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Les trois gunas et l’initiation Lors d’une relecture de l’Homme et son devenir selon le Vêdânta, notre attention fut arrêtée par une affirmation dont l’importance, nous l’avouons, nous avait jusque-là complètement échappé. Et pourtant, elle exprime de la façon la plus claire le but que se proposait René Guénon lorsqu’il en- treprit d’exposer les doctrines orientales au public occidental, un public au sein duquel il savait qu’existaient des individualités qui, par leur cons- titution intérieure, seraient capables de les rece- voir. Le passage qui contient cette affirmation se trouve dans l’avant-propos de l’ouvrage cité et c’est le suivant: «Nous avons expliqué ailleurs ce que nous entendons par l’élite intellectuelle, quel sera son rôle si elle parvient un jour à se constituer en Occident, et comment l’étude réelle et profonde des doctrines orientales est indispensable pour préparer sa formation. C’est en vue de ce travail dont les résul- tats ne se feront sans doute sentir qu’à longue échéance, que nous croyons devoir exposer cer- taines idées pour ceux qui sont capables de se les assimiler, sans jamais leur faire subir aucune de ces modifications et de ces simplifications qui sont le fait des “vulgarisateurs”, et qui iraient directement à l’encontre du but que nous nous proposons. En effet, ce n’est pas à la doctrine de s’abaisser et de 41

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Les trois gunas et l’initiation

Lors d’une relecture de l’Homme et son devenirselon le Vêdânta, notre attention fut arrêtée par uneaffirmation dont l’importance, nous l’avouons,nous avait jusque-là complètement échappé. Et pourtant, elle exprime de la façon la plus claire le but que se proposait René Guénon lorsqu’il en-treprit d’exposer les doctrines orientales au publicoccidental, un public au sein duquel il savaitqu’existaient des individualités qui, par leur cons-titution intérieure, seraient capables de les rece-voir. Le passage qui contient cette affirmation se trouve dans l’avant-propos de l’ouvrage cité et c’est le suivant: «Nous avons expliqué ailleurs ce que nous entendons par l’élite intellectuelle, quelsera son rôle si elle parvient un jour à se constitueren Occident, et comment l’étude réelle et profonde desdoctrines orientales est indispensable pour préparer sa formation. C’est en vue de ce travail dont les résul-tats ne se feront sans doute sentir qu’à longue échéance, que nous croyons devoir exposer cer-taines idées pour ceux qui sont capables de se les assimiler, sans jamais leur faire subir aucune de ces modifications et de ces simplifications qui sont le fait des “vulgarisateurs”, et qui iraient directement à l’encontre du but que nous nous proposons. Eneffet, ce n’est pas à la doctrine de s’abaisser et de

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se restreindre à la mesure de l’entendement borné du vulgaire; c’est à ceux qui le peuvent de s’élever à la compréhension de la doctrine dans sa puretéintégrale, et ce n’est que de cette façon que peut se former une élite intellectuelle véritable. Parmi ceux qui reçoivent un même enseignement, cha-cun le comprend et se l’assimile plus ou moinscomplètement, plus ou moins profondément, sui-vant l’étendue de ses propres possibilités intellec-tuelles; et c’est ainsi que s’opère tout naturellement la sé-lection sans laquelle il ne saurait y avoir de vraie hiérar-chie»1 [souligné par nous].

D’autres que nous ont d’ailleurs déjà remar-qué à plusieurs occasions que R. Guénon insiste à maintes reprises, et cela dès le début de son œuvreécrite, sur l’importance déterminante que revêtune préparation théorique adéquate pour ceux qui aspirent à entreprendre ensuite, avec quelqueespoir de succès, le parcours du chemin initiatique en son entier. Cependant, il faut bien dire que,compte tenu de ce qu’on peut constater au-jourd’hui y compris chez ceux qui sont parvenus àobtenir un rattachement initiatique régulier, lenombre de ceux qui s’arrêtent à un niveau plus ou moins superficiel de compréhension n’est pas né-gligeable, et cela non pas du fait de quelque incu-rable insuffisance de leurs «capacités intellectuel-les», mais plutôt parce que ces capacités demeu-rent, pour ainsi dire, «étouffées» par la prédomi-nance d’habitudes de caractère profane. C’estpourquoi nous considérons nécessaire de souli-gner que Guénon parle d’une étude «réelle et pro-fonde», ce qui signifie que l’on ne peut pas se limi-ter à une approche simplement mnémonique,

1. Cf. L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, Éditions Tradi-tionnelles, p. 11.

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comme on est généralement porté à le faire, maisqu’il faut s’efforcer de privilégier au contraire unelecture des plus réfléchies possible, qui réserveune large place à la méditation sur différents points, tout en essayant, à chaque opportunité, de s’élever de la «lettre» à l’«esprit». On reconnaîtraque, dans un tel travail, la concentration est appe-lée à jouer un rôle décisif; or, à ce propos, chacun peut constater par lui-même combien il est diffi-cile de garder son attention fixée sur un point sansque surgissent aussitôt les pensées les plus dispara-tes. Pourtant, si au lieu de céder au décourage-ment que peut engendrer une telle constatation on persévère dans la voie entreprise, on s’aperce-vra tôt ou tard que, petit à petit et suivant les dispositions de chacun, cet effort devient de moins en moins pénible. Nous n’hésiterons donc pas à af-firmer que, si d’un côté le fait d’entreprendrecette étude «réelle et profonde», avec la ténacité voulue, peut aider celui qui possède les qualifica-tions requises à aborder la connaissance théori-que, en extirpant tout ensemble l’incompréhen-sion comme la fausse compréhension, de l’autrecela contribuera aussi, tout au moins dans une cer-taine mesure, au développement de la capacité deconcentration; et l’importance de cette dernièreobservation ne pourra que sauter aux yeux à ceuxqui se souviennent que, selon René Guénon, c’estprécisément cette concentration qui représente le seul moyen qui permette de parvenir ensuite à la réalisation métaphysique elle-même2.

Pour en revenir maintenant à notre sujet, et

2. Cf. Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues,troisième partie, ch. XII, p. 237 des Éditions Trédaniel. Ilest presque inutile d’ajouter qu’une telle réalisation im-plique le rattachement préalable à une organisation au-thentique et régulière.

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considérant que s’il y a un milieu qui devrait se montrer favorable à l’exposé des diverses doctri-nes, qu’elles soient d’Orient ou d’Occident, ce mi-lieu est la Maçonnerie, précisément du fait de soncaractère universel, nous pensons qu’il pourraitêtre intéressant de réexaminer ici certains aspects de l’initiation, en prenant pour base la théoriehindoue des trois gunas, bien souvent mentionnéepar René Guénon dans son œuvre.

S’agissant de la théorie elle-même, nous nous bornerons pour le moment à rappeler très briè-vement que les gunas sont des conditions généra-les de manifestation auxquelles sont par consé-quent soumis tous les êtres, chacun suivant des proportions indéfiniment variées3. Nombreusessont les occasions où Guénon explique ce que sontces qualités constitutives des êtres, si l’on peut les appeler ainsi, et nous avons choisi de reprendre ici les termes qu’il emploie dans le chapitre V du Symbolisme de la Croix (Éditions Trédaniel, p. 39):«Les trois gunas sont: sattwa, la conformité à l’es-sence pure de l’Être (Sat), qui est identique à la lumière de la Connaissance (Jnâna), symbolisé par la luminosité des sphères célestes4 qui représen-tent les états supérieurs de l’être; rajas, l’impulsion qui provoque l’expansion de l’être dans un étatdéterminé, c’est-à-dire le développement de cellesde ses possibilités qui se situent à un certain niveaude l’Existence; enfin, tamas, l’obscurité, assimilée àl’ignorance (avidyâ), racine ténébreuse de l’être considéré dans ses états inférieurs».

Pour ce qui est de l’état humain, la prédomi-nance de l’un ou de l’autre de ces trois gunas

3. Pour l’exposé détaillé de cette théorie, voir L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, ch. IV. 4. On peut remarquer la correspondance avec ce qui, dansla Loge, représente la «Voûte étoilée».

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donne lieu à une répartition des différentes natu-res individuelles en grandes catégories, d’une fa-çon analogue, dirons-nous, à ce qui se produit pour les instruments d’un orchestre; du point devue où nous nous plaçons, cela implique que, sui-vant la «tendance» qui prédomine en eux, les in-dividus seront naturellement enclins à suivre des parcours initiatiques plus ou moins périphériques ou plus ou moins directs par rapport à la connais-sance telle qu’envisagée ci-dessus. Fondée sur unehiérarchie qui prend précisément appui dans la connaissance, la tradition hindoue distingue qua-tre catégories principales: celle du Brâhmane, oùsattwa prédomine et qui est caractérisée par l’in-tellectualité ou spiritualité; celle du Kshatriya, oùprévaut rajas et dont le trait distinctif est repré-senté par le désir et la sentimentalité5; l’influencede rajas a un poids considérable également dans lacatégorie suivante, celle du Vaishya, mais elle y estplus largement mêlée de la tendance tamas; c’est enfin précisément tamas qui domine nettement dans la catégorie du Shûdra6. Soit dit en passant, c’est uniquement cette dernière catégorie qui comprend un type humain considéré comme noninitiable, ce qui, si l’on y regarde bien, n’est passans rapports avec la question des qualificationsinitiatiques.

Cette répartition, qui résulte de l’applicationd’une loi universelle à un cas particulier, peut êtreétendue, au-delà de l’Inde, à l’humanité tout en-tière. cet égard en effet, comme le précise RenéGuénon dans Initiation et Réalisation spirituelle (Édi-

5. propos de ces deux premières catégories, voir cequ’écrit René Guénon dans Autorité spirituelle et pouvoirtemporel, Éditions Trédaniel, ch. IV, p. 49.6. Cf. Études sur l’Hindouisme, Éditions Traditionnelles, ch.VI.

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tions Traditionnelles, ch. XVIII, p. 149), «La seuledifférence notable est dans la proportion plus ou moins grande, suivant les conditions de temps et de lieu, des hommes qui appartiennent à chacunede ces catégories, et qui par conséquent, s’ils sont qualifiés pour recevoir une initiation, seront sus-ceptibles de suivre l’une ou l’autre des voies cor-respondantes; et, dans les cas les plus extrêmes, il peut arriver que quelqu’une de ces voies [jnâniqueou sacerdotale, bhaktique ou royale, karmique ou ar-tisanale] cesse pratiquement d’exister dans un mi-lieu donné, le nombre de ceux qui seraient aptes àla suivre étant devenu insuffisant pour permettre le maintien d’une forme initiatique distincte7

[l’auteur ajoute en note: “Signalons incidemmentque ceci peut obliger ceux qui sont encore quali-fiés pour cette voie à ‘se réfugier’, s’il est permis de s’exprimer ainsi, dans des organisations prati-quant d’autres formes initiatiques qui primitive-ment n’étaient pas faites pour eux, inconvénientqui peut d’ailleurs être atténué par une certaine‘adaptation’ effectuée à l’intérieur de ces organisa-tions mêmes”]. C’est ce qui est arrivé notammenten Occident, où, tout au moins depuis fort long-temps, les aptitudes à la connaissance ont été cons-tamment beaucoup plus rares et moins dévelop-pées que la tendance à l’action, ce qui revient à dire que, dans l’ensemble du monde occidental, et même dans ce qui constitue l’“élite” au moins rela-tive, rajas l’emporte de beaucoup sur sattwa». Nous reviendrons par la suite sur ce point, car nousavons pu constater, non sans quelque surprise, quecertains aujourd’hui, étant au contraire enclins à

7. Signalons que cela ne signifie nullement qu’il ne resteplus personne qui soit qualifié pour suivre une voie plusdirecte vers la connaissance, mais seulement que leurnombre se trouve sensiblement réduit.

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reculer devant l’action, vont jusqu’à justifier cetteattitude par des raisons prétendument liées à l’ordre des considérations exposées ci-dessus.

yant ainsi tout d’abord mis en évidence lelien qui existe entre la théorie hindoue des gunaset l’initiation entendue au sens général, nous pou-vons maintenant continuer à développer le sujeten nous référant aux indications données par René Guénon dans ses écrits, et en le rattachant plus spécifiquement aux formes initiatiques occi-dentales. Si l’on considère, par exemple, l’une desexpressions les plus hautes de l’ésotérisme chré-tien du Moyen ge qui soient parvenues jusqu’à nous, c’est-à-dire la Divine Comédie de Dante, le pa-rallèle entre les trois parties – correspondant aux «trois mondes» – qui constituent le plan de cetteoeuvre et les trois gunas dont nous parlons appa-raît de façon presque spontanée. De fait, commentne pas mettre en rapport les Enfers avec tamas,tendance ténébreuse regardée comme descendant aux états inférieurs? Ou les Cieux avec sattwa, ten-dance lumineuse considérée comme s’élevant versles états supérieurs? Pour ce qui est de rajas, c’est-à-dire de la tendance à l’expansion horizontaledans un état déterminé – tel que le «monde del’homme» qui comprend les deux sphères corpo-relle et psychique –, il ne peut se rapporter qu’auPurgatoire, qui est en effet décrit dans le chef-d’œuvre de Dante comme un prolongement de la Terre.

Cependant, on pourrait ici objecter que, dans la Divine Comédie, il est question d’un voyage sym-bolique que le protagoniste doit accomplir à tra-vers ces trois mondes, et que rien de cela ne res-sort de la doctrine hindoue des trois gunas, du moins telle qu’exposée jusqu’à présent. Il y a, à cepropos, dans un autre ouvrage de René Guénon,

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L’ésotérisme de Dante, un passage qui répond à cetteobjection en montrant que les phases de ce «voyage», qui est un véritable parcours initiatiquequand on l’interprète d’un point de vue rigoureu-sement ésotérique, sont en fait en parfait accordavec cette théorie: «[...] Le passage de l’un à l’au-tre de ces trois mondes peut être décrit comme ré-sultant d’un changement dans la direction géné-rale de l’être, ou d’un changement du guna qui,prédominant en lui, détermine cette direction. Il existe précisément un texte vêdique où les troisgunas sont ainsi présentés comme se convertissantl’un dans l’autre en procédant selon un ordre as-cendant: “Tout était tamas: Il (le Suprême Brahma)commanda un changement, et tamas prit la teinte(c’est-à-dire la nature) de rajas (intermédiaire en-tre l’obscurité et la luminosité); et rajas, ayant reçu de nouveau un commandement, revêtit la nature de sattwa”. Ce texte donne comme un schéma de l’organisation des trois mondes, à partir du chaosprimordial des possibilités, et conformément à l’ordre de génération et d’enchaînement des cy-cles de l’existence universelle. D’ailleurs, chaqueêtre, pour réaliser toutes ses possibilités, doit pas-ser, en ce qui le concerne particulièrement, par lesétats qui correspondent respectivement à ces diffé-rents cycles, et c’est pourquoi l’initiation, qui apour but l’accomplissement total de l’être, s’ef-fectue nécessairement par les mêmes phases: le processus initiatique reproduit rigoureusement le processus cosmogonique, selon l’analogie consti-tutive du Macrocosme et du Microcosme»8.

On pourra peut-être maintenant mieux com-prendre pourquoi, du point de vue initiatique, le

8. Cf. L’ésotérisme de Dante, Éditions Gallimard, ch. VI, pp.49-50.

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monde profane est symbolisé par les «ténèbres ex-térieures» et aussi pour quelle raison, en Maçon-nerie, il est explicitement fait mention de la «lu-mière» au cours de l’initiation. celui qui passeainsi «des ténèbres à la lumière» se dévoileront despossibilités qu’il ne pouvait pas même imaginerjusqu’alors, puisqu’elles demeuraient à l’état «chaotique et ténébreux» avant de «recevoir lalumière», et, ajouterons-nous, seront vouées à y rester en l’absence de cette dernière.

Il faut cependant observer que ce sera ensuitele travail initiatique, effectué dans ce «lieu très ré-gulier et très éclairé» qu’est la Loge, qui permettraà ces possibilités de s’ordonner et de passer gra-duellement de la puissance à l’acte. Nous n’au-rions pas insisté sur ce point, plutôt évident ensomme, s’il n’existait un certain type de mentalité qui aime à se bercer des illusions les plus fantaisis-tes, parmi lesquelles une problématique initiation effective qui s’obtiendrait sans aucun effort.

Mais, quelles que soient les expectatives, si l’onsonge à ce que nous avons dit jusque-là à proposdes gunas, on comprendra aisément qu’en défini-tive le passage dont nous parlons n’est autre que le passage de l’ignorance (avidyâ) à la connaissance (jnâna). Dès lors, redisons-le, comment peut-on ne pas s’apercevoir qu’un long et pénible chemin sé-pare l’ignorance de la connaissance? Pour éviter toute équivoque et considérant ce que certainspeuvent entendre par ignorance, nous souligne-rons qu’il ne s’agit pas de quelque défaut d’ins-truction ou de culture, puisque, à l’évidence, les personnes dites érudites ou cultivées ne manquent certes pas dans le monde profane, bien au con-traire; toutefois, du point de vue initiatique qui seul peut légitimement être invoqué ici, ces per-sonnes sont considérées, dans le meilleur des cas,

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sur le même pied que les autres. Nous faisons là al-lusion à la condition de ceux qui, ne se «connais-sant pas eux-mêmes», ne peuvent que marcher en aveugles dans les «ténèbres», sans savoir ni d’où il viennent ni où il vont; et tant qu’ils resteront an-crés dans une semblable condition, ce sera en vainqu’ils auront beau faire et refaire la chasse à uneérudition qui par ailleurs demeure en général pu-rement livresque: quand viendra le moment de re-garder la réalité en face – et nul doute que ce moment arrive un jour pour tous –, ceux-là s’aper-cevront enfin de l’inanité de leur choix, mais mal-heureusement il sera désormais trop tard!

Puisque nous en sommes arrivé à traiter plus spécifiquement de Franc-Maçonnerie, il nous semble opportun de citer maintenant un autre passage de l’œuvre de René Guénon qui souligne, explicitement cette fois, le lien qui existe entre laloi universelle exprimée par les trois gunas dans lesdoctrines hindoues d’une part, et la voie initiati-que maçonnique de l’autre. Le passage en ques-tion se situe en note d’un autre ouvrage de RenéGuénon, Symboles de la Science sacrée (Éditions Galli-mard, ch. XXXVII, p. 231, note 1): «[…] D’autrepart, il est dit que, “dans la Loge de saint Jean, on élève des temples à la vertu et on creuse des ca-chots pour le vice”; ces deux idées d’“élever” et de “creuser” se rapportent aux deux “dimensions”verticales, hauteur et profondeur, qui sont comp-tées suivant les deux moitiés d’un même axe allant “du Zénith au Nadir”, prises en sens inverse l’une de l’autre; ces deux directions opposées corres-pondent respectivement à sattwa et à tamas(l’expansion des deux “dimensions” horizontales correspondant à rajas), c’est-à-dire aux deux ten-dances de l’être vers les Cieux (le temple) et versles Enfers (le cachot), tendances qui sont ici “allé-

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gorisées”, plutôt que symbolisées à proprementparler, par les notions de “vertu” et de “vice”9 exac-tement comme dans le mythe d’Hercule que nousavons rappelé plus haut».

ne autre application de la théorie hindouedes gunas qui nous semble particulièrement inté-ressante concerne ce qu’on appelle, dans l’initia-tion maçonnique, les «épreuves initiatiques». Etmême si, à la différence du cas précédent, on netrouve pas de référence explicite à ce propos dansl’œuvre de René Guénon, pour peu qu’on y réflé-chisse la relation dont nous parlons n’en est pas moins évidente. Les «épreuves» en question sontessentiellement des rites de purification rattachésaux éléments, et se rencontrent dans une série de«voyages» symboliques qui partant de l’«épreuve de la terre» vont jusqu’à l’«épreuve du feu».Comme tout ce qui participe de la manifestation,ces éléments, entendus au sens cosmologique, por-tent l’empreinte de la prédominance en eux del’un ou de l’autre des trois gunas; c’est ainsi qu’àtamas, force descendante et compressive, corres-pond manifestement la pesanteur de la «terre»,mais aussi, bien qu’en moindre mesure, la fluidité

9. Dans ce passage René Guénon envisageait surtoutl’aspect «moral» auquel l’incompréhension de la plupart aréduit le contenu de ces deux termes, comme il noussemble pouvoir le déduire d’un de ses comptes rendusparu dans le Speculative Mason (numéro d’octobre 1939),où il rappelle le sens beaucoup plus profond que revê-taient les «vertus», en particulier cardinales, pour Platonet Plotin. Et nous pensons n’être pas trop loin de la véritési nous rapprochons ce sens profond de celui qui ressortde ce passage d’Hermès, Lib., X, 8, 9, cité par nanda K. Coomaraswamy dans son ouvrage Hindouisme et Bouddhisme(Editions Gallimard, 1949, IIe partie, ch. «La Doctrine», p. 125, note 2): «Le vice de l’âme est l’ignorance, la connais-sance est sa vertu».

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de l’«eau» qui, à l’état liquide, coule toujours versle bas; à rajas, tendance à l’expansion horizontale,on fait correspondre l’«air», qu’on peut dire carac-térisé par un mouvement essentiellement transver-sal; enfin, à sattwa, tendance lumineuse et ascen-dante, on fait correspondre le «feu», dont la prin-cipale caractéristique est précisément la luminositéet qui manifeste une tendance vers le haut, comme c’est le propre de la flamme dont, en ou-tre, la chaleur dilatante s’oppose à la condensationdes corps. Nous ne pouvons envisager d’appro-fondir cette question comme il serait opportun de le faire, mais les lecteurs intéressées pourront se référer aux chapitres correspondants des deux li-vres de l’auteur cité, Études sur l’Hindouisme et Aper-çus sur l’Initiation, ce qui se révélera peut-être aussi plus profitable à leur travail de préparation théori-que. Pour conclure ce point, nous signalerons en-core que, si les «épreuves» évoquées se situent avant l’initiation proprement dite, cela tend à in-diquer qu’elles constituent en fait une préparationà l’initiation: et si le «récipiendaire» est préala-blement soumis auxdites «épreuves», c’est parce que, en effet, il doit avant tout être purifié des «préformations» provenant du monde profane, afin de devenir apte à recevoir la vibration du FiatLux initiatique.

près ces développements complémentairesqui nous donnent des bases plus sûres, nous pou-vons maintenant reprendre notre propos sur les voies initiatiques (mârgas). Nous disions que, sui-vant le guna qui prédomine en lui, un être humainse présentera avant toute chose comme apte ou non à recevoir l’initiation. Mais même dans l’af-firmative, il faut ajouter que le parcours initiatiquequi suivra se révélera nécessairement différent se-lon chaque individu, conformément à sa propre

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constitution intérieure, de sorte que si, par exem-ple, l’un est naturellement prédisposé à la «voiedes œuvres» (Karma-mârga), il s’en trouvera parcontre un autre qui sera porté à s’engager direc-tement dans la «voie de la Connaissance» (Jnânâ-mârga), même si c’est là un cas aujourd’hui plusque jamais bien moins répandu que le premier. ce propos, il est opportun de laisser la parole à René Guénon, suivant ce passage tiré de Initiationet Réalisation spirituelle (Éditions Traditionnelles,1952, ch. XVIII, pp. 122-23): «Le rapprochement que nous faisons entre ces deux cas [celui des gu-nas et celui des voies initiatiques] est d’ailleursplus qu’une simple comparaison, et il est d’autant plus justifié qu’il y a réellement une certaine cor-rélation entre l’un et l’autre: en effet, le Jnâna-mârga est évidemment celui qui convient aux êtresde nature “sattwique”, tandis que le Bhakti-mârga et le Karma-mârga conviennent à ceux dont la nature est principalement “rajasique”, d’ailleurs avec des nuances différentes; on pourrait peut-être dire, enun certain sens, qu’il y a dans le dernier quelque chose qui est plus proche de tamas que dansl’autre, mais encore ne faudrait-il pas pousser cette considération trop loin, car il est bien clair que lesêtres de nature “tamasique” ne sont aucunement qualifiés pour suivre quelque voie initiatique quece soit.

Quoi qu’il en soit de cette dernière réserve, iln’en est pas moins vrai qu’il existe un rapport en-tre les caractères respectifs des trois mârgas et leséléments constitutifs de l’être répartis suivant leternaire “esprit, âme, corps”: la Connaissance pureest, en elle-même, d’ordre essentiellement supra-individuel, c’est-à-dire en définitive spirituel, com-me l’intellect transcendant, dont elle relève; le ca-ractère nettement psychique de Bhakti est évident,

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tandis que Karma, dans toutes ses modalités, com-porte forcément une certaine activité d’ordre cor-porel, et, quelles que soient les transpositions dont ces termes sont susceptibles, quelque chose de cette nature originelle doit toujours s’y retrouverinévitablement. Ceci confirme pleinement ce quenous disions de la correspondance avec les gunas:la voie “jnânique”, dans ces conditions ne peutévidemment convenir qu’aux êtres en lesquelsprédomine la tendance ascendante de sattwa etqui, par là même, sont prédisposés à viser direc-tement à la réalisation des états supérieurs plutôt qu’à s’attarder à un développement détaillé despossibilités individuelles; les deux autres voies, parcontre, font tout d’abord appel à des éléments proprement individuels, fût-ce pour les transformer finalement en quelque chose qui appartient à un ordre supérieur, etceci est bien conforme à la nature de rajas, qui estla tendance produisant l’expansion de l’être au ni-veau même de l’individualité, laquelle il ne fautpas l’oublier, est constituée par l’ensemble deséléments psychique et corporel. D’autre part, il ré-sulte immédiatement de là que la voie “jnânique”se réfère plus particulièrement aux “grands mystè-res”, et les voies “bhaktique” et “karmique” aux “petits mystères”; en d’autres termes, on voit en-core par là que c’est seulement par Jnâna qu’il est possible de parvenir au but final, tandis que Bhaktiet Karma ont plutôt un rôle “préparatoire”, les voies correspondantes ne conduisant que jusqu’à un certain point, mais rendant possible l’obtention de la Connaissance pour ceux dont la nature n’y serait pas apte directement et sans une telle préparation. Il est d’ailleurs bien entendu qu’il ne peut y avoir d’initiation effective, même aux premiers stades, sans une part plus ou moins grande de connais-sance réelle, alors même que, dans les moyens

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qu’elle met en oeuvre, l’“accent” est mis surtoutsur l’un ou l’autre des deux éléments “bhaktique” et “karmique”; mais ce que nous voulons dire, c’estqu’en tout cas, au delà des limites de l’état individuel, il ne peut plus y avoir qu’une seule et unique voie, qui est nécessairement celle de la Connaissance pure» [souligné par nous].

On peut déduire sans trop de difficultés de ce qui précède que, lorsque la réalisation des facultésqui appartiennent en propre à tout être humain est négligée, la réalisation de celles qui leur cor-respondent dans l’ordre supérieur en est irrémé-diablement compromise. Et si l’on se reporte à ce que nous avons cité plus haut à propos de la situa-tion présente de l’Occident, il apparaîtra avec évi-dence que le rôle qui peut être joué par une voie initiatique comme la voie maçonnique est détermi-nant pour la plupart de ceux qui sont aujourd’huiattirés par l’idée d’une participation à la connais-sance métaphysique. Car, nous le répétons, le dé-veloppement graduel et le perfectionnement cons-tant des diverses facultés individuelles, qui peuvent être synthétisées dans la raison10, est quelque cho-

10. Peut-être ne sera-t-il pas inutile de signaler ce qu’écritRené Guénon dans Autorité spirituelle et pouvoir temporel, ch.IX (Éditions Trédaniel, p. 117, note 6; Éditions Véga, p. 118, suite de la note 1): «D’autre part, pour saint ugustinégalement [...] la raison est au sommet de la partie infé-rieure de l’âme (sens, mémoire et cogitative), et l’intellectau sommet de sa partie supérieure (qui connaît les idéeséternelles qui sont les raisons immuables des choses); à la première appartient la science (des choses terrestres ettransitoires); à la seconde la Sagesse (connaissance de l’absolu et de l’immuable); la première se rapporte à la vieactive, la seconde à la vie contemplative. Cette distinctionéquivaut à celle des facultés individuelles et supra-indivi-duelles et des deux ordres de connaissance qui y corres-pondent respectivement [...]».

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se qui appartient en propre au domaine des «pe-tits mystères»; en fait, dans la voie qui conduit à la Connaissance, ils représentent une phase prélimi-naire et préparatoire indispensable – de la mêmefaçon que rajas est, en un certain sens, un stadepréparatoire à sattwa –, et cette phase comporte la pleine réalisation de l’état humain, à travers l’acquisition, non seulement théorique mais aussieffective, des connaissances concernant le «monde de l’homme». Le parcours des «petits mystères», ayant en un certain sens pour but de conduire l’initié de l’extérieur vers l’intérieur, s’achèveradès que celui-ci parviendra au centre de l’état hu-main, ce qui implique préalablement que, parmiles gunas, ce sera désormais sattwa, c’est-à-dire latendance vers le haut, qui prévaudra: et, en fait, celui qui est arrivé à s’établir au centre de la «roue des choses» se trouvera, comme l’affirme Dante àla fin du Purgatoire, «puro e disposto a salire allestelle» («pur et prêt à monter aux étoiles»; Purg.,XXXIII, 145; Éditions lbin Michel, traduction de

lexandre Masseron). Dès lors, il ne s’agira plusde faire appel aux facultés d’ordre individuel, qui ne sont pas en mesure d’affronter ce qui dépasse l’état humain, mais plutôt à une faculté d’ordre supérieur, c’est-à-dire supra-individuel, qui est l’in-tuition intellectuelle: elle seule pourra permettre d’entreprendre ce «voyage» rigoureusement intel-lectuel; et c’est précisément en vue du réveil de cette fa-culté qu’est accomplie la phase préparatoire dont nousavons parlé. En d’autres termes, on pourrait dire que la réalisation des «petits mystères» coïncideavec la pose de la dernière pierre d’un pont édifié dans le but d’atteindre un ordre de réalité qui, en son absence, demeurerait inaccessible. Peut-être verra-t-on ainsi de façon plus évidente à quel pointil est nécessaire de s’engager pleinement dans

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cette première partie de la voie initiatique.Ces dernières considérations nous ramènent

directement au cas précédemment évoqué de ceuxqui évitent volontiers l’action, peut-être après s’être persuadé qu’en affichant une semblable atti-tude ils peuvent réussir à la faire passer pour «sat-twique», et cela sans même envisager la possibilité que ce choix puisse, comme c’est bien plus vrai-semblable, provenir d’une impulsion naissante de la composante la plus obscure de leur nature, con-tre laquelle ils auraient au contraire tout intérêt à réagir. Bien que ce que nous avons dit jusqu’à pré-sent puisse suffire à faire entrevoir que ce n’est pas l’action en elle-même qui fait obstacle à la recherche de la connaissance, il nous paraît donc utiled’ajouter ici quelques précisions. Si l’on veut bien comprendre cette question, ce dont il faut tenir compte c’est de l’intention qui préside à l’action:en effet, il ne peut y avoir aucune commune me-sure entre l’action prise, pour ainsi dire, comme un fin en elle-même – et qui n’est que pure agita-tion –, et l’activité accomplie en vue de préparer un développement spirituel effectif, qui ne peutêtre atteint qu’après qu’on se soit dépouillé de tous ses défauts. En ce sens, par exemple, le travail accompli tout au moins conformément à la naturede l’être qui s’y livre peut devenir une occasion propice à la préparation dont nous avons parlé, c’est-à-dire permettre de faire passer de la «puis-sance» à l’«acte» les possibilités que comporte cet-te nature. Et c’est justement cela qui, au-delà des autres avantages qu’on peut légitimement en reti-rer – comme le bénéfice matériel –, représente lebut supérieur de cette activité. D’autre part, le fait de chercher à se parfaire, en s’efforçant d’opérercorrectement, impose la nécessité de lutter inté-rieurement contre la tyrannie des passions, et cette

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lutte ne peut être menée ni dans une attitude pas-sive ni dans le déploiement désordonné de l’ac-tion car, dans ces cas, ce seront justement ces élé-ments d’ordre inférieur qui l’emporteront. En d’autres termes, on pourrait dire que, contraire-ment à ce que certains pensent, le vrai problèmene réside pas tant dans les façons d’agir, ou de s’abstenir d’agir, que dans le fait de croire que cedont elles procèdent, c’est le «moi».

insi, contrairement au cas dont il est ici ques-tion et qui, par suite d’une confusion entre immo-bilité et immutabilité, aboutit à ce qu’on se coupesoi-même les ailes, ce n’est qu’en parcourant la«roue des choses», comme nous l’avons indiqué,qu’on arrivera à s’affranchir des liens sans cesse générés par le désir11, jusqu’au moment où l’on

11. Dante nous livre à ce propos une description d’unerare justesse dans le Convivio, IV, 12: «L’anima nostra, in-continente, che nel nuovo e mai fatto cammino di questavita entra, dirizza gli occhi al termine del suo sommobene, e però qualunque cosa vede che paia in sé avere al-cuno bene, crede che sia esso. E perché la sua conoscenzaprima è imperfetta, per non essere esperto né dottrinato,piccioli beni le paiono grandi, e però da quelli cominciaprima a desiderare. Onde vedemo li parvuli desideraremassimamente un pomo; e poi, più procedendo, deside-rare uno augellino; e poi, più oltre, desiderare bel vesti-mento; e poi lo cavallo; e poi una donna; e poi ricchezzanon grande, e poi grande e poi più. E questo incontraperché in nulla di queste cose trova quello che va cer-cando, e credelo trovare più oltre» («de même notre âme,incontinent, qu’elle est entrée dans le chemin nouveau decette vie, par où elle n’est jamais passée, adresse ses yeuxau souverain bien, et de la sorte, tout ce qu’elle voit quisemble avoir en soi quelque bien, elle cuide que ce soitlui. Et parce que sa connaissance en premier lieu est im-parfaite, n’étant guidée par expérience ni doctrine, petitsbiens lui paraissent grands, et c’est d’après eux, donc,qu’elle commence premièrement à désirer. D’où vient

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parviendra, à la limite, à se détacher de sa propreindividualité, parce qu’on aura effectivement com-pris qu’elle aussi – comme toutes les limitationsqui la définissent – fait partie du devenir. Mais il doit être clair que, tant qu’on demeurera sousl’emprise des éléments les plus inférieurs de l’être,rien de tout cela ne sera possible, étant donné quepour agir de façon totalement détachée il faut au préalable avoir atteint, par suite d’un développe-ment graduel, le plein «contrôle de soi-même». Entout cas, et pour écarter les doutes qui pourraientencore subsister, il sera opportun de reprendre un autre passage de René Guénon, également tiré del’ouvrage Initiation et Réalisation spirituelle (Éditions Traditionnelles, ch. XXVII, pp. 206-7): «Nous de-vons préciser tout d’abord que le détachement vis-à-vis de l’action, dont nous parlions à propos du “non-agir”, est avant tout une parfaite indifférenceen ce qui concerne les résultats qu’on peut en ob-tenir, puisque ces résultats, quels qu’ils soient,n’affectent plus réellement l’être qui est parvenuau centre de la “roue cosmique”. En outre, il estévident qu’un tel être n’agira jamais par besoind’agir, et que d’ailleurs, s’il doit agir pour un mo-tif quelconque, tout en ayant pleinement cons-cience que cette action n’est qu’une simple appa-rence contingente, illusoire comme telle à son

que nous voyons les petits enfants désirer très fort unepomme; et puis avançant en âge, un oiselet; et puis plustard désirer un beau vêtement; et puis un cheval; et puisune femme; et puis une richesse bornée, et puis unegrande, et puis davantage. Et ceci a lieu parce qu’en au-cune de ces choses elle ne trouve ce qu’elle va cherchant,et le croit trouver au-delà». Extrait de l’ouvrage: Dante,oeuvre complète, Editions Gallimard, Bibliothèque de laPléiade, 1979, traduction et commentaires d’ ndré Pé-zard).

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propre point de vue (nous ne disons pas, bien en-tendu, au point de vue des autres êtres qui en sonttémoins), il ne l’accomplira pas forcément d’une façon qui diffère extérieurement de celle des au-tres hommes, à moins qu’il n’y ait pour cela aussides motifs particuliers dans certains cas détermi-nés. On comprendra sans peine que c’est là quel-que chose de totalement différent de l’attitude desquiétistes et d’autres mystiques plus ou moins “ir-réguliers”, qui, prétendant traiter l’action commenégligeable (alors qu’ils sont cependant fort loind’être arrivés au point d’où elle apparaît comme purement illusoire), y trouvent surtout un prétextepour faire indistinctement n’importe quoi, suivant les impulsions de la partie instinctive ou “subcons-ciente” de leur être, ce qui risque évidemmentd’amener toute sorte d’abus, de désordres ou dedéviations, et ce qui, en tout cas, a au moins le grave danger de laisser les possibilités inférieuresse développer librement et sans contrôle, au lieude faire pour les dominer un effort qui seraitd’ailleurs incompatible avec l’extrême passivité quicaractérise les mystiques de ce genre». Mots qui semblent précisément écrits pour stimuler la ré-flexion de ceux qui, comme dans le cas évoqué, s’abandonnent à une attitude que l’on peut main-tenant qualifier sans ambages de «tendancielle-ment mystique»; attitude qui, au-delà des raisonsd’ordre profond qui peuvent concourir à la dé-terminer, révèle avant tout un grave défaut de compréhension doctrinale. Et pour appuyer ce que nous venons de dire, si besoin est encore,nous reprendrons cet autre extrait, qui se trouve à la page 210 du même ouvrage: «En effet, au pointde vue d’une réalisation complète et normale, au-cun des éléments de l’être n’est vraiment négli-geable, pas même ceux qui, appartenant à un or-

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dre inférieur, doivent être considérés par là mêmecomme n’ayant qu’une moindre réalité (mais nonpas comme n’ayant aucune réalité); il faut seule-ment savoir toujours maintenir chaque chose à la place qui lui revient dans la hiérarchie des degrésde l’existence; et cela est également vrai de l’ac-tion extérieure, qui n’est en somme que l’activité propre de certains de ces éléments».

C’est précisément en raison de considérationsd’ordre «technique» comme celles que nous avonsreprises que le «voyage» dont il est question dansla Divine Comédie doit tout d’abord suivre une di-rection descendante, qui va de la «porte des En-fers» située sous la ville de Jérusalem jusqu’au cen-tre de la Terre; cette direction sera cependant ra-dicalement modifiée dès que le point le plusbas sera atteint: c’est là en effet que se produit un véritable «redressement», point de départ de la remontée qui conduira d’abord à «riveder le stelle»et, ensuite, à gravir la montagne du Purgatoirejusqu’au Paradis terrestre au-dessus duquel se situela «porte des Cieux»; l’«ascension» se poursuivra à travers les différents «cieux» jusqu’au but suprêmequi, se trouvant au-delà du cosmos, est égalementau-delà des trois gunas, qui ne concernent, comme nous l’avons dit, que les états compris dans la ma-nifestation universelle. Dans l’initiation maçonni-que, qui préfigure d’une certaine façon le par-cours que devra suivre l’initié «virtuel» pour ren-dre effective l’initiation reçue, la «descente aux Enfers», qui présuppose évidemment la mort au monde profane, a lieu dans le «Cabinet de ré-flexion», normalement situé – si les conditions lepermettent – dans un lieu souterrain12; cette «des-

12. Lorsqu’il séjourne dans le «Cabinet de réflexion», le«récipiendaire» a la possibilité de méditer plus ou moinslongtemps sur les symboles et les inscriptions qui s’y trou-

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cente» constitue donc une étape préliminaire et nécessaire de l’initiation, mais elle n’est pas l’ini-tiation elle-même. Cette phase préparatoire se rapporte en réalité à la katharsis, «purification» in-dispensable pour que les possibilités d’ordre infé-rieur, dont nous avons parlé, participent à la «transformation» qui doit être accomplie avant de s’engager dans la réalisation des états supérieursde l’être. La véritable initiation n’aura lieuqu’après qu’aient été franchies les «épreuves» ulté-rieures correspondant aux différents «voyages»;elle est donc postérieure aussi bien à la «descenteaux Enfers» qu’à la mort au monde profane. L’initiation elle-même est une «seconde naissan-ce» qui a lieu dans le monde psychique, puisqu’el-le concerne le développement des possibilités d’or-dre subtil contenues dans l’état individuel humain; autrement dit, et pour revenir à la Divine Comédie,elle se rapporte au «monde intermédiaire» queDante symbolise par la montagne du Purgatoire. Du reste, il serait complètement absurde de pen-ser que cette «naissance» doit se produire dans le monde corporel, puisqu’il est bien évident que lefait de limiter sa conscience à ce domaine est unemarque du monde profane. Par contre, comme nous l’avons déjà montré, cette première partie du processus initiatique a pour but de préparer, à tra-vers la régénération des facultés individuelles de connaissance, le passage à un ordre supérieur,

vent; parmi celles-ci figure le mot vitriol, obtenu par acros-tiche de la phrase hermétique: Visita inferiora terrae, rectifi-cando invenies occultum lapidem; la «rectification» dont il s’agit là se réfère précisément au point d’arrêt du mouve-ment descendant dont nous parlions, et implique donc un changement «qualitatif» dans la direction suivie, exacte-ment comme dans le texte de Dante, lors du contourne-ment du corps de Lucifer.

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c’est-à-dire à l’ordre spirituel proprement dit. Ce passage implique donc une «seconde mort», quicette fois est une mort au monde psychique etcomporte la «renonciation au mental» dont Gué-non parle dans son œuvre; l’«élévation» corres-pondante sera ainsi une «troisième» naissance qui aura désormais lieu dans la sphère proprement in-tellectuelle ou spirituelle.

Nous pensons qu’après ce que nous avons ex-posé jusqu’ici, chacun pourra voir que ces consi-dérations sont strictement liées à la théorie hin-doue des trois gunas. Cependant, il ne sera pas inutile de recourir une fois encore à René Gué-non: «Le point équidistant des deux extrémités dont nous venons de parler [la ville de Jérusalem et le Paradis terrestre], c’est-à-dire le centre de la terre, est, comme nous l’avons dit, le point le plusbas, et il correspond aussi au milieu du cycle cos-mique, lorsque ce cycle est envisagé chronologi-quement, ou sous l’aspect de la succession. En ef-fet, on peut alors en diviser l’ensemble en deuxphases, l’une descendante, allant dans le sens d’une différenciation de plus en plus accentuée, et l’autre ascendante, en retour vers l’état principiel. Ces deux phases, que la doctrine hindoue com-pare à celles de la respiration, se retrouvent éga-lement dans les théories hermétiques, où elles sontappelées “coagulation” et “solution”: en vertu des lois de l’analogie, le “Grand Œuvre” reproduit enabrégé tout le cycle cosmique. On peut y voir laprédominance respective des deux tendances ad-verses, tamas et sattwa, que nous avons définies pré-cédemment: la première se manifeste dans toutesles forces de contraction et de condensation, la se-conde dans toutes les forces d’expansion et de di-latation; et nous trouvons encore, à cet égard, une correspondance avec les propriétés opposées de la

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chaleur et du froid, la première dilatant les corps, tandis que le second les contracte; c’est pourquoi le dernier cercle de l’Enfer est gelé. Lucifer sym-bolise l’“attrait inverse de la nature”, c’est-à-dire la tendance à l’individualisation, avec toutes les limi-tations qui lui sont inhérentes; son séjour est donc“il punto/al qual si traggon d’ogne parte i pesi”, ou, end’autres termes, le centre de ces forces attractives et compressives qui, dans le monde terrestre, sontreprésentées par la pesanteur; et celle-ci, qui attireles corps vers le bas (lequel est en tout lieu le cen-tre de la terre), est véritablement une manifesta-tion de tamas [...].

Le centre de la terre représente donc le pointextrême de la manifestation dans l’état d’existenceconsidéré; c’est un véritable point d’arrêt, à partir duquel se produit un changement de direction, la prépondérance passant de l’une à l’autre des deux tendances adverses. C’est pourquoi, dès que lefond des Enfers a été atteint, l’ascension ou le re-tour vers le principe commence, succédant immé-diatement à la descente; et le passage de l’un à l’autre hémisphère se fait en contournant le corps de Lucifer, d’une façon qui donne à penser que la considération de ce point central n’est pas sansavoir certains rapports avec les mystères maçonni-ques de la “Chambre du Milieu”, où il s’agit éga-lement de mort et de résurrection»13.

Il nous semble que ces dernières considéra-tions peuvent suffire à l’argumentation du sujet de la présente étude. Mais avant de conclure, nous voudrions encore insister sur le fait que les indica-tions données explicitement ou implicitement par

13. Cf. L’ésotérisme de Dante, Éditions Gallimard, ch. VIII,pp. 70-72 – Nous signalons en passant que, dans la struc-ture d’un Temple maçonnique, la «Chambre du Milieu»doit occuper une position centrale et souterraine.

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R. Guénon sur la théorie hindoue des trois gunassont nombreuses dans son œuvre; et si nous noussommes limité ici à n’en reprendre que quelques-unes tirées de ses divers ouvrages, c’est aussi afind’exhorter les lecteurs intéressés à poursuivrepour eux-mêmes cette recherche. En fait, si l’onconsidère que l’individualité humaine est en elle-même sujette à des modifications continuelles, on ne manquera pas de découvrir, à chaque relecture d’une œuvre aussi extraordinairement riche et profonde que celle dont nous parlons, des aspects que l’on n’avait jamais perçus auparavant: ces as-pects y sont évidemment bien présents, mais initia-lement le lecteur ne les appréhende pour ainsi dire que par moments; pour arriver à les saisir dans une mesure de plus en plus croissante il fau-dra donc revenir maintes fois sur cette œuvre, en considérant que le résultat sera proportionnel à la progression dans la voie de la connaissance; en ou-tre, le fait d’orienter la relecture suivant un sujetdéterminé pourra constituer une aide non négli-geable à ce propos14. Nous tenons aussi à préciser que nombreuses sont également les occurrencesque nous n’avons pu que survoler pour ne pas dé-border le cadre d’un simple article; le lecteur inté-ressé pourra cependant trouver çà et là des indica-tions susceptibles de le conduire à des développe-ments nouveaux et peut-être inattendus, comme

14. Nous faisons naturellement allusion à une lectureintelligente, c’est-à-dire une lecture qui vise à s’assimilerles notions plutôt qu’à les «emmagasiner» simplement en mémoire. Soit dit en passant, c’est là l’une des principalesraisons pour lesquelles les textes qui paraissent dans laprésente revue recourent fréquemment aux citations ex-traites de l’œuvre de René Guénon. Si l’on réfléchit à ce que nous disons dans cet article, peut-être pourra-t-onpercevoir les raisons profondes de ce choix.

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par exemple l’allusion à la formule hermétique dusolve et coagula mentionnée dans le dernier extraitcité.

Nous pensons enfin qu’à une époque aussiparticulière que la nôtre il peut être du plus grandintérêt, du moins pour quelques-uns, de réfléchir attentivement sur les paroles qu’emploie RenéGuénon dans le passage que nous avons choisi de reprendre ci-dessous en conclusion de notre arti-cle. Nous ajouterons seulement qu’elles ne fontqu’appliquer à une dimension plus vaste, c’est-à-dire à l’existence terrestre tout entière, les mêmesconceptions fondamentales que celles dont nous avons parlé à propos du processus initiatique, enparfaite conformité avec cet archétype universel que la Maçonnerie appelle symboliquement le «plan du Grand rchitecte de l’ nivers». Ce pas-sage est extrait de l’ouvrage Autorité spirituelle et Pouvoir temporel (Éditions Trédaniel, ch. IX, p. 114): «Nous disions précédemment que l’huma-nité n’a jamais été aussi éloignée du “Paradis ter-restre” qu’elle l’est actuellement; mais il ne fautpas oublier pourtant que la fin d’un cycle coïncide avec le commencement d’un autre cycle; qu’on sereporte d’ailleurs à l’ pocalypse, et l’on verra quec’est à l’extrême limite du désordre, allant jusqu’àl’apparent anéantissement du “monde extérieur”,que doit se produire l’avènement de la “Jérusalemcéleste”, qui sera, pour une nouvelle période de l’histoire de l’humanité, l’analogue de ce que fut le “Paradis terrestre” pour celle qui se terminera à ce moment même. L’identité des caractères de l’époque moderne avec ceux que les doctrines tra-ditionnelles indiquent pour la phase finale duKali-Yuga permet de penser, sans trop d’invrai-semblance, que cette éventualité pourrait bienn’être plus très lointaine; et ce serait là, assuré-

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ment, après l’obscuration présente, le complettriomphe du spirituel»15.

L.M.

15. Ici René Guénon ajoute la note suivante: «Ce seraitaussi, d’après certaines traditions d’ésotérisme occidental,se rattachant au courant auquel appartenait Dante, la véri-table réalisation du “Saint-Empire”; et, en effet, l’huma-nité aurait alors retrouvé le “Paradis terrestre”, ce quid’ailleurs impliquerait la réunion des deux pouvoirs spiri-tuel et temporel dans leur principe, celui-ci étant de nou-veau manifesté visiblement comme il l’était à l’origine».

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