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Centre de Droit Maritime et des Transports UNIVERSITE DE DROIT, D’ECONOMIE ET DES SCIENCES D’AIX-MARSEILLE III Le naufrage du navire (the shipwreck) Master 2 de Droit Maritime et des Transports Promotion 2005-2006 Sous la direction de Mr Christian Scapel Par Mlle OUBBO FADIMATOU Bouba

Le naufrage du navire

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Centre de Droit Maritime et des Transports

UNIVERSITE DE DROIT, D’ECONOMIE ET DES SCIENCES D’AIX-MARSEILLE III

Le naufrage du navire (the shipwreck)

Master 2 de Droit Maritime et des Transports Promotion 2005-2006 Sous la direction de Mr Christian Scapel Par Mlle OUBBO FADIMATOU Bouba

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REMERCIEMENTS Tout d’abord, je tiens à remercier Maître Christian SCAPEL, de m’avoir donné l’occasion d’intégrer ce Master 2 de Droit Maritime et des Transports. Je remercie également le Professeur Pierre BONASSIES, ainsi que tous les autres professeurs, qui nous ont accordés leur temps, pour nous transmettre leur savoir à travers cette passion commune qui les anime. Sans oublier Martine Chéron, pour sa disponibilité et son immense gentillesse.

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SOMMAIRE INTRODUCTION .................................................................................................................. 5 Ire PARTIE : IDENTIFICATION DES RESPONSABILITES EN CAS DE NAUFRAGE ........................................................................................................................... 12 CHAPITRE 1 : IDENTIFICATION DE L’AUTEUR RESPONSABLE ......................... 13 Section 1 : Naufrage consécutif à un « Evènement de mer »................................................... 14 Section 2 : Naufrage consécutif à un « accident de mer » ....................................................... 18 CHAPITRE 2 : PRINCIPES DE RESPONSABILITE DE L’ARMATEUR PROPRIETAIRE ET DU TRANSPORTEUR .................................................................... 40 Section préliminaire : Sources et nature de la responsabilité de l’armateur propriétaire ............................................................................................................................... 41 Section 1 : Le transport maritime de marchandises ................................................................. 41 Section 2 : Le transport maritime de passagers et de leurs bagages ........................................ 53 IIème PARTIE : LA REPARATION DES DOMMAGES APRES NAUFRAGE ........................................................................................................................... 71 CHAPITRE 1 : LES AMENAGEMENTS DE LA RESPONSABILITE.......................... 72 Section 1 : La limitation de responsabilité ............................................................................... 72 Section 2 : La prise en charge des dommages par l’assureur du responsable .......................... 86 CHAPITRE 2 : L’EPAVE DE NAVIRE.............................................................................. 91

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CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE ANNEXES TABLE DES MATIERES RESUME/SUMMARY

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INTRODUCTION TITANIC, EXXON VALDEZ, AMOCO CADIZ, ERIKA, PRESTIGE, tous ces noms de navires évoquent tous la même chose dans nos esprits : « Naufrage ». Mais ces naufrages connus du grand public ne sont qu’une « goutte d’eau » dans l’histoire des catastrophes maritimes qui touchent les navires. En effet, il survient en moyenne un naufrage par jour de par le monde. Les statistiques de ces dernières années indiquent même un chiffre supérieur à 1 par jour. Force est donc de constater que la surmédiatisation des naufrages de navires est très récente. Elle s’explique essentiellement par les incidences tant environnementales qu’humaines qui résultent de tels sinistres maritimes qui, eux-mêmes sont liés aux évolutions technologiques et techniques, ayant permis la construction de navires capables de transporter une quantité très importante de marchandises (particulièrement des hydrocarbures) et un nombre conséquent de passagers. Pourtant, les naufrages de navires sont, sans aucun doute, aussi anciens que la navigation maritime elle-même. 1°) La notion de naufrage à travers l’histoire Les romains à leur époque s’étaient occupés du naufrage à trois points de vue dans leur législation : étaient ainsi réglées les questions des effets des mesures prises pour sauver le navire par le jet à la mer d’une partie de la cargaison ainsi que celles des risques et enfin celles de la répression des actes délictueux qui ont pu entraîner la perte du navire ou qui ont été commis lors du naufrage (pillages, vol,recel, abus de confiance) ou à l’occasion du naufrage (actes délictueux ou criminels). Au Bas-Empire, en principe, la cargaison voyageait aux risques du fisc (règle très anciennement admise à Rome). Les contribuables qui avaient régulièrement fournis l’impôt en nature auquel ils sont assujettis sont libérés ; ils ne sont pas tenus de payer deux fois. Mais le fisc disposait d’un recours contre le propriétaire de navire (navicularius) lorsque le naufrage pouvait lui être imputé. Toutefois il existait des dérogations. Ainsi le « navicularius » ou « naviculaire » dont le navire a péri en cours de route doit sans tarder s’adresser aux magistrats pour dégager sa responsabilité c’est-à-dire un an ou deux ans selon la flotte du navire et le pays bénéficiaire de l’approvisionnement. Toute demande formée tardivement

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était écartée par une fin de non recevoir. Autrement dit le propriétaire du navire était déclaré responsable du naufrage. Dès qu’il était saisi de la demande, le magistrat devait ouvrir une enquête. Il devait rechercher d’abord si le navire avait pris la mer pendant la mauvaise saison, auquel cas « le naviculaire » était présumé en faute. Le magistrat devait ensuite examiner si le navire avait réellement fait naufrage ; En effet en cette matière la fraude avait été de tout temps. Les naufrages mêmes réels étaient occasionnés par la perfidie des armateurs plutôt que par le hasard. Ceux-ci procédaient de la manière suivante : sur des vaisseaux délabrés et hors de service, ils chargeaient des objets de peu de valeur et en petite quantité, les faisaient couler à fond en pleine mer et recueillaient les matelots sur de petits bateaux préparés d’avance ; puis ils réclamaient frauduleusement le prix de fournitures considérables. Ces abus étaient devenus tels que, pour arriver à découvrir la vérité, Valentinien prescrivit de mettre à la question (torture) la moitié des gens de l’équipage. Gratien jugea cette mesure excessive et réduisit à deux ou trois le nombre des personnes qui pourraient être soumises à la question, en commençant par le Capitaine s’il avait survécu. Puis vînt une loi de Constantin qui ordonna de mettre à la question les enfants de l’armateur : par eux on tâchera de savoir si le naufrage n’est pas imaginaire. A l’époque féodale, le naufrage va déborder quelque peu la sphère maritime et va être l’occasion de perceptions financières à travers le droit de naufrage. Ce dernier dont le produit figurait d’une manière constante dans les revenus des seigneurs féodaux, était exercé par les habitants des côtes. Il consistait pour ces derniers à s’approprier et piller tous les biens de bateaux échoués. L’appât du gain incitait même les plus mal intentionnés à s’aborder les navires en péril au prix des vilenies. Au fil du temps, le naufrage va retrouver son acception originaire d’évènement nautique ou maritime notamment grâce à la notion de fortune de mer, que certains auteurs assimilent au naufrage. C’est alors l’occasion de déterminer ce que l’on entend par naufrage. Ce qui, toute somme, n’est pas chose aisée.

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2°) Le naufrage : une notion aux contours imprécis Il n’existe pas en droit français de définition légale du naufrage. Cette affirmation a été rappelée par un arrêt de la Chambre des Requêtes du 27 oct. 19261. Il a fallu chercher cette définition ailleurs et notamment, dans l’étymologie de la notion. Etymologiquement, le mot naufrage est issu du latin « naufragium » de « navis » (navire) et « frangere » (briser). Etymologiquement donc, le naufrage c’est le bris du navire. Des auteurs comme Merlin in Naufrage, in principio adhéraient à cette définition du naufrage. Mais très vite le mot a débordé le sens étymologique. Ainsi l’arrêt précité de Ch. Req. 27 oct. 1926 avait jugé que la submersion d’un navire, encore amarré dans un port constituait un naufrage. Emmanuel Du Pontavice admettait que « le naufrage c’est aussi la submersion du navire due à la tempête, en dehors de tout bris ». Sur la question de la submersion les opinions sont divergentes. Pour le Tribunal de commerce du Havre dans un arrêt du 29 avril 1861, « le naufrage implique dans tous les cas, la destruction complète du navire de manière qu’il n’en reste plus que des débris »2. Aujourd’hui le mot éveille l’idée de perte totale ou partielle d’un navire. On peut ainsi considérer qu’a fait naufrage ce Liberty ship américain qui, au large de Tunis, a été coupé en deux par une mine, une partie du navire sombrant aussitôt et l’autre partie flottant encore dix ans après l’accident. Peu importe donc les circonstances qui ont présidé au naufrage, dès lors qu’il y a perte totale ou partielle d’un navire, on peut parler de naufrage. C’est l’idée qui est majoritairement retenue aujourd’hui et donc celle qui va accompagner nos développements ; tout en gardant toutefois à l’esprit que la notion de « naufrage » n’est pas rigoureuse en droit et qu’elle est donc sujette à diverses interprétations si certaines données le commandent. 1 D.H. 1926, 529 2 Rec. M.M. p 227, cite par E. Du Pontavice

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Le naufrage ainsi défini, il convient de se demander dans quelle catégorie juridique on peut le classer. 3°) A quelle catégorie juridique appartient le naufrage ?

a) La fortune de mer ? La notion peut avoir deux acceptions. Dans un sens large, elle désigne tous les accidents qui surviennent en mer. Dans un sens plus étroit, plus intéressant pour les juristes, l’expression désigne les accidents qui sont dus à la mer. Ainsi selon la loi française du 18 juin 1966 sur les contrats d’affrètement et de transport maritimes et la doctrine, notamment M. POUPARD1, la fortune de mer est un évènement anormalement pénible résultant « d’un concours de circonstances dans lesquelles entrent en cause la force du vent, l’état de la mer et la hauteur des vagues ». Cette définition est loin de celle du naufrage telle qu’examinée ci-dessus. Pourtant l’on assimile encore aujourd’hui les deux notions. La confusion vient du fait que ces dernières sont parfois étroitement liées l’une à l’autre. La première, à savoir la fortune de mer, peut être la cause de la seconde. En effet une houle, une tempête, une tornade mais aussi un ouragan, peuvent être à l’origine d’un naufrage2. Ainsi fût-il dans l’affaire du Lamoricière3 où il y a eu rupture du vaisseau sous l’action des flots. La notion de fortune de mer recouvre des évènements naturels et atmosphériques, prévisibles ou non, alors que le naufrage est évènement accidentel et imprévisible. Le naufrage du Titanic en est une illustration parfaite. b) Les Evènements de mer ?

Selon le Professeur Martin NDENDE, dans la rigueur des principes, la notion d’évènement de mer, lato sensu, aurait dû inclure très logiquement tous les incidents et accidents survenant en mer et générant des conséquences particulières dans le domaine de la sécurité de la navigation 1 in DMF 1984.p 424 2 Outre la fortune de mer, il existe plusieurs autres causes du naufrage d’un navire : avarie ou rupture de la structure du navire (vice propre du navire...), incendie, explosion erreurs de navigation (abordage, collision avec un iceberg comme dans l’affaire du Titanic), guerres et actes de piraterie. 3 Cass. 19 juin 1951, D. 1951, 717

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(abordages, naufrages, actes de piraterie, terrorisme…). Mais l’ambition eût été démesurée en raison des difficultés considérables à vouloir tout réglementer. Des choix se sont donc portés sur des évènements particuliers, choisis en raison de leur fréquence, de leur gravité ou de leur intérêt juridique.

Ainsi, dans la majorité des manuels consacrés au droit maritime sinon la totalité, trois évènements sont considérés comme « Evènements de mer » : l’abordage, l’assistance et les avaries communes. Les textes français relatifs aux Evènements de mer (la loi du 7 juillet 1967 et son décret d’application du 19 janvier 1968) ont eux aussi fait le choix, très restrictif de ne traiter que des trois institutions citées précédemment.

Au sens large, d’autres évènements de mer peuvent encore surgir. Ainsi le Lloyd’s Register of Shipping distingue : la disparition d’un navire (dont le sort demeure inconnu), l’incendie et l’explosion, le contact avec un corps flottant, l’échouement et le naufrage. Le naufrage ne bénéficie pas d’une réglementation particulière, peut être est-ce parce que c’est un évènement qui peut faire intervenir plusieurs institutions du Droit maritime, notamment l’abordage ou de l’assistance si l’un de ces évènements est la cause du naufrage. En outre il fait intervenir des questions de responsabilité « classique » ou spéciale applicable aux opérateurs maritimes. Une chose est certaine c’est que le naufrage est un accident qui se produit en mer. Le Doyen Rodière in Les Evènements de mer le classe d’ailleurs dans la catégorie des « accidents de mer autres que les abordages ». Nous retiendrons donc cette dernière qualification qui nous semble juste.

S’il n’existe pas aujourd’hui de texte spécifique au naufrage il faut noter que plusieurs des plus importantes Conventions Internationales ont été adoptées à la suite d’un naufrage. Il en est ainsi de la première Convention sur la sécurité de la vie en mer mise en place en 1914 suite au naufrage du Titanic. En raison de la guerre mondiale, le texte demeura lettre morte mais fût remplacé en 1929 par la Convention pour la sauvegarde de la vie humaine en mer communément appelée Convention SOLAS (Safety of Life at Sea). De même, les Conventions de 1969 (C.L.C) « sur la responsabilité civile du propriétaire de navire pour les dommages dûs à la pollution par les hydrocarbures » et 1971 (FIPOL) « sur la prévention ou la réparation des dommages de pollution par hydrocarbures ont été décidées à la suite du sinistre du Torrey-Canyon en 1967.

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Il arrive même parfois que la survenance d’un sinistre conduise à la modification d’une Convention existante. Ce fût le cas à la suite du naufrage du ferry « Herald of Free Enterprise » en 1987 qui a conduit à la modification, en 1992, des règles de la Convention sur la sécurité de la vie en mer. C’est dire que le naufrage est une institution majeure du Droit maritime et qui plus est, d’actualité, puisque la question de l’indemnisation des victimes de pollution par hydrocarbures transportées par mer est toujours au goût du jour. En témoigne le système TOPIA/STOPIA qui est entré en application en 2006 qui consiste une contribution volontaire des P&I club (mutuelles d’assurance des armateurs) à l’indemnisation des dommages causés par la pollution des hydrocarbures. Plus d’actualité encore est la question de l’identification des responsables. En effet face à l’évolution des structures armatoriales, les successions de contrats, le recours aux montages du Droit des sociétés (Single-ship companies, groupes de sociétés entre autres) les victimes ne savent plus vers qui se tourner. Notre problématique s’organisera donc autour de la question de la responsabilité. Plus précisément, il s’agira tout d’abord de déterminer les implications contractuelles et extracontractuelles d’un naufrage de navire. Autrement dit, « Qui endossera la responsabilité des incidences d’un naufrage à l’égard des victimes ? ». Ensuite par extension, il s’agira de voir comment s’organise cette responsabilité. Cette responsabilité va s’étendre comme nous le verrons au-delà du naufrage puisqu’il va en être question s’agissant de l’épave du navire. Notre étude consistera, en tant que juristes, à traiter uniquement des questions juridiques relativement au naufrage. Nous écarterons donc volontairement des questions « techniques » qui consistent notamment à la récupération du navire naufragé ou de l’épave, les opérations de renflouement etc… De même dans notre démarche « juridique », nous ne traiterons pas des questions de contentieux, mais nous contenterons d’identifier les responsables, en précisant néanmoins les délais d’action accordés aux victimes, à l’encontre des responsables. Il s’agira donc pour nous de procéder d’abord à l’identification des responsabilités (Ire partie). En France, le naufrage d’un navire est susceptible de mettre en jeu des responsabilités civiles, mais aussi pénales. S’agissant de ces dernières, elles peuvent « accabler » l’armateur,

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le Capitaine et la société de classification qui a classé le navire1. Cependant, notre étude se cantonnera à la seule responsabilité civile de l’armateur. Une fois qu’on aura terminé l’identification des responsabilités, il conviendra de procéder à l’étude de l’organisation de la réparation des dommages après un naufrage (IIe partie).

1 Voir CA. Rennes, 23 sept. 2004 (DMF janv. 2005, p 45). La nouveauté dans cet arrêt c’est que la société de classification est condamnée pénalement pour la première fois, en tant que personne morale, et non pas au travers de ses dirigeants.

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Ire PARTIE IDENTIFICATION DES RESPONSABILITES EN CAS DE NAUFRAGE

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La question de l’identification des personnes responsables en matière de transport maritime est une préoccupation majeure du Droit maritime. Entre les montages juridiques des sociétés, les pavillons de complaisance, les consortiums d’armateur, les single-ship companies, et la liste n’est pas exhaustive, les créanciers désespérément malmenés dans tous les sens ne savent plus où donner de la tête. Même les maritimistes les plus avertis pourraient s’y perdre. L’identification de l’auteur responsable sera donc au cœur de nos développements dans ce chapitre premier. Avec une nuance supplémentaire, celle du régime de droit en cause. Par la suite, il conviendra de déterminer les principes de responsabilité. Ce sera l’objet de notre second chapitre. CHAPITRE I : IDENTIFICATION DE L’AUTEUR RESPONSABLE Comme nous l’avons précédemment précisé, l’abordage et l’assistance sont des Evènements de mer qui ont fait l’objet d’une réglementation particulière en Droit maritime. Un régime spécifique leur est appliqué. Lorsque ce dernier est en jeu, il est exclusif de tout autre régime. La conséquence qui en découle, en cas de naufrage, c’est qu’un tiers à l’expédition maritime de départ intervient et peut voir sa responsabilité engagée. Il convient donc de voir ce qu’il en est dans le cas d’un naufrage consécutif à un Evènement de mer (SECTION 1) avant d’examiner le naufrage qui survient suite à un « accident de mer » (SECTION 2).

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SECTION 1: NAUFRAGE CONSECUTIF A UN EVENEMENT DE MER Nous n’aborderons pas dans cette partie les Avaries communes, autre Evènement de mer. La raison en est simple, l’institution consiste à faire contribuer chacun des intérêts engagés dans une expédition maritime à l’indemnisation du dommage subi par l’un deux. Il ne s’agit donc pas d’identifier le responsable. En revanche, il convient d’identifier le(s) responsable(s) en cas d’abordage (I) puis en cas d’assistance (II).

I- RESPONSABILITE DECOULANT DE L’ABORDAGE Au sens strict, l’abordage est le heurt, la collision entre deux navires ou entre un navire et un bateau de navigation intérieure. La présence d’un navire au moins est une condition nécessaire et suffisante ; Etant exclut toutefois le heurt par un navire d’une structure terrestre (quai, installation de déchargement de pétrole…). Par ailleurs, peu importe la nature des eaux dans lesquelles la collision est survenue. Dès lors qu’un navire est en cause, le régime de l’abordage s’applique. La notion d’abordage a été étendue par la Convention du 23 septembre 1910 (sur l’abordage en mer) et la loi du 7 juillet 1967 (relative aux Evènements de mer). En effet, sont également soumis au régime de l’abordage « les dommages que, soit par exécution ou omission de manœuvre, soit par inobservation des règlements, un navire a causés soit à un autre navire, soit aux choses ou aux personnes se trouvant à leur bord, alors même qu’il n’y aurait pas eu abordage ». Le régime de l’abordage s’appliquerait donc au dommage causé à un navire par le remous (wash) causé par un autre navire1. L’abordage est une des causes majeures de naufrage. La question sera alors de savoir contre qui les victimes et les créanciers vont-ils se retourner ? Le navire abordeur ou le navire abordé ?

1 Douai, 29 janvier 1987, DMF 1988, 739).

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La réponse sera fonction du type d’abordage. A) Abordage fortuit, ou résultant d’un cas de force majeure, ou abordage douteux : Il s’agit ici de l’abordage dont la cause n’a pu être établie. Dans un tel cas de figure, chacun des navires en cause supporte ses propres dommages (res perit domino). Autrement dit, chaque transporteur sera ici responsable des dommages causés aux marchandises ou aux passagers selon le contrat qui le lie à ces derniers. Mais chacun pourra également être poursuivi par la voie extracontractuelle si la victime peut se prévaloir d’un dommage. Cette question sera étudiée dans le deuxième chapitre de cette partie. B) Abordage causé par la faute de l’un des navires : En vertu des articles 3, respectivement de la Convention de 1910 et de la loi de 1967, « si l’abordage est causé par la faute de l’un des navires, la réparation des dommages incombe à celui qui l’a commise ». Cette formulation n’est pas sans rappeler l’article 1382 du Code civil. La règle est renforcée par l’article 6 de la Convention de 1910 selon lequel « il n’y a point de présomptions légales de faute quant à la responsabilité de l’abordage ». La conséquence directe de affirmation est qu’il est fait interdiction au juge de condamner l’armateur d’un navire impliqué dans un abordage sans relever expressément une faute. Le plus souvent, la faute consistera dans la violation d’une prescription du Règlement international pour prévenir les abordages en mer (COLREG). Par exemple, l’inobservation des règles de feux, de signaux de brume, ou de la règle de priorité à tribord. Mais la notion de faute d’abordage est large ; Elle inclut : la faute personnelle de l’armateur (p.ex graves négligences d’un armateur dans le contrôle du moteur de son yacht qui s’est emballé1), la faute du capitaine dans la conduite du navire, la faute de tout préposé, la faute du navire. S’agissant de cette dernière, en règle générale le comportement du navire n’est fautif qu’autant qu’il a été causé par une faute du capitaine. Toutefois, de nombreuses décisions ont condamné un armateur parce que son navire s’est anormalement comporté, sans

1 Aix, 11 avril 1988, Navire Zulu-Sea, DMF 1989, 26

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qu’aucune faute précise du capitaine soit relevée. Il suffit à la victime de se retourner contre le navire « sans avoir à rechercher plus avant dans l’échelle des responsabilités »1. C) Abordage causé par la faute commune des navires : Dans l’ancien droit, une telle situation était régie par la règle du partage par moitié. Cette règle a été abandonnée par la Convention de 1910. Désormais, si l’abordage est causé par la faute commune des deux navires, « la responsabilité de chacun des navires est proportionnelle à la gravité des fautes respectivement commises » (art 4 de la Convention et de la loi de 1967). C’est seulement en cas d’impossibilité d’établir cette proportion que la responsabilité est partagée par parts égales. Lorsque l’abordage a causé des dommages aux cargaisons des navires ou aux biens des passagers, contrairement à ce qui est admis aux Etats-Unis, chacun des navires sera responsable dans la proportion de sa faute et sans solidarité. En revanche, s’agissant des dommages aux personnes (mort ou blessure), la solidarité entre les deux navires s’applique. A charge pour l’armateur qui aura réparé le dommage d’exercer une action récursoire contre l’armateur du second navire. Un naufrage peut résulter aussi bien d’un abordage que de la faute de l’assistant lors d’une opération d’assistance.

II- RESPONSABILITE DE L’ASSISTANT COUPABLE D’UN NAUFRAGE Préalablement à l’étude de cette responsabilité (D), nous définirons l’assistance maritime (A), puis nous déterminerons son domaine (B), et les conditions d’application de son régime (C).

1 Aix, 14 avril 1987, Navire Barge, DMF 1989, 469

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A) Définition de l’assistance maritime L’assistance maritime peut être définie comme l’aide apportée à un navire en difficulté par un autre navire. Alors qu’elle est obligatoire lorsqu’il s’agit de porter secours à des personnes, l’assistance aux biens n’est obligatoire qu’après un abordage. Le droit de l’assistance a connu et connaît encore aujourd’hui de profondes mutations qui ont conduit à son extension, notamment à cause des préoccupations environnementales.

B) Domaine de l’assistance maritime Le régime de l’assistance s’applique « sans qu’il y ait lieu de tenir compte des eaux » (maritimes ou non, internationales ou nationales) où les services d’assistance ont été rendus (art 1 de la Convention de 1910 précitée). Par ailleurs, la qualité de l’assistant a été étendue par la Convention de l’OMI de 1989 à toute personne physique.

C) Conditions d’application du régime de l’assistance maritime Traditionnellement et en général, l’assistance résulte d’une convention orale ou écrite (elle est alors inscrite dans des contrats types dont les deux principaux sont la Lloyds open form ou LOF et la formule Villeneau) conclue entre le navire assisté et un assistant. Mais le régime de l’assistance peut aussi s’appliquer en dehors de tout contrat. C’est le cas notamment lorsqu’un navire est en très grand péril. Enfin, la Convention de 1989 dans son article 9 admet implicitement l’assistance imposée à un navire qui est en difficulté. Cependant, la condition impérative pour l’application du régime de l’assistance c’est que le navire assisté soit en péril.

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D) La responsabilité de l’assistant fautif L’institution de l’assistance est dominée par la règle du « No cure, no pay » selon laquelle « aucune rémunération n’est due si le secours porté reste sans résultat utile ». Toutefois, exception est faite à cette règle pour l’assistance aux pétroliers. L’assistant est encore privé de rémunération dans deux cas : - Si le capitaine du navire en péril lui a opposé une défense expresse et raisonnable - S’il a par sa faute rendue l’assistance nécessaire ou commis des vols, recels, ou actes

frauduleux. Imaginons une opération d’assistance qui échoue et le navire assisté sombre, la responsabilité de l’assistant peut-elle être recherchée ? La question n’est pas sans intérêt car l’assistance est malgré tout, une action noble. Il paraît injuste de rechercher la responsabilité d’une personne qui a tenté de vous sauver d’un péril grave. Il faut ici distinguer entre l’assistance « de droit commun » et l’assistance aux pétroliers. Dans le premier cas, l’assistant est responsable de sa faute même simple. La règle est sévère mais elle est atténuée par le fait que l’assistant bénéficie de la limitation de responsabilité des propriétaires de navire depuis la Convention de 1976 (sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes). S’agissant de l’assistance aux pétroliers, la Convention de 1969 (modifiée en 1992) « sur la responsabilité pour pollution par hydrocarbures », interdit toute action contre l’assistant sauf faute inexcusable de ce dernier. D’autres droits comme le droit britannique exonèrent l’assistant de toute responsabilité à l’égard des tiers et parfois, à l’égard de l’assisté. Par conséquent, en cas de naufrage, lorsque aucune faute ne peut être reprochée à l’assistant, les victimes comme les créanciers vont devoir se retourner vers le régime de droit commun pour identifier le(s) responsable(s). SECTION 2 : NAUFRAGE CONSECUTIF A UN « ACCIDENT DE MER » :

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En principe un navire ne fait pas naufrage sans raisons. Il arrive certes qu’on ne puisse pas déterminer la cause d’un naufrage, mais celui-ci en a toujours une qui se produit en mer (incendie, faute nautique, arrêt des machines, mauvais temps…). C’est la raison pour laquelle nous avons fait le choix du terme « accident de mer ». Les victimes du naufrage (propriétaires des cargaison ou des passagers ou tiers) ne manqueront pas d’exercer leur droit pour se faire indemniser du préjudice moral ou matériel occasionné par un tel drame. Si au final on arrive souvent à retrouver le(s) véritable (s) responsable(s) (II), nous verrons qu’en pratique ce n’est pas une tache facile (I).

I- LES DIFFICULTES D’IDENTIFICATION DU RESPONSABLE :

Les cocontractants, passagers ou chargeurs, les destinataires des marchandises ainsi que les tiers victimes d’un dommage causé par le naufrage d’un navire ne savent pas toujours à qui s’adresser lorsqu’il va s’agir de formuler une réclamation. Toutefois, deux personnes sont susceptibles de voir leur responsabilité engagée ; il s’agit d’une part de l’armateur (A) et d’autre part, du transporteur (B). L’identification de ces différents « acteurs » elle-même n’est pas aisée, compte tenu de plusieurs facteurs que nous analyserons ci-après.

A) Les difficultés d’identification de l’armateur/propriétaire Avec le transporteur, l’armateur est celui auquel les victimes d’un naufrage, qui veulent se faire indemniser, font appel de prime abord. Dans la pratique et dans le langage courant, l’armateur d’un navire c’est celui qui en est propriétaire. Cela n’est pas faux, loin s’en faut ! Mais la notion « d’armateur » et plus particulièrement celle d’armement, dérivée de cette première notion, est beaucoup plus large, du fait de ses ambiguïtés terminologiques. En effet, lato sensu, le mot a trois acceptions différentes :

- C’est d’abord l’opération qui consiste à équiper un navire (par exemple lui fournir l’équipage, les moyens nautiques, logistiques et économiques) afin de le rendre apte à son affectation, à savoir, prendre la mer et en affronter les périls. Autrefois, il s’agissait d’équiper le navire pour faire face aux plus grands des périls de la mer qu’étaient la piraterie et les petites embarcations corsaires ;

- C’est ensuite la collectivité des armateurs. C’est ainsi que l’on parle de l’armement français, européen ou encore de l’armement pétrolier ;

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- Enfin, l’armateur désigne celui qui, ayant armé le navire (c’est-à-dire l’ayant doté de moyens humains et matériels lui permettant d’entreprendre une expédition maritime), en tire profit en l’exploitant. C’est en partant de cette définition que la notion d’armateur s’est fondue avec celle d’exploitant du navire. La loi française du 3 janvier 1969 témoigne de cette évolution dans son article 1er qui dispose que l’armateur c’est « celui qui exploite le navire en son nom… ». Ainsi, les termes transporteurs, fréteurs, affréteurs, armateurs-gérants traduisent juridiquement les modalités d’exploitation des navires ou de partage de compétences armatoriales, et constituent partant, autant de déclinaisons des techniques juridiques d’armement des navires.

Aux vues de ce qui vient d’être exposé, la notion d’armateur réfute toute idée de propriété. Pourtant en pratique, on associe très souvent la notion d’armateur à celle de propriétaire de navire. La confusion des qualités de propriétaire et d’armateur provient du fait que la loi du 3 janvier 1969 relative à l’armement et aux ventes maritimes pose une présomption selon laquelle « le propriétaire ou les copropriétaires du navire sont présumés en être l’armateur » (art. 2). Mais il ne s’agit là que d’une présomption simple. En témoigne l’article 1er précité de la même loi qui précise que l’armateur c’est « celui qui exploite le navire en son nom, qu’il en soit ou non propriétaire ». Cette présomption simple pourra donc tomber, par exemple en rapportant la preuve que le navire a été donné en affrètement par son propriétaire à un autre opérateur qui en est effectivement l’exploitant. Par conséquent, l’armateur d’un navire n’en est pas nécessairement le propriétaire. Il y a donc lieu de distinguer entre armateur-propriétaire et armateur non propriétaire. Lorsqu’il n’est pas propriétaire, l’armateur est le transporteur [cf infra B)]. De même il faut distinguer entre l’armateur-propriétaire non exploitant, et l’armateur-propriétaire exploitant, qui est en fait le transporteur. Les développements qui vont suivre ne concernent donc que l’armateur-propriétaire non exploitant. Pour les autres cas, il convient de se reporter au B). Précisons de prime abord le cas particulier de l’acquisition de la propriété du navire par un armateur suite à une opération de crédit-bail (ou leasing) car dans ce cas précis, l’armateur n’est pas à l’origine le propriétaire (c’est la banque ou la société de crédit-bail qui financera l’achat du navire, qui l’est). Il ne le sera, à l’issue d’une période fixée, qu’après avoir levé l’option ouverte pour l’acquisition de la propriété du navire concerné. L’armateur peut être une personne physique. Si la formule était celle qui prévalait jadis, il n’en est plus de même en droit contemporain où elle se limite au domaine de la pêche et de la

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plaisance. Encore que s’agissant de plaisance on ne peut pas à proprement parler d’exploitation du navire puisque son propriétaire (le patron) n’a aucun but lucratif. Lorsque l’armateur est une personne physique qui exerce à titre individuel, l’identification du responsable ne pose pas de difficulté majeure. La difficulté apparaît lorsque l’exploitation du navire se fait par la forme sociétaire. L’armateur peut aussi être une personne morale. Et généralement, « l’exploitation des navires de commerce est le fait de sociétés d’armement constituées conformément au droit commun » (art.1er Décret 1969 sur l’armement et les ventes maritimes). Par conséquent, l’armateur pourra donc adopter, en toute liberté, la forme sociétaire qui convient le mieux à ses intérêts (société anonyme, société à responsabilité limitée, société unipersonnelle, société par actions simplifiée, groupement d’intérêt économique…). Il faudra alors déterminer eu égard à la forme sociale choisie, qui sera considéré comme armateur. Une autre structure juridique « spéciale » peut poser problème, celle de la société de quirataires encore appelée copropriété des navires. Il s’agit d’une forme de groupement très ancien destiné à l’exploitation d’un navire en commun, et dont on trouve trace dès le XIIe siècle en Méditerranée avec la « Colleganza » pratiquée par les marchands-voyageurs vénitiens. Le Consulat de la Mer traitait également de la notion. Aujourd’hui, la copropriété des navires est régie par une loi du 26 juin 1987, qui a modifiée la loi du 3 janvier 1967 laquelle s’appliquait en la matière. Le groupement de quirataires s’inspire à la fois du droit des biens (en copropriété) et du droit des sociétés. Mais aujourd’hui, il semble qu’il tend à s’éloigner du premier et à se rapprocher du second1. Comment s’organise cette copropriété spéciale ? La copropriété porte sur un et un seul navire. Ce navire est divisé en parts qualifiées de quirats. Chaque associé (quirataire) détient un ou plusieurs quirats. Les décisions importantes, à savoir celles relatives à l’exploitation, sont prises à la majorité des intérêts, c’est-à-dire à la majorité des parts de copropriété et non à la majorité des copropriétaires. Ainsi, si un quirataire détient 15 quirats sur 20, il exprime à lui seul la majorité.

1 Pour plus de précisions, voir M. Rémond-Gouilloud in Droit Maritime, 2e édition, Pédone, p. 142 n° 223

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Cependant, afin d’éviter des abus, cette majorité est soumise à un contrôle judiciaire. La règle de la majorité des intérêts est écartée s’agissant de la constitution d’une hypothèque, auquel cas il est exigé une majorité représentant les trois quarts de la valeur du navire. S’agissant de la gestion du navire, elle est normalement assurée par un ou plusieurs gérants, copropriétaires ou non. Le gérant sera désigné à la majorité simple, et pourra être révoqué librement à la même majorité, sauf à obtenir des dommages-intérêts en cas d’abus de droit. La nomination du gérant doit impérativement être inscrite sur la fiche du navire pour pouvoir produire effet. Dans l’hypothèse où aucun gérant n’a été désigné, ou lorsqu’un gérant a été désigné mais son nom n’a pas été publié, tous les copropriétaires du navire sont réputés gérants. Dans le cadre de sa mission, le gérant est investi des pouvoirs les plus larges ; En effet, il a « tous pouvoirs pour agir dans l’exercice de sa mission de gestion au nom de la copropriété en toutes circonstances » (art 17 loi 1987 précitée). Une limite toutefois, il ne peut procéder à des appels de fonds qu’en exécution d’une décision des copropriétaires prises à la majorité des intérêts (art.19 loi 1987). Qui du gérant ou des quirataires sera tenu pour responsable lorsqu’un navire exploité en copropriété fait naufrage ? Telle est la difficulté, en matière d’identification des responsabilités, que pose le système du groupement des quirataires. Autre illustration de la personnalité morale de l’armateur c’est l’Etat. En effet, l’Etat, personne morale publique peut être armateur. A l’origine, l’Etat était directement armateur ; les armements d’Etat se présentaient comme des entreprises administrées en régie directe par le pouvoir central. Ces armements représentaient un instrument de souveraineté nationale permettant de se faire respecter à l’extérieur, mais ils étaient aussi un outil de maîtrise du commerce extérieur. Pratiquement aucun Etat côtier, semble-t-il, n’y a échappé, y compris les Etats-Unis d’Amérique (avec le shipping board). Même l’Etat français qui refusait de se mêler de sa flotte de commerce y a été contrainte au vingtième siècle avec les deux guerres mondiales. Pendant la première guerre mondiale, il gérait directement les navires de prise et lors de la seconde, il exploitait les « liberty-ships » prêtés par les Etats-Unis et réquisitionnait une part de la flotte française. Mais très vite, le système de l’administration directe, par le pouvoir central des armements d’Etat, s’est avéré financièrement désastreux au point où l’Etat préféra s’assurer une participation au sein de sociétés d’armement. Ainsi, progressivement, les armements d’Etat sont devenus de véritables sociétés commerciales dotées de la personnalité juridique et d’un patrimoine propre. Aujourd’hui, les situations dans lesquelles l’Etat est directement armateur

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sont rares et l’on ne les retrouve que dans des cas exceptionnels de guerre où l’Etat devient armateur par réquisition ou affrètement ou encore dans des Etats de type socialiste ou à économie étatisée tels que la Libye ou l’Iran. Plus fréquente est donc la situation où l’armateur est une société dont les actions appartiennent en totalité ou en partie à un Etat, même si aujourd’hui de plus en plus on constate un désengagement des Etats dans les activités armatoriales. Nous en avons eu une illustration en France où l’Etat s’était assuré une participation majoritaire au sein de deux des principales compagnies maritimes françaises : la Compagnie des Messageries Maritimes, créée en 1851 et la Compagnie Générale Transatlantique, créée en 1861. Toutes deux devinrent respectivement, en 1948 et en 1953 des sociétés d’économie mixte. En ce qui concerne notre étude, l’un des problèmes particuliers posés par ces armements, émanation d’Etat, est de avoir qui, dudit Etat ou de la société nationale créée ou gérée par l’Etat, est l’armateur réel. Autrement dit, qui doit être poursuivi lorsque le navire appartenant à une société d’armement, gérée en tout ou partie par un Etat, fait naufrage ? Les difficultés d’identification du responsable se rencontrent aussi bien s’agissant de l’armateur-propriétaite (non exploitant) que du transporteur.

B) Les difficultés d’identification du transporteur La loi du 18 juin 1966 dans son article 15 définit le contrat de transport comme le contrat par lequel le transporteur s’engage, moyennant le paiement d’un fret par le chargeur, à acheminer une marchandise déterminée, d’un port à un autre. Cette même loi précise la personne sur laquelle pèse la responsabilité dans un contrat de transport. En effet, l’article 27 dispose que «le transporteur est responsable des pertes ou dommages subis par la marchandise depuis la prise en charge jusqu’à la livraison » (mais en réalité le cocontractant du transporteur, à savoir le chargeur, peut être le responsable puisque le contrat de transport fait aussi peser sur lui un certain nombre d’obligations). Cependant, ladite loi ne dit pas ce qu’il fait entendre par « transporteur ». Pour cela, il faut se référer à la Convention de Bruxelles de 1924. Cette dernière précise que le mot « transporteur » comprend le propriétaire du navire (donc exploitant) ou l’affréteur partie à un contrat de transport avec un chargeur (art 1-a).

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Sous cette apparente simplicité textuelle se cache une source de contentieux importants et omniprésents devant les tribunaux du monde entier. Si la définition, bien qu’insuffisante du transporteur a été stigmatisée par la Convention de Bruxelles en 1924, les difficultés d’identification de cet opérateur maritime semblent aussi vieilles que le Droit maritime lui-même. En France, l’Ordonnance de la marine (1681) et le code de commerce de 1807 exigeaient une véritable obligation d’identification du transporteur maritime dans le contrat, compte tenu des problèmes qui en résultaient. La question a connu un regain d’actualité avec l’apparition de nombreux et nouveaux intervenants du transport maritimes conduisant à la diversification des contrats d’exploitation des navires. Mais plus récemment encore, grâce à l’évolution considérable des structures armatoriales. 1°) Les difficultés d’identification du transporteur issues du système d’exploitation des navires Nous allons distinguer ici entre les problèmes que posent d’une part, les contrats « traditionnels » et d’autre part, les prestations « modernes » d’exploitation des navires.

a) Les contrats « traditionnels » d’exploitation des navires Aux termes de la Convention de Bruxelles de 1924 (art 1-a), le transporteur peut être le propriétaire du navire. Il en est ainsi lorsqu’il exploite directement son navire, soit en concluant des contrats de transport avec des chargeurs, soit en concluant des contrats d’affrètement au voyage (car en sa qualité de fréteur, il détient tant la gestion nautique que la gestion commerciale du navire). Mais le transporteur peut être aussi un affréteur qui conclue un contrat de transport avec un chargeur. En principe, les contrats de transport ou d’affrètement doivent identifier chaque partie au contrat et donc permettre facilement l’attribution des responsabilités, mais la réalité en est toute autre. Les mentions relatives aux parties sont une source importante de litiges devant les tribunaux car elles ne permettent pas toujours d’identifier la personne qui est responsable aux termes du contrat. Le problème provient dans la plupart des cas des connaissements de charte-partie, c’est-à-dire un connaissement accompagnant un contrat d’affrètement.

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En général, pour identifier le transporteur maritime, il suffit de se référer à l’en-tête du connaissement. Cependant, l’en-tête n’est, ni une condition de fond, ni une condition de forme à la validité du contrat de transport. Preuve en est de la pratique désormais courante des connaissements sans en-tête. L’en-tête ne constitue qu’une présomption simple, laissant à la personne désignée, la possibilité de rapporter la preuve qu’elle n’est pas responsable. Cette pratique génère des litiges importants car si les parties contractantes connaissent leurs obligations respectives, tel n’est pas le cas des tiers qui n’ont parfois pour seule référence que le document contractuel liant leur créancier. Et cela concerne aussi bien les connaissements « simples » que les connaissements de charte-partie. Autre contrat qui entraîne des difficultés d’identification du transporteur sont les contrats de gestion technique du navire dits contrat de ship management. Par ces contrats, des sociétés spécialisées (« ship management companies ») se voient confier des tâches autrefois assurées par le transporteur : recrutement et administration de l’équipage, mise à bord des approvisionnements, organisation du ravitaillement en combustibles, entretien, maintien du navire en classe, souscription des assurances…Le transporteur ne conservant généralement que la gestion commerciale de son navire. Le contenu de ces contrats est très variable. En effet, certains de ces contrats sont restreints, prévoyant la prise en charge par le manager de quelques tâches, par exemple, la fourniture de l’équipage. D’autres au contraire, sont plus larges prévoyant une coopération plus ou moins poussée du ship manager à la gestion commerciale du navire. Lorsque le contrat ne concerne que la fourniture d’équipage ou la gestion nautique du navire, la société de ship management semble-t-il, n’est pas habilitée à délivrer les connaissements, et n’a donc pas la qualité de transporteur maritime. En revanche, si la société assure la gestion commerciale du navire, ou la gestion totale, c’est-à-dire, gestion nautique et commerciale, voire même humaine, elle a pleinement le droit d’émettre de connaissements. La question se posera alors de savoir qui du propriétaire/transporteur ou de la société de ship management, doit être considérée comme transporteur ? Une autre difficulté d’identification du transporteur résulte du développement considérable de la sous-traitance dans le secteur des activités maritimes et plus particulièrement en matière de transport maritime. La loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance définit cette dernière comme étant « l’opération par laquelle un entrepreneur (donneur d’ordre) confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne (sous-traitant) l’exécution de tout ou partie du contrat d’entreprise ou d’une partie du marché public conclu avec le maître de l’ouvrage (client) ».

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En effet, il est fréquent qu’un transporteur se substitue un transporteur pour l’exécution de tout ou partie du transport. De même, un contrat d’affrètement peut donner lieu à un ou plusieurs sous-affrètements. Il peut aussi en être de même pour tout contrat conclu et lié à l’exploitation d’un navire (contrat de manutention, de ship-management…). Le problème que soulève cette cascade de sous contrats c’est que l’identification des responsabilités n’est pas toujours évidente. Et comme le souligne très bien le professeur M. REMOND-GOUILLOUD, « la responsabilité glisse facilement du contractuel au délictuel, chacun étant enclin à poursuivre celui qu’il peut toucher, solvable, plutôt que le responsable ».

b) Les prestations « modernes » d’exploitation des navires Il est bien loin le temps où l’exploitation des navires était contrôlée et gérée par leurs propriétaires appelés jadis naviculaires ! En effet, face aux avancées technologiques et à la concurrence, « les entreprises d’armement on dû évoluer ; Elles ont laissé place aujourd’hui à des entreprises ultramodernes exploitant d’immenses flottes, et offrant des capacités et des services de transport exceptionnels et d’un genre nouveau, grâce notamment à la conteneurisation et au développement du transport multimodal » (M. NDENDE). S’agissant du transport multimodal, le développement extraordinaire de cette forme de transport, et l’une de ses conséquences majeures, à savoir l’intervention de multiples opérateurs intermédiaires, ont conduit à s’interroger sur l’identification des responsabilités dans un transport de bout en bout. Etant donné qu’il était difficile de déterminer pendant quelle phase de transport le dommage s’est produit (en ce qui concerne notre étude, le dommage ayant causé le naufrage par exemple), qui du commissionnaire du transport ou des transporteurs terrestre, ferroviaire, ou maritime devait être tenu pour responsable du naufrage du navire ? Parallèlement au transport multimodal, le développement de la conteneurisation a également entraîné d’importants bouleversements dans la vie maritime, et qui brouillent l’identification des responsabilités. En particulier, la conteneurisation a entraîné la métamorphose fonctionnelle de certaines entreprises, dont les entreprises de transit spécialisées notamment dans le groupage des cargaisons. C’est ainsi que sont apparues des entreprises d’un nouveau type désignées sous l’appellation de N.V.O.C.C ou « Non Vessel Operating Common Carriers ». Elles se présentent comme de véritables transporteurs maritimes sans navires puisque leur activité consiste, pour l’essentiel, à conclure des contrats de transport maritime de marchandises avec des chargeurs alors qu’elles ne disposent d’aucun navire en nom propre.

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Elles s’appuient sur le groupage de marchandise dans des conteneurs LCL et organisent leur transport à grande échelle et à des prix compétitifs, en affrétant notamment des espaces à bord de navires de lignes régulières exploités ou appartenant à de véritables transporteurs professionnels. Le problème que soulève cette nouvelle profession, du point de vue des responsabilités, est de savoir qui doit être considéré comme transporteur maritime : le transporteur professionnel ou le NVOCC ? Il arrive aussi que les difficultés d’identification du transporteur résultent de l’évolution des structures armatoriales. 2°) Les difficultés d’identification du transporteur résultant de l’évolution des structures armatoriales : Le recours aux montages sociétaires avec des single ship companies ou « compagnie à navire unique » génère des difficultés d’identification du transporteur réel. La technique consiste, pour un transporteur propriétaire de plusieurs navires, en la constitution d’une société par navire au lieu de constituer une seule société d’armement qui serait propriétaire de la totalité de ses navires. Cette formule a l’avantage pour lui, de créer un écran juridique entre son patrimoine, ou le patrimoine du groupe qu’il contrôle, et chacun de ses navires, lui permettant ainsi de cloisonner les risques afférents à l’exploitation de chaque navire à la valeur de ce navire. Ainsi, « si le navire, principal actif d’une société a péri, les créanciers de cette société ne trouveront le cas échéant en guise d’indemnisation qu’une coquille vide » (M. REMOND-GOUILLOUD). Et cette dernière d’ajouter que « le procédé est potentiellement favorable à la fraude à tel point qu’il est devenu un phénomène extrêmement préoccupant, en raison de son ampleur mondiale et de ses conséquences nuisibles ». Qui doit alors être considéré comme transporteur maritime : la single ship company ou l’armateur propriétaire qui se cache derrière l’écran de la personnalité juridique formé ? Autre phénomène préoccupant, est celui des consortia (ou consortium) et alliances. Il s’agit de phénomènes de concentration des entreprises maritimes qui bouleversent complètement les

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conditions d’exploitation des lignes régulières de navires. A une exploitation individuelle et autonome des navires, se substitue une exploitation collective et intégrée dans des structures logistiques de groupe, avec une chaîne d’opérations coordonnées et des décisions communes entre les différents armateurs membres du groupement. Si ces deux structures présentent des différences quant à leur organisation, elles se ressemblent sur un plan logistique. En effet, dans les deux cas, les navires sont mis en commun : chacun d’eux est à la disposition de tous les membres par un système d’affrètements d’espaces croisés, de manière à accroître les possibilités de desserte. Les dépenses maritimes et les dépenses d’armement sont parfois partagées, et les politiques commerciales sont harmonisées au sein d’un bureau commun d’exploitation». Comment alors, au sein de ces groupements, identifier l’armateur/transporteur qui va endosser la responsabilité en cas de naufrage d’un navire utilisé par chacun des membres ? Le membre du groupement dont le navire aura fait naufrage ou le groupement d’armateurs lui-même ? Après avoir étudié les difficultés d’identification du responsable, nous verrons comment se résolvent ces problèmes en pratique et compte tenu de chaque situation.

II- LA RESOLUTION DU PROBLEME : L’IDENTIFICATION DU RESPONSABLE REEL

Les cocontractants, chargeurs ou passagers, ainsi que les tiers victimes d’un naufrage ne savent pas toujours à qui s’adresser en cas de litiges. Même les tribunaux connaissent parfois quelques difficultés pour identifier les responsables, et ce à cause des problèmes énoncés ci-dessus. Mais au final, on y arrive presque toujours à le faire, qu’il s’agisse de l’armateur réel (A) ou du transporteur maritime réel (B). Puis nous terminerons par une identification sommaire du responsable réel en fonction du type de dommage occasionné par le naufrage du navire (C).

A) Identification de l’armateur réel

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Nous nous contenterons d’étudier ici le seul cas de l’armateur propriétaire de navire. Pour ce qui est de l’armateur non propriétaire, l’étude se fera en même temps que l’identification du transporteur réel (B) car n’étant pas propriétaire du navire qu’il exploite, il est considéré comme transporteur maritime. Lorsque le navire qui a fait naufrage a été financé par une opération de crédit-bail, l’identification de l’armateur réel dépendra du fait qu’il y ait eu ou non levée de l’option d’achat par le crédit-loueur (ou preneur). En effet, le système consiste en ce qu’une personne qui n’a pas les moyens de se payer un navire, va se faire financer l’achat de ce dernier par une banque ou une société spécialisée dans le crédit-bail, afin de l’exploiter. A l’issue d’une période fixée, le preneur jouit d’une option. Il peut soit : - restituer le navire à la société financière, - demander le renouvellement du contrat, - acquérir le navire pour un prix qui tient compte, au moins pour partie, des versements

effectués à titre de loyers. Dans ce dernier cas il devient alors armateur, au sens propre du terme, c’est-à-dire, propriétaire et exploitant du navire.

Lorsque l’option d’achat n’aura pas été levée, du fait que la période fixée pour cette faculté ne soit pas encore arrivée, ou que le contrat a été renouvelé, il semble que l’on est dans une situation semblable à celle qu’on a évoqué précédemment s’agissant de l’affrètement à temps. En effet, juridiquement, on aura deux armateurs : l’armateur-propriétaire en la personne de la société financière, et l’armateur non propriétaire qui sera le preneur, qui exploite effectivement le navire. Faut-il appliquer la jurisprudence Anne-Bewa (cf ci-haut) dans un tel cas de figure ? Nous ne prendrons pas le risque de trop nous avancer sur ce point. Mais nous pouvons dire que les deux armateurs sont susceptibles de voir leur responsabilité engagée par les personnes ayant subi un préjudice du fait du naufrage du navire ayant fait l’objet d’un contrat de crédit-bail. En revanche, lorsqu’à l’arrivée du terme prévu, le preneur lève l’option d’achat du navire, il en devient l’armateur unique. Partant, pour toute réclamation consécutive à un naufrage, les réclamants vont, au prime abord se retourner contre lui. Lorsque l’armateur est une personne physique exerçant à titre individuel, il n’y a aucun doute, c’est cette personne physique qui est l’armateur réel. En revanche lorsque l’armateur est une personne morale, il va falloir avoir recours au droit commun des sociétés. Autrement

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dit, l’identification des responsables se fera selon la forme sociétaire choisie. Ainsi, le(s) responsable(s) désigné(s) dans les statuts sociaux seront ceux qu’on va qualifier d’armateur. S’agissant d’un groupement de quirataires, la problématique était de savoir, qui du gérant de la copropriété ou des quirataires endossaient la responsabilité en cas de dommages, et donc la qualité d’armateur ? Lorsqu’un gérant a été nommé, conformément aux règles du mandat (la loi de 1967 étant muette sur la responsabilité du gérant), le gérant n’est pas normalement engagé par les contrats qu’il conclut pour le compte de la copropriété sauf en cas de faute. Par conséquent, si le navire a péri par sa faute, il doit être tenu pour responsable de toutes les conséquences dommageables qui en résulteront. C’est une responsabilité indéfinie. Et dans le cas où plusieurs armateurs gérants ont été nommés ils sont tenus solidairement. Autrement dit, dans un groupement de quirataires où un gérant a été nommé, c’est ce dernier qui est considéré comme l’armateur puisque c’est lui qui va endosser la responsabilité. Quid lorsque aucun gérant n’a été désigné ? Nous avons vu que dans une telle hypothèse, l’article 15 de la loi de 1967 répute tous les copropriétaires du navire, gérants. Ils seront donc tous considérés comme armateur. La contribution de chacun à la réparation des dommages ayant été fixée par la loi. A l’origine, la jurisprudence avait posé la règle que les quirataires étaient tenus de façon indéfinie et solidaire des dettes de la copropriété, ceux-ci ayant une activité commerciale1. Malgré la contestation de cette solution, la Cour de cassation a maintenu sa position dans un arrêt du 23 février 1965 « Navire Angelus »2 . On avait cru que la loi de 1967, qui établissait une distinction entre copropriétaires gérants et copropriétaires non gérants allait changer la donne. Mais il n’en fût rien, du moins pour ce qui est de copropriétaires gérants. En effet, l’article 20 dispose que « les copropriétaires gérants sont tenus indéfiniment et solidairement des dettes de la copropriété, et ce nonobstant toute convention contraire ». La loi du 26 juin 1987, texte qui a remplacé celle de 1967, a maintenu cette solution. Enfin, lorsque c’est l’Etat lui-même qui est l’armateur, il n’y a pas de difficulté majeure dans le cas d’une administration en régie directe. Les difficultés d’identification de l’armateur réel apparaissent lorsqu’il s’agit de société d’armement financées, en tout ou partie, par l’Etat. Fallait-il admettre que les dites sociétés avaient une personnalité morale autonome, ou

1 Civ. 27 fév 1877, S. 77, 1.209 2 DMF 1965. 412

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au contraire considérer que cette personnalité morale se confondait avec celle de l’Etat lui-même, auquel cas alors seul ce dernier serait considéré comme armateur réel ? En jurisprudence, pour résoudre les litiges relatifs à l’autonomie juridique des sociétés d’armement d’Etat par rapport à l’Etat lui-même, on a recours à la théorie de l’émanation. Selon cette théorie, les sociétés armateurs de navires d’Etat n’ont pas véritablement la personnalité morale et ne possèdent pas de patrimoine propre différent de celui de l’Etat. Ils n’ont donc pas vraiment d’autonomie de gestion dans la mesure où, les capitaux sont étatiques et les dirigeants le plus souvent nommés par le pouvoir central. Cette théorie a d’abord été appliquée dans le domaine des nationalisations, puis dans celui des saisies de navires1, domaine dans lequel il fait a fait l’objet d’un contentieux important. Mais rien ne s’oppose à ce qu’elle s’applique pour tout autre litige, comme ici en cas de réclamations consécutives à un naufrage. Pour la doctrine, une telle généralisation de la théorie de l’émanation doit être accueillie avec la plus grande réserve. Ainsi, pour le Professeur M. Ndende, « la confusion de la personnalité morale des armements avec celle de l’Etat lui-même peut produire un effet boomerang très pervers : ces armements en viennent à revendiquer l’immunité des Etats dont on les accuse d’être des émanations ». Pour le Professeur Bonassies, « la généralisation de la théorie de l’émanation présente un grave danger pour certains armements français par exemple, naguère, la Compagnie Générale Maritime, dont les navires auraient pu être saisis pour une dette d’Electricité de France) comme pour les ports français, que pourraient délaisser les armements des pays à économie d’Etat ». En outre, « d’un point de vue plus théorique, elle méconnaîtrait le droit des Etats d’organiser comme ils l’entendent leur économie, soit sur un mode libéral soit sur un mode étatique ou socialiste, alors que ce droit leur est reconnu par des textes internationaux importants (Charte des droits et devoirs économiques des Etats du 12 décembre 1974 et, pour les Etats liés à la Communauté Economique, Convention de Lomé du 8 décembre 1984) ». Tenant compte des critiques doctrinales, la jurisprudence semble être revenue à une conception, sinon plus restrictive, du moins, moins permissive de la théorie de l’émanation. En témoigne l’arrêt censurant la position adoptée par la Cour d’appel de Rouen précitée, rendu à propos de l’affaire du « Navire Filaret »2. Arrêt qui fut confirmé ultérieurement, notamment dans l’affaire du « Cesil Angola » le 1er Octobre 19973 dont les termes étaient les suivants : « Le contrôle d’un Etat sur une personne morale, ainsi que la mission de service public qui lui est dévolue, ne suffisent pas à la faire considérer comme une émanation de

1 CA. Rouen. 23 déc. 1985, « Navire Filaret » DMF 1986.349 2 Cass. com. 6 juil. 1988, DMF 1988.595, note Warot ; DMF 1989, 14 obs. Bonassies 3 DMF 1998.17

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l’Etat impliquant son assimilation à celui-ci et aux autres organismes placés dans la même situation qu’elle par rapport à cet Etat ». Compte tenu de cette jurisprudence défavorable à la théorie de l’émanation, il semble qu’il ne faille pas considérer ipso facto l’Etat armateur détenteur de parts sociales, en tout ou partie, dans une société d’armement, comme le véritable armateur du navire. Il va falloir pour cela, caractériser selon la situation envisagée, le degré d’implication de l’Etat dans la société dont il sera question. La possibilité qu’une société d’armement d’Etat puisse se voir reconnaître la qualité d’armateur reste donc ouverte. Après avoir traité la question de la détermination de l’armateur réel, nous envisagerons la situation du transporteur maritime.

B) Identification du transporteur réel Nous avons vu que la pratique des connaissements sans en-tête est une grande source de difficulté d’identification du transporteur maritime surtout lorsque le navire n’est pas exploité par son propriétaire, mais par un affréteur. Comment savoir qui a émis le connaissement ? Dans une telle situation, on considérait que c’était l’armateur-propriétaire (non exploitant) du navire en cause qui était le transporteur. Mais la jurisprudence, dans l’affaire du «Navire Julia » avait décidé, dans un premier temps, que l’action dirigée contre l’armateur inscrit au registre d’immatriculation n’était pas recevable : « le propriétaire du navire ne peut être tenu pour transporteur si cette qualité ne ressort pas du connaissement »1. Cette décision a été vivement critiquée notamment par les Cour d’appel d’Aix-en-provence et de Rouen pour lesquelles, c’est l’armateur qu’il fallait considérer comme transporteur apparent répondant des dommages. Un arrêt de Cass. com. 21 juil 1987 « Navire Vomar », ainsi que CA. Paris. 16 juin 20042 confirment la solution donnée par les Cours d’appel d’Aix et de Rouen, qui constituent donc la jurisprudence actuelle. Certains connaissements comportent une clause « Identity of carrier » ou « Demise clause » inspirées de la pratique anglaise et selon lesquelles le propriétaire du navire sera réputé transporteur. Ce qui permettait à l’affréteur de se protéger contre les réclamations. En France, cette clause est mal accueillie par les tribunaux, qui la considèrent sans valeur et donc 1 Cass. com. 10 mai 1983, « Navire Julia », DMF 1984.269 2 DMF 2005, HS, n°94

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inopposable au cocontractant du transporteur. Même la jurisprudence anglaise l’a récemment abandonné : « La clause « Identy of carrier » ne peut pas transférer la qualité de transporteur sur une autre personne »1. En ce qui concerne les contrats de ship management, nous avons vu qu’il arrive que la société « manager » assure une gestion très poussée, voire totale du navire (nautique, commerciale et humaine) et que, par conséquent elle puisse émettre des connaissements. Le problème qui en ressortait était alors de savoir, qui de la société de ship management ou de l’armateur, devait être recherché comme transporteur maritime ? D’entrée de jeu, effaçons tout doute. Les sociétés de ship management sont de simples mandataires, exploitants le navire « au nom et pour le compte de l’armateur » (Agnès Rover Fleury). Contrairement aux affréteurs, elles ne deviennent pas transporteurs maritimes du seul fait qu’elles assurent la gestion commerciale du navire. La raison en est que le contrat de ship management tient à la fois du contrat du mandat et du contrat d’entreprise, c’est pourquoi, en qualité de mandataire la société « manager » n’assume pas personnellement les risques de l’exploitation commerciale. Preuve en est que dans tout document contractuel, elle doit toujours prendre le soin de préciser qu’elle intervient « as agent only », c’est-à-dire en tant que simple agent de l’armateur. Ainsi, toutes personnes ayant un intérêt à agir et qui veulent obtenir réparation ne peuvent pas, en principe, engager la responsabilité personnelle de la société de ship management. A moins que celle-ci ait commise une faute caractérisée ayant causé un dommage à un tiers ; auquel cas sa responsabilité viendra doubler celle de l’armateur. Parfois, lorsque la société de ship management assume la totalité de la gestion du navire, on peut estimer que la responsabilité de celle-ci doit être assimilée à celle d’un armateur, sans nécessairement effacer celle de l’armateur légal, du moins pour ce qui est du droit français. Encore faut-il pour cela que le contrat de ship management n’ait pas été régulièrement publié. Cependant, pour le professeur Ndendé, il existe un cas, et un seul, dans lequel, la société de ship management pourra être poursuivie en qualité de transporteur maritime : c’est celui des montages sociétaires. Selon lui, le propriétaire du navire et la société de ship management peuvent s’utilisent mutuellement comme paravents pour faire systématiquement échec aux poursuites des créanciers : c’est le cas par exemple d’une société qui se présente faussement comme simple ship manager d’un navire, alors qu’en réalité elle en est l’armateur réel. Il y aurait là une volonté frauduleuse à l’égard des créanciers par le biais de manipulations sociétaires.

1 Chambre des Lords. 13 mars 2003, « STARSIN »

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La sous-traitance est une autre source de difficulté d’identification du transporteur maritime. La question sera de savoir qui du transporteur originaire ou du transporteur substitué sera considéré comme le véritable transporteur répondant des dommages causés par le naufrage d’un navire ? Il n’existe pas en droit français de dispositions particulières concernant la substitution de transporteur. Par conséquent, les problèmes nés de cette situation doivent être résolus selon les principes du droit commun. Deux situations sont alors à envisager : - Lorsque la substitution était prévue dans le contrat conclu avec le transporteur initial, ce

dernier apparaît comme le mandataire du chargeur et le transporteur substitué devient le transporteur réel.

- En revanche, lorsque la substitution n’était pas prévue, celle-ci demeure malgré tout licite en vertu de l’article 1236 du Code civil, mais c’est l’armateur initial qui doit être considéré comme le transporteur.

Précisons toutefois que les règles de Hambourg du 31 mars 1978 (qui ne s’appliquent pas en France), traitent de la responsabilité du transporteur et du transporteur substitué (art 10). Il y est prévu que le transporteur initial demeure responsable de la totalité du transport. Il est par ailleurs responsable des actes et omissions du transporteur substitué pour la partie de transport effectué par ce dernier. En outre, les victimes disposent d’une action directe contre le transporteur substitué. Enfin le texte ajoute que la responsabilité des deux transporteurs est solidaire. Nous avons précédemment vu qu’avec le développement extraordinaire de la conteneurisation un nouveau personnage était apparu, le NVOCC, qui posait des difficultés d’identification du transporteur réel entre lui et le transporteur professionnel. Le NVOCC délivre à ses clients un « house bill of lading » ou « connaissement-maison » dont la particularité est de comporter un en-tête indiquant sa dénomination sociale, ainsi que souvent, son adresse et coordonnées. Parallèlement, le NVOCC reçoit du transporteur maritime professionnel un « master bill of lading », c’est-à-dire un connaissement principal. Le problème c’est que les ayants-droit à la marchandise, ne connaissent que le NVOCC et n’ont pas de rapport direct avec le transporteur professionnel : c’est le principe même de l’effet relatif des contrats. On peut donc conclure que c’est le NVOCC qui apparaît juridiquement comme le transporteur maritime et c’est lui contre lequel les victimes devront agir en responsabilité. D’où l’expression du Maître Morinière (auteur d’une thèse sur les

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NVOCC) de « transporteurs maritimes contractuels » (par opposition aux transporteurs maritimes professionnels) s’agissant des NVOCC. Il semble qu’en réalité, la pratique veut que la NVOCC, après avoir assumé ses responsabilités de transporteur à l’égard de ses créanciers, puisse par la suite, se retourner contre le transporteur maritime réel sur la base du « master bill of lading ». Quid si le NVOCC émet un connaissement sans en-tête et conteste sa qualité de transporteur maritime ? Dans ce cas, le recours à la théorie de l’apparence serait utile afin d’identifier le NVOCC comme transporteur maritime réel. Les indices permettant cette identification devront toutefois, être sérieux et réels, sinon c’est le transporteur professionnel qui sera considéré comme le véritable transporteur ». C’est ainsi qu’une Cour d’appel avait décidé que « l’identité de l’émetteur des titres de transport étant impossible à déterminer, c’est à bon droit que les assureurs facultés ont exercé leur recours contre le propriétaire du navire, tenu pour être le transporteur »1. Pour certains auteurs, dans un tel cas de figure, il serait plus judicieux soit de poursuivre à la fois le propriétaire du navire et l’entreprise qui exploitait commercialement le navire au moment du dommage (c’est-à-dire le NVOCC). Soit au contraire, sur le fondement du Décret du 5 mars 1990 concernant la commission de transport, qualifier le NVOCC de commissionnaire de transport. Rappelons que le texte susvisé considère comme commissionnaire de transport, « tout professionnel qui organise et fait exécuter sous sa responsabilité et en son propre nom, un transport de marchandises selon les modes de son choix, pour le compte d’un commettant ». Pour ce qui est du transport multimodal, la complexité de cette forme de transport et l’intervention de multiples opérateurs intermédiaires qui en est résultée, ont poussé les Etats à réagir afin d’identifier avec précision le responsable principal. En effet, il paraissait de plus en plus injuste de prendre pour responsable le dernier transporteur et le commissionnaire de transport. Après quelques échecs de projet de conventions par des institutions internationales (UNIDROIT en 1957, CMI en 1969, TCM en 1971, et CNUDCI en 1980), les règles CCI-CNUCED de 1992, dans un souci de simplification, ont pu mettre en place un contrat unique

1 CA. Versailles, 4 avril 2002, Navires Peninsular Bay et Singapore Bay, DMF 2002.944

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qui couvre le transport de bout en bout, avec un opérateur unique : c’est l’ organisateur de transport multimodal (OTM). Ce nouveau personnage sera désormais, dans le cas d’un transport multimodal, le responsable unique vers lequel les ayants droit aux marchandises ou autres victimes, devront diriger leur action. Cela va permettre d’éviter le « syndrome du dernier transporteur », pour reprendre les termes du Professeur SCAPEL. La codification de ces règles est actuellement en projet au sein de la CNUDCI, qui a été chargée d’élaborer une Convention Internationale contenant des dispositions spéciales sur ce que le Professeur Bonassies a qualifié de « transport multimodal transmaritime ». Dans les cas des single ship companies, il a fallu lutter contre l’éclatement de patrimoines résultant de la constitution de sociétés d’armement dotées d’un seul navire. En droit des sociétés, chaque société créée dispose d’une personnalité juridique autonome, dont le patrimoine, pour nous le navire, répond seul des éventuelles réclamations. Ce principe devrait conduire à refuser aux créanciers d’une single ship company toute action contre l’armateur ou le groupe d’armateurs qui se cachent derrière l’écran de la personnalité juridique. Mais il aurait paru injuste que ceux qui contrôlent la gestion d’un ensemble de navires ne soient pas poursuivis, sur l’un ou l’autre de ceux-ci sous prétexte qu’ils ont constitués des sociétés indépendantes. Pour lutter contre ce phénomène, la doctrine et la jurisprudence ont élaboré une théorie dite « des navires apparentés ». Toute une jurisprudence s’est alors construite autour de cette question, spécialement en matière de saisie des navires. Sur le fondement de cette théorie, le voile de la personnalité morale des sociétés d’un seul navire serait levé ou percé, pour y découvrir des sociétés fictives. En effet les single ship companies se révèlent être, dans la plupart des cas, des « sociétés de papier » qui sont en fait gérées par le même groupe et les mêmes personnes indélicates, qui utilisent les montages sociétaires et les pavillons de complaisance afin d’échapper à leurs créanciers. La solution qui a été dégagée a alors été d’admettre que « derrière la réalité juridique « frauduleusement » créée, existe une réalité économique : l’identité de propriétaire, par conséquent, l’identité d’exploitant, l’identité d’armateur » (Antoine VIALARD). Par conséquent, lorsque plusieurs indices (par exemple, identité des sièges sociaux, adresses, parenté des dénominations des filiales, identité du pouvoir décisionnel, unité de gestion, manque d’autonomie, confusion de patrimoine et de capitaux, communautés d’intérêts…) permettent d’établir que plusieurs single ship companies sont en fait contrôlées par un même ensemble armatorial ou par les mêmes intérêts économiques, les créanciers de l’une d’elles

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peuvent saisir les navires des autres. C’est dire que c’est l’armateur ou le groupe armatorial qui est considéré comme responsable et partant, comme transporteur. Encore faut-il que la manœuvre frauduleuse soit établie. En effet, par une série d’arrêts, « Osiris » (en 1994), « Alexander III » (en 1996) et « Karelyia » (en 1999), la Cour de cassation a donné un sérieux « coup de frein » au développement de la théorie des navires apparentés qui devenait systématique. Désormais il faut une volonté manifeste de fraude pour établir la fictivité d’une single ship company. Si cette fictivité n’a pas pu être établie, on peut alors considérer que la single ship company est dotée d’une personnalité juridique autonome et donc d’un patrimoine propre, répondant des réclamations dirigée contre ladite société. La single ship company pourra alors dans ce cas, à notre sens, se voir reconnaître la qualité de transporteur maritime. Nous en terminerons par l’identification du transporteur maritime au sein des consortia et alliances maritimes. La problématique étant de savoir qui doit être reconnu comme transporteur au sein de ces groupements : le groupement lui-même ou le membre du groupement dont le navire a fait naufrage ? La réponse sera fonction du choix fait par les parties, de la nature juridique de ces groupements. Il arrive que certains groupements, notamment les consortiums, soient constituées sur le modèle de véritables sociétés commerciales de type SA, SAS ou GIE. C’est le cas lorsqu’elles atteignent un degré d’intégration vraiment poussé. Dans une telle situation, le groupement se verra dotée de la personnalité juridique et pourra émettre des connaissements en son nom propre, et partant, être poursuivi comme transporteur maritime. Mais dans la plupart des cas, les consortiums ou alliances n’ont pas la personnalité juridique et ne constituent que de simples contrats dits « structurés » (bureau commun, politique commerciale harmonisée, mise en commun des flottes) ou contrats de coopération logistique conclus entre des entreprises d’armement ; on les qualifie alors de « consortiums-noyau » ou « consortiums semi-intégrés ». Etant dénués de personnalité morale, ces groupements ne sauraient avoir la qualité de transporteur maritime (car ils ne sont pas dotés de la personnalité juridique nécessaire à la conclusion de contrats). C’est la raison pour laquelle les connaissements émis par leurs membres ne doivent en principe jamais porter l’en-tête du consortium ou de l’alliance, mais plutôt, indiquer la raison sociale de l’un des membres. Quid en cas d’émission d’un connaissement sans en-tête ?

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« Il paraîtrait tout à fait cohérent de poursuivre comme transporteur, le membre du groupement dont le navire aura effectué le transport litigieux ou, de manière solidaire, et telle est la tendance générale, l’ensemble des membres du consortium ou de l’alliance » (M.Ndendé). A présent qu’on peut identifier aisément le transporteur ou l’armateur-propriétaire, les responsabilités peuvent différer en fonction du type de dommage résultant du naugrage.

C) Identification du responsable réel en fonction du type de dommage 1°) Dommages subis par le navire ou perte du navire Dans le cas d’un transport maritime « simple » (dans ce cas le propriétaire du navire est le transporteur), c’est-à-dire qui n’est pas consécutif à un contrat d’affrètement, les textes (loi de 1966 et Convention de 1924) n’envisagent pas l’hypothèse des responsabilités en cas de perte du navire ; ils ne traitent que de la responsabilité en cas de perte ou dommages subis par les marchandises. Or, le naufrage d’un navire emporte inévitablement la perte (partielle ou totale) de ce dernier. La question est alors de savoir qui va endosser la responsabilité de cette perte ? le propriétaire du navire (transporteur) ou le chargeur de la marchandise ? Le contrat de transport de marchandises fait peser sur chacune des parties des obligations (cf infra Chap II, Section 1, I, A). Si le naufrage du navire est la conséquence du manquement de l’une de ces parties à ses obligations contractuelles, il est logique que cette partie en assume la responsabilité. L’identification des responsabilités sera donc fonction de l’origine du dommage. Ainsi, si le navire a sombré à cause d’une innavigabilité (au départ) ou à cause d’un mauvais arrimage ou chargement des marchandises, le propriétaire/transporteur va assumer la responsabilité de ce naufrage et donc, la perte de son navire. En revanche, si le naufrage a été causé par une marchandise dont la dangerosité n’a pas été spécifiée par le chargeur au transporteur, c’est le chargeur qui va endosser la responsabilité du naufrage et devra par conséquent, indemniser le propriétaire de la perte de son navire : « la dissimulation du caractère dangereux de la marchandise rend le chargeur responsable de tous les dommages ou dépenses pouvant résulter de leur embarquement » (art 44 al 1 Décret 1966). Dans le cas d’un transport maritime qui est précédé d’un contrat d’affrètement, il faut distinguer selon le type d’affrètement :

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- L’affrètement coque-nue : c’est le contrat par lequel le fréteur (loueur) s’engage, contre paiement d’un loyer, à mettre pour un temps défini à la disposition d’un affréteur (locataire), un navire désigné, sans armement ni équipement. Dans ce type d’affrètement, l’affréteur détient à la fois la gestion nautique et commerciale du navire. Il a alors l’obligation d’utiliser ce dernier à toutes fins conformes à sa destination normale et doit le restituer en fin de contrat, dans l’état où il a été reçu, sauf l’usure normale. En cas d‘inexécution de l’une de ses obligations, l’affréteur sera (contractuellement) responsable envers le fréteur. Par conséquent, s’il a utilisé le navire à des fins non conformes à sa destination normale et qu’il en est résulté un naufrage, ou étant dans l’impossibilité de restituer le navire, celui-ci ayant sombré, l’affréteur devra indemniser le fréteur de cette perte.

- L’affrètement à temps : il s’agit du contrat par lequel le fréteur s’engage à mettre un

navire armé à la disposition de l’affréteur pour un temps défini (art 7 loi 1966). Ici, la gestion nautique du navire est assurée par le fréteur, tandis que l’affréteur s’occupe de la gestion commerciale. Cette répartition des pouvoirs exerce une incidence sur les responsabilités. Ainsi, il est prévu que l’affréteur est responsable envers le fréteur des dommages subis par le navire, s’ils sont la conséquence de son exploitation commerciale. Toutefois ,il dispose d’un recours contre le fréteur s’il établit que ces dommages proviennent de l’inexécution, par ce dernier, de ses obligations relatives au navire (à savoir, maintenir le navire en bon état de navigabilité pendant toute la durée du contrat).

- L’affrètement au voyage : c’est le contrat par lequel le fréteur met en tout ou partie un

navire à la disposition de l’affréteur en vue d’accomplir un ou plusieurs voyages (art 5 loi 1966). La caractéristique de cet affrètement est de concentrer sur la personne du fréteur la gestion nautique et la gestion commerciale du navire. La conséquence qui en découle c’est qu’il lui appartiendra d’endosser la responsabilité de la perte du navire, à moins que le naufrage ne soit le résultat d’une faute de l’affréteur dans le chargement de la marchandise, obligation qui lui incombe (par ex : marchandises dangereuses). Auquel cas l’affréteur va devoir indemniser le fréteur pour la perte de son navire.

2°) Pertes ou dommages subis par la marchandise S’agissant du transport maritime « simple », le transporteur est présumé responsable des pertes ou dommages subis par la marchandise, sauf à prouver une cause précise d’exonération (art 4 Conv. Bruxelles ; art 27 loi 1966).

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Pour les transports sous connaissement de charte partie, la responsabilité pèse sur : - l’affréteur coque-nue - l’affréteur à temps. Toutefois, s’il s’avère que les dommages ou pertes proviennent de

l’inexécution par le fréteur de ses obligations relatives au navire, l’affréteur dispose d’un recours contre le fréteur.

- Le fréteur au voyage, sauf à lui de prouver que les dommages ne tiennent pas à un manquement à ses obligations.

3°) Dommage subis par des tiers Concernant le transport sous connaissement « simple », le transporteur étant considéré comme gardien de son navire depuis l’arrêt Lamoricière, il répond des dommages causés par ce navire aux tiers en vertu de l’article 1384 al 1 du Code civil. Pour ce qui est du transport sous connaissement de charte-partie, - lorsqu’il s’agit d’un affrètement coque-nue, en principe, le fréteur n’encourt aucune

responsabilité du fait du transfert à l’affréteur, de tous les pouvoirs de gestion du navire. Si les tiers, ignorant l’existence de la charte-partie, assignent le fréteur, l’affréteur devra garantie (art 11 loi 1966).

- Pour ce qui est de l’affrètement à temps, le fréteur ne répond des dommages causés par le navire, à des tiers, que s’ils sont la conséquence de la gestion nautique de celui-ci. De même, si les dommages causés aux tiers sont la conséquence de la gestion commerciale du navire, c’est l’affréteur qui en est responsable.

- Enfin, dans l’affrètement au voyage, le fréteur étant le gardien du navire, il est responsable délictuellement ou quasi-délictuellement des dommages causés par ce dernier à des tiers.

Après avoir procédé à l’identification de l’auteur responsable en cas de naufrage d’un navire, il convient de voir quels sont les principes de cette responsabilité. CHAPITRE 2 : PRINCIPES DE RESPONSABILITE DE L’ARMATEUR-PROPRIETAIRE ET DU TRANSPORTEUR MARITIME Le naufrage d’un navire est toujours un évènement destructeur qui fait obligatoirement des victimes. Celles-ci, afin de se voir indemniser des dommages qu’elles ont soufferts, vont

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s’appuyer sur le contrat qui les lie avec l’auteur responsable du naufrage. Mais elles peuvent très bien aussi faire des réclamations en dehors de toute base contractuelle. En ce sens, il conviendra d’étudier les sources de cette responsabilité, puis sa nature dans une section première consacrée au transport maritime de marchandises (Section 1). Tandis que la seconde section traitera du transport maritime de passagers (Section 2). Préalablement, nous indiquerons la situation de l’armateur propriétaire qui n’exploite pas personnellement son navire (Section préliminaire). SECTION PRELIMINAIRE : SOURCES ET NATURE DE LA RESPONSABILITE DE L’ARMATEUR PROPRIETAIRE Le propriétaire d’un navire peut choisir d’exploiter son navire lui-même ou pas. Lorsqu’il est en même temps l’exploitant, il endosse la qualité de transporteur. Les principes de responsabilité qui lui seront applicables seront ceux qu’on va traiter dans les sections 1 et 2. En revanche, lorsqu’il n’exploite pas personnellement son navire, il est en principe dégagé de toutes les conséquences de l’exploitation du navire. Cependant, en tant que propriétaire du navire, il répond de ses fautes personnelles tant à l’égard de ses cocontractants à savoir les affréteurs (la responsabilité sera alors contractuelle), qu’à l’égard des tiers par exemple en cas de mort ou de lésions corporelles (la responsabilité est de source extracontractuelle). Il en sera ainsi par exemple, s’il a frété coque-nue, un navire affecté d’un élément d’innavigabilité par manque de diligence. Par ailleurs, en cas de dommage de pollution causés par son navire, le propriétaire en sera le seul responsable : on dit que la responsabilité est « canalisée ». Il s’agit d’une responsabilité extracontractuelle. Qu’elle soit contractuelle ou extracontractuelle, la responsabilité du propriétaire de navire est une responsabilité de plein droit, d’une part parce qu’elle est basée sur la faute, d’autre part parce qu’il s’agit d’une responsabilité bien spécifique qui est canalisée sur sa personne. SECTION 1 : LE TRANSPORT MARITIME DE MARCHANDISES Il s’agira dans cette section, d’étudier les sources de responsabilité de l’auteur responsable d’un naufrage (I), avant de voir quelle est la nature de cette responsabilité (II).

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I- SOURCES DE LA RESPONSABILITE DU TRANSPORTEUR MARITIME

DE MARCHANDISES La responsabilité du transporteur maritime peut puiser sa source aussi bien dans un contrat (A), qu’en dehors de tout lien contractuel (B).

A) Source contractuelle Rappelons tout d’abord que le transporteur maritime de marchandises peut être, soit le propriétaire du navire ayant conclu un contrat de transport avec un chargeur, soit l’affréteur ayant affrété un navire et qui l’utilise pour des transports sous connaissement. S’il s’agit d’un affrètement à temps ou coque nue, en principe c’est l’affréteur qui est le transporteur. En revanche, lorsqu’il s’agit d’un affrètement au voyage, c’est le fréteur qui est le transporteur puisqu’il détient à la fois la gestion nautique et commerciale du navire. Le déplacement d’une marchandise d’un port à un autre se fait par la conclusion d’un contrat de transport entre un transporteur et un chargeur. Mais la doctrine dominante (Rodière, du Pontavice…) fait du contrat de transport de marchandises un contrat tripartite, en y incluant le destinataire de la marchandise lorsque celui-ci est différent du chargeur. Le transporteur maritime est garant de la bonne exécution des contrats conclus par lui ou ceux conclus pour son compte par ses préposés et représentants. Par conséquent, en cas d’inexécution par lui de ses obligations contractuelles, sa responsabilité va se voir engagée sur la base de ce contrat. Cette responsabilité est donc bel et bien de source contractuelle. Le contrat fait naître des droits et obligations sur chaque partie. Chacune d’elle est donc susceptible de voir sa responsabilité engagée même si, comme nous le verrons dans le deuxième paragraphe de cette section, « traditionnellement celle du transporteur en cas de perte ou dommages à la marchandise occupe une place prédominante » (RODIERE). En veut pour preuve la responsabilité de plein droit qui pèse sur le transporteur. Cependant nous nous contenterons d’analyser les obligations du transporteur et du chargeur seulement car dans notre hypothèse (naufrage survenu en cours d’expédition maritime), celles du destinataire ne sont pas utiles. De même nous n’analyserons pas les obligations des parties à destination puisque en principe le navire aura péri avant son arrivée au port de destination. Il conviendra donc de déterminer successivement, quelles sont les obligations du transporteur et celles de son cocontractant.

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1°) Les obligations du transporteu

a) Les obligations relatives au navire : Le transporteur qui veut acheminer une marchandise par voie de mer est tenu par des règles de sécurité relativement au navire. En effet pour que le navire soit apte à effectuer l’expédition maritime, le transporteur est tenu de faire diligence, avant et au début du voyage, pour mettre le navire en bon état de navigabilité (art 3 1. Conv. Brux ; art 21 loi 1966). Il s’agit dune obligation de diligence encore dite obligation de « due diligence ». Il faut toutefois observer que cette obligation est temporaire, puisqu’elle ne pèse sur le transporteur qu’avant et au début du voyage. Si le navire, devenu innavigable en cours de voyage est la cause du naufrage, le transporteur ne pourra pas se voir reprocher cette innavigabilité et par conséquent ne sera pas tenu responsable du naufrage. Depuis un arrêt « Muncaster-Castle » rendu par la Chambre des Lords le 7 décembre 19611 cette obligation de diligence est une obligation « personnelle » au transporteur, qui ne peut se décharger de sa responsabilité sur les personnes auxquelles il a délégué sa mission (sous-traitants). L’obligation de due diligence pèse également sur le transporteur s’agissant du transbordement. Ce dernier est défini par Alain LE BAYON, in Dictionnaire de droit maritime, comme le transfert de tout ou partie de la cargaison d’un navire à bord d’un autre navire, par suite d’un arrêt inopiné, accidentel ou non, du voyage maritime. En effet, l’article 40 du décret de 1966 dispose que « En cas d’interruption du voyage pour quelque cause que ce soit, le transporteur ou son représentant doit, à peine de dommages-intérêts, faire diligence pour assurer le transbordement de la marchandise et son déplacement jusqu’au port de destination prévu ». Par conséquent, si le voyage a été interrompu à la suite du naufrage du navire, et qu’une partie de la cargaison a quand même pu être sauvée (cas de perte partielle), le transporteur doit tout mettre en œuvre pour poursuivre l’acheminement de la cargaison à destination, sauf à indemniser les ayants droit de cette dernière. Toutefois, cette obligation de diligence n’est pas une obligation de résultat et « le seul fait que le transporteur n’ait pas réussi à transborder la marchandise ne l’accable pas » (RODIERE). Il ne sera responsable qu’en cas de faute.

1 DMF 1963,245, obs. Bonassies

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b) Les obligations relatives au voyage : Les textes ne prévoient pas de règles particulières pour l’accomplissement du voyage. Mais traditionnellement, on considère que le transporteur doit accomplir le voyage « en droiture », par la route habituelle et dans les meilleurs délais. En pratique, les connaissements prévoient généralement la possibilité pour le transporteur de se dérouter et de faire des escales sans que sa responsabilité ne soit, à priori, engagée. Cependant, le transporteur est tenu de certaines obligations relativement à la marchandise à destination (état, délai inscrit au connaissement), sa responsabilité pourra donc être engagée si le déroutement n’était pas raisonnable et que le navire fait naufrage pendant ce détour. Quid si le navire fait naufrage après un transbordement ? Qui dit transbordement dit, en principe transporteurs successifs. Mais les textes ne règlent pas la question des obligations respectives des transporteurs successifs (et donc de leur responsabilité) en cas de dommage subis par la marchandise (ou le navire), lors d’un transbordement. Il y a lieu de distinguer deux situations : - Si le transbordement s’est effectué sur un autre navire appartenant au même transporteur,

celui-ci reste entièrement tenu. - Dans le cas contraire d’un transbordement effectué sur un navire appartenant à un autre

transporteur, la règle c’est que en principe, chacun des transporteurs est responsable des dommages survenus lors de son propre parcours1. Par conséquent, si le second transporteur ne veut pas se faire voir attribuer la responsabilité du dommage dont la cause se trouve lors du voyage initial, il a tout intérêt à faire des réserves au moment de la prise en charge de la marchandise transbordée. Ces réserves permettent de délimiter le parcours pendant lequel le dommage s’est produit. A défaut, le second transporteur sera réputé avoir reçu les marchandises dans l’état et en la quantité décrits au connaissement. Mais certaines décisions ont admis que le premier transporteur demeurait responsable de la totalité du parcours, soit en qualité de mandant du second transporteur, soit en qualité de commissionnaire. Il en est ainsi lorsque le second connaissement mentionne ses agents comme chargeurs et destinataires2.

Avec la pratique du feedering3, qui s’est considérablement développée avec la conteneurisation des marchandises, les connaissements actuels prévoient par avance les hypothèses de transbordement.

1 Trib. Com. Le Havre, 11 déc. 1953, DMF 1954, 208. 2 Trib. Com. Le Havre, 13 déc. 1960, DMF 1961, 237. 3 Service ancillaire consistant à faire desservir par des navires de petit ou moyen tonnage des ports qui ne le sont pas, par un navire de long cours. Le navire charge dans le port d’éclatement les marchandises

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Exemple : art 6 des connaissements CONLINEBILL et CONLINEBOOKING-LINER BOOKING NOTE (cf annexes)

c) Les obligations relatives à la marchandise: En vertu de l’article 38 du décret de 1966, « le transporteur est tenu de procéder de façon appropriée et soigneuse au chargement, à la manutention, à l’arrimage, au transport, à la garde et au déchargement de la marchandise. Il doit à la marchandise les soins ordinaires ». Les questions du chargement et de l’arrimage sont particulièrement importantes s’agissant notamment des marchandises dangereuses car, la mauvaise exécution par le transporteur de ses obligations peut conduire à la perte du navire. S’agissant du chargement, certaines clauses du connaissement prévoient que la marchandise sera chargée (et déchargée) aux frais et aux risques de la marchandise. Il s’agit des clauses F.I.O (free in and out), F.I.O.S (free in and out stowed) et F.I.O.S.T (free in and out stowed and/or trimmed). De telles clauses sont valables en France, mais seulement en ce qu’elles mettent les frais de chargement et déchargement aux frais de la marchandise. Elles sont en revanche annulées (partiellement donc) en ce qu’elles transfèrent les risques sur les ayants droit à la marchandise. L’arrimage est constitué par l’ensemble des opérations matérielles destinées à répartir et à fixer les marchandises dans le navire. Il a une double fonction : assurer la sécurité du navire et celle de la marchandise. Tout dommage subi par la marchandise engage donc, à priori, la responsabilité du transporteur. La question de l’arrimage pose particulièrement des problèmes s’agissant de la pontée. En effet, en principe la marchandise confiée au transporteur doit être transportée dans les cales du navire, à l’abri des intempéries. Jusque dans les années soixante, ce mode de transport était très peu usité. Mais il a connu un boum extraordinaire avec le développement du phénomène de la conteneurisation. Sur ce point la Convention de 1924 diffère de la loi. Alors que la première exclut catégoriquement de son champ d’application le transport en pontée, dans la seconde ce mode de transport est en principe interdit mais la loi fixe les conditions dans lesquelles il peut être autorisé. Ainsi le transport de marchandises en pontée est autorisé dans trois cas : dans le cas du petit cabotage, en cas de consentement du chargeur mentionné sur le connaissement et lorsque des dispositions réglementaires imposent ce mode

apportées par le navire « mère » et les distribue dans les ports de destination de la zone. Inversement, il décharge dans le port d’éclatement les marchandises enlevées dans les ports de la zone.

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de transport (autrement dit, si la nature de la marchandise commande cette solution). S’agissant du consentement du chargeur, ce consentement résultait de sa signature du connaissement. Or celle-ci n’est plus exigée, ce qui pourrait poser problème. Lorsque le chargement en pontée est régulier, le régime impératif de la Convention de 1924 ne s’appliquant pas, le transporteur va pouvoir aménager sa responsabilité par des clauses élusives ou limitatives de responsabilité dans le connaissement. Toutefois, l’obligation de « procéder de façon appropriée et soigneuse au chargement de la marchandise » pèse toujours sur lui. Si au contraire le chargement en pontée est irrégulier, le transporteur commet une faute, que les tribunaux considèrent comme une faute inexcusable, et ne peut par conséquent pas s’exonérer de sa responsabilité. La conteneurisation appelle à des règles quelque peu différentes. Le consentement du chargeur est supposé donné en cas de chargement de conteneurs à bord de navires munis d’installations appropriées pour ce type de transport. En outre, ce chargement en pontée régulier a pour conséquence de soumettre le transporteur au régime légal et impératif de responsabilité, sans possibilité d’insérer des clauses de non responsabilité dans le connaissement. Autrement dit, à partir du moment où le transport en pontée de conteneurs s’effectue sur des navires spécialisés, le transport est dissocié du régime prévu pour les transports en pontée classique. Il redevient « normal » et reste donc assujetti aux impératifs légaux. 2°) Les obligations du chargeur : Le chargeur a deux obligations principales : l’obligation de payer le fret et l’obligation de sincérité. C’est cette dernière qui nous intéresse le plus. Le chargeur est « garant » de l’exactitude de ses déclarations relativement à la nature et à la valeur de la marchandise inscrite au connaissement (art 19 loi 1966). Le texte ajoute que « toute inexactitude commise par lui engage sa responsabilité à l’égard du transporteur, mais celui-ci ne peut s’en prévaloir qu’à l’égard du seul chargeur ». Par conséquent, pour toute déclaration inexacte de la nature ou de la valeur de la marchandise faite sciemment par le chargeur, la sanction est rigoureuse puisqu’il est prévu que le transporteur n’encourt aucune responsabilité pour les pertes ou dommages survenus à ces marchandises. Cette obligation de sincérité est à géométrie variable selon qu’il s’agit de marchandises ordinaires ou dangereuses. En effet, l’obligation est renforcée lorsque la marchandise est considérée comme inflammable, explosive ou dangereuse. Ce qui est tout à fait logique car la

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sécurité de l’expédition maritime et celle de l’environnement en dépendent. Le manquement à cette obligation est alors sanctionnée par la possibilité pour le capitaine de détruire ou débarquer la marchandise à tout moment et ce, sans aucune indemnité (art 44 décret 1966). Aux vues des obligations du chargeur, sa responsabilité est susceptible d’être engagée en cas de dommages causés au navire transporteur ou aux autres marchandises transportées. La question s’est posée de savoir si pareille responsabilité était de source contractuelle ou délictuelle, donc extracontractuelle ? Car selon A. VIALARD, « il n’est pas absolument évident que le chargeur contracte une obligation relative à la sécurité du navire (cette obligation de sécurité, si elle existe, est implicite) et des autres cargaisons chargées sur le navire ». Alors que le Doyen RODIERE, opte pour la source délictuelle, la jurisprudence elle, retient les règles de la responsabilité contractuelle1. Pour finir, précisons que les actions nées du contrat de transport de marchandises se prescrivent par un an (art. 26 et 32 de la loi de 1966). D’où la tentation de certaines victimes de placer leur action sur le terrain extracontractuel, mais nous verrons que cela n’est pas toujours possible. La responsabilité du transporteur maritime de marchandises peut également être de source extracontractuelle.

B) Source extracontractuelle Le naufrage du navire pose incontestablement des dommages aux cocontractants du transporteur, mais il peut arriver que des tiers au contrat de transport maritime de marchandises, en soient victimes. Par exemple, comme c’était le cas dans l’affaire du navire « Al Hoceima »2, où il était question, suite à un naufrage, d’une action contre le transporteur maritime, intentée par une société qui avait louée au chargeur des semi-remorques à vides pour le transport des marchandises. D’une manière générale, toute personne qui souffre d’un dommage par le fait du transporteur, peut se retourner contre ce dernier. S’agissant des cocontractants du transporteur, ils ne peuvent agir contre ce dernier sur le plan extracontractuel, que dans la mesure où le dommage dont ils souffrent ne résulte pas d’un manquement du transporteur à ses obligations 1 CA. Paris. 17 mars 1958 (D. 1959, 125) ou Cass. com. 28 avril 1965 (D.1966, 5) 2 CA. Aix. 14 mai 2004 (DMF avril 2005, 326, obs. Olivier CACHARD)

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contractuelles. En effet, pour échapper à la prescription annale des actions nées du contrat de transport maritime de marchandises, et bénéficier de la prescription décennale applicable en matière maritime à la responsabilité extracontractuelle (art 2270-1 C.civ), les cocontractants du transporteur prétendent fonder leur action non sur le contrat de transport, mais sur la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle issues du Code civil (art 1382 et s.). Mais cette démarche sera vaine car la jurisprudence est claire sur ce point : « la responsabilité contractuelle refoule la responsabilité délictuelle »1. Autrement dit, le transporteur maritime ne peut pas être recherché sur le plan délictuel quand on peut le rechercher sur le plan contractuel : c’est la règle du refus de l’option. De même, le demandeur (cocontractant) ne peut pas invoquer concurremment le système délictuel et le système contractuel : c’est le principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle (art 1147 C.civ). Dès lors que le demandeur peut obtenir satisfaction sur le plan contractuel, il lui est interdit d’agir dans les termes de la responsabilité délictuelle. Pour récapituler, les règles de la responsabilité délictuelles sont susceptibles de s’appliquer : - En cas d’action d’un tiers au contrat de transport (p.ex : le propriétaire d’une

marchandise qui ne figure ni comme expéditeur, ni comme destinataire sur le connaissement)

- En cas d’action entre parties au contrat, mais fondée sur une cause extracontractuelle. Quid de l’action par laquelle le contractant du transporteur reproche à ce dernier la violation de son obligation contractuelle quand cette violation a constitué une faute lourde ? La jurisprudence est partagée sur ce point. Un jugement avait admis que le destinataire pouvait recourir par la voie délictuelle2 alors qu’un arrêt de Cour de cassation avait décidé que « l’existence d’une faute lourde de la part du transporteur ne met pas le contrat de transport à néant et n’autorise pas le client à se placer sur le terrain délictuel ; la faute lourde fait simplement échec aux clauses limitatives de l’indemnité » ; Ceci étant dit, la responsabilité extracontractuelle du transporteur se décline de trois manières. Il peut s’agir d’une responsabilité : - Pour faute personnelle (art 1382 C.civ). Celle-ci résultera dans la majorité des cas, du

non respect par le transporteur de son obligation relative à la mise en navigabilité du navire. Les tribunaux se révèlent très sévères à l’égard de l’armateur puisqu’ils concluent souvent à la faute du transporteur.

1 Cass. com. 25 fév. 1965, (DMF 1965, 357, note Rodière) 2 Trib. Com. Seine, 10 mars 1958

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- Pour faute de ses préposés (art 1384 C.civ). Selon l’art 3 de la loi du 3 janvier 1969, « l’armateur (sous-entendu le transporteur) répond de ses préposés terrestres et maritimes dans les termes du droit commun ». S’agissant des préposés maritimes du transporteur, et plus particulièrement du capitaine, la règle vaut pour toute faute y compris les fautes de navigation commises par lui.

- Pour fait du navire (art 1384 al 1 C.civ). Malgré les contestations de la doctrine, l’application de la responsabilité du fait des choses au navire a été affirmée par le célèbre arrêt Lamoricière1. Cet arrêt a par la suite été confirmé par la Cour de cassation dans l’affaire du « Navire Champollion »2.

Après avoir examiné les sources de la responsabilité du transporteur maritime de marchandises, il convient de déterminer la nature de cette responsabilité.

II- NATURE DE LA RESPONSABILITE DU TRANSPORTEUR MARITIME DE MARCHANDISES

Ce paragraphe ne traitera que de la responsabilité contractuelle du transporteur maritime, laquelle consiste à un système tout à fait original. Pour ce qui est de la responsabilité délictuelle il convient de se référer au droit commun de la responsabilité civile (art 1382 et s du Code civil). Il pèse sur le transporteur maritime de marchandises une présomption de responsabilité (A) mais le transporteur a les moyens de se libérer de cette présomption (B).

A) La présomption de responsabilité du transporteur La loi de 1966 énonce en son article 27 que « le transporteur est responsable des pertes ou dommages subis par la marchandise depuis la prise en charge jusqu’à la livraison… ». Elle est plus claire dans son énoncé que la Convention de 1924, qui suppose une lecture à contrario : «ni le transporteur, ni le navire ne seront responsables… ». Il s’agit donc d’une responsabilité de plein droit. Autrement dit, la victime du dommage n’a pas besoin de prouver une 1 Cass. 19 juin 1951, D. 1951, 717 2 Cass. 23 jan 1959, D. 1959. 281

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quelconque faute du transporteur, il lui suffit juste de démontrer la perte ou le dommage pour que la responsabilité du transporteur soit engagée. Cette présomption de responsabilité a été inventée à la fin du XIXe siècle pour mettre fin aux abus des clauses exonératoires de responsabilité imposées par les armateurs aux chargeurs. La tendance a même été renversée puisque le régime de la loi de 1966 étant impératif, « toute clause ayant directement ou indirectement pour objet de soustraire le transporteur à la responsabilité définie à l’article 27, est nulle et de nul effet ». Le principe s’applique à toute la période qui va depuis la prise en charge de la marchandise par le transporteur jusqu’à la livraison au destinataire (de palan à palan selon la Convention de Bruxelles). Le transporteur ne peut donc stipuler ni clause de non-responsabilité, ni clause limitative de responsabilité, et ce, de la prise en charge à la livraison. Cependant, le caractère impératif des règles sur la responsabilité s’efface : - Pour des dommages autres que ceux qui constituent des pertes ou avaries ; - Pour les dommages qui ne sont pas couverts par la période de transport (de la prise en

charge à la livraison) ; - Dans le cas de transport d’animaux vivants ; - En ce qui concerne le transport en pontée avec le consentement du chargeur, sauf s’il

s’agit de transport de conteneurs chargés à bord d’un navire muni d’installations appropriées (art. 30 loi 1966) ;

- Dans les contrats d’affrètement, car ici la liberté contractuelle prévaut. Toutefois, en France, les clauses exonératoires ou limitatives, qui demeurent valables entre le fréteur et l’affréteur, sont nulles à l’égard des tiers porteurs du connaissement émis en vertu d’une charte-partie.

Le principe de la responsabilité « automatique » du transporteur n’est pas rigoureux puisque la loi et la Convention permettent à ce dernier de se libérer par le biais de nombreuses causes d’exonération appelées, dans le langage maritimiste, « cas exceptés » (excepted perils). Précisons juste que si on se trouve sur le terrain délictuel, le demandeur n’invoquera pas de présomption de responsabilité et devra établir la faute du transporteur pour voir la responsabilité de ce dernier engagée. En fait le transporteur devient une simple personne qui a endommagé la chose appartenant au demandeur.

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B) La libération du transporteur par la preuve d’un « cas excepté » Un « cas excepté » est une « cause légale d’exonération, qui, si elle est établie (par le transporteur), libère totalement le transporteur de son obligation à réparation » (A. Vialard). En droit commun, un contractant peut s’exonérer de sa responsabilité contractuelle en cas d’inexécution ou de mauvaise exécution de ses obligations s’il prouve que la cause du manquement provient d’un cas de force majeure, du fait d’un tiers ou de la faute de la victime. La loi est beaucoup plus généreuse pour le transporteur maritime car elle fait bénéficier à ce dernier de nombreuses causes d’exonération, la charge de la preuve lui appartenant. Ces causes d’exonération sont au nombre de neuf dans la loi de 1966 (art 27) et de 17 dans la Convention de 1924 (art 4-2). En réalité, il s’agit des mêmes causes d’exonération, la loi française a préféré opter pour un exposé plus synthétique qui a l’avantage de la clarté. On peut regrouper les « cas exceptés » en trois catégories dont nous nous contenterons d’un exposé sommaire : 1°) Les cas exceptés extérieurs au navire (transporteur) et à la cargaison : - périls, dangers ou accidents de la mer - l’incendie - l’acte de Dieu (p.ex : la foudre) - les faits de guerre - les faits du prince - les faits d’ennemis publics tels que les pirates - les émeutes et troubles civils - la restriction de quarantaine - les grèves, ou lock-out, ou arrêts ou entraves apportés au travail pour quelque cause que

ce soit, partiellement ou complètement - les arrêts ou contraintes de prince, autorités ou peuple, ou saisies judiciaires - toute autre cause ne provenant pas du fait ou de la faute du transporteur ou de ses agents

ou préposés. 2°) Les cas exceptés liés à l’exploitation du navire - l’innavigabilité du navire. Il peut paraître contradictoire d’imposer au transporteur, au

titre de ses obligations contractuelles, de mettre le navire en état de navigabilité, et par la

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suite de lui permettre de s’exonérer de sa responsabilité en prouvant l’innavigabilité du navire. Mais on se souvient que l’obligation de « mise en bon état de navigabilité du navire » pèse sur lui avant et au début du voyage. L’innavigabilité du navire peut survenir pendant le voyage et sans que cela ne soit due à un manquement du transporteur de ses obligations. Mais pour pouvoir invoquer l’innavigabilité du navire, aux fins d’exonération, le transporteur doit établir le caractère fortuit de cette innavigabilité en démontrant sa « due diligence ». Autrement dit l’innavigabilité libère le transporteur seulement s’il établit avoir satisfait à ses obligations de base, à savoir mettre son navire en bon état de navigabilité a départ

- les vices cachés du navire échappant à un examen vigilent - l’acte ou la tentative de sauvetage de vies ou de biens en mer ou le déroutement à cette

fin - les fautes nautiques du capitaine, du pilote ou d’autres préposés du transporteur

3°) Les cas exceptés liés à la cargaison - acte ou omission du chargeur ou propriétaire des marchandises, de son agent ou

représentant - insuffisance d’emballage - insuffisance ou imperfection de marque - freinte de volume ou en poids (dite freinte de route) - vice propre de la marchandise.

La loi française ne fait pas figurer le naufrage dans la liste des cas exceptés. Toutefois on peut se demander s’il n’est pas possible d’intégrer celui-ci dans la catégorie des « périls, dangers ou accidents de la mer » prévue à l’article 4-2 c) de la Convention de Bruxelles ? En effet, seule « la fortune (ou périls) de mer » entre dans cette catégorie selon les auteurs. Le naufrage, en tant que accident qui survient en mer, ne mérite-t-il pas sa place au sein de cette catégorie ? A condition de préciser toutefois « à moins qu’il ne soit causé par le fait ou la faute du transporteur » comme cela est le cas de l’incendie. Néanmoins, cela n’empêche pas le transporteur d’invoquer l’un de ces cas exceptés qui aurait été la cause du naufrage afin de se voir exonérer de sa responsabilité. Cette présomption de responsabilité que nous venons d’étudier ne s’applique pas au fréteur au voyage.

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C°) Responsabilité particulière du transporteur/fréteur au voyage Nous avons vu que dans l’affrètement au voyage, c’est le fréteur qui assurait à la fois la gestion nautique et commerciale du navire. C’est donc lui qui endossait la qualité de transporteur à l’égard des tiers porteurs du connaissement (art 17-2° loi 1966), lorsqu’un connaissement de charte-partie était établi1. Cependant, sa responsabilité en cas de dommages subis par la marchandise est originale et différente de celle qui pèse sur un transporteur « classique ». En effet il pèse sur lui une présomption de faute et non une présomption de responsabilité (art 6 loi 1966). Il est responsable des marchandises reçues à bord (dans les limites de la charte-partie toutefois), mais se libère de cette responsabilité (c’est donc une présomption simple) en établissant : - qu’il a satisfait à ses obligations de fréteur - ou que les dommages ne tiennent pas à un manquement à ces obligations - ou que le dommage est dû à la faute nautique du capitaine ou de ses préposés.

Cependant, en matière d’affrètement la loi étant supplétive, il est tout à fait possible d’aménager la responsabilité du fréteur par des clauses de la charte-partie. Quels sont à présent les principes de responsabilité applicables au transport maritime de passagers ? SECTION 2 : LE TRANSPORT MARITIME DE PASSAGERS ET DE LEURS BAGAGES Pourtant pratique fort ancienne qui remonte à l’antiquité, le transport maritime de passagers n’a connu de véritable essor qu’à partir du XIXe siècle avec « l’apparition de lignes régulières desservies par des paquebots, rendus plus ponctuels grâce à la substitution de la machine à voile2 ». Jusqu’au milieu du XXe siècle cette forme de transport a connu un développement

1 Quant à ses rapports avec l’affréteur, l’émission du connaissement par le fréteur ne modifie en rien la nature de ses relatons avec l’affréteur ; celles-ci demeurent toujours réglées par le contrat d’affrètement. 2 D. VEAUX et P ; VEAUX-FOURNIERE, J.-Cl. Transport, vol 4, Fasc. 1277,1993, n°2

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extraordinaire avant d’être affecté par la guerre ; le transport des troupes par de nombreux paquebots a eu pour conséquence la destruction massive de ces derniers. Très rapidement, le transport maritime de passagers va être surplanté par le développement sans précédent du transport aérien qui va s’imposer grâce notamment à sa rapidité et l’amélioration de la sécurité des passagers. Puis deux activités importantes vont permettre la « renaissance » du transport maritime de passagers : le transport de passagers « classique » sur de courtes distances, combiné avec de nouvelles prestations telles que le transport de bagages et de véhicules automobiles des passagers et la croisière maritime. Ces deux activités font chacune, l’objet d’une réglementation particulière, que nous envisagerons en traitant des sources de la responsabilité du transporteur de passagers (I) et sa nature (II). Avant d’envisager ces deux paragraphes, il nous paraît important de préciser les textes applicables au transport maritime de passagers. LES TEXTES APPLICABLES La réglementation du transport maritime de passagers a été très tardive eu égard à ce mode de transport qui est très ancien. En effet c’est seulement au début des années soixante que l’œuvre codificatrice a commencé. Au plan international Plusieurs Conventions internationales réglementent le transport maritime de passagers : - La Convention de Bruxelles du 29 avril 1961 « pour l’unification de certaines règles en

matière de transport de passagers par mer », qui entra en vigueur en 1965. Elle établit, pour la première fois, un régime spécifique de responsabilité du transporteur maritime de passagers. Mais son inconvénient majeur c’est qu’elle n’envisageait pas la question des bagages des passagers. Elle fût donc suivie rapidement d’un second texte.

- La Convention de Bruxelles du 27 mai 1967 « pour l’unification de certaines règles en

matière de transport de bagages et de passagers par mer ». Si elle avait l’avantage de traiter de la question des bagages, elle s’est avérée complètement incohérente avec le régime de responsabilité édicté par la Convention de 1961. Faute de ratifications suffisantes, elle n’est jamais entrée en vigueur. L’O.M.I dû alors confier à un groupe de travail, l’élaboration d’une nouvelle convention.

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- La Convention d’Athènes du 13 décembre 1974 « relative au transport par mer de passagers et de leurs bagages qui est entrée en vigueur en 1987. Elle fût suivie de trois protocoles modificatifs :

- Le Protocole (à la Convention d’Athènes de 1974) du 19 novembre 1976, signé à

Londres et entré en vigueur le 10 avril 1989 ; - Le Protocole de 1990 modifiant la Convention d’Athènes de 1974, fait à Londres le 29

mars 1990, pas encore entré en vigueur ; - Le Protocole de 2002 à la Convention d’Athènes de 1974, fait à Londres le 1er novembre

2002, pas encore entré en vigueur. Elle a été adoptée suite au naufrage du « Joola » au large du Sénégal en septembre 2001, qui a fait plus de 1800 morts. Elle permet une indemnisation plus rapide et plus élevée (400 000DTS pour les créances pour mort et lésions corporelles), en instaurant par ailleurs, une assurance obligatoire à la charge du transporteur.

Au plan national La législation napoléonienne ne s’est pas préoccupée du transport de personnes. Le Code civil fait une simple allusion aux « voituriers, tant par terre que par eau, qui se chargent du transport des personnes » (art 1179 C. civ). En l’absence d’une réglementation spécifique, le droit du transport des personnes était purement jurisprudentiel. C’est seulement en 1966 (loi du 18 juin 1966 « sur les contrats d’affrètement et de transport maritime » et le décret d 31 décembre qui la complète) que la France, s’inspirant de la Convention de 1961 précitée, s’est dotée d’une législation spécifique au transport maritime de passagers. Cependant, elle n’est partie à aucune des Conventions internationales citées ci-dessus. En effet, après avoir ratifié la Convention de 1961 en 1965, elle a fini par la dénoncer en 1975. S’agissant des autres Conventions (Bruxelles 1967 et Athènes 1974 et ses protocoles additionnels), elle ne les a pas ratifié. Cependant, le dernier Protocole de 2002 est en cours de ratification devant le parlement ; après avoir été adopté par l’Assemblée nationale en avril 2006, il vient d’être adopté à son tour en juillet dernier par le sénat. A ce jour, le Protocole n’a été ratifié que par quatre Etats. Un des obstacles à la ratification c’est que certaines dispositions du Protocole relèvent de la compétence exclusive de la Communauté et nécessitent que celle-ci devienne Partie préalablement à la ratification par les Etats membres. Une proposition de décision du Conseil du 24 juin 2003 a pour objet d’autoriser l’approbation, par la Communauté, du Protocole de

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2002 à la Convention d’Athènes et d’inciter les Etats membres à devenir parties contractantes avant fin juin 2005. Elle est toujours en discussion au sein du Conseil. Nous nous limiterons à l’étude du système de responsabilité mis en place par la loi française.

I- SOURCES DE LA RESPONSABILITE DU TRANSPORTEUR MARITIME DE PASSAGERS

Comme pour le transport de marchandises, envisageons d’abord la source contractuelle (A) avant d’étudier la source extracontractuelle (B).

A) Source contractuelle La responsabilité du transporteur maritime de passagers diffère selon que le transport est un transport « classique » de passagers ou qu’il s’agisse de croisière maritime. Mais avant d’envisager ces deux formes de transport de passagers, il nous paraît important d’apporter quelques précisions quant à la responsabilité contractuelle dans le contrat de transport maritime de passagers. Le transporteur prend l’engagement par le contrat, de conduire le passager sain et sauf à destination. En cas d’accident corporel survenu au passager, il est donc contractuellement responsable. Si cette solution semble aujourd’hui évidente, cela n’a pas toujours été le cas. En effet, pendant longtemps, les tribunaux ont estimé que la responsabilité du transporteur pour les dommages corporels causés aux voyageurs, à la différence de celle du transporteur de marchandises, était une responsabilité délictuelle et quasi délictuelle sur la base de l’article 1382 du Code civil. C’est la solution qui fût dégagée par les arrêts de 1881-1884 rendus respectivement par la Cour d’appel d’Amiens et la Cour de cassation1 (en matière de chemin de fer, mais la solution fût appliquée au transporteur de passagers). C’est par un célèbre arrêt rendu par la Cour de cassation en 19112 que, cette dernière, saisissant l’occasion d’insérer l’obligation de sécurité dans le contrat de transport, a rompu avec sa jurisprudence antérieure pour admettre que la responsabilité du transporteur de passagers devait être, en principe, 1 CA. Amiens. 1881 (D.P. 1882, 2, 163) et C. Cass. 1O nov 1884 (S. 1885, 1, 129 et P. 1885, 1, 279) 2 Cass. civ. 21 nov 1911 (S. 1912.1.73)

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recherchée sur le terrain contractuel. Depuis, cette obligation « contractuelle » de sécurité a reçu une consécration légale par la loi du 18 juin 1966. 1°) Le transport « classique » de passagers L’article 34 de la loi de 1966, applicable en la matière en droit français, dispose que « Par le contrat de passage, l’armateur s’oblige à transporter par mer, sur un trajet défini, un voyageur qu s’oblige à acquitter le prix du passage ». Autrement dit, le transport de passagers par mer se manifeste par la conclusion d’un contrat dit de passage, qui lui-même donne lieu à la remise d’un billet (de passage) ou d’un ticket au passager (pour les navires de moins de 10 tonneaux de jauge brute et les bâtiments qui effectuent des services portuaires ou des services réguliers à l’intérieur des zones délimitées par l’autorité maritime). Ce billet de passage doit identifier le transporteur et le passager, le nom du navire, la date et le lieu d’embarquement, le port de débarquement et, s’il y en a, les escales prévues, le prix du transport, la classe et le numéro de la cabine (art 65 Décret de 1966). S’agissant des obligations des parties, elles « sont constatées dans le même billet de passage » (art 34 précité). Précisons toutefois que si le billet de passage prouve le contrat, il ne le forme pas. En effet, le contrat est consensuel, c’est-à-dire qu’il se forme par le seul échange des consentements. Néanmoins, l’écrit semble nécessaire aux fins d’identification des obligations respectives des parties et à fin probatoire. S’agissant des bagages enregistrés du passager maritime, ils font l’objet d’une délivrance par le transporteur d’un récépissé (art 75 D.1966). Pour les bagages de cabine et effets personnels non enregistrés, le transporteur ne délivre pas de réceépissé.

a) Les obligations du transporteur : Le transporteur est tenu à certaines obligations relativement au billet de passage (délivrance, indication des mentions obligatoires), au voyage (respect du trajet prévu, ponctualité, et au déplacement des passagers maritimes (« d’un point à un autre). Mais l’obligation fondamentale (à notre sens) du transporteur de passagers, et celle qui nous intéresse le plus, c’est l’obligation de sécurité. Cette dernière concerne aussi bien le navire, que les passagers. Concernant la sécurité du navire, « le transporteur est tenu de mettre et conserver le navire en état de navigabilité, convenablement armé, équipé et approvisionné pour le voyage considéré » (art 36 loi 1966). Obligation qui n’est pas sans rappeler celle applicable au transporteur maritime de marchandises (art 21 loi 1966) avec une différence notable tout de

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même, à savoir que contrairement au transporteur de marchandises dont l’obligation est exigée « avant et au début du voyage », celle du transporteur de passagers couvre toute la période du voyage (c’est-à-dire de l’embarquement au débarquement). Il est tout à fait justifié d’être plus exigeant lorsqu’il s’agit de transporter des vies humaines. Ici, la notion de navigabilité est plus large puisqu’elle implique, non seulement de procurer aux passagers un engin apte à assurer leur sécurité (navigabilité nautique), mais aussi de leur assurer « le confort et les prestations correspondant à la classe prévue au billet de passage »1 (navigabilité commerciale). La navigabilité commerciale relevant davantage des obligations du transporteur relatives au voyage, nous nous pencherons plus sur la navigabilité nautique. Cette dernière suppose l’existence de divers éléments. D’une part, la coque et le pont doivent être en parfait état et répondre aux exigences de sécurité édictées en la matière. En outre le navire doit « pouvoir résister sans danger aux coup de vent et aux accidents inévitables en toute navigation »2. D’autre part, le navire doit comporter les organes de direction appropriés (agrès et apparaux…) ainsi que les instruments de navigation nécessaires (compas, carte marine, documents nautiques…). Enfin, depuis l’affaire du « Navire Heidberg »3, l’insuffisance d’équipage est prise en compte par les tribunaux pour apprécier l’innavigabilité du navire. Aujourd’hui les exigences sont plus importantes puisqu’il est tenu compte de la compétence des personnes qui composent l’équipage. S’agissant cette fois ci de la sécurité des passagers, elle provient également de l’art 36 précité « le transporteur est tenu…de faire toutes diligences pour assurer la sécurité des passagers ». Il s’agira pour le transporteur de tout mettre en œuvre pour permettre au passager de parvenir « sain et sauf à destination ». C’est donc une obligation de moyens, même si comme nous le verrons dans la seconde section de ce chapitre, la responsabilité du transporteur est présumée en cas d’accident majeur. En cas d’accident corporel survenu au passager, le transporteur est donc contractuellement responsable. Pour connaître l’étendue de cette responsabilité il faut se référer à l’article 37 selon lequel « l’accident corporel survenu en cours de voyage ou pendant les opérations d’embarquement ou de débarquement…donne lieu à réparation de la part du transporteur… ».

1 D. VEAUX et P ; VEAUX-FOURNIERE, J.-Cl. Transport, vol 4, Fasc. 1277,1993, n°77 2 Cass. Req., 9 avril 1833, S. 1833, I, 648. 3 Trib. Com. Bordeaux, 23 sept. 1993 ;DMF 1993, 706, obs. A. VIALARD

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b) Les obligations du passager Avant le départ, le passager a une obligation d’acquitter le prix du billet de passage fixé par les parties. Et il reste débiteur du prix du passage en cas de retard ou de renonciation au voyage avant le départ, sauf cas de force majeure ou de décès du passager. Dans ce cas, seul le quart du prix reste dû au transporteur. Lors du départ, le passager doit se présenter à l’embarquement dans les conditions fixées par le billet de passage. Enfin, pour ce qui nous intéresse, pendant le voyage, » le passager a l’obligation de se soumettre à la discipline du bord » (art. 72 Décret 1966). Il doit respecter les règles de conduite et de discipline imposées par le transporteur. Il s’agit de se plier aux impératifs de sécurité et de ne pas gêner les autres voyageurs. Les fautes de discipline commises par le passager se classent en général en deux catégories : - les fautes légères (ivresse à bord sans désordre, querelles et disputes sans voie de fait)

qui peuvent être punies selon le Doyen RODIERE de quatre jours de consigne à bord ; - les fautes graves (ivresse à bord avec désordre, fumer dans un endroit interdit,

dégradation volontaire du matériel) punis par des arrêts dans la limite de 15 jours et une amende.

Après avoir étudié les obligations des parties qui naissent du contrat de transport « classique » de passagers, voyons ce qu’il en est de la croisière maritime. 2°) Le contrat de croisière Le contrat de croisière est voisin du contrat de passage mais s’en distingue notamment, par la complexité des services promis au client (escales, hébergement, activités diverses…) et le caractère collectif de la croisière. Aucune définition du contrat de croisière n’a été donnée par les textes. Nous retiendrons la définition donnée par le Pr Bonassies : « la croisière maritime est l’activité qui consiste à offrir à des clients, appelés croisiéristes, une prestation principale de voyage maritime, dans des conditions particulières de confort et d’agrément, prestation éventuellement accompagnée de prestations complémentaires ». Par conséquent, pour qu’une croisière soit qualifiée de maritime, tous les déplacements doivent se faire par mer, ou si la croisière comprend des déplacements à terre, les déplacements à terre doivent être accessoires par rapport au déplacement maritime. Etant entendu que le déplacement par mer se distingue du déplacement fluvial, qui ne relève donc pas de la loi de 19661.

1 Pour une illustration, voir CA. Paris. 1er juin 2001 (D. 2002, 1319, obs. Ph Delebecque)

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A peine de nullité du contrat, l’organisateur de croisière doit délivrer un « titre de croisière » à chaque passager ou groupe de passagers (art 47 loi 1966). Ce titre de croisière est constitué en réalité de deux documents : - le billet de croisière, qui doit définir les obligations assumées par l’organisateur de croisière envers ses clients ; à cette fin, le titre doit comporter huit mentions art 78 décret 1966) destinées à identifier le navire (nom et type), l’organisateur (nom et adresse), le passager (nom et adresse) et la croisière elle-même (prix du voyage, classe et numéro de cabine, ports de départ et de destination, dates prévues de départ et d’arrivée, escales prévues et services accessoires promis au passager) ; - Le carnet de croisière qui réunit les coupons correspondants pour chaque escale aux services qui lui sont fournis à terre. En outre, l’organisateur de croisière doit fournir les prestations promises au contrat (navire désigné, numéro de cabine et classe prévue, escales…). Mais l’obligation qui nous intéresse le plus c’est l’obligation de ramener le client sain et sauf de la croisière, c’est-à-dire sans lésion corporelle ni perte ou avarie de bagages. Le transporteur maritime de passagers est également susceptible de voir sa responsabilité engagée « extracontractuellement ».

B) Source extracontractuelle Il y a lieu de distinguer ici entre transport à titre gratuit ou bénévole et transport à titre onéreux, car nous verrons que seul le premier est susceptible aujourd’hui de mettre en jeu la responsabilité extracontractuelle du transporteur de passagers. 1°) Le transport maritime de passagers à titre onéreux :

a) Responsabilité du transporteur envers le passager maritime : Lorsque le contrat de transport de passagers (billet de passage ou titre de croisière) donne lieu à contrepartie financière, la responsabilité du transporteur envers le passager maritime, ne peut être que de nature contractuelle. C’est la règle depuis le fameux arrêt de 1911 (supra p. 45) et conformément au principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle.

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Qu’en est-il de l’action des ayants droit des passagers victimes d’un accident mortel ? La question n’est pas sans intérêt car ceux-ci n’ayant signé aucun contrat avec le transporteur, la seule voie qui semble s’offrir à eux est l’action extracontractuelle.

b) Responsabilité du transporteur envers les ayants droit du passager maritime : La règle du non-cumul des responsabilités ne s’appliquait pas aux héritiers du passager. En effet, ceux-ci pouvaient invoquer aussi bien l’indemnisation des dommages qu’ils avaient soufferts personnellement (préjudice moral ou pécuniaire) par l’exercice d’une action délictuelle, que le bénéfice du contrat du passager décédé, pour bénéficier de l’obligation de sécurité qui pèse sur le transporteur. Cette dernière faculté leur a été reconnue par la Cour de cassation dans un arrêt de 19331 qui se fondait sur une prétendue stipulation pour autrui que le passager aurait tacitement faite au profit de ses parents, de sorte que le transporteur aurait promis la sécurité non seulement au passager, mais également à ses proches. L’intérêt était de faire échapper les héritiers au problème de preuve en matière délictuelle. Ainsi, par une fiction, les héritiers du passager décédé se trouvaient juridiquement associés au contrat. Mais cette possibilité offerte aux héritiers du passager décédé s’est avérée, pour reprendre l’expression du Doyen RODIERE, « un cadeau empoisonné ». En effet, ceux-ci faisant désormais partie du jeu contractuel, le transporteur pouvait de son côté leur opposer les clauses de non-responsabilité ou limitatives de responsabilité incérées dans le contrat de transport. Là encore, la Cour de cassation va réagir, en 1951, en donnant aux héritiers la possibilité de renoncer au bénéfice de la stipulation pour autrui, par le célèbre arrêt Lamoricière que nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer mais qui mérite qu’on en expose les faits. Le 9 janvier 1942 à la suite d’une violente tempête au large des îles Baléares, alors qu’il reliait Alger à Marseille, le paquebot « Lamoricière » sombra. La veuve de l’un des passagers, agissant tant en son nom personnel qu’en sa qualité de représentante légale de son fils mineur, ainsi que le tuteur des enfants issus d’un premier lit du défunt, assignèrent la Compagnie Générale Transatlantique et les Transports Maritimes de l’Etat dans le but d’obtenir réparation des préjudices occasionnés par ce naufrage sur le fondement des articles 1382 et 1384 alinéa 1er du Code civil. La Cour de cassation, en rappelant que la responsabilité du fait des choses existait en droit maritime, fit droit à leurs prétentions et jugea qu’il leur était possible de renoncer à la stipulation pour autrui faite en leur faveur par le défunt au moment de la conclusion du contrat de passage, et partant, de se placer sur le terrain de la responsabilité

1 Cass. civ. 24 mai 1933 (D.P. 1933, 1, p. 77, Note Josserand)

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délictuelle. Cette solution fût confirmée en 1959 par un arrêt de la Cour de cassation rendu dans l’affaire du « Navire Champollion ». La loi de 1966 est venue mettre de l’ordre dans ce « fouillis » jurisprudentiel. Désormais, « toute action en responsabilité , à quelque titre que ce soit, ne peut être exercée que dans les conditions et limites du présent chapitre » (art 42). Autrement dit, en cas d’accident mortel, les ayants droit du passager décédé peuvent plus réclamer réparation que dans les mêmes conditions que leur auteur aurait pu le faire ; Ils n’ont pas la faculté de fonder leur action sur une autre disposition des lois (art 1382 ou 1384 al 1). « Il n’est plus question de responsabilité contractuelle, ni de responsabilité délictuelle, mais d’une responsabilité légale, autonome par rapport au droit commun » (D. Veaux et P. Veaux-Fournerie). On en déduit que la règle édictée par l’article 42 s’appliquera à toute victime du naufrage d’un navire transporteur de passagers qui justifie d’un intérêt à agir. a moins qu’il ne s’agisse d’un transport à titre gratuit ou bénévole, seul cas où la responsabilité extracontractuelle en matière de transport de personnes, s’applique encore. 2°) Le transport maritime de passagers à titre gratuit ou bénévole : L’article 34 de la loi de 1966 précisant le champ d’application de la loi maritime relative au contrat de passage, dispose que « les dispositions du chapitre II du présent titre ne s’appliquent ni au transport bénévole, ni au transport clandestin ». S’agissant du transporteur, il faut distinguer entre le transport gratuit effectué par une entreprise de transports maritimes et transport gratuit ou bénévole strict. On peut douter sur la gratuité d’un tel transport. En effet, selon les Pr E. Du Pontavice et P. Cordier, « si l’armateur est commerçant et est de surcroît spécialisé dans la navigation maritime, le transport n’est pas désintéressé : une entreprise commerciale est intéressée au gain, elle n’est pas susceptible de sentiments ». En effet, il s’agira souvent d’inviter des personnalités ou des journalistes à bord lors d’un voyage inaugural, parce qu’ils sont susceptibles par la suite d’amener des clients. Par conséquent, le transport gratuit effectué par une entreprise de transports maritimes est régi par les règles de la responsabilité contractuelle (loi de 1966) sans pour autant être considéré comme un contrat. Il y a simplement une assimilation, sur le plan des responsabilités, à un passage contractuel. En revanche dès lors que le transport gratuit n’est pas effectué par une entreprise de transports maritimes, peu importe qu’il soit intéressé ou bénévole au sens strict, c’est la responsabilité délictuelle qui s’applique. La loi du 18 juin 1966, en excluant de son champ d’application le

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transport bénévole, renvoie implicitement au droit commun. Les tribunaux admettent largement l’application de la responsabilité extracontracuelle au transport bénévole. A notre connaissance, un seul arrêt isolé a retenu la voie de la responsabilité contractuelle concernant un accident de plaisance1. Mais la jurisprudence est constante, le transport à titre gratuit ne peut engager que la responsabilité délictuelle du transporteur de passagers2 et ce, aussi bien sur le fondement de l’article 1382 que de l’article 1384 alinéa 1 du Code civil3. S’agissant du passager clandestin (celui qui s’embarque frauduleusement à bord d’un navire), dès lors qu’il n’existe pas de billet, il n’a pu se former de contrat (d’ailleurs, la terminologie qui serait la plus adaptée est celle de « voyageur » au lieu du terme « passager »). Par conséquent, en cas de dommage corporel souffert par lui, le passager clandestin ne peut invoquer à l’encontre du transporteur la responsabilité contractuelle. En revanche, selon G. DURRY, la voie délictuelle lui est offerte : « qui n’est pas contractant est tiers et peut, par suite, prétendre au bénéfice de la responsabilité délictuelle dans son ensemble, y compris l’article 1384 alinéa 1er »4. Cependant, sa faute, qui a consisté à s’introduire frauduleusement dans le navire, peut-elle être considérée comme causale (c’est-à-dire être en relation de causalité avec e dommage subi), de sorte qu’il perd tout droit de prétendre à une indemnité ? Nous disposons de peu de jurisprudence en matière maritime. Mais en matière ferroviaire, les juges se montrent très réticents à priver le passager démuni de titre de transport d’agir en réparation sur le fondement de la responsabilité délictuelle5. Après avoir analysé les sources de la responsabilité du transporteur maritime de passagers, interrogeons nous à présent sur la nature de cette responsabilité.

II- NATURE DE LA RESPONSABILITE DU TRANSPORTEUR MARITIME DE PASSAGERS

Le transporteur maritime de passagers peut se voir appliquer trois sortes de responsabilité, selon le type de transport qu’il effectue.

1 CA Paris, 17ème chambre, 6 mai 1998 2 Voir récemment un arrêt de Civ. 1, 6 avril 1994 (JCP G 1994, I, 3781) ou (RTD. Civ. 1994, p. 866) 3 Voir en ce sens les arrêts de revirement rendus par la Cass. Mixte, 20 déc 1968 (JCP G 1969, II, 15756) et l’application en matière maritime par Cass. civ. 2, 5 mars 1969 (DMF 1969, 395) 4 Obs. sur TGI Paris, 5 mai 1982 (RTD ; civ. 1982, p. 604) 5 M. ALLEGRET, Transport ferroviaire interne, J. –Cl. Transport, vol. 2, Fasc. 665, n°30 et s.

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La loi de 1966 fait rentrer dans son champ d’application le transport de passagers à titre onéreux et la croisière. Mais nous verrons que la nature de la responsabilité du transporteur « pur » de passagers (A) est différente de celle qui s’applique à l’organisateur de croisière (B). Enfin nous examinerons ce qu’il en est des transports non couverts par la loi susvisée, c’est-à-dire les transports bénévoles (C).

A) Le système « binaire » de la responsabilité du transporteur maritime « pur » : La plupart des manuels de droit maritime font reposer le système de la responsabilité du transporteur sur un mode binaire entre d’un côté une responsabilité pour faute prouvée et une présomption de faute. En réalité, c’est l’un ou l’autre de ces systèmes qui s’applique en cas d’accident corporel. Autrement dit, il y aura lieu de faire une distinction selon que l’accident corporel a été causé suite à un accident individuel ou à un sinistre majeur. A notre sens, le deuxième système repose sur la responsabilité du transporteur à l’égard des bagages des passagers. 1°) Accident « individuel » et responsabilité pour faute prouvée du transporteur L’article 37 de la loi de 1966 dispose que « l’accident corporel […] donne lieu à réparation de la part du transporteur, s’il est établi qu’il a contrevenu aux obligations prescrites par l’article précédent ou qu’une faute a été commise par lui-même ou un de ses préposés ». La loi envisage ici l’accident individuel subi par un ou quelques-uns des passagers pendant le voyage et à l’occasion de l’exécution du contrat de passage. Il peut être occasionné par une chute dans un escalier glissant, une chute depuis une passerelle d’embarquement, le heurt du pont d’attache d’un caisson à radeau pneumatique déplacé par erreur etc… Généralement, ce type d’accident individuel ne prouve pas en lui-même la défaillance contractuelle du transporteur. On présume que l’accident est dû à une maladresse ou à une imprudence du passager (en réalité l’accident individuel est défini par opposition au sinistre majeur). Il appartiendra donc au passager blessé (ou à ses ayants droit s’il est décédé) de rapporter la preuve que l’accident est dû à une faute du transporteur ou de ses préposés notamment, que celui-ci n’a pas fait toutes diligences pour assurer sa sécurité.

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En pratique, pour engager la responsabilité du transporteur, la victime (ou ses héritiers) doit rapporter la preuve de plusieurs éléments : un accident corporel (le dommage), le moment de l’accident, la faute du transporteur et un rapport de causalité entre la faute et le dommage. 2°) Sinistre majeur et responsabilité pour faute présumée du transporteur L’article 38 de la loi de 1966 dispose que « le transporteur est responsable de la mort ou des blessures de voyageurs causés par naufrage, abordage, échouement, explosion, incendie ou tout autre sinistre majeur, sauf preuve, à sa charge, que l’accident n’est imputable ni à sa faute ni à celle de ses préposés ». La jurisprudence retient en général une conception assez restrictive du sinistre majeur. Ainsi, le Tribunal d’instance de Marseille dans un jugement rendu le 26 juin 19951 a énoncé que « le sinistre majeur dont la notion doit être définie à la lumière de l’énumération de l’article 38 […] s’entend d’un accident intéressant tout le navire et d’une importance telle qu’il entraîne pour tous ses passagers un péril grave de nature à porter atteinte à leur intégrité physique en raison des avaries occasionnées à sa structure ou de l’innavigabilité durable de reprendre des conditions normales de navigation ». L’article 38 édicte non pas une présomption de responsabilité, mais une présomption de faute. Ainsi en cas de naufrage, la victime (ou ses héritiers), afin de pouvoir bénéficier du régime de responsabilité pour faute présumée, doit démontrer, le moment auquel l’accident corporel est survenu, la réalité du dommage et l’importance des dommages corporels subis (ou le décès) et le lien de causalité entre le naufrage et l’accident. Ces trois éléments réunis font présumer la faute du transporteur. A partir de ce moment, la preuve de l’exonération pèse sur le transporteur. Il n’a pas à prouver sa diligence à assurer la sécurité des passagers, la simple preuve que ni lui ni ses préposés ne sont à l’origine fautive de l’accident suffit. A fortiori, on peut considérer que la force majeure, la faute de la victime ou le fait d’un tiers sont de nature à exonérer le transporteur maritime de passagers de sa responsabilité.

1 DMF 1998, 883

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3°) Bagages et responsabilité du transporteur

a) Bagages (et véhicules de tourisme) enregistrés et présomption de responsabilité Les bagages enregistrés sont assimilés aux marchandises, puisqu’ils sont chargés normalement en cale. Partant, le transporteur est responsable comme en matière de transport de marchandises, c’est-à-dire qu’il est présumé responsable de la perte et dommages causés aux bagages sauf à faire la preuve d’un cas excepté. Il convient donc de se référer à ce qui a été dit lors de l’étude de la nature de la responsabilité du transporteur maritime de marchandises. Toutefois, le passager propriétaire des bagages dispose d’un avantage : il a la possibilité en outre d’établir la faute du transporteur.

b) Effets personnels, bagages de cabine et responsabilité pour faute prouvée L’article 44 de la loi de 1966 dispose que « le transporteur est responsable des effets personnels et bagages de cabine s’il est établi que la perte ou l’avarie est due à sa faute ou à celle de ses préposés ». Le régime de cette responsabilité est identique à celui appliqué aux accidents corporels des passagers par l’article 37 de la loi. Aucune dérogation n’est cependant prévue en cas d’accident majeur ; l’article 38 de la loi ne visant que la responsabilité pour mort ou blessures.

c) Biens précieux et responsabilité de plein droit S’agissant des biens précieux déposés par le passager entre les mains du Capitaine ou du commissaire de bord, c’est le régime du contrat de dépôt qui s’applique (art 1927 et s. du Code civil). Ce qui signifie que le transporteur est responsable de plein droit mais il peut s’exonérer en rapportant la preuve de son absence de faute. Il convient maintenant d’envisager la nature de la responsabilité de l’organisateur de croisières.

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B) Organisateur de croisières : d’une responsabilité présumée (subjective) à une responsabilité de plein droit (objective) ?

Un armateur propriétaire peut décider d’être organisateur de croisière, il émettra alors les titres de croisière sous son nom. La conséquence qui en résulte c’est que en cas d’incident à bord, ce sont les règles de la responsabilité du transport maritime de passagers « classique » qui vont s’appliquer. Mais dans la plupart des cas, l’organisateur de croisières n’est pas propriétaire du navire destiné à effectuer le déplacement, il fait alors appel à une compagnie maritime qui va lui affréter son navire. Dans ce cas, c’est l’organisateur de croisières qui va émettre les titres de croisière. Quant à sa responsabilité, elle est différente selon la nature du dommage qui lui est reproché. 1°) Présomption de responsabilité de l’organisateur de croisière pour manquement à ses obligations contractuelles « Le manquement à l’une des obligations inscrite au titre de croisière engage la responsabilité de l’organisateur de croisières, sauf si celui-ci établit qu’il s’agit de l’exécution du contrat de transport proprement dit ». C’est ce qu’il ressort de l’art 48 de la loi de 1966. L’organisateur de croisière est donc bien présumé responsable en cas de manquement à ses obligations contractuelles. Mais c’est une présomption simple, de sorte que l’organisateur de croisières peut s’exonérer de sa responsabilité en prouvant que l’inexécution de l’une de ses obligations est elle-même la conséquence de l’inexécution du contrat de transport maritime par le transporteur maritime. Autrement dit, il devra prouver que c’est ce dernier qui est responsable pour s’exonérer. Ce qui n’est pas sans rappeler le système des cas exceptés mis en œuvre en matière de responsabilité du transporteur maritime de marchandises. 2°) Responsabilité personnelle de l’organisateur de croisière du fait des dommages corporels causés aux passagers maritimes ou à leurs bagages Il ressort de l’article 49 alinéa 1er de la loi de 1966 que « l’organisateur de croisière est personnellement responsable des dommages survenus aux passagers ou à leurs bagages ». Par conséquent les victimes ne peuvent agir qu’à l’encontre du seul organisateur de croisière, sauf à ce dernier de se retourner, s’il a été condamné, contre le transporteur, à condition que celui-ci soit responsable du dommage subi par le passager. Toutefois, si le dommage résulte de l’exécution du contrat de transport maritime, l’organisateur va être tenu de la même façon que

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le transporteur (alinéa 2). En effet, le passager victime ne peut ne peut réclamer plus de droits, à l’organisateur de croisière qu’il n’en n’aurait eu en s’adressant directement à l’armateur. Cependant il faut distinguer ici selon que les dommages sont survenus à terre, auquel cas l’organisateur sera responsable conformément au droit commun. Ou qu’ils sont survenus à bord du navire (c’est-à-dire pendant la partie maritime) auquel cas l’organisateur bénéficie alors du même régime que le transporteur de passagers. La charge de la preuve pesant sur l’organisateur de croisière. 3°) La loi du 13 juillet 1992 et la responsabilité de plein droit de l’organisateur de croisière Le droit maritime n’a pas échappé à la vague législative consumériste. En veut pour preuve la loi du 13 juillet 1992 qui traite de la responsabilité des agences de voyages (et qui s’applique donc aux organisateurs de croisière). Elle aggrave la responsabilité des agences de voyages et des organisateurs de croisières. Dans un soucis de protection des consommateurs (à l’égard des professionnels transporteurs) elle prévoit désormais que tout agent de voyage sera « responsable de plein droit à l’égard de l’acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat » (art 23). La réserve selon laquelle l’organisateur de croisière était tenu dans les mêmes conditions que le transporteur maritime est absente du texte nouveau. Cependant, à l’heure actuelle un doute demeure quant à l’application de ce texte aux organisateurs de croisières. En effet, le texte ne faisant aucune mention de l’abrogation de la loi de 1966, on se demande toujours si le nouveau texte abroge tacitement la loi de 1966 dans ses dispositions relatives aux organisateurs de croisières. La doctrine majoritaire est pour la thèse de l’abrogation tacite des articles 47 à 49 de la loi de 1966. Ainsi en est-il du Pr Philippe Delebecque qui souhaite que soit clairement affirmée la primauté de la loi de 1992 sur celle de 1966. Mais même la jurisprudence semble ne pas savoir l’attitude adopter1. Nous terminerons par l’analyse de la nature de la responsabilité du transporteur bénévole.

1 CA. Paris, 1er juin 2001 (D. 2002, Somm, p. 1319)

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C) Application de la responsabilité présumée du gardien de navire au transporteur bénévole

Lorsqu’un transport de passagers ne donne pas lieu à contrepartie financière, on a vu que la loi de 1966 écarte de son champ d’application un tel transport, qui reste donc soumis au droit commun de la responsabilité contractuelle. Et en la matière, c’est l’article 1384 alinéa 1er qui trouve à s’appliquer. Selon cet article « on est responsable du dommage qui est causé par le fait des choses que l’on a sous sa garde ». Si l’application de ce principe ne soulève pas de difficulté particulière en matière de plaisance tant le passager est inactif, il n’en est pas de même s’agissant d’un équipier en compétition. Dans cette dernière hypothèse, chacun des coéquipiers à un rôle déterminé et défini à l’avance, et c’est en connaissance de cause (des risques) qu’il s’est engagé dans la compétition et on peut considérer que la garde du navire n’appartient plus au seul propriétaire du navire, mais à tous les coéquipiers. On est donc tout à fait fondé à se demander si l’article 1384 alinéa 1er du Code civil peut être invoqué par un équipier victime d’accident corporel dans le cas d’une compétition de voile ? La Cour d’Appel d’Aix en Provence1, dans l’affaire du voilier « Airel » a répondu par la négative, considérant que les dits équipiers devaient être considérés comme co-gardiens du navire. Dans un arrêt du 8 mi 1990, la Cour de cassation a censuré les juges aixois considérant qu’en l’espèce, « le rôle de chacun des équipiers au moment de l’accident était resté totalement ignoré »2. Les thèses qui consistaient à considérer qu’il y avait garde en commun du navire et acceptation des risques par les différents coéquipiers étaient donc inopérantes en l’espèce. Mais la décision de la haute juridiction ne condamne pas définitivement la notion de garde en commun. Les juges devront caractériser cette dernière dans chaque cas. La brèche demeurait donc ouverte. Mais la Cour de renvoi de Lyon semble l’avoir fermé, puisqu’elle a décidé que « les usages et les règles applicables en matière de course en mer donnent au skipper le commandement du voilier dont il dirige et contrôle les manœuvres et la marche ; qu’à ce titre, il exerce seul sur le navire le pouvoir de contrôle et de direction qui caractérise la garde de la chose »3. L’application de la responsabilité du fait des choses s’applique donc bien en matière de navigation de plaisance sous forme de compétition.

1 CA d’Aix en provence, 21 juil 1988 (DMF 1989, 383) 2 Dalloz 1991, 367 3 CA Lyon, 13 mai 1991, DMF 1992, 27, note Tassel

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Une fois l’identification de l’auteur responsable du naufrage terminée, va se poser la question de la réparation des dommages. C’est ce qui va nous occuper dans cette seconde partie.

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IIème PARTIE LA REPARATION DES DOMMAGES APRES NAUFRAGE

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Après le naufrage d’un navire, généralement deux problèmes se posent. Il s’agira d’abord de savoir, comment va s’organiser la responsabilité du transporteur ou de l’armateur/propriétaire aux fins de réparation des dommages causés. Nous verrons dans un premier chapitre qu’en droit maritime, le régime cette responsabilité est spécial grâce à ses aménagements. En outre, va se poser le problème du devenir de l’épave du navire, suite logique d’un naufrage ; ce sera l’objet du second chapitre. CHAPITRE 1 : LES AMENAGEMENTS DE LA RESPONSABILITE La responsabilité du transporteur ou de l’armateur/propriétaire n’accable pas en général lourdement ces derniers. C’est notamment le cas lorsqu’ils ont pris la précaution de souscrire une assurance, qui va alors se substituer à eux pour indemniser les victimes du naufrage (Section II). Par ailleurs, ils bénéficient d’un avantage particulier qui consiste en la possibilité de limiter leur responsabilité à un certain montant (Section I).

SECTION 1 : LA LIMITATION DE RESPONSABILITE En droit commun, le débiteur dont la responsabilité est engagée, soit parce que sa faute a été établie, soit encore parce qu’il n’a pas réussi à faire écarter la présomption qui pesait contre lui, est tenu de réparer entièrement le dommage subi par le créancier. En droit des transports maritimes, la logique est différente. En effet, sauf exception, les opérateurs maritimes reconnus responsables ne seront jamais tenus de réparer entièrement les préjudices éprouvés par les demandeurs en dommages-intérêts ; Ils ont la possibilité de limiter leur responsabilité. La limitation de responsabilité est sans doute l’institution la plus originale du droit maritime ; la « clé de voûte » de la matière pour reprendre les termes du doyen Ripert. Elle s’inscrivait dans un courant généralisé en matière de transports où le législateur a largement procédé par voie de plafonnement. La limitation de responsabilité consiste à plafonner la responsabilité de l’auteur responsable (qu’il s’agisse du transporteur ou de l’armateur/propriétaire de navire), lorsque celle-ci est

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retenue, à un certain montant. La réparation intégrale ne peut dès lors être envisagée que dans trois hypothèses : lorsque le dommage n’atteint pas la valeur de ce plafond, en cas de déclaration de valeur des marchandises par le chargeur et en cas de faute inexcusable du transporteur. Plusieurs idées ont été avancées pour justifier l’établissement de plafonds légaux de limitation. L’une d’elles d’inspiration britannique, y voyait le souci de permettre aux professionnels de s’assurer contre les suites de leur responsabilité, ce qui n’est financièrement possible que si des plafonds de responsabilité permettent aux compagnies d’assurances de fixer leurs primes avec une certaine sécurité. Ainsi, pour permettre aux transporteurs de faire face à leurs éventuelles dettes, il a paru judicieux de fixer un plafond à leur devoir de réparation. Pour d’autres, et c’était notamment l’opinion de Valin, il était injuste de faire courir au propriétaire du navire le risque d’être ruiné par les étourderies ou la mauvaise foi du capitaine. Toutefois, l’idée dominante réside dans la double référence au risque de mer et au caractère d’activités d’intérêt général des activités maritimes. Autrement dit c’est non seulement parce qu’il affronte les risques de la mer, mais aussi parce que son activité est d’intérêt général que l’armateur mérite de voir sa responsabilité limitée. La règle est l’aboutissement d’une lente évolution. Dans le droit applicable antérieurement à l’Ordonnance de la Marine de Colbert (1968), le seul moyen dont disposait l’armateur pour se protéger contre les conséquences des fautes du Capitaine était d’user de la faculté d’abandon de son navire et du fret à ses créanciers maritimes. Dès la fin du dix-huitième siècle, le droit anglais, hostile à la règle de l’abandon, annonçait les prémisses de la limitation. Dans un premier temps, il était prévu la possibilité pour l’armateur de limiter sa responsabilité à la valeur du navire, augmentée du fret, avant l’accident. En 1845, il fut décidé que l’indemnité versée aux victimes de dommages corporels serait au moins égale à quinze livres par tonneau de jauge. Puis, en 1894, fut crée le système moderne ; L’armateur qui voulait limiter sa responsabilité devait constituer un fonds d’une valeur proportionnelle au tonnage du navire (à l’origine, huit livres par tonneau, somme portée à quinze livres en cas de dommages corporels). C’est le système qui est aujourd’hui généralement appliqué par l’ensemble des pays maritimes. La limitation de responsabilité applicable au transporteur (I) reconnu responsable est différente de celle qui s’applique à l’armateur/propriétaire de navire (II). Il conviendra donc de bien les distinguer. Si la limitation constitue un privilège pour ses bénéficiaires, ce n’est pas pour autant un droit. En effet des causes de déchéance ont été prévues par les textes (III).

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I- La limitation de responsabilité applicable au transporteur Comme nous venons de l’indiquer la limitation de responsabilité n’est pas un droit pour le transporteur, pas plus qu’elle ne constitue une obligation. Par conséquent, il est tout à fait loisible au transporteur d’y renoncer. Ainsi, on considère que le transporteur a renoncé au bénéfice de la limitation lorsqu’il verse un acompte près de quatre fois plus élevé que le montant total de la responsabilité légale. De même, il est interdit de stipuler dans les connaissements des clauses limitatives moins favorables (c’est-à-dire qui tendraient à limiter la responsabilité du transporteur à une somme inférieure à celle légalement fixée) ou exonératoires, à moins qu’il s’agisse de transport de marchandises chargées régulièrement en pontée ou d’animaux vivants lorsque le chargeur a accepté de telles clauses. Les plafonds de limitation n’étant pas les mêmes selon qu’il s’agisse de transport de marchandises (A) et de transport de passagers (B), il va falloir distinguer ces deux modes de transport.

A) Le transporteur de marchandises Les textes qui s’appliquent à la responsabilité du transporteur maritime de marchandises sont la Convention de Bruxelles de 1924, telle que modifiée par les protocoles du 23 février 1968 et du 21 décembre 1979 et la loi de 1966, qui s’est alignée sur le régime international. Les dommages dont la réparation est limitée sont les pertes et dommages subis par la marchandise, qu’il s’agisse de perte totale ou partielle ou que le dommage soit causé à la marchandise par le retard du navire ou par toute autre cause (art 28 loi 1966). 1°) Montants de la limitation et bases de calcul Sous la Convention de Bruxelles originelle, la limitation d’indemnité ne pouvait dépasser 100 livres sterling-or par colis ou unité ou l’équivalent de cette somme à une autre monnaie. Avec la modification de la Convention par le Protocole de 1968 qui établit une double limite de responsabilité, en France la limitation correspondait à 10 000 Francs Poincaré par colis ou par unité ou 30 Francs Poincaré par kilogramme. Les Accords de Jamaïque (entrés en vigueur en 1978), ayant supprimé toute référence aux monnaies or, le Ministre des Relations extérieures

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de l’époque décida la conversion du Franc Poincaré en DTS (droits de tirage spécial), dont le cours est fixé chaque jour (au 22 novembre 2005, 1 DTS valait 1,213430 €). Désormais les plafonds applicables, tels que retenus par la loi de 1966 et la Convention de Bruxelles amendée sont les suivants : - 666,67 DTS par colis ou unité - ou 2 DTS par kilo de poids brut de marchandises perdues ou endommagées, la limite la

plus élevée étant applicable. Que faut-il entendre par colis et unité ? L’unité concerne en fait l’unité de poids ou de mesure indiquée au connaissement. Quant à la question du colis elle a suscité des interrogations avec le développement des techniques de groupage des marchandises et notamment la conteneurisation. Selon la Cour d’appel de Paris1 le colis s’entend de « toute charge individualisée prise spécifiquement en charge par le transporteur et ce, quelqu’en soit le poids ou le volume ». Ainsi une machine pesant 1 tonne est un colis. La question s’est alors posée de savoir si un conteneur constituait un colis ou fallait-il prendre en compte chaque carton, caisse, objet ou autres éléments qui s’y trouvent ? La solution qui a été retenue c’est que l’individualisation résulte en principe des mentions du connaissement : « lorsqu’un conteneur, une palette ou tout engin similaire, est utilisé pour grouper des marchandises, tout colis ou unité énuméré au connaissement comme inclus dans ce conteneur, cette palette ou cet engin sera considéré comme un colis ou unité. Dans les autres cas, cette palette, ou cet engin sera considéré comme un colis ou unité » (Conv. Brux et Décret de 1979). Autrement dit, faute d’individualisation de son contenu sur le connaissement, le conteneur doit être considéré comme constituant un seul colis. 2°) Quid de l’action délictuelle intentée contre le transporteur maritime ? Autrement dit, la limitation s’applique-t-elle à l’action délictuelle intentée contre le transporteur maritime ? Traditionnellement, on considérait que la limitation étant un élément contractuel, elle ne pouvait être invoquée lorsque l’action intentée contre le transporteur maritime l’était sur le fondement délictuelle. Mais le protocole modificatif de 1968 de la convention ainsi que la loi

1 CA. Paris, 25 mai 1984 ( Bull. Transp. 1985,43)

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de 1966 dans son article 28 (modifié par la loi du 23 décembre 1986) posent la règle que les limitations fixées par la Convention s’appliquent, « que l’action intentée contre le transporteur soit fondée sur la responsabilité contractuelle ou délictuelle ou autrement ». Cependant la loi française ne l’admet pour autant qu’il s’agisse de « pertes ou dommages ». 3° Quid des dommages pour mort ou lésions corporelles ? Si le navire transporteur de marchandises qui a fait naufrage occasionne la mort ou des lésions corporelles à des tiers, c’est la responsabilité du propriétaire du navire qui se verra engagée, et non pas celle du transporteur. Quelles sont à présent les limitations qui s’appliquent au transporteur de passagers ?

B) Le transporteur de passagers La limitation de responsabilité s’applique ici sans qu’il y ait lieu de distinguer entre transport « classique » (onéreux ou bénévole) et croisière maritime. Le transporteur maritime de passagers sera responsable dans les limites établies par la Convention de Londres de 1976 « sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes ». 1°) Mort et lésions corporelles de passagers En cas de mort ou de lésion corporelle de passagers, le transporteur est responsable dans la limite de 46 666 DTS par passagers « que le navire est autorisé à transporter »1, et non pas par unité de jauge. Toutefois, un plafond a été fixé à la limitation de l’armateur ; celle-ci ne peut excéder 25 millions de DTS, chiffre correspondant à 536 passagers. Ce qui signifie que chaque passager supplémentaire au-delà de ce chiffre ne coûte rien, en termes de responsabilité, au transporteur.

1 175 000 DTS depuis l’entrée en vigueur, en juillet 2006, du Protocole de 1996

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2°) Bagages des passagers Pour les bagages et véhicules de tourisme enregistrés c’est un décret du 23 mars 1967 modifié qui s’applique. Les montants de la limitation sont les suivants : - 1140 € par passager pour les bagages de cabine enregistrés ; - 4600 € par véhicule enregistré, y compris les bagages se trouvant à l’intérieur ; - 1520 € par passager pour les bagages enregistrés autres que les bagages de cabine.

S’agissant des bagages de cabine et effets personnels non enregistrés, la réparation due ne peut excéder 460 € (décret du 23 mars 1967). Pour ce qui est des biens précieux déposés entre les mains du capitaine ou du commissaire de bord. Toute limitation de responsabilité est supprimée ; le transporteur doit réparation intégrale. Parce qu’il est propriétaire du navire, l’armateur non transporteur se voit appliquer un régime de limitation différent de celui du transporteur.

II- LA LIMITATION DE RESPONSABILITE APPLICABLE A L’ARMATEUR/PROPRIETAIRE DE NAVIRE

Le propriétaire de navire qui n’exploite pas personnellement ce dernier est, en principe, dégagé de toutes les conséquences d’exploitation du navire. Cependant, étant responsable de son navire, il répond comme tout gardien, des dommages causés par sa chose. Il peut donc se trouver condamné, comme tout débiteur ordinaire, sur le fondement de l’article 1384 al. 1, à réparer les dommages causés à un tiers par son navire. En outre, il est responsable des dommages de pollution causés par son navire. Mais à la différence d’un débiteur ordinaire qui devrait réparer intégralement les dommages subis par ses créanciers, le propriétaire de navire jouit d’un privilège, qui est celui de pouvoir limiter sa responsabilité. Le système de limitation n’est toutefois, pas le même selon qu’il s’agisse du régime de droit commun de responsabilité du propriétaire de navire (A) ou d’un régime spécial de responsabilité comme par exemple celui du propriétaire d’un navire pétrolier (B).

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NB : Nous avons vu dans la première partie que le terme « armateur » pouvait désigner à la fois le propriétaire de navire et le transporteur qui exploite effectivement ce dernier. Dans un souci de simplicité dans les développements qui vont suivre, nous emploierons le terme « armateur » pour désigner le propriétaire de navire.

A) La limitation dans le régime de droit commun de responsabilité de l’armateur Jadis, l’armateur pouvait limiter sa responsabilité en abandonnant son navire. La règle était défavorable aux créanciers, notamment lorsque le navire avait fait naufrage, puisqu’ils n’avaient pour tout droit de gage que le navire qui avait coulé. Ainsi par exemple, après le naufrage du Titanic, les ayants droit des victimes n’avaient pu exercer leurs droits que sur les quelques embarcations de sauvetage qui avaient échappé au sinistre. C’est ainsi qu’au XIXe siècle le système de l’abandon en nature fût remplacé par celui de l’abandon en valeur. Le nouveau système est désormais consacré par la Convention de Londres du 19 novembre 1976 dite Convention LLMC (qui a remplacé la Convention de 1957 dont les montants de la limitation sont apparus trop faibles) « sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes » et est en vigueur depuis 1986, la France en étant partie. Les adaptations de la loi française ont été opérées par les lois des 21 et 22 décembre 1984. La convention a élargi le droit à limitation à l’assistant et à l’assureur (la Convention de 1957 en avait déjà fait autant pour l’armateur ou toute autre personne exploitant le navire sans en être propriétaire, ainsi que leurs préposés). D’où l’intitulé « Convention sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes » et non plus « Convention sur la limitation de responsabilité des propriétaires de navire » comme c’était le cas en 1957. 1°) Les montants de la limitation La Convention de 1976 eût le mérite d’augmenter considérablement les plafonds de limitation. Les chiffres sont les suivants : - Pour les dommages à la personne (créances pour mort ou lésions corporelles) : - Pour un navire dont la jauge ne dépasse pas 500 tonneaux : 333 000 DTS. - Pour un navire dont la jauge dépasse 500 tonneaux, il faut ajouter : * Pour chaque tonneau de 501 à 3 000 tonneaux : 500 DTS. * Pour chaque tonneau de 3 001 à 30 000 tonneaux : 333 DTS.

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* Pour chaque tonneau de 30 001 à 70 000 tonneaux : 250 DTS. * Pour chaque tonneau au-dessus de 70 000 tonneaux : 167 DTS. Toutefois, pour les navires transporteurs de passagers, les créances pour mort ou blessures de passagers sont limitées à 46 666 DTS par passager que le navire est autorisé à transporter (et non pas par unité de jauge), sans pouvoir excéder 25 millions DTS ; - Pour toutes les autres créances ou créances pour dommages matériels : - Pour un navire dont la jauge ne dépasse pas 500 tonneaux : 167 000 DTS. - Pour un navire dont la jauge dépasse 500 tonneaux, il faut ajouter : * Pour chaque tonneau de 501 à 30 000 tonneaux : 167 DTS. *Pour chaque tonneau de 30 001 à 70 000 tonneaux : 125 DTS. * Pour chaque tonneau au-dessus de 70 000 tonneaux : 83 DTS. Un Protocole modifiant la Convention de Londres de 1976 a été adopté à Londres le 2 mai 1996 par l’OMI. Elle a pour but d’actualiser les plafonds d’indemnisation en cas de sinistre d’un navire, devenus obsolètes. Il n’est entré en application qu’en 2004, en raison de l’inertie des Etats. Il aurait pu s’appliquer au cas du chimiquier italien « Ievoli Sun » qui a fait naufrage le 31 octobre 2000. Le protocole relève considérablement les plafonds de la Convention de 1976. Ainsi, pour tout navire d’un tonnage égal ou inférieur à 2000 unités, la limitation est fixée à : - Pour les créances non corporelles (dommages matériels) : 1 million de DTS. - Pour les créances corporelles (mort ou lésions corporelles) : 2 millions de DTS. - Pour les navires transporteurs de passagers (mort ou lésions corporelles) : 175 000 DTS.

En France, un projet de loi autorisant l’adhésion au protocole de Londres de 1996 a été déposé à l’Assemblée nationale en mars 2005. Il est entré en vigueur le 5 juillet 20061. NB : Lorsque l’armateur/propriétaire est en même temps l’exploitant du navire, il bénéficie d’une double possibilité de limiter sa responsabilité. En effet, il peut se voir appliquer cumulativement la limitation de responsabilité du transporteur (de marchandises ou de passagers) et la limitation de responsabilité du propriétaire de navire (« limitation de responsabilité en matière de créances maritimes » selon la nouvelle terminologie). L’armateur qui veut bénéficier de son droit à limitation a deux possibilités, soit il constitue un fonds de limitation, soit il ne le fait pas.

1 Loi n° 2006-789, publiée au J.O. du 6 juillet 2006, p.10116

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2°) Limitation avec constitution d’un fonds C’est la procédure habituellement utilisée par l’armateur qui veut bénéficier de son droit à limitation. L’avantage pour l’armateur, c’est qu’il se libère de ses multiples créanciers, qui seront alors obligés d’agir contre le fonds et non contre lui. En outre, il libère son navire de la saisie éventuellement exercée contre lui. La procédure est la suivante ; « le débiteur qui entend constituer son fonds présente une requête au Président du tribunal de commerce (du port d’attache du navire, s’il s’agit d’un navire français). Il y joint les éléments permettant de calculer le fonds, le montant des créances et l’identité des créanciers. Après avoir procédé aux vérifications, le Président du tribunal rend son ordonnance : il s’y prononce sur les modalités de constitution du fonds, nomme un juge-commissaire et un liquidateur. Le fonds est alors constitué, à concurrence du montant de la limitation. En pratique, l’armateur consigne la somme correspondante ou le plus souvent, fournit une garantie de ses assureurs. La somme consignée ou la garantie sera augmentée des intérêts courus depuis la date de l’accident jusqu’à celle de la constitution. Une seconde ordonnance du Président du tribunal constate la diminution du fonds. Dès lors toute mesure d’exécution contre le requérant est interdite aux créanciers auxquels la limitation est opposable. Les créanciers sont ensuite avisés, leurs créances vérifiées ; puis le juge commissaire arrête l’état des créances. Enfin, il est procédé à la répartition du fonds, selon une procédure imitée de droit de la faillite : information des créanciers, vérification des créances et paiement à créancier du dividende qui lui revient » (M. Rémond-Gouilloud). Le paiement éteint la créance à l’égard de l’armateur. 3°) Limitation sans constitution de fonds La Convention de 1976 ne fait pas de la constitution d’un fonds la condition du bénéfice de la limitation : « la limitation de responsabilité peut être invoquée même si le fonds de limitation n’a pas été constitué ». La jurisprudence française va dans le même sens1. Cependant, dans la loi de 1967, c’est seulement quand l’ensemble des créances dépasse les limites de la

1 Cass. com. 20 fév. 2001, « Navire Moheli » (DMF 2002, 144, obs. P.Y Nicolas)

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responsabilité que le montant des sommes dues par le propriétaire « est constitué en un fonds de limitation unique » (art 62). Selon le Pr Bonassies, dans la pratique, un armateur n’invoquera son droit à limitation sans constituer de fonds que s’il est en présence d’un créancier unique, autre armateur dont le navire a été endommagé, ou chargeur d’une cargaison complète ayant subi d’importantes avaries. Le plus souvent, il soulèvera l’exception subsidiaire de limitation devant le juge saisi au principal. Ce dernier accompagnera alors sa décision de condamnation d’une décision sur la limitation. Ou encore, condamné en première instance, il soulèvera en appel la question de la limitation. Cependant rien ne lui interdit de soulever la question de la limitation, une fois condamné par une décision définitive. Mais la limitation sans constitution de fonds peut s’avérer dangereuse pour le débiteur selon l’illustre Professeur. En effet, la décision reconnaissant le droit à limitation n’a que l’autorité relative de la chose jugée. Un autre juge, saisi par un autre créancier, peut juger autrement. Partant, dès qu’un second créancier est susceptible de se manifester, l’armateur a fortement intérêt à constituer le fonds de limitation. Le système de la limitation de responsabilité du propriétaire d’un navire pétrolier est différent de celui que nous venons d’étudier.

B) La limitation dans les régimes spéciaux de responsabilité de l’armateur : l’exemple du propriétaire d’un navire pétrolier

Les textes qui sont applicables ici sont les suivants : - Convention de1969 « sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution

par les hydrocarbures », modifiée par un Protocole de 1992 (désormais on parle de Convention CLC 1992).

- Convention de Bruxelles du 18 décembre 1991, portant création d’un Fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures et modifiée par le Protocole de Londres du 27 novembre 1992, entré en vigueur le 30 mai 1996 (FUND 92).

- Loi du 26 mai 1977.

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La limitation bénéficie, selon la Convention CLC 1992, au propriétaire de navire, c’est-à-dire « la personne ou les personnes au nom de laquelle ou desquelles le navire est immatriculé, ou à défaut d’immatriculation, la personne ou les personnes dont le navire est la propriété » (art.1-3). La responsabilité est canalisée sur la seule personne de l’armateur. Ce qui exclut l’action intentée contre les préposés ou mandataires du propriétaire, l’équipage, les pilotes, les affréteurs, armateurs ou armateurs-gérants du navire ou leurs préposés respectifs, sauf à prouver une faute volontaire ou inexcusable de leur part. Le propriétaire est responsable de plein droit, sans qu’il soit nécessaire d’établir sa faute. Toutefois, il est exonéré s’il établit que le dommage est dû soit : - à un acte de guerre, d’hostilité, d’une guerre civile, d’une insurrection, ou à un

phénomène naturel de caractère exceptionnel inévitable et irrésistible ; - au fait d’un tiers commis dans l’intention de causer le dommage ; - à la négligence d’un gouvernement ou d’une autre autorité responsable de l’entretien des

feux ou autres aides à la navigation dans l’exercice de cette fonction. 1°) Les montants de la limitation et la constitution d’un fonds de limitation Depuis une modification décidée par l’ONU en mai 2003 et entrée en vigueur le 1er novembre 2003, le montant de la réparation par l’armateur est fixée à : - Pour un navire dont la jauge ne dépasse pas 5000 tonneaux : 4 510 000 DTS. - Pour un navire dont la jauge est comprise entre 5000 et 140 000 tonneaux, il faut ajouter

631 DTS par tonneaux au-delà de 5000 ; - Pour un navire dont la jauge est égale ou supérieure à 140 000 tonneaux : 89 770 000 DTS. Le Protocole de 1992 prévoit que le propriétaire qui veut bénéficier de la limitation doit constituer un fonds de limitation s’élevant au montant de la limitation (art V). A la lecture de ce texte, la constitution du fonds de limitation semble être la condition du bénéfice de la limitation de responsabilité.

2°) FIPOL/Fonds complémentaire

Jusqu’en 2003, et malgré plusieurs réévaluations à la hausse des plafonds d’indemnisation depuis 1969, les taux de limitation demeuraient faibles en comparaison des dommages subis, qui étaient en général plus de vingt fois supérieurs. A titre de comparaison, le niveau de compensation ne couvrait qu’un cinquième de « l’addition » laissée par le naufrage du

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« Prestige » en 2002 (soit 1.1 milliard d’euros). Face à ces insuffisances, et sous la pression de la communauté internationale, il a été décidé la création d’un fonds international destiné à relayer l’indemnisation procurée par la Convention. C’est ainsi que fût crée en 1971 le Fonds international d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures ou FIPOL. Ce fonds est alimenté par des contributions annuelles versées par les entreprises pétrolières ou plus précisément, toute personne qui a reçu, au cours de l’année civile précédente, des quantités d’hydrocarbures transportées par mer supérieures à 150 000 tonnes. Ainsi, lorsque les dommages résultants d’une pollution par hydrocarbures excèdent les limites de responsabilité de l’armateur évoquées ci-dessus, ou lorsque celui-ci est exonéré de toute responsabilité ou se révèle incapable, pour des raisons financières, de s’acquitter pleinement de ses obligations, le FIPOL prend le relais (de la Convention de 1992 ou du propriétaire de navire). Actuellement (après de multiples modifications), la réparation totale garantie aux victimes s’élève à 203 millions de DTS (soit environ 245 millions d’euros). Mais malgré cette augmentation, les plafonds s’avéraient être toujours insuffisants. La conférence diplomatique du FIPOL décida alors en mai 2003, de créer un fonds complémentaire portant à 750 millions de DTS (environ 900 millions d’euros) le montant de l’indemnisation des marées noires. Cette décision est entrée en vigueur en 2003. Ainsi, l’enveloppe d’indemnisation disponible pour les ressortissants d’un pays ayant adhéré au fonds complémentaire, comme c’est le cas de la France, s’élève désormais à 1.14 milliards de dollars. Ce qui rend, selon Mr D. O’SULLIVAN (« Barrister » et P&I Club correspondent) sa crédibilité au système compensatoire mis en place par la communauté internationale depuis bientôt 30 ans. L’indemnisation des dommages de pollution vient encore, très récemment, d’être revue à la hausse via le système TOPIA/STOPIA. 3°) Les systèmes TOPIA/STOPIA 2006 Les armateurs pétroliers ont été les premiers à se soucier de l’indemnisation des dommages de pollution, avant même la création du FIPOL. En effet à la suite du sinistre du Torrey Canyon, ceux-ci ont, par le biais de leur P&I Club et via le système dit TOVALOP pour « Tankers Owners Voluntary Agreement concerning Liability for Oil Pollution », (et avant lui le Plan CRISTAL) mis en place, en 1969, un système volontaire d’indemnisation des dommages de pollution.

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Le système était le suivant, en cas de pollution par hydrocarbures, les armateurs signataires de l’accord s’engageaient à indemniser les gouvernements des dépenses par eux encourues, ce dans une limite de 100 dollars par tonneau de jauge du navire responsable, et avec un plafond de 20 millions de dollars. C’est seulement par la suite que les Etats ont pris le relais par la signature, le 29 novembre de la même année, de la Convention sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures. La mise en place du FIPOL ayant pris en charge les mêmes dommages de pollution, le système TOVALOP est très vite apparu sans intérêt. Ce qui a abouti à sa disparition le 30 mai 1996 lors de l’entrée en vigueur du Protocole de 1992. Devant l’effort financier sans précédent fourni par les entreprises pétrolières dans l’alimentation du Fonds complémentaire crée par le FIPOL, l’International Group of P&I Clubs (association qui regroupe les treize plus grands P&I Clubs) a pensé que les armateurs pétroliers devaient, par l’intermédiaire des Clubs, prendre toute leur part de responsabilité dans l’effort d’indemnisation. Ainsi, de la même manière qu’avait été crée en 1969 le système TOVALOP, ont été crées en 2006 les systèmes TOPIA (Tanker Oil Pollution Indemnification Agreement) et STOPIA (Small Tanker Oil Pollution Indemnification Agreement). Ce dernier concerne les petits bâtiments pétroliers (moins de 29 548 unités de jauge). Le nouveau système, qui est entré en vigueur le 20 février 2006, prévoit que chaque fois qu’un navire assuré par un Club est impliqué dans un sinistre majeur et que le Fonds complémentaire est appelé à intervenir, le propriétaire du pétrolier en cause, (en fait son P&I Club) indemnisera le Fonds complémentaire à hauteur de 50% du montant versé par le dit Fonds aux victimes de la pollution et ce, dans la limite de 20 millions de DTS. Autrement dit, les sommes versées par le Club seront directement versées dans les caisses du FIPOL. La condition d’application du système étant toutefois que le navire sinistré ait été affrété à l’un des armateurs couverts auprès d’un Club de l’International Group. Les accords TOPIA/STOPIA 2006 participent donc aussi à la responsabilisation des politiques d’affrètement de navires décidées par les réceptionnaires d’hydrocarbures, en les incitant à privilégier l’affrètement de navires répondant aux normes de sécurité internationales et en excluant de leur commerce les navires sous normes, dont les accidents surmédiatisés donnent malheureusement l’impression d’une insécurité maritime généralisée. Si le nouveau système est louable en soit, il suscite quelques interrogations. D’une part, selon le Pr Bonassies, on peut s’interroger sur la nature juridique de la contribution des P&I.

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Il ne s’agit pas d’un engagement contractuel, pas plus qu’un engagement qui ressortit à la loi. Il s’agit d’un engagement unilatéral, reconnu en Droit positif. Encore faut-il que cet engagement ait une cause. Ce qui ne semble pas être le cas ici car on voit mal quelle serait la cause de l’engagement des P&I Club, sauf à y voir une sorte de « fidélisation » de leurs membres (soit les armateurs) ? D’autre part on peut se demander si le FIPOL a la capacité juridique à accepter la contribution concernée. En effet, le FIPOL est une institution publique. Or, celle-ci n’a pas le droit d’accepter une donation privée. Les victimes doivent-elles dans ce cas, demander au FIPOL le remboursement des sommes versées dans le cadre du système STOPIA ? Une telle hypothèse est difficilement envisageable selon nous. La critique fondamentale qu’on pourrait faire au nouveau système, si louable soit-il, c’est que les sommes sont versées au FIPOL, et non pas directement aux victimes, allégeant par la même les contributions versées par les entreprises pétrolières. Est-ce vraiment ces dernières qui ont besoin de cet argent ? La question n’est pas sans intérêt surtout au regard des bénéfices qu’engendrent chaque année les entreprises pétrolières1. N’est-il pas mieux que le système TOPIA/STOPIA fasse comme son ancêtre « TOVALOP » en indemnisant directement les victimes de marées noires ? Enfin, nous constaterons, avec le Pr Bonassies, que les sinistres qui donnent lieu à la mise en place du système TOPIA/STOPIA sont relativement rares. En effet le système se déclenche lorsque les dommages de pollutions sont supérieurs à la somme de 750 millions de DTS. En dessous, c’est le fonds complémentaire qui s’applique. N’est-il pas dans ce cas mieux que le FIPOL prennent en charge la totalité des dommages des victimes, car compte tenu des énormes bénéfices que se font les entreprises pétrolières, cette somme « indemnitaire » constitue une « goutte d’eau », pour ne pas dire une « goutte d’huile » dans leurs caisses. Si le transporteur et le propriétaire de navire peuvent limiter leur responsabilité, cette possibilité peut leur être retiré lorsqu’ils adoptent certains comportements.

C) La déchéance du droit à limitation La limitation de responsabilité ne peut plus être invoquée par son bénéficiaire, lorsque ce dernier a commis une faute inexcusable, dont la définition est reprise dans l’article 4-5 e de la

1 A titre d’exemple en 2000, la compagnie Total Fina avait récolté 7,6 milliards d’euros de bénéfices

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Convention de Bruxelles de 1924 : « Ni le transporteur ni le navire n’auront le droit de bénéficier de la limitation de responsabilité […] s’il est prouvé que le dommage résulte d’un acte ou d’une omission du transporteur qui a lieu, soit avec l’intention de provoquer un dommage, soit témérairement et avec conscience qu’un dommage en résulterait probablement ». La même règle est prévue à l’encontre du propriétaire de navire par l’article 4 de la Convention LLMC 1976, reprise par la loi du 3 janvier 1967. On l’a vu, le transporteur ou l’armateur responsable en cas de naufrage jouit d’un privilège qui consiste à limiter sa responsabilité à un certain montant. Dans la plupart des cas, ce n’est pas lui, mais son assureur qui indemnisera directement les victimes. SECTION 2 : LA PRISE EN CHARGE DES DOMMAGES PAR L’ASSUREUR DU RESPONSABLE Lorsqu’un accident de navigation, comme le naufrage, se produit, et que la responsabilité du transporteur ou de l’armateur (propriétaire) est reconnu, ce dernier va devoir indemniser les victimes1. Deux cas de figure sont envisageable : soit il indemnise directement les victimes et se retourne par la suite vers son assureur pour se faire rembourser des frais engagés, soit, et c’est le système qui est généralement utilisé, l’assureur indemnise directement les victimes, à la condition toutefois les dommages invoqués fassent partie des risques couverts par la police d’assurance. De nos jours, il existe peu de navires qui ne soit assuré. En effet, compte tenu des valeurs considérables des navires modernes et de leurs cargaisons, de l’ampleur des responsabilités encourues par les opérateurs du transport maritime, et surtout de la potentialité des sinistres due aux risques de la mer, l’assurance maritime représente un élément indispensable et essentiel du commerce national, comme international. Les mêmes raisons font que aucune compagnie d’assurance, aussi puissante soit-elle, ne peut assumer tous les risques liés à la navigation maritime ; un seul sinistre majeur pourrait suffire à la ruiner. C’est la raison pour laquelle il existe plusieurs types d’assurances maritimes : l’assurance sur corps (I),

1 En réalité, avant même que la responsabilité du transporteur ne soit avérée, du fait qu’il pèse sur lui une présomption de responsabilité, le mécanisme d’indemnisation se déclenche automatiquement : son assureur va indemniser immédiatement les victimes, puis va par la suite se charger d’identifier le véritable responsable. La formule ayant l’avantage de dispenser l’assuré de toute recherche de responsabilité.

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l’assurance sur facultés (II) et l’assurance de responsabilité qui couvre des dommages causés à des tiers par le navire (III). Ces diverses assurances maritimes ont pour point commun d’être des assurances de dommages (de choses ou de responsabilité) et non pas de responsabilité ; ce qui signifie qu’elles visent à réparer un préjudice subi par l’assuré, contrairement aux assurances de personnes qui « garantissent les individus contre les atteintes portées à leur intégrité physique »1. Nous analyserons successivement ses trois catégories d’assurances maritimes, mais uniquement en ce qui concerne leur objet, les risques qu’elles couvrent et les différentes polices qu’elles proposent.

I- L’ASSURANCE SUR CORPS L’assurance corps c’est l’assurance du navire et de ses accessoires. Le navire comprend la coque et les machines. Quant aux accessoires du navire, il s’agit de tous les éléments utiles à la navigation, à savoir, les agrès et apparaux, les chaloupes, les cordages et les frais d’armement, les provisions et tout ce que l’armateur a embarqué afin de nourrir et chauffer l’équipage et enfin le fret. L’assurance sur corps peut être conclue pour un ou plusieurs voyages consécutifs, ou pour une durée déterminée Les assureurs maritimes ont élaborés plusieurs types d’assurances corps dont les principales sont : - La police d’assurance maritime sur corps de tous navires à l’exclusion des navires de

pêche et de plaisance, des voiliers et des navires à moteur auxiliaires (imprimé du 1er janvier 1998, modifié le 1er janvier 2002). Cet imprimé peut être complété par des clauses additionnelles, qui étendent ou restreignent la garantie, et notamment par les clauses FAP sauf, FAP absolument, perte totale, délaissement (art 21), recours pour tiers pour dommages corporels (qui font partie des exclusions de l’article 3).

- La police d’assurance maritime sur corps de navires de pêche (imprimé du 3 décembre 1986, modifié les 30 janvier 1992 et le 1er janvier 2002).

Les assurances maritimes corps détermine les risques garantis selon la distinction suivante : - La garantie « tous risques », dans laquelle les préjudices sont pris en charge, quelque

soit l’évènement générateur de ces préjudices, à moins qu’ils ne soient expressément 1 Pour la comparaison entre assurances de dommages et assurances de personnes, voir les commentaires de M-B Crescenzo-D’Auriac, J- Cl Transp. Fasc. 990, n° 2.

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exclus (il ne faut pas se fier à l’intitulé « tous risques » puisque certains risques sont exclus par la police). Ainsi, la police française d’assurance sur corps de tous navires (imprimé du 1er janvier 1998) entend couvrir, dans son article 1 « les dommages et pertes subis par le navire, les recours de tiers exercés contre le navire pour abordage ou pour heurt, ainsi qu’une série de dépenses1 résultant de fortunes de mer et d’accidents qui arrivent au navire assuré ». Et dans son article 3, elle fait état des risques exclus.

- La garantie « FAP sauf » ou Franc d’avaries particulières sauf, qui signifie que la garantie est limitée aux conséquences de certains évènement majeurs limitativement énumérés, parmi lesquels figure le naufrage. Dans les polices d’assurance sur corps, elle se matérialise souvent par l’ajout d’une clause 1 à la police.

Cette assurance qui est normalement une assurance de choses garantit également accessoirement la responsabilité de l’armateur contre les recours des tiers. Cependant, elle est limitée aux seuls recours des tiers en cas d’abordage ou de heurt et ne couvre pas l’éventuelle responsabilité contractuelle de l’armateur.

II- L’ASSURANCE SUR FACULTES L’assurance facultés est l’assurance des marchandises transportées. Elle peut être conclue selon deux modalités particulières : - Une couverture particulière, qui couvre une marchandise déterminée pour un voyage

particulier. - Une couverture dite flottante, dans laquelle l’assureur s’engage, à couvrir, sous

certaines conditions, toutes les marchandises expédiées par l’assuré ou reçues par lui, à condition que l’assuré lui fasse part de toutes les mises en risque (déclaration d’aliments) dans un délai déterminé. La couverture flottante se décline elle-même sous deux formes : *la police d’abonnement, par laquelle l’assureur couvre toutes les expéditions de l’assuré jusqu’à concurrence d’une somme déterminée appelée le « plein d’assurance ». *la police « à alimenter », dans laquelle le « plein d’assurance » constitue une fois pour toute la limite de la garantie de l’assureur de sorte que chaque application qui en est faite diminue d’autant ce « plein ». L’assurance demeure ainsi jusqu’à l’épuisement du « plein ».

1 Contributions aux avaries communes, frais d’assistances et frais de procédure et de justice.

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Tout comme les assurances sur corps, les assurances sur facultés sont soit des garanties « tous risques », soit des garanties « FAP sauf » qui font l’objet d’un imprimé spécial. On distingue ainsi, principalement deux polices d’assurance facultés : - La police française d’assurance maritime sur facultés « Garantie tous risques » (imprimé

du 30 juin 1983 modifié le 16 février 1990, le 22 octobre 1998 et le 1er juillet 2002). Elle garantit les dommages et pertes matériels, ainsi que les pertes de poids ou de quantité subis par les facultés assurées, à l’exclusion de certains dommages et pertes limitativement prévus (à l’art 7). Elle couvre en outre la contribution des facultés assurées aux avaries communes, et certains frais accessoires entraînés par le sinistre (article 6) ;

- La police française d’assurance maritime sur facultés « Garantie FAP sauf » imprimé du 30 juin 1983 modifié le 16 février 1990, le 22 octobre 1998 et le 1er juillet 2002). Cette police garantit les dommages et pertes matériels ainsi que les pertes de poids ou de quantité subis par les facultés assurées, provenant exclusivement d’évènements prévus dans le contrat, dont le naufrage, ou résultant d’un acte d’avaries communes.

En principe les polices d’assurance sur facultés sont une assurance pour biens. Cependant, lorsqu’elles prennent la forme d’une police flottante (et plus particulièrement la police d’abonnement, elles sont pour partie une assurance de responsabilité. En effet, l’assureur garantit pour le compte du souscripteur de la police (commissionnaire ou transitaire pour le compte de leurs clients ou le transporteur lui-même pour le compte de l’ayant droit à la marchandise) de la police le recours de tiers.

III- L’ASSURANCE DE RESPONSABILITE : ENTRE POLICES FRANCAISES ET COUVERTURES DE P&I CLUB

Les contrats d’assurances garantissent non seulement des biens, mais aussi des dettes de responsabilité, nées des préjudices causés par leurs assurés. L’assurance maritime de responsabilité est donc celle qui est souscrite en vue de garantir l’assuré contre les dommages subis par des tiers du fait du navire. Soucieux d’offrir à sa clientèle une alternative aux garanties habituelles fournies par les mutuelles d’armateurs, les P&I Club (protection and indemnity ou clubs de protection et d’indemnisation mutuelle), le marché français a mis au point, depuis une période relativement récente, des polices d’assurances destinées à couvrir spécifiquement (et non en complément des garanties offertes dans les polices sur corps et dans une certaine mesure, les polices sur

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facultés), la responsabilité des armateurs et des transporteurs maritimes. En effet, en Grande Bretagne, depuis le XIXe siècle, des mutuelles d’armateurs, les P&I Clubs, s’étaient spécialisées dans la couverture de la responsabilité des armateurs et transporteurs pour les dommages causés aux tiers (protecting) et aux cargaisons (indemnity), que les assureurs traditionnels dits « à primes fixes » ne garantissaient pas. Même s’ils sont de plus en plus confrontés à la concurrence des assurances traditionnels, les P&I Club dominent encore très largement, à l’échelle mondiale, le marché des assurances de responsabilité, puisqu’ils couvrent 90% des risques maritimes responsabilité civile. Dans les années soixante dix, les assureurs français ont mis en place des polices d’assurances de responsabilité dans le domaine du droit maritime. Elles garantissent les éventuelles responsabilité qui peuvent peser sur : - le propriétaire ou l’exploitant d’un navire en raison des dommages causés par celui-ci à

des tiers ou à des cocontractants ; - Le transporteur de marchandises en raison des dommages causés à ces cocontractants du

fait de l’inexécution ou de la mauvaise exécution du contrat de transport ; - Les autres participants aux opérations de transport (commissionnaire p. ex) en raison des

dommages qu’ils peuvent causer à leurs cocontractants. Diverses polices sont proposées par les assureurs maritimes : - la police française d’assurance maritime couvrant la responsabilité du propriétaire de

navire de mer (imprimé du 20 décembre 1990) ; - La police française d’assurance maritime couvrant la responsabilité du propriétaire de

navire de pêche (imprimé du 20 décembre 1990) ; - La police française d’assurance maritime couvrant la responsabilité du transporteur

maritime (imprimé du 20 décembre 1972, mis à jour 14 mai 1992) ; - La police française d’assurance maritime couvrant la responsabilité civile de l’affréteur

de navire de mer, autre que l’affréteur coque-nue (imprimé du 19 mai 1988). Ces polices définissent un champ de garanties aussi large que possible. Sont ainsi garantis les « recours pour fait de mort, de lésions corporelles ou de maladie ainsi que les recours pour dommages, pertes ou préjudices exercés contre le navire assuré par des cocontractants ou des tiers, à la suite de tout évènement (sans distinction) ». En principe, lorsqu’un navire fait naufrage (au sens strict, c’est-à-dire que le navire a coulé), il est extrêmement difficile voire impossible de le faire naviguer à nouveau. Il perd alors son statut de navire pour devenir une épave. Cette situation ne fait pas perdre au propriétaire du

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navire qui a fait naufrage ses droits sur l’épave dudit navire. Encore plus, il continue de peser sur lui des obligations relativement à l’épave de son navire.

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CHAPITRE 2 : L’EPAVE DE NAVIRE Le naufrage d’un navire a pour conséquence la « mort » de ce navire. Il s’agit dans un tel cas de figure d’une « mort » involontaire. La « mort » du navire est volontaire lorsque son propriétaire décide la vendre à la ferraille ou de la transformer définitivement en une structure flottante (hôtel ou club à jamais amarré à quai). Lorsque la mort du navire est involontaire, ce dernier devient alors une épave. Si le propriétaire de l’épave disposait, jadis, de la faculté d’abandon de l’épave de son navire, tel ne semble plus être le cas aujourd’hui en raison des dangers que représente ce dernier : danger tout d’abord pour la navigation en raison notamment des risques de collision, tel que l’a révélé l’affaire de l’échouement du paquebot de croisières Ocean Express1, mais aussi et surtout danger pour l’environnement, en raison des risques de pollution quand on sait que plus de la moitié des cargaisons par mer sont répertoriées comme dangereuses. Il est loin le temps où l’épave était considéré comme un bienfait du ciel (jadis, les navires transportaient de l’or et autres matières précieuses) ! Devenues ainsi source de dangers, les épaves de navire apparaissent désormais comme une source de responsabilité pour leurs propriétaires (II). Autrement dit, il s’agira d’étudier le régime juridique de l’épave. Quant au régime administratif de l’épave (découverte de l’épave, déclaration à l’administration, recherche du propriétaire par voie d’affichage lorsqu’il n’est pas connu, déroulement des opérations de relèvement ou de destruction de l’épave, vente de l’épave par l’administration…), nous n’allons pas en faire état. Mais avant d’évoquer la question de la responsabilité du propriétaire de l’épave, il convient de préciser la notion d’épave de navire (I).

I- LA NOTION D’EPAVE DE NAVIRE Avant de voir quels sont les critères de qualification retenus pour la définition de l’épave de navire (B), il est nécessaire de cerner la notion d’épave maritime elle-même (A).

1 CA. Paris, 7 fév. 1997 (DMF janv. 1998, 11, obs. Ph. Delebecque)

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A) La notion d’épave maritime Nous constaterons tout d’abord que l’épave maritime, comme le naufrage, ne fait pas l’objet d’une définition légale ou réglementaire. Le décret du 3 août 1978 se contente, comme tous les textes qui l’ont précédé, de donner une liste « d’objets » et de biens qui sont considérés comme épaves : - Les engins flottants et les navires en état de non-flottabilité et qui sont abandonnés par

leur équipage, qui n’en assure plus la garde ou la surveillance, ainsi que leurs approvisionnements et leurs cargaisons.

- Les aéronefs abandonnés en état d’innavigabilité. - Les embarcations, machines, agrès, ancres, chaînes, engins de pêche abandonnés et les

débris des navires et des aéronefs. - Les marchandises jetées ou tombées à la mer. - Généralement, tous objets, y compris ceux d’origine antique, dont le propriétaire a perdu

la possession, qui sont échoués sur le rivage dépendant du domaine public maritime, soit trouvés flottants ou tirés du fond de la mer dans les eaux territoriales, ou trouvés flottants ou tirés du fond en haute mer et ramenés dans les eaux territoriales ou sur le domaine public maritime.

Le Doyen Ripert quant à lui, donne de l’épave maritime la définition suivante : « Tout objet mobilier trouvé flottant sur mer ou tiré du fond de la mer ou échoué sur la portion du rivage dépendant du domaine public maritime, lorsque le propriétaire de cet objet en a perdu, volontairement ou non, la possession ». L’épave de navire étant une épave maritime, eu égard à la liste évoquée ci-dessus, il convient d’en préciser les contours.

B) Définition de l’épave de navire D’une manière générale on considère que les épaves de navire sont des bâtiments qui, anciennement navires, ont physiquement perdu leur aptitude à affronter les périls de la mer et se trouvent ainsi abandonnés par leur équipage. Le décret du 3 août 1978, quant à lui définit l’épave de navire comme étant « un navire en état de non-flottabilité et qui est abandonné par son équipage qui n’en assure plus la garde ou la surveillance, ainsi que ses approvisionnements et sa cargaison ». Autrement dit, pour qu’un

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navire soit qualifié d’épave (et donc disqualifié de navire), deux conditions sont requises : une matérielle et une « psychologique » selon le Pr M. Rémond-Gouilloud. 1°) La condition matérielle : l’état de non-flottabilité Avant la modification apportée par le décret de 1978, c’était le terme « innavigabilité » qui était retenu. Mais celui-ci fût jugé insuffisamment précis. Cette substitution de terme traduit la volonté du législateur de restreindre la notion d’épave aux seuls cas d’innavigabilité totale et irrémédiable du navire. Ainsi, ne peut constituer une épave, un navire temporairement hors d’état de flotter, qui peut recouvrer son aptitude à flotter moyennant quelques réparations1 ou encore un navire en état de flottabilité mais dont l’équipage, prudent ou pessimiste, l’a abandonné. Toutefois, il faut relativiser la notion de non-flottabilité. En effet, un navire qui flotte encore (p.ex après avoir été dévasté par un incendie), mais qui est devenu non manoeuvrable, et qui risque très certainement de faire naufrage, n’est pas réellement flottable. Inversement, un navire qui a coulé à quai, mais qui peut être renfloué, n’est pas une épave ; il demeure un navire car il reste flottable, son état de non-flottabilité n’étant que temporaire. 2°) La condition « psychologique » : l’abandon La seconde condition nécessaire à la définition de l’épave de navire, c’est que ce dernier doit avoir été abandonné par son équipage. Cet abandon se caractérise par le fait que l’équipage n’en assure plus la garde ou la surveillance. Il ne s’agit donc pas d’une renonciation, par le propriétaire du navire, à son droit de propriété, « mais une perte momentanée de la possibilité de démontrer la possession du navire, sa jouissance, par un acte de l’équipage qui le détient pour le compte du propriétaire » (M. Ndendé). Autrement dit, c’est la perte du corpus, mais pas celle de l’animus. On considère donc qu’il n’y a pas abandon lorsque l’équipage exerce sur le navire, même à distance, une surveillance vigilante. Ainsi définie, l’épave de navire constitue une source de responsabilité pour son propriétaire

1 TA. Montpellier 10 oct. 1977 (DMF 1978, 220, concl. Meyerhoeffer)

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II- LA RESPONSABILITE DU PROPRIETAIRE DE L’EPAVE DE NAVIRE La responsabilité du propriétaire de l’épave de navire suppose l’étude des obligations du propriétaire et les sources de sa responsabilité (A). Les créances d’enlèvement et de destruction des épaves à l’encontre du propriétaire étant considérées comme des créances maritimes, ce dernier bénéficie de la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes de la Convention de 1976. Mais cette limitation mal acceptée par l’Etat français suscite de nombreuses controverses (B).

A) Sources de la responsabilité et obligations du propriétaire de l’épave Contrairement à ce qu’on pense, celui qui découvre une épave (l’inventeur), n’en devient pas propriétaire. L’épave demeure la propriété de celui qui était propriétaire du navire, devenu épave1. La conséquence première qui en découle, c’est que le propriétaire demeure responsable de l’épave de navire. Il l’est tout d’abord civilement, à l’égard des tiers, en cas de heurt avec l’épave. Sa responsabilité sera alors engagée sur le fondement des articles 1382 et 1384 al. 1er du Code civil. Il est par ailleurs contractuellement responsable envers la société de sauvetage avec laquelle il a contracté pour l’enlèvement de l’épave. Enfin, le propriétaire de l’épave est responsable vis-à-vis de l’administration (il est donc aussi responsable administrativement), qui peut lui imposer l’enlèvement ou la destruction de l’épave, ou le cas échéant, de procéder elle-même d’office et aux frais du propriétaire à l’enlèvement ou à la destruction. Et à ce titre, la condamnation par l’administration est susceptible de donner lieu à la contravention de grande voirie. S’agissant de l’obligation d’enlèvement de l’épave qui pèse sur le propriétaire, il faut distinguer selon que l’épave ne présente aucun danger (pour la sécurité de la navigation ou pour l’environnement et les populations riveraines) ou que l’épave soit considérée comme dangereuse ou polluante. Dans le premier cas, si le propriétaire de l’épave est identifié et prévenu, il doit lui-même procéder, sous peine de déchéance de son droit de propriété, aux travaux de relèvement, renflouement, enlèvement, destruction dans les délais qui lui sont

1 Le propriétaire de l’épave peut la revendiquer auprès de l’administration dans un délai de trois mois après la publication de la découverte. Toutefois, si dûment mis en demeure de relever l’épave, il néglige ou refuse d’y procéder, il peut être déchu de son droit de propriété et l’épave sera vendue.

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imposés par l’administration. En pratique, ces opérations sont le fait d’un sauveteur. Le propriétaire devra alors rémunérer ce dernier. A l’inverse, chaque fois qu’une épave présente « un danger pour la navigation, la pêche ou l’environnement, l’accès dans un port ou le séjour dans un port, faute pour le propriétaire d’obtempérer à la mise en demeure d’enlever l’épave ou si ledit propriétaire est inconnu, l’administration peut se substituer à lui » (loi du 23 novembre 1982, complétée par un décret du 21 juin 1985). Et en cas de danger grave et imminent, la loi dispense l’autorité compétente de l’exigence d’une mise en demeure et considère qu’elle peut intervenir d’office, aux frais et risques du propriétaire de l’épave. Il ressort de ce qui vient d’être dit qu’une tierce personne se substitue la plupart du temps au propriétaire pour le financement de l’enlèvement, du renflouement ou de la destruction des épaves. Cette substitution a toujours suscité, et continue de susciter des difficultés en France, notamment lorsque la personne qui a financé les travaux et plus particulièrement l’administration (puisqu’elle n’a pas vraiment le choix la plupart du temps et doit agir rapidement dans le cas des épaves dangereuses et polluantes), réclame au propriétaire le remboursement des frais qu’elle a été obligée d’exposer en raison de l’inertie de ce dernier. En réalité le problème vient de ce que les propriétaires d’épave, pour se soustraire au remboursement intégral des frais exposés, opposaient à leur créancier la faculté de limiter leur responsabilité qui leur est ouverte par la Convention de Londres de 1976 « sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes » dite LLMC 1976. Or, nous verrons que cette faculté est l’objet de nombreuses controverses en droit positif.

B) Controverses sur la limitation de responsabilité du propriétaire de l’épave La controverse provient du fait que la loi française contient des dispositions contraires à celles qui sont édictées par la Convention LLMC 1976. En effet, cette dernière pose clairement, dans son article 2 §1, al. d, le principe selon lequel : « …sont soumises à la limitation de responsabilité … les créances pour avoir renfloué, enlevé, détruit ou rendu inoffensif un navire coulé, naufragé, échoué ou abandonné, y compris tout ce qui se trouve ou s’est trouvé à bord ». Il est donc bien clair que la Convention permet au propriétaire de l’épave de limiter sa responsabilité à l’égard de tout créancier quelqu’il soit, même lorsqu’il s’agit de créances invoquées par une personne morale de droit public qui aura procédé aux opérations susvisées.

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A l’opposé la loi française adapte un raisonnement tout à fait contraire. La loi du 22 décembre 1984, modifiant l’article 59 de la loi du 3 janvier 1967 dispose que : « Le propriétaire d’un navire ne peut opposer la limitation de sa responsabilité aux créances de l’Etat ou de toute personne morale de droit public qui aurait, au lieu et place du propriétaire, renfloué, enlevé, détruit, ou rendu inoffensif, un navire coulé, échoué ou abandonné, y compris tout ce qui se trouve ou s’est trouvé à bord ». Une telle situation soulève selon M. Ndendé, un problème délicat d’articulation des deux systèmes juridiques. Or, on sait que les Conventions internationales ont dans la hiérarchie des normes, une autorité supérieure à celle des lois nationales (art 55 Constitution française de 1958). Pour justifier la position de la loi française, l’Etat français argue de ce que le gouvernement français aurait émis une réserve lors de la ratification de la Convention de 1976 en ces termes : « Conformément à l’article 18 paragraphe 1, le Gouvernement de la République française se réserve le droit d’exclure de l’application des alinéas d) et e) du paragraphe 2) ». La position de la jurisprudence en la matière est claire. La Cour d’appel de Bordeaux, par son arrêt du 8 septembre 19871 rendu dans l’affaire du pétrolier grec « Vitoria », a rappelé que la limitation de responsabilité s’applique bien, en droit maritime international, aux créances de renflouement et de traitement des épaves dangereuses, et il importe peu que l’intervention sur l’épave concernée ait été effectuée sur demande directe du propriétaire de l’épave ou d’une autorité publique. Elle réaffirme donc la supériorité de la Convention internationale sur la loi nationale française. En outre, elle a été amenée à se prononcer sur la question des réserves formulées par la France concernant la limitation de responsabilité contre les créances d’intervention des autorités publiques sur les épaves. Selon elle, la France n’aurait pas catégoriquement et explicitement exprimé ses réserves à la Convention. Et dans l’opinion du Pr Bonassies2, « tant qu’une exclusion expresse de la limitation ne sera pas exprimée plus nettement, on pourra douter que cette simple possibilité exprimée dans les réserves françaises interdise aux armateurs d’un navire étranger soumis à la Convention de 1976, d’invoquer la protection de ce texte ». La Cour de cassation vient récemment de se prononcer sur la question, par un arrêt du 11 juillet 2006. Elle adopte la solution contraire à celle de la Cour d’appel de Bordeaux. Selon la haute juridiction, la réserve formulée par la France est une véritable réserve. Par conséquent, en Droit français, la Convention de 1976 ne s’applique pas au droit de l’Etat de relèvement de l’épave. 1 DMF 1988, p 571 note P. –Y Nicolas ; et p. 580, note A. Vialard 2 in DMF 1988, 16-17 n° 23

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CONCLUSION Si les avancées technologiques et techniques ont permis la construction de navires plus sûrs, dotés d’engins de navigation perfectionnés et capables d’affronter les périls de la mer, en mer, le risque zéro n’existe pas. Les naufrages de navire sont certes moins nombreux qu’il y a quelques siècles, mais fondamentalement, l’homme n’y peut pas grand-chose et notamment les transporteurs et armateurs1 (propriétaire), qui généralement assument la responsabilité de l’expédition maritime. Il a donc fallu réglementer leur responsabilité. La majorité des textes qui traitent de la responsabilité du transporteur maritime ou de l’armateur, s’accordent pour dire que, compte tenu des risques de la mer, mais aussi du caractère d’intérêt général des activités maritimes, ces derniers doivent pouvoir limiter leur responsabilité en cas de dommages survenus au cours de l’expédition. La limitation de responsabilité est donc la contrepartie « nécessaire » de l’exposition de leur patrimoine aux risques de la mer. Cependant, si la limitation de responsabilité trouvait jadis une justification compte tenu des petites entreprises armatoriales et la quasi inexistence du marché des assurances, tel ne semble plus être le cas aujourd’hui. En effet, le monde maritime a changé ; les entreprises aramatoriales sont désormais d’énormes structures qui font en sorte qu’il est difficile de déterminer facilement les responsables. En outre, il existe bon nombre d’armateurs peu scrupuleux et peu soucieux de la qualité de leurs services et de la sécurité de la navigation, qui font naviguer des navires « poubelles », qui ne répondent pas aux normes de sécurité internationale. Malgré une législation internationale sévère concernant les normes de la navigation et la qualité des navires, la navigation sous-normes se développe. Enfin, le marché des assurances maritimes a désormais d’énormes capacités. C’est dans le domaine du transport des hydrocarbures que la limitation de responsabilité atteint ses limites. Compte tenu des conséquences que ce type de marchandises est susceptible d’engendrer, tant sur le plan environnemental, qu’humain, mais aussi et surtout compte tenu des énormes profits engendrés chaque année par les entreprises pétrolières, le principe de la limitation de responsabilité n’est plus accueilli avec faveur par l’opinion publique. Certes les plafonds d’indemnisation ont considérablement évolué depuis leur mise en place, mais les naufrages de navires de pétroliers ont montré que les droits des victimes à une indemnisation juste étaient sacrifiés pour une institution qui ne semble plus trouver sa place dans le monde actuel. De plus, le système de la canalisation de la responsabilité sur la personne du 1 Sous réserve toutefois qu’ils respectent les normes internationales édictées en matière de sécurité de la navigation.

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propriétaire du navire par la Convention de 1992, n’est pas forcément la meilleure solution. Le naufrage de « L’ERIKA » l’a prouvé. En effet, la Compagnie TOTAL, affréteur du navire et propriétaire de la cargaison polluante a échappé à toute poursuite et responsabilité dans cette affaire. Au plan européen, il a été proposé un fonds d’indemnisation supplémentaire de 1 milliard d’euros aux fins d’indemnisation des victimes de marées noires. Mais le problème qui se posait était de savoir qui devait abonder ce fond : l’Etat ? les assureurs ? ou les Compagnies pétrolières ? Pourquoi ne pas alors adopter une législation semblable à celle qui a été adoptée par les Etats-Unis sous la forme de l’Oil Pollution Act en 19991 ? La législation américaine est certes sévère mais elle a su montrer ses avantages ; après l’Exxon-Valdez, il n’y a plus eu de catastrophe pétrolière le long des côtes américaines. Les P&I Clubs des armateurs, via le système TOPIA/STOPIA, ont peut être entendu calmer les esprits, avec l’attribution d’un fonds supplémentaire pour l’indemnisation des victimes de marées noires, mais la somme allouée ne s’applique que lorsque les dommages sont supérieurs à 750 millions de DTS et n’est par ailleurs pas versée directement aux victimes mais au fonds complémentaire du FIPOL. Le système de la limitation de responsabilité des armateurs est de plus en plus discrédité aux yeux de l’opinion publique. Il serait peut être préférable, au moins dans le domaine de la responsabilité pour pollution par hydrocarbures (ou plus généralement concernant les matières dangereuses), de le supprimer et ce, notamment eu égard aux énormes bénéfices qu’engendrent annuellement les entreprises pétrolières. La limitation de responsabilité, toujours « clé de voûte » du Droit maritime ?

1 Après le marée noire provoquée en Alaska par l’échouement de l’Exxon-Valdez en avril 1989, les Etats-Unis se sont dotés d’une loi, l’ Oil Pollution Act d’août 1990 qui fixe de nouvelles règles techniques de construction et d’équipement des navires pétroliers, et prévoit une responsabilité illimitée du propriétaire de navire en cas de dommage par pollution dans les eaux américaines.

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- Ph. DELEBECQUE, Quel est le droit applicable aux croisières maritimes ?, note sous CA. Paris 1er juin 2001, Dalloz 2002, p. 1319 ;

- P. GRIGGS, Le protocole d’Athènes, DMF avril 2002, p. 291 ;

- W. MÜLLER, Faut-il réviser la Convention d’Athènes de 1974 sur le transport de

passagers par mer ?, DMF 1999, p. 5 ; - M. NDENDE, Evolution des structures armatoriales et difficultés d’identification du

transporteur maritime, DMF mars 2005, p. 195 ; - M. NDENDE, Les épaves et la limitation de responsabilité, DMF 632 – Numéro spécial,

décembre 2002, p. 1053 ; - P-Y NICOLAS, Le transport maritime de passagers : responsabilités et assurances,

DMF 1999, p. 857 ; - R. RODIERE, L’article 1384 alinéa 1er et la garde du navire, Recueil Dalloz 1957,

Chronique- XXIX ; - R. RODIERE, Les responsabilités dans la législation nouvelle de l’affrètement et du

transport, DMF 1967, p. 387 ; - A. VIALARD, De quelques enseignements de l’Erika, Mélanges offerts à Pierre

Bonassies, p. 409 ;

SITES INTERNET OMI : http://www.imo.org Université de Nantes : http://www.droit.univ-nantes.fr Sénat : http://www.senat.fr Fédération française des Sociétés d’Assurances : http://www.ffsa.fr Centre de Droit maritime et des Transports : http://www.cdmt.org Journal Libération : http://www.demlib.com Assemblée nationale : http://www.assemblee-nationale.fr

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ANNEXES THE CONLINEBILL............................................................................................................ 105 LOI DU JUIN 1966, ARTICLES 33 à 79............................................................................. 107 POLICE FRANCAISE D’ASSURANCE MARITIME SUR CORPS (imprimé du 1er janvier 1998) ......................................................................................................................... 110 POLICE FRANCAISE D’ASSURANCE SUR FACULTES GARANTIE « TOUS RISQUES » ........................................................................................................................... 114 POLICE FRANCAISE D’ASSURANCE SUR FACULTES GARANTIE « F.A.P Sauf…».................................................................................................................................. 115

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TABLE DES MATIERES SOMMAIRE ........................................................................................................................... 3 INTRODUCTION .................................................................................................................. 5 Ire PARTIE : IDENTIFICATION DES RESPONSABILITES EN CAS DE NAUFRAGE ........................................................................................................................... 12 CHAPITRE 1 : IDENTIFICATION DE L’AUTEUR RESPONSABLE ......................... 13 Section 1 : Naufrage consécutif à un « Evènement de mer ».............................................. 14

I- RESPONSABILITE DECOULANT DE L’ABORDAGE .................................... 14 A) Abordage fortuit ou résultant d’un cas de force majeure ou abordage

douteux ....................................................................................................................... 15 B) Abordage causé par la faute de l’un des navires ........................................................ 15 C) Abordage causé par la faute commune des navires.................................................... 16

II- RESPONSABILITE DE L’ASSISTANT COUPABLE D’UN NAUFRAGE .......................................................................................................... 16

A) Définition de l’assistance maritime............................................................................ 17 B) Domaine de l’assistance maritime.............................................................................. 17 C) Conditions d’application du régime de l’assistance maritime ................................... 17 D) La responsabilité de l’assistant fautif ......................................................................... 18

Section 2 : Naufrage consécutif à un « accident de mer » .................................................. 18

I- LES DIFFICULTES D’IDENTIFICATION DU RESPONSABLE...................... 19 A) Les difficultés d’identification de l’armateur/propriétaire non exploitant ................. 19 B) Les difficultés d’identification du transporteur .......................................................... 23

1) Celles issues du système d’exploitation des navires ............................................... 24 a- Les contrats « traditionnels » d’exploitation des navires ..................................... 24

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b- Les prestations modernes d’exploitation des navires........................................... 26 2) Celles résultant de l’évolution des structures armatoriales ..................................... 27

II- LA RESOLUTION DU PROBLEME : L’IDENTIFICATION DU RESPONSABLE REEL......................................................................................... 28

A) L’armateur réel .......................................................................................................... 28 B) Le transporteur réel ................................................................................................... 32 C) Identification du responsable réel en fonction du type de dommage ........................ 38

1) Dommages subis par le navire ou perte du navire ................................................. 38 2) Pertes et dommages subis par la marchandise ....................................................... 39 3) Dommages subis par des tiers. ............................................................................... 40

CHAPITRE 2 : PRINCIPES DE RESPONSABILITE DE L’ARMATEUR PROPRIETAIRE ET DU TRANSPORTEUR .................................................................... 40 Section préliminaire : Sources et nature de la responsabilité de l’armateur propriétaire ............................................................................................................................. 41 Section 1 : Le transport maritime de marchandises ........................................................... 41

I- SOURCES DE LA RESPONSABILITE DU TRANSPORTEUR MARITIME DE MARCHANDISES..................................................................... 41

A) Source contractuelle ................................................................................................... 42 1) Les obligations du transporteur ............................................................................... 43

a- Obligations relatives au navire............................................................................. 43 b- Obligations relatives au voyage ........................................................................... 44 c- Obligations relatives à la marchandise................................................................. 45

2) Les obligations du chargeur .................................................................................... 46 B) Source extracontractuelle ........................................................................................... 47

II- NATURE DE LA RESPONSABILITE DU TRANSPORTEUR MARITIME DE MARCHANDISES..................................................................... 49

A) La présomption de responsabilité du transporteur .................................................... 49 B) La libération du transporteur par la preuve d’un « cas excepté » .............................. 51

1) Les cas exceptés extérieurs au navire et à la cargaison........................................... 51 2) Les cas exceptés liés à l’exploitation du navire ...................................................... 51 3) Les cas exceptés liés à la cargaison......................................................................... 52

C) Responsabilité particulière du transporteur/fréteur au voyage.................................... 53

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Section 2 : Le transport maritime de passagers et de leurs bagages ................................. 53

I- SOURCES DE LA RESPONSABILITE DU TRANSPORTEUR MARITIME DE PASSAGERS.............................................................................. 56

A) Source contractuelle ................................................................................................... 56 1) Le transport « classique » de passagers................................................................... 57

a- Les obligations du transporteur ............................................................................ 57 b- Les obligations du passager.................................................................................. 59

2) Le contrat de croisière ............................................................................................. 59 B) Source extracontractuelle ........................................................................................... 60

1) Le transport maritime de passagers à titre onéreux................................................. 60 a- Responsabilité du transporteur envers le passager maritime ............................... 60 b- Responsabilité du transporteur envers les ayants droit du passager

maritime ............................................................................................................... 61 2) Le transport maritime de passagers à titre gratuit ................................................... 62

II- NATURE DE LA RESPONSABILITE DU TRANSPORTEUR MARITIME DE PASSAGERS.............................................................................. 63

A) Le système « binaire » de la responsabilité du transporteur maritime « pur »........................................................................................................................ 64

1) Accident « individuel » et responsabilité pour faute prouvée du transporteur............................................................................................................. 64

2) Sinistre majeur et responsabilité pour faute présumée du transporteur ................. 65 3) Bagages et responsabilité du transporteur .............................................................. 66 a- Bagages (et véhicules de tourisme) enregistrés et présomption de

responsabilité ....................................................................................................... 66 b- Effets personnels, bagages de cabine et responsabilité pour faute

prouvée ................................................................................................................. 66 c- Biens précieux et responsabilité de plein droit..................................................... 66

B) Organisateur de croisières : d’une responsabilité présumée (subjective) à une responsabilité de plein droit (objective) ?........................................................ 67

1) Présomption de responsabilité de l’organisateur de croisière pour manquement à ses obligations contractuelles......................................................... 67

2) Responsabilité personnelle de l’organisateur de croisière du fait des dommages corporels causés aux passagers maritimes ou à leurs bagages ................................................................................................................... 67

3) La loi du 13 juillet 1992 et la responsabilité de plein droit de l’organisateur de croisière ...................................................................................... 68

C) Application de la responsabilité présumée du gardien de navire au transporteur bénévole ................................................................................................ 69

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IIème PARTIE : LA REPARATION DES DOMMAGES APRES NAUFRAGE ........................................................................................................................... 71 CHAPITRE 1 : LES AMENAGEMENTS DE LA RESPONSABILITE.......................... 72 Section 1 : La limitation de responsabilité ........................................................................... 72

I- LA LIMITATION DE RESPONSABILITE APPLICABLE AU TRANSPORTEUR................................................................................................. 74

A) Le transporteur de marchandises................................................................................ 74 1) Montants de la limitation et bases de calcul ............................................................ 74 2) Quid de l’action délictuelle intentée contre le transporteur maritime ?................... 75 3) Quid des dommages pour mort ou lésions corporelles ? ......................................... 76 B) Le transporteur de passagers ...................................................................................... 76 1) Mort et lésions corporelles de passagers.................................................................. 76 2) Bagages de passagers............................................................................................... 77 II- LA LIMITATION DE RESPONSABILITE APPLICABLE A L’ARMATEUR/PROPRIETAIRE DE NAVIRE.............................................................. 77 A) La limitation dans le régime de droit commun de responsabilité de l’armateur ........................................................................................................................... 78 1) Les montants de la limitation.................................................................................. 78 2) Limitation avec constitution d’un fonds ................................................................ 80 3) Limitation sans constitution d’un fonds ................................................................. 80 B) La limitation dans les régimes spéciaux de responsabilité de l’armateur : l’exemple du propriétaire d’un navire pétrolier.............................................. 81 1) Les montants de la limitation et la constitution d’un fonds de limitation ............................................................................................................................ 82 2) FIPOL/Fonds complémentaire................................................................................ 82 3) Les systèmes TOPIA/STOPIA ............................................................................... 83 C) La déchéance du droit à limitation ............................................................................ 85

Section 2 : La prise en charge des dommages par l’assureur du responsable.................. 86

I- L’ASSURANCE SUR CORPS.............................................................................. 87 II- L’ASSURANCE SUR FACULTES ...................................................................... 88 III- L’ASSURANCE DE RESPONSABILITE : ENTRE POLICES FRANCAISES ET P&I CLUB .......................................................................................... 89

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CHAPITRE 2 : L’EPAVE DE NAVIRE.............................................................................. 91

I- LA NOTION D’EPAVE DE NAVIRE.................................................................. 91 A) La notion d’épave maritime ....................................................................................... 92 B) Définition de l’épave de navire .................................................................................. 92 1) La condition matérielle : l’état de non-flottabilité ................................................... 93 2) La condition « psychlogique » : l’abandon.............................................................. 93 II- LA RESPONSABILITE DU PROPRIETAIRE DE L’EPAVE DE NAVIRE............................................................................................................................. 94 A) Sources de la responsabilité et obligations du propriétaire de l’épave ...................... 94 B) Controverses sur la limitation de responsabilité du propriétaire de

l’épave ..................................................................................................................................... 95 CONCLUSION....................................................................................................................... 98 BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................... 100 ANNEXES ............................................................................................................................... 104 TABLE DES MATIERES ....................................................................................................... 116 RESUME/SUMMARY............................................................................................................ 121

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RESUME Malgré les efforts faits dans le but de réduire les accidents en mer, l’amélioration des mesures de sécurité et les progrès technologiques en matière d’aides à la navigation, il est impossible, compte tenu des aléas de la navigation, d’éviter complètement les naufrages de navires. C’est principalement à cause de ces aléas qu’il a été accordé aux armateurs et transporteurs, la possibilité de limiter leur responsabilité. Mais avant même d’évoquer la limitation de responsabilité, il est de plus en plus difficile d’identifier les véritables responsables, notamment en cas de naufrage. Plusieurs facteurs tiennent à cela : l’ambiguïté des contrats de transport, le développement de la sous-traitance en matière maritime, l’apparition de nouveaux personnages qui se comportent comme de véritables transporteurs, l’évolution des structures armatoriales par le jeu des consortiums et des alliances, et la liste n’est pas exhaustive. Lorsqu’on arrive à identifier les responsables, ceux-ci peuvent être tenus à l’égard de leurs créanciers de plusieurs manières : soit contractuellement, soit délictuellement, soit enfin pénalement. Et selon les cas, la responsabilité du transporteur ou de l’armateur sera présumée ou consistera soit, en une responsabilité de plein droit, soit en une responsabilité pour faute prouvée. En cas de reconnaissance de responsabilité, il va falloir procéder à la réparation des dommages. Celle-ci se fait en général par le biais des assurances et tiendra compte de la limitation de responsabilité du transporteur ou de l’armateur. Enfin, les droits et obligations du propriétaire ne s’éteignent pas avec le naufrage du navire ; ils se prolongent sur l’épave. Tels sont les différents thèmes qui seront abordés dans ce mémoire. SUMMARY Despite all the efforts made to reduce accidents at sea, improvements in measures and technological progress in the shipping industry, it is impossible, considering the risks implied by the navigation at sea, to avoid shipwrecks. It is mainly because of these risks, that the limitation of liability was granted to the carriers and the shipowners. Concerning the liability aspect, it is more and more difficult to identify the responsible party, particularly in case of shipwreck, in view of the following factors: contracts of carriage are ambiguous, the superposition of Charter-party and bills of lading contracts, appearence of new shipping actors, whith the containerization and combined transport, who act in capacity

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as carriers, the development of single ship companies, or alternatively the multiplication of consortiums and joint-ventures etc... Once the responsible party is identified, they can be sued by claimants who contracted with them or by any party suffering prejudice following the shipwreck, either before the Civil and Commercial jurisdictions or before Criminal Court. When the carrier or the shipowner are condemned to paid, either by court decision or as a result of an amicable settlement, the maritime insurance industry (P&I Club and H&M) compensate the insured or directly the victims in accordance with the terms of their policy. Finally, the shipowner also have rights and obligations on the wreck itself. These different themes will be study in this dissertation.