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Par A. Néguine | Adaptation du russe par N. Goutina. Centurion Marcus Petronius Classicus. Sa crête transversale en plumes est fixée directement sur les bords du casque. Sa cuirasse en écailles (lorica squamata) est constituée de petites écailles au bas arrondi, analogues à celles trouvées à Carnutum et Newstead. Illustration de A. Yéjov. © Prétorien magazine P our un légionnaire romain, le grade de centurion — officier subalterne — était sans conteste le plus respectable et le plus convoité. Il n'était pas rare de voir devenir d'emblée centurions les membres de la noblesse municipale ou de 1'« ordre équestre », ainsi que des prétoriens cornicularius et evocatus (ce nom était donné aux soldats ayant déjà accompli leur service obligatoire, et s'étant rengagés dans l'armée). Toutefois, à n'importe quelle période de l'histoire romaine, la plupart des centurions étaient des hommes sortis du rang ; l'obtention de ce grade apportait une haute paie et des honneurs, et ouvrait la voie à une autre promotion et à l'élé- vation sociale. Le centurion PRETORIEN Magazine N-3 Monument funéraire du centurion T. Calidius Severus de la XV e Légion Apollinaris-, trouvé à Carnutum. Musée de Vienne (Autriche). Document recueilli par l'auteur. recevait également un pouvoir quasi illimité sur ses subordonnés, ce qui entraînait souvent de nombreux abus et excès de cruauté dans les punitions disciplinaires. Tacite parle ainsi dans les « Annales » du centurion Lucilius, que les légionnaires avaient surnommé « Encore une » (Cedo Alteram), parce qu'après avoir rompu sur le dos d'un soldat sa verge de sarment (insigne de commandement d'un centurion - un cep de vigne, vitis), il criait d'une voix retentissante qu'on lui en donnât encore une, et après celle-là une troisième. De tels centurions n'avaient aucune chance de rester en vie lors des émeutes. 43

L'équipement d'un Centurion à l'époque des Julio-Claudiens

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Centurion's equipment under Julio-Claudian period

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Page 1: L'équipement d'un Centurion à l'époque des Julio-Claudiens

Par A. Néguine | Adaptation du russe par N. Goutina.

Centurion Marcus Petronius Classicus. Sa crête transversale en plumes est fixée directement sur les bords du casque. Sa cuirasse en écailles (lorica squamata) est constituée de petites écailles au bas arrondi, analogues à celles trouvées à Carnutum et Newstead. Illustration de A. Yéjov. © Prétorien magazine

Pour un légionnaire romain, le grade de centur ion — officier subalterne — était

sans conteste le plus respectable et le plus convoité. Il n'était pas rare de voir devenir d 'emblée cen tur ions les membres de la noblesse munic ipale ou de 1'« ordre équestre », ainsi que des prétoriens cornicularius et evocatus

(ce nom était donné aux soldats ayant déjà accompl i leur service obligatoire, et s'étant

rengagés dans l ' a rmée) . Toutefois , à n ' impor te quelle période de l'histoire romaine, la plupart des centurions étaient des hommes sortis du rang ; l ' ob t en t ion de ce grade apportait une haute paie et des honneur s , et ouvrai t la voie à une autre promotion et à l 'élé­vation sociale. Le cen tur ion

PRETORIEN Magazine N-3

Monument funéraire du centurion

T. Calidius Severus de la XVe Légion

Apollinaris-, trouvé à Carnutum.

Musée de Vienne (Autriche).

Document recueilli par l'auteur.

recevait également un pouvoir quasi i l l imité sur ses subordonnés , ce qui entraînait souvent de nombreux abus et excès de cruauté dans les pun i t ions disciplinaires. Tacite parle ainsi dans les « Annales » du centurion Lucilius, que les légionnaires avaient surnommé « Encore une » (Cedo Alteram), parce qu 'après avoir r o m p u sur le dos d 'un soldat sa verge de sarment (insigne de commandement d'un centurion - un cep de vigne, vitis), il criait d'une voix retentissante qu'on lui en donnât encore une, et après celle-là une t rois ième. De tels centur ions n'avaient aucune chance de rester en vie lors des émeutes.

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Centurion Quintus Sertorius Festus de la XI" Légion Claudia. Cette recons­

titution s'appuie sur le monument funéraire conservé au musée de Vérone.

Le centurion arbore une tenue de parade, sa tête ceinte d'une couronne civique

(corona civica). Sa cape (paludamentum) est jetée sur l'épaule de façon parti­

culière. Sa cuirasse d'écaillés (lorica

plumata) argentée a comme

base une cotte de mailles, sur

laquelle sont fixées de

petites écailles se terminant

en angle aigu ; elle est ornée

de bracelets (armillae) et d'une

panoplie de phalères.

Illustration de A. Yéjov.

© Prétorien magazine

Stèle funéraire du centurion Marcus Caelius, mort dans la bataille de

la forêt de Teutobourg.

Xanten.

Document recueilli par l'auteur.

C h a q u e c e n t u r i o n

possédait une grande

t en t e , un cheval de

m o n t e , e t a u

m i n i m u m un animal

de bât p o u r t ranspor ter

ses b a g a g e s p e n d a n t l a

m a r c h e , e t u n va le t chois i

pa rmi les servants employés

d a n s le c a m p . I l é t a i t a idé

d a n s s o n t ravai l d e r o u t i n e

p a r u n s e c r é t a i r e c h o i s i a u

sein des l ég ionna i res .

O c c u p a n t un pos te privilégié par rappor t

a u x l é g i o n n a i r e s , les c e n t u r i o n s

posséda ien t un é q u i p e m e n t q u e l q u e peu

d i f f é r e n t de c e l u i des s i m p l e s s o l d a t s ,

e t qu i é ta i t n a t u r e l l e m e n t p lus coû teux .

À l ' é p o q u e des J u l i o - C l a u d i e n s ,

les c e n t u r i o n s se coiffaient, t o u t c o m m e

les l é g i o n n a i r e s , d ' u n c a s q u e d e t y p e

gaulois ou i ta l ique (selon la classification

d e H . R o b i n s o n ) . L a p a r t i c u l a r i t é d u

casque de centurion était sa crête transversale

(crista transversa), pas toujours représentée

s u r les s o u r c e s i c o n o g r a p h i q u e s (par

e x e m p l e , l ' a rc d e t r i o m p h e d ' O r a n g e ) .

Elle est toutefois m e n t i o n n é e par Végèce,

s e lon l eque l les c e n t u r i o n s « p o r t a i e n t

des marques aux crêtes de leurs casques. . .

traversés d'aigrettes argentées », pour être

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mieux reconnaissables au milieu d 'un combat . On observe ces crêtes sur les monumen t s funéraires de Cal idius Severus et de Marcus Petronius Classicus, ainsi que sur une frise plus anc ienne trouvée sur la colline du Capitole à Rome.

D'après les sources iconographiques , la fixation de la crête pouvait s'effectuer pour le moins par deux moyens différents. Dans la première var iante figurant sur la stèle de Calidius Severus, la crête se fixe sur un haut suppor t . On peut voir une autre version sur le m o n u m e n t funéraire de Marcus Petronius Classicus, où la crête repose d i rec tement sur les bords du casque. Sur ces deux monuments, les crêtes diffèrent aussi entre elles : la première est en crin de cheval, et la seconde en plumes.

Il existe beaucoup de représentations de cen tur ions en cot te de mailles (stèles funéraires de Marcus Favonius Facilis et de Marcus Caelius) et en cuirasse d'écaillés (lorica squamata ou lorica plumata) ( m o n u m e n t s de Calidius Severus et de Quintus Sertorius Festus). Selon certains chercheurs, c'est bien la lorica plumata (hybride d 'une cuirasse d'écaillés avec une cot te de mailles ; les écailles y sont fixées par-dessus les mailles) qui figure peut-être sur la stèle de Quintus Sertorius Festus ; on suppose que ce type d ' a rmure pouvait être fabriqué spécialement pour les centurions et sous-officiers. À la différence des simples légionnaires , les armures des sous-officiers é taient p robab lement argentées.

Sous la cuirasse, le centurion portait le plus souvent une chemise de cuir sans manches, remplacées par des lanières de cuir (pteruges) qui étaient également cousues au bas du vêtement , souvent ornées de franges ; on peut les voir sur plusieurs représentations d'époque.

Comme le centurion p o r t a i t le glaive du côté gauche, et le

poignard du côté droit, dans le sens opposé à celui des simples

légionnaires, cela fait dire à certains chercheurs que le

centurion ne possédait pas de bouclier...

Le centur ion por ta i t des jambières (ocrea), qui n'étaient pratiquement plus utilisées à cette pér iode par les

PRETORIEN Magazine N-3 45

Panoplie de phaières trouvée à Lauersfort (Allemagne). Document recueilli par l'auteur.

Couronnes, colliers et bracelets, selon V. Maxfield.

Document recueilli par l'auteur.

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Monument funéraire d'un centurion inconnu.

Vérone, Museo Maffeiano. Document recueilli par l'auteur.

Tombe du centurion Quintus Sertorius Festus de la XL Légion

Claudua Pia Fidelis, Vérone, Museo Maffeiano.

Document recueilli par l'auteur.

Stèle funéraire du centurion Marcus Favonius Facilis de la XXe Légion

Valeria Victrix. Musée de Colchester (Angleterre).

Document recueilli par l'auteur.

légionnaires. Ces jambières ont parfois une riche ornementat ion que l 'on peut observer un iquemen t sur la stèle funéraire de Quintus Sertorius Festus. Sur d'autres monuments , les jambières des centurions sont ou bien entièrement dépourvues d 'o rnemen t s (arc de t r iomphe d 'Orange , stèle funéraire de Marcus Favonius Facilis), ou décorées d 'une tête en relief (médail lon repré­sentant un visage ou un mufle d'animal (lion ?)) au niveau du genou (stèle funéraire de Calidius Severus).

C o m m e le centur ion por ta i t le glaive (gladius) du côté gauche, et le poignard

du côté droit, dans le sens opposé

à celui des simples légionnaires, cela fait dire à certains chercheurs que le centurion ne possédait pas de bouclier, puisque dans ce cas, il lui aurait été

Le rôle des insignes décernés en tant que dona militaria, était

très important pour la carrière d'un légionnaire...

impossible de dégainer son glaive. Pour résoudre cette quest ion, il ne faut pas négliger les témoignages des auteurs

an t iques , lesquels men t ionnen t les boucliers des centurions. Dans son récit du siège de Dyr rach ium, Jules César parle ainsi d'un centurion nommé Scéva, dont le bouclier fut percé de cent vingt coups (le mo t employé ici est bien scutum). Flavius Josephe, en parlant de la mort du centurion Julien, raconte que ce dernier « reçut souvent sur son bouclier les atteintes du fer ennemi ». Avec tous ces témoignages, force est de reconnaître que les centurions se protégeaient à l'aide d 'un bouclier, du moins pendant les combats.

Les parades const i tua ient le principal rituel de l'armée romaine ; elles étaient

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Chaussure (calceus) portée par les centurions et les officiers, retrouvée dans une forteresse

dans le désert de Kasra (Egypte). British Museum.

Document recueilli par l'auteur..

Représentation du casque figurant sur la tombe de Marcus Petronius Classicus.

Ptuj (Slovénie). Document recueilli par l'auteur.

organisées en l ' honneur de chaque événement important dans la vie d'une unité mili taire : fêtes nat ionales , prestation du serment, paiement de la solde, distr ibution des donativa et des décorations. Les soldats s'y préparaient en as t iquant leurs armes et leur équipement . On connaî t assez bien la tenue de parade des officiers supérieurs (cuirasse musclée et une cape — paludamentum, différente de la cape de troupe appelée sagum). Tous les autres défilaient en tenue habituelle, sans oublier toutefois de fixer leurs décorat ions sur la cuirasse, couronner leur casque d 'un p lumet et sortir le bouclier de son étui por té normalement en campagne.

Ces médailles figuraient des têtes de divinités, d'esprits des ténèbres, d'oiseaux et de lions ; le motif le plus populaire était

la Gorgone Méduse...

Le rôle des insignes décernés en tant que dona militaria, était très important pour la carrière d 'un légionnaire . D 'après les calculs de V. Maxfield, de 13 à 25 pour cent de légionnaires ayant reçu ces décorations, obtenaient à la longue le grade de cen tur ion .

Parmi ces derniers , plus de la moitié des

décorés devenaient primipiles, en atteignant parfois

des grades encore plus élevés. Ainsi, les 'ona militaria ne rapportaient en soi que

l 'honneur et le prestige, mais pouvaient renforcer considérablement les chances d'un avancement militaire.

O u t r e les couronnes (coronae civica, n avails, a urea, mura lis, va lia ri s), on utilisait en guise de dona militaria des lances (hastapurae) réservées uniquement aux centurions primipiles, mais aussi des

Centurion Legio XVIII. 9 apr. J.-C. Photo F. Lontcho, éditions Errance.

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Centurion, fin Ier siècle avant J.-C. Reconstitution de François Gilbert.

Centurion vu de dos, fin Ier siècle avant J.-C. Reconstitution de François Gilbert.

fanions (vexilla), des colliers (torques), des bracelets (armillae) et des phalères (phalerae) — sorte de médailles se présentant sous forme de grands ou petits disques, avec divers o rnement s . On connaî t des phalères plates ou bombées aux cercles concent r iques par tant du centre . Ces médailles figuraient des têtes de divinités, d'esprits des ténèbres, d 'oiseaux et de lions ; le mot i f le plus populai re était la Gorgone Méduse. Si l'on en juge par les images conservées, les médailles étaient peut-être décernées par groupes de 5, 7 ou 9. Différentes par leur grandeur et

leur dessin, elles se fixaient par divers moyens aux larges lanières de cuir, lesquelles é taient ensuite reliées entre elles et passées en bandoulière, ajustées par-dessus l'armure comme un baudrier. On retrouva à Neuss , Lauersfort et Newstead des panoplies complètes de phalères analogues à celles représentées sur les monuments de Marcus Caelius, Quintus Sertorius Festus et Caius Allius. Les soldats romains a rbora ien t leurs décora t ions non seulement lors des parades, mais aussi au combat (d'après certains chercheurs modernes , mais il s'agit peu t -ê t re d ' une erreur de

t r aduc t ion ) , en respectant toutefois l'ancienne coutume de mettre les insignes reçues pour la bravoure en priorité lors des processions, des triomphes, des jeux de cirque et des cérémonies officielles.

Conclusion

En pa r t an t des sources disponibles, on peut ainsi conclure que les tenues de combat et de parade des centurions ne différaient pas énormément entre elles. Lors des combats, ils arboraient l'armure et se servaient d'un bouclier, alors que pendan t les parades, ils revêtaient un

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équipement allégé, sans bouclier et avec un maximum de décorations et d'insignes décernées pour la bravoure (ob virtutem).

Cela nous permet d'affirmer que Von connaît maintenant

quasiment tout sur l'équi­pement des centurions...

Toute cette panoplie d'un centurion au milieu du Ier siècle apr. J . -C . est bien représentée sur une série de monuments et se complète par un grand nombre de trouvailles archéologiques, identiques aux objets figurant sur les stèles funéraires. Cela nous permet d'affirmer que l 'on connaît maintenant quasiment tout sur l 'équipement des centurions, jusqu'aux moindres détails de leurs ce in turons , baudriers et chaussures. Certains aspects sont encore sujets à discussion, mais globalement, l'image d'un centurion romain à cette époque-là peut être reconstituée très fidèlement.

a

SOURCES

César. Commentaires sur la guerre civile. César. Commenta i res sur la guerre des Gaules. Corpus inscriptionum Latinarum. Vol. I-XVI. Berolini, 1863. Dessau H. Inscriptiones Latinae selectae. Vol. M i l . Berolini, 1892-1914 (2 éd. 1954-1955). Flavius Josephe. Guerre des Juifs. Pline l'Ancien. Histoire naturelle. Tacite. Les Annales. Tacite. Les Histoires. Tertullien. De la Couronne du soldat. Végèce. De l'art militaire.

Marcus Favonius Facilis, centurion de la XX" Légion Valeria Victrix. Cette reconstitution est basée sur la stèle funéraire trouvée à Colchester. Le centurion est représenté en tenue de combat, portant un casque à crête transversale en crin de cheval peint, fixée au sommet. Sa cotte de mailles est renforcée avec des épaulières retenues par un crochet. Jambières non décorées. Illustration de A. Yéjov. © Prétorien magazine

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