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1 Les Barrières à l’entrée : un retour aux origines 1 Olivier Maillard Directeur des Programmes Bachelor Groupe Sup de Co La Rochelle (France) [email protected] Résumé La position à l’égard des barrières à l’entrée a évolué depuis la fin des années 70. Certains éléments, considérés antérieurement comme à l’origine de barrières, apparaissent maintenant sous un jour plus favorable. Les travaux de von Weiszäcker (1980), Demsetz (1982) et Baumol, Panzar et Willig (1982) ne sont pas étrangers à ces évolutions en fournissant aux autorités chargées de favoriser la concurrence un certain nombre de critères normatifs à l’aune desquels juger une structure de marché. L’idéal concurrentiel reste toutefois celui de la concurrence pure et parfaite et la référence, celle de l’équilibre. Certains économistes, parmi lesquels les économistes de la tradition autrichienne, en appellent à revenir à la conception classique de la concurrence, qui tourne le dos à l’idée de structure et de statique (caractéristiques de la vision pure et parfaite de la concurrence) et met l’accent sur les comportements et la dynamique. Les seules barrières susceptibles d’être observées dans cet environnement sont les barrières légales. Les lois antitrust deviennent dès lors inutiles et seuls comptent la liberté d’entrée, les droits de propriété et le contrat. Summary The way we are analysing barriers to entry has changed in the early eighties under the influential writings of Von Weiszäcker (1980), Demsetz (1982) and Baumol, Panzar and Willig (1982). Their normative approach give the antitrust authority the opportunity to lead a policy guided by the promotion of efficiency. Perfect competition and equilibrium remain however the reference. Some economists, stemming essentially from the austrian tradition, are promoting the classical vision of competition, a dynamic and behavioural approach, unlike the structural and static view of the standard model. The only barriers in the classical world are legal. The antitrust laws are then useless and freedom of entry, property rights and contract are central features. 1 Certaines idées, exposées dans ce texte, ont été présentées au séminaire 3DI de l’Université Paris II Panthéon-Assas de même qu’au séminaire du Centre d’Analyse des Processus de Marché (CAPM) de l’Université Paris I, Paris II et Paris IX. Je remercie vivement les participants de ces séminaires et tout spécialement David Bounie et Alain Redslob pour leurs commentaires. Les formules d’usage s’appliquent bien entendu.

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Les Barrières à l’entrée : un retour aux origines1

Olivier Maillard Directeur des Programmes Bachelor

Groupe Sup de Co La Rochelle (France) [email protected]

Résumé La position à l’égard des barrières à l’entrée a évolué depuis la fin des années 70. Certains éléments, considérés antérieurement comme à l’origine de barrières, apparaissent maintenant sous un jour plus favorable. Les travaux de von Weiszäcker (1980), Demsetz (1982) et Baumol, Panzar et Willig (1982) ne sont pas étrangers à ces évolutions en fournissant aux autorités chargées de favoriser la concurrence un certain nombre de critères normatifs à l’aune desquels juger une structure de marché. L’idéal concurrentiel reste toutefois celui de la concurrence pure et parfaite et la référence, celle de l’équilibre. Certains économistes, parmi lesquels les économistes de la tradition autrichienne, en appellent à revenir à la conception classique de la concurrence, qui tourne le dos à l’idée de structure et de statique (caractéristiques de la vision pure et parfaite de la concurrence) et met l’accent sur les comportements et la dynamique. Les seules barrières susceptibles d’être observées dans cet environnement sont les barrières légales. Les lois antitrust deviennent dès lors inutiles et seuls comptent la liberté d’entrée, les droits de propriété et le contrat. Summary The way we are analysing barriers to entry has changed in the early eighties under the influential writings of Von Weiszäcker (1980), Demsetz (1982) and Baumol, Panzar and Willig (1982). Their normative approach give the antitrust authority the opportunity to lead a policy guided by the promotion of efficiency. Perfect competition and equilibrium remain however the reference. Some economists, stemming essentially from the austrian tradition, are promoting the classical vision of competition, a dynamic and behavioural approach, unlike the structural and static view of the standard model. The only barriers in the classical world are legal. The antitrust laws are then useless and freedom of entry, property rights and contract are central features.

1 Certaines idées, exposées dans ce texte, ont été présentées au séminaire 3DI de l’Université Paris II Panthéon-Assas de même qu’au séminaire du Centre d’Analyse des Processus de Marché (CAPM) de l’Université Paris I, Paris II et Paris IX. Je remercie vivement les participants de ces séminaires et tout spécialement David Bounie et Alain Redslob pour leurs commentaires. Les formules d’usage s’appliquent bien entendu.

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Introduction

L’une des prédictions les plus importantes de la théorie économique pose que

des profits anormalement élevés ne peuvent perdurer dans une industrie concurrentielle car leur présence attirera de nouvelles firmes. L’accroissement de la production qui suivra ramènera le prix au niveau concurrentiel, c’est-à-dire au minimum de la courbe de coût moyen. Le taux de profit réalisé par les firmes rejoindra alors un niveau normal, celui-la même qu’elles pourraient obtenir en affectant leurs ressources dans des projets alternatifs de risque équivalent.

La libre-entrée assure donc une allocation efficiente des ressources dans

l’économie. Si, contrairement aux implications de la théorie, la convergence des taux de profit n’est pas observée, trois explications peuvent être avancées : tout d’abord, les risques peuvent être significativement différents d’une industrie à l’autre ; ensuite, la convergence peut être lente, en raison de taux d’entrée/sortie particulièrement faibles, et, pour finir, l’absence de convergence peut révéler l’existence de barrières à l’entrée. Les deux premières objections peuvent être aisément contournées empiriquement en adoptant une démarche dynamique et en corrigeant les taux de rendement économique des différences de risque. C’est sur le dernier point, celui de l’existence de barrières à l’entrée, que se focalise toutes les oppositions. En effet, de nombreux désaccords existent sur la définition même des barrières à l’entrée, sur les sources de ces barrières et, partant, sur les implications de politique concurrentielle.

Les définitions traditionnelles des barrières à l’entrée mettent l’accent sur les

différences d’opportunités des firmes installées et des firmes candidates à l’entrée (I). Certaines objections formulées à leur encontre permettent de renouveler l’analyse des barrières à l’entrée et de l’action des autorités en charge de la concurrence (II). Les progrès en matière de compréhension des barrières à l’entrée sont non négligeables mais ils ont lieu dans un cadre théorique particulier, celui de la concurrence statique. Un retour à la vision classique de la concurrence, et à son expression contemporaine par les économistes autrichiens, permet d’améliorer la compréhension du phénomène concurrentiel et de ses entraves (III). L’évolution de la jurisprudence du Conseil de la Concurrence montre que ce dernier a intégré nombre d’avancées théoriques lui permettant de mieux fonder ses décisions mais n’a pas pris à son compte le paradigme autrichien (IV).

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I. Les définitions traditionnelles des barrières à l’entrée

On doit à Bain (1956) et Sylos-Labini (1957) d’avoir les premiers développé le concept de barrières à l’entrée et souligné le rôle crucial de la concurrence potentielle2. La portée de leurs travaux est double.

Bain et Sylos-Labini ont, tout d’abord, permis de dégager les facteurs

caractérisant les structures industrielles, et plus particulièrement les barrières à l’entrée. Ces barrières peuvent être qualifiées de naturelles dans la mesure où elles sont indépendantes de l’action des firmes installées. En effet, seules les conditions économiques prévalant dans certaines industries peuvent bloquer l’entrée d’une firme sur une marché.

Ils sont, ensuite, à l’origine de l’idée que certains comportements adoptés par

les firmes installées, telles que les stratégies de prix, de production, d’investissements, de recherche & développement, de promotion et de publicité, peuvent influencer les facteurs de structure et plus particulièrement l’accès des entrants potentiels. On parlera, dans ce cas, de barrières stratégiques et la structure de marché est endogénéisée3. Ces comportements stratégiques sont certes très pauvres chez Bain et Sylos-Labini, comme l’a souligné Modigliani (1958), reflétant sans doute la croyance que seuls les facteurs structurels sont réellement déterminants à long terme, mais ils marquent le début d’un ensemble de travaux qui cherchera à modéliser les réactions des firmes installées à la menace d’entrée grâce, notamment, aux apports de la théorie des jeux.

I.1. – Des divergences de conception en matière de barrières à l’entrée….. Bain (1956) donne la définition suivante des barrières à l’entrée : « Les barrières à l’entrée sont les avantages que détiennent les entreprises en

place dans une industrie sur les entrants potentiels, ces avantages se manifestant

2 La reconnaissance de la concurrence potentielle comme mécanisme de contrôle des comportements de certaines firmes en position d’exploiter un certain pouvoir de marché revient incontestablement à J.B. Clark (1902). Toutefois, les travaux de Bain et Sylos-Labini ont remis ce concept au cœur de l’étude des structures de marché. 3 Salop distingue les barrières à l’entrée « innocentes » des barrières à l’entrée « stratégiques » (Salop, 1979). Cette distinction est celle que nous retenons nous-mêmes, mais elle n’est pas sans poser problème. En effet, il apparaît difficile de bien séparer ce qui dans une certaine dépense relève d’une simple volonté de maximiser les profits en absence d’entrée et ce qui relève au contraire d’une volonté délibérée d’empêcher l’entrée. Dans le premier cas, la firme en place serait supérieure (en raison d’une technologie plus efficiente par exemple) et capable d’empêcher l’entrée comme un produit-joint de la maximisation du profit. Dès lors, l’entrée est entravée pour des raisons exogènes, relatives aux fonctions de coût et de demande. Dans le second cas, la firme installée est moins (ou autant) efficiente que la firme candidate à l’entrée mais elle dispose d’un avantage dû à des engagements de ressources antérieures.

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dans leur capacité à vendre au-dessus du prix concurrentiel, sans attirer de nouvelles firmes dans l’industrie » (Bain, 1956, p.3).

Sur un plan empirique, l’observation de profits anormalement élevés et

persistant est donc, pour Bain, le signe de la présence de barrières à l’entrée dans le secteur considéré, l’ampleur des profits constituant une mesure du niveau de ces barrières. C’est la définition usuelle des barrières à l’entrée.

La définition que donne Stigler (1968) des barrières à l’entrée, en mettant

l’accent sur l’existence d’une asymétrie dans les fonctions de coût entre les firmes installées et les nouveaux arrivants, semble coïncider, au premier abord, avec celle de Bain :

« Une barrière à l’entrée est un coût de production qui doit être supporté par

une firme voulant pénétrer un marché sans que celles en place aient à le faire » (Stigler, 1968, p.67)

Mais au-delà de cet accord apparent sur la définition des barrières à l’entrée,

chacun met l’accent sur les opportunités différentes auxquelles ont à faire face les firmes en place et les firmes candidates à l’entrée, des divergences existent.

Bain définit les barrières à l’entrée du point de vue de la firme installée.

L’évaluation de la barrière à l’entrée nécessite de comparer les profits de l’entreprise établie avant l’entrée et ceux de son rival après l’arrivée sur le marché, sachant que cette entrée peut susciter une réaction de la firme établie.

Stigler se place du point de vue des firmes postulantes. La présence de

barrières à l’entrée pour Stigler est décelée par la comparaison des profits de la firme installée avec ceux de la firme entrant potentiel, si celle-ci produisait la même quantité que la firme en place. Si la différence de profits est positive, en faveur de la firme installée, on a une mesure des avantages que possède cette dernière par rapport à la firme potentielle, c’est-à-dire une mesure des barrières à l’entrée. En d’autres termes, une barrière à l’entrée n’existera que si les deux firmes ne sont pas également efficientes, une fois pris en compte les coûts d’entrée.

Les deux définitions coïncident si aucune firme n’entre sur le marché, puisque

dans ce cas la barrière à l’entrée se réduit au profit de la firme en place. Par contre, si l’entrée est rendue simplement plus difficile, les deux définitions divergent. La définition de Bain indiquera une barrière à l’entrée plus «élevée » que celle de Stigler.

Les divergences de conception en matière de barrières à l’entrée entre Bain et

Stigler apparaissent encore plus clairement lorsque l’on s’intéresse aux sources de ces barrières.

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I.2. - …. Accentuées par des désaccords sur les sources de ces barrières Prenons l’exemple des économies d’échelle qui constituent pour Bain une

source importante de barrières à l’entrée. En effet, en présence d’économies d’échelle dans la production, la taille minimum efficiente peut représenter une part importante du marché. Les entrants potentiels, dans la mesure où ils sont souvent de taille modeste, connaissent alors un désavantage en terme de coûts de production et font face à un dilemme. D’un côté, s’ils choisissent un volume de production faible, le prix qui s’impose à eux après leur entrée est proche de celui observé avant l’entrée mais les coûts unitaires, en raison d’une échelle réduite, sont très élevés. D’un autre côté, si la taille des nouvelles firmes est importante, les coûts unitaires sont bas mais la production additionnelle aura pour effet de réduire le prix de marché et les profits de l’industrie. Dans les deux cas, les économies d’échelle découragent l’entrée4.

Pour Stigler, en revanche, il faut chercher une autre explication à l’absence (ou

à la difficulté) d’entrée sur le marché. Les économies d’échelle ne sauraient constituer une barrière à l’entrée car les entrants ont accès aux mêmes conditions de coût que les firmes installées5. Ils peuvent donc bénéficier des mêmes opportunités d’échelle que les firmes en place pour peu qu’ils atteignent la taille minimum efficiente. Le problème est en fait celui de la taille insuffisante du marché et non pas celui d’une quelconque barrière à l’entrée. Si nous définissons, comme le fait Stigler, une barrière comme un différentiel de coût défavorable aux entrants, celle-ci n’existe pas dans le cas étudié ci-dessus et le nombre de firmes installées est conjointement déterminé par les économies d’échelle et les conditions de la demande. L’absence d’entrée n’est que la conséquence d’un niveau trop faible de la demande, laquelle est insuffisante pour permettre aux firmes de produire une quantité comparable.

La seconde source de barrières à l’entrée identifiée par Bain, la plus

importante à ses yeux, est la différenciation des produits6. Lorsque les produits sont différenciés, l’élasticité prix croisée de la demande n’est pas infinie lorsque les prix sont égaux. Ainsi, une firme installée peut, si elle parvient à différencier son produit, fixer un prix au-dessus du coût marginal, sans qu’une firme candidate à l’entrée puisse détourner l’ensemble des consommateurs du bien proposé par la firme installée. A l’origine de cette différenciation selon Bain se trouve essentiellement la publicité mais aussi les caractéristiques du produit (durabilité, complexité et 4 Ce résultat est très sensible à ce que Modigliani appelle le « postulat de Sylos-Labini ». Ce postulat stipule que les candidats à l’entrée anticipent une absence de réaction des firmes installées, celles-ci maintenant leur production au niveau antérieur à l’entrée. Cette menace de la part des firmes installées peut ne pas être crédible dans la mesure où le profit qu’elles réalisent peut être inférieur dans ces circonstances à celui qu’elles pourraient obtenir en accommodant l’entrée, c’est-à-dire en baissant leur niveau de production. 5 La définition des barrières à l’entrée au sens de Stigler met l’accent sur le différentiel de coût actuel entre la firme installée et les firmes entrantes. Ainsi, un coût supporté au moment de l’entrée par les seules firmes entrantes est une barrière à l’entrée, même si la firme ou les firmes en place avai(en)t à le supporter au moment de leur entrée respective (McAfee, Mialon, and Williams (2004, p.462)). 6 Les avantages absolus de coûts constituent une autre source de barrières à l’entrée pour Bain mais nous l’omettons ici car notre objet n’est pas d’être exhaustif mais de souligner les divergences entre Bain et Stigler.

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fréquence d’achat) et les connaissances limitées du produit à la disposition du consommateur qui rendent ce dernier dépendant de la réputation du produit. La publicité, en parvenant à différencier le produit concerné et en développant auprès des consommateurs un sentiment de loyauté, confère aux entreprises en place un avantage considérable. Celui-ci ne pourra être, selon Bain, surmonté par les entreprises candidates à l’entrée que si elles réduisent le prix de leurs produits ou si elles engagent des dépenses publicitaires plus importantes (ou une combinaison des deux stratégies) . Ces stratégies étant très coûteuses pour les entreprises nouvelles, l’entrée est entravée7.

Reprenons la définition de Stigler. La différenciation ne peut être considérée

comme une barrière à l’entrée que si les coûts associés (les dépenses publicitaires en l’occurrence) sont plus élevés pour une firme nouvelle que pour une firme déjà en place. Kaldor (1950) notait déjà, à ce propos, que l’efficacité des dépenses de publicité était une fonction directe et croissante de la taille des firmes : c’est l’idée du « pulling power » des dépenses des firmes les plus importantes (Kaldor, 1950, p. 116)8.

Bain (1956) reprend cette intuition et l’enrichit en distinguant deux types

d’économies d’échelle dans la publicité : les économies d’échelle de nature pécuniaire et les celles de nature technologique. Les économies d’échelle du premier type peuvent être observées si le prix payé par message publicitaire par un annonceur est d’autant plus faible que le nombre de messages achetés par celui-ci est élevé (on parle dans ce cas de « discount » ou de « dégressif », c’est-à-dire d’une réduction tarifaire concédée par les supports aux annonceurs). Les économies d’échelle technologiques résultent, quant à elles, d’une plus grande efficacité de la fonction de production de la publicité.

La liaison publicité et économies d’échelle pose de sérieux problèmes, comme

le soulignent Arndt et Simon (1983) dans un article très critique. Sur le plan conceptuel d’abord. Il est pour le moins impropre de parler

d’économies d’échelle (dans la publicité) dans la mesure où les économies d’échelle ne sont susceptibles d’être observées que si l’ensemble des inputs (et pas seulement les dépenses de publicité) est modifié dans une même proportion9. Dans le cas où seules les dépenses publicitaires sont modifiées, on parle de rendements marginaux.

7 Les firmes candidates à l’entrée doivent surmonter un certain nombre d’obstacles, parmi lesquels celui de convaincre les consommateurs d’essayer leurs produits, alors que ces derniers font face à des « switching costs » (coûts d’aiguillage), qui les pousseraient plutôt à être fidèles à leurs marques (Klemperer, 1987). Dans cette hypothèse, l’effort publicitaire des nouveaux arrivants (ou la qualité du produit proposé) doit être conséquent pour surmonter ce handicap. 8 Dans la mesure où les firmes installées sont, au moins initialement, plus importantes que les firmes candidates à l’entrée, cela signifie que les dépenses de publicité avantagent les firmes en place. 9 C’est en réalité le concept d’économies d’échelle lui même qui pose problème, comme le suggère Gold (1981). L’hypothèse de fixité des proportions dans lesquelles l’entreprise utilise les facteurs de production tend à minimiser ou empêcher les bénéfices dont la réalisation attendue constitue souvent un motif important de modification de l’échelle de production.

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Cette confusion, vraisemblablement entretenue par la relative facilité avec laquelle on peut estimer la valeur de l’élasticité des ventes par rapport à la publicité (qui est un indicateur de l’efficacité marginale de la publicité et non de rendements d’échelle), est d’autant plus regrettable qu’il n’y a pas de correspondance logique et automatique entre ces deux notions. En effet, une firme peut connaître des rendements marginaux décroissants dans ses dépenses de publicité et malgré cela bénéficier d’économies d’échelle.

La seconde difficulté découle de la précédente et réside dans l’impossibilité de

séparer dans les économies d’échelle, ce qui est dû spécifiquement à la publicité de ce qui peut être dû aux autres intrants. L’avantage de taille observé peut provenir de toute autre chose que de la publicité, dans la mesure où les économies d’échelle sont évaluées non pas en modifiant la taille d’une entreprise (toutes choses égales par ailleurs)10 mais en comparant les entreprises de taille différente. Par conséquent, même si l’on parvient à montrer que les dépenses de publicité sont plus efficaces lorsque la taille de l’entreprise est plus importante, cette efficacité accrue peut provenir, par exemple, d’un réseau de distribution plus étendu, d’une stratégie marketing différente ou d’un processus de production différent entre les firmes et non pas de la publicité.

La théorie traditionnelle des barrières à l’entrée a pour objet d’expliquer la

persistance de profits anormaux dans certaines industries. Ce sont les différences de coûts entre firmes installées et firmes candidates à l’entrée qui seraient à l’origine des profits élevés. Ces différences de coûts sont décrites par Bain comme provenant de la publicité, du capital et de l’existence d’économies d’échelle. Ainsi, selon Bain, les firmes établies peuvent exploiter les caractéristiques structurelles du marché dans l’espoir d’obtenir des profits élevés et persistants. Il en est tout autrement pour Stigler qui considère que ces écarts de coûts révèlent un niveau d’efficience supérieur des firmes installées et non un comportement stratégique.

L’accent mis par ces définitions sur les différences d’opportunités des firmes

en place et des firmes entrantes n’est pas sans poser problème selon Demsetz (1982). Ce dernier considère, en effet, que cette façon de définir les barrières à l’entrée empêche de voir d’autres types de barrières, telles les barrières légales. Ainsi, la licence nécessaire pour exercer l’activité de chauffeur de taxi n’est pas une barrière à l’entrée au sens de Stigler car tant les taxis installés que les taxis potentiels doivent supporter ce coût. De même, elle ne constitue pas non plus une barrière pour Bain car le prix de la licence dissipera les profits. Cette façon d’appréhender les barrières à l’entrée contient, de surcroît, des jugements de valeur implicites : certaines barrières seraient acceptables sous prétexte, en conservant l’exemple de la licence de taxi, que l’on chercherait à protéger les consommateurs de la fourniture de services de taxi de mauvaise qualité.

10 Ce qui se révèle très difficile empiriquement sauf à considérer un échantillon d’entreprises que l’on pourrait suivre dans le temps.

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Ces objections, mais aussi le mouvement de déréglementation enclenché dès la fin des années 70, furent l’occasion de renouveler considérablement l’analyse des barrières à l’entrée.

II. Le renouveau de l’analyse des barrières à l’entrée Deux directions distinctes furent prises, à peu près simultanément. La première, menée en ordre dispersé, prend comme point de départ commun

la définition des barrières à l’entrée de Stigler et se fixe pour objectif de rendre explicites les implications de bien-être de ces barrières. Les travaux les plus marquants sont ceux de Fisher (1979), Von Weizsäcker (1980) et Demsetz (1982). Tous partagent l’idée générale que l’on ne doit pas systématiquement associer aux barrières à l’entrée l’idée d’inefficience et que les autorités doivent en conséquence mener leur politique de concurrence avec la plus extrême prudence.

La seconde, plus radicale, considère que les seules barrières à l’entrée réellement pertinentes sont les barrières technologiques, c’est-à-dire celles qui résultent d’une combinaison d’économies d’échelle et de contraintes d’investissement. C’est la théorie des marchés contestables de Baumol, Panzar et Willig (1982).

II.1 – La prise en compte des aspects normatifs Von Weizsäcker (1980) définit les barrières à l’entrée comme : « … un coût de production qui doit être supporté par une firme voulant

pénétrer un marché mais qui n’est pas supporté par les firmes déjà en place et qui implique une distorsion dans l’allocation des ressources d’un point de vue social » (Von Weizsäcker, 1980, p. 400)

Cette définition des barrières à l’entrée prolonge apparemment celle de Stigler.

Elle privilégie pourtant, contrairement à celle de Stigler, une approche normative, en cherchant à identifier quand les obstacles à l’entrée de nouveaux concurrents peuvent avoir des conséquences socialement néfastes. On ne pourra donc parler de barrières à l’entrée que dans le cas où les effets de la restriction de la concurrence sont négatifs d’une point de vue social. Ainsi, les obstacles qui peuvent apparaître chez Bain comme une barrière à l’entrée ne sont pas systématiquement considérés comme telle par Von Weizsäcker.

Ce dernier reprend les deux sources de barrières à l’entrée pour Bain étudiées

plus haut : les économies d’échelle et la différenciation des produits. A l’aide d’un modèle simple et d’une démarche en deux étapes11, Von

Weizsäcker montre que lorsqu’il y a des économies d’échelle dans la production, et 11 La première étape consiste à examiner, pour un nombre donné de firmes dans l’industrie, les prix et productions d’équilibre et à comparer ces valeurs avec leurs grandeurs optimales. La seconde étape

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avec certaines spécifications paramétriques plausibles, on observe trop de firmes à l’équilibre. Dans ces configurations, les autorités doivent veiller à ce que de nouvelles firmes n’entrent pas dans l’industrie en question et que les firmes existantes produisent davantage à un coût plus faible12.

Von Weizsäcker examine ensuite le cas de la différenciation des produits et

plus particulièrement d’une de ses variantes : la réputation ou « goodwill ». Dans l’approche traditionnelle des barrières à l’entrée, la réputation sert de mécanisme de différenciation aux firmes présentes depuis un certain temps sur le marché et fonctionne apparemment comme une barrière à l’entrée à l’encontre des firmes n’ayant pas encore eu, contrairement aux entreprises en place, l’opportunité de construire leur « histoire » au travers de relations marchandes.

A l’aide d’un modèle de marchés proposant des produits différenciés de

qualité différente, l’auteur montre qu’il y a trop peu de firmes produisant des biens de qualité élevée et trop de firmes produisant des produits de faible qualité. On peut expliquer cela par le fait qu’il est coûteux pour les consommateurs de déterminer si un producteur offre des biens de qualité élevée ou basse. En raison des coûts d’information, les firmes nouvellement installées qui proposent un bien de haute qualité doivent concéder un rabais sur leur produit jusqu’à disposer d’une réputation sur le marché. Ces coûts tendent à réduire le nombre de firmes de haute qualité.

Alors que le résultat du marché n’est pas efficient dans ce modèle, il y a trop

de firmes ayant fait le choix d’une qualité basse et pas assez de firmes ayant fait celui d’une qualité élevée, Von Weizsäcker maintient qu’on ne peut pas parler de barrières à l’entrée. Les profits élevés, réalisés par les firmes proposant des produits de qualité élevée et jouissant d’une réputation sur le marché, sont nécessaires pour encourager les entrants à offrir des produits de qualité. Dans la mesure où il y a trop peu d’offreurs de bonne qualité sur le marché, l’incitation offerte par des profits plus élevés, ceux réalisés par les firmes ayant une bonne réputation, apparaît socialement bénéfique. Les profits élevés dont bénéficient des firmes ayant adopté des produits de qualité élevée ne sont pas dus à des barrières à l’entrée et ne reflètent pas un quelconque pouvoir de monopole. La réputation de ces firmes accroît l’efficience du marché en réduisant les coûts d’information : il ne s’agit en aucun cas d’une barrière à l’entrée. Mais de quoi s’agit-il alors ?

Les propriétaires d’un capital réputation ne sont pas avantagés par rapport

aux nouvelles firmes proposant une qualité identique, mais encore inconnue, car la prime versée par les consommateurs aux premiers incite les nouveaux entrants à produire des biens de qualité élevée. Le modèle proposé par Von Weizsäcker permet de voir que l’activité consistant à produire des biens de qualité élevée est sous- permet au nombre de firmes présentes sur le marché de varier. La comparaison du nombre de firmes à l’équilibre (provenant de la dissipation du profit individuel dans la situation de Cournot) et du nombre optimal (issu de la maximisation du surplus social) nous renseigne sur la relation exacte entre économies d’échelle et barrières à l’entrée au sens de Von Weizsäcker. 12 Ces conclusions contredisent celles de la vision traditionnelle des économies d’échelle et des barrières à l’entrée.

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optimale, non pas parce que les firmes sont surprotégées mais bel et bien parce qu’elles sont insuffisamment protégées. Il est juste, lorsque les firmes en place se trouvent être surprotégées, de parler de barrière à l’entrée mais dans le cas où elles sont trop peu protégées, comme c’est le cas ici, il est préférable de parler d’externalités positives. Dans cette dernière configuration, la différenciation des produits n’est pas la cause de la distorsion observée mais apparaît plutôt comme un remède.

Dans le cas des économies d’échelle comme dans celui de la différenciation,

l’intervention gouvernementale doit donc veiller à accroître, et non pas à réduire, la protection des firmes installées !

Fisher (1979) et Demsetz (1982) adoptent des positions proches de celles de

Von Weiszäcker. Ils considèrent en effet que ce qui semble être une barrière à l’entrée en équilibre partiel, et qui pourrait être source d’inefficience si l’analyse se limitait à cette dimension, ne peut être systématiquement considérée comme tel dans une approche d’équilibre général.

L’intervention publique doit distinguer les frictions de l’économie jugées non

désirables de celles jugées désirables. Parmi ces frictions jugées désirables, il en existe une chère à Demsetz : les droits de propriété. Ceux-ci, qui prennent la forme de marques déposées, de brevets, de droits d’auteur par exemple, ont pourtant la particularité d’ériger des barrières légales à l’entrée. Ces droits de propriété garantissent aux firmes concernées de pouvoir fixer un prix au-delà du coût de production et donc de réaliser durablement des profits élevés. Une distorsion allocative apparaît et, si l’on suit les enseignements de la théorie standard des barrières à l’entrée, ces droits de propriété devraient être suspendus. Pour Demsetz, cette distorsion dans l’allocation des ressources est pure illusion car si ces droits de propriété ne sont pas garantis, l’incitation à innover et à lancer de nouveaux produits diminue et les véritables coûts de production sont majorés. Le coût marginal utilisé dans le calcul des profits ne se limite pas à un coût de production privé, c’est un coût d’opportunité total qui prend en compte le coût social de l’absence des droits de propriété. Ce coût est naturellement supérieur au coût privé et peut même excéder le prix. La prise en compte du coût social épuiserait les profits selon Demsetz. La définition de Bain des barrières à l’entrée, centrée sur l’observation de profits positifs, ne tient alors plus.

Les implications normatives des travaux sur les barrières à l’entrée de

Demsetz, Fisher et de Von Weizsäcker, sont considérables. Ces travaux suggèrent, en effet, que les structures de marché observées constituent des structures raisonnablement efficientes et que dans un monde imparfait, celui dans lequel nous vivons, ce qui est appelé barrière à l’entrée reflète en réalité les intérêts des consommateurs pris au sens large. Plutôt que de permettre aux ressources de se déplacer dans les industries réalisant des profits élevés, il est dans l’intérêt du point de vue du bien-être des consommateurs de prendre en compte le rôle des externalités, des coûts d’information et de transaction. Les barrières à l’entrée

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apparaissent alors comme « des réponses de second rang aux frictions du monde réel » (Encaoua, Geroski et Jacquemin, 1986, p. 74)13.

II.2 – La vision technologique des barrières à l’entrée : l’apport des marchés

contestables La théorie des marchés contestables va encore plus loin dans cette logique

puisque seules les conditions techniques de production, c’est-à-dire le niveau des économies d’échelle et d’envergure, et les forces de la demande (dans une moindre mesure cependant) déterminent la structure d’une industrie à un moment donné, c’est-à-dire le nombre et la taille des entreprises présentes.

Il est en effet supposé que l’entrée a lieu sans désavantage pour la firme entrante (elle a accès à une technologie identique à celle de la firme en place) et que cette entrée est tout à fait réversible (sortie libre, au sens de peu coûteuse). La structure de marché observée à un instant donné est alors forcément efficiente. Il n’y a pas dans cette théorie de place pour les barrières stratégiques14, la concurrence potentielle étant élevée au même rang que la concurrence effective dans la mesure où elle exerce un contrôle parfait du pouvoir de monopole (Baumol, Panzar et Willig, 1986).

L’applicabilité de la théorie des marchés contestables dépend de manière

cruciale de la capacité des firmes postulantes à pratiquer la stratégie du hit and run. Spence (1983) rappelle que pour la menace d’une entrée de type hit and run puisse contraindre efficacement le comportement de la firme installée (ou des firmes installées), deux hypothèses doivent être vérifiées :

- la première est que le temps nécessaire à la firme entrante pour entrer et quitter l’industrie doit être inférieur au temps nécessaire aux firmes installées pour réagir et modifier leurs prix. En d’autres termes, les mouvements de capitaux sont supposés instantanés alors que les prix sont fixes ;

- la seconde pose que la demande doit répondre instantanément aux changements de prix ou aux différentiels de prix. Si tel n’est pas le cas, la firme entrante ne percevra pas la totalité des revenus de son investissement immédiatement, ce qui découragera l’entrée.

Les implications de politique publique sont directes. Un marché parfaitement

contestable est tel que l’entrée est une option qui peut être exercée sans coût de sorte que la moindre possibilité de profit est exploitée. Par conséquent, même si ce marché

13 Ce point est particulièrement bien souligné par Combes et Linnemer qui estiment que certaines stratégies limitant l’entrée de concurrents sont difficiles à condamner per se. Ainsi, « plus d’investissement en R&D de la part des entreprises en place augmente le bien-être, mais creuse l’écart entre elles et les entrants potentiels. Cette ambiguïté est bien illustrée par les problèmes que les Etats rencontrent dans la mise en œuvre des politiques de brevets » (Combes et Linnemer, 1997, p. 143) 14 La constestabilité exclut les coûts irrécupérables, les pré-engagements, l’asymétrie d’information et les comportements stratégiques qui caractérisent pourtant de très nombreux marchés « réels » et qui constituent un domaine de recherche très dynamique en économie industrielle. Encaoua, Geroski et Jacquemin (1986) proposent une revue, certes relativement ancienne, mais excellente de ces travaux.

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se trouve occupé par un nombre réduit de firmes, ces dernières se comportent comme en situation de concurrence pure et parfaite en fixant un prix égal au coût marginal (ou, dans le cas où il n’y a qu’une seule firme, comme un monopole parfaitement réglementé proposant un prix égal au coût moyen). Dans ces conditions, ce marché présente les mêmes propriétés en matière d’efficience que celles d’un marché de concurrence pure et parfaite et, comme dans ce dernier cas, l’intervention gouvernementale ne peut en rien améliorer le bien-être social (Baumol et Willig, 1981).

L’idée que la rivalité peut s’exercer sur un marché sans que le nombre

d’offreurs soit important constitue l’apport essentiel de la théorie des marchés contestables15. Cette théorie semble, au premier abord, indiquer un retour aux thèses classiques, dont les économistes « autrichiens » actuels se réclament. La théorie des marchés contestables présente toutefois un certain nombre de limites aux yeux de ces derniers :

1) Comme le rappelle Ikeda (1991), la théorie des marchés contestables n’a pas l’ambition d’étudier la dynamique du marché mais celle de chercher à déduire un nouvel ensemble de résultats ou constructions d’équilibre ;

2) Elle pose ensuite comme hypothèse centrale que tous les offreurs (firmes installées et entrants potentiels) ont accès à la même technologie, aux mêmes marchés d’inputs et aux mêmes prix des inputs. C’est oublier que la rivalité concurrentielle a pour objectif de découvrir les coûts les plus bas qu’il est possible d’atteindre. En d’autres termes, on ne peut considérer les fonctions de coûts des entreprises comme si elles constituaient des données objectives16.

3) Elle considère finalement que les barrières à l’entrée sont exclusivement technologiques et ignore l’importance des barrières légales et institutionnelles.

Le concept de barrières à l’entrée a été profondément « dépoussiéré »

consécutivement aux travaux de Demsetz, Fisher et Von Weizsäcker et ceux des marchés contestables. Les conditions des interventions publiques destinées à favoriser la concurrence ont été précisées. L’action publique en matière de concurrence sort d’une certaine manière légitimée de ces débats17. Or, certains 15 « La vision traditionnelle soutient que le mécanisme d’équilibre concurrentiel requiert une taille peu importante pour chaque firme active sur le marché du produit considéré, en plus de la liberté d’entrée. Nous montrons que l’on peut se dispenser de la condition de petite taille et s’en remettre à la seule liberté d’entrée qui caractérise les marchés parfaitement constestables » (Baumol et ali, 1986, p. 344). 16 Cette critique s’adresse également aux travaux de Von Weizsäcker (et dans une certaine mesure à ceux de Demsetz) dans lesquels le calcul du surplus social (comme mesure de la performance sociale) suppose implicitement une stabilité des fonctions de demande et d’offre. Or, la rivalité qui s’exerce sur le marché, ne laisse pas ces dernières inchangées. 17 Y compris de la littérature des marchés contestables ! En simplifiant, si l’entrée est libre et la sortie sans coûts, en d’autres termes si les marchés sont contestables, alors aucune manipulation stratégique ne pourra éviter à une firme dominante de fixer son prix au coût marginal. L’action publique dans le cadre des lois antittrust doit remplacer l’intérêt porté au nombre et à la distribution des firmes par l’objectif de réduction des coûts irrécupérables. L’objectif de la théorie des marchés contestables n’est

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économistes contestent le bien-fondé des ces interventions et regrettent que la notion de concurrence utilisée dans les débats consacrés aux barrières à l’entrée soit celle de la concurrence pure et parfaite. Ils proposent une conception alternative de la concurrence qui permettrait de préciser les véritables barrières à l’entrée qui sont celles érigées par la puissance publique.

III. Vers une nouvelle vision de la concurrence ? Une réponse à

la théorie des barrières à l’entrée Les économistes se limitent habituellement à considérer comme socialement désirables certains coûts et à condamner certaines dépenses jugées improductives et anti-concurrentielles. Parmi ces coûts figurent : « les coûts qui doivent être encourus pour créer et maintenir une bonne réputation, pour supporter les risques de l’innovation, et pour construire une échelle appropriée permettant de répondre aux attentes des consommateurs, …. » (Demsetz, 1982, p. 56). Ces coûts, que le bon sens et l’expérience quotidienne des hommes d’affaire pousseraient à qualifier de pro-concurrentiels, ne sont pas considérés comme tels par la théorie de la concurrence pure et parfaite18. Doit-on alors conclure, comme McNulty (1968) nous invite à le faire, que la théorie économique serait incapable d’intégrer dans un modèle de concurrence tout ce qui est, par essence, concurrentiel19 ? Assurément, non. Le problème, selon McNulty, vient de ce que les économistes assimilent l’idée de compétition, qui est avant tout un comportement, un état d’esprit, à la notion de structure du marché, qui est représentatif d’un état, dont l’incarnation idéale est la concurrence pure et parfaite20. Il est nécessaire, poursuit McNulty, de revenir à la conception classique de concurrence qui seule est capable de réconcilier la concurrence avec des dépenses telles que les dépenses de publicité ou d’innovation. pas, pensons-nous, de rejeter l’intervention publique mais bien au contraire de poser les conditions d’une intervention efficiente. En cela, cette littérature se rapproche de l’analyse normative de Von Weizsäcker et Demsetz, pour lesquels l’équilibre de concurrence pure et parfaite et ses attributs d’efficience constituent la référence qui doit guider toute intervention publique. 18 La condition de Dorfman et Steiner, relative aux dépenses de publicité, est parfaitement représentative de cette position (Dorfman et Steiner, 1954). 19 « …C’est un des grands paradoxes de la science économique que chaque acte de compétition de la part d’un homme d’affaires est la marque, dans la théorie économique, d’un certain degré de pouvoir de monopole, alors que les concepts de monopole et de concurrence parfaite ont cette caractéristique commune importante : les deux sont des situations dans lesquelles la possibilité de tout comportement concurrentiel a été écartée par définition » (McNulty, 1968, p. 641).Hayek ne dit pas autre chose : « Faire de la publicité, vendre moins cher, et améliorer (« différencier ») les biens ou les services produits sont des activités exclues par définition – la concurrence « parfaite » signifie en fait l’absence de toute activité concurrentielle » (Hayek, 1948, p. 96). 20 Stigler partage l’opinion de McNulty selon laquelle « l’amalgame des concepts de concurrence et de marché était malencontreux, chacun méritant un traitement complet et séparé » (Stigler, 1957, p. 271).

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Pour les classiques, en effet, la concurrence prend de multiples formes mais celles-ci ont en commun de refléter un certain type de «rivalité » entre les participants au marché. La concurrence est donc un mode de comportement adopté par l’ensemble des intervenants dans une industrie. Des pratiques courantes telles que la publicité, l’innovation en matière de produit, la réduction des prix constituent des éléments concurrentiels. Adam Smith met bien en évidence que c’est cette rivalité multiforme qui est à l’origine d’un processus guidant le marché vers les prix naturels et non, comme dans les exposés modernes, les propriétés de l’état final de concurrence parfaite, qui se manifeste instantanément. Charles Coquelin, dans son Dictionnaire d’Economie Politique, résume admirablement la position classique : « La concurrence apparaît encore et surtout comme le principal agent du progrès. Tous ces industriels, maîtres de leurs actions et responsables de leurs œuvres, stimulés comme ils le sont par la concurrence incessante de leurs rivaux, s’ingénient à qui mieux mieux à simplifier le travail, à améliorer les méthodes, à perfectionner les procédés connus et à inventer des procédés nouveaux » (Coquelin, 1864, p. 450). Aux yeux des économistes classiques, la concurrence est un concept essentiellement dynamique et procédural. La concurrence est vue comme une force régulatrice, un principe organisateur de la société (« guiding force ») qui revêt toute son importance dans la résorption, via une modification des prix essentiellement (mais pas seulement), des déséquilibres existants sur les marchés. L’accent mis par les économistes néo-classiques sur une structure de marché considérée comme idéale, réalisant les conditions de la concurrence pure et parfaite, a vidé la concurrence de son contenu. De surcroît, l’idée même de concurrence potentielle, cruciale pour la question des barrières à l’entrée, semble échapper à ces économistes. Cournot (1838), par exemple, ne s’intéressa pas aux conditions d’entrée, de sorte que sa définition de la compétition était également valable pour les industries composées d’un nombre important de firmes même si l’entrée de nouvelles firmes était impossible21. Sraffa (1926) fut le premier à dénoncer le caractère abstrait du modèle de concurrence pure et parfaite et marque le début d’un ensemble de travaux consacrés à la théorie de la concurrence imparfaite. En effet, l’état normal de l’économie est une situation intermédiaire entre la concurrence et le monopole, laissant par exemple une large place aux dépenses de publicité :

21 Qu’on en juge ! « Les effets de la concurrence ont atteint leur limite, lorsque chacune des productions partielles Dk est insensible, non seulement par rapport à la production totale D = F(p), mais aussi par rapport à la dérivée F’(p), en sorte que la production partielle Dk pourrait être retranchée de D, sans qu’il en résultât de variation appréciable dans le prix de la denrée » (Cournot, 1838, p. 143).

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« Toute firme qui tente d’étendre son activité au-delà de son propre marché, en envahissant ceux de ses concurrents, doit supporter des dépenses importantes de marketing afin de surmonter les barrières qu’auront érigées ses adversaires ; mais d’un autre côté, sur son propre marché et sous la protection de ses propres barrières, elle jouira d’une position privilégiée par laquelle elle obtiendra des avantages qui, si ce n’est pas leur ampleur mais au moins dans leur nature, sont égaux à ceux dont bénéficie un monopoleur ordinaire » (Sraffa, 1926, p. 191).

Les travaux de Sraffa ainsi que ceux de Chamberlin et Robinson ont conduit à

redéfinir le concept de monopole : chez les classiques, il est le produit d’un privilège alors que dans la théorie de la concurrence monopolistique, il est le résultat de l’action d’un offreur, via la différenciation par exemple. La publicité, par exemple, est un moyen de renforcer le pouvoir de monopole. Bain et les économistes qui se sont intéressés à la relation entre les structures de marché et les performances sont bien les héritiers de Chamberlin et Robinson.

Les travaux de l’Ecole de Chicago, et en particulier ceux de Demsetz et Stigler,

ont permis de rendre compatibles certains éléments du fonctionnement des marchés et l’idée de concurrence22.

Pour autant, l’approche de la concurrence imparfaite et celle de l’économie de

l’information ne parviennent pas à rendre compte de la véritable dynamique concurrentielle si l’on en croît les économistes autrichiens. Kirzner partage avec McNulty le jugement selon lequel la théorie de la concurrence pure et parfaite ne saurait être une théorie de la concurrence23 :

« La théorie dominante de la concurrence pose la connaissance comme un

préalable indispensable : sans connaissance complète à travers le marché, la concurrence est imparfaite. Mais, pour le théorie de la découverte entrepreneuriale, la concurrence est un processus par lequel la connaissance est découverte et communiquée » (Kirzner, 1997, p. 48, les expressions en italique ont été rajoutées).

La position des autrichiens peut être résumée de la manière suivante : le

processus de marché est fondamentalement entrepreneurial et le processus entrepreneurial est toujours concurrentiel.

Le processus de marché est tout d’abord fondamentalement entrepreneurial.

La concurrence est un processus dont le déroulement fait apparaître des informations. L’entrepreneur y tient une place centrale. Celui-ci participe à cette 22 C’est le cas notamment de la publicité. Voir les travaux de Stigler (1961), Telser (1964), Nelson (1970,1974) et Benham (1972). 23 De même, les autrichiens défendent l’idée que les apports des économistes classiques en matière de concurrence auraient été « contaminés » par la vision néo-classique. Voir, à ce propos, l’ouvrage de Machovec (1995). Ce dernier remet en cause la thèse défendue par Stigler selon laquelle la conception classique de la concurrence aurait atteint sa forme définitive dans la formulation mathématique de Cournot du modèle de concurrence pure et parfaite. Dans une contribution récente, Kirzne retrace magistralement l’histoire du modèle de concurrence pure et parfaite (Kirzner, 2000).

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dynamique en cherchant constamment des opportunités de profit. Il fait tendre l’économie vers un équilibre qu’elle n’atteint pas pour autant car dès que les opportunités sont saisies, d’autres apparaissent et ainsi de suite. En effet, l’entrepreneur, de par son activité de recherche crée de l’information24, laquelle est utilisée par d’autres. Ce processus est perpétuel. Les opportunités étant permanentes et les perceptions subjectives, de nouveaux entrepreneurs apparaissent et renforcent le processus.

Le processus entrepreneurial est ensuite toujours concurrentiel. Pour que la

concurrence-rivalité soit productive et non pas dommageable, certaines institutions (dont les droits de propriété et le contrat) viennent renforcer le concurrence et permettent de se prémunir contre les pratiques éventuellement déloyales des autres. L’action de l’entrepreneur ne peut jamais être totalement bloquée. En d’autres termes, il n’y a pas de barrières à l’entrée à l’activité entrepreneuriale dans la mesure où il ne peut pas y avoir de pouvoir de monopole sur cette activité ! Par contre, l ‘entrée entrepreneuriale dans un certain secteur peut être entravée, obligeant l’activité d’entrepreneur à s’exercer ailleurs.

Les seules barrières à l’entrée sont celles résultant de la volonté des pouvoirs

publics (l’Etat peut être la cause de l’imperfection de la concurrence en bloquant l’émergence des droits de propriété ou en vidant le contrat de son contenu, deux mécanismes incitatifs fondamentaux de l’activité entrepreneuriale) et celles provenant du contrôle exclusif d’un intrant essentiel au processus de production. L’existence de profits supérieurs aux profits entrepreneuriaux, ces derniers récompensant la « vigilance » de cet acteur, constitue une rente de monopole provenant de l’exercice solitaire du contrôle d’un facteur de production ou d’un privilège (Kirzner, 1973, pp. 88 – 134).

Le mérite des autrichiens est d’être revenu à la conception classique du

monopole25 et d’insister, dans le débat qui nous intéresse, sur les barrières légales à l’entrée, seules véritablement pertinentes, puisque seules à restreindre le droit de propriété26.

24 La concurrence permet de faire émerger les données mêmes que les schémas de représentation habituels supposent connus à l’avance, comme l’ont montré Hayek et Kirzner qui se sont penchés sur le processus de collecte et d’utilisation de cette information dans une économie de marché décentralisée. C’est sur cette question que les économistes de la tradition autrichienne sont en total désaccord avec les économistes de l’information. 25 Voir à ce propos Rothbard (Rothbard, 1962, p. 591). 26 La propriété exclusive d’un input essentiel à la production d’un bien empêche l’entrée sur le marché considéré d’autres entrepreneurs. Mais, pour Kirzner, cette façon de voir les choses est purement statique. En effet, la rente de l’entreprise détenant le monopole d’une ressource peut être comprise comme un simple profit entrepreneurial dû à une plus grande vigilance initiale. L’acquisition de cette ressource, « dans un domaine ouvert à tous les entrepreneurs, était une étape normale du processus entrepreneurial-concurrentiel non entravé » (Kirzner, 1973 , p. 201). Le contrôle monopolistique des ressources, et la capacité de la firme à tirer profit de cette position sur le marché du produit, ne sont que le résultat d’une démarche entrepreneuriale réussie, que les autorités en charge de la concurrence n’ont pas à sanctionner.

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Ces barrières ne sont guère étudiées dans la littérature des barrières à l’entrée, si ce n’est dans les écrits de Von Weizsäcker et Demsetz par exemple, pour être, pour certaines, finalement très rapidement justifiées, en raison de leurs effets « socialement bénéfiques ». Il faut pourtant reconnaître à ces auteurs le mérite d’avoir voulu spécifier les conditions sous lesquelles une politique pro-concurentielle était souhaitable.

Mais c’est justement cette volonté de mettre en place des critères normatifs,

prédéfinis, permettant de juger une structure de marché ou une organisation industrielle qui paraît dérisoire aux économistes autrichiens. Ces derniers, s’inspirant des travaux relatifs à l’impossibilité du calcul économique en régime socialiste, ne reconnaissent pas aux autorités pro-concurrentiels la capacité d’estimer les fonctions de demande et de coût nécessaires pour atteindre l’objectif de maximisation du bien-être social qu’elles se sont fixées. Cette critique s’adresse tout particulièrement, mais pas exclusivement, aux travaux de Von Weizsäcker : la fonction de demande y est supposée connue de même que la fonction de coût du producteur alors que ce sont des éléments subjectifs évoluant en permanence (Block, 1994, p. 40).

Devant ces difficultés insurmontables, les économistes de la tradition

autrichienne réclament la suppression pure et simple de l’ensemble des institutions chargées de favoriser la concurrence (le législateur devant se contenter de faire respecter les droits de propriété et les contrats) et l’élimination des seules véritables barrières à l’entrée érigées par le législateur lui-même.

IV. Remarques conclusives

La position à l’égard des barrières à l’entrée a évolué depuis la fin des années

70. Certains éléments, considérés antérieurement comme à l’origine de barrières, apparaissent maintenant sous un jour plus favorable.

Von Weizsäcker montre, dans le cadre de ses modèles (avec anticipations

rationnelles et avec hypothèse de Cournot), que les dépenses destinées à empêcher l’entrée de nouveaux concurrents ne sont pas nécessairement socialement néfastes. Ainsi, une hausse de l’échelle minimum efficiente ou une hausse des dépenses en « goodwill » (qui est une variante de la différenciation du produit) peuvent générer du bien-être.

Baumol et ali définissent les conditions dans lesquelles la concurrence potentielle est un vecteur suffisant de discipline des firmes installées.

L’idéal concurrentiel reste toutefois celui de la concurrence pure et parfaite.

L’analyse des barrières à l’entrée et les politiques publiques de réglementation de la concurrence, dans leur grande majorité, continuent d’adopter une approche en termes de structure alors que notre compréhension du phénomène concurrentiel et de ses entraves gagnerait à privilégier une approche en termes de processus.

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Alors que les références théoriques des politiques de concurrence communautaire et française restent largement structuralistes, l’examen de la jurisprudence semble montrer, si l’on en croît Glais (1998), que ces politiques ne font pas obstacles aux « rapprochements susceptibles de contribuer à la promotion de l’efficience », qu’elles prennent en compte la variable temps dans le diagnostic d’une position dominante et l’importance de la concurrence potentielle dans l’examen des projets de concentration.

L’examen du rapport d’activité 2003 du Conseil de la Concurrence27 montre

que les décisions relatives à l’organisation de la concurrence semblent, en effet, avoir tenu compte de certaines avancées théoriques (les marchés contestables par exemple28 et la promotion de l’efficience29) mais ignorent encore très largement l’analyse processuelle du courant autrichien.

Certes, il n’est plus question pour les autorités de la concurrence d’égaliser les

conditions initiales de concurrence pour assurer le bon fonctionnement de la concurrence sur un marché. Toutefois, l’insistance portée par le Conseil de la Concurrence aux prix prédateurs (un prix est dit prédateur si celui-ci est inférieur au coût marginal ou, pour des raisons de commodité de calcul, au coût variable moyen) montre à quel point l’idée de subjectivité des coûts, chère aux économistes de la tradition autrichienne, n’a pas encore été intégrée dans les arrêts du Conseil de la Concurrence.

La théorie autrichienne du monopole revient à réserver la notion de barrière à

l’entrée aux seules barrières légales (dans ce cas le monopole acquis n’a supposé aucune dépense et est insusceptible d’être contesté) et souligne ainsi l’inutilité des lois anti-trust qui, bien loin de favoriser la maximisation des gains à l’échange ou du surplus social, objectif par ailleurs hors de portée en raison de la méconnaissance des fonctions de demande et de coût, a pour effet de redistribuer ces gains vers les concurrents30. 27 Le Conseil de la Concurrence constitue, avec la DGCCRF, sous la tutelle du Ministère de l’Economie et des Finances, les autorités françaises de concurrence. La lecture du rapport d’activité du Conseil de la Concurrence montre le rôle de plus en plus central de la Cour d’Appel, et dans une moindre mesure de la Cour de Cassation, qui ont, après des années de relative passivité, à maintes reprises en 2003 tenté d’amender la jurisprudence du Conseil de la Concurrence. Ainsi, sur 20 arrêts au fond pris par la Cour d’appel, seuls 8 ont confirmé une décision antérieure du Conseil. 28 « … l’entrée de nouveaux concurrents doit intervenir assez rapidement pour exercer une véritable pression concurrentielle. …. L’entrée sur le marché n’est normalement considérée, comme intervenant en temps utile, que si elle s’effectue dans un délai de deux ans » (Conseil de la Concurrence, p. 42, 2004). 29 « Le 2° de l’article L.420-4 l (du Code du commerce) précise, pour sa part, que ne sont pas soumises aux dispositions des articles L. 420 – 1 et L. 420 – 2, les pratiques « dont les auteurs peuvent justifier qu’elles ont pour effet d’assurer le progrès économique, y compris par la création ou le maintien d’emplois, et qu’elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du progrès qui en résulte sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d’éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause » (Rapport d’activité du Conseil de la Concurrence, p. 282, 2004).. 30 Cette critique est évacuée dans le rapport d’activité du Conseil de la Concurrence en rappelant que :

« …. (l’) indifférence à l’intentionnalité des parties (de porter atteinte à la concurrence) ne saurait surprendre et se justifie par la nature même du droit de la concurrence, qui protège avant tout la

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concurrence et n’a pas pour mission de protéger les concurrents. Le fondement de son action répressive est la défense de l’ordre public économique. Il s’intéresse donc moins aux conditions subjectives dans lesquelles interviennent les pratiques qu’au cadre dans lequel celles-ci s’inscrivent, et à leur incidence sur le marché » (Rapport du Conseil de la Concurrence, p. 74, 2004, les éléments en italique ont été rajoutés par mes soins).

Les chiffres des saisines nouvelles (97 au total, dont 79 saisines contentieuses et 18 demandes d’avis) marquent depuis 2001 un net ralentissement, traduisant probablement « une modération de certaines catégories de saisissants (ainsi qu’) un meilleur filtrage à l’arrivée des demandes » (rapport d’activité du Conseil de la Concurrence, p. 16, 2004).

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