26
1 Congrès AFSP Montpellier 2017 ST23 - Coalitions Multiniveaux d’action publique. Théorie et méthode Jean-Pierre LE BOURHIS, CNRS-ARENES, UMR 6051 / [email protected] Joan CORTINAS-MUNOZ, CURAPP-ESS UMR 7319 / [email protected] Matthieu GROSSETETE, CURAPP-ESS UMR 7319 / [email protected] Renaud HOURCADE, CNRS-ARENES-CNRS, UMR 6051 / [email protected] LES COALITIONS D’ACTEURS AU PRISME D’UNE APPROCHE COMPARATIVE. MÉTHODE ET APPORTS D’UNE ANALYSE QUALI- COMPARATIVE DES RÉGULATIONS DES POLLUTIONS TOXIQUES. Résumé La communication présente le cadre analytique et la méthodologie d’un programme de recherche en cours, visant à expliquer les variations entre actions publiques face à un constat de pollution toxique (milieux aquatiques). Plusieurs cas sont étudiés (n= 20) sur le territoire français métropolitain incluant des pollutions chroniques de type industriel (usines pharmaceutiques, mines, papeteries…) ou agricole (pesticides et nitrates) ayant fait l’objet d’expertises. Le cadre d’une analyse quali-comparative (QCA) vise à traiter la nature et les rapports des coalitions comme une des conditions à prendre en compte parmi d’autres paramètres. Afin de permettre la comparaison entre de nombreux cas, cette perspective oblige à réduire la description des coalitions à quelques indicateurs clés. On s’interrogera sur la façon d’opérationnalier cette mesure, les régularités d’un cas à l’autre, et plus largement les outils, méthodes et apports de cette recherche.

LES COALITIONS D’ACTEURS AU PRISME D’UNE APPROCHE … · 2017-06-20 · Wildavsky 1973) les premières formulations de ce résultat dans le domaine des politiques ... mortalité

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: LES COALITIONS D’ACTEURS AU PRISME D’UNE APPROCHE … · 2017-06-20 · Wildavsky 1973) les premières formulations de ce résultat dans le domaine des politiques ... mortalité

1

Congrès AFSP Montpellier 2017

ST23 - Coalitions Multiniveaux d’action publique. Théorie et méthode

Jean-Pierre LE BOURHIS, CNRS-ARENES, UMR 6051 / [email protected] Joan CORTINAS-MUNOZ, CURAPP-ESS UMR 7319 / [email protected]

Matthieu GROSSETETE, CURAPP-ESS UMR 7319 / [email protected] Renaud HOURCADE, CNRS-ARENES-CNRS, UMR 6051 / [email protected]

LES COALITIONS D’ACTEURS AU PRISME D’UNE APPROCHE COMPARATIVE. MÉTHODE ET APPORTS D’UNE ANALYSE QUALI-COMPARATIVE DES RÉGULATIONS DES POLLUTIONS TOXIQUES.

Résumé La communication présente le cadre analytique et la méthodologie d’un programme de recherche en cours, visant à expliquer les variations entre actions publiques face à un constat de pollution toxique (milieux aquatiques). Plusieurs cas sont étudiés (n= 20) sur le territoire français métropolitain incluant des pollutions chroniques de type industriel (usines pharmaceutiques, mines, papeteries…) ou agricole (pesticides et nitrates) ayant fait l’objet d’expertises. Le cadre d’une analyse quali-comparative (QCA) vise à traiter la nature et les rapports des coalitions comme une des conditions à prendre en compte parmi d’autres paramètres. Afin de permettre la comparaison entre de nombreux cas, cette perspective oblige à réduire la description des coalitions à quelques indicateurs clés. On s’interrogera sur la façon d’opérationnalier cette mesure, les régularités d’un cas à l’autre, et plus largement les outils, méthodes et apports de cette recherche.

Page 2: LES COALITIONS D’ACTEURS AU PRISME D’UNE APPROCHE … · 2017-06-20 · Wildavsky 1973) les premières formulations de ce résultat dans le domaine des politiques ... mortalité

2

Introduction

Depuis plusieurs décennies maintenant, les travaux d’analyse des politiques publiques ont établi le constat d’une activation des outils, régulations et programmes d’action publique variant selon les lieux et les contextes de gouvernement. Ils contredisent empiriquement la théorie, juridique et normative, supposant leur application uniforme sur le ressort territorial de l’État (Hill et Hupe 2008). Si l’on doit aux ouvrages pionniers sur la mise en œuvre (Pressman et Wildavsky 1973) les premières formulations de ce résultat dans le domaine des politiques urbaines sociales1, on trouve dans les politiques environnementales un des plus larges ensembles d’études documentant cette application territoriale différenciée des programmes étatiques (Ryan 2015 ; Knoepfel 2007 ; Lascoumes et Le Bourhis 1998 notamment).

Le cas des pollutions par des substances chimiques offre une illustration exemplaire de ce type de constat. Celles-ci font en effet l’objet de politiques dont la mise en œuvre change fortement dans le temps et entre territoires - du niveau international jusqu’à l’échelon local, conduisant à la formulation de diagnostics récurrents de dysfonctionnements de la réponse publique face aux alertes précoces et à la dénonciation experte de ces risques toxiques (EEA 2001, 2003). Ces diagnostics répétitifs ont notamment mis en avant des décalages temporels entre les constats d’expertise pointant une menace liée à différentes formes de pollutions chimiques (agricole, industrielle), d’une part, et leurs répercussions sur les décisions et le pilotage de l’action publique, d’autre part. Les recherches sur la régulation des rejets toxiques ont également souligné les variations à un niveau international (Kagan et al 2003) et dans les pratiques de contrôle et de mise en œuvre des réglementations (Hawkins 1984 ; Lascoumes 1990). Si des formes de gouvernement des risques existent à différents niveaux (européen, national), la mise en lumière par l’expertise de cas de toxicité ne débouche pas systématiquement sur une intervention publique, qui oscille amplement dans son occurrence et sa forme selon les territoires. Ceux-ci sont donc marqués pour certains par des bilans environnementaux et sanitaires très dégradés (Ogé et Simon 204), engendrant des fortes inégalités environnementales à base spatiale (Emelianoff 2017 ; sur les Etats-Unis, Bryant 1995).

Face à un contexte supposé territorialement homogène, on peut s’interroger sur les raisons de l’action ou de l’inaction publique en réponse à ces dangers toxiques. Comment rendre compte des différences de traitement, de la juxtaposition d’attitudes de laisser-faire et d’interventionnisme, de l’alternance entre volontarisme et passivité de l’État face à des pollutions chroniques des milieux aquatiques et leurs conséquences : contamination de l’eau potable et risques sanitaires, baisse de la biodiversité, mortalité piscicole ? Pour répondre à ces questions, il est indispensable de prendre en compte l’inscription territoriale des politiques publiques, particulièrement marquée dans le cas des pollutions toxiques et leur gestion. Les régulations concernées se distinguent en effet par leur caractère essentiellement situé, étant véhiculées par des moyens de gouvernement (plans, autorisations, procédures, financements, 1 L’ouvrage fondateur de Pressman et Wildawski s’interesse en effet à la (non-) mise en œuvre d’une action publique de développement des quartiers pauvres, au moyen d’un programme économique d’aide à l’emploi dans ces zones.

Page 3: LES COALITIONS D’ACTEURS AU PRISME D’UNE APPROCHE … · 2017-06-20 · Wildavsky 1973) les premières formulations de ce résultat dans le domaine des politiques ... mortalité

3

etc.) à base locale qui font l’objet d’un encadrement national faiblement substantiel. Si certaines normes fixant limites et seuils existent, notamment en matière d’eau potable, la plupart des outils relèvent d’une approche procédurale ne déterminant pas à l’avance les comportements autorisés ou sanctionnés2. Cette particularité, partagée à un degré moindre par nombre d’autres politiques sectorielles, rend difficile de reprendre des cadres d’analyse supposant un découpage entre la conception au plan national (ou européen) d’une politique et son exécution locale. Dans un contexte où plusieurs niveaux de gouvernement doivent collaborer du fait du caractère singulier des problèmes à traiter, la focale doit nécessairement être placée au niveau local afin de comprendre l’activation (ou non) de politiques à cet échelon, puis leur production et leur orientation spécifique. Focaliser ne signifie pas cependant occulter : il ne s’agit pas de limiter l’attention au seul échelon local mais de prendre en compte, selon les particularités des cas, la dimension multiniveaux des jeux d’acteurs étudiés. Plus que dans d’autres politiques, la contribution des différents niveaux impose de ne pas séparer artificiellement ce qui relève de l’élaboration d’un programme d’intervention et sa mise en œuvre.

Pour une approche comparative des coalitions et des contextes locaux

Nous proposons dans cette communication de préciser le cadre méthodologique d’un projet de recherche visant à enquêter sur ces variations et expliquer les chnagements dans les interventions de l’État environnemental en matière de pollutions toxiques des milieux aquatiques, dans un contexte de gouvernement multiniveaux3. Pour cela nous avons choisi de privilégier une approche comparative des situations infranationales en incluant des exemples à la fois d’activation de politiques et de statu quo (non - régulation) afin d’isoler les traits distinctifs des premières et les causalités en jeu. Expliquer ces variations de l’intervention publique, suppose la prise en compte d’un grand nombre de variables : l’une des recensions les plus exhaustives de ces facteurs agissant sur le déclenchement et l’orientation des politiques concrètes en comptabilise ainsi 17 types (Sabatier et Mazmanian 1980) portant à la fois sur la nature du problème public traité et du public visé ; sur l’organisation de sa prise en charge publique ; et sur le contexte de mise en œuvre. Partant des enseignements de recherches antérieures et de la littérature sur les politiques environnementales4 l’attention peut se concentrer sur deux catégories principales de variables que cette communication souhaite explorer plus en détail : le rôle des coalitions d’acteurs à l’intérieur d’espaces sociaux spécialisés autour d’enjeux politiques ; le poids des éléments du contexte local faisant office de ressources mobilisables par ces coalitions pour influencer l’action publique.

Concernant la première catégorie, l’analyse proposée ici se situe dans le sillage des travaux institutionnalistes sur les ordres sociaux de niveau intermédiaire (mesolevel social orders : Fligstein, McAdam 2012) qui portent à s’intéresser aux interactions entre acteurs sociaux (alliances politiques, coalitions, opposition, etc.) au sein d’espaces spécialisés (les « strategic action fields ») et leur impact sur les politiques publiques. Relevant de ce type d’approche5, le

2 On sait que le domaine environnemental a connu une large extension de ce droit procédural, établissant les modalités par lesquelles les acteurs locaux de la mise en œuvre (Etat principalement et autres parties prenantes) décident de la norme substantielle à appliquer à un territoire ou situations particuliers. Ce type de droit est venu souvent formaliser des pratiques bureaucratiques d’interprétation locale des normes nationales. 3 Projet SATORI (Savoirs toxicologiques et régulations en situation d’incertitudes) soutenu par l’ANSES et la Région Haut-de-France (2015-2017). Voir le carnet de recherche : https://satori.hypotheses.org/ 4 Pour une présentation synthétique voir (Le Bourhis 2012). 5 Fligstein, McAdam 2012 : p. 9 "This first element of the [field] theory is the insight that action takes place in constructed mesolevel social orders, which is implied in various versions of institutional theory. These orders have been variously called sectors (Scott and Meyer 1983 ), organizational fields (DiMaggio and Powell 1983 ), games (Scharpf 1997 ), fields (Bourdieu

Page 4: LES COALITIONS D’ACTEURS AU PRISME D’UNE APPROCHE … · 2017-06-20 · Wildavsky 1973) les premières formulations de ce résultat dans le domaine des politiques ... mortalité

4

modèle dit des coalitions de cause (Advocacy coalition framework : Sabatier et Jenkins-Smith, 1993) a été particulièrement mobilisé dans l’analyse des politiques environnementales6 à partir d’une part, de l’identification de sous-systèmes (subsystem) définis comme des jeux d’acteurs délimités fonctionnellement et territorialement (« A policy subsystem is defined by its territorial boundary, a substantive topic, and by the hundreds of policy participants from all levels of government, multiple interest groups, the media, and research institutions. » Weible Sabatier 2006 : 126) et, d’autre part, de la reconstitution analytique de « coalitions » agrégeant les acteurs de ces sous-systèmes autour de la défense de grandes options de politiques publiques (policy core beliefs). La mise en œuvre d’une politique s’explique alors par le rapport de force entre des acteurs coalisés autour de ces orientations opposées (incluant éventuellement la non-intervention) et la mobilisation de diverses ressources. En ce qui concerne les pollutions toxiques et les prises de position autour de leur traitement, on se trouve en présence en fait de sous-systèmes imbriqués (nested subsystems)7 à plusieurs niveaux territoriaux mais aussi en chevauchement (overlapping subsystems) puisque plusieurs secteurs sont concernés : agriculture, eau potable, protection de l’environnement, industrie8.

L’usage de ce type de modélisation a plusieurs avantages : il constitue d’abord un cadre global (framework) et un langage commun, autorisant l’adjonction de théories complémentaires9 qui permettent de l’enrichir comme nous proposons de le faire ; il peut s’appliquer à des configurations territoriales diverses, qui vont de conflits ouverts avec des camps fortement constitués ‘(« high - conflict situations involving coalitions, learning, and policy change ») jusqu’à des cas à faible ou absence d’antagonisme entre intervenants (« collaborative setting » ; cf. Sabatier et Weible 2014) ; il permet d’intégrer dans l’analyse le rôle des acteurs scientifiques et techniques présents dans la fabrication des politiques environnementales, ainsi que les positions divergentes des bureaucraties à l’origine de conflits intra-étatiques fréquents (Zafonte Sabatier 1999 ; McAdam Boudet 2012).

La seconde catégorie de facteurs à prendre en compte constitue la question des « ressources » qui fondent la capacité d’influence des coalitions. Cette question est au centre de l’analyse du changement de politiques dans le modèle de l’ACF dans la mesure où les « ressources » des coalitions sont conçues comme des moyens de pouvoir et le fondement de leur prédominance : d’une part, une coalition est considérée dominante dans la mesure où elle dispose de ressources supérieures et impose ses orientations politiques10 ; d’autre part, le changement intervient quand on observe une redistribution de ces ressources qui perturbe l’équilibre des forces entre coalitions. De l’aveu des auteurs du modèle, cette notion pivot de « ressources » fait cependant l’objet de carences importantes : s’ils en ont produit un inventaire

and Wacquant 1992), networks (Powell et al. 2005 ), and, in the case of government, policy domains (Laumann and Knoke 1987 ) and policy systems/subsystems (Sabatier 2007 )". 6 Une des recensions faite par les auteurs des applications de leur modèle indiquent que près de 80% des nombreuses études utilisant l’ACF portent sur les enjeux environnementaux. 7 Les premiers commentateurs français de Sabatier (Bergeron et al. 1998 : 208) semblent ignorer cette possibilité d’imbrication, considérant que « cette maîtrise [par une coalition dominante] des politiques publiques par des élites sectorielles n'est pas remise en cause par la différenciation des niveaux de gouvernement (local, États fédérés, Fédération) ou des territoires (différents États fédérés, différentes localités, etc.) ». Le caractère multiniveaux des coalitions (« chaque coalition englobant des acteurs de ces différents niveaux et territoires») semble être à la source de la confusion, ayant conduit à ignorer une inscription territoriale pourtant souvent réaffirmée par Sabatier et ses collègues. 8 Ce type d’assemblage de sous-systèmes fonctionnels en interaction entre eux et à plusieurs niveaux est d’ailleurs qualifié de « most complex of all », comme nombre de situations de gestion de l’eau (Zafonte et Sabatier, 1998 : 474) . 9 « ACF is best thought of as a framework supporting multiple, overlapping theoretical foci » (Sabatier et Weible, 2014 Theories of the Policy Process). 10Cf. (Sabatier, Weible 2014) : « subsystems exhibit a “ dominant ” coalition that largely controls (most likely through resource superiority ) subsystem politics and policy and either a “ minority ” coalition vying for influence or the absence of any coordinated opposition » (surlignement ajouté)

Page 5: LES COALITIONS D’ACTEURS AU PRISME D’UNE APPROCHE … · 2017-06-20 · Wildavsky 1973) les premières formulations de ce résultat dans le domaine des politiques ... mortalité

5

(Sabatier et Weible, 2007 : 201-204)11, ils reconnaissent la nécessité de mieux définir ses composantes, leur hiérarchisation (toutes les ressources ne se valant pas) et leur impact (Weible et al. 2016 : 261-262). Deux difficultés principales doivent être ajoutées à notre sens. Les ressources citées ont un statut hétérogène : certaines sont des attributs des acteurs (l’autorité légale, les moyens financiers, les compétences entrepreneuriales) ; d’autres sont relatives au contexte (l’opinion publique ; les soutiens mobilisables) ; d’autres enfin ont un caractère mixte (l’information comme expertise mobilisée mais aussi se référant à l’incertitude et la complexité du problème visé). Par ailleurs, elles se recoupent largement comme cela a été noté : les moyens financiers permettent d’acheter de l’expertise et des soutiens, voire l’opinion publique ; l’autorité légale confère un accès et une autorité plus grande à l’expertise, etc.

Différencier les ressources d’influence et comparer leur impact

Dans le souci de distinguer de façon rigoureuse ces ressources et de pouvoir évaluer leur impact spécifique au moyen de la comparaison, nous proposons ici d’en distinguer plusieurs types sur d’autres bases. Cette liste ne vise pas un inventaire systématique mais est le produit de l’observation de nos cas et d’une sélection par induction des éléments ayant l’impact le plus marqué sur l’orientation des politiques. Nous listons rapidement ces éléments avant de poursuivre davantage leur description et leur objectivation au long du texte.

La première ressource est propre aux coalitions observées et constituée du capital social dont elles disposent, au sens de P. Bourdieu, c’est-à-dire « l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d’interconnaissance ou d’interreconnaissance (…) »12. Il s’agit d’une ressource spécifique aux acteurs d’une coalition qu’il est possible de mesurer par différents moyens sur lesquels nous reviendrons

Nous distinguons ensuite plusieurs types d’éléments davantage propres au contexte territorial qui sont susceptibles d’agir comme des ressources en renforçant les chances de succès de coalitions en faveur d’une orientation politique : le degré d’incertitude de l’expertise produite et des connaissances sur le problème à traiter ; la pression civique, agrégeant différents indicateurs des mobilisation sociale et d’état de l’opinion publique ; la valeur patrimoniale du milieu naturel ou de la ressource, renvoyant aux intérêts économiques attachés à sa préservation ; le poids socio-économique perçu des acteurs à la source des pollutions ; les caractéristiques socio-économiques des populations potentiellement concernées sur le territoire.

Sur cette base, la démarche proposée ici consiste à intégrer ces caractérisations des coalitions et des ressources contextuelles au sein d’un système d’hypothèses, à tester dans un cadre comparatif rigoureux. Plus précisément, expliquer les variations dans les politiques infranationales concernant les pollutions toxiques revient à comparer les coalitions en présence dans différents terrains et à comprendre leur impact sur la décision publique en regard d’autres éléments de la situation étudiée : quelles sont les conditions de ressources et de contexte qui font qu'une coalition parvient à empêcher ou limiter l'engagement volontariste de l'État en matière de régulation ? À l’inverse quelles sont celles qui font qu'une mobilisation en faveur du milieu obtient une action publique volontariste sur les pollutions toxiques ? Par rapport aux recherches sur les ACF, la comparaison permet de vérifier si la présence d’une coalition

11 « These resources include formal legal authority to make policy decisions, public opinion, information, mobilizable supporters, financial resources, and skillful leadership » (Sabatier et Weible 2007 ; 198–201). 12 Bourdieu (Pierre), « Le capital social. Notes provisoires », Actes de la recherche en science sociales, vol.31, 1980, pp. 2-3.

Page 6: LES COALITIONS D’ACTEURS AU PRISME D’UNE APPROCHE … · 2017-06-20 · Wildavsky 1973) les premières formulations de ce résultat dans le domaine des politiques ... mortalité

6

d’acteurs prépondérante sous le rapport du capital social est une condition suffisante pour faire prévaloir une action publique ou si d’autres éléments sont nécessaires.

On peut notamment s’interroger sur les effets d’un certain degré d’incertitude des savoirs relatifs aux pollutions et du caractère controversé de l’expertise sur leur caractère toxique : cela freine-il ou réduit-il l’influence d’une coalition pro-milieu en étouffant l’action publique avant sa formulation ? Quelle est parallèlement l’influence sur le pouvoir des coalitions du poids socio-économique des activités sources de pollutions, des intérêts associés à la défense d’une ressource, ou encore des mobilisations et pressions issues de la société locale ? À ce stade préliminaire de la recherche, la principale hypothèse que nous formulons ici est que ces éléments ont bien un effet mesurable et différencié sur le pouvoir d’influence des coalitions13.

La mise en place d’un tel cadre comparatif demande un travail spécifique en l’absence d’une telle méthodologie associée au modèle des ACF. Les nombreuses applications de celui-ci n’ont en effet jamais fait l’objet d’un design comparatif a priori (c’est-à-dire sur la base d’un même protocole d’enquête) mais uniquement de mise en parallèle de cas a posteriori, ou au mieux, de conduite séparée d’enquêtes à l’intérieur d’un cadre très général (Weible et al 2016) non sans difficultés, admises par les auteurs (hétérogénéité des sources empiriques et des types de données recueillies principalement). Les bilans et diagnostics régulièrement produits par les promoteurs de l’approche ACF (Weible, 2011 : 356) soulignent en conséquence la nécessité d’établir des comparaisons entre études de sous-systèmes à la fois à l’intérieur d’un même type de gouvernement (entre secteurs d’intervention publique) et entre niveaux de gouvernement (national, local, régional).

Pour répondre à ces manques, nous proposons d’adopter un design de recherche mixte par l’ajout d’une méthode comparative ad hoc, de type quali-quantitative comparée (QCA pour Qualitative Comparative Analysis) (De Meur et al 2002 ; Rihoux et Ragin 2009). Celle-ci présente un double avantage : d’une part, elle permet une approche inductive, ancrée dans l’observation des terrains qui rend possible d’isoler les variables les plus pertinentes et de réduire la profusion des facteurs explicatifs. La connaissance approfondie des cas réduit la complexité en adaptant le questionnement au problème et aux situations ciblées. D’autre part, la QCA repose sur un modèle de causalités multiples qui prend en compte plusieurs facteurs (ou conditions dans la terminologie QCA) et les articule dans des « recettes causales » expliquant de la façon la plus économe possible un résultat (dans notre cas l’existence d’une intervention publique ).

13 Il ne sera possible de formuler et de vérifier des hypothèses plus élaborées sur les combinaisons de plusieurs conditions qu’après la finalisation de l’ensemble des cas.

Page 7: LES COALITIONS D’ACTEURS AU PRISME D’UNE APPROCHE … · 2017-06-20 · Wildavsky 1973) les premières formulations de ce résultat dans le domaine des politiques ... mortalité

7

Schéma n° 1 : présentation résumée des relations causales explorées (la zone surlignée indique une « recette causale » reliant 3 conditions associées dans une série de cas à une action publique réglementaire)

Le schéma n° 1 ci-dessus résume l’ensemble de la démarche et les objectifs de la recherche, qui doit permettre de déterminer les conditions conduisant à une forme d’action publique. Celle-ci est définie comme l’existence d’une régulation collective du problème identifié (par décision réglementaire tel un arrêté préfectoral d’autorisation, un plan de gestion ou un investissement réalisé sous pression publique). L’absence d’intervention est définie soit par l’inexistence d’une action publique, soit par des solutions revenant à contourner le problème identifié sans le résoudre (traitement symbolique, interdiction d’usage, ou réponse correctrice ponctuelle consistant par exemple à changer de source en cas de pollution). La comparaison des cas permet de distinguer des conditions nécessaires à l’obtention d’un résultat donné (présentes dans tous les cas où celui-ci est observé) et des conditions suffisantes (présentes dans certains cas et pouvant se substituer ou se combiner). À partir de la connaissance empirique des situations, des hypothèses issues de la littérature et des premières observations des terrains, nous avons retenu une série limitée de conditions (n = 6, cf. tableau en annexe 2) respectant les standards méthodologiques propres à la QCA (ratio entre nombre de conditions et nombre de cas étudiés).

Une enquête empirique multisite centrée sur la gestion des pollutions toxiques

Nous présentons ici rapidement le contexte de la recherche pour laquelle la méthodologie a été développée. L’enquête en cours en 2017 porte sur une série de cas (n = 20) sur le territoire français métropolitain (voir carte en annexe 1, reprenant une sélection de cas à titre d’illustration). La liste des cas retenus résulte de la prise en considération de plusieurs exigences : présence d’une gamme variée de situations de pollutions chroniques de type industriel (usines pharmaceutiques, mines, papeteries…) ou agricole (pesticides et nitrates)

Page 8: LES COALITIONS D’ACTEURS AU PRISME D’UNE APPROCHE … · 2017-06-20 · Wildavsky 1973) les premières formulations de ce résultat dans le domaine des politiques ... mortalité

8

dont la nocivité avait fait l’objet de constats d’expertise ; proportion équilibrée de situations débouchant sur une intervention politique de régulation collective et de non-intervention ; profils variés des cas du point de vue des conditions retenues (forte ou faible médiatisation et mobilisation locale ; degré d’incertitude concernant les constats de toxicité, etc.).. Par ailleurs, on a suivi les recommandations de la QCA relatives à la sélection des cas, qui suggèrent un aller-retour entre analyse et choix des terrains dans le souci d’obtenir un échantillon permettant de valider ou réfuter les hypothèses formulées.

Les contextes de gouvernement étudiés concernent un éventail de politiques de contrôle ou de réduction des pollutions de l’eau présentant un caractère multiniveaux : ils comprennent des régulations européennes (par le biais de diverses directives relatives à la gestion de la ressource aquatique, aux normes d’eau potable, à la pollution agricole etc.), nationales (transposant les précédentes et les complétant par des mesures nationales spécifiques) et des décisions locales d’application (arrêté préfectoraux d’autorisation en matière d’établissements industriels ou de contrôle des pratiques agricoles ; mise en demeure des services sanitaires relatifs à l’eau potable ; politiques des conseils régionaux, départementaux et des niveaux communaux en matière d’eau potable ou d’espaces naturels).

Le champ des acteurs concernés est de ce fait très large et caractéristique d’une configuration de sous-systèmes à la fois imbriqués et se chevauchant : fonctionnaires des services déconcentrés de plusieurs ministères sectoriels (Agriculture, Santé, Environnement - incluant les entités bureaucratiques gérant les ressources naturelles et les pollutions industrielles), agissant éventuellement sur plusieurs ressorts territoriaux (cours d’eau traversant deux ou plusieurs départements), agents nationaux et locaux d’organismes scientifiques et techniques, acteurs des collectivités et des pouvoirs locaux, etc. Cette diversité ne se traduit pas cependant par un grand nombre d’intervenants au total : du fait du caractère très localisé des dossiers suivis, les effectifs d’intervenants pertinents demeurent de l’ordre de la dizaine d’acteurs, à quelques exceptions.

Tous les cas se caractérisent donc par la présence d’un cadre de gouvernement interorganisationnel associant des services et agences multiples à plusieurs niveaux et en partie dépendants les uns des autres dans la mise en œuvre d’actions publiques. Ils sont également marqués par les caractères propre au système français de gouvernement territorial, à savoir le rôle structurant de deux acteurs disposant d’une autorité légale prépondérante et d’une capacité de veto relative : le maire, concernant les affaires communales (eau potable, assainissement, hygiène publique) pour lesquelles il dispose d’une compétence prioritaire ; le préfet, détenteur principal des pouvoirs de police exercés par ses services et doté d’un pouvoir hiérarchique en tant que représentant du gouvernement dans le contexte d’un État unitaire et centralisé. Cette configuration française des rapports entre pouvoirs nationaux et locaux n’est pas sans effet sur les conditions de mise en place des politiques suivies : elle suppose, au moins dans certains cas, un fonctionnement pluraliste nécessitant une collaboration entre acteurs et la formation de consensus (principalement pour les enjeux d’eau potable et de pollution agricole, dans une moindre mesure pour les enjeux industriels).

*

Nous allons à présent expliciter de façon plus détaillée l’approche utilisée dans le cadre de cette recherche en exposant, d’une part, une série d’éléments de définition concernant les principales composantes de cette méthodologie (coalitions, contextes et ressources) ; d’autre part, en revenant sur l’opérationnalisation de ces notions dans la conduite de la recherche.

Page 9: LES COALITIONS D’ACTEURS AU PRISME D’UNE APPROCHE … · 2017-06-20 · Wildavsky 1973) les premières formulations de ce résultat dans le domaine des politiques ... mortalité

9

L’enquête empirique

La reconstitution des coalitions a été élaborée à partir d’une enquête essentiellement qualitative. Etant donné le faible nombre d’acteurs présents en moyenne (autour d’une dizaine) dans chacune des situations d’étude, l’utilisation des techniques avancées n’a pas été nécessaire (block modeling ou autres formes de clusterisation pour des groupes larges). Suivant la technique recommandée pour l’identification des sous-systèmes, nous avons suivi une démarche de type « boule de neige » pour délimiter l’ensemble des contours de chacun de ces cas. La collecte des données sur un nombre important de cas a été permise par le travail en collaboration d’une équipe de quatre chercheurs (les auteurs de cette communication) qui se sont répartis les cas en leur appliquant une grille identique et en discutant collectivement et régulièrement des résultats.

Le point de départ de chaque enquête de terrain a été l’identification de situations de pollution de l’eau constatée par les autorités, sur la base d’expertises signalées par des acteurs experts locaux ou nationaux (services territoriaux DDT, AFB (ex-ONEMA), Agences de l’Eau) ou par de la veille documentaire (internet, médias). En nous appuyant sur ces constats, nous avons rencontré les acteurs publics concernés par les dossiers correspondants aux problèmes identifiés : agents des services locaux des ministères gestionnaires du problème (DDT, DREAL, ARS), des agences de l’eau, des communes ou groupements, syndicats, etc. Lors des entretiens nous avons identifié les autres acteurs ayant un pouvoir d’influence sur la situation, au-delà des acteurs institutionnels : associations environnementalistes, pêcheurs, journalistes, chercheurs, acteurs privés, etc. La démarche conduit à réaliser entre 5 et 10 entretiens par cas, avec retranscription, complétés par une collecte de documentation en amont et en aval de la réalisation de ceux-ci.

En complément, des données statistiques et générales sur les territoires et les populations concernées ont été collectées pour caractériser directement certaines conditions (profil socio-économique des populations ; majorités politiques) ou étayer les dire d’expert des enquêteurs sur lesquels sont fondés d’autres conditions (poids socio-économiques des pollueurs, mobilisations et pressions civiques).

Comparer des coalitions, des contextes et des ressources

Les contraintes propres à l’exercice comparatif sur un nombre de cas important conduisent à repenser pour partie les outils conceptuels relatifs non seulement aux coalitions et aux critères permettant de les délimiter, mais aussi aux ressources propres ou issues du contexte qui fondent leur influence. Nous allons successivement développer la réflexion méthodologique autour de ces deux questions.

À la recherche d’une définition minimaliste

La principale exigence associée au travail comparatif multipliant les enquêtes est de se doter d’une définition opérationnalisable à faible coût de ces agrégats d’acteurs que sont les coalitions. Cette orientation méthodologique va à l’encontre de la tendance à préferer des outils sophistiqués mais également lourds à mettre en œuvre dans les études monographiques emblématiques de la littérature ACF (par exemple sur les cas du lac Tahoe ou du delta de la

Page 10: LES COALITIONS D’ACTEURS AU PRISME D’UNE APPROCHE … · 2017-06-20 · Wildavsky 1973) les premières formulations de ce résultat dans le domaine des politiques ... mortalité

10

baie de San Francisco : Zafonte et Sabatier, 1998 ; plus récemment : Ingold 201114). Sans heurter toutefois l’écueil inverse d’un usage principalement référentiel de l’ACF (Cairney 2014 : 491)15, le cadre comparatif incite à une économie de moyens de recherche qui impose de recourir à des approches qualitatives de ce type de réseaux. Ceci commande le choix de critères simples d’identification et de caractérisation des liens internes des coalitions. Nous définissons donc une coalition à partir d’une identité de prise de positions (publique ou recueillie en entretien) vis-à-vis de choix d’options de définition du problème, de politiques publiques ou d’action collective. Ce positionnement commun par adhésion explicite ou tacite, porte à la fois sur le problème visé (source et causalités, gravité, dangerosité) et/ou sur les moyens de résoudre celui-ci lorsqu’il est reconnu comme appelant une intervention publique. On reprend ici l’idée d’une délimitation des coalitions fondée sur le repérage d’un système de positions, que l’on retrouve dans la littérature ACF (policy core beliefs) mais en faisant abstraction de la dimension idéelle, supposant un système de croyances intérieures, articulées de façon complexe à plusieurs niveaux (deep core, policy core, secondary aspects)16.

L’identification des coalitions repose pour nous sur l’expression de positionnements directement relatifs aux mesures débattues ou en concurrence dans l’espace spécialisé. Cette approche conduit à parler davantage de « prises de positions » exprimées, en référence à la terminologie développée par P. Bourdieu dans le cadre d’une recherche sur la politique du logement. La structuration d’un champ d’acteurs autour de mesures phare de cette politique (nationale) renvoie en effet à une opposition centrale entre deux mesures (aide financière « à la pierre » et donc à la construction collective ; aide « à la personne » et aux acheteurs individuels sur un marché (Bourdieu, 2000)17. S’agissant des prises de position relatives au problème et à sa définition, le repérage des groupes pertinents passe aussi par le degré de doute exprimé ou l’adhésion aux énoncés d’expertise et aux causalités qu’ils pointent.

Cette approche tend à simplifier la question récurrente dans le courant ACF autour de ce qui constitue le ciment (« glue ») des coalitions et par conséquent leur délimitation18. Ce débat apparaît récurrent et encore d’actualité, en particulier autour de l’hypothèse de rapprochement fondé sur la croyance (« belief homophily hypothesis ») centrale dans les premières versions de l’ACF. Cet axiome initial est cependant battu en brèche par la reconnaissance que d’autres facteurs, outre les croyances partagées, influencent la formation et le maintien des coalitions : interdépendances imposées (naturelles ou légales/institutionnelles ; Zafonte, Sabatier 1998) ;

14 Les auteurs ont conscience de cette limitation. (Ingold 2011 : 452) note par exemple : « The disadvantage, however, of such a method combination [ACF et analyse structurelle de réseaux] is that researchers have to limit themselves to a case study level as studying actors’ preferences in-depth is a time- and resource-consuming procedure ». (soulignement ajouté). 15 « ACF is often applied in a rather loose way, often without adopting the methods, recommended by its main authors » op. cit. 16 La définition des « Policy core beliefs » est la suivante (Sabatier, Weible, 2014).: «[they] are bound by scope and topic to the policy subsystem and thus have territorial and topical components. Policy core beliefs can be normative and empirical. Normatively, policy core beliefs may reflect basic orientation and value priorities for the policy systems or whose welfare in the policy subsystem is of utmost concern. Empirically, policy core beliefs include overall assessments of the seriousness of the problem, its basic causes, and preferred solutions for addressing it (called policy core policy preferences) ». Les aspects secondaires (« secondary aspects ») ont trait aux moyens à mettre en œuvre (« instrumental means »), tandis que le « deep core » concerne l’ontologie et les valeurs fondamentales non spécifiques à un sous-système . 17 La politique publique (du logement) est conçue par Bourdieu comme « l’objectivation provisoire d'un état du rapport de force structurel entre les différents agents ou institutions intéressés qui agissent en vue de conserver ou de transformer le statu quo ». Les divisions observées concernent autant les mesures de politiques publiques que la nature du problème posé (saisi dans une optique budgétaire et de rationalisation (réduction) des coûts pour l’Etat ; ou au prisme d’une politique sociale d’accès à l’habitat collectif.). Voir également Dubois 2014. 18 Cf. Bergeron et al. 1998, p. 207 «L’ un des problèmes méthodologiques auxquels Sabatier s'est heurté, est celui de l'identification précise des individus ou des organisations pouvant être considérés comme faisant partie de telle ou telle coalition ». Ce questionnement s’articule avec celui sur les critères de découpages d’un sous-système et l’ajout d’hypothèses de la part des auteurs sur les membres « réguliers » et « occasionnels » (« regular » ; « periodic ») face à des sous-systèmes en chevauchement (Sabatier, Jenkins 1999 : 135-137) .

Page 11: LES COALITIONS D’ACTEURS AU PRISME D’UNE APPROCHE … · 2017-06-20 · Wildavsky 1973) les premières formulations de ce résultat dans le domaine des politiques ... mortalité

11

perception des ressources et de l’influences d’autres acteurs ; intérêts et confiance ; opposition commune, malgré les différences, à un camp adverse, etc. Cette pluralité de pistes pointe vers une variété des principes de cohésion, face auxquels il n’est pas nécessaire de trancher. Par contre, cela rend d’autant plus utile un outil rudimentaire permettant de classer des acteurs loacux en grands agrégats, qu’ils soient tenus par des liens forts ou faibles.

Le souci de représentativité dans la sélection des cas conduit également à intégrer des situations ordinaires, à faible conflictualité en parallèle avec des terrains plus souvent explorés dans la littérature - mais de fréquence plus rare - où existent des conflits avérés et une cristallisation des oppositions19. La prépondérance dans le monde réel de situations de non mobilisation et d’absence de conflit a été en effet soulignée dans des travaux récents sur les mobilisations locales (Mcadam, Boudet 2012). Ces auteurs remettent en cause une forme de biais de sélection dans la plupart des monographies qui se concentrent sur des zones conflictuelles les plus visibles, alors que la situation prédominante est à l’inverse. Plusieurs cas identifiés dans notre recherche concernent de même des jeux d’acteurs formés autour d’un enjeu émergent (pollution d’un captage, révélation d’une nuisance industrielle, etc.) à l’origine d’échanges à bas-bruit. De ce fait, un des critères parfois évoqués au fondement de coalitions n’est pas toujours présent : l’opposition entre camps adverses et son enracinement dans le temps. Les phénomènes de « devil shift » (« diabolisation ») conceptualisés par Sabatier et ses collègues ne s’observent pas systématiquement en l’absence de structuration des situations locales en « camps » opposés. Certaines configurations observées se rapprochent de ce point de vue de sous-système (et des coalitions associées) à l’état naissant (nascent subsystems) identifiées par le modèle ACF avec l’émergence au niveau régional ou local d’un enjeu déjà couvert nationalement mais encore non structurant à cet échelon. C’est le cas par exemple des différentes activations locales de la politique de protection des captages avant et dans le sillage du dispositif inauguré par le Grenelle de l’environnement (2009). Ces cas doivent pourtant être pris en compte autant que les lieux où la vivacité de la controverse et des échanges a durci les antagonismes et les identités collectives. Nous adoptons de ce fait une définition incluant la possibilité de coalitions à faible degré (voire à degré nul) de mobilisation, correspondant à des agrégats d’acteurs ne disposant pas d’une temporalité longue (moins d’une décennie). Celles-ci viennent compléter des situations davantage politisées, plus conformes aux attentes du modèle ACF, qui font aussi partie de notre échantillon.

Ressources propres et ressources contextuelles

La question des ressources mobilisées par les coalitions occupe une place centrale dans la réflexion sur le changement de politique telle que conduite par les chercheurs du courant ACF. La liste de ces ressources, leur hiérarchisation en termes d’impact, leur redistribution en fonction d’événements externes aux sous-systèmes et leur contribution au changement ou au statu quo font partie des interrogations récurrentes de la littérature (Nohrstedt & Weible, 2010 ; Weible, et al 2011 : 357). Les éléments de réponse apportés sont cependant encore peu nombreux, comme en témoigne le fait qu’une seule enquête examinant empiriquement le rôle

19 Ou encore de situations de coopération active entre acteurs mobilisés autour d’une cause commune, tels les « collaborative partnerships » ou « watersheds partnerships » étudiés notamment par les promoteurs de l’approche ACF (P. Sabatier, M. Lubbel, C. Weible). Mais, comme les zones de conflits, ces configurations restent numériquement peu fréquentes.

Page 12: LES COALITIONS D’ACTEURS AU PRISME D’UNE APPROCHE … · 2017-06-20 · Wildavsky 1973) les premières formulations de ce résultat dans le domaine des politiques ... mortalité

12

d’une seule de ces ressources (le niveau de connaissances et compétences des acteurs « policy capacity ») soit citée par les promoteurs du modèle (Elgin et Weible 2013)20.

Le design comparatif de notre enquête nous permet par contre d’analyser le rôle simultané de différentes ressources efficientes dans une situation (Sabatier et Weible 2007) mais à la condition, comme on l’a noté, de les distinguer. On est alors en mesure d’aborder ces ressources dans leurs rapports réciproques au sein de configurations de conditions agissant in fine sur l’action publique. Notre approche des coalitions procède d’une analyse relationnelle (ce sont les attributs de prédominance qui importent) mais, elle est également configurationnelle, au sens où nous considérons que l’influence d’une coalition sur le processus d’action publique résulte d’une combinaison entre son degré de prédominance et d’autres conditions favorables ou défavorables. En d’autres termes, le différentiel de ressources relationnelles assimilables à du capital social (extension et coordination) d’une coalition n’est pas explicatif à lui seul d’un résultat d’action publique. Il peut déboucher sur des effets différents selon les orientations prises par d’autres conditions. Tout l’enjeu de la démarche QCA consiste justement à produire un modèle explicatif fondé sur ces jeux de combinaisons, en explicitant les « chemins » par lesquels un processus politique aboutit à tel ou tel résultat d’action publique, sans préjuger de causalité mécanique entre la présence d’une condition et un résultat particulier.

Le choix de ces ressources prises en compte dans l’analyse a été opéré au croisement d’hypothèses théoriques issues de la littérature et d’une démarche inductive à partir de la connaissance des terrains accumulée antérieurement et au cours de l’enquête. Nous allons développer ces différentes formes de ressources en distinguant celles qui peuvent être rattachées directement à une coalition (capital social) et fondent la prédominance d’un réseau d’acteur et celles qui relèvent du contexte d’intervention, fonctionnant comme une série d’appuis et d’atouts de la situation locale, dont tirent profit les coalitions en présence.

La première ressource identifiée correspond au capital social des membres des coalitions, un atout qui est apparu comme crucial dans l’ensemble de nos cas. Dans une acception de ce terme reprise à P. Bourdieu et centrée sur les connexions et les interconnaissances mobilisables21 (voir ci-dessus), nous proposons de mesurer cette variable en évaluant l’extension d’une coalition à la fois dans sa dimension horizontale (dans un territoire) et vertical (entre niveaux de gouvernement). Nous faisons l’hypothèse que plus une coalition comporte de membres dans divers univers sociaux et niveaux territoriaux ou de gouvernement, plus elle aura de possibilités d’influencer l’action publique. La mesure qualitative de cette étendue consiste alors à identifier la présence de connexions entre associations (ONG de protection ; autres) ; État et agences (dont Parquet) ; acteurs économiques ; acteurs de l’expertise ; pouvoir local (élus) ; presse. L’ensemble des cas étudiés montre effectivement une gamme d’extensions : de la coalition simple entre deux acteurs, généralement État et acteur économique à un niveau territorial, à l’image de l’interaction étroite entre une industrie et un service de l’environnement industriel qui s’apparente parfois à une capture bureaucratique ; jusqu’à des coalitions larges lorsqu’il y a une forte mobilisation sociale, incluant des journalistes, des experts et des ministères nationaux, etc. Nous revenons dans la partie suivante sur comment opérationnaliser la collecte et le traitement des données sur cette variable.

20 D’autres chercheurs cependant s’efforcent de mesurer l’importance de ces ressources, non sans parfois déboucher sur des résultats attendus (comme le caractère prépondérant des ressources d’autorité légale, c’est-à-dire du pouvoir d’Etat, pour expliquer la prédominance d’une coalition…). 21 « Le volume du capital social que possède un agent particulier dépend donc de l'étendue du réseau des liaisons qu'il peut effectivement mobiliser et du volume du capital (économique, culturel ou symbolique) possédé en propre par chacun de ceux auxquels il est lié. » (Bourdieu, 1980, op.cit. (soulignement ajouté)

Page 13: LES COALITIONS D’ACTEURS AU PRISME D’UNE APPROCHE … · 2017-06-20 · Wildavsky 1973) les premières formulations de ce résultat dans le domaine des politiques ... mortalité

13

La deuxième ressource que nous intégrons dans notre modèle d’analyse concerne la pression civique propre à un territoire et dont bénéficient les coalitions pro-environnementales ou pro-milieux. Cette ressource renvoie pour partie à ce que l’inventaire des ressources établies par Sabatier et Weible nomme « opinion publique » et « soutiens mobilisables ». Elle inclut cependant d’autres indicateurs qui reposent sur des constats de la littérature relatifs à la fois aux mobilisations citoyennes (McAdam et Boudet 2012), au rôle des médias dans la construction des problèmes publics et leur reconnaissance dans l’espace public, enfin aux effets des mobilisations dans l’ordre judiciaire. On mesure donc une série de variables renvoyant à ces phénomènes : degré de couverture médiatique du problème et circulation des constats expertise mettant en lumière la publicisation d’un problème localisé ; existence d’une capacité civique et d’une mobilisation locale, mesurée par divers indicateurs corrélés (niveau de diplôme, densité du tissu associatif, etc.) et la présence de mobilisations antérieures ; enfin usage ou non de la voie judiciaire (civile/pénale etc.) dans le dossier.

Ce choix de rassembler plusieurs indicateurs tente de répondre aux limites d’une évaluation plus restreinte de cette pression, mesurée à l’aune de la seule structuration territoriale du milieu associatif ou de mobilisations antérieures (voir par exemple Mcadam et Boudet, 2012). Ces variables sont apparues en effet comme peu structurantes sur l’ensemble des terrains, gênant la comparaison. Nous les avons donc associés à d’autres composantes permettant de saisir un ensemble plus vaste de phénomènes pesant sur l’orientation des politiques. Cette série d’indicateurs cumulés tend alors à fournir un descriptif assez fidèle des pressions exercées.

Leur articulation se justifie aussi par des interactions fortes entre elles. Ainsi, la médiatisation des pollutions est très liée à la question associative. La présence du secteur associatif accroît fortement les chances d’intéresser les journalistes à la pollution. Comme certains travaux l’ont souligné l’espace journalistique constitue un espace stratégique pour peser sur le jeu politique. Dès lors les associations investissent l’espace médiatique en devenant des sources d’information des journalistes avec une visée stratégique. Pour saisir ces différents types d’usages, une simple mesure chiffrée du nombre d’occurrences dans les médias n’a pas beaucoup de sens car tous les organes de presse ne se valent pas. Certains titres sont, de fait, plus prescripteurs que d’autres. Un simple article dans la presse nationale, type Le Monde ou le Canard enchaîné (les titres du pôle culturel par opposition au pôle commercial), a, de manière prévisible, plus d’effets politiques que s’il est publié dans la presse quotidienne régionale. Là encore, c’est la pression médiatique perçue au sein du jeu d’acteur qui a retenu notre attention et non le seul volume d’occurrences. Ce choix se justifie dans la perspective globale d’une réduction de l’effort de collecte par cas : si l’on admet que l’importance du traitement médiatique dépend de la surface/durée des articles/sujets, ceci supposerait de tenir compte du positionnement dans le journal (la « une » ou le ventre mou du journal, l’ouverture ou la fin du journal télévisé, etc.), des services en charge de cette actualité, du prestige des journalistes, etc. conduisant à un alourdissement important de l’enquête.

La troisième ressource intégrée au modèle concerne le poids socio-économique perçu du pollueur. Nous faisons l’hypothèse qu’une entreprise polluante mettant en avant le risque de perte d’emplois et/ou de production de richesse peut exercer un pouvoir d’influence conséquent dans le champ local (Grant et al 2010). Les décideurs étatiques locaux (préfets) tendent à être sensibles à ce type d’argumentaire économique, du fait qu’ils accordent un caractère généralement prioritaire aux objectifs de croissance et d’emploi, mais aussi les élus locaux, soumis à des échéances électorales.

Si le volume brut de moyens financiers a pu être mentionné dans les listes des ressources évoquées des coalitions, cet indicateur n’a cependant pas été retenu ici, pas plus que le volume brut de capital économique ou le nombre d’emplois. Dans le cas du secteur agricole, le

Page 14: LES COALITIONS D’ACTEURS AU PRISME D’UNE APPROCHE … · 2017-06-20 · Wildavsky 1973) les premières formulations de ce résultat dans le domaine des politiques ... mortalité

14

« chantage à l’emploi » et l’invocation de la taille de l’entreprise sont, sur nos sites d’étude, des occurrences rares. En dehors de la situation d’une fédération des maraîchers représentant près de 4000 emplois au niveau départemental, tous les autres cas de pollution agricole ne présentent pas d’enjeu d’employabilité fort sur les territoires étudiés. À quelques exceptions près, les aires de protection des captages d’eau potable sont peu étendues et impliquent un nombre réduit d’exploitations de faible taille. Néanmoins, la profession agricole détient un fort pouvoir social, tout à la fois lié à la présence de nombreux agriculteurs dans les équipes municipales et à un pouvoir de nuisance associé à des mobilisations efficaces (défilés de tracteurs, déversement de lisiers devant les préfectures, etc.).

Il en va peu ou prou de même en matière de pollution industrielle, dans la mesure où le poids socio-économique ne semble pas systématiquement corrélé au nombre d’emplois en jeu mais à d’autres facteurs davantage liés à l’ancienneté du rapport au territoire ou encore au caractère plus ou moins prestigieux de l’activité. C’est par exemple le cas d’un site SEVESO toulousain (société Herakles, filiale du groupe Safran, produisant du carburant pour fusées, dont le lanceur Ariane). Si le nombre de salariés reste faible (80 emplois) le prestige national d’un fleuron industriel français exerce des effets jusqu’au niveau local (tel le soutien prolongé des services de l’environnement industriel). Par ailleurs, des anticipations d’effets domino - une action locale menaçant d’autres activités ou usines du groupe - amplifient les seuls enjeux locaux mobilisables dans les échanges avec les pouvoirs publics. Dans le même sens, un groupe minier spécialisé dans l’extraction du zinc (Umicore à Viviez) n’emploie qu’un nombre limité de salariés (200) en comparaison des milliers antérieurement concernés à l’époque de son activité maximale et devrait donc voir son influence décliner. Néanmoins cette industrie jouit encore d’un pouvoir social manifeste (absence de mobilisation citoyenne contre l’usine) du fait de son ancienneté sur le territoire, avoisinant les 150 ans, et de son rôle dans l’établissement et le développement de la ville, bâtie historiquement autour de et pour l’usine.

Ces réalités qualitatives cruciales échappent au seul comptage des emplois et à d’autres approximations quantitatives. Pour résoudre cette difficulté méthodologique, nous avons alors retenu systématiquement le poids socio-économique perçu par les autorités publiques (pour une application de cette méthode, voir notamment Ingold, 2011). Ce type d’évaluation réputationnel, croisé par différentes sources, permet de capturer de façon qualitative la variété des expressions de ce type d’influence. Comme pour d’autres indicateurs, la méthodologie QCA incite à assurer la traçabilité de ces évaluations en documentant dans chaque cas les données sur lesquelles s’appuie l’estimation « à dire d’expert » du chercheur et à opérer des jugements croisés pour réduire autant que possible la part subjective.

Nous aborderons plus rapidement les trois autres éléments de contexte retenus comme pouvant faire office de ressources pour les coalitions en présence. L’une d’entre elles constitue le pendant de l’évaluation du poids économique du pollueur et tente de mesurer la valeur patrimoniale attachée au milieu naturel et à la ressource aquatique touchée. Cette condition vise à évaluer les enjeux et intérêts économiques associés à la préservation d’un capital naturel, de l’aménité du lieu à l’usage d’une ressource raréfiée. L’hypothèse est ici que les contextes territoriaux se distinguent aussi par les caractéristiques biophysiques du milieu et des usages qui en sont faits (opposition par exemple entre une rivière de grande qualité écologique source d’usages multiples, pour certains monétisés et un milieu dégradé anciennement et dont les usages sont restreints, voire monopolisés par le pollueur). Nous avons mesuré cette réalité par différents indicateurs (données de l’inventaire administratif d’état des cours d’eau, catégorie piscicole du milieu, nombre de nuitées d’hôtels et taux de résidence secondaires dans le territoire avoisinant, ciblant des usages touristiques ou d’aménité).

Page 15: LES COALITIONS D’ACTEURS AU PRISME D’UNE APPROCHE … · 2017-06-20 · Wildavsky 1973) les premières formulations de ce résultat dans le domaine des politiques ... mortalité

15

Une autre condition est relative au degré d’incertitude attaché aux expertises réalisées et l’état des controverses sur la nature, les responsabilités et la dangerosité des pollutions toxiques visées. L’hypothèse faite dans ce cas est que plus la controverse est grande sur ces sujets, moins les ressources d’expertises sont disponibles à l’appui d’une coalition pro-environnementale.

Enfin, nous avons retenu une caractérisation socio-économique globale (niveau de revenu médian) des populations concernées, dans l’idée de vérifier les hypothèses de distribution inégalitaire des sources de pollutions au détriment des espaces les plus défavorisés, et inversement d’accroissement des exigences vis-à-vis de la réponse publique dans les cas de populations disposant d’un haut niveau de revenu.

L’absence dans cette liste d’autres types de ressources signalés par le modèle ACF ne signifie pas leur inexistence sur nos terrains. Mais l’usage de la QCA oblige à limiter le nombre de variables à considérer et à sélectionner celles qui sont les plus déterminantes, ceci sur la base de la connaissance des réalités observées. Cette même approche fine des terrains nous permettra, une fois l’analyse QCA élaborée, de compléter éventuellement cette liste par d’autres éléments du cadre contextuel, pouvant expliquer des contradictions apparentes dans les résultats de l’analyse.

Comment enquêter sur les coalitions ? Pistes et difficultés de l’opérationnalisation

Identifier des agrégats d’acteurs sur la base de leurs prises de positions

À partir de la définition retenue des coalitions, leur repérage empirique est basé sur le relevé des prises de positions similaires parmi les acteurs interrogés, relativement aux problèmes et aux options de politiques publiques locaux. Le premier élément recueilli par l’étude de terrain porte ainsi sur les opinions des acteurs du domaine quant à l’identification du problème à traiter et aux modalités d’action à privilégier. Ce premier critère, permettant de tracer les contours des coalitions, est déduit de l’étude de documents (archives administratives, articles de presse) et des entretiens portant sur principalement : le type de politiques et de dispositifs d’intervention considérés les plus adéquats pour le problème donné ; les acteurs avec lesquels il y a collaboration de façon privilégiée pour influencer la mise en place d’une mesure de politique publique ; le type de coordination existante.

De préférence à un dispositif de passation de questionnaires, on a choisi une stratégie qualitative et interactive de recueil de données, qui a consisté à demander aux acteurs de reconstituer le récit chronologique du problème et de sa prise en charge locale. Passer par ce type de récit qualitatif, multiplié par le nombre d’acteurs, permet de recouper les informations pour réduire les biais potentiels ; d’acquérir une familiarité avec le terrain et de créer des liens avec certains intervenants, de sorte à obtenir des informations plus détaillées sur la dynamique des coalitions mais aussi sur le contexte d’action ; de dépasser les problèmes connus d’interprétation des questions faites par les enquêtés et d’autres biais propres à cette méthode (erreurs d’attention lors du remplissage etc.). Procéder ainsi au travers d’entretiens, visites de terrain et autres méthodes qualitatives permet également de bâtir des relations de confiance avec des informateurs privilégiés (par exemple, fonctionnaires locaux des agences de l’eau) ce qui améliore grandement les chances d’accéder à certaines informations mais aussi à certains enquêtés réticents à participer à l’enquête.

Page 16: LES COALITIONS D’ACTEURS AU PRISME D’UNE APPROCHE … · 2017-06-20 · Wildavsky 1973) les premières formulations de ce résultat dans le domaine des politiques ... mortalité

16

Les principales options (policy core beliefs) autour desquelles se structure le champ des prises de positions locales sont relativement limitées dans les domaines sectoriels considérés et s’organisent généralement autour des trois axes suivants : développer des politiques qui visent la cause directe des pollutions par une action contraignante ou fortement incitative (i. e. un changement des pratiques agricoles et industrielles, des actions préventives) ; développer des politiques dites de « bout du tuyau » (financement et mise en place de dispositifs techniques curatifs ne modifiant pas le problème originel mais le contournant) ; absence d’intervention au nom du caractère non prioritaire ou mineur du problème. Le positionnement des interviewés est testé à partir d’énoncés issus du terrain ou de synthèses d’expertise établissant le problème sous la forme, « si je vous soumets cette phrase, diriez vous qu’elle est… ». Contrairement au modèle de l’ACF distinguant les instruments et les valeurs (cf. plus haut), l’interrogation porte ici sur les dispositifs considérés comme porteurs en eux-mêmes de valeurs et de choix politiques (Lascoumes, Le Galès 2005).

Une approche relationnelle du pouvoir

L’analyse des coalitions mise en œuvre dans cette étude part de l’hypothèse selon laquelle les champs politico-administratifs sont des espaces relationnels dans lesquels des groupes d’acteurs s’opposent autour d’options politiques divergentes. Dans cette perspective, c’est moins la présence ou non d’une coalition qui est décisive dans un processus d’action publique que le degré de prédominance de l’une d’entre-elles.

Cette approche relationnelle des coalitions oriente la démarche de recherche. Elle implique de reconstituer l’état des rapports de force en termes de capital social entre divers réseaux d’acteurs. La description des coalitions en présence reste le premier pas de l’analyse, mais elle doit être complétée du calcul d’un différentiel d’influence entre (au moins) deux coalitions porteuses d’options alternatives. Quels critères retenir pour objectiver pour chaque coalition le niveau de capital social ?

Comme noté, dans le cadre comparatif adopté (20 terrains) l’exigence de faisabilité impose de se limiter à un jeu d’indicateurs simples et standardisés, applicables à chaque coalition, mais néanmoins représentatifs de leurs niveaux de ressources sociales. Trois paramètres facilement observables ont ainsi été retenus : l’extension horizontale de la coalition, son extension verticale et le degré de cohésion d’une coalition.

L’extension horizontale désigne la capacité de la coalition à intégrer dans sa composition des catégories d’acteurs diversifiés. Comme le suggèrent les analyses centrées sur les coalitions, ces dernières sont constituées d’une variété d’acteurs qui s’étendent au-delà du « triangle de fer » (iron triangle) de la science politique classique, associant pouvoir politique central, pouvoirs locaux (dont les groupes d’intérêts) et bureaucratie22. Nous rappelons les six catégories d’acteurs que nous avons retenues : associations et ONG ; État et agences de l’État (dont les organes judiciaires) ; acteurs économiques ; acteurs de l’expertise ; pouvoir local (élus) ; presse. Nous postulons que l’ampleur de cette extension horizontale est un multiplicateur de ressources (de légitimité, d’information, relationnelles, économiques, d’expertise) qui joue en faveur de la capacité d’influence d’une coalition. Plusieurs recherches appuient cette hypothèse. Sandström et Carlsson, notamment, observent que « le degré d’hétérogénéité d’un réseau d’action publique (c’est-à-dire la diversité des acteurs et leur capacité à développer des interactions transsectorielles) a un impact sur son influence » (2008 :

22 Pour une application du modèle du Iron triangle au domaine de l’eau aux Etats-Unis, voir par exemple (McCool 1994)

Page 17: LES COALITIONS D’ACTEURS AU PRISME D’UNE APPROCHE … · 2017-06-20 · Wildavsky 1973) les premières formulations de ce résultat dans le domaine des politiques ... mortalité

17

516, notre traduction). Cette diversité augmenterait en particulier la capacité du réseau à mobiliser des ressources.

L’extension verticale désigne la capacité de la coalition à couvrir plusieurs niveaux d’action publique, partant du local vers le national, voire supra-national (européen, international). Le postulat est ici que les connexions établies entre acteurs de plusieurs niveaux donnent à une coalition des ressources spécifiques, différentes de celles à base locale : autorité légale issue de l’appui d’acteurs législateurs ou réglementaires nationaux ; accès à des ressources mutualisées à un niveau supra local (en personnels ou militants mobilisés ; ou économiques, en budget) ; crédibilité scientifique grâce à l’appui d’organismes d’expertise nationaux ou internationaux, labellisés par l’État ou des autorités supra-nationales etc.

Cette hypothèse est soutenue par certaines approches classiques des coalitions d’acteurs, telle l’ACF, dont les promoteurs soulignent que « la plupart des sous-systèmes d’action publique, de même que les coalitions qui les animent, comptent des acteurs issus de multiples niveaux de gouvernement » (Sabatier et Jenkins- Smith 1993 : 215 – notre traduction). Les auteurs cités remarquent par ailleurs que cela peut-être une stratégie des coalitions minoritaires que d’enrôler des acteurs de niveau supérieur pour faire avancer leur cause (op. cit : 217), ce qui soutient également le postulat d’une plus grande efficacité de la coalition à mesure que son extension verticale s’accroît (pour une étude spécifique supportant ce constat : Sabatier et Brasher 1993).

En France le problème de pollution par les nitrates dit des « algues vertes » (Bretagne), ou de certaines pollutions industrielles comme celle dite des « Boues Rouges » (Bouches-du-Rhône) rappellent cette configuration, avec une implication des échelons national et européen. Dans les faits on observe cependant souvent des situations hybrides avec des modes d’extensions différenciés dans les dimensions verticales et horizontales : les médias locaux et nationaux peuvent, par exemple, être mobilisés sans que pour autant on observe de connexion entre acteurs locaux et nationaux dans la sphère étatique ou dans le champ des experts.

Enfin, le dernier paramètre que nous proposons de prendre en compte est le degré d’intégration de la coalition défendant une option de politique publique : sans coordination particulière, les acteurs concernés peuvent ne se retrouver qu’autour d’une position commune, sur la base de préférences convergentes. À un degré supérieur, ils peuvent interagir dans des lieux et occasions qui assurent une intégration au moins cognitive. Au plus haut degré d’intégration, ils peuvent enfin se coordonner formellement, élaborer des argumentaires, s’associer pour agir ensemble (communiqués, mise en commun de moyens etc.) On considère que la capacité d’action et d’influence de chaque coalition variera selon ce degré d’interconnaissance et de coordination des acteurs qui y participent. Le chercheur s’efforce de traduire ce paramètre en le déduisant de ses observations (questions posées aux intéressés au cours des entretiens, comptes rendus publics de réunions, traces laissées dans les archives à propos d’actions communes ou concertées…).

On retrouve ici globalement des critères établis par Zafonte et Sabatier (1998 : 480) distinguant deux formes de coordination entre alliés à l’intérieur des coalitions, permettant de ne pas restreindre celle-ci à ce qu’ils nomment une « coordination forte », fondée sur la mise en place commune d’un plan d’action, sa diffusion et sa mise en œuvre par les parties. D’autres formes moins intenses et moins planifiées ou orchestrées peuvent exister et sont souvent les plus fréquentes entre membres d’une coalition de cause (coordination faible). Elles sont basées sur la connaissance des actions et stratégies des autres acteurs et l’adaptation du comportement de chacun afin d’atteindre des buts communs, au travers par exemple d’une délégation réciproque (selon les sujets) ou univoque à un chef de file le mieux doté (« follow the leader »).

Page 18: LES COALITIONS D’ACTEURS AU PRISME D’UNE APPROCHE … · 2017-06-20 · Wildavsky 1973) les premières formulations de ce résultat dans le domaine des politiques ... mortalité

18

Ces trois indicateurs décrivent la capacité propre d’une coalition à mobiliser des soutiens, à activer un réseau, des contacts, des connexions, des interconnaissances23. Pour les raisons déjà citées d’économie de moyen et d’opérationnalisation d’un cadre comparatif large, la démarche ne peut chercher à mesurer des ressources spécifiques acteur par acteur (telles que le niveau de diplôme, la position hiérarchique, la technicité propre, la trajectoire, l’influence économique …) comme le ferait une analyse de réseaux ou de type ACF. Il paraît suffisant, cependant, d’inférer l’accumulation de ces caractéristiques à partir des données de structure de réseau décrites ci-dessus.

Calculer un indice de prédominance

La seconde étape du raisonnement consiste à calculer un différentiel entre ces capacités d’activation de soutiens entre deux coalitions. Nous ne détaillerons pas ici la méthode de codage, mais il est à retenir que celle-ci aboutit à une valeur chiffrée qui positionne chaque cas au sein d’une échelle de prédominance comportant trois niveaux (faible, moyenne, forte).

Des situations atypiques ont été observées sur le terrain, posant parfois des problèmes méthodologiques sur lesquels nous proposons de nous arrêter. Un premier cas de figure est celui où il n’existe qu’une seule coalition, dont les options de politique publique ne sont pas réellement mises en concurrence avec une ou plusieurs alternatives. Est-il pertinent d’envisager malgré tout cette situation sous l’angle relationnel ? Et dans ce cas par rapport à quoi définir une prédominance ? Aborder ce type de situation sous l’angle de l’ACF a la vertu de mettre l’accent sur la façon dont s’organise la prédominance de ce réseau d’acteurs, sur les croyances qu’ils ont en partage, sur leurs modes de coordination – autant d’enjeux qui tendent à rester normalement de l’ordre de l’implicite du fait de l’absence d’alternatives (Sabatier et Jenkins-Smith : 225-226). En d’autres termes, reconstituer une coalition, même unique, permet de dénaturaliser le jeu d’acteur et les modes de production du consensus. L’exercice pousse le chercheur à envisager les alternatives théoriquement envisageables et à s’interroger sur les causes de leur absence.

D’autre part, ce n’est pas parce qu’une coalition minoritaire n’est pas observable facilement qu’elle n’est pas en germe dans l’espace social, ni qu’il n’y a pas eu de tentatives passées (infructueuses) d’en constituer une. « Nous suspectons qu’il y a presque toujours une ou plusieurs coalitions minoritaires, quel que soit son degré d’impuissance à tel ou tel moment » écrivent les auteurs précités (Sabatier et Jenkins Smith, op. cit., p. 226. notre traduction). Il importe dès lors de rechercher ce qui pourrait constituer les bases d’une coalition et pourquoi la coalition non advenue ou « potentielle » qui lui permettrait de s’imposer se heurte à des obstacles (les facteurs de cet isolement). Dans la mesure où l’analyse des coalitions s’intéresse au changement, elle a tout intérêt à adopter une approche dynamique attentive au potentiel d’évolution du jeu d’acteurs, aussi établi et univoque puisse-t-il paraître.

Une deuxième difficulté dérive du fait que les acteurs n’expriment pas toujours des préférences nettes ou bien articulées en faveur de telle ou telle option de politique publique – faute parfois d’imaginer eux-mêmes qu’il existe des alternatives. Les agents de l’État, qui mobilisent des instruments et procédures souvent nationaux, peuvent mettre en avant leur simple rôle d’application, en masquant l’état de leurs préférences ou celles de leur service. Ces

23 Nous reprenons ici les termes utilisés par E. Neveu pour couvrir les principales significations données au capital social au sens que lui donne P. Bourdieu (par opposition notamment à d’autres théoriciens comme Putnam ou Coleman). Neveu Érik, « Les sciences sociales doivent-elles accumuler les capitaux ? A propos de Catherine Hakim, Erotic Capital, et de quelques marcottages intempestifs de la notion de capital », Revue française de science politique, 2013/2 Vol. 63, p. 337-358

Page 19: LES COALITIONS D’ACTEURS AU PRISME D’UNE APPROCHE … · 2017-06-20 · Wildavsky 1973) les premières formulations de ce résultat dans le domaine des politiques ... mortalité

19

préférences sont d’autant plus difficiles à distinguer dans le cas de problèmes relativement récents ou qui se déploient en l’absence de tout conflit (les conflits ouverts forcent les acteurs à clarifier et à exprimer leurs préférences). Cette situation a été régulièrement rencontrée dans la mesure où les enjeux de pollution des milieux aquatiques attirent généralement peu l’attention médiatique, à l’exception de « dossiers phares ». Les cercles où ils se déploient sont relativement techniques, confinés et composés d’acteurs de statuts homogènes. Cette particularité conforte la stratégie qui consiste, chaque fois que c’est possible, à traquer les éléments, même disparates, de ce qui pourrait constituer une option minoritaire. Une fois celle-ci dégagée, elle peut servir de produit de contraste pour mieux entrevoir ce qui fonde la cohérence de pensée d’une coalition dominante, même en situation de consensus.

Un exemple peut permettre d’illustrer cette démarche d’ensemble et la manière de résoudre ce problème de coalitions « discrètes ». La pollution toxique en cause touche la nappe phréatique alluviale de la rivière Adour à l’aval de Tarbes. L’eau potable prélevée dans cette nappe par un syndicat intercommunal d’approvisionnement présente depuis une vingtaine d’années de fort taux de nitrates, approchant en permanence la limite légale de 50 mg/l. Ce seuil a même été dépassé pendant plusieurs semaines en 2013, obligeant le syndicat à recommander la non-consommation de l’eau distribuée aux populations fragiles. Cette pollution est principalement due, selon plusieurs expertises convergentes, aux épandages d’azote réalisés par une vingtaine d’agriculteurs cultivateurs de maïs en amont du point de captage. Du fait de cette forte sensibilité à la pollution par les nitrates, le puits concerné a été classé « captage prioritaire » dès 2009, dans le cadre des dispositifs dits « Grenelle », ce qui a impliqué la mise en place de périmètres spécifiques de protection et l’initiation de mesures visant un retour durable aux normes sanitaires.

Cette situation a fait naître une coalition d’acteurs dominante réunie par plusieurs croyances et objectifs : l’azote agricole est bien la principale source de pollution, les pratiques agricoles doivent évoluer pour limiter sa présence dans les sols et dans l’eau, cette évolution doit être progressive et sur la base du volontariat. Cette coalition présente une extension horizontale moyenne (3 types d’acteurs pour 6 possibles). On y trouve les organes déconcentrés de l’État ou ses agences (ARS, DDT, Agence de l’eau), des élus locaux (syndicat d’eau potable), des agriculteurs et leur organisation corporatiste (chambres d’agriculture). Son extension verticale est faible (le niveau régional est seul concerné à travers l’Agence de l’eau). Son degré de coordination est en revanche élevé (participation de toutes les parties au comité de pilotage du programme territorial – PAT- nombreuses réunions d'information en préfecture, cofinancement des mesures proposées et discutées collectivement).

Face à cette coalition dominante, les alternatives peinent à émerger et encore davantage à se coaliser. La nature fortement consensuelle du traitement de ce problème de pollution tend même à masquer leur existence. L’étude attentive des archives et les entretiens permettent cependant de reconstituer des croyances et objectifs alternatifs, qui peuvent ou ont pu exister sur le territoire. Dans le cas présent, il y a deux types de visions alternatives, qui ont toutes deux échoué à se constituer en coalition d’acteurs. La première est la contestation de l’expertise quant à l’origine du problème (les nitrates agricoles épandus sur cette zone ne seraient pas la cause principale, en outre leur dangerosité ne serait pas avérée), une vision portée par certains agriculteurs mais qui s’exprime seulement mezzo voce. La seconde ne conteste pas l’expertise mais porte une vision plus radicale des mesures à mettre en œuvre, avec le souhait de convertir une large part des surfaces cultivées aux abords du captage aux méthodes biologiques. Cette option est portée principalement par une association de défense de l’environnement et n’a pas trouvé de relais parmi les autres acteurs, qui la jugent irréaliste. Ces deux croyances alternatives se trouvent donc en situation de minorité. Elles se révèlent d’autant moins influentes dans le processus d’action publique que les acteurs qui les portent, tout en restant parfois critiques ou

Page 20: LES COALITIONS D’ACTEURS AU PRISME D’UNE APPROCHE … · 2017-06-20 · Wildavsky 1973) les premières formulations de ce résultat dans le domaine des politiques ... mortalité

20

dubitatifs, ont exprimé leur adhésion globale aux voies d’action choisies sous l’influence de la coalition majoritaire. Dans ce cas d’étude, notre mesure du rapport entre coalitions nous conduit à considérer que la prédominance de l’option majoritaire est d’un degré relativement fort (score de 4 sur une échelle allant de 0 à 6 – voir tableau de codage en annexe 3).

Conclusion

Le modèle ACF et la conception des coalitions qu’il porte ont été conçus pour l’essentiel dans le cadre d’enquêtes monographiques et ont fait l’objet de peu transferts dans des dispositifs de recherche comparatifs. Nous avons proposé dans cette communication une méthode mixte associant une approche quali-comparative (QCA) et des éléments empruntés de l’ACF et adaptés pour cet usage, en particulier en offrant une vision révisée des coalitions. Ce cadre méthodologique a été appliqué au domaine des politiques de lutte contre les pollutions toxiques, caractérisées par leur inscription territoriale, la place des outils procéduraux dans les relations entre niveaux de gouvernement et le déplacement de la décision publique à l’échelon local.

Notre façon d’appréhender la notion de coalition répond aux contraintes de la comparaison entre des cas multiples saisis au niveau de sous-systèmes locaux. Elle a conduit à une série d’ajustements : une définition et une opérationnalisation simplifiées du concept ; une distinction entre les ressources exclusivement attachées aux membres des coalitions (capital social) et celles propres à la situation locale ; la prise en considération de coalitions affichant des degrés divers de consolidation et d’institutionnalisation dans des sous-systèmes à l’état naissant (nascent) ou cristallisé (mature).

Les apports de l’approche adoptée nous semblent de plusieurs ordres : elle répond à certains manques diagnostiqués dans la littérature ACF concernant le défaut d’études comparées et la caractérisation insuffisante (recension, typologie, hiérarchisation) des ressources expliquant le changement d’action publique ou le statu quo ; elle donne les moyens de mieux comprendre l’activation différentielle de politiques environnementales à partir d’un cadre méthodologique explicite, transposable et à l’origine d’hypothèses réfutables ; les premiers éléments recueillis montrent un effet différencié des ressources propres aux membres des coalitions et de celles du contexte dans la mise en place d’actions publiques en réponses aux pollutions toxiques24.

Bibliographie

Aubin D. (2007). L’eau en partage : activation des règles dans les rivalités d’usages en Belgique et en Suisse. Bruxelles : P.I.E. Peter Lang.

Bergeron, H., Surel, Y., & Valluy, J. (1998). L'Advocacy Coalition Framework. Une contribution au renouvellement des études de politiques publiques ?. Politix, 11(41), 195-223.

24 L’enquête empirique sur les 20 cas est en cours mais a déjà couvert plus de la moitié de l’échantillon à la date de rédaction de cette communication (juin 2017). La mise en œuvre de la QCA demande cependant que l’on dispose de l’ensemble des données (notamment pour la réalisation d’une « table de vérité ») avant de pouvoir analyser la combinaison des conditions explicatives et tester la validité des recettes causales les associant par hypothèse à une condition de résultat.

Page 21: LES COALITIONS D’ACTEURS AU PRISME D’UNE APPROCHE … · 2017-06-20 · Wildavsky 1973) les premières formulations de ce résultat dans le domaine des politiques ... mortalité

21

Bourdieu P., « Le capital social. Notes provisoires », Actes de la recherche en science sociales, vol.31, 1980, pp. 2-3.

Bourdieu P., 2000, « L’État et la construction du marché » et « Le champ des pouvoirs locaux », in Les structures sociales de l’économie, Paris, Seuil, pp. 113-180.

Bryant, Bunyan. 1995. Environmental Justice : Issues, Policies, and Solutions. Washington, DC : Island.

Cairney, Paul, « Paul A. Sabatier, « An Advocacy Coalition Framework of Policy Change and the Role of Policy-Oriented Learning Therein”. In : The Oxford Handbook of Classics in Public Policy and Administration, OUP Oxford, 2015.

De Meur, Gisèle, Rihoux, Benoît, Ragin, Charles, et al. L'analyse quali-quantitative comparée (AQQC-QCA) : approche, techniques et applications en science humaines. Academia-Bruylant, 2002.

Dubois, Vincent, 2014 « L'Etat, l'action publique et la sociologie des champs », Swiss Political Science Review, vol. 20, no 1, p. 25-30.

EEA, 2013, Late lessons from early warnings : science, precaution, innovation, EEA Report n° 1/2013, Copenhagen.

Emelianoff, Cyria, « La fabrique territoriale des inégalités environnementales », in Catherine Larrère (dir.), Les inégalités environnementales, Paris, PUF, 2017

Fischer, Manuel et Maggetti, Martino. Qualitative Comparative Analysis and the Study of Policy Processes. Journal of Comparative Policy Analysis : Research and Practice, 2016, p. 1-17.)

Fligstein, Neil et Mcadam, Doug. 2012, A theory of fields. Oxford University Press

Grant, D., Trautner, M. N., Downey, L., & Thiebaud, L. (2010). Bringing the polluters back in : environmental inequality and the organization of chemical production. American Sociological Review, 75(4), 479-504

Hawkins, K. (1984). Environment and enforcement : Regulation and the social definition of pollution. Oxford : Clarendon Press.

Hill, M., & Hupe, P. (2008). Implementing public policy : An introduction to the study of operational governance. SAGE.

Jenkins-Smith, H. C., & Sabatier, P. A. (1994). Evaluating the advocacy coalition framework. Journal of public policy, 14(02), 175-203.

Kagan, Robert, Dorothy Thornton and Neil Gunningham. 2003. "Explaining Corporate Environmental Performance : How Does Regulation Matter ?" Law and Society Review 37 :51-90.

Knoepfel P. (Ed), Environmental policy analyses : learning from the past for the future : 25 years of research, Berlin : Springer Verlag,

Lascoumes, P., & Le Bourhis, J. P. (1998). Le bien commun comme construit territorial. Identités d'action et procédures. Politix, 11(42), 37-66.

Page 22: LES COALITIONS D’ACTEURS AU PRISME D’UNE APPROCHE … · 2017-06-20 · Wildavsky 1973) les premières formulations de ce résultat dans le domaine des politiques ... mortalité

22

Lascoumes, Pierre et Le Galès, Patrick. « Introduction: L'action publique saisie par ses instruments ». In : Gouverner par les instruments. Presses de Sciences Po (PFNSP), 2005. p. 11-44.

Le Bourhis, Jean-Pierre, « Le gouvernement territorial de l’environnement », dans Lewis Nathalie, Barbier Rémi, et al., Manuel de sociologie de l’environnement, Presses universitaires de Laval, 2012, pages 215-223

McAdam, Doug, Boudet, Hilary, 2012, Putting Social Movements in their Place. Explaining Opposition to Energy Projects in the United States, 2000–2005, Cambridge Studies in Contentious Politics

McCool, Daniel (1994), Command of the Waters : iron triangles, federal water development and Indian water, University of Arizona Press, 1987.

Ogé, Frédéric, Pierre Simon, Sites pollués en France : Enquête sur un scandale sanitaire, J'ai lu, Librio Santé, 2004

Pressman, Jeffrey L., and Aaron B. Wildavsky. 1973. Implementation : how great expectations in Washington are dashed in Oakland : or, Why it's amazing that Federal programs work at all, this being a saga of the Economic Development Administration as told by two sympathetic observers who seek to build morals on a foundation of ruined hopes. Berkeley, Calif : University of California Press.

Rihoux, Benoît, & Ragin, C. C. (2009). Configurational comparative methods : Qualitative comparative analysis (QCA) and related techniques. SAGE.

Ryan, D. (2015). From commitment to action : a literature review on climate policy implementation at city level. Climatic Change, 131(4), 519-529

Sandström, Annica, and Lars Carlsson. 2008 "The performance of policy networks: the relation between network structure and network performance." Policy Studies Journal 36.4 : 497-524.

Sabatier Paul. A. & Mazmanian D. (1980). The implementation of public policy : A framework of analysis. Policy Studies Journal, vol. 8 (4), pp. 538--‐560.

Sabatier, Paul. A. (1987). Knowledge, policy-oriented learning, and policy change an advocacy coalition framework. Science Communication, 8(4), 649-692.

Sabatier, Paul. A. (1998). The advocacy coalition framework : revisions and relevance for Europe. Journal of European public policy, 5(1), 98-130.

Sabatier, Paul. A., Hank C Jenkins-smith, 1993 Policy change and learning : an advocacy coalition approach, Westview Press.

Sabatier, Paul. A., et Weible, C. M. (2016). The advocacy coalition framework : Innovations and clarifications. In : Sabatier, PA (ed.). Theories of the Policy Process, Second Edition, 189-217.

Sabatier Paul A. et Anne M. Brasher, « From Vague Consensus to Clearly Differentiated Coalitions : Environment Policy at Lake Tahoe 1964-1985” dans Paul A Sabatier et Hank C. Jenkins-Smith (eds.), Policy Change and Learning. An Advocacy Coalition Approach, Westview Press, 1993, p. 177-208.

Sabatier, Paul A. et Zafonte, Mathew. Are bureaucrats and scientists members of advocacy coalitions. An advocacy coalition lens on environmental policy. in Economic Research And

Page 23: LES COALITIONS D’ACTEURS AU PRISME D’UNE APPROCHE … · 2017-06-20 · Wildavsky 1973) les premières formulations de ce résultat dans le domaine des politiques ... mortalité

23

Policy Concerning Water Use And Watershed Management, 1999, p. 26, Cambridge, MA, 1999, p. 57-76.

Schiffers, M. (2014). Cooperative politics as an indirect pathway to the question of interest group influence. In Conference Paper, ECPR Graduate Student Conference

Weible, Christopher M., Heikkila, Tanya, Ingold, Karin, et al. (dir.). 2016, Policy Debates on Hydraulic Fracturing : Comparing Coalition Politics in North America and Europe. Springer.

Weible,Christopher M. Paul A. Sabatier, 2006, « A Guide to the Advocacy Coalition Framework » in F. Fischer et al, Handbook of public policy analysis: theory, politics,, CRC Press.

Zafonte, Matthew, Paul Sabatier, 1998 « Shared Beliefs and Imposed Interdependencies as Determinants of Ally Networks in Overlapping Subsystems », Journal of Theoretical Politics, Vol 10, Issue 4, pp. 473 - 505

Page 24: LES COALITIONS D’ACTEURS AU PRISME D’UNE APPROCHE … · 2017-06-20 · Wildavsky 1973) les premières formulations de ce résultat dans le domaine des politiques ... mortalité

24

Annexe 1 - Carte - Exemple de terrains sélectionnés pour les études de cas (n = 7 sur 20)

Page 25: LES COALITIONS D’ACTEURS AU PRISME D’UNE APPROCHE … · 2017-06-20 · Wildavsky 1973) les premières formulations de ce résultat dans le domaine des politiques ... mortalité

25

Annexe 2 - Tableau des conditions retenues pour l’analyse comparative

CONDITION DE RESULTAT

REG_PB/Type de régulation collective du problème identifié par l’expertise

Nature de la politique mise en place à terme (inexistante ou symbolique ; incitatif ou par accord volontaire faible ; régulatoire ou contraignante par intervention directe.

REG_TEMPS/Temps nécessaire à la mise en place d’une régulation du problème identifié

Durée entre le constat du problème (expertise initiale) et les mesures prises

CONDITIONS EXPLICATIVES

COAL_PRED/Coalition prédominante Degré de prédominance/faiblesse de la coalition pro-

ressources (sous le rapport du capital social ; mesure par extension du réseau d’acteur concerné (verticale/horizontale) et intégration-cohésion interne)

PRESS_CIV/ Pression civique

Pression civique (indicateurs multiples : 1. médiatisation du problème via son degré de couverture médiatique et la circulation des des constats expertise dans l’espace public). - 2. Existence d’une mobilisation locale et d’un tissu associatif actif - 3. Recours judiciaires ; existence d’une procédure juridique ; utilisation de la voie judiciaire (civile/pénale etc.)

VAL_PAT/Valeur patrimoniale

Valeur patrimoniale du milieu défendu (intérêts écologique, touristiques, etc.)

POIDS_ECO/Poids économique du pollueur

Poids économique du pollueur (tel que perçu par les décideurs publics locaux)

INCERT_EXPERT / Incertitude de l’expertise produite sur le problème

Degré d’incertitude sur l’expertise produite sur la dangerosité et sur l’attribution de responsabilité

PRO_SOCIO_ECO/Profil socio-économique du territoire

Composition de la population (sous le rapport du revenu)

Page 26: LES COALITIONS D’ACTEURS AU PRISME D’UNE APPROCHE … · 2017-06-20 · Wildavsky 1973) les premières formulations de ce résultat dans le domaine des politiques ... mortalité

26

Annexe 3 - Tableau de codage (condition « coalition prédominante »)