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En direct Me ´decine et Sante ´ Tropicales 2015 ; 25 : 125-129 L'enfant face à la maladie à virus Ebola Journée d'étude et d'échanges, Dakar, 1 er octobre 2014 Child and Ebola disease A day of study and discussion, Dakar, October 1 st 2014 Desclaux Sall C. 1 , Desclaux A. 2 1 Institut de recherche pour le de ´veloppement, UMI TransVIHMI, Dakar, Se ´ne ´gal 2 Centre re ´gional de recherche et de formation a ` la prise en charge du VIH et des maladies associe ´es de Fann (CRCF), Dakar, Se ´ne ´gal Correspondance : Desclaux A <[email protected]> Article accepte ´ le 07/12/2014 L e ´pide ´mie d’Ebola en Afrique de l’ouest atteint les enfants dans des proportions et selon des modalite ´s encore mal connues. Les connaissances me ´dicales, e ´pide ´miologiques et bioclini- ques sont rares et e ´parses, et les acteurs de terrain sont confronte ´s a ` de nom- breuses questions quand ils doivent faire face a ` l’e ´pide ´mie ou s’y pre ´parer. Comment faire un diagnostic diffe ´rentiel entre la maladie a ` virus Ebola (MVE) et les fie `vres communes chez les enfants ? Comment pre ´venir la transmission du virus aux enfants si les parents sont atteints ? Faut-il ame ´nager les centres de traitement pour qu’ils accueillent des enfants, ou des espaces dans les services de pe ´diatrie ? La diversite ´ des situations familiales et sociales des enfants est-elle prise en compte dans les mesures pre ´- vues pour des enfants cas suspects ou contacts ? Comment faut-il informer les enfants sur la MVE et l’e ´pide ´mie, en population ge ´ne ´rale, en milieu scolaire et dans les familles ? Ces questions d’actualite ´ pour les pays en situation de risque e ´pide ´mique et d’e ´pide ´mie ont e ´te ´ discute ´es lors d’une Journe ´e d’e ´tude et d’e ´changes organise ´ea ` Dakar par le centre re ´gional de recherche et de formation a ` la prise en charge de Fann (CRCF) et l’unite ´ mixte internatio- nale TransVIHMI de l’Institut de recherche pour le de ´veloppement (IRD), a ` laquelle participaient une soixantaine d’acteurs – professionnels de sante ´, acteurs du plan de riposte contre la MVE, d’organisations non gouvernementales, d’associations et d’organismes internationaux. Le Se ´ne ´gal venait de connaı ˆtre une flambe ´e e ´pide ´- mique a ` partir d’un cas adulte (gue ´ri et sans transmission secondaire) [1]. La pre ´sentation de communications faisant le point sur les connaissances scientifiques ae ´te ´ suivie d’e ´changes sur les expe ´riences de terrain dans divers domaines (sante ´, social, pre ´vention, soin, droits). Ces de ´bats dessinaient les contours des pro- ble ´matiques cle ´s au Se ´ne ´gal et permet- taient de re ´pondre a ` quelques questions. Aspects e ´pide ´miologiques et biocliniques de la maladie a ` virus Ebola chez les enfants : que sait-on ? La litte ´rature scientifique a d’abord montre ´ que les enfants e ´taient moins souvent touche ´s que les adultes [2] :a ` Kikwit (Re ´publique de ´mocratique du Congo) en 1995, comme a ` Gulu (Ouganda) en 2000, ils ne repre ´sentaient que 9 % des malades [3]. Les motifs de cette apparente protection, e ´galement observe ´e dans d’autres e ´pide ´mies de fie `vres he ´morragiques, pourraient e ˆtre comportementaux : dans les familles, les enfants sont tenus a ` l’e ´cart des malades, contrairement aux adultes. Les enfants peuvent cependant e ˆtre expose ´s lorsque leurs parents sont atteints par la MVE et que les proches refusent de s’occuper d’eux par peur de la maladie. Ce fut le cas a ` Gulu en 2000, ou ` des enfants contacts de moins de 5 ans ont e ´te ´ place ´s en isolement avec leurs parents malades, faute d’autre solution pour les prendre en charge [2]. De tels facteurs micro-sociaux d’exposition au risque, ou un meilleur diagnostic des cas pe ´diatriques, pour- raient expliquer qu’en 2003, dans le de ´partement de la Cuvette-Ouest du Congo, les moins de 15 ans e ´taient plus nombreux, puisqu’ils repre ´sentaient pre `s de 26 % des personnes atteintes [4]. La prise en charge des couples me `re-enfant pose proble `me lorsque la me `re est contamine ´e, car l’allaitement est l’un des modes de transmission du filovirus, mais, inversement, les chances de survie d’un nourrisson isole ´ de sa me `re sont faibles : la de ´cision de se ´parer ou non la me `re et son enfant pose un proble `me e ´thique et e ´pide ´miologique [2]. D’un point de vue clinique, les sympto ˆmes identifie ´s chez les enfants sont peu spe ´cifiques [2]. Il s’agit tre `s souvent de fie `vre, d’asthe ´nie, de perte d’appe ´tit, de difficulte ´s respiratoires et de proble `mes gastro-intestinaux, alors que les signes he ´morragiques sont peu fre ´- quents, observe ´s dans seulement 16 % des cas [3]. Le taux de mortalite ´ est globalement moins e ´leve ´ chez les enfants que chez les adultes, mais il est beaucoup plus e ´leve ´ dans la petite enfance : lorsqu’il est de 37,5 % pour l’ensemble des enfants entre 5 et 15 ans, il atteint 77 % chez les moins de 5 ans et semble proche de 100 % chez les moins de 1 an [4]. Les enfants ne sont pas un groupe homoge `ne face a ` la MVE. Au cours de doi: 10.1684/mst.2015.0435 Pour citer cet article : Desclaux Sall C, Desclaux A. L’enfant face a ` la maladie a ` virus Ebola Journe ´ e d’e ´ tude et d’e ´ changes, Dakar, 1 er octobre 2014. Med Sante Trop 2015 ; 25 : 125-129. doi : 10.1684/mst.2015.0435 125

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En direct Medecine et Sante Tropicales 2015 ; 25 : 125-129

L'enfant face à la maladie à virus EbolaJournée d'étude et d'échanges, Dakar, 1er octobre2014Child and Ebola diseaseA day of study and discussion, Dakar, October 1st 2014Desclaux Sall C.1, Desclaux A.2

1 Institut de recherche pour le developpement, UMI TransVIHMI, Dakar, Senegal2 Centre regional de recherche et de formation a la prise en charge du VIH et des maladies associees de Fann (CRCF),Dakar, Senegal

Correspondance : Desclaux A <[email protected]>

Article accepte le 07/12/2014

L’epidemie d’Ebola en Afrique del’ouest atteint les enfants dans desproportions et selon des modalites

encore mal connues. Les connaissancesmedicales, epidemiologiques et bioclini-ques sont rares et eparses, et les acteursde terrain sont confrontes a de nom-breuses questions quand ils doivent faireface a l’epidemie ou s’y preparer.Comment faire un diagnostic differentielentre la maladie a virus Ebola (MVE) etles fievres communes chez les enfants ?Comment prevenir la transmission duvirus aux enfants si les parents sontatteints ? Faut-il amenager les centres detraitement pour qu’ils accueillent desenfants, ou des espaces dans les servicesde pediatrie ? La diversite des situationsfamiliales et sociales des enfants est-elleprise en compte dans les mesures pre-vues pour des enfants cas suspects oucontacts ? Comment faut-il informer lesenfants sur la MVE et l’epidemie, enpopulation generale, enmilieu scolaire etdans les familles ?

Ces questions d’actualite pour les paysen situation de risque epidemique etd’epidemie ont ete discutees lors d’uneJournee d’etude et d’echanges organisee aDakar par le centre regional de rechercheet de formation a la prise en charge deFann (CRCF) et l’unite mixte internatio-nale TransVIHMIde l’Institut de recherchepour le developpement (IRD), a laquelleparticipaient une soixantaine d’acteurs– professionnels de sante, acteurs du plande riposte contre la MVE, d’organisationsnon gouvernementales, d’associations etd’organismes internationaux. Le Senegal

venait de connaıtre une flambee epide-mique a partir d’un cas adulte (gueri etsans transmission secondaire) [1]. Lapresentation de communications faisantlepoint sur les connaissances scientifiquesa ete suivie d’echanges sur les experiencesde terrain dans divers domaines (sante,social, prevention, soin, droits). Cesdebats dessinaient les contours des pro-blematiques cles au Senegal et permet-taient de repondre a quelques questions.

Aspectsepidemiologiqueset biocliniques de lamaladie a virus Ebolachez les enfants :que sait-on ?

La litterature scientifique a d’abordmontre que les enfants etaient moinssouvent touches que les adultes [2] : aKikwit (Republique democratique duCongo) en 1995, comme a Gulu(Ouganda) en 2000, ils ne representaientque 9 % des malades [3]. Les motifs decette apparente protection, egalementobservee dans d’autres epidemies defievres hemorragiques, pourraient etrecomportementaux : dans les familles, lesenfants sont tenus a l’ecart des malades,contrairement aux adultes. Les enfantspeuvent cependant etre exposes lorsqueleurs parents sont atteints par la MVE etque les proches refusent de s’occuperd’eux par peur de la maladie. Ce fut le cas

a Gulu en 2000, ou des enfants contactsde moins de 5 ans ont ete places enisolement avec leurs parents malades,faute d’autre solution pour les prendre encharge [2]. De tels facteurs micro-sociauxd’exposition au risque, ou un meilleurdiagnostic des cas pediatriques, pour-raient expliquer qu’en 2003, dans ledepartement de la Cuvette-Ouest duCongo, les moins de 15 ans etaient plusnombreux, puisqu’ils representaient presde 26 % des personnes atteintes [4]. Laprise en charge des couples mere-enfantpose probleme lorsque la mere estcontaminee, car l’allaitement est l’undes modes de transmission du filovirus,mais, inversement, les chances de survied’un nourrisson isole de sa mere sontfaibles : la decision de separer ou non lamere et son enfant pose un problemeethique et epidemiologique [2].

D’un point de vue clinique, lessymptomes identifies chez les enfantssont peu specifiques [2]. Il s’agit tressouvent de fievre, d’asthenie, de perted’appetit, de difficultes respiratoires et deproblemes gastro-intestinaux, alors queles signes hemorragiques sont peu fre-quents, observes dans seulement 16 %des cas [3]. Le taux de mortalite estglobalement moins eleve chez les enfantsque chez les adultes, mais il est beaucoupplus eleve dans la petite enfance :lorsqu’il est de 37,5 % pour l’ensembledes enfants entre 5 et 15 ans, il atteint77 % chez les moins de 5 ans et sembleproche de 100 % chez les moins de 1 an[4]. Les enfants ne sont pas un groupehomogene face a la MVE. Au cours ded

oi:10.1684/m

st.2015.0435

Pour citer cet article : Desclaux Sall C, Desclaux A. L’enfant face a lamaladie a virus Ebola Journee d’etude et d’echanges, Dakar, 1er octobre 2014.Med Sante Trop 2015 ; 25 :125-129. doi : 10.1684/mst.2015.0435

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l’epidemie actuelle, qui sevit majoritaire-ment en Guinee, en Sierra Leone et auLiberia, 13,8 % des personnes toucheespar la MVE sont des enfants de moins de15 ans, pour lesquels le taux de letaliteetait en septembre 2014 d’environ 70 %[2, 5].

Ainsi, de maniere generale, lesenfants ne sont pas epargnes par laMVE. La symptomatologie de la MVE estpeu specifique chez les enfants, d’oul’importance de la qualite de l’anamneserealisee par les medecins lors du triagedans les structures de sante, essentiellepour une prise en charge efficace. L’etatnutritionnel est aussi important dans laprise en charge des enfants pour lesquelsla mise en place de protocoles nutrition-nels est primordiale [2]. D’autre part, lesenfants sont aussi tres affectes par la pertede leurs parents et parfois l’atteinte deplusieurs membres de leurs familles,comme le montre de maniere detailleeun rapport du Fonds des Nations uniespour l’enfance (Unicef) Guinee [6]. Surces differentes questions, l’etude multi-disciplinaire de cohorte Postebogui, encours demise en place en Guinee, aupresd’enfants et adultes gueris (sur le planvirologique), permettra d’apporter desinformations concernant les effets bio-cliniques et sociaux de la maladie et lesdeterminants de la guerison.

Quelle preventiondans le systemeeducatif ?

Au Senegal, le ministere de la Sante et del’Action sociale a mis tres tot en place unplandecommunication. LeServicenationald’education et d’information pour la sante(Sneips), en partenariat avec divers orga-nismes (OMS, Unicef, Usaid, Jica)1 adeveloppe des outils d’information, d’edu-cation et de communication (IEC) (affiches,clips video, messages radio) pour informerla population de maniere generale(figure 1), et certains groupes en particulier(comme les pecheurs, particulierementexposes du fait de leurs sejours dans leseaux territoriales de Guinee) au travers demessages clairs et simples sur les modes de

transmission de la MVE et sur les mesuresde prevention. Les reseaux sociaux ontaussi ete largement utilises pour partagerles outils du Sneips2. Une ligne telepho-nique gratuite (« numero vert ») a ete miseenplacepour repondre a toutequestion surlaMVE.Des sensibilisationsonteu lieudanstout le pays ; la diffusion des messages deprevention a ete accentuee lorsqu’un cas aete diagnostique.

Concernant les enfants, la division ducontrole medical scolaire (DCMS) a misen place un comite interne de lutte contrela MVE, et a developpe des activites avecses partenaires (Unicef, Jica) dans lesecoles et les daaras (ecoles coraniques).Des fiches pedagogiques ont ete elabo-rees pour aider les enseignants. Lessupports d’IEC existants ont ete adaptes,notamment par des traductions en wolofet en arabe. Il etait prevu que toutes lesecoles senegalaises installent un point delavage des mains et diffusent les messa-ges d’hygiene dans toutes les classes. Deplus, les approvisionnements en eau etles equipements sanitaires dans lesecoles ont fait l’objet d’un bilan, dansl’objectif que toutes les ecoles soientsuffisamment equipees. L’ecole est un

lieu privilegie pour sensibiliser lesparents d’eleves et les enfants a laMVE, et aussi assurer une surveillancecommunautaire. L’accueil des elevesrevenant de vacances en Guinee amobilise les enseignants pour surveillerl’apparition de symptomes et pour eviterla stigmatisation a leur egard3. Pourpreparer l’eventualite d’un cas avere deMVE chez un enfant ou un enseignant, laDCMS a projete la mise en place decellules d’appui psychologique, ainsiqu’un dispositif exceptionnel de gestiondes enseignements en cas de develop-pement de l’epidemie4.

Comment considererl’enfant dans ledispositif de prise encharge ?

Au Senegal, douze enfants de la famillequi a accueilli le patient a Dakar avant

Figure 1. Affiche de prevention sur la MVE du ministere de la Sante et de l’Action sociale du Senegal, Ile deGoree, decembre 2014. # A. Desclaux.

1 OMS : Organisation mondiale pour la sante,Usaid : Agence americaine pour le developpe-ment international (United States Agency forInternational Development), Jica : Agence japo-naise de cooperation internationale

2 https://www.facebook.com/pages/Service-National-Education-Et-Information-Pour-La-Sante-Sneips/

3 En milieu scolaire, les enfants venant de paystouches par la MVE peuvent etre stigmatises,comme aux Etats-Unis pour des enfants venantdu Senegal : https://fr.news.yahoo.com/ebola-new-york-deux-enfants-agresses-ecole-151533454.html4 L’evaluation de ces interventions n’est pasencore disponible.

126 Medecine et Sante Tropicales, Vol. 25, N8 2 - avril-mai-juin 2015

C. DESCLAUX SALL, A. DESCLAUX

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qu’il ne soit hospitalise ont ete identifiescomme cas contacts5 et mis sous sur-veillance medicale a domicile a ce titre[7]. Pendant vingt et un jours, tous lesmembres de la famille habitant dans lameme unite residentielle ont ete tenus derester chez eux en limitant leurs relationssociales pour eviter les contacts physi-ques, et ont ete suivis matin et soir pourdepister la survenue de symptomes,notamment d’une fievre, qui auraitsignifie que la personne avait pu etrecontaminee6. Le suivi medical des cascontacts par des personnels du serviced’hygiene et des volontaires de la Croix-Rouge senegalaise, sous l’autorite dumedecin chef de district, a ete completepar l’intervention d’une equipe de sou-tien psychologique, coordonnee par unmedecin psychiatre ; cette equipe arendu visite a la famille, puis assure desappels telephoniques quotidiens aupresdes adultes. Concernant les enfants, cesvisites ont permis de reperer quelquesreactions de peur (notamment a la vuedes thermometres a infrarouges sanscontact thermoflash, qui peuvent evo-quer une arme) et un certain niveaud’anxiete globale. Outre ces effets psy-chologiques qui ont pu etre resolus pardes echanges individuels, l’un des prin-cipaux problemes identifies etait l’ennuipour des enfants qui ne pouvaient pasaller jouer avec leurs amis hors del’espace familial. Des jouets ont etefournis par l’Unicef, et une animatriceest venue partager des moments de jeuavec les enfants ; ceci a cree unedynamique, les parents et adultes de lacour, eux aussi sans activite, venant eux-memes participer aux jeux. En plusd’apporter un divertissement, cette inter-vention a permis de renforcer la relationentre parents et enfants et a reduit lestress induit par l’isolement. Des infor-mations sur le niveau de risque de

contamination par le virus Ebola, men-tionnant notamment l’absence de trans-mission en periode d’incubationasymptomatique, ont ete delivrees al’occasion de ces divers contacts, ce quia pallie, dans une certaine mesure,l’absence d’information initiale structureeet adaptee aux enfants. De cette expe-rience, les acteurs ont retenu que la priseen compte des aspects psychologiques etrelatifs a l’information et a la communi-cation est essentielle pour ameliorer levecu de la situation de maintien audomicile, et assurer une bonne obser-vance des mesures recommandees enevitant que les enfants « s’echappent » ousouffrent. Le stress genere par la situationest encore accru par les mesures deprotection qui ont ete utilisees, par excesde precaution, au cours des premiersjours, comme le port des equipements deprotection individuelle (EPI)7 au domi-cile des personnes contacts. Pour unenfant, il est essentiel de dedramatiser lasituation, de lui permettre de compren-dre ce qu’il se passe, ce qui « se cache »sous une blouse ou un equipement deprotection. Dans les pays les plus tou-ches, des actions de sensibilisation des-tinees aux enfants leur montrent unprofessionnel de sante en train des’habiller et en expliquent les motifs.

Dans l’eventualite de futurs cas sus-pects ou malades parmi les enfants, l’etatde preparation des services a ete discute,ce qui a mis en evidence la necessite pourles services de pediatrie de participerpleinement au plan de riposte, poureviter tout delai entre la mise en place decapacites de traitement pour les adulteset pour les enfants. Pour le suivi dessujets contacts, outre l’appui psycholo-gique et l’information qui doiventconcerner les enfants autant que lesadultes, l’appui alimentaire necessairedans les situations ou l’approvisionne-ment de la famille est interrompu devraconsiderer leurs besoins specifiques. Desdispositifs en cours de formalisation dansles pays les plus touches, comme la miseen place des « creches » pour les jeunesenfants separes temporairement de leursparents, orphelins ou gueris d’Ebola, encours en Guinee, pourront guider la

preparation lorsque leur evaluation seradisponible.

Quelles propositionspour les enfants nonscolarises ?

Comme d’autres enfants qui ne sont passcolarises et ne frequentent pas lesdaaras, les « enfants des rues » nepeuvent pas etre atteints par les actionsci-dessus. Les enfants des rues, definiscomme des mineurs en rupture totaleavec leur famille, sont doublementvulnerables : ils vivent dans des condi-tions de precarite extreme, sans accesaux soins, et ils sont tres mobiles etpeuvent difficilement etre suivis oumeme localises. Au Senegal, une partiedes enfants des rues venant de l’etrangersont guineens8. Leur vulnerabilite estaccrue par l’epidemie car ils sont moinsaides par la population, qui peut en avoirpeur. Les equipes de rue de l’associationVillage Pilote9, une des associations quivont a la rencontre de ces enfants, leurproposent un accueil, une education etune prise en charge globale, puis orga-nisent un retour en famille des quepossible. Depuis la flambee epidemique,l’equipe a constate que les enfantsoriginaires de Guinee sont moins visiblesdans la rue ; de plus, les retours dans lespays en flambee epidemique sont deve-nus impossibles, et l’accueil de nouveauxenfants dans les centres d’hebergement aete suspendu. Dans le contexte de MVE,Village Pilote a mis en place plusieursmesures : seances de sensibilisation desenfants accueillis dans les centresd’hebergement et rencontres dans larue, renforcement des mesuresd’hygiene, elaboration de protocoles deprise en charge en fonction du niveau derisque. Les associations qui prennent encharge les enfants des rues (regroupeesdans un collectif a Dakar) participentpleinement a la riposte senegalaise a la5 « Est defini comme contact toute personne ne

manifestant pas de signes ou symptomes de lamaladie mais qui a ete en contact physique avecun cas (vivant ou mort) ou les liquidesbiologiques d’un cas au cours des trois dernieressemaines. Par contact physique, on entend le faitde partager la meme piece ou le meme lit, desoigner un patient, de toucher des liquidesbiologiques ou de participer de pres a unenterrement. » [7, p.1].6 La recommandation de l’OMS concernant lescontacts est a ce propos « de rester le pluspossible chez eux et de restreindre les contactsrapproches avec autrui » [7, p. 5].

7 L’OMS ne recommande pas d’utiliser les EPIpour le suivi des cas contacts, mais recommandeaux equipes assurant leur suivi de ne pas avoir decontact corporel et de respecter une distance desecurite de 2 metres.

8 Selon les representants des associations quiaccueillent ces enfants, dont l’origine n’estenregistree precisement que lorsqu’ils sont prisen charge individuellement sur les sites. A Dakar,les enfants des rues sont majoritairement origi-naires des regions rurales du Senegal ainsi qued’autres pays comme la Guinee-Bissau, laMauritanie, le Mali, la Guinee-Conakry, la Coted’Ivoire et la Gambie [8].9 Presentation de l’association Village Pilote :http://www.villagepilote.org/

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L’enfant face a la maladie a virus Ebola

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MVE. L’organisation de la prise en charged’enfants consideres comme cas suspectsa ete mise en place dans le cadre d’un« dispositif ad hoc et specifique pour leSamu social Senegal et l’ensemble de sespartenaires sur tout le territoire national »,impliquant les services du ministere de laSante, ces associations n’ayant pas lamission de suivre des malades10. D’unpoint de vue juridique, la plupart desenfants sont mineurs et doivent doncpouvoir etre accompagnes dans debonnes conditions. Une directive minis-terielle a ete elaboree pour pouvoirrepondre a ces situations.

Comment proteger lesdroits de l’enfant ensituation epidemique ?

D’un point de vue juridique, les diversdispositifs mis en place dans le cadre dela riposte a la MVE soulevent un certainnombre de questions. Declaree « menacepour la paix et la securite internationale »par le Conseil de securite de l’ONU,l’epidemie d’Ebola necessite de la partdes Etats la mise en place de mesurestouchant a de nombreux secteurs (santepublique, securite, mobilite transfronta-liere, etc.). Cette situation exceptionnelleest regie par le Reglement sanitaireinternational, qui s’ajoute a de nombreu-ses lois sur le plan national telles que, auSenegal, la loi sur la reforme hospitaliere,la loi de 1961 relative a la sante publiqueen situation de grande endemie, la loi surla protection des donnees a caracterepersonnel, la loi portant code d’ethiquede la recherche en sante11. Tous cestextes s’appliquent aux enfants, qui, deplus, relevent de la Convention desNations unies relative aux droits del’enfant. Respecter les droits des person-

nes est un enjeu majeur dans une tellesituation, alors que le contexte dediffusion rapide d’informations parfoispeu controlees peut generer, par exem-ple, des violations du secret medical,notamment pour les enfants fragilises parleur relation de dependance vis-a-vis desadultes. Les enfants comme les adultesdoivent avoir un acces equitable auxsoins ainsi qu’au respect de la confiden-tialite et de leur vie privee, ce dernierpoint n’ayant pas ete respecte au Senegalpar le traitement mediatique du maladelors de la flambee epidemique deseptembre-octobre 2014. Si des traite-ments experimentaux devaient etre uti-lises, l’application de la loi sur larecherche en sante12 empecherait deles appliquer a des enfants n’ayant pasde representant legal disponible, ce quipeut creer une situation d’inequite, alorsque, le groupe de travail sur l’ethique del’OMS recommande de ne pas exclurearbitrairement les enfants des essaiscliniques dans le cadre de la MVE [9].Les participants sont convenu qu’il estnecessaire d’attirer davantage l’attentiondes acteurs publics sur le respect desdroits des personnes atteintes (enfants etadultes), qui ne sont actuellement passoutenues par des associations depatients ou de defense des droitshumains.

Comment sensibiliserles enfants etadolescents a la MVE ?

Le temoignage de personnes qui ont eteatteintes par la MVE peut etre unedemarche interessante, comme l’ontexplique plusieurs personnes vivant avecle VIH qui avaient elles-memes pris laparole en milieu scolaire ou dans d’autrescontextes. Cette modalite permet a la foisaux personnes concernees de partagerleur experience et de lui donner un sens, etde transmettre des informations demaniere personnalisee, humaine et« concrete », ce qui favorise l’empathie etl’ecoute. Les experiences rapportees mon-trent les effets benefiques de ces temoi-gnages sur l’evolution des representationsquant a la maladie et aux malades, enparticulier chez les adolescents. Les expe-

riences d’interventions de jeunes vivantavec le VIH aupres d’autres jeunes ontmontre leur interet, mais elles indiquentegalement qu’un accompagnement estnecessaire pour eviter tout risque destigmatisation ou de discrimination. Cesobservations laissent penser que le temoi-gnagede convalescents serait utile, notam-ment pour expliquer le vecu des maladesen isolement et pour lutter contre lastigmatisation en direction des personnesatteintes par la MVE. Des initiatives inter-essantes sont mises en place dans les paysles plus touches, telles que des interven-tions de personnes ayant survecu a la MVEdans les medias et plus recemment lacampagne #ISurvivedEbola (http://www.isurvivedebola.org), menee a partir d’uneapplication sur telephone mobile quipermet aux survivants de partager, entreautres, leur histoire. Elles participent auchangement des representations sur lespersonnes touchees par la MVE.

Une autre experience a nourri lareflexion sur les modeles de sensibilisa-tion sur la MVE adaptes aux enfants : leprogramme d’information des enfants etdes adolescents sur la sante sexuelle misen place par l’Unesco. Ce programme autilise des approches tres participatives ;ainsi les enfants ont-ils ete impliquesdans la definition des contenus des cours.La maniere dont les parents parlent auxenfants a en outre ete prise en compte.Pour la MVE, il paraıt essentiel dedevelopper, de la meme maniere, desactivites participatives autour de lamaladie pour permettre aux enfantset aux adolescents de s’approprier lesconnaissances et de les mobiliser auquotidien.

Conclusionset perspectives

Cette journee d’etude et d’echanges apermis d’identifier les vastes lacunes acombler en termes de connaissancesscientifiques, de discuter l’experiencepragmatique de la flambee epidemiquequ’a connue le Senegal, et d’envisager lesimplications de la MVE chez l’enfant sousdes angles tres divers. Elle a ete particu-lierement utile pour comprendre toute lacomplexite des interventions a mettre enplace specifiquement pour les enfants etles adolescents, en attirant l’attention surles dimensions psychologiques et socialesqui ne sont pas toujours prises en compte

10 http://samusocialsenegal.com/sss/sites/default/files/fichiers/Maraudes42%20web.pdf11 Reglement Sanitaire International (2005), OMS,102 p. http://whqlibdoc.who.int/publications/2008/9789242580419_fre.pdf?ua=1; Loi senega-laise no 98-08 du 2 mars 1998 portant reformehospitaliere ; Loi senegalaise no 61-11 du 10mars1961 relative a la protection de la sante publiqueenmatiere de grandes endemies ; Loi senegalaiseno 2008-12 du 25 janvier 2008 portant sur laprotection des donnees personnelles et sondecret d’application no 2008-721 du 30 juin2008 ; Loi senegalaise no 2009-17 du 9 mars2009 portant Code d’ethique pour la rechercheen sante

12 Loi senegalaise no 2009-17 du 9 mars 2009 por-tant Code d’ethique pour la recherche en sante

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C. DESCLAUX SALL, A. DESCLAUX

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dans les evaluations de sante publique.Les debats ont montre qu’un certainnombre de questions sont pertinentesen situation de risque epidemique, c’est-a-dire lorsque le pays doit se preparer al’epidemie – en particulier en vue qu’ellene s’installe pas. Cette journee d’etude etd’echanges a permis de sensibiliser denouveaux acteurs a l’intervention aupresd’enfants, et a introduit une reflexion apoursuivre sur l’adaptationde « la riposte »au sujet des enfants.

Remerciements : Laurent Hiffler (pediatrereferent pour MSF Espagne-OCBA), MariePelicot (Village Pilote), Ernest Dabire(Unicef), Fabienne Hejoaka (UMI 233-IRD),Xavier Hospital (Unesco), Haby Sy Signate(Hear), Mariam Sylla (Unicef), EdouardGueye (RNP+), Mamadou Badji (UCAD),Aloyse Diouf (Sneips), Aliou Dia (DCMS)pour leurs contributions lorsdecette journee,ainsi que le Dr Philippe Msellati (IRD).

Cette journee a ete organisee avec l’appuifinancier du Programme prioritaire regionalsante de l’enfant en Afrique de l’ouest del’IRD (Regional Pilot Program ‘‘Child Healthin West Africa’’), numero 2014-06, et lescontributions du Centre regional de recher-che et de formation a la prise en chargeclinique de Fann, ainsi que du ministere dela Sante et de l’Action sociale du Senegal.

Conflits d’interet : aucun.

References

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care professionals need to know. JAMA Pediatr2014 ; 168 : 1087-8.4. Boumandouki P, Formenty P, Epelboin A,et al. Clinical management of patients anddeceased during the Ebola outbreak fromOctober to December 2003 in Republic of Congo.Bull Soc Pathol Exot 2005 ; 98 : 218-23.5. WHO Ebola Response Team. Ebola virusdisease in West Africa–the first 9 months of theepidemic and forward projections. N Engl J Med2014 ; 371 : 1481-95.6. Unicef Guinee. Rapport sur les besoinspsychosociaux et de protection des enfants etdes menages des zones affectees par l’epidemieEbola en Guinee. Analyse rapide des besoinspsychosociaux et de protection des enfants dansneuf prefectures et la ville de Conakry affecteespar l’epidemie Ebola. Conakry: Ministere del’action sociale, de la promotion feminine et del’enfance. Unicef Guinee, 2014: 52 p.7. OMS, Bureau Regional de l’Afrique. Recherchedes contacts pendant une flambee de maladie avirus Ebola. Brazzaville : OMS. 30 p.8. Samu social Senegal. Rapport annuel 2012.Dakar, Senegal, 2013 ; 27 p.9. WHO, Ethics Working Group Meeting. .Ethical issues related to study design for trialson therapeutics for Ebola Virus Disease. Geneva :WHO. 7 p.

Lu pour vous Morand J.-J.

Un autre Houphouët : chroniques de son médecinBertrand Edmond

L’Harmattan, 2015, 121 pages

Il est toujours passionnant de decouvrir la « grande » Histoirepar de « petites histoires » et de comprendre ainsi commentla plupart des decisions importantes d’hommes politiques

d’envergure relevent d’une facon d’etre, de penser et d’agirancree dans leur propre historique, leurs traditions socialeset familiales. Grace aux temoignages intimes sur leur viequotidienne, on comprend la profondeur des personnages etleur humanite. L’ouvrage du Pr Edmond Bertrand, agrege duService de sante des armees, doyen de la faculte de medecined’Abidjan et directeur de l’Institut de cardiologie en Coted’Ivoire, l’illustre au travers demultiples anecdotes et rencontresavec le president Felix Houphouet-Boigny. Une reelle confi-ance s’etait etablie entre eux au cours des vingt annees ou ilsse cotoyerent. Ainsi, est dresse avec brio le portrait d’unmedecin de l’Ecole de Dakar, fidele en amitie, d’une reflexionprofonde, combinant la culture francophone a celle, ancestrale,de l’Afrique noire, toujours a l’ecoute des autres et notammentdes malades, convaincu de l’avenir (notamment agricole) deson pays aussi bien que de la richesse et de l’egalite deshommes, quelle que soit leur couleur de peau. . .

Medecine et Sante Tropicales, Vol. 25, N8 2 - avril-mai-juin 2015 129

L’enfant face a la maladie a virus Ebola