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HAL Id: tel-00402971 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00402971 Submitted on 8 Jul 2009 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Les édifices de spectacles antiques de Gaule Narbonnaise : documents iconographiques, interprétations, restaurations Fabienne Dugast To cite this version: Fabienne Dugast. Les édifices de spectacles antiques de Gaule Narbonnaise : documents icono- graphiques, interprétations, restaurations. Sciences de l’Homme et Société. Université Paris-Sorbonne - Paris IV, 2003. Français. <tel-00402971>

Les édifices de spectacles antiques de Gaule Narbonnaise

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  • HAL Id: tel-00402971https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00402971

    Submitted on 8 Jul 2009

    HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

    Larchive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestine au dpt et la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publis ou non,manant des tablissements denseignement et derecherche franais ou trangers, des laboratoirespublics ou privs.

    Les difices de spectacles antiques de Gaule Narbonnaise: documents iconographiques, interprtations,

    restaurationsFabienne Dugast

    To cite this version:Fabienne Dugast. Les difices de spectacles antiques de Gaule Narbonnaise : documents icono-graphiques, interprtations, restaurations. Sciences de lHomme et Socit. Universit Paris-Sorbonne- Paris IV, 2003. Franais.

    https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00402971https://hal.archives-ouvertes.fr

  • U N I V E R S I T E D E P A R I S I V - S O R B O N N E

    Les difices de spectacLes antiques

    de GauLe narbonnaise :

    documents iconoGraphiques, inteprtations, restaurations

    Thse de docToraTUFR Histoire de lart et Archologie

    Archologie romaine

    Fabienne DUGAST

    sous la direction du ProfesseurJean-Charles BALTY

    Co-direction : lie KONIGSONDirecteur de recherches LARAS (CNRS)

    Volume 1

    ANNEE 2002

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    http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00402971/fr/http://hal.archives-ouvertes.fr

  • Soutenue en Sorbonne, Paris, janvier2003 :

    M. Christian Goudineau, Professeur, Collge de France, Prsident du Jury

    M. Jean-Charles Balty, Professeur, Paris IV

    M. lie Konigson, Directeur de recherches, LARAS, CNRS

    Mme Franoise Dumasy, Professeur, Paris I

    Mme Franoise Hamon, Professeur, Paris IV

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  • Avant-propos et remerciements

    En laborant, dans les annes 1975, lide dtablir un corpus des thtres, amphi-

    thtres et cirques de toute la Gaule romaine dans le cadre de thses de doctorat au sein de

    lUniversit de Strasbourg, le Professeur Ed. Frzouls envisageait de rassembler le

    maximum de documents concernant les difices de spectacles antiques en vue, ainsi que

    lesprait aussi son homologue italien G.A. Mansuelli, dlargir les possibilits de compa-

    raison entre les diffrentes provinces de lEmpire romain et dtablir les premiers jalons

    dune histoire architecturale de ce type de monuments au-del de lItalie. . Bouley sest

    ainsi occupe de la Belgique et des Germanies (1981), M. Matter de la Gaule Lyonnaise

    (1985), tandis quen 1986 une tudiante sest engage recenser ceux de lAquitaine: la

    Narbonnaise en revanche paraissait devoir rester orpheline, aucun projet pourtant amorc

    ne venant terme. En me dcidant, en 1991, prendre en charge cette province, je ne

    mattendais pas plus sans doute que mes prdcesseurs me heurter aux cas bien

    complexes des Arnes dArles et de Nimes et des thtres dArles, dOrange et de Vaison-

    la-Romaine, si radicalement restaurs au cours du XIXe sicle et paradoxalement si peu

    tudis. Le dcs inattendu dEd. Frzouls quatre ans plus tard a mis fin une nouvelle fois

    lentreprise, peut-tre dautant plus naturellement quil me paraissait bien alatoire

    finalement dengager une quelconque analyse mme succincte de ces cinq monuments

    sans constamment revenir sur des questions fondamentales dinterprtation. Soutenue par

    . Konigson, directeur de recherche et spcialiste en anthropologie et histoire du thtre

    (LARAS CNRS) ainsi que par les Professeurs Ph. Bruneau, Fr. Dumasy et J.-Ch. Balty, jen ai

    par consquent repris ltude depuis 1997, mais cette fois dans une optique plus histo-

    riographique , travers les descriptions et les documents iconographiques des XVIIe et

    XVIIIe sicles, ainsi que les rapports des architectes chargs de leur restauration au cours des

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  • XIXe et XXe sicles. Lide premire tait de tenter de comprendre, pralablement tout

    examen des structures, ltat desprit dans lequel les restaurations autant que les restitu-

    tions graphiques dun Augustin Caristie, dun Charles Questel ou dun Jules Formig,

    avaient t menes. difices manifestement en ruine au tournant des XVIIIe et XIXe sicles, ils

    sont aujourdhui presque complets en effet, sans que lon puisse rellement distinguer les

    maonneries anciennes des modernes, ni dcider de la pertinence des diverses interven-

    tions rcentes, au point que ces dernires semblent faire dsormais partie intgrante de

    chacun dentre eux, y compris dans lesprit des chercheurs.

    En me penchant sur les projets, devis et plans relatifs leur dgagement, restauration ou

    amnagement, un constat simposait cependant: lAcadmie de France Rome et lcole

    des Beaux-Arts Paris, o le service des Monuments historiques a recrut successivement

    ses architectes, correspondaient avant tout des coles darchitecture pour lesquelles ltude

    des difices de la Rome antique sinscrivait dans une histoire gnrale de lart de btir et se

    dclinait par types de monuments et critres esthtiques. Ds lors, trois questions devaient

    mon sens se poser: quels taient exactement les tenants et aboutissants de cet ensei-

    gnement somme toute trs orient? quelle application concrte en ont fait les architectes en

    chef des Monuments historiques? ne peut-on en dceler aujourdhui certaines rpercus-

    sions sur notre apprhension des difices de spectacles de Narbonnaise? Des restaurations

    effectives linterprtation purement architecturale des thtres et amphithtres, il ny

    avait en fait quun pas: jai pris le parti par consquent de rassembler gravures, textes ou

    manuscrits qui ont dcrit ou reprsent ces vestiges depuis le XVIe sicle et qui se sont rvls

    troitement lis une vritable recherche sur lart de btir depuis les rflexions de

    L.B. Alberti jusquaux Grands Prix de lAcadmie de France Rome, et que lon pourrait

    mme largir aux esquisses imaginaires dun .-L. Boulle ou dun Cl.-N. Ledoux. Si mon

    propos ntait certes pas l, je ne pouvais tout fait lesquiver, de sorte que la prsentation

    initiale de mes cinq monuments sest vue spontanment drive vers celle de lItalie renais-

    sante et de la France de Louis XIV, seule fin den dmontrer les corrlations. La suite a paru

    dcouler tout naturellement, des extrapolations du XIXe sicle la notion de patrimoine

    architectural , ou encore des restaurations juges aujourdhui abusives aux amnagements

    envahissants destins une vritable exploitation de ces vestiges.

    La tche nen a pas moins t ardue, on sen doutera, de rassembler une documentation

    aussi htroclite quelle recouvrait quatre sicles dhistoire. Pour quelques-unes certes

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  • publies intgralement, parfois nanmoins de manire partielle, avec ou sans la mention de

    leur auteur, les pices les plus anciennes sont bien souvent disperses entre divers muses,

    mdiathques ou bibliothques, tandis que les documents plus rcents sont ingalement

    conservs entre la bibliothque de la direction du patrimoine, les archives nationales, dpar-

    tementales ou municipales, et font parfois mme tout simplement dfaut, gars dans un

    autre dossier ou probablement dfinitivement perdus. Je ne peux par consquent que

    remercier chaleureusement ici les personnes pour la plupart tellement patientes et dvoues,

    qui mont accord leur temps, leur attention, voire leurs rflexions, et qui bien souvent aussi

    ont facilit mes demandes de reproduction, notamment de plans ou de photographies:

    Arles, Patrick Heurley, bibliothcaire aux archives communales, Fabienne Martin,

    responsable des fonds patrimoniaux de la Mdiathque, H. Crsola, prsident de

    lAssociation des Amis du Vieil Arles, Claude Sints, conservateur du muse archo-

    logique et Marc Heijmans;

    Orange, Marise Woehl, conservateur du muse municipal, qui ma si aimablement

    reue, aide, emmene sur le mur du thtre et qui na pas hsit me soumettre des

    projets indits dexploitation du monument, Colette Brivet du bureau des Chorgies

    ainsi que Pierre Chambert, aujourdhui la DMDTS et qui ma fait part de son travail sur

    lutilisation des thtres antiques de la valles du Rhne, Jean-Charles Moretti, de lIRAA

    Lyon, qui entame une monographie sur le thtre, enfin lquipe de Chr. Feuillas aux

    archives communales;

    Nimes, Jean Pey, conservateur au muse archologique, Martine Nougarde,conservateur du muse du Vieux Nimes et sa collaboratrice Chantal Cambon,Philippe Vazeilles, conservateur des archives municipales, et Pascal Trarieux, respon-

    sable des fonds patrimoniaux de la Mdiathque, Carr dArt;

    Vaison-la-Romaine, Christine Bezin et son quipe aux archives communales, ainsi

    que Philippe Nol du service culturel Ferme des Arts;

    aux archives dpartementales des Bouches-du-Rhne, du Vaucluse et du Gard, les

    diffrents magasiniers qui nont pas mnager leurs efforts pour trouver parfois des

    documents oublis; et tout particulirement Jean-Pierre Locci, charg dtudes

    documentaires Avignon et Mmes Friart et Lebert Nimes.

    la bibliothque du patrimoine Paris, Franoise Bouleau-Koca et toute son quipe

    qui ont en particulier tent de me rendre plus facile, malgr la politique de plus en

    plus gnralise des microfiches pour des question de conservation, la consultation

    des plans des architectes.

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  • Nos efforts conjoints mont conduite aussi au Palais du Roure Avignon, o Sabine

    Barnicaud ma ouvert ses boites chaussures dans lesquelles elle conserve, faute dautres

    moyens, de vieilles photographies bien instructives et notamment le fonds Flandreysy. Sil

    est vrai quen furetant droite et gauche, des puces aux librairies de livres anciens, jai

    pu constituer de mon ct un petit fonds personnel douvrages et de cartes postales des

    annes 1900-1920, dautres documents indits mont t fournis par des photographes

    privs, et tout particulirement Philippe Abel Orange et Michel Pradel Nimes, qui

    conservent dans leur arrire boutique de vritables archives dimages. Rencontre de

    hasard aussi, au muse archologique de Vaison, Anna Maria Melard ma aimablement

    fait parvenir quelques documents qui me faisaient dfaut ainsi que la copie danciennes

    photographies sur le thtre. Enfin, tudiant en histoire, Ludovic Mathiez a souvent mis

    profit ses propres recherches notamment lAcadmie des Inscriptions et Belles Lettres

    pour men faire part. Il reste que nombre de documents demeurent encore aujourdhui

    difficiles daccs, que ce soit le fonds Van Migom peine arriv aux archives communales

    dArles et par consquent non dpouill, ou le fonds Sautel rsolument introuvable, enfin

    le fonds Formig, dispers entre diffrentes mains.

    Bien sr, les documents anciens et les archives concernant les interventions menes sur

    ces monuments ne suffisaient pas rpondre une question qui me paraissait essentielle:

    quelle approche avons-nous aujourdhui de ces cinq monuments, rsolument reconstruits,

    ramnags, exploits, et qui appartiennent pourtant notre patrimoine archologique?

    Jai par consquent parcouru aussi bien les directions rgionales des affaires culturelles que

    les services rgionaux de larchologie, esprant y trouver non seulement les derniers

    projets dintervention et les derniers rapports de fouilles parfois encore lances

    (notamment Nimes), mais aussi quelque correspondance tmoignant des dbats actuels

    que suscitent les questions de conservation autant que damnagement de ces difices en

    particulier. Que soient ici vivement remercies les personnes qui mont offert le meilleur

    accueil et nont pas hsit me laisser travailler au sein de leurs propres bureaux:

    Aix-en-Provence, lquipe de Mme Couzon, conservatrice du fonds patrimonial

    la DRAC, ainsi que Franoise Trial et Corinne Landur du SRA;

    Montpellier, lquipe de R. Jourdan, conservateur de la DRAC, ainsi que Xavier

    Gutherz, conservateur au SRA qui ma lui-mme fait parvenir les documents et

    renseignements que je souhaitais.

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  • Enfin, lintrt port par les municipalits elles-mmes lavenir de leurs monuments ma

    permis de rencontre Fr. Debost, maire adjoint dlgu la culture, au patrimoine et au

    tourisme de la ville dArles, ainsi que M. Sabeg, responsable du service de lurbanisme de la

    ville, qui mont consacr chacun quelques heures de leur temps, soumis les derniers projets

    dA.-Ch. Perrot et autoris pntrer dans les sous-sols de lamphithtre. De la mme faon,

    R. Garcia, ingnieur en chef et responsable des Btiments culturels Nimes, ma fait part des

    difficults grer un difice tel que lamphithtre et ma accompagne dans une visite

    technique de ses annexes , quont complt quelques reproductions de documents au

    Service des arnes. De leur ct, Vincent Sabia, responsable du service technique de la ville

    dOrange, et Suzanne Arnoux mont aimablement fait parvenir des copies de photographies

    et projets damnagement du thtre. Enfin, les fameuses Chorgies mont inluctablement

    amene rencontrer M.-Cl. Billard, conservateur la Maison Jean Vilar, ainsi quO. Faliu,

    conservateur en chef de la bibliothque de la Comdie franaise.

    Laccumulation de tous ces documents en si peu de temps na cependant t possible

    que grce au soutien moral autant que pratique de Vronique Chevrier, qui ma accom-

    pagne dans presque chaque service, Arles, Nimes, Orange, Vaison, aide redoutable ,

    selon lexpression de J. Pey, dans la recherche de documents bibliographiques et surtout

    iconographiques, et qui na pas hsit ressortir ses vieux appareils photos et effectuer de

    nombreuses prises de vue de dtail des diffrents difices et de leurs amnagements. Enfin,

    amorc dans le cadre des programmes du LARAS (laboratoire de recherche sur les Arts du

    spectacle, CNRS) sous la direction d. Konigson, ce travail naurait probablement jamais

    abouti sans lappui de B. Picon-Vallin, son actuel directeur, qui ma bien souvent laiss le

    champ libre pour mener ma convenance un certain nombre de missions sur le terrain.

    Avertissement

    Nombre de documents mont t aimablement confis dans le cadre strict de ce mmoire de doctorat, parmi

    lesquels les projets dA.-Ch. Perrot, les photos de Ph. Abel et de V. Chevrier, qui ne peuvent par consquent en aucun

    cas faire lobjet de reproduction totale ni partielle en dehors de ce travail universitaire sans demande dautorisation

    pralable aux auteurs concerns.

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  • Carte de la Provence et de ses principales villes lpoque romaine.[http://www.barthalay.freesurf.fr/rom]

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  • Introduction

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    La curiosit historiographique doit sexpliquer par laconscience des changements intervenus dans lide quon se faitde larchologie et dans la pratique quon en a []. On ne saurait[] nier que lantrieur contribue conditionner lultrieur[] ; mais on ne peut plus aujourdhui sen tenir l.

    Philippe BRUNEAU (1).

    Nul nignore plus aujourdhui que chaque socit a besoin davoir son thtre, sous une

    forme ou sous une autre. Bien rares sont celles qui, la surface du monde, naient possd,

    ou ne possdent quelque thtre, aussi rudimentaire soit-il. Cela peut tre la dramatisation

    dun rite, ou celle des grandes fonctions de la vie. Toutes les socits prouvent le besoin de

    se donner le spectacle delles-mmes (2). Ldifice thtral, lui, nexiste pourtant pas

    systmatiquement : en Occident, les Grecs auraient t les premiers rserver un

    monument lev en pierre spcifiquement destin aux spectacles rituels, appuyant

    gnralement une colline les gradins sur lesquels les spectateurs prenaient place,

    le complexe scnique leur faisant face. Sils ont repris le modle grec, les Romains

    lauraient en tout cas amnag, fermant entirement ldifice en runissant cavea et

    complexe scnique, perfectionnant le systme des espaces servants ainsi que celui de

    la scne ; ils lui ont associ en outre lamphithtre, longtemps dfini comme la

    runion de deux thtres scna contre scna, ainsi que le cirque plus allong . Sous

    leffet du christianisme et de ses censures probablement, mais peut-tre surtout des

    Invasions des VIe et VIIIe sicles et des troubles conomiques quelles ont engendrs,

    thtres, amphithtres et cirques ont t cependant systmatiquement abandonns

    dans leur fonction dorigine, dtruits ou ramnags dautres fins, voire occups

    1. Philippe BRUNEAU, Histoire de larchologie : enjeux, objet, mthode , in R.A.M.A.G.E., n 3, Paris,PUPS, 1985, p. 131.

    2. Pierre GRIMAL, Le thtre Rome , in IXe Congrs International de lAssociation Guillaume Bud, t. 1,Paris, Belles Lettres, 1975, p. 247.

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    totalement ou partiellement par des habitations particulires. Pour autant, si les

    difices ont disparu avec la fin de lEmpire romain, les reprsentations nen ont pas

    moins continu sur les trteaux, et trs vite mme lglise a dvelopp processions

    religieuses et reprsentations des Mystres de la Passion sur la place publique, la

    place du march, celle de lHtel de ville lieux de plein air plus ou moins

    amnags destrades et de gradins de bois pour la circonstance. Il faut attendre tout

    de mme le XVIe sicle pour que, les spectacles scniques (re)prenant de lampleur,

    certes sous une autre forme, les architectes cherchent les institutionnaliser en

    leur (re)crant un espace particulier et dfinitif, ldifice thtral tel quil a t conu

    tout au long des XVIIIe et XIXe sicles.

    Ce renouveau du thtre ne sest pas labor toutefois au hasard : tout au

    moins, ldifice moderne ne sest pas model ex nihilo. En Italie notamment, il sest

    largement rfr ce qui a exist avant lui en matire de thtre, et dabord aux

    constructions romaines qui offraient un premier exemple porte de main. Paral-

    llement une relecture du De Architectura de Vitruve, et tout particulirement du

    livre V, seul tmoignage crit conserv de larchitecture de spectacles romaine du

    dbut de lEmpire, les architectes ont relev Rome mme les ruines du thtre de

    Marcellus et celles du Colise ruines plus ou moins lisibles, plus ou moins

    dgages derrire les constructions plus rcentes. Ils se sont interrogs, ont

    critiqu, tabli des traits. Mais cette rfrence lAntiquit, que ce soit pour le

    dcor de scne, pour lorganisation de la salle ou pour le rapport salle / scne,

    parait bien en avoir ignor lhistoire, ne sintressant pour lessentiel qu la forme

    architecturale proprement dite de ldifice permanent quil restait amnager en

    fonction des ncessits du nouveau thtre la scne dabord, la salle ensuite

    et son intgration dans lurbanisme de la ville. Ldifice de spectacles antique

    apparait ainsi pendant longtemps cest--dire au moins jusquau tout dbut du

    XIXe sicle presque exclusivement li au problme architectural de la

    construction des thtres modernes. Les architectes ont pris modle sur lui, ont

    amnag, transform, adapt diffrents lments, en ont ajout dautres qui lui

    taient trangers, en fonction la fois des nouvelles exigences de la reprsentation

    thtrale et des nouvelles perceptions de larchitecture et de lurbanisme, de sorte

    que se sont mles, dans la structure de ce btiment rinvent , conceptions

    modernes et conceptions antiques.

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    En France, cet engouement la fois pour le thtre et pour larchitecture antique

    sest certes dvelopp paralllement aux recherches des Italiens, mais ce nest qu

    partir de la fin du XVIIIe et du dbut du XIXe sicles que lintrt sest port de faon

    plus aigu sur les antiquits nationales. Si nombre ddifices de spectacles de

    lpoque romaine taient certes dj reconnus, travers Relations et Guides historiques

    mentionnant les ruines dresses encore dans certaines rgions, le remarquable tat de

    conservation de certains dentre eux, et plus particulirement dans le Midi, na vrita-

    blement attir lattention de quelques-uns des architectes revenus de leur voyage et

    de leur formation obligs lAcadmie de France Rome que tardivement: cest

    le cas notamment de Charles Questel et dAuguste-Nicolas Caristie aux thtres

    dArles et dOrange, et aux amphithtres dArles et de Nimes. Lattention apparait

    cette fois sous une double forme: limportance des vestiges en place devait permettre

    en effet dune part danalyser de faon prcise les structures de ce type de btiments,

    moins considrs ds lors comme dventuels modles dune architecture

    moderne que comme les tmoins authentiques de lhistoire architecturale de lEmpire

    romain et de ses provinces, voire de lhistoire de larchitecture de spectacle en

    gnral ; elle a permis dautre part de concrtiser un souhait de longue date, celui de

    rutiliser ces espaces en quelque sorte pr-amnags, pour diverses ftes modernes.

    Il savre de fait que trs tt leur qualit de monuments de plein air, [] mme

    partiellement ruins a spontanment invit une telle rhabilitation: davantage

    encore, il semble quaujourdhui encore le fait aussi quils sont susceptibles de stimuler

    limagination va de pair avec la qualit de lieu de spectacle (3). Redonner vie ces difices

    en les restaurant et en les ramnageant en fonction des exigences des spectacles

    modernes ne sen est pas moins rvl tre un exercice malais et se heurte actuel-

    lement de nombreuses difficults, la fois dontologiques et pratiques.

    Lintrt port ldifice de spectacles antique a pris ainsi diffrentes formes, de

    lItalie de la Renaissance la France du XVIIIe sicle jusqu aujourdhui, de sorte que

    varient descriptions, explications, interprtations de ses structures et de leur

    agencement. Les thtres dArles, dOrange et de Vaison ainsi que les amphithtres

    3. Bertrand MONNET, Lisibilit des restaurations , in Les Monuments historiques de la France. LesRestaurations franaises et la Charte de Venise, actes du colloque tenu Paris du 13 au 16 octobre 1976,n 77 hors srie, 1977, p. 78.

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    dArles et de Nimes apparaissent comme des tmoins originaux dans ce que leur tat

    actuel de conservation drive de faon manifeste de ces diffrentes tendances. Certes

    hors de Rome mais trs tt intgre lEmpire, la province romaine de Narbonnaise

    laquelle ils taient rattachs a offert en effet des exemples types que les architectes

    de la Renaissance ont voulu incorporer aux traits darchitecture, tel G. da Sangallo

    qui comparait alors le thtre dOrange au Colise. Les cits dArles, dOrange et de

    Nimes ont t du reste trs tt considres comme de petites Rome ce qui se peut

    juger , dit un manuscrit anonyme repris en 1681 par . Raban propos dOrange,

    par le tmoignage des Historiens, & par la seule perspective du Cirque & Thatre, & de lArc

    triomphant que lon voit encor tout entier dans lenclos des vieilles murailles de ladite ville (4)

    et leurs monuments ont pu tre de ce fait tout naturellement assimils ceux de la

    Capitale. Reconnus ainsi depuis le XVIe sicle et regards comme proprement romains,

    ces monuments ont t, en France, parmi les premiers faire lobjet de restitutions

    graphiques: aprs G. da Sangallo, J. de la Pise devait proposer une reprsentation

    quelque peu originale du thtre dOrange, tmoignant en dfinitive des confusions,

    pour le moins frquentes alors, que les rudits opraient entre les diffrents types

    ddifices de spectacles, tandis que J. Peytret et Cl. de Terrin ont pu anticiper sur le

    trac en plan de celui dArles pourtant encore enfoui sous les habitations; de leur ct,

    les descriptions du P. J. Guis et de J. Poldo dAlbenas concernant les amphithtres

    dArles et de Nimes ont succd celles antrieures de prs dun sicle de lItalien

    Juste Lipse, et se sont accompagnes de dessins plus complets, mlant plan, lvation

    et coupes comme linterprtation en somme des connaissances gnrales de cette

    poque en la matire. Entreprenant leur dgagement et leur restauration au tout dbut

    du XIXe sicle, les architectes ont visiblement perptr limage dune identit totale de

    Rome et des cits de lancienne Narbonnaise, considrant les thtres dArles et

    dOrange notamment comme des difices du premier ordre dans leur genre , voire des

    spcimens complets (5). Parce qu linstar de N. de Caumont ils taient convaincus

    que ces agglomrations taient calques sur un plan peu prs uniforme et que les

    Romains cherchaient reproduire dans les villes secondaires les monuments publics de la

    capitale et des grandes villes dItalie (6), ils croyaient devoir retrouver en effet dans

    4. Description des antiquitez de la ville & cit dOrange revue & corrige par douard Raban, 1681, p. 7.Voir aussi Noble Franois de REBATU, De la comparaison dArles & de Rome, Arles, 1617.

    5. Daprs un rapport la Commission suprieure des Monuments historiques dress par CharlesLenormant propos des thtres dArles et dOrange, juin 1861 [arch. C.M.H., 342/1].

    6. Narcisse de CAUMONT, Cours dantiquits monumentales profess Caen. Histoire de lart dans louest de laFrance depuis les temps les plus reculs jusquau XVIIe sicle, Paris, Lance, 1830-1841.

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  • chacun des difices les caractristiques du monument type , et ne pouvaient ds

    lors qutre persuads de pouvoir aisment complter la restitution de lun par

    lexamen des ruines de lautre, les thtres dArles et dOrange comme les amphi-

    thtres dArles et de Nimes ne se rvlant en somme ni plus ni moins que sous la

    forme dune expression figure de la description gnrique du livre V de Vitruve (7).

    Il ne faut probablement pas sy tromper toutefois : bien que soutenu par une

    volont de restituer la science et lart ces fragments darchitecture romaine (8),

    lobjectif du XIXe sicle parait avoir t globalement bien loin de nos proccupations

    actuelles. Rputs en effet avant tout utiles aux progrs de lart , ces difices devaient

    offrir aux architectes, selon la Commission suprieure des Monuments historiques

    elle-mme, un fcond enseignement et des indications bien prcieuses , dont elle se

    flicitait par ailleurs que des restaurations plus ou moins compltes mais suffisantes ont fait

    ressortir avec dautant plus d-propos quil nous est devenu facile grce elles dtudier avec

    prcisions les procds si instructifs de construction et dappareil employs par les Romains et

    de comprendre la part dinfluence quils ont pu avoir sur notre architecture nationale (9). On

    ne stonnera pas ds lors que, loin de proposer des relevs et des projets dinterven-

    tions prcis, les architectes ont tendu expressment en restaurer une image

    vocatrice dans le respect des techniques de construction antiques plus que dans celui

    de la forme singulire, qui napparaissait sans doute pas, dans un tel contexte,

    rellement pertinente. On peut se demander en revanche jusqu quel point aujour-

    dhui encore, alors que se sont dveloppes depuis les annes 1955-1960, avec

    A. Maiuri notamment, des analyses bien plus orientes sur les caractristiques

    fonctionnelles de ce type de monument, ils ne bnficient pas toujours du mme

    regard . Du moins, ct des rflexions menes par Ed. Frzouls sur le thtre

    romain dItalie et de Sicile, F. Dumasy sur les thtres ruraux du nord de la Loire,

    . Bouley sur ceux de Belgique, et plus rcemment J.-Ch. Moretti sur ceux dAsie-

    mineure, il semble que les thtres dArles, dOrange et de Vaison ainsi que les

    amphithtres dArles et de Nimes ne puissent se dgager de leur premire

    14

    7. Bernard THAON, Limage et le reflet de la ville , in Le Got de lantique Quatre sicles darchologiearlsienne, catalogue de lexposition ralise par le Museon Arlaten et les Muses dArles lEspaceVan Gogh du 20 octobre 1990 au 6 janvier 1991, Arles, Delta Presse Mditerrane, 1991, pp. 107-108.

    8. Daprs le rapport la Commission suprieure dress par Charles Lenormant, juin 1861, cit. Je souligne.9. Anatole DE BAUDOT et A. PERRAULT-DABOT, Archives de la Commission des monuments historiques publies

    sous le patronage de lAdministration des Beaux Arts (1898-1902), Paris, d. H. Laurens, sans date [1902],t. V, notice, p. 1. Je souligne.

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    interprtation pour le moins thorique, que certains cherchent curieusement encore

    confronter au livre V de Vitruve ou associer au thtre de Marcellus et au Colise.

    On ne pourra sans doute sempcher de penser que les restaurations quils ont subi

    partir de la deuxime moiti du XIXe sicle en vue de leur mise en valeur et de leur

    rhabilitation nont pu quuvrer en ce sens dans ce quelles ont manifestement

    pour la plupart consister en de vritables reconstitutions suivant des orientations

    archtypales fondes sur une connaissance gnrique de ldifice de spectacles

    romain. Parce quelles ont t conues dans le respect de lesprit de lAntiquit,

    employant matriaux et techniques de lpoque, jusqu imaginer rtablir la patine

    du temps de manire obtenir une homognit densemble de louvrage (10), les

    restaurations ralises jusquau milieu du XXe sicle au moins ne peuvent assurment

    en tout cas que jeter la confusion, y compris dans lesprit du spcialiste, dans ce

    quelles ne permettent plus dsormais de distinguer dun coup dil ces espaces

    recrs des structures authentiques.

    Avant peut-tre que dentamer ou de reprendre ltude de tels vestiges, dgags

    plutt que fouills, reconstruits plutt que consolids et protgs, et aujourdhui

    vritablement investis par une exploitation intense dans leur fonction primitive

    ddifices de spectacles, encore faudrait-il pouvoir dissocier, entre les agencements

    antiques, ce qui relve dune interprtation thorique de ce qui rsulte de lexamen

    dempreintes laisses sur les maonneries en place, voire tout simplement dune inter-

    vention de sauvetage . Laspect actuel de ces monuments qui, aprs avoir t librs

    des habitations qui les encombraient, ntaient pourtant que ruines, inviterait en effet

    tenter, ainsi que la amorc au thtre dOrange J.-Ch. Moretti et A. Badie, lamphi-

    thtre de Nimes la DRAC, au thtre et lamphithtre dArles lquipe de Cl. Sints,

    de retrouver leurs structures dorigine travers notamment les documents iconogra-

    phiques relatant les diffrentes tapes de leur mise en valeur ainsi que les projets et

    devis tablis par les architectes responsables des travaux de dgagement et de restau-

    ration. La position pour le moins ambigu quils occupent aujourdhui dans lesprit du

    public en particulier du fait de leur rhabilitation , la fois dsormais vestiges

    10. Selon H. NODET, Rapport la Commission des Monuments historiques sur la restauration de lamphithtre de Nmes,23 mai 1935, le respect de la patine du temps [tait] un dogme si bien consacr ici quon a reproch aux architectesde ne pas patiner ou de patiner de faon insuffisante les reprises quils ont excutes [arch. C.M.H., 887/4].

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    archologiques et monuments historiques par leur aspect inachev ou altr, et

    difices de spectacles modernes ou moderniss par leur ramnagement,

    engagerait par ailleurs aborder, travers les mmes documents, les diffrents stades

    de leur interprtation , depuis leur abandon la fin de lEmpire romain et leur trans-

    formation en forteresse et quartier dhabitations, jusqu leur dgagement, leur restau-

    ration et leur exploitation. Parce que les unes brossent le monument bien souvent

    grands traits et en offrent quoi quil en soit une vision ncessairement subjective,

    tandis que les autres sarrtent en gnral lexposition des motifs justifiant linter-

    vention et ne saccompagnent presque jamais de la reproduction de limpact des

    reprises ni de ltat des structures avant leur remaniement, les gravures comme les

    programmes de restauration et damnagement rvleraient en effet la condition

    accorde ces vestiges au cours des sicles, de tmoins dun hritage prestigieux la

    rfrence dun art de btir en devenir, de monument-type intgr dans lhistoire

    de larchitecture romaine lespace de plein air propice lorganisation de spectacles,

    jusqu louvrage darchitecture part entire quils ont peut-tre en un sens conserv

    aujourdhui. Certes sans exagrer limportance de ces rsurrections , on peut se

    demander du moins jusqu quel point, et pour reprendre la remarque de R. Peyre, il

    ny a pas l tout un symbole dans les efforts ainsi faits pour rattacher le prsent un pass

    lointain (11) symbole qui leur est dsormais si troitement associ quil semble

    quon en oublie les tenants et aboutissants.

    11. Roger PEYRE, Les Villes dart clbres. Nmes, Arles, Orange, Saint-Rmy, Paris, Libr. Renouard, H. Laurens d.,1904, p. 149.

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  • I. La rfrence lAntiquit

    Extrait du Domaine des Dieux (Une aventure dAstrix le Gaulois, n 17), texte de GOSCINY, dessins de UDERZO, Dargaud diteur,1971.

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    1. Cf. ce propos, notamment Claude LVI-STRAUSS, Race et histoire, Paris, UNESCO, 1951.2. Roland MARTIN, < Archologie >, in Encyclopdia Universalis, 1968.3. Gustave LANSON, Histoire de la littrature franaise [1895], dition remanie et complte pour 1850-1950

    par Paul TUFFRAU, Paris, Hachette, 1985.

    Limportance accorde, dans nos socits occidentales, lAntiquit classique,

    grecque et romaine, semble marque bien avant la Renaissance en tmoigne la

    prsence constante de thmes antiques notamment dans la littrature, la sculpture,

    larchitecture , comme lhritage dune ligne directe, malgr les ncessaires

    transformations dues en particulier la monte du christianisme. Les socits

    voluent certes, mais ne peuvent ignorer ce qui les a prcd, de quelque manire

    que ce soit (1). Les Grecs eux-mmes faisaient continuellement rfrence leur

    pass, aussi bien en matire de philosophie ou de politique (Aristote, Pausanias),

    que dans le domaine de lart ; les traits et ouvrages thoriques des architectes et

    sculpteurs ont t recenss et comments lpoque romaine par Varron, Vitruve,

    Plutarque, Pline lAncien. Il apparait ainsi difficile de contester lexistence de

    relations qui se sont invitablement dveloppes entre lAntiquit et les priodes

    qui lont suivie, mme si les indices nen sont pas toujours tangibles. Au contraire,

    R. Martin affirme mme que cest par eux [les Grecs] que, pour une grande part, la

    tradition antique sur les monuments et les arts sest transmise au Moyen ge, et travers

    le Moyen ge, la Renaissance (2).

    Cette constante relation au monde grco-romain rencontre dailleurs une

    rsonance particulire dans la littrature mdivale, qui vnrait, pour son origine,

    travers les romans de Thbes, dnas, de Troie, tirs des mythes et lgendes

    piques anciens, le cycle de lantiquit, le dfinissant comme dpositaire dune

    profonde sagesse (3). Elle parait trouver jusquau XIXe sicle une justification cohrente

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    au cours des ges. Non seulement elle correspond une part de lhritage des civili-

    sations soumises Rome jusqu la fin du IVe sicle, mais elle semble avoir constitu

    une certaine aura, essentiellement travers lusage de la langue latine, classique ou

    noclassique (et parfois du grec), par lglise romaine, les clercs tant demeurs

    longtemps seuls dtenteurs des crits anciens, et par l mme des sciences et des

    mathmatiques (4). Repris partir du XIVe sicle dans les classes privilgies de la

    socit italienne principalement les universitaires, les chanceliers et les

    ministres (5) , cet usage a continu bnficier dun grand prestige, notamment

    par les difficults de sa pratique. Les humanistes lestimaient en outre ncessaire

    une meilleure expression de la connaissance que ne le permettait la langue

    vulgaire litalien. Dante expliquait ainsi Machiavel, au cours dune

    discussion imaginaire sur les raisons de lemploi du latin, que les divers points de

    doctrine dont [il] trait[ait le] contraign[ai]ent recourir un vocabulaire apte les

    exprimer ; et ne le pouvant si ce nest avec les termes latins, [il] les utilis[ait] (6). Parce

    quil sagissait d une langue supplmentaire, mthodiquement acquise , la pratique du

    latin semble avoir permis en tout cas de dvelopper un vocabulaire particulirement

    prcis et riche, ce dont tmoigne lapparition de divers ouvrages lexicographiques

    dont lobjet tait de dfinir le bon usage des termes (7) ; les caractristiques mmes

    de la langue apparaissant manifestement, travers son tude, rigoureuse et

    complexe, aurait offert, comme le fait remarquer M. Baxandall, une manire

    dapprhender les uvres, littraires ou autres, les ides, voire la politique, avec

    autant de rigueur : son apprentissage aurait engendr en effet la fois un effort

    dexpression et dexactitude la manire dun traducteur , et une rflexion sur

    la dfinition de la terminologie adopter, dans ce quelle concdait un certain

    nombre de distinctions entre les divers registres, agencements et sensations, dune

    certaine faon plus labores que litalien (8).

    4. Sur la prrogative des clercs et de lglise en matire de savoir jusquaux XVe-XVIe sicles, cf. notam-ment Lucien FEBVRE et Henri-Jean MARTIN, LApparition du Livre, Paris, Albin Michel,coll. Bibliothque de synthse historique. Lvolution de lhumanit, 1958, pp. 264 sqq.

    5. Cf. ce propos, notamment Paul Oskar KRISTELLER, Renaissance Thought and the Arts. Collected Essays,Princeton, New Jersey, Princeton University Press, 1980.

    6. Niccol MACHIAVELLI, Discorso o dialogo, intorno alla nostra lingua [1400], in Opere storiche eletterarie, Florence, d. G. Mazzoni et M. Casella, 1929, p. 774 : perch le dottrine varie di che ioragiono, mi costringono a pigliare vocaboli atti a poterle esprimere ; e non si potendo se non con termini latini,io gli usavo .

    7. Lorenzo VALLA, Elegenti, 1430, compte parmi les ouvrages lexicographiques les plus complets.Voir aussi Bartolomeo FAZIO, De differentia verborum latinorum, in PSEUDO-CICRON, Synonyma, Rome,d. Paulus Sulpitianus, 1487.

    8. Michael BAXANDALL, Les Humanistes la dcouverte de la composition en peinture. 1340-1450, traduit delanglais par Maurice BROCK, Paris, Seuil, 1989, p. 69.

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  • Au-del, lusage des langues classiques a permis ces mmes humanistes de

    reprendre leur compte les textes anciens, dans le cadre des studia humanitatis,

    ncessaires, selon eux, lapprentissage des valeurs proprement humaines. Le

    XIVe sicle a pu en effet dvelopper un domaine nouveau du savoir, en diffusant

    hors de lglise, grce lessor de limprimerie, les textes anciens, leurs traductions

    et leurs commentaires critiques (9). Cette nouvelle pratique parait trouver sa spcifi-

    cation en raction contre la thologie scolastique tablie par lglise, soucieuse

    dorganiser rationnellement le donn humain dans la perspective de la foi, et qui a

    conserv, jusquau milieu du XVIIe sicle, une emprise doctrinale considrable.

    Plutt quAristote, les humanistes privilgiaient alors Platon qui, justement, avait

    prdit au roi Denys que viendrait un temps o les mystres thologiques seraient purifis

    par une discussion trs pre, comme lor par le feu (10). Ptrarque le premier stait

    indign de lentnbrement dans lequel avait sombr son poque, et clamait que

    seule lAntiquit romaine brillait dune pure splendeur vers laquelle il fallait

    tendre : elle devait permettre en effet dlargir les seules proccupations religieuses

    au problme gnral de la rforme intellectuelle et morale de lhumanit (11). La

    Renaissance peut se rvler ainsi moins tre une redcouverte de lAntiquit

    quune vritable mutation dont les tenants apparaissent dans une relecture

    critique des uvres du pass, oriente pour lessentiel vers une rflexion sur le

    rapport entre le monde et Dieu, et sur linterprtation de linfini cosmique, rejet

    jusque-l par lglise romaine qui ne considrait linfini quen Dieu (12).

    En matire darchitecture, la priode de la Renaissance sest dfinie, par tradition,

    travers les crits de G. Vasari, comme une raction contre lexubrance du style

    gothique finissant, que ce dernier jugeait dgnr , ridicule et barbare (13). La

    rfrence lAntiquit, prsente bien avant la priode du Moyen ge, tmoin tout

    20

    9. Cf. ce propos, notamment P. O. KRISTELLER, op. cit., pp. 5-7. Lauteur parle de department of learning .10. Marsile FICIN, Epistol, in Opera, Ble, 1576, I. 1., pp. 616-617.11. Francesco di ser PETRACCO, dit PTRARQUE, Epistolarum de rebus familiaribus, in Opera, Ble, Basile

    excudebat H. Petri, 1554, l. III. 8.12. Cf. ce propos Infini des mathmaticiens, infini des philosophes, ouvrage collectif sous la direction de

    Franoise MONNOYEUR, Paris, Belin, coll. Regards sur la science, 1992.13. Giorgio VASARI, Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes [1568], traduction et dition

    commente sous la direction dAndr Chastel, Paris, Berger-Levrault, coll. Arts, 1989, prface auxVies, vol. 1, pp. 225-228.

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    particulirement la Chapelle Palatine de Charlemagne (14), semble pourtant, cette

    poque, dcouler comme en philosophie dune volont de repenser les rapports de

    lhomme au monde et Dieu. Or, lide platonicienne, reprise aussi bien par les math-

    maticiens (Fra Luca Paciolo) que par les architectes (Francesco di Giorgio, Csariano),

    selon laquelle un mme principe [una medema ratione] reliait lunivers lhomme, et

    lme du monde [lanima del mondo] lme de notre raison [lanima nostra rationale],

    permettait daffirmer la valeur cosmologique et

    universelle des proportions mathmatiques (15).

    Larchitecture se dfinissait, en consquence,

    comme une activit hautement scientifique,

    capable dexpliquer et dexprimer les lois organi-

    satrices du cosmos harmonique (16), et non plus

    simplement de figurer le fini du monde face

    linfini divin. Les Anciens auraient dailleurs, en

    commenant btir si lon en croit les traits

    thoriques de lpoque imit la nature ,

    fondant lorganisation et les proportions de leurs

    difices sur celles du corps humain: on retrouve

    un tel rapport notamment chez Fr. di Giorgio

    Martini, qui inscrivait le plan dune glise dans la

    figure humaine et distribuait les difices dune

    ville lintrieur de ce mme corps [fig. 1] (17).

    Le XVIIIe sicle encore considrait que l on devait la science architectonique aux

    Grecs (18), et pas un trait darchitecture nomet de parler de la qualit excep-

    tionnelle de cet art (19). Mais la supriorit concde lAntiquit tenait aussi, selon

    14. Carole HEITZ, LArchitecture religieuse carolingienne. Les formes et leurs fonctions, Paris, Picard, 1980.15. Csare CSARIANO, De Architectura Libri decem [1521], a cura di Arnoldo BRUSCHI, Adriano CARUGO e

    Francesco Paolo FIORE, Milano, Il Polifilo, 1981, p. XXVI.16. C. CSARIANO, op. cit., p. XXVI.17. On retrouve ce rapport chez presque tous les thoriciens et architectes, de Leon Battista Alberti

    [1404-1472] et Francesco di Giorgio [1439-1502], Csare Csariano [1521], Andrea Palladio[1508-1580], ou encore Francesco Milizia [1775].Cf. ce sujet, Les Traits darchitecture de la Renaissance, Actes du colloque tenu Tours du 1er au11 juillet 1981, tudes runies par Jean GUILLAUME, Paris, Picard, coll. De Architectura, 1988.

    18. Francesco MILIZIA, Memorie degli architetti antichi e moderni, Venezia, quarta edizione accresciuta ecorretta dallo stesso autore, 1785, prface, p. XXI : La scienza architettonica si deve ai Greci .

    19. La notion d art est prendre, ici, au sens plus gnrique dartefact : cf. ce propos, notammentP. O. KRISTELLER, op. cit., pp. 163 sqq.

    Fig. 1. tude de proportions dunebasilique par rapport au corps humainselon Francesco DI GIORGIO MARTINI,vers 1490. Dessin la plume.(Bibliothque nationale de Florence.)

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    20. Leon Battista ALBERTI, De la peinture [De Pictura, 1435], prface, traduction et notes de Jean-LouisSchefer, Paris, Macula, coll. Ddale, 1992, ddicace Filippo Brunelleschi, p. 69.Sur la notion d imitation et le rapport lAntiquit, cf. infra, I. 2. a., pp. 118 sqq.

    21. L.B. ALBERTI, De la peinture, op. cit., ddicace F. Brunelleschi, p. 69.22. L.B. ALBERTI, De re dificatoria [1485], Argentorati, excudebat J. Cammerlander, 1541.23. C. Marius VICTORINUS, Explanationes in Rhetoricam Ciceronis [Ve s.], Leipzig, d. C. Halm, 1863, p. 258 :

    Hic, ad quod ducitur prfatio, illud est, ex multis artium scriptoribus electa multa et ad unam quam scripsitartem, quo pulchrior redderetur, prcepta ex multis multa collecta / Ce quoi tend lintroduction [duDe inventione de Cicron], cest de montrer que beaucoup de choses ont t choisies chez de nom-breux auteurs de traits, et que, rien que pour un des traits quil crivit, ont t rassembls, afin dele rendre plus beau, bon nombres de prceptes tirs de diverses sources .

    24. Epistolario di Pier Paolo Vergerio [1396], Rome, d. L. Smith, 1934, p. 177 : unum aliquem eundemqueoptimum habendum esse, quem precipuum imitemur, propterea quod tanto fit quisque deterior quantoinferiorem secutus a superiore defecit .

    25. G. VASARI, op. cit., prface aux Vies, p. 221. Vasari faisait remarquer, de faon plus prcise, ce propos,que leurs prdcesseurs [au Moyen ge] avaient beau avoir eu sous les yeux les vestiges des arcs detriomphe, des amphithtres, des statues, des bases, des colonnes dcores, malgr les pillages, les destructionset les incendies de Rome, jamais ils navaient su les apprcier ni en tirer parti. Les suivants, traant une nettedistinction entre le bon et le mauvais et abandonnant les vieilles techniques, se remirent imiter lantique avecinitiative et talent , ibidem, p. 232.Sur limportance accorde lAntiquit et son influence, cf. infra, I. 2. a., pp. 104 sqq.

    L.B. Alberti, dans ce que, pour les Anciens, parce quils avaient abondance de modles

    imiter et de qui apprendre, il tait moins difficile de slever dans la connaissance de ces

    arts suprieurs qui sont aujourdhui pour nous si difficiles (20). Il ne sagissait pourtant

    pas pour L.B. Alberti ni pour ses contemporains dimiter les Anciens, ni de

    reprendre leurs uvres son compte : il estimait au contraire que notre renom ne

    sera que plus grand si, sans matre et sans aucun exemple, nous inventons des arts et des

    sciences dont personne navait entendu parler et que personne navait vu (21). Son De re

    dificatoria se base nanmoins essentiellement sur le De Architectura de Vitruve (22),

    de la mme manire en dfinitive que les humanistes reprenaient des auteurs

    anciens la tradition rhtorique de la comparaison : si celle-ci napparait pas nos

    yeux dune imitation toujours trs satisfaisante face aux exemples classiques,

    mlant les strotypes au discours original, elle ncessitait en tout tat de cause la

    recherche et le renvoi des sources reconnues exemplaires et des modles fiables,

    la manire de Cicron qui avait d utiliser, rappelait Victorinus, afin de le rendre

    plus beau [son De inventione], de nombreux prceptes tirs de nombreuses sources , sans

    en imiter aucun exactement (23). Lart de btir ncessitait de faon similaire par cons-

    quent de disposer dlments de comparaison, fonctionnant la manire dune

    chelle de valeur. P. Vergerio estimait que l on rgresse tant on sloigne de lexcellence

    force de suivre un modle infrieur (24), et G. Vasari qu il est impossible, seul, de

    parvenir monter si haut [que les meilleurs artistes] (25). Les formes de larchitecture

    antique ntaient certes pas seules juges dignes dtre prises pour norme : elles ont

    visiblement du moins permis de mettre en place alors une srie de prceptes qui ont

    fait autorit dans tout discours thorique sur la manire de concevoir lart de btir.

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    L aussi, lutilisation du latin avait sans doute permis une apprhension particu-

    lire de larchitecture : travers cette nouvelle dfinition, se sont dveloppes les

    notions de consonantia , de proportio , d euritmia , de simmetria , reprises

    et argumentes partir du De Architectura de Vitruve.

    Le nouvel panouissement de l archologie au sens premier du terme, cest-

    -dire de connaissance de larchaios, objet ancien parait sinscrire, cette poque,

    dans cette optique originale. Les dcouvertes et les recherches qui se sont

    multiplies dabord Rome, dont la richesse et la relative bonne conservation des

    monuments ont suscit, ds le XVe sicle, les premiers relevs avec notamment

    L.B. Alberti et G. Sulpizio da Veroli (26), puis les premiers corpus dinscriptions et

    duvres antiques (27), avaient moins pour but de retrouver les traces des civilisa-

    tions passes que dtablir des catalogues comparatifs de la proportio, de la

    symmetria, de leurythmia, de lordre parfaits. La tendance encyclopdique sest

    ensuite dveloppe la faveur de nouvelles dcouvertes duvres originales

    exhumes Pompi et Herculanum (28), stendant peu peu vers le monde grec la

    suite de frquents voyages de collectionneurs, tels N.-Cl. de Fabri (1580-1637),

    J. Spon (1647-1685), P. Lucas (1664-1737), qui rapportaient quantit de croquis,

    relevs, dessins de divers objets alors mis au jour. Or, parce quelle ne sadressait en

    dfinitive quaux artistes, et plus particulirement aux architectes, cette riche

    documentation ne concernait dans lensemble que lAntiquit dite classique, de

    Rome et de Grce, et leurs plus belles crations. Il faut certes attendre les XVIIIe et

    XIXe sicles pour voir les antiquaires et collectionneurs reculer les limites chronolo-

    giques et gographiques de leurs investigations et les intgrer plus largement dans

    les prmisses dune histoire des civilisations anciennes, du Proche-Orient toute

    lEurope (29). Pour autant, cette nouvelle tendance na pu ignorer les travaux

    antrieurs : au contraire mme, fondant manifestement ses thses sur ces derniers,

    elle est parvenue laborer une vritable histoire stylistique de lart, dont les termes

    principaux restaient Rome et la Grce, au-del desquels les tmoignages de lactivit

    26. Giovanni SULPIZIO DA VEROLI, Vitruvii Pollionis de Architectura libri decem, Rom, G. Herolt, 1486.27. Janus GRUTER, Inscriptiones antiqu totius orbis romani in corpus absolitissimum redact, Heidelbergue,

    ex officina Commeliniana, 1602-1603.28. mile de Lorraine (1719), Charles III de Bourbon (1739).29. Cf. notamment Anne-Claude-Philippe de Tubires-Grimoard de Pestels de Levis, comte de CAYLUS,

    Recueil dantiquits gyptiennes, trusques, grecques et romaines, Paris, Dessaint et Saillant, 1752-1767(7 vol.). Cest aussi la premire Histoire de lart chez les Anciens de Johann Joachim WINCKELMAN,Geschichte der Kunst des Alterthums, Dresden, Walther, 1764.

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  • humaine se concentraient sous la forme dun certain nombre douvrages jugs de

    valeur moindre, quil ne paraissait pas toujours ncessaire par consquent de signaler.

    Si la rfrence lAntiquit apparait ainsi avoir t longtemps le prambule

    de toute histoire de lart, elle nen a pas moins t lorigine exclusivement celui de

    son enseignement. La notion mme de rfrence serait alors comprendre non

    pas comme une volont dimiter ni de reprendre des thmes ou des manires de faire

    des Anciens, mais bien comme une sorte de tremplin, fondement partir duquel il

    devait tre possible aux architectes de la Renaissance de rgnrer lart de btir. Les

    termes d imitation et de modle en seraient de ce fait trs proches, et

    apparaissent ds lors comme le pralable de tout trait dart de cette poque.

    Paradoxalement en un sens, ltude de larchitecture antique sest avre par l

    mme oriente : explications, descriptions, reprsentations, restitutions taient effec-

    tues jusquau XVIIIe sicle en fonction de larchtype moderne cr partir de

    cette rfrence ; linterprtation de certains vestiges sen trouvait parfois du mme

    coup inflchie. Davantage encore, toute imperfection, toute singularit perue dans

    les relevs, notamment ddifices situs hors de Rome, tait reprise et explique

    comme telle. En dautres termes, le modle qui navait dautre ambition que de

    guider lartiste dans ses projets modernes sest trouv servir lantiquaire dans liden-

    tification et la dfinition gnrique de monuments dorigine romaine, jusqu forcer

    la description de certains dentre eux.

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    30. Respectivement, Orange et Saint-Andr-sur-Cailly en Seine-Maritime, Neung-sur-Beuvron enLoir-et-Cher, Nris-les-Bains dans lAllier, Paris.

    1. Les vestiges romains en France aux XVIe et XVIIe sicles.

    On saccorde dire que ltude des Antiquits sest dveloppe dabord en Italie,

    et plus particulirement Rome par la richesse de ses vestiges. La France parait navoir

    reconnu ses uvres anciennes quaprs le XVIe sicle. L comme ailleurs, les

    monuments romains ont subi diverses vicissitudes aprs les IIIe et IVe sicles: patrimoine

    intgr dans la vie quotidienne, ils ont t dtruits, abandonns, ou totalement

    restructurs. Il nen reste pas moins quun certain nombre dentre eux parait manifes-

    tement avoir t gard en mmoire, comme en tmoigne parfois la toponymie: les

    places fortes, les chteaux, quelquefois mme les carrires ont conserv soit le nom

    commun de ldifice sur lequel ils se sont tablis, soit le souvenir de son poque

    exemples frappants, les amphithtres et certains thtres, appels, depuis le Moyen

    ge, Cirque , Areines , Parc des Arnes , Clos des Arnes (30), le Palatium

    Galiene Bordeaux ayant gard son nom d Arenes jusquen 1367 , alors que

    parfois rien ne laissait plus entrevoir leur existence.

    Considrs en effet essentiellement comme structures architecturales, la plupart

    de ces difices ont t volontairement dtruits et dmantels, les matriaux

    recherchs pierres de taille, marbres servant en remploi dans de nouvelles

    constructions, tandis que dautres, situs hors des agglomrations modernes, ont t

    purement et simplement laisss labandon. Quelques-uns, les plus notables tels que

    temples, thtres, amphithtres, arcs de triomphe, ont toutefois pu tre rutiliss et

    ramnags en fonction des besoins du moment, sans tenir compte de leur

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    organisation originelle, ou ont vu sinscrire dans les nouveaux agencements, sans

    cohrence apparente si ce nest peut-tre esthtique, leurs lments baies, niches,

    colonnes, chapiteaux , que lon retrouve encore parfois dans les immeubles

    modernes. Rutilisation, rcupration, destruction ou abandon se doublaient en outre

    souvent, selon P. Pinon, de dispositions politiques et religieuses : la volont de chris-

    tianiser ces vestiges paiens aurait favoris, quand ce ntait pas de manire drastique

    la destruction acharne ainsi que le rapporte la tradition au sujet du thtre dArles,

    limplantation dglises lintrieur mme des monuments ramnags (31).

    Il est patent nanmoins que ces monuments antiques nont jamais inspir une

    complte indiffrence : en croire les rudits des XVIe et XVIIe sicles, certains dentre

    eux taient en effet mentionns, certes de manire succincte et sans aucune

    description prcise, dans tous les lieux de lHistoire et les actes du Moyen ge,

    tmoignant par l de leur renomme (32). Davantage encore, il semble que sest opr,

    ds la fin de lAntiquit, un clivage entre dun ct lutilisation et lintgration de

    ces vestiges dans la vie quotidienne, dans une perspective strictement utilitaire de

    remploi ou de ramnagement pratique, de lautre une rminiscence de certains

    dentre eux, travers les crits historiques. Or, ce clivage offre par l mme lexpli-

    cation de ltat de conservation de ces vestiges romains, souvent fort dgrads,

    gnralement dstructurs, aux lments dsarticuls. Ne trouvant aucun vritable

    cho sur le terrain avant la fin du XVIIIe sicle, les tudes plus prcises et les tenta-

    tives de restitution sur papier descriptions, reprsentations, interprtations ,

    qui se sont dveloppes partir du XVIe sicle, en ont forcment pti dans la mesure

    o ntaient justement connues de ces monuments que des structures parses

    souvent difficiles reconstituer en un ensemble cohrent.

    31. Pierre PINON, Rutilisations anciennes et dgagements modernes de monuments antiques : Nmes,Arles, Orange, Trves , in Csarodunum, suppl. n 31, 1979, p. 81.Il apparait sduisant de rapprocher un tel phnomne de celui des incrustations de croix chrtiennessur de nombreux morceaux de sculptures paiennes quoiquil puisse sans doute sexpliquer diff-remment, en tout cas pour les difices transforms en chteaux, puis en quartiers dhabitations :cf. infra, II. 1. a.

    32. Voir notamment Jacques DEYRON, Des Antiquitez de la ville de Nismes, Nismes, Jean Plasses, impr. dela ville, 1663, chap. XVII, p. 96.

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    33. Sur la rutilisation de structures ramnageables , cf. infra, II. 1. a.34. On retrouve cet argument de manire trs prcise ds le premier compte rendu de sance (le dernier

    jour de dcembre 1671 ) de lAcadmie Royale dArchitecture cre par Colbert, alors surintendant desBastimens cf. infra, I. 2. c., pp. 184-185 , ainsi que tout au long des textes officiels prcdant la miseen place du service des Monuments historiques cf. infra, II. 2. b.

    35. Les caractristiques des difices anciens juges remarquables se limitaient alors essentiellement,en France, lordonnancement des faades : cf. infra, I. 2. c., pp. 185-187.

    36. Sur ltude de larchitecture antique en Italie, cf. infra, I. 2. a. et b.

    1. a. Lexemple des difices de spectacles.

    Mme si certains vestiges taient parfaitement connus, mme si dautres ntaient

    en fait jamais rellement sortis de la mmoire collective, le nom du lieu-dit ayant

    gard le souvenir de leur existence, on ne sest intress en France aux difices

    antiques nationaux en tant quils sont antiques, cest--dire considrs comme

    appartenant une civilisation et une poque particulire, hritire de Rome, et non

    plus essentiellement en tant que structure amnageable (33) qu partir de la fin du

    XVIe et du dbut du XVIIe sicles. Cet intrt parait tout de mme avoir t cibl : il

    ne sagissait pas de nimporte quels vestiges, mais des plus remarquables arcs de

    triomphe, faades monumentales, ou belles pices de sculpture telles que chapi-

    teaux, statues, etc. , jugs conformes au bon goust et aux bonnes choses de

    lart (34). Il importait manifestement peu en outre, ce moment-l, den connaitre de

    faon prcise lhistoire. Ds lors, lintrt concd aux ordonnances architecturales

    anciennes parait stre partag : les structures rutilisables dans les nouveaux

    btiments comptaient peu en soi aux yeux des rudits qui ne sen souciaient gure,

    face celles dont les qualits esthtiques et constructives passaient pour tre dignes

    dtre signales. Pour figurer parmi les pices remarquables, les fragments de

    monuments devaient en effet prsenter un minimum dlments particulirement

    vocateurs des caractristiques architectoniques propres lAntiquit (35).

    La valeur accorde ces vestiges parait cependant, cette poque, moins

    sintgrer dans une tude globale de larchitecture antique classique, comme ctait

    le cas en Italie (36), que dans une volont daffirmer lorigine prestigieuse des villes qui

    les possdaient. Il semble en effet quil a fallu prouver lhritage romain de la Gaule

    avant de pouvoir tudier vritablement ses monuments et leur concder limpor-

    tance qui devait leur revenir. Certes, les premires monographies ont tent de faire

    remonter la fondation des principales villes franaises aux temps les plus reculs,

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    preuve de leur valeur : Arles aurait ainsi t btie par les gyptiens (37), voire par les

    Hbreux ou les Troyens (38), ou tout simplement par ses propres habitans, cest--dire

    les anciens Gaulois 3. ou 4. sicles aprs le dluge (39) ; Nimes devait sa fondation

    Nemausus, fils dHercule (40). Il nen reste pas moins que larrive des Grecs, puis celle

    des Romains, apparait dans tous les ouvrages comme un point capital dans lhistoire

    de ces agglomrations : les uns comme les autres auraient en effet rendu la vie de

    nos premiers habitans [] plus humaine (41), tmoins les uvres crites et les ouvrages

    dart quils nous ont transmis. Il nest pas un auteur qui nait lou plus particuli-

    rement la gloire, la vertu, la puissance, la richesse du monde romain, lui confrant

    ainsi l admiration de tant de sicles (42) et, au-del mme, l immortalit (43) :

    Tant de grands hommes sortis de leurs riches parvis, sont des flambans luminaires,

    qui ont paru dans le Firmament de la vertu, pour esclairer de la lueur de leurs belles

    actions tous les habitans de la terre: Ce sont les grands publicateurs de la Majest de

    leur nom; les tmoins irreprochables de la hautesse de leur gloire ; & les trompetes

    resonantes, qui fairont jamais retantir le bruit de la puissance de leur empire (44).

    Quelle que soit leur origine en effet, si ancienne soit-elle gyptienne, grecque,

    ou encore indigne , les cits importantes du royaume de France napparaissent,

    travers les diffrents ouvrages, devoir leur dveloppement particulier et leur

    gloire quaux Romains. Ces derniers taient considrs de leur temp les plus sages

    37. Noble Lantelme de ROMIEU, Discours sur les antiquits & lamphitheatre dArles, tir des manuscrits deNoble Lantelme de Romieu et de Monsieur le Conseiller Terrin, lan 1715, par F. P., AntiquairedArles, manuscrit conserv aux Archives dp. des Bouches-du-Rhne [1 F 33/11].

    38. ANONYME, Fiairt des Antiquitez de la ville dArles, sans date, manuscrit conserv aux Archives dp. desBouches-du-Rhne [1 F 33 / 36] : Quelques vns disent quelle fut batie par les ebreux, & quAreli dont il estparl dans la genese en ietta les premiers fondemens. Les autres veulent quelle fut construite par les troyens, &par Arelon neueu du roy priam . Dans son Discours sur les antiquits, op. cit., N. L. de ROMIEU reprendcette hypothse son compte et renvoie explicitement la Gense, chap. 46, vers. 16.

    39. ANONYME, Fiairt des Antiquitez de la ville dArles, op. cit.Charles Joseph, Chevalier de ROMIEU renvoie Isidore, chap. I. L. 15 daprs Le Portefeuille duChr. de R***. Premier caier. De ce quil y a de remarquable Arles, Arles, chez Gaspard Mesnier, Impr. duRoy et de la ville, 1726, p. 32.

    40. Jean POLDO DALBENAS, Discours historial de lAntique & illustre cit de Nismes, en la Gaule Narbonoise, auecles portraitz des plus antiques & insignes bastimens dudit lieu, rduitz leur vraye mesure & proportion,ensemble de lantique & moderne ville, Lyon, par Guillaume Roville, 1560, chap. IV, p. 11.Origine reprise par Anne de RULMAN, Inuentaire particulier de lhistoire de Nismes, depuis Nemausus quila fonda, lEmpereur Adrian qui lillustra de ses antiques Edifices, le dernier comte Remond qui rebastit sesMurailles modernes & Roy de france, enrichi de figures du corps de la ville & de ses plus importantes pieresantiques & modernes, Paris, impr. Jean Hubj, 1627, Premire relation , f 21.Cf. aussi J. DEYRON, op. cit., Chapitre premier, p. 3.

    41. Joseph de LA PISE, Tableau de lhistoire des Princes & Principaut dOrange, la Haye, impr. ThodoreMaire, 1639, p. 5.

    42. Pre Joseph GUIS, Description des Arenes ou de lAmphitheatre dArles, Arles, Fr. Mesnier impr. du Royet de la ville, 1665, ddicace.

    43. J. de LA PISE, op. cit., p. 13.44. IDEM, ibidem.

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    45. J. DEYRON, op. cit., chap. VI, p. 37.46. J. de LA PISE, op. cit., p. 13.47. Joseph SEGUIN, Les Antiquitez dArles traitees en matiere dentretien & ditineraire o sont decrites plusieurs

    nouvelles decouvertes qui nont pas encore veue le jour, Arles, chez Cl. Mesnier, 1687, prface, p. 1.48. Outre les polmiques que la Vnus dArles a suscites sur son identification cf. infra, I. 1. c.,

    pp. 76-79 , ces deux sculptures ont fait, ds le XVIIe sicle, lobjet de nombreuses comparaisonsavec la statuaire grecque et romaine : parmi les ouvrages abordant cette polmique, cf. AntoineAGARD, Discours & roole des medailles & autres antiquitez tant en pierreries, grauures, quen relief & autrespierres naturelles & admirables plusieurs figures & statues de terre cuite lgyptienne & plusieurs raresantiquits qui ont t recueillies & present ranges dans le cabinet du sieur Antoine Agard maistre orfure& antiquaire de la ville dArles en Prouence, Paris, 1611 ; Franois de REBATU, La Diane & le JupiterdArles se donnans cognoistre aux esprits curieux, Arles, F. Mesnier, 1656 ; IDEM, De la comparaisondArles & de Rome, Arles, 1617 ; Claude de TERRIN, Entretien de Muse & de Callisthne sur la prtendueDiane dArles, Arles, J. Gaudiou, 1680 ; IDEM, Mmoire sur le thtre dArles , in Journal desSavants, t. XII, 1684, pp. 51-52 ; Antoine GRAVEROL, Dissertation sur la statue qui estoit autrefois Arles& qui est present Versailles, Nmes, 1685.

    49. N. L de ROMIEU, Discours sur les antiquits, op. cit.50. J. DEYRON, op. cit., chap. XII, p. 64.

    hommes de la terre (45), dans la mesure o, avec les progrs & accroissements de leurs

    aages [ils ont su] esleu[er] leur empire vn eminent feste de gloire, par dessus tous les

    autres de la terre (46). Cest ainsi qutablie par les anciens Gaulois , puis occupe

    par les Grecs de Marseille, Arles naurait pourtant tir sa gloire que du grand

    nombre de Priuileges dont elle fut enrichie par les Empereurs Romains (47), tmoins les

    vestiges imposants qui ont su rsister aux invasions barbares. Plus accessible peut-

    tre par sa proximit dans le temps et dans lespace que la grecque ou lgyptienne,

    la civilisation romaine pouvait apparaitre de fait comme la plus prestigieuse, par la

    somme douvrages quelle a su ou pu laisser derrire elle.

    Le Midi de la France parait avoir reprsent, dans lesprit des savants du XVIe sicle,

    un territoire privilgi de lEmpire romain, la Narbonnaise: premire rgion de la

    Gaule soumise Rome, elle tait en effet considre comme tout fait romanise , ce

    dont devaient tmoigner, outre les rcits des Anciens dont les propos logieux les

    plus souvent cits sont ceux dAmmien Marcellin, de Pomponius Mela, de Pline

    lAncien, de Csar , une importante statuaire digne de celle dItalie, telle que le

    Jupiter et la Diane-Vnus exhume aux pieds des deux Veuves du thtre dArles (48),

    ainsi que les restes de monuments quon pouvait y trouver, considrs, au vu de la

    riche facture des entablements notamment, comme de construction strictement

    romaine. Il ne sagissait certes, pour ces derniers, que de vestiges, ddifices en grande

    partie dtruits, mais ces ruines semblaient dmontrer, plus que partout ailleurs en

    France, dans leurs fragments imposants et stables, une puissante empreinte; elles

    attestaient lexistence de superbes bastimens rigs par les Romains pour embellir

    leurs principales colonies (49), petits simulacres des villes qui les auaient enuoys (50) ;

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    davantage encore, elles paraissaient avoir dfi les mfaits du temps et des hommes,

    et incarnaient par l mme, aux yeux des rudits, le simbole de l[a] magnificence de

    Rome (51). En effet, si

    leurs bastimens ne se peuvent voir quen partie, aussi leurs antiquits ne se

    peuvent rencontrer partout comme leur vertu, estant restraintes dans les lieux qui en

    ont est honors : mais aussi ont-ils cette prrogatiue, par dessus les autres moyens

    de la grandeur romaine, que de les avoir surmonts en dure (52).

    Parmi les villes de la province de Narbonnaise, Arles, Orange et Nimes

    tiennent une place pour le moins avantageuse. Fondes dans la deuxime moiti

    du Ier sicle avant notre re, avec Frjus, Valence, Vienne et Carpentras, et aprs

    Aix, Narbonne et Bziers, elles ont eu pour elles de conserver, visibles et dans des

    conditions assez extraordinaires, une partie de leurs monuments antiques. Les

    ouvrages des XVIe et XVIIe sicles les ont considres pour cela comme les plus

    anciennes et les plus admirables de toute la Gaule, mettant en avant, pour

    appuyer leur discours, la prsence de ces vestiges imposants, dignes de la

    renomme de lEmpire romain. Orange se rvlait ainsi remarquable par le

    Cirque & Theatre & [] lArc triomphant que lon voit encor entier dans lenclos des

    vieilles murailles de ladite ville (53), ces beaux & somptueux monuments des antiquits

    Romaines, qui semblent avoir voulu combatre le temps, par leur dure (54) ; Arles ne lui

    cdait en rien par maints beaux & somptueux difices dont les Romains lavaient

    orne (55), et que sont Temples, Capitole, Palais, Oblisque, Aqueduc & autres ouurages

    magnifiques dont il se voit encore les vestiges (56) ; Nimes, enfin, construite sur sept

    collines et dont les lieux ioignant lamphitheatre sont appells Campus Martius (57),

    tait perue comme labreg de Rome (58), et comptait parmi les superbes

    monumens de la plus grande gloire des Romains , la Maison quarre et le plus

    entier et maiestueux amphitheatre de lUniuers (59).

    51. J. de LA PISE, op. cit., p. 13.52. IDEM, ibidem.53. Description des antiquitez de la ville & cit dOrange revue & corrige par douard Raban, Orange, chez

    lauteur, 1681, p. 7.54. J. de LA PISE, op. cit., p. 6.55. N.L. de ROMIEU, Histoire des antiquitez dArles ou plusieurs crits & pitaphes antiques trouuez la mesmes

    & autres lieux, 1574, manuscrit conserv Leyde, et rapport par Louis BONNEMANT, RecueildAntiquits, 1790, conserv la Mdiathque dArles [ms 240].

    56. N. L de ROMIEU, Discours, op. cit.57. J. POLDO DALBENAS, op. cit., chap. VI, p. 22.58. A. de RULMAN, op. cit., Advis , f 10.59. IDEM, ibidem, ddicace au Roi, f 5.

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    60. Cf. ce propos, notamment Pierre PINON, Approche typologique des modes de rutilisation desamphithtres de la fin de lAntiquit au XIXe sicle , in Spectacula I, Gladiateurs et amphithtres,Actes du colloque tenu Toulouse et Lattes les 26, 27, 28 et 29 mai 1987, Lattes, ditions Imago,1990, pp. 103-127. Lauteur cite, propos des temples christianiss , Giuseppe LUGLI, Latrasformazione di Roma Pagana in Roma Cristiana , in Rendiconti. Accademia dei Lincei, t. VIII, n 4,1949, pp. 3-16, et mile MLE, La Fin du paganisme en Gaule et les plus anciennes basiliques chrtiennes,Paris, Flammarion, 1962, pp. 31-67.

    61. J. POLDO DALBENAS, op. cit., chap. XXIII, p. 125.62. Sur lutilisation de ces difices depuis les invasions des IIIe-VIIIe sicles, cf. infra, II. 1. a.63. Juste LIPSE, De Amphitheatro Liber, in quo forma ipsa Loci expressa et ratio spectandi cum neis figuris,

    Antuerpi, apud Christophorum Plantinum, 1584, chap. II-III, pp. 12-15.Sur la description des difices de spectacles romains et le vocabulaire utilis, cf. infra, I. 1. b. et I. 1. c.Sur les raisons de ltude de ces difices aprs le Moyen ge, cf. infra, I. 2. c.

    Expose aux invasions franques et alamanes ds le IIIe sicle, puis sarrasines, la

    rgion du sud-est de la France a certes subi des destructions massives jusquau

    VIIIe sicle, mais paradoxalement, notamment en intgrant trs tt dans lorgani-

    sation urbaine de ses cits quelques-uns des difices publics romains, tels que les

    arcs de triomphe transforms en bastions, ou en palais comme Orange, les

    temples en glises (60), voire certains fragments, tels que lentre sud du thtre

    dArles, isole et devenue citadelle, elle a pu du mme coup conserver en grande

    partie les structures densemble de ces derniers, souvent sur une hauteur de plus de

    25 m sur lextrieur, soit quasiment la totalit de leur faade.

    En matire ddifices de spectacles, les structures les plus remarques ont t,

    mme avant quon ne les tudie rellement, celles des amphithtres, par

    lampleur manifeste de leur enceinte au volume imposant. Leur forme compacte

    en effet tout entour[e] de murailles (61) , pouvait particulirement sadapter

    leur amnagement en bastions ou places fortes (62), contrairement aux cirques

    celui dArles comme celui de Vienne qui, sans doute la fois par leur situation

    hors de la ville et leur configuration trop allonge moins propice ce genre de

    conversion , ont t dtruits ou abandonns. Par la suite, il semble que la

    spcificit formelle de ces difices, travers sans doute leurs transformations et

    leur tat de conservation, a t lorigine de la valeur particulire qui leur a t

    concde, en matire darchitecture antique, par les rudits des XVIe et

    XVIIe sicles. Cit par tous, Juste Lipse avait consacr un ouvrage entier lamphi-

    thtre romain, btiment quil considrait comme dautant plus singulier quil

    tait inconnu son poque. Lauteur soulignait non seulement loriginalit de sa

    forme ovoide, mais aussi celle de lagencement de sa cavea, concave et ouverte,

    enveloppant une aire centrale situe en contrebas (63). Il insistait en outre, dans

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    son second livre, sur son expansion travers lensemble des anciennes provinces

    romaines (64), voquant mme, pour la Gaule, celui dArles inaccessible, mais

    suffisamment complet (65) ainsi que celui de Nimes, plus clbre selon lui, y

    consacrant un chapitre entier (66). sa suite, les savants ont su appuyer la

    renomme de leur ville sur la prsence entre toutes des restes dun amphithtre,

    considr comme un si rare Ornement (67) : estimant que les ruines des

    Amphitheatres s[ont] les plus dignes obiets de l[a] curiosit [ des Genies les plus

    clairez ], estant les plus magnifiques monumens de lantiquit (68), le Pre J. Guis a

    pu ainsi prtendre que celui dArles qui, sil ne savait pas certainement qui la

    fait btir , avait nen pas douter plus de quatorze cens ans dAntiquit (69), tait

    des premiers entre ceux dont lindustrie des Romains embellit les Gaules , faisant

    de la ville dArles la plus ancienne et prestigieuse de la province. Avant lui dj,

    J. Poldo dAlbenas avait affirm que lamphithtre de Nimes avait est fait si

    magnific, somptueux, & grand, par qui que ce soit, pour monstrer la grandeur, &

    excellence de la ville (70). Lexception du thtre dOrange, pendant longtemps

    identifi comme un vritable cirque (71), apparait mme travers cet argument :

    le manuscrit de . Raban considrait en effet que les monuments antiques de la

    France ne sont presque tous que des Amphitheatres [] en sorte qu peine on

    pourroit trouuer vn autre Cirque ou Theatre, que celuy de la ville dOrange , et a fait

    son tour de cette dernire la plus ancienne ville de toute la Gaule (72) ; J. de La

    Pise allait au reste encore plus loin, puisquil jugeait l admirable forme de cet

    difice comme tant la premiere invente, mesmes avant les Amphitheatres , et

    considrait ce dernier, avec le grand Arc Triomphal , comme les tmoins

    irrprochables, de lanciennet de la ville dOrange, en son commencement & en son

    origine, en sa grandeur & en sa magnificence (73).

    64. Juste LIPSE, De Amphitheatris qu extra Romam Libellus. In quo Form eorum aliquot et typi, Antuerpi, apudChristophorum Plantinum, 1584, chap. I, p. 7: Amphitheatra crebra admodum in provinciis fuisse .

    65. IDEM, ibidem, chap. I, p. 9 : etiam esse auint, sed parum integrum .66. ID., ibid., chap. V, p. 20 : Noti hoc nominis & celebris, non per Galliam solm, sed per Europam . Sa

    description, accompagne dune lvation, reste succincte, mais tmoigne de limportance qui luitait accorde.

    67. P. J. GUIS, op. cit., Chapitre second, pp. 3-4.68. IDEM, ibidem, ddicace.69. ID., ibid., Chapitre troisieme, p. 5.70. J. POLDO DALBENAS, op. cit., chap. XXII, p. 122.71. Sur les questions didentification de ce cirque-thtre dOrange, et sur la dfinition donne, cette

    poque, aux termes de thtre et d amphithtre , cf. infra, I. 1. c., pp. 80-86.72. Description des antiquitez de la ville & cit dOrange par douard Raban, op. cit., p. 8.73. J. de LA PISE, op. cit., p. 6.

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    74. P. J. GUIS, op. cit., Chapitre troisieme, p. 5.75. Juste LIPSE, De Amphitheatris qu extra Romam Libellus, op. cit., chap. I, p. 7: Si difici aut publici operis

    vllum genus crebrum in Italia et prouinciis fuit: reperies hoc fuisse quod ad ludos []. Itaque Theatra, Circi, Stadiaextructa passim: sed imprimis Amtra, quia omnis plebs dedica maxim in spectaculis illis crudis et cruentis .

    76. J. de LA PISE, op. cit., p. 6.77. Juste LIPSE, De Amphitheatris qu extra Romam Libellus, op. cit., chap. I, p. 7 : raram aliquam siue

    coloniam siue municipium fuisse, in queis non et ludi isti, et ludorum simul sedes []. Itaque vix aliquaprouincia etiam nunc est, in qua non vestigia Amphiorum .

    78. P. J. GUIS, op. cit., Chapitre troisieme, p. 6.79. J. POLDO DALBENAS, op. cit., chap. XXIII, p. 123.80. J. de LA PISE, op. cit., p. 6.

    Outre leur anciennet, tenue entre les principales qualitez des excellens ouurages (74), la

    fascination exerce par les amphithtres trouvait sa justification dans leur affectation.

    Juste Lipse invoquait ainsi la place de premier ordre alloue, selon lui, dans la socit

    romaine aux monuments rservs aux jeux, y compris dans les provinces, lamphi-

    thtre tenant une position singulire par les jeux sanglants qui sy droulaient (75).

    Dfinis comme lieux destins pour les delices, & pour le contentement du peuple (76), ces

    difices apparaissaient, aux yeux des auteurs de cette poque, non pas toutefois

    comme de simples centres de distraction, mais davantage comme un instrument

    politique. Ralliant Juste Lipse, selon qui les Romains nenvisageaient gure leurs cits,

    quelles quelles fussent, sans lieu de jeu (77), le Pre J. Guis pouvait en effet affirmer quils

    enuoyoient rarement des colonies dans les prouinces qui releuoient de leur Empire, quils ne

    leur fissent btir des Amphitheatres, & donner des ieux en mesmes teps (78). Cette prtendue

    systmatisation tait explique comme les tenants et aboutissants dune stratgie de

    domination, dasservissement et de contrle: offrir des spectacles grandioses aux

    populations vaincues devait permettre la fois de les occuper et de leur donner une

    image favorable des vainqueurs, de sorte les dtourner de toute volont dinsur-

    rection. J. Poldo dAlbenas y voyait en effet vn des principaux moyes, que les grandz &

    ambitieux citoyens auoyent, pour gaigner le cueur du populaire (79). Plus encore, consi-

    drant les Romains comme trop bon politiques, pour nen practiquer destrement lvsage,

    envers ceux de leur nouvelle conqueste , J. de La Pise allait jusqu affirmer explicitement

    que cest vn grand secret qui veut empieter le commandement souverain sur vn peuple que

    de le plonger dans le luxe, affin dy noyer en suyte tout doucement sa libert (80).

    Les vestiges des amphithtres rendaient ainsi compte, a posteriori, non

    seulement de la puissance de Rome, mais du rayonnement de ses spectacles

    grandioses. Instruments politiques de domination, les jeux pouvaient apporter,

    qui les offrait, autorit et renomme. Franois Ier ne sy tait pas tromp, qui avait

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    souhait rorganiser de somptueux spectacles dans lenceinte de lamphithtre

    dArles (81). On raconte dailleurs ce propos la colre du roi qui, lors dun voyage

    dans le sud de son royaume en 1533, tait mont sur une tour Arles pour admirer

    lamphithtre, et devant la dgradation et lemprise des habitations sur ldifice,

    temoigna beaucoup de dplaisir, de ce quon nauoit pas e assez de soin de le conseruer

    en son premier estat (82). Fiers et glorieux, de posseder dans leurs [sic] Royaume ce grand

    Ouurage de lIndustrie, & de la Magnificence des Anciens , tous les rois de France, en

    croire le P. J. Guis, avaient dailleurs eu le dsir de le dgager : Henri IV aurait ainsi

    donn lordre Messieurs de la Ville de faire demolir les maisons dont elles sont remplies,

    de faire de cette place vn lieu Public, & deleuer au milieu la Pyramide de la Roquette (83).

    Il en tait de mme des arnes de Nimes, pour lesquelles Franois Ier encore, lors du

    mme voyage en 1533, aurait formul un souhait similaire de les voir rendues leur

    tat primitif , cest--dire dgages des habitations parasites (84).

    Pourtant, pour grande quait t lattention porte ce genre de monuments,

    aucune action na jamais t, cette poque, entreprise pour accder ce mouvement

    de sauvegarde. Discours et pratiques apparaissent ainsi en quelque sorte contra-

    dictoires dans ce que lintrt pour ce type de vestiges nenrayait pas ncessairement

    le processus de leur destruction, naturelle ou humaine . Dmuni face aux

    dsastres provoqus par la puissance destructrice du temps, qui duore sans aucun

    respect tout ce quil y de plus rare dans lArt & la Nature (85), le XVIIe sicle dplorait

    certes ltat des difices romains parvenus jusque l de manire fragmentaire. Pour

    autant, si larchitecture antique pouvait tre admire dans ce quelle paraissait, par

    certains aspects, avoir dfi le temps, notamment travers ces colosses que sont les

    amphithtres, elle nen restait pas moins paradoxalement la proie : ainsi que le faisait

    remarquer avec amertume Joseph Seguin, leur ruine nous fait bien voir que les

    Romains nont pas eu le succez quils esproient de leurs superbes ouurages, car croyant par

    la solidit de ces grands difices de nous laisser des marques de leur grandeur humaine, &

    81. Daprs N.L. de ROMIEU, Histoire des antiquitez dArles, op. cit.Sur le dsir de rutilisation des amphithtres pour des spectacles grandioses, cf. infra, III. 1. a.

    82. P. J. GUIS, op. cit., Chapitre second, p. 3, renvoie N.L. de ROMIEU, Histoire, op. cit.83. IDEM, ibidem, Chapitre second, p. 3.84. A. de RULMAN, op. cit., Premire relation, f 10.85. P. J. GUIS, op. cit., Chapitre troisieme, p. 5.

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    86. J. SEGUIN, op. cit., p. 43.87. Dcision du Conseil municipal, 1684 [arch. mun. dArles, BB 28, fol. 494.88. P. J. GUIS, op. cit., Chapitre seizieme, p. 32.89. Sur lide et la valeur accorde la ruine, et sur la notion de bti par opposition l objet ,

    cf. infra, II. 1. a.90. Sur limportance accorde la proportio et la simmetria dans les traits darchitecture au dtriment de

    lagencement intrieur des difices, cf. infra, I. 2. a., pp. 118-122.91. Sur les premires fouilles du thtre dArles, cf. infra, I. 3. c., pp. 35-36.

    dterniser leur mmoire, ils nous ont donn au contraire la preuue de la corruption de toutes

    les choses de la terre (86). Paralllement aussi se pratiquaient encore des destructions

    volontaires, comme aux sicles prcdents, dans un simple but utilitaire, soit de ruti-

    lisation des structures existantes, soit damnagement de lespace urbain moderne. Il

    nest que de rappeler les dispositions des Consuls de la ville dArles, au dbut du

    XVIIe sicle, qui soutenaient la conservation des objets antiques trouvs divers

    endroits de lancienne colonie, et ordonnaient en mme temps la destruction dun arc

    de triomphe, appel porte Saint-Martin , quils estimaient gner la circulation (87).

    Dans le mme ordre dide, le P. J. Guis regrettait certes ltat de lamphithtre de

    cette mme ville, mais lexcusait par la necessit des temps, qui souuent oblig

    Messieurs les Consuls de permettre que lon y btist (88). Aucun roi par ailleurs, malgr

    ses fortes aspirations, navait su obtenir ou peut-tre en dfinitive, navait

    rellement voulu obtenir de faon effective, le dgagement ni des arnes dArles

    ni de celles de Nimes, et moins encore du thtre ou Cirque dOrange.

    Cette apparente contradiction trouve nanmoins son explication dans lintrt

    prdominant donn, cette poque, aux objets au dtriment de larchitecture en

    tant que bti (89) qui tenait alors une place part par son rle mme: les difices

    anciens importaient davantage pour leurs dcors et leur ordonnance, moins pour leurs

    structures (90). Jusqu la fin du XVIIIe sicle, le thtre dArles a ainsi subi, dans sa partie

    basse encore