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LELLIPSE DANS LEXPRESSION:
LECART LITTERAIRE CHEZ MERLEAU-PONTY
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Susannah RAYMOND-BARKER
Mmoire Master 2
Sous la direction de L.Mouze
1 Figure 1: Un pome de Emily Dickinson, not sur une enveloppe. Disponible ladresse :
http://tumblr.austinkleon.com/post/63754567710.
http://tumblr.austinkleon.com/post/63754567710
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Je dis : une fleur ! et, hors de loubli o ma voix relgue aucun contour, en tant
que quelque chose dautre que les calices sus, musicalement se lve, ide mme
et suave, labsente de tous bouquets.
-Mallarm, Crise de vers
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Rsum
Au dbut des annes cinquante, Merleau-Ponty a fait un tournant vers une philosophie qui
sintressait moins au sujet transcendantale, et davantage aux questions ontologiques globales.
En modifiant les thories postsaussurienne dune diffrence invisible qui dynamise le
dploiement de la parole, Merleau-Ponty a pu faire une analyse de lenchevtrement empirique-
idel dans loprativit de ltre. Ce mmoire de masters a pour but danalyser les rapports et
les taches aveugles qui dynamisent loprativit latente de la chair du monde et de la parole
oprative de la littrature qui en fait expression, ainsi que les crises esthtiques que les taches
aveugles chiastiques provoquent chez lcrivain.
Summary
In the early 1950s, Merleau-Ponty underwent a turn towards a philosophy that was less
interested in the transcendental subject and more interested in global ontological questions. By
modifying postsaussurean theories of an invisible diffrence that dynamises the operation of
speech, Merleau-Ponty was able to do an analysis of the ideal-empirical entanglement of being.
This masters thesis aims to analyse the links and the blind spots that dynamise the latent
operativity of the flesh of the world and of the operative speech of literature which expresses
it, as well as the aesthetic crises that these chiastic blind spots can provoke in the author.
Mots cls Merleau-Ponty, chiasme, crivain.
Key words Merleau-Ponty, chiasm, writer.
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Remerciements
Je voudrais adresser ma gratitude la directrice de ce mmoire, Ltitia Mouze pour sa
disponibilit et son vif intrt pour le thme abord. Ses conseils ont contribu alimenter ma
rflexion.
Je dsire aussi remercier Anne Coignard davoir accept dassister au jury de soutenance, et
aussi de ses aides pratiques pendant mon anne erasmus mundus ici Toulouse. Lorganisation
du programme erasmus mundus europhilosophie est une grande tche, et je suis trs
reconnaissante de son effort qui a permis un rassemblement de jeunes philosophes venant de
partout dans le monde.
Jaimerais exprimer ma gratitude tous les professeurs qui mont enseign pendant les deux
annes du programme luniversit Charles de Prague, luniversit de Coimbra et
luniversit Toulouse-Jean-Jaurs. Ces deux annes tait les plus enrichissantes de ma vie
(acadmiquement et culturellement). La patience et la flexibilit langagire de nos professeurs
nous a fourni une formation philosophique archi-europenne. Participer dans un cours sur
Bergson en allemand en Rpublique tchque serait un exemple paradigmatique de lexprience
europhilosophique.
Je voudrais remercier Jean-Christophe Goddard davoir lanc le programme avec le soutien de
lUnion Europenne, et de son engagement enthousiaste dans le partage transculturel de la
philosophie.
Finalement, un grand merci mes parents, ma sur et mes amis pour leur confiance et leur
support inestimable pendant mes activits universitaires. Pendant lcriture de ce mmoire, qui
traite le sujet de lexpression et langoisse ontologique quil provoque chez les crivains, je
pensais souvent mon arrire-grand-pre Arthur Darwood qui, il y a cent ans, a aussi voyag
en Europe, passionn de la culture franco-allemande. Il venait pour combattre au front de la
Premire guerre mondiale pourtant. Une fois revenu en Angleterre, il na jamais prononc ni
crit un mot sur ses expriences. Je souhaite alors ddier ce mmoire sa mmoire.
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SOMMAIRE
INTRODUCTION p6
1 LEXPRESSION CHEZ MERLEAU-PONTY
a) Vers une ontologie structuraliste ..p11
b) Chair et Langage ...p20
2 LE ROLE DE LA PAROLE POETIQUE
a) Lexprience de lcrivain p27
b) Lesthtique de la littrature chez Blanchot .p34
c) Le langage littraire comme thrapiep42
CONCLUSION..p48
Bibliographie..p51
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Introduction
Depuis lpoque romantique, la fragmentation de lart a ouvert un espace vide dans lart. Dans
la peinture par exemple, nous voyons lutilisation des blocs de couleur en aplat alors que des
compositeurs comme John Cage considrent que lespace vide quest le silence peut tre la
musique en elle-mme. Mais le vrai point de dpart de ce travail sera lespace vide littraire
qui sest ouvert. Un espace vide qui se manifeste par lutilisation des points de suspension (ou
en grec des ellipses- : manque ou omission). Dans ce mmoire je veux me focaliser
sur les racines de cette tendance esthtique et la question de savoir ce que lellipse littraire
expose exactement. Je pense que lontologie structuraliste des crits tardifs de Merleau-Ponty-
surtout dans Signes (1960), Le visible et linvisible (1964) et La Prose du Monde (1969)
pourrait contribuer formuler une rponse cette question. Lart et la philosophie se refltent
et spanouissent mutuellement, et je partage lide dEugen Fink, qui disait dans son Epilogue
la posie que le philosophe peut essayer dutiliser lart comme Wegweiser2 ou en franais
comme fil dAriane dans son labyrinthe rempli de faux chemins et de noirceur.
Dans mon mmoire je veux poursuivre la thmatique de lespace vide dans le langage
en mappuyant sur Saussure, Merleau-Ponty et les crits des thoriciens de la littrature tel que
Blanchot et Paulhan. Je me suis laisse inspirer par le livre W ou le souvenir de lenfance de
Georges Perec. Ce livre incorpore lespace vide littralement et physiquement. Perec voulait
transmettre lintransmissible dans ce rcit- la dportation de sa mre Auschwitz-Birkenau. Il
avait six ans, et il tait cach chez sa tante la dernire fois quil a vu sa mre. Elle fut dporte
Auschwitz le sept juillet, donc le 07.07. Cest pour cette raison que l o le septime chapitre
devrait se trouver, Perec a laiss une page blanche avec trois des points de suspension. Sa vie
avant et aprs sa dportation, les deux parties de lhistoire se situent des deux cts dun
vnement quil ne peut reprsenter quen tant quespace vide, puisque quand il essaie de
formuler des penses sur ce sujet, les mots lui manquent. Peut-tre que Perec sest laiss
inspirer par Victor Hugo, qui dans son recueil de posie chronologique Les Contemplations a
laiss une page blanche avec une ligne de points de suspension dans la chronologie pour
marquer le 4 Septembre 1843- le jour o sa fille sest noye dans la Seine. Le dicton Les mots
me manquent est un dicton trs vieux, mais le dveloppement de la smiologie de Saussure
2Fink, Eugen. Epilogue zur Dichtung. V. Klostermann, Frankfurt am Main. 1971, p26.
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dans son Cours de linguistique gnrale donn en 1914 nous permet de regarder la structure du
langage de prs et dessayer de comprendre comment nos signes, avec leur systme de
diffrence ngative peuvent nous sembler insuffisants.
Le Cours de Linguistique de Saussure montre de manire systmatique comment le
langage construit notre ralit. Il dsigne le langage comme systme o tout se tient- ce qui a
comme consquence quun mot en soi na pas de sens- ou au moins pas de sens qui soit situ
et concret. Les mots nobtiennent leur sens que par leurs rapports les uns aux autres. Le sens
ne se situe pas dans les mots eux-mmes, mais dans les valeurs produits par leur diffrence,
grce notre capacit incroyable de construire spontanment des structures de diffrence. La
pense est le fruit de notre babillage (distinctions entre voyelles et consonants) et vice versa.
Il ny a pas dhirarchie.
Philosophies et linguistes se sont toujours accords reconnatre que, sans le secours
des signes, nous serions incapables de distinguer deux ides dune faon claire et
constante. Prise en elle-mme, la pense est comme une nbuleuse o rien nest
ncessairement dlimit. Il ny a pas dides prtablies, et rien nest distinct avant
lapparition de la langue. En face de ce royaume flottant, les sons offriraient- ils par
eux-mmes des entits circonscrites davance? Pas davantage. La substance phonique
nest pas plus fixe ni plus rigide; ce nest pas un moule dont la pense doive
ncessairement pouser les formes, mais une matire plastique qui se divise son tour
en parties distinctes pour fournir les signifiants dont la pense a besoin. Nous pouvons
donc reprsenter le fait linguistique dans son ensemble, cest--dire la langue, comme
une srie de subdivisions contigus dessines la fois sur le plan indfini des ides
confuses (A) et sur non moins indtermin des sons (B).3
Mme si le langage nous frappe comme lettre mort4, il y a des forces invisibles qui le creusent
de lintrieur. Les signes qui construisent nos phrases sont composs de bruits et de concepts
attribus aux bruits diffrents. Lat