'un parle du benjoin et les autres de Y assa fœtida à propos du silphium. L'écrivain le plus explicite à cet égard, celui que l'on nomme toujours comme une autorité pour interpréter le silphium par l'ossa fœtiia (et encore cependant ne donne-t-il cette interprétation que comme une pré- somption), est notre illustre voyageur Chardin qui, dans son inap- préciable Voyage en Perse , s'exprime ainsi (5) : « L 'assa fœtida est « un suc ou une liqueur qui s'épaissit et se durcit presque autant « que les gommes. Elle découle d'une plante qu'on appelle hiltity « et qu'on croit être le laserpitium ou le silphium de Dioscoride, qui « croît en divers endroits de la Perse, particulièrement dans la Sog- « diane et dans le pays d'alentour. Elle est bonne à manger, sur- « tout la blanche; car il y en a de deux sortes, unè blanche et une « noire. C'est la drogue de la plus forte odeur que j'aie jamais « sentie; le musc n'en approche pas. On la sent de fort loin, et, « quand il y en a dans une chambre, l'odeur y en demeure des « années entières. Les vaisseaux qui la transportent aux Indes en

(1) Ad lib. VI, c. 3. (2) HívaŠ Theatri botanici , 1. IV, sect. 6, p. 156. (3) Polit . et comm. , I, p. 331. (4) L. XII, sect. 6 , p. 499. (5) Coll. des voyages de M. Smith, t. X, p. 198.

This content downloaded from 91.229.248.50 on Thu, 22 May 2014 18:29:21 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

230 REVUK ARCHEOLOG IQ l' E . « sont si fort imbus, qu'on ne peut plus y jamais rien mettre qui « n'en soit altéré et gâté, comme je l'ai éprouvé, malheureusement, « une fois, en de riches étoffes, dont, quoiqu'elles fussent envelop- « pées de coton et de toile cirée en plusieurs doubles, l'or et l'ar- • gent en furent tout à fait ternis et noircis. » J'ai voulu citer le passage entier, parce qu'il me paraît concluant

pour réfuter l'opinion des savants qui confondent le silphium des anciens, cette denrée qui, chez eux, se vendait au poids de l'argent, que l'on conservait précieusement dans le trésor public, dont on assaisonnait les mets les plus délicats, que l'on estimait à l'égal de Plutus, c'est-à-dire de la richesse elle-même, avec cette horrible drogue que les Allemands ont appelée stercus diaboli , expression qu'on ne trouve pas exagérée, quand une fois on a eu le courage de sentir l'as«« fœtida dans une pharmacie. Voilà, sans doute, pour- quoi les savants qui, comme Bauhin, cité un peu plus haut, et Mat- tinoli (1), le célèbre commentateur de Dioscoride, ont admis l'iden- tité du silphium et de Y assa fœtida, se sont trouvés fort embarrassés par le texte même de Dioscoride, qui affirme que le silphium avait une très-agréable odeur. Ils n'ont trouvé moyen de sortir de cette difficulté qu'en admettant qu'on tirait de la même plante deux es- pèces à' assa : l'une fétide, l'autre d'une odeur agréable, distinction très-ingénieuse, sans aucun doute, mais purement imaginaire. Aussi croyons-nous que le savant Ameilhon qui, dans son curieux ouvrage sur l' Histoire de CÉgypte sous les Ptolérnées (2), a eu à parler du commerce du silphium qu'on faisait à Alexandrie, a réfuté avec raison l'assimilation établie par Bauhin, Matthioli et Chardin, entre le silphium et lVma fœtida. On peut sans doute répondre que cette drogue, employée seulement chez nous comme antispasmo- dique et excitant, en pilules et en teinture, contre l'hystérie, l'hy- pocondrie, l'asthme et les coliques nerveuses, est très-recherchée par les Orientaux pour une foule d'usages, et que Chardin, notam- ment, raconte comment les Persans, après avoir fait cuire leur pain qui n'est, en définitive, qu'une sorte de galette préparée à l'instant même, «le frottent de leur hing, qui est l'assa fœtida, qu'ils aiment extrêmement (3). » C'est là une dépravation du goût analogue à celle des Provençaux, si amoureux de l'ail, ou des matelots italiens man- geant avec tant d'appétit d'énormes oignons crus avec un morceau de pain. Que les Persans assaisonnent leurs mets avec l'orn fœtida, (1) Comment, ad Dioscoridem , 111,94. (2) 1766, in-8°, p. 210. (3) Voy. en Perse , p. 261.

This content downloaded from 91.229.248.50 on Thu, 22 May 2014 18:29:21 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

LE SILPHIUM DES ANCIENS. 231

Chardin l'affirme et nous devons l'en croire; mais que les Athé- niens et les Romains, auxquels oa ne peut refuser une certaine dé- licatesse dans les goûts, aient payé cette horrible drogue des prix exorbitants, c'est ce qu'on ne pourra jamais nous faire croire. L'asso fœtida est, sans doute, un objet de commerce assez important pour Bombay et Calcutta, où elle est apportée de la Médie, du Kerman et dû Caboul, et d'où on l'exporte en Europe avec beaucoup de pré- cautions, comme le disent Kinneir (1) et Potlinger (2), cités par Heeren (3). Mais l'Europe ne l'emploie que comme remède, et son prix, en France, même après tous ces voyages, est très-peu élevé (5 fr. 60 c. le kilogr. 1'« qualité, et 2 fr. 40 c. la 2*). Au surplus, ce ne serait pas encore le vrai silphium, puisque Pline, dans un passage analysé plus haut, nous a dit que le silphium, de la Médie, de la Syrie et du pays des Parthes, ne jouissait que d'une médiocre estime. Ajoutons, pour terminer, que l'osso fœtida n'est pas extraite d'un laserpitium, comme le dit Bauhin, mais d'une espèce du genre fe- rula; seulement, M. de Candolle qui, dans son Prodrome (4), décrit trente espèces du genre ferula, semble hésiter entre la ferula persica, originaire de Perse, comme le nom l'indique, cultivée autrefois au Jardin des Plantes de Paris, où elle avait été envoyée par Michaux, et qui produit un suc laiteux et fortement alliacé, et la ferula assa fœtida de Linné, qui croît dans le Khorassari et les provinces voi- sines de la Perse et de l'Inde. La description très-détaillée que donne M. Lemaout (5) des procédés d'extraction de l'ossa fœtida, prouve que Linné avait très-bien vu ; mais enfin il était, on le voit, resté beaucoup de doutes à cet égard jusqu'ici. Ce qui, au surplus, n'est pas douteux, quoique le proverbe dise qu'il ne faut pas disputer des goûts, c'est que jamais les Européens n'auront et n'ont pu avoir le goût assez dépravé, assez oriental, si l'on veut, comme dit M. Le- maout, pour considérer l'osso fœtida autrement que comme un re- mède, et comme un remède répugnant au goût ainsi qu'à l'o- dorat (6).

Le silphium véritable, celui surtout de la Cyrénaïque, ne peut donc pas être l'osso fœtida, puisque celle-ci est repoussante, tandis

(1) Géographie , p. 225. (2) Travels , etc,, I, p. 226. (8) I, p. 331. (4) Prodromus systematic naturalis regni vegetabilis, IV, p. 173. (5) Botanique , édit. Cuttneř, 1852, p. 238. (6) Le traducteur et commentateur du XXII® livre de Pline dans la collection

Panckouke , qui n'admet pas plus que le commentateur dH XIX* livre les lûerveil?

This content downloaded from 91.229.248.50 on Thu, 22 May 2014 18:29:21 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

232 REVUE ARCHÉOLOGIQUE .

que le silphium était estimé comme assaisonnement et même comme parfum. Ce serait à ces courageux voyageurs, que j'ai énumérés au commencement dé ce travail, qu'il aurait appartenu de nous faire connaître quelle est, parmi les ombellifères de l'ancienne Cyrénaï- que, celle qui se rapproche le plus des descriptions que les anciens nous ont laissées du silphium . Presque tous, sans doute, en ont parlé ; la plupart, toutefois, en passant, et seulement parce qu'ils le trouvaient mentionné sur des inscriptions ou figuré sur des mé- dailles, et, dès lors, trop peu en naturalistes. Cependant quelques- uns en ont parlé davantage en botanistes. Ainsi Desfontaines, qui, toutefois, ne visita pas la Cyrénaïque, crut retrouver, dans les ré- gences d'Alger et de Tunis qu'il parcourait et étudiait au milieu de difficultés et de dangers de toute nature, le silphium des anciens dans une ombellifère que Linné avait déjà connue et qu'il avait dé- signée sous le nom de thapsia garganica , nom générique emprunté à Pline, qui avait ainsi appelé une plante commune près de cette ville de Thapsus, située à l'est de Carthage, dans la Byzacène, dans la régence actuelle de Tunis, et si célèbre par la victoire de César sur les derniers représentants du parti républicain. L'opinion de Desfontaines a été adoptée par plusieurs savants et bolanistes de nos jours. Ainsi, le voyageur Della Cella, dont j'ai déjà parlé, envoya les échantillons des ¡plantes recueillies par lui dans la Cyrénaïque, à un de ses amis, le célèbre professeur Viviani, qui les publia, à Gênes, en 1824, en un magnifique volume in-folio, sous le titre de Floree Libijcœ specimen . Or, en comparant les échantillons envoyés par Della Cella avec les médailles sur lesquelles le silphium est repré- senté, Viviani crut reconnaître le silphium des anciens dans la thap- sia garganica de Linné et de Desfontaines, ou dans une espèce très- voisine qu'il proposa d'appeler thapsia silphium . Cette conclusion a également été adoptée par M. de Jussieu, dans l'article silphium du Dictionnaire d'histoire naturelle de 1827, contrairement à l'opinion de l'auteur du même article dans le Dictionnaire de 1819, qui, après beaucoup de discussions critiques entremêlées de plusieurs erreurs, en était arrivé à conclure que le silphium de Perse était tiré de la ferula assa fœtida , et celui de la Cyrénaïque de la ferula Tingitana . L'opinion de Desfontaines, de Viviani et de M. de Jussieu a aussi

leuses propriétés attribuées par Pline au silphium , ni l'assimilation du silphium et de Yassa fœtida , cite cependant ce fait curieux que, dans quelques provinces du centre de la France , les paysans emploient Yassa fœtida pour activer les forces digestives des bêtes bovinës et leur donner une nouvelle ardeur pour le travail. (Cf. T. XII, p. 302 et t. XIV, p. 181.)

This content downloaded from 91.229.248.50 on Thu, 22 May 2014 18:29:21 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

LE SILPHIÜM DES ANCIENS. 233

pour partisans le traducteur du XIXe livre de Pline dans la collection Panckouke(l), et un savant anglais établi en Algérie depuis plusieurs années, et qui a publié, en 1847, en un volume in-8°, une Flore , ou, pour parler plus exactement, un catalogue des plantes indigènes de cette partie de l'Afrique. L'auteur de cet ouvrage, M. G. Munby, indique (*2) trois espèces du genre thapsia comme indigènes en Al- gérie; la seconde est idi thapsia gargantea de Desfontaines, thapsia silphium de Viviani. De Candolle (3) est moins explicite. Au genre thapsia , et comme variété y de l'espèce garganica , il décrit, avec un point d'interrogation, la thapsia silphium de Viviani, en ajoutant qu'elle croît in Africae borealis montibus Cyrenaicis , et, sans vouloir rien prendre sur lui, il termine en disant avec une grande réserve : Ex hac clarus Viviani autumat veteres hausisse pretiosum medicamen ah Us silphium dictum . Cette réserve n'a pas été imitée par un de nos médecins les plus distingués de l'armée ďAfrique, M. Guyon, qui, en 1840, et pendant les années suivantes, a fait à l'Académie des sciences de très-nombreuses communications. Dans les Comptes rendus de cette académie pour le deuxième semestre de 1842, nous trouvons mentionnées deux communications de M. le docteur Guyon, relatives au silphium (4). Dans la première, il annonce à l'Acadé- mie qu'il a recueilli une plante que les Arabes appellent bonnefa , et qu'ils emploient comme purgatif; dans la seconde, il annonce qu'il envoie à l'Académie une racine de cette plante; dans l'une et l'autre occasion, il déclare que cette plante lui paraît être le sil - phium des anciens et la thapsia garganica de Desfontaines. Les Comp- tes rendus nous apprennent que, lors de la seconde communication de M. le docteur Guyon, l'examen de cette question fut renvoyé à M. de Mirbel ; mais je n'ai pu trouver la moindre mention du rap- port que M. de Mirbel devait faire.

Quelque graves que soient les autorités que je viens de citer, il m'est impossible d'admettre leurs conclusions. Desfontaines , MM. Munby et Guyon nous prouvent également que la thapsia gar- ganica , qu'ils prennent pour le silphium , croît spontanément en Al- gérie et dans la régence de Tunis. Or, tous les auteurs de l'antiquité affirment que le silphium était, du moins dans le nord de l'Afri- que, spécial à la Cyrénaïque. Strabon (5) le dit très-formellement.

(1) T. XII, p. 302. (2) Flore de V Algérie, p. 31. (3) Prodr., IV, p. 202. (4) Comptes rendus de 1842, p. 689 et 101 1. (5) XVII, 2.

This content downloaded from 91.229.248.50 on Thu, 22 May 2014 18:29:21 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

234 REVUE ARCHÉOLOGIQUE. Hérodote (1), bien plus positif encore, nous dit qu'on ne trouvait le silphium qu'entre ces deux limites : à l'est, la petite île de Platée, aujourd'hui Tile de Bomba, où les colons théréens s'étaient ďabord établis ayant d'aller fonder Cyrène ; à l'ouest, la grande Syrte, qui était la limite occidentale de la Cyrénaïque. C'était un fait tellement reconnu que la légende s'en était emparée pour l'expliquer d'une manière merveilleuse. Pline affirmait (2) que le silphium était né de la pluie ; Athénée ajoutait (3) que c'était Apollon, le dieu protecteur de Cyrène, qui l'avait fait sortir de terre, sept ans avant la fondation de cette ville. Énoncé simplement par les uns, environné de cir- constances merveilleuses par les autres, ce fait, du moins, est in- contestable, savoir que le silphium était, dans le nord de l'Afrique, particulier à la Cyrénaïque. Donc, le silphium ne peut pas être la thapsia garganica. Celle-ci se trouve, en effet, et très-commune, dans tout le nord de l'Afrique, dans le Maroc, l'Algérie, les régences de Tunis et de Tripoli, et, de plus, comme nous le voyons dans le précieux ouvrage du savant Suédois, M. Nyman (4), dans le royaume de Grenade en Espagne, dans les îles Baléares, en Italie, en Sicile, en Sardaigne, dans plusieurs îles grecques, et notamment dans celle de Rhodes. Si le silphium n'était que la thapsia garganica des botanistes modernes, est-il supposable que les Carthaginois, maî- tres de la plus grande partie du littoral septentrional de l'Afrique, où la thapsia garganica est si abondante, eussent eu la bonhomie de rester tributaires de Cyrène pour un produit qu'il leur aurait été si facile de se procurer par eux-mêmes?

On peut faire plusieurs autres objections très-graves, et, suivant moi, très-décisives, contre cette hypothèse, qui confondrait le sil- phium des anciens avec la thapsia garganica des botanistes mo- dernes. Pline a parfaitement connu cette dernière plante. Or, il affirme (5) que toutes les parties de la thapsia sont tellement véné- neuses, que ceux mêmes qui l'arrachent sont sujets à des enflures et à deávérésipèles qui attaquent la figure, si le moindre vent leur souffle au visage, à moins qu'ils n'aient pris la précaution de l'en- duire de cérat. Cette plante, si vénéneuse dans toutes ses parties, peut-elle être confondue avec le silphium dont les anciens considé- raient les tiges comme comestibles? Et qu'on ne nous dise pas que

(1) IV, 169. (2) XXII, 48. (3) Deipnos ., Ill, 68. (4) Sylloge Floras Europe x ; - OErohroœ, 1854 , in-4°, p. 147-. (5) XIII, 43.

This content downloaded from 91.229.248.50 on Thu, 22 May 2014 18:29:21 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

LE SILPHIIJM DES ANCIENS. 235

la plante dont parle Pline n'est pas la thapsia gargantea signalée par les botanistes modernes, surtout dans le nord de l'Afrique. C'est bien de celle-ci que le naturaliste latin a voulu parler, tout en sachant parfaitement qu'elle croissait ailleurs, puisqu'il a soin d'ajouter que la « thapsia d'Afrique est la plus énergique, » thapsia est in Africa ve - hementissima . Il nous apprend, en outre, et il s'en indigne, que ce poison était mêlé à d'autres substances, et employé, dans certains cas, par les médecins, mais toujours pour l'usage externe, en ca- taplasmes, contre les meurtrissures et Y alopécie, ou perte temporaire des cheveux ; de même qu'aujourd'hui encore, comme nous le voyons dans la Pharmacopée universelle (1), on emploie contre les rhumatismes une huile composée de vin, d'huile d'olive, de feuil- les de romarin et de racines de thapsia . Évidemment, la thapsia , dont Pline ne nous fait connaître que ces usages restreints, et le silphium , sur les merveilleuses propriétés duquel il a si longuement insisté, ne peuvent pas être la même plante. Il en est de même d'Hippocrate qui, dans son Traité sur les maladies des femmes (2), conseille aux femmes stériles, pour se disposer à la conception, de manger des concombres, de l'ail, des tiges de silphium , et d'em- ployer, à l'extérienr, du suc de silphium , avec plusieurs ingré- dients, parmi lesquels figure la thapsia . Donc, Hippocrate distinguait parfaitement la thapsia et le silphium.

Voici deux autres raisons, très-convaincantes, je crois, pour ne pas confondre la thapsia gargantea et le silphium des anciens. En premier lieu, Pline affirme (3) que le silphium était une plante sau- vage, rebelle à la culture, et fuyant vers les déserts si on essayait de la cultiver : rem feram et contumacem> et , si coleretur , in deserta fu- gientem. Hippocrate, dans le quatrième livre de son Traité général sur les maladies (4) , affirme également que, malgré de nombreux essais, on n'a jamais pu acclimater le silphium dans l'Ionie ni dans le Péloponnèse ou S uvaxòv, 7roXXâ)V y5$y) 7retpaÇo[jiév(ov, outs ev Iumv), outs Iv IleXoTcovvTQffio, (TiXcpiov <pucat. Ceci n'a rien d'étrange, et l'on sait, par exemple, que le rhododendron ferrugineum de nos montagnes, ce magnifique et odorant arbuste, le plus bel ornement de nos Alpes, n'a jamais pu s'acclimater dans nos jardins. Or, il n'en est pas ainsi de la thapsia garganica , qui réussit parfaitement par la culture, et le jardin des plantes de Grenoble en possède de très-beaux pieds,

(I) Édit. de 1828, t. II, p. 622. (2) Édit. de Francfort, 1624, p. 263 et 265. (3) XIX, 15. (4) Ibid., p. 499.

This content downloaded from 91.229.248.50 on Thu, 22 May 2014 18:29:21 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

236 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.

qui proviennent de graines envoyées d'Algérie au savant et habile jardinier en chef de cet établissement, M. Verlot (1).

Voici, enfin, un rapprochement, qui n'a pas été fait, de deux textes de Pline, et qui ne peut plus laisser de place à aucune hési- tation. Nous avons cité plus haut le passage de son dix-neuvième livre, dans lequel Pline affirme que, de son temps, et par suite de l'avidité des fermiers du domaine, le silphium avait tellement dis- paru de la Cyrénaïque, qu'on ne put en trouver qu'un seul pied qu'on envoya à Néron. Or, dans le chapitre de son treizième livre, qui nous occupe maintenant, Pline dit, en parlant de la thapsia , que l'empereur Néron, pendant les premières années de son règne, re- cevait souvent, dans ses orgies nocturnes, des contusions sur la figure, et qu'il les faisait disparaître avec des cataplasmes composés de thapsia , d'encens et de cire. Donc, la thapsia était très-commune à Tépoque de Néron, et, à la même époque, la plante qui produisait le silphium était d'une excessive rareté. Est-il possible, dès lors, d'admettre avec Desfontaines, Viviani et M. le docteur Guy on, que le silphium et la thapsia soient la même plante?

Je m'arrêterai peu à la traduction que l'on a quelquefois donnée des mots silphium , laserpitium et laser, par le mot benjoin . La résine odoriférante que nous désignons sous ce nom, et qui entre dans la composition de l'encens employé dans nos églises, découle du sty- rax orientale , arbre des îles de la Sonde, parfaitement ignoré des anciens, et qui n'est connu que depuis les grandes découvertes ma- ritimes des Portugais au XVe siècle. Les anciens, il est vrai, con- naissaient le styrax officinale , qui croissait en Syrie, dans quelques parties de l'Asie Mineure et quelques îles de la Méditerranée. Pline l'a décrit (2), et a exposé (3) les propriétés médicales de la gomme-ré- sine qui en était extraite. Mais, d'abord, cette gomme n'est pas ce que nous nommons aujourd'hui le benjoin ; en second lieu, elle ne peut être confondue avec le silphium , appartenant à la famille des ombel- lifères, tandis que les styrax sont le type de la famille des styracées (A. Richard), qui est fort éloignée des ombellifères, et qui appartient même à une autre classe. Enfin, le silphium se vendait au poids de l'argent, tandis que la résine extraite du styrax officinale, connue et employée encore aujourd'hui sous le nom de storax , ne coûtait, toujours suivant Pline, que huit deniers (6 fr. 56 c.) la livre.

(1) Catalogue des plantes cultivées au jardin botanique de la ville de Grenoble , eu 1856, par M. J. B. Verlot, p. 39. (2) Xll, 40 et 55. (3) XXIV, 15.

This content downloaded from 91.229.248.50 on Thu, 22 May 2014 18:29:21 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

LH SILPHIUM DES ANCIENS. 237

Encore bien moins est-il nécessaire de parler de cette singulière idée de quelques traducteurs qui confondraient le silphium avec l' opium . Ils ont cru, il est vrai, pouvoir s'appuyer sur le témoignage d'Isidore de Séville qui, dans le chapitre de ses Origines , où il traite des plantes aromatiques (1), dit : Laser herba nascitur in monte Osco -

bagi,ubi et Ganges fluvius oritur ; cujus succus diet us primům lasit, quoniam manatin modum lactis ; deinde , usu derivante , laser nomina- timi est . Hoc et a quibusdam opium Cyrenaïcum appella turn^ quoniam et apud Cyrenas nascitur. Les observations abonderaient sur un semblable passage. Que dire de la bizarre étymologie du mot laser ou lasit , qu'on ne trouve, sous cette forme, nulle part ailleurs? de cette singulière expression, et apud Cyrenas nascitur , quand il aurait fallu dire précisément que le silphium croissait surtout dans la Cyrénaïque? Isidore n'a, du reste, aucune autorité pour ces ques- tions; il vivait au VIIe siècle de notre ère, longtemps après la dis- parition du silphium . Remarquons, enfin, que le mot opium n'a pas, dans ce passage d'Isidore de Séville, le sens ordinaire ; il est pris dans le vrai sens étymologique, dans celui du mot h wç, d'où il dérive, c'est-à-dire de suc par excellence; et il ne peut en être au- trement. En effet, aucun des écrivains de l'antiquité n'a attribué au silphium les propriétés somnifères et enivrantes de Y opium qu'ils con- naissaient tous parfaitement, et qu'ils savaient très-bien être obtenu par suite d'incisions faites aux capsules ou têtes de pavots, comme nous le voyons dans Pline, qui décrit très-exactement le procédé (2).

Antonin Macé, Professeur à la Faculté des lettres de Grenoble.

(1) XVII, 9. (2) XX, 76.

( La suite et fin à un prochain numéro .)

This content downloaded from 91.229.248.50 on Thu, 22 May 2014 18:29:21 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions