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Lacan Hamlet(Ornicar25)

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5/13/2018 Lacan Hamlet(Ornicar25) - slidepdf.com

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Le nom de

Michael Joseph Eisler

a he imprime Hasler par erreur

dans le Seminaire des Psychoses;

son article est paru

dans l 'IJP, vol . II, sept=dec. 1921.

De meme ici,

Ella Sharpe, et non Sharp.

IIILE DESIR DE LA MERE

L 'organis ation d'une illus ion

L a p la ce v id e

ou s ituer notre ignor ance

Pour arriver au but, iI ne faut pas se housculer - c'est bien ce

que comportent les principes analytiques.

Peut-etre certains d'entre vous croient-ils - je pense qu'il n'y en

a pas beaucoup de cette sorte - que nous sommes loin de la clinique.

Ce n'est pas vrai - nous y sommes en plein. Si ce dont il s'agit est de

situer le sens du desir, on ne saurait considerer que le mode de repe-

rage auquel nous procedons sur un des premiers grands themes de Ia

pensee analytique, nous detourne de ce qui est de nous requis comme

le plus urgent.

1

J'ai essaye la derniere fois de vous montrer l'epaisseur de I'accu-

mulation des commentaires sur Hamlet. II m ' est arrive dans l'inter-

valle un document apres lequel je gemissais dans mon perfection-

nisme, a savoir le Hamlet and CEdipus d'Ernest Jones. J e l'ai lu pourm'apercevoir que Jones avait tenu son bouquin au courant de ce qui

s'est passe depuis 1909, et que ce n'est plus Loening qu'il recom-

mande, mais Dover Wilson, qui a ecrit beaucoup, et fort bien, sur

Hamlet. J'avais lu moi-merne une partie de I'ceuvre de Dover Wilson,

et je crois vous en avoir a peu pres donne la substance.

La speculation de J o nes est, je dois le dire, fort penetrante, et,

dans l'ensemble, d'un autre style que tout ce qui a pu etre ecrit, ajou-

te sur le sujet, dans la famille analytique. J e releve particulierernent

cette remarque de simple bon sens, que quand on se pose de pro-

fondes questions concernant le caractere d'Hamlet, on neglige le fait

que ce n'est pas un personnage reel.

Avant de s'engager dans une speculation fondee sur I'idee qu'on

se fait d 'un objet, il y a toujours des choses a deblayer au premier

plan. II y en a ici. On suppose invinciblement, s'agissant des oeuvres

d'art, et specialernent des oeuvres dramatiques, qu'on a affaire a des

caracteres, au sens ou on l'entend en francais, Des caracteres, c'est-a-

dire des bonshommes dont nous supposons que l'auteur, lui, possede

toute I'epaisseur. 11est cense nous ernouvoir par la transmission des

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HAMLET

caracteres de ce caractere, et nous introduire par cette signalisation

a une realite qui serait au-dela de ce qui nous est donne dans l'eeuvre

d'art. Eh bien, je dirai qu'Hamlet a deja cette propriete de nous

faire sentir a quel point cette vue, pourtant commune, que nous

appliquons a tout propos, spontanernent, est sinon a refuter, tout au

moins a suspendre. Et il ne suffit pas de dire, comme je l'ai fait,

qu'Hamlet est un miroir ou chacun s'est vu a sa facon, lecteur et

spectateur. Mais laissons les spectateurs, qui sont insondables.

La diversite des interpretations critiques est bien faite pour

nous suggerer qu'il y a dans Hamlet quelque mystere. La somme dece qui a ete avarice a propos d'Hamlet est, je vous l 'ai suffisamment

montre, inconciliable, contradictoire. Pour les acteurs, c'est le role

par excellence, et en merne temps on dit l'Hamlet d'un tel ou d'un

tel. Mais il y a mieux.

Lors du troisierne centenaire, un peu supporte sans doute par

le TUsh , l'exaltation, qu'il y eut alors dans le monde litteraire anglais

sur les themes shakespeariens, certains ont fait entendre l' opinion

qu'Hamlet, c'est Ie vide, ca ne tient pas debout, qu'il n'y a pas de clef

d'Hamlet, que Shakespeare a fait comme il a pu pour rapetasser un

theme ancien - on savait deja qu'un Hamlet attribue a Kyd avait ete

joue une douzaine d'annees avant cet automne 1601 ou no us avons a

peu pres la certitude que pour la premiere fois apparut le Hamlet de

Shakespeare. Il a ete articule par Grillparzer, dramaturge autrichien

auquel Freud a fait a une occasion une reference tres importante,

que la raison merne d'Hamlet, c'etait son impenetrabilite, - opinion

assez curieuse parce qu'el le est st rictement anti-aristotelicienne, pour

aut ant que l'explication aristotelicienne de l'effet de la come die et de

la tragedie repose sur le caract ere ( ... ) du heros par rapport a nous.

Que tout cela ait pu etre avarice su sujet d'Hamlet a bien son prix.

T.S. Eliott, pas moins, qu'un certain milieu tient pour le plus

grand poete anglais moderne, a soutenu que Shakespeare n'a pas ete

a la hauteur de son heros. Si Hamlet est inegal a sa tache, Shakes-

peare aurait ete lui aussi, selon Eliott, inegal a l'articulation du role

d'Harnlet.

Ce sont la des opinions qu'on peut dire problematiques, L'opi-

nion la plus nuancee que je crois etre ici la plus juste, c'est qu'il y a

dans le rapport d'Hamlet a celui qui I'apprehende, comme lecteur

ou comme spectateur, quelque chose qui est de l'ordre d'une illusion.

C'est autre chose que de dire qu'Hamlet, c'est simplement le

vide. Une illusion n'est pas le vide. Produire sur la scene un effet fan-

tomatique, de l'ordre de ce que vous represente, d'un certain angle et

d'un certain point, mon petit miroir concave, necessite toute une rna-

chinerie. Dire qu'Hamlet est une il lusion, l'organisation de l' illusion,

ce n'est pas dire qu'on reve a propos du vide.

Tout confirme qu'il y a quelque chose de cet ordre. Cela nous

donne la poignee a laquelle nous pouvons solidement nous

raccrocher.

(... ) qui est cite par Jones ecrit quelque chose comme ceci _

nous ep:ouvons la plus grande difficulte a comprendre Hamlet,

et peut-etre Shakespeare Iui-merne trouvait-il difficile de le com-

prendre, et Hamlet lui-meme se trouve, c'est tres possible, en diffi-

culte de se comprendre. Alors qu'il dernonte ceux qui viennent I'in-

terroger et l~i tendre des pieges, il est tout a fait incapable de lire ses

propres motifs. Et Jones, qui a commence par nous dire qu'il ne fautpas nous laisser entrainer a parler d'Hamlet comme d'un personnage

reel ~t qu'a~-d:la, nous devons trouver Shakespeare, ne manque pas

de ghsser lui-merne dans quelque chose qui s'exprime a peu pres ainsi :

- J e ne connais pas de jugement plus authentique que celui-ci dans

toute la Iitterature sur le problerne. A un autre endroit, Ie merne

Jones nous dira que Ie poete , Ie heros et l'audience sont profonde-

ment emus par des sentiments qui les touchent a leur insu.

I~y ala. quelque chose qui nous fait toucher du doigt I'equiva-

lence a certains egards de ceux qui sont presentes comme des termes

p:emiers, le poete et 1: h~ros - ils ne sont vraiment la que par leur

discours. La commumcauon de ce qui serait dans l'inconscient du

poete et du heros, on ne peut pas dire qu'elle soit presentifiee par

autre chose que par l'articulation du discours dramatique.

Le heros, si vous me suivez, est strictement identique aux mots

du texte. Nous avons done a nous persuader que le mode sous le-

q~el une ceuvre nous touche de la facon la plus profonde, c'est-a-

due sur le plan de l'inconscient, tient a un arrangement, a sa com-

position: Voila la seconde poignee a laquelle je vous demande de

vous accrocher. C'est du merne ordre que ce cote qui se de robe de

tout ce que nous pouvons dire de la consistance d'Hamlet, qui est a

cet egard I'eeuvre exemplaire.

L'effet d'Hamlet sur nous n'est pas du a la presence de quel-

que chose qui supporterait reellement en face de nous un incons-

cient. Nous n'avons pas affaire a l'inconscient du poete, merne si

quelques, t:aces non conc.ertees dans son oeuvre, des elements de lap-

sus, des elements syrnboliques de lui-meme inapercus, temoignenr de

sa presence. EUa Sharpe, par exernple, s'est consacree a echeniller de-

ci de-la, ce qui reveler~t dans le caract ere d'Hamlet je-ne-sais-quel

a~crochage~ queUe fixation de la rnetaphore autour de themes femi-

runs, de themes,oraux. Ce n'est pas depourvu de tout interet, mais au

regard ~~ probleme que pose Hamlet, c'est vraiment secondaire, pres-

que pueril. Chercher dans les oeuvres quelques traces qui renseignent

sur l'auteur, n'est pas analyser la p ortee de I'ceuvre comme telle.

La portee de premier plan que prend Hamlet pour nous tient a

sa structure, equivalente a celle de I'CEdipe. Ce n'est pas tel aveu

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fugace qui nous interesse, mais l'ensemble de l'eeuvre, son articula-

tion, sa machinerie, ses portants pour ainsi dire, qui lui donnent sa

profondeur, qui instaurent cette superposition de plans a I'interieur

de quoi peut trouver place la dimension propre de la subjectivite

humaine, le probleme du desir.

SiHamlet est, avecFaust, le plus grand drame de la tragedie mo-

derne, ce n'est pas simplement parce qu'il y a Shakespeare, si genial

que nous le supposions.

Hamlet marque manifestement un virage de la production de

Shakespeare. Avant, il y a une suite de comedies et de drames histo-

riques, deux genres qu'il a pousses a leur demier degre d'aisance,

de beaute , de perfection. Jusqu'a Hamlet, Shakespeare joue de ces

deux specialites avec une maestria, un brio, un bonheur, qui le met

au rang des auteurs a succes, A partir d'Hamlet, le ciel change, et

nous touchons a deux choses au-dela de toutes les limites, qui ne

sont plus du meme ordre, qui n' ont plus rien a Iaire avec aucune

espece de canon. Apres Hamlet, c'est le King Lear, et bien d'autres

choses, pour aboutir a la Tempest - c'est le Shakespeare joyau de

l'histoire humaine, qui ouvre une dimension nouvelle sur l'homme.

L'approfondissement du metier d'auteur ne suffit pas a expli-

quer ce tournant. 11s'est done sansdoute passe quelque chose dans la

vie de Shakespeare autour de la conception d'Hamlet. Que pouvons-

nous en dire? - sinon qu'il s'agit de la mort de son pere. On peut

supposer d'autres everiements encore, qui ont elargi son experiencevecue - tout nous indique que sa vie a ete traversee de toutes les

sollicitations, de toutes les passions. Mais se contenter de cela serait

secontenter de peu de chose.

Hamlet est sans doute la piece qui de toutes se presente le plus

comme une enigme, mais toute piece qui fait problerne n'est pas

pour aut ant une bonne piece. Dans une mauvaise piece, il y a a I'occa-

sion un inconscient tout aussi present, encore plus present, que dans

une bonne. Si nous sommes emus par une piece de theatre, ce n'est

pas en raison de ce qu'elle represente d'effort, ni de ce qu'a son in-

su un auteur y laisse passer. C'est en raison, je le repete, de la place

a prendre qu'elle offre a ce que recele en nous de problernatique

notre propre rapport avec notre propre desir. Ces dimensions de de-veloppement, de retentissement, nous sont offertes par cette piece

d'une facon eminente, au maximum.

Le drame personnel de Shakespeare, on croit d'ailleurs le saisir,

et il se derobe, On a ete jusqu'a dire que ce drame etait celui des

Sonnets. Vous savez que l'auteur s'est trouve doublement trompe,

du cote de son ami et du cote de sa maitresse, Mais on n'a aucune

certitude sur cette histoire, on n'a que le temoignage des Sonnets,

singulierement elabore.

Laissons done ce qui peut etre derriere Hamlet, ce que nous

pouvons rever a ce propos, occupons-nous de la composition

d'Hamlet. Cette composition, l 'auteur est parvenu a la pousser a ce

haut degre de rnaturite, cette singuliere perfection, qui distingue

Hamlet de tous les pre-Hamlet que nous avons pu avec notre philolo-

gie decouvrir. C'est la ce qui doit faire l'objet de notre reflexion.

Qu'il y ait le drame de Shakespeare derriere Hamlet est secon-

daire au regard de ce qui compose la structure d'Hamlet. C'est cette

structure qui repond de l'effet d'Hamlet. Et ceci d'autant plus

qu'Hamlet lui-meme, comrne s'expriment metaphoriquernent les au-

teurs, est un personnage dont ce n'est pas simplement en raison de

notre ignorance que nous ne connaissons pas les profondeurs. C'est

un personnage compose de la place videpour situer notre ignorance.

Une ignorance situee n'est pas quelque chose de purement ne-

gatif. Une ignorance situee n'est rien d'autre que la presentification

de l'inconscient. Voila ce qui donne a Hamlet sa portee et sa force.

J e ne veux rien ecarter, je ne nie pas la dimension proprement

psychologique qui est interessee dans une piece comme celle-la, et

qui releve de ce qu 'on appelle la psychanalyse appliquee, mais au

niveau ou nous sommes, c'est bien de psychanalyse theorique qu'il

s 'agit. Au regard de la question theorique que pose I 'adequation de

notre analyse a-une oeuvred'art, tou te question clinique est une ques-

tion de psychanalyse appliquee..; .

Si Hamlet est vraiment ce que je vous dis, a savoir une struc-ture telle que le desir puisse y trouver saplace, une composition assez

rigoureusement articulee pour que tous les desirs ou plus exactement

tous les problernes du rapport du sujet au desir, puissent s'y projeter,

il suffirait en quelque sorte de Ie lire. Maisil y a ici des personnes qui

m'ecoutent, qui voudront sans doute que j'en dise un petit peu plus

sur la fonction de l'acteur, de la representation?

II est clair que ce n'est pas du tout la merne chose de lireHamlet

et de le voir represente. Comment mieux illustrer la fonction de

l'inconscient que j'ai defini discours de ['Autre, que dans la perspec-

tive que nous donne une experience comme celle du rapport de I'au-

dience a Hamlet? II est clair que l'inconscient se presentifie la sous

la forme du discours de l'Autre, qui est un discours parfaitementcompose. Le heros n'est present que par ce discours, de meme que le

poete, mort depuis longtemps, c'est son discours qu'il nous legue.

La dimension qu'ajoute la representation, c'est-a-dire qu'ajou-

tent les acteurs qui jouent cet Hamlet, est strictement analogue de

ce par quoi nons-memes sommes interesses dans notre propre in-

conscient . Car notre rapport avec l'inconscient est tisse de notre

imaginaire, je veux dire de notre rapport avec notre propre corps.

J'ignore, parait-il l'existence du corps, j 'ai une theorie de I'ana-

lyse incorporelle, selon certains qui ne sont frappes qu'a une cer-

taine distance du rayonnement de ce que j'articule ici. J'enseigne

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HAl\1LEl

tout autre chose - le signifiant, c'est nous qui en fournissons Ie rna-

teriel, C'est avec nos propres membres - l'imaginaire, c'est cela -

que nous faisons l'alphabet de ce discours qui est inconscient, chacun

de nous dans des rapports divers, car nous ne nous servons pas des

memes el~ments. De meme, l'acteur prete ses membres, sapresence,

non pas simplernent comme une marionnette, mais avec son incons-

cient bel et bien reel, a savoir le rapport de ses membres avec une cer-

taine histoire qui est la sienne.

. Chacun sait qu'il y a de bons et de mauvais acteurs. C'est, je

crois, dans la mesure ou l'inconscient d'un acteur est plus ou moins

compatible avec ce ~ret de sa marionnette. Voila ce qui fait qu'un

act~ur a plus ou moms de talent, de genie, voire qu'il est plus ou

m~ms compatible avec certains roles - pourquoi pas ? Merrie ceux

qUI ont la gamme la plus etendue peuvent jouer certains roles mieux

que d'autres. Et plus generalement, leprobleme qui a pu etre aborde

du rapport de certaines textures psychologiques avec le theatre, de

l'acteur avec la possibi lite de l'exhibition. Quelqu'un a ecrit, il y a

q~el~ues ~ees, un ar:-:iclequi donnait de l'espo!r sur ce qu'il appe-

lait 1 hystene et le theatre, et nous aurons peut-etre l'occasion d'en

parler avec interet, sinon avec acquiescement.

Cette parenthese fermee, reprenons Ie fil de notre propos.

2

Quelle est done cette structure, cette mise en place, a I'interieur

de quoi le desir peut et doi t prendre sa place, et qui est l'essentiel de

ce que je cherche a vous faire comprendre de l'effet d'Hamlet ?

Est-ce pour rejoindre des thematiques classiques, voire banales

que je vous ai fait toutes ces remarques introductives ? Il n'en es~

rien. Neanmoins, cornmencons d'aborder les choses par ce qui nous

est d'habitude presente. Ne croyez pas que ce soit si simple, ni si uni-

voque. Une certaine rectitude est ce qu'il y a de plus difficile a main-

tenir pour les auteu~s dans le ~ev~loppement de leur pensee, il y a

tout Ie temps une fuite, une OSCIllatIOn,dont vous allez voir quelques

exemples.Dans une premiere approximation, a laquelle tout le monde est

accorde , Hamlet est celui qui ne sait pas ce qu'il veut. 11s'arrete arne-

re~ent au moment ou il voit partir les troupes du jeune Fortimbras

qUI passent a un moment a l'horizon de la scene, et se trouve tout

d'un coup .heurte par Ie fait que voila des gens qui partent faire une

gr~de action pour trois fois rien, pour un petit bout de Pologne, et

q~1 v~mt tout ~acrifier, sacrifie~ leur vie, alors que lui est la qui ne

fait nen, et qu il a tout pour faire, la cause, la volonte , la force et les

moyens. Comme il le dit lui-meme - J'en reste toujours a dire, c'est

Lachose qui est a faire.

Voila Ie probleme qui se pose a chacun - Pourquoi Hamlet

n'agit-il pas? Pourquoi cefeel, cette volonte, ce desir, parait-il en lui

suspendu, ce qui rejoint en quelque sorte ce que Racamier ecrit de

I'hysterique ?

On dit qu'il ne veut pas. Lui dit qu'il ne peut pas. Ce dont il

s'agit, c 'est qu'il ne peut pas vouloir. Que nous dit la-dessus la tradi-

tion analytique ? Que tout repose en cette occasion sur Iedesir pour

la mere, que ce desir est refoule, que c'est la cause par quoi Ie heros

ne saurait s'avancer vers l 'action qui lui est cornmandee, a savoir la

vengeance contre un homme qui est l 'actuel possesseur, illegitime 0

combien puisque criminel, de l'objet maternel. S'il ne peut frapper ce-

lui qui est designe a sa vindicte, c'est dans la mesure ou lui-merne au-

rait deja commis le crime qu'il s'agit de venger. Pour autantqu'il y a

dans I'arriere-plan le souvenir du desir infantile pour la mere, du desir

oedipien de meurtre du pere, Hamlet se trouverait en quelque sorte

complice de l'actuel possedant, beatus possidens a ses yeux. II ne

pourrait donc s'attaquer a ce possesseur sans s'attaquer a lui-merne.

Est-ce cela qu'on veut dire? - ou bien qu'il ne peut s'attaquer a ce

possesseur sans reveiller en lui le desir ancien, ressenti comme cou-

pable, mecanisme qui est certainement plus sensible?

Ne nous laissons pas fasciner par ce schema non dialectique. Ne

pouvons-nous pas dire que tout cela serenverse ? SiHamlet seprecipi-

tait tout de suite sur son beau-perc, ne pourrait-on pas dire aussi bienqu'il trouve l'occasion detancher sa propre culpabilite hors de lui?

Remarquons que tout le porte a agir. D'abord, son pere revient

de I'au-dela sous la forme d'un Iantome pour lui commander cet acte

de vindicte. Le commandement du surmoi est la materialise, et pour-

vu de tout le caractere sacre de celui-la merne qui revient d'outre-

tombe, avec ce que lui ajoute d'autorite sa grandeur, sa seduction,

le fait d'etre la victime, d'avoir ete atrocement depossede non seule-

ment de l'objet de son amour, mais de sa puissance, de son trone, de

la vie merne , de son salut, de son bonheur eternel.

Dans le merne sens, vient jouer ce qu'on pourrait appeler le de-

sir naturel d'Harnlet. La chose laplus certaine et la plus apparente du

role d'Hamlet, c'est qu'il est fixe a sa mere. C'est ce qu'on pourrait

appeler le desir naturel d'Hamlet, pour autant qu'a l 'heure ou Jones

ecrit son article sur Hamlet, il en est encore a devoir plaider devant le

public la dimension du refoulement et de la censure, et toutes ses

pages tendent a leur donner une origine sociale.

II est tout de merne curieux, curiously enough, dit-il , que les

choses qui sont les plus censurees par l'organisation sociale soient les

desirs les plus naturels. Cela pose en effet une question. Pourquoi la

societe ne s'est-elle pas organisee pour la satisfaction de ces desirs les

plus naturels, si c'est vraiment d'elle que surgit la dimension du re-

foulement et de la censure? Cette remarque pourrait peut-etre nous

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conduire un peu plus loin, a savoir que les necessites de la vie, du

groupe, les necessites sociologiques, ne sont pas exhaustives pour

expliquer cet interdit dou surgit chez les etres humains la dimension

de l'inconscient.

Cela suffit si peu qu'il a fallu pour expliquer le principe du re-

foulement que Freud invente un mythe originel, pre-social puisque

c'est lui qui fonde la societe, a savoir Totem et Tabou. Le cornmen-

taire de ] ones a la date a laquelle ill'a fait conserve malheureuse-

ment une genese sociologique des interdits au niveau de l'inconscient,

tres exactement une genese de I'CEdipe au niveau de la censure. C'est

une erreur deliberee , apologetique, l'erreur de quelqu'un qui veutconvaincre, conquerir un public de psycho-sociologues,

Revenons a notre Hamlet. Nous le voyons anime de deux ten-

dances - l'une est cornmandee par l'autorite du pere et l'amour qu'illui porte - l'autre repond a sa volonte de defendre sa mere, et de se

la garder. Ces deux tendances devraient Ie faire aller dans le merne

sens - tuer Claudius. Or deux choses positives donneraient ici un re-

sultat zero.

] e sais bien que cela arrive. ],avais trouve un tres joli exemple

a un moment ou je venais de me casser la jambe - un raccourcisse-

ment plus un autre raccourcissement, celui de l'autre jambe, et il

n'y a plus de raccourcissement. C'est un tres bon exercice pour nous,

car nous avons bien affaire a des choses de cet ordre. Mais est-ce decela qu'il s'agit ici ? Non,je ne crois pas.

]e crois plutot que nous nous satisfaisons de quelque chose qui

ne se justifie sans doute pas, a savoir qu'Hamlet est la et qu'il faut

bien l'expliquer. Admettons que ce qui met Hamlet dans un rapport

difficile, problematique avec son acte, ce qui le lui rend repugnant, ce

soit son desir. Admettons que c'est le caractere impur de ce desir

qui joue la le role essentiel, mais a l 'insu d'Hamlet, que c'est pour au-

tant que son action n'est pas desinteressee, pas kantiennement moti-

vee, qu'Hamlet ne peut accomplir son acte. En gros, nous pouvons

dire ca. Mais cela est en verite presque accessible avant l'investigation

analytique. Nous en avons des traces, c'est l 'interet de la bibliogra-

phie de ] ones de le montrer. ] e crois que, analytiquement, nous pou-

vons fonnuler quelque chose de plus juste, a suivre vraiment le texte

de la piece.

Remarquez que ce a quoi Hamlet a affaire, et tout le temps, ce

avec quoi il se collette, c'est un desir. Ce desir doit etre considere la

ou il est dans la piece. Ce desir.est bien loin du sien. Ce n'est pas son

desir pour sa mere, c'est le desir de sa mere.

Le point-pivot, c'est la rencontre avec la mere apres la play

scene. Tout le monde etant de plus en plus angoisse a propos de ses

intentions a lui, Hamlet, on decide de le faire appeler. Lui-meme,

c'est tout ce qu'il desire. A cette occasion il va, dit-il, retourner Ie fer

dans la plaie, la dague dans le cceur de sa mere. Cette longue scene

est un sommet du theatre, et la lecture en est a la limite du sup-

portable. II abjure pathetiquernent samere de prendre conscience du

point ou elle en est. A quoi est-ce que <;aressemble, cette vie? Et

puis, tu n'es pas de la premiere jeunesse quand meme, ca doit un peu

se calmer chez toi - ce sont des choses de cet ordre qu'illui dit dans

une langue admirable. Ce sont ces choses qu'Hamlet est parti comme

un dard dire a sa mere, ces choses qui sont destinees a lui ouvrir

le cceur, et qu 'elle ressent comme telles, elle-meme lui dit - Tu

m 'ouvres le cceur. Et elle gemit litteralernent sous cette pression.

On est a peu pres certain qu'Hamlet a trente ans, c'est ce qu'on

peut deduire de ce qu'il dit dans la scene du cimetiere du pauvre

Yorrick, qui est mort il y a une trentaine dannees, et qui l'a em-

brasse sur les levres, Hamlet n'est pas un petitjeune homme, sa mere

a environ quarante-cinq ans, et lui un peu moins.

II compare ensuite son pere a Hyperion, celui que les dieux ont

marque de tous leurs sceaux. Et voila a cote cette espece de dechet,

un roi de haillons et de fils perdus, une ordure, un faisan, un maque-

reau, et c'est avec cela que vous vous roulez dans l 'ordure. Il ne s'agit

que de cela, et i1 y a lieu de l'articuler - il s'agit du desir de la mere.

Dorninez-vous, reprenez la voie des bonnes mceurs, commencez par

ne plus coucher avec mon onele - les choses sont dites comme cela.

Et puis chacun sait, dit-il, que I'appetit vient en mangeant, que ce de-mon, l'habitude, qui nous lie aux choses les plus mauvaises, s'exerce

aussi dans le sens contraire. En apprenant a vous tenir mieux, cela

vous sera de plus en plus facile. L'articulation de cette demande, de

cette abjuration, est faite au nom de quelque chose qui n'est pas sim-

plement de l'ordre de la loi, mais de la dignite , et elle est menee

avec une force, une vigueur, une cruaute merne, dont le moins qu'on

puisse dire est que cela declenche plu tot la gene.

L'autre est litteralement pantelante et le spectre reapparait alors

pour dire - Taiaut, taiaut, vas-y,continue, mais aussi pour lerappeler a

l'ordre, pour proteger Iarnere contre je-ne-sais-quel debordernent agres-

sif devant quoi la mere elle-merne a un moment donne atremble - Est-

ce que tu veux me tuer ?] usqu'ou vas-tu aller? Son pere vient rappelera Hamlet - Glisse-ioi entre elle et son arne qui est en train de flechir .

Arrive a ce sommet, il y a chez Hamlet une brusque retornbee.

Et puis apres tout, main tenant que je t'ai dit tout cela, fais-en a ta

tete, va raconter tout cela au tonton Claudius. Tu vas le laisser te

faire une petite bisette sur lajoue, une petite chatouille sur la nuque,

un petit gratouillement du ventre, et tout va s'achever comme d'ha-

bitude dans le foutoir. C'est exactement ce qui est dit par Hamlet.

A ce temps de l'oscillation, son appel disparait, s'evanouit, dans

le consentement au desir de la mere. Il rend les annes devant ce desir

qui lui parait ineluctable, ne pouvoir etre souleve,

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J'ai ete plus lentement que je ne pouvais le supposer, et je serai

force darreter les choses a un point qui laissera le dechiffrage

d'Hamlet au programme de deux de nos rencontres encore.

3

Pour conclure aujourd'hui, je vais vous montrer le rapport de ce

que je suis en train d'articuler, avec le graphe.

Le discours elementaire de la demande soumet le besoin du

sujet au consentement, au caprice, a l'arbitraire de l'Autre comme

tel, et structure ainsi la tension et l'intention humaine dans le morcel-

lement signifiant. Au-dela de ce premier rapport a l'Autre, il s'agit

pour le sujet de retrouver dans ce discours qui le modele, dans ce dis-

cours deja structure, son/eel, sa propre volonte.

Sa propre volonte, c'est d'abord cette chose, nous le savons

nous autres analystes, la plus problernatique, a savoir ce qu'il desire

vraiment. Au-dela des necessites de la demande qui morcelle et frac-

ture le sujet, au-dela du rapport a l'Autre, la retrouvaille du desir

dans son caractere ingenu est le probleme auquel nous avons cons-

tamment affaire. L'interrogation du sujet sur ce qu'il veut, c'est

celle que dessine mon crochet interrogatif.

Comme c'est le cas au premier etage du graphe, il y a quelque

part installee une chaine signifiante qui s'appelle a proprement par-ler l'inconscient, et qui donne a cette interrogation son support si-

gnifiant, qu'on peut s'y retrouver de quelque part.

Il y a Ia inscrit un code, qui est le rapport du sujet a . sa propre

demande, SOD.C'est un registre grace a . quoi le sujet peut percevoir

quoi ? Non pas comme on le dit que sa demande est orale, ou anale,

ou ceci ou cela - ce n'est pas de ca qu'il s'agit. Mais qu'il est dans un

certain rapport privilegie, en tant que sujet, avec la demande. C'est

pour cela que j'ai inscrit ainsi, avec une certaine forme de demande,

cette ligne au-dela de l'Autre ou se pose l'interrogation du sujet. Est-

ce une ligne inconsciente ? Non, avant qu'il y ait eu une analyse et

des analystes, les etres humains se posaient la question - se la po-

saient sans cesse, croyez-le bien, comme de notre temps, comme

depuis Freud - de savoir ou etait leur veri table volonte. C'est pour

cela que nous tracons cette ligne d'un trai t plein. Elle appartient au

systeme de la personnalite, appelez-la consciente, ou preconsciente, je

n'entrerai pas dans plus de details pour l'instant.

Que nous indique ici le graphe ? Que quelque part sur la l igne

intentionnelle se situe le x qu'est le desir . Ce desir a un rapport avec

quelque chose qui doit se placer sur la ligne du retour, en face de la

premiere ligne. Ce rapport est l'homologue du rapport du moi avec

l 'image. Le graphe nous apprend que le desir, flot tant Ia quelquepart, mais toujours dans I'au-dela de 1Autre , est soumis a une certaine

regulation, .fixe a une c~rtaine hauteur, determin~.par qu~lque chose

qui se dessine d 'une VOlede retou~ du ~o~e de 1inconscient vers le

message de l'inconscient sur le plan Imagmaue.

Dans q~el sens.se produit .le c.ircui~d: :a formation d':l~esir au

niveau de I' inconscient ? Le circuit pointille, autrement dit mcons-

cient, commence ici, passe au niveau du message inconscient, S (P I ) ,

va au niveau du code inconscient, ~ 0 D, puis revient vers Ie desir,

et de la va vers le fantasme. Cette voie est une voie de retour par

rapport a l'inconscient - si vous remarquez comment est fait le

graphe, vous voyez qu'ici le trait n'a pas de retour.

Qu'est-ce que nous pouvons articuler a cepropos meme, a nousen tenir a la scene d 'Hamlet en face de sa mere? Il n'y a pas de mo-

ment ou, d'une facon plus complete, la formule le desir de l 'homme

est le desir de l'A utre, soit plus sensible, plus accomplie, annulant

completement le sujet.

Hamlet s'adresse ici a l'Autre, sa mere, mais au-dela d'elle-meme

_ non pas avec sa propre volonte , mais a;ec celle d?n~ il est a . ce

moment-Ia le support, a savoir celle du pere, et aUSSIbien ~elle d,e

l'ordre, de la decence, de la pudeur - j'ai deja fait intervenir le de-

mon de la pudeur, vous verrez quelle place il aura dans ~a.suite. II

tient devant la mere ce discours au-dela d'elIe-meme, pUIS1 1 en re-

tombe, c 'est-a-dire il retombe au niveau de l'Autre devant qui il ne

peut que se courber.Le mouvement de cette scene est a . peu pres celui-ci - I'adjura-

tion du sujet au-dela de l'Autre essaye de rejoindre l~ni_:eaudu code

de la loi et il en retombe. II ne se rencontre pas lui-merne avec son

propre desir, car il n'a plus de desir, pour autant qu:Ophe~ie a ete par

lui rejetee. Pour schernatiser, tout se pass~ c~m~e sII.aVOlede,retour

le ramenait purement et simplement a 1articulat ion de. 1~~,tre,

comme s'il ne pouvait en recevoir d'autre mess.ageque l~ sI~Ifie de

l'Autre a savoir la reponse de la mere, J e SulS ce que Je suis, avecmoi il ~'y a rien a faire, je suis une v:-aieg,eni~ale- ~u.sens du pr~-

mier volume de la Psychanalyse d'Aujourd hut - moi, Je ne connais

pas Ie deuil.

En effet, on peut lire dans ce volume que la c~acteristique duveritable genital, c'est d'avoir le deuil leger - met;e~leux commen-

taire a la dialectique d'Hamlet. Le repas des funerailles sert le len-

demain aux noces - Economie, economie !, la reflexion est

d'Hamlet. La mere est un con beant. Quand l'un est parti, l'autre

arrive.

Le drame d'Hamlet, c'est le drame du desir, le drame de ceci ,

qu'i l y a un objet digne et un objet indigne. II est~urieu.~ qu'~n se

serve tout le temps du mot d'objet, et que la premIere fois qu o~ ~e

rencontre, on ne Ie reconnaisse pas. Madame, un peu de proprete, Je

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vous en prie, il y a tout de meme une difference entre ce dieu et cette

ordure. Personne n'a jamais parle de relation d'objet a propos

d 'Hamlet - on en reste confondu, il ne s'agit que de cela.

Voila done que nous voyons entrer par I' intermediaire du pro-

bleme du deuil, Ie probleme de l'objet, ce qui nous permettra peut-

etre de donner une articulation de plus a ce que Freud nous apporte

dans Trauer und Melancholie.

On nous dit que Ie deuil a lieu en raison d'une introjection de

l'objet perdu. Mais pout que l'objet soit introjecte, il y a une condi-

tion prealable, c'est qu'il soit constitue en tant qu'objet. Comment

l'objet vient-il a etre constitue comme tel ? Cette question n'estpeut-etre pas purement et simplement liee aux etapes instinctuelles

comme on nous les donne.

Nous sommes la au cceur du problerne. Demandez-vous pour-

quoi, a partir de quoi, Hamlet prend Iemors aux dents. C'est en effet

manifeste - apres avoir longtemps lanterne, tout d'un coup il semble

avoir mange du tigre. II se lance dans une affaire qui se presente dans

des conditions invraisemblables - alors qu'il a a tuer son beau-perc,

on vient lui proposer de soutenir pour celui-ci une gageure qui con-

siste a se battre au fleuret avecun monsieur qui ne lui veut pas beau-

coup de bien, puisque c'est Ie Frerede cette Ophelie, laquelle vient de

mettre fin a ses jours dans un trouble ou il n'est pas pour rien.

Hamlet aime beaucoup ce monsieur, il Ie lui dit, et pourtant c'est

avec lui qu'il va croiser Ie fer pour Ie compte de la personne qu'en

principe il a a massacrer. Et dans ce tournoi, Hamlet serevele un vrai

tueur, il ne laisse pas l'autre faire une seule touche. Cette veritable

fuite en avant, qu'est-ce qui la declenche ? C'est l'episode sur lequel

j ' ai termine la derniere fois, celui du cimetiere, avec ces gens qui se

collettent au fond d'une tombe - drole de scene entierernent du cru

de Shakespeare, car il n'y en a pas trace dans les pre-Hamlet.

Pourquoi Hamlet est-il alle se fourrer la ? Parce qu'il n'a pas

pu supporter de voir un autre que Iui-meme afficher, etaler un deuil

debordant.

II n'y a pas un seul des mots que j'emploie qui ne soit soutenu

par Ie texte. II Ie dit - Je n'ai pas pu supporter qu'il fasse autant d'es-

brouffe autour de son deuil. Autrement dit, c'est par la voie du deuilque Hamlet se retrouve un homme.Ce deuil, ill 'assume dans un rap-

port homologue au rapport narcissique du moi et de l'image de

l'autre, au moment ou lui est represente dans un autre Ie rapport pas-

sionne d'un sujet avec un objet qu'on ne voit pas, mais qui est au

fond du tableau. Cet objet qui tout d'un coup l'accroche, apres avoir

ete rejete a cause de la confusion, de la mixion des objets, fait

d'Hamlet quelqu'un de capable, pour un court instant sans aucun

doute, mais un instant qui suffit pour que la piece se termine,

capable de se battre et de tuer.

Shakespeare, bien entendu, ne s'est pas dit toutes ces jolies

choses, mais il a bien mis dans sa piece un personnage aussi singulier

que Laertes, pour lui faire jouer, au moment crucial de la piece, Ie

role d'exemple, de support, vers lequel Hamlet se precipite dans

une etreinte passionnee, et d'ou il sort Iitteralement autre. Le cri

d'Hamlet accompagne de ses commentaires montre que c'est la Ie

moment ou il ressaisit son desir, Et c'est la Ie point vers quoi sont

tirees toutes les avenues de l'articulation de la piece.

Cette analyse d'Hamlet, il s'agira de savoir, quand nous l'aurons

finie, ce que nous pouITons en garder d'utilisable, de maniable, de

schernatique pour notre propre reperage du desir du nevrose.Du desir d'Hamlet, on a dit que c'etait Ie desir d'un hyste-

rique - c'est peut-etre bien vrai. On peut dire aussi bien que c'est Ie

desir d'un obsessionnel - c'est un fait qu'il est bourre de symptornes

psychastheniques severes, A la verite, Hamlet est les deux. II est pu-

rement et simplement la place de ce desir. Hamlet n'est pas un cas

clinique. Ce n'est pas un etre reel, c'est un drame qui presente

comme une plaque tournante ou se situe un desir.

Pour autant que le problerne d'Hamlet est de retrouver son de-

sir, de le construire, de se creer un desir insatisfait, il s'agit plutot du

desir de l'hysterique, Mais il est aussi vrai qu'il s'agit de I'obsession-

nel, pour autant que son problerne est de se supporter sur un desir

impossible, ce qui n'est pas tout a fait pareil. Vous verrez que nous

pourrons faire virer l'interpretation des propos et des actes d'Hamlet

aussi bien d'un cote que de l'autre, et qu'il nous faudra saisir quelque

chose de plus radical que le desir de tel ou tel, que le desir aveclequel

vous epinglez un hysterique ou un obsessionnel.

Quand je lis que chacun sait qu'un hysterique est incapable

d'aimer, j'ai toujours envie de dire a l'auteur - Et vous, etes-vous

capable d'aimer ? II dit qu 'un hysterique vit dans I'irreel, et lui ?

Le medecin parle toujours comme si lui etait bien enfonce

dans ses bottes, les bottes de l'amour, du desir, de la volonte et de

tout ce qui s'ensuit. C'est une position tres curieuse, et nous devrions

savoir depuis un certain temps que c'est une position dangereuse,

grace a quoi on s'engage dans ce coritre-transfert qui empeche de riencomprendre au malade auquel on a affaire.

C'est pourquoi ilest essentiel a l'analyste d'articuler le desir, de

situer sa place.

18Mars 1959

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IV

IL N'Y A PAS D'AUTRE DE L'AUTRE

Qu ' on me donne mon desir, tel est le sens que je vous ai dit

qu'avait Hamlet pour tous ceux, critiques, acteurs, spectateurs qui

s'en emparent. A quoi cela est-il dfi, sinon a la geniale rigueur ou le

theme d'Hamlet arrive avec Shakespeare? Et ce apres une elabora-

tion tenebreuse qui commence aux Xlleme et Xll Ierne siecles chez

Saxo Grammaticus, se poursuit avec la version romancee de Bellefo-

rest, sans doute une esquisse de Kyd, une premiere esquisse, semble-t-

il , de Shakespeare, jusqu'a aboutir a la forme que nous avons.

Cette forme se caracterise a nos yeux, selon la methode que

nous employons ici, par. quelque chose que j'appelle la structure, et

dont j 'essaye de vous donner une clef avec cette forme topologique

que j'ai appelee le graphe, et qu'on pourrait peut-etre appeler le

gramme.

1

Reprenons notre Hamlet. Essayons encore une fois de ressaisir

Ie mouvement d'Hamlet, si simple, ala fois et si plein de detours que

tant de pensees humaines ont pu s'y loger. Comment cela peut-il etre

a la fois si simple et si jamais fini ? II n'est pas tres difficile de savoir

pourquoi -Ie drame d'Hamlet, c'est la rencontre avec la mort.

D'autres ont deja insiste sur le caractere prodigieusement fi-

xant, pertinent, de la premiere scene sur la terrasse d'Elseneur, ou

se situe la rencontre inaugurale avec le mort. Quelque chose va reve-nir que les sentinelles ont deja vu une fois, le spectre, cette forme

d'en-bas dont on ne sait pas encore alors ce qu'elle est, ce qu'elle

apporte, ce qu'elle veut dire.

J e reviens a ce sujet sur les si jolies notes de Coleridge surHamlet, car je vous ai peut-etre donne l 'impression d'en medire. En

vous disant qu'apres tout Coleridge ne fait que s'y retrouver, j'avais

l'air sans doute de minimiser sesremarques. C'est pourtant le premier

a avoir sonde, comme dans bien d'autres domaines, la profondeur de

ce qu'il y a dans Hamlet - a propos precisernent de cette premiere

scene si prodigieuse que Hume lui-meme, qui etait tellement contre

les fantomes, croyait a celui-la. Oui, l'art de Shakespeare arrivait a

l'y faire croire malgre sa resistance. La force que je deploie contre les

fantomes, dit Hume, est semblable a celle d'un Samson, et la le Sam-

son est terrasse.

Shakespeare a certainement approche de tres pres que1que chose

qui ri'etait pas le ghost - mais bien la rencontre avec la mort. La

mort est en somme le point-pivot de la piece, et l'aller d'Hamlet au-

devant de la mort, c'est de Ia que nous devons partir pour concevoir

ce qui nous est promis des cette premiere scene ou le spectre appa-

rait au moment merne ou l'on rappelle son apparition, the bell the n

beating one , lac loc he sonnant une heure .

Ce one, nous Ie retrouvons a la fin quand, apres son chernine-

ment contourne, Hamlet se trouve tout pres de faire l'acte qui doit

en meme temps achever son destin, et ou, en quelque sorte, c'est en

fermant les yeux qu'il s'avance vers celui qu'il doit atteindre, disant a

Horatio - et ce n'est pas a n'importe quel moment qu'il finit par le

lui dire - Qu'est-ce que c 'est de tuer un homme ? Le temps de dire

one.

Hamlet s'achemine vers son acte, par des chemins de traverse, il

fait I'ecole buissonniere. J 'emprunterai la un mot qui est dans Ia

bouche d'Horatio qui, tout modeste et tout gentil, alors qu'il vient

d'apporter son aide a Hamlet, lui dit - Je s uis i ci un t ruant s chol ar ,

je musarde. C'est bien en effet ce qui toujours a frappe les critiques -cet Hamlet, il musarde, que n'y va-t-il tout droit? Nous essayons ici

de savoir pourquoi.

La route que nous suivons pour le savoir est differente de celle

qu'ont suivie ceux qui ont parle avant nous - elle reporte peut-etre

la question un peu plus loin. Mais ce qu'ils ont dit ne perd pas pour

autant sa portee , car ils ont bien senti le problerne que Freud a tout

de suite mis au premier plan. Pourquoi l 'action en cause, celle de por-

ter la mort, cette action si pressante, et si breve a executer, demande-

t-elle tant de temps a Hamlet? Ce que l'on nous en dit d'abord, c'est

que cette action rencontre chez Hamlet l'obstacle du desir.

] e vous en ai assez dit pour que vous vous aperceviez du para-

doxe de cette raison. Ce desir, si c'est bien le desir decouvert parFreud, c'est le desir pour la mere. En tant qu'il suscite la rivalite avec

celui qui la possede , il devrait done aller, n'est-ce pas, dans le merne

sens que l'action, et non pas I'entraver. Voila I'enigme irresolue

d'Hamlet. Et voila ce qu'il y a a dechiffrer, pour autant que c'est la

que se structure la fonction mythique d'Hamlet, celle qui en fait un

theme egal a celui d'CEdipe.

II n'y a pas pour Hamlet de conflit de droit ou d'ordre, mettant

en jeu, comme le suggerent certains auteurs, les fondements de

l'execution de la justice. II n'y a pas d'ambigu"ite entre I'ordre public

et les taches privees, II ne fait aucun doute pour lui que Ie meurtre

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HAMLET

est toute la loi, qu'il est juste, qu'il est a faire. Hamlet veut le faire,

et pourtant il ne I'executera que lorsque deja il est frappe a mort,

dans Ie court intervalle qui lui reste entre la mort recue et le moment

ou il s'y perd.

L'acte d'Hamlet se projette, se situe a son terme au rendez-vous

demier de tous les rendez-vous. Cest de la qu'il nous faut partir, c'est

a cela qu'il nous faut donner son nom.

2

Reperons-nous une fois de plus sur ce graphe que nous utilisons

pour essayer d'articuler Ie sujet tel que Freud nous a appris qu'il est

construit.

Ce sujet n'est pas encore venu au jour, et son articulation pro-

prement philosophique a ete retardee, II se distingue de celui dont la

philosophie occidentale parle depuis que theorie de la connaissance il

y a, car il n'est point Ie support omnipresent universel des objets, et

en quelque sorte leur negatif, IIs'agit du sujet en tant qu'il parle, et

en tant qu'il est structure dans un rapport complexe avec Ie

signifiant.

L'entrecroisement de l'intention, de la demande, et de la

chaine signifiante se fait pour la premiere fois au point A, que nous

avons defini comme Ie grand Autre en tant que lieu de la verite, je

veux dire en tant que lieu ou la parole se situe en prenant place. II

s'agit de cet Autre ordre evoque, invoque chaque fois que le sujet

parle, articule quelque chose. Dans les formes immanentes de capti-

vation de l'un par rapport a l'autre, rien n'equivaut a ce qui dans la

parole instaure toujours un element tiers, a savoir ce lieu de l 'Autre,

ou la parole, merne mensongere, s'inscrit comme desir.

.Ce!te ref~rence a l'Autre se.prolonge au-dela, en tant qu'elle est

repnse a partir de A pour constrtuer la question - Qu 'est-ce que je

veux ou_plus exactement, car el1esepropose au sujet sous une forme de-

ja negative - Que ueux-tu ? Au-dela de lademande alienee dans le sys-

terne du discours en tant qu'il est Ia, reposant aulieu del'Autre, Iesujet

prolongeant son elan s'interroge sur cequ'il est comme sujet. Qu'est-cequ'il a done a rencontrer au-dela du lieu de la verite? Quelque chose

qui se nomme - metaphore extreme qui tend devant certains spec-

tacles significatifs a se formuler -l'heure de la verite.

N'oublions pas, a une epoque ou la philo sophie s'est engagee a

articuler ce qui lie le temps a I'etre, que le temps - dans sa constitu-

tion meme , passe-present-futur, temps de la grammaire - se repere

a rien d'autre qu'a l'acte de la parole. Le present n'est rien que ce

moment ou je parle. II nous est strictement impossible de concevoir

une ternporalite dans une dimension animale, dans la dimension de

I'appetit. Le b,a,ba de la temporalite exige la structure du langage.

Dans I'au-dela de l'Autre, dans ce discours qui n'est plus dis-

cours pour l 'Autre, mais discours de l 'Autre a proprement parler, va

se constituer la ligne brisee des signifiants de l'inconscient. Dans cet

Autre ou Ie sujet s'avance avec sa question, ce qu'il vise au dernier

terme , c'est l'heure de la rencontre avec Iui-merne, avec son vouloir.

Voila ce que nous avons au dernier terme a essayer de formuler. Cer-

tains sigr:es nous representent ici, reperent, prefigurent I'etagernent

de ce qUI nous attend dans ce qu'on peut appeler les pas, les etapes

necessaires de la question.

Hamlet, je vous l'ai dit , n'est pas ceci ou cela. II n'est pas un ob -

sessionnel pour la bonne raison qu'il est une creation poetique -

Hamlet n'a pas de nevrose , iI nous dernontre de la nevrose, et c'est

tout autre chose que de I'etre. Neanmoins, si Hamlet, sous un certain

eclairage, nous apparait si proche de la structure de l'obsessionnel

c'est en ceci qu'une des fonctions du desir, et chez l'obsessionnell~

fonction majeure, c'est, cette heure de la rencontre, de la maintenir

a distance, et de l'attendre.

A J'empl~ierai Ie ~erme que Freud offre dans Inhibition, Symp-tome, Angoisse, CelUId'Erwartung, qu'il distingue expressernent de

tendre Ie dos. Erwartung, l'attendre au sens actif, c'est aussi la faire

attendre. Le jeu avec l'heure de la rencontre domine essentieIlement

rapport de l 'obsessionnel avec l'objet. Sans doute Hamlet nous

demontre-t-il cette dialectique sous bien d'autres faces encore mais. est .la plus evidente, c'est celIe qui apparait en surface, qui

" . e, qUI donne Ie style de la piece, et qui en a toujours fait

emgme.

Essayons de voir maintenant avec d'autres elements les coor-

uonriecs que nous donne la piece. Qu'est-ce qui distingue Iaposition

'Hamlet par r~pport a Ia trame fondamentale de I'CEdipe ? Pour-

cette vanante de I'CEdipe est-elle si frappante ? Car enfin

, lui, n'y faisait pas tant de facons, comme l'a fort bien re-

Freud dans Ia petite note d'explication a laqueIle on recourt

quand on donne sa langue au chat. Mon dieu, tout se degrade, nous

sommes dans Ia periode de decadence nous autres modernes nous

nous tortillons six cents fois avant de faire ce que les autres, Ies bons,les.braves, les anciens, faisaient tout dret - ca, ce n'est pas une expli-

catlOn',.Toute re!erence a l'idee de decadence doit nous etre suspecte.

S II est vrai que les modernes en soient la, nous ne pouvons pas

n~us cor:tenter, du moins si nous sommes psychanalystes, de la

raIson:- ils ?'ont ~as les nerfs aussi solides que les avaient leurs peres.

a~, SI a:dlpe, lUIne barguigne pas trente-six fois devant l'acte, c'est

qu ille fait avant merne d'y penser, sans Ie savoir. C'est l'essentiel de··lastructure du mythe d'CEdipe.

Quand je vous ai introduit cette annee au gramme comrne a la

du probleme du desir, j'ai commence, et pas par hasard, en

HAMLET

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evoquant le reve tres simple ou le pere mort apparait. Etj'ai marque

sur la ligne superieure, la ligne d'enonciation - Il ne savait pas .Bienheureuse ignorance de ceux qui sont plonges dans le drame qui

s'ensuit necessairernent du fait que le sujet qui parle est soumis au

signifiant. Or, dans Hamlet, Ie pere savait. Et je vous fais remarquer

que personne ne vous explique pourquoi.

Car enfin, si le pere endormi au jardin a ete meurtri par le fait

qu'on lui a verse dans l'oreille - comme on dit dans Jarry - ce sue

delicat, Hebona, la chose a du lui echapper, Rien ne nous dit qu'il est

sorti de son sommeil pour constater le degat et que les dartres quicouvrirent son corps furent jamais vues sinon par ceux qui decou-

vrirent son cadavre. A-t-on dans Ie domaine de l'au-dela des infor-

mations tres precises sur la facon dont on y est parvenu ? Ce pour-

rait etre une hypothese de principe, mais ce n' est pas a tenir

d'emblee pour certain.

Tout cela pour souligner l'arbitraire de la revelation initiale,

celle d'ou part le grand mouvement d'Hamlet. La revelation par le

pere de la verite sur sa mort, voila une coordonnee de la piece qui la

distingue essentiellement de ce qui se passe dans Ie my the d'CEdipe.

Quelque chose est ici leve - Ie voile qui pese sur l'articulation

de la ligne inconsciente. C'est bien ce voile que nous essayons de lever

en analyse, non sans qu'il nous donne, vous le savez, quelque fil a

retordre. Nos interventions pour retablir la coherence de la chaine si-gnifiante au niveau de l'inconscient presentent bien des difficultes,

recoivent de la part du sujet bien des oppositions, des refus, que nous

appelons resistances - c'est le pivot de toute l'histoire de l'analyse. II

est clair que ce voile doit bien avoir quelque fonction essentielle,

pour la securite du sujet en tant qu'il parle.

lei, la question est resolue. Le pere savait, et du fait qu'il savait,

Hamlet sait aussi. II a la reponse. Et il ne peut y avoir qu'une re-

ponse. Elle n'est pas obligatoirement dicible en termes psycholo-

giques. J e veux dire, elle n'est pas forcernent comprehensible. Elle

ne vous prend pas aux tripes. Mais elle n'en est pas moins du type

fatal. Essayons de voir ce que c'est.

Cette reponse est en somme le message qui se constitue dans laligne superieure , celIe de l'inconscient. Je l'ai deja symbolisee pour

vous a l'avance, non sans etre force de ce fait de vous demander de

me faire credit. II est plus honnete de demander a quelqu 'un de vous

faire credit sur quelque chose qui d'abord n'a aucune espece de sens.

Cela ne vous engage a rien, si ce n'est peut-etre ala chercher, ce qui

vous laisse la Iiherte de le creer par vous-rneme.

Au niveau de la ligne inferieure, la reponse est toujours le signi-

f ie de I 'Autre, s(A) . La reponse en effet est ici relative a Ia parole

qui se deroule dans l'Autre, modelant le sens de ce que nous avons

voulu dire. Mais qui aura voulu dire cela au niveau de l'Autre ? Dans

I'au-dela du discours de l'Autre, au niveau de la question que Ie sujet

se pose a Iui-meme , Qu ' est -ce q ue j e su is d ev enu d ans t ou t c el a ?, la

reponse, je vous l'ai dit, c'est Ie signifiant de l'Autre avec la barre -

5(4'>-).II y a mille facons de vous developper ce qu'inclut ce symbole.

Je choisirai aujourd'hui, puisque nous sommes dans Hamlet, la voie

claire, evidente, pathetique, dramatique. Ce qui fait pour nous la

valeur d'Hamlet, c'est qu'il nous permet d'acceder au sens de S(4'>-).

Le sens de ce qu'Hamlet apprend par ce pere est la devant

nous, tres clair - c'est I'irrernediable, absolue, insondable, trahi-

son de I'amour. De l'amour le plus pur, l'amour de ce roi qui peut-

etre, bien entendu, comme taus les hommes, peut avoir ete un

grand chenapan, mais qui, avec cet etre qui e tait sa femme, etait

celui qui allait jusqu'a ecarter les souffles de vent sur sa face - tout

au mains suivant ce qu'Hamlet dit. Ce qui survient a Hamlet, c'est

l'annonce de l'absolue faussete de ce qui lui etait apparu comme Ie

temoignage merne de la beaute et de la verite, de l'essentiel.

Voila la reponse , La verite d'Hamlet est une verite sans espoir.

II n'y a pas trace dans toute la piece d'une elevation vers aucun au-

dela, rachat, redemption.La premiere rencontre vient d 'en bas, et de la facon la plus

claire, Hamlet se situe au niveau du rapport infernal a cet Acheron

que Freud a voulu mettre en ernoi faute de pouvoir flechir les puis-

superieures. C'est un trait evident de la piece et il est assezque les auteurs, par on-ne-sait quelle pudeur, ne Ie soulignentJ e ne vous donne cette remarque que comme une marche

I 'ordre du pathetique, aussi penible que ce puisse etre.

5(4'>-)ne veut pas dire que tout ce qui se passe au niveau de A

vaut rien, a savoir que toute verite est fallacieuse. Toute conclu-

tout verdict radical, a prendre une forme accentuee dans

'ordre de ce que l'on appelle pessimisme, nous voilerait encore ce

il s'agit. Ce n'est la que matiere a rire dans les periodes d'amu-

sement que sont les apres-guerre, ou l'on fait une philosophie de

l 'absurde qui sert surtout dans Ies caves.Essayons d'articuler quelque chose de plus serieux, au de plus

leger. S(4'>-),qu'est-ce que cela veut dire essentiellement ? C'est Ie mo-ment de Ie dire, encore que cela va apparaitre sous un angle bien

particulier , mais que je ne crois pas contingent. S(4 '>-)veut dire ceci -

qu'en A, qui n'est pas un etre , mais Ie lieu de la parole, ou repose

l'ensemble du systeme des signifiants, c'est-a-dire d'un langage, il

manque quelque chose, quelque chose qui peut ri'etre qu'un signi-

fiant. Un signifiant fait defaut au niveau de l'Autre. C'est, si je puis

dire, Ie grand secret de la psychanalyse - il n'y a pas d' Autre del'Autre.

. Le sujet de la philosophie traditionnelle se subjective lui-merne

mdefiniment. Si je suis en tant que je pense, je suis en tant que je

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p;nse que je Asuis,e t. ains~ de suite. Cer~es, on s'est deja apercu qu'iln est pas si sur que Je SOlS en tant queJe pense, et queje suis en tant

q"?e je pense que je suis. L'analyse nous apprend autre chose, de tres

d1ffe:-ent,. c'est que j: ne sui~ pas celui-la qui est en train de penser

9ue Je SUIS,~our Ia SImple raison que du fait que je pense que je suis,

~e pe_nse ~u lieu d~ I'Autre. J ~ suis .un autre que celui qui pense que

Je SUIS.C est par Ia que Ie sujet qUI parle, tel que nous Ie revele I'ex-

perience de I'analyse, se dernorrtre structure d'une toute autre facon

qu~ Ie sujet d~ to~jours. Et retrospectivement, I'evolution philoso-

phique pourrait bien nous apparaitre comme un delire fecond

certes, mais un delire. ' ,En effet, je n'ai aucune garantie que cet Autre, Ie systerne de

I'Autre, puisse me rendre ce que je lui ai donne - son etre et son

essence ~e verite. II n'y.a p.a~,vous ~-je ?it, d'Autre de I'Au"tre. II n'y

a dans I A"?tre .aucun slgmf1m:t qUI puisse dans I'occasion repondre

de ce que Je SU1S.Et pour red Ire Ies choses d'une facon transforrrree

Ia verite sans espo~r dont je v~us parlais tout a l'heure, celle que nous

rencontrons au mveau de I'mconscient, est une verite sans figure

u~e verite ~~~ee, pli~~I<; en tout sens. Nous ne Ie savons que trap ~

c est une vente sans vente.

C'est bien cela qui .fait Ie plus grand obstacle a ceux qui s'ap-

pro~h.ent. d~ notre tra~aIi du, de~ors. Ils n'arrivent pas a saisir de

quoi II s agit dans nos mterpretatIOns, parce qu'ils ne sont pas avec

nous dans Ia voie ou elles sont destinees a porter leur effet, qui n'est

conce:able ~ue de facon metaphorique, et pour autant qu'il joue et

retentrt toujours entre Ies deux Iignes.

Ce ,signi~iant, ~ont l'Autre ne dispose pas, si nous pouvons en

parler, c est bien qu 11est tout de meme quelque part.

J e vous ai :~it ~e petit gramme aux fins que vous ne perdiez

pas Ie nord. J e I ai fait avec tout Ie soin que j'ai pu, et certainement

~as pour ac~roltre votre embarras. Le signifiant cache, celui dont

I Autre ne Ad1spose pas, e,t qui justement vous conceme, vous pouvez

Ie reconnartre I:>artout ou est la barre. C'est Ie merne que vous faites

:ntrer, dans Ie ru en. tant que vous, pauvres betas, depuis que vous

etes nes, vo~s ete~ pns dans cet.t~ ,sacree affaire de logos. C'est Ia part

de vous qUI ~st Ia-d<;dans sacrifice, non pas sacrifiee physiquement

comme .on d~t, ou r:elle~e~t. mais symboliquement. Cette part de

vous qUI a pns fonction signifiante, il y en a une seule c'est Ia fonc-o , • ,

tion emgmat1que que nous appelons Ie phallus.

, Q':l'est-ce que Ie phallus? C'est ce quelque chose de I'organisme

ou Ia VIe - terme dont on use a tort et a travers mais qui est ici a sa

place - ou la turgescence vitale, est symbolisee. C' est Ia dans ce

quelque chose d'enigmatique, d'universel, plus mare que fernelle, et

P?urtant ~ont Ia .femelle elle-merne peut devenir Ie symbole, c'est Ia

ou dans I mconscient est Ia vie, ou elle est prise, ou elle prend sens.

Sa vie, Ie sujet Ia fait signifiante. Mais ce signifiant ne vient nulle

part garantir Ia signification du disc ours de I' Autre, parce que dans

l'Autre il est indisponible. Autrement dit, toute sacrifiee qu'elle soit

a I'Autre, sa vie n'est pas, au sujet, rendue par I'Autre. C'est de Ia

que part Hamlet, a savoir de la reponse du donne. Et c'est pour cette

raison que tout le parcours peut etre balaye. La revelation radicale Ie

mene au rendez-vous dernier,

3

Apres avoir etabli Ia fonction des deux lignes du graphe, je vou-drais aujourd'hui introduire un element essentiel qui concerne ce qui

git dans l'intervalle. La distance que le sujet peut maintenir entre les

deux lignes, c'est Ia qu'il respire pendant le temps qui lui reste a

vivre, et c'est cela que nous appelons le desir.

J e vous ai dit quelle pression, quelle abolition, quelle destruc-

tion, ce desir subit de sa rencontre avec ce qui, de I' Autre reel, de la

Mere, est moins desir que gloutonnerie, voire engloutissement. A ce

moment de la vie de Shakespeare, c'est ce qui a ete evidemment pour

lui - on ne sait pourquoi, mais apres tout qu'importe -la revelation.

Le probleme de la femme est partout present dans I'oeuvre de

Shakespeare, et il y a bien des luronnes avant Hamlet, mais d'aussi

abyssales, d'aussi feroces et tristes, il n'y en a qu'a partir de lao Jevous ai deja indique la derniere fois le sens de ce mouvement d'adju-

ration qui se situe dans Ie dialogue, qu'on peut appeler Ie paroxysme

de Ia piece, entre Hamlet et sa mere - Ne detruis pas la beaute,

l'ordre du monde, ne confonds pas Hyperioti meme, c'est son pere

qu' il designe ainsi, avec l'etre le plus abject - et celui de sa retombee

devant Ia necessite fatale de ce desir que rien ne retient.

Les citations que je pourrais vous faire de ce qui est Ia pensee

de Shakespeare a cet egard sont excessivement nombreuses. Troilus

et Cressida, par exemple, est une pure merveille, une des plus su-

blimes de l'art dramatique, et nous permettrait certainement d'aller

loin. Mais je ne vous en donnerai que ceci, de ce que j'ai releve pen-

dant les vacances.

II s'agit de quelqu'un, assez amoureux, et aussi assez farfelu,

brave homme d'ailleurs, qui est le heros de Twelfth Night, le Due

comme on I'appelle. Encore que rien dans ce heros ne vienne mettre

en doute que ses penchants soient des femmes, une fille pour Ie con-

querir l'approche deguisee en garc;on - trait singulier pour se faire

valoir comme fille.

Ce n'est pas pour rien que je vous donne ces details - c'est

occasion pour moi de vous ouvrir la perspective dans laquelle s'ins-

crit notre question sur Ophelie. Cette femme, Viola, est anterieure a

Ophelie , puisque la Twelfth Night precede de deux ans environ la

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fomentation d'Hamlet, et permet de mesurer la transformation qui

s'accomplit dans Shakespeare de ses creations feminines, les plus fas-

cinantes, les plus attirantes, les plus captivantes, Ies plus troubles ala

fois. Elles font Ie caractere immortellement poetique de toute une

face de son genie. Cette fille-gan;on, ou garcon-fille, voila Ie type

meme de creation ou affleure quelque chose qui va introduire notre

pas suivant, a savoir Ierole de l 'objet dans Ie desir,

Alors qu'il se desespere d'amour, cette fille qui l'aime dit au

Due - Comment pouuez-uous vous plaindre ? S£ quelqu 'un etait au-

pres de vous qui soupirait apre s votre amour, et que vous n ' ayez

nulle erune de l 'aimer, comment pourriez-uous l'accueillir ? II ne faut

done pas en uouloir aux autres de ee qu 'assurement vous feriezuous-meme.

Lui, qui est Ia en aveugle, et dans I'enigme, lui dit alors - igno-

rant que la personne qui lui pose ces questions captieuses est une

fille, et qui l'aime - lui dit alors un grand propos concernant la dif-

ference du desir feminin et du desir masculin. - II n'y a pas de

femme qui peut supporter le battement d'une passion aussi violente

q-z:e. eelle qui possede mon cceur. Aucun cceur de femme ne peut

ainsi en supporter autant. Elles manquent de cette suspension ... Et

tout son developpernent situe effectivement ce rapport particulier

a l'objet, soutenu comme tel, lequel est exprime dans Ie symbole a

que je place sur la ligne de retour de l'x du vouloir, dans la formule

': J Oa. L'objet est la Ie curseur, le niveau ou se place ce qui est chez lesujet Ie desir.

J e voudrais introduire maintenant le personnage d'Ophelie, en

beneficiant de ce que la critique philologique et textuelle nous a ap-

porte concernant ses antecedents, car nous devons faire attention a

ce que Shakespeare a pu ajouter au canevas dou il est parti. J'ai vu

sous la plume de je-ne-sais quel cretin un vif mouvement de bonne

humeur qui lui survint Ie jour pas specialernenr precipite ou il s'aper-

cut qu'il y a dans Belleforest quelqu'un qui joue Ie role dOphelie.

Dans Belleforest, tout Ie monde est tout aussi ernbete de ce

qui arrive a Hamlet. II a bien l'air d'etre fou, on n'en est pas plus

rassure pour autant, car il est clair que ce fou sait assez bien ce qu'il

veut, mais ce qu'il veut, on ne Ie sait pas. Qu'est-ce qu'il veut ?, telleest la question pour tous les autres. On lui envoie done une fille de

joie, destinee a capter ses confidences en l'attirant dans un coin de

la foret, cependant que quelqu'un sera aux ecoutes, Le stratageme

echoue comme il convient, grace a l'amour de la fille. Le critique en

question etait tout content de cette arche-Ophelie , croyant y trouver

la raison des ambiguites du caractere d'Ophelie,

, . J e ne vais p,a~vous relire le role. Vous savez que ce personnage

emmement pathetique, bouleversant, dont on peut dire que c'est une

des grandes figures de l'humanite, sepresente sous des traits extreme-

ment ambigus. Personne n'a jamais pu savoir si elle est l 'innocence

meme, evoquant ses elans les plus charnels avec la simplificite d'une

purete qui ne connai t pas de pudeur, ou si c'est au contraire une

gourgandine prete a tous les travaux. Le texte est la-dessus un veri-

table miroir aux alouettes. On peut tout y trouver, et a la verite, on y

trouve surtout un grand charme. Si, d'une part, Hamlet se comporte

avec elle avec une cruaute tout a fait exceptionnelle, qui gene, qui

fait mal, qui la pose comme une victime, d'autre part on sent bien

qu'elle n'est point, loin de la, la creature desincamee, decharnalisee,

que presente la peinture preraphaelique que j'ai evoquee,

A la verite, on est surpris que les prejuges concernant le type, la

nature, la signification, les mceurs pour tout dire de la femme, soient

encore si fort ancres qu'on puisse a propos dOphelie se poser une

question semblable. II semble qu'Ophelie soit tout simplement ce

qu'est toute fille, qu'elle ait ou non franchi - nous n'en savons

rien - le pas tabou de la rupture de sa virginite, question qui me

semble ri'etre d'aucune facon posee a propos d'Ophelie.

Ophelie represente un point extreme sur une ligne courbe qui

va des premieres heroines de Shakespeare, filles-garcons, jusqu'a

quelque chose qui va en retrouver la formule dans la suite, mais

transformee. Elle semble etre le sommet de sa creation du type de

la femme, au point exact ou elle est ce bourgeon pret d'eclore, mena-

ce en son cceur par l'insecte rongeur. Cette vision de vie prete a

eclore, de vie porteuse de toutes les vies, c'est ainsi d'ailleurs

qu'Hamlet la situe, et pour la repousser - Vous serez la mere de

pecheurs. Cette image de la fecondite vitale nous illustre, plus qu'au-

cune autre creation, I'equation dont j'ai fait etat dans mes cours,

Girl = Phallus.

Ferai-je etat de choses qui a la verite me paraissent simplement

de rencontre ? J'ai eu la curios ite de voir d'ou venait Ophelie, et,

dans un article de Boissade du Dictionnaire etymologique grec, j'ai

trouve une reference grecque. Certes, Shakespeare ne disposait pas

des dictionnaires dont nous nous servons, mais on trouve chez les

auteurs de cette epoque , a cote d'ignorances somptueuses, des choses

si penetrantes, si stupefiantes, qui anticipent Ies constructions de la

critique la plus moderne, que je peux bien vous dire que dansHornere , si mon souvenir est bon, il y a Ophelio au sens de faire gros-

sir, enfler employe pour la mue, la fermentation vitale, qui fait se

changer, s'epaissir. Le plus drole, c'est que, dans Ie meme article,

Boissade, auteur qui crible assez severement l'ordonnance de ses

chaines signifiantes, croit necessaire de faire expressernent reference

a la forme verbale de Phallos.

La confusion d 'Ophelie et de Phallos n'a pas besoin de voisins

pour nous apparaitre, elle nous apparait dans la structure. La ques-

tion est celle-ci - siOphelie est veritablement, comme nous le disons,

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le phallus, comment Shakespeare lui fait-il remplir cette fonction ?

Shakespeare porte sur un plan nouveau ce qui lui est donne dans

la legende telle qu'elle est rapportee par Belleforest. La courtisane

etait I'appat destine a arracher a Hamlet son secret, et Ophelie aussi

est la pour interroger le secret, mais ilne s 'agit plus de faire avouer a

Hamlet ses sombres desseins, qui inquietent ceux qui l'entourent. Le

secret transpose au niveau ou se tient la veritable question est le se-

cret du desir.

Les rapports d'Hamlet avec Ophelie sont scandes au cours de la

piece par une serie de temps qui nous permettent de saisir, d'une fa-

< s o n particulierement vivante, les rapports du sujet en tant qu'il parle,

c'est-a-dire en tant qu'il est soumis au rendez-vous de son destin, avec

l'objet.

Ce terme d'objet est certainement aujourd'hui beaucoup plus

insistant qu'il n'a jamais ete dans Freud, au point que certains ont

pu dire que l 'analyse l 'a change de sens, et que lalibido, chercheuse

de plaisir, est devenue chercheuse d'objet. Seulement, l 'analyse est

engagee dans une voie fausse pour autant qu'elle ar ticule cet objet

d'une facon qui manque son but, de ne pas soutenir ce dont il s'agit

dans le rapport qui s 'inscrit dans la formule ~Oa, S chatre, soumis a

quelque chose que je vous apprendrai a dechiffrer sous le nom de

fading du sujet, en tant qu'oppose au splitting de l'objet.

Qu'est-ce que c'est que l'objet du desir ? La deuxierne seance

de cette annee, je vous ai fait une citation de quelqu'un que j ' espere

que vous aurez identifie depuis lors, qui disait que ce que l 'avare re-

grette dans la perte de sa cassette nous en apprendrait long si on Ie

savait, sur le desir humain. C'est de Simone Weil. Voila ce que nous

allons essayer de serrer autour de ce fil qui court Ielong de la tragedie

entre Ophelie et Hamlet.

8 Avril 1959

Le s N oeuds