le monde diplomatique avril 14.pdf

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  • Afrique CFA : 2 400 F CFA, Algrie : 200 DA, Allemagne : 5,50 , Antilles-Guyane : 5,50 , Autriche : 5,50 , Belgique : 5,40 , Canada : 7,50 $C,

    Espagne : 5,50 , Etats-Unis : 7,50 $US, Grande-Bretagne : 4,50 , Grce : 5,50 , Hongrie : 1835 HUF, Irlande : 5,50 , Italie : 5,50 , Luxem-

    bourg : 5,40 , Maroc : 30 DH, Pays-Bas : 5,50 , Portugal (cont.) : 5,50 , Runion : 5,50 , Suisse : 7,80 CHF, TOM: 780 CFP, Tunisie : 5,90 DT.

    perception globalement ngative dg-

    nrant en caricature relve dune tradition

    bien ancre.

    Elle sappuie tantt sur des analyses qui

    soulignent la compulsion totalitaire et

    mensongre de la culture russe (2),

    tantt sur la continuit suppose entre

    Joseph Staline et M. Vladimir Poutine

    un thme pris des ditorialistes franais

    et des think tanks noconservateurs amri-

    cains (3). Elle trouve son origine dans les

    rcits des voyageurs europens de la

    Renaissance, qui opraient dj un rappro-

    chement entre les Russes barbares et

    les farouches Scythes de lAntiquit (4).

    Les vnements de Madan Kiev

    offrent un exemple des inconvnients

    analytiques quinduit cette dmonologie.

    Divise linguistiquement et culturellement

    entre Est et Ouest, lUkraine ne peut

    garantir ses frontires actuelles quen

    maintenant un quilibre ternel entre Lviv

    et Donetsk, symboles respectifs de son

    ple europen et de son ple russe.

    (Lire la suite page 18.)

    (Lire la suite page 10.)

    (Lire la suite page 4.)

    ILS sont quatre, un peu lcart du dernier rond-point qui

    mne par une petite route un poste de gardiennage. Ils ne

    lchent pas des yeux la vingtaine de militants de la Confd-

    ration gnrale du travail (CGT) qui, par ce petit matin de janvier,

    frigoris et les bras chargs de tracts, attendent lembauche

    des centaines de travailleurs de limmense chantier voisin.

    Une premire camionnette approche. Des syndicalistes

    larrtent, interrogent les ouvriers sur leur origine, tendent des

    tracts en portugais. Malgr la barrire de la langue, un change

    sur leurs droits sengage travers la fentre entrouverte.

    Aussitt, les quatre hommes sapprochent. Je vous demande

    de circuler, lance le plus g, menaant. Vous navez pas leur

    parler. Entrez sur le chantier. Les syndicalistes repoussent

    nergiquement le quarteron, qui se remet lcart.

    A chaque nouvelle camionnette arrte, les quatre individus

    notent le numro dimmatriculation, prennent discrtement des

    photos, chuchotent dans un Dictaphone. La scne se passe en

    2014, en France. A Loon-Plage, plus prcisment : un no mans

    land balay par un vent glacial, au bord de la mer du Nord.

    On dcouvrira que lhomme agressif nest autre que le

    responsable du chantier du terminal mthanier dElectricit de

    France (EDF) ; les trois autres, ses sbires. Tous refusent de

    rpondre nos questions. L, on est sur un rond-point public,

    glisse M. Marcel Croquefer, dlgu CGT de Polimeri Europa

    France. Vous imaginez ce qui se passe lintrieur du site?

    Effectivement, il vaut mieux avoir de limagination pour

    savoir ce qui se passe sur le deuxime plus grand chantier de

    France derrire celui du racteur pressuris europen (EPR)

    de Flamanville. Le dossier de presse produit par le matre

    duvre, Dunkerque LNG (liale dEDF), dat du 19 fvrier 2014,

    annoncemille trois cent trente-sept salaris : 95%dEuropens,

    dont un tiers originaires du Nord-Pas-de-Calais. Mais si les

    syndicalistes se sont dplacs avec leurs tracts en langues

    trangres, cest quils savent quici les travailleurs viennent

    majoritairement dItalie, du Portugal et de Roumanie.

    5,40 - Mensuel - 28 pages N 721 - 61

    e

    anne. Avril 2014

    DL IRE PART ISAN DANS LES MDIAS AMRICA INS page 12

    LINTERNATIONALE

    DU SOUS-TITRAGE

    AMATEUR

    PAR MLANIE BOURDAA

    ET MONA CHOLLET

    Page 27.

    S O MM A I R E C OM P L E T E N PA G E 2 8

    Avec lannexion de la Crime au territoire russe, entrine

    le 18 mars par M.Vladimir Poutine, et les sanctions dcrtes

    lencontre du Kremlin, la crise ukrainienne a pris les dimen-

    sions dun sisme gopolitique. Comprendre ce conit implique

    dintgrer les points de vue concurrents de tous les acteurs.

    Mais, dans les chancelleries occidentales, les proclamations

    morales supplantent souvent lanalyse.

    LES BONS, LA BRUTE ET LA CRIME

    Lobsession

    antirusse

    PAR OLIVIER ZAJEC *

    * Charg de recherche lInstitut de stratgie

    compare (ISC), Paris.

    DES CHOIX FONDAMENTAUX TROP LONGTEMPS DIFFRS

    Quel cap pour la Tunisie ?

    PAR SERGE HALIMI

    PUISQUE les rvoltes arabes nont connu

    de dveloppements heureux ni en Egypte,

    ni en Syrie, ni en Libye, la Tunisie est

    devenue dans la rgion le refuge de ceux

    qui cherchent une raison desprer.Aucune

    des aspirations sociales lorigine du soul-

    vement de dcembre 2010 ny a t satis-

    faite. Mais, aprs une interminable crise

    politique, le pays, qui a frl le pire avec

    lassassinat de deux dputs de gauche

    lanne dernire (1), vient de se doter dune

    nouvelle Constitution, approuve par deux

    cents dputs sur deux cent seize, et dun

    gouvernement dunion nationale compos

    de technocrates. Les tensions ont baiss dun

    cran, un tat de grce sest install.

    CES dernires semaines, le traitement

    mdiatique des vnements en Ukraine en

    a apport la confirmation : pour une partie

    de la diplomatie occidentale, les crises ne

    trahissent plus une asymtrie entre les

    intrts et les perceptions dacteurs dous

    de raison, mais constituent autant daffron-

    tements ultimes entre le Bien et le Mal o

    se joue le sens de lhistoire.

    La Russie se prte merveille cette

    scnarisation, qui a le mrite de la

    simplicit. Pour nombre de commenta-

    teurs, cet Etat barbare gouvern par les

    Cosaques a la semblance dun ailleurs

    semi-mongol tenu par les pigones du

    KGB, qui ourdissent de sombres complots

    au service de tsars nvrotiques barbotant

    dans les eaux glaces du calcul goste (1).

    Reclus, coups de leur poque, ces

    autocrates dplacent lentement des pions

    sur de grands chiquiers divoire au lieu de

    lire The Economist. De temps en temps,

    ils coulent un sous-marin nuclaire pour

    le plaisir de polluer la mer de Barents, en

    attendant de susciter un rfrendum illgal

    dans leur tranger proche an de recons-

    tituer lURSS.

    Si on rassemble les lieux communs parus

    sur ce thme dans la presse occidentale

    pas seulement depuis le dbut de la crise

    ukrainienne, mais depuis quinze ans , ce

    chromo folklorique est peu prs ce que

    le lecteur ordinaire retiendra de la politique

    de lactuelle Fdration de Russie. Cette

    Changement de personnel : du 22 au

    25 mai 2014, les Europens liront leurs

    dputs, un scrutin qui influera sur le choix

    du prochain prsident de la Commission.

    Mais lUnion abandonnera-t-elle pour autant

    une feuille de route politique qui, pour

    lheure, se caractrise par lorganisation du

    dumping social ?

    PAR G ILLES BALBASTRE *

    DOSSIER : LA MACHINE BRUXELLOISE SEMBALLE

    Travail dtach,

    travailleurs enchans

    * Journaliste.

    GALERAMARLBOROUGH,MADRID

    JUAN GENOVS. Escalada (Echelle), 2012

    (1) Bernard-Henri Lvy, Lhonneur des Ukrai-

    niens, Le Point, Paris, 27 fvrier 2014.

    (2)Alain Besanon, Sainte Russie,Editions de Fallois,

    Paris, 2014.

    (3) Steven P. Bucci, Nile Gardiner et Luke Coffey,

    Russia, the West, and Ukraine : Time for a strategy

    not hope , Issue Brief, n

    o

    4159, The Heritage

    Foundation, Washington, DC, 4 mars 2014.

    (4) Cf. Stphane Mund, Orbis Russiarum, Droz,

    Genve, 2003.

    Ladoption, le 26 janvier dernier, dune nouvelle Constitution a provoqu

    une dtente politique enTunisie. Les questions relatives au statut des femmes,

    au rle du sacr, la libert de conscience tant tranches par ce texte, les

    grands arbitrages conomiques auraient pu dominer la vie publique. Mais,

    sur ces sujets-l, les principaux partis peinent dnir leur stratgie.

    Les adversaires des islamistes dEnnahda

    craignaient quils ne sincrustent dans

    lappareil dEtat, jetant ainsi les bases

    dune nouvelle dictature. En dnitive, ils

    ont quitt le pouvoir aussi paciquement

    quils lavaient obtenu, poliment invits

    dgager par le Fonds montaire inter-

    national (FMI), lAlgrie, les pays

    occidentaux (dont la France), la grande

    centrale syndicale, le patronat, la gauche

    rvolutionnaire, le centre droit, la Ligue

    des droits de lhomme...

    Sans doute ont-ils cd la pression

    aprs avoir compris que leur bilan tait

    peu prometteur et le rapport de forces inter-

    national dfavorable lislam politique,

    affaibli enTurquie et vinc manu militari

    de la prsidence gyptienne. De nouvelles

    lections doivent intervenir en Tunisie

    avant la n de lanne 2014 (article 148

    de la Constitution). La rvolution nest

    plus lordre du jour. Mais le pays peut

    se remettre croire quil parviendra

    construire son petit bonheur dans unmonde

    arabe o cette denre est trs recherche.

    (1) Lire Islamistes au pied du mur, Le Monde

    diplomatique, mars 2013.

  • AVRIL 2014 LE MONDE diplomatique

    2

    Coducation

    M

    me

    Jeanne Dion, du Groupe fran-

    ais dducation nouvelle dIle-de-

    France, ragit larticle Limites de

    la coducation (Le Monde diploma-

    tique, mars 2014) :

    Que nous le voulions ou non, les parents

    sont, avec les enseignants, les coducateurs

    objectifs et premiers des enfants. () Il ne

    sest jamais agi de dlguer aux familles la

    responsabilit de suppler aux manques de

    linstitution : cest tout le contraire que nous

    avons vcu avec des familles, lesquelles ont

    assum la dfense de lcole en connais-

    sance de cause, car associes aux contenus

    et pratiques mis en uvre dans ltablisse-

    ment. Ainsi, certains responsables hirar-

    chiques ont manifest leur tonnement quant

    largumentation circonstancie et claire

    que les familles leur ont oppose lors de

    dmarches exigeant les moyens indispensa-

    bles au bon fonctionnement dune cole

    dont ils partageaient et comprenaient le pro-

    jet de faire russir tous les enfants.

    Espagne

    La carte du poids lectoral

    des droites extrmes en Europe

    (mars 2014) suscite la raction de

    M. Jos Kovensky :

    Pour lEspagne, seul le pourcentage inme

    de voix dun parti nationaliste catalan a t

    retenu. Or le Parti populaire (PP) espagnol

    nest pas seulement de droite : ce parti

    contient lextrme droite fasciste et ultra-

    catholique. On le voit trs bien dans le cas

    des modications proposes au droit lavor-

    tement. Les voix de lextrme droite espa-

    gnole sont chercher galement dans une

    partie non ngligeable des voix PP. Un peu

    comme si en France on avait un parti Union

    pour un mouvement populaire (UMP)-Front

    national (FN). Je ne connais pas la situation

    dans les autres pays, mais, au vu de la carte,

    on pourrait sous-estimer limportance des

    ides ultranationalistes en Espagne.

    Financement participatif

    M. Jrmie Fabre estime que larticle

    Tous producteurs (mars 2014) aurait

    pu intgrer une dimension suppl-

    mentaire:

    Comment revenir sur ce quest le nan-

    cement participatif (ou crowdfunding) sans

    voquer une seule fois le cas du jeu

    vido? () Il aurait t intressant de met-

    tre en lumire le lien quon peut tablir entre

    nancement participatif et actionnariat, le

    premier rassemblant nombre des avantages

    sans les inconvnients du second. En effet, si

    les investisseurs participatifs misent sur une

    ide, ils ne visent pas un seuil de rentabilit

    et nont aucun moyen de pression sur la

    crativit des dveloppeurs (contrairement

    aux grandes majors du jeu vido, soumises

    leurs actionnaires).

    14 EUROS PARMOIS

    Grandes bnciaires des abenomics

    la nouvelle politique conomique

    du premier ministre japonais Abe

    Shinzo , les multinationales

    exportatrices ont, parat-il, rpondu

    lappel du gouvernement (International

    NewYork Times, 12 mars).

    Toyota a dclar quil augmenterait

    le salaire de base mensuel moyen des

    travailleurs syndiqus [en contrat dure

    indtermine] de 2700 yens [19 euros],

    soit une hausse de 0,8%. Une premire

    depuis 2008 chez le constructeur.

    Le fabricant dlectronique Panasonic a,

    lui, propos une hausse

    de 2000 yens [14 euros].

    RECONNAISSANCE

    En octobre 2013, le patron de la socit

    Amazon, M. Jeff Bezos, rachetait

    le clbre quotidien TheWashington

    Post. Quelques mois auparavant, il stait

    illustr par sa conception singulire

    de linformation (Extra !, mars).

    Sur lordre de son propritaire,

    Amazon a cess dhberger WikiLeaks

    quelques heures aprs y avoir t invit

    par le prsident du comit snatorial

    pour la scurit intrieure Joe Lieberman

    (...). Amazon venait dobtenir un contrat

    pour hberger des donnes pour la CIA

    [Central Intelligence Agency] valoris

    environ deux fois ce que Bezos a pay

    pour acheter leWashington Post.

    Autrement dit : un mois aprs

    que le comit ditorial du quotidien

    eut somm [Edward] Snowden de cesser

    de diffuser des documents concernant

    lespionnage amricain (y compris

    auWashington Post), le journal annonait

    son rachat par un homme que cet

    espionnage avait enrichi.

    NOSTALGIE

    A la faveur de la crise ukrainienne,

    les nostalgiques des bataillons cosaques

    (suppltifs de larme tsariste) rvent

    de retrouver leur vocation de protecteurs

    des frontires de lEmpire russe

    (Nezavissimaa Gazeta, 2 mars).

    Selon Nikola Kozitsyn, chef

    de lorganisation la Grande Garde du Don,

    (...) environ quatre cents Cosaques

    ont dfendu le monastre de Sviatohirsk

    (Donetsk). (...) Les Cosaques avaient

    pour seules armes des matraques et des

    fourches. Nous soutenons

    les Berkout [police antimeute

    ukrainienne], qui ont fait leur devoir (...),

    et nous avons form un corridor de

    Cosaques de part et dautre de la frontire

    de la rgion de Rostov et de lUkraine.

    ENFANCE

    Plus de 8% des enfants latino-

    amricains travaillent, et bon nombre

    exercent des activits dangereuses,

    dans des zones insalubres. Pourtant,

    leur situation leur interdit parfois

    de souhaiter une autre vie

    (El Pas, 27 fvrier).

    Les enfants boliviens ont surpris

    le monde en demandant le blocage

    dune loi visant leur interdire

    de travailler. Aprs que leurs

    manifestations eurent t violemment

    rprimes par les forces de scurit

    dans les rues de La Paz, le prsident Evo

    Morales a accept de les rencontrer.

    Il sest prononc pour le retrait du code

    de lenfance et de ladolescence, une loi

    labore dans lobjectif de leur garantir

    le droit tudier et accder des services

    de sant et dducation, mais qui,

    dans sa version initiale, interdisait

    de travailler aux mineurs de moins

    de 14 ans.

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    NOUVELLE LIVRAISON DE MANIRE DE VOIR

    Tectonique des droites

    C

    OMME le souligne Martine Bulard

    dans lditorial, ce numro de

    Manire de voir (1) lance avant tout

    un appel laudace sociale et politique

    afin de rpondre la monte des droites

    extrmes, lesquelles ont en commun une

    conception ethniciste du peuple, une vision

    excluante de la socit nourrie le plus

    souvent dune aversion antimusulmane.

    Reprenant des articles dj parus dans

    Le Monde diplomatique ou indits, ce

    recueil se divise en quatre parties propo-

    sant autant dangles pour une analyse du

    phnomne extrmiste de droite, sans

    concessions ni la bien-pensance librale

    ni la vulgate antifasciste.

    Voici dabord la haine ordinaire, raciale,

    religieuse ou ethnique, marqueur des

    extrmes droites traditionnelles. En filigrane

    dun article consacr la progression en

    Norvge des ides qui ont conduit la tuerie

    dUtya en 2011, ou dun autre consacr

    la monte dun identitarisme juif (qui

    gomme jusqu lide dune identit

    isralienne plurielle), on dcouvre ce que

    Dominique Vidal nomme lobsession de

    construire une nation pure . Ceux qui la

    portent peuvent tre antismites, comme le

    montre CorinaVasilopoulou au sujet dAube

    dore en Grce ; ils sont le plus souvent

    hostiles la religion musulmane. Sur ce

    sujet, on lira avec attention larticle que

    Stefan Durand consacre dconstruire le

    fascisme vert , cet ennemi absolu tho-

    ris par les noconservateurs.

    Lextrme droite mute et parvient

    conqurir une nouvelle respectabilit. En

    Flandre, en Italie et en Espagne, cest une

    droite librale conservatrice dgage de la

    filiation fasciste qui recycle dsormais la

    conception ethnique de la nation, associe

    un programme conomique et social ultra-

    libral, mais arc-bout sur des valeurs

    morales. Ce cocktail idologique ne fonc-

    tionne pas uniquement en Europe : Chris-

    tophe Jaffrelot signe un article passionnant

    sur lhindutva, ce nationalisme hindou

    quon appellerait chez nous identitaire et

    qui pourrait prochainement gouverner

    nouveau lInde.

    En France, cest le Front national qui

    incarne le national-populisme, produit du

    renoncement de la gauche toute rupture

    avec le libralisme, comme le soulignent

    Christian de Brie et Serge Halimi. Pour le

    vaincre, encore faut-il se dgager des mythes

    qui obscurcissent encore son analyse, tel

    celui du gaucho-lepnisme , forme

    savante du prjug selon lequel, les

    extrmes se rejoignant , le FN aurait rcu-

    pr, pour un systme de vases communi-

    cants, les anciens lecteurs communistes de

    la classe ouvrire. Cest ce travail danalyse

    du vote frontiste queffectuent Sylvain

    Crpon et Jol Gombin en en mettant au

    jour les trois piliers : les dgts de la dsin-

    dustrialisation, la peur du dclassement et

    les frustrations face aux ingalits crois-

    santes quengendre la mondialisation.

    De la dernire partie, consacre au

    paravent culturel de ces droites extrmes,

    on retiendra surtout larticle de Philippe

    Pons sur le renouveau du nationalisme rvi-

    sionniste japonais, et le texte fondamental de

    Richard Hofstadter sur le style para-

    noaque dans la politique amricaine,

    extrait dun matre-livre qui mit trente-huit

    ans trouver une traduction franaise.

    Au terme de la lecture, une interrogation

    surgit. On constate depuis les annes 1980

    lchec des ripostes fondes sur lhypothse

    dun retour de la peste brune . Si lex-

    trme droite progresse, cest surtout parce

    que la forme-capital, dans sa domination

    absolue, empche de penser hors du cadre

    libral. Le drame est quavec Alain de

    Benoist la nouvelle droite , par exemple,

    fait ce constat de la marchandisation du

    monde et que la gauche, dans sa majorit, y

    reste sourde.

    JEAN-YVES CAMUS.

    Chercheur associ lInstitut de relations

    internationales et stratgiques (IRIS),

    directeur de lObservatoire des radicalits politiques

    (Fondation Jean-Jaurs).

    (1) Nouveaux visages des extrmes droites ,

    Manire de voir, n

    o

    134, avril-mai 2014, 100 pages,

    8,50 euros.

    COURRICOURRIER DES LER DES LECTECTEURSEURS

    RECTIFICATIFS

    Le crdit de la fresque de Diego Rivera illustrant

    larticle Que viva Mexico ! (fvrier, pages 14

    et 15) revient The BridgemanArt Library, et non

    la Scala de Florence, comme indiqu par erreur.

    Larticle Gopolitique du saut skis (fvrier,

    pages 8 et 9) voque un diffrend territorial entre

    le Japon et la Russie portant sur lle Sakhaline.

    Le litige concerne en ralit les les Kouriles.

    Dans larticle Limites de la coducation (mars,

    page 5), latelier thmatique organis par le Groupe

    franais dducation nouvelle et dirig par des

    parents dlves tait dcrit comme une pratique

    des annes 1980; il a en ralit lieu actuellement.

    Larticle Un nouvel lan, mais pour quelle

    Europe? (mars, pages 16 et 17) prte au Parle-

    ment europen la facult dlire le prsident de la

    Commission. Cest formellement exact, mais le

    Parlement vote pour un candidat dsign par le

    Conseil europen (lire page 18 de cette dition).

    La carte de lextrme droite en Europe (mars,

    page 19) comportait une erreur de colorisation :

    avec un score cumul de 6,5%, lItalie aurait d

    gurer en orange clair, comme la Sude, et non en

    brun, comme la France.

    Dans larticle Tous producteurs (mars,

    page 27), le saxophonisteAlban Darche est incor-

    rectement identi comme trompettiste.

    LES RENCONTRES

    DU MONDE DIPLOMATIQUE

    A loccasion du 60

    e

    anniversaire

    du journal, les 16 et 17 mai 2014,

    un rendez-vous ne pas manquer

    luniversit Paris-VIII,

    amphi D001.

    Une confrence inaugurale, suivie

    dune journe dtudes, avec lquipe

    du journal et de nombreux autres colla-

    borateurs. En partenariat avec lins-

    titut dtudes europennes de luni-

    versit Paris-VIII et le conseil rgional

    dIle-de-France.

    Programme, informations

    et inscriptions : www.amis.monde-

    diplomatique.fr/rencontres

  • 3LE MONDE diplomatique AVRIL 2014

    LES TROPISMES DE LA POLITIQUE TRANGRE FRANAISE

    Plus atlantiste que moi...

    revenu dans le commandement militaire

    de lOrganisation du trait de lAtlantique

    nord (OTAN), de lavoir abandonn en

    rase campagne dans sa croisade contre le

    rgime syrien. Etonnant tte--queue :

    moins va-t-en-guerre que M. Hollande,

    M. Barack Obama qui vient par ailleurs

    dannoncer laugmentation des salaires

    des contractants de son administration

    ajoute un peu de verroterie au portrait du

    prsident socialiste en homme de droite.

    Encourag par un ministre des affaires

    trangres, M. Laurent Fabius, connu pour

    son philoamricanisme, le chef de lEtat

    franais termine luvre datlantisation de

    la diplomatie nationale entame sous

    FranoisMitterrand. Il imite, au nom de la

    France, lintransigeance subtile des nocon-

    servateurs amricains, dclarant vouloir

    punir les terroristes du nord duMali

    et militant pour loption militaire contre le

    rgime de Damas. Aprs avoir fait capoter

    la premire tape des ngociations avec

    lIran (Genve II), Paris adopte face

    Moscou une position de guerre froide :

    soutien leuropanisation de lUkraine,

    reconnaissance du pouvoir issu de la rvolte

    de cet hiver, aide apporte celui-ci,

    abandon de laccord du 21 fvrier prvoyant

    un gouvernement dunit nationale et une

    nouvelle Constitution. Puisant dans un

    dictionnaire qui ne comporte apparemment

    quune page, M. Fabius rpte qui veut

    bien lentendre que la situation est

    difficile et quil faut semontrer ferme.

    PAR ANNE -CCILE ROBERT

    En adoptant une ligne intransigeante vis--vis de la Syrie,

    de lIran ou de la Russie, la France achve une mue

    diplomatique entame sous la prsidence de Franois

    Mitterrand. Paris se met dsormais au diapason dune

    Union europenne qui est depuis sa cration tourne vers

    Washington, et abandonne lambition dincarner une voix

    originale sur la scne internationale.

    DISCRETS, les btiments de la dl-

    gation de lUnion europenne (DUE)

    Washington se fondent dans le dcor

    banal dun quartier daffaires. A peine la

    faade arbore-t-elle le drapeau bleu

    marial aux douze toiles (1) pour signaler

    au visiteur la plus ancienne reprsen-

    tation de la communaut europenne

    ltranger (1954). A quelques cen-

    taines de mtres plus au nord, en ce

    11 fvrier 2014 la capitale amricaine se

    prpare avec faste la visite dEtat du

    prsident Franois Hollande. Les couleurs

    de la France flottent le long des rues au

    rythme dun tendard tous les cinquante

    mtres. Ce soir, la Maison Blanche met

    les petits plats dans les grands pour un

    dner officiel de trois cents convives,

    qualifi de dispendieux par une presse

    locale un peu interloque.

    Ce contraste ne surprend gure

    M. Franois Rivasseau, chef adjoint de la

    DUE, dont aucun reprsentant na t

    convi aux festivits franco-amricaines.

    Les grands Etats conservent videmment

    leur politique bilatrale, admet-il. Voici

    donc la France dans un rle jadis dvolu

    au Royaume-Uni, celui de premier

    lieutenant des Etats-Unismettant goulment

    en scne sa relation spciale avec

    Washington, alors que le signal ukrainien

    grossit sur les crans radars des diplomates.

    De son ct, le prsident amricain

    souhaite consoler son alli, frachement

    spectaculaires en Asie et les difficults

    que traverse lOccident, beaucoup dob-

    servateurs nont pas peru la reconfigu-

    ration de lespace atlantique, crit la

    Commission. Le lien Amrique du Nord -

    Europe demeure le lien le plus fort qui

    existe entre deux continents (7).

    Tous les lments sont lis et conus

    en cohrence. Le commerce mondial

    ralentirait si les Etats-Unis ne garantis-

    saient pas la scurit des acteurs ,

    confirme ainsi avec simplicit M.Volker.

    Mais une telle vision est-elle compatible

    avec le renforcement de lidentit de

    lEurope et [de] son indpendance prvu

    par le prambule il est vrai sans valeur

    contraignante du trait de Lisbonne?A

    quelques dizaines de mtres de la

    dlgation de lUnion Washington, dans

    les bureaux cossus du German Marshall

    Fund of the United States (GMF), un think

    tank amricain cr avec des fonds

    allemands, M.Andrew Fishbein stonne

    de la question: Alors que saffirme lAsie,

    nos intrts sont les mmes. Nous avons

    en outre des valeurs communes, comme

    la dmocratie et la dfense des socits

    civiles qui promeuvent les droits de

    lhomme.

    Ces formules creuses qui reviennent

    dans la bouche de la plupart de nos inter-

    locuteurs jettent une lumire crue sur

    linexistence politique des Vingt-Huit.

    Pour Washington, le partenariat avec

    lEurope constitue lune des mchoires

    de la tenaille qui, avec les accords nous

    dans le Pacifique, doit contenir la fois

    la Russie et la Chine. Pour les Europens,

    dont lunit repose en premier lieu sur la

    promotion de lconomie de march et du

    libre-change, lobjectif stratgique parat

    plus nigmatique.

    destin analyser les volutions fonda-

    mentales du bassin atlantique en termes

    conomiques, scuritaires, institutionnels

    et environnementaux. Obnubils par le

    contraste entre les taux de croissance

    Les Nations unies prises en otage

    (1) Concepteur du drapeau,Arsne Heitz a reconnu

    stre inspir des douze toiles qui entourent la

    couronne de la Vierge Marie.

    (2) Groupe Marly, La voix de la France a disparu

    dans le monde, Le Monde, 22 fvrier 2011.

    (3) Francis Gutmann, Changer de politique. Une

    autre politique trangre pour un monde diffrent?,

    Riveneuve Editions, Paris, 2011.

    (4) Francis Gutmann, Une France fcheusement

    partisane, Observatoire de la dfense et de la scurit,

    21 janvier 2014, www.espritcorsaire.com

    (5) Lire LoriWallach, Le trait transatlantique, un

    typhon qui menace les Europens, Le Monde diplo-

    matique, novembre 2013.

    (6) Dclarations officielles de politique trangre

    du 19 fvrier 2014, ministre des affaires trangres,

    Paris, www.diplomatie.gouv.fr

    (7) Programme Atlantic Future, www.atlantic-

    future.eu

    (8) Dans ce jeu pratiqu par les enfants, les uns (les

    Vingt-Huit) doivent atteindre un point sans tre reprs

    et demeurer immobiles si le joueur dsign, qui regarde

    ailleurs (la Russie), se retourne vers eux.

    Dans le vaste ventail de buts communs,

    parmi lesquels la paix, la dmocratie et la

    scurit, cest surtout lessor de lconomie

    de march et du libre-change (lire notre

    dossier pages 17 21) qui domine une

    relation diplomatiquement dsquilibre :

    partenariat conomique transatlantique

    (1998), accord-cadre sur un nouveau parte-

    nariat conomique et cration du Conseil

    conomique transatlantique (2007).

    Laccord de partenariat transatlantique

    (APT), en cours de ngociation (5), est

    le dernier rejeton libral du couple euro-

    amricain, dont la Commission encourage

    la lune de miel permanente. Lambas-

    sadeur de lUnion Washington, le

    Portugais Joo Vale de Almeida, ne

    mnage pas ses efforts pour convaincre

    les lus du Congrs, qui en craignent les

    effets sur lemploi dans leurs Etats, des

    bienfaits de lAPT. A Paris, le ministre

    dlgu charg des affaires europennes,

    M. Thierry Repentin, banalise la position

    franaise : La France a toujours soutenu

    le principe dun accord de libre-change.

    Ct gopolitique, il affirme : Dans la

    perspective du prochain sommet de

    lOTAN, prvu en septembre 2014, nous

    veillerons renforcer le partenariat entre

    lUnion et lOTAN (6).

    Vice-prsidente duTransatlantic Council,

    un think tank trs guerre froide cr en

    1961, M

    me

    Frances Burwell simpatiente

    de la conclusion dfinitive de laccord,

    car, dit-elle, il permettra lensemble

    atlantique (40% du commerce mondial)

    de fixer les normes conomiques pour

    le monde entier . Les changes entre les

    deux rives reprsentent environ 1,7 milliard

    deuros par jour, chacun tant le premier

    partenaire de lautre. La relation trans-

    atlantique est un paquebot de luxe prcd

    par des croiseurs commerciaux qui

    cherchent projeter coups de traits les

    intrt euro-amricains dans le monde.

    Au-del des phrases convenues sur la

    dmocratie et les droits de lhomme, les

    accords ngocis par lUnion avec les pays

    de lEst, comme lUkraine, sont dailleurs

    avant tout des accords de libre-change.

    Vue de Washington, lide dune Europe

    sociale parat encore plus fumeuse que

    sur le Vieux Continent.

    La notion de relation transatlantique

    sentend dsormais au sens large ,

    explique M

    me

    Heather Conley, ancienne

    sous-secrtaire dEtat aux relations avec

    lEurope. Prenant pour repre les deux

    rives de locan, elle englobe lensemble

    des territoires des Etats-Unis et desVingt-

    Huit. Concrtement, elle stend, douest

    en est, de la Californie la Lituanie et, du

    nord au sud, du Groenland jusqu laTerre

    de Feu et lAfrique du Sud. Cest dans

    cet esprit que la Commission a lanc, en

    janvier 2013, un programme spcial

    AQUELLE vision gopolitique cette atti-

    tude correspond-elle? Aucune, estime un

    diplomate qui voit dans lattitude des

    dirigeants franais unmlange de paresse

    intellectuelle et de mconnaissance de

    lhistoire nationale. En 2011, certains de

    ses confrres dnonaient dj limpul-

    sivit, lamateurisme et la proccu-

    pation mdiatique des locataires du Quai

    dOrsay (2). Une politique extrieure ne

    saurait tre faite dimprovisation, crivait

    de son ct lancien ambassadeur Francis

    Gutmann en 2011.Elle implique une vision

    prospective (ce nest pas le matin mme,

    son rveil, Phnom Penh, quavant de

    prononcer son discours sur le Vietnam le

    gnral de Gaulle sest demand ce quil

    allait dire plus tard au stade) (3). A

    propos de lUkraine, celui qui fut gale-

    ment secrtaire gnral du ministre des

    affaires trangres dcrit une France

    fcheusement partisane (4). Sil fut

    mdiateur dans le conflit en Gorgie en

    2008, Paris laisse dsormais ce rle stra-

    tgique lAllemagne, lie Washington

    depuis 1945, mais aussi partenaire cono-

    mique privilgi de Moscou.

    Face une politique trangre et de

    scurit commune (PESC) qui rduit la

    diplomatie des Vingt-Huit, diviss peu

    prs sur tout, de vagues dclarations

    dintention sur la prservation de la paix

    ou la prvention des crises, le leadership

    des Etats-Unis simpose comme le plus

    petit dnominateur commun. M. Kurt

    Volker, ex-ambassadeur amricain auprs

    de lOTAN rencontr Washington, ne

    cache pas sa satisfaction : depuis la

    normalisation de la politique franaise,

    les rapports euro-atlantiques sont devenus

    plus sains . Rpublicain, il regrette

    que le prsident Obama naffirme pas

    davantage son autorit sur des allis

    europens quil trouve pinailleurs et

    timors. Heureusement, avec lintervention

    en Libye, la France et le Royaume-Uni ont

    dmontr leur capacit prendre leur part

    du fameux fardeau de la dfense

    commune, jouant le rle de bras arm dune

    communaut internationale sous

    domination occidentale. Prives de ltat-

    major intgr, pourtant prvu par leur

    charte fondatrice mais jamais mis en place,

    les Nations unies se retrouvent prises en

    otage par lAlliance.

    Le tropisme atlantique de lUnion

    europenne ne constitue videmment pas

    unemutation gntique impromptue. Lint-

    gration communautaire nat avec la

    bndiction des Etats-Unis et sous leur

    parapluie militaire, alors que commence la

    guerre froide. Washington est, en 1952, la

    premire capitale reconnatre la Commu-

    naut europenne du charbon et de lacier

    (CECA). Le lien ne sest jamais distendu:

    le premier titulaire du poste de haut

    reprsentant pour la PESC de lUnion fut

    lancien secrtaire gnral de lOTAN Javier

    Solana. Son successeur nest autre que

    M

    me

    Catherine Ashton, dont la nationalit

    britannique ne peut que ravir la Maison

    Blanche. Nomme par les vingt-huit chefs

    dEtat et de gouvernement, elle est la fois

    vice-prsidente de la Commission et chef

    du Service europen pour laction extrieure

    (SEAE) cr par le trait de Lisbonne.

    Jusquaux annes 1980, Paris pro-

    mouvait la perspective dune Europe

    europenne, troisime voie entre les

    deux superpuissances russe et amricaine.

    Malgr lopposition franaise exprime

    avec constance jusqu Mitterrand , tous

    les traits confirmrent lattachement

    lOTAN dune Union psychologiquement

    dpendante des Etats-Unis, selon

    lexpression dun haut fonctionnaire

    europen Washington qui prfre garder

    lanonymat. Au moment o se disloquait

    le bloc sovitique, le prsident amricain

    et ses homologues europens ont raffirm,

    travers la dclaration transatlantique de

    1990, leur accord stratgique et la ncessit

    de lapprofondir.

    LOncle Sam force les Occidentaux signer le pacte atlantique

    (journal satirique sovitique Krokodil, 1949)

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    DDUU MMOONNDDEE DDIIPPLLOOMMAATTIIQQUUEE DDEEPPUUIISS SSAA CCRRAATTIIOONN

    Aucune vision stratgique

    EN intervenant directement dans la poli-

    tique ukrainienne, la Russie rappelle son

    appartenance lEurope des puissances

    occidentales qui cherchent sous la houlette

    des Etats-Unis la repousser vers lAsie.

    Au-del de ses intrts nationaux bien

    compris, Berlin se montre rticent une

    perspective qui heurte la fois lhistoire et

    la gographie. Plonge depuis sa naissance

    dans le grand bain atlantique, dsormais

    entendu au sens large, lUnion pntre

    le limes russe avec la lgret de llphant

    et le regard perant de la taupe.

    Non seulement lUnion ne dispose

    daucune vision stratgique de ses intrts

    continentaux, mais rien nindique quelle

    envisage den construire une. Pis, elle ne

    craint pas de contredire les quelques

    principes quelle a laborieusement adopts.

    Ainsi sa politique dite de voisinage

    doit-elle officiellement contribuer stabi-

    liser leVieux Continent dans la paix. Mais

    le soutien apport lextension de

    lAlliance atlantique sur le continent, la

    volont affiche dtendre lUnion aux

    Balkans occidentaux, en poussant par

    exemple Belgrade sloigner deMoscou,

    la signature annonce dun accord

    dassociation traditionnelle antichambre

    de ladhsion lUnion avec Kiev

    risquent de contredire quelque peu cette

    noble ambition.

    Si M. Vladimir Poutine est un adepte

    du recours la force, quil considre

    comme un outil normal de politique

    trangre, il sest malgr lui retrouv dans

    une sorte dun, deux, trois, soleil ! (8)

    avec Bruxelles. Aprs des annes deffa-

    cement russe, il ne peut que constater les

    progrs atlantistes vers ses frontires.

    Faussement nave, lUnion, parvenue

    jusqu Madan, nie son activisme comme

    un enfant qui triche.

    THEBRIDGEMANARTLIBRARY

  • (1) Maurice Thorez fut secrtaire gnral du Parti communiste

    franais de 1930 1964.

    4

    Ces vingt dernires annes, la Rpublique a

    connu une forme particulire de dveloppement,

    souvent qualie de pluralisme oligarchique .

    Beaucoup dhommes daffaires, qui ont construit

    dimmenses fortunes en rachetant vil prix les mines

    ou les usines privatises aprs la n de lURSS, se

    sont engags en politique. Des ngociants en

    ptrole ou en gaz peuvent ainsi devenir ministres,

    ou prendre la tte de grandes administrations

    publiques. Lancienne premire ministre Ioulia

    Timochenko, gure de la rvolution orange de

    2004, leve par les Occidentaux au rang demartyre

    aprs son emprisonnement en aot 2011, a elle-

    mme fait fortune dans lindustrie gazire.

    Des carrires se btissent entre les affaires et le

    service de lEtat. Dautres puissants entrepreneurs

    se contentent dune position plus discrte, nanant

    les campagnes dhommes politiques chargs de

    reprsenter leurs intrts et qui deviennent ainsi

    leurs obligs. Ce systme, qui sest formalis sous

    la prsidence de M. Leonid Koutchma (1994-2005),

    suppose une recomposition permanente, en

    fonction des intrts concurrents de ces puissants,

    de leurs alliances et de leurs ruptures.

    A deux pas du Donbass Palace, au sommet

    de limmeuble cossu qui accueille les siges de

    Metinvest et de DTEK, deux des socits de

    M. Akhmetov, figurait lenseigne lumineuse de

    Mako, la holding enregistre en Suisse par

    M. Ianoukovitch fils pour exporter le charbon

    ukrainien. Quelques jours aprs la chute du pre,

    elle a t discrtement dmonte, signe que

    lalliance unissant le matre du Donbass et les

    hommes du prsident avait fait long feu.

    Ds 2010, le prsident Ianoukovitch, considr

    depuis les annes 1990 comme le reprsentant

    politique des intrts du clan de Donetsk, avait

    dcid de prendre une certaine autonomie face

    son puissant protecteur. Il avait plac ses hommes

    de confiance les membres de sa famille ,

    comme les Ukrainiens lont rapidement appele

    aux postes-cls de lEtat. Parmi eux, M. Serhiy

    Arbouzov, considr comme son banquier

    personnel, a pris la tte de la banque centrale fin

    2010. Il a t brivement dsign premier ministre

    au plus fort de la crise, le 28 janvier dernier, aprs

    le dpart de M. Mykola Azarov. Le prsident

    Le charbon extrait des kopanki tait cd

    bas prix aux mines publiques, puis revendu par

    celles-ci au prix du march, raconte M. Anatoly

    Akimochin, vice-prsident du syndicat indpendant

    des mineurs dUkraine. A ces prots venaient

    sajouter les subventions accordes par le gouver-

    nement pour maintenir articiellement la solvabilit

    des mines publiques. Une bonne part de ces

    sommes disparaissait dans les poches des hommes

    du rgime, glisse M. Akimochin. Selon les experts

    nationaux, 10 % du charbon produit ces dernires

    annes dans le pays venait de ces exploitations

    illgales. Derrire ce rseau se prole lombre de

    M. Alexandre Ianoukovitch, le ls an de lancien

    prsident, qui avait pris ainsi le risque dentrer en

    concurrence avec les propritaires des mines priva-

    tises, au premier rang desquels M. Akhmetov.

    Une rvolution? Non, une simple redistribution

    des cartes. Le sociologue Volodymyr Ishchenko,

    directeur du Centre pour les recherches sur la

    socit de Kiev, ne cache pas son amertume,

    quelques semaines aprs la fuite de M. Ianouko-

    vitch et linstauration dun nouveau rgime. Ce

    gouvernement dfend les mmes valeurs que le

    prcdent : le libralisme conomique et lenri-

    chissement personnel. Toutes les rbellions ne sont

    pas des rvolutions. Il est peu probable que le

    mouvement de Madan permette des changements

    profonds et puisse ainsi prtendre au titre de

    rvolution. Le candidat le plus srieux llection

    prsidentielle du 25 mai nest autre que M. Petro

    Porochenko, le roi du chocolat, lun des hommes

    les plus riches du pays Alors que des manifes-

    tants tombaient encore sous les balles Madan, la

    place de lIndpendance, picentre de la colre

    populaire depuis le 22 novembre, une trange

    transition se ngociait dans quelques antichambres

    avec les puissants hommes daffaires qui ont pris

    le contrle de lUkraine.

    sappuyait galement sur M. Vitali Zakhartchenko,

    un proche ami de son fils Alexandre, quil nomma

    la tte de ladministration fiscale en dcem-

    bre 2010, avant de le propulser ministre des affaires

    trangres en novembre 2011. Enfin, il fit le choix,

    ds son arrive au pouvoir, de favoriser les affaires

    dun autre homme dinfluence, M. Dmytro Firtach,

    qui a un temps dtenu le monopole de limpor-

    tation de gaz russe, avant de se diversifier dans la

    chimie et le secteur bancaire. M. Zakhartchenko

    sest enfui en Russie, tandis que M. Firtach a t

    arrt Vienne le 13 mars.

    La famille a aussi favoris lapparition du

    groupe dit des jeunes oligarques, dont M. Serhiy

    Kourtchenko tait ltoile montante. Ce trs jeune

    homme (il est n en 1985 Kharkiv), quali par la

    presse de rvlation du monde des affaires en

    2012, est le propritaire de la compagnieGazUkraine,

    qui contrlait 18 % du march du gaz liquide tout

    en ralisant un chiffre daffaires global de 10milliards

    de dollars. M. Kourtchenko sest offert en 2012 la

    rafnerie dOdessa ainsi que le club de football de sa

    ville natale, le Metalist Kharkiv. Cette fulgurante

    ascension repose avant tout sur les relations troites

    quil entretenait avec le ls de lancien procureur

    gnral Viktor Pchonka, autremembre minent de la

    famille. En acqurant la rafnerie dOdessa, le

    jeune propritaire deGazUkraine tait entr en rivalit

    ouverte avecM. Igor Kolomosky, considr comme

    la troisime fortune du pays, trs prsent sur le

    march du ptrole. La concurrence tait fausse,

    explique la journaliste Anna Babinets, car M. Kourt-

    chenko avait le soutien du rgime.

    Aprs la chute de la famille, M. Kourtchenko

    ainsi que les Pchonka pre et ls ont fui en Russie.

    Le 2 mars 2014, son rival, M. Kolomosky, a t

    nomm gouverneur de loblast de Dnipropetrovsk

    par les nouvelles autorits. Le mme jour, M. Serhiy

    Tarouta, acteur central de la sidrurgie, propritaire

    de lUnion industrielle du Donbass (IDS), tait dsign

    gouverneur de loblast de Donetsk. Lhomme a t

    lun des nanciers de la rvolution orange, mais il

    sest toujours gard de trop afcher ses engage-

    ments politiques. MM. Tarouta et Akhmetov nont

    jamais t amis. Mais, aprs bien des conits, ils ont

    su passer une forme daccord pour contrler notre

    rgion, explique le politologue Valentin Kokorski,

    professeur luniversit de Donetsk. Il est inconce-

    vable que M. Akhmetov nait pas donn son aval

    la nomination de son rival. Entre les deux hommes,

    pourtant, la bataille fut longtemps froce, M. Akhme-

    tov augmentant ses prix pour acculer M. Tarouta

    cder le contrle de sa socit.

    AVRIL 2014 LE MONDE diplomatique

    TOUT prs de la place Lnine de Donetsk, le

    Donbass Palace est lhtel le plus luxueux de lest

    de lUkraine. Dans cette vitrine de lempire de

    M. Rinat Akhmetov, la chambre cote 350 euros la

    nuit, bien plus que le salaire mensuel moyen.

    Lhomme le plus riche du pays fut un proche de

    M. Viktor Ianoukovitch, le prsident dchu, et soutient

    aujourdhui prudemment le pouvoir issu de linsur-

    rection Kiev. Outre cet htel et de multiples biens

    immobiliers, le milliardaire possde le club de football

    de la ville, le Chakhtar Donetsk, et surtout desmines,

    des aciries, des usines. Parmi les clans de loli-

    garchie nationale, les plus grandes fortunes sont

    nes dans ce bassin industriel et minier du Don. Ces

    terres correspondant aux oblasts (rgions) de

    Donetsk et de Louhansk formaient dj lun des

    curs industriels et miniers de lUnion sovitique.

    Le Donbass fournit encore le quart des rentres

    en devises de lUkraine, mme sil ne reste plus que

    quatre-vingt-quinze mines ofciellement en activit,

    contre deux cent trente il y a vingt ans. Durant la

    mme priode, le pays a perdu sept millions dhabi-

    tants. Aprs laccession lindpendance, n 1991,

    face au chaos conomique et la fermeture des

    premires mines dEtat, les hommes ont commenc

    gratter le sol pour survivre. Ici, il suft de creuser

    un mtre pour trouver du charbon, lche un vieux

    mineur de Thorez, la ville industrielle voisine, qui

    porte toujours le nom de lancien dirigeant commu-

    niste franais (1). Dans les galeries artisanales, mal

    tayes par des rondins, les accidents sont

    nombreux. Pousss par lespoir de gagner 200 ou

    300 euros par mois, les mineurs acceptent le risque

    de disparatre dans les entrailles de la terre. Avec

    larrive de M. Ianoukovitch la tte de lEtat, en

    2010, le rseau des kopanki, ces mines illgales,

    sest structur et organis.

    * Journalistes.

    charde du 23 fvrier a soudainement rendu

    le discours de Moscou vridique : pour

    lEst ukrainien, le problme nest pas que

    le nouveau gouvernement du pays soit

    parvenu au pouvoir en renversant le

    prsident lu, mais bien que sa premire

    dcision ait t de faire courber la tte la

    moiti de ses citoyens.

    faiblesse deM. Barack Obama. Lequel,

    sans doute trop occup par lassurance-

    maladie de ses concitoyens, ne ralise pas

    que lagression en Crime () insuffle

    de laudace dautres agresseurs, des

    nationalistes chinois aux terroristes dAl-

    Qaida et aux thocrates iraniens (9). Que

    faire ? Nous devons nous rarmer

    moralement et intellectuellement, rpond

    lancien colistier deM

    me

    Sarah Palin, pour

    empcher que les tnbres du monde de

    M. Poutine ne sabattent davantage sur

    lhumanit.Discours qui, pour dnoncer

    des thocrates, nen abuse pas moins du

    registre thologique.

    A Washington et Bruxelles, dans un

    style voisin, on semble stre entendu pour

    souffler sur les braises de la crise ukrai-

    nienne au lieu de lapaiser. A lcart de

    ces outrances, limpavide M

    me

    Angela

    Merkel tlphone (en russe) M. Poutine.

    (5) La rvolution de velours de 1989 conduisit en

    1992 la scission de lEtat en deux entits, sur une

    base ethnolinguistique.

    (6) Dclaration lagence Interfax, 17 mars 2014.

    (7)Au cours dune conversation tlphonique avec

    lambassadeur amricain en Ukraine rendue publique

    en fvrier, la sous-secrtaire au dpartement dEtat

    charge de lEurope sest exclame : Que lUnion

    europenne aille se faire f!

    (8) Lire Emmanuel Dreyfus, En Ukraine, les ultras

    du nationalisme, LeMonde diplomatique,mars 2014.

    (9) JohnMcCain, Obama has madeAmerica look

    weak, The NewYork Times, 14 mars 2014.

    vrier 2014, date de la prise de contrle du

    Parlement et du gouvernement de Crime

    par des hommes arms un coup de thtre

    qui serait la rplique deM. Poutine la fuite

    du prsident ukrainienViktor Ianoukovitch

    le 22 fvrier. En ralit, le basculement sest

    opr entre ces deux vnements, prci-

    sment le 23 fvrier, avec la dcision absurde

    des nouveaux dirigeants de lUkraine

    dabolir le statut du russe comme seconde

    langue officielle dans les rgions de lEst

    un texte que le prsident par intrim a

    jusquici refus de signer. A-t-on dj vu

    un condamn lcartlement fouetter lui-

    mme les chevaux?

    M. Poutine ne pouvait rver mieux que

    cette ineptie pour enclencher sa manuvre

    crimenne. Linsurrection qui a men la

    chute de M. Ianoukovitch (lu en 2010),

    puis la sortie de la Crime russophone

    du giron de Kiev nest donc que la dernire

    manifestation en date de la tragdie cultu-

    relle consubstantielle cette Belgique

    orientale quest lUkraine.

    A Donetsk comme Simferopol, les

    Ukrainiens russophones sont en gnral

    moins sensibles quon ne le dit la propa-

    gande du grand frre russe : la dcrypter

    avec une ironie fataliste est devenu une

    seconde nature. Leur aspiration un

    vritable Etat de droit et la n de la

    corruption est la mme que celle de leurs

    concitoyens de Galicie.M. Poutine sait tout

    cela. Mais il sait aussi que ces populations,

    qui tiennent leur langue, nchangeront

    pas Alexandre Pouchkine et les souvenirs

    de la grande guerre patriotique nom

    sovitique de la seconde guerre mondiale

    contre un abonnement La Rgle du jeu,

    la revue de Bernard-Henri Lvy. En 2011,

    38 % des Ukrainiens parlaient russe la

    maison. Or la dcision aventureuse et revan-

    (Suite de la premire page.)

    PAR NOS ENVOYS SPCIAUX

    JEAN -ARNAULT DRENS ET LAURENT GESLIN *

    Aprs la scession de la Crime, le nouveau pouvoir

    ukrainien doit affronter une situation conomique,

    dmographique et sociale dsastreuse. Le systme

    oligarchique construit depuis vingt ans nourrit la pauvret,

    les rancurs et les peurs. Or rien nindique

    quil sera vraiment remis en cause.

    TOUTES LES RBELLIONS NE SONT

    Ukraine, dune

    LES BONS, LA BRUTE ET LA CRIME

    Lobsession antirusse

    Les policiers

    ne savent plus

    qui obir

    Epouser lun ou lautre reviendrait pour

    elle nier ce qui la fonde, et donc valider

    le mcanisme sans retour dune partition

    la tchcoslovaque (5). Elle est une

    ternelle ance gopolitique.

    LUkraine ne saurait choisir. Elle se

    contente donc de se faire offrir des bagues

    coteuses : 15 milliards de dollars promis

    par la Russie en dcembre 2013, et

    3 milliards par lUnion europenne au

    mmemoment pour accompagner laccord

    dassociation avort.A chaque prtendant,

    elle accorde quelques assurances rvo-

    cables : accords de Kharkiv, qui, en 2010,

    prolongeaient jusquen 2042 la location

    la Russie de la base navale de Sbastopol,

    ou encore location de terres arables aux

    magnats de lagriculture europenne. En

    rduisant ce mnage trois goculturel

    unmariage forc avecMoscou, les experts

    qui succombent ce quil faut bien appeler

    lobsession antirusse rvlent une svre

    insuffisance analytique. Eux qui reprochent

    M. Poutine de se borner au champ troit

    de la politique de puissance font preuve

    dune hmiplgie nonmoins condamnable

    en limitant leur horizon narratif

    labsorption libratrice de lUkraine dans

    la communaut euro-atlantique.

    Contrairement ce qui a pu tre crit,

    la rupture des quilibres internes de cette

    nation fragile na pas eu lieu le 27 f-

    Fantasmes bipolaires et romans despionnage

    CEST ce jour-l que Madan a perdu

    la Crime, dont personne na jamais oubli

    quelle avait t offerte par Nikita

    Khrouchtchev lUkraine en 1954 (lire la

    chronologie ci-contre).Do la remarque

    de M. Mikhal Gorbatchev le 17 mars,

    aprs le plbiscite par la population

    crimenne dun rattachement la Russie :

    Si, lpoque, la Crime a t unie

    lUkraine selon des lois sovitiques (...),

    sans demander son avis au peuple,

    aujourdhui ce peuple a dcid de corriger

    cette erreur. Il faut saluer cela, et non

    annoncer des sanctions (6). Ces propos

    ont fait leffet dune douche froide

    Bruxelles, o se prparaient, en coordi-

    nation avec Washington, une srie de

    mesures de rtorsion contre Moscou

    (restrictions du droit de voyager et gel des

    avoirs de responsables ukrainiens et russes).

    Si ce que veut la Russie nest pas

    justiable, il serait intressant den

    comprendre les ressorts, avant de le

    condamner si ncessaire. Dautant que

    lUkraine pourrait perdre davantage que

    la Crime, si daventure la frquentation

    prolonge de la si courtoise Victoria

    Nuland (7) la poussait adhrer lOrga-

    nisation du trait de lAtlantique nord

    (OTAN). Certains des hommes forts du

    nouveau gouvernement, o sigent quatre

    ministres du parti ultranationaliste Svo-

    boda (8), sont acquis cette ide.

    Peut-tre serait-il temps de bannir la

    locution guerre froide des articles

    consacrs la Russie. Historiquement

    inoprant, ce raccourci sert surtout justier

    lexpression pavlovienne de fantasmes

    bipolaires recuits. M. JohnMcCain, ancien

    candidat rpublicain la Maison Blanche

    et expert international reconnu de lArizona,

    en a donn un exemple notable en fusti-

    geant M. Poutine, imprialiste russe et

    apparatchik du KGB enhardi par la

  • 5LE MONDE diplomatique AVRIL 2014

    Ces deux-l font mieux que sentendre :

    ils se comprennent. Leurs positions sont

    radicalement opposes ? Ils le voient

    comme loccasion, non de sinsulter, mais

    de dialoguer et de ngocier, pied pied.

    A Londres, Paris ouWashington, on relit

    les romans despionnage de Tom Clancy.

    A Berlin et Moscou, capitales froides

    lies par lconomie, par lnergie (40 %

    du gaz allemand est russe) et par le souvenir

    de lordalie militaire du front de lEst, les

    gouvernements consultent les cartes dune

    Mitteleuropa dont eux seuls, aujourdhui,

    matrisent vraiment les lignes de force.

    Les mots durs de la chancelire lgard

    deMoscou ne lempchent pas de percevoir

    dune part les raisons objectives de la

    nervosit de M. Poutine et dautre part la

    ralit de ses capacits manuvrires.

    M

    me

    Merkel diffre en cela deM. Ianou-

    kovitch, qui na pas compris grand-chose

    la psychologie de son protecteur :

    La Russie doit agir, tonnait lexil le

    28 fvrier. Et, connaissant le caractre de

    Vladimir Poutine, je me demande pourquoi

    il est si rserv et pourquoi il garde le

    silence. Le fond du problme est l : le

    prsident ukrainien dchu agit et parle

    sans sencombrer dinformations, sans

    tenir compte du long terme ni se demander

    ce que pensent les citoyens de son pays.

    Il ne parvient donc pas saisir M. Poutine,

    dont la marque de fabrique, sous des

    dehors brutaux, est de savoir jusquo ne

    pas aller trop loin contrairement

    M. Ianoukovitch, mais aussi aux partisans

    ensuite sa contre-offensive sur le terrain de

    la controverse juridique.Avec le rfrendum

    du 16 mars 2014, la question du spara-

    tisme de la pninsule est dsormais un point

    de droit international sur lequel pse lombre

    jurisprudentielle duKosovo, pch originel

    quimet lesOccidentaux face leurs propres

    contradictions (10).

    mmes caisses, en sadressant aux mmes

    conseillers en communication (12). A ce

    prix, seulement, deviendra intangible

    une intgrit territoriale qui, malgr les

    affirmations de diplomates la mmoire

    courte, ne lest aujourdhui pas plus que

    celle de la Tchcoslovaquie en 1992, de

    la Serbie en 1999 ou du Soudan en 2011.

    Le d ukrainien nest pas externe, mais

    interne. Comme le notait le sociologue

    Georg Simmel, la frontire nest pas un

    fait spatial impliquant des consquences

    sociologiques, mais un fait sociologique

    qui sexprime sous forme spatiale (13).

    La question nest pas de savoir si

    M. Poutine est la rincarnation dIvan le

    Terrible, mais si les lites ukrainiennes

    se montreront la hauteur de leur tche et

    sauront se muer en ingnieurs sociaux pour

    rtablir lunit dun pays pluriel. Ce jour-

    l, que lon doit souhaiter, lUkraine

    mritera enn ses frontires.

    OLIVIER ZAJEC.

    (2) SlawomirMatuszak, The oligarchic democracy :The influence

    of business groups on Ukrainian politics, Centre for Eastern Studies,

    Varsovie, septembre 2012.

    (3) Lire Emmanuel Dreyfus, En Ukraine, les ultras du nationa-

    lisme, Le Monde diplomatique, mars 2014.

    de lextension innie de lOTAN et de

    lUnion europenne.

    Le prsident russe na jou la carte

    militaire quindirectement, travers linl-

    tration dissuasive, sans uniformes, de troupes

    russes en Crime, combine des manu-

    vres frontalires, pour mieux dplacer

    OloducGazoduc

    ferme

    Energie

    Centrale nuclaire

    en service

    Ressources minires

    Fer Manganse Uranium

    Ukrainien

    Polonais

    Bulgares

    Tatars

    RussesUkrainiens

    Hongrois

    Roumains

    Minorits

    Grand centre

    industriel

    Bassin houiller

    et industriel

    Terres vendues ou loues des investisseurs

    trangers (1,6 million dhectares en mars 2014)

    Base militaire russe

    Sources : Philippe Rekacewicz ; Land Matrix ;

    State Statistics Service of Ukraine.

    Nombre dhabitants

    en milliers

    3 000

    1 500

    750

    300

    100

    0

    200 400 km

    Russe

    Langue majoritaire

    NB : Aprs le rfrendum

    du 16 mars 2014,

    la Fdration de Russie

    a annex la Crime.

    Lviv

    Loutsk

    Rivne

    Khmelnytsky

    Vinnytsia

    Jytomyr

    Kiev

    Tchernihiv

    Tchernobyl

    Tcherkassy Poltava

    Kharkiv

    Dnipropetrovsk

    Louhansk

    Donetsk

    Marioupol

    Kirovohrad

    Youjnooukransk

    Kryvy

    Rih

    Mykolav

    Kherson

    Simferopol

    Sbastopol

    Kertch

    Odessa

    Tchernivtsi

    Oujhorod

    Ternopil

    Ivano-

    Frankivsk

    Zaporijia

    POLOGNE

    BILORUSSIE

    RUSSIE

    MOLDAVIE

    ROUMANIE

    HONGRIE

    SLOVAQUIE

    Soumy

    Transnistrie

    RUSSIE

    Mer Noire

    Mer dAzov

    Makiivka

    Crime

    UKRAINE

    AGNS STIENNE

    Donbass

    Galicie

    jours aprs sa nomination, M. Tarouta sest rendu

    Marioupol pour rencontrer les reprsentants des

    milieux conomiques. La runion a t fructueuse.

    Personne na intrt lclatement de lUkraine,

    assure M. Nikolai Tokarsky, directeur de linuent

    quotidien local Priazovsky rabochy, qui a particip

    la rencontre. Le journal appartient la holding SKM

    deM. Akhmetov. M. Tokarsky est galement dput

    au Parlement de loblast de Donetsk o, sous lti-

    quette indpendant, il reprsente directement les

    intrts des oligarques. Au risque de mcontenter

    son lectorat, trs sensible aux sirnes russes,

    Priazovsky rabochy milite pour l intgrit territo-

    riale de lUkraine, manifestant ainsi le ralliement de

    M. Akhmetov aux nouvelles autorits de Kiev.

    Le gouvernement compte sur les oligarques pour

    tenter de pallier la faillite et la quasi-disparition de

    lappareil dEtat. Il tente surtout de les impliquer dans

    la dfense contre la menace russe, tant entendu

    quun conit durable serait dsastreux pour leurs

    intrts. MM. Akhmetov et Tarouta semblent bien

    conscients du danger, et ont multipli les appels au

    calme. Aprs les violentes chauffoures du 13mars,

    qui ont cot la vie un manifestant dans le centre

    de Donetsk, M. Akhmetov sest fendu dun commu-

    niqu pour dire que le Donbass est une rgion

    responsable, o vit un peuple courageux et

    travailleur, et quil ne saurait cder aux dmons de

    la violence.

    Tout au long dumois demars, une trange bataille

    a opposmanifestants prorusses et forces de lordre

    pour le contrle des btiments publics dans lEst.

    Occups par les contestataires, ils furent repris par la

    police quelques jours plus tard. Quand le sige de

    ladministration rgionale de Louhansk a t investi,

    le 9 mars, trois cents policiers quips de boucliers

    antimeute, au lieu de dfendre ldice, en sont sortis

    sous les vivats dune foule de deux mille personnes,

    majoritairement des femmes et des retraits.

    Beaucoup de policiers afchaient un sourire de conni-

    vence avec ceux qui venaient de les dloger. Ce

    scnario sest rpt plusieurs reprises Donetsk.

    Les policiers ne savent plus qui obir. Leurs chefs

    servaient les prcdentes autorits, explique

    M. Denis Kazanski, clbre blogueur de Donetsk.

    Les chanes de commandement sont incertaines

    tous les chelons des forces de scurit. Les

    administrations centrales, o de nouveaux cadres

    ont t nomms, ne sont gure plus fonctionnelles :

    Concernant la corruption, le parquet compte sur

    les donnes que nous, journalistes, pouvons lui trans-

    mettre, car les archives ont disparu, explique ainsi

    Babinets. Tandis que larme ukrainienne naurait,

    selon M. Olexandre Tourtchinov, prsident de la

    Rpublique par intrim, que sixmille hommes en tat

    de combattre, le Parlement a vot, le 13 mars, la

    cration dune garde nationale. Cette troupe, qui

    pourrait intgrer les nationalistes les plus radicaux,

    comme ceux du groupe dextrme droite Praviy

    Sektor (3), a peu de chances de rpondre aux ds

    scuritaires, mais elle risque daugmenter lamance

    des populations de lEst. Le 14mars, une altercation

    meurtrire a oppos, dans la ville de Kharkiv, des

    militants de Praviy Sektor des prorusses.

    En ralit, alors que lEtat semble en train de se

    disloquer, lhistoire de la rvolution ukrainienne

    est peut-tre dj celle dune occasion manque.

    Responsable du Parti des rgions dans la ville de

    Louhansk, une trentaine de kilomtres de la frontire

    russe, M. Alexandre Tkachenko reconnat avoir t

    choqu, comme tout le monde, par les images de

    la luxueuse villa de M. Ianoukovitch, avec ses

    fameuses toilettes en ormassif : Quand nous tions

    jeunes, on nous apprenait le vieux slogan Paix aux

    chaumires, guerre aux palais, soupire-t-il. Mais la

    corruption a rong lensemble du pays.

    Les populations de lEst auraient sans doute pu

    se joindre celles de lOuest dans un mouvement

    commun contre loligarchie et la corruption. Mais

    lexaltation du nationalisme ukrainien a jou un rle

    de repoussoir pour les russophones de la partie

    orientale, tandis que les partisans de lancien

    prsident Ianoukovitch agitent en rponse lpou-

    vantail dune menace fasciste. Il a suf de quelques

    semaines pour que la manipulation des peurs et des

    sentiments identitaires conduise le pays au bord de

    la guerre civile.

    JEAN-ARNAULT DRENS

    ET LAURENT GESLIN.

    Lun des rares avantages du systme oligarchique

    aurait t de prserver le pays de linuence des

    capitaux russes (2). Cependant, prcise Kokorski,

    il serait illusoire dimaginer que lconomie ukrai-

    nienne, notamment dans le Donbass, puisse se

    passer de la Russie. Toutes nos industries de trans-

    formation sont tournes vers ce march et, bien

    souvent, elles ne sont pas aux normes de lUnion

    europenne. Nos oligarques savent trs bien que

    lUkraine ne peut trouver son salut quen jouant

    pleinement sa fonction de pont entre lUnion

    europenne et la Russie. Par exemple, la fortune

    deM. Akhmetov senracine dans la terre duDonbass,

    mais stend la Russie et plusieurs pays de lUnion

    (Bulgarie, Italie, Royaume-Uni). Loligarque y possde

    des usines ainsi quune kyrielle de socits-crans

    et de participations croises.

    Pour sa part, M. Tarouta est issu de la minorit

    grecque des bords de la mer dAzov. Sa ville natale,

    le grand port deMarioupol, est un bastion du groupe

    Akhmetov. Celui-ci possde les combinats mtal-

    lurgiques Azovstal et Illitch, ainsi que lusine de

    wagons et de locomotives Azovmach, qui exporte la

    quasi-totalit de sa production en Russie. Quelques

    PAS DES RVOLUTIONS

    oligarchie lautre

    Paix aux chaumires,

    guerre aux palais ,

    un slogan oubli

    Deux poids, deux mesures

    LURGENCE est de prendre la mesure des

    quilibres gopolitiques de long terme pour

    en matriser les effets de changement.

    Autrement dit, il sagit daccepter de penser

    la notion dinteraction (Wechselwirkung),

    dont le stratgiste Carl von Clausewitz

    faisait la marque de tous les duels logiques

    se rglant par la force ou par la menace dy

    recourir. Il y a dans la logomachie

    occidentale un refus panique des variables

    instables (11) qui dnote une pratique

    diplomatique rduite ltat de spasme

    rflexe. La Russie juge quil y a deux poids,

    deux mesures dans les relations interna-

    tionales. La Chine a une analyse voisine,

    et sest abstenue lors du vote au Conseil

    de scurit de lOrganisation des Nations

    unies (ONU), le 16 mars, dune rsolution

    condamnant la politique russe en Crime.

    LAfghanistan en 2001, lIrak en 2003,

    la Libye en 2011 seraient luvre altruiste

    de puissances visionnaires auxquelles ne

    saurait tre reproche quune maladroite

    fougue libratrice. Les autres acteurs, en

    revanche, ne dfendraient leurs intrts

    quau prix dagressions condamnables.

    PourM. Franois Hollande, le rfrendum

    du 16 mars relve dune pseudo-consul-

    tation, car elle nest pas conforme au

    droit interne ukrainien et au droit inter-

    national (dclaration du 17 mars). Le

    17 fvrier 2008, neuf ans aprs une

    opration militaire dcide sans laval de

    lONU, le Parlement kosovar albanais votait

    lindpendance de la province autonome

    serbe du Kosovo, contre la volont de

    Belgrade, avec le soutien de la France et

    des Etats-Unis. La Russie mais aussi

    lEspagne refusrent, et refusent toujours,

    de reconnatre cette entorse au droit inter-

    national. Tout comme... lUkraine.

    Trois chantiers prioritaires attendent les

    Ukrainiens : lquilibre gopolitique entre

    Russie et Europe ; lgalit culturelle et

    linguistique entre citoyens de lEst et de

    lOuest ; et la n de la corruption des

    lites. Quelles soient dmocrates ou

    prorusses, celles-ci ont puis dans les

    Soixante ans

    de tiraillements

    Fvrier 1954. Nikita Khrouchtchev

    rattache la Crime lUkraine.

    Aot 1991. Indpendance.

    Juin 1993. Statut spcial

    dautonomie pour la Crime.

    21 novembre 2004. Dbut

    de la rvolution orange, qui porte

    la prsidence M. Viktor

    Iouchtchenko.

    Aot 2006.M. Viktor Ianoukovitch

    devient premier ministre

    de M. Iouchtchenko.

    Fvrier 2010.M. Ianoukovitch

    est lu prsident face M

    me

    Ioulia

    Timochenko.

    21 novembre 2013. Refus

    de laccord dassociation

    avec lUnion europenne. Dbut

    des manifestations Kiev.

    20 fvrier 2014. Journe sanglante

    Kiev.

    21 fvrier.Accord sign entre

    M. Ianoukovitch, lopposition

    et les ministres europens.

    22 fvrier. Fuite de M. Ianoukovitch,

    qui dnonce un coup dEtat.

    23 fvrier. Le Parlement abroge

    la loi sur les langues.

    27 fvrier. Des miliciens, seconds

    par des soldats russes sans insigne,

    prennent le contrle de la Crime.

    16 mars. Rfrendum en Crime ;

    96,7% des voix pour le

    rattachement la Russie.

    (10) Lire Jean-Arnault Drens, Indpendance du

    Kosovo, une bombe retardement, Le Monde diplo-

    matique, mars 2007.

    (11) Cf. les travaux de Robert Kehoane sur limpor-

    tance des perceptions dans la thorie des relations inter-

    nationales.

    (12) LAmricain PaulManafort a conseillM. Ianou-

    kovitch de 2004 2013. Il avait auparavant offici au

    service de Ronald Reagan, de M. George W. Bush

    et de M. McCain. Cf. Alexander Burns et Maggie

    Haberman, Mystery man : Ukraines US political

    fixer, Politico, 5 mars 2014, www.politico.com

    (13) Cf.Georg Simmel, Soziologie des Raumes,

    dans Jahrbuch fr Gesetzgebung,Verwaltung undVolks-

    wirtschaft, XXVII, Leipzig, 1903.

    UN PAYS CHARNIRE ENTRE LEUROPE CENTRALE ET LA RUSSIE

  • (1) LireG.M.Tamas, Peur et dsolation enHongrie,

    Manire de voir, n

    o

    134, Nouveaux visages des extrmes

    droites, avril-mai 2014, en vente en kiosques.

    (2) Figyel, Budapest, 19 dcembre 2014.

    (3) Elet s Irodalom, Budapest, 20 dcembre 2013.

    (4) Magyar Hrlap, Budapest, 3 mai 2012.

    (5) Cit par Paul Lendvai, Hungary : Between

    Democracy andAuthoritarianism,Columbia University

    Press, NewYork, 2012.

    (6) Lire Laurent Geslin et Sbastien Gobert, Voyage

    aux marges de Schengen, Le Monde diplomatique,

    avril 2013.

    6

    REJET DU FMI ET AUSTRIT, LTONNANT COCKTAIL

    Le national-conservatisme sancre

    de lEtat, et souhaite mme prparer un

    socle juridique pour leur nationalisation

    aprs les lections du 6 avril. Enfin, il tente

    aussi de faire payer aux banques les cons-

    quences de lendettement en francs suisses

    de centaines de milliers de familles qui

    avaient souscrit des prts pourris au

    milieu des annes 2000.

    Cest toutefois le bras de fer avec le Fonds

    montaire international (FMI) qui met le

    mieux en lumire sa volont dindpen-

    dance nationale. En 2010, le premier

    ministre a refus les dernires tranches dun

    ensemble de prts de 20 milliards deuros

    contracts en octobre 2008 auprs du FMI,

    de la Banque mondiale et de lUnion

    europenne. Au terme de longs mois de

    tractations, il a dclin une seconde offre

    la fin de lanne 2012. Une rhtorique

    souverainiste sest dploye travers une

    vaste campagne daffichage dans tout le

    pays : Non la baisse des allocations

    familiales ! Non la baisse des retraites !

    Nous ne cderons pas face au FMI! Nous

    ne renoncerons pas lindpendance de la

    Hongrie!Ce qui nempcha pas le gouver-

    nement de poursuivre une politique daus-

    trit par la baisse dautres allocations

    sociales ou par des coupes budgtaires dans

    la sant et lducation.

    Ses adversaires comparent M. Orbn

    tantt au dfunt prsident vnzulien

    Hugo Chvez, pour son antilibralisme,

    tantt M. Vladimir Poutine, pour son

    autoritarisme, tantt feu le dirigeant

    communiste roumain Nicolae Ceausescu,

    pour le culte de la personnalit. Plus

    raisonnablement, lconomiste Zoltn

    Pogtsa voit dans le modle de dvelop-

    pement quil promeut un mlange de

    gaullisme et de reaganisme.

    Ses mesures conomiques ne sont pas

    destines financer ce quil reste de lEtat

    social : le premier ministre prne la sortie

    de l impasse que reprsente le modle

    ouest-europen dEtat-providence au

    profit dune socit fonde sur le travail.

    Ainsi, le Parlement a vot en juillet 2012

    une loi contraignant les bnficiaires de

    laide sociale des travaux dutilit

    publique. Cette politique est mene au

    nom de la rduction du dficit public en

    dessous de 3 % du produit intrieur brut

    (PIB), conformment la doctrine

    europenne, et de la stabilisation de la

    dette environ 80 % du PIB. Car, sil a

    tenu tte au FMI sur de nouveaux prts,

    M. Orbn na jamais remis en cause le

    remboursement de la dette.

    Limpt progressif sur le revenu a t

    remplac par une taxe unique de 16 %. Le

    ministre de lconomie Mihly Varga

    envisage mme son passage 9 % en

    2015 (2). Les faveurs du gouvernement

    vont dabord aux classes moyennes, tandis

    que la pauvret ne cesse de gagner du

    terrain : sur une population totale de dix

    millions dhabitants, le nombre de

    personnes vivant sous le seuil de pauvret

    (220 euros par mois) est pass de trois

    millions au dbut des annes 2000 quatre

    millions aujourdhui, selon la sociologue

    Zsuzsa Ferge.

    Derrire le paravent de lintrt national

    se dessinent petit petit les contours de

    nouvelles prbendes bnficiant quelques

    fidles du Fidesz : MM. Lajos Simicska,

    Zsolt Nyerges et quelques grands entre-

    preneurs mettent la main sur les marchs

    publics les plus juteux. Une oligarchie en

    a remplac une autre. Elle sappuie cette

    fois sur un systme clientliste qui se

    dveloppe tous les chelons de la socit

    en se nourrissant de la peur et de lindif-

    frence. La sociologue Mria Vsrhelyi

    considre ainsi que l orbnisme a

    provoqu une renaissance de lHomo

    kadaricus (3), cest--dire une rappa-

    rition des comportements de soumission

    qui prvalaient sous le dirigeant commu-

    niste Jnos Kdr, premier secrtaire du

    Parti socialiste ouvrier hongrois de 1956

    1988.

    A en croire le documentaire Guerre

    contre la nation, diffus plusieurs reprises

    sur la chane publique Duna Televzi, la

    Hongrie serait pratiquement en tat de sige.

    On y retrouve des analyses srieuses sur

    le glissement des richesses nationales du

    domaine public vers la sphre prive inter-

    nationale, mles des propos plus obscu-

    rantistes sur les convoitises des grandes

    puissances. Son ralisateur Istvn Jelenczki

    explique avoir conu ce film en raction

    lintervention du FMI en 2008 : Jai

    considr que le prt du FMI bradait prati-

    quement notre trsor national et que le

    moment tait venu de raliser un film qui

    claire les Hongrois sur la guerre mene

    depuis des sicles pour ce trsor (4).

    AVRIL 2014 LE MONDE diplomatique

    A LOCCASION de la commmoration

    du soulvement de 1956 contre lArme

    rouge, le 23 octobre dernier sur la place

    des Hros de Budapest, le premier ministre

    Viktor Orbn, flanqu de soldats, galva-

    nise des dizaines de milliers de sympathi-

    sants : Le combat des Hongrois pour la

    libert a eu ses hros, mais aussi ses tra-

    tres. Toutes nos guerres dindpendance

    ont t dfaites depuis ltranger. Nous

    savons quil sest toujours trouv des

    personnes pour aider nos ennemis. (...) Les

    communistes ont vendu la Hongrie et le

    peuple hongrois aux financiers et aux

    spculateurs internationaux. Nous savons

    quils sont encore prts vendre la

    Hongrie aux colonisateurs. (...)Nous voyons

    quils sorganisent nouveau, quils se

    liguent nouveau contre nous avec des

    trangers, quils sment nouveau les

    graines de la haine, de la discorde et de la

    violence. (...)Nous devonsmettre nos troupes

    en ordre de bataille, comme nous lavons

    fait en 2010. Nous allons terminer ce que

    nous avons commenc en 1956. Si nous

    ne nous librons pas, nous ne serons

    jamais libres.

    * Journaliste.

    Le chef du Fidesz, arriv au pouvoir

    en 2010 (1), dsigne comme ennemies

    tant les gauches librales hongroise et

    europenne que les multinationales. Le

    gouvernement en veut pour preuve le

    rapport Tavares, adopt par le Parlement

    europen en juillet 2013, qui dnonce

    laffaiblissement de lEtat de droit dans

    le pays. Pour le Fidesz, il sagit dun

    prtexte pour porter atteinte la souve-

    rainet de la Hongrie, linstigation des

    lobbys daffaires de Bruxelles et du Parti

    socialiste hongrois lhritier de lancien

    Parti communiste (Parti socialiste ouvrier

    hongrois), devenu trs favorable au libra-

    lisme. Dans une rsolution adopte la

    mme semaine, les dputs jugeaient

    inacceptable que le Parlement

    europen tente de faire pression sur

    notre pays dans lintrt des grandes

    entreprises prives. La rsolution prcise

    que, voulant rduire le prix de lnergie

    pour les familles, la Hongrie devait

    ncessairement porter atteinte aux intrts

    et aux profits excessifs de plusieurs

    grandes socits europennes en situation

    de monopole.

    PAR CORENTIN LOTARD *

    Tenant tte au Fonds montaire international et aux groupes

    privs trangers, le premier ministre hongrois Viktor Orbn

    sassure dune forte popularit avant les lections du 6 avril.

    Ses positions nationalistes savrent compatibles avec celles

    dune extrme droite islamophile. Son anticonformisme

    conomique mtin de conservatisme social profite largement

    une nouvelle gnration dentrepreneurs proches du pouvoir.

    Mlange de gaullisme et de reaganisme

    La gauche juge trop cosmopolite

    MONSIEUR Orbn collectionne les

    ennemis. Partisan de la primaut de la poli-

    tique sur lconomie et de lEtat sur les

    marchs, dot en outre dune conception

    autoritaire du pouvoir, il a pris une srie de

    mesures conomiques non orthodoxes :

    application de taxes exceptionnelles des

    pans entiers de lconomie contrls par

    des multinationales (nergie, banques,

    communication, grande distribution), natio-

    nalisation des fonds de pension privs

    hauteur de 10 milliards deuros, interdic-

    tion de fait des prts en devises, rduction

    de lindpendance de la banque centrale.

    Autant de sacrilges pour lUnion euro-

    penne. Dans son discours la nation du

    16 fvrier 2014, le premier ministre affir-

    mait : Lorsque nous avons pris le pouvoir,

    la guerre entre les multinationales et les

    consommateurs, entre les banques et leurs

    dbiteurs en devises trangres, entre les

    monopoles et les familles, tait dj bien

    engage. Nous perdions sur tous les fronts.

    Le rapport de forces a beaucoup chang

    depuis; nous avons gagn plusieurs rounds,

    mais le combat nest pas termin.

    Au cours de cette dernire anne de

    mandat, deux combats prioritaires taient

    lordre du jour : contre les banques et

    contre les entreprises de lnergie.

    Dpossd lors des privatisations des

    annes 1990, lEtat tente de retrouver une

    place dans ces deux secteurs dtenus

    environ 80 % par des filiales de socits

    ouest-europennes. Le gouvernement a

    impos aux gants de lnergie lallemand

    E.ON, litalien Ente Nazionale Idrocarburi

    (ENI), Electricit de France (EDF), GDF

    Suez, etc. une baisse de 20 % des prix

    du gaz, de llectricit et du chauffage

    urbain pour les mnages ds le dbut de

    lanne 2013. Il affiche sa volont de crer

    un secteur but non lucratif sous le contrle

    FRANYO AATOTH.

    La survie

    est toujours radieuse.

    Soyez No-No!, 2008

    SOCIOLOGUE linstitut de recherches

    socialesTrki, Endre Sik analyse ce ressen-

    timent : La population considre quelle

    a toujours t colonise et exploite : par

    lesTurcs, par lesAllemands, par les Russes,

    et aujourdhui par lUnion europenne.En

    politique, il y a toujours eu une propension

    considrer les trangers comme les insti-

    gateurs dune conspiration internationale.

    Car lopinion a tendance penser en

    termes de complots. (...) Tout cela fait partie

    dun complexe gnral, et les Juifs, les

    Tziganes ou lUnion europenne sont tous

    des boucs missaires potentiels. Les poli-

    ticiens jouent alternativement lune ou

    lautre de ces cartes, explique-t-il. Pour

    lhistorien amricainWilliamM. Johnston,

    leur capacit rver a fait des Magyars

    un peuple de sentinelles ultimes, toujours

    prt dfendre la Hongrie comme une

    exception parmi les nations (5).

    Si le premier ministre admet quaucun

    complot na t foment contre lui, il

    affirme nanmoins avoir djou un

    putsch grce la mobilisation de

    centaines demilliers de personnes au dbut

    de lanne 2012. Cette marche de la paix

    avait fait converger vers Budapest ses

    partisans venus de tout le pays, et mme

    de certaines provinces de lancien royaume

    situes aujourdhui en Roumanie ou en

    Slovaquie, o des minorits hongroises ont

    pu obtenir des passeports de leur pays

    dorigine (6). Nous ne serons pas une

    colonie !, Union europenne = Union

    sovitique, scandaient-ils pour dfendre

    la nouvelle Constitution, entre en vigueur

    le 1

    er

    janvier 2012. Les restrictions apportes

    par le nouveau texte aux pouvoirs de la

    Cour constitutionnelle, lautorit des juges

    et lindpendance de la banque centrale

    ont conduit la presse trangre dnoncer

    une drive autoritaire, tandis que la

    Commission europenne obtenait plusieurs

    modifications en lanant une procdure

    pour infraction au droit europen.

    La rumeur dune dmission du premier

    ministre avait alors couru dans la presse

    locale et internationale. Ce moment de

    flottement avait encourag le chef de

    lopposition socialiste, M. Attila Mes-

    terhzy, affirmer que M. Orbn lu

    moins de deux ans plus tt avec la majorit

    absolue des voix (52 %) devait quitter

    son poste. La thse dune tentative de

    dstabilisation a t dfendue dans un

    ouvrage qui, sa sortie, lt 2012, a

    bnfici durant plusieurs semaines dune

    ))) !!(

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