111
Université de Provence. Aix-Marseille 1 UFR Civilisations et Humanités. Département d’ethnologie. Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d’aujourd’hui. Des processus complexes d’adaptations Mémoire de maîtrise présenté par Mylène Chambon Sous la direction de Jean-Luc Bonniol Septembre 2003

Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

  • Upload
    others

  • View
    16

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Université de Provence. Aix-Marseille 1 UFR Civilisations et Humanités. Département d’ethnologie.

Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d’aujourd’hui.

Des processus complexes d’adaptations

Mémoire de maîtrise présenté par Mylène Chambon Sous la direction de Jean-Luc Bonniol

Septembre 2003

Page 2: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Sommaire Introduction…………………………………………………………………...………….p 5 Méthodologie - Le cheminement du choix du sujet…………………………………………………...p 9 - Les conditions d’enquête et son déroulement………………………………………..p 10 - Difficultés du terrain …………………………………………………………………..p 12 - Particularité de cette étude……………………………………………………………p 13 - Une étude générale…………………………………………………………………….p 14 Chapitre un : Les Contextes 1. Le contexte historique…………………………………………………………………..p 16

1.1. Rappels………………………………………………………………………....p 16 1.2. La départementalisation………………………………………………………..p 17 1.3. Conséquences de la départementalisation et programme d’assimilation………p 17

2. Le contexte économique………………………………………………………………...p 18

2.1. L’économie de la départementalisation à aujourd’hui…………………………p 19

3. Les données politique…………………………………………………………………...p 20 3.1. De la départementalisation à aujourd’hui……………………………………...p 20 3.2. La Martinique dans l’Europe…………………………………………………..p 21

4. Les métropolitains dans ces différents contextes………………………………………p 22

4.1. L’arrivée historique des métropolitains………………………………………..p 22 4.2. L’intérêt économique des métropolitains sur l’île……………………………..p 23 4.3. Le métropolitain et la politique………………………………………………...p 24

Chapitre deux : Qui sont les métropolitains qui vivent en Martinique ? 1. Qui vient ?.........................................................................................................................p 26

1.1. La profession…………………………………………………………………...p 26 1.2. L’âge.…………………………………………………………………………...p 28

Page 3: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

1.3. La situation conjugale………………………………………………………….p 29 1.4. Le temps………………………………………………………………………..p 30

2. Pourquoi viennent-ils ?.....................................................................................................p 31

2.1. Une expérience…………………………………………………………………p 31 2.2. Les connaissances qui encouragent au départ………………………………….p 33 2.3. L’intérêt économique…………………………………………………………..p 34

3. Où se situent géographiquement les métropolitains sur l’île ?.......................................p 35

3.1. Trois zones géographique………………………………………………………p 35 3.2. Comment les métropolitains expliquent ces regroupements ?............................p 36 3.3. Le sentiment des martiniquais………………………………………………….p 37 3.4. Interpréter autrement ces regroupements………………………………………p 37

Chapitre trois : Première approche de l’île par les métropolitains 1. Les structures de la métropole et le premier dépaysement……………………………..p 39

1.1. Les éléments similaires à l’hexagone…………………………………………..p 39 1.2. La vision de l’île par les métropolitains………………………………………..p 40

2. Les premières adaptations à l’île………………………………………………………..p 43

2.1. Le temps………………………………………………………………………..p 43 2.2. Les rythmes…………………………………………………………………….p 47 2.3. Les conditions climatiques……………………………………………………..p 49 2.4. L’insularité……………………………………………………………………..p 50

3. Les éléments qui peuvent faciliter l’adaptation à la vie de l’île………………………..p 51

3.1. La connaissance de l’île avant l’arrivée………………………………………..p 52 3.2. La référence à des amis………………………………………………………...p 52 3.3. L’expérience antérieure….……………………………………………………..p 53

Chapitre quatre : Premiers contacts avec la population locale 1. Les moyens de rencontre entre métropolitains et martiniquais………………………..p 55

1.1. L’activité professionnelle……………………………………………………....p 55 1.2. Les activités extra-professionnelles……………………………………………p 59

Page 4: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

2. Les éléments qui se manifestent au moment de la rencontre………………….………p 63

2.1. L’interaction entre deux cultures……………………………………………....p 63 2.2. Les stéréotypes…………………………………………………………………p 64

Chapitre cinq : L’attitude des métropolitains dans ce nouveau contexte 1. La Martinique : une culture différente………………………………………………....p 69

1.1. Constatations…………………………………………………………………...p 69 1.2. Ajustement de leur comportement……………………………………………..p 73

2. Les différentes réactions des métropolitains dans ce cadre……………………………p 76

2.1. L’identité ethnique……………………………………………………………..p 76 2.2. L’acculturation…………………………………………………………………p 77 2.3. Les attitudes des métropolitains………………………………………………..p 80

Chapitre six : Etude de cas 1. Madame B .…………………………………………………………………………..…..p 84 2. Monsieur O.……………………………………………………………………………...p 86 3. Madame H .……………………………………………………………………………...p 89

Chapitre sept : La vision des martiniquais 1. Les métropolitains dans le regard des martiniquais……………………………………p 94 2. La société martiniquaise et les Autres…………………………………………………..p 97

2.1. Les caractéristiques de la société martiniquaise………………………………..p 97 2.2. L’accès à cette société………………………………………………………….p 99

Conclusion……………………………………………………………………………....p 102

Bibliographie……………………………………………………………………………p 106

Page 5: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Annexes…………………………………………………………………………...……..p 110 Annexe 1 : La Martinique en chiffres……………………………………………………..p 111 Annexe 2 : Tableau sociologique sur la population interrogée…………………………..p 114 Annexe 3 : Répartition géographique des métropolitains sur l’île……………………….p 116 Annexe 4 : Chiffres de la population martiniquaise………………………………………p 117 Annexe 5 : La représentation de l’île avant le départ…………………………………….p 118 Annexe 6 : Stéréotypes…………………………………………………………………….p 120 Annexe 7 : Tableaux sur les métropolitains interrogés………………………………...…p 126

Page 6: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Introduction

En novembre 2002, les Antilles françaises font la une des journaux. Le groupe Accord

(chaîne hôtelière) annonce, par une lettre de Gérard Pélisson (un responsable du groupe) au

président de la République, son désir de se retirer progressivement de la Martinique, et de la

Guadeloupe. Cette décision interroge l’opinion publique d’autant, que la raison qui amène le

groupe à partir est intrigante. A la raison de ce départ il est invoqué principalement, l’offre

insuffisante de liaisons aériennes, et la concurrence touristique des autres îles caribéennes.

Mais c’est, encore, un autre argument qui attire notre attention. En effet, si la société Accord

décide de quitter les Antilles françaises, c’est en partie à cause d’un climat social

« détestable »1 et d’une « attitude inamicale, voire agressive »¹ du personnel local à l’égard

de la clientèle. En conséquence, celle-ci très mécontente de son séjour et du service qu’elle a

reçu, n’hésite pas à faire mauvaise presse au groupe installé dans les départements d’outre-

mer. Par conséquent, le groupe souffre du manque de touristes à destination des DOM.

Ces arguments nous amènent à constater que le retrait du groupe hôtelier Accord, des Antilles

françaises, est du à des raisons économiques mais aussi culturelles. Ce constat conduit à

s’interroger à différents niveaux. Est-ce que ce comportement « inamical » du personnel de

ces hôtels, est généralisable à l’ensemble de la population des îles, et dans quel but est-il

produit ? Est-ce un refus d’ouverture imposé seulement aux touristes, ou à toutes populations

extérieures ? C'est-à-dire en sortant du cadre des vacances, est-ce que les individus qui

souhaitent s’installer dans ces îles rencontrent des problèmes avec la population locale, et par

conséquent des problèmes d’adaptation ?

Nous prendrons la société martiniquaise comme objet d’étude, en analysant plus

spécifiquement la relation des martiniquais et des métropolitains et nous essayerons de

décrypter les modalités d’adaptation des métropolitains, à la vie martiniquaise.

Il nous paraît nécessaire de définir certains termes de ce sujet, pour en comprendre toute la

signification.

Page 7: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

1- Métropolitain.

Qui désigne-t-on lorsque nous employons le terme : métropolitain, et qui utilise cette

appellation ? Les martiniquais se servent de ce vocable pour parler de certaines personnes.

Ce terme est donc utilisé pour nommer un individu ou un groupe d’individus particulier.

L’emploi de cet appellatif fait référence à trois éléments qui se conjuguent.

- il précise le lieu géographique d’où est originaire la personne. Par métropolitain, les

martiniquais désigne une personne qui arrive de la métropole française, centre politique,

économique, ainsi que pays de rattachement par assimilation, éloignée de la Martinique par

environ 7 000 Km.

- l’emploi de ce terme sous entend que la personne possède certaines caractéristiques

physiques. Pour les martiniquais, toutes personnes qui viennent de la métropole, sont des

personnes de type européen, c’est-à-dire à la peau blanche et aux traits du visage plus fins que

les gens de couleur.

- Le mot métropolitain souligne le rapport spécifique qu’entretiennent ces deux populations.

Métropolitains et martiniquais sont français, concitoyens, soumis aux mêmes lois, or la

population martiniquaise en se servant d’un mot singulier pour désigner un autre français,

veut marquer sa différence avec ces personnes.

Le mot métropolitain souligne : que la personne n’est pas originaire de l’île mais de la

métropole, qu’elle est blanche aux traits fins, et issue d’une autre culture. Ces trois éléments

mettent en exergue la différence entre les martiniquais et les Autres (les métropolitains).

Les martiniquais se représentent les français venant de métropole selon la définition énoncée

ci-dessus. Tout au long de notre étude, nous nous référons à cette représentation. Les

originaires des départements d’outre-mer, ayant vécu en métropole et qui rentrent dans leur

département d’origine ne sont pas inclus dans cette définition du métropolitain donnée par les

locaux. Par conséquent, leur situation ne sera pas traitée dans cette recherche.

2-Adaptation.

Nous employons à diverses reprises dans ce document, le terme : adaptation.

L’adaptation : est la faculté d’ajuster son comportement à une nouvelle situation. Ce vocable

sous entend l’idée d’une notion biologique, comme l’adaptation physique à un

environnement. Cet aspect est abordé dans notre travail, cependant il n’en est pas l’élément

1 Propos extraits de la lettre de Gérard Pélisson (coprésident du conseil de surveillance du groupe hôtelier ) au président de la République, cité par le quotidien Le Monde daté du 12/11/2002, qui ont été eux-mêmes repris du journal Le Parisien, qui a publié cette lettre le 9/11/2002 .

Page 8: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

principal. Notre recherche donne la priorité à : ajuster son comportement à une nouvelle

situation. Le choix de ce terme, a été pris pour plusieurs raisons. Nous voulons étudier les

processus de changements comportementaux, les réactions et les attitudes du métropolitain

qu’induit son installation dans un nouveau cadre de vie. Ce nouveau cadre de vie se

singularise par un changement géographique de résidence, un changement relationnel, et la

rencontre d’une nouvelle population et culture avec lesquelles, les rapports sont envisagés

autrement qu’en France. Ce terme semble le plus à même correspondre au processus que

nous voulons étudier. L’adaptation sous entend l’idée d’un changement conscient (aussi

infime soit-il) de la personne pour s’ajuster au nouvel environnement dans lequel elle se

trouve. L’idée d’adaptation montre que le changement accompli par l’individu n’est pas

complet. Il agit comme un réajustement de comportement par rapport à une situation

particulière, mais l’acquis antérieur n’est pas, pour autant oublié. C’est pour cela que nous

avons choisit d’utiliser ce terme au lieu de l’un de ces synonymes comme l’assimilation qui

suppose la conversion complète à la culture de l’Autre, autrement dit devenir cet Autre. Nous

allons voir au court de cette étude pourquoi nous n’avons pas choisit le terme d’intégration, et

dans quel rapport entre martiniquais et métropolitains, il pourrait être employé.

Cette recherche s’adosse sur le fait de la présence des métropolitains en Martinique. Ces

personnes extérieures à l’île, originaires d’un lieu géographique et climatique différent, sont

de même citoyenneté que les martiniquais, soumis aux mêmes lois républicaines et dépendent

de la même nation: la France. A cause des différences sociétales et culturelles de la

Martinique, les métropolitains dès leur arrivée se sentent étrangers aux martiniquais et ceux-ci

les perçoivent comme tel. « Cette extériorité » est renforcée par leur couleur de peau (élément

visible aux yeux de tous), et par leur incompréhension de la langue locale, le créole.

Seule leur nationalité leur est commune, nous constatons que de nombreuses différences

existent entre martiniquais et métropolitains. Nous supposons que les métropolitains, dès leur

arrivée, rencontrent des problèmes d’adaptation à cette culture, pour le moins divergente de ce

qu’ils connaissent. Nous allons étudier les processus d’adaptation qu’ils mettent en place afin

de pouvoir s’installer et vivre sur l’île. Nous procéderons à une description de cette

population non originaire, puis nous essaierons de mettre en exergue, leurs réactions

spécifiques lors de situations inconnues. Notamment, la certitude qu’ils ont en arrivant sur

l’île d’être chez eux puisqu’en apparence la vie en Martinique est identique à celle de la

métropole. Les structures institutionnelles, et la langue officielle, le français, l’attestent. Or,

cette illusion est bien vite gommée dès les premiers contacts avec la population. Le mode de

Page 9: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

vie est différent de la métropole, et surtout qu’ils sont considérés en Martinique comme

étrangers.

Nos objectifs sont : connaître cette population métropolitaine, (nous dresserons pour cela un

tableau de ses caractéristiques sociologiques). Etablir et analyser l’ensemble des problèmes et

des conflits rencontrés par ce groupe pendant son temps d’adaptation. Mettre en relief les

traits particuliers de la culture martiniquaise. Enfin nous nous interrogerons sur le

fonctionnement général de cette société dans sa relation à l’autre (qui vient de l’extérieur).

Comment gère-t-elle « l’intrusion de cet étranger » ?

Au travers de ces objectifs, nous tenterons de vérifier nos hypothèses. A l’entame de cette

recherche, nous supposons que les métropolitains rencontrent des problèmes d’adaptation en

arrivant en Martinique. C’est parce qu’ils n’arrivent pas à les dépasser qu’ils se regroupent

entre eux. Ce qui donne à voir sur l’île deux groupes ethniques vivre l’un à côté de l’autre

sans jamais se mêler, sinon par un mélange artificiel dans les espaces publics.

Cette étude comporte sept chapitres. Le premier retrace succinctement l’histoire de

l’île, afin de connaître le cadre sociétale qui accueille les métropolitains. Par la suite nous

tentons d’établir un profil type de cette population afin de mieux pouvoir la définir. Lors du

troisième chapitre, nous abordons le processus d’adaptation que met en place cette population

du fait des pratiques culturelles et sociétales en vigueur sur l’île. Puis nous mettrons en

évidence les moyens, les modes de rencontre qui existent entre martiniquais et

métropolitains. Quelles en sont les difficultés, quelles adaptations modifieront le

comportement de cette population. A partir de ces différents constats, nous essayons de voir à

quels processus d’acculturation, les métropolitains sont soumis en Martinique et comment

cela se traduit dans leurs attitudes au quotidien. Dans le chapitre six, nous étudions trois

situations qui démontrent concrètement les processus d’acculturation et les attitudes décrites

dans le cinquième chapitre. Dans le chapitre sept, nous cherchons à décrire les caractéristiques

de la société martiniquaise qui peuvent nous aider à comprendre de quelle façon elle gère

l’installation de cette nouvelle population sur l’île, et quelles en sont les conséquences pour

elle.

Page 10: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Méthodologie

Le cheminement du choix du sujet :

Initialement, c’est l’intérêt que je porte à cet espace géographique qui m’amène au choix de

ce sujet. Avant même de savoir ce que je souhaite étudier, j’envisage de travailler sur la

région caraïbe. Je la découvre, lors d’entretiens avec des amis. La description de cet univers et

l’apparent fonctionnement paradoxal de ces personnes, suscite en moi un vif désir de mieux

connaître l’histoire et la vie de ces îles. Lors de l’année de licence, je m’inscris à l’option de

découverte sur les sociétés créoles. Ces deux faits me décident à travailler sur ces sociétés

dont la complexité éveille, incontestablement, ma curiosité.

Je me rends une première fois en Guadeloupe et en Martinique, mais sans réelle idée de sujet

au départ. J’escompte lors de ce séjour découvrir les réalités sociales de ces îles et ainsi

pouvoir définir l’objet de mon étude. Au cours de ce premier voyage, effectué en septembre

2002 (durant un mois), l’idée du sujet se précise. Au cours du séjour en Guadeloupe la famille

d’une amie métropolitaine m’accueille, en Martinique c’est une famille martiniquaise qui

m’offre son hospitalité. Pendant quinze jours en Guadeloupe je vis, exclusivement dans un

cercle de métropolitains. Au cours de toutes les activités proposées, et les personnes

rencontrées, je constate qu’aucun guadeloupéen n’est présent. A l’inverse, en Martinique je

m’aperçois, que les activités que nous pratiquons, ne nous permettent pas d’avoir des contacts

avec les métropolitains, visuellement présent autour de nous.

Au terme de ce voyage, je m’interroge : face aux constats relevés pouvons nous en déduire

que ces deux communautés vivent dans un même lieu, l’une à côté de l’autre plutôt

qu’ensemble ? Pour répondre à cette question, je m’intéresse aux métropolitains qui semblent

être à l’origine de ce clivage. S’ils me paraissent être les responsables de la séparation entre

les deux groupes, c’est parce que par leur arrivée sur l’île, ils font intrusion dans une

communauté établie. Il me semble alors logique, qu’ils fassent ou entreprennent de faire les

efforts nécessaires pour assurer leur insertion dans cette population.

Le choix de la Martinique, pour faire cette étude plutôt que la Guadeloupe est induit, par

l’opportunité qui m’a été offerte d’être hébergée pendant trois mois dans une famille

martiniquaise. Cette proposition me permet de vivre au cœur de la société martiniquaise.

Ainsi je peux mieux observer les difficultés rencontrées au quotidien par les métropolitains,

dès leur arrivée sur l’île.

Page 11: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Les conditions d’enquête et son développement :

Les conditions d’enquête sont les suivantes : je m’installe pendant trois mois en Martinique

(février, mars, avril 2003). Une famille martiniquaise m’accueille, elle réside à Fort-de-

France. Mon objectif est de rencontrer des métropolitains, pour des entretiens, afin de mener

à bien ma recherche. Lors de mon premier séjour, des relations me communiquent les

coordonnées d’un prêtre martiniquais qui possède des notions en anthropologie et a une bonne

connaissance de sa société. Je le rencontre et nous convenons que lors de mon futur séjour en

Martinique (trois mois), il me présentera des métropolitains de sa paroisse, avec lesquels je

pourrai commencer à travailler. Consciente que passer par son intermédiaire, risque

d’influencer d’une manière ou d’une autre les personnes qu’il me présentera, je considère

toutefois, son aide comme un moyen d’obtenir les premiers contacts.

A mon arrivée, au mois de février, je ne réussis pas à obtenir un rendez-vous rapidement avec

lui. Je ne souhaite pas perdre trop de temps, je décide de rencontrer à mon initiative des

métropolitains. En circulant dans Fort-de-France, j’aborde une jeune femme. Je me présente

avec maladresse, utilisant toutes les formes de convenances et d’excuses qui me paraissent

nécessaire à cette approche. Je lui fournis toutes les indications lui permettant de m’identifier.

Je lui expose le sujet de mon étude et ce que j’attends d’elle. En découvrant, l’intitulé de mon

sujet elle sourit, elle me donne ses coordonnés afin que je la contacte pour que nous puissions

fixer un rendez-vous.

Je suis surprise de la facilité avec laquelle elle accepte de contribuer à cette étude. Je

m’attendais à devoir argumenter longuement afin de susciter son intérêt et sa participation.

Sceptique, je l’appelle le soir même, j’appréhende, cette fois-ci, un refus de sa part. Elle

dissipe mes craintes, et me donne un rendez-vous. Je peux effectuer mon premier entretien.

Je réitère l’expérience à plusieurs reprises, et toutes les personnes que j’aborde, acceptent de

passer un entretien. Par le biais de leurs réseaux de connaissances, je me retrouve alors, avec

beaucoup de personnes à interroger. Je n’essuie aucun refus. Lorsque je sollicite, la

participation à mes travaux, à une personne qui ne me connaît pas, dans une relation de face à

face dans la rue ou par téléphone, toutes font l’effort de m’accorder le temps nécessaire à ces

entretiens. Ce constat s’explique par trois raisons :

- mon statut d’étudiante, position intermédiaire entre l’adolescence et le monde des adultes,

rassure. Le travail de recherche de l’étudiante lui permet d’accomplir ses études. De même

poursuivre des études longues est relativement bien apprécié dans notre société où un haut

niveau scolaire est connoté positivement. Le souhait d’obtenir un entretien est perçu comme

Page 12: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

une demande d’aide pour réaliser un travail permettant l’obtention d’un diplôme. Dans ce

contexte peu de personnes osent refuser.

- Etant une fille je donne l’apparence d’être inoffensive. Cet état est renforcé par mon

attitude hésitante et maladroite dans ma manière d’aborder les gens. Ce côté un peu naïf et

innocent, me rend plus « attendrissante » qu’inquiétante.

- mon appartenance au groupe des métropolitains, me permet d’avoir une approche plus

facile avec ce groupe. Je suis accueillie sans méfiance. Dans le contexte local où ils sont

minoritaires, ils peuvent supposer que je suis réceptive aux difficultés qu’ils rencontrent au

quotidien. Effectuant un cours séjour sur l’île, ces personnes savent qu’elles ne me reverront

pas. Cette certitude les autorise à me répondre et à me dire ce qu’elles pensent réellement,

sans crainte d’avoir à subir mon jugement, par la suite.

Préalablement à la rencontre avec ces personnes, j’établis un guide d’entretien qui s’est

enrichi et complété au fil du temps. Les rencontres durent en moyenne deux heures. Ce temps

est nécessaire. En effet, le sujet abordé est délicat puisqu’il demande aux métropolitains de

parler d’eux, et de répondre parfois à des questions très personnelles. Il faut un temps de

paroles très formel en début de discussion. J’aborde l’entretien par une série de questions : sur

leur date d’arrivée, sur ce qu’ils connaissent de la Martinique…, puis, utilisant des propos de

personnes déjà rencontrées, qui me servent de support, la discussion peu à peu s’enclenche et

la personne se risque, de plus en plus et arrive à exprimer son opinion puis à raconter son

expérience.

J’ai interrogé 28 métropolitains. Je n’inclus pas dans mon analyse deux d’entre eux, car

vacanciers de longs séjours (trois mois en Martinique tous les ans). Leur situation, ce qu’ils

vivent au quotidien, ne correspond pas à la réalité des personnes qui ont quitté la France pour

s’installer sur l’île.

Pour les entretiens passés avec des martiniquais, deux seulement peuvent être considérés

comme formels, c'est-à-dire enregistrés. Plongée au cœur d’une famille martiniquaise, j’ai

mainte fois eu l’occasion d’interroger des personnes lors de réunions de famille ou lors de

sorties diverses, accompagnée par un membre de la famille. D’origine métropolitaine, et selon

les intentions de la personne que j’ai en face de moi, la discussion n’est pas toujours objective

et enrichissante. Dans les propos qui me sont restitués tous ces indicateurs sont pris en

compte. Cependant en arrivant à me mettre à distance de mon groupe d’appartenance (vivre

au sein de cette famille, m’y a beaucoup aidé), en accentuant volontairement un côté naïf, (qui

Page 13: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

correspond à mon statut de novice au sens où le définit Goffman2), en me rendant

suffisamment disponible, des échanges furent possibles. Ce mélange de disponibilité,

d’ignorance et de modestie face à la population étudiée est un caractère de l’observation

participante, que je pratique le plus souvent lorsque je suis en présence de martiniquais.

Evidement ce mode de faire peut être aussi utilisé lors d’entretiens avec les métropolitains.

Dans cette situation, il me faut feindre d’ignorer, lors de chaque entretien, les propos généraux

maintes fois entendus, en donnant l’impression de les découvrir.

Vivre dans cette famille martiniquaise, pendant trois mois, ne m’a pas permis de savoir ce que

les martiniquais pensent des métropolitains (à part une vision stéréotypée), et comment ils

gèrent leur présence. L’impossibilité d’obtenir ces informations vient notamment de mon

origine : métropolitaine, il est évident que les personnes ne peuvent pas affublés à ce groupe

des défauts. Cette expérience m’a permis de mieux connaître la société martiniquaise,

dépeinte au travers du quotidien par chacun des membres de cette famille.

Mes matériaux d’enquête relevés au terme de ces trois mois, sont principalement des

entretiens avec des métropolitains et des observations sur la société martiniquaise. Je n’ai

finalement que peu de matériaux sur les situations d’interactions entre métropolitains et

martiniquais.

Difficultés du terrain :

Comme je l’ai l’évoqué, je n’ai pas réellement connue de difficultés pour m’entretenir avec

des métropolitains, ou pour rencontrer des martiniquais. J’ai pris soin de toujours bien relever

le contexte, les intentions, et les intérêts de chacun dans leurs discours. Cependant, la

difficulté que j’ai rencontrée lors de cette étude, fut ma tendance à prendre position pour les

locaux. Positionnement, que j’avais avant de commencer mon travail sur le terrain. Il faut,

alors sortir du mythe de l’autochtone. Vivre trois mois dans la famille martiniquaise, m’ont

permis de relativiser.

Métropolitaine en Martinique, hébergée par une famille locale, ma situation correspond

totalement au thème de mon étude. Je dois (dans un laps de temps plus réduit), d’une certaine

2 Goffman dit, en s’adressant à ses étudiants : « Vous ne devez donc pas être trop amical, mais il faudra vous ouvrir comme vous ne l’avez jamais fait dans votre vie. Vous devez vous préparer en particulier à essuyer quelques rebuffades. Il ne faudra pas vouloir à tout prix vous mettre en valeur et faire le malin par de bons mots. Il faut au contraire vous montrer niais. » Journal of Contemporary Ethnography, vol 18, n° 2, juillet 1989, p 123-132, traduit par Pascale Joseph in Actes du séminaire de la relation de service RATP-DRI-Plan Urbain, 1989-1990, p 113.

Page 14: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

manière m’adapter à ce nouvel environnement. Certaines personnes me demandent si

j’effectue cette étude dans le but de venir m’installer par la suite en Martinique. D’autres

m’interrogent sur mon adaptation sur l’île, y étant autant immergée qu’eux.

La difficulté est de ne jamais pouvoir me détacher de mon sujet, attendu que mes expériences

participent elles aussi à la constitution de mes matériaux. Les seuls moments où finalement je

sens que je ne m’observe plus moi-même, sont les moments où je me rends à l’université

Antilles-Guyane de Schoelcher. Je reprends alors mon statut d’étudiante. La faculté est un

cadre que je connais, rassurant, il me permet (même si j’y suis encore pour mon enquête)

d’atténuer ma constante attention à tout ce qui m’entoure.

Autre singularité qui caractérise mon travail, ma présence dans une famille martiniquaise,

vivant au cœur d’un quartier populaire de Fort-de-France. Pendant ces trois mois (un peu

moins vers la fin de mon séjour), je suis la curiosité des habitants du quartier. Jeune fille

j’attire encore plus celle des messieurs. Dans un souci de protection, j’utilise un certain

humour amer, qui déclenche le rire chez mes interlocuteurs. Il est évident que cette attitude ne

peut être tenu qu’un certain temps. Elle s’atténue relativement à partir du moment où je me

rapproche des membres de la famille qui m’hébergent, et avec qui, je partage des instants de

leur vie. En ces circonstances, je me comporte quasi naturellement.

La dernière difficulté que je rencontre, c’est la pénurie d’ouvrages correspondant à mon sujet.

La société, la culture et la population martiniquaise, sont très étudiées. Par contre, les écrits

sur les métropolitains sont rares. Dans plusieurs ouvrages, je constate que leur existence est

notée, mais aucun n’aborde une étude approfondie de cette population. Ils sont évoqués dans

les rapports de classes, il est précisé qu’ils ne font pas partie de la hiérarchie locale, puisqu’ils

sont en transit sur l’île. Ce manque de référence est un inconvénient surtout avant d’entamer

le travail sur le terrain, à l’époque je ne possède aucun matériau. Le foisonnement de textes

sur la société martiniquaise a parfois capté mon attention sur des problèmes ne correspondant

pas toujours à mon sujet, en particulier lors de la rédaction de mon document.

Particularité de cette étude :

Le lieu de cette recherche est déjà un particularisme. Les départements d’outre-mer prennent

une place particulière dans l’ethnologie, ils sont à la fois proche et loin. Proche par certains

aspects culturels, nationaux et sociaux, mais éloignés au niveau géographique, physique et

identitaire. La question que nous pouvons nous poser : une étude en Martinique correspond-t-

elle à l’idée que la plupart des personnes se font de l’ethnologie ? Pour celles-ci, l’ethnologie

est une science qui étudie ce qui est loin de nous, or la population vivant en Martinique est de

Page 15: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

nationalité française, et détient des traits culturels français identifiables. Dans ce travail en

particulier, la frontière est encore plus floue puisque la population étudiée, éloignée

géographiquement, nous est semblable. Nous pouvons dire que cette recherche est l’étude du

proche dans un certain lointain.

Mais la vraie particularité de ce travail est la population étudiée. En effet, partir en Martinique

pour étudier les métropolitains peut prêter à sourire. Les martiniquais sont eux-mêmes surpris

de ne pas être l’objet principal de l’étude. L’intérêt de cette étude, est de s’intéresser non pas à

celui qui migre et qui se trouve en position d’infériorité dans la société qui l’accueille, mais de

porter un regard de chercheur sur la personne qui occupe une position dominante dans sa

société d’origine et qui à cause de son déplacement se retrouve minoritaire dans son nouveau

cadre d’accueil. Il est intéressant alors d’observer comment il réagit à cette situation,

comment il s’y adapte, quelles attitudes il adopte et pourquoi il a voulu partir. Nous notons

que son lieu de migration est spécifique. Historiquement sur cette île, il occupe depuis

toujours, une place dominante alors qu’il est numériquement minoritaire. Empli d’un

sentiment de supériorité par rapport à la population locale, ayant connaissance de l’histoire de

l’île, il n’en demeure pas moins qu’il n’a pas le même vécu, la même éducation que les

blancs créoles, en conséquence ses réactions sont différentes. Ce sont donc celles-ci, qu’il va

être intéressant d’observer et d’étudier.

Une étude générale :

Comme précédemment noté, peu de travaux sont rédigés sur les métropolitains dans les

Antilles. En conséquence une masse considérable d’informations et de matériaux a été relevée

sur le terrain. Le temps m’étant imposé, je n ‘ai pas pu tout consigner, de nombreux détails

ont dû m’échapper. Dans ce rapport, je ne peux pas exploiter tous les matériaux que j’ai

récoltés au cours de ce séjour, certains sont évoqués rapidement. Un afflux de détails aurait

encombré ce travail. Je regrette de ne pas avoir pu travailler autant que je l’aurais souhaité les

entretiens que j’ai effectués. J’aurais aimé pouvoir décomposer les divers discours des

métropolitains, analyser les termes qu’ils emploient : par exemple pour évoquer la France en

comparaison au champ lexical employé pour parler de la Martinique. Ou encore comment ils

parlent de leur « chez eux » en métropole par rapport à ce qu’ils considèrent leur propriété en

Martinique.

Page 16: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

C’est pour ces raisons que cette étude peut paraître très générale et parfois pas assez

approfondie, par rapport à l’ensemble des situations et des attitudes des métropolitains.

Certaines parties de cette étude peuvent faire à elles seules l’objet d’une recherche.

Ce travail ne représente qu’une facette dans l’approche de cette communauté en Martinique.

D’autres peuvent être exploitées.

Cette étude peut être considérée, comme une première approche de cette population et de ses

relations avec les locaux.

Il est certain, par conséquent, que ce travail ne représente qu’une vision que l’on peut avoir

sur cette communauté en Martinique. D’autres pourraient être trouvées.

C’est pourquoi cette ne peut être considérée que, comme un premier « déblayage » sur cette

population, et son rapport avec les locaux.

Page 17: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Chapitre un : Les Contextes

1. Le contexte historique

Il nous semble essentiel, avant toute chose, de faire un bref rappel historique, car comme

chacun sait les sociétés d’aujourd’hui résultent de leur passé. Il faut donc étudier celui-ci pour

s’apercevoir que la Martinique est une île qui apparaît comme une « zone de confluence et

d’interpénétrations »3. Connaître la société martiniquaise d’aujourd’hui par le rappel des

antécédents qui font qu’elle fonctionne ainsi de nos jours, va être impératif dans la présente

étude, afin de comprendre le cadre dans lequel arrivent les métropolitains. Nous allons

d’ailleurs accentuer cette étude contextuelle à partir de la départementalisation, changement

de statut ayant considérablement bouleversé la structure existante, mais aussi point de départ

de l’immigration métropolitaine sur l’île.

1.1. Rappels

Ces conditions historiques, la colonisation française et la traite d’esclaves, qui ont fait d’elle

un carrefour culturel et racial. Pour bien appréhender les origines complexes de la population

de l’île, mais aussi pour saisir les proportions dans lesquelles plusieurs groupes humains ont

participés à son élaboration, il faut reprendre très succinctement leur enchaînement d’encrage

dans l’île.

On voit premièrement succéder aux Arawaks, les Indiens Caraïbes qui déciment ces premiers

habitants. Puis les Européens arrivent. Ils éliminent, à leur tour, ces seconds et amènent par la

traite, les Africains. Après l’abolition de l’esclavage en 1848, d’autres populations immigrées

s'adjoignent à la population de l’île. Il s’agit tout d’abord des Indiens, puis des Syriens et des

Libanais et enfin quelques groupements Chinois. Mais c’est principalement par le métissage

entre Européens et Africains que se constitue la base de la population antillaise.

Après ce bref rappel, nous allons reprendre l’évolution historique de la Martinique à partir de

la départementalisation, socle de formation des contextes dans lesquels sont accueillis les

premiers métropolitains.

3 Benoist, Jean, 1975, Les composantes raciales de la Martinique

Page 18: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

1.2. La départementalisation

L’abolition de l’esclavage et la fuite par les anciens esclaves des plantations sucrière, entraîne

l’apparition de cultivateurs là où une potentialité agricole est suffisante. Cependant, bien

qu’émancipés, les Noirs, ne vivent que difficilement et leur condition sociale est très précaire.

Ils vivent plongés dans un sous développement.

La grande récession mondiale de 1929 provoque le retour des migrants (partis à l’abolition de

l’esclavage dans les îles voisines), et accentue la crise sociale, déjà latente dans les Petites

Antilles. Au sortir de la seconde guerre mondiale (durant laquelle la France avait laissé seule

la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane survivre de façon autonome), la pression

démographique conjuguée à la déficience de l’environnement économique et sociale plongent

la région caraïbe, d’une manière générale, dans un profond désarroi.

C’est dans ces conditions que la France, avec la volonté des martiniquais, fait de la

Martinique le 19 mars 1946 (ainsi que la Guadeloupe, la Guyane et la Réunion) un

département français. Par cette loi du 19 mars 1946, dite la loi de l’assimilation adoptée par

l’Assemblée Nationale Française, la Martinique devient un département français d’outre mer

(DOM), et est donc dotée d’un Conseil Régional et d’un Conseil Général. Bien que ce

nouveau statut apporte une certaine richesse économique, la situation sociale ne s’améliore

que lentement aux travers de conflits sociaux. Si on peut noter l’enregistrement de progrès

notables dans le domaine social, il est force de constater que la marge de manœuvre des

locaux est toujours conditionnée par la métropole qui continue d’influencer la vie économique

et politique de l’île. De même, que pour la population, les blancs créoles (descendants des

premiers colons) constituent toujours les propriétaires terriens, et les détenteurs de l’économie

locale.

1.3. Conséquence de la départementalisation et programme d’assimilation

Depuis 1946, la Martinique fait donc partie d’un programme d’assimilation à la France. Grâce

à celui-ci le niveau de vie est amélioré et l’ensemble de la population peut avoir accès au

système éducatif. L’objectif de la mise en place de ce programme est de permettre au

département « Martinique » de se retrouver au même niveau de développement (économique,

culturel…) que l’ensemble des départements hexagonaux.

Cependant, dans cette volonté d’assimilation est aussi sous entendue l’inculcation du modèle

culturel français. En conséquent, lors de son application, les particularités culturelles que

possède cette population, sont niées. La Martinique, bénéficie de tout ce dont dispose la

France. La départementalisation interfère à tous les niveaux de la vie culturelle et de la

Page 19: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

structure de la société, en modifiant radicalement le substrat économique ainsi que les

rapports sociaux. Des incohérences apparaissent, par la suite, dans l’élaboration identitaire des

martiniquais. Un exemple d’incohérence : le système scolaire mis en place dans l’île est

directement importé du modèle pédagogique métropolitain. La transmission du savoir, par les

enseignants, s’effectue en français, ce qui pose des problèmes d’apprentissage à une partie des

élèves dont le français constitue une langue seconde. La situation quasi exclusive de

dépendance de la Martinique à la France, implique l’approvisionnement de l’île en manuels

scolaires et autres documents pédagogiques, qui relatent l’histoire et la géographie de France.

Or le milieu naturel et humain dans lequel évoluent ces enfants est totalement différent de

celui présenté dans les manuels. En conséquence, la majorité des jeunes martiniquais se

sentent étrangers dans leur propre pays. Cet imbroglio, n’est résolu que depuis peu, par la

création d’un manuel d’histoire spécifique à la Martinique (à l’initiative, d’ailleurs,

d’enseignants locaux), pour le primaire et le collège. L’accès de la Martinique à la

départementalisation engendre une « érosion » globale de ses particularités. Cette érosion est

ressentie comme une menace de perte d’identité, de langue, de culture par ceux qui vivent ces

changements. Ils atteignaient les secteurs les plus profondément intériorisés de leur identité

collective.

La départementalisation, engendre des progrès appréciables tant au niveau de l’économie des

ménages et de l’hygiène. Parallèlement ce programme d’assimilation provoque une nouvelle

crise identitaire créant une ambiguïté au niveau culturel, économique et politique de l’île.

Les élites intellectuelles locales, comme Aimé Césaire, qui est l’un des premiers à oser

revendiquer l’identité Nègre de l’homme antillais, suivi de Frantz Fanon, qui montre le

paradoxe que vivent tous les martiniquais en tant que noirs se pensant blancs, puis d’autres

écrivains célèbres tels que Edouard Glissant, ou plus récemment Patrick Chamoiseau, Raphaël

Confiant…, tentent d’aider la population locale à réfléchir sur la question de leur identité, et à

la revalorisation de leur culture créole.

2. Le contexte économique

Au niveau économie, nous pouvons constater que cette île est toujours dépendante de la

métropole. Colonie, ou quelques années plus tard, département français, la Martinique,

produit toujours selon les injonctions de sa mère patrie, la France.

C’est pour cela que nous allons principalement nous attarder sur l’économie de ce dernier

statut.

Page 20: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

2.1. L’économie de la départementalisation à aujourd’hui

La départementalisation, provoque des bouleversements. La plupart des réglementations se

calque sur la métropole, qui soutient économiquement la Martinique. Par conséquent le

niveau de vie augmente subitement. Cette augmentation se fait notamment par l’acquisition

des aides sociales, telles que les allocations, pour la population de l’île. De nombreux

fonctionnaires sont recrutés, et la construction de routes, et d’hôpitaux, permet l’embauche

abondante d’ouvriers locaux. Tout ceci sert à développer sur place une société de

consommation. Hors celle-ci est déséquilibrée, puisque paradoxalement c’est une société de

consommation sans production. La seule production de l’île, qui est celle des plantations, elle,

diminue de plus en plus, par manque de rentabilité, mais aussi, en raison d’un alignement des

salaires ouvriers, à ceux de la métropole, souvent trop élevés pour les propriétaires. Dès lors

pour maintenir la production locale il faut la subventionner. Au niveau industriel, la

Martinique dispose seulement d’entreprises de transformation de la production de base, c’est-

à-dire la canne à sucre en sucre. Les freins à l’industrialisation de l’île sont : le peu ou la

pénurie de matière première, une main d’œuvre sous qualifiée, un manque d’infrastructure de

base et l’absence de marché extérieur (le marché intérieur étant lui-même souvent insuffisant).

Plus tard dans les années 80, la métropole cherchera, à redynamiser l’île, notamment, par le

développement du secteur tertiaire, et par le tourisme. A cette fin, elle mettra en place des lois

de défiscalisation pour inciter les entreprises à venir s’implanter en Martinique.

Il s’installe ainsi une croissance, qui n’en est pas une véritablement. En effet nous observons,

en fait, l’arrivée d’une nouvelle société se superposant à celle de la plantation. La population,

qui préfère bénéficier du chômage au lieu d’effectuer les tâches difficiles du travail de la

plantation, établit un passage de l’une à l’autre. S’installe, alors, un jeu pervers où les rentrées

d’argent nuisent aux productions locales, dont les produits sont vendus plus chers que ceux

qui sont importés.

Seuls, les blancs créoles de l’île, qui sont ceux qui possèdent l’argent, réussissent leur

reconversion. Ils investissent dans les entreprises d’imports-exports, les galeries

commerçantes, le tourisme, et dans toutes les nouvelles productions. Ainsi les moyens de

développement changent, mais la hiérarchie sociale reste la même.

Aujourd’hui, on constate que la Martinique est sous perfusion économique de la métropole,

car elle ne produit que très peu par rapport à ce qu’elle consomme. Le taux de chômage y est

important (CF annexes 1), l’économie locale très faible, et les personnes ouvrant droit aux

aides sociales (allocations familiales, aides aux logements, etc…) représentent une majorité de

la population. Le coût élevé de la production agricole, le manque de débouchés commerciaux,

Page 21: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

au niveau régional et international, la concurrence avec les îles voisines ayant les mêmes

productions, constituent les véritables handicaps à l’amélioration de l’économie locale.

En revanche, il existe dans l’île une économie informelle qui fonctionne très bien. Elle est

basée sur les relations de services, des petits « jobs » rémunérés sans intermédiaires

communément appelés « au black ». Cette économie là permet à la population de s’assurer un

certain niveau de vie. Elle n’est pas récente. Michel Leiris en 1955 en parle déjà en ces

termes : « Les classes moyennes ont généralement un emploi et ont une activité en plus, une

boutique, un cinéma, […] Aux degrés inférieurs de l’échelle sociale, cumuls ou alternances

d’occupations s’avèrent encore plus fréquents, et presque de règle en bien des cas. »4

3. Les données politiques

Avant toute chose, il est nécessaire de préciser ce que nous entendons par « politique », ce

terme ayant plusieurs sens. Nous ne traiterons, ici, que le sens du nom politique selon la

définition suivante : « ensemble des options prises par le gouvernement d’un état dans les

domaines relevant de son autorité. » ; nous retenons en conséquence les trois pouvoirs

essentiels qui organisent la vie de l’état : le législatif, l’exécutif et le judiciaire. Nous

essaierons de voir comment en Martinique ils s’appliquent.

En raison de son passé de colonie, la politique de l’île, tout comme l’économie, n’est pas

décidée par elle, mais dépendante des lois établies par la métropole.

3.1. De la départementalisation à aujourd’hui

La départementalisation, est l’annonce d’un nouveau statut pour la Martinique, elle fait

maintenant partie de la France au même titre qu’un département continental. C’est aussi un

nouveau statut pour la population. Car il apparaît un alignement des règlements, jusque là

coloniaux, sur les lois appliquées en métropole. La départementalisation rétablit donc, en

théorie, l’égalité entre ces deux populations. En réalité les anciens préjugés issus de l’héritage

esclavagiste continuent encore aujourd’hui (à un moindre degré) d’exister. La couleur de la

peau reste encore un critère de hiérarchie dans l’échelle sociale.

La Martinique en tant que département français d’outre-mer a un double statut. Elle a la

particularité de ne pas être simplement intégrée à la métropole, mais assimilée en tant que

département (loi du 19 mars 1946) et région (loi du 31 décembre 1982). Les régions d’outre-

4 Leiris Michel, 1955, Contact de civilisation en Martinique et en Guadeloupe, p 35.

Page 22: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

mer sont « monodépartementales »5, particularité qui se traduit par une superposition de

collectivités (région et département). En effet, la Martinique est incorporée au champ

institutionnel de l’Etat français. Elle ne bénéficie d’aucune autorité particulière car le

gouvernement français est responsable des organes législatif, exécutif, et judiciaire. Depuis la

loi du 2 août 1984, elle profite de la décentralisation, au même titre que les autres régions

françaises, avec cependant des mesures d’adaptations rendues nécessaire par sa situation

particulière. Toutefois l’assimilation de la Martinique à la métropole n’évite pas la formation

de groupes indépendantistes. Bien que représentants une minorité politique, ces groupes ont

une certaine influence dans l’île surtout dans les années 70, 80.

Aujourd’hui l’accès aux mairies de l’île est exclusivement réservé à des individus de la

population locale, ainsi que les postes de maires et les postes à responsabilités politique. Les

métropolitains et les békés n’y sont pas souhaités.

3.2. La Martinique dans l’Europe

En raison de son appartenance institutionnelle à la France, la Martinique, est une région

européenne. De fait dès la création de la CEE6, les DOM ont été intégrés à l’Europe (Article

227-1 du Traité de Rome). Cependant, le gouvernement français peut intervenir pour obtenir

l’adaptation de certaines mesures s’appliquant d’office aux DOM sans tenir compte de leurs

spécificités. L’application systématique des réglementations européennes dans les

départements français d’outre-mer risquerait d’aggraver leur économie déjà fragile. Pour

pouvoir être compétitive sur le grand marché européen la Martinique doit fournir plusieurs

efforts. Elle doit premièrement rattraper son retard par rapport à l’Europe, et deuxièmement

différencier ses productions d’exportation en les adaptant à la demande européenne. Cela

n’est possible qu’en renforçant les structures de production agricoles, industrielles et

artisanales. Dans l’immédiat, malgré les efforts français et européen, il ne semble pas que la

Martinique, ainsi que les autres départements d’outre-mer, ne soient pas prêts à cette

échéance.

De plus, l’assimilation des DOM à la métropole française constitue la solution politique la

plus radicale à leur exclusion des îles de la Caraïbe et d’un système structuré entre elles. Le

corollaire de cette assimilation a eu pour conséquence d’isoler de façon aigue les îles

françaises du reste de l’espace caribéen.

5 Taglioni François, 1995, Géopolitique des petites antilles. Influences européennes et nord américain, p 66. 6 CEE est la Communauté Economique Européenne.

Page 23: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

En conséquence, les contraintes de l’insularité, le morcellement économique, politique

et humain, ainsi que les structures héritées du passé, contribuent à maintenir la Martinique,

ainsi que les autres départements d’outre-mer, dans un état de dépendance fort qui produit une

surconsommation. Ces sociétés ne bénéficient donc que des artifices qu’engendre le

développement.

4. Les métropolitains dans ces différents contextes

Après avoir replacé la Martinique dans ces divers contextes, nous allons maintenant mettre en

exergue la place qu’occupe le métropolitain dans chacun d’eux. Nous allons dégager quelle

est son arrivée historique, dans cette société martiniquaise, mais aussi voir quelle place

économique a-t-il au sein de ce système, et enfin détient-il une influence politique dans l’île.

4.1. L’arrivée historique des métropolitains

Historiquement la dénomination de métropolitain, n’est apparue que vers les années 1960.

Jusque dans ces années là, il n’existait pas de communauté de métropolitains, seulement

quelques gens de passage, pas de groupe identifiable. Les termes employés, alors, pour parler

de ces personnes venues de France, étaient : « européens » ou « blancs France ». Au travers

de ces premiers termes, la caractéristique physique des individus est directement annoncée, et

par cela même, est inclue une forme de subordination. Le blanc est quelqu’un que l’on

respecte, (héritage de la situation de domination que la population a subi). Il vient de France

pays mythique des bonnes manières et de la culture française. Mythe entretenu par les békés,

mais aussi par les personnes qui y ont séjourné (ils reproduisent cette idée de la France, même

lorsque leur séjour s’est mal passé).

L’arrivée des métropolitains en Martinique, commença à prendre une certaine importance,

avec le début de la départementalisation. La mise en place du département nécessite des

structures institutionnelles et du personnel. N’ayant pas sur place de personnel qualifié, des

fonctionnaires de métropole sont mutés en Martinique, pour assurer tous les postes à

responsabilités. Avant la départementalisation certains métropolitains vivent déjà en

Martinique mais ils sont en nombre très réduit, et ils se fondent dans la population. Ils sont

d’ailleurs considérés par elle comme « de vrais martiniquais »7.

Les premiers fonctionnaires à être mutés sur l’île, sont très appréciés de la population. D’une

part parce qu’ils arrivent avec une certaine position sociale, respectée, mais aussi parce qu’ils

7 Lucrèce André, 1994, Société et modernité. Essai d’interprétation de la société martiniquaise.

Page 24: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

n’hésitent pas à aller au contact de la population, du moins dans les premiers temps,

contrairement aux Békés qui entretiennent sur eux toute sorte de préjugés. Par la suite, cette

population se rapproche irrémédiablement du groupe des békés, « certainement plus attirés

par les soirées mondaines qui s’y déroulaient »8. Cependant, ces fonctionnaires sont de

passage et ne peuvent pas être identifiés comme un groupe (mutation inférieure à trois ans).

Leur minorité leur vaut la sympathie des martiniquais.

Vers les années 1960, le nombre de métropolitains augmente. Ils exercent des fonctions

publiques (civiles ou militaires), ou ils appartiennent au clergé, ou bien ils occupent des

postes de cadre dans les entreprises, dans les banques, dans les commerces… Avec

l’augmentation de ces arrivées, les métropolitains commencent à former entre eux des

regroupements. C’est à partir de ce moment là que sont employés les termes de

« métropolitains » ou de « z’oreilles » pour parler de ce groupe à présent identifiable. Dans la

formulation de ces nouvelles appellations, utilisées plus communément par les générations

issues de la départementalisation, il est sous entendu une notion péjorative. Les métropolitains

deviennent de moins en moins des individus appréciés, cependant avec un degré moindre que

les békés. Cette distinction repose sur la différence de leurs préjugés vis-à-vis de la

population de couleur. Le métropolitain qui a vécu en Métropole et reste en situation

d’étranger, n’a pas la même représentation que le blanc créole, béké, empreint de la tradition

colonialiste. Malgré sa qualité de blanc, il n’est pas inséré dans les catégories locales. Son

rapport avec les uns et les autres n’est pas influencé, par conséquent, par cette hiérarchie socio

raciale, dans laquelle il n’est pas inclus. Cependant ses attitudes et comportements, eux, seront

expliqués et attribués à sa couleur de peau.

4.2. L’intérêt économique des métropolitains sur l’île

Actuellement les métropolitains en Martinique ne représentent que quelques milliers

d’individus. C’est un groupe minoritaire, sa représentation dans la population totale est

estimée à environ 4%. Cependant il n’est pas facile à recenser parce qu’il est constitué en

majorité de personnes de passage sur île. Ce groupe est sans cesse en mouvement.

Néanmoins les métropolitains, malgré leur petit nombre, interviennent dans l’économie locale

sur différents points :

Premièrement cette population venue de France possède un pouvoir d’achat important.

Beaucoup sont fonctionnaires et bénéficient, ainsi des 40% de salaire en plus, en rapport au

8 Leiris, Michel, 1955, Contact de civilisation en Martinique et en Guadeloupe.

Page 25: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

coût de la vie locale plus élevé qu’en métropole. Selon le poste occupé par l’individu (souvent

cadres), son salaire peut devenir, avec cet avantage, vraiment conséquent. Les investissements

étant défiscalisés par l’Etat pour une durée de cinq ans, nombre d’entre eux, font construire

leur maison en Martinique, ou en achètent une. Le métropolitain fait ainsi, des économies

d’un coté, a un salaire plus important de l’autre, et peut se permettre de consommer. Leur

consommation est généralement dirigée vers les activités qu’offre l’île, comme tous les sports

d’eau, et de mer, mais aussi le tourisme dans les îles voisines, et enfin les activités nocturnes,

comme les bars et autres boîtes de nuits.

Deuxièmement, par les postes à responsabilités qu’ils occupent, ils impulsent, souvent, une

dynamique de travail importée de la métropole, basée principalement sur le rendement et la

compétitivité. D’autres, voyant un créneau commercial non exploité, n’hésitent pas à monter

leur entreprise, créent de nouveaux débouchés, et ainsi insufflent un nouveau souffle à

l’économie locale.

Enfin, troisièmement, ce sont eux qui détiennent la plupart du commerce lié au tourisme. Que

se soient, des hôtels, des restaurants, des bars, des boutiques d’objets souvenirs, jusqu’aux

stands de bijoux en bord de plages, tout ce marché leur appartient. Ils entretiennent, par ces

activités là, le côté exotique de l’île qui fait fonctionner le tourisme, devenu une source

importante de revenus pour l’île.

4.3. Le métropolitain et la politique

Le métropolitain a un statut particulier par rapport à la politique.

Historiquement, nous l’avons vu, la politique locale était conduite par les descendants des

premiers colons, les békés. Les Noirs leur reprirent massivement ce pouvoir, à partir de la

départementalisation, en élisant aux mairies des communes, des personnalités locales de

couleur. La politique, ainsi récupérée, est devenue une source de pouvoir très importante pour

cette communauté, dirigée durant les siècles d’esclavage par la population blanche. Ces postes

de maires, de conseillers généraux, et régionaux, sont par conséquent ressentis, par la

population de couleur comme une revanche sur l’histoire.

Pour cette raison, l’accès à la politique pour les métropolitains est difficile voire impossible.

Ils peuvent faire partie, de liste électorale, toutefois, sans jamais espérer obtenir un poste à

responsabilité. Leur participation est, alors acceptée, voire même appréciée, comme nous le

verrons dans les chapitres suivants. L’engagement des métropolitains dans la politique se lit

aussi dans leur syndicalisation. Néanmoins, rare sont ceux qui osent s’engager dans ces

actions politiques qui prennent très souvent, des tournures de lutte socio raciale.

Page 26: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

A part, ces personnes volontairement engagées dans la politique, les métropolitains peuvent

aussi être victimes de la représentation que la population se fait d’eux. Les békés,

propriétaires de nombreuses entreprises dans l’île, emploient, généralement à la gérance de

leurs affaires des métropolitains. Lors de conflits sociaux se sont ces derniers qui se

retrouvent aux tables de négociations face aux syndicalistes. Dans cette position délicate, où

la dichotomie noir/blanc est clairement visible, les métropolitains sont piégés dans le jeu de la

distinction de couleur vers lequel le conflit peu à peu tend. Ils se retrouvent assignés dans le

camp adverse des ouvriers, et donc de la population entière qui s’identifie, pour l’occasion, à

eux. Par symétrie, c’est toute la communauté métropolitaine qui est identifiée aux gérants de

l’entreprise. Ainsi le conflit prend une tournure sociétale, qui englobe même ceux qui ne se

sentent pas concernés par le débat.

Le métropolitain évoque aussi d’autres représentations dans l’imaginaire de la population

martiniquaise. Il arrive de la métropole, où se concentrent tous les pouvoirs étatiques. Lors de

protestions contre les décisions du gouvernement, qui est distant de plus de 7 000 Km,

l’association métropolitains/Etat se fait dans les esprits. Les métropolitains sont alors victimes

du mécontentement de la population, qui ne peut être exprimé directement à l’Etat, représenté

involontairement par ces derniers. De même, les locaux associent l’image qu’ils se font de la

métropole, avec toutes ces vertus, (le travail y est sérieusement accomplit, les gens sont

compétents, polis, tout fonctionne à la perfection, elle est source de connaissances, de

technicité…), au métropolitain et seront plus exigeants avec lui, parce qu’il évoque le mythe

de cette société idyllique.

Ce premier chapitre nous a permis de faire un retour rapide sur la société martiniquaise

au travers de trois points essentiels l’histoire, l’économie et la politique. Il était

particulièrement important de rappeler ces contextes, car le vécu de ces changements a

structuré les martiniquais et la Martinique d’aujourd’hui. C’est par cette histoire qu’ils se sont

construits. La connaissance et l’étude de celle-ci peuvent nous permettre de comprendre le

comportement et les attitudes des martiniquais, notamment vis-à-vis des métropolitains.

Par ailleurs, ces données sur la société martiniquaise situent le cadre que retrouvent les

français venus de l’hexagone, à leur arrivée.

Page 27: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Chapitre deux : Qui sont les métropolitains qui vivent en Martinique ?

Nous avons déjà vu que depuis la départementalisation de la Martinique, la population

de métropolitains se destinant à vivre sur l’île, du moins durant un temps, ne cesse de

s’accroître. Les premiers arrivés avaient autrefois pour mission de mettre en place les

institutions administratives et éducatives. Celles-ci sont aujourd’hui, (soit 57 ans après la

départementalisation), bien encrées dans le fonctionnement de la société martiniquaise, avec

un personnel local parfaitement formé. A présent on peut se demander qui vient en Martinique

et pourquoi. S’agit-il encore d’une nécessité pour le développement local, ou est-ce une

migration de population individuelle, indépendante de la bonne marche de l’île ? Il y a t il des

incidences sur la population locale ?

1. Qui vient ?

Il faut avant tout chose, signaler la difficulté d’établir une typologie de ce groupe, qui ne peut

d’ailleurs être considéré comme tel que par leur identique origine d’appartenance.

Au début de la départementalisation, ce groupe pouvait être repérable par son activité

professionnelle, principalement des métropolitains de la fonction publique civile et militaire,

ou des membres du clergé. Aujourd’hui le nombre de métropolitains s’est accru, et les

professions qu’ils exercent se sont considérablement diversifiées. Il n’est plus possible

d’établir une typologie représentative à partir uniquement de ce critère.

Par conséquent nous avons tenté de n’établir non pas une typologie, mais des profils de

métropolitains à partir de diverses variables. Nous avons retenu comme variables, le statut

professionnel, l’âge, la situation conjugale (seul ou en couple), le sexe (pour les personnes

venues seules). (CF annexe 2).

Pour cette étude, nous avons interrogés vingt six métropolitains. C’est à partir de ce groupe

que nous allons tenter de dégager des profils d’individus.

1.1. La profession

Il est intéressant de constater que la population métropolitaine en Martinique s’est

considérablement diversifiée au niveau professionnel. Le groupe est très hétérogène. Certes,

les postes occupés par ces nouveaux arrivants ne sont plus uniquement les postes à

responsabilités dans les institutions, mais leur position sociale reste, cependant souvent

Page 28: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

élevée. Ils exercent surtout dans les secteurs, où la Martinique connaît des difficultés de

recrutement de spécialistes ; difficultés non spécifiques à cette dernière, puisque la métropole

connaît elle-même un manque de personnes formées à ces fonctions. Il s’agit notamment des

métiers de laborantins, pharmaciens, dentistes, et autres spécialistes du corps médical. Parmi

les personnes que nous avons questionnées neuf font partis de ces branches professionnelles.

Dans ce groupe, nous constatons des distinctions entre les individus. Ils n’ont pas tous le

même rang hiérarchique : parmi les laborantins nous pouvons distinguer les responsables de

laboratoire des simples salariés. Même si la plupart sont des pharmaciens biologistes. Cette

remarque est valable pour les autres professions, les métropolitains n’ont pas, dans chaque

catégorie, tous les mêmes statuts.

Les seconds métiers fortement représentés sont, incontestablement, ceux des fonctionnaires.

Ces derniers relativement nombreux s’inscrivent dans une vaste diversification postes. Que se

soit dans l’éducation nationale, dans les entreprises d’Etat, dans l’administration en générale,

au ministère de l’intérieur, ou dans le corps militaire, et à quelque niveau de responsabilités

que se soit, des employés métropolitains de la fonction publique sont présents en Martinique.

Moins nombreux que lors de la mise en place des structures départementales, leur présence

reste cependant constante. Cette population de fonctionnaires, pourrait se réduire. En effet les

privilèges économiques dont ils bénéficient encore actuellement (à savoir les 40% de vie

chère ajoutée à leur salaire) risquent d’être reconsidérés prochainement. Cet avantage disparu,

on suppose que les demandes de mutation pour la Martinique, seront amoindries.

Une troisième catégorie de métiers repérables, est celle des professions liées au tourisme, où

les métropolitains sont les principaux acteurs. Ils tiennent en gérance des hôtels, des

restaurants, des commerces et des lieux de distraction mis à la disposition des touristes en

vacances. Ici encore, les personnes oeuvrant dans ces secteurs d’activités, peuvent être aussi

bien des saisonniers employés pour quelques mois que des responsables de chaînes hôtelières,

ou des personnes à leur compte. Dans d’autres secteurs, certains ont eux créés leur entreprise,

ou leur société : nouveaux créneaux comme la publicité, la production d’artistes, ou encore

reprise d’affaires déjà existantes.

Hormis ces trois grosses catégories, et leurs sous ensembles, les français venus de l’hexagone,

peuvent travailler absolument dans tous les secteurs que propose le marché du travail, tout

comme ils se retrouvent aussi dans ces marges. En conséquence, il n’est pas rare que des

Page 29: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

entreprises s’implantent en Martinique, amenant avec elles : leurs techniques, leurs

technologies et leurs techniciens. A présent, on peut trouver des sociétés d’informatique ou de

maçonnerie avec des employés uniquement européens. Ainsi nous constatons que des

activités occupées par les métropolitains, étaient autrefois des postes, principalement tenus par

des locaux, comme les travaux manuels, aussi bien agricoles que de construction.

Cependant, toutes les personnes qui viennent de métropole n’ont pas obligatoirement une

activité professionnelle. Certains sont au chômage, d’autres n’ont volontairement pas

d’activité professionnelle. Depuis peu apparaît aussi en Martinique, une nouvelle population

dite « en marge ». Ces individus venus de France sont sans revenus et/ou sans domicile fixe

et, parfois même, dépendant de la drogue, faisant la manche dans les rues de la ville principale

de l’île, Fort-de-France.

En ce qui concerne ces derniers individus, le mépris de la population locale envers eux est très

fortement ressenti. Dans cette société où le statut de l’homme blanc a été intériorisé comme

supérieur, un tel comportement est vécu comme une provocation. Cette image du blanc ne

correspond pas à celle qu’en n’ont les martiniquais, elle ne correspond pas à la conception que

les martiniquais se font du statut, de la condition sociale du blanc. Par conséquent cette

attitude n’est pas comprise, et mal interprétée par la population antillaise.

Une telle diversification, et un tel étalement dans les secteurs d’activités, nous montre

combien la qualité de métropolitains n’est plus aujourd’hui représentative d’un statut

professionnel, ni même d’un corps de métier. Être métropolitain de nos jours ne veut plus dire

être responsable d’entreprise, enseignant, ou directeur de service de la fonction publique.

Néanmoins dans bons nombres d’esprits, reste présent une certaine idée positive de sérieux et

de confiance. Lors de la recherche d’un emploi, cet élément facilitera davantage l’embauche

d’un métropolitain que celle d’un martiniquais. Cependant le développement de cette

hétérogénéité professionnelle des métropolitains, est interprété par les locaux comme le vol du

travail, qui autrefois, leur était réservé.

1.2. L’âge

Pour traiter cette variable de l’âge, nous avons prit l’âge des personnes interrogées lors de leur

arrivée en Martinique. Ce critère rend plus homogène la population de métropolitain. En effet,

nous avons constaté que la décision de venir vivre sur l’île est prise, varie entre 25 et 35 ans.

Ces personnes sont par conséquent relativement jeunes. Leur décision correspond à un

changement de vie qui est envisageable à cette période de l’existence. C’est souvent à la fin

Page 30: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

de leurs études, après l’obtention de leur diplôme que les jeunes métropolitains veulent venir

acquérir une première expérience dans cette région de la France. Le choix de cette destination

est, bien entendu, privilégié par son côté exotique. Cependant il est possible seulement dans

certaines professions, où on enregistre de la demande. Nous avons vu que c’était le cas pour

les dentistes, les laborantins et les pharmaciens, en particulier.

D’autres étant un peu plus âgés, et ayant déjà une première expérience de travail, souhaitent

être mutés, pour quitter leur région et pour connaître autre chose. Ces demandes de mutation

sont faites le plus souvent par des enseignants, et autres agents de la fonction publique.

A part ces recherches d’expériences professionnelles, la volonté de partir durant cette tranche

d’âge de vie, est motivée évidemment par la situation familiale. Entre 25 et 35 ans, beaucoup

de personnes sont encore célibataires ou simplement en couple, ou encore avec des enfants en

bas âge. Ils peuvent se permettre de changer de cadre de vie, parce qu’ils n’ont pas de réelles

obligations familiales ou bien parce que l’adaptation familiale sera plus facile avec des jeunes

enfants. Ces facteurs facilitent la transition d’un lieu à l’autre. Leur motivation s’appuie

également sur l’envie de découvrir de nouveaux horizons où se rajoute le côté exotique de la

Martinique : l’éloignement, les plages, le soleil, les bains, les loisirs et les sports

maritimes…poussent certains à tenter l’expériences.

C’est par conséquent entre cette tranche d’âge que les motivations de départ sont les plus

nombreuses.

1.3. La situation conjugale

L’étude de l’âge nous permet une transition logique avec la troisième variable : la situation

conjugale. Comme nous venons de le voir, la jeunesse des personnes qui s’installent en

Martinique, induit l’absence de charge familiale. Ceci est vrai pour les personnes de 25 à 30

ans. Cependant dans la seconde tranche d’âge supérieur entre 30 et 35 ans le nombre de

personnes en couple, avec des enfants en bas âge sont plus nombreux. Sur les vingt six

métropolitains que nous avons interrogés, treize sont arrivés en couple, et sur ces treize

couples, cinq avaient déjà des enfants en bas âge. Il semble évident que l’engagement d’un

couple sans enfants, ne peut pas être identique à celui d’un couple ayant des enfants. Les

responsabilités de ce dernier sont d’autant plus importantes qu’il doit veiller à la bonne

adaptation de chaque membre de la famille. En effet, si l’un d’entre eux n’arrivent pas

s’accoutumer au mode de vie local, c’est toute la famille qui sera amener à remettre en cause

l’installation sur l’île. A l’inverse, pour un couple sans enfant, cette décision n’engage que des

Page 31: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

adultes susceptibles d’exprimer leur ressenti et de l’ajuster au contexte afin de s’adapter ou de

revenir sur leur choix.

Les personnes qui sont en couple, avec ou sans enfant, constituent un groupe. Le changement

de lieu de vie, d’environnement relationnel, provoque l’intrusion d’un groupe familial dans un

autre groupe. Un des risques encouru par les nouveaux arrivants est de se replier sur eux-

mêmes, dès les premières difficultés rencontrées avec l’extérieur. Le danger est de voir se

constituer un face à face entre ces deux groupes, leur opposition étant alimentée par la peur

de la différence. L’analyse de ces derniers problèmes évoqués, est reprise et approfondie dans

le sixième chapitre de cette étude.

Nous avons rencontré aussi, des métropolitains venus seuls. Pour ces derniers, leur arrivée

dans l’île est un choix qui n’engage qu’eux. Ils représentent douze personnes sur les vingt six

rencontrées. Parmi ces douze personnes, nous notons la présence de seulement quatre

femmes, donc moitié moins que les hommes, âgées entre 30 et 35ans. L’hypothèse que nous

pouvons avancer est que dans cette tranche d’âge, les femmes sont en couple. Nous savons

aussi que dans l’inconscient collectif une femme seule est imaginée davantage en danger

qu’un homme seul. Puisque c’est une personne qui est considérée plus fragile que l’homme

est moins capable physiquement de se défendre par elle-même. Par conséquent ceci peut être

un élément qui les dissuade à partir seule. Cet élément est en plus accentué par la réputation

que les antillais ont d’être des « coureurs de jupons ». Les femmes non accompagnées sont

alors amenées à se sentir plus en insécurité que celles qui sont en couple. D’où un nombre de

candidates au départ moins accru que celui des hommes.

1.4. Le Temps

A ces trois premières variables, il parait opportun d’y rajouter une quatrième, moins

sociologique, mais tout aussi pertinente, qui est celle du temps, soit le nombre d’années

qu’envisagent de passer les métropolitains en Martinique. Les prévisions des métropolitains

peuvent être classées en trois catégories.

Certains savent dès le départ la durée exacte de leur séjour sur l’île. Il s’agit généralement de

durée fixée par un contrat d’embauche qui définit un temps précis d’activité en Martinique.

Ces personnes sont fréquemment des employés de la fonction publique qui ont été mutés ou

qui ont demandés à l’être. D’autres viennent par leur propre moyen à la Martinique pour des

raisons plus ou moins professionnelles. Ils n’ont pas définit la date d’un retour en métropole.

Ils sont en Martinique pour une durée indéterminée, mais il en garde en vue l’objectif d’un

retour. Leur passage peut donc varier de quelques mois à plusieurs années. D’autres enfin ne

Page 32: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

souhaitent pas retourner en France, et désirent établir leur domicile de façon permanente sur

l’île. Ces derniers sont les moins nombreux. Le groupe métropolitain reste représenté comme

un groupe en perpétuel mouvement. Certains arrivent quand d’autres partent ; des entreprises,

des commerces, des restaurants se montent puis se ferment quelques temps après ; des

maisons sont construites et revendues. Le groupe est présent mais les individus changent

régulièrement. Cette dynamique a pour conséquence d’apparenter les métropolitains, à des

personnes sur lesquelles les martiniquais ne peuvent s’appuyer, puisqu’ils ne savent jamais

combien de temps ils vont rester sur l’île.

Nous venons de voir l’hétérogénéité de la population de métropolitains en Martinique. Leur

statut, ainsi que leur profession, leur situation conjugale, leur genre, leur durée de séjour sur

l’île, sont très variés. Seules la tranche d’âge, de le départ de France semble rendre homogène

cette population. Tous ces critères énumérés, sont descriptifs de la population métropolitaine

établie en Martinique. Mais ils jouent aussi, de façon plus ou moins positive, sur le processus

d’adaptation que vont mettre en place ces différents individus.

2. Pourquoi viennent-ils ?

Après cette description sociologique des métropolitains, il convient de s’interroger sur les

motivations qui les poussent à quitter la France pour vivre en Martinique. Comment lorsque

l’on ne connaît pas, ou peu les départements d’outre-mer décide-t-on de partir y vivre ? Quels

peuvent être les intentions, les buts qui suscitent le départ ?

2.1. Une expérience...

L’un des premiers moteurs de départ de l’hexagone des métropolitains est le désir d’acquérir

une expérience. Quelle soit professionnelle ou personnelle, s’éloigner de son environnement

d’origine pour acquérir de nouvelles connaissances, entraîne une réelle motivation.

L’expérience personnelle

Dans de nombreux cas, l’expérience professionnelle est la première source d’intérêt évoqué

pour expliquer l’origine du départ pour la Martinique. Elle sous-entend une volonté de

changement de lieu de vie et de vie. Le choix de cette destination n’est pas neutre. La

Martinique offre ce dépaysement indispensable au changement de lieu : par sa distance avec

la métropole, par son cadre « exotique », et par le contact avec les originaires. Elle permet

cependant un changement de vie accompagné d’une certaine sécurité. L’île est française, les

Page 33: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

métropolitains sont sûrs de retrouver les éléments essentiels au bon fonctionnement de la vie

quotidienne, à savoir la même langue, qui permet de communiquer facilement, et les mêmes

structures administratives, qui leur permettent d’effectuer les démarches nécessaires au

changement de domicile, sans difficulté majeures.

C’est ainsi que nombre d’entre eux, tentent cette expérience, en fonction de leur âge, de leur

peu d’obligation familiale et matérielle, expérience, qu’ils pensent ne plus pouvoir se

permettre dans quelques années.

L’expérience professionnelle

Cette seconde expérience est souvent utilisée, comme un argument, pour appuyer la première.

Selon l’âge de la personne concernée, l’emploi trouvé sur l’île, est son premier exercice

professionnel. L’expérience peut alors être positive comme négative dans le déroulement de

sa carrière. Le fonctionnement de travail en Martinique est différent de celui de l’hexagone.

Les conditions, le rythme de travail, n’y sont pas similaires (nous verrons ce point dans le

chapitre suivant). Soit cette expérience leur apporte une réelle polyvalence, soit elle les forme

à un mode de travail totalement différent de celui de la France, et les obligera à un effort de

réadaptation, lorsqu’ils souhaiteront s’insérer dans les réalités du monde du travail

métropolitain.

Les métropolitains ayant acquis une, ou plusieurs expériences professionnelles, réagissent

différemment face au rythme de travail martiniquais. Certains, le rejettent, le nient. Ils tentent

de reproduire le modèle connu et maîtrisé, pour chercher à se rassurer inconsciemment, ou

essaient d’inculquer leurs connaissances à leur environnement professionnel afin de faire «

évoluer » le savoir faire local. Le résultat obtenu est souvent contraire à celui souhaité et il

s’opère des résistances de part et d’autre.

On note à l’inverse, des attitudes positives face au rythme de travail local, dès lors, il

s’instaure une relation de confiance entre les deux communautés, permettant un

enrichissement réciproque. L’éloignement du milieu d’origine, la découverte d’un nouveau

public, une économie et un contexte culturel différents vont inciter certaines personnes à

s’aventurer dans un travail, dans un emploi, parfois fort éloigné de leur expérience

professionnelle précédente.

D’autres, spécialistes d’une profession, mais n’excellant pas en métropole viennent l’exercer

en Martinique. Les critères d’exigence n’étant pas toujours les mêmes, ils arrivent à se faire

une nouvelle réputation, une nouvelle clientèle, parfois plus dense que celle de leur

précédente région d’intervention. L’expérience dans ce cas, n’est pas un acquis mais un

Page 34: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

leurre. Car ils espèrent, ainsi, pouvoir continuer l’exercice de leur activité sachant que leur

manque de compétence va pouvoir être gommé par l’éloignement avec l’hexagone et les

critères qui y sont imposés.

Pour conclure, il est important de souligner que ce terme « d’expérience » revêt deux

notions : celle de temps limité, l’expérience n’est qu’un moment de la vie, un vécu acquit,

durant une période définie. La seconde notion découle de la première. L’absence de caractère

définitif permet, si l’expérience se déroule mal, son interruption. Dans l’utilisation du terme

« expérience », les métropolitains laissent entendre leur désir de retourner en métropole, à un

moment ou à un autre.

2.2. Les connaissances qui encouragent au départ

Certains métropolitains choisissent d’aller s’installer en Martinique par l’encouragement de

proches, ou de membres de la famille, qui y vivent.

La destination de la Martinique s’inscrit, bien entendu avant tout, dans une optique de départ,

motivée par différents éléments : fin d’un contrat de travail, sentiment de s’enliser dans une

routine, ou envie de quitter la France hexagonale.

La connaissance d’amis ou de famille sur place procure un double sentiment de sécurité

renforçant l’intention de départ. L’expérience de leurs amis, leur permet d’avoir un aperçu de

la vie locale et d’évaluer si c’est cela qui leur convient. Ils peuvent également grâce à ces

personnes obtenir un appui leur procurant, du moins dans certain temps, une certaine quiétude

en bénéficiant de leurs réseaux de connaissances, que se soit pour travailler, pour trouver un

logement ou pour tout naturellement lier des amitiés.

Il arrive aussi que se soit après être venu en vacances chez des amis à plusieurs reprises, et

parce qu’ils apprécient l’île, que certains décident de tout quitter en métropole pour venir s’y

installer. D’autre encore, sont « invités » à venir y séjourner et décident de ne plus en repartir.

Enfin, quelquefois, la décision de partir est déjà prise. Pour faciliter l’organisation du départ et

les premiers pas sur l’île, ils font appel à ces amis ou utilisent les connaissance d’amis ou de

voisins, de personnes déjà installées dans le département.

Ces amis, ces connaissances, ainsi que la famille peuvent être des métropolitains comme des

martiniquais. Les métropolitains peuvent connaître des martiniquais, rencontrés en métropole,

et repartis vivre en Martinique. Ou bien, s’ils vivent toujours dans l’hexagone, ils peuvent

avoir rencontrés leurs parents qui les accueillent un temps de leur séjour sur l’île. Ils peuvent

Page 35: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

aussi, être membre par alliance d’une famille martiniquaise, par un conjoint antillais, connu

en métropole.

Ainsi, certains métropolitains quittent la métropole, pour rejoindre, en Martinique, un groupe

déjà constitué qui les accueillera, plus ou moins selon leurs attentes.

2.3. L’intérêt économique

Plus ou moins avoué par certains métropolitains, l’intérêt économique est l’un des arguments

déterminant pour venir vivre en Martinique : des avantages financiers sont attribués par leur

employeur, à ceux qui acceptent de se déplacer dans ces départements d’outre-mer. C’est le

cas, notamment des fonctionnaires, qui reçoivent un surplus de quarante pourcent de leur

salaire, pour compenser le coût de vie plus élevé qu’en métropole. Ceci est vrai pour certains

produits et notamment pour les produits alimentaires qui sont incontestablement plus chers.

Cette mesure est fortement discutée par les antillais notamment qui ne perçoivent pas cet

avantage. En effet, nous pouvons nous interroger sur la réelle pertinence de ce privilège

puisque les fonctionnaires martiniquais perçoivent les mêmes salaires que les fonctionnaires

de métropole (à postes équivalents). Comment, font-ils pour consommer si les mêmes

produits aux coûts si élevés ? Ce constat nous autorise à penser que cet avantage financier a

été instauré plus pour encourager l’installation de métropolitains dans les DOM, que pour une

réelle compensation du coût de la vie.

Vivre sur l’île, présente un autre avantage financier. L’investissement y est défiscalisé par

l’Etat afin de promouvoir l’installation d’entreprises dans les départements d’outre-mer et

redynamiser l’économie. Cette défiscalisation profite aussi aux particuliers qui souhaitent

investir dans l’achat, ou la construction de biens immobiliers. Elle n’est cependant effective

que pendant cinq ans. Ce temps, permet à certains métropolitains de faire des économies, ou

de réinvestir cet argent dans des épargnes rentables. Nous avons constaté qu’au terme de ces

cinq années, plusieurs métropolitains revendent leurs biens immobiliers, pour réinvestir

ailleurs et bénéficier à nouveau de la défiscalisation, ou pour rentrer en métropole.

Enfin, l’intérêt économique est convoité par ceux qui souhaitent monter leur commerce, ou

leur entreprise. Sans généraliser, cette démarche à toutes les activités commerciales sur l’île,

certains laissent transparaître leurs intentions par leurs démarches. Le but de l’investisseur de

l’activité, souvent liée au commerce du tourisme, n’est pas de pérenniser l’entreprise, mais de

gagner un maximum d’argent en un minimum de temps. La Martinique attire ces personnes

par l’image exotique et touristique qu’elle véhicule. Comme nous l’avons vu dans notre

introduction, malgré le déclin du tourisme constaté ces dernières années en Martinique

Page 36: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

comme dans les autres départements d’outre-mer, des métropolitains viennent sur l’île,

pensant y trouver « l’eldorado ».

Ces arguments énoncés, ne sont sans doute pas les seuls. Ils sont le plus souvent cités, lors des

entretiens que nous avons effectués. Nous les avons hiérarchisés pour une meilleure

compréhension. Néanmoins, les métropolitains ne nous les ont pas présentés aussi

distinctement les uns des autres ; ils ont pu les évoquer tous à la fois, tout comme n’en

exprimer qu’un. Cela dépend, ensuite de chacun cas prit individuellement.

3. Où se situent géographiquement les métropolitains sur l’île ?

Il est intéressant de savoir si nous pouvons repérer les métropolitains dans une zone

spécifique de l’île, ou bien s’ils sont totalement dispersés dans la Martinique, afin de voir s’il

y a un regroupement géographique entre métropolitain ou pas.

3.1. Trois zones géographiques

A première vue, on observe une plus forte population blanche dans le sud de l’île que dans le

nord. Il est curieusement possible de ne rencontrer aucune personne de couleur sur une plage

de Sainte Luce, tout comme il est facile de ne croiser aucune personne blanche dans les rues

du Prêcheur. (CF annexe 3).

Une majorité des vingt six métropolitains interrogés demeurent dans le sud, ce qui semble

confirmer notre première impression. En effet, sur les vingt six personnes, dix-sept habitent

dans la zone du sud ; territoire que nous pouvons délimiter en traçant une ligne imaginaire

entre les communes Casse-Pilote et du Robert, séparant la Martinique en deux. (CF annexe 2

et 3).

Nous remarquons une concentration de métropolitains sur la presqu’île de la Caravelle et

Trinité, qui se situe un peu plus au nord de cette ligne imaginaire. Au centre de l’île, la

commune de Saint Joseph, proche de Fort-de-France, accueille un certain nombre de

métropolitains. Quatre personnes parmi celles que nous avons sollicitées, y demeurent.

Nous relevons trois zones principales de résidence des personnes venues de métropole :

• Les communes en périphérie de la capitale, Fort-de-France : inscrites dans un arc de

cercle reliant les bourgs de Schoelcher, Saint Joseph et le Lamentin.

• La presqu’île de la Caravelle incluant la commune de Trinité.

Page 37: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

• La côte sud de l’île qui s’étend des Trois Ilets à Sainte Anne. Nous constatons une

forte représentation de cette population entre les Trois Ilets et le Diamant, ainsi que

dans la commune de Sainte Luce.

Les personnes questionnées ont, en majorité, choisi leur lieu de résidence. Trois d’entre elles,

seulement habitent dans un logement de fonction. Elles vivent, d’ailleurs, dans le nord de

l’île.

3.2. Comment les métropolitains expliquent-ils ces regroupements ?

Nous pouvons alors nous interroger sur ce qui amène les métropolitains à choisir ces zones

pour établir leur logement. Plusieurs personnes avancent l’argument de la proximité du lieu de

travail. Effectivement, Fort-de-France, capitale économique, centre administratif, ville

principale de l’île, regroupe les lieux de travail de la plupart des métropolitains. En outre,

l’immense zone commerciale qui y est accolée, réunit un nombre considérable des actifs de

l’île. Nous constatons que la majorité des emplois se situent dans Fort-de-France. Par

conséquent, toute personne qui souhaite atteindre la ville, aux horaires habituelles de travail,

se retrouvent bloquée dans les embouteillages. Ainsi, c’est pour éviter ces inconvénients

qu’une partie importante de ces salariés dont les métropolitains a fait le choix d’habiter dans

les communes périphériques à l’agglomération.

D’autres métropolitains ont choisit de vivre au coeur des avantages que proposent l’île : à

savoir habiter prés de la mer : la mer caraïbe, ou l’océan atlantique. Ils souhaitent profiter

d’une qualité de vie qu’ils ne connaissaient pas en métropole. La recherche d’une habitation

en bordure de mer, d’une plage sablonneuse offre un cadre de vie correspondant à l’image

qu’ils ont conçue de la Martinique lorsqu’ils demeuraient en métropole. Ils tentent ainsi

d’associer une qualité de travail à un environnement au quotidien exotique. Les personnes qui

vivent entre la Pointe du Bout et l’Anse à l’Âne, peuvent se rendrent à Fort-de-France par

bateau. Ce nouveau mode de transport leur évite les embouteillages. Son utilisation est vécue

comme un luxe. C’est ce que nous explique une métropolitaine qui habite l’Anse à l’Âne, et

qui travaille à Fort-de-France:

« Ici c’est un paradis…, de vivre là, je vais travailler en prenant le bateau, les pieds dans l’eau je

débarque sur une plage, je rentre chez moi, je débarque à nouveau sur une plage… c’est un moyen de transport

qui m’évite les embouteillages, mais en même temps c’est Thalassa […] je suis en 20 minutes chez moi, et je n’ai

eut que des agréments, j’ai eut la mer, le bateau de temps en temps des dauphins qui passent, c’est du rêve, c’est

une perpétuelle rêverie, on a que des côtés sympas… ».

Page 38: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

3.3. Le sentiment des martiniquais

La plupart des métropolitains se retrouvent ainsi, à proximité les uns des autres, car ils

recherchent tous un cadre de vie fait de tranquillité et d’exotisme, dans certaines zones de la

Martinique. Face à ce constat, nous pouvons nous demander quelles conséquences peuvent

avoir ces regroupements pour les martiniquais.

L’installation d’un certain nombre de métropolitains dans une succession de communes

voisines est aisément remarquable. Car sur une île où la majorité de la population est noire, le

rassemblement de personnes blanches dans certains quartiers, ou bourgs, est visuellement

interpellant. Cette installation massive de métropolitains dans ces lieux, provoque un

déséquilibre sociologique. En effet, les martiniquais deviennent une minorité sur leur territoire

d’origine. Les martiniquais constatent ce phénomène et le vivent douloureusement. Ces

communes et ces bourgs sont devenus à leurs yeux des ghettos blancs où leur présence semble

gênante. La zone qui s’étend de la côte sud de l’île des Trois Ilets à Sainte Anne, est appelée

par la population locale « la côte blanche ». Une martiniquaise nous disait à ce propos :

« Moi avant j’allais à la plage là-bas [sur cette côte], mais maintenant les rares fois où j’ose y aller, je

me sens mal à l’aise. J’ai l’impression, par leurs regards [ceux des métropolitains] d’être une intruse, alors je

m’en vais… ».

Par ce témoignage, il semble assez clair que les martiniquais se retrouvent dans une position

de minorité face aux blancs, et s’y sentent mal à l’aise. Ce sentiment d’être un étranger, leur

parait d’autant plus inconcevable qu’ils sont en Martinique chez eux, et qu’ils ne devraient

donc pas à avoir à ressentir cela. Cette intrusion massive de l’autre (le blanc) peut être vécu

comme dangereuse et provoquer un sentiment de rejet et d’amertume. Nous décelons parfois

ce ressenti dans le discours de certains habitants de l’île vis-à-vis des attitudes des

métropolitains.

3.4. Interpréter autrement ces rassemblements

Après avoir dégagé l’explication donnée par les métropolitains sur la question, et avoir

recueilli l’avis des martiniquais, nous pouvons voir que par ces rassemblements dans des

quartiers ou des bourgs de la population blanche, il semble qu’il y est un inversement de

condition par rapport à la disposition générale de l’île. Les blancs, minoritaires sur l’île,

recréent, par ces regroupements dans certaines zones, une population majoritaire où les gens

de couleur, sont les minoritaires. Les seuls arguments de qualité de vie, et d’exotisme évoqués

Page 39: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

par les métropolitains, ne semblent pas être les uniques raisons de ces regroupements

géographiques. La question que nous pouvons légitimement nous poser, est la suivante :

qu’est ce qui amène les blancs à rechercher la proximité de personnes qui leur ressemblent ?

Il faut se souvenir, que dans la société martiniquaise les métropolitains représentent vraiment

une minorité de la population. Au dernier recensement le nombre d’habitants en Martinique

était de 381 427 personnes (chiffres de l’INSEE, CF annexe 4), dont la population

métropolitaine représente 4%, soit prés de 15 260 personnes. L’appartenance à cette minorité,

nous l’avons déjà précisé, se repère au physique de la personne, elle est blanche. Cette

appartenance n’est donc pas dissimulable.

Cependant le statut de minorité (pour les blancs), au sein d’une société n’a rien de rassurant.

Leur différence de couleur permet aux martiniquais de les repérer et de les identifier,

aisément. Cette différence de couleur, est vécue par le groupe minoritaire, comme une

menace. Dès lors, pour pallier à cette peur de l’autre, les métropolitains, de façon plus ou

moins consciente, cherchent à se rapprocher du groupe où leur crainte s’atténue.

Cette peur que ressentent certains métropolitains vis-à-vis des martiniquais, est non seulement

due à la différence culturelle, mais est aussi liée à l’histoire de l’homme blanc dans son

opposition ou dichotomie à l’homme noir. Autrement dit c’est parce que le martiniquais est

noir que cette peur est accentuée. Nous ne sommes pas sans savoir que l’Europe au travers de

ces siècles de colonisation s’est forgée une image de l’Africain (donc du noir). Ces

métropolitains, parce qu’ils sont des occidentaux ont intériorisé cette image là. L’imaginaire

collectif des blancs véhicule donc, une représentation de l’homme noir qui peut être la

suivante : il est mauvais (c’est encré dans son épiderme qui est noir, par distinction au blanc

qui est le bien, le bon), il est agressif, (rappelons nous qu’il était, il y a quelques siècles encore

anthropophage), il est donc dangereux. Ces raisonnements ont été élaborés, principalement, au

cours de deux siècles : le seizième et le dix-septième. Malgré les changements idéologiques

qu’il y a pu avoir depuis cette époque, en ce début du vingt et unième siècle, cette image

demeure vivace au plus profond des européens et de certains français en particulier. Car

comme nous le dit William B. Cohen : « …les constructions mentales tendent, comme chacun

sait, à perdurer et à résister aux changements. »9. Nous tenterons d’analyser dans les pages

suivantes à partir d’indicateurs repérés, ce besoin de regroupement des blancs et de créer

paradoxalement un groupe à part entière au sein même de la société martiniquaise.

Chapitre trois : Première approche de l’île par les métropolitains

9 Cohen, William B., 1981, Français et Africains. Les Noirs dans le regard des Blancs 1530-1880.

Page 40: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Après avoir présenté les métropolitains et expliqué les raisons pour lesquelles ils

viennent en Martinique nous allons étudier comment se déroule leur première approche avec

l’île. En apparence les structures ne changent pas trop de celles de la France. Cependant

plusieurs particularités de l’île vont amener ces nouveaux arrivant à s’acclimater à quelques

éléments dont ils ne soupçonnent pas la difficulté avant leur arrivée.

Dans ce chapitre, nous essayerons de voir comment les métropolitains se familiarisent avec ce

nouvel environnement, les problèmes qu’ils rencontrent, et qu’est ce qui peut leur permettre

de les résoudre avec plus ou moins d’aisance.

1. Les structures de la métropole, et le premier dépaysement

En arrivant en Martinique, département français d’outre-mer, le métropolitain pense retrouver

tout ce qui caractérise le fonctionnement de la société française. Son attente va être comblée

mais l’application qui en est faite sur l’île, diffère de celle de la métropole. Il arrive aussi,

avec une représentation en tête de la Martinique qui ne va pas toujours correspondre à la

réalité locale.

1.1. Les éléments similaires à l’hexagone

A leur arrivée et même avant leur départ, les métropolitains sont rassurés par le fait qu’ils

savent qu’en Martinique ils vont retrouver toutes les institutions dont ils dépendent en France.

Effectivement sont présents tous les services de l’Etat : PTT, EDF-GDF, éducation, justice,

hôpitaux, les administrations : mairies, préfectures, conseils générale et régionale, la DDE,

etc…, les services du secteur tertiaire, les réseaux téléphoniques, les banques, les

commerces…etc. Ces institutions sont connues et chacun sait en faire usage, au moment

opportun. Cet environnement connu donne aux métropolitains le sentiment de se sentir chez

eux, sans d’effort particulier de compréhension d’un nouveau système puisque eux-mêmes, en

étaient déjà les bénéficiaires en France. Ils l’expriment ainsi : « ici, on est en France », « la

Martinique fait partie de la France » ou « la Martinique est française ». Nous pouvons

remarquer que ces différentes formules employées illustrent l’image qu’ils ont de la

Martinique. Elles peuvent être un indicateur du comportement que ces personnes ont sur

l’île, et envers la population locale. Prenons la dernière expression « la Martinique est

française » elle souligne la possession : la Martinique appartient à la France. Elle laisse

imaginer une attitude néo-colonialiste de la part de la personne qui l’utilise.

Page 41: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Ainsi le métropolitain conçoit logiquement que la Martinique ait toutes les institutions

existantes dans tout autre département français. Ce qui amplifie, son sentiment de sécurité,

c’est de retrouver les mêmes panneaux de signalisation au bord des routes, à proximité des

villages et ainsi pouvoir s’orienter avec facilité dans l’île. Dans les villages, villes les

emplacements des mairies et des églises sont situés, comme en France, sur une place au centre

de l’agglomération Sur l’île, la langue officielle est le français, donc aucun problème de

communication, avec l’Autre.

Tout semble, donc fait pour qu’un individu arrivant de métropole puisse se déplacer et

s'établir sur l’île comme s’il était n’importe où en France. Tous ces éléments sont d’autant de

points de repères qui facilitent l’installation sur l’île des métropolitains. Tout ceci semble

normal à tous ces métropolitains, à partir du moment, où la Martinique est depuis 1946, un

département français.

Ce constat peut être fait par un simple passager venu de la métropole pour un court séjour sur

l’île, tout comme par les métropolitains durant les premiers mois de leur installation.

Cependant rapidement, toutes les personnes qui résident sur l’île, attestent que l’apparence est

trompeuse, en effet, la réalité est bien autre. Si l’ensemble des structures s’adosse sur le

modèle français, le mode de mise en application est particulier à la Martinique.

La première différence que relèvent les métropolitains est évidemment le rapport au temps.

Les administrations semblent travailler lentement, et la patience leur est nécessaire pour

obtenir ce qu’ils veulent.

Afin d’accélérer la procédure d’obtention de tout document ou réponse à une question, il est

nécessaire de suivre, de connaître et de respecter les codes et les règles de comportements en

vigueur sur l’île (nous traiterons ce thème dans le chapitre suivant). Les nouveaux arrivants

s’aperçoivent que la présence des structures françaises en Martinique apparemment

rassurantes et familières, ne les dispense pas d’apprendre leur fonctionnement singulier sur

l’île.

1.2. La vision de l’île par les métropolitains

La première image de la Martinique évoquée par les métropolitains, est une île idyllique. Ils

se la représentent, dans leur imaginaire comme un lieu paradisiaque :des plages de sable fin et

blanc, bordées de cocotiers où sont installés des hamacs, une vue sur une mer calme dont

l’eau est presque transparente, sous un ciel d’azur…

Ces images sont véhiculées par les agences de voyages (CF annexe 5). Afin de séduire les

clients, elles proposent quelques photos types de l’île qui mettent en exergue les immenses

Page 42: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

plages de sable fin, les cocotiers, la mer translucide et, le soleil renforçant ainsi la

représentation interne portée par le client. Mais se sont aussi les touristes, qui partent pour des

séjours de dix à quinze jours, renforcent cette vision paradisiaque de l’île, par les éloges,

faites sur l’île à leur retour. Comme nous l’avons déjà évoqué, ils gardent un souvenir sélectif

du séjour, oubliant les difficultés relationnelles rencontrées, parfois, avec la population locale.

C’est donc une vision proche du mythe que les métropolitains ont de la Martinique à leur

arrivée.

En effet, de la vie qu’ils imaginent pouvoir avoir sur une île, se dégage un mythe, entretenu

par les représentations visuelles des agences de voyages. Mais c’est parce que justement ces

lieux paradisiaques n’existent pas dans un environnement proche des personnes que celles-ci

y adhèrent. Ce lieu idyllique, éloigné de leur quotidien et, par des milliers de kilomètres, fait

rêver ces personnes n’ayant de la Martinique et des îles, uniquement qu’une représentation

imaginaire. Avec cela, les conditions climatiques : du soleil toute l’année leur suggèrent

l’idée que l’on peut y vivre avec presque rien. Certains pensent qu’il serait possible d’y vivre

sans avoir de logement, avec un minimum de frais vestimentaires puisqu’il y fait chaud toute

l’année, de profiter des facilités agraires, liée à l’abondance de la végétation pour y cultiver

son jardin et des produits de sa pêche, pour se mourir à moindre frais. Nous voyons ici que

l’utopie de l’autosubsistance, peut aussi faire partie de ce mythe.

C’est avec ces représentations mythifiées, que les métropolitains en arrivant, et se rendent

compte des réalités de la vie sur l’île.

Un bon nombre de ces personnes découvrent pour la première fois la Martinique. Loin des

lieux aménagés pour les touristes, ils sont surpris, voire même déçus de ne pas retrouver ce

qu’ils avaient à l’esprit en arrivant. Ce n’est pas la beauté des paysages, ou la qualité des

plages qui remettent en question, mais principalement les aménagements faits. Le manque

d’harmonie entre les constructions et le paysage, ne met pas la beauté de celui-ci en valeur.

Certains vont même jusqu’à dire que dans certaines villes, la Martinique s’apparente à la côte

d’Azur. Ils font référence, avec cette comparaison, aux constructions de logements saisonniers

excessives, bâties sur cette côte dans les années 70, au début du développement du tourisme.

Les villes également déçoivent les espérances de ces nouveaux arrivants. Beaucoup trouvent

que certains quartiers, et notamment ceux de Fort-de-France, ressemblent plus à des bidons

villes et donc au tiers monde qu’aux villes de pays occidentaux, dont fait partie la France. Le

manque de restauration de certains immeubles comme l’état de délabrement de certains

quartiers, choquent les personnes qui ne comprennent pas que l’on puisse trouver des

Page 43: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

agglomérations dans de tel état. Une métropolitaine nous confie son étonnement en

découvrant la capitale de l’île :

« Je ne m’attendais pas à ça, j’avais une vision un peu plus idéaliste, peut être un peu plus dépliant

touristique. Donc, quand je suis arrivée, il y a eut un petit décalage avec la réalité, parce que je ne sais pas…

vous avez vu Fort-de-France ? Pour moi c’est une ville du tiers monde, et il y a beaucoup d’aspects de la

Martinique qui la rapproche d’un pays du tiers monde. Enfin honnêtement moi, je vois ça comme ça, c’est pas

tout à fait pareil mais on s’en rapproche. Donc le décalage à était un peu difficile quoi… Fort-de-France ce

n’est pas une jolie petite ville, ce n’est pas une ville commerçante, tel qu’on pourrait espérer trouver dans un

département qui est relativement peuplé. Donc ça, c’est le côté, un petit peu décevant, par rapport à la vie

social, tout ce qu’on peut attendre d’une grande ville, ici on ne le retrouve pas, il me semble… Moi ça me dit

rien d’aller traîner dans le centre ville de Fort-de-France, y’a rien d’engageant. »

Lors de notre séjour sur l’île le quotidien local : le « France-Antilles », publie

hebdomadairement les « vues du ciel » d’une ville locale. C'est-à-dire qu’étaient prise en

photo par hélicoptère, toutes les semaines, une commune de l’île. A ce sujet un homme que

nous avons interrogé nous dit :

« Vous avez vu ce que le France-Antilles fait en ce moment, les photos des villes par hélicoptère ? Oh la

la, mais ils auraient jamais du faire ça…Vous avez vu le nombre de bidons villes qu’il y a ? Y’a de quoi faire

fuir tous ceux qui viennent d’arriver ! Cette semaine c’est le Vauclin, c’est moche…, heureusement qu’on

distingue quelques quartiers avec de belles maisons. Quartiers où vivent, comme par hasard, que des

métropolitains. Ce n’est pas fait exprès, mais c’est parce que de toute façon si c’est eux qui ont les plus belles

maisons, c’est parce que c’est eux qui savent faire construire avec goût… les martiniquais, eux ils s’en

foutent… »

Ce second témoignage, atteste le ressenti de certains métropolitains : «…l’état actuel des

villes est dû au manque d’intérêt qu’ont les martiniquais a les entretenir, ou les embellir… »

L’avis de cette personne n’engage qu’elle. Le manque de goût des martiniquais auquel elle

fait référence, est plus une divergence d’esthétisme qu’une réelle lacune chez ces derniers. Ce

reproche fait à l’attitude des martiniquais « eux ils s’en foutent », se retrouvent également

dans la façon dont ils gèrent le milieu naturel de l’île.

Car si l’aménagement de l’île est contesté, la beauté du cadre n’est pas remise en cause. C’est

le comportement des autochtones vis-à-vis de ce milieu qui est déploré. Les métropolitains

trouvent regrettable la façon dont la population locale néglige l’environnement, en ne

Page 44: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

respectant pas de la propreté des lieux, notamment lorsqu’ils jettent leurs ordures n’importe

où.

Le constat immédiat qui se dégage entre ces deux populations, c’est une vision différente du

milieu environnent. En effet pour l’individu qui arrive de métropole, ce milieu est exotique.

Cependant Segalen nous avertit (cité par F. Affergan)10 : « Pour qu’il y est exotisme, il faut

que l’objet regardé ou senti, par de multiples médiations, renvoie l’écho de notre propre

présence. Ainsi ne pas être trop au monde mais légèrement en décalage. ». On comprend qu’il

y a deux manières de vivre l’exotisme : pour l’autochtone et pour l’observateur. Segalen nous

dit alors que pour ce second le seul fait d’être extérieur lui fait ressentir l’exotisme : « Je

conçois autre, et sitôt, le spectacle est savoureux. Tout exotisme est là. ». Autrement dit il est

difficile pour les martiniquais de s’émerveiller devant ce lieu dans lequel ils ont toujours vécu,

contrairement aux métropolitains qui, le découvre. L’antillais se considère comme un élément

faisant partie de la nature elle-même, et se trouve dans l’impossibilité de l’objectiver. Il ne

contemplera donc pas son pays, car pour le contempler, Segalen nous dit, il faut s’en détacher.

C’est pourquoi, il ne comprend pas l’attitude du métropolitain en quête d’exotisme, qui à

peine arrivé, s’enfonce dans les moindres recoins de l’île, où, lui-même, autochtone, ne s’est

pas forcement aventuré. Les métropolitains, à leur niveau, ne comprennent pas que les

martiniquais ne connaissent parfaitement leur île, et n’en prennent pas soin, négligeant

l’entretien de son environnement pour la préserver.

2. Les premières adaptations à l’île

Nous allons voir à présent quels sont les éléments faisant partie intégrante de l’île et de son

fonctionnement et s’imposant aux métropolitains à leur arrivée. Les capacités d'acclimatation

de ces derniers, sont la première phase du processus d’adaptation. En effet c’est par la

confrontation avec ces éléments : le temps, le rythme de vie, les conditions climatiques, ainsi

que l’insularité, que les personnes venues de l’hexagone vont parvenir avec plus ou moins de

difficultés à s’accoutumer à la vie de l’île.

2.1. Le temps

Le temps en Martinique ne s’écoule pas de la même manière qu’en métropole. Il ne signifie

pas non plus la même chose. Pour s’y habituer il faut comprendre ce qu’il représente. Nous

allons étudier deux caractéristiques de ce terme, qui ont été le plus abordées lors de nos

10 Affergan, Francis, 1983, Anthropologie à la Martinique, p40.

Page 45: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

entretiens. Il s’agit du temps qui signifie la durée, les horaires, puis nous nous attarderons sur

le temps qui désigne un moment et notamment celui de la fête. Nous allons ainsi, étudier ces

temps tel que l’entendent les métropolitains et à travers les significations qu’ils ont pour les

martiniquais.

La première expérience du temps faite par les métropolitains en Martinique, passe par un

nombre considérable d’heures d’attente, dans les administrations afin d’accomplir les

démarches nécessaires à leur installation. Ils découvrent ensuite, que quelque soit les activités

qu’ils entreprennent, ils attendent. C’est un nouveau rapport au temps. Ils attendent : chez les

médecins, dans leurs déplacements à cause des embouteillages, dans les fils d’attente des

magasins, et même lorsqu’ils ont des rendez-vous, en particulier avec des locaux.

Le métropolitain en arrivant sur l’île a l’impression de perdre son temps dans des futilités. Ce

nouveau rapport au temps dont il n’est pas coutumier, car habitué en métropole à rationaliser

son emploi du temps, le perturbe. Il transparaît de ce ressenti, un réel agacement qui se traduit

sous une forme d’agressivité à l’encontre des martiniquais. Face à l’inconcevabilité de

pouvoir vivre comme ça, la notion du temps toute entière est attribuée à l’illogisme du

fonctionnement martiniquais. La notion de temps, régie, pour les martiniquais et pour les

métropolitains, par des codes et des règles, différents contribue à créer un phénomène de

différenciation et une barrière entre ces deux mondes. C’est ce que nous pouvons relever dans

les propos de cette jeune femme :

« On a l’impression que les gens, ici, ont tout leur temps et que s’ils perdent une journée dans le

cabinet de médecin, ben c’est pas grave. Ça énerve un peu mais s’il faut attendre deux ou trois heures ce n’est

pas gênant, et ça c’est un peu énervant de tout le temps devoir attendre…on a autre chose à faire… Donc il y a

cet aspect là peut être, il y a l’administration quoi que là ils font des efforts… c’est le manque en général de tout

se qui est fonctionnement tout se qui est administratif, tout se qui est emmerdant en terme général c’est très long,

c’est très pénible, alors je sais pas si c’est culturel ou si c’est un manque de moyen, mais bon les gens, ici, ont

l’air de l’accepter relativement bien. »

Nous voyons ici, que les métropolitains pensent que l’attente vécue par eux comme quelque

chose de subi, fait partie, en fait, d’une attitude consciente des martiniquais. Ils considèrent

que ces derniers pourraient, s’ils le voulaient, agir autrement. Il est sous entendu : « c’est

volontairement que les martiniquais perdent du temps, puisque ne travaillant pas ils n’ont rien

d’autre à faire ».

Ce que nous observons ici, est un phénomène d’interprétation des comportements de l’Autre

face à une incompréhension directe de ses actions, et qui est semble-t-il une attitude de

Page 46: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

défense. C’est parce que l’on ne comprend pas pourquoi l’Autre agit de cette manière, que

l’on va interpréter ces attitudes, même si ces interprétations n’ont pas de fondements, afin de

pouvoir se rassurer en se persuadant que l’explication que l’on donne est la raison de leurs

agissements.

Le rapport au temps qu’ont les martiniquais, peut trouver d’autres explications. F. Affergan,

nous suggère une analyse afin d’appréhender ce rapport au temps. Cet auteur, date l’origine

de ce rapport singulier au temps, à la colonisation et à une de ces conséquences qui est selon

lui : « la perversion du colonialisme qu’est l’assimilation »11. La France tente d’imposer une

conception d’un vécu très spécifiquement temporalisé. Cette conception de la temporalité est

« celle d’une continuité et d’une sérialisation, avec ses rythme et ses cadences propres. Le tout

devant produire un rapport au monde fait de causalité et de déterminisme.». Face à cette

temporalité méthodique, Affergan nous dit que la double origine africaine et servile présente

un vécu et un imaginaire du temps tout à fait différents. Par conséquent nous pouvons

observer deux phénomènes :

- Premièrement : attendre pour les martiniquais c’est arrêter le déroulement imprévisible du

temps, ou du moins tenter de l’éterniser. L’attente consiste : à s’attendre à ce que les moments

soient remplissables de sens. En conséquence ils prennent effectivement sens, même s’ils sont

vides puisqu’ils se remplissent toujours de possible des événements que l’on attend.

Autrement dit l’attente et la patience, sont des attitudes très courantes à la Martinique. Le

martiniquais n’est pas en position de décider, d’agir, il dépend de structures, de systèmes

extérieurs qui vont déterminer son attitude. Il est en position d’assimilé.

- Deuxièmement, un comportement que nous avons observé : la non projection dans le

temps, qu’il soit à court ou à long terme. Affergan nous en donne l’explication suivante : en

Martinique le temps est vécu et perçu comme « découpé en tranches tombant en morceaux.

Et seul le morceau est investi. ». Cela signifie que seul le présent est pleinement vécu.

Contrairement à la vision que l’Europe a, ici, le temps est préféré « sous forme d’un flux,

d’un vécu extrêmement lâche où peuvent venir s’intercaler toutes sortes de moments

possibles, imprévus et imprévisibles ». Le temps antillais est, par conséquent, celui de

l’imprévision et de l’imprécision, proche, donc, de l’état de nature.

Le métropolitain interprète, cette conception du temps comme une attitude de « grand

enfant ». Ce mode de vie des martiniquais vivant « au jour le jour »12, est considéré par les

métropolitains comme une incapacité à être responsable et adultes.

11 Affergan F., 1983, Anthropologie à la Martinique, p 164. 12 Expressions qui nous ont été donnés par des métropolitains lors de nos entretiens.

Page 47: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Autre temps : celui accordé à la fête. Il s’agit des fêtes qui se déroulent au niveau de

l’île. La fréquence de ces événements semble excessive aux métropolitains. Elle renforce

l’idée véhiculée par ces derniers que le martiniquais est un grand enfant.

Pour comprendre ce temps consacré à la fête, il est nécessaire d’appréhender la complexité de

la société martiniquaise. Nous n’avons pas l’intention d’analyser ce système, des auteurs y ont

consacrés d’importants ouvrages. Nous voulons mettre en exergue quelques éléments qui

permettront une meilleure compréhension du mode de vie des martiniquais.

Nous avons noté, durant notre séjour à la Martinique, le nombre de paradoxes sur lesquels

s’est construite la société martiniquaise. Par exemple nous avons observé quelques éléments

de la vie quotidienne : le manque de communication, qui caractérise les rapports entre les

individus de cette société, en particulier, ce qui est vécu par un individu et ce qu’il va laisser

apparaître aux autres. Ainsi, nous avons remarqués que la plupart des martiniquais sont

entourés d’un groupe d’amis dont ils sont inséparables, alors qu’ils disent ne pouvoir compter

sur le soutien d’aucun d’entre eux. De même bien souvent ils laissent la porte d’entrée de leur

maison grande ouverte pour accueillir tout ceux qui veulent venir rendre une visite, mais aussi

parce qu’ils ne craignent rien dans leur quartier, alors qu’ils prennent soin de minutieusement

fermée à clés la porte de leur chambre à coucher.

Ceci pour dire que ce fonctionnement paradoxal au quotidien sans explication, installe chez

les individus de profondes angoisses. Le réinvestissement du calendrier religieux, associé à

des cérémonies traditionnelles qui peuvent se dérouler sur plusieurs jours, est un moyen

d’évacuer les frustrations et les interdictions accumulées. Ces temps de fêtes répétés tout au

long de l’année sont, par conséquent, un « défouloir », où est dépassée temporairement

l’aliénation que provoquent les paradoxes de cette société.

Nous constatons que, la compréhension de la notion du temps par le métropolitains, dépend

de la manière dont est ressentie la confrontation de sa réalité avec celle qu’il découvre sur

place. En d’autres termes, c’est au travers de son regard d’européen, qu’il ne peut nier, que le

métropolitain interprète les comportements qu’ont les martiniquais. Si ces comportements

sont jugés, par ce regard ethnocentrique, comme positifs, alors le métropolitain pourra adhérer

avec facilité à ces nouveaux concepts. En revanche s’ils sont appréhendés négativement

l’adhésion ne pourra se faire que de manière plus réticente.

En ce qui concerne la notion de temps, nous avons bien vu qu’elle était perçue, comme une

contrainte, et en conséquence négativement. Les métropolitains ne pouvant changer cette

Page 48: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

situation ils s’y accommodent, c'est-à-dire qu’ils s’y résignent plus qu’ils n’y adhérent.

L’adaptation dans ce cas est un renoncement à un mieux, sous-entendu, la métropole.

2.2. Les rythmes

Le rythme ou les rythmes caractérisent la vie sur l’île et déroutent tout nouvel arrivant. Nous

pouvons relever deux rythmes en particulier auxquels sont confrontés rapidement les

individus de l’hexagone :

- le rythme de vie

- le rythme lié au travail.

Afin de définir le rythme de vie, nous allons prendre comme exemple le déroulement d’une

journée en Martinique et en métropole. Tout d’abord, nous constatons que les journées ne se

découpent pas de la même manière, et peuvent désorienter le nouvel arrivant.

En toute saison, le soleil se lève plus tôt en Martinique, qu’en métropole. En conséquence, la

journée, et les activités commencent et finissent plus tôt en Martinique qu’en métropole. Les

séquences journalières ne sont pas investies de la même manière. En métropole, le matin et

l’après-midi s’équilibrent en durée et masse de travail. En Martinique, le matin est beaucoup

plus chargé que l’après-midi. Une journée qui démarre entre 8h30/9h, en métropole, débute en

Martinique entre 6h30/7h pour finir variablement entre 15h et 17h au lieu d’entre 17h et 19h

dans l’hexagone. Dans les deux situations le temps de travail est identique. Cependant la

grande différence est l’invariabilité de l’heure du couché du soleil (entre 18h et 18h45) qu’il

existe en Martinique.

Un temps d’adaptation est nécessaire aux métropolitains. L’adaptation doit s’entendre aussi,

ici, sous son aspect biologique, en effet, l’organisme doit s’accoutumer à ce nouveau rythme.

En règle générale, cette adaptation biologique s’effectue sans difficulté. Mais c’est au niveau

psychologique que peuvent apparaître des résistances au changement.

En effet, prendre en compte une nouvelle planification de sa journée ne représente pas une

difficulté majeure. Par exemple, il est indispensable d’effectuer ses démarches administratives

le matin, plutôt que l’après-midi (les bureaux ferment tôt). Mais certaines personnes s’y

habituent plus vite que d’autre :

« On l’impression qu’on est tout le tps en train de courir, qu’on a moins le tps, la journée commence

tôt, et elle finie tôt, du coup on a moins le tps pour faire les choses. L’espace est réduit mais avec les

embouteillages, et tout ça la moindre démarche prend une matinée ou une après-midi, ouais on manque de tps…

on a commencé surtout en arrivant par stresser, on courrait partout. »

Page 49: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

La difficulté réside dans la faculté à occuper toutes les parties de la journée. La journée de

travail s’achevant entre 15 et 17h et le soleil se couchant vers 18h, l’espace de détente est

donc plus conséquent qu’en métropole. Comment l’utiliser, et surtout comment occuper le

temps entre la tombée de la nuit et l’heure du repas ? Telle est la question qui se pose aux

métropolitains. Les activités nocturnes n’étant pas aussi nombreuses qu’en métropole :

« Ici c’est zouk [soirée dansante où est diffusée principalement cette musique], à la limite cinéma mais

avec des programmations très orientées c’est-à-dire films d’actions ou des mauvaises comédies avec toujours au

minimum un acteur black, genre Woopie Goldberg, ou Eddie Murphy, ou alors c’est théâtre mais en créole,

alors…, mais sinon y’a pas de bars on peut pas aller boire un coup comme en métropole… ».

Ou parfois, tout simplement trop loin de lieu de résidence (tout est concentré sur Fort-de-

France).Effectivement il n’existe pas de lieu public où les personnes peuvent se retrouver ou

se rencontrer. Il n’y a pas de terrasses de cafés où il est possible de passer un moment. Les

martiniquais ont organisé une sociabilité d’apéro pour passer ce moment entre 18h et 20h

ensemble. Cependant c’est une sociabilité privée, et la plupart des métropolitains n’y ont pas

accès. En Martinique la nuit n’est pas un instant privilégié de la fête et des rencontres que les

continentaux connaissent, notamment dans le sud de la métropole. Certaines personnes ne

savent pas, alors, comment occuper leur soirée si ce n’est en se résignant à manger plus tôt et

par conséquent à se coucher aussi plus tôt. Or, la moyenne d’âge des métropolitains est

relativement jeune, cette solution n’est pas acceptable pour tous. Certains ont l’impression

d’adopter un mode de vie qui ne correspond pas au leur :

« le soir, y’a personne dans les rues, c’est un peu angoissant, surtout quand on sait qu’en France c’est

l’été et que c’est la fête partout, alors des fois c’est un peu difficile… ».

Ce moment de la journée peut être envisagé comme une épreuve. Nous constatons que

certaines personnes à cause de ce temps long et inoccupé, dépriment et envisagent de repartir

vers la métropole. Ce problème qui est plus d’ordre psychologique que physique, peut être

vécue autant par des personnes venues seules, que par celles venues en couple.

Le rythme de travail se caractérise par une certaine lenteur. Ce nouveau rythme peut

convenir à certains : « j’ai l’impression d’être en vacances toute l’année, c’est géniale », à

contrario, il peut en exaspérer d’autres. Ces derniers ont, alors l’impression d’être inefficace,

ou d’effectuer tout le travail. Pour ces personnes la lenteur de l’exécution des tâches est

Page 50: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

considérée comme un travail médiocre et peu efficace. Face à ce problème ces personnes

adoptent deux types de comportements : soit ils décident de tout changer, et ils se heurtent à

la résistance des locaux, soit ils se résignent, et tentent de vivre avec ces conceptions qui ne

sont pas les leurs.

Ces rythmes de vie et de travail démontrent aux métropolitains que la vie sur l’île est vraiment

différente de celle qu’ils connaissent en métropole. Si ces modifications de rythmes sont

vécues avec autant d’acuité c’est parce que les métropolitains croient évoluer dans un

département français. Leur désir d’installation en Martinique avait comme principal support,

l’exotisme et la qualité du cadre de vie, négligeant tous les particularismes de la vie

martiniquaise.

2.3. Les conditions climatiques

Chaleur et soleil en toute saison caractérisent le climat de l’île. Ces conditions climatiques

sont très attractives pour les métropolitains. Une fois sur place, cette vision est soutenue

durant quelques mois encore.

Mais très vite certaines personnes s’aperçoivent qu’elles souffrent de la chaleur, et qu’en

conséquence, elles ne peuvent pas accomplir tout ce qu’elles faisaient en métropole. Au

niveau du travail elles font le constat que la chaleur les fatigue rapidement et qu’ainsi elles ne

sont pas aussi performantes qu’elles avaient pu l’être dans d’autres circonstances.

Les conditions climatiques les obligent à adopter un nouveau mode de vie et un nouveau

rythme. Les journées s’organisent de façon à éviter un maximum les moments les plus

chauds. Il est nécessaire d’organiser une seule sortie pour accomplir toutes les activités qu’il

étaient prévues de faire afin de réduire autant que possible les expositions à la chaleur.

D’autres deviennent experts en météorologie essayant d’analyser la direction de la brise afin

de déterminer l’arrivée de la pluie. Certains découvrent que l’exposition de leur corps au

soleil est néfaste à leur peau.

Si lors de nos entretiens la plupart des métropolitains avancent l’idée que le climat de l’île est

un privilège dont ils sont contents de pouvoir profiter, il transparaît parfois le sentiment que

face à l’invariabilité de la température, les changements de saisons de la métropole sont vécus

comme un manque.

Néanmoins le côté positif du climat de l’île, permet aux métropolitains de s’adapter à celui-ci

relativement facilement. Même si, parfois, certains rencontrent quelques problèmes d’ordre

biologique : en particulier, les personnes à la peau très blanche.

Page 51: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

2.4. L’insularité

L’insularité, se caractérise par un espace territorial réduit, ce rétrécissement par rapport à un

continent est un autre élément que le métropolitain, doit prendre en compte. F. Affergan

souligne que la Martinique est une île qui n’échappe pas à l’empreinte « psycho-sociale » de

toute île : l’enfermement. L’encerclement de l’île par la mer est ressenti autant par les

métropolitains que par la population locale. Tout le monde réagit à l’étouffement des rapports

humains qui en découlent, par un comportement d’évitement, ainsi que par des attitudes

« sado-masochistes » dans la mesure où l’Autre ne peut pas s’échapper même s’il devient

indésirable. Affergan énonce que « la contrainte de vivre ensemble crée paradoxalement des

gestes de fuite et de repli, signes de vie non communautaire »13.

Cela s’applique dans le cadre des rapports entre martiniquais et métropolitains ; leurs

différences les amènent plus à se fuir qu’à se regrouper. En revanche, cette règle ne s’applique

pas pour les métropolitains qui vivent entre eux. Le fait de se regrouper entre eux et de parler

de la métropole leur permet de s’évader. Le sentiment d’être étrangers à cette insularité, et

d’être expatriés, les réunit. Certains vont même jusqu’à se regrouper par régions d’origine, ou

par quart de l’hexagone (parce qu’une seule région réduit trop le nombre d’adhérents) afin

d’échapper à cet étouffement insulaire. Cependant, les métropolitains ne ressentent pas

immédiatement l’étroitesse de l’espace. Quelques mois, voire quelques années peuvent

s’écouler avant qu’ils ne prennent conscience de ce fait. Cette période est le temps de la

découverte de l’île, dans ces moindres recoins. Lorsque l’île n’a plus de secret pour eux ce

sentiment les envahit.

Mais également ce qui trompe la personne qui découvre l’île, c’est la différence entre le temps

et l’espace. La Martinique, d’une superficie de 1100 Km2, se parcourt et se découvre

lentement. Ile montagneuse, dont la plupart des routes longent les côtes, nécessite de longues

heures de déplacement pour parcourir quelques dizaines de kilomètres. Par exemple il n’est

pas rare de mettre une demi-journée pour traverser le pays du nord au sud, soit 100 Km. Ce

décalage entre distance et temps donne l’étrange impression d’un espace plus grand que ce

qu’il est en réalité.

Enfin, le métropolitain voyage relativement souvent ce qui réduit son sentiment d’être

enfermé. En effet, il effectue régulièrement des voyages à l’extérieur de l’île. Que se soit pour

retourner en métropole ou pour visiter les îles ou les continents à côté, il part généralement

13 Affergan F., 1983, Anthropologie à la Martinique, p 15.

Page 52: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

une fois tous les ans, ou tous les deux ans à l’extérieur de l’île, pour des durées variables entre

un et deux mois.

En conséquence le métropolitain ne ressent réellement l’insularité qu’après être resté plusieurs

années sur l’île. Cet enfermement peut se ressentir plus rapidement pour certains, non pas à

cause du manque d’espace, mais plutôt par l’atmosphère qui règne sur l’île. Il y a au sein de

l’île une lourdeur, une pesanteur, qui fait ressentir à chacun un sentiment d’étouffement. Il

existe, aussi une tension dans le regard et dans les gestes de la population, qui fait percevoir

aux métropolitains le poids de l’étroitesse du lieu. Celle-ci n’a d’ailleurs d’autre moyen de

fuir cet enfermement qu’en parcourant l’île en voiture pendant des heures sans but, c’est ce

qui s’appelle en créole « driver ». C’est également par la rapidité avec laquelle les

informations sur une personne circulent à travers l’île, que ces derniers s’aperçoivent que la

Martinique n’est qu’un grand village.

C’est au travers de leurs rapports avec la population locale plus que par l’effective petitesse de

l’île que les métropolitains ressentent l’insularité. En se regroupant les métropolitains tentent

d’échapper à cet étouffement ou du moins de l’atténuer.

Nous avons vu au travers de cette partie que les métropolitains rencontrent des

difficultés d’adaptation au mode de vie de l’île. Impression constante de perdre son temps,

changement de rythme de vie et de travail, fatigué par le climat, énervé par l’isolement

insulaire et par l’ambiance de petite ville où l’on s’épie, tel est ce que ressent le métropolitain.

Ces éléments réunis amènent certains métropolitains à projeter sur la population locale une

animosité. Face à l’incompréhension du modèle culturel, les métropolitains ont deux types de

réactions : soit ils se résignent, soit ils attribuent aux différences culturelles entre eux et les

martiniquais, les incohérences qu’ils perçoivent.

Nous allons voir à présent, que certaines situations permettent parfois de faciliter cette

première adaptation à la vie de l’île.

3. Les éléments qui peuvent faciliter l’adaptation à la vie sur l’île

Nous allons voir quelles démarches peuvent entreprendre les métropolitains avant leur arrivée

sur l’île, ou au cours de leur installation afin d’atténuer voire supprimer les difficultés que

nous avons énoncées ci dessus.

Page 53: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

3.1. La connaissance de l’île avant l’arrivée

Les métropolitains n’arrivent pas tous avec les mêmes connaissances de l’île. Certains la

découvrent totalement, d’autres ont eut au préalable une démarche de recherches avant de

prendre la décision de partir y vivre. Ces recherches peuvent être historiques, géographiques

ou culturelles. Nous notons, que sur les vingt six personnes interrogées, plus de la moitié ne

savaient pas situer géographiquement la Martinique avant de venir s’y installer. Cela peut

démontrer que c’est le désir de partir qui motive les individus plus que la destination en elle-

même. Ce constat laisse à penser que ces métropolitains ne s’intéressent pas à la culture

martiniquaise, et qu’ils s’imaginent retrouver en Martinique département français, les mêmes

règles de fonctionnement qu’en France. D’où le décalage entre l’image qu’ils s’étaient faites

du lieu et la réalité qu’ils découvrent.

A l’inverse ceux qui entreprennent un travail de documentation sur les conditions

économiques, politiques, historiques et culturelles de l’île, seront plus à même d’appréhender

leurs nouvelles conditions de vie sur l’île. Sensibilisés aux particularismes, ils seront amenés à

être plus tolérants. Il est cependant nécessaire de ne pas s’installer dans une position de

culpabilité face à l’histoire et ainsi d’accepter ou tolérer, tout et n’importe quoi de l’Autre au

nom de la servitude qu’il a subi.

Ce que peut permettre alors, l’apprentissage de certains savoirs concernant l’île et les

personnes qui y vivent, est un amoindrissement du décalage entre ce que le métropolitain se

représente de la Martinique et la réalité qu’il rencontre une fois installé. Ainsi il peut se mettre

en place une adaptation aux éléments que nous avons étudiés dans la partie précédente, non

plus de façon réactive, mais davantage tournée vers la recherche d’explications pour accéder à

une esquisse de compréhension de l’Autre et de ces comportements.

Cette démarche est rarement réalisée avant le départ de la métropole. Nous nous sommes

aperçus que certains, face aux difficultés qu’ils rencontrent sur place, décident de dépasser les

différences de cultures qu’ils ressentent et entreprennent de découvrir la culture martiniquaise.

3.2. La référence à des amis

La connaissance d’amis (le plus souvent métropolitains, mais ils peuvent aussi être antillais et

avoir été rencontrés en métropole) peut être une manière d’être confronté à la différence

culturelle de façon moins abrupte. Ils permettent d’aider à l’adaptation des nouveaux arrivants

en servant de médiateurs entre les deux cultures afin de donner sens et pertinences aux

situations rencontrées. Cet accompagnement permet de relativiser les difficultés. Ainsi, ces

amis par leur connaissance de l’île permettent d’accompagner les derniers arrivés, dans leurs

Page 54: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

premières expériences de la découverte de l’île. Ces amis peuvent être aussi bien martiniquais

que métropolitains, notons que les premiers sont plus à même de donner des explications que

les seconds.

Cependant la référence à des amis peut comporter un double handicap. Le premier : est qu’ils

transmettent une vision subjective de la réalité de la vie sur l’île, en mettant l’accent sur les

différences entre le mode de vie des métropolitains et des martiniquais, désignant ces derniers

comme responsables de tous les dysfonctionnements. Ainsi ils ne font qu’affirmer une vision

erronée de l’île, et ils contribuent, de cette manière, à accentuer, ou à renforcer les images

préconçues et l’incompréhension des nouveaux arrivants face à la culture locale.

Le second : est que les nouveaux arrivant se retrouvent dépendants de leurs amis

« spécialistes de la Martinique » les empêchant de découvrir par eux-mêmes l’environnement

dans lequel ils s’installent. Ils sont pris dans un maillage social proposé par leurs amis, ce qui

peut les empêcher de construire des relations avec d’autres habitants de l’île et d’être exclus

de la réalité locale.

L’adaptation dans ce cas peut être :

- soit une simple reproduction de ce que l’autre a vécu, si les amis auxquels il est

fait référence sont trop étouffants,

- soit une intégration progressive dans cette nouvelle société grâce à

l’accompagnement des amis.

3.3. L’expérience antérieure

Par expériences antérieures nous entendons tout ce que les métropolitains ont pu vivre, avant

de venir s’installer en Martinique, et qui serait susceptible de leur avoir développer une

ouverture d’esprit. Ces expériences peuvent être liées à une profession. Comme par exemple

celles qui amènent à être directement au centre des rapports humains, comme les professions

sociales, ou alors celles qui amènent des individus très différents à travailler en équipe dans

un endroit isolé durant de plusieurs mois, comme les marins de la marine marchande, où sont

employés des personnes de nationalités différentes.

Mais ça peut être aussi par le biais du voyage que certains individus peuvent acquérir cette

ouverture d’esprit. Par la rencontre de populations de divers pays, et donc une première

approche de la confrontation avec des cultures différentes de la sienne.

Page 55: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Mais cette ouverture d’esprit peut aussi se faire par l’adhésion à une religion comme, entre

autre le bouddhisme, qui prône la tolérance entre les individus, et l’ouverture sur l’extérieur,

sur l’Autre.

Ces différents vécus, favorisent la tolérance et le respect de l’autre dans sa différence. Ces

personnes sont susceptibles de s’adapter avec plus de facilité que les individus qui n’ont

jamais quitté leur région d’origine.

Bien entendu ces expériences peuvent être bénéfiques si l’on évite encore une fois les dérives

extrémistes qui consisteraient dans ce cas là, comme nous avons pu l’observer lors de nos

entretiens, la généralisation d’une expérience à toutes les différences auxquelles ces individus

pourraient être amenés à rencontrer. Comme par exemple, l’argument qui nous a été donné à

plusieurs reprises, et qui était : « Moi j’ai déjà travaillé en Afrique, alors je connais le

comportement des noirs, c’est pour ça que je sais comment les prendre ». Il est fait allusion

ici, que ces deux populations Africaine et Antillaise parce qu’elles ont la même couleur de

peau, sont identiques. Alors qu’elles correspondent chacune à des cultures et des sociétés

différentes. De tels raccourcies de pensées, ne sont évidemment pas bénéfiques lors de la

rencontre avec une nouvelle culture.

Cependant les expériences qui ont permis à l’individu une certaine ouverture d’esprit, un

respect de la différence évite une attitude défensive et favorise son installation.

Dans ce chapitre nous constatons que les métropolitains ne s’attendent pas à rencontrer

une telle différence de culture à leur arrivée. Face à ce décalage, ils adoptent une attitude

défensive. Ils pensent arriver en territoire connu (même langue, mêmes administrations,…).

Or, la réalité martiniquaise provoque de l’incompréhension par rapport à ce qu’ils ont

imaginé. La majorité des nouveaux arrivants se trouvent en insécurité, ne pouvant pas agir

sur le réel, ils adoptent une attitude de résignation et dénigrent le comportement des

martiniquais.

Une adaptation aussi singulière, construite sur la résignation, est-elle viable sur le long

terme ? Combien de temps peut-on subir ce qui ne nous convient pas ?

C’est ce que nous allons essayer de comprendre dans les chapitres qui suivent.

Page 56: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Chapitre quatre : Premiers contacts avec la population locale

Nous savons, à présent, les difficultés que peuvent rencontrer les métropolitains sur

l’île et quelles stratégies ils doivent adopter pour vivre autrement ses différences.

Comment s’effectue la rencontre avec la population locale ? Où sont-ils amenés à se

rencontrer ? Dans quel cadre (professionnel, loisirs…) ?

Nous tenterons de voir, comment s’établissent ces interrelations, de quelles manières

(positives, négatives…). Ce chapitre met en évidence les prémices de l’insertion sociale des

métropolitains. Nous définissons l’insertion sociale essentiellement par les relations

entretenues avec les différents groupes (de travail, de voisinage…) et par la participation aux

activités en dehors du travail.

1. Les moyens de rencontre entre métropolitains et martiniquais

Nous avons pu remarquer que les rencontres entre ces deux populations se font

essentiellement dans deux situations particulières :

- dans le cadre du travail

- par la pratique d’activités et de loisirs.

Mais nous allons voir que si ces contextes amènent ces divers individus à se rencontrer, elles

n’engendrent pas forcement un rapprochement.

1.1. L’activité professionnelle

L’activité professionnelle suscite plusieurs types de relations. Il y a les relations entre

collègues de travail, les rapports de hiérarchie, les engagements communs, et enfin ce que

représente cette activité professionnelle avec l’extérieur, ou autrement dit aux yeux de la

population locale. Au travers de ces relations, chaque rencontre entre métropolitains et

martiniquais peut différer. Nous allons par conséquent les étudier une à une pour voir ce qui

change dans chaque cas.

Dans les relations entre collaborateurs autochtones et hexagonaux, les principaux

points de désaccords sont, la différence de rythme de travail. Pour certains métropolitains ce

nouveau rythme ne pose pas de problème. D’autres, n’ayant pourtant pas plus de

responsabilités, souhaitent plus d’efficacité, de productivité. Ce désir de bien faire son travail,

Page 57: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

d’aller au-delà de ce qui est demandé, n’est absolument pas compris par les antillais. Ces

derniers considèrent plutôt que le travail qu’ils effectuent, ils l’accomplissent à la demande de

leur patron. Ils n’envisagent pas, alors, de se fatiguer à la tâche, pour que leur responsable

récolte les bénéfices de leur labeur.

Nous percevons un niveau d’investissement dans le travail différent selon les individus. Face

à cette divergence de point de vue, ces derniers ne se trouvent pas en position de

rapprochement. A l’image du noir, est accolée la fainéantise dans le travail, à celle du blanc

l’aspiration à vouloir changer la façon de travailler des martiniquais. Dès le départ s’instaure

donc, une méfiance réciproque. Le martiniquais considère que le métropolitain, au même

poste que lui, est un concurrent direct, qui peut le remplacer, à tout moment. Cette idée

contribue à accentuer l’attitude de méfiance.

Ensuite en fonctions de certaines affinités que les personnes se découvrent, des

rapprochements peuvent se réaliser.

Dans les rapports de hiérarchie, les préjugés que nous venons d’aborder s’expriment,

de manières encore plus marquées. Il nous faut noter avant tout que lorsqu’il y a des rapports

de hiérarchie entre hexagonaux et autochtones, il est fréquent que l’employeur soit un

métropolitain. En effet, lorsque l’employeur est martiniquais il privilégie, par solidarité,

l’embauche de locaux plutôt que des personnes originaires de l’hexagone.

Il n’est par rare alors d’entendre encore aujourd’hui, ce que M. Leiris, nous disait en 1955, à

savoir :

« L’un des grief principaux qu’on entend formuler contre les travailleurs antillais par leurs

administrateurs est : ces gens ont, dit-on, une conception de la vie qui diffère de la nôtre et implique de bien

moindre besoins, de sorte qu’ils ne subissent pas les mêmes incitations et ne travaillent que par intermittences,

proportionnant strictement leurs efforts à la nécessité de subsister ou au désir d’acheter la chose qu’ils convoitent

sur l’instant. »14

Les employeurs métropolitains en tant que responsables du fonctionnement d’un organisme

doivent surveiller et obtenir le rendement de la part de leur personnel. Hors cette façon de

penser exprimée par Leiris en 1955, prévaut encore chez certains. Ils ne peuvent pas

s’empêcher de contrôler davantage le travail des locaux qu’ils emploient, et moins, celui des

métropolitains. Cependant ils se trouvent face à une population où le souvenir de l’époque

14 Leiris, M., 1955, Contacts de civilisations en Martinique et en Guadeloupe, p 92.

Page 58: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

esclavagiste pèse encore lourdement sur les relations interraciales. Cela la rend sensible à tout

ce qui peut lui paraître une réactualisation des anciennes inégalités. Ils doivent donc faire

preuve d’autorité sans excès de rigueur, critiquer sans être blesser, et faire profiter leurs

collaborateurs de l’expérience qu’ils possèdent, sans que ces derniers se sentent dévalorisés.

En conséquence ces rapports de travail peuvent instaurer de fréquents conflits.

Pour ces raisons, ces relations professionnelles n’établissent pas d’image positive de l’Autre,

seuls, des liens professionnels de médiocre qualité s’instituent. Nous observons qu’une

personne fortement impliquée dans son travail, bien adapté à son emploi se trouve être peut

participant à la vie sociale et se retrouver de ce fait, dans un certain isolement. C’est le cas de

ceux qui s’investissant totalement dans leur travail, et par là même se coupent de la réalité

sociale qui les entoure. La profession ne favorise pas forcement un échange avec l’extérieur.

Un autre aspect à prendre en compte dans le cadre de l’activité professionnelle : les

syndiqués et leur engagement. En Martinique les syndicats sont nombreux et puissants. La

plupart des travailleurs y sont adhérents, et les mouvements de lutte sont très suivis. Certains

métropolitains, déjà syndiqués en métropole, poursuivent leur engagement sur leur nouveau

lieu de travail. C’est ainsi que martiniquais et métropolitains se retrouvent côte à côte pour

revendiquer leurs droits. Dans ce cas, deux situations opposées peuvent apparaître :

- l’engagement commun dans la lutte rapproche ces salariés

- à l’inverse, cette lutte revendicative les éloigne.

Dans la première situation les individus se sentent investit des mêmes volontés de défendre

leurs droits et d’améliorer la condition de travail de l’ensemble des salariés. Ce combat

unitaire les rapproche.

Dans l’autre cas, un désaccord sur les objectifs à atteindre et les moyens à employer pour y

parvenir oppose ces salariés. Effectivement, aux problèmes sociaux en Martinique se rajoute

le problème racial, engendrant une détermination jusqu’au-boutiste, pouvant déboucher sur

des actes violents. Cette démarche syndicaliste peu répandue dans l’hexagone, surprend et

effraie les métropolitains qui se désengagent. L’unité syndicaliste se fissure et provoque une

opposition entre salariés métropolitains et martiniquais.

Le dernier élément que nous pouvons prendre en compte dans l’établissement des

relations, est la profession exercée. La profession confère un statut social aux yeux des

martiniquais. Ce statut permet une plus ou moins bonne relation avec la population locale.

Effectivement, nous avons pu constater que selon la profession qu’exercent les métropolitains,

Page 59: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

l’attitude des martiniquais vis-à-vis d’eux peut être différente. Le métier exercé par le

métropolitain lui permet d’avoir une place identifiée au sein de la société. Celle-ci est soit

reconnaissable à l’œil nu, par l’ensemble des individus, (par exemple : le port d’un uniforme),

soit la personne est reconnue par sa profession à une échelle plus réduite, (par exemple : au

sein d’une commune). Nous pouvons déjà noter que le fait d’être reconnu par la population

est la preuve que l’on y est insérée d’une certaine manière, qu’elle soit positive ou négative.

Car l’individu participe à la dynamique sociale. La profession n’entraîne pas le même

contact avec la population ; si le travail insère le travailleur dans le système de production du

pays d’accueil, cette insertion n’est pas nécessairement corrélative de l’insertion sociale.

En règle générale, la population locale accorde du respect aux personnes qui exercent certains

métiers, (enseignants, professions artistiques, médecins ou métiers paramédicaux).

A l’inverse, des professions sont impopulaires aux yeux des martiniquais, et engendrent une

forme d’antipathie à l’égard de ceux qui les exercent. Prenons deux exemples : un

fonctionnaire et un dentiste.

Le premier est considéré par la population, comme une personne qui vient en Martinique afin

d’obtenir une augmentation de salaire et prendre la place que pourrait occuper un autochtone.

En conséquence beaucoup de martiniquais pensent que cette personne n’a rien à faire sur l’île,

puisqu’elle n’apporte rien à l’île, et à ses habitants.

A l’égard du dentiste, le positionnement est différent. Sa profession nécessite un certain

niveau d’étude, de ce fait, il n’entre pas en concurrence pour la recherche d’un emploi. En

outre, l’île ne dispose que de peu de spécialistes dans cette branche, son intervention est

considérée comme un bénéfice pour la population. Ces professionnels sont reconnus et

appréciés par la population qui le leur témoigne par des signes de reconnaissances :

« Moi j’ai des clients qui viennent du Prêcheur, ça fait 40 minutes de route pour venir, vous les

voyaient 5 minutes parce que c’était pas prévue ou que vous pouvez pas les garder longtemps et tout, vous leur

faites juste un soin pour les soulager, ils sont hyper reconnaissants, et ils ont 45 minutes de taxi co à se taper

pour revenir chez eux. Donc ici on a vraiment,… autant en métropole j’avais pas vraiment l’impression d’être

utile, dans le sens fort du terme, autant ici on a vraiment l’impression que si on est pas là, les gens du nord

caraïbe, ne pourraient plus se faire soigner. Bon c’est pas vraiment ça, mais c’est pas loin quand même, s’ils ont

mal ils peuvent aller sur Fort-De-France ou à la Mainard, mais si on est pas là pour eux y’a un manque de soin,

voilà… on a un rôle social et sanitaire de base qui est quand même important, et qu’on ressent plus que quand

j’étais en métropole à Toulouse. Quand j’étais en métropole à Toulouse, j’étais le dentiste parmi tant d’autres,

numéro, matricule, machin, bidule, voilà c’est ça, alors que là-bas, à Case Pilote on a vraiment l’impression

qu’on est utile à la population…, ouais c’est ça on est vraiment utile. »

Page 60: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Ils le ressentent au sein de leur lieu de travail, mais aussi à l’extérieur parce qu’on les

reconnaît, et c’est à ce moment là que des rencontres et des échanges entre ces deux

populations peuvent réellement avoir lieu : (il s’agit toujours de la même personne)

« On rencontre pleins de personnes, quand tu es dentiste comme ça dans le nord caraïbe, je

rencontre des gens du nord caraïbe et d’autres. Ce matin j’étais à St Pierre y’a pleins de gens qui me

reconnaissent, qui me parlent, qui me propose d’aller à la pêche, ou des trucs comme ça, c’est sympa… et les

gens on les rencontre comme ça, quand on sort… Mais je suis qd même bien perçu par les gens, à tous les

niveaux c’est super. Je ressentais moins ça en métropole. Putain ! Regarde, là ce matin je suis allé à St Pierre,

tout le monde me dit bonjour, comment ça va… venez boire un verre, venez coûtez ça c’est moi qui l’ai fait, tu

vois c’est les femmes du marché que je soigne… ».

Nous constatons qu’au travers de la profession exercée plusieurs types de relations peuvent

s’établir. Certaines permettent aux individus, non seulement de se rencontrer, de se

rapprocher, de lier connaissance. Nous avons vu aussi, que la profession peut être une aide

comme un handicape dans le processus d’adaptation des métropolitains à la société antillaise,

qu’est la Martinique.

1.2. Les activités extra-professionnelles

L’évaluation de la qualité des sociabilités entre martiniquais et métropolitains à partir des

loisirs est difficile à établir. En effet, les réponses que nous avons recueillies lors de nos

entretiens, sont souvent contradictoires et la réalité est parfois différente. Dès que la question

de la relation avec la population locale est abordée, les métropolitains affirment que leur

réseau de sociabilité sur l’île se compose toujours de la moitié de martiniquais et l’autre

moitié de métropolitains :

« oh moi, je suis toujours ravie de voir lors des soirées, qu’on organise avec mon mari de

voir qu’il y a 50 pourcent antillais, et 50 pourcent métro, et il y a même parfois plus

d’antillais. ».

Nous avons l’impression que le niveau d’insertion sociale dans l’île se mesure au nombre de

connaissances martiniquaises par rapport au nombre de connaissances métropolitaines. Le

barème de bonne sociabilité est établi par les métropolitains de la façon suivante :

- 50/50 : équivaut à une bonne insertion,

- avoir une majorité d’amis martiniquais à une très bonne insertion,

- à l’inverse : peu d’amis martiniquais, à une mauvaise insertion.

Page 61: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Les trois quarts des personnes que nous avons interrogées, utilisent ce barème comme support

référentiel. Ce mode de calcul ne nous semble pas être un indicateur de la réalité. En effet, il

nous paraît peu crédible de diviser son cercle d’amis, en antillais ou non antillais. D’autres

indicateurs sont à prendre en compte pour évaluer le degré d’intégration du métropolitain. Le

logement, nous dit Isabelle Tal15, est l’une des premières conditions de l’insertion sociale. Le

lieu et le type de logement déterminent en grande partie le degré de cette insertion. Hors nous

avons constaté que les métropolitains ont tendance à se regrouper, et donc à n’avoir des

relations de voisinage, principalement qu’avec des métropolitains.

Nous observons une contradiction entre discours et réalité. Celle-ci se vérifie aussi dans la

pratique des activités de loisir. La majorité des métropolitains, reprennent une activité qu’ils

exerçaient en métropole, ou découvrent un loisir qu’ils ne pouvaient pas pratiquer en

métropole : comme la plongée sous-marine, les sports nautiques tels que le scooter des mers,

le kite-surf…

A l’inverse d’autres sports comme le badminton, le bowling, le squash, ont été importés de

France par les métropolitains. Ils sont peu investis et pratiqués par les martiniquais. En outre

ces loisirs sont onéreux, et donc pas accessibles à l’ensemble des habitants de l’île.

Lors de leurs loisirs, les métropolitains sont plus amenés à rencontrer, leurs congénères que

des martiniquais.

Il existe d’autres activités, qui engagent différemment les métropolitains dans la vie sociale de

l’île. Il s’agit des associations. Qu’elles soient crées dans le but de regrouper des personnes

autour d’un thème, d’une même cause, ou animées par la même passion (quelle qu’elle soit),

l’association réunit des personnes autour d’un même engagement. Les métropolitains peuvent

alors par leur dévouement et leur disponibilité dans l’association tisser des liens avec des

membres martiniquais. Ils peuvent alors, en dehors du cadre associatif, poursuivre leur

relation.

A contrario, métropolitains et martiniquais peuvent s’opposer sur la façon de procéder dans

l’association. Les premiers ont souvent eut une expérience du monde associatif en métropole.

Ils tentent de reproduire leur mode de faire en Martinique. C’est souvent au niveau de

l’organisation de l’association ou au niveau de la mise en place de ses activités que les

problèmes se surgissent. Si les désaccords sont trop importants, il peut arriver que les uns ou

les autres quittent l’association. Soit pour en créer une autre, soit pour faire autre chose. Voici

15 Tal, Isabelle, 1976, Les Réunionnais en France

Page 62: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

la réflexion d’un métropolitain surpris de voir comment s’est déroulé l’organisation d’un

concert dans sa paroisse :

« Anecdote d’une fête que l’on organisait à la paroisse il y avait un monde fou et tout le monde

grouillait, je pensais qu’on arriverait jamais à faire quelque chose parce que tout se préparait à la dernière

minute, mais finalement ça c’est très bien passé. Ils ne sont pas organisé mais dans ce bordel ils s’en sortent et

pas trop mal en plus. Et puis heureusement qu’ils font comme ça, parce que si c’était organisé par moi peut être

qu’on ferait moins de chose parce que mon esprit carré m’empêche de faire les choses au dernier moment. »

Si cet homme relativise par sa mise à distance de l’événement et par sa propre remise en

cause, cette attitude n’est pas habituelle. La majorité des métropolitains n’y parviennent pas.

Ils attribuent tous dysfonctionnements aux autres se rassurant ainsi sur leurs capacités. Ce

comportement peut perdurer tant que l’on n’est pas obligé de se confronter directement à cet

Autre, c’est-à-dire tant que l’on a un réseau à l’intérieur duquel on peut se réfugier pour se

protéger et être soutenu. Ce réseau est constitué par la famille et par l’environnement

relationnel de proximité, en général métropolitain. Certains vivants en Martinique depuis

plusieurs années, arrivent ainsi, à ne jamais se remettre en cause et donc à ne jamais

rencontrer l’Autre, dans sa différence.

Les membres d’association résident sur l’île depuis plusieurs années. Les personnes qui

effectuent un séjour inférieur à trois ans, n’adhèrent pas, ou rarement, à une association. Elles

préfèrent occuper leur temps de loisir en pratiquant des activités spécifiques à l’île (activités

citées ci-dessus ou tourisme inter îles).

Une autre possibilité de rencontre, entre métropolitains et martiniquais, se fait par

l’intermédiaire de leurs enfants et les activités périscolaires. Les parents se croisent à la sortie

des écoles, se rencontrent lors des activités de leurs enfants. Ils ont ainsi la possibilité

d’instaurer un échange et de tisser du lien.

Ces rapprochements s’opèrent plus entre métropolitains qu’avec des martiniquais, en

particulier parce que les enfants de métropolitains (à l’identique de leurs parents) ne

pratiquent pas les mêmes activités que les enfants des martiniquais. Nous observons que

devant les écoles à la sorties des classes, les mamans se regroupent par appartenance

d’origine, à part quelques exceptions. Ce clivage interroge. Ces femmes se regroupent

certainement par connaissances et affinités, faut-il alors en déduire que les mères

martiniquaises et les mères métropolitaines n’ont aucune affinité ? Ou aucun moyen de se

Page 63: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

trouver des affinités? Une mère métropolitaine nous confie qu’elle souhaite rencontrer des

locaux par l’intermédiaire de ces enfants, elle nous déclare :

« J’ai mes filles qui ont des copines antillaises à l’école, donc c’est vrai que j’essaie de garder des liens

en invitant les petites copines à la maison, mais c’est vrai que ça marche pas toujours et finalement c’est plus

avec des mamans métros que j’ai des contacts, que j’ai noué des relations... Je crois qu’il n’y a pas une réelle

envie des antillais d’aller vers les métros, y’a pas d’animosité, et y’a pas de sympathie non plus, mais bon ceci

dit on est tous des êtres humains donc on peut s’entendre, mais c’est vrai qu’a priori ils ne vont pas chercher le

contact… »

Le témoignage de cette personne nous permet de relever un élément important de distinction

entre martiniquais et métropolitains. Ils n’ont pas les mêmes besoins de faire des rencontres,

ni même un rapport analogue à l’amitié. En effet, la société martiniquaise vit sur un système

de famille élargie. La famille est très importante au niveau du soutien et de la solidarité, mais

aussi au niveau de la sociabilité. C’est-à-dire que les martiniquais s’invitent très souvent entre

parents (de lien plus ou moins direct) à l’occasion d’anniversaire, de fêtes religieuses…, mais

rarement entrent amis. Les amis sont réservés aux moments de fête. A cette occasion

d’ailleurs chaque membre de la famille sort séparément avec son groupe d’amis respectifs. Au

quotidien les activités se passent en famille au détriment des amis.

Les métropolitains se retrouvent éloignés de leur groupe familial élargi. La famille, sur l’île

est composée des parents et de leurs enfants (famille nucléaire), parfois d’un seul membre. En

conséquence, les contacts inter familiaux sur l’île sont quasi inexistants. Par conséquent ils

plus besoin d’établir un réseau de sociabilité pour se sentir entouré que les martiniquais. Leur

réseau de sociabilité se construit essentiellement avec les liens tissés entre amis. Ainsi au

quotidien, lors de fêtes, d’anniversaires, d’activités de loisir, la famille réduite va inviter les

amis à partager ces moments. Les adultes se retrouvent entre amis et les enfants jouent avec

les enfants des amis. A l’inverse, la famille martiniquaise se retrouve en famille et les enfants

martiniquais jouent avec leurs cousins et cousines.

Nous constatons donc une grande différence de fonctionnement entre les deux populations, ce

qui engendre une grande difficulté pour créer un rapprochement relationnel.

Les activités extra professionnelles ne constituent pas un espace privilégié pour nouer des

contacts entre métropolitains et martiniquais pour la simple raison q’ils ne pratiquent pas les

mêmes ou que leurs modes d’organisation ne sont pas identiques. On pourrait donc dire que la

Page 64: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

plupart de ces activités ne sont pas des lieux de rencontre pour ces deux populations puisque

certains sont réservés aux martiniquais et d’autres aux métropolitains. Lorsque le contact se

pérennise des liens cordiaux et durables peuvent se constituer. Le métropolitain attend

beaucoup des liens qu’il souhaite tisser avec les martiniquais, alors que ces derniers ne sont

pas forcément en quête de cette relation. Les métropolitains sont déçus et ont le sentiment de

n’avoir que des relations superficielles avec la population locale.

Pour conclure ce sous-chapitre, nous constatons que ces deux populations ont

d’énormes difficultés à se rapprocher l’une de l’autre. Nous pouvons donc nous demander si

les métropolitains peuvent s’insérés socialement ou pas ? Y a t il une place dans la société

martiniquaise pour intégrer les nouveaux arrivants ? A l’inverse nous pouvons nous demandés

si les métropolitains ont vraiment le désir de s’insérer dans la vie sociale de l’île ? Ces

questions qui vont être traitées dans les chapitres suivants.

A présent nous allons analyser les indicateurs, les paramètres qui surviennent au moment de la

rencontre avec l’Autre : Influencent-ils la rencontre ? De quelles manières ? Et enfin sont-ils

déterminants dans l’élaboration de celle-ci ou pas ?

2. Les éléments qui se manifestent au moment de la rencontre

Une rencontre entre deux individus, se construit à partir d’éléments subjectifs qui influencent

la qualité du contact. Ces éléments sont entre autres, la vision que chacun à de l’autre, les

stéréotypes, mais aussi, et c’est ce que nous allons voir tout d’abord: que se passe-t-il lors de

la rencontre entre deux personnes de cultures différences.

2.1. L’interaction entre deux cultures

Pour appréhender ce qui se passe dans cette situation précise, nous devons prendre en compte

l’interaction qui se constitue lorsque les deux individus se rencontrent. Lors de l’échange, le

message émis par l’un peut être réceptionné par l’autre de manière différente, en fonction des

codes de symboles et des signifiants auxquels font référence ces deux personnes. Pour qu’une

interaction se construise, il est nécessaire qu’il n’y ait pas de décryptage à gérer dans le

discours de l’Autre. Goffman16 observe que chaque groupe, chaque société à un répertoire de

symboles et de sens qui lui appartient et qui s’active lors des interactions. Ceci permet aux

16 Goffman Erving, 1974, Les rites d’interaction

Page 65: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

individus qui adhèrent au même groupe de se comprendre. Les membres du groupe possédant

une certaine expérience, maîtrise son emploi. Lors d’interaction tout est important, tout peut

être sujet à malentendu, quand les codes ne sont pas identiques. Goffman précise que dans la

rencontre tout le matériel comportemental entre en jeux dans l’interaction : qu’il s’agisse des

regards, des gestes, des postures, et des énoncés verbaux que chacun ne cesse d’utiliser

intentionnellement ou pas dans cette rencontre.

Lorsque des membres de groupes ethniques et culturels différents cohabitent dans une même

société, il semble que dans un soucis de protection de son propre code, chacun met en

évidence les différences qui le séparent de l’Autre. Sans s’attacher à ce qui leur est commun,

ils soulignent l’un et l’autre ce qui les différencient. La culture n’est alors, plus seulement un

code vécu, mais est utilisée pour s’opposer à l’Autre. Dans ces rencontres, l’interaction est

désinvestie, car les individus se focalisent sur ce qui les différencie.

Lors des rencontres interculturelles, c’est tout ce matériel comportemental de l’Autre qui va

être interprété avec le sens et les codes de sa propre culture. C’est pour cela que certains

individus sont surpris d’avoir offensés leur interlocuteur par leurs attitudes, car dans leur

système de codes et de symboles ils n’ont pas transgressés les règles de l’interaction.

Ces incompréhensions renforcent encore davantage les différences que les individus affichent

par leur distinction avec l’Autre.

2.2. Les stéréotypes

Dans la rencontre entre les martiniquais et les métropolitains, la part des stéréotypes des uns

sur les autres influencent leur interaction. Face à l’inconnu, lors d’une rencontre, l’individu

utilise les idées préconçues dont il est porteur pour appréhender l’Autre dans sa différence. Ce

mode de comportement, sécurise.

Michel Giraud définit les stéréotypes ainsi :

« Les stéréotypes sont des généralisations qui ne sont pas fondées par induction sur un

ensemble de données, mais sur des ont-dits, rumeurs, anecdotes, témoignages insuffisants,

expériences limitées. »17.

Nous allons découvrir les stéréotypes que les métropolitains ont sur les martiniquais et vis

versa. Il est indispensable de vous préciser que nous possédons plus d’éléments sur la vision

17 Giraud Michel, 1979, Races et classes à la Martinique. Les relations sociales entre enfants de différentes couleurs à l’école, p 49.

Page 66: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

stéréotypée des métropolitains sur les martiniquais que l’inverse, car nous avons plus

particulièrement étudié cette population.

Les stéréotypes que les métropolitains ont pu avoir sur la population locale a varié selon les

époques. Nous étudions ceux qui sont en vigueur actuellement. Un perdure cependant dans

les esprits quelque soit les époques. Il s’agit de la position de supériorité ou d’infériorité que

chaque groupe occupe sur l’échelle de couleur. Ce stéréotype n’est que l’expression du

préjugé racial, produit par l’idéologie dominante, celle du colonisateur, l’homme blanc. Ce

stéréotype est actif inconsciemment dans la pensée des métropolitains. Il se traduit par l’idée

de l’incapacité des martiniquais à savoir bien faire. Les raisons invoquées pour justifier cet

état de fait, leur incapacité, peuvent être parfois fort différentes :

Il se traduise par le sentiment de culpabilité du métropolitain :

« Mais c’est pas de leur faute s’ils ne savent pas se prendre en charge, c’est à cause de nous, on les a

rendu trop dépendants de la France, alors maintenant c’est sûr qu’ils ne savent pas bien faire, comment voulez

vous qu’ils sachent faire ce qu’on a toujours fait à leur place ».

Ou de façon agressive envers les martiniquais :

« Les gens ici, sont incultures. Ils ne lisent pas, la culture n’existe pas. Le cinéma, c’est que des films

d’actions, la musique c’est que du zouk, ils ne cherchent pas à s’ouvrir alors qu’ils sont tout près des Etats-Unis,

avec le jazz, ou la salsa de l’Amérique Latine. Ils n’ont pas de conversation, intellectuellement, c’est faible, les

femmes sont froides, elles ne parlent pas on dirait qu’elles ont peurs, elles sont frigides…. Il n’y a que des

relations futiles, superficielles, c’est on fait des grillades, on se baigne on rigole mais on ne parle de rien. Je ne

dis pas que nous on ne parle que de choses plus intéressantes mais c’est différent. Puis ils ne savent parler que

de sexe, tout le temps. ».

Ce témoignage met en évidence un stéréotype partagé par la plupart des métropolitains : le

manque d’intelligence de la population locale, son incapacité à tenir une conversation. Ils ne

disent et ne font que des choses futiles (grillade, baignade, parle de sexe…). Ils ne sont pas

sociables, (ils ne sourient jamais, les femmes sont frigides), ils n’utilisent pas la richesse

culturelle qui les entoure. Ces préjugés sont découverts, lors de l’arrivée sur l’île par les

nouveaux arrivants par transmission orale, par les métropolitains installés (Autres stéréotypes

acquis sur l’île par les métropolitains : CF annexes 6). D’autres clichés sont incubés avant le

départ :

- par le récit de personnes qui y sont allés en vacances ou qui y ont vécus.

Page 67: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

- Par des témoignages indirects (« j’ai des amis qui ont habités en Martinique et ils m’ont

dit que… »).

- par l’image que la population métropolitaine a de la vie dans les DOM : « ils travaillent

pas là-bas, ils sont en vacances toute l’année, c’est ça la vie sous le soleil, tout le monde est

cool… ».

- par les images que véhiculent les mass-média (films, livres, télévision…).

De ces diverses sources, deux stéréotypes ressortent le plus. Il s’agit comme nous venons de

le voir dans la citation du dessus, du fait que parce qu’ils sont sous le soleil les antillais ne

travaillent pas, mais aussi que se sont des personnes dangereuses, surtout les hommes.

Il n’est pas rare d’entendre que des touristes se sont fait agressés par des martiniquais, ou

encore le récit d’un scénario catastrophe vécu par une famille métropolitaine partie vivre sur

l’île. Celle-ci a rencontré drames sur drames : le viol de la mère, l’humiliation vécue par les

enfants à l’école parce qu’ils sont blancs, et enfin le cambriolage de leur maison. Une seule

conclusion s’impose à cette série d’événements : les martiniquais sont racistes.

Ce dernier stéréotype en particulier prépare psychologiquement les métropolitains, en

partance sur l’île, à devoir affronter des difficultés. En conséquence, avant même d’avoir

rencontré un martiniquais, ces personnes sont sur la défensive, et prêtes à riposter au moindre

danger. A l’arrivée sur l’île, les métropolitains sont habités par un sentiment de crainte du

martiniquais. Crainte qui puise ces origines aux premiers temps de la rencontre entre l’homme

noir et l’homme blanc. C'est-à-dire qu’elle perdure depuis le 16ème siècle, malgré quelques

variantes (il est soit un sauvage à civiliser, un enfant, soit un barbare brutal envahi par la

sauvagerie et la bestialité).

Cet état d’esprit dans lequel se trouvent les métropolitains à leur arrivée, influence la

rencontre avec l’Autre. Dans tout ce qu’il va pouvoir dire ou faire le martiniquais, le

métropolitains y voit une intention malveillante.

En ce qui concerne les stéréotypes qu’ont les martiniquais sur les métropolitains, nous ne

possédons que peu d’éléments. Le plus répandu chez les martiniquais : les métropolitains

gagnent de l’argent en venant en Martinique. Il est fait, par eux, un amalgame entre la

couleur de la peau blanche et les 40% attribués aux fonctionnaires pour cause de vie chère.

Il y a aussi l’idée que les métropolitains arrivent en pays conquis parce que la Martinique est

un département français, en conséquence, ils se croient tout permis. Egalement tout comme

pour les métropolitains qui sont allés en Martinique, il existe des témoignages de martiniquais

revenus de France avec des histoires dramatiques à raconter. Par exemple la mésaventure du

Page 68: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

frère ou du cousin d’un ami qui s’est fait « tabassé » par des métropolitains dans la rue. Là

encore la raison invoquée est le racisme des métropolitains à l’encontre des martiniquais (des

noirs).

Le quatrième stéréotype, le plus courant, est que ces nouveaux arrivants ne sont pas désireux

de découvrir la culture martiniquaise les lieux touristiques suffisent à leur bonheur. Leur

principale raison de séjourner sur l’île, est de gagner de l’argent, et non de rencontrer les

martiniquais. (CF annexe 6.f).

Les martiniquais et les métropolitains possèdent un stéréotype en commun : quelle

représentation, quelle image a l’Autre de moi ? En fait, ils imaginent et perçoivent ce que les

Autres pensent d’eux. Par exemple, les métropolitains pensent que les martiniquais ne les

aiment pas parce qu’ils ont réussi, et qu’ils sont perçus comme des envahisseurs. Les

martiniquais, eux, imaginent que les métropolitains ne les estiment pas, parce que les

métropolitains ne font pas d’effort pour les rencontrer puisqu’ils restent qu’entre eux, ils ne

les côtoient pas.

Chacun, métropolitain ou martiniquais présuppose ne pas être apprécié par l’Autre. Pour

justifier cette attitude, l’Autre est désigné comme raciste. Le racisme a été une réalité

exprimée historiquement, par les uns et par les autres. Cependant aujourd’hui le racisme au

vrai sens du terme, n’est le fait que de quelques irréductibles. Par « vrai sens du terme » nous

entendons le racisme au sens strict, c’est-à-dire comme le définie Leiris :

« Prenant la forme d’une doctrine plus ou moins cohérente affirmant la supériorité

congénitale d’un groupe et prescrivant de façon concentrée une politique adéquate à cette idée

de supériorité »18.

Cependant, à présent que les mots racisme ou raciste, employés à tout bout de champ, ne sont

que l’expression de frustrations ou des vexations ressenties par les uns et les autres.

Nous pouvons, faire ici une parenthèse sur l’héritage inconscient de la supériorité des blancs,

que tous les métropolitains porte en eux. Ce ressenti est un élément de la définition du

racisme. Celui-ci ne s’exprime que rarement par des actes, et peut apparaître dans les propos

des métropolitains lorsque ceux-ci ne comprennent pas les us et les coutumes locaux.

L’observation des deux populations, nous permet de dire qu’il n’y a pas réellement de racisme

exprimé en Martinique, ni de la part des métropolitains, ni de la part des martiniquais.

18 Leiris, Michel, 1955, Contacts de civilisation en Martinique et en Guadeloupe, p 126.

Page 69: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Il ressort donc de ces stéréotypes, de manière générale, une méfiance vis-à-vis de

l’Autre. Même si parfois c’est le contraire, (surtout de la part des métropolitains), il y a une

trop grande aisance qui se manifeste, par exemple, par l’emploi excessif du tutoiement en

arrivant. Ceci, est considéré comme un manque de respect par les martiniquais, et donc

forcement peu toléré.

Nous constatons que ces stéréotypes sont inconsciemment inscrits en chacun et influencent les

réactions et les attitudes des martiniquais autant que des métropolitains lors de leur rencontre.

Nous avons abordé au cours de ce chapitre les différences qui séparent les

métropolitains et les martiniquais. Celles-ci induisent et parasitent la qualité de l’échange

qu’ils vont tenter d’amorcer. Les rencontres entre eux, ne s’établissent pas spontanément à

cause de nombreuses incompréhensions de part et d’autre. Ce chapitre contribue donc à nous

montrer encore un peu plus qu’elles sont les différences auxquelles vont devoir faire face les

métropolitains à leur arrivée.

En prenant en compte ces éléments, nous essayons maintenant de décrire qu’elles sont les

attitudes que vont adopter les métropolitains pour pallier à ces différences.

Page 70: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Chapitre cinq : L’attitude des métropolitains dans ce nouveau contexte

Les métropolitains, après leur installation sur l’île doivent entreprendre le deuil de

leurs illusions, la réalité ne correspond pas à ce qu’ils avaient imaginé, en particulier qu’il est

difficile d’établir des contacts avec les locaux. Ils s’aperçoivent que La Martinique,

département français, est singulier et a sa propre spécificité. Après l’acceptation de ces

désillusions, ils vont devoir découvrir et comprendre la société martiniquaise et ajuster leurs

comportements et leurs attitudes. Ce chapitre va être consacré à la description des différents

modes d’acculturations que vivent les métropolitains. Nous essaierons, de montrer que selon

les diverses figures de métropolitains, exposés dans le chapitre deux, une acculturation

spécifique peut se construire.

Mais avant tout chose il est nécessaire de savoir : Quels sont les indicateurs, les faits qui

démontrent aux métropolitains qu’ils ne sont plus en France métropolitaine et qu’en

conséquence ils doivent modifier leurs comportements ?

1. La Martinique : une culture différente

Par des exemples, nous allons exposer comment les métropolitains s’aperçoivent que la vie

sur l’île et le rapport avec les locaux, sont particuliers au contexte martiniquais. Nous allons

nous appuyer sur des expériences de métropolitaines. Tout d’abord celles vécues à leur

arrivée et comment elles les ont ressenties. Par la suite, nous reprendrons une anecdote de

l’une d’entre elles, vécue dix ans après les premières, et comment dans des situations

similaires, elle l’a résolue différemment. Quels changements d’attitudes a-t-elle dû

entreprendre pour pouvoir vivre en Martinique ?

1.1. Constatations

Les martiniquais réagissent, parfois avec virulence à des attitudes ou des comportements de

métropolitains. Ces derniers sont souvent surpris de la réaction des locaux, considérant que

leurs actes sont anodins.

Nous allons prendre quelques exemples anecdotiques que deux femmes ont vécus peu de

temps après leur arrivée.

Page 71: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Voici les deux anecdotes de la première personne interrogée:

« Une fois dans un super marché, je fais mes courses tranquillement puis dans un rayon, je vois une

gamine de 3 ans qui marche la tête en l’air. Moi je suis à l’arrêt, mais je vois bien qu’elle ne regarde pas où elle

va, et qu’elle se dirige droit sur mon chariot, alors je lui dit attention, coucou… mais bon bref elle me rentre

dedans, dans mon chariot. Alors évidemment, comme elle a été surprise, elle se met à hurler. Et alors là, j’ai

rien compris la mère se précipite pour voir ce qui se passe, tout le monde regarde la scène, et la mère qui

commence à me crier dessus en disant que j’ai renversé sa gamine avec mon chariot. Et là tout à coup, tout le

monde est contre moi alors que je n’avais pas bougé et qu’il devait y avoir eut certainement des témoins de la

scène. Mais non personne n’a rien dit et je ne vous dis pas les regards qu’on me lancé, j’ai vite changé de rayon.

Ce sont des trucs comme ça qui font peur, même si on est révolté à l’intérieure on est paniqué et on n’ose rien

faire. Mais là je me suis dis ils sont vraiment cons c’est pas possible… »

Ce premier témoignage nous démontre que cette femme s’est sentie victime. Comme elle

n’imaginait pas que la scène puisse prendre cette tournure, elle est totalement déstabilisée et

ne sait pas quelle attitude adopter. Dans cette situation, elle a été dans l’incapacité de gérer

l’incident et dans l’incapacité de se défendre. La scène est vécue de façon très émotive. Face

au comportement des adultes présents, qui ont une attitude incompréhensible et dangereuse

pour elle, elle se protége en les traitant « de cons » dans son for intérieur. Elle ne peut

relativiser l’événement, car elle a eut peur. Lorsqu’elle relatera cet épisode à une compatriote

soit cette dernière accentuera cette notion de dangerosité et la renforcera, soit la personne

minimisera l’événement et en donnera une explication. Par conséquent ce qu’elle a ressenti

dans cette première expérience peut être déterminant dans ces futurs rapports avec la

population locale, si rien n’altère le sentiment qu’elle a eut.

Autre exemple :

« Un soir j’étais en voiture, j’étais pressé je devais rejoindre mon mari, mais à un endroit que je ne

connaissais pas bien, alors j’ai tourné dans une rue, je ne sais pas si elle était en sens interdit, bref une autre

voiture arrive en sens inverse, il ne me restais que deux mètres à faire pour sortir de la rue, mais vingt dans

l’autre sens et comme la voiture en face ne bouge pas, je décide de manœuvrer et de monter sur le trottoir, pour

la laisser passer. Je redescends et là rebelote une autre voiture, et ça quatre fois. Des voitures de jeunes avec la

musique forte, et des spectateurs, parce que tout ça amène un attroupement… j’avoue que là j’ai eu peur, aucun

soutien, ça c’est quelque chose que j’ai du mal à l’accepter. Ça c’était raciste, ça c’est des trucs de public… et

je suis sûre que j’aurais gueulé tout le public aurait été contre moi.

Face à ça je suis triste, je ne suis même pas révolté. Tant qu’il y aura des trucs comme ça, ça ne pourra pas

passer, et ça dénigre mes amies parce qu’on va dire les antillais sont ci ou ça, alors que dans le lot y’a des gens

supers. »

Page 72: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Deux choses peuvent être relevé dans ce témoignage.

Cette femme a peur pour plusieurs raisons : méconnaissance du parcours pour se rendre à son

rendez-vous, la nuit tombe. Autre élément qui alimente sa peur : elle se retrouve par erreur

dans une rue animée où sont réunis plusieurs jeunes antillais. Face à son embarras, elle est

l’objet de railleries de la part des personnes présentes, ce qui a comme conséquence

d’accentuer sa crainte et son stress. Par conséquent, cet événement est vécu comme un réel

acte de racisme à son encontre.

Deuxièmement, elle préjuge que cet incident n’aurait pas pu se dérouler dans les mêmes

conditions en France. Pourquoi ? Parce que les personnes qui l’entourent ne lui paraissent pas

hostiles et qu’elle se sent davantage en sécurité dans un environnement qui ne lui paraît pas

étrange. Le sentiment d’être en insécurité est produit notamment par le fait d’appartenir à une

population minoritaire de façon visible. Il n’est pas rare d’ailleurs d’entendre des

métropolitains se comparer à la population musulmane en France, ou à se que doivent vivre

les antillais en métropole.

Ces deux comparaisons démontrent la différence de pensée des métropolitains. Pour ceux qui

se réfèrent à la position de la population musulman en France, ils s’adossent sur le fait d’être

un groupe minoritaire, tout comme les musulmans en France, et d’être victimes d’actes

racistes de la part des martiniquais, de façon permanente.

Pour ceux qui évoquent la vie des antillais en métropole, ils considèrent se retrouver dans la

même situation qu’eux, en Martinique. C’est une manière de relativiser leur condition de vie

sur l’île.

Nous avons entendu et relevé à plusieurs reprises ces comparaisons. Elles sont un moyen pour

les métropolitains de relativiser leurs difficultés à vivre sur l’île, et de se rassurer car d’autres

peuvent se retrouver dans la même situation qu’eux.

Une autre femme nous relate deux anecdotes :

« Une fois je suis allée dans un supermarché, je faisais mes courses, et puis d’un coup je m’aperçois

que j’étais suivit par une petite adolescente qui devait avoir 13 ans, qui allait partout où j’allais mais qui elle

n’avait pas de chariot, et elle prenait tout ce que je prenais. Bon alors je continue à faire mes courses, puis

quand je passe à la caisse elle continue de me suivre, mais elle n’a rien acheté. Alors je sors du magasin, je me

dirige vers ma voiture, elle me suit toujours et pendant que je mets mes affaires dans mon coffre, je la vois faire

signe à trois mecs, qui apparemment l’attendaient. Ils sont venus vers moi alors j’ai pas demandé mon reste je

suis montée dans ma voiture et je suis partie. Mais je n’ai jamais compris le pourquoi du comment, je ne sais pas

s’ils voulaient me piquer mes courses, je ne sais pas…

Page 73: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Puis une autre fois, j’essayé de trouver une place dans un parking qui n’en avait plus, et donc j’ai tourné

pendant un moment, et d’un coup je vois une place, alors je m’avance, et là un mec m’empêche de me garer, il

se met devant et me bloque avec sa voiture, alors comme je m’étais arrêté ça a commencé à klaxonner derrière.

Voyant que j’allais devoir renoncer, j’ai fait un geste comme ça en levant le bras qui voulais dire : eh merde !

Mais je ne sais pas pourquoi mais le mec derrière a cru que je lui faisait un bras d’honneur ou quelque chose

comme ça, alors que c’était juste un geste d’humeur. Alors moi j’ai continué et un peu plus loin dans une rue

y’avait un espèce de terrain vague sur lequel je me suis garée, mais le mec m’avait suivit, et il se gare derrière

moi. J’étais encore dans ma voiture la vitre ouverte, le mec descend, et s’est dirigé vers moi et à ma hauteur, et

alors que je ne m’y attendais pas il m’a crié de tout, sale blanche, retourne d’où tu viens, tu n’as rien à faire ici,

enfin il m’a pourri… je suis restée con. Mais du coup j’ai appris par la suite à faire très, très attention aux

gestes que je pouvais faire, ou aux mots que je pouvais prononcer qui dans ma tête n’avaient rien de blessant

mais qui étaient ici très mal interprété. »

Ces exemples mettent en évidence la surprise des métropolitains lors de certaines situations.

Parce que ces femmes sont en situation de crainte, d’angoisse, de trouble, elles considèrent

les attitudes des martiniquais comme incohérentes. Il paraît évident, que les martiniquais,

face à la « détresse » de ces femmes, accentuent parfois leurs comportements.

Nous relevons, à partir de ces différents épisodes vécus par ces deux femmes, deux constats :

- ces événements ne se seraient pas passés, de cette manière en France.

- Les expressions employées : « tout à coup », « alors que je ne m’y attendais pas », « j’ai

pas compris ce qu’il se passait », « je ne sais pas pourquoi »… attestent la surprise,

l’incompréhension et l’étrangeté des réactions des martiniquais.

Si l’écart, entre les deux « codes culturels » est important, ou ressenti comme tel, chaque

situation peut être vécue comme dangereuse et conflictuelle pouvant engendrer un repli sur

soi. Il est à noter que dans les deux récits proposer par ces femmes, aucun dialogue, aucun

échange n’a pu s’établir.

Ces deux récits renforcent le cliché de la dangerosité des antillais. De ces expériences vécues

comme dangereuses, trois comportements peuvent être adoptés :

- éviter les contacts avec la population locale le plus possible,

- lorsque l’on ne peut échapper à ce contact, faire attention à tout ce que l’on dit et fait,

- rentrer dans une démarche d’observation de l’Autre et ajuster son comportement en

prenant en compte le fonctionnement local.

C’est ce dernier point que nous allons évoquer ci-dessous.

Page 74: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

1.2. Ajustement de leur comportement

Dans cette deuxième sous partie, nous allons étudier, les ajustements de comportement des

métropolitains lorsqu’ils prennent en compte les différences culturelles entre les deux

sociétés. Nous allons nous appuyer sur le récit de la deuxième personne interviewée qui nous

relate un fait qui s’est produit dix ans après sa première expérience décrite ci-dessus. Voici sa

réaction actuelle à une situation à peu prés similaire à celle qu’elle avait vécu dix ans plus tôt :

« Un jour en voiture dans une ruelle où une voie est prise par des voitures qui se garent et l’autre est

laissée libre pour circuler, donc c’est étroit. Je m’engage dans cette rue et je vois en face un camion qui s’est

engagé aussi et qui lui roule relativement vite, du coup je vois une place sur la voie où les voitures se garent et

je commence à m’y garer. Mais le mec qui d’après moi a accéléré en me voyant, ne me laisse pas finir ma

manœuvre et du coup j’ai le cul de la voiture qui dépasse un peu et ça a pas loupé le mec avec son camion en

passant m’a un peu cogné l’arrière de ma voiture. Du coup je descends de ma voiture et le chauffeur du camion

commence à me gueuler dessus, alors moi aussi je commence à chauffer, et chose que je n’aurais pas fait avant,

je lui dis que déjà s’il veut parler avec moi, il faut qu’il descende de son camion parce que moi je ne lui parle

pas comme ça en étant obligé de lever la tête comme ça, et en étant dans cette position d’infériorité. Du coup il

descend évidemment c’est une masse, il commence à s’expliquer, il m’accuse de ne pas m’être rangé alors que

j’avais bien vu qu’il était plus engagé que moi. Je lui réponds qu’il ne m’a pas laissé faire ma manœuvre et que

s’il avait roulé moins vite j’aurais eut le tps de me garer correctement. Là-dessus, un mec qui habitait juste

devant le lieu de l’événement sort de chez lui et sans savoir ce qui c’était passé se dirige vers nous en criant sur

moi, et en disant que c’était de ma faute, et que le chauffeur de camion avait entièrement raison. Alors là je ne

me suis pas encore dégonflée, et j’ai dit au mec de la maison qu’il n’avait rien vu et que personne n’avait fait

appelle à lui alors qu’il pouvait rentré chez lui. Mais je lui ais dit ça sur le même ton que lui. Du coup le mec

était tellement surpris qu’il s’est exécuté, et par répercutions le chauffeur du camion aussi c’était calmé, et on a

pu reprendre le constat tranquillement. Et finalement le mec s’est même proposé de m’accompagner tout de

suite chez un ami à lui garagiste pour qu’il me répare ma voiture de suite. Mais j’ai refusé tout en prenant ces

coordonnées pour faire cela plus tard. Mais j’avoue que j’étais très fière d’avoir réussit, d’avoir résolue la

situation de cette manière, sans m’être laissé bouffer par ces deux mecs… »

Sa réaction dix ans plus tard, est diamétralement opposée à son attitude dix ans plus tôt. Nous

constatons que lors de cette séquence de vie, cette femme n’est plus habitée par la peur et la

crainte. Son attitude déterminée, a déstabilisé le chauffeur. Le comportement dominant de ce

dernier, disparaît et un échange peut s’instaurer. Nous constatons que dans cette séquence,

l’un et l’autre modifient leurs attitudes. Le comportement de cette femme a un effet positif car

il permet de mettre sur un pied d’égalité l’un et l’autre. Cette attitude est considérée comme

une manière de ne pas se « laisser marcher dessus ». En effet de nombreux métropolitains

Page 75: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

nous déclarent, qu’ils doivent « faire leur place », pour pouvoir vivre en Martinique. Il faut

être fort de caractère sinon à terme la confrontation avec les martiniquais, les oblige à partir.

Cette attitude qui consiste à s’affirmer, à s’imposer dans les situations où ils se sentent en

danger, agressés n’est pas la seule réponse dans l’ajustement de leur comportement à ce

nouveau cadre de vie. Lors de l’arrivée sur l’île des métropolitains, la plupart du temps,

n’osent pas réagir de façon agressive dans ces situations. C’est ce que nous déclare cette

métropolitaine dans son récit : « chose que je n’aurais jamais fait avant », sous entendu « que

je n’aurais pas osé faire avant ». La dangerosité potentielle dans tous contacts avec les

martiniquais, et l’inquiétude de ne pas avoir les bons comportements, gestes ou paroles, qui

pourraient être mal interprétés et risqueraient de provoquer un mal entendu ou un conflit.

Ceci amène les métropolitains à être, de façon permanente, attentifs aux mots qu’ils

emploient et aux attitudes qu’ils adoptent. Ce mode de faire est rapidement insupportable car

il engendre une tension permanente. La rencontre avec les antillais est ressentie comme

dangereuse par certains.

Afin d’anticiper ces situations dangereuses, certains métropolitains évitent toute rencontre

avec les locaux. Cette manière de faire s’observe par la mise en place de stratégies

d’évitement ou par l’emploi d’intermédiaires lors de transactions délicates. Lorsqu’un

métropolitain se risque à une rencontre, il met en place des procédés d’évitement. Par

précaution, les sujets qui pourraient être mal interprétés, sont écartés. Ils changent d’activité

ou de sujet de conversation, à tout moment lorsqu’ils considèrent qu’il peut y avoir un risque

de mal entendu. Les rencontres s’établissent sur le mode de la méfiance, de la réserve, en

dissimulant ses sentiments tant que reste inconnu la ligne de conduite que l’Autre est prêt à

accepter.

Un exemple illustre cette manière de procéder. Installée à la terrasse d’u bar avec un

métropolitain pour une interview, je m’aperçois que la serveuse a fait une erreur dans ma

commande. J’informe, la personne qui m’accompagne, et je me lève afin de faire modifier ma

commande. Il se lève aussitôt, inquiet il m’ôte le verre des mains en me disant qu’il va aller le

faire à ma place. De retour, il me précise qu’il faut procéder, lors de ces incidents, avec

beaucoup de diplomatie afin de ne pas vexer la serveuse. Et que l’emploi de nombreuses

précautions sont nécessaires. Cette attitude se caractérise par une démarche empreinte

d’humilité, effectuée avec prudence, sur un ton plaisant. Elle est la démonstration des

stratégies d’évitement que mettent en place les métropolitains.

D’autres manœuvres de protection sont tout aussi répandues et utilisées par les métropolitains.

Par exemple, le code du respect et de la politesse est scrupuleusement appliqué, ainsi que tout

Page 76: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

cérémonial dû à certaines personnes. Lors d’une conversation, les faits qui peuvent

implicitement ou explicitement, contredire ou gêner sont écartés. Des circonlocutions sont

employées, les réponses sont formulées avec ambiguïté afin d’éviter de créer un éventuel

mécontentement chez l’Autre. Lorsque ces personnes sont interrogés sur ces manœuvres

dilatoires, elles nous répondent : « il ne faut pas provoquer, ne pas chercher les ennuis », « il

faut être de bonne humeur, toujours souriant », « il faut savoir s’écraser parce qu’on aura

jamais gain de cause », « il faut savoir se faire tout petit à certaines périodes de l’année quand

les esprits sont échauffés ». La plaisanterie est également utilisée pour débloquer une

situation tendue.

Cependant notons que l’humour des métropolitains et celui des martiniquais ne sont pas les

mêmes. C’est pour cette raison que cette technique n’est utilisée, généralement, qu’après

quelques années passées sur l’île. Lorsque les métropolitains se sont aperçus que l’humour est

bien compris par les martiniquais. Il est aussi employé à partir du moment où les personnes

venues de métropole, sont excédées de surveiller leurs comportements et leur parole. Elles

utilisent alors l’humour pour exprimer ce qu’elles pensent tout en respectant, les codes et la

sensibilité des locaux. Cette dernière technique de comportement employée par les

métropolitains est généralement appréciée par les martiniquais qui usent beaucoup de

l’autodérision et de l’humour entre eux.

Mais au travers de ces différentes techniques de comportement, il faut savoir que de la

concession à la surenchère pour être admis, il n’y a qu’un pas qui est peut être rapidement

franchi, et qui change totalement les résultats escomptés. Cette accommodation constante du

comportement aux exigences tacites de la société d’accueil, n’est supportable par les

métropolitains que si ils trouvent dans le milieu familial et la communauté ethnique la

possibilité de s’exprimer avec spontanéité avec la certitude d’être compris.

Cette partie expose la manière dont les métropolitains se rendent compte qu’ils ne

sont plus en France. Ils ne peuvent plus en conséquence, se comporter comme auparavant. Ils

doivent apprendre à réajuster leur comportement au nouvel environnement qui les entoure.

Nous avons observé que plusieurs stratégies se mettent en place, certaines plus supportables

que d’autres sur le long terme. Cette partie nous permet de voir, également, que le constat que

font les métropolitains et le réajustement qui s’en suit correspond à la seconde phase de leur

adaptation après leur accommodation aux éléments qui s’imposent à eux irrémédiablement

dès leur arrivée (CF Chapitre trois).

Page 77: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Nous allons dans les lignes suivantes évoquer les différents types d’acculturations qui

s’imposent aux métropolitains.

2. Les différentes réactions des métropolitains dans ce cadre

Nous allons essayer d’établir de quelle façon les métropolitains vivent leur acculturation.

Avant d’analyser le processus d’acculturation, il nous paraît plus adéquat de partir du concept

dynamique d’identité ethnique. Car, c’est à partir de l’identification au groupe, et de la façon

dont elle est vécue que peut se comprendre une expérience interethnique.

2.1. L’identité ethnique

Il est nécessaire de définir ce concept afin de comprendre ce qui différencie les

métropolitains des martiniquais et ainsi d’appréhender leur acculturation. Nous allons nous

appuyer sur l’étude d’Abou Selim : L’identité culturelle19.

L’appartenance ethnique se symbolise par trois caractéristiques culturelles principales : la

race, la religion et la langue. En général, les Etats ne préfèrent ne retenir que la troisième : la

langue. Les gouvernements ont tendance à n’identifier les minorités ethniques que par leur

particularité linguistique. Abou Selim définit comme groupe ethnique : un groupe dont les

membres possèdent à leur yeux et aux yeux des autres, une identité distincte enracinée dans la

conscience d’une histoire ou d’une origine commune. Ce fait de conscience est fondé sur des

données objectives, telle que, une langue, une race ou une religion commune, voire un

territoire, des institutions ou des traits culturel commun (il est possible que certaines de ces

données puissent faire défaut).

La Martinique correspond à cette définition du groupe ethnique. Nous avons noté qu’en son

sein, une interprétation culturelle de la référence raciale conscientise un groupe ethnique (sans

le fanatiser). Il s’agit notamment, du concept de négritude qu’Aimé Césaire à développer dans

les années cinquante. Au travers du créole, le culte de la langue peut être analysé comme une

juste défense des valeurs, de la personnalité culturelle des martiniquais que nous pouvons

considérer comme un groupe ethnique. C’est un groupe avec une identité ethnique inséré dans

une nation, la France. Nous pouvons dire à la lecture de l’ouvrage d’Abou Selim que la

Martinique est une communauté infra-nationale à l’intérieure de laquelle joue une conscience

19 Abou, Selim, 1981, L’identité culturelle. Relations interethniques et problèmes d’acculturation.

Page 78: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

ethno-culturelle. C’est une communauté de langue, dans un espace qui est un lieu

d’identification ethnique, accentué notamment par sa distance avec le continent nationale.

Dans la définition d’un groupe ethnique, nous voyons que l’identité ethnique dépend en partie

de la manière dont le groupe interprète son histoire. En revanche, l’identité culturelle, (qui a

ses racines ancrées dans l’identité ethnique), échappe, en grande partie à sa conscience et à ses

prises de positions idéologiques. Abou Selim l’illustre par un exemple : « Au Liban, chrétiens

et musulmans partagent plus qu’ils ne le croient des modèles communs de comportements et

de pensées »20.

Ceci n’est pas totalement démontré dans notre étude. Certes, les métropolitains ont des

modèles communs, transmis en particulier, par le système scolaire, mais l’éloignement

géographique entre la métropole et l’île, ne leur permettent pas d’avoir un même mode de

comportements et de pensée, et donc de posséder une même identité culturelle.

Cet auteur définit la culture comme étant : « l’ensemble des manières de penser, d’agir, et de

sentir d’une communauté dans son triple rapport à la nature, à l’homme et à l’absolu »21. Nous

avons noté depuis le début de cette étude que le comportement des métropolitains et celui des

martiniquais diverge sur de nombreux points et notamment sur le rapport à la nature, et au

temps. Nous savons aussi que leur manière de penser l’absolu se fait au travers de leurs contes

et de leurs mythes. Nous ne pouvons pas, dans ce mémoire approfondir l’étude de ces

éléments, pourtant riches en informations, car ils ne concernent pas directement notre sujet.

Nous avons voulu montrer dans notre précédent propos que les martiniquais représentent un

groupe ethnique différent de l’ensemble national, (et donc des métropolitains), et qu’ils

possèdent leur propre culture.

C’est, principalement pour ces raisons qu’en arrivant en Martinique les métropolitains

connaissent une acculturation. Car malgré leur identité nationale commune, ces deux

populations appartiennent à deux groupes ethniques et culturels différents.

2.2. L’acculturation

Il est important de noter que l’acculturation ne varie pas en fonction des groupes en contact.

Elle se différencie selon les cultures en présence par rapport à leur proximité ou éloignement

de l’une et de l’autre, de leur degré de prestige, et suivant l’homogénéité ou l’hétérogénéité

culturelle des groupes en présence. La proximité des cultures, quelque soit son degré, joue

comme un facteur positif facilitant grandement l’acculturation. A l’inverse, l’éloignement est

20 Ibid, p 42. 21 Ibid., p 30.

Page 79: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

négatif, il rend l’acculturation difficile. Dans notre étude, nous pouvons dire que les

métropolitains et les martiniquais bénéficiant de mêmes structures sociétales, ainsi que d’une

langue officielle commune, ils ont donc un certain degré de proximité culturelle. Ainsi

l’acculturation de ces premiers devrait être facilitée. C’est ce que nous allons étudier.

Nous notons que les cultures en contact ont rarement un prestige égal. Nous pouvons estimer

le prestige d’une culture, à l’importance et à la qualité des civilisations qu’elle a engendrées.

Ce prestige est en rapport avec sa puissance économique et sa politique actuelle dans le cadre

de la nation correspondante. Il dépend aussi de la situation sociale du groupe représentant

cette culture. Dans le modèle que nous étudions, la culture qui a le plus de prestige est

représentée par la population minoritaire, les métropolitains. En conséquence, nous pouvons

en déduire que ce groupe ne rencontrera pas de difficulté d’acculturation.

Avant d’aborder ce thème, nous nous intéressons aux modes d’acculturation. Abou Selim,

révèle qu’il en existe trois : le spontané, l’obligé ou l’imposé. Le mode spontané correspond à

des échanges non réguliers entre deux pays ou deux groupes ethniques, par exemple lors

d’échanges économiques. Le mode imposé ou forcé est effectif lorsque des rythmes, et des

mentalités sont planifiés par le pouvoir et imposés à toute une population.

Il existe, enfin, le mode obligé. C’est au travers de ce mode que nous pouvons identifier la

situation des métropolitains en Martinique. Il est imposé par la situation, mais le rythme et les

mentalités, sont laissés, jusqu’à un certain point, à l’initiative du groupe et des individus.

Jusqu’à un certain point, puisque étant accueillis dans un cadre de fonctionnement préexistant,

ils ne peuvent pas faire autrement que de suivre en partie, les éléments qui s’imposent à eux.

Il n’est pas loisible aux nouveaux arrivants de choisir de ne pas adopter les modèles et les

valeurs de la culture du pays d’accueil, mais il leur est permis de pratiquer, aussi longtemps

que nécessaire, les traditions qui leur sont propres. En Martinique, nous pouvons considérer

que cette permissivité est due à deux éléments qui jouent de façon positive dans

l’acculturation : la proximité de culture et le prestige de cette population métropolitaine

reconnu par la culture d’accueil.

Si un mode d’acculturation correspond à toute la population de métropolitains, il existe en

revanche différents processus d’acculturation.

Avant d’aborder ces processus, nous évoquerons l’une des principales difficultés de cette

étude. A quoi les métropolitains doivent-ils s’adapter en arrivant en Martinique ? Nous avons

noté que l’appréciation du temps, des rythmes divergent entre ces deux populations, et que la

Martinique dispose d’une culture spécifique. L’île dispose d’une société singulière (la

Page 80: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

hiérarchisation raciale des individus) et d’une culture caractéristique. Hors ces deux éléments

ont subit des modification depuis la mise en place de la départementalisation. En

conséquence, les martiniquais ont dû, eux aussi, entrer dans un processus d’acculturation, par

rapport à la culture des métropolitains. Nous observons alors que la principale difficulté réside

dans le fait que les métropolitains arrivent dans une population, elle-même, lancée dans un

processus d’acculturation. Il s’agit du processus d’assimilation. Abou Selim le définit comme

l’une des formes de l’échec de l’acculturation. En effet le concept d’assimilation, d’origine

biologique, évoque l’absorption. Transposé au domaine culturel, il signifie que les membres

du groupe minoritaire éliminent radicalement leur identité ethno-culturelle pour endosser une

autre identité, ou qu’ils cessent d’être eux-mêmes pour devenir autres. Lorsque ce phénomène

se produit, ce qui fut le cas des martiniquais, c’est un processus d’aliénation qui se met en

place. Il a pour effet, la pathologie de la déculturation et à terme, de la dépersonnalisation. La

population locale a réussi à remédier à ces situations extrêmes grâce à l’intervention d’auteurs

martiniquais. Ils ont impulsé une réflexion, en y associant les martiniquais, sur leur identité.

La langue locale, le créole, est valorisé et sert de support de rattachement. Si aujourd’hui la

question de l’identité en Martinique est quasi résolue, le processus n’est pas achevé. Il

demeure présent et actif par l’incessant questionnement de l’identification (qui est-on par

rapport aux autres, au reste du monde ?).

Les métropolitains se retrouvent dans deux autres processus d’acculturation définis par Abou

Selim : le processus de réinterprétation, le processus de synthèse.

Le premier est actif quand l’acculturation est « matérielle » c’est-à-dire lorsqu’elle affecte les

contenus de la culture du groupe minoritaire, qu’elle laisse intact sa manière de vivre, de

penser et de sentir. Cette acculturation est partielle lorsque le groupe minoritaire adopte les

traits, les modèles de la culture dominante dans le secteur public des relations secondaires,

tout en maintenant son propre code culturel dans le secteur privé des relations primaires. C’est

donc dans la sphère des relations secondaires que s’établissent les échanges.

Le second processus celui de synthèse est mis en place quand l’acculturation est « formelle »,

c'est-à-dire lorsqu’elle affecte les structures mêmes de la pensée et de la sensibilité du groupe

minoritaire. Les métropolitains sont amenés à intérioriser les deux codes culturels en présence

et les conflits qui résultent de cette rencontre. Ce processus, affirme Abou Selim, est le

processus de synthèse. Les membres du groupe ethnique ne se débarrassent pas des modèles

de penser, de sentir de leur culture d’origine pour adopter tels quels ceux de la culture du pays

d’accueil. Le passage de l’un à l’autre n’est ni direct, ni immédiat. Ils cherchent d’abord à

Page 81: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

rejeter la culture de leur père pour adopter celle du pays d’accueil devenu leur lieu de

résidence.

2.3. Les attitudes des métropolitains

Ces deux processus d’acculturation se traduisent dans le comportement des métropolitains de

différentes façons. L’écart entre les deux codes culturels en présence (la culture française telle

qu’ils la vivent en France, et celle du pays d’accueil), peut être vécu différemment selon les

métropolitains. Lors de nos entretiens nous avons constaté à quel point la manière

d’institutionnaliser et d’apprécier les modes de penser martiniquais varie selon les individus :

en fonction de leur personnalité et de leur expérience. Trois catégories de personnes émergent

à l’analyse :

La première concerne les métropolitains désappointés dès leur arrivée sur l’île.

Désillusionnés car ils s’aperçoivent, avec regret que rien ne correspond à ce qu’ils avaient

imaginés : l’île n’est pas conforme à leurs représentations et la culture française rencontrée

n’est pas celle qu’ils connaissent. Leur déception provoque un refus de cette réalité et

engendre un mépris pour la culture et la population martiniquaise. Leur attitude hostile perçue

par les martiniquais provoque en retour un rejet. Cette forme d’exclusion engendre de la

rancœur, de l’aigreur qui radicalise leur refus du monde culturel martiniquais et les conduit à

s’en couper définitivement, pour ne fréquenter qu’une population métropolitaine. Ils

reproduisent à l’identique les structures sociétales de métropole et tentent de reconstruire le

même mode de vie qu’ils avaient sur l’hexagone, avec les avantages qu’offre l’île, en plus.

Leur quotidien ne change ni dans leur alimentation, ni dans leurs activités culturelles, ni dans

leur fréquentation. Seul l’environnement marque, pour eux, la différence entre la métropole et

la Martinique. L’échange avec la population locale, ainsi qu’avec la référence aux modes

culturels martiniquais, ne se fait qu’à travers les relations professionnelles. Nous pouvons

dire que ces métropolitains vivent en Martinique uniquement sur des structures connues, en

périphérie de la société locale. Ces personnes possèdent un bon niveau de vie, ce qui leur

permet de vivre en dehors du monde martiniquais. Ils s’installent dans des communes habitées

majoritairement par des hexagonaux. Ils pratiquent des activités que peu de martiniquais

exercent. Ils fréquent les lieux non investis par les locaux. Ces personnes peuvent adopter

cette manière de vivre car elles savent que leur séjour sur l’île sera de courte durée. En

conséquence, ils ne se sentent pas obligés de faire des efforts envers la population locale. Ils

ne viennent pas pour découvrir ce qu’ils ne connaissent pas, mais pour des raisons strictement

matérielles.

Page 82: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

La deuxième catégorie, concerne les « relativement déçus ». Leur désenchantement est

moindre et leur déni de la culture martiniquaise est atténué. Ils demeurent curieux de

connaître l’Autre et sont plus à même de créer une relation avec les locaux, même si au départ

ils avaient une vision plus idyllique de l’île. Cependant les contacts ne s’établissent pas aussi

facilement que ce qu’ils ont imaginés. Principalement, comme nous l’avons observé, les

modalité d’échanges entre ces deux groupes ne sont pas très nombreuses, et surtout, parce

qu’ils se retrouvent confrontés à des modes de pensée qu’ils ne connaissent pas. Ces

incompréhensions deviennent, parfois, de véritables barrières culturelles malgré leur désir de

mieux appréhender le monde antillais. Nous pouvons, à titre d’exemple, évoquer le rôle de la

séduction. De nombreux métropolitains, femmes ou hommes, ne comprennent pas pourquoi

les martiniquais sont, sans cesse dans une démarche de séduction. Les métropolitaines vivent

ses continuelles apostrophes, comme de véritables agressions, les persuadant qu’elles sont en

danger. D’autre part, leur méconnaissance des us et coutumes locales amène les

métropolitains à commettre des maladresses à l’égard des martiniquais, qui vivent celles-ci

comme très offensantes eu égard aux vexations subies au cours des siècles précédents. Celles-

ci sont automatiquement relevées par les martiniquais, qui en tirent des conclusions hâtives.

Ces derniers esquivent, alors tout échange. Les métropolitains, devant l’impossibilité de

communiquer avec la population locale, établissent alors des relations privilégiées entre eux.

Ces personnes sont installées sur l’île pour un temps indéterminé. C’est ce qui les amène

initialement à faire un effort d’ouverture vers la population locale. Malgré cet échec, la

majorité demeure sur l’île, considérant qu’ils ont une meilleure qualité de vie qu’en France et

qu’ils exercent un emploi qui leur convient. Ils se résignent à accepter cette situation

admettant qu’ils ne peuvent pas tout avoir : la qualité de vie, un métier bien rémunéré et aussi

une bonne entente avec la population locale. Ils ne portent pas de jugement de valeur sur la

culture martiniquaise, ils constatent l’existence d’un écart important entre les deux cultures,

qui empêche tout rapprochement. A contrario, cette population s’entend relativement bien

avec les martiniquais qui ont vécu dix ou quinze ans en France. Ces personnes tentent de

mieux connaître l’autre dans sa différence sans y parvenir, ne pouvant établir des liens

qu’avec des personnes proches de la culture française métropolitaine.

A partir de ces deux premières attitudes, nous constatons que les métropolitains sont soucieux

d’éviter le danger de la déculturation, car ils divisent spontanément le monde en deux

secteurs. Les relations primaires (émotionnelles) sont confiées au cercle familial, et à la

collectivité ethnique. Ils n’entretiennent, avec la communauté d’accueil, que des relations

secondaires ou d’affaires. Fort de cette division, ils se contentent d’adopter les modèles de

Page 83: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

comportements exigés par la vie publique sur l’île. Ils gardent intacts leurs modes culturels

d’origine. Ils recherchent, dans le milieu familial et/ou ethnique, des appuis affectifs solides

leur permettant d’affronter l’angoisse que provoque l’apprentissage d’un nouveau code

culturel.

La troisième catégorie de personnes est celles qui dépassent les incompréhensions

culturelles. Leur intégration dans le monde martiniquais est facilitée par plusieurs éléments :

par exemple par l’établissement de forts liens d’amitié entre une famille martiniquaise et ces

personnes, ou par le biais d’un mariage mixte. C’est par un élément qui les rattache à la

Martinique, qu’elles peuvent dépasser les barrières culturelles. Ces métropolitains, lorsqu’ils

rencontrent, comme tout un chacun, des faits qui leur paraissent illogiques ou aberrants,

peuvent solliciter leurs amis pour obtenir une explication évitant ainsi de donner une

interprétation subjective de l’événement.

Le temps est un autre facteur à prendre en compte, il permet une meilleure compréhension de

l’Autre et ainsi d’éviter certaines maladresses. Ces métropolitains ont quitté la France pour

des raisons précises et de façon définitive. Ils sont partis volontairement de la France pour

connaître autre chose. Leur démarche implique une volonté d’adopter la culture du pays

d’accueil, pour contribuer à son développement en y apportant une spécificité. Ces personnes

doivent posséder une grande ouverture d’esprit afin d’accepter les différences de l’Autre. En

conséquence, elles doivent mettre entre parenthèse leur culture d’origine sans la renier, tout en

s’imprégnant respectueusement de la culture de l’Autre. Une démarche qu’elles peuvent

entreprendre et qui est fort apprécié, c’est l’apprentissage du créole. Vouloir parler créole est

un acte fort et significatif pour les martiniquais, car il les différencie de la masse qui ne sait

que le comprendre.

Par cette démarche, le conflit des cultures se résout. Il enrichit la personne qui l’entreprend et

autorise une complémentarité féconde entre métropolitains et martiniquais.

Cette dernière attitude est la plus rare, elle implique, que le métropolitain ait passé quelques

années sur l’île, avant d’être effective. Mais surtout elle est plus rare car l’apprentissage des

traits culturels d’une autre société est considéré, de façon plus ou moins consciente, comme

l’abandon des siens. L’idée de cet abandon est angoissante, puisqu’elle signifie un danger

pour l’individu qui l’accepte. Car il doit, pour cela, se remettre complètement en question, lui

et ce qu’il considérait comme des acquis, jusqu’à présent. Pour que ce risque soit encouru, il

faut que cet individu soit conscient de ce qu’il est, de ce qu’il vaut, et surtout de ce qu’il veut.

Ceux qui arrivent en Martinique, avec en bagage des problèmes personnels irrésolus, sont sûrs

de ne pas être capable de pouvoir faire cette démarche.

Page 84: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Nous avons noté dans ce chapitre quelles sont les attitudes et les stratégies

comportementales qu’adoptent les métropolitains face au constat de leur impossibilité à se

comporter comme en métropole. Grâce à des apports théoriques, nous avons mis en évidence

les modes et les processus d’acculturations que vivent les métropolitains en Martinique. A

présent, par l’étude de trois trajectoires de métropolitains, nous allons voir dans la pratique à

quoi correspondent ces modèles et ces processus. Nous énoncerons dès le départ, les éléments

que nous pouvons considérer comme positif ou négatif dans le processus d’acculturation.

Page 85: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Chapitre six : Etude de cas

Nous allons nous intéresser à l’analyse de trois récits de vie de métropolitains afin

d’étayer l’étude théorique. Nous mettrons en évidence les éléments qui semblent dès leur

arrivée déterminer une orientation vers l’un ou l’autre processus d’acculturation qui induit

leurs attitudes.

1. Madame B.

Madame B. agricultrice, vit sur son exploitation dans la campagne de Saint Joseph avec son

mari, lui-même agriculteur. Elle arrive en Martinique en 1978, invitée par un « ami de

cœur »22 originaire de l’île et rencontré à Paris lors de l’un de ses voyages. Avant son arrivée,

elle ne sait rien de la Martinique, n’y est jamais venue, mais elle connaît toute l’histoire de

l’île, grâce à un travail de documentation. C’est son ami qui lui a suscité cette envie de

découvrir ce monde qu’il évoquait. Elle ne vient pas pour effectuer un séjour, elle envisage

dès son arrivée de s’installer, rien ne la retient en métropole. Elle est accueillie dans le milieu

martiniquais de son ami. Elle est donc immédiatement en contact avec la population locale.

Lorsqu’elle prévoit de rejoindre cette personne, elle n’a pas recherché de travail à partir de la

métropole. Sur place, elle est employée dans un hôtel en tant que secrétaire de direction. A ce

poste, elle va s’engager syndicalement et lutter avec les salariés martiniquais pour leurs droits.

Par cet engagement elle lie des amitiés avec le personnel de l’hôtel, et rencontre également

l’homme qui deviendra son mari, par la suite. Ils décident d’acheter un terrain sur la commune

dont il est originaire afin de créer une exploitation agricole.

Dès son arrivée d’après son récit, Madame B., est admise dans un réseau de connaissances

locales, ce qui lui permet de tisser des liens avec le monde martiniquais. C’est volontairement

qu’elle évite de développer des relations avec des métropolitains dont elle sait par ailleurs

qu’ils sont issus d’une autre origine sociale qu’elle (à cette époque les métropolitains

détiennent la plupart des postes à responsabilité), et qui certainement ne partagent pas ses

idéaux. Madame B. lie des connaissances par l’intermédiaire de sa religion : le bouddhisme.

La pratique de cette religion lui a permis d’acquérir une certaine tolérance.

En 1978, hormis le secteur des fonctionnaires, les métropolitains ne sont pas très nombreux.

En conséquence, sa présence dans un domaine autre que la fonction publique, lui permet

22 Citation de l’expression employée par Mme B.

Page 86: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

d’être acceptée par l’ensemble de la population. Son engagement syndicaliste, ses prises de

positions à l’encontre des patrons métropolitains, sont très appréciées, dans un climat social

où d’ordinaire les métropolitains sont solidaires entre eux.

Nous constatons que dès le départ, certains faits facilitent l’admission de Madame B. dans la

société martiniquaise. Par la suite d’autres éléments vont participer à englober Madame B.

dans la vie locale. Il s’agit de l’importance du temps qu’elle a séjourné sur l’île, et de son

mariage avec son époux actuel.

Nous notons au travers de l’expérience de cette femme, mais aussi lors d’autres entretiens,

que la durée du temps de séjour des métropolitains sur l’île est important aux yeux des

martiniquais. L’appréciation des martiniquais sur les métropolitains se modifie lorsque ceux-

ci affirment qu’ils résident sur l’île depuis dix, quinze ou vingt ans. La longueur du séjour

stipule à l’Autre que, le résident a une bonne connaissance de l’île et des évènements qui s’y

sont déroulés. Toutefois, les martiniquais s’aperçoivent rapidement, de l’arrivée récente ou

non des métropolitains, soit parce qu’ils sont connus pour une raison professionnelle ou autre

(engagement, dévouement, actions sur le terrain ; car avec le temps ils peuvent voir si les

paroles se transforment en actes ou pas, c’est un moyen de juger la personne…), soit parce

que leurs attitudes laissent transparaître les codes culturels qu’ils ont intériorisés. Ceci se

caractérise par l’acquisition de petits détails au quotidien, observés au fils des années, et dont

ils ont appris l’utilité. Ce comportement est un indicateur de leur intégration à la population

locale. Ces détails peuvent aussi bien être le respect des usages de salutations comme dire

bonjour lorsqu’on rentre dans un lieu public, ou dire bonsoir dès midi passé, ou encore

respecter le code de l’accolade qui consiste à se donner une bise en déposant une fois les

lèvres sur la joue, pour ensuite la tendre et en recevoir une en retour.

Son mariage est un autre élément fondateur de son intégration sociale. Avant de se marier, le

couple a vécu en concubinage. La population de la commune de Saint Joseph ne savaient pas,

alors, comment ils devaient considérer Madame B. C’est pour cette raison qu’ils décidèrent

de se marier afin que madame puisse obtenir un statut, aux yeux de tous. En effet, après cette

union Madame B. s’aperçut qu’elle obtint au sein du bourg, le statut de Madame, la femme

de monsieur D. Le mariage avec un autochtone prouve le désir de Madame de s’ancrer en

Martinique. L’installation, le mariage démontrent son souhait de rester sur l’île à la

différence de la majorité des métropolitains. La population locale peut effectuer un

rapprochement, voire se lier d’amitié.

Après son mariage, Madame B. remarque que l’attitude des personnes de la commune a

changé à son égard. Le mariage mixte peut faciliter l’intégration du conjoint ou de la

Page 87: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

conjointe du fait de l’accueil dans une famille connue localement. Cependant, l’arrivée d’un

métropolitain ou d’une métropolitaine dans une famille martiniquaise, n’est pas toujours

appréciée. L’entrée dans une famille locale en tant que gendre ou bru n’est pas forcément une

aide à l’insertion sociale. Il arrive que la famille rejette ce nouveau membre, en adoptant des

attitudes d’indifférence ou en lui faisant ressentir qu’elle n’est pas considérée comme un

membre de la famille. Plusieurs explications sont plausibles face à de telles réactions : la

crainte de voir son enfant partir vivre en métropole, de le perdre (l’éloignement empêche de

fréquentes rencontres). L’arrivée d’un métropolitain dans la famille peut, donc, être associé à

l’idée de l’enlèvement d’un de ces membres. Une seconde hypothèse peut être énoncée : la

présence d’un métropolitain dans une famille martiniquaise peut rehausser le prestige de

celle-ci. Or, paradoxalement, afin de ne pas reconnaître l’impact positif qu’apporte ce membre

à la famille, celle-ci dénie l’importance de cette arrivée dans le groupe familial. L’attitude de

ces familles martiniquaises peut s’expliquer par le rapport ambigu qu’entretiennent les

martiniquais avec les « races pures », quelle soit blanche ou noire. L’homme noir, d’origine

africaine, renvoie l’antillais à ses origines et à l’histoire de l’esclavage (la soumission).

L’homme blanc est à la fois le modèle, l’homme auquel le martiniquais veut ressembler, mais

qui est aussi son colonisateur. Il est donc autant recherché qu’haï.

Le mariage mixte peut être un support pour l’insertion sociale, mais devenir un handicap en

fonction des rapports que le conjoint décide d’entretenir avec sa famille. En ce qui concerne

Madame B., son mari s’apercevant de l’attitude peu amicale de sa mère envers son épouse,

décide temporairement de limiter ses relations avec elle. Par la suite, leurs relations se sont

améliorées

Ce témoignage nous permet de noter que Madame B. a vécu une acculturation par processus

de synthèse, selon les termes que nous avons définis dans le chapitre précédent. En effet,

volontairement Madame B. a cherché à s’éloigner de son groupe d’appartenance, pourtant

présent sur l’île, pour adopter le code culturel en vigueur. Elle a fait le choix d’aller vers la

population et la culture locale.

2. Monsieur O.

Monsieur O. découvre la Martinique lors d’un séjour touristique qu’il effectue avec son amie

de l’époque, suite à l’obtention de son diplôme de chirurgien dentiste. L’île lui plait ainsi qu’à

sa compagne. Il décide d’effectuer un deuxième séjour afin de prospecter auprès de cabinets

dentaires qui seraient en quête d’un associé. Plusieurs propositions lui parviennent, il accepte

l’une d’entre elles, et revient une troisième fois pour s’installer sur l’île. Son amie qui a

Page 88: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

terminé ses études l’accompagne. Ils arrivent en 1998. Ils sont venus principalement pour

« bouger », parce qu’ils trouvent amusant et exotique de venir habiter en Martinique, mais

aussi pour acquérir une première expérience professionnelle. Ils s’installent à Sainte Luce et

au cours des six premiers mois, ils ne rencontrent que peu de personnes. Ils occupent

majoritairement leur temps entre leur profession et la découverte de l’île. Quelques rencontres

occasionnelles avec des martiniquais ne les satisfont pas, ils perçoivent un grand écart culturel

entre les deux populations. L’absence de relations amicales, le manque de sorties nocturnes,

habitudes adoptées lors de leurs études, entraîne le couple à se replier sur lui-même.

Progressivement leurs relations se dégradent. Un an, après leur arrivée, la jeune femme

regagne la métropole. Monsieur O. se retrouve seul et se rapproche de ses collègues du monde

médical. Par leur intermédiaire, son réseau de connaissances se multiplie « par 10 en un

mois », selon ces dires. Il partage de nombreux loisirs avec son nouveau groupe d’amis qui se

compose de métropolitains et de martiniquais ayant passés plusieurs années en France ou y

étant nés. Grâce à ce réseau il rencontre sa femme en 2001. Parisienne d’origine

guadeloupéenne, elle est avocate. Fin 2002, la construction de leur maison s’achève, début

2003, naissance de leur fils. Mais le couple ne supporte pas la mentalité locale. Pour cette

raison, ils envisagent de quitter la Martinique, dans cinq ans, au terme du remboursement de

leur maison. En prévision de ce retour, ils épargnent pour s’installer en métropole dans de

bonnes conditions.

Le processus d’acculturation que Monsieur O. a vécu, correspond au processus de

réinterprétation ou d’acculturation matérielle. Il a partagé son environnement en deux secteurs

auxquels correspond pour chacun, un code culturel particulier. Le code culturel de la société

d’accueil pour les relations de travail, le sien pour son cercle familial et amical. L’utilisation

du code culturel martiniquais est réduit : son associé est un métropolitain, et la plupart de ses

patients martiniquais, entretiennent de bons rapports avec lui, car respectueux du prestige de

la profession qu’il exerce (CF chapitre quatre). En conséquence, la vie de Monsieur O., en

Martinique diffère peu de celle qu’il aurait en métropole. En effet, ses échanges avec les

martiniquais se limitent à les croiser quotidiennement, dans les espaces publics et

commerciaux. Par cet exemple, nous percevons à quel point la stratégie d’évitement peut

s’organiser, pour n’entretenir aucun contact avec la culture locale. Nous pouvons dire qu’il

est possible pour des métropolitains de vivre en Martinique sans jamais se confronter au code

culturel de cette société. Toutefois, deux éléments s’imposent à Monsieur O. : le temps et le

rythme, comme à tous les métropolitains qui vivent sur l’île.

Page 89: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

A travers ce récit, nous constatons que ce dentiste refuse de prendre en compte la culture

martiniquaise, il ne trouve que des défauts, de l’incohérence dans le fonctionnement de cette

société et réprouvent le comportement des autochtones. A leur sujet il n’a que des paroles

véhémentes et des propos négatifs. Face à ce qu’il considère comme une hostilité permanente

(les originaires), il crée un « cocon » dans lequel il s’épanouit, il s’agit de son cadre et de sa

vie familiale. Ils sont installés confortablement dans une maison qu’ils viennent de faire

construire au Vauclin, dans un quartier majoritairement habité par des métropolitains. Le

socle familial est l’élément essentiel dans l’attente du départ.

Certains points de ce récit peuvent être développés. Tout d’abord, nous notons que Monsieur

O. arrive accompagné de son amie de l’époque, puis ils se séparent, la jeune femme retourne

en métropole. Nous observons que cette situation n’est pas un cas isolé. Plusieurs

témoignages relatent la séparation de jeunes couples après plusieurs mois passés en

Martinique. Une explication peut être évoquée : le manque de contact avec l’extérieur

entraîne à terme l’essoufflement de la dynamique de couple. Une autre raison nous a été

donnée plus fréquemment. Il s’agit des tentatives de séductions entreprises par les

martiniquais envers la femme du couple. En effet, la femme est le plus souvent courtisée.

Parfois, les martiniquaises tentent de séduire également les hommes. Il n’est pas rare de

rencontrer des personnes venues en couple, se séparer. Au terme de cette relation, certains

demeurent en Martinique, d’autres préfèrent partir, mais pas nécessairement pour rentrer en

métropole, d’autres destinations sont aussi fréquentes comme le Canada.

Monsieur O. a épousé une femme originaire des Antilles, née dans la région parisienne. Ce

couple mixte est un couple singulier aux yeux de la population locale qui diffère du couple

mixte constitué par Madame B. avec son époux. Ce couple n’est pas considéré comme un

couple mixte par la population locale car la femme de Monsieur O. n’est pas considérée

comme une originaire. Elle est appelée péjorativement par les martiniquais une

« negropolitaine ». C’est-à-dire : une personne qui a la couleur locale, mais qui ne connaît

pas, renie ou a oublié les codes de la culture antillaise. Le groupe de negropolitains se

constitue, pour les martiniquais : de personnes originaires des Antilles, nées ailleurs ou de

locaux partis vivre dix, quinze ou vingt ans, en France. Lors de leur retour sur l’île, ces

personnes sont affublées de cette dénomination. Elles ne sont pas très estimées, car les

martiniquais ont l’impression qu’elles favorisent l’utilisation du code culturel métropolitain

au détriment du code martiniquais. Ces personnes ne peuvent pas masquer qu’elles arrivent de

métropole, car leur façon de parler et leur accent diffèrent de ceux qui n’ont jamais quitté

l’île. Parfois, leur démarche suffit à les identifier. En conséquence le mariage avec un(e)

Page 90: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

negropolitain(e) pour les métropolitains ne peut pas être considéré comme une aide à

l’intégration. Dans ce cas, outre les résistances du clan familial à l’arrivée d’un nouveau

membre, l’ensemble de la population exprime son hostilité à ce couple. L’insertion sociale

est d’autant plus difficile que les deux membres du couple y sont confrontés. En autre, leur

insertion est différente car les exigences demandées ne sont pas les mêmes pour les deux. Les

couples mixtes formés en métropole, entrent dans cette catégorie, et subissent les mêmes

contraintes, en Martinique.

Il faut relativiser nos propos en sachant que ces évènements ne se produisent pas au sein de

toutes les familles martiniquaises dont un membre est métropolitain. Ce dernier peut avoir de

très bons rapports avec sa belle famille. Dans ce cas, le mariage peut être considéré comme

une aide réelle à l’insertion dans la société martiniquaise.

3. Madame H.

Nous allons nous intéresser au parcours de Madame H. Elle est arrivée avec son mari et leurs

deux enfants en 2001. Ils sont tous les deux métropolitains. Ils ont décidé de quitter leur

région pour découvrir d’autres horizons, si possible, en dehors de l’hexagone. Elle est femme

au foyer, son mari, enseignant. Lors du mouvement du personnel de l’éducation nationale,

Monsieur H. a émis deux vœux : être muté soit à la Réunion ou en Martinique. Il est nommé

sur un poste de son deuxième choix. Ils ne connaissent pas ni l’un ni l’autre, ce département,

avant de partir s’y installer. Madame H. nous avoue, lors de l’entretien que cette mutation

désirée, se double d’un intérêt financier, puisqu’ils n’envisagent de rester en Martinique que

le temps imposé par l’éducation nationale, c'est-à-dire quatre ans (nécessaire au

remboursement de leur frais de déménagement). Ensuite, ils demanderont une nouvelle

mutation pour un autre DOM ou TOM, ou bien, ils resteront en Martinique jusqu’à

l’obtention d’un poste dans une région de la métropole qui leur convient. Avant leur départ,

leur dentiste leur communique les coordonnées d’amis à lui, vivants sur l’île. Madame H. les

contacte. Ils lui proposent de chercher une maison à louer, selon leurs critères, puisqu’ils ne

peuvent pas se déplacer. Ils trouvent une maison dans un quartier calme de Sainte Luce, où

demeurent autant de foyers martiniquais que métropolitains. A leur arrivée, la famille met

quelques mois à s’adapter au fonctionnement de l’île. Les enfants s’interrogent sur les raisons

de leur départ et regrettent leur maison, leur famille, leurs amis et leur école, ici, ils ne

connaissent personne. La fille aînée âgée de quatre ans, vit douloureusement la séparation

d’avec les membres de la famille, et notamment d’avec ces grands-parents, dont elle était très

proche. Madame H. a vécu une période dépressive. Son manque d’activité et ses échecs

Page 91: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

relationnels avec les locaux, accentue son sentiment de solitude. Pendant un certain temps, la

famille se replie sur elle-même. Courant 2002, leur troisième enfant naît. Peu à peu, le couple

rencontre des métropolitains et partage des activités avec eux. C’est à partir de ce moment

qu’ils ont le sentiment d’être chez eux. Madame H. dit continuer à tenter de sympathiser avec

des martiniquais, mais elle se heurte à des différences culturelles qu’elle ne sait pas comment

gérer.

L’histoire de Madame H., et de sa famille, démontre qu’il s’agit d’une acculturation partielle,

semblable à celle de Monsieur O., mais avec une différence significative qui caractérise les

deux cas. Contrairement à Monsieur O., la famille H. souhaite connaître le monde des

martiniquais, mais à cause de leur manque des connaissances des mœurs locales, ils sont et

deviennent maladroits dans le contact. Ils sont impressionnés, craintifs face aux différences, et

ils ne savent pas comment agir, et se comporter. Nous avons relevé dans les propos de

Madame H. un sentiment de culpabilité par rapport à l’histoire de l’île. Elle ne se sent pas

responsable de l’esclavage qui a eu cours en Martinique, mais elle estime avoir un devoir

d’information du comportement des métropolitains vis-à-vis de la population locale.

Appartenant au groupe dominant, elle éprouve une responsabilité dans les mauvaises attitudes

que cette communauté a envers les martiniquais. C’est pour cette raison, qu’elle n’hésite pas à

dénoncer le fonctionnement ou les propos de quelques uns de ces amis pour montrer que

certains métropolitains sont excessifs dans leurs attitudes et qu’elle les réprouve. Elle atteste

que certaines personnes viennent avec un esprit de colon : « la Martinique est française, donc

ils sont ici chez eux, et ils se comportent comme s’ils étaient chez eux, voire encore plus mal

parce qu’ils sont justement ailleurs, et ils restent entre eux ».

Elle-même ne fréquente que peu d’antillais. Elle justifie son comportement en affirmant : que

les martiniquais n’ont pas réellement envie de lier une amitié avec des métropolitains, que les

différentes façons qu’ils ont chacun de concevoir les choses, les empêchent d’avoir des points

communs les rapprochant. Elle nous donne l’exemple suivant : les hommes et les femmes

martiniquais sortent indépendamment les uns des autres, tandis que nous, nous sortons

ensemble, avec nos enfants. En conséquence, ils y a impossibilité d’organiser des sorties

communes. Nous notons que des barrières culturelles existent entre ces deux groupes. Nous

relevons à travers nos divers entretiens, d’autres indicateurs qui peuvent être considérés

comme des obstacles à la compréhension des uns et des autres. Celui qui est le plus souvent

cité par les métropolitains, est le manque de civisme des martiniquais. Par manque de civisme

il est sous entendu : le non respect de l’environnement, de la nature (« …ils jettent leurs

ordures n’importe où… »), le deuxième grief énoncé : leur manque de politesse (dans les

Page 92: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

boutiques, les restaurants, qui sont vécus comme des actes « racistes »), et enfin leur

comportement sur la route considéré comme dangereux pour tous. Nous avons évoqué la

« drague » que les métropolitaines vivent au quotidien comme une agression. Le dernier

reproche concerne leur le rythme de vie, interprété par les métropolitains comme de la

nonchalance. A la moindre discorde, l’héritage historique est réactivé, renforçant les

oppositions entre ces deux populations. Aujourd’hui tous actes ou paroles vécus par les

martiniquais comme disqualifiant ou dominant, réactualisent l’histoire de la domination des

blancs. Ce fait est aussi vécu comme une barrière par les métropolitains car ils ne pensaient

pas que les rapports entre les groupes pouvaient être à ce point là, encore marqués par

l’histoire. En conséquence, ils doivent éviter toutes expressions qui établissent un rapport

d’inégalité entre eux et les martiniquais.

Le dernier aspect de la société martiniquaise auquel les hexagonaux sont réticents est le

rapport, que la population locale, a avec le religieux, et notamment le quimbois. Cette

omniprésence de la religion et des superstitions dans les paroles et dans les comportements,

met ces nouveaux arrivants mal à l’aise.

Nous observons à travers le récit de Madame H., qu’il existe une grande solidarité entre

métropolitains : les personnes que Madame H contacte sur l’île, avant son arrivée, sans les

connaître se mobilisent pour lui trouver une maison afin de lui rendre service. Cette entre

aide, ce soutien mutuel se construisent car il y a une notion d’appartenance à la même origine

et un même sentiment d’être minoritaire sur l’île. Cette solidarité peut être active avant le

départ de métropole, ou se constitue sur l’île en intégrant un réseau de connaissances.

Madame H., nous a indiqué ses difficultés à se déplacer en famille, que les personnes qui

vivent seules ne connaissent pas. Face à l’inconnu, d’instinct et d’un même mouvement, la

famille renforce ses défenses culturelles pour résister à l’altérité menaçante que représente la

société d’accueil. Elle ressert le lien affectif pour surmonter la tension provoquée par les

contacts répétés avec cette société. Cette démarche a un côté négatif pour l’insertion de ces

membres puisqu’ils ne sont pas des individus à part entière comme ceux qui viennent et

vivent seul, mais un groupe homogène qui « envahit » un autre ensemble. La confrontation

avec les nouveaux codes culturels se vit de façon d’autant plus délicate que subsistent au sein

de la famille les anciens modèles. En conséquence, le contact avec la société d’accueil est

d’autant déstabilisant que l’ancien modèle survie au sein de la famille. Alors que le

métropolitain venu seul est dans l’obligation d’être en contact permanent avec son nouveau

cadre de vie, et dans lequel il est contraint de se constituer de nouveaux repères. Ce repli sur

la famille empêche ces membres de faire cette démarche nécessaire à l’acceptation du

Page 93: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

changement, en se constituant de nouveaux repères. Si ce repli, sur le cercle familial, dure

les membres de la famille qui veulent s’intégrer dans la société d’accueil, doivent provoquer

une rupture avec ce noyau. Les membres de la famille qui sont les plus à même à créer cette

rupture sont les enfants afin d’échapper ou de fuir l’étouffement familial provoqué par le

contact angoissant avec l’extérieur. Cette scission ne s’effectue que si les enfants sont

relativement âgés et en fonction de la durée du séjour, elle peut ne jamais se produire.

Une autre difficulté que la famille doit prendre en compte, à la différence de la personne

seule, c’est de veiller à ce que tous les membres qui la composent, vivent convenablement le

changement de cadre. Dans la famille de Madame H. nous notons que sa fille aînée a mis du

temps à comprendre le déménagement de la famille. De même Madame H. a vécu une période

dépressive. Il n’est pas rare lors des premières années, qu’un membre de la famille

« immigrante », psychologiquement plus fragile que les autres, connaisse une véritable

dépression. Ce membre est souvent la mère. Elle est contrainte de rester à la maison pendant

que son mari travaille, privée de toute activité, de toute compagnie. La solitude et le

changement d’entourage provoquent un profond désarroi. Pour pallier à ce sentiment de

déprime, la reprise d’une activité peut être une solution, tout comme l’effort entrepris pour

rencontrer d’autres personnes (souvent des métropolitains car leur contact est facile, mais

aussi parce qu’ils ont connu les mêmes situations). Ou enfin les liens de la famille se

resserrent encore davantage, et il n’est pas rare que celle-ci s’élargisse par la naissance d’un

nouvel enfant. Cette naissance peut alors être considérée comme un moyen d’occupation de la

mère, lui permettant d’atténuer son état dépressif.

Nous avons pu voir que parmi les personnes que nous avons interrogées, 14 d’entre elles sont

venues en couple. Sur ces 14 couples nous pouvons dénombrer l’agrandissement de huit

foyers, dont la mère n’avait pas d’activité, par la naissance d’un ou plusieurs enfants. (CF

annexe 7).

La personne qui vient seule, n’a pas à affronter l’ensemble de ces difficultés. Ce célibat

l’autorise à se lier affectivement avec une personne de son choix. Cette fréquentation peut la

rattacher sentimentalement à l’île, et favoriser dans une certaine mesure, son insertion sociale.

Nous observons que parmi les 12 personnes venues seules, cinq se sont mariées avec une

personne originaire de l’île, et trois fréquentent officiellement un ou une martiniquais(e). (CF

annexe 7).

A travers ces récits de vie nous reconnaissons les deux processus d’acculturation que

nous avons développé dans le chapitre précédant, ainsi que les différentes attitudes que

Page 94: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

peuvent adopter les métropolitains confrontés à ce nouveau cadre. Les diverses trajectoires de

ces nouveaux arrivants, et de leur famille, nous permettent de comprendre quels éléments et

attitudes peuvent être considérés positifs ou négatifs pour leur insertion, dans la société

martiniquaise. Soit ces éléments et attitudes sont acceptés par les martiniquais, soit ils sont en

contradiction avec la logique de l’insertion, qui nécessite alors une ouverture (d’esprit et une

posture avenante). Il faut retenir que tout groupe ou toute personne, à leur arrivée en

Martinique, sont en position d’étrangers.

Nous allons essayer de comprendre comment la société martiniquaise assume la venue de ces

personnes originaires de métropole.

Page 95: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Chapitre sept : La vision des martiniquais

Nous allons dans ce chapitre, essayer de comprendre comment les martiniquais :

considèrent et assument la présence des métropolitains sur l’île. La première interrogation,

que nous allons aborder, est : depuis la départementalisation, comment les métropolitains

sont-ils perçus par les martiniquais ? Ensuite, à travers les caractéristiques de la société

martiniquaise, nous essaierons de savoir, si elle peut dans l’état actuel de son évolution,

intégrer de nouveaux membres étrangers ou pas. Le problème de l’intégration est-il

spécifique, à cause d’une population considérée comme étrangère : les métropolitains ou ce

problème est-il inhérent au fonctionnement singulier de la société martiniquaise ?

Ces questions peuvent faire l’objet d’une autre étude. Notre sujet d’étude est l’adaptation des

métropolitains en Martinique, aussi n’aborderons-nous ces questions, qu’à travers le thème de

notre recherche.

1. Les métropolitains dans le regard des martiniquais

Nous avons étudié les stéréotypes que véhiculent les martiniquais sur les métropolitains (CF

chapitre quatre). Nous avons donc une première idée de la représentation qu’ils se font des

métropolitains. A présent, nous allons rechercher les images que le martiniquais se construit

du métropolitain depuis la départementalisation.

Dès notre premier chapitre, nous constatons que l’appellation « métropolitain », n’apparaît

qu’à partir des années soixante, à partir de la constitution visible des groupes de

métropolitains. Ce nouveau dénominatif revêt un aspect négatif pour cette communauté qui

n’existait pas auparavant. Seules les appellations : « z’oreille » ou « blanc France »

désignaient les blancs. A cette époque, les métropolitains sont peu nombreux et toujours de

passage, les mariages antillais/métropolitains sont rares. Les mariages mixtes sont le fait de

martiniquais qui vivent en France, et qui reviennent de temps en temps sur l’île. Les antillais

sont très surpris de voir une femme blanche avec un martiniquais, car traditionnellement, la

femme blanche, en Martinique, est une femme invisible, parce que c’est la femme du béké.

Ces premiers couples mixtes naissent au début de la départementalisation. Ils participent au

développement chez les martiniquais d’une relative sympathie pour les métropolitains et du

fait aussi qu’ils sont peu nombreux. Cette relative sympathie pour les métropolitains, tranche

avec l’hostilité qu’ils éprouvent pour les békés.

Page 96: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

A partir des années soixante dix, la communauté métropolitaine se densifie. Elle se compose

d’employés de la fonction publique (des militaires comme des civils). Puis à partir des années

quatre vingt s’installent sur l’île, des travailleurs, des ouvriers, et autres professions

indépendantes relevant du secteur privé. Il apparaît des métropolitains marginaux, dont

certains font la manche. A partir de ce moment-là, la vision des martiniquais sur les

métropolitains change. Ils voient apparaître deux catégories de métropolitains :

- ceux qui sont mariés à des antillais, et qui tentent de s’insérer dans la société locale,

- ceux qui viennent en couple et se regroupent en petits groupes.

Dans le même temps, le groupe des métropolitains croît massivement, engendrant une montée

d’un nationalisme martiniquais dans les divers secteurs de l’île. Au cours des années soixante

dix, une opposition massive aux métropolitains de développe, ils deviennent les victimes de

l’invisibilité de l’Etat. Les martiniquais reprochent aux métropolitains leurs venues, tandis

qu’ils les utilisent à leur fin. Notamment dans le but du blanchissement de la population

martiniquaise même si cette pratique est moins voyante qu’auparavant.

Nous percevons l’ambivalence que représente le blanc venu de France. Nous avons déjà

relevé aussi la position délicate qu’occupent les métropolitains, lorsque les békés les placent à

la gérance de leurs entreprises. L’attribution de ces postes à des métropolitains, est perçue par

les locaux comme une solidarité raciale entre eux et les békés. En réalité les blancs pays ne

font qu’utiliser les métropolitains, derrières lesquels ils se cachent, connaissant les difficultés

que représente le travail avec les gens de couleurs. En conséquence, ces métropolitains se

trouvent englués dans un conflit racial dont ils ne connaissent pas les enjeux. Les martiniquais

estiment que ces nouveaux cadres de France sont alliés aux békés, une hostilité se développe à

leur encontre. Les mouvements nationalistes entraînant beaucoup de grèves, durant cette

époque les métropolitains furent peu estimés par les autochtones qui à peine dix ans plus tôt

les trouvaient sympathiques. Nous relevons plusieurs indicateurs qui participent au

déclenchement des actions nationalistes :

- Les propos, du président De Gaulle disant qu’il ne voyait entre l’Europe et l’Amérique

que des poussières. Sous entendu les DOM ne représentent rien à ses yeux.

- Le mot d’ordre lancé par Aimé Césaire lorsqu’il parle de « génocide par substitution ».

Insinuant ainsi que le transfert de population, entre la métropole et les Antilles,

aboutira à une forme d’ethnocide.

- Et enfin la continuité de la politique du gouvernement de, De Gaulle par la présidence

de V. Giscard d’Estaing qui interdit aux antillais plusieurs pratiques caractérisant leur

culture, tel que l’interdiction d’employer le créole, en dehors du cercle familial.

Page 97: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Le comportement arrogant de certains métropolitains amplifie la mauvaise image de ceux-ci

auprès des martiniquais. A cette époque, un fort sentiment « anti-métropolitains » se

constitue, marqué par plusieurs actions isolées contre les hexagonaux.

En 1981, avec l’arrivée de F. Mitterrand au pouvoir, les choses changent. Il entreprend de

desserrer l’étau dans lequel les martiniquais sont pris. Des radios libres se créent, le créole est

employé à l’antenne, cette langue est à nouveau autorisée aussi bien dans les familles que

dans les cours d’école.

Les relations entre ces deux populations se détendent. Les martiniquais n’ont plus

l’impression que l’Etat français souhaite étouffer leur culture. Sous l’ère Mitterrand, renaît

une relative harmonie entre les martiniquais et les métropolitains. Aujourd’hui cette entente se

prolonge, les hexagonaux ne sont plus les boucs émissaires.

Cette entente harmonieuse se développe grâce à un apaisement racial entre les communautés.

La différence raciale n’a pas disparu du contexte social, elle continue à transparaître dans le

discours des martiniquais. Par exemple : lorsqu’ils évoquent une personne de leur

connaissance: « je te parle de Claude le chabin, pas de Claude le mulâtre. Tu sais celui qui a

épousé une coolie… »23. La racialisation demeure dans le discours quotidien. L’origine de la

race est fortement intériorisée en chaque martiniquais. Cette déracialisation s’instaure

lentement, elle bénéficie aux métropolitains, qui sont ainsi moins pénalisés par la couleur de

leur peau au regard de la population locale.

Aujourd’hui il semble se constituer un consensus qui admet que la Martinique ne peut pas

devenir indépendante dans la situation actuelle. Cet acquis bénéficie à l’installation des

métropolitains sur l’île. Puisqu’ elle admet ne pas pouvoir se passer, pour l’instant, de l’aide

économique de la métropole, elle tolère donc, la venue des métropolitains. Ces derniers

peuvent s’installer en Martinique dans un climat social apaisé et dans des conditions d’accueil

où ils peuvent se sentir relativement à l’aise. Si le discours revendiquant l’indépendance, est

minoritaire, la majorité des martiniquais revendique, aujourd’hui quand même, l’autonomie.

Au travers de cette chronologie, nous découvrons les divers sentiments qui ont habités

les martiniquais à l’égard des métropolitains, notamment en fonction des évènements qui se

sont produits entre la Martinique et la métropole. Depuis la départementalisation, les

métropolitains sont jugés par les locaux en fonction de leurs comportements sur l’île, ils le

sont aussi par les décisions que prend l’Etat pour ce département.

23 Expression extraite de discussions auxquelles nous avons assistées, à plusieurs reprises, entre deux antillaises.

Page 98: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

2. La société martiniquaise, et les Autres

Nous allons reprendre quelques caractéristiques de la société martiniquaise, afin de voir si le

fonctionnement actuel de cette société permet ou pas l’insertion, voire l’intégration, de

populations extérieures. Les métropolitains étant considérés comme une population

extérieure.

2.1. Les caractéristiques de la société martiniquaise

Nous avons évoqué au cours des chapitres de cette étude, certains aspects de la société

martiniquaise. Nous allons les reprendre pour savoir s’ils peuvent faciliter l’installation de

nouveaux membres dans la communauté martiniquaise.

Premier constat : la Martinique vit sur un système de famille élargie, différence

fondamentale avec les métropolitains qui est un groupe non lié par la parentèle. C'est-à-dire

que le réseau familial est sans cesse activé, pour quelque raison que ce soit. Les dimanches et

jours fériés se passent régulièrement en famille. Le cercle des amis et des connaissances est

peu développé, sauf lors de circonstances spécifiques : tel que les sorties nocturnes. Ce mode

de fonctionnement semble peu facilitateur à l’insertion de personnes étrangères. Elles ne

peuvent pas être englobées dans une vie sociale qui se structure surtout à partir des relations

familiales. La famille martiniquaise n’est pas de type nucléaire, mais une famille élargie aux

oncles, aux tantes, frères, sœurs, cousins, cousines… A moins que le métropolitain ne prenne

une place au sein de la famille martiniquaise, il ne peut pas avoir accès à ces relations.

Deuxième constat : la société martiniquaise est dans un processus d’acculturation. Le

processus d’acculturation vécu, est un processus négatif : l’assimilation. C’est un processus

négatif puisqu’il entraîne, à terme, une dépersonnalisation des individus ou leur déculturation.

Les martiniquais entreprennent un travail sur leur culture et leur identité afin de savoir qui ils

sont, pour que cet aspect négatif ne soit pas irrémédiable. Cette interrogation sur leur identité

a été traitée par différents auteurs locaux. Cette réflexion a permis, aux martiniquais de sortir

du questionnement aliénant : qui est la recherche de soi. La création du processus de

créolisation24, a permis aux antillais de se référer à une culture qui leur est propre, et ne plus

se sentir rattachés ou dépendants à un continent plus qu’à un autre. Le processus négatif

d’acculturation ne s’arrête pas à ce dysfonctionnement. André Lucrèce25 nous dit qu’à présent

les martiniquais savent qui ils sont, mais ils ne savent toujours pas qui ils sont par rapport aux

Autres, c’est le problème de l’identification.

24 Bernabé, Jean ; Chamoiseau, Patrick ; Confiant, Raphaël, 1990, Eloge de la Créolité

Page 99: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Lorsqu’une population est en mouvement, en changement, en recherche d’identification,

comment peut-elle opérer, afin d'introduire un groupe étranger ? D’autant plus que cet

étranger, le métropolitain, est singulier. Il se singularise pour deux raisons :

- c’est à cause de l’assimilation des martiniquais à sa culture, que ces derniers se retrouvent

confrontés à un processus d’acculturation. Il est possible d’imaginer que face à lui, et à ce

qu’il représente (la culture assimilatrice), les martiniquais émettent une réticence à son

insertion dans leur vie sociale.

- le métropolitain peut être considéré comme un étranger spécifique : parce qu’il est à la

fois, juridiquement concitoyen du martiniquais et blanc. Nous avons évoqué la position

ambiguë du blanc en Martinique (les martiniquais ne savent pas trop comment se comporter

face à cette population qui mêle en eux deux affects contradictoires la convoitise et la haine).

Troisième constat : la fragilité de leur culture (liée à l’acculturation), caractérise cette

société. Si différents concepts ont été élaborés afin de prouver que la culture martiniquaise

existe à part entière, elle n’en demeure pas moins une société jeune, et fragile. Nous pouvons

définir la société martiniquaise ainsi: c’est une société de consommation, en mal de

production, avec un taux de chômage élevé, une situation économique et sociale dégradée, et

une culture en évolution, donc instable. La principale conséquence de cet état de faits, est la

peur, l’inquiétude qui hante les membres de cette société. Peur qui s’origine de l’esclavage

(le traumatisme des anciennes blessures), de la crainte du manque alimentée par la venue d’un

Autre (il vient prendre quelque chose : de l’argent, du travail, des femmes…), et enfin, la

menace d’être envahi par de nombreux étrangers qui s’installent sur l’île. Le martiniquais

panique à l’idée de la possible disparition de sa culture et de son peuple, dans son « chez-

soi »26.

Face à cela la société martiniquaise a trouvé une solution inconsciente de survie qui consiste à

pousser sa population à tout faire pour se différencier des métropolitains, pour prouver ainsi

qu’ils existent (au moins culturellement) indépendamment de la métropole. La conséquence

en est la non adaptation des métropolitains à la vie sur l’île, qui illustre, alors, leurs

particularités.

Nous voyons donc ici que le rapport aux métropolitains est paradoxal. Puisque leur présence

est considérée comme un moyen d’accentuer leur assimilation à la France, et donc procéder à

leur changement, chose contre laquelle ils luttent. Mais elle leur permet aussi de pouvoir

justement en se dissociant d’eux, affirmer leur culture.

25 Lucrèce André, 1994, Société et Modernité. Essai d’interprétation de la société martiniquaise 26 Expression reprise de Francis Affergan (1983) p 222.

Page 100: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

A travers ces trois constats qui caractérisent la société martiniquaise, elle apparaît plus

fragilisée et repliée sur elle-même que prête à accueillir un étranger, aussi proche soit-il. Alors

cette société peut-elle admettre des étrangers en son sein ou pas ? Et si cela est possible, de

quelle manière peuvent-ils y parvenir ?

2.2. L’accès à cette société

La société martiniquaise apparaît trop instable économiquement et socialement pour pouvoir

accueillir sans danger pour elle-même des étrangers. Ce constat est indéniable. Actuellement

cette société n’a pas pu concevoir un système de gestion des populations immigrantes sans se

mettre en danger elle-même. Comment se protège-elle, alors, des va-et-vient incessants des

métropolitains, considérés comme étrangers sur l’île, malgré leur nationalité commune avec

les martiniquais ?

Nous avons repéré, les difficultés que rencontrent les métropolitains à s’insérer dans la société

martiniquaise, et les moyens de protection qu’elle a instaurés. Nous avons noté que toutes les

incompréhensions auxquelles se confrontent les hexagonaux, sont vécues, par ces derniers,

comme des barrières entre les deux cultures. Ces différentes incompréhensions peuvent

trouver une explication à partir de faits historiques, dans des expériences récentes car la

période de l’esclavagisme des martiniquais, continue à produire des « scories » dans

l’inconscient martiniquais. Par exemple: la relation que les martiniquais entretiennent au

niveau sexuel (attitude, pour le moins, directe). Une explication plausible est donnée : elle

remonte au temps de l’esclavage et démontre que les martiniquais d’aujourd’hui reproduisent

l’attitude qu’avait leur maître vis-à-vis des femmes noires. Elles étaient choisies et prises pour

assouvir les désirs sexuels de leurs maîtres, sans que ces derniers ne les séduisent, ni ne leur

demandent leur avis. Cet acte pouvait s’effectuer sans qu’aucune parole ne soit prononcée27.

Certains en déduisent que la manière abrupte qu’utilisent les martiniquais lorsqu’ils abordent

les jeunes filles (en formulant immédiatement leurs intentions), découlerait de cette époque.

Sans remettre en cause ces explications, nous avançons l’hypothèse que ces comportements

fonctionnent comme des attitudes de protection face à l’intrusion des métropolitains. Nous

pouvons nous demander si certaines conduites, ne sont pas maintenues et entretenues, plus ou

moins consciemment, afin d’empêcher ou du moins compliquer l’insertion des métropolitains

dans le monde fragile de la société martiniquaise. Nous pensons que ce système de barrières

permet de faire un tri entre les individus qui peuvent accéder à l’insertion sociale et ceux qui

27 Argument relevé au cours d’un entretien avec Monsieur Confiant, fin avril 2003.

Page 101: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

sont refoulés. Cette sélection s’effectue par le franchissement de plusieurs de ces obstacles,

jusqu’à ce que finalement les locaux acceptent cette personne qui a démontré sa volonté à être

intégré dans la société martiniquaise en surmontant ces incompréhensions liées aux

différences de culture. Nous constatons que l’intégration impose une double démarche : une

intention de la part de la personne immigrante d’aller vers la culture qui l’accueille, et une

volonté d’acceptation de la société de l’accepter comme nouveau membre.

Dans notre étude, nous pouvons parler d’intégration que lorsque les métropolitains ont la

volonté de dépasser ces barrières culturelles. Nous pouvons prendre en exemple le rapport à la

langue. Nous avons constaté que la majorité des métropolitains disent s’être familiarisés avec

le créole au bout de six ou sept mois de présence sur l’île. C'est-à-dire qu’ils arrivent à

comprendre une discussion. Ce constat n’est donc pas significatif d’une volonté de découverte

de la culture locale. Leur compréhension du créole est toute relative, car cette langue a l’art

et la manière d’employer les images, et les doubles significations. Si bien que les

métropolitains pensent comprendre une discussion et n’en décryptent, en réalité que la moitié.

Puisque qu’ils n’ont pas connaissance du double sens du discours. Pour décoder le créole, il

est nécessaire d’avoir accès aux proverbes et aux sous-entendus qui se réfèrent aux mythes et

aux contes contenus dans la cosmogonie martiniquaise. En conséquence, la compréhension du

créole n’est pas la clef qui permet aux métropolitains d’être intégrés dans la société locale.

En effet, les martiniquais ne savent pas si les métropolitains ont compris le sens du discours.

Par contre si le métropolitain peut répondre, en s’exprimant en créole, à ce moment là tout le

monde constate qu’il comprend, qu’il ne fait pas semblant. Parler créole c’est aussi montrer

qu’il fait l’effort de dépasser les moqueries faites sur sa prononciation, et que donc il n’a pas

peur du contact avec l’Autre. Egalement par cette démarche, il apprend les codes culturels de

la culture d’accueil en s’apercevant qu’il ne peut pas parler créole avec n’importe qui et sans

précaution. Car certaines personnes ont l’impression qu’il se moque d’elles lorsqu’il leur parle

en créole. Apprendre à parler en créole est donc considéré comme le franchissement d’une

barrière qui permet au métropolitain de s’intégrer dans la société martiniquaise.

Ce qui est demandé aux métropolitains, par le passage de ces obstacles, c’est de

s’imprégner de la culture créole, et d’une certaine manière « se créoliser ». Car comme le dit

F. Affergan28, on ne peut intégrer que celui qui est semblable à soi, ne serait-ce que par

quelques traits.

28 Affergan Francis, (1983), p 234.

Page 102: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Nous avons noté au cours de ce chapitre que la représentation des martiniquais à

l’égard des métropolitains dépend de leur comportement et de leurs actions sur l’île. Mais

cette représentation peut changer en fonction des décisions que le gouvernement prend pour

ce DOM. Nous savons à présent, qu’en apparence, les structures sociales de la Martinique ne

sont pas aptes à assumer l’introduction de nouvelle population. Elle protège sa culture

naissante, de l’intrusion des métropolitains, en établissant des barrières. Nous constatons que

celles-ci peuvent être franchies par l’adoption, de certains traits culturels inhérents à cette

société. Dès lors, nous pouvons dire que l’intégration des métropolitains en Martinique est

possible dans la mesure où ils se créolisent.

Page 103: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Conclusion

Ce travail nous a permis de voir plusieurs éléments à propos de ce groupe, peu

étudié, qui vie dans toutes les anciennes colonies de la France devenues des départements ou

des territoires français : les métropolitains.

A partir de l’exemple de la Martinique, nous avons décrit cette population venue de France,

en recherchant sa composition et les motifs qui l’amène à partir de métropole.

Depuis le début de la départementalisation (réel point de départ de l’immigration dans les

DOM), nous constatons que le nombre de métropolitains a augmenté de façon significative

sur l’île et qu’ils ont investi l’ensemble des secteurs d’activité. Cette population reste difficile

à échantillonner car elle demeure relativement hétérogène et instable. Elle ne représente pas

un groupe identifiable, ni au niveau professionnel, ni par les personnes qui la constituent. Il

existe un va-et-vient perpétuel de ses membres qui modifie sans cesse, la représentation du

groupe. Nous avons tenté de tracer un profil type de ces métropolitains en nous aidant de

quatre variables qui fédèrent les individus de cette population. Nous observons que

l’installation en Martinique est motivée principalement par trois éléments : l’expérience, les

intérêts économiques et une représentation positive de l’île.

Cette population étant précisée, nous avons repéré les difficultés qu’elle rencontre dès son

installation sur l’île, et recherché quels processus d’acculturations en découlent. Quelles

adaptations y sont associées, pour qu’ils puissent convenir de rester et de vivre sur l’île. Les

processus d’acculturation, que ce groupe rencontre par l’interaction avec cette nouvelle

culture, sont positifs, c'est-à-dire relativement faciles. C’est grâce, notamment à la relative

proximité culturelle de ces deux groupes et à la même appartenance nationale. Toutefois, leurs

relations ne sont pas dénuées de difficultés. Nous notons que l’acculturation vécue par les

métropolitains est particulière, puisqu’elle a lieu au sein d’une population martiniquaise en

mouvement, en changement. Ce cheminement ne facilite pas l’insertion d’un groupe

extérieur, d’autant qu’il s’agit de métropolitains, représentants de la société qui est à l’origine

de leurs bouleversements. Ce contexte sociétal particulier, associé aux nombreuses réticences

des métropolitains à accepter les différences rencontrées, ne facilite pas son entrée dans la

dynamique sociale de l’île. D’autant que les modes et les occasions d’échange avec la

population locale sont rares, surtout lorsqu’ils ne sont pas souhaités.

Page 104: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Néanmoins deux éléments sont obligatoirement à prendre en compte par les métropolitains

s’ils souhaitent vivre sur l’île, un certain temps. Il s’agit des temps et des rythmes en vigueur

en Martinique. Ils doivent adopter des attitudes et des comportements différents que ceux

qu’ils ont en France car la population locale ne réagit pas de la même manière. Ces modalités

de fonctionnement admises et acquises, nous constatons que certains métropolitains peuvent

vivre en Martinique, sans bouleverser certaines habitudes métropolitaines, et par conséquent

ne pas subir les us et coutumes culturels qui les environnent. Dès qu’ils se trouvent confrontés

à cette culture (par quelque moyen que se soit), la résignation prend le pas sur la

compréhension, et ils classent les différences qu’ils rencontrent au rang des clichés qu’ils

connaissent de cette culture. Nous notons que ces personnes vivent en périphérie de la société

martiniquaise, pour cela elles s’adossent, uniquement, sur les modalités administratives et

économiques de la Martinique, département français.

A l’opposé certains métropolitains parviennent à entrer dans la société locale en apprenant

ses codes culturels. Nous pouvons alors parler d’intégration à la culture créole, puisque le

métropolitain à la volonté de se « créoliser », la communauté locale les accepte. Ces

métropolitains qui arrivent à dépasser les obstacles établis par la société martiniquaise, sont

parfois plus acceptés par les locaux que les originaires expatriés en France et qui reviennent

quelques années plus tard : « métropolisés». Enfin certains tentent de rentrer dans ce nouvel

univers, mais se heurtent à des barrières culturelles qu’ils ne sont pas en mesure de dépasser,

et ne trouvent aucun soutien d’accompagnement dans leurs tentatives d’entrée dans cette

société.

Par rapport à notre hypothèse de départ, nous constatons qu’il n’existe pas qu’une seule

attitude et qu’une seule solution face aux difficultés d’adaptation rencontrées, mais trois.

Nous pouvons affirmer que quelque soit l’attitude adoptée par les métropolitains, qui

s’installent sur l’île et qui constatent que des différences culturelles existent, que tous doivent

s’adapter à leur nouveau cadre de vie. Ne serait-ce qu’en étant contraints par les éléments qui

s’imposent à eux.

En généralisant, nous pouvons dire que la population métropolitaine, ne s’intègre pas en

Martinique. Hormis quelques personnes qui parviennent à dépasser les différentes difficultés

qui existent dans le processus d’acculturation. Mais elles ne peuvent s’intégrer que dans un

cercle de connaissances locales : une famille, ou à l’échelle d’une commune ; mais elles ne

peuvent pas réussir à s’intégrer au niveau de l’ensemble de la population. Parce que, leur

apparence physique, et tout ce qu’elle évoque, est la première chose que les martiniquais

Page 105: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

perçoivent. Elle est par conséquent l’un des premiers jugements de valeur qu’ils doivent subir

de la part de la personne qu’ils ont en face d’eux.

Nous avons décelé que les métropolitains ne peuvent pas adopter les traits culturels de la

société qui les reçoit, car celle-ci leur procure une angoisse et inquiétude importantes. Car

prendre en compte les traits culturels de cette société les déstabilisent et bouleversent leurs

acquis. Nous observons que l’échelonnement des obstacles disposés par les martiniquais afin

d’obstruer l’entrée des métropolitains au sein de leur culture, est un procédé pour démontrer

leurs différences d’avec la France et d’affirmer leur existence.

Dans le discours, ces explications ne transparaissent pas, chacun reporte la faute sur l’Autre,

en se situant dans la position de victime. Les métropolitains reprochent aux martiniquais de ne

pas vouloir d’eux sur l’île, et les martiniquais accusent les métropolitains de s’installer en

Martinique uniquement pour venir faire de l’argent, à leurs dépends.

Nous constatons que dans cette situation, chacun trouve son compte à garder ces distances

avec l’Autre. La position de victime dans laquelle chacun se conforte et la transmission de

stéréotypes, finissent par persuader les uns et les autres, que ce sont effectivement ces raisons

qui les amènent à ne pouvoir que cohabiter.

On arrive alors dans le cas où les uns et les autres se résolvent à vivre dans cette situation. Les

métropolitains se résignent à vivre dans l’inacceptable : la non intégration de leur personne

dans la société martiniquaise. Ceci est possible, par leur refuge dans des loisirs et des

divertissements qu’ils partagent avec d’autres métropolitains, ce qui les amène à se regrouper

entre eux. Tandis que pour les martiniquais, cette situation leur permet de masquer ce qui les

effraient le plus, à savoir : qui ils sont, qu’est ce qu’ils représentent aux yeux des Autres ? Ils

s’efforcent, de se distinguer au quotidien des métropolitains (symbole de la culture à laquelle

ils sont rattachés), ils se donnent une identité propre, une existence. Ils évitent de se

confronter à eux-mêmes et de se retrouver face à la peur que la déculturation provoque.

Ces positionnements ont un effet pervers pour les uns et les autres.

Pour les métropolitains ces constantes résignations ne peuvent leur permettre de vivre sur l’île

qu’un temps, au risque sinon de dériver vers certaines pathologies psychologiques. Les

martiniquais, en se distinguant des métropolitains, accentuent leur tendance à se regrouper

entre eux et à vivre sur les structures françaises dont la société martiniquaise est pourvue. Ils

reproduisent, avec quelques adaptations nécessaires à leur vie sur l’île, leur quotidien

métropolitain.

Le constat de cet effet pervers nous amène à nous interroger sur l’avenir de la société

martiniquaise. Les métropolitains peuvent-ils vivre et s’installer sur l’île, en ignorant la

Page 106: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

culture en vigueur ? Nous savons que celle-ci est déjà amoindrie par la fuite d’une partie de sa

population vers la métropole, dont ses jeunes intellectuels.

Nous pouvons nous demander si les obstacles qu’elle met en place pour se protéger à savoir :

l’obligation faite aux métropolitains qui souhaitent être intégrés d’apprendre les codes

culturels locaux, ainsi que la pression qui est exercée sur ceux qui ne font pas cette démarche

(les conduisant à ne pouvoir rester sur l’île qu’un temps), sont des contraintes suffisamment

efficaces, pour lui permettre de survivre à son assimilation et ainsi de pérenniser sa culture ?

Page 107: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Bibliographie ABOU, Selim, 1981, L’identité culturelle. Relations interethniques et problèmes d’acculturation, Paris, Editions Anthropos, 235 p. AFFERGAN, Francis, 1983, Anthropologie à la Martinique, Paris, Presse de la fondation nationale des sciences politiques, 265 p. ARBORIO, Anne-Marie ; FOURNIER, Pierre, 1999, L’enquête et ses méthodes : l’observation directe, Paris, Editions Nathan, collection « sciences sociales 128 », 128 p. BASTIDE, Roger ; MORIN, Françoise ; RAVEAU, François, 1974, Les Haïtiens en France, Paris- La Haye, Editions Mouton. BASTIDE, Roger, 1967, Les Amériques noires, Paris Editions Payot. BENOIST, Jean (éd), 1972, L’archipel inachevé. Culture et société aux Antilles françaises, Montréal, Les presses de l’université de Montréal, 354 p. BENOIST, Jean (éd), 1975, « Une civilisation antillaise », dans Les sociétés Antillaises, 4e édition, St Marie, Martinique, Centre de recherches Caraïbes, pp 7-11. BENOIST, Jean (éd), 1975, « Les composantes raciales de la Martinique », dans Les sociétés Antillaises, 4e édition, St Marie, Martinique, Centre de recherches Caraïbes, pp 13-29. BENOIST, Jean, 1979, « L’organisation sociale des Antilles », dans Etudes Créoles, Montréal, Comité international des études créoles, pp 11-35. BENOIST, Jean, 1980, « L’anthropologue et l’identité culturelle », dans Identité culturelle et francophonie dans les Amériques (3), Alain Baudot, Jean-Claude Jaubert, Robert Sabourin (éd), Québec, Centre international de recherche sur le bilinguisme, pp 14-20. BENOIST, Jean, 1993, Anthropologie médicale en société créole, Paris, Presses universitaires françaises, collection « Les champs de la santé », 285 p. BERNABE, Jean ; CHAMOISEAU, Patrick ; CONFIANT, Raphaël, 1990, Eloge de la Créolité, Paris, Editions Gallimard, 127 p. BERTAUX, Daniel, 1997, Les récits de vie, Paris, Editions Nathan, collection «sciences sociales 128 », 128 p. BLANCHET, Alain & Al, 1985, L’entretien dans les sciences sociales. L’écoute, la parole et le sens, Paris Editions Bordas, 290 p. BLANCHET, Alain ; GOTMAN, Anne, 1992, L’enquête et ses méthodes : l’entretien, Paris, Editions Nathan, 125 p.

Page 108: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

BONNIOL, Jean-Luc, 1980, Terre-de-Haut des Saintes. Contraintes insulaires et particularisme ethnique dans la Caraïbe, Paris, Editions Caribéennes. BONNIOL, Jean-Luc, 1992, La couleur comme maléfice. Une illustration créole de la généalogie des blancs et des Noirs, Paris, Editions Albin Michel, 304 p. BONNIOL, Jean-Luc, 2000, « Les naissances multiples de Jean Benoist en terre créole » dans Au visiteur lumineux. Des îles créoles aux sociétés plurielles. Mélange offert à Jean BENOIST, J. Bernabé, J-L. Bonniol, R. Confiant, G. L’Etang (éd), Guadeloupe, Editions Ibis Rouge, pp 17-33. BONNIOL, Jean-Luc, 2000, « Amériques Noires. Les cultures créoles » dans le Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Bonte, P. ; Izard, M. (éd), Paris, Editions Quadrige/PUF, pp 756-758. BRETON (LE), David, 2003, Anthropologie du corps et modernité, 3ème édition, Paris, Editions PUF, collection « Quadrige », 263 p. BURAC, Maurice, 2001, « Les petites Antilles : de l’économie de plantation à l’économie de services », Au visiteur lumineux. Des îles créoles aux sociétés plurielles. Mélange offert à Jean BENOIST, J. Bernabé, J-L. Bonniol, R. Confiant, G. L’Etang (éd), Guadeloupe, Editions Ibis Rouge, pp 219-235. CABORT MASSON, Guy, 1998, Martinique comportements et mentalité, Martinique, Editions V.D.P, 242 p. CLANET, Claude, 1990, L’interculturel. Introduction aux approches interculturelles en éducation et en sciences sociales, Toulouse, Presses de l’université de Toulouse, Le Mirail, 236 p. COHEN, William B., 1981, Français et Africains. Les Noirs dans le regard des Blancs 1530-1880, Paris, Editions Gallimard, 409 p. CONFIANT, Raphaël, 1995, La savane des pétrifications, Paris, Editions Milles et une nuits, 100 p. DANIEL, Justin, 2001, « Conflits sociaux et construction identitaire à la Martinique », dans Au visiteur lumineux. Des îles créoles aux sociétés plurielles. Mélange offert à Jean BENOIST, J. Bernabé, J-L. Bonniol, R. Confiant, G. L’Etang (éd), Guadeloupe, Editions Ibis Rouge, pp 339-351. FANON, Frantz, 1952, Peau noire, masques blancs, Paris, Editions du Seuil, Collection « Esprit », 238 p. FONTETTE (de), François, 1997, Le Racisme, 8e édition Paris, PUF, collection « Que sais-je ? », 127 p. GERAUD, Marie-Odile ; LESERVOISIER, Olivier ; POTTIER, Richard, 2000 (2e édition), Les notions clés de l’ethnologie, Paris, Editions Armand Colin, 332 p.

Page 109: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

GIRAUD Michel, et JAMARD Jean-Luc, 1976, « Les antillais et le travail : complexe de servitude ou réalité de la dépendance ? », extrait des Actes du XL 2ème Congrès international des Américanistes, vol 1, Paris, pp 223-244. GIRAUD, Michel, 1979, Races et classes à la Martinique. Les relations sociales entre enfants de différentes couleurs à l’école, Paris, Editions Anthropos, 341 p. GLISSANT Edouard, GIRAUD Michel, GARDI Georges, 1971, « Introduction à quelques problèmes antillais », Fort-de-France, Martinique, ACOMA, N° 1, pp 29-93. GLISSANT, Edouard, 1981, Le discours Antillais, Paris, Editions du Seuil, 503 p. GOFFMAN, Erving, 1974, Les rites d’interaction, Paris, Editions de minuit, 230 p. HOFFMANN, Léon-François, 1973, Le nègre romantique. Personnage littéraire et obsession collective, Paris, Editions Payot, 297 p. JARDEL, Jean-Pierre, 1991, « De quelques approches de la notion de temps. Elaboration d’un modèle de distributions des relais symboliques de la médiation », Strasbourg, Colloque réseau Eurethno, conseil de l’Europe. KOVATS BEAUDOUX, Edith, 2003 (2e édition), Les Blancs créoles de la Martinique, Paris, Editions L’Harmattan, 219 p. LEIRIS, Michel, 1955, Contacts de civilisation en Martinique et en Guadeloupe, Paris, Editions Gallimard, 192 p. LEVI-STRAUSS, Claude, 1952, Race et histoire, Paris, réédition 1987, Editions Folio/Essais, 127 p. LIRUS, Julie, 1979, Identité Antillaise, Paris, Editions Caribéennes, 273 p. LUCRECE, André, 1994, Société et Modernité. Essai d’interprétation de la société martiniquaise, Case-pilote Martinique, Editions l’Autre mer/ Essais, 188 p. MENIL, René, 1981, Tracées. Identité, négritude, esthétique aux Antilles, Paris, Editions Robert Laffont, collection « Chemins d’identité », 234 p. MUCCHIELLI, Alex, 1985, Les Mentalités, Paris, Presses universitaires françaises, collection « Que sais-je ? », 127 p. RIVIERE, Claude, 1999, Introduction à l’anthropologie, 2e édition, Paris, Editions Hachette, 156 p. RUBIN, Vera, 1975, Les problèmes de la recherches anthropologique dans la Caraïbes, dans Les sociétés Antillaises, Jean Benoist (éd), St Marie, Martinique, Centre de recherches Caraïbes, pp 119-136. TAGLIONI, François, 1995, Géopolitique des Petites Antilles. Influences européenne et nord-américaine, Paris, Editions Karthala, 321 p.

Page 110: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

TAGUIEFF, Pierre-André, 1987, La force du préjugé. Essai sur le racisme et ses doubles, Paris, Editions Tel Gallimard, 646 p. TAL, Isabelle, 1976, Les Réunionnais en France, Paris, Editions Entente, collection « Minorité », 122 p. ZOBEL, Joseph, 1974, La rue cases-nègres, Paris, Editions Présence Africaine, 225 p.

Page 111: Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d

Annexes Annexe 1 : La Martinique en chiffres………………………………………………….p 111 a) Le taux de chômage en Martinique en 2002……………………………………………p 112

b) Population active de la Martinique et taux d’activité en 1999…………………………p 113 Annexe 2 : Tableau sociologique sur la population interrogée……………….……….p 114 Annexe 3 : Répartition géographique des métropolitains sur l’île…………………….p 115 Annexe 4 : Chiffres de la population martiniquaise a) Population totale de la Martinique en 1999…………………………………………….p 117 b) Population totale par tranche d’âge…………………………………………………….p 117 Annexe 5 : La représentation de l’île avant le départ………………………………….p 118 Annexe 6 : Stéréotypes a) Stéréotype des métropolitains sur les martiniquais 1…………………………………..p 120 b) Stéréotype des métropolitains sur les martiniquais 2…………………………………..p 121 c) Stéréotype des métropolitains sur les martiniquais 3…………………………………..p 122 d) Stéréotype des métropolitains sur les martiniquais 4…………………………………..p 123 e) Stéréotype des métropolitains sur les martiniquais 5…………………………………..p 124 f) Stéréotype des martiniquais sur les métropolitains……………………………………..p 125 Annexe 7 : Tableaux sur les métropolitains interrogés a) Personnes interrogées venues en couple……………………………………………….p 126 b) Métropolitains interrogés venus seuls………………………………………………….p 127