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EDGAR ALLAN POE LE PUITS ET LE PENDULE

Le puits et le pendule

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  • EDGAR ALLAN POE

    LE PUITS ET LEPENDULE

  • EDGAR ALLAN POE

    LE PUITS ET LEPENDULETraduit par Charles Baudelaire

    1842

    Un texte du domaine public.Une dition libre.

    ISBN978-2-8247-0649-8

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    Sources : Bibliothque lectronique duQubec

    Ont contribu cette dition : Association de Promotion de lEcriture et de la

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    Fontes : Philipp H. Poll Christian Spremberg Manfred Klein

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  • Le puits et le pendule

    Impia tortorum longos hic turba furores,Sanguinis innocui non satiata, aluit.Sospite nunc patria, fracto nunc funeris antro,Mors ubi dira fuit vita salusque patent.atrain compos pour les portes dun march quidevaitslever sur lemplacement du club des Jacobins, Paris.

    . Ce march march Saint-Honor, na jamais eu ni portes niinscriptions. Linscription a-t-elle exist en projet ? C. B.

    J , bris jusqu la mort par cette longue agonie ; et,quand enfin ils me dlirent et quil me fut permis de masseoir,je sentis que mes sens mabandonnaient. La sentence, la ter-rible sentence de mort, fut la dernire phrase distinctement accentuequi frappa mes oreilles. Aprs quoi, le son des voix des inquisiteurs meparut se noyer dans le bourdonnement indfini dun rve. Ce bruit appor-tait dans mon me lide dune rotation, peut-tre parce que dans monimagination je lassociais avec une roue de moulin. Mais cela ne dura quefort peu de temps ; car tout dun coup je nentendis plus rien. Toutefois,

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    pendant quelque temps encore, je vis mais avec quelle terrible exagra-tion ! Je voyais les lvres des juges en robe noire. Elles mapparaissaientblanches, plus blanches que la feuille sur laquelle je trace ces mots, et minces jusquau grotesque ; amincies par lintensit de leur expressionde duret, dimmuable rsolution, de rigoureux mpris de la douleurhumaine. Je voyais que les dcrets de ce qui pour moi reprsentait le Des-tin coulaient encore de ces lvres. Je les vis se tordre en une phrase demort. Je les vis figurer les syllabes de mon nom ; et je frissonnai, sentantque le son ne suivait pas le mouvement. Je vis aussi, pendant quelquesmoments dhorreur dlirante, la molle et presque imperceptible ondula-tion des draperies noires qui revtaient les murs de la salle. Et alors mavue tomba sur les sept grands flambeaux qui taient poss sur la table.Dabord, ils revtirent laspect de la Charit, et mapparurent comme desanges blancs et sveltes qui devaient me sauver ; mais alors, et tout duncoup, une nause mortelle envahit mon me, et je sentis chaque fibrede mon tre frmir comme si javais touch le fil dune pile voltaque ;et les formes angliques devenaient des spectres insignifiants, avec desttes de flamme, et je voyais bien quil ny avait aucun secours esp-rer deux. Et alors se glissa dans mon imagination comme une riche notemusicale, lide du repos dlicieux qui nous attend dans la tombe. Lidevint doucement et furtivement, et il me semble quil me fallut un longtemps pour en avoir une apprciation complte ; mais, au moment mmeo mon esprit commenait enfin bien sentir et choyer cette ide, lesfigures des juges svanouirent comme par magie ; les grands flambeauxse rduisirent nant ; leurs flammes steignirent entirement ; le noirdes tnbres survint : toutes sensations parurent sengloutir comme dansun plongeon fou et prcipit de lme dans lHads. Et lunivers ne futplus que nuit, silence, immobilit.

    Jtais vanoui ; mais cependant je ne dirai pas que jeusse perdu touteconscience. Ce quil men restait, je nessaierai pas de le dfinir, ni mmede le dcrire ; mais enfin tout ntait pas perdu. Dans le plus profond som-meil, non ! Dans le dlire, non ! Dans lvanouissement, non ! Dansla mort, non ! Mme dans le tombeau tout nest pas perdu. Autrement,il ny aurait pas dimmortalit pour lhomme. En nous veillant du plusprofond sommeil, nous dchirons la toile araneuse de quelque rve. Ce-

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    pendant, une seconde aprs, tant tait frle peut-tre ce tissu, nousne nous souvenons pas davoir rv. Dans le retour de lvanouissement la vie, il y a deux degrs : le premier, cest le sentiment de lexistencemorale ou spirituelle ; le second, le sentiment de lexistence physique. Ilsemble probable que, si, en arrivant au second degr, nous pouvions vo-quer les impressions du premier, nous y retrouverions tous les loquentssouvenirs du gouffre transmondain. Et ce gouffre, quel est-il ? Commentdu moins distinguerons-nous ses ombres de celles de la tombe ? Mais, siles impressions de ce que jai appel le premier degr ne reviennent pas lappel de la volont, toutefois, aprs un long intervalle, napparaissent-elles pas sans y tre invites, cependant que nous nous merveillons doelles peuvent sortir ? Celui-l qui ne sest jamais vanoui nest pas celuiqui dcouvre dtranges palais et des visages bizarrement familiers dansles braises ardentes ; ce nest pas lui qui contemple, flottantes au milieude lair, les mlancoliques visions que le vulgaire ne peut apercevoir ; cenest pas lui qui mdite sur le parfum de quelque fleur inconnue, cenest pas lui dont le cerveau sgare dans le mystre de quelque mlodiequi jusqualors navait jamais arrt son attention.

    Au milieu de mes efforts rpts et intenses, de mon nergique ap-plication ramasser quelque vestige de cet tat de nant apparent danslequel avait gliss mon me, il y a eu des moments o je rvais que je rus-sissais ; il y a eu de courts instants, de trs courts instants o jai conjurdes souvenirs que ma raison lucide, dans une poque postrieure, maaffirm ne pouvoir se rapporter qu cet tat o la conscience parat an-nihile. Ces ombres de souvenirs me prsentent, trs indistinctement, degrandes figures qui menlevaient, et silencieusement me transportaienten bas, et encore en bas, toujours plus bas, jusquau moment o unvertige horrible moppressa la simple ide de linfini dans la descente.Elles me rappellent aussi je ne sais quelle vague horreur que jprouvaisau coeur, en raison mme du calme surnaturel de ce coeur. Puis vient lesentiment dune immobilit soudaine dans tous les tres environnants ;comme si ceux qui me portaient, un cortge de spectres ! avaientdpass dans leur descente les limites de lillimit, et staient arrts,vaincus par linfini ennui de leur besogne. Ensuite mon me retrouve unesensation de fadeur et dhumidit ; et puis tout nest plus que folie, la

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    folie dune mmoire qui sagite dans labominable.Trs soudainement revinrent dans mon me son et mouvement, le

    mouvement tumultueux du coeur, et dans mes oreilles le bruit de ses bat-tements. Puis une pause dans laquelle tout disparat. Puis, de nouveau, leson, le mouvement et le toucher, comme une sensation vibrante pn-trant mon tre. Puis, la simple conscience de mon existence, sans pense, situation qui dura longtemps. Puis, trs soudainement, la pense, et uneterreur frissonnante, et un ardent effort de comprendre au vrai mon tat.Puis un vif dsir de retomber dans linsensibilit. Puis brusque renais-sance de lme et tentative russie de mouvement. Et alors le souvenircomplet du procs, des draperies noires, de la sentence, de ma faiblesse,de mon vanouissement. Quant tout ce qui suivit, loubli le plus com-plet ; ce nest que plus tard et par lapplication la plus nergique que jesuis parvenu me le rappeler vaguement.

    Jusque-l, je navais pas ouvert les yeux, je sentais que jtais cou-ch sur le dos et sans liens. Jtendis ma main, et elle tomba lourdementsur quelque chose dhumide et dur. Je la laissai reposer ainsi pendantquelques minutes, mvertuant deviner o je pouvais tre et ce quejtais devenu. Jtais impatient de me servir de mes yeux, mais je nosaispas. Je redoutais le premier coup doeil sur les objets environnants. Centait pas que je craignisse de regarder des choses horribles, mais jtaispouvant de lide de ne rien voir. la longue, avec une folle angoisse decoeur, jouvris vivement les yeux. Mon affreuse pense se trouvait doncconfirme. La noirceur de lternelle nuit menveloppait. Je fis un effortpour respirer. Il me semblait que lintensit des tnbres moppressait etme suffoquait. Latmosphre tait intolrablement lourde. Je restai paisi-blement couch, et je fis un effort pour exercer ma raison. Je me rappelailes procds de lInquisition, et, partant de l, je mappliquai en dduirema position relle. La sentence avait t prononce, et il me semblait que,depuis lors, il stait coul un long intervalle de temps. Cependant, jenimaginai pas un seul instant que je fusse rellementmort. Une telle ide,en dpit de toutes les fictions littraires, est tout fait incompatible aveclexistence relle ; mais o tais-je, et dans quel tat ? Les condamns mort, je le savais, mouraient ordinairement dans les autodaf . Une solen-nit de ce genre avait t clbre le soir mme du jour de mon jugement.

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    Avais-je t rintgr dans mon cachot pour y attendre le prochain sacri-fice qui ne devait avoir lieu que dans quelques mois ? Je vis tout dabordque cela ne pouvait pas tre. Le contingent des victimes avait t mis im-mdiatement en rquisition ; de plus, mon premier cachot, comme toutesles cellules des condamns Tolde, tait pav de pierres, et la lumirenen tait pas tout fait exclue.

    Tout coup une ide terrible chassa le sang par torrents vers moncoeur, et pendant quelques instants, je retombai de nouveau dans moninsensibilit. En revenant moi, je me dressai dun seul coup sur mespieds, tremblant convulsivement dans chaque fibre. Jtendis follementmes bras au-dessus et autour de moi, dans tous les sens. Je ne sentais rien ;cependant, je tremblais de faire un pas, javais peur de me heurter contreles murs de ma tombe. La sueur jaillissait de tous mes pores et sarrtaiten grosses gouttes froides sur mon front. Lagonie de lincertitude devint la longue intolrable, et je mavanai avec prcaution, tendant les braset dardant mes yeux hors de leurs orbites, dans lesprance de surprendrequelque faible rayon de lumire. Je fis plusieurs pas, mais tout tait noiret vide. Je respirai plus librement. Enfin il me parut vident que la plusaffreuse des destines ntait pas celle quon mavait rserve.

    Et alors, comme je continuais mavancer avec prcaution, millevagues rumeurs qui couraient sur ces horreurs de Tolde vinrent se pres-ser ple-mle dans ma mmoire. Il se racontait sur ces cachots dtrangeschoses, je les avais toujours considres comme des fables, mais ce-pendant si tranges et si effrayantes, quon ne les pouvait rpter quvoix basse. Devais-je mourir de faim dans ce monde souterrain de t-nbres, ou quelle destine, plus terrible encore peut-tre, mattendait ?Que le rsultat ft la mort, et une mort dune amertume choisie, jeconnaissais trop bien le caractre de mes juges pour en douter ; le modeet lheure taient tout ce qui moccupait et me tourmentait.

    Mes mains tendues rencontrrent la longue un obstacle solide.Ctait un mur, qui semblait construit en pierres, trs lisse, humideet froid. Je le suivis de prs, marchant avec la soigneuse mfiance quemavaient inspire certaines anciennes histoires. Cette opration nan-moins ne me donnait aucun moyen de vrifier la dimension de mon ca-chot ; car je pouvais en faire le tour et revenir au point do jtais parti

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    sans men apercevoir, tant le mur semblait parfaitement uniforme. Cestpourquoi je cherchai le couteau que javais dans ma poche quand onmavait conduit au tribunal ; mais il avait disparu, mes vtements ayantt changs contre une robe de serge grossire. Javais eu lide denfon-cer la lame dans quelque menue crevasse de la maonnerie, afin de bienconstater mon point de dpart. La difficult cependant tait bien vulgaire ;mais dabord, dans le dsordre de ma pense, elle me sembla insurmon-table. Je dchirai une partie de lourlet de ma robe, et je plaai le morceaupar terre, dans toute sa longueur et angle droit contre le mur. En suivantmon chemin ttons autour de mon cachot, je ne pouvais pas manquerde rencontrer ce chiffon en achevant le circuit. Du moins, je le croyais ;mais je navais pas tenu compte de ltendue de mon cachot ou de ma fai-blesse. Le terrain tait humide et glissant. Jallai en chancelant pendantquelque temps, puis je trbuchai, je tombai. Mon extrme fatigue me d-cida rester couch, et le sommeil me surprit bientt dans cet tat.

    En mveillant et en tendant un bras, je trouvai ct de moi unpain et une cruche deau. Jtais trop puis pour rflchir sur cette cir-constance, mais je bus et mangeai avec avidit. Peu de temps aprs, jerepris mon voyage autour de ma prison, et avec beaucoup de peine jar-rivai au lambeau de serge. Au moment o je tombai, javais dj comptcinquante-deux pas, et, en reprenant ma promenade, jen comptai encorequarante-huit, quand je rencontrai mon chiffon. Donc, en tout, cela fai-sait cent pas ; et, en supposant que deux pas fissent un yard, je prsumaique le cachot avait cinquante yards de circuit. Javais toutefois rencon-tr beaucoup dangles dans le mur, et ainsi il ny avait gure moyen deconjecturer la forme du caveau ; car je ne pouvais mempcher de suppo-ser que ctait un caveau.

    Je ne mettais pas un bien grand intrt dans ces recherches, coupsr, pas despoir ; mais une vague curiosit me poussa les continuer.Quittant le mur, je rsolus de traverser la superficie circonscrite. Dabord,javanai avec une extrme prcaution ; car le sol, quoique paraissant faitdune matire dure, tait tratre et gluant. la longue cependant, je priscourage, et je me mis marcher avec assurance, mappliquant traverseren ligne aussi droite que possible. Je mtais ainsi avanc de dix ou douzepas environ, quand le reste de lourlet dchir de ma robe sentortilla dans

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    mes jambes. Je marchai dessus et tombai violemment sur le visage.Dans le dsordre de ma chute, je ne remarquai pas tout de suite

    une circonstance passablement surprenante, qui cependant, quelques se-condes aprs, et comme jtais encore tendu, fixa mon attention. Voici :mon menton posait sur le sol de la prison, mais mes lvres et la partie su-prieure de ma tte, quoique paraissant situes une moindre lvationque le menton, ne touchaient rien. En mme temps, il me sembla quemon front tait baign dune vapeur visqueuse et quune odeur particu-lire de vieux champignons montait vers mes narines. Jtendis le bras,et je frissonnai en dcouvrant que jtais tomb sur le bord mme dunpuits circulaire, dont je navais, pour le moment, aucun moyen de mesu-rer ltendue. En ttant la maonnerie juste au-dessous de la margelle, jerussis dloger un petit fragment, et je le laissai tomber dans labme.Pendant quelques secondes, je prtai loreille ses ricochets ; il battaitdans sa chute les parois du gouffre ; la fin, il fit dans leau un lugubreplongeon, suivi de bruyants chos. Au mme instant, un bruit se fit au-dessus dema tte, comme dune porte presque aussitt ferme quouverte,pendant quun faible rayon de lumire traversait soudainement lobscu-rit et steignait presque en mme temps.

    Je vis clairement la destine qui mavait t prpare, et je me flicitaide laccident opportun qui mavait sauv. Un pas de plus, et le monde nemaurait plus revu. Et cette mort vite temps portait ce mme caractreque javais regard comme fabuleux et absurde dans les contes qui se fai-saient sur lInquisition. Les victimes de sa tyrannie navaient pas dautrealternative que la mort avec ses plus cruelles agonies physiques, ou lamort avec ses plus abominables tortures morales. Javais t rserv pourcette dernire. Mes nerfs taient dtendus par une longue souffrance, aupoint que je tremblais au son de ma propre voix, et jtais devenu tousgards un excellent sujet pour lespce de torture qui mattendait.

    Tremblant de tous mes membres, je rebroussai chemin ttons versle mur, rsolu my laisser mourir plutt que daffronter lhorreur despuits, que mon imagination multipliait maintenant dans les tnbres demon cachot. Dans une autre situation desprit, jaurais eu le courage denfinir avec mes misres, dun seul coup, par un plongeon dans lun de cesabmes ; maismaintenant jtais le plus parfait des lches. Et puis il mtait

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    impossible doublier ce que javais lu au sujet de ces puits, que lex-tinction soudaine de la vie tait une possibilit soigneusement exclue parlinfernal gnie qui en avait conu le plan.

    Lagitation de mon esprit me tint veill pendant de longues heures ;mais la fin je massoupis de nouveau. En mveillant, je trouvai ct demoi, comme la premire fois, un pain et une cruche deau. Une soif br-lante me consumait, et je vidai la cruche tout dun trait. Il faut que cetteeau ait t drogue, car peine leus-je bue que je massoupis irrsis-tiblement. Un profond sommeil tomba sur moi, un sommeil semblable celui de la mort. Combien de temps dura-t-il, je nen puis rien savoir ;mais, quand je rouvris les yeux, les objets autour de moi taient visibles.Grce une lueur singulire, sulfureuse, dont je ne pus pas dabord d-couvrir lorigine, je pouvais voir ltendue et laspect de la prison.

    Je mtais grandement mpris sur sa dimension. Les murs ne pou-vaient pas avoir plus de vingt-cinq yards de circuit. Pendant quelquesminutes cette dcouverte fut pour moi un immense trouble ; trouble bienpuril, en vrit, car, au milieu des circonstances terribles qui mentou-raient, que pouvait-il y avoir de moins important que les dimensions dema prison ? Mais mon me mettait un intrt bizarre dans des niaiseries,et je mappliquai fortement me rendre compte de lerreur que javaiscommise dans mes mesures. la fin, la vrit mapparut comme un clair.Dansma premire tentative dexploration, javais compt cinquante-deuxpas, jusquau moment o je tombai ; je devais tre alors un pas ou deuxdu morceau de serge ; dans le fait, javais presque accompli le circuit ducaveau. Je mendormis alors, et, en mveillant, il faut que je sois re-tourn sur mes pas, crant ainsi un circuit presque double du circuitrel. La confusion de mon cerveau mavait empch de remarquer quejavais commenc mon tour avec le mur ma gauche, et que je finissaisavec le mur ma droite.

    Je mtais aussi tromp relativement la forme de lenceinte. En t-tant ma route, javais trouv beaucoup dangles, et jen avais dduit lidedune grande irrgularit ; tant est puissant leffet dune totale obscu-rit sur quelquun qui sort dune lthargie ou dun sommeil ! Ces anglestaient simplement produits par quelques lgres dpressions ou retraits des intervalles ingaux. La forme gnrale de la prison tait un carr. Ce

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    que javais pris pour de la maonnerie semblait maintenant du fer, ou toutautre mtal, en plaques normes, dont les sutures et les joints occasion-naient les dpressions. La surface entire de cette construction mtalliquetait grossirement barbouille de tous les emblmes hideux et rpulsifsauxquels la superstition spulcrale des moines a donn naissance. Desfigures de dmons, avec des airs de menace, avec des formes de sque-lettes, et dautres images dune horreur plus relle souillaient les mursdans toute leur tendue. Jobservai que les contours de ces monstruosi-ts taient suffisamment distincts, mais que les couleurs taient fltries etaltres, comme par leffet dune atmosphre humide. Je remarquai alorsle sol, qui tait en pierre. Au centre billait le puits circulaire, la gueuleduquel javais chapp ; mais il ny en avait quun seul dans le cachot.

    Je vis tout cela indistinctement et non sans effort, car ma situa-tion physique avait singulirement chang pendant mon sommeil. Jtaismaintenant couch sur le dos, tout de mon long, sur une espce de char-pente de bois trs basse. Jy tais solidement attach avec une longuebande qui ressemblait une sangle. Elle senroulait plusieurs fois autourde mes membres et de mon corps, ne laissant de libert qu ma tte et mon bras gauche ; mais encore me fallait-il faire un effort des plus p-nibles pour me procurer la nourriture contenue dans un plat de terre pos ct de moi sur le sol. Je maperus avec terreur que la cruche avait tenleve. Je dis : avec terreur, car jtais dvor dune intolrable soif. Ilme sembla quil entrait dans le plan de mes bourreaux dexasprer cettesoif, car la nourriture contenue dans le plat tait une viande cruellementassaisonne.

    Je levai les yeux, et jexaminai le plafond de la prison. Il tait unehauteur de trente ou quarante pieds, et, par sa construction, il ressem-blait beaucoup aux murs latraux. Dans un de ses panneaux, une figuredes plus singulires fixa toute mon attention. Ctait la figure peinte duTemps, comme il est reprsent dordinaire, sauf quau lieu dune fauxil tenait un objet quau premier coup doeil je pris pour limage peintedun norme pendule, comme on en voit dans les horloges antiques. Il yavait nanmoins dans laspect de cette machine quelque chose qui me fitla regarder avec plus dattention. Comme je lobservais directement, lesyeux en lair, car elle tait place juste au-dessus de moi, je crus la

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    voir remuer. Un instant aprs, mon ide fut confirme. Son balancementtait court, et naturellement trs lent. Je lpiai pendant quelquesminutes,non sans une certaine dfiance, mais surtout avec tonnement. Fatigu la longue de surveiller son mouvement fastidieux, je tournai mes yeuxvers les autres objets de la cellule.

    Un lger bruit attira mon attention, et, regardant le sol, je vis quelquesrats normes qui le traversaient. Ils taient sortis par le puits, que je pou-vais apercevoir ma droite. Au mme instant, comme je les regardais, ilsmontrent par troupes, en toute hte, avec des yeux voraces, affriandspar le fumet de la viande. Il me fallait beaucoup defforts et dattentionpour les en carter.

    Il pouvait bien stre coul une demi-heure, peut-tre mme uneheure, car je ne pouvais mesurer le temps que trs imparfaitement, quand je levai de nouveau les yeux au-dessus de moi. Ce que je vis alorsme confondit et me stupfia. Le parcours du pendule stait accru presquedun yard ; sa vlocit, consquence naturelle, tait aussi beaucoup plusgrande. Mais ce qui me troubla principalement fut lide quil tait vi-siblement descendu. Jobservai alors, avec quel effroi, il est inutile dele dire, que son extrmit infrieure tait forme dun croissant daciertincelant, ayant environ un pied de long dune corne lautre ; les cornesdiriges en haut, et le tranchant infrieur videmment affil comme celuidun rasoir. Comme un rasoir aussi, il paraissait lourd et massif, spa-nouissant, partir du fil, en une forme large et solide. Il tait ajust unelourde verge de cuivre, et le tout sifflait en se balanant travers lespace.

    Je ne pouvais pas douter plus longtemps au sort qui mavait t pr-par par latroce ingniosit monacale. Ma dcouverte du puits tait de-vine par les agents de lInquisition, le puits, dont les horreurs avaientt rserves un hrtique aussi tmraire que moi, le puits, figurede lenfer, et considr par lopinion comme lUltima ule de tous leurschtiments ! Javais vit le plongeon par le plus fortuit des accidents, etje savais que lart de faire du supplice un pige et une surprise formaitune branche importante de tout ce fantastique systme dexcutions se-crtes. Or, ayant manqu ma chute dans labme, il nentrait pas dans leplan dmoniaque de my prcipiter ; jtais donc vou et cette fois sansalternative possible, une destruction diffrente et plus douce. Plus

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    douce ! Jai presque souri dans mon agonie en pensant la singulire ap-plication que je faisais dun pareil mot.

    Que sert-il de raconter les longues, longues heures dhorreur plusque mortelles durant lesquelles je comptai les oscillations vibrantes delacier ? Pouce par pouce, ligne par ligne, il oprait une descente gra-due et seulement apprciable des intervalles qui me paraissaient dessicles, et toujours il descendait, toujours plus bas, toujours plusbas ! Il scoula des jours, il se peut que plusieurs jours se soient couls,avant quil vnt se balancer assez prs de moi pour mventer avec sonsouffle cre. Lodeur de lacier aiguis sintroduisait dans mes narines. Jepriai le ciel, je le fatiguai de ma prire, de faire descendre lacier plusrapidement. Je devins fou, frntique, et je mefforai de me soulever, dal-ler la rencontre de ce terrible cimeterre mouvant. Et puis, soudainementje tombai dans un grand calme, et je restai tendu, souriant cette morttincelante, comme un enfant quelque prcieux joujou.

    Il se fit un nouvel intervalle de parfaite insensibilit ; intervalle trscourt, car, en revenant la vie, je ne trouvai pas que le pendule ft des-cendu dune quantit apprciable. Cependant, il se pourrait bien que cetemps et t long, car je savais quil y avait des dmons qui avaient prisnote de mon vanouissement, et qui pouvaient arrter la vibration leurgr. En revenant moi, jprouvai un malaise et une faiblesse oh ! in-exprimables, comme par suite dune longue inanition. Mme au milieudes angoisses prsentes, la nature humaine implorait sa nourriture. Avecun effort pnible, jtendis mon bras gauche aussi loin que mes liens mele permettaient, et je memparai dun petit reste que les rats avaient bienvoulu me laisser. Comme jen portais une partie mes lvres, une penseinforme de joie, desprance, traversa mon esprit. Cependant, quyavait-il de commun entre moi et lesprance ? Ctait, dis-je, une penseinforme ; lhomme en a souvent de semblables qui ne sont jamais com-pltes. Je sentis que ctait une pense de joie, desprance ; mais jesentis aussi quelle tait morte en naissant. Vainement je mefforai de laparfaire, de la rattraper. Ma longue souffrance avait presque annihilles facults ordinaires de mon esprit. Jtais un imbcile, un idiot.

    La vibration du pendule avait lieu dans un plan faisant angle droitavec ma longueur. Je vis que le croissant avait t dispos pour traverser

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    la rgion du coeur. Il raillerait la serge de ma robe, puis il reviendrait etrpterait son opration, encore, et encore. Malgr leffroyable dimen-sion de la courbe parcourue (quelque chose comme trente pieds, peut-treplus), et la sifflante nergie de sa descente, qui aurait suffi pour coupermme ces murailles de fer, en somme tout ce quil pouvait faire, pourquelques minutes, ctait drailler ma robe. Et sur cette pense je fis unepause. Je nosais pas aller plus loin que cette rflexion. Je mappesantisl-dessus avec une attention opinitre, comme si, par cette insistance, jepouvais arrter l la descente de lacier. Je mappliquai mditer sur leson que produirait le croissant en passant travers mon vtement, surla sensation particulire et pntrante que le frottement de la toile pro-duit sur les nerfs. Je mditai sur toutes ces futilits, jusqu ce que mesdents fussent agaces.

    Plus bas, plus bas encore, il glissait toujours plus bas. Je prenaisun plaisir frntique comparer sa vitesse de haut en bas avec sa vitesselatrale. droite, gauche, et puis il fuyait loin, loin, et puis il revenait, avec le glapissement dun esprit damn ! jusqu mon coeur, aveclallure furtive du tigre ! Je riais et je hurlais alternativement, selon quelune ou lautre ide prenait le dessus.

    Plus bas, invariablement, impitoyablement plus bas ! Il vibrait troispouces de ma poitrine ! Je mefforai violemment furieusement, dedlivrer mon bras gauche. Il tait libre seulement depuis le coude jusqula main. Je pouvais faire jouer ma main depuis le plat situ ct de moijusqu ma bouche, avec un grand effort, et rien de plus. Si javais pubriser les ligatures au-dessus du coude, jaurais saisi le pendule, et jauraisessay de larrter. Jaurais aussi bien essay darrter une avalanche !

    Toujours plus bas ! incessamment, invitablement plus bas ! Je res-pirais douloureusement, et je magitais chaque vibration. Je me rapetis-sais convulsivement chaque balancement. Mes yeux le suivaient danssa vole ascendante et descendante, avec lardeur du dsespoir le plusinsens ; ils se refermaient spasmodiquement au moment de la descente,quoique la mort et t un soulagement, oh ! quel indicible soulage-ment ! Et cependant je tremblais dans tous mes nerfs, quand je pensaisquil suffirait que la machine descendt dun cran pour prcipiter sur mapoitrine, cette hache aiguise, tincelante. Ctait lesprance qui faisait

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    ainsi trembler mes nerfs, et tout mon tre se replier. Ctait lesprance, lesprance qui triomphe mme sur le chevalet, qui chuchote loreilledes condamns mort, mme dans les cachots de lInquisition.

    Je vis que dix ou douze vibrations environ mettraient lacier encontact immdiat avec mon vtement, et avec cette observation entradans mon esprit le calme aigu et condens du dsespoir. Pour la premirefois depuis bien des heures, depuis bien des jours peut-tre, je pensai. Ilme vint lesprit que le bandage, ou sangle, qui menveloppait tait dunseul morceau. Jtais attach par un lien continu. La premire morsure durasoir, du croissant, dans une partie quelconque de la sangle, devait la d-tacher suffisamment pour permettre mamain gauche de la drouler toutautour de moi. Mais combien devenait terrible dans ce cas la proximitde lacier. Et le rsultat de la plus lgre secousse, mortel ! tait-il vrai-semblable, dailleurs, que les mignons du bourreau neussent pas prvuet par cette possibilit ? tait-il probable que le bandage traverst mapoitrine dans le parcours du pendule ? Tremblant de me voir frustr dema faible esprance, vraisemblablement ma dernire, je haussai suffisam-ment ma tte pour voir distinctement ma poitrine. La sangle enveloppaittroitement mes membres et mon corps dans tous les sens, except dansle chemin du croissant homicide.

    peine avais-je laiss retomber ma tte dans sa position premire,que je sentis briller dansmon esprit quelque chose que je ne saurais mieuxdfinir que la moiti non forme de cette ide de dlivrance dont jai djparl, et dont une moiti seule avait flott vaguement dans ma cervelle,lorsque je portai la nourriture mes lvres brlantes. Lide tout entiretait maintenant prsente ; faible, peine viable, peine dfinie, maisenfin complte. Je me mis immdiatement, avec lnergie du dsespoir, en tenter lexcution.

    Depuis plusieurs heures, le voisinage immdiat du chssis sur lequeljtais couch fourmillait littralement de rats. Ils taient tumultueux,hardis, voraces, leurs yeux rouges dards sur moi, comme sils nat-tendaient que mon immobilit pour faire de moi leur proie. quellenourriture, pensai-je, ont ils t accoutums dans ce puits ?

    Except un petit reste, ils avaient dvor, en dpit de tous mes ef-forts pour les en empcher, le contenu du plat. Ma main avait contract

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    une habitude de va-et-vient, de balancement vers le plat ; et, la longue,luniformit machinale du mouvement lui avait enlev toute son effica-cit. Dans sa voracit cette vermine fixait souvent ses dents aigus dansmes doigts. Avec les miettes de la viande huileuse et pice qui restaitencore, je frottai fortement le bandage partout o je pus latteindre ; puis,retirant ma main du sol, je restai immobile et sans respirer.

    Dabord les voraces animaux furent saisis et effrays du changement, de la cessation du mouvement. Ils prirent lalarme et tournrent ledos ; plusieurs regagnrent le puits ; mais cela ne dura quun moment.Je navais pas compt en vain sur leur gloutonnerie. Observant que jerestais sans mouvement, un ou deux des plus hardis grimprent sur lechssis et flairrent la sangle. Celame parut le signal dune invasion gn-rale. Des troupes fraches se prcipitrent hors du puits. Ils saccrochrentau bois, ils lescaladrent et sautrent par centaines sur mon corps. Lemouvement rgulier du pendule ne les troublait pas le moins du monde.Ils vitaient son passage et travaillaient activement sur le bandage huil.Ils se pressaient, ils fourmillaient et samoncelaient incessamment surmoi ; ils se tortillaient sur ma gorge ; leurs lvres froides cherchaient lesmiennes ; jtais moiti suffoqu par leur poids multipli ; un dgot,qui na pas de nom dans le monde, soulevait ma poitrine et glaait moncoeur comme un pesant vomissement. Encore une minute, et je sentaisque lhorrible opration serait finie. Je sentais positivement le relche-ment du bandage ; je savais quil devait tre dj coup en plus dun en-droit. Avec une rsolution surhumaine, je restai immobile. Je ne mtaispas tromp dans mes calculs, je navais pas souffert en vain. la longue,je sentis que jtais libre. La sangle pendait en lambeaux autour de moncorps ; mais le mouvement du pendule attaquait dj ma poitrine ; il avaitfendu la serge de ma robe ; il avait coup la chemise de dessous ; il fit en-core deux oscillations, et une sensation de douleur aigu traversa tousmes nerfs. Mais linstant du salut tait arriv. un geste de ma main, meslibrateurs senfuirent tumultueusement. Avec un mouvement tranquilleet rsolu, prudent et oblique, lentement et en maplatissant, je meglissai hors de ltreinte du bandage et des atteintes du cimeterre. Pour lemoment du moins, jtais libre.

    Libre ! et dans la griffe de lInquisition ! Jtais peine sorti de mon

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    grabat dhorreur, javais peine fait quelques pas sur le pav de la prison,que le mouvement de linfernale machine cessa, et que je la vis attirepar une force invisible travers le plafond. Ce fut une leon qui me mitle dsespoir dans le coeur. Tous mes mouvements taient indubitable-ment pis. Libre ! je navais chapp la mort sous une espce dago-nie que pour tre livr quelque chose de pire que la mort sous quelqueautre espce. cette pense, je roulai mes yeux convulsivement sur lesparois de fer qui menveloppaient.Quelque chose de singulier un chan-gement que dabord je ne pus apprcier distinctement se produisit dansla chambre, ctait vident. Durant quelques minutes dune distractionpleine de rves et de frissons, je me perdis dans de vaines et incohrentesconjectures. Pendant ce temps, je maperus pour la premire fois de lori-gine de la lumire sulfureuse qui clairait la cellule. Elle provenait dunefissure large peu prs dun demi-pouce, qui stendait tout autour de laprison la base des murs, qui paraissaient ainsi et taient en effet com-pltement spars du sol. Je tchai, mais bien en vain, comme on le pense,de regarder par cette ouverture.

    Comme je me relevais dcourag, le mystre de laltration de lachambre se dvoila tout dun coup mon intelligence. Javais observque, bien que les contours des figures murales fussent suffisamment dis-tincts, les couleurs semblaient altres et indcises. Ces couleurs venaientde prendre et prenaient chaque instant un clat saisissant et trs intense,qui donnait ces images fantastiques et diaboliques un aspect dont au-raient frmi des nerfs plus solides que les miens. Des yeux de dmons,dune vivacit froce et sinistre, taient dards sur moi de mille endroits,o primitivement je nen souponnais aucun, et brillaient de lclat lu-gubre dun feu que je voulais absolument, mais en vain, regarder commeimaginaire.

    Imaginaire ! Il me suffisait de respirer pour attirer dans mes narinesla vapeur du fer chauff ! Une odeur suffocante se rpandit dans la prison !Une ardeur plus profonde se fixait chaque instant dans les yeux dardssur mon agonie ! Une teinte plus riche de rouge stalait sur ces horriblespeintures de sang ! Jtais haletant ! Je respirais avec effort ! Il ny avaitpas douter du dessein de mes bourreaux, oh ! les plus impitoyables,oh ! les plus dmoniaques des hommes ! Je reculai loin du mtal ardent

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    vers le centre du cachot. En face de cette destruction par le feu, lide dela fracheur du puits surprit mon me comme un baume. Je me prcipitaivers ses bords mortels. Je tendis mes regards vers le fond. Lclat de lavote enflamme illuminait ses plus secrtes cavits. Toutefois, pendantun instant dgarement, mon esprit se refusa comprendre la significa-tion de ce que je voyais. la fin, cela entra dans mon me, de force,victorieusement ; cela simprima en feu sur ma raison frissonnante. Ohune voix, une voix pour parler ! Oh ! horreur Oh ! toutes les horreurs,except celle-l ! Avec un cri, je me rejetai loin de lamargelle, et, cachantmon visage dans mes mains, je pleurai amrement.

    La chaleur augmentait rapidement, et une fois encore je levai les yeux,frissonnant comme dans un accs de fivre. Un second changement avaiteu lieu dans la cellule, et maintenant ce changement tait videmmentdans la forme. Comme la premire fois, ce fut dabord en vain que jecherchai apprcier ou comprendre ce qui se passait. Mais on ne melaissa pas longtemps dans le doute. La vengeance de lInquisition mar-chait grand train, droute deux fois par mon bonheur, et il ny avaitpas jouer plus longtemps avec le Roi des pouvantements. La chambreavait t carre. Je mapercevais que deux de ses angles de fer taientmaintenant aigus, deux consquemment obtus. Le terrible contrasteaugmentait rapidement, avec un grondement, un gmissement sourd. Enun instant, la chambre avait chang sa forme en celle dun losange. Maisla transformation ne sarrta pas l. Je ne dsirais pas, je nesprais pasquelle sarrtt. Jaurais appliqu les murs rouges contre ma poitrine,comme un vtement dternelle paix. La mort, me dis-je, nimportequelle mort, except celle du puits ! Insens ! comment navais-je pascompris quil fallait le puits, que ce puits seul tait la raison du fer br-lant qui massigeait ? Pouvais-je rsister son ardeur ? Et, mme en lesupposant, pouvais-je me roidir contre sa pression ? Et maintenant, le lo-sange saplatissait, saplatissait avec une rapidit qui ne me laissait pasle temps de la rflexion. Son centre, plac sur la ligne de sa plus grandelargeur, concidait juste avec le gouffre bant. Jessayai de reculer, maisles murs, en se resserrant, me pressaient irrsistiblement. Enfin, il vint unmoment o mon corps brl et contorsionn trouvait peine sa place, oil y avait peine place pour mon pied sur le sol de la prison. Je ne luttais

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    plus, mais lagonie de mon me sexhala dans un grand et long cri su-prme de dsespoir. Je sentis que je chancelais sur le bord, je dtournailes yeux

    Mais voil comme un bruit discordant de voix humaines ! Une explo-sion, un ouragan de trompettes ! Un puissant rugissement comme celuidun millier de tonnerres ! Les murs de feu reculrent prcipitamment !Un bras tendu saisit le mien comme je tombais, dfaillant, dans labme.Ctait le bras du gnral Lasalle. Larme franaise tait entre Tolde.LInquisition tait dans les mains de ses ennemis

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    Achev dimprimer en France le 5 novembre 2016.

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