Le Culte Du Vampire - Jp Bourre

8/9/2019 Le Culte Du Vampire - Jp Bourre

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Le

Culte du Vampire

J.P. Bourre

Collection : Connaissance de ltrange

Ed : Alain Lefeuvre

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A la mmoire de Bram Stoker

Par del le bien et le malJ.P. Bourre

Comment es-tu tomb des cieux, Lucifer, Astre du matin, fils de lAurore ? Toi qui

disais en ton cur : jescaladerai les cieux ! Par dessus les toiles de Dieu jrigerai mon

trne. Je sigerai sur la Montagne de lAssemble du plus lointain Minuit. Je monterai au

sommet des nuages noirs, je ressemblerai au Trs-Haut.

Comment ! te voil tomb au Shol, dans les profondeurs de labme, jet sur les pierres de la

fosse comme un cadavre !

Tu ne leur sera pas unis dans le spulcre.

Avant proposLes sortilges du Chteau ce C Faut-il croire aux vampires ? Lon peut se poser cette question avec la mort du comte

roumain Borolojovak, dcd Paris il y a un peu plus dune semaine. Il stait exil en

France pour fuir sa Roumanie natale, car lon pensait, dans son entourage, que tous les

membres de sa famille devenait des Vampyrs aprs leur mort. Peu de temps avant de

quitter la vie, il fit jurer son hte parisien de lui arracher le cur aussitt aprs son dcs.

Ctait, pensait-il, le seul moyen pour conjurer la maldiction et mettre un terme son trange

maladie. Cest de cette manire que lon procdait jadis en Europe Centrale, pour dtruite les

morts vivants et les empcher de nuire au del de leurs tombes

cette information, tire dun article du Figaro doctobre 1874, valait la peine dtre note.

Bien plus : elle tait l comme le premier maillon dune chane qui allait noue relier aux

formes contemporaines dun culte oubli, qui garde encore une rsonance terrifiante : le cultedu Vampire.Aussi, dans lEurope de la fin dix-neuvime sicle, cette trange maladie de lme

(comme lappelle un prtre exorciste de lpoque) nappartenait pas seulement la

mythologie de lhorreur. On la retrouvait encore au hasard dun salon mondain, dans la

grande salle solitaire dune maison bourgeoise, lombre dun castel anglais partout o

linsolite peut prendre racine et se nourrir de lancienne Magie.

Il suffisait dun fait divers tir des pages dun quotidien dinformation, pour que lunivers

familier bascule tout coup.

Car le Vampirisme nappartient pas seulement lhistoire passe, aux lgendes roumaines o

des monstres venus de la nuit se nourrissent de sang humain. On le rencontre au hasard dunarticle, en plein vingtime sicle, entre la guerre au Proche-Orient et la rubrique artistique, en

bas de page, l o le regard se pose trop rarement

Linformation dcouverte dans les colonnes du Figaro doctobre 1874 ntait pas la premire

du genre. France-soir ou le Figaro de notre bon vingtime sicle parlent eux aussi de ces

saigneurs de la nuit , vtus de velours sombre, avides de sang et de mort. Mais nous ne

savons plus lire entre les lignes ; voil bien ce qui empche toute vritable recherche.

Dmontrer lexistence des vampires dans un sicle qui vnre la logique et la raison

humaines, peut sembler priori impossible Cest pourtant ce que jai voulu tenter, de la

manire la plus simple du monde, et la plus efficace, il me semble : en rencontrant ces tres

que lincrdulit relgue dans le tiroir des vieilles superstitions.

Car le vampirisme existe encore lheure o jcris ces lignes.

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Des mystres de la Lagune Vnitienne aux montagnes invioles de Transylvanie, des sectes

pratiquent toujours lancienne magie rouge et noire, dans des lieux farouches o lhomme

nentre jamais. Jai vu les lieux du terrible rituel, et le tmoignage que je ramne nest pas un

roman sensations, ni un rcit fantastique. Il nest que le rsultat dune longue enqute sur

les milieux lucifriens contemporains dont la premire partie a dj paru sous le titre Les

sectes lucifriennes aujourdhui .Le prsent livre fut rendu possible grce certains milieux occultes qui servirent de laisser

passer et permirent dapprocher, au del du Lucifrisme proprement dit, cet aspect terrifiant et

si mal connu quon appelle vampirisme . Pour cela, il fallut courir les bibliothques

parisiennes, plucher de vieux manuscrits, se rendre aux adresses les plus insolites, fouiller les

ruines danciens couvents, rencontrer les prtres du nouveau Paganisme , ceux qui

allument des torches dans la nuit des Monts dAuvergne au nom des anciennes divinits,

explorer le labyrinthe de Venise, la cit sorcire o se cachent encore les frres rouges ,

adeptes du culte vampirique, franchir les portes de fer de lactuelle Roumanie sur les

traces du Prince des Tnbres, Vlad Drakul, le Dracula de la lgende dont le chteau dfie

lternit du haut de son pic solitaire.

Dans nos sacs de voyage, les carnets de route ctoyaient les calices rituels et les lettresdintroduction frappes du sceau diabolique, et lappareil photo se dissimulait sous le linge et

les cartes routires marques lencre rouge. Une enqute mais aussi une qute une

pope de lesprit o le journaliste se fait adepte, o il franchit les limites do lon revient

difficilement. Un cri dalarme aussi : la magie na jamais t aussi relle quen ce vingtime

sicle qui la refuse, et cest bien l sa force. Lanonymat lui permet dagir et daugmenter son

pouvoir.

Nous verrons tout au long de cette enqute de quel pouvoir il sagit, et quel sont les buts

secrets des vampires contemporains, de ceux qui rendent hommage aux dmons anciens, au

cours de rituels ignors de lhomme daujourdhui.

* * *A la recherche du comte Borolojovak, vampire et gentilhomme vnitien.Lexistence parisienne du comte Borolojovak reste une nigme. Il nen demeure pas moins

vrai et la coupure de presse du Figaro est l pour lattester que sa teneur face la

maldiction vampirique montre un aspect secret du personnage. Ainsi il appartenait bel et

bien, par sa descendance, la traditionnelle chane des morts vivants .

Sa rvolte soudaine, un jour de lanne 1874, est une rvolte contre son propre sang, contre

cette force occulte qui dominait sa vie et sa mort et rgnait sur son esprit. Le comte roumain

confia ses amis sa peur de devenir, comme les membres de sa famille, un vampyr

chappant la tombe pour poursuivre sa tnbreuse existence dans une ternit de nuit etdhorreur. Une seule action lui permettrait dinterrompre ce cycle de tnbres : Arrachez-

moi le cur aprs ma mort , confia-t-il ses amis les plus intimes. On sait que cette pratique

tait considre comme lune des plus efficaces dans les croyances populaires du seizime

sicle, lpoque o le vampirisme infestait les campagnes dEurope centrale. Borolojovak

se souvenait des anciennes traditions

Le pieu acr, que le prtre dun village roumain enfonait dans le corps du mort vivant,

bloquait aussitt la circulation anormale du sang qui entretenait la vie du corps couch dans la

tombe. Lextraction du cur possdait les mmes et terribles vertus : elle rendait le corps aux

lois de la dcomposition, et lme Dieu selon la croyance religieuse.

Nous avons longtemps cherch la tombe du comte Borolojovak. Peine perdue. Le vampire

roumain conserve jalousement son secret.

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Ses dernires volonts furent-elles respectes ? Les autorits civiles du dix-neuvime sicle

acceptrent-elles que le cur dun dfunt soit arrach sous prtexte de vampirisme ? Nous

en doutons.

Quoiquil en soit, il nous fallait partir sur la piste du comte roumain, retrouver le lieu de son

sjour Paris, sa descendance possible Et peut-tre lemplacement cach de sa spulture.

Vendredi 20 fvrier :Un document dcouvert la Nationale a suffit pour nous ouvrir la route qui conduit

lancienne demeure du comt Borolojovak. Il sagit du chteau de C, quelques kilomtres

de Paris, connu historiquement pour avoir abrit lnigme du chevalier dEon.

LAustin rouge qui nous emporte la recherche du pass, traverse les mmes tendues froides

o le vol des corbeaux se confond avec la ligne dhorizon. Nathalie Sarazin qui travaille

pour un hebdomadaire dinformation maccompagne dans cette quipe dun autre ge. Il

semble que le journalisme ait tout coup cd le pas une passion plus dvorante comme

si, la fin du voyage, lenqute devait dboucher sur les mystres de lme et remettre en

question les notions de vie et de mort apprises depuis des gnrations.

Je lai dit. Linformation est un travail dinvestigation qui peut devenir un vritable parcoursinitiatique, pour peu que ltre retrouve autours de lui les lments de son propre mystre et

quil arrive prs du lieu cach que les anciens mages situaient toujours au del de

lhorreur, aprs le seuil de lpreuve ncessaire lveil de lindividu.

Ainsi aux approches de Mainvilliers, la route devenait progressivement le chemin dune

ancienne histoire o les dieux et les dmons rgnaient sur les hommes au nom dune vrit

aujourdhui oublie.

La voiture avale les kilomtres et nous approche du chteau de C o steignit le comte

Borolojovak.

Dans le hall du chteau brle une norme bche qui nous rappelle que la fin de lhiver

sternise encore, comme pour mieux retarder la victoire du soleil sur les grands froids. Une

pense soudaine me vint lesprit en pntrant dans cette salle vote aux murs de laquelle

pendaient armes et blasons : Il en est de mme du vampirisme. Il reprsente lhiver spirituel

qui prolonge lternit froide en se crant lui mme son propre soleil : lastre noir que les

dmonologues appellent shatan, cest dire ladversaire .Laccueil fut cordial. Aprs un repas des plus copieux, nous gagnmes notre chambre qui

fut en octobre 1874 la chambre du comte Borolojovak, comme latteste divers documents

consults.

Chambre 15 avait prcis notre hte avec un curieux sourire.

Je pensais quil faisait allusion au Tarot Egyptien, ce jeu divinatoire dans lequel la lame

quinze reprsente le Diable. Le hasard si hasard il y a fait parfois bien les choses.

Lit baldaquin, lourdes tentures faites pour masquer la lumire du jour La chambre 15 duchteau de C contenait peut-tre encore un peu de son pass tragique : le comte roumain

allong dans ce mme lit, ses supplications pour quon pratique sur lui lablation du cur

aprs sa mort, sa peur face la maldiction qui devait lenchaner pour des sicles

Nous nous prparmes pour la nuit, conscients de vivre une heure particulire, peut-tre la

limite de ces sortilges auxquels personne ne croit plus.

Jai longtemps frquent les milieux sotriques de tous bord, les groupements et les sectes

les plus insolites, et lexprience que jai pu en ramener revint cette nuit l. Il me fallait,

comme lexprime le dicton populaire, tenter le diable , cest dire essayer un contact ,

comme je lavais vu faire dans de nombreuses socits mdiumniques.

La sensibilit de lhomme est telle quil suffit du mot juste, de la parole juste, pour quil

souvre aux dimensions les plus surprenantes.

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Un rituel, tout simplement une seule manire dvoquer ces forces secrtes qui nous

observent, tapies au del de la forme matrielle.

Je me souvenais des autels magiques de la Lucifer G , cette secte lucifrienne allemande,

dressait pour invoquer les puissances (voir sur Gunther H. Les sectes lucifriennes

aujourdhui .

Ma mallette de bois contenait tous les instruments ncessaires.En quelques minutes, la petite table qui faisait face au lit recevait le linge rouge de lautel, le

calice, le poignard, les chandeliers portant la flamme et le Livre des Invocations.

Etait-ce un jeu ou rellement un rituel, le dbut dune messe paenne telle que la

pratiquaient les anciens mages ?

Je plaais entre les deux chandeliers de bronze une gravure sous verre reprsentant le Bouc de

la Goetie, portant entre ses cornes, lidole invoque dans les rituels de la Magie sombre.

Je suis rest un long moment au bord du lit, entre les deux colonnes du baldaquin, les yeux

fixs sur cet autel de la nuit, absorb dans une longue mditation qui avait pour support

volontaire la mme image mentale : le comte Borolojovak tendu sur son lit de mort.

Je fixai cette image qui devint peu peu hypnotique.

Jatteignit ainsi ltat de transe connu de tous les adeptes, ce vide motionnel parcourudtranges visions, o le temps est aboli, o le pass et le prsent se confondent pour former

de curieuses figures prophtiques. Une demi-heure une heure peut-tre Nathalie avait

revtu une longue chemise de nuit toute blanche borde de dentelle. A la lueur des flammes

de lautel, son vtement appartenait dj dautres sicles.

Toute cette suggestion nous tait ncessaire pour mieux sentir lhistoire de ce lieu, pour

nous imprgner des fluides les plus subtils, pour retrouver dinstinct les images du pass.

Pourtant nulle image ne vint troubler la nuit ; une nuit lourde, paisse, sans rve, comme un

puits noir do il est bien difficile de sortir.

Samedi 21 fvrierAu matin, en ouvrant les yeux, rideaux tirs pour faire entrer la lumire du jour, lautel

magique ressemblait un dcor de thtre inutile.

Pourtant, il stait pass quelque chose

Nathalie se plaignait dune fatigue extrme, comme si son sommeil, au lieu de renouveler ses

forces, lui avait vol toute sa vitalit : langueur, abandon du corps, ides dpressives

Elle ressentait tous ces symptmes sans en comprendre lorigine.

Jai limpression que cette chambre me vide peu peu , stonna-t-elle.

Elle mavoua lide bizarre qui lui avait travers lesprit peu avant son sommeil : lenvie

soudaine, sans raison, de mettre le feu aux tentures du lit. En dautres circonstances, nous

aurions ri Mais nous sentions quil se passait ici tout autre chose.

Le hasard pouvait-il jouer aussi bien avec les symboles ? Existait-il un rapport vidententre limpression cause par cette pice et la prsence passe du comte roumain, adepte

malgr lui du plus terrifiant des cultes ?

La figure nigmatique du comte se dressait la limite de notre vingtime sicle, et ce quil

cherchait nous dire allait clairer pour nous les zones les plus obscures de lhistoire

contemporaine et nous entraner dans une aventure dont il est sans doute bien difficile de

revenir.

Nous passmes la journe la bibliothque du chteau, compulser les archives

poussireuses qui relataient par fragments lexistence du comte Borolojovak fuyant la

maldiction ancestrale.

Dexil en exil, essayant dchapper aux sortilges de sa Transylvanie natale, le comte avait

longtemps habit Venise. Un document davril 1870 attira notre attention.

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Il sagissait dune lettre de famille qui relatait pour des raisons que nous ignorons diverses

lgendes roumaines o il tait question de frres rouges et de saints sanglants .

Nimporte quel spcialiste nous aurait dmontr quil sagissait en fait dune congrgation

religieuse chrtienne, de martyrs catholiques ayant donn leur vie pour leur foi. Laurole

rouge de ces saints venait pourtant en cho aux paroles du comte : Le sang de notre famille

est maudit depuis sept gnrations. Il me faut chapper cette chane fatale. Mais cela restait une simple supposition Qui devint bien plus tard ralit, lorsque les

vnements prouvrent lexistence de ces saints sanglants , quelque part sur les bords du

Grand Canal, dans Venise devenue lun des hauts lieux de la sorcellerie moderne.

Aucune allusion directe au vampirisme dans les archives du chteau de C, sinon une lettre

date de Bistria, ville de Transylvanie.

Le signataire, sans doute lun des membre de la famille Borolojovak, crivait dans un anglais

parfait :

Nous sommes sans nouvelles de toi depuis fort longtemps. Peut-tre as-tu oubli que tu

avais encore une famille. Nous avons eu ton adresse grce la sympathie du Consul de

France Bucarest .

Et la lettre se terminait par ces mots : Pour toujours avec toi , suivi dune signature illisible.

Pour toujours avec toi semblait prouver que rien ne devait finir, et que la chane

vampirique durerait pour lternit. Le Figaro doctobre 1874 naffirmait-il pas : cette

maldiction, laquelle croit le comte Borolojovak, nappartient pas seulement au folklore

roumain. Les supplications du comte, sa terreur de mourir en conservant son cur, nous

forcent peut-tre rviser la vision que nous avons du monde et de ses lois. Mais cela est

sans doute une autre histoire .

En quittant la bibliothque du chteau, nous savions confusment que notre prochaine tape

serait Venise. Une lettre de la Lucifer G prcipita notre dpart pour la cte italienne.

Lundi 28 Fvrier :La Lucifer-G , dont le sige st Cologne, est dirige par un trange personnage qui a pour

nom Gunther H Tout vtu de velours noir, il pratique, avec sa compagne Mora, les rituels

de la Magie Rouge, cest dire une magie ayant pour base ce quil appelle les Trois S : le

Sexe, le Sang et le Souffle (respiration contrle comme dans le yoga).

Ce yoga des tnbres nest connu que dune trentaine dadeptes qui se partagent entre Paris et

Cologne.

La manire dont jai rencontr cette secte ne nous intresse pas ici.

Disons, en quelque mots, quelle appartient, avec de nombreux groupements frres

lInternationale Lucifrienne dont le fer de lance est reprsent par divers mouvements

dextrme droite, chevaliers dune nouvelle mystique.Gunther H, qui possde un important fichier sur lOccultisme europen, nous communiqua

par courrier, sur ma demande, le nom dun esthte vnitien, Renato D, spcialiste de la

dmonologie et des lgendes vnitiennes. Nous pouvions le contacter de sa part et recueillir

de prcieuses informations sur ce quil appelle les mystres de Venise . sachant ma

passion pour le vampirisme, Gunther H me plaait volontairement dans un trange

engrenage qui tait sans doute pour lui une structure initiatique , un test , une preuve

de passage , selon les termes de lOccultisme pratique. Cest ainsi que la simple enqute

devenait progressivement qute ou cycle au sens initiatique du terme.

Connaissant limportance que jattachais aux plans subtils de ltre, aux lois secrtes qui

dirigent lhomme et lunivers, sachant la pauvre opinion que lavais de lhumanit et mon

espoir de voir triompher un jour lHomme Vertical, celui qui possde le savoir divin au del

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du bien et du mal , Gunther H plaait un pion important sur ma route. Dailleurs, la

Lucifer G savait dj bien avant moi, ce quil en tait du vampirisme contemporain.

Cher frre, crivait solennellement Gunther, sachez que des forces obscures nous guides et

nous conduisent l ou nous devons rellement aller. Le reste ne compte pas. Votre route

trop longtemps crois la ntre pour quil sagisse dun simple hasard. Vous avez toute notre

confiance. Peu importe ce que vous ferez des documents que nous vous communiquons oudes recherches que vous effectuerez, la vrit sera toujours au del des mots. Vous savez,

vous , quun livre ou un article ne peuvent suffire et que lexprience directe estdimportance, car lexprience, si terrible soit-elle, est la seule manire de sacraliser lhomme

et den faire un dieu.

Renato D. serait notre prochain contact.

On nous jetai, notre insu, dans la gueule du loup Sans doute un loup semblable ces

dmons hurleurs dont la dmarche noble hante les montagnes de Transylvanie ou plutt

semblable ces hommes-loups clbrant, dans leurs castels farouches, le culte rouge et

noir du vampirisme.

Premire partie

Venise, la cit sorcire :Mardi 15 Mars :Pensione Seguso sur le grand Canal de la Zattere.

Nous sommes Venise depuis dj trois jours, la folle cit des mascarades, un labyrinthe de

ruelles et de canaux le long desquels errent des gondoles fantmes. Les vieux palais penchent

leur ancienne splendeur et se mirent dans les eaux du Canal comme pour y confier dternels

secrets. De la terrasse de la pension Seguso, nous regardons au-del du Grand Canal de la

Zattere la ligne grise de la Giudecca devant laquelle mouillent les gros navires marchands

battant pavillons tranger.Cest donc ici la cit du comte Borolojovak, et lon comprend mieux que ce ddale de ruelles

qui naboutissent nulle part puisse parfaitement conserver les secrets les plus troubles, les

magies les plus sombres. Qui pourrait retrouver sa route puisquici la route est faite de

fragment de rues, de places perdues entre dnormes faades lumineuses, de rios liquides

quenjambent des ponts chinois fragiles comme des jouets denfants Tout nest que

cachettes, escaliers drobs, portes secrtes, logis clandestins, la cit idale des aventures .

Venise est menace par les eaux. Elle disparatra un jour, engloutie par les flots, comme Is, la

cit des lgendes bretonnes o se pratiquaient les derniers rituels paens. Un auteur

contemporain naffirme-t-il pas trs justement que Venise porte le got de la mort. Alors la

ville devient une grande tombe suspendue au-dessus des eaux, garde par de noirs chrubins

et par des larves lunatiques. . Cette vision potique ramne devant nos yeux limage ducomte roumain cherchant se dfaire des anges sombres de la magie vampirique, ces noirs

chrubins dont parle le pote.

Une premire visite la Marciana, la Bibliothque de la ville, nous apprend quil y a bien

longtemps, les premiers habitants des les de la Lagune (dont certaines formrent Venise)

offraient la divinit des eaux des sacrifices humains pour apaiser son courroux. Cette

divinit, vnre des premier vnitiens, tait un crocodile terrifiant que lon retrouve

aujourdhui trnant grandeur nature, au sommet dune des deux colonnes de la Piazzetta,

lextrmit du Palais des Doges.

Les corps offerts au crocodile sacr taient noys, pieds et poings lis.

On imaginait que lanimal mythique dpeait les cadavres et les dispersait au r de sa

fantaisie. Magie roue, sorcellerie de mort et de sang Selon Gunther H , dette coutume

navait pas tout fait disparue ; mais il restait silencieux ce sujet. Pourtant, dans cette

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mme lettre du 28 fvrier, navouait-il pas que la femme de Renato D tait morte

accidentellement, noye un soir de lanne 1954 ! Bien sr, il nous laissait le soin dtablir un

rapport, mme si celui-ci savrait inexact.

Avant de rencontrer Renato D, nous dcidmes, dabord pousss par linstinct de curiosit,

de nous pencher sur les cas de noyades Venise, dliminer laccident classique pour ne

conserver que les faits les plus troublants.Un bibliothcaire de la Marciana, spcialiste de lhistoire vnitienne, nous raconta une bien

trange histoire :

Savez-vous, dit-il, que cest sur les les de la Lagune que lon vnrait le crocodile sacr ?

Il fut remplac, par la suite, par le lion de St Marc, moins paen et beaucoup pluschrtien. Dailleurs, cest ainsi que le christianisme dtruisit ou annexa les anciens

cultes du paganisme en les appelant sorcellerie et en clamant partout quils taient

inspirs par le dmon Lrudit de la Marciana avait superbement commenc. Jtais enchant de dcouvrir ici, dans

cette cit aux cent glises , un fervent partisan des anciennes religions. Derrire son

bureau sombre, pench sur lme de sa ville, il continuait parler du pass, de la terreur et de

la mort qui hantaient alors la Lagune. Vous parlez de noyades ! Vous ne connaissez pas le Canale Orfano, ce qui veut dire canal

des orphelins ?

Devant notre silence, il poursuivit sur un ton enflamm :

Ce canal portait joliment son nom. Vous allez voir pourquoi. Jadis, cest autour de ce canal

que le culte du crocodile tait le plus en vigueur. Par la suite, on dit que leau du canal restait

ternellement rouge, car cest dans ce lieu quon continuait pratiquer la noyade. Au Moyen-

Age, il servait de tombe commune tous les condamns mort. La noyade sacre devenait la

noyade judiciaire, mais pour les pcheurs superstitieux, le montre marin continuait rclamer

son d. Le malheureux prisonnier qui dprissait dans sa prison vnitienne recevait un jour

une dernire visite du moine de service et la premire visite du bourreau. On lui lisait la

sentence : il serait conduit au Canale Orfano, les mains lies dans le dos, des poids attachs au

corps et mis mort par noyade. A la nuit venue, ligot et billonn, il tait conduit en

barque prs du pont de Paille et traversait sans bruit la Lagune, tout prs du Lido. Quand il

arrivait au canal de lorphelin, il tait jet par dessus bord. Les registres des dcs et des

jugements ont rvls que, si cet exemple vous intresse, entre 1551 et 1604, il y eut 203

excutions par noyade.

Le dernier des condamns fut excut au dbut du dix-huitime sicle. Cest cause de tous

ces cadavres quun rglement de lpoque interdisait la pche dans le sinistre canal, sous

peine de mort

A cause des cadavres et peut-tre aussi cause dune superstition.

Ne dit-on pas, chez les pcheurs de la Lagune, que lme des noys erre toujours sur le lieu dusupplice.

Voil pour lhistoire ancienne. Quant aux noyades rcentes dans la Lagune, il est bien

difficile davoir accs aux registres civils.

Un fait-divers relat par le journal Il Gazzetino attira pourtant notre attention Il

sagissait dun crime et dune noyade qui avait eu lieu non loin du petit palais vnitien habit

par Renato D.

Le crime tait des plus tranges, car la victime avait t dpece de la mme manire que

les anciens sacrifis.

Larticle de la Gazzettina racontait le fait-divers qui stait droul au pied dune ancienne

demeure appele Casino degli spiriti , ce qui signifie la maison des esprits :

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Le mystre de la femme assassine, puis noye, dans le canal qui borde le Casino degli

spiriti sest dissip avec larrestation de deux gondoliers qui ne tardrent pas saccuser du

crime.

Pour les carabiniers, lenqute permit de rvler le ct monstrueux de ce crime hors nature.

En effet, aprs avoir t dpouille de son argent, la victime avait t sauvagement assassine.

Puis les meurtriers dpecrent son cadavre, le mirent dans un sac et le jetrent dans le canal, quelques mtres de la terrasse du Casino degli spiriti qui justifie une fois de plus sa

lugubre rputation.

Mercredi 16 mars :Le crime du Casino degli spiriti Un fait-divers parmi tant dautres Mais il sagissait

dune noyade, et la victime avait t sauvagement dpece avant dtre immerge. Cette

noyade avait eu lieu au pied dune trange maison appele maison des esprits pour des

raisons qui nous chappent. Quant Renato D, dont la femme tait morte noye en 1954,

son palais se trouvait quelques ruelles de ce lieu maudit.

Cest ainsi que je retournais la Marciana. Cest un livre contemporain Visa pour Venise

qui attira mon attention car on y parlait, avec dtails, du fameux Casino degli spiriti .une fois de plus, linformation tait des plus troublante.

La maison se trouvait le long des convois funraires de San Michle (lle cimetire de

Venise) et les corps y passaient la nuit avant de gagner leurs tombes le matin suivant. Daprs

dautres rumeurs, elle servait dentrept des contrebandiers, et ceux-ci avaient dlibrment

entretenu ces lgendes pour en carter les curieux. Quelle que soit la vrit, la maison a

mauvaise rputation (On dit que lme dune courtisane hante encore ces lieux. Elle

aurait t assassine par un prtre qui aurait empoisonn lhostie.)

Lauteur continue sa description de la maison :

Aujourdhui, quelques personnes prtendent avoir entendu des bruits troublants. Dautres

disent que son seul aspect, l-bas, isole sur son promontoire, suffit vous glacer le sang.

Elle fut rachete par des anglais qui la dcorrent richement, quoique dune faon un peu

trange puisque la salle de bain tait entirement tapisse de papier noir.

Aujourdhui, elle est nouveau vide et appartient une institution de Turin. Seule y habite

une famille de gardiens installs au rez-de-chausse. Il y a quelques annes, deux gondoliers

criminels, aujourdhui en prison, dpouillrent une dame de son argent, lassassinrent,

dpecrent le cadavre, et la mirent dans un sac puis ils la jetrent dans le canal proximit de

cette tragique demeure

La visite du Casino Degli Spiriti, si elle napprend rien de nouveau ajoute elle aussi au

caractre sinistre de lappellation : le jardin est envahi par la vgtation et plein dchos.

Les fentres du grand garage bateau sont fles, les murs de la petite chapelle sont dcrpis.

Tout est verdi par la mousse, croulant et dsol

Lundi 21 mars.Une semaine entire passe tudier le pass occulte de la ville, tablir des recoupements,

essayer de retrouver, travers lhistoire ancienne et les anecdotes contemporaines, les traces

du comte Borolojovak dont aucun document vnitien ne parle.

Que savons-nous en dehors des tranges noyades ressemblant aux sacrifices rituels du pass,

en dehors de cette demeure lugubre situe sur la route du cimetire de San Michle, la

dernire auberge des dfunts avant la tombe, en dehors du fait que Renato D avait lu

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domicile tout prs du Casino Degli Spiriti et que sa propre femme ait subi le sort des

anciens supplicis.

Rien dautres que des fragments pars avec des airs de vague ressemblance.

Nous dcidmes alors de contacter Renato D Nous avions assez dlments en main pour

soutenir avec lui une discussion sur les anciennes pratiques de la magie vnitienne avant

daborder ses pratiques contemporaines.La soire se termina la terrasse du Florian. Dans ce mme caf staient assis Wagner et

Byron, la recherche dautres mystres Byron, hant par la mystique des moines armniens

de San-Lazzaro, Wagner composant son Tristant , la tte nourrie des mythologies

nordiques ou Siegfried, le hros, combat le Dragon, la manire du Saint-Georges Chrtien

Ds quil eut bu le sang du Dragon dit la lgende, il entendit et comprit le chant des

oiseaux .

En songeant Wagner, je ne savais pas que tout prs dici, dans lune des glises de Venise,

St Georges, tout vtu de noir, combat le Dragon de la Lagune

Ce Dragon que lon retrouve sur le blason de Vlad Drakul, le Dracula de Bram Stoker,prince des vampires et guerrier farouche.

Les mythes se ressembles mais ils signifient tous quelque chose. Surtout si Venise, lledu Dragon sappelle San-Michle, lle des dfunts que lin conduisait au tombeau aprs une

halte au Casino degli spiriti !

Autant de messages cods qui ne prirent rellement corps que bien plus tard Je jour o

Renato D accepta de nous montrer les derniers aspects de la sorcellerie ancienne, et toute sa

puissance.

Mardi 22 mars :Un canot moteur est venu nous prendre sur le quai de la pension Sguso, en bordure du Rio

San Vio. Il nous emmne le long du Grand Canal jusquau palais di Signor Renato D

Evidement, la recommandation crite de Gunther H y est pour quelque chose. Elle nous

ouvre les portes de cet occultiste vnitien ; sans cela nous tions condamns la poussire de

la Marciana.

Pour Renato D, je suis un adepte des sciences occultes. Il connat depuis peu lexistence de

mon livre sur les sectes lucifriennes, grce lintervention efficace de Gunther H Allait-il

me prendre pour un journaliste en qute dun papier sensation ou pour un frre en

esprit ? Nous nallions pas tarder le savoir.

Nathalie, assise au fond du canot moteur, contemplait lcume qui explosait sous lhlice.

Le canot nous entranait vers une destination inconnue, et nous subissions la volont de fer de

ses moteurs.

Sa mditation me rappela que cest au fond dune eau semblable que flottait lesprit de

Madame Renato D , noye accidentellement, que cette mme eau, aux reflets verts, baignaitles murs du Casino degli spiriti , contournait Venise par son bassin maritime, roulait ses

flots jusquau Lido, empruntait le canal Orfano o rdait le monstre sacr des sectes paennes,

remontait le long de lArsenal jusqu San-Michle, lle des morts, pour revenir la maison

des esprits , puis la demeure de Renato D, par les petits rios intrieurs.

Un cycle fatal et inexorable que nous aurions pu parcourir en canot, le regard fix sur

ltendue liquide, hypnotiss par les reflets du soleil sur leau qui ressemblaient des mes

errantes.

Le canot passa sous un pont non loin de la Casa dOro et se dirigea vers le Rio de San Fosco.

Nous tions dans la partie Nord de Venise, quelques centaines de mtres de la maison des

esprits .

Notre pilote stoppa enfin devant la faade rouge dun palais et samarra lembarcadre.

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La demeure de Renato D : un petit palais vnitien aux fentres en ogive, comme on en voit

tout au long du Grand Canal.

Le hall daccueil ressemblait sans doute aux halls daccueils de toutes les maisons

bourgeoises de Venise : antichambre de marbre aux colonnades festonns, statues de pierre

rappelant dantiques splendeurs. Au fond, un large escalier montait aux tages.

Brle-parfum, tentures de velours sombres Tout ne semblait vivre quen fonction du pass.Mon attention fut attire par un blason accroch au mur, dailleurs bien en vue : un cercle

rouge sur un champ dargent.

Sans le savoir, javais sous les yeux lun des symboles les plus importants de la sorcellerie

vnitienne.

Renato D ne tarda pas apparatre. Il nous salua longuement la manire italienne et nous

introduisit dans un petit salon voisin. Nous avions donc devant nous, grce lintervention de

Gunther H, lun des spcialiste vnitiens de lOccultisme. Pass la politesse des

prliminaires, nous arrivmes la question essentielle : avait-il entendu parler du comte

Borolojovak ?

Il rpondit par la ngative. Ce nom ne lui disait absolument rien. Cette personne avait-elle

habit Venise ? Au dernier sicle !Cela faisait for loin, et sa mmoire ne remontait pas jusque l , avoua-t-il en riant.Que connaissait-il des pratiques de sorcellerie moderne ?

Absolument rien. Pour lui je devais tre beaucoup mieux renseign, ayant crit un ouvrage

sur la question. Il pouvait quand mme nous communiquer certaines informations sur le

paganisme ancien, tel quil fut pratiqu il y a plusieurs sicles sur les nombreuses les de la

Lagune. Cest ainsi que nous pntrmes secrtement dans lantre du Dragon, par la petite

porte du pass Je savais dj que le Dragon tait lune des cls de vote de la mythologie

vampirique. Pourtant, jignorais une chose fondamentale dans notre recherche du comte

Borolojovak : il y a bien longtemps, le Dragon des lgendes rgnait sur la Lagune Vnitienne,

dans lle de San-Michle devenue aujourdhui lle des dfunts .

Pour les premiers habitants de la Lagune, expliqua Renato D le Dragon et le Crocodile

taient une seule et mme divinit laquelle les prtres terrifis rendaient hommage par de

nombreux sacrifices.

La plupart des corps offerts au dragon des eaux taient dpecs, littralement dcoups en

morceaux. Je vous expliquerai, si vous le dsirez, la raison occulte de cette pratique. Mais ce

que les prtres redoutaient le plus, ctaient sans doute lle appele aujourdhui San-Michle,

lentre de la Lagune. En effet, cette le tait, pour tous, lle o vivait le Dragon des eaux,

ce lieu maudit qui abritait les restes des victimes du monstre, fragments de bras ou de jambes,

ttes dhommes spars du tronc disperss au hasard de son le selon un ordre qui devait rester

secret.

Il sarrta un instant, comme pour mieux savourer leffet de ses paroles, puis continua avec untrange frmissement dans la voix :

Pour tous les pcheurs de la Giudecca, la Lagune tait maudite. Aucune embarcation

naurait eu le courage dapprocher de San Michle de peur de servir de pture au Dragon des

Eaux Pourtant, les les les plus proches de San-Michle ntaient pas habites. Les

lgendes racontent que Murano abritait alors des tres mystrieux, mi-homme mi-dieux,

adeptes des plus effroyables pratiques.

Bien vite, il fut acquis que ces seigneurs de la Lagune avaient conquis lIle du Dragon et

avaient pass un pacte dalliance avec le monstre. Certains pcheurs pouvants avouaient

avoir rencontr par les nuits de pleine lune, au large de San-Michle, une barque fantme

conduite par quatre personnages entirement vtus de noir.

Lembarcation glissait la surface des eaux, droit sur San-Michle. Ds lors, pour chacun, lesadorateurs du Dragon devinrent les Seigneurs noirs gardant lentre de lle maudite .

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Renato D frotta, dun geste presque machinal, la pierre verte quil portait lannulaire

gauche, puis il hocha la tte :

Voyez-vous, lhomme daujourdhui ne croit plus aux gnies de la Lagune Peut-tre a-t-

il tort.

Le ton tait devenu confidentiel. Renato D se reprit tout coup, comme sil avait trop

parl. Je crois que cette vrit a t rvle ds les premiers ges du monde, mais comme toutes

les donnes profondes, elle fut rserve un petit nombre dinitis.

Laissons cela. Vous vous demandez sans doute si la lgende du Dragon et des seigneurs noirs

a pu chapper loubli ! En quittant ce palais, je vous conseille de vous rendre la Scuola

des Esclavons, non loin de la place Saint Marc. Vous pourrez y admirer deux peintures du

clbre peintre Carpaccio qui vous montreront ce quest devenue la lgende du Dragon sous

linfluence chrtienne. Lune des toiles reprsente Saint Georges et le Dragon, mais un Saint

Georges inhabituel, beau comme un ange du diable, tout vtu de noir. Mont sur un cheval

noir harnach se rouge, le guerrier se jette sur le Dragon, la lance en avant.

Dtails curieux, les victimes du monstre sont reprsentes par de misrables tronons de corps

jonchant le sable enflamm dune le dserte au milieu des serpents, des lzards et dhorriblescrapauds verdtres.

Ainsi le Seigneur noir dut affronter le Dragon pour avoir droit aux mystres de lle maudite.

Vous savez que pour les chrtiens, saint Georges ne fut pas le seul combattre Satan sous la

forme du Dragon ; Saint Michel fit de mme. Cest pour cette raison que les premiers

chrtiens, en annexant la lgende paenne, appelrent lle de Saint Michel, cest dire de

celui qui a combattu le monstre

Renato D me jeta un coup dil rapide travers ses sourcils en broussaille. Avais-je

compris le sens rel de son histoire ?

Il sinterrogeait et cherchait sans doute savoir si nous appartenions au mme univers. Son

insistance parler du Dragon ne justifiait pas une simple information. Il faisait allusion, au

del des mots, aux origines dune vritable tradition magique Javais compris de quoi il

sagissait : le Dragon sacr avait pour nom Drakul dans la mythologie dEurope Centrale :

Cest ce mme dragon que lon retrouve sur les armoiries du prince Dracula, Vlad Drakul, cet

autre seigneur noir.

Le comte Borolojovak appartenait-il cette terrible tradition du sang ? Je me souvenais du

Siegfried des popes scandinaves, tuant le Dragon et retrouvant ses propres pouvoirs

magiques en buvant le sang du monstrueux gardien. Je savais que le Vampirisme avait pour

base ce combat quasi-divin o le hros noir rivalise avec le monstre, se fait son gal et devient

semblable lui, matre de la vie et de la mort.

San-Michle, lle du Dragon garde par ces tranges seigneurs noirs, tait-elle jadis lun des

hauts lieux du Vampirisme ?Renato D nous versa une seconde tasse du traditionnel caf vnitien, avec le geste dun

vritable gentilhomme. Il souriait, et javais limpression que nous buvions entre amis

lheure des confidences mondaines. Il nen tait rien. Je le sus en contemplant le curieux

reflet vert qui brillait lannulaire de notre hte comme un reptile insaisissable

Nathalie regardait-elle aussi la bague qui resplendissait au doigt de Renato D, hypnotise

par la lueur.

Elle lana, dun petit air amus :

Nest-ce pas la mme pierre verte que Lucifer portait au front, selon la Tradition ?

Le regard de lesthte vnitien se fit plus dur tout coup, comme si nous avions viol ses

souvenirs les plus personnels. Il se reprit bien vite et rpondit sur le mme ton amus :

Si cela tait, il sagirait plutt dune copie ; car vous ntes pas sans savoir que loriginal najamais t retrouv.

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Je songeais quun humour aussi soudain dissimulait sans doute quelque chose ; mais Renato

D ne donna pas suite sa remarque.

Il se leva quelques instants puis, dposa devant nous, deux petits verres de cristal remplis dun

liquide rougetre.

Une liqueur de ma composition , sexclama-t-il seulement pour les amis

pendant que nous gotions sa curieuse mixture, Renato D terminait calmement son caf,cherchant du regard nos ractions.

Etrange mlange est-ce un vin sorcier ?

Ma demande ne ltonna pas. Il rpondit avec un lger sourire complice :

Non, un vin tout court.

Et vous ne buvez pas ?

Jamais. Je ne bois jamais dalcool. La raison est bien simple : sachez que le vin affaiblit les

pouvoirs de dfense. Mais revenons notre discussion. Je vous conseille aussi de vous

rendre sur lle de Murano, peu aprs San Michle, vous pourrez y vrifier les restes

christianiss de la lgende paenne, dans lglise de San-Donato.

On dit que cet difice religieux conserve pieusement le corps de San-Donato, vque

dAuboca, qui aurait t ramen triomphalement par les croiss vnitiens. On dit aussi que cemme saint avait tu un dragon en crachant dessus. Derrire le matre-autel, dans la partie Est

du btiment, si vous levez les yeux vers le mur au-dessus de vous, vous y verrez, parfaitement

disposs, les ossements du dragon que Donato tua sur la Lagune. La tradition catholique, qui,

une fois de plus, rcupra la lgende paenne son propre compte, affirme solennellement que

cela se passait il y a bien longtemps, et l, je cite le texte, aux temps obscurs o les saints et

les martyrs frquentaient la Lagune et o un pieux jet de salive pouvait encore oprer des

miracles . Mais lescroquerie chrtienne ne sarrta pas l. Elle intgra, au nom de son dieu

damour, jusquaux pratiques magiques du pass. Ainsi, au Moyen-Age, les condamns

mort taient excuts entre les deux colonnes de la Piazzetta, puis les corps dcoups en

morceaux, taient disperss sur les autels des petites chapelles de la Lagune. Offerte quelle

divinit ? Cette tradition se poursuivait sans raison, comme une coutume ancestrale dont

on a tout oubli. Peut tre sagissait-il dautre chose Pour les pcheurs vnitiens, habitus

courir la Lagune, les Seigneurs noirs vivaient toujours et le Dragon de San Michle

rclamait de nouveaux sacrifices.

Je choisis ce moment l pour interrompre Renato D

Tout appartient au pass Mais que diriez vous si, aujourdhui, on vous annonait quun

corps dpec, littralement mis en lambeaux, tait repch dans le Grand Canal, ou quelque

part dans la Lagune Peut tre non loin de chez vous, au pied dune maison qui servait

dtape aux convois funraires en route pour San-Michle ?

Renato D tourna lgrement la tte dans lombre, comme sil cherchait quelque chose, puis

revint bien vite en pleine lumire. Il me fixa droit dans les yeux, sans surprise, dtach,lointain :

Vous me racontez l une histoire fascinante Je vous conseille bien vite den faire un

roman .

Jinsistait un peu plus, conscient de tenir l le cur du problme qui moccupait :

Les romans parlent parfois de faits rels. Connaissez-vous dj cette histoire ? Il

Gazzetino en a parl il y a quelques annes seulement .

Il parut agac, comme quelquun qui se trouve tout coup face un interrogatoire :

Oui, jai lu ce fait divers. Comme tous les vnitiens, dailleurs. Les criminels ont t

arrts. Rien dautre quun fait divers banal. Un peu plus monstrueux que les autres, peut

tre. .

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La rponse tait laconique. Elle semblait dfinitive. Il ny avait rien a ajouter de plus Puis

la discussion stira vers dautres sujets, glissa sur lavenir culturel de Venise, lactuel

programme de la Fnice, lun des plus beaux thtre dEurope, aux dires de Renato D

En quittant le palais de lesthte vnitien, nous sentions confusment que nous frlions une

limite interdite, une frontire tragique que les sicles avaient conserves au-del du temps,

avec la mme horreur, le mme mystre.En regardant la pension Seguso, je revoyais encore devant mes yeux le blason accroch dans

lentre du palais vnitien : un cercle rouge sur champ dargent. Cette aurole de sang venait

en rponse la lettre trouve dans les archives du chteau de C.

Un cercle rouge Laurole des Saints Sanglants !

Mercredi 23 Mars :Pench la fentre de la Pensionne Seguso, je ne peux regarder du ct de lle San-Michle,

au del de lArsenal, sans une curieuse apprhension.

Les rvlations de Renato D sont encore prsentes, et il me semble entendre, une une,

toutes ses paroles.

Nous avons t voir les toiles de Carpaccio la Suola des Esclavons Rien ne manque auchef-duvre du peintre vnitien : le Dragon, gueule ouverte, crachant des flammes, Saint-

Georges tout vtu de noir, mont sur un cheval noir, la lance en avant, le sol de lle jonch de

cadavres dpecs au milieu des lzards et des serpents : le seigneur noir face au Dragon

quelque part sur lle maudite, cette mme le devenue aujourdhui le cimetire de Venise.

Place Saint-Marc, les ternels touristes dfilent, appareils photos en bandoulire, cherchant

dans Venise qui les ignore des visions de cartes postales. A la terrasse du Florian, lorchestre

joue Peer Gynt de Grieg, rveillant les anciens sortilges sous le regard vide des

consommateurs qui nentendent rien, dailleurs. Nous nous dirigeons vers la Marciana o

nous attend Sandro L, notre ami bibliothcaire.

On nous a montr divers documents hraldiques sur les blasons des comtes vnitiens. Une

demi-heure de recherches suffi pour retrouver le blason aperu chez Renato D Il

sagissait dune gravure du seizime sicle montrant le mme cercle rouge frapp sur champ

dargent.

Ce blason reprsente les armoiries des Barbaro, une importante famille vnitienne

aujourdhui disparue , nous expliqua le bibliothcaire. Les derniers des Barbaro ont leur

tombeau dans une chapelle de lglise San Francesco della Vigna. Le mme blason est

sculpt au dessus de lautel.

jeudi 24 mars :Lglise San Francesco della Vigna se dresse au bord dun campo, toute rouge sous le soleil.

Nous nous sommes rendu travers la nef dserte, jusqu la chapelle latrale o sontensevelis les comtes Barbaro. Le bibliothcaire disait juste. Au dessus du petit autel priv,

nous apercevons le blason sinistre. Son cercle rouge, comme une tache de sang, semble

briller dans la pnombre de lglise, dfiant la croix chrtienne dress sur le grand autel, la

lumire paisible glissant des vitraux

Nous sommes rests l un long moment, fixant ltrange blason, assis au bord du tombeau de

marbre o reposaient les derniers des Barbaro.

Cette mditation silencieuse attira lattention dun prtre qui vint jusqu nous, intrigu.

Etes-vous de la famille Barbaro ? demanda-il, surpris.

Nous lui expliqumes que nous faisions des recherches sur les blasons vnitiens et que celui-

ci nous avait fortement intrigus.

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Il se fit un plaisir de rpondre nos questions, et cest ainsi, pench sur le tombeau de marbre

des Barbaro, quil dvoila lnigme du blason, dans lombre de la petite chapelle, la lueur

des lampes votives :

Le dernier des Barbaro fut un moine de notre congrgation. Cest lui qui permit

ldification de cette glise ; il est un peu le saint protecteur de ce lieu. Mais ses anctres

nont pas tous obi la loi damour de notre seigneur Jsus Christ. ce blason en est un cruelexemple. Ainsi, les armoiries qui vous tonnent furent confres aux Barbaro pour

rcompenser lamiral Barbaro dun fait de guerre qui fait encore frmir. Jugez-en : Il coupa la

main dun Maure au cours dun combat, au douzime sicle, arracha le turban de la tte du

malheureux infidle, y traa avec le moignon sanglant du bras, un cercle rouge triomphal et le

fit flotter au sommet du mt de son navire, en signe de victoire. Voil pourquoi ce blason

porte un cercle rouge. Ce cercle rappelle lempreinte sanglante du bras arrach par le comte

Barbaro. Ainsi, voyez-vous, nos glises sont pleines de contradictions mais cela se passait

il y a bien longtemps. Comme cous le dites en franais, dautres temps, dautres murs .

Les Saints Sanglants ! Barbaro, Borolojovak, Renato D !

Pouvait-il sagir de simples hasards ?

Nous tions bien dcids observer plus en dtail le comportement de Renato D Sesconnaissances en matire de sorcellerie, sa manire nigmatique de dialoguer, sa faon de

tester son interlocuteur, tout cela cachait un secret qui nappartient pas seulement au pass.

Les membres sanglants jonchant la toile de Carpaccio ressemblaient trop au bras coup par

lamiral Barbaro, ce bras dont lempreinte rouge trnait dans le hall de Renato D

En traversant la nef de lglise, Nathalie me dit tout bas, en me jetant un regard plein de sous

entendus :

As-tu remarqu la position du blason dans le hall de Renato D ? Il est plac juste au

dessus de deux brle parfums qui ont lair de fonctionner en permanence comme si le

blason avait une importance religieuse, ou magique !

Samedi 26 mars :Toute la nuit, mon sommeil fut agit. Par la fentre grande ouverte, je voyais la lune ronde et

blanche qui brillait au-dessus du canal de la Zaltere. Cette lune devint bien vite la raison de

mon insomnie Il le semblait quelle ne luisait que pour quelques personnes seulement,

comme une lampe terrible.

Les yeux ferms, jimaginais une autre lune suspendue au dessus de Venise, une lune rouge

semblable au cercle de sang du blason des Barbaro. Il me semblait rver tout veill : Je

voyais nettement des lueurs dincendie au-del de lArsenal, comme si un feu brlait sur

chaque le de la Lagune en lhonneur du blason sinistre.

Dans mon rve, le comte Borolojovak abordait dans lle de San-Michle. Il portait une

torche enflamme et allumait un norme brasier. Sa haute silhouette se dcoupait entre lestombes. Cest dans ce temple de la mort quil allait clbrer la nouvelle liturgie et rendre

hommage aux Dragons des Eaux

Cette fivre visionnaire dura jusquau matin Et je mendormit, je crois aux premires

lueurs de laube.

Cette mme nuit, Nathalie mavoua avoir eu du mal trouver le sommeil.

Le rve quelle fit, fut, par contre, des plus paisible, trop paisible, peut tre. Elle rva quun

inconnu lui offrait un anneau rouge surmont dune pierre verte. Lclat de la bague avait le

pouvoir de provoquer le sommeil hypnotique Tout son rve tait le souvenir de cette

contemplation, les yeux grands ouverts sur les reflets rouges et verts de la bague qui aspirait

toute sa vitalit et la maintenait dans un sommeil artificiel.

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Cest en gagnant la salle manger de la Pension, pour prendre notre djeuner, que nous

apprmes lincident survenu sans doute cette nuit devant lglise Santa Maria de Formosa, non

loin du centre de la ville.

La femme de chambre charge de laver notre linge commena avec nous une longue

conversation o elle mla ple-mle le prix du repassage, la beaut des glises vnitiennes

pendant la saison dhiver. Elle nous raconta aussi ses escapades matinales par les ruesdsertes, la recherche des nombreux chats abandonns quelle nourrissait et soignait en

cachette. Il faut dire qu Venise, les chats errants sont de tradition, au mme titre que les

pigeons de la place Saint-Marc, et cela depuis plusieurs sicles.

Cest en passant devant lglise Santa Maria de Formosa quelle dcouvrit ce quelle appela

un crime . Dune voix bouleverse, elle nous fit part de sa macabre dcouverte : trois chats

gorgs, vids entirement de leur sang Tout le quartier tait terrifi.

Les autorits navaient encore fait aucun commentaire. Sagissait-il de luvre dun

maniaque, dun chien sauvage lch dans Venise, ou du sadisme de quelques garnements en

qute de sensation ? Nul ne pouvait rpondre. Pourtant, les faits taient l, devant la porte

du clocher de lglise

Passant sans transition de lmotion lanecdote, la femme de chambre nous expliqua en riantque les vieilles bigotes du quartier Santa Maria de Formosa avaient trac une croix sur leur

porte, pour conjurer la bte disaient-elles. Une tradition vnitienne, ds quil se passe

quelque chose danormal dans la rue.

Etrange vision que cette glise en plein jour avec cette flaque de sang peine sche et le

passage incessant des touristes piaillant dimpatience. Nous avons fait ce dtour avant de

gagner la salle de lecture de la Marciana, pour voir et pour comprendre, peut-tre.

La flaque de sang stalait juste devant la vieille porte de bois du clocher. Mais quelle ne fut

pas notre surprise en levant les yeux et en dcouvrant lidole de pierre sculpte au-dessus de

la porte ! Un visage horrible, grimaant, avec des yeux normes, une langue pendante, un

affreux rictus gonfl de taches noirtres qui imitaient merveille une bouche dgotante de

sang. Cette fois-ci, le hasard allait beaucoup trop loin pour ne rester quun simple hasard.

Nous tions ples, sans voix, contemplant cette nigme de pierre laquelle avaient sans doute

t offerts les trois petits cadavres vids de leur sang.

Lundi 28 Mars :Nous avons rencontr Renato D la sortie du thtre de la Fnice aprs la reprsentation de

Carmen. Dtendu, souriant, il sest avanc vers nous pour nous serrer la main, avec cette

amabilit mondaine qui caractrise laristocrate vnitien. Une seule phrase sur ses lvres, en

mme temps que son sourire habilement compos :

Alors, o en sont vos recherches sur les traditions Vnitiennes ?

Traditions vnitiennes. On ne pouvait pas tre plus vasif dans une question, dont on nattenddailleurs aucune rponse relle. Ma rponse fut des plus banales une simple politesse en

guise de rponse.

Mais nous savions, en croisant nos regards que limportant tait ailleurs, et quil neconvenait peut tre pas den parler sur les marches dun thtre, fut-il lun des plus beaux

thtre de lEurope lyrique.

Renato D sloigna, lgrement vot, en direction de lembarcadre voisin o lattendait

sans doute son canot moteur.

Cest cette mme nuit, quelques heures aprs seulement, que commena lattaque

psychique une agression sur la ralit de laquelle nous ne doutons plus aujourdhui.

A peine tions-nous entr dans notre chambre, la Pension Seguso, que je refermais la fentre

reste ouverte, mu par je ne sais quel pressentiment. Pourtant, la nuit sannonait tide et jesavais quil nous serrait difficile de supporter cette pice hermtiquement close, sans aration

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possible. Mon geste me parut aussitt des plus ridicules et je le comparais la superstition

des bigotes de Santa Maria de Formosa gravant des croix protectrices sur le bois de leur porte.

Craignais-je, moi aussi, la bte qui rdait dans Venise, cette mme bte qui avait gorg et

vid de leur sang ses trois victimes en lhonneur dune idole grimaante ?

Je mamusait un instant de ces rflexions dun autre ge. Mais bien plus que la superstition,

cest ma peur qui mtonna une peur sans raison, sournoise, comme venue de nulle part.alors, un peu par dfi, jouvris la fentre pour laisser entrer les parfums venus du large. En

effet, la nuit tait tide, paisible mais il me sembla que le silence portait une menace contre

laquelle je ne pouvais rien. Une simple impression. Beaucoup plus quune impression en

vrit : une sensation, un courant glac qui prenait naissance quelque part dans la chambre

Peut-tre sagissait-il tout simplement dun courant dair venu de lextrieur !

Mais limpression de froid navait rien dun souffle, dun dplacement dair ! Il sagissait en

vrit dune masse qui stagnait prs de la fentre, un mtre du lit environ. Seule la lune

clairait lobscurit de la chambre. Nathalie somnolait sur son lit et sa respiration semblait

des plus normales. Etais-je le jouet dune illusion des sens ! Nathalie dormait son visage

tait paisible, dtendu, comme emport trs loin. Je songeai quil maurait fallu la secouer

trs fort pour lveiller et larracher ce sommeil qui avait tous les aspects dun sommeilprofond.

La sensation de froid ne laffectait pas, malgr le lger vtement qui couvrait ses paules

nues.

Je me mis trembler car une partie de mon bras droit la partie expose la fentre tait

frigorifie. Je tournais lentement mon regard vers la fentre, avec la peur de dcouvrir

quelque chose danormal ou de terrifiant. Javais chaud, trs chaud seul mon bras droit

semblait subir les assauts de ce froid trange.

Cest alors que Nathalie se mit parler, comme on parle du fond de son sommeil, aux limites

du somnambulisme, dabord faiblement, puis dune vois lente et prcise :

- Elle monte Elle monte Elle va bientt atteindre la zone !

Jeus peur tout coup, sans raison, peur de ce que pouvait reprsenter ces phrases venues du

sommeil peur den comprendre le sens

- De qui parles-tu ?

Je mtais pench sur elle en guettant ses paroles, retenant ma respiration comme au bord

dun danger invisible.

- La zone murmura-t-elle leau monte, il faut fermer la fentre ! Elle sait quelle

est ouverte elle va rentrer, je le sais !!

Le rythme de ses phrases tait devenu prcipit, sa respiration sacclrait. Cest alors quelle

se mit crier, du fond de son sommeil, les yeux clos, mais la bouche rvulse, le front pliss

par la terreur.

- Je tombe ! Retenez-moi ! La fentre ! Il faut fermer la fentre !!Elle essayait de lutter, de se dfendre contre une attaque invisible, mais ses gestes semblaient

maladroits, comme si des liens secrets la retenait sur son lit. Des gouttes de sueur perlaient

sur ses tempes : Il mtreint ! gmit-elle encore. Il mentrane vers le fond !

Puis sa vois changea tout coup, devint calme, paisible, grave, autoritaire mme : Il y a

quelque chose ici qui attire les puissances du mal !

Sa voix ! Je ne reconnaissait plus sa voix Il me semblait que quelquun dautre essayait de

parler travers elle. Puis ce fut le silence, sa respiration profonde, lointaine, le sommeil

nouveau, le sommeil comme si rien navait troubl la nuit, comme si tout cela navait t

quune illusion des sens. Pourtant, prs de la fentre, je savais que le froid persistait, et

javais froid dans le dos, un froid glaant qui ressemblait encore la peur. Je crus entendre un

chat miauler tout prs du Rio San Via Un second miaulement traversa la nuit, puis un

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autre, comme autant de plaintes denfants terrifis. Les chats de Venise se rpondaient dune

rive lautre des Rios, comme si cette nuit menaait quelque chose ou quelquun.

Un bateau moteur remontait le canal de la Zattere. Jimaginais Renato D pench aux

commandes, courb dans lobscurit, cherchant la surface des eaux lme errante de sa

femme, lappelant dans la nuit, la rveillant avec les mots terribles que connaissaient les

anciens initis Je me levais dun bon et me penchais sur le Rio, cherchant apercevoirlembarcation qui ptaradait le long du canal. Nul canot moteur Le silence, seulement, et

le bruit des vagues contre les pierres du quai L

Le froid avait tout coup disparu, comme par enchantement. Cest alors que je perus un

bruit de pas heurtant les pavs, comme quelquun qui sloigne. Je revins la fentre : une

ombre lgrement vote glissant en direction du quai. Jentendis alors le bruit dun canot

moteur que lon met en marche. Puis lembarcation sloigna en direction du Grand Canal.

Mardi 29 mars :Serait-il possible que nous soyons les victimes dune obsession qui risque de mener tout droit

la folie ? Et sagit-il rellement dune obsession, ou bien se passe-t-il dans Venise, la

nuit, des vnements que la raison humaine ne peut comprendre ?Je ne savais pas comment annoncer Nathalie les incidents de la veille, et surtout comment

linterroger sur les phrases que javais entendue. Cest elle qui vint mon secours en me

racontant ce quelle appelait son rve . Elle avait eu limpression de combattre toute la

nuit contre un ennemi sans visage, quelque chose qui semblait venir des eaux.

Le rsultat de nos recherches, lana-t-elle. Voil ce que cest de veiller trop tard sur les

lgendes vnitiennes !

Car tu crois vraiment quil sagit dun rve comme les autres ?

Elle parut tonne :

Comment veux-tu que je le sache. Je prfre croire quil sagit dun simple fantasme

cest moins lourd porter.

Pendant le djeuner nous sommes rests silencieux, chacun rflchissant sur ses vritables

convictions celles quil nosait pas avouer lautre, de peur de faire surgir sa propre peur.

Coup de thtre En dbut daprs midi un appel tlphonique de Renato D nous invitait

passer durgence au petit palais du Rio San Fosco.

Linvitation tait brve. Sans commentaire. Renato D savait pertinemment que nous ne

refuserions pas.

Le 29 au soir :Renato D nous regarde avec tonnement, comme si nous revenions tout droit des enfers.

Le caf fume dans les tasses de porcelaine vnitienne. Une tache de soleil joue sur une table

avec les livres et les bibelots. Un lion de bronze nous fixe gravement du haut dune piledouvrages anciens, comme le sphinx des traditions, attendant de nous lultime rponse qui

ouvre toute grande les portes du Secret

Et bien vous voil bien vivants, sans la moindre trace dgarement. Etes-vous bien

portants ?

Bien sr. Permettez-nous de ne pas comprendre votre question

Oh ! Je vous ai dj permis beaucoup de choses ; sinon vous ne seriez pas nouveau en

face de moi ce soir. Croyez-moi, je reois trs peu, et cest dj beaucoup dire ! Comment

sest pass votre dernire nuit ?

La prcision de la question me fit leffet dun coup de poing lestomac. Javais peur

daccepter ce jeu, de comprendre beaucoup trop loin, de faire entrer tout coup lirrationnel

comme une loi plus relle que la ralit elle mme. Que voulez-vous dire ?

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Jtais sr que ma voix avait trembl et quil lavait remarqu.

Je veux dire tout simplement que votre nuit du tre difficile. Je le sais .

Il souligna ces trois derniers mots en durcissant son regard.

Voyez-vous, il arrive parfois que nous ayons en plein mois de Mars des nuits comme celle

dhier, tide, calme comme toute les nuits dt. Cest alors que je me livre de petites

expriences disons, pour vrifier certaines choses. Cette nuit, quoique vous en pensiez,vous tiez mes cobayes. Excusez le terme, mais il est juste du moins pour la dure de

lexprience.

Nous tions sans voix, essayant de ne pas comprendre, et pourtant comprenant trop bien.

Nous attendions la suite, comme on attend le coup fatal, immobile, prts tout accepter.

Renato D poursuivit calmement, en pesant bien ses mots.

Lun de vous dormait, ce qui a facilit lchange. Le sommeil, du moins un certain

sommeil , est une ncessit pour que le courant puisse passer. Pour que vous puissiez

comprendre en quelques mots, disons que je suis mdium, que jai la possibilit denvoyer ma

pense une certaine distance, ce que les parapsychologues appellent de nos jours la

tlpathie. Je vous ai donc envoy un courant assez difficile contrecarrer un courant

ngatif, une vritable dcharge mentale qui peut prendre aussitt possession de lesprit etrendre fou. Tout cest trs bien pass pour vous. Je my attendais un peu.

Bluffait-il ou tait-il sincre ? Pourtant comment pouvait-il savoir ? Il ny avait

quune rponse, malgr toutes les justifications de la bonne logique humaine : Renato D

disait vrai. Il possdait rellement ce pouvoir et il avait, la veille, tent sur nous une

exprience de possession ? Cest du moins ce que je croyais comprendre.

Nous pourrions dire, continua-t-il, en clair que vous avez pass une preuve.

Je vous croyais spcialiste des traditions occultes, comme un professeur de littrature par

exemple : et vous mannoncez maintenant que vous pratiquez ce genre de tradition.

Il eut tout coup un regard enflamm, comme sil nous rvlait le fond dun secret : En

effet, je suis pratiquant.

Cest donc votre canot moteur que nous avons entendu hier soir, le long du quai de la

Zattere ?

Qui sait. Rpondit-il mystrieusement. Peut-tre sagissait-il simplement dune ide de

canot moteur, une projection desprit, ce que nous appelons une forme astrale . Vous

savez, la ralit nest jamais fixe. Elle passe presque simultanment dun tat lautre,

change de vitesse, change de visage, revt un nouveau masque comme ces comdiens de la

Comdia DellArte toujours prts endosser une nouvelle personnalit, si bien quil estdifficile de montrer du doigt une forme fixe, un visage dfinitif. Lorsque vous avez compris

cela, vous comprenez facilement que lhomme possde mille pouvoirs puisquil possde mille

visages, mille formes diffrentes. Il existe un secret. Lui seul enseigne les techniques qui

permettent de changer de peau, et de passer de la vie la mort et de la mort la vie comme onchange de pice, en ouvrant simplement une porte. O est le mal l dedans !

Javais parfaitement suivi son raisonnement. Je rpondis avec le mme ton calme : Il ny apas de mal. Nous savons tous que le mal est une invention des hommes Il parut enchant de ma rponse. Et je savais quil ltait rellement, car javais touch le

fond de sa pense : le mal nexistait pas, du moins pour lhomme suprieur qui avait lapossibilit de saffranchir des liens terrestres et de vaincre les frayeurs de la mort. Je vois que nous nous sommes compris. Votre livre mavait dj donn un aperu de vos

convictions. Mais crire ne suffit pas ; encore faut-il prouver ce que lon dit. Peut-tre serez-

vous en devoir de le prouver un jour. Ce nest, aprs tout, quune affaire dhonntet.

Je posais aussitt la question qui me brlait les lvres :

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Vos thories ne sont pas celles dun simple mdium, dun spirite Vaincre la mort nest

pas une petite exprience de tlpathie. Vous vous rattachez sans doute une tradition

magique bien particulire ?

Sans doute. Une tradition qui remonte la nuit des temps, bien avant que lhomme nait

cr les notions de bien et de mal, bien avant quil ne se soit invent des dieux et un paradis

pour ses vieux jours Je savais o je voulais en venir. Il me suffisait daller un peu plus loin, de montrer ce que je

croyais savoir :

Le combat contre le Dragon ne reprsente-t-il pas le combat contre les niveaux terrifiants

quil faut transgresser pour entrer dans limmortalit ? Saint-Georges tue le Dragon en lui,

affronte la mort et sen rend victorieux. Siegfried gote le sang du monstre, le sang de la

mort, et il entend tout coup ce que personne na entendu avant lui. Le sang du Dragon le

rend invulnrable ; il devient un Immortel. Sagit-il de la mme Tradition ?

Cette fois-ci, ses yeux se durcissent. Renato D refusait de faire un pas de plus.

On peut faire dire ce que lon veut aux symboles. Vous dites peut-tre une vrit, unaspect de la vrit Vous oubliez srement lESSENTIEL

Apprenez quon ne communique pas lessentiel , car il demande dtre vcu. Pourlinstant, vous parlez beaucoup trop mon gr.

Peut-tre un jour reprendrons-nous cette discussion Ce jour l il ne sagira pas pour vous

dviter une image mentale cest de votre vie quil dpendra et de votre mort !

Il vida sa tasse de caf puis continua :

Voyez-vous, tout cela va beaucoup plus loin quune simple discussion de salon.

Lagression mentale dhier soir aurait pu tre plus froce. Je vais vous faire une rvlation, et

cette rvlation va nous lier lun lautre mme contre votre gr, car vous ne pouvez plus

revenir en arrire. Voulez-vous relever le pari ?

Pourquoi pas. De quoi sagit-il ?

Des risques encourus la suite dune attaque mentale un peu plus puisante que celle dhier

soir. Quelques personnes ont dj servi de cobaye ces expriences. Oh, rassurez-vous, un

trs petit nombre. Il vous suffira daller faire un tour place Saint Marc tous les soirs partir

de sept heures. Vous y rencontrerez lune de ces personnes, toujours debout sur ses pieds,

mais avec son esprit en moins. Il vend des serpents de mer en papier pour les touristes et vous

dbite des inepties pour une pice de cent lires.

Alors, vous comprendrez, au del des livres, lefficacit dune certaine magie.

Aucune motion dans les yeux de Renato D lorsquil parla de sa victime. Pour lui,

lunivers tait partag entre le savoir et lignorance. Le savoir dominait toujours lignorance

car lignorance pchait par sa faiblesse.

Et bien, nous allons maintenant nous sparer, en sachant que nous nous reverrons bientt.

Je vais remercier notre ami Gunther HJe crois que nous pouvons nous entendre. Si vous le dsirez, soyez demain seize heures au

monastre de San Lazzaro Oui il sagit dune des les de la Lagune. Vous comprendrez

peut-tre l-bas ce que veut dire vaincre la mort .

Il avait raison, nous tions lis dsormais, par une force qui nous dpassait et que javais bien

du mal comprendre.

Mercredi 30 mars :Nous savions que Renato D ntait pas seul ; que dautres personnages semblables lui

opraient aussi dans Venise, quils formaient peut tre lune des dernires sectes pratiquer le

vampirisme, rendre hommage aux puissances des tnbres. Je sais aujourdhui lheure o

jcris ces lignes que cette secte na pas cess dagir, quelle appartient une chaneininterrompue qui a pour origine les montagnes isoles de Transylvanie, rgion secrte o

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naquit Dracula, prince de Valachie, o naquit le comte Borolojovak que Renato D affirmait

ne pas connatre, Borolojovak, lui aussi gentilhomme Vnitien, le jour et prtre du sang, la

nuit

Le vampirisme nest pas mort ! Il est mme lune des plus terribles ralits daujourdhui,

un dfi lanc la mort par lhomme devenu Mage.

Mercredi soir : Place Saint Marc :Nous navons pas cherch longtemps pour dcouvrir le vendeur de serpents de papier dont

parlait Renato D Il attendait limpossible client, appuy contre le mur de la Basilique San

Marco, entour de boites de Coca vides, agitant de temps autres ses serpents de papier dont

personne ne voulait.

Il nous regarda venir vers lui et flairant sans doute la bonne aubaine, agita sous nos yeux sa

curieuse marchandise en chantant, sur un ton monocorde :

Serpent de mer ! Serpent de mer !

Jindiquai du doigt lun des serpents de papier : Combien ?

Ses yeux senflammrent, comme ceux dun enfant qui lon fait un cadeau longtemps

espr : Deux cents lires, pour vous ! Je les fabriques moi-mme depuis la nuit des temps.

Savez-vous que des gens trs connus men ont achets ? Tibre en possde un dans sa

villa. Caligula fait flotter ler sien ct de son tendard personnel Il ny a que Venise

pour bouder ses propres enfants dit-il en caressant lune des figures de papier. Ici on

prfre le Lion de Saint Marc qui flotte devant la Basilique Dailleurs, nul nest prophte

en son pays. Que voulait-il dire ?

Pourquoi Venise refuse vos serpents de papier ?

Il leva vers nous des yeux tonns :

Comment ? Vous ne savez pas ! Venise peur Venise tremble quand elle

rencontre un serpent de mer. Parce quelle se souvient ; parce quelle porte la mort dans ses

souvenirs et il nest pas bon de regarder sa propre mort en face. Eux le savent trs bien

ils ont vu la mort et aucun na trembl !

sa voix stait faite lointaine. On aurait dit quil parlait pour lui seul, quil se racontait une

histoire qui ne nous concernait pas.

De qui parlez-vous ?

De nouveau ses yeux, avec ce reflet de folie, comme un clair bleu, une lumire malade :

Ceux de la Lagune, bien sr ! dit-il avec un lger sourire.

De qui parlez-vous ? Des pcheurs de la Lagune ? Les habitants de Murano ?

Ni lun ni lautre. Interrogez le serpent de mer que vous mavez achet Sil veut bien

vous parler !

Et que pourrait-il nous raconter ? Lui et moi les connaissons trs bien trop bien. Je vais vous confier un secret pour cent

lires de plus, car vous navez pas lair de touristes comme les autres.

Il pencha vers nous une main sale et ride :

Allons cent lires pour un petit secret !

Il souriait en tendant la main, avec ce sourire stupide quont les idiots de village. Je luis

tendis une pice brillante quil empocha prcipitamment :

Vous me trouverez toujours ici, car je ne dois pas quitter la place Saint-Marc, Jamais ! Ils

ne sont pas trs loin, on peut les rencontrer nimporte o ici.

Tout coup, son sourire steignit et il serra voilement ses lvres les unes contre les autres,

comme pour retenir un cri de douleur

Ils mont dj fait assez de mal ! Je ne leur avais rien fait, rien ! Je les ai simplementregards, comme je vous vois !

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Alors le serpent de mer est venu Il est entr par l

Il eut un trange ricanement en nous montrant son oreille :

Il est entr l-dedans ! Mais je ne dois pas parler trop fort Il pourrait nous entendre !

Il posa mystrieusement un doigt sur sa bouche : chut Je vends aussi des coquillages et si

vous voulez entendre la mer contre votre oreille ! et des serpents de papier, pour deux cent

lires Et pour cent lires de plus je vous dit mon secret ! Il rptait inlassablement les mmes phrases quil rythmait du pied en cognant sur les boites

de coca vide. Les touristes sarrtaient pour couter le montreur de serpents de mer , pour

lentendre dlirer en implorant une pice de cent lires.

Un spectacle de la rue comme un autre. Un moment de la misre vnitienne, quelques

mtres des grands htels gorgs de milliardaires, lombre dune basilique de rve

Nous nous loignmes en direction du Florian, un serpent de papier religieusement pli dans

la poche, comme un message nigmatique quil nous fallait peut-tre dchiffrer.

Dans son dlire, lhomme avait voqu les cratures mystrieuses qui hantent la Lagune

Sagissait-il des Seigneurs noirs auxquels faisait allusion Renato D ? Et le serpent de

mer avait-il un rapport avec le fameux Dragon des Eaux ? Le fou de la place Saint-Marc

tait-il vraiment lune des victimes de lesthte vnitien, o bien celui-ci avait-il bluff enessayant de se jouer de nous ? Je songeai en frissonnant que Renato D avait sans doute

rellement agi sur cet homme pour vois, pour connatre la porte de ses propres pouvoirs.

Vendredi 1er Avril : Chassez les fantasmes, ils reviennent au galop, ils hantent nos nuits, ils sment leffroi sur

les crans. DRACULA VIT. Serait-il le mdium, le Suprieur Inconnu annonc ?

Je refermais le livre de Franois Ribadeau Dumas. Lauteur ne croyait pas aux vampires, du

moins dans leurs fonctions initiatiques Il sagissait pour lui de manifestations anti-

chrtienne vhiculant le principe du mal. Pourtant, sa phrase sur Dracula mtonnait. Il ne

croyait pas si bien dire. Nous assistons sans doute en plein vingtime sicle, une rsurgence

des courants Lucifriens, ce que javais dmontr en crivant un livre, et le vampirisme me

semblait logique, comme un retour lancienne Magie o lhomme devient dominateur et o

il dtruit la mort.

Dans lun des films de la Hammer, ayant pour hros le prince Dracula, Peter Cushing, qui

reprsente le docteur Van Helsing, dclare : Le vampirisme appartient danciens cultes

paens en lutte contre le christianisme.

Il ne croyait pas si bien dire.

Sur lle de San Lazzaro se dresse le monastre armnien, isol, solitaire, en marge de

lanimation vnitienne. Un lieu propice au calme et ltude o les moines, vtus de noir,

traduisent danciens manuscrits, au bord de la colline des Oliviers o vint se retirer le pote

Byron au cours de lanne 1816.Une fois sur lle, nous fmes accueillis par le pre Nicolas S, un vnrable vieillard, qui

nous conduisit dans la bibliothque du monastre o nous attendais Renato D Ce dernier

semblait avoir ses entres au monastre, pour des raisons qui mchappaient.

Comme sil avait pu lire dans mes penses, il nous salua puis entreprit de nous expliquer la

raison de ses visites San-Lazzaro :

Je ne crois pas quil puisse exister de meilleurs lieux pour ltude. Sans parler des milliers

douvrages rares qui permettent de rpondre toutes les interrogations. Depuis des sicles,

les moines ont stocks ici les formes les plus diverses du savoir humain. La bibliothque de

Venise ne reprsente rien ct de ce que lon peut trouver San-Lazzaro. Heureusement,

rares sont ceux qui ont accs ces rayonnages

En disant ceci, il nous dsignait les milliers de volumes qui sappuyaient aux murs de la sallepourtant immense.

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Tout est ici. Manuscrits bouddhistes, papyrus gyptiens, textes armniens, ouvrages de

mtaphysique, dhistoire, lgendes roumaines Rien ne manque.

Renato D nous indiqua les fauteuils dun geste familier.

Prenez place. Je me fais un plaisir de vous recevoir dans ce lieu. Ici vous comprendrez

peut-tre mieux la doctrine laquelle je me rattache. Gunther H ma signal certains

vnements de votre pass. Nous sommes faits pour nous entendre. Parler doccultisme dans un lieu religieux rserv la mditation Ce paradoxe mamusa.

Le comportement de Renato D mintriguait. Les bons moines de San-Lazzaro savait-ils ce

quil tait rellement ?

Nous allons parler du vampirisme.

La phrase tait brutale. Aucune prparation. Renato D marqua un silence pour juger de

leffet de ses paroles.

Que diriez-vous si je vous annonait que nous sommes venu pour a ?

Ma question ne ltonna pas. Bien au contraire. Il eut un sourire complice et fit jouer un

instant sa grosse bague verte :

Je my attendais. Gunther H naurait jamais envoy ici de simples curieux. Quest-ce qui

vous intresse dans le vampirisme ? Il me fallait rpondre sincrement, et lui montrer que javais dj mon ide sur la question, et

que cette ide tait dj tout un enseignement :

La victoire sur la mort, dans son sens sotrique, et lacquisition de lImmortalit lorsque

ladepte a vaincu les frayeurs de la tombe. Pour nous, Dracula nest pas un mythe. Il est celui

qui confre linitiation au cur des tnbres, le prince de la Vie et de la Mort, un vritable

initi trop longtemps confondu avec lenfer qui nest, nous le savons, quune cration de

lglise dans sa haine du Paganisme.

Il minterrompit dun geste de la main :

Je sais. Jai lu votre ouvrage, et je sais que pour vous Lucifer nest pas Satan, quil est

Porteur de Feu descendu des sphres suprieures pour veiller lhomme et lui rendre ses

pouvoirs perdus. Mais je vous lai dj dit lautre jour : il vous manque LESSENTIEL, et cet

essentiel ne sapprend pas par des mots, mais par lexprience.

Lexprience ! Dans la bouche de Renato D, ce mot avait une consonance terrible. Il

sous-entendait dhorribles pratiques, un face face hideux avec la mort, un rendez-vous avec

le sang lenvers du monde quotidien, l ou lhomme se trouve sans arme, livr aux

puissances qui peuplent la nuit.

Toutes les traditions occultes affirment que ladepte doit sortir vainqueur des preuves qui lui

sont imposes, quil doit devenir celui qui sait aprs avoir affront le gardien du seuil, le

Dragon des lgendes.

Linitiation est en elle-mme terrifiante. Mais que dire lorsquil sagit du Vampirisme.

Il commena sans prambule : Toutes les traditions magiques enseignent que le sang est porteur de vie. La Bible va

mme jusqu dclarer que lme de la chair est dans le sang . Voil la phrase cl.Lme de la chair est dans le sang, et le sang est le seul vhicule de vie que lhomme doit

emprunter sil veut gagner limmortalit de lme. Cette quation est des plus simples.

Le sang possde une autre fonction dans les pratiques magiques : il permet de coagulerles esprits lors des rites de ncromancie, par exemple. Invoquer un mort ne suffit pas.

Encore faut-il quil puisse apparatre. Le sang vers pendant le rituel permet cemiracle. Avez-vous assist ce genre de crmonie ?

Il ne rpondit pas, et poursuivit ses explications :

Aujourdhui, la plupart des adeptes de la Magie nosent plus avouer le pouvoir du sang.Pour eux, magie rouge et magie noire sont une mme magie diabolique, et ils prfrent

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allumer des btons dencens sous les portraits de Maha quelque chose et se couvrir

de fleurs en chantant que le monde est bon, lumineux et paisible.

Dautres dressent des autels pour invoquer leurs dieux en parodiant la messe chrtienne et

sembourber dans leurs thories sotriques, comme Papus ou Eliphas Levi, pour ne citer que

ceux-l. De vritables clown de la connaissances qui fuient terrifis ds quune porte se met

grincer. Vous le voyez. Les vritables sont trs rares Et ds quils paraissent, on sedtourne deux, horrifis. Vous vous en doutez. Il existe encore des adeptes du vampirisme.

Ces adeptes sont dauthentiques initis qui osent regarder les tnbres en face. Ils sont lus

par les puissances occultes cause de leur capacit de dpassement, de leur pouvoir de

domination sur eux-mmes et sur les autres.

Pour eux, le mal nexiste pas seul existe le Savoir, et la Lucidit qui donne un regard divin.

Ils vivent en se modifiant sans cesse, en salliant avec les puissances les plus terrifiantes,

jusqu ce quils deviennent eux aussi lune de ces puissances.

Alors ils peuvent mourir. Pour eux, cela na aucune importance puisquils sont devenus

Immortels, au del de la tombe.

Ceux qui sont rests sur terre peuvent les invoquer car ils ont le pouvoir de revenir parmi les

vivants pour continuer leur uvre ou pour faciliter leur initiation. Vous parliez tout lheuredu prince Dracula. Il est lun de ces morts vivants vainqueur de la tombe. Pour lui la mort

nexiste pas. Lorsquil parat de nos jours parmi ses disciples, cest pour clbrer avec eux la

liturgie du sang .

Pour vous Dracula est donc lun des grands-prtres de ce culte ?

Les yeux de Renato D brillaient trangement. Il me semblait quil nappartenait dj plus

ce monde :

Beaucoup plus quun prtre. Il est lANTI-DIEU, le gardien du Sang Sacr, celui que les

adeptes appellent en frissonnant le Dragon Vert Car la Vampire ne meurt pas. Il vit,

chaque instant, lenvers de ce monde, prt apparatre sil le dsire .

Nathalie, qui jusque l tait demeure silencieuse, osa interrompre Renato D

Pourtant jai lu le livre de Bram Stoker, qui tait lui mme un initi. Dracula est abattu la

fin du rcit. Comment pouvez-vous expliquer ceci ? Limmortel est-il appel mourir

lorsque le christianisme reprend ses droits ?

Dracula, traqu dans son repaire de Transylvanie, na pas t dtruit par le docteur Van

Helsing comme le raconte Bram Stoker. Vous ntes pas sans savoir que lauteur sest servi,

pour crire son roman, de rvlations authentiques qui lui ont t faites sous le sceau du

secret. Lui mme tait lun des initis dune socit secrte appele Golden Dawn. Il savait

donc ce quil en tait. Il tait tenu au secret, et, de plus, la censure religieuse existait cette

poque. On comprend donc quil ait volontairement moralis la fin de son rcit, tout en

sachant quil tait possible certains de lire entre les lignes. La vrit est ailleurs. Plus

terrible aussi. Ne vous tes-vous jamais interrogs sur les raisons relles de la mort de BramStoker, qui fut, croyez-moi un authentique adepte du Vampirisme ? Son acte de dcs

indique : mort dpuisement . Cela ne vous rappelle rien ?

nest-ce pas de cette manire que meurent les soi-disantes victimes du vampire. Dailleurs,

est-il rellement mort ?

Je choisis ce moment pour passer moi aussi une question.

Il existe donc des techniques permettant ladepte dentrer dans la chane vampirique, de

devenir son tour lun de ces morts vivants, et de gagner limmortalit sans passer par

lglise ?

Lglise est venue bien plus tard. Elle na pas invent le moyen dchapper la corruption

et de vaincre la mort. Elle sest servie des rvlations magique du Paganisme. Cest partir

de ces rvlations quelle a cre son corps glorieux , sa rsurrection de la chair au deldu tombeau. On peut dire sans se tromper que lEglise vit sur la doctrine vampirique quelle a

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modifi ses fins. Il existe en effet des techniques enseignes aux adeptes. Si ceux-ci sont

assez forts pour les soutenir. Dans les pratiques vampiriques, le disciple nest jamais seul. Il

est toujours guid par ce que nous appelons un matre esprit , cest dire par un mort

vivant qui le protge tout au long de son initiation. Ce mort-vivant, peut-tre un parent de

ladepte rcemment dcd, et adepte lui-mme bien entendu, o bien un frre, ou mme un

ancien mage du culte ayant gagn limmortalit. Linitiation ne peut se faire sans la prsencedun mort-vivant. Lui seul possde les pouvoirs de la survie ; lui seul peut le transmettre.

Il sinterrompit un instant et leva les yeux vers limmense croix chrtienne suspendue au mur :

Celui-l na pas fait mieux Ce nest pas pour rien si notre discussion a lieu ici, au

monastre de San Lazzaro, cest dire au monastre de Saint-Lazare. Savez-vous qui tait

Saint Lazare ? Le premier mort-vivant de lEvangile. Souvenez-vous de la rsurrection de

Lazare, de sa sortie du tombeau sur lordre de son matre, Jsus, cet autre mort-vivant

vainqueur de la tombe ! .

Renato D jeta un regard cruel en direction de la croix, puis se leva :

Venez. Je vais vous montrer quelque chose qui vous intressera. Un mort vivant, dans la

pice voisine

Il nous fit nouveau signe de le suivre et se dirigea vers une porte basse qui

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Le Culte Du Vampire - Jp Bourre