Upload
veroniqueboissay
View
140
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
Afrique CFA : 2 400 F CFA, Algrie : 200 DA, Allemagne : 5,50 , Antilles-Guyane : 5,50 , Autriche : 5,50 , Belgique : 5,40 , Canada : 7,50 $C,
Espagne : 5,50 , Etats-Unis : 7,50 $US, Grande-Bretagne : 4,50 , Grce : 5,50 , Hongrie : 1835 HUF, Irlande : 5,50 , Italie : 5,50 , Luxem-
bourg : 5,40 , Maroc : 30 DH, Pays-Bas : 5,50 , Portugal (cont.) : 5,50 , Runion : 5,50 , Suisse : 7,80 CHF, TOM: 780 CFP, Tunisie : 5,90 DT.
perception globalement ngative dg-
nrant en caricature relve dune tradition
bien ancre.
Elle sappuie tantt sur des analyses qui
soulignent la compulsion totalitaire et
mensongre de la culture russe (2),
tantt sur la continuit suppose entre
Joseph Staline et M. Vladimir Poutine
un thme pris des ditorialistes franais
et des think tanks noconservateurs amri-
cains (3). Elle trouve son origine dans les
rcits des voyageurs europens de la
Renaissance, qui opraient dj un rappro-
chement entre les Russes barbares et
les farouches Scythes de lAntiquit (4).
Les vnements de Madan Kiev
offrent un exemple des inconvnients
analytiques quinduit cette dmonologie.
Divise linguistiquement et culturellement
entre Est et Ouest, lUkraine ne peut
garantir ses frontires actuelles quen
maintenant un quilibre ternel entre Lviv
et Donetsk, symboles respectifs de son
ple europen et de son ple russe.
(Lire la suite page 18.)
(Lire la suite page 10.)
(Lire la suite page 4.)
ILS sont quatre, un peu lcart du dernier rond-point qui
mne par une petite route un poste de gardiennage. Ils ne
lchent pas des yeux la vingtaine de militants de la Confd-
ration gnrale du travail (CGT) qui, par ce petit matin de janvier,
frigoris et les bras chargs de tracts, attendent lembauche
des centaines de travailleurs de limmense chantier voisin.
Une premire camionnette approche. Des syndicalistes
larrtent, interrogent les ouvriers sur leur origine, tendent des
tracts en portugais. Malgr la barrire de la langue, un change
sur leurs droits sengage travers la fentre entrouverte.
Aussitt, les quatre hommes sapprochent. Je vous demande
de circuler, lance le plus g, menaant. Vous navez pas leur
parler. Entrez sur le chantier. Les syndicalistes repoussent
nergiquement le quarteron, qui se remet lcart.
A chaque nouvelle camionnette arrte, les quatre individus
notent le numro dimmatriculation, prennent discrtement des
photos, chuchotent dans un Dictaphone. La scne se passe en
2014, en France. A Loon-Plage, plus prcisment : un no mans
land balay par un vent glacial, au bord de la mer du Nord.
On dcouvrira que lhomme agressif nest autre que le
responsable du chantier du terminal mthanier dElectricit de
France (EDF) ; les trois autres, ses sbires. Tous refusent de
rpondre nos questions. L, on est sur un rond-point public,
glisse M. Marcel Croquefer, dlgu CGT de Polimeri Europa
France. Vous imaginez ce qui se passe lintrieur du site?
Effectivement, il vaut mieux avoir de limagination pour
savoir ce qui se passe sur le deuxime plus grand chantier de
France derrire celui du racteur pressuris europen (EPR)
de Flamanville. Le dossier de presse produit par le matre
duvre, Dunkerque LNG (liale dEDF), dat du 19 fvrier 2014,
annoncemille trois cent trente-sept salaris : 95%dEuropens,
dont un tiers originaires du Nord-Pas-de-Calais. Mais si les
syndicalistes se sont dplacs avec leurs tracts en langues
trangres, cest quils savent quici les travailleurs viennent
majoritairement dItalie, du Portugal et de Roumanie.
5,40 - Mensuel - 28 pages N 721 - 61
e
anne. Avril 2014
DL IRE PART ISAN DANS LES MDIAS AMRICA INS page 12
LINTERNATIONALE
DU SOUS-TITRAGE
AMATEUR
PAR MLANIE BOURDAA
ET MONA CHOLLET
Page 27.
S O MM A I R E C OM P L E T E N PA G E 2 8
Avec lannexion de la Crime au territoire russe, entrine
le 18 mars par M.Vladimir Poutine, et les sanctions dcrtes
lencontre du Kremlin, la crise ukrainienne a pris les dimen-
sions dun sisme gopolitique. Comprendre ce conit implique
dintgrer les points de vue concurrents de tous les acteurs.
Mais, dans les chancelleries occidentales, les proclamations
morales supplantent souvent lanalyse.
LES BONS, LA BRUTE ET LA CRIME
Lobsession
antirusse
PAR OLIVIER ZAJEC *
* Charg de recherche lInstitut de stratgie
compare (ISC), Paris.
DES CHOIX FONDAMENTAUX TROP LONGTEMPS DIFFRS
Quel cap pour la Tunisie ?
PAR SERGE HALIMI
PUISQUE les rvoltes arabes nont connu
de dveloppements heureux ni en Egypte,
ni en Syrie, ni en Libye, la Tunisie est
devenue dans la rgion le refuge de ceux
qui cherchent une raison desprer.Aucune
des aspirations sociales lorigine du soul-
vement de dcembre 2010 ny a t satis-
faite. Mais, aprs une interminable crise
politique, le pays, qui a frl le pire avec
lassassinat de deux dputs de gauche
lanne dernire (1), vient de se doter dune
nouvelle Constitution, approuve par deux
cents dputs sur deux cent seize, et dun
gouvernement dunion nationale compos
de technocrates. Les tensions ont baiss dun
cran, un tat de grce sest install.
CES dernires semaines, le traitement
mdiatique des vnements en Ukraine en
a apport la confirmation : pour une partie
de la diplomatie occidentale, les crises ne
trahissent plus une asymtrie entre les
intrts et les perceptions dacteurs dous
de raison, mais constituent autant daffron-
tements ultimes entre le Bien et le Mal o
se joue le sens de lhistoire.
La Russie se prte merveille cette
scnarisation, qui a le mrite de la
simplicit. Pour nombre de commenta-
teurs, cet Etat barbare gouvern par les
Cosaques a la semblance dun ailleurs
semi-mongol tenu par les pigones du
KGB, qui ourdissent de sombres complots
au service de tsars nvrotiques barbotant
dans les eaux glaces du calcul goste (1).
Reclus, coups de leur poque, ces
autocrates dplacent lentement des pions
sur de grands chiquiers divoire au lieu de
lire The Economist. De temps en temps,
ils coulent un sous-marin nuclaire pour
le plaisir de polluer la mer de Barents, en
attendant de susciter un rfrendum illgal
dans leur tranger proche an de recons-
tituer lURSS.
Si on rassemble les lieux communs parus
sur ce thme dans la presse occidentale
pas seulement depuis le dbut de la crise
ukrainienne, mais depuis quinze ans , ce
chromo folklorique est peu prs ce que
le lecteur ordinaire retiendra de la politique
de lactuelle Fdration de Russie. Cette
Changement de personnel : du 22 au
25 mai 2014, les Europens liront leurs
dputs, un scrutin qui influera sur le choix
du prochain prsident de la Commission.
Mais lUnion abandonnera-t-elle pour autant
une feuille de route politique qui, pour
lheure, se caractrise par lorganisation du
dumping social ?
PAR G ILLES BALBASTRE *
DOSSIER : LA MACHINE BRUXELLOISE SEMBALLE
Travail dtach,
travailleurs enchans
* Journaliste.
GALERAMARLBOROUGH,MADRID
JUAN GENOVS. Escalada (Echelle), 2012
(1) Bernard-Henri Lvy, Lhonneur des Ukrai-
niens, Le Point, Paris, 27 fvrier 2014.
(2)Alain Besanon, Sainte Russie,Editions de Fallois,
Paris, 2014.
(3) Steven P. Bucci, Nile Gardiner et Luke Coffey,
Russia, the West, and Ukraine : Time for a strategy
not hope , Issue Brief, n
o
4159, The Heritage
Foundation, Washington, DC, 4 mars 2014.
(4) Cf. Stphane Mund, Orbis Russiarum, Droz,
Genve, 2003.
Ladoption, le 26 janvier dernier, dune nouvelle Constitution a provoqu
une dtente politique enTunisie. Les questions relatives au statut des femmes,
au rle du sacr, la libert de conscience tant tranches par ce texte, les
grands arbitrages conomiques auraient pu dominer la vie publique. Mais,
sur ces sujets-l, les principaux partis peinent dnir leur stratgie.
Les adversaires des islamistes dEnnahda
craignaient quils ne sincrustent dans
lappareil dEtat, jetant ainsi les bases
dune nouvelle dictature. En dnitive, ils
ont quitt le pouvoir aussi paciquement
quils lavaient obtenu, poliment invits
dgager par le Fonds montaire inter-
national (FMI), lAlgrie, les pays
occidentaux (dont la France), la grande
centrale syndicale, le patronat, la gauche
rvolutionnaire, le centre droit, la Ligue
des droits de lhomme...
Sans doute ont-ils cd la pression
aprs avoir compris que leur bilan tait
peu prometteur et le rapport de forces inter-
national dfavorable lislam politique,
affaibli enTurquie et vinc manu militari
de la prsidence gyptienne. De nouvelles
lections doivent intervenir en Tunisie
avant la n de lanne 2014 (article 148
de la Constitution). La rvolution nest
plus lordre du jour. Mais le pays peut
se remettre croire quil parviendra
construire son petit bonheur dans unmonde
arabe o cette denre est trs recherche.
(1) Lire Islamistes au pied du mur, Le Monde
diplomatique, mars 2013.
AVRIL 2014 LE MONDE diplomatique
2
Coducation
M
me
Jeanne Dion, du Groupe fran-
ais dducation nouvelle dIle-de-
France, ragit larticle Limites de
la coducation (Le Monde diploma-
tique, mars 2014) :
Que nous le voulions ou non, les parents
sont, avec les enseignants, les coducateurs
objectifs et premiers des enfants. () Il ne
sest jamais agi de dlguer aux familles la
responsabilit de suppler aux manques de
linstitution : cest tout le contraire que nous
avons vcu avec des familles, lesquelles ont
assum la dfense de lcole en connais-
sance de cause, car associes aux contenus
et pratiques mis en uvre dans ltablisse-
ment. Ainsi, certains responsables hirar-
chiques ont manifest leur tonnement quant
largumentation circonstancie et claire
que les familles leur ont oppose lors de
dmarches exigeant les moyens indispensa-
bles au bon fonctionnement dune cole
dont ils partageaient et comprenaient le pro-
jet de faire russir tous les enfants.
Espagne
La carte du poids lectoral
des droites extrmes en Europe
(mars 2014) suscite la raction de
M. Jos Kovensky :
Pour lEspagne, seul le pourcentage inme
de voix dun parti nationaliste catalan a t
retenu. Or le Parti populaire (PP) espagnol
nest pas seulement de droite : ce parti
contient lextrme droite fasciste et ultra-
catholique. On le voit trs bien dans le cas
des modications proposes au droit lavor-
tement. Les voix de lextrme droite espa-
gnole sont chercher galement dans une
partie non ngligeable des voix PP. Un peu
comme si en France on avait un parti Union
pour un mouvement populaire (UMP)-Front
national (FN). Je ne connais pas la situation
dans les autres pays, mais, au vu de la carte,
on pourrait sous-estimer limportance des
ides ultranationalistes en Espagne.
Financement participatif
M. Jrmie Fabre estime que larticle
Tous producteurs (mars 2014) aurait
pu intgrer une dimension suppl-
mentaire:
Comment revenir sur ce quest le nan-
cement participatif (ou crowdfunding) sans
voquer une seule fois le cas du jeu
vido? () Il aurait t intressant de met-
tre en lumire le lien quon peut tablir entre
nancement participatif et actionnariat, le
premier rassemblant nombre des avantages
sans les inconvnients du second. En effet, si
les investisseurs participatifs misent sur une
ide, ils ne visent pas un seuil de rentabilit
et nont aucun moyen de pression sur la
crativit des dveloppeurs (contrairement
aux grandes majors du jeu vido, soumises
leurs actionnaires).
14 EUROS PARMOIS
Grandes bnciaires des abenomics
la nouvelle politique conomique
du premier ministre japonais Abe
Shinzo , les multinationales
exportatrices ont, parat-il, rpondu
lappel du gouvernement (International
NewYork Times, 12 mars).
Toyota a dclar quil augmenterait
le salaire de base mensuel moyen des
travailleurs syndiqus [en contrat dure
indtermine] de 2700 yens [19 euros],
soit une hausse de 0,8%. Une premire
depuis 2008 chez le constructeur.
Le fabricant dlectronique Panasonic a,
lui, propos une hausse
de 2000 yens [14 euros].
RECONNAISSANCE
En octobre 2013, le patron de la socit
Amazon, M. Jeff Bezos, rachetait
le clbre quotidien TheWashington
Post. Quelques mois auparavant, il stait
illustr par sa conception singulire
de linformation (Extra !, mars).
Sur lordre de son propritaire,
Amazon a cess dhberger WikiLeaks
quelques heures aprs y avoir t invit
par le prsident du comit snatorial
pour la scurit intrieure Joe Lieberman
(...). Amazon venait dobtenir un contrat
pour hberger des donnes pour la CIA
[Central Intelligence Agency] valoris
environ deux fois ce que Bezos a pay
pour acheter leWashington Post.
Autrement dit : un mois aprs
que le comit ditorial du quotidien
eut somm [Edward] Snowden de cesser
de diffuser des documents concernant
lespionnage amricain (y compris
auWashington Post), le journal annonait
son rachat par un homme que cet
espionnage avait enrichi.
NOSTALGIE
A la faveur de la crise ukrainienne,
les nostalgiques des bataillons cosaques
(suppltifs de larme tsariste) rvent
de retrouver leur vocation de protecteurs
des frontires de lEmpire russe
(Nezavissimaa Gazeta, 2 mars).
Selon Nikola Kozitsyn, chef
de lorganisation la Grande Garde du Don,
(...) environ quatre cents Cosaques
ont dfendu le monastre de Sviatohirsk
(Donetsk). (...) Les Cosaques avaient
pour seules armes des matraques et des
fourches. Nous soutenons
les Berkout [police antimeute
ukrainienne], qui ont fait leur devoir (...),
et nous avons form un corridor de
Cosaques de part et dautre de la frontire
de la rgion de Rostov et de lUkraine.
ENFANCE
Plus de 8% des enfants latino-
amricains travaillent, et bon nombre
exercent des activits dangereuses,
dans des zones insalubres. Pourtant,
leur situation leur interdit parfois
de souhaiter une autre vie
(El Pas, 27 fvrier).
Les enfants boliviens ont surpris
le monde en demandant le blocage
dune loi visant leur interdire
de travailler. Aprs que leurs
manifestations eurent t violemment
rprimes par les forces de scurit
dans les rues de La Paz, le prsident Evo
Morales a accept de les rencontrer.
Il sest prononc pour le retrait du code
de lenfance et de ladolescence, une loi
labore dans lobjectif de leur garantir
le droit tudier et accder des services
de sant et dducation, mais qui,
dans sa version initiale, interdisait
de travailler aux mineurs de moins
de 14 ans.
Vous souhaitez ragir
lun de nos articles :
Courrier des lecteurs,
1, av. Stephen-Pichon 75013 Paris
Edit par la SA Le Monde diplomatique.
Actionnaires : Socit ditrice du Monde,
Association Gunter Holzmann,
Les Amis du Monde diplomatique
1, avenue Stephen-Pichon, 75013 Paris
Tl. : 01-53-94-96-01. Tlcopieur : 01-53-94-96-26
Courriel : [email protected]
Site Internet : www.monde-diplomatique.fr
Directoire: Serge HALIMI,
prsident, directeur de la publication
Autres membres : Vincent CARON, Bruno LOMBARD,
Pierre RIMBERT, Anne-Ccile ROBERT
Directrice des relations et des ditions internationales :
Anne-Ccile ROBERT
Secrtaire gnrale :
Anne CALLAIT-CHAVANEL
Directeur de la rdaction : Serge HALIMI
Rdacteur en chef : Pierre RIMBERT
Rdacteurs en chef adjoints :
Benot BRVILLE, Martine BULARD, Renaud LAMBERT
Chef ddition : Mona CHOLLET
Rdaction : Philippe DESCAMPS, Alain GRESH,
Evelyne PIEILLER,
Philippe REKACEWICZ (cartographie),
Anne-Ccile ROBERT
Site Internet : Guillaume BAROU
Conception artistique : Alice BARZILAY,
Maria IERARDI (avec la collaboration
de Delphine LACROIX pour liconographie)
Rdacteur documentaliste : Olivier PIRONET
Mise en pages et photogravure :
Jrme GRILLIRE, Didier ROY
Correction : Pascal BEDOS, Xavier MONTHARD
Directeur de la gestion : Bruno LOMBARD
Directeur commercial,
charg de la diffusion numrique : Vincent CARON
Contrle de gestion : Zaa SAHALI
Secrtariat : Yuliya DAROUKA (9621),
Sophie DURAND-NG, attache communication
et dveloppement (9674), Eleonora FALETTI (9601)
Courriel : [email protected]
Fondateur : Hubert BEUVE-MRY. Anciens directeurs :
Franois HONTI, Claude JULIEN, Ignacio RAMONET
Publicit : Anne BORROME (01-57-28-39-57)
Diffusion, mercatique : Brigitte BILLIARD, Jrme PONS,
Sophie GERBAUD, Marie-Dominique RENAUD
Relations marchands de journaux (numros verts) :
Diffuseurs Paris : 0805 050 147
Dpositaires banlieue /province : 0805 050 146
Service relations abonns
Depuis la France : 03 21 13 04 32 (non surtax)
www.monde-diplomatique.fr
Depuis ltranger : (33) 3 21 13 04 32
Reproduction interdite de tous articles,
sauf accord avec ladministration
ADAGP, Paris, 2014,
pour les uvres de ses adhrents.
Prix de labonnement annuel ldition imprime :
France mtropolitaine : 54
Autres destinations : www.monde-diplomatique.fr/abo
Informez-vous, abonnez-vous !
2 ans pour 99 au lieu de 129,60
*
, soit 23 % de rduction
1 an pour 54 au lieu de 64,80
*
, soit 16 % de rduction
M. M
me
Nom ......................................................................
Prnom ......................................................................
Adresse .................................................................
...............................................................................
Code postal
Localit ..................................................................
Courriel .................................................................
Rglement : Chque bancaire
lordre du Monde diplomatique SA
Carte bancaire
Numro de carte bancaire
Offre rserve la France mtropolitaine, valable jusquau 31/12/2014. En application de la loi informatique et liberts du 6 janvier 1978, vous bnficiez dun droit daccs et de
rectification des informations vous concernant (sadresser au service des abonnements). Ces informations peuvent tre exploites par des socits partenaires du Monde diplo-
matique. Si vous ne souhaitez pas recevoir de propositions de ces socits, merci de cocher la case ci-contre Le Monde diplomatique SA RCS Paris B400 064 291
Coordonnes : RMDMN1401PBA004
Signature
obligatoire
Expire fin
Notez les trois derniers chiffres du numro
inscrit au dos de votre carte
*Prixdeventeaunumro.
A renvoyer, accompagn
de votre rglement, ladresse suivante :
Le Monde diplomatique, service abonnements,
A 2300 - 62066 Arras Cedex 9 - France
Tl. : 03-21-13-04-32 (numro non surtax)
Plus simple et plus rapide :
retrouvez cette offre sur
www.monde-diplomatique.fr/abojournal
O
f
f
e
r
t
:
l
a
c
c
s
l
a
v
e
r
s
i
o
n
n
u
m
r
i
q
u
e
(
W
e
b
,
t
a
b
l
e
t
t
e
s
,
l
i
s
e
u
s
e
s
)
NOUVELLE LIVRAISON DE MANIRE DE VOIR
Tectonique des droites
C
OMME le souligne Martine Bulard
dans lditorial, ce numro de
Manire de voir (1) lance avant tout
un appel laudace sociale et politique
afin de rpondre la monte des droites
extrmes, lesquelles ont en commun une
conception ethniciste du peuple, une vision
excluante de la socit nourrie le plus
souvent dune aversion antimusulmane.
Reprenant des articles dj parus dans
Le Monde diplomatique ou indits, ce
recueil se divise en quatre parties propo-
sant autant dangles pour une analyse du
phnomne extrmiste de droite, sans
concessions ni la bien-pensance librale
ni la vulgate antifasciste.
Voici dabord la haine ordinaire, raciale,
religieuse ou ethnique, marqueur des
extrmes droites traditionnelles. En filigrane
dun article consacr la progression en
Norvge des ides qui ont conduit la tuerie
dUtya en 2011, ou dun autre consacr
la monte dun identitarisme juif (qui
gomme jusqu lide dune identit
isralienne plurielle), on dcouvre ce que
Dominique Vidal nomme lobsession de
construire une nation pure . Ceux qui la
portent peuvent tre antismites, comme le
montre CorinaVasilopoulou au sujet dAube
dore en Grce ; ils sont le plus souvent
hostiles la religion musulmane. Sur ce
sujet, on lira avec attention larticle que
Stefan Durand consacre dconstruire le
fascisme vert , cet ennemi absolu tho-
ris par les noconservateurs.
Lextrme droite mute et parvient
conqurir une nouvelle respectabilit. En
Flandre, en Italie et en Espagne, cest une
droite librale conservatrice dgage de la
filiation fasciste qui recycle dsormais la
conception ethnique de la nation, associe
un programme conomique et social ultra-
libral, mais arc-bout sur des valeurs
morales. Ce cocktail idologique ne fonc-
tionne pas uniquement en Europe : Chris-
tophe Jaffrelot signe un article passionnant
sur lhindutva, ce nationalisme hindou
quon appellerait chez nous identitaire et
qui pourrait prochainement gouverner
nouveau lInde.
En France, cest le Front national qui
incarne le national-populisme, produit du
renoncement de la gauche toute rupture
avec le libralisme, comme le soulignent
Christian de Brie et Serge Halimi. Pour le
vaincre, encore faut-il se dgager des mythes
qui obscurcissent encore son analyse, tel
celui du gaucho-lepnisme , forme
savante du prjug selon lequel, les
extrmes se rejoignant , le FN aurait rcu-
pr, pour un systme de vases communi-
cants, les anciens lecteurs communistes de
la classe ouvrire. Cest ce travail danalyse
du vote frontiste queffectuent Sylvain
Crpon et Jol Gombin en en mettant au
jour les trois piliers : les dgts de la dsin-
dustrialisation, la peur du dclassement et
les frustrations face aux ingalits crois-
santes quengendre la mondialisation.
De la dernire partie, consacre au
paravent culturel de ces droites extrmes,
on retiendra surtout larticle de Philippe
Pons sur le renouveau du nationalisme rvi-
sionniste japonais, et le texte fondamental de
Richard Hofstadter sur le style para-
noaque dans la politique amricaine,
extrait dun matre-livre qui mit trente-huit
ans trouver une traduction franaise.
Au terme de la lecture, une interrogation
surgit. On constate depuis les annes 1980
lchec des ripostes fondes sur lhypothse
dun retour de la peste brune . Si lex-
trme droite progresse, cest surtout parce
que la forme-capital, dans sa domination
absolue, empche de penser hors du cadre
libral. Le drame est quavec Alain de
Benoist la nouvelle droite , par exemple,
fait ce constat de la marchandisation du
monde et que la gauche, dans sa majorit, y
reste sourde.
JEAN-YVES CAMUS.
Chercheur associ lInstitut de relations
internationales et stratgiques (IRIS),
directeur de lObservatoire des radicalits politiques
(Fondation Jean-Jaurs).
(1) Nouveaux visages des extrmes droites ,
Manire de voir, n
o
134, avril-mai 2014, 100 pages,
8,50 euros.
COURRICOURRIER DES LER DES LECTECTEURSEURS
RECTIFICATIFS
Le crdit de la fresque de Diego Rivera illustrant
larticle Que viva Mexico ! (fvrier, pages 14
et 15) revient The BridgemanArt Library, et non
la Scala de Florence, comme indiqu par erreur.
Larticle Gopolitique du saut skis (fvrier,
pages 8 et 9) voque un diffrend territorial entre
le Japon et la Russie portant sur lle Sakhaline.
Le litige concerne en ralit les les Kouriles.
Dans larticle Limites de la coducation (mars,
page 5), latelier thmatique organis par le Groupe
franais dducation nouvelle et dirig par des
parents dlves tait dcrit comme une pratique
des annes 1980; il a en ralit lieu actuellement.
Larticle Un nouvel lan, mais pour quelle
Europe? (mars, pages 16 et 17) prte au Parle-
ment europen la facult dlire le prsident de la
Commission. Cest formellement exact, mais le
Parlement vote pour un candidat dsign par le
Conseil europen (lire page 18 de cette dition).
La carte de lextrme droite en Europe (mars,
page 19) comportait une erreur de colorisation :
avec un score cumul de 6,5%, lItalie aurait d
gurer en orange clair, comme la Sude, et non en
brun, comme la France.
Dans larticle Tous producteurs (mars,
page 27), le saxophonisteAlban Darche est incor-
rectement identi comme trompettiste.
LES RENCONTRES
DU MONDE DIPLOMATIQUE
A loccasion du 60
e
anniversaire
du journal, les 16 et 17 mai 2014,
un rendez-vous ne pas manquer
luniversit Paris-VIII,
amphi D001.
Une confrence inaugurale, suivie
dune journe dtudes, avec lquipe
du journal et de nombreux autres colla-
borateurs. En partenariat avec lins-
titut dtudes europennes de luni-
versit Paris-VIII et le conseil rgional
dIle-de-France.
Programme, informations
et inscriptions : www.amis.monde-
diplomatique.fr/rencontres
3LE MONDE diplomatique AVRIL 2014
LES TROPISMES DE LA POLITIQUE TRANGRE FRANAISE
Plus atlantiste que moi...
revenu dans le commandement militaire
de lOrganisation du trait de lAtlantique
nord (OTAN), de lavoir abandonn en
rase campagne dans sa croisade contre le
rgime syrien. Etonnant tte--queue :
moins va-t-en-guerre que M. Hollande,
M. Barack Obama qui vient par ailleurs
dannoncer laugmentation des salaires
des contractants de son administration
ajoute un peu de verroterie au portrait du
prsident socialiste en homme de droite.
Encourag par un ministre des affaires
trangres, M. Laurent Fabius, connu pour
son philoamricanisme, le chef de lEtat
franais termine luvre datlantisation de
la diplomatie nationale entame sous
FranoisMitterrand. Il imite, au nom de la
France, lintransigeance subtile des nocon-
servateurs amricains, dclarant vouloir
punir les terroristes du nord duMali
et militant pour loption militaire contre le
rgime de Damas. Aprs avoir fait capoter
la premire tape des ngociations avec
lIran (Genve II), Paris adopte face
Moscou une position de guerre froide :
soutien leuropanisation de lUkraine,
reconnaissance du pouvoir issu de la rvolte
de cet hiver, aide apporte celui-ci,
abandon de laccord du 21 fvrier prvoyant
un gouvernement dunit nationale et une
nouvelle Constitution. Puisant dans un
dictionnaire qui ne comporte apparemment
quune page, M. Fabius rpte qui veut
bien lentendre que la situation est
difficile et quil faut semontrer ferme.
PAR ANNE -CCILE ROBERT
En adoptant une ligne intransigeante vis--vis de la Syrie,
de lIran ou de la Russie, la France achve une mue
diplomatique entame sous la prsidence de Franois
Mitterrand. Paris se met dsormais au diapason dune
Union europenne qui est depuis sa cration tourne vers
Washington, et abandonne lambition dincarner une voix
originale sur la scne internationale.
DISCRETS, les btiments de la dl-
gation de lUnion europenne (DUE)
Washington se fondent dans le dcor
banal dun quartier daffaires. A peine la
faade arbore-t-elle le drapeau bleu
marial aux douze toiles (1) pour signaler
au visiteur la plus ancienne reprsen-
tation de la communaut europenne
ltranger (1954). A quelques cen-
taines de mtres plus au nord, en ce
11 fvrier 2014 la capitale amricaine se
prpare avec faste la visite dEtat du
prsident Franois Hollande. Les couleurs
de la France flottent le long des rues au
rythme dun tendard tous les cinquante
mtres. Ce soir, la Maison Blanche met
les petits plats dans les grands pour un
dner officiel de trois cents convives,
qualifi de dispendieux par une presse
locale un peu interloque.
Ce contraste ne surprend gure
M. Franois Rivasseau, chef adjoint de la
DUE, dont aucun reprsentant na t
convi aux festivits franco-amricaines.
Les grands Etats conservent videmment
leur politique bilatrale, admet-il. Voici
donc la France dans un rle jadis dvolu
au Royaume-Uni, celui de premier
lieutenant des Etats-Unismettant goulment
en scne sa relation spciale avec
Washington, alors que le signal ukrainien
grossit sur les crans radars des diplomates.
De son ct, le prsident amricain
souhaite consoler son alli, frachement
spectaculaires en Asie et les difficults
que traverse lOccident, beaucoup dob-
servateurs nont pas peru la reconfigu-
ration de lespace atlantique, crit la
Commission. Le lien Amrique du Nord -
Europe demeure le lien le plus fort qui
existe entre deux continents (7).
Tous les lments sont lis et conus
en cohrence. Le commerce mondial
ralentirait si les Etats-Unis ne garantis-
saient pas la scurit des acteurs ,
confirme ainsi avec simplicit M.Volker.
Mais une telle vision est-elle compatible
avec le renforcement de lidentit de
lEurope et [de] son indpendance prvu
par le prambule il est vrai sans valeur
contraignante du trait de Lisbonne?A
quelques dizaines de mtres de la
dlgation de lUnion Washington, dans
les bureaux cossus du German Marshall
Fund of the United States (GMF), un think
tank amricain cr avec des fonds
allemands, M.Andrew Fishbein stonne
de la question: Alors que saffirme lAsie,
nos intrts sont les mmes. Nous avons
en outre des valeurs communes, comme
la dmocratie et la dfense des socits
civiles qui promeuvent les droits de
lhomme.
Ces formules creuses qui reviennent
dans la bouche de la plupart de nos inter-
locuteurs jettent une lumire crue sur
linexistence politique des Vingt-Huit.
Pour Washington, le partenariat avec
lEurope constitue lune des mchoires
de la tenaille qui, avec les accords nous
dans le Pacifique, doit contenir la fois
la Russie et la Chine. Pour les Europens,
dont lunit repose en premier lieu sur la
promotion de lconomie de march et du
libre-change, lobjectif stratgique parat
plus nigmatique.
destin analyser les volutions fonda-
mentales du bassin atlantique en termes
conomiques, scuritaires, institutionnels
et environnementaux. Obnubils par le
contraste entre les taux de croissance
Les Nations unies prises en otage
(1) Concepteur du drapeau,Arsne Heitz a reconnu
stre inspir des douze toiles qui entourent la
couronne de la Vierge Marie.
(2) Groupe Marly, La voix de la France a disparu
dans le monde, Le Monde, 22 fvrier 2011.
(3) Francis Gutmann, Changer de politique. Une
autre politique trangre pour un monde diffrent?,
Riveneuve Editions, Paris, 2011.
(4) Francis Gutmann, Une France fcheusement
partisane, Observatoire de la dfense et de la scurit,
21 janvier 2014, www.espritcorsaire.com
(5) Lire LoriWallach, Le trait transatlantique, un
typhon qui menace les Europens, Le Monde diplo-
matique, novembre 2013.
(6) Dclarations officielles de politique trangre
du 19 fvrier 2014, ministre des affaires trangres,
Paris, www.diplomatie.gouv.fr
(7) Programme Atlantic Future, www.atlantic-
future.eu
(8) Dans ce jeu pratiqu par les enfants, les uns (les
Vingt-Huit) doivent atteindre un point sans tre reprs
et demeurer immobiles si le joueur dsign, qui regarde
ailleurs (la Russie), se retourne vers eux.
Dans le vaste ventail de buts communs,
parmi lesquels la paix, la dmocratie et la
scurit, cest surtout lessor de lconomie
de march et du libre-change (lire notre
dossier pages 17 21) qui domine une
relation diplomatiquement dsquilibre :
partenariat conomique transatlantique
(1998), accord-cadre sur un nouveau parte-
nariat conomique et cration du Conseil
conomique transatlantique (2007).
Laccord de partenariat transatlantique
(APT), en cours de ngociation (5), est
le dernier rejeton libral du couple euro-
amricain, dont la Commission encourage
la lune de miel permanente. Lambas-
sadeur de lUnion Washington, le
Portugais Joo Vale de Almeida, ne
mnage pas ses efforts pour convaincre
les lus du Congrs, qui en craignent les
effets sur lemploi dans leurs Etats, des
bienfaits de lAPT. A Paris, le ministre
dlgu charg des affaires europennes,
M. Thierry Repentin, banalise la position
franaise : La France a toujours soutenu
le principe dun accord de libre-change.
Ct gopolitique, il affirme : Dans la
perspective du prochain sommet de
lOTAN, prvu en septembre 2014, nous
veillerons renforcer le partenariat entre
lUnion et lOTAN (6).
Vice-prsidente duTransatlantic Council,
un think tank trs guerre froide cr en
1961, M
me
Frances Burwell simpatiente
de la conclusion dfinitive de laccord,
car, dit-elle, il permettra lensemble
atlantique (40% du commerce mondial)
de fixer les normes conomiques pour
le monde entier . Les changes entre les
deux rives reprsentent environ 1,7 milliard
deuros par jour, chacun tant le premier
partenaire de lautre. La relation trans-
atlantique est un paquebot de luxe prcd
par des croiseurs commerciaux qui
cherchent projeter coups de traits les
intrt euro-amricains dans le monde.
Au-del des phrases convenues sur la
dmocratie et les droits de lhomme, les
accords ngocis par lUnion avec les pays
de lEst, comme lUkraine, sont dailleurs
avant tout des accords de libre-change.
Vue de Washington, lide dune Europe
sociale parat encore plus fumeuse que
sur le Vieux Continent.
La notion de relation transatlantique
sentend dsormais au sens large ,
explique M
me
Heather Conley, ancienne
sous-secrtaire dEtat aux relations avec
lEurope. Prenant pour repre les deux
rives de locan, elle englobe lensemble
des territoires des Etats-Unis et desVingt-
Huit. Concrtement, elle stend, douest
en est, de la Californie la Lituanie et, du
nord au sud, du Groenland jusqu laTerre
de Feu et lAfrique du Sud. Cest dans
cet esprit que la Commission a lanc, en
janvier 2013, un programme spcial
AQUELLE vision gopolitique cette atti-
tude correspond-elle? Aucune, estime un
diplomate qui voit dans lattitude des
dirigeants franais unmlange de paresse
intellectuelle et de mconnaissance de
lhistoire nationale. En 2011, certains de
ses confrres dnonaient dj limpul-
sivit, lamateurisme et la proccu-
pation mdiatique des locataires du Quai
dOrsay (2). Une politique extrieure ne
saurait tre faite dimprovisation, crivait
de son ct lancien ambassadeur Francis
Gutmann en 2011.Elle implique une vision
prospective (ce nest pas le matin mme,
son rveil, Phnom Penh, quavant de
prononcer son discours sur le Vietnam le
gnral de Gaulle sest demand ce quil
allait dire plus tard au stade) (3). A
propos de lUkraine, celui qui fut gale-
ment secrtaire gnral du ministre des
affaires trangres dcrit une France
fcheusement partisane (4). Sil fut
mdiateur dans le conflit en Gorgie en
2008, Paris laisse dsormais ce rle stra-
tgique lAllemagne, lie Washington
depuis 1945, mais aussi partenaire cono-
mique privilgi de Moscou.
Face une politique trangre et de
scurit commune (PESC) qui rduit la
diplomatie des Vingt-Huit, diviss peu
prs sur tout, de vagues dclarations
dintention sur la prservation de la paix
ou la prvention des crises, le leadership
des Etats-Unis simpose comme le plus
petit dnominateur commun. M. Kurt
Volker, ex-ambassadeur amricain auprs
de lOTAN rencontr Washington, ne
cache pas sa satisfaction : depuis la
normalisation de la politique franaise,
les rapports euro-atlantiques sont devenus
plus sains . Rpublicain, il regrette
que le prsident Obama naffirme pas
davantage son autorit sur des allis
europens quil trouve pinailleurs et
timors. Heureusement, avec lintervention
en Libye, la France et le Royaume-Uni ont
dmontr leur capacit prendre leur part
du fameux fardeau de la dfense
commune, jouant le rle de bras arm dune
communaut internationale sous
domination occidentale. Prives de ltat-
major intgr, pourtant prvu par leur
charte fondatrice mais jamais mis en place,
les Nations unies se retrouvent prises en
otage par lAlliance.
Le tropisme atlantique de lUnion
europenne ne constitue videmment pas
unemutation gntique impromptue. Lint-
gration communautaire nat avec la
bndiction des Etats-Unis et sous leur
parapluie militaire, alors que commence la
guerre froide. Washington est, en 1952, la
premire capitale reconnatre la Commu-
naut europenne du charbon et de lacier
(CECA). Le lien ne sest jamais distendu:
le premier titulaire du poste de haut
reprsentant pour la PESC de lUnion fut
lancien secrtaire gnral de lOTAN Javier
Solana. Son successeur nest autre que
M
me
Catherine Ashton, dont la nationalit
britannique ne peut que ravir la Maison
Blanche. Nomme par les vingt-huit chefs
dEtat et de gouvernement, elle est la fois
vice-prsidente de la Commission et chef
du Service europen pour laction extrieure
(SEAE) cr par le trait de Lisbonne.
Jusquaux annes 1980, Paris pro-
mouvait la perspective dune Europe
europenne, troisime voie entre les
deux superpuissances russe et amricaine.
Malgr lopposition franaise exprime
avec constance jusqu Mitterrand , tous
les traits confirmrent lattachement
lOTAN dune Union psychologiquement
dpendante des Etats-Unis, selon
lexpression dun haut fonctionnaire
europen Washington qui prfre garder
lanonymat. Au moment o se disloquait
le bloc sovitique, le prsident amricain
et ses homologues europens ont raffirm,
travers la dclaration transatlantique de
1990, leur accord stratgique et la ncessit
de lapprofondir.
LOncle Sam force les Occidentaux signer le pacte atlantique
(journal satirique sovitique Krokodil, 1949)
wwwwww..mmoonnddee--ddiipplloommaattiiqquuee..ffrr//aarrcchhiivveess
60 annes darchives
plus de 700 numros du journal
plus de 400 cartes
plus de 50 000 documents
accessibles en ligne grce
un puissant moteur de recherche
Abonnez-vous !
AACCCCDDEEZZ LLIINNTTGGRRAALLIITT
DDUU MMOONNDDEE DDIIPPLLOOMMAATTIIQQUUEE DDEEPPUUIISS SSAA CCRRAATTIIOONN
Aucune vision stratgique
EN intervenant directement dans la poli-
tique ukrainienne, la Russie rappelle son
appartenance lEurope des puissances
occidentales qui cherchent sous la houlette
des Etats-Unis la repousser vers lAsie.
Au-del de ses intrts nationaux bien
compris, Berlin se montre rticent une
perspective qui heurte la fois lhistoire et
la gographie. Plonge depuis sa naissance
dans le grand bain atlantique, dsormais
entendu au sens large, lUnion pntre
le limes russe avec la lgret de llphant
et le regard perant de la taupe.
Non seulement lUnion ne dispose
daucune vision stratgique de ses intrts
continentaux, mais rien nindique quelle
envisage den construire une. Pis, elle ne
craint pas de contredire les quelques
principes quelle a laborieusement adopts.
Ainsi sa politique dite de voisinage
doit-elle officiellement contribuer stabi-
liser leVieux Continent dans la paix. Mais
le soutien apport lextension de
lAlliance atlantique sur le continent, la
volont affiche dtendre lUnion aux
Balkans occidentaux, en poussant par
exemple Belgrade sloigner deMoscou,
la signature annonce dun accord
dassociation traditionnelle antichambre
de ladhsion lUnion avec Kiev
risquent de contredire quelque peu cette
noble ambition.
Si M. Vladimir Poutine est un adepte
du recours la force, quil considre
comme un outil normal de politique
trangre, il sest malgr lui retrouv dans
une sorte dun, deux, trois, soleil ! (8)
avec Bruxelles. Aprs des annes deffa-
cement russe, il ne peut que constater les
progrs atlantistes vers ses frontires.
Faussement nave, lUnion, parvenue
jusqu Madan, nie son activisme comme
un enfant qui triche.
THEBRIDGEMANARTLIBRARY
(1) Maurice Thorez fut secrtaire gnral du Parti communiste
franais de 1930 1964.
4
Ces vingt dernires annes, la Rpublique a
connu une forme particulire de dveloppement,
souvent qualie de pluralisme oligarchique .
Beaucoup dhommes daffaires, qui ont construit
dimmenses fortunes en rachetant vil prix les mines
ou les usines privatises aprs la n de lURSS, se
sont engags en politique. Des ngociants en
ptrole ou en gaz peuvent ainsi devenir ministres,
ou prendre la tte de grandes administrations
publiques. Lancienne premire ministre Ioulia
Timochenko, gure de la rvolution orange de
2004, leve par les Occidentaux au rang demartyre
aprs son emprisonnement en aot 2011, a elle-
mme fait fortune dans lindustrie gazire.
Des carrires se btissent entre les affaires et le
service de lEtat. Dautres puissants entrepreneurs
se contentent dune position plus discrte, nanant
les campagnes dhommes politiques chargs de
reprsenter leurs intrts et qui deviennent ainsi
leurs obligs. Ce systme, qui sest formalis sous
la prsidence de M. Leonid Koutchma (1994-2005),
suppose une recomposition permanente, en
fonction des intrts concurrents de ces puissants,
de leurs alliances et de leurs ruptures.
A deux pas du Donbass Palace, au sommet
de limmeuble cossu qui accueille les siges de
Metinvest et de DTEK, deux des socits de
M. Akhmetov, figurait lenseigne lumineuse de
Mako, la holding enregistre en Suisse par
M. Ianoukovitch fils pour exporter le charbon
ukrainien. Quelques jours aprs la chute du pre,
elle a t discrtement dmonte, signe que
lalliance unissant le matre du Donbass et les
hommes du prsident avait fait long feu.
Ds 2010, le prsident Ianoukovitch, considr
depuis les annes 1990 comme le reprsentant
politique des intrts du clan de Donetsk, avait
dcid de prendre une certaine autonomie face
son puissant protecteur. Il avait plac ses hommes
de confiance les membres de sa famille ,
comme les Ukrainiens lont rapidement appele
aux postes-cls de lEtat. Parmi eux, M. Serhiy
Arbouzov, considr comme son banquier
personnel, a pris la tte de la banque centrale fin
2010. Il a t brivement dsign premier ministre
au plus fort de la crise, le 28 janvier dernier, aprs
le dpart de M. Mykola Azarov. Le prsident
Le charbon extrait des kopanki tait cd
bas prix aux mines publiques, puis revendu par
celles-ci au prix du march, raconte M. Anatoly
Akimochin, vice-prsident du syndicat indpendant
des mineurs dUkraine. A ces prots venaient
sajouter les subventions accordes par le gouver-
nement pour maintenir articiellement la solvabilit
des mines publiques. Une bonne part de ces
sommes disparaissait dans les poches des hommes
du rgime, glisse M. Akimochin. Selon les experts
nationaux, 10 % du charbon produit ces dernires
annes dans le pays venait de ces exploitations
illgales. Derrire ce rseau se prole lombre de
M. Alexandre Ianoukovitch, le ls an de lancien
prsident, qui avait pris ainsi le risque dentrer en
concurrence avec les propritaires des mines priva-
tises, au premier rang desquels M. Akhmetov.
Une rvolution? Non, une simple redistribution
des cartes. Le sociologue Volodymyr Ishchenko,
directeur du Centre pour les recherches sur la
socit de Kiev, ne cache pas son amertume,
quelques semaines aprs la fuite de M. Ianouko-
vitch et linstauration dun nouveau rgime. Ce
gouvernement dfend les mmes valeurs que le
prcdent : le libralisme conomique et lenri-
chissement personnel. Toutes les rbellions ne sont
pas des rvolutions. Il est peu probable que le
mouvement de Madan permette des changements
profonds et puisse ainsi prtendre au titre de
rvolution. Le candidat le plus srieux llection
prsidentielle du 25 mai nest autre que M. Petro
Porochenko, le roi du chocolat, lun des hommes
les plus riches du pays Alors que des manifes-
tants tombaient encore sous les balles Madan, la
place de lIndpendance, picentre de la colre
populaire depuis le 22 novembre, une trange
transition se ngociait dans quelques antichambres
avec les puissants hommes daffaires qui ont pris
le contrle de lUkraine.
sappuyait galement sur M. Vitali Zakhartchenko,
un proche ami de son fils Alexandre, quil nomma
la tte de ladministration fiscale en dcem-
bre 2010, avant de le propulser ministre des affaires
trangres en novembre 2011. Enfin, il fit le choix,
ds son arrive au pouvoir, de favoriser les affaires
dun autre homme dinfluence, M. Dmytro Firtach,
qui a un temps dtenu le monopole de limpor-
tation de gaz russe, avant de se diversifier dans la
chimie et le secteur bancaire. M. Zakhartchenko
sest enfui en Russie, tandis que M. Firtach a t
arrt Vienne le 13 mars.
La famille a aussi favoris lapparition du
groupe dit des jeunes oligarques, dont M. Serhiy
Kourtchenko tait ltoile montante. Ce trs jeune
homme (il est n en 1985 Kharkiv), quali par la
presse de rvlation du monde des affaires en
2012, est le propritaire de la compagnieGazUkraine,
qui contrlait 18 % du march du gaz liquide tout
en ralisant un chiffre daffaires global de 10milliards
de dollars. M. Kourtchenko sest offert en 2012 la
rafnerie dOdessa ainsi que le club de football de sa
ville natale, le Metalist Kharkiv. Cette fulgurante
ascension repose avant tout sur les relations troites
quil entretenait avec le ls de lancien procureur
gnral Viktor Pchonka, autremembre minent de la
famille. En acqurant la rafnerie dOdessa, le
jeune propritaire deGazUkraine tait entr en rivalit
ouverte avecM. Igor Kolomosky, considr comme
la troisime fortune du pays, trs prsent sur le
march du ptrole. La concurrence tait fausse,
explique la journaliste Anna Babinets, car M. Kourt-
chenko avait le soutien du rgime.
Aprs la chute de la famille, M. Kourtchenko
ainsi que les Pchonka pre et ls ont fui en Russie.
Le 2 mars 2014, son rival, M. Kolomosky, a t
nomm gouverneur de loblast de Dnipropetrovsk
par les nouvelles autorits. Le mme jour, M. Serhiy
Tarouta, acteur central de la sidrurgie, propritaire
de lUnion industrielle du Donbass (IDS), tait dsign
gouverneur de loblast de Donetsk. Lhomme a t
lun des nanciers de la rvolution orange, mais il
sest toujours gard de trop afcher ses engage-
ments politiques. MM. Tarouta et Akhmetov nont
jamais t amis. Mais, aprs bien des conits, ils ont
su passer une forme daccord pour contrler notre
rgion, explique le politologue Valentin Kokorski,
professeur luniversit de Donetsk. Il est inconce-
vable que M. Akhmetov nait pas donn son aval
la nomination de son rival. Entre les deux hommes,
pourtant, la bataille fut longtemps froce, M. Akhme-
tov augmentant ses prix pour acculer M. Tarouta
cder le contrle de sa socit.
AVRIL 2014 LE MONDE diplomatique
TOUT prs de la place Lnine de Donetsk, le
Donbass Palace est lhtel le plus luxueux de lest
de lUkraine. Dans cette vitrine de lempire de
M. Rinat Akhmetov, la chambre cote 350 euros la
nuit, bien plus que le salaire mensuel moyen.
Lhomme le plus riche du pays fut un proche de
M. Viktor Ianoukovitch, le prsident dchu, et soutient
aujourdhui prudemment le pouvoir issu de linsur-
rection Kiev. Outre cet htel et de multiples biens
immobiliers, le milliardaire possde le club de football
de la ville, le Chakhtar Donetsk, et surtout desmines,
des aciries, des usines. Parmi les clans de loli-
garchie nationale, les plus grandes fortunes sont
nes dans ce bassin industriel et minier du Don. Ces
terres correspondant aux oblasts (rgions) de
Donetsk et de Louhansk formaient dj lun des
curs industriels et miniers de lUnion sovitique.
Le Donbass fournit encore le quart des rentres
en devises de lUkraine, mme sil ne reste plus que
quatre-vingt-quinze mines ofciellement en activit,
contre deux cent trente il y a vingt ans. Durant la
mme priode, le pays a perdu sept millions dhabi-
tants. Aprs laccession lindpendance, n 1991,
face au chaos conomique et la fermeture des
premires mines dEtat, les hommes ont commenc
gratter le sol pour survivre. Ici, il suft de creuser
un mtre pour trouver du charbon, lche un vieux
mineur de Thorez, la ville industrielle voisine, qui
porte toujours le nom de lancien dirigeant commu-
niste franais (1). Dans les galeries artisanales, mal
tayes par des rondins, les accidents sont
nombreux. Pousss par lespoir de gagner 200 ou
300 euros par mois, les mineurs acceptent le risque
de disparatre dans les entrailles de la terre. Avec
larrive de M. Ianoukovitch la tte de lEtat, en
2010, le rseau des kopanki, ces mines illgales,
sest structur et organis.
* Journalistes.
charde du 23 fvrier a soudainement rendu
le discours de Moscou vridique : pour
lEst ukrainien, le problme nest pas que
le nouveau gouvernement du pays soit
parvenu au pouvoir en renversant le
prsident lu, mais bien que sa premire
dcision ait t de faire courber la tte la
moiti de ses citoyens.
faiblesse deM. Barack Obama. Lequel,
sans doute trop occup par lassurance-
maladie de ses concitoyens, ne ralise pas
que lagression en Crime () insuffle
de laudace dautres agresseurs, des
nationalistes chinois aux terroristes dAl-
Qaida et aux thocrates iraniens (9). Que
faire ? Nous devons nous rarmer
moralement et intellectuellement, rpond
lancien colistier deM
me
Sarah Palin, pour
empcher que les tnbres du monde de
M. Poutine ne sabattent davantage sur
lhumanit.Discours qui, pour dnoncer
des thocrates, nen abuse pas moins du
registre thologique.
A Washington et Bruxelles, dans un
style voisin, on semble stre entendu pour
souffler sur les braises de la crise ukrai-
nienne au lieu de lapaiser. A lcart de
ces outrances, limpavide M
me
Angela
Merkel tlphone (en russe) M. Poutine.
(5) La rvolution de velours de 1989 conduisit en
1992 la scission de lEtat en deux entits, sur une
base ethnolinguistique.
(6) Dclaration lagence Interfax, 17 mars 2014.
(7)Au cours dune conversation tlphonique avec
lambassadeur amricain en Ukraine rendue publique
en fvrier, la sous-secrtaire au dpartement dEtat
charge de lEurope sest exclame : Que lUnion
europenne aille se faire f!
(8) Lire Emmanuel Dreyfus, En Ukraine, les ultras
du nationalisme, LeMonde diplomatique,mars 2014.
(9) JohnMcCain, Obama has madeAmerica look
weak, The NewYork Times, 14 mars 2014.
vrier 2014, date de la prise de contrle du
Parlement et du gouvernement de Crime
par des hommes arms un coup de thtre
qui serait la rplique deM. Poutine la fuite
du prsident ukrainienViktor Ianoukovitch
le 22 fvrier. En ralit, le basculement sest
opr entre ces deux vnements, prci-
sment le 23 fvrier, avec la dcision absurde
des nouveaux dirigeants de lUkraine
dabolir le statut du russe comme seconde
langue officielle dans les rgions de lEst
un texte que le prsident par intrim a
jusquici refus de signer. A-t-on dj vu
un condamn lcartlement fouetter lui-
mme les chevaux?
M. Poutine ne pouvait rver mieux que
cette ineptie pour enclencher sa manuvre
crimenne. Linsurrection qui a men la
chute de M. Ianoukovitch (lu en 2010),
puis la sortie de la Crime russophone
du giron de Kiev nest donc que la dernire
manifestation en date de la tragdie cultu-
relle consubstantielle cette Belgique
orientale quest lUkraine.
A Donetsk comme Simferopol, les
Ukrainiens russophones sont en gnral
moins sensibles quon ne le dit la propa-
gande du grand frre russe : la dcrypter
avec une ironie fataliste est devenu une
seconde nature. Leur aspiration un
vritable Etat de droit et la n de la
corruption est la mme que celle de leurs
concitoyens de Galicie.M. Poutine sait tout
cela. Mais il sait aussi que ces populations,
qui tiennent leur langue, nchangeront
pas Alexandre Pouchkine et les souvenirs
de la grande guerre patriotique nom
sovitique de la seconde guerre mondiale
contre un abonnement La Rgle du jeu,
la revue de Bernard-Henri Lvy. En 2011,
38 % des Ukrainiens parlaient russe la
maison. Or la dcision aventureuse et revan-
(Suite de la premire page.)
PAR NOS ENVOYS SPCIAUX
JEAN -ARNAULT DRENS ET LAURENT GESLIN *
Aprs la scession de la Crime, le nouveau pouvoir
ukrainien doit affronter une situation conomique,
dmographique et sociale dsastreuse. Le systme
oligarchique construit depuis vingt ans nourrit la pauvret,
les rancurs et les peurs. Or rien nindique
quil sera vraiment remis en cause.
TOUTES LES RBELLIONS NE SONT
Ukraine, dune
LES BONS, LA BRUTE ET LA CRIME
Lobsession antirusse
Les policiers
ne savent plus
qui obir
Epouser lun ou lautre reviendrait pour
elle nier ce qui la fonde, et donc valider
le mcanisme sans retour dune partition
la tchcoslovaque (5). Elle est une
ternelle ance gopolitique.
LUkraine ne saurait choisir. Elle se
contente donc de se faire offrir des bagues
coteuses : 15 milliards de dollars promis
par la Russie en dcembre 2013, et
3 milliards par lUnion europenne au
mmemoment pour accompagner laccord
dassociation avort.A chaque prtendant,
elle accorde quelques assurances rvo-
cables : accords de Kharkiv, qui, en 2010,
prolongeaient jusquen 2042 la location
la Russie de la base navale de Sbastopol,
ou encore location de terres arables aux
magnats de lagriculture europenne. En
rduisant ce mnage trois goculturel
unmariage forc avecMoscou, les experts
qui succombent ce quil faut bien appeler
lobsession antirusse rvlent une svre
insuffisance analytique. Eux qui reprochent
M. Poutine de se borner au champ troit
de la politique de puissance font preuve
dune hmiplgie nonmoins condamnable
en limitant leur horizon narratif
labsorption libratrice de lUkraine dans
la communaut euro-atlantique.
Contrairement ce qui a pu tre crit,
la rupture des quilibres internes de cette
nation fragile na pas eu lieu le 27 f-
Fantasmes bipolaires et romans despionnage
CEST ce jour-l que Madan a perdu
la Crime, dont personne na jamais oubli
quelle avait t offerte par Nikita
Khrouchtchev lUkraine en 1954 (lire la
chronologie ci-contre).Do la remarque
de M. Mikhal Gorbatchev le 17 mars,
aprs le plbiscite par la population
crimenne dun rattachement la Russie :
Si, lpoque, la Crime a t unie
lUkraine selon des lois sovitiques (...),
sans demander son avis au peuple,
aujourdhui ce peuple a dcid de corriger
cette erreur. Il faut saluer cela, et non
annoncer des sanctions (6). Ces propos
ont fait leffet dune douche froide
Bruxelles, o se prparaient, en coordi-
nation avec Washington, une srie de
mesures de rtorsion contre Moscou
(restrictions du droit de voyager et gel des
avoirs de responsables ukrainiens et russes).
Si ce que veut la Russie nest pas
justiable, il serait intressant den
comprendre les ressorts, avant de le
condamner si ncessaire. Dautant que
lUkraine pourrait perdre davantage que
la Crime, si daventure la frquentation
prolonge de la si courtoise Victoria
Nuland (7) la poussait adhrer lOrga-
nisation du trait de lAtlantique nord
(OTAN). Certains des hommes forts du
nouveau gouvernement, o sigent quatre
ministres du parti ultranationaliste Svo-
boda (8), sont acquis cette ide.
Peut-tre serait-il temps de bannir la
locution guerre froide des articles
consacrs la Russie. Historiquement
inoprant, ce raccourci sert surtout justier
lexpression pavlovienne de fantasmes
bipolaires recuits. M. JohnMcCain, ancien
candidat rpublicain la Maison Blanche
et expert international reconnu de lArizona,
en a donn un exemple notable en fusti-
geant M. Poutine, imprialiste russe et
apparatchik du KGB enhardi par la
5LE MONDE diplomatique AVRIL 2014
Ces deux-l font mieux que sentendre :
ils se comprennent. Leurs positions sont
radicalement opposes ? Ils le voient
comme loccasion, non de sinsulter, mais
de dialoguer et de ngocier, pied pied.
A Londres, Paris ouWashington, on relit
les romans despionnage de Tom Clancy.
A Berlin et Moscou, capitales froides
lies par lconomie, par lnergie (40 %
du gaz allemand est russe) et par le souvenir
de lordalie militaire du front de lEst, les
gouvernements consultent les cartes dune
Mitteleuropa dont eux seuls, aujourdhui,
matrisent vraiment les lignes de force.
Les mots durs de la chancelire lgard
deMoscou ne lempchent pas de percevoir
dune part les raisons objectives de la
nervosit de M. Poutine et dautre part la
ralit de ses capacits manuvrires.
M
me
Merkel diffre en cela deM. Ianou-
kovitch, qui na pas compris grand-chose
la psychologie de son protecteur :
La Russie doit agir, tonnait lexil le
28 fvrier. Et, connaissant le caractre de
Vladimir Poutine, je me demande pourquoi
il est si rserv et pourquoi il garde le
silence. Le fond du problme est l : le
prsident ukrainien dchu agit et parle
sans sencombrer dinformations, sans
tenir compte du long terme ni se demander
ce que pensent les citoyens de son pays.
Il ne parvient donc pas saisir M. Poutine,
dont la marque de fabrique, sous des
dehors brutaux, est de savoir jusquo ne
pas aller trop loin contrairement
M. Ianoukovitch, mais aussi aux partisans
ensuite sa contre-offensive sur le terrain de
la controverse juridique.Avec le rfrendum
du 16 mars 2014, la question du spara-
tisme de la pninsule est dsormais un point
de droit international sur lequel pse lombre
jurisprudentielle duKosovo, pch originel
quimet lesOccidentaux face leurs propres
contradictions (10).
mmes caisses, en sadressant aux mmes
conseillers en communication (12). A ce
prix, seulement, deviendra intangible
une intgrit territoriale qui, malgr les
affirmations de diplomates la mmoire
courte, ne lest aujourdhui pas plus que
celle de la Tchcoslovaquie en 1992, de
la Serbie en 1999 ou du Soudan en 2011.
Le d ukrainien nest pas externe, mais
interne. Comme le notait le sociologue
Georg Simmel, la frontire nest pas un
fait spatial impliquant des consquences
sociologiques, mais un fait sociologique
qui sexprime sous forme spatiale (13).
La question nest pas de savoir si
M. Poutine est la rincarnation dIvan le
Terrible, mais si les lites ukrainiennes
se montreront la hauteur de leur tche et
sauront se muer en ingnieurs sociaux pour
rtablir lunit dun pays pluriel. Ce jour-
l, que lon doit souhaiter, lUkraine
mritera enn ses frontires.
OLIVIER ZAJEC.
(2) SlawomirMatuszak, The oligarchic democracy :The influence
of business groups on Ukrainian politics, Centre for Eastern Studies,
Varsovie, septembre 2012.
(3) Lire Emmanuel Dreyfus, En Ukraine, les ultras du nationa-
lisme, Le Monde diplomatique, mars 2014.
de lextension innie de lOTAN et de
lUnion europenne.
Le prsident russe na jou la carte
militaire quindirectement, travers linl-
tration dissuasive, sans uniformes, de troupes
russes en Crime, combine des manu-
vres frontalires, pour mieux dplacer
OloducGazoduc
ferme
Energie
Centrale nuclaire
en service
Ressources minires
Fer Manganse Uranium
Ukrainien
Polonais
Bulgares
Tatars
RussesUkrainiens
Hongrois
Roumains
Minorits
Grand centre
industriel
Bassin houiller
et industriel
Terres vendues ou loues des investisseurs
trangers (1,6 million dhectares en mars 2014)
Base militaire russe
Sources : Philippe Rekacewicz ; Land Matrix ;
State Statistics Service of Ukraine.
Nombre dhabitants
en milliers
3 000
1 500
750
300
100
0
200 400 km
Russe
Langue majoritaire
NB : Aprs le rfrendum
du 16 mars 2014,
la Fdration de Russie
a annex la Crime.
Lviv
Loutsk
Rivne
Khmelnytsky
Vinnytsia
Jytomyr
Kiev
Tchernihiv
Tchernobyl
Tcherkassy Poltava
Kharkiv
Dnipropetrovsk
Louhansk
Donetsk
Marioupol
Kirovohrad
Youjnooukransk
Kryvy
Rih
Mykolav
Kherson
Simferopol
Sbastopol
Kertch
Odessa
Tchernivtsi
Oujhorod
Ternopil
Ivano-
Frankivsk
Zaporijia
POLOGNE
BILORUSSIE
RUSSIE
MOLDAVIE
ROUMANIE
HONGRIE
SLOVAQUIE
Soumy
Transnistrie
RUSSIE
Mer Noire
Mer dAzov
Makiivka
Crime
UKRAINE
AGNS STIENNE
Donbass
Galicie
jours aprs sa nomination, M. Tarouta sest rendu
Marioupol pour rencontrer les reprsentants des
milieux conomiques. La runion a t fructueuse.
Personne na intrt lclatement de lUkraine,
assure M. Nikolai Tokarsky, directeur de linuent
quotidien local Priazovsky rabochy, qui a particip
la rencontre. Le journal appartient la holding SKM
deM. Akhmetov. M. Tokarsky est galement dput
au Parlement de loblast de Donetsk o, sous lti-
quette indpendant, il reprsente directement les
intrts des oligarques. Au risque de mcontenter
son lectorat, trs sensible aux sirnes russes,
Priazovsky rabochy milite pour l intgrit territo-
riale de lUkraine, manifestant ainsi le ralliement de
M. Akhmetov aux nouvelles autorits de Kiev.
Le gouvernement compte sur les oligarques pour
tenter de pallier la faillite et la quasi-disparition de
lappareil dEtat. Il tente surtout de les impliquer dans
la dfense contre la menace russe, tant entendu
quun conit durable serait dsastreux pour leurs
intrts. MM. Akhmetov et Tarouta semblent bien
conscients du danger, et ont multipli les appels au
calme. Aprs les violentes chauffoures du 13mars,
qui ont cot la vie un manifestant dans le centre
de Donetsk, M. Akhmetov sest fendu dun commu-
niqu pour dire que le Donbass est une rgion
responsable, o vit un peuple courageux et
travailleur, et quil ne saurait cder aux dmons de
la violence.
Tout au long dumois demars, une trange bataille
a opposmanifestants prorusses et forces de lordre
pour le contrle des btiments publics dans lEst.
Occups par les contestataires, ils furent repris par la
police quelques jours plus tard. Quand le sige de
ladministration rgionale de Louhansk a t investi,
le 9 mars, trois cents policiers quips de boucliers
antimeute, au lieu de dfendre ldice, en sont sortis
sous les vivats dune foule de deux mille personnes,
majoritairement des femmes et des retraits.
Beaucoup de policiers afchaient un sourire de conni-
vence avec ceux qui venaient de les dloger. Ce
scnario sest rpt plusieurs reprises Donetsk.
Les policiers ne savent plus qui obir. Leurs chefs
servaient les prcdentes autorits, explique
M. Denis Kazanski, clbre blogueur de Donetsk.
Les chanes de commandement sont incertaines
tous les chelons des forces de scurit. Les
administrations centrales, o de nouveaux cadres
ont t nomms, ne sont gure plus fonctionnelles :
Concernant la corruption, le parquet compte sur
les donnes que nous, journalistes, pouvons lui trans-
mettre, car les archives ont disparu, explique ainsi
Babinets. Tandis que larme ukrainienne naurait,
selon M. Olexandre Tourtchinov, prsident de la
Rpublique par intrim, que sixmille hommes en tat
de combattre, le Parlement a vot, le 13 mars, la
cration dune garde nationale. Cette troupe, qui
pourrait intgrer les nationalistes les plus radicaux,
comme ceux du groupe dextrme droite Praviy
Sektor (3), a peu de chances de rpondre aux ds
scuritaires, mais elle risque daugmenter lamance
des populations de lEst. Le 14mars, une altercation
meurtrire a oppos, dans la ville de Kharkiv, des
militants de Praviy Sektor des prorusses.
En ralit, alors que lEtat semble en train de se
disloquer, lhistoire de la rvolution ukrainienne
est peut-tre dj celle dune occasion manque.
Responsable du Parti des rgions dans la ville de
Louhansk, une trentaine de kilomtres de la frontire
russe, M. Alexandre Tkachenko reconnat avoir t
choqu, comme tout le monde, par les images de
la luxueuse villa de M. Ianoukovitch, avec ses
fameuses toilettes en ormassif : Quand nous tions
jeunes, on nous apprenait le vieux slogan Paix aux
chaumires, guerre aux palais, soupire-t-il. Mais la
corruption a rong lensemble du pays.
Les populations de lEst auraient sans doute pu
se joindre celles de lOuest dans un mouvement
commun contre loligarchie et la corruption. Mais
lexaltation du nationalisme ukrainien a jou un rle
de repoussoir pour les russophones de la partie
orientale, tandis que les partisans de lancien
prsident Ianoukovitch agitent en rponse lpou-
vantail dune menace fasciste. Il a suf de quelques
semaines pour que la manipulation des peurs et des
sentiments identitaires conduise le pays au bord de
la guerre civile.
JEAN-ARNAULT DRENS
ET LAURENT GESLIN.
Lun des rares avantages du systme oligarchique
aurait t de prserver le pays de linuence des
capitaux russes (2). Cependant, prcise Kokorski,
il serait illusoire dimaginer que lconomie ukrai-
nienne, notamment dans le Donbass, puisse se
passer de la Russie. Toutes nos industries de trans-
formation sont tournes vers ce march et, bien
souvent, elles ne sont pas aux normes de lUnion
europenne. Nos oligarques savent trs bien que
lUkraine ne peut trouver son salut quen jouant
pleinement sa fonction de pont entre lUnion
europenne et la Russie. Par exemple, la fortune
deM. Akhmetov senracine dans la terre duDonbass,
mais stend la Russie et plusieurs pays de lUnion
(Bulgarie, Italie, Royaume-Uni). Loligarque y possde
des usines ainsi quune kyrielle de socits-crans
et de participations croises.
Pour sa part, M. Tarouta est issu de la minorit
grecque des bords de la mer dAzov. Sa ville natale,
le grand port deMarioupol, est un bastion du groupe
Akhmetov. Celui-ci possde les combinats mtal-
lurgiques Azovstal et Illitch, ainsi que lusine de
wagons et de locomotives Azovmach, qui exporte la
quasi-totalit de sa production en Russie. Quelques
PAS DES RVOLUTIONS
oligarchie lautre
Paix aux chaumires,
guerre aux palais ,
un slogan oubli
Deux poids, deux mesures
LURGENCE est de prendre la mesure des
quilibres gopolitiques de long terme pour
en matriser les effets de changement.
Autrement dit, il sagit daccepter de penser
la notion dinteraction (Wechselwirkung),
dont le stratgiste Carl von Clausewitz
faisait la marque de tous les duels logiques
se rglant par la force ou par la menace dy
recourir. Il y a dans la logomachie
occidentale un refus panique des variables
instables (11) qui dnote une pratique
diplomatique rduite ltat de spasme
rflexe. La Russie juge quil y a deux poids,
deux mesures dans les relations interna-
tionales. La Chine a une analyse voisine,
et sest abstenue lors du vote au Conseil
de scurit de lOrganisation des Nations
unies (ONU), le 16 mars, dune rsolution
condamnant la politique russe en Crime.
LAfghanistan en 2001, lIrak en 2003,
la Libye en 2011 seraient luvre altruiste
de puissances visionnaires auxquelles ne
saurait tre reproche quune maladroite
fougue libratrice. Les autres acteurs, en
revanche, ne dfendraient leurs intrts
quau prix dagressions condamnables.
PourM. Franois Hollande, le rfrendum
du 16 mars relve dune pseudo-consul-
tation, car elle nest pas conforme au
droit interne ukrainien et au droit inter-
national (dclaration du 17 mars). Le
17 fvrier 2008, neuf ans aprs une
opration militaire dcide sans laval de
lONU, le Parlement kosovar albanais votait
lindpendance de la province autonome
serbe du Kosovo, contre la volont de
Belgrade, avec le soutien de la France et
des Etats-Unis. La Russie mais aussi
lEspagne refusrent, et refusent toujours,
de reconnatre cette entorse au droit inter-
national. Tout comme... lUkraine.
Trois chantiers prioritaires attendent les
Ukrainiens : lquilibre gopolitique entre
Russie et Europe ; lgalit culturelle et
linguistique entre citoyens de lEst et de
lOuest ; et la n de la corruption des
lites. Quelles soient dmocrates ou
prorusses, celles-ci ont puis dans les
Soixante ans
de tiraillements
Fvrier 1954. Nikita Khrouchtchev
rattache la Crime lUkraine.
Aot 1991. Indpendance.
Juin 1993. Statut spcial
dautonomie pour la Crime.
21 novembre 2004. Dbut
de la rvolution orange, qui porte
la prsidence M. Viktor
Iouchtchenko.
Aot 2006.M. Viktor Ianoukovitch
devient premier ministre
de M. Iouchtchenko.
Fvrier 2010.M. Ianoukovitch
est lu prsident face M
me
Ioulia
Timochenko.
21 novembre 2013. Refus
de laccord dassociation
avec lUnion europenne. Dbut
des manifestations Kiev.
20 fvrier 2014. Journe sanglante
Kiev.
21 fvrier.Accord sign entre
M. Ianoukovitch, lopposition
et les ministres europens.
22 fvrier. Fuite de M. Ianoukovitch,
qui dnonce un coup dEtat.
23 fvrier. Le Parlement abroge
la loi sur les langues.
27 fvrier. Des miliciens, seconds
par des soldats russes sans insigne,
prennent le contrle de la Crime.
16 mars. Rfrendum en Crime ;
96,7% des voix pour le
rattachement la Russie.
(10) Lire Jean-Arnault Drens, Indpendance du
Kosovo, une bombe retardement, Le Monde diplo-
matique, mars 2007.
(11) Cf. les travaux de Robert Kehoane sur limpor-
tance des perceptions dans la thorie des relations inter-
nationales.
(12) LAmricain PaulManafort a conseillM. Ianou-
kovitch de 2004 2013. Il avait auparavant offici au
service de Ronald Reagan, de M. George W. Bush
et de M. McCain. Cf. Alexander Burns et Maggie
Haberman, Mystery man : Ukraines US political
fixer, Politico, 5 mars 2014, www.politico.com
(13) Cf.Georg Simmel, Soziologie des Raumes,
dans Jahrbuch fr Gesetzgebung,Verwaltung undVolks-
wirtschaft, XXVII, Leipzig, 1903.
UN PAYS CHARNIRE ENTRE LEUROPE CENTRALE ET LA RUSSIE
(1) LireG.M.Tamas, Peur et dsolation enHongrie,
Manire de voir, n
o
134, Nouveaux visages des extrmes
droites, avril-mai 2014, en vente en kiosques.
(2) Figyel, Budapest, 19 dcembre 2014.
(3) Elet s Irodalom, Budapest, 20 dcembre 2013.
(4) Magyar Hrlap, Budapest, 3 mai 2012.
(5) Cit par Paul Lendvai, Hungary : Between
Democracy andAuthoritarianism,Columbia University
Press, NewYork, 2012.
(6) Lire Laurent Geslin et Sbastien Gobert, Voyage
aux marges de Schengen, Le Monde diplomatique,
avril 2013.
6
REJET DU FMI ET AUSTRIT, LTONNANT COCKTAIL
Le national-conservatisme sancre
de lEtat, et souhaite mme prparer un
socle juridique pour leur nationalisation
aprs les lections du 6 avril. Enfin, il tente
aussi de faire payer aux banques les cons-
quences de lendettement en francs suisses
de centaines de milliers de familles qui
avaient souscrit des prts pourris au
milieu des annes 2000.
Cest toutefois le bras de fer avec le Fonds
montaire international (FMI) qui met le
mieux en lumire sa volont dindpen-
dance nationale. En 2010, le premier
ministre a refus les dernires tranches dun
ensemble de prts de 20 milliards deuros
contracts en octobre 2008 auprs du FMI,
de la Banque mondiale et de lUnion
europenne. Au terme de longs mois de
tractations, il a dclin une seconde offre
la fin de lanne 2012. Une rhtorique
souverainiste sest dploye travers une
vaste campagne daffichage dans tout le
pays : Non la baisse des allocations
familiales ! Non la baisse des retraites !
Nous ne cderons pas face au FMI! Nous
ne renoncerons pas lindpendance de la
Hongrie!Ce qui nempcha pas le gouver-
nement de poursuivre une politique daus-
trit par la baisse dautres allocations
sociales ou par des coupes budgtaires dans
la sant et lducation.
Ses adversaires comparent M. Orbn
tantt au dfunt prsident vnzulien
Hugo Chvez, pour son antilibralisme,
tantt M. Vladimir Poutine, pour son
autoritarisme, tantt feu le dirigeant
communiste roumain Nicolae Ceausescu,
pour le culte de la personnalit. Plus
raisonnablement, lconomiste Zoltn
Pogtsa voit dans le modle de dvelop-
pement quil promeut un mlange de
gaullisme et de reaganisme.
Ses mesures conomiques ne sont pas
destines financer ce quil reste de lEtat
social : le premier ministre prne la sortie
de l impasse que reprsente le modle
ouest-europen dEtat-providence au
profit dune socit fonde sur le travail.
Ainsi, le Parlement a vot en juillet 2012
une loi contraignant les bnficiaires de
laide sociale des travaux dutilit
publique. Cette politique est mene au
nom de la rduction du dficit public en
dessous de 3 % du produit intrieur brut
(PIB), conformment la doctrine
europenne, et de la stabilisation de la
dette environ 80 % du PIB. Car, sil a
tenu tte au FMI sur de nouveaux prts,
M. Orbn na jamais remis en cause le
remboursement de la dette.
Limpt progressif sur le revenu a t
remplac par une taxe unique de 16 %. Le
ministre de lconomie Mihly Varga
envisage mme son passage 9 % en
2015 (2). Les faveurs du gouvernement
vont dabord aux classes moyennes, tandis
que la pauvret ne cesse de gagner du
terrain : sur une population totale de dix
millions dhabitants, le nombre de
personnes vivant sous le seuil de pauvret
(220 euros par mois) est pass de trois
millions au dbut des annes 2000 quatre
millions aujourdhui, selon la sociologue
Zsuzsa Ferge.
Derrire le paravent de lintrt national
se dessinent petit petit les contours de
nouvelles prbendes bnficiant quelques
fidles du Fidesz : MM. Lajos Simicska,
Zsolt Nyerges et quelques grands entre-
preneurs mettent la main sur les marchs
publics les plus juteux. Une oligarchie en
a remplac une autre. Elle sappuie cette
fois sur un systme clientliste qui se
dveloppe tous les chelons de la socit
en se nourrissant de la peur et de lindif-
frence. La sociologue Mria Vsrhelyi
considre ainsi que l orbnisme a
provoqu une renaissance de lHomo
kadaricus (3), cest--dire une rappa-
rition des comportements de soumission
qui prvalaient sous le dirigeant commu-
niste Jnos Kdr, premier secrtaire du
Parti socialiste ouvrier hongrois de 1956
1988.
A en croire le documentaire Guerre
contre la nation, diffus plusieurs reprises
sur la chane publique Duna Televzi, la
Hongrie serait pratiquement en tat de sige.
On y retrouve des analyses srieuses sur
le glissement des richesses nationales du
domaine public vers la sphre prive inter-
nationale, mles des propos plus obscu-
rantistes sur les convoitises des grandes
puissances. Son ralisateur Istvn Jelenczki
explique avoir conu ce film en raction
lintervention du FMI en 2008 : Jai
considr que le prt du FMI bradait prati-
quement notre trsor national et que le
moment tait venu de raliser un film qui
claire les Hongrois sur la guerre mene
depuis des sicles pour ce trsor (4).
AVRIL 2014 LE MONDE diplomatique
A LOCCASION de la commmoration
du soulvement de 1956 contre lArme
rouge, le 23 octobre dernier sur la place
des Hros de Budapest, le premier ministre
Viktor Orbn, flanqu de soldats, galva-
nise des dizaines de milliers de sympathi-
sants : Le combat des Hongrois pour la
libert a eu ses hros, mais aussi ses tra-
tres. Toutes nos guerres dindpendance
ont t dfaites depuis ltranger. Nous
savons quil sest toujours trouv des
personnes pour aider nos ennemis. (...) Les
communistes ont vendu la Hongrie et le
peuple hongrois aux financiers et aux
spculateurs internationaux. Nous savons
quils sont encore prts vendre la
Hongrie aux colonisateurs. (...)Nous voyons
quils sorganisent nouveau, quils se
liguent nouveau contre nous avec des
trangers, quils sment nouveau les
graines de la haine, de la discorde et de la
violence. (...)Nous devonsmettre nos troupes
en ordre de bataille, comme nous lavons
fait en 2010. Nous allons terminer ce que
nous avons commenc en 1956. Si nous
ne nous librons pas, nous ne serons
jamais libres.
* Journaliste.
Le chef du Fidesz, arriv au pouvoir
en 2010 (1), dsigne comme ennemies
tant les gauches librales hongroise et
europenne que les multinationales. Le
gouvernement en veut pour preuve le
rapport Tavares, adopt par le Parlement
europen en juillet 2013, qui dnonce
laffaiblissement de lEtat de droit dans
le pays. Pour le Fidesz, il sagit dun
prtexte pour porter atteinte la souve-
rainet de la Hongrie, linstigation des
lobbys daffaires de Bruxelles et du Parti
socialiste hongrois lhritier de lancien
Parti communiste (Parti socialiste ouvrier
hongrois), devenu trs favorable au libra-
lisme. Dans une rsolution adopte la
mme semaine, les dputs jugeaient
inacceptable que le Parlement
europen tente de faire pression sur
notre pays dans lintrt des grandes
entreprises prives. La rsolution prcise
que, voulant rduire le prix de lnergie
pour les familles, la Hongrie devait
ncessairement porter atteinte aux intrts
et aux profits excessifs de plusieurs
grandes socits europennes en situation
de monopole.
PAR CORENTIN LOTARD *
Tenant tte au Fonds montaire international et aux groupes
privs trangers, le premier ministre hongrois Viktor Orbn
sassure dune forte popularit avant les lections du 6 avril.
Ses positions nationalistes savrent compatibles avec celles
dune extrme droite islamophile. Son anticonformisme
conomique mtin de conservatisme social profite largement
une nouvelle gnration dentrepreneurs proches du pouvoir.
Mlange de gaullisme et de reaganisme
La gauche juge trop cosmopolite
MONSIEUR Orbn collectionne les
ennemis. Partisan de la primaut de la poli-
tique sur lconomie et de lEtat sur les
marchs, dot en outre dune conception
autoritaire du pouvoir, il a pris une srie de
mesures conomiques non orthodoxes :
application de taxes exceptionnelles des
pans entiers de lconomie contrls par
des multinationales (nergie, banques,
communication, grande distribution), natio-
nalisation des fonds de pension privs
hauteur de 10 milliards deuros, interdic-
tion de fait des prts en devises, rduction
de lindpendance de la banque centrale.
Autant de sacrilges pour lUnion euro-
penne. Dans son discours la nation du
16 fvrier 2014, le premier ministre affir-
mait : Lorsque nous avons pris le pouvoir,
la guerre entre les multinationales et les
consommateurs, entre les banques et leurs
dbiteurs en devises trangres, entre les
monopoles et les familles, tait dj bien
engage. Nous perdions sur tous les fronts.
Le rapport de forces a beaucoup chang
depuis; nous avons gagn plusieurs rounds,
mais le combat nest pas termin.
Au cours de cette dernire anne de
mandat, deux combats prioritaires taient
lordre du jour : contre les banques et
contre les entreprises de lnergie.
Dpossd lors des privatisations des
annes 1990, lEtat tente de retrouver une
place dans ces deux secteurs dtenus
environ 80 % par des filiales de socits
ouest-europennes. Le gouvernement a
impos aux gants de lnergie lallemand
E.ON, litalien Ente Nazionale Idrocarburi
(ENI), Electricit de France (EDF), GDF
Suez, etc. une baisse de 20 % des prix
du gaz, de llectricit et du chauffage
urbain pour les mnages ds le dbut de
lanne 2013. Il affiche sa volont de crer
un secteur but non lucratif sous le contrle
FRANYO AATOTH.
La survie
est toujours radieuse.
Soyez No-No!, 2008
SOCIOLOGUE linstitut de recherches
socialesTrki, Endre Sik analyse ce ressen-
timent : La population considre quelle
a toujours t colonise et exploite : par
lesTurcs, par lesAllemands, par les Russes,
et aujourdhui par lUnion europenne.En
politique, il y a toujours eu une propension
considrer les trangers comme les insti-
gateurs dune conspiration internationale.
Car lopinion a tendance penser en
termes de complots. (...) Tout cela fait partie
dun complexe gnral, et les Juifs, les
Tziganes ou lUnion europenne sont tous
des boucs missaires potentiels. Les poli-
ticiens jouent alternativement lune ou
lautre de ces cartes, explique-t-il. Pour
lhistorien amricainWilliamM. Johnston,
leur capacit rver a fait des Magyars
un peuple de sentinelles ultimes, toujours
prt dfendre la Hongrie comme une
exception parmi les nations (5).
Si le premier ministre admet quaucun
complot na t foment contre lui, il
affirme nanmoins avoir djou un
putsch grce la mobilisation de
centaines demilliers de personnes au dbut
de lanne 2012. Cette marche de la paix
avait fait converger vers Budapest ses
partisans venus de tout le pays, et mme
de certaines provinces de lancien royaume
situes aujourdhui en Roumanie ou en
Slovaquie, o des minorits hongroises ont
pu obtenir des passeports de leur pays
dorigine (6). Nous ne serons pas une
colonie !, Union europenne = Union
sovitique, scandaient-ils pour dfendre
la nouvelle Constitution, entre en vigueur
le 1
er
janvier 2012. Les restrictions apportes
par le nouveau texte aux pouvoirs de la
Cour constitutionnelle, lautorit des juges
et lindpendance de la banque centrale
ont conduit la presse trangre dnoncer
une drive autoritaire, tandis que la
Commission europenne obtenait plusieurs
modifications en lanant une procdure
pour infraction au droit europen.
La rumeur dune dmission du premier
ministre avait alors couru dans la presse
locale et internationale. Ce moment de
flottement avait encourag le chef de
lopposition socialiste, M. Attila Mes-
terhzy, affirmer que M. Orbn lu
moins de deux ans plus tt avec la majorit
absolue des voix (52 %) devait quitter
son poste. La thse dune tentative de
dstabilisation a t dfendue dans un
ouvrage qui, sa sortie, lt 2012, a
bnfici durant plusieurs semaines dune
))) !!(
!%! && * & '" #* #
$ * '